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Objet technique (artefact, instrument, machine, dispositif)

2015, Sciences, technologies et sociétés de A à Z

Frédéric Bouchard, Pierre Doray et Julien Prud’homme (dir.) Sciences, technologies et sociétés de A à Z Presses de l’Université de Montréal Objet technique (artefact, instrument, machine, dispositif) Guillaume Latzko-Toth DOI : 10.4000/books.pum.4334 Éditeur : Presses de l’Université de Montréal Lieu d'édition : Presses de l’Université de Montréal Année d'édition : 2015 Date de mise en ligne : 7 novembre 2017 Collection : Thématique Sciences sociales ISBN électronique : 9782821895621 http://books.openedition.org Référence électronique LATZKO-TOTH, Guillaume. Objet technique (artefact, instrument, machine, dispositif) In : Sciences, technologies et sociétés de A à Z [en ligne]. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2015 (généré le 27 novembre 2018). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pum/4334>. ISBN : 9782821895621. DOI : 10.4000/books.pum.4334. objet technique Handbook of Science and Technology Studies, 3e édition, Cambridge (MA), MIT Press, p. 113-137. Fujimura, J. H. (1992), « Crafting Science : Standardized Packages, Boundary Objects, and “Translation” », dans A. Pickering (dir.), Science as Practice and Culture, University of Chicago Press, p. 168-211. Star, S. L. (2010), « Ceci n’est pas un objet-frontière. Réflexions sur l’origine d’un concept », Revue d’anthropologie des connaissances, vol. 4, no 1, p. 18-35. (Publié la même année en anglais dans Science, Technology & Human Values, vol. 35, no 5, p. 601-617.) Star, S. L. et J. R. Griesemer (1989), « Institutional Ecology, “Translations” and Boundary Objects : Amateurs and Professionals in Berkeley’s Museum of Vertebrate Zoology, 1907-39 », Social Studies of Science, vol. 19, no 3, p. 387-420. Traduction française : Star, S. L. et J. R. Griesemer (2008), « Écologie institutionnelle, “traductions” et objets frontières : des amateurs et des professionnels au musée de zoologie vertébrée de Berkeley, 1907-1939 », dans B. Lahire et C. Rosental (dir.), La cognition au prisme des sciences sociales, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, p. 233-276. Strauss, A. L. (1978), « A Social World Perspective », dans N. Denzin (dir.), Studies in Symbolic Interaction, Greenwhich (CT), JAI Press, p. 119-128. Objet technique (artefact, instrument, machine, dispositif) Guillaume Latzko-Toth Le vocable « objet technique » est couramment employé comme terme générique pour désigner indiféremment un outil, un instrument, une machine, un logiciel ou plus généralement tout « artefact » considéré du point de vue de sa technicité (voir Technologie). C’est justement pour tenter de cerner l’essence de la technique que le philosophe Gilbert Simondon a proposé une ontologie de l’objet technique qui a mis en évidence les diicultés inhérentes à toute tentative de déinition. Selon les traditions disciplinaires ou les approches théoriques, on lui préfère ou non la notion d’« artefact technique », plus courante en anglais (technological artifact), ou encore celle de « dispositif technique ». S’il se fait discret dans le vocabulaire de la sociologie des sciences et des techniques de langue française, le concept d’artefact se retrouve au cœur de l’approche anglo-saxonne fonctionnaliste d’Herbert Simon sur les « sciences de l’artiiciel ». Pour Simon, un artefact est une entité d’origine humaine conçue dans le but de répondre à un besoin. Il peut être abstrait ou concret, physique ou symbolique, matériel ou logiciel, 165 sciences, technologies et sociétés mais dans tous les cas il est « architecturé », c’est-à-dire qu’il présente une structure interne non contingente et que les divers éléments dont il est fait ont été agencés de manière cohérente en vue de servir une in. Pour qu’il soit considéré comme un instrument, il faut en outre qu’il soit associé à un « schème d’utilisation ». Un artefact peut exister à diverses échelles ou niveaux de complexité. On peut ainsi parler de « macro-artefact » pour désigner une ville ou le réseau Internet dans son ensemble. Un tel artefact peut constituer un substrat pour d’autres artefacts ; il devient alors, d’un point de vue relationnel, une infrastructure (voir Infrastructure sociotechnique et Déterminisme technologique). Le terme « machine » désigne généralement des artefacts compacts, hautement architecturés et dotés d’une capacité de fonctionnement autonome. Simondon déinit l’autonomie des machines en tant qu’afranchissement vis-à-vis de l’opérateur comme source d’énergie et d’information. Un concept voisin, celui de « dispositif », correspond à un niveau d’échelle intermédiaire entre le macro et le micro. Mais le dispositif n’est pas une entité en soi : il est articulation, mise en relation, sans pour autant avoir la cohérence d’un système. Le dispositif est déini par Foucault comme un réseau hétérogène d’artefacts au sens le plus large, matériels ou symboliques, dont certains cristallisent des rapports sociaux. Ainsi, pour former un dispositif au sens fort du terme – et non dans le sens ordinaire de « ruse » (machina) ou d’agencement matériel apportant une solution pratique à un problème –, un artefact doit être articulé à d’autres éléments, et s’inscrire dans une dynamique sociale. Un même objet technique peut être décrit en tant qu’artefact et en tant que dispositif selon l’angle d’analyse que l’on privilégie. Quinton souligne la diférence entre artefact et dispositif de communication en déinissant ce dernier comme « l’ensemble relationnel qui se construit entre l’artefact, ses acteurs en production-réception, ses utilisateurs ainsi que les contextes dans lesquels prennent place ces interactions ». S’eforçant de réduire la distance entre le naturel et l’artiiciel, la théorie de l’acteur-réseau situe l’artefact technique stabilisé sur le même plan que le fait scientiique : ce qui est perçu par les acteurs comme une « chose » aux contours déinis serait en fait un assemblage hétérogène d’actants humains et non humains ayant subi un processus de mise en « boîte noire », ou « ponctualisation ». Autrement dit, l’arte166 objet technique fact serait l’aspect « visible » d’un dispositif sociotechnique dont il est indissociable. Latour précise par ailleurs qu’un objet technique n’existe pas autrement que sous la forme d’un « quasi-objet » insaisissable dont le mode d’existence luctue. Il devient « artefact » – au sens de relique archéologique – lorsqu’il est exposé dans un musée (voir Musée de science et technologie). Pour sa part, l’approche constructionniste conçoit plutôt l’artefact comme une actualisation parmi d’autres d’un objet technique sujet à la lexibilité interprétative des acteurs avant que sa « signiication » ne soit stabilisée. L’artefact est donc situé dans un réseau constitué à la fois d’acteurs et d’autres artefacts en concurrence avec lui. Le réseau est articulé autour de « problèmes » ou controverses dans lesquels les acteurs sont parties prenantes et pour lesquels les artefacts sont autant d’interprétations de l’objet technique ofrant des solutions à ces problèmes (voir héorie de l’acteur-réseau et Objet-frontière). 1 Callon, M. (1991), « Techno-economic networks and irreversibility », dans J. Law (dir.), A Sociology of Monsters : Essays on Power, Technology, and Domination, Londres, Routledge, p. 132-161. Dodier, N. 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Pinch (dir.), The Social Construction of Technological Systems : New Directions in the Sociology and History of Technology, Cambridge (MA), MIT Press, p. 17-50. Quinton, P. (2007), « L’artefact : un objet du faire », Les Enjeux de l’information et de la communication. http://www.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2007-meotic/Quinton/ Rabardel, P. (1995), Les hommes et les technologies : une approche cognitive des instruments contemporains, Paris, Armand Colin. 167 sciences, technologies et sociétés Simon, H. A. (1996 [1969]), The Sciences of the Artificial, 3e édition, Cambridge (MA), MIT Press. Simondon, G. (1989 [1958]), Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier. Star, S. L. (1999), « The Ethnography of Infrastructure », American Behavioral Scientist, vol. 43, no 3, p. 377-391. Paradigme Yves Gingras et Julien Prud’ homme Le mot « paradigme » est d’usage ancien. Désignant un exempletype que l’on invoque pour convaincre, il paraît dans la Rhétorique d’Aristote et, au début du 20e siècle, dans les travaux de Wittgenstein et de quelques autres philosophes. Mais l’emploi du terme est alors une rareté. S’il devient un mot commun, employé aujourd’hui à toutes les sauces, c’est en raison du travail fondateur de T. S. Kuhn sur la Structure des révolutions scientiiques (1962), qui transforme le concept en l’une des principales clés d’analyse de l’évolution des sciences. Kuhn, un physicien qui a bifurqué vers l’histoire et la philosophie des sciences, distingue deux types de moments dans l’évolution d’une science : de longs moments de « science normale » interrompus par des épisodes de « révolution scientiique ». La science normale repose sur une communauté de savants rassemblés autour d’un paradigme stable : le mot « paradigme » désigne alors le cadre théorique général de la discipline, qui fournit à la communauté le vocabulaire, les questions, les techniques et les arguments jugés légitimes pour lui permettre de fonctionner (voir Discipline et Champ). La communauté de savants s’emploie alors à étendre le champ d’application du paradigme en résolvant un éventail de problèmes, tous formulés dans les termes propres du paradigme de manière à engendrer un progrès cumulatif des connaissances. Une révolution scientiique survient lorsqu’une série d’anomalies, de problèmes apparemment insolubles, vient jeter le doute sur la viabilité du paradigme existant ; s’ensuit alors une crise qui peut être résolue par l’adoption d’un paradigme de remplacement. Le nouveau paradigme, en raison des concepts, des méthodes et du langage employés, est alors incommensurable au premier car il véhicule une vision du monde toute diférente. Son adoption entraîne donc une certaine rupture du progrès 168