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Saint Josémaria et le Curé d'Ars

2014

Saint Josemaria a nomme, vers 1951-1953, le Cure d'Ars comme intercesseur pour les relations de l'Opus Dei avec les eveques diocesains. L'ar- ticle etudie les causes et les circonstances de cette nomination, en presentant aussi les relations du fondateur de l'Opus Dei avec saint Jean-Marie Vianney tout au long de sa vie.

Saint Josémaria et le Curé d’Ars LAURENT TOUZE1 Abstract: Saint Josémaria a nommé, vers 1951-1953, le Curé d’Ars comme intercesseur pour les relations de l’Opus Dei avec les évêques diocésains. L’article étudie les causes et les circonstances de cette nomination, en présentant aussi les relations du fondateur de l’Opus Dei avec saint Jean-Marie Vianney tout au long de sa vie. Keywords: Josémaria Escrivá − Curé d’Ars – Intercesseurs de l’Opus Dei − France − Villa Tevere. St. Josemaría and the Cure of Ars: St. Josemaría, around 1951-1953, chose the Cure of Ars as intercessor for Opus Dei’s relations with diocesan bishops. The articles studies the causes and circumstances of this nomination, and also presents the relation that the founder of Opus Dei had with St. Jean-Marie Vianney throughout his life. Keywords: Josemaría Escrivá − Cure of Ars − Intercessors of Opus Dei − France – Villa Tevere Un professeur d’histoire aux Universités, lecteur habituel de Studia et Documenta, quand il a appris que j’écrivais cet article, m’a demandé en souriant si son titre allait être d’un type selon lui courant dans la revue : Prolégomènes à une étude sur, Introduction à l’histoire de, etc. Un peu par esprit de contradiction, j’ai préféré lui donner un intitulé bref, mais une version plus ISSN 1970-4879 1 Je remercie pour leur aide et leurs conseils M. l’abbé Francesc Castells de l’Archivio Generale della Prelatura dell’Opus Dei et M. Luis Cano de l’Istituto Storico San Josemaría Escrivá. SetD 8 (2014) 37-61 37 LAURENT TOUZE longue et plus prudente n’aurait pas été déplacée : sur le thème des rapports entre saint Josémaria et le Curé d’Ars, de nombreux points restent encore à clarifier, et les archives sont loin d’avoir dit leur dernier mot. Cette étude se contentera d’exposer les résultats de la recherche en suivant un ordre logique en trois points : d’abord, la nomination par saint Josémaria, vers 1951-1953, du Curé d’Ars comme intercesseur pour les relations de l’Opus Dei avec les évêques diocésains ; puis les relations de saint Josémaria avec le saint Curé avant 1951-1953, comme le cadre qui annonce la nomination ; et finalement les conséquences de cette nomination, les relations des deux saints après 1951-19532. La nomination du Curé d’Ars comme intercesseur pour les relations de l’Opus Dei avec les évêques diocésains La date de nomination L’élément peut-être le plus important du rapport entre le fondateur de l’Opus Dei et le curé d’Ars † 1859 est la décision de saint Josémaria de nommer saint Jean-Marie Vianney comme intercesseur pour les relations de l’Œuvre avec les ordinaires diocésains. Cette décision semble remonter aux années 1951-19533. Le 9 août 1951 il écrit en effet dans une note de gouvernement : Dice el Padre: “Recuerda a los curicas la necesidad de tratar con cariño a los señores Obispos; y el deber de no hacer ningún trabajo externo −fuera de nuestras casas− sin un permiso previo del Ordinario. Quizá nunca os he dicho que yo siempre pongo al Santo Cura de Ars por intercesor en mis relaciones con los señores Obispos: ponedle también vosotros”4. 2 3 4 38 L’article centre donc les relations entre les deux saints sur la nomination du Curé d’Ars comme intercesseur : on ne cherchera pas ici à ‘comparer’ systématiquement la spiritualité des deux saints, à situer Josémaria par rapport à Jean-Marie, à replacer le premier dans l’histoire de la spiritualité sacerdotale de son temps, en soulignant les aspects plus traditionnels et les originalités potentielles – spécialement sur la sécularité de la spiritualité sacerdotale. Ce serait l’objet d’une autre recherche. Cfr. la note suivante n. 5 et les paragraphes sur les visites à Ars (la première eut lieu le 25 octobre 1953) pour expliquer le choix de l’année 1953 comme annus ad quem de la nomination. Nota sobre relación con Obispos, Rome, 9 août 1951: AGP, serie A.3, leg. 179, carp. 4, exp. 11. Rien au sujet de cette note dans le journal du Collège Romain, autour du 9 août: AGP, serie M.2.2., 427-8, ni dans les quatre lettres de l’épistolaire envoyées depuis Rome ce jour-là. SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS Josémaria confiait donc au curé d’Ars dès avant 1951 ses relations avec les évêques ; ce que change cette note, c’est qu’une dévotion personnelle du fondateur (il précise : ‘Quizá nunca os he dicho’, il ne proposait donc pas auparavant à ses enfants spirituels de l’accompagner dans cette prière) devient institutionnelle, pour tout l’Opus Dei ; il demande à tous – et spécialement aux prêtres – de prier le saint dans leurs relations avec les évêques. Selon les souvenirs de saint Josémaria lui-même, c’est au moins à partir de 1938 qu’il commença à recourir personnellement à l’intercession du curé d’Ars pour cette intention. Il écrit en effet en 1950: “por lo menos, desde 1938 lo tengo por intercesor, en estos asuntos”5. Que survient-il en 1938 dans ses relations avec les évêques qui ait pu marquer ainsi la mémoire de saint Josémaria ? Cette année-là, le fondateur de l’Opus Dei s’est installé à Burgos et les circonstances l’obligent, pourrait-on dire, à multiplier les contacts avec différents évêques. Jusqu’à la guerre civile espagnole, le travail apostolique de l’Opus Dei s’était essentiellement développé à Madrid, sur le territoire et avec la bénédiction de son évêque, Mgr Leopoldo Eijo y Garay. Saint Josémaria a dû fuir fin 1937 la capitale dominée par les forces républicaines ; une fois arrivé à Burgos il entend réorganiser l’apostolat de l’Œuvre, multiplier les contacts avec ses fils spirituels – encore peu nombreux et éparpillés par les hasards de la guerre sur toute la géographie espagnole –, avec ceux qui fréquentaient les moyens de formation de l’Opus Dei avant la guerre et qu’il n’avait pas pu revoir depuis longtemps. Tout cela exigeait des déplacements un peu partout, pour des activités apostoliques que saint Josémaria menait toujours avec l’accord des évêques locaux. Il entendait profiter de chaque voyage pour expliquer l’Œuvre aux évêques des diocèses visités 6 : il avait dès avant guerre rencontré à Madrid certains d’entre eux, comme Mgr Mar5 6 AGP, serie A.3.4, leg. 262, carp. 2, carta 500902-01. Cette date donnée par saint Josémaria est sans doute plus fiable que le vague souvenir du rédacteur du journal du Collège Romain, qui écrit le vendredi 27 février 1953, après une réunion avec le saint, et en précisant que sa mémoire lui fait défaut : “A mitad de tertulia viene el Padre con nosotros. Nos dice que en 1934 o 1935 –no recuerdo con exactitud– puso bajo el patrocinio del santo Cura de Ars las relaciones de la Obra con los Obispos. Y hace pocos días, encomendó a San Pío X las relaciones con la Santa Sede”: AGP, serie M.2.2., 427-16. Il me semble que c’est justement durant cette année 1953 que prend corps dans l’esprit de saint Josémaria l’idée d’un groupe de saints auxquels l’Opus Dei confiera différentes intentions institutionnelles. “Don Josemaría se fue haciendo un itinerario al que incorporó también otras finalidades, como la de visitar a todos los Obispos para irles dando a conocer la Obra”: Andrés Vázquez de Prada, El Fundador del Opus Dei, Madrid, Rialp, 1997-2003, vol. II, p. 254. SetD 8 (2014) 39 LAURENT TOUZE celino Olaechea ou Mgr Javier Lauzurica, mais dans cette nouvelle période de sa vie, il est notamment reçu par les évêques de Avila, Astorga, Burgos, Léon, Valladolid7. De plus, à partir de 1938, il prêche des retraites au clergé de nombreux diocèses espagnols à la demande des évêques (de septembre 1938 à octobre 1942, il dirige dix-neuf retraites, d’une durée de six jours en général, pour des séminaristes, des diacres, des prêtres8). Les rencontres et la collaboration avec les évêques se multiplient, saint Josémaria inscrit ce mouvement dans une perspective de foi et l’accompagne par la prière, c’est donc sans doute dans ce cadre qu’il commence à invoquer le saint curé. Pourquoi un intercesseur pour les relations avec les évêques ? La date de nomination ‘institutionnelle’ serait donc 1951-1953. Mais pourquoi l’Opus Dei a-t-il besoin d’un intercesseur spécifique pour ses relations avec les évêques diocésains ? À cause de sa mission et de son organisation, qui appellent intrinsèquement à la collaboration avec les Églises locales9. Ces dimensions ont été définitivement organisées du point de vue juridique avec l’érection de l’Opus Dei en prélature personnelle10, mais elles ont toujours configuré sa vie et sa structure. L’Œuvre a en effet pour mission de diffuser un message, que la vie quotidienne, le travail et les circonstances ordinaires de l’existence sont une occasion de sanctification. Pour cette diffusion, l’Opus Dei collabore avec les Églises locales, en proposant des moyens de formation chrétienne à ceux qui veulent les fréquenter. Du point de vue organisationnel, ceux qui s’incorporent à l’Opus Dei continuent d’être des fidèles du diocèse auquel ils appartiennent, ils sont soumis à l’évêque diocésain de la même manière et sur les mêmes questions que les autres baptisés, leurs égaux, et dépendent de la prélature pour ce qui concerne l’accomplissement des engagements particuliers – ascétiques, de formation et apostoliques – qu’ils assument en entrant dans l’Opus Dei. L’Œuvre existe donc 7 8 9 10 Cfr. Vázquez de Prada, El Fundador, vol. II, pp. 253ss. Cfr. Constantino Ánchel, La predicación de san Josemaría. Fuentes documentales para el periodo 1938-1946, SetD 7 (2013), pp. 125-198, spécialement 135-139. Pour cette brève explication, je reprends ici certaines expressions du site de la prélature en français www.opusdei.fr, dans sa partie : Qu’est-ce que l’Opus Dei ? (consulté le 9 janvier 2014). Cfr. notamment le Codex Iuris Particularis Operis Dei, Tit. IV, cap. V, in Amadeo de Fuenmayor − José Luis Illanes − Valentín Gómez-Iglesias, El itinerario jurídico del Opus Dei. Historia y defensa de un carisma, Pamplona, Eunsa, 19904, pp. 654-656. 40 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS pour servir l’Église universelle et les Églises locales, sa vie et son développement passent aussi par les contacts et la collaboration avec les évêques diocésains. C’est ce qu’a vécu saint Josémaria avec un esprit de foi et de prière, c’est ce qu’il a formé ses enfants spirituels à incarner. Vis-à-vis des évêques diocésains et spécialement de ceux dont les diocèses accueillaient des activités de l’Opus Dei, il a manifesté un évident esprit de loyauté et d’affection11. Pourquoi en 1951-1953 ? En l’absence d’explications de saint Josémaria sur les motifs qui le poussent à cette nomination du saint curé comme intercesseur en 19511953, on peut émettre quelques hypothèses. La première raison serait analogique à celle proposée pour rendre compte du commencement de ce recours du fondateur de l’Opus Dei au saint curé : comme en 1938 c’était l’expansion de l’Œuvre en Espagne qui multipliait les relations avec les évêques et la nécessité de les appuyer sur la prière, 1951 est au cœur de l’expansion internationale des apostolats des filles et des fils spirituels de saint Josémaria. Sous son impulsion, le travail apostolique de l’Opus Dei commence en effet en Italie (1943), Portugal (1945), Royaume-Uni (1946), Irlande et France (1947), Mexique et États-Unis (1949), Chili et Argentine (1950), Colombie et Venezuela (1951). Ensuite, après 1951 : en Allemagne (1952), Guatemala et Pérou (1953) ; Équateur (1954) ; Uruguay et Suisse (1956) ; Brésil, Autriche et Canada (1957) ; Japon, Kenya et Salvador (1958) ; Costa Rica (1959) ; Pays-Bas (1960) ; puis encore Paraguay (1962) ; Australie (1963) ; Philippines (1963) ; Belgique et Nigéria 11 Pour ses amitiés avec les évêques d’Espagne, où naît l’Opus Dei et où il connaît sa première expansion, on pensera à NN.SS. Leopoldo Eijo y Garay, José López Ortiz, Santos Moro Briz, Pedro Cantero Cuadrado, Carmelo Ballester Nieto, José María Bueno Monreal, José María García Lahiguera ou Juan Hervás Benet, notamment. Cfr. les index des noms cités dans les trois tomes de Vázquez de Prada, El Fundador del Opus Dei ; ou les témoignages recueillis in Benito Badrinas (ed.), Beato Josemaría Escrivá de Balaguer: un hombre de Dios. Testimonios sobre el fundador del Opus Dei, Madrid, Palabra, 1994. Pour la période ultérieure et notamment durant le concile Vatican II, cfr. par exemple Carlo Pioppi, Alcuni incontri di san Josemaría Escrivá con personalità ecclesiastiche durante gli anni del Concilio Vaticano II, SetD 5 (2011), pp. 165-228. Les relations un temps compliquées de Manuel Gonçalves Cerejeira, cardinal patriarche de Lisbonne, avec l’Opus Dei, illustrent spécialement ce respect et cette affection de saint Josémaria, quand le patriarche opposa une certaine incompréhension : cfr. Vázquez de Prada, El Fundador, vol. III, pp. 359365. On peut aussi consulter Hugo de Azevedo, Primeiras viagens de S. Josemaría a Portugal (1945), SetD 1 (2007), pp. 15-39. SetD 8 (2014) 41 LAURENT TOUZE (1965) ; Porto Rico (1969)12. Le travail apostolique commence donc dans de nouveaux pays, dans de nouveaux diocèses, avec l’accord et en collaboration avec de nouveaux évêques : ce doit être dans le cadre de cette explosion apostolique et de sa dimension d’abord surnaturelle que saint Josémaria entend s’appuyer sur l’intercession du saint curé. Cette première hypothèse me semble la plus importante, la plus apte à rendre compte de la décision du fondateur de l’Opus Dei. On peut y rajouter deux autres. La première, c’est le développement de la Société Sacerdotale de la Sainte-Croix qui en 1950, un an avant 1951 donc, s’ouvre aux prêtres diocésains13. Mû par son amour pour ses frères prêtres séculiers, en 1948-1949 Josémaria pense avec douleur devoir laisser l’Œuvre cheminer seule, sans lui (l’approbation définitive proche – elle aura lieu le 16 juin 1950 – rend à son avis ce sacrifice possible, sans mettre en danger la pérennité de l’Opus Dei), pour fonder une nouvelle institution en faveur des prêtres diocésains. Dieu lui fit finalement comprendre qu’ils entraient parfaitement dans la structure et l’esprit de l’Œuvre : son message de sanctification de la vie séculière, son appel à la contemplation dans l’existence de tous les jours, s’adaptaient aussi au ministère des clercs séculiers. À partir de 1950 donc, l’apostolat avec les prêtres prend une nouvelle forme institutionnelle dans la vie de saint Josémaria, et la figure du prêtre séculier Jean-Marie Vianney se retrouvait peut-être devant ses yeux à un nouveau titre (on verra plus bas, à propos du projet de pèlerinage à Ars, que saint Josémaria établit lui-même un certain lien entre son désir d’aider les prêtres diocésains d’une part et la figure du curé d’Ars d’autre part). Une dernière raison, plus accidentelle et de court terme, pour situer en 1951-1953 la décision de proposer à ses enfants spirituels l’intercession du saint curé, pourrait être les incompréhensions manifestées en 1950 par l’archevêque de Valladolid Antonio García à propos des relations de la curie diocésaine avec le centre local de l’Opus Dei14. Saint Josémaria sut agir – et faire agir ses enfants spirituels – avec son habituelle vénération pour les évêques – il avait en plus reçu antérieurement de nombreuses manifestations d’affection de Mgr García – et dans le respect du droit (conformément 12 13 14 Cfr. Federico M. Requena − Javier Sesé (eds.), Fuentes para la historia del Opus Dei, Barcelona, Ariel, 2002, pp. 85-93; 109. Cfr. Vázquez de Prada, El Fundador, vol. III, pp. 170-176 ; Fuenmayor − Illanes − Gómez-Iglesias, El itinerario, pp. 288-291. Cfr. notamment les lettres AGP, serie A.3.4, leg. 262, carp. 2, cartas 500902-01, 500903-01 et 500914-03 de l’épistolaire du saint. 42 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS aux indications concrètes de la congrégation vaticane compétente) : la curie diocésaine finit par ne plus opposer de difficultés. Mais au moment où ces incompréhensions étaient encore manifestes, saint Josémaria observait que si la nouveauté de l’Opus Dei avait pu causer certaines mésintelligences, celles de Valladolid lui semblaient plus aiguës ; et il invoquait à ce sujet l’intercession du curé d’Ars15. Il est donc possible que ce bref désagrément de gouvernement ait rappelé à Josémaria l’utilité de donner à ses enfants spirituels tous les moyens surnaturels pour des relations justes et saintes avec les ordinaires locaux. Pourquoi le curé d’Ars ? On a jusqu’à maintenant rappelé que de par sa nature et sa mission, l’Opus Dei entretient des liens avec les évêques et qu’il a besoin de les mettre sous la protection du ciel ; on a par ailleurs précisé que le début des années 1950, marquées pour l’Œuvre par une forte expansion internationale, rendait encore plus urgent ce recours aux moyens surnaturels. Mais il reste au moins une autre question : pourquoi se tourner vers le curé d’Ars, pourquoi ne pas choisir un autre saint ? Saint Josémaria a indiqué me semble-t-il deux critères : le premier, valable pour tous les intercesseurs de l’Opus Dei, qu’aucun ne soit espagnol, pour marquer l’universalité de l’Œuvre, ne pas tout assimiler à la nationalité du fondateur et de ses premiers disciples, et encourager ses enfants spirituels de tous pays à vivre un esprit authentiquement catholique ; le second, plus spécifique à l’intercesseur pour les relations avec les évêques, qu’il soit un prêtre diocésain. Sur le premier point, Mgr Escriva s’est exprimé à plusieurs reprises. Par exemple, dans une réunion avec les élèves du Collège Romain de la Sainte-Croix, le 20 juin 1956, avant un voyage à Ars16. Il observe alors que l’Espagne comptant de nombreux saints, il aurait pu ne choisir que des intercesseurs de son pays, mais qu’il a préféré n’en prendre aucun, pour éviter les nationalismes17. 15 16 17 AGP, serie A.3.4, leg. 262, carp. 2, carta 500902-01. AGP, serie M.2.2., D 428-6. Témoignage de Mgr Augustin Roméro, actuellement vicaire judiciaire de l’archidiocèse de Paris, relatant une visite de saint Josémaria à Paris, exactement le 20 mai 1959, c’està-dire, comme on verra infra, une semaine après une visite du saint à Ars : “Como un ejemplo de la universalidad del espíritu que le había dado, nos habló de los santos interce- SetD 8 (2014) 43 LAURENT TOUZE Il dit aussi – et c’est éclairant pour notre second critère – que comme intercesseur des relations avec les ordinaires locaux, il aurait pu nommer par exemple le bienheureux – à cette époque – Jean d’Avila18. Il me semble que s’il propose ce saint du XVIe siècle comme une alternative au curé d’Ars, c’est parce qu’ils sont tous les deux prêtres séculiers, insérés dans un diocèse, et donc logiques intercesseurs pour les relations avec les ordinaires locaux. Jean d’Avila, mort en 1569 et béatifié seulement en 1894 sous Léon XIII, vient peut-être plus facilement à l’esprit de saint Josémaria en 1956 parce qu’il a été proclamé patron du clergé séculier espagnol dix ans plus tôt par Pie XII, par le bref Dilectus filius du 2 juillet 1946. Il sera canonisé par le vénérable Paul VI du vivant de saint Josémaria, le 31 mai 197019. Une fois écarté Jean d’Avila parce qu’espagnol, les prêtres séculiers canonisés sont peu nombreux en 1951-1953. À part saint Jean-Marie Vianney, premier curé de paroisse canonisé20 (en 1925), peu de prêtres séculiers sont au martyrologe, si l’on ne tient pas compte des martyrs et des fondateurs de congrégations religieuses qui sont en général portés aux autels parce qu’ils ont répandu leur sang pour le Christ ou parce qu’ils ont ouvert un nouveau chemin de vie religieuse et non pas en tant que prêtres séculiers ; la seule exception que je connaisse est celle de saint Yves de Tréguier mort en 1303 et canonisé en 1347 ; mais il n’est pas au calendrier romain, et il est possible que saint Josémaria, bien que juriste, n’ait pas entendu parler de celui qui porte dans de nombreux pays le titre de patron des gens de justice. Mais il semble un peu pauvre et serait sans doute inexact, de réduire la figure du curé d’Ars aux yeux de saint Josémaria à deux critères négatifs : d’une part il n’est pas espagnol ; d’autre part il est un des rares prêtres séculiers canonisés, c’est-à-dire qu’il n’aurait pas eu beaucoup de concurrents à 18 19 20 sores: Santo Tomás Moro, un inglés maravilloso; el Santo Cura de Ars, un francés; San Pío X, un italiano” : AGP, serie A.2, 83-1-2, H, p. 4. “Mirad que en España tenemos montones de santos y no he buscado ningún español. Nos pide que no seamos nacionalistas. [...] Contaba como podía haber escogido como patrono de nuestras relaciones con los Ordinarios al Beato Juan de Ávila y sin embargo eligió al Cura de Ars”: AGP, serie M.2.2, 428-6, toujours le 20 juin 1956; AGP, serie A.5, leg. 206, carp. 3, exp. 8: “Nos hacía ver cómo había escogido intercesores de distintas naciones, para que no fuésemos nacionalistas, pudiendo haber elegido santos españoles en abundancia”: Témoignage de Hugo de Azevedo, Porto, 6 septembre 1975. Et proclamé docteur de l’Église par Benoît XVI le 7 octobre 2012. Cfr. Marc Venard (ed.), Histoire du christianisme, t. VIII : Le temps des confessions, Paris, Desclée, 1992, p. 1026. Saint Pierre Fourier † 1640, curé de Mattaincourt en Lorraine, avait bien été canonisé en 1897 mais au premier titre comme fondateur des chanoinesses régulières de la congrégation de Notre-Dame. 44 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS l’heure de chercher un intercesseur21. Je proposerai ici d’autres hypothèses pour expliquer le choix de saint Jean-Marie Vianney. Le curé d’Ars, exemple de relations avec son évêque Comme nous le verrons plus bas, saint Josémaria connaissait sans doute assez bien la vie du saint curé. Il aura alors observé que l’abbé Vianney vécut une grande soumission et loyauté envers son prélat : son intercession pour les relations avec les évêques a donc sa logique, puisqu’il a vécu les siennes de manière exemplaire. Il a ainsi – pour donner un exemple parmi d’autres de cette obéissance – abandonné le rigorisme de ses premières années de ministère grâce à son évêque, Mgr Alexandre Devie † 1852, qui lui fit découvrir la morale de saint Alphonse Marie de Liguori, en pleine diffusion au XIXe siècle22. L’évêque de Belley écrit en effet en 1830 une lettre pastorale d’éloge de la Theologia moralis de saint Alphonse23, et on peut considérer qu’en 1839, le saint curé a abandonné le rigorisme qui l’avait initialement poussé à user de l’absolution différée comme d’un moyen habituel pour porter les âmes à la conversion24. Il possédait d’ailleurs et étudiait chaque hiver la Théologie morale à l’usage des curés et des confesseurs (1844) du cardinal Charles Gousset, archevêque de Reims † 1866, grand diffuseur de la morale alphonsienne25. L’influence de Liguori sur le curé d’Ars, reçue donc par la médiation de son évêque, lui permit d’absoudre sans délai les pénitents vraiments 21 22 23 24 25 Le doyen du curé de campagne de Bernanos observe : « Le curé d’Ars n’est-il pas une exception ? La proportion n’est- elle pas insignifiante de cette vénérable multitude de clercs zélés, irréprochables, consacrant leurs forces aux charges écrasantes du ministère, à ces canonisés ? Qui oserait cependant prétendre que la pratique des vertus héroïques soit le privilège des moines, voire de simples laïques ? » : Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, in Albert Béguin (ed.), Œuvres romanesques, Paris, (Bibliothèque de la Pléiade, 155) Gallimard, 1966, p. 1083. Cfr. Gilbert Humbert, Jalons chronologiques pour une histoire de la pénétration en pays francophones de la pensée et des œuvres d’Alphonse de Liguori, in Jean Delumeau (ed.), Alphonse de Liguori : pasteur et docteur, Paris, Beauchesne, 1987, pp. 369-401 ; La recezione del pensiero alfonsiano nella Chiesa : atti del congresso in occasione del terzo centenario della nascita di S. Alfonso De Liguori, Roma 5-7 marzo 1997, Roma, (Bibliotheca historica Congregationis SSmi. Redemptoris, 18) Collegium S. Alfonsi de Urbe, 1998. Cfr. Gérard Cholvy − Yves-Marie Hilaire, Histoire religieuse de la France contemporaine (1800-1880), I, Toulouse, Privat, 1985, p. 156. Cfr. Gérard Cholvy, Être chrétien en France au XIXe siècle (1790-1914), Paris, Seuil, 1997, p. 113. Cfr. Henri Convert, Le saint curé d’Ars et le sacrement de pénitence, 1e partie, c. VII, Lyon, Emmanuel Vitte, 1923. SetD 8 (2014) 45 LAURENT TOUZE contrits, fortifia son amour pour l’Eucharistie et l’encouragea à prêcher sur un ton positif, presque toujours sur l’amour divin26. C’est donc au cœur des manifestations de la sainteté de Jean-Marie Vianney que se situe l’influence de son évêque : un tel lien du saint curé à son ordinaire explique peut-être qu’il ait été choisi comme intercesseur des relations avec les évêques. Le Curé d’Ars et la vie de saint Josémaria avant 1951-1953 Le curé d’Ars dans la biographie de saint Josémaria On peut penser aussi à certaines circonstances de la vie du fondateur de l’Opus Dei qui lui ont rendu peut-être sympathique le curé d’Ars. Le pape Pie XI canonise saint Jean-Marie Vianney le 31 mai 1925, quelques semaines après l’ordination sacerdotale de saint Josémaria reçue le 28 mars. Dans un contexte ecclésial de canonisations moins fréquentes, on peut imaginer que saint Josémaria aura entendu parler de cet acte pontifical. On sait de sa période madrilène postérieure, à partir de 1927, que le fondateur de l’Œuvre diffusait de nombreuses revues d’information religieuse ; il les connaissait et les lisait peut-être déjà auparavant, et elles se seront sans doute fait écho de la canonisation27. On peut aussi penser qu’il aura eu une certaine sympathie pour un des rares prêtres séculiers canonisés, de plus mort moins de 70 ans auparavant. La canonisation de l’abbé Vianney était en effet exceptionnelle en 1925 au moins à deux points de vue : il s’agissait d’un prêtre séculier, et de plus d’un quasi contemporain. On a parlé plus haut du nombre faible de prêtres séculiers canonisés, le tableau suivant illustre la rareté des canonisations jusqu’à 26 27 Cfr. Bernard Nodet, Jean-Marie Vianney, curé d’Ars. Sa pensée, son cœur, Le Puy, Xavier Mappus, 19605, p. 20. Il écrit ainsi en 1930: “Desde hace mucho tiempo, además de llevar revistas religiosas (El Mensajero, el Iris de Paz, revistas de misiones y otras de diversas congregaciones) a los enfermos, las he repartido, tranquila y frescamente, por las calles: en los barrios bajos, hubo temporada que no podía pasar por algunas calles sin que me pidieran revistas”: Josemaría Escrivá, Apuntes íntimos, n. 86, 25 août 1930, in Vázquez de Prada, El Fundador, vol. I, p. 321. On pensera aussi à une revue plus scientifique comme La Vida Sobrenatural. Cfr. Federico M. Requena, El “Amor Misericordioso” en La Vida Sobrenatural, “Vida Sobrenatural” 591 (1997), pp. 166-182; Id, San Josemaría Escrivá de Balaguer y la devoción al Amor Misericordioso (1927-1935), SetD 3 (2009), pp. 139-174. 46 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS Vatican II, et le fait qu’elles portaient exceptionnellement sur des hommes et des femmes récemment disparus28. Papes Canonisations Saints du XIXe siècle Saints du XXe siècle 1 1 11 20 5 34 4 1 1 Pie VII (1800-1823) Grégoire XVI (1831-1846) Bienheureux Pie IX (1846-1878) Léon XIII (1878-1903) Saint Pie X (1903-1914) Benoît XV (1914-1922) Pie XI (1922-1939) Vénérable Pie XII (1939-1958) Bienheureux Jean XXIII (1958-1963) Vénérable Paul VI (1963-1978) 5 5 52 18 4 3 34 33 10 84 Bienheureux Jean-Paul II (1978-2005) 482 (dont 402 martyrs) 300 43 19 Benoît XVI (2005-2013) 125 15 Un autre élément hypothétique part d’un fait : la canonisation a lieu seulement treize jours après le retour de saint Josémaria du village aragonais de Perdiguera, qu’il laisse le 18 mai 1925 et où il exerça ses premières semaines de ministère. Il est possible qu’il ait établi un parallèle entre les petites paroisses rurales d’Ars et de Perdiguera. Sur ces situations pastoralement et humainement analogues, un bon connaisseur de la spiritualité de la fin du XIXe et du début du XXe siècle a pu d’ailleurs écrire : Giovanni Maria Vianney era diventato per il clero cattolico un simbolo, una speranza e una bandiera. Molti umilissimi ecclesiastici, come il curato d’Ars in paesi che sembravano una terra arida e sterile, come lui poverissimi, frugali e con pochi mezzi di sostentamento, sinceramente pregavano e operavano ripromettendosi il rifiorire della religione, della pratica e del 28 Cfr. Benoît Pellistrandi, De la “acción de los católicos” a la santidad laical. El historiador frente a la santidad contemporánea, in Josep-Ignasi Saranyana et alii (eds.), El caminar histórico de la santidad cristiana: de los inicios de la época contemporánea hasta el Concilio Vaticano II, XXIV Simposio Internacional de Teología de la Universidad de Navarra, Pamplona, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Navarra, 2004, pp. 19-42, ici p. 40. Cfr. aussi http://www.vatican.va/news_services/liturgy/saints/index_canoniz-beat_fr.html consulté le 14 février 2014. SetD 8 (2014) 47 LAURENT TOUZE fervore mediante l’aiuto di Dio, per mezzo del pane eucaristico e la devozione a Maria santissima29. On observera en passant que le choix d’un saint français est encore plus remarquable si on se souvient de la gallophobie qu’on avait cherché à inculquer au petit Josémaria dans son enfance, particulièrement au collège, comme conséquence des forfaits commis par les troupes françaises en Espagne durant les guerres du premier Empire30. En mûrissant humainement et chrétiennement, Josémaria non seulement apprit à rejeter ces rancœurs avec un esprit vraiment catholique, mais se sentit aussi en dette avec la France, comme tenu à l’aimer pour effacer ce climat d’antipathie subi dans son enfance31. La présence du curé d’Ars dans la vie de saint Josémaria On a vu ici beaucoup d’hypothèses, je voudrais aussi présenter des faits qui illustrent la présence du curé d’Ars dans la vie de saint Josémaria dès avant 1951-1953. Le premier fait serait la présence de livres de et sur saint Jean-Marie Vianney dans la bibliothèque de travail que Mgr Escriva organise à Rome après 1950 pour lui et pour ses successeurs32. On y trouve deux 29 30 31 32 Pietro Stella s.d.b., Don Bosco nella storia della religiosità cattolica, II, Roma, LAS, 1981, p. 307. C’est notamment dans ce cadre que Pie XI a nommé le curé d’Ars patron des curés du monde entier par la Lettre apostolique Anno iubilari (23 avril 1929) : AAS 21 (1929), pp. 312-313. Cfr. Vázquez de Prada, El Fundador, vol. III, p. 414. “Añadió que quería mucho a Francia. Por espíritu de justicia, por reparación. ¡Me la enseñaron a odiar tanto de pequeño!”: AGP, serie M.2.2., 428-6, 20 juin 1956. Un fidèle français de l’Opus Dei, M. François Gondrand, se souvient que lors de sa première rencontre en mai 1960 avec saint Josémaria, celui-ci dit notamment que : “había tenido que hacer un esfuerzo para amar a Francia, cuando se dio cuenta que los buenos religiosos que habían sido sus profesores en la escuela primaria, habían intentado inculcarle el odio a los franceses, ya que en Aragón se conservaba un recuerdo muy vivo de las campañas napoleónicas. El Padre nos encargó de decir a los otros franceses que vendrían después, que él amaba mucho más a Francia, precisamente porque había debido hacer este esfuerzo en su juventud, para compensar el odio a los franceses que habían intentado inculcarle en sus primeros años. Añadió que era una cosa espantosa el introducir el odio en el corazón de los niños y que, a pesar de todo, a pesar de lo que había hecho en España, Napoleón no era el ogro que le habían descrito” : AGP, serie A.2, 83-1-2, K, p. 2. Je m’appuie ici sur les travaux réalisés pour le mémoire de licence suivant : Jesús Gil Sáenz, La biblioteca de trabajo de san Josemaría Escrivá de Balaguer en Roma, 237 pp., soutenu le 24 septembre 2012 à l’Université Pontificale de la Sainte-Croix. Je remercie M. l’abbé Gil Sáenz, maintenant doctorant en théologie spirituelle, de m’avoir autorisé à uti- 48 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS tomes de sermons du curé d’Ars traduits à l’espagnol33, trois auteurs classiques sur la spiritualité et la vie du saint curé, l’abbé Alfred Monnin, Mgr Francis Trochu et Mgr Hippolyte Convert34. Pour prouver que Josémaria a lu ces livres et/ou d’autres sur et de JeanMarie Vianney, on observera qu’il le cite dans sa prédication. Il le prend comme un exemple de foi lors d’une retraite sacerdotale prêchée à Vitoria en août 193835. Durant une autre retraite, à Valence en novembre 1940, il utilise deux anecdotes tirées de la vie de l’abbé Vianney : la première, celle que reprendra le Catéchisme de l’Église Catholique, au n. 2715 : « “Je L’avise et Il m’avise”, disait, au temps de son saint curé, le paysan d’Ars en prière devant le Tabernacle (cfr. F. Trochu, Le curé d’Ars Saint Jean Marie Vianney, pp. 223-224). » Ce n’est pas le livre de Trochu que contient la bibliothèque de saint Josémaria, mais la célèbre biographie, un classique pour les prêtres séculiers, qui a eu par exemple une influence sur la vocation sacerdotale du bienheureux Jean-Paul II36 et dont on pourrait penser que saint Josémaria l’a lue. La seconde anecdote racontée lors de cette retraite de 1940 fut elle aussi reprise plus tard dans un document ecclésial, cette fois-ci l’encyclique Sacerdotii Nostri Primordia du bienheureux Jean XXIII37 ; c’est la réponse du saint 33 34 35 36 37 liser ici ces résultats de sa recherche. Une partie des livres arrivent de Madrid après 1950 : cfr. Gil Sáenz, La biblioteca de trabajo de san Josemaría Escrivá, note 63, p. 31. Saint Josémaria occupe la chambre qui mène aux rayonnages de cette bibliothèque de travail le 9 janvier 1953 (idem). San Juan Bautista María Vianney, Sermones de Juan Bta. M.ª Vianney, cura de Ars, Barcelona, Eugenio Subirana, 1927, vol. 1-2. Abbé Alfred Monnin, Esprit du Curé d’Ars : Saint J.-B. M. Vianney dans ses catéchismes, ses homélies et sa conversation, Paris, P. Téqui, 193534. Livre non coupé; Id., Spirito del Curato d’Ars, Roma, Ares, 1956 (deux exemplaires); Mgr Francis Trochu, L’âme du Curé d’Ars, Lyon-Paris, Emmanuel Vitte, 1928. Livre non coupé ; Mgr Hippolyte Convert, Le Saint Curé d’Ars et la Famille, Lyon-Paris, Emmanuel Vitte, 1922. Livre non coupé ; id., Méditations sacerdotales : Le Saint Curé d’Ars modèle du prêtre retraitant, Lyon-Paris, Emmanuel Vitte [1935]. Comme l’observe Gil Sáenz : “Los tomos cerrados, es decir, los que conservan los pliegos sin cortar: no permiten afirmar que el fundador del Opus Dei nunca leyera esos títulos, sino que jamás nadie leyó esos ejemplares en concreto. Al tratarse de regalos, muchos los había leído antes de que se los enviaran”: Gil Sáenz, La biblioteca, p. 230. Il ajoute en note: “También afirmado por Mons. Echevarría en el mismo lugar [un questionnaire soumis par l’auteur du mémoire le 20 mai 2011], y además lo reitera en varias preguntas del cuestionario”. Cfr. Josemaría Escrivá de Balaguer, Camino, ed. crítico-histórica preparada por Pedro Rodríguez, Roma-Madrid, Istituto Storico San Josemaría Escrivá – Rialp, 20043, p. 733. Cfr. Jean-Paul II, Ma vocation : don et mystère, Paris, Bayard-Cerf-Fleurus-Mame-Téqui, 1996, p. 70. Au n. 277, selon la numérotation du site www.vatican.va. SetD 8 (2014) 49 LAURENT TOUZE curé à un confrère prêtre qui se plaignait du manque de fruits de son apostolat : « Vous avez prié, vous avez pleuré, vous avez gémi, vous avez soupiré. Mais avez-vous jeûné, avez-vous veillé, avez-vous couché sur la dure, vous êtes-vous donné la discipline ? Tant que vous n’en serez pas là, ne croyez pas avoir tout fait. » Je voulais citer ces documents magistériels et faire référence aux bienheureux Jean XXIII et Jean-Paul II pour illustrer qu’il y a là des enseignements de la vie de Jean-Marie Vianney qui ont marqué plusieurs générations de prêtres (Angelo Roncalli naît en 1881, Josémaria Escriva en 1902 et Karol Wojtyła en 1920). Le curé d’Ars, intercesseur mais non pas modèle pour la vocation spécifique à l’Opus Dei Saint Josémaria lit et cite saint Jean-Marie Vianney, son existence et ses enseignements l’inspirent, mais il ne le considère pas pour autant comme un modèle à imiter pour vivre la vocation à l’Opus Dei. C’est d’ailleurs semblet-il d’une certaine manière à cause du curé d’Ars que Mgr Escriva a modifié le titre des intercesseurs de l’Œuvre, qui s’étaient d’abord appelés patrons mineurs, le changement de vocable ayant pour objet de souligner que les fidèles de l’Opus Dei ont recours à l’intercession de ces saints mais ne sont pas tenus de les imiter. Cette variation terminologique semble liée à un épisode de l’été 1961, lors d’une réunion avec le fondateur de l’Opus Dei à La Estila (Saint-Jacques de Compostelle)38. L’un des présents demanda à saint Josémaria s’il fallait imiter ceux qui s’appelaient alors les Patrons mineurs, ajoutant qu’il lui était difficile de penser que les prêtres de l’Œuvre aient à prendre le curé d’Ars comme modèle. Le texte ne précise pas à quels aspects faisaient allusion la 38 AGP, serie A.5, leg. 221, carp. 2, exp. 2 : “Otro recuerdo de la tertulia que tuvimos con el Padre, en el verano de 1961, en la Estila, es el que sigue: Uno de los presentes le preguntó –fue una pregunta bastante larga– si debíamos imitar a los que entonces llamábamos Patronos menores. Se extendió acerca de que le resultaba difícil pensar que los sacerdotes de Casa debieran imitar las virtudes del Cura de Ars, tomarlo como modelo. El Padre se apresuró a aclarar que los Patronos menores, eran simples intercesores, y que acudíamos a ellos exclusivamente en este sentido. Que nuestro espíritu era uno concreto –el querido por Dios– que es el que teníamos que vivir. Que solamente debíamos imitar a Jesús, a la Virgen Santísima y a San José, y a los demás pedirle su intercesión en aquellas cosas que habíamos puesto bajo su protección. Unos meses más tarde nos llegó una indicación del Padre, diciendo que a partir de entonces a los Patronos menores les llamaríamos Santos intercesores”: Témoignage de Carlos Jordana Butticaz, 20 de julio de 1975. 50 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS demande, on pourrait penser notamment aux modalités concrètes de la pauvreté. Là où Jean-Marie la vivait héroïquement avec une soutane souvent salie et des souliers non cirés39, Josémaria endosse une soutane toujours propre, qu’il use d’ailleurs jusqu’à la corde, et des chaussures – il en a deux paires – qu’il cire lui-même pendant longtemps40. Son attitude reflète sa prédication sur les modalités séculières de vivre la pauvreté, qui passent par une certaine élégance vécue selon les circonstances sociales de chacun. Le fait est qu’en 1961, le fondateur de l’Opus Dei répond que les Patrons mineurs sont seulement des intercesseurs, que les membres de l’Œuvre doivent vivre l’esprit qui est le leur et n’imiter que Jésus, Marie et Joseph. Josémaria ne juge pas négativement la vie des intercesseurs en général et du saint curé en particulier, il entend seulement remarquer qu’elle n’est pas un modèle pour vivre selon l’esprit de l’Opus Dei. Quelques mois plus tard, le 13 avril 1962, il envoie une note de gouvernement qui précise que les intercesseurs ne sont pas un modèle pour vivre la vocation spécifique à l’Opus Dei41. Saint Josémaria et le curé d’Ars après 1951-1953 Une fois qu’il l’a nommé intercesseur pour les relations avec les ordinaires locaux, saint Josémaria prie le curé d’Ars parce qu’il vit l’esprit qu’il 39 40 41 « Volontairement, par mortification et esprit d’humilité, il portait une soutane usée, un vieux chapeau, des souliers rapiécés qui toujours ignorèrent le luxe du cirage » : Francis Trochu, Le curé d’Ars, saint Jean-Marie-Baptiste Vianney, 1786-1859, d’après toutes les pièces du procès de canonisation et de nombreux documents inédits, E. Vitte, Lyon-Paris 195412, p. 315, qui cite à la même page une des dirigées du saint, la baronne Alix-Henriette de Belvey : « Si M. Vianney aimait la propreté, son dénuement extérieur y nuisait un peu » ; « Il consentait à la [sa soutane] laisser raccommoder et laver quand elle en avait trop besoin » : Alfred Monnin, Le curé d’Ars, vie de M. Jean-Baptiste-Marie Vianney, Lyon, C. Douniol, 1868, p. 167. Cfr. Javier Echevarría, Memoria del Beato Josemaría Escrivá, Madrid, Rialp, 2000, pp. 159-161. AGP, serie E.1.3, nota 658 : “Los patronos de la Obra no son propriamente modelos para nosotros, para nuestra vocación específica; sino intercesores, protectores de nuestra Obra. Tenedlo en cuenta en las meditaciones y en las charlas”. Saint Josémaria introduira le changement de vocabulaire, de Patrons mineurs à Intercesseurs, dans le Catéchisme de l’Œuvre, qui présente le droit particulier de l’Opus Dei sous forme de questions et de réponses. Cfr. l’exemplaire de l’AGP de la troisième édition (du 29 mars 1959), art. 5, nn. 20-27, 25 et 27, AGP, serie E.1.9, 205-3-1, avec des corrections manuscrites de saint Josémaria pour la quatrième édition, de patrons à intercesseurs. SetD 8 (2014) 51 LAURENT TOUZE transmet à ses enfants42 ; il y a de fait des manifestations de piété envers saint Jean-Marie Vianney qui ne se vérifient dans la vie de Mgr Escriva qu’après 1951-1953. La première de ces manifestations serait sans doute les visites à Ars. Saint Josémaria s’y rend pour prier neuf fois, de 1953 à 1960 : ces visites ont donc toutes lieu après la nomination comme intercesseur – et l’on peut imaginer que Josémaria le prie en tant que tel, pour accompagner l’expansion du travail apostolique de ses enfants spirituels dans de nouveaux diocèses –, mais aussi après la prise de conscience par le fondateur de l’Opus Dei que la Société Sacerdotale de la Sainte-Croix pouvait s’ouvrir aux prêtres 42 Il continue aussi à le mentionner dans ses enseignements. Le 15 décembre 1954 par exemple, parlant de la nécessité de demander à Dieu de nombreux prêtres savants et saints pour l’Opus Dei, il ajoute : “Porque si no son doctos no podrán ser santos. Y me diréis: −Padre, ¿y el Cura de Ars? El Cura de Ars terminó siendo docto y santo, porque el Señor le daba sus iluminaciones y porque había puesto todo el esfuerzo humano −los medios humanos− para ser docto”: Témoignage de Iñaki Celaya, Rome, 22 septembre 1975: AGP, serie A.5, leg. 204, carp. 3, exp. 4. Encore une fois, saint Josémaria montre sa bonne connaissance de la vie du curé d’Ars, qui, malgré les difficultés de ses études ecclésiastiques, sut acquérir un bon niveau de formation intellectuelle. Comme on l’a dit plus haut, il possédait et étudiait chaque hiver la Théologie morale à l’usage des curés et des confesseurs (1844) du cardinal Charles Gousset archevêque de Reims, comme raconte son vicaire Raymond dans Mgr Henri Convert, Le saint curé d’Ars et le sacrement de pénitence, 1e partie, c. VII, Lyon, Emmanuel Vitte, 1923. Il lisait tous les jours un livre de théologie ou de spiritualité, au lit, même s’il avait confessé de nombreuses heures. Sa bibliothèque comprenait 426 volumes (Bernard Nodet, Jean-Marie Vianney, curé d’Ars. Sa pensée, son cœur, Le Puy, Xavier Mappus, 19605, p. 18), des écrits des Pères, d’auteurs spirituels comme Louis de Grenade. Il relisait souvent le livre fondamental de sa formation initiale, les Instructions sur le rituel, concernant la théorie et la pratique des sacrements et de la morale, de l’évêque de Toulon Louis Albert Joly de Choin (1778); mais ses livres préférés étaient les deux volumes de Vie des saints du père François Giry. Cfr. Bernard Ardura o.praem., “Nella biblioteca del curato d’Ars. Conoscere san Giovanni Maria Vianney attraverso i suoi libri”, L’Osservatore Romano, 9 gennaio 2010, p. 5. Quatorze ans après ce premier exemple, le 8 novembre 1968, dans le contexte de la crise post-conciliaire, saint Josémaria exhorte ses auditeurs à l’étude de la doctrine et commente : “Al Santo Cura de Ars, para ordenarle, su obispo sólo le exigió que supiera el Padrenuestro y el Credo. Ahora, si a algunos les preguntan el Credo y el Padrenuestro, se tropiezan”: Enrique Pèlach, Abancay: un obispo en los Andes Peruanos, Madrid, Rialp, 2005, p. 86; AGP, serie A.5, leg. 237, carp. 1, exp. 3. Cette fois-ci l’information biographique ne semble pas exacte : Joseph Courbon, vicaire général du cardinal Fesch archevêque de Lyon en exil à Rome, aurait demandé sur le curé d’Ars dont les résultats aux examens n’étaient pas brillants : « Est-il pieux ? A-t-il de la dévotion à la Sainte Vierge ? » ; et comme on lui répondait : « Oui, c’est un modèle de piété », il décida de le faire ordonner. Cfr. abbé Tocanier, Procès de l’ordinaire, p. 115, in Henry Aurenche, La passion du saint curé d’Ars, Paris, NEL, 1949, p. 54. 52 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS diocésains – et l’on peut imaginer que Jean-Marie Vianney est aussi prié en tant que saint prêtre séculier : c’est ce qu’illustrera une deuxième manifestation de piété, le projet inabouti de pèlerinage de la Société Sacerdotale à Ars. Selon Mgr Javier Echevarría, prélat de l’Opus Dei et témoin oculaire de plusieurs de ces pèlerinages à Ars, ce sont bien ces deux intentions de prière qui animaient saint Josémaria lors de ces déplacements à Ars : « J’ai été témoin de l’affection que lui [le curé d’Ars] témoignait notre Père lorsque l’occasion s’est présentée à lui de le vénérer à Ars, pour lui confier la sainteté des prêtres et les relations de l’Opus Dei avec les évêques diocésains43. » Les visites à Ars Sur ces visites, les éléments trouvés sont peu nombreux44. La première d’entre elles a lieu le 25 octobre 1953, saint Josémaria et ceux qui l’accompagnent arrivent de Paris et Fontainebleau et repartent ensuite vers Chambéry puis l’Italie45. Le deuxième visite est du 20 novembre 1955. Ils viennent cette fois-ci d’Italie, et sont passés par Milan. Ce 20 novembre est un dimanche, et l’église d’Ars est pleine quand ils entrent pour y prier46. Ils quittent ensuite le village pour Macon puis Fontainebleau47. 43 44 45 46 47 Javier Echevarría, Lettre pastorale (1er juillet 2009) sur http://www.opusdei.fr/art. php?p=34517 consulté le 9 janvier 2014. AGP, serie A.2, 83-1, sur les 35 séjours en France de saint Josémaria. Les éléments trouvés permettront cependant de préciser certains points. La biographie d’Andrés Vázquez de Prada donne comme dates : 1953, 1956, 1958, 1959 et 1960. Il y manque donc la visite de 1955 et les trois de 1957. L’auteur indique comme source le Summarium du procès de canonisation, p. 837, qui parle bien des pèlerinages à Ars mais ne donne aucune date. Cfr. Vázquez de Prada, El Fundador del Opus Dei, vol. III, p. 338. AGP, serie A.2, 83-1-1. Rien trouvé sur Ars et le saint curé autour du 25 octobre dans les Journaux du centre de la rue de Bourgogne (Paris) AGP, serie M.2.2., 270-17 ; et du Collège Romain de la Sainte-Croix : AGP, serie M.2.2., 427-18. Le centre de Grenoble n’ouvrira qu’en juillet 1962, après la dernière visite de saint Josémaria à Ars ; le centre de Lyon n’ouvrira qu’après la mort du fondateur de l’Opus Dei : il n’y a donc pas de Journaux pour ces deux centres, plus proches d’Ars que Paris, pour la période qui nous intéresse. “Estuvieron presentes en un oficio solemne al que asistió todo el pueblo, y que hace pensar en la profunda huella dejada por este Santo”: AGP, serie A.2, 83-1-2, B, p. 1; Crónica, XII1955, p. 14, AGP, Biblioteca, P01. AGP, serie A.2, 83-1-1. Rien trouvé sur Ars et le saint curé au retour du voyage de saint Josémaria dans le journal du Collège Romain de la Sainte-Croix : AGP, serie M.2.2., 248-3. Cfr. aussi Ana Sastre, Tiempo de caminar, Madrid, Rialp, 19914, p. 440. SetD 8 (2014) 53 LAURENT TOUZE La troisième visite est du 27 juin 1956. Saint Josémaria y célèbre la Sainte Messe, pour la première fois à Ars semble-t-il, et repart ensuite vers Versailles et Paris, puis la Belgique48. 1957 amène pas moins de trois visites de saint Josémaria49 : la première – la quatrième de toutes – a lieu le 21 mai (ils suivent50 le parcours Bologne – Bardonecchia – Modane – Ars et en repartent pour Avignon, puis Lourdes, Paris et retour en Italie51) ; la seconde de 1957, la cinquième, les 13 et 14 septembre (ils viennent de Lyon pour passer ce qui est sans doute la première nuit de saint Josémaria à Ars et le quitte pour l’Italie : Modane – Bardonecchia – Montecatini52) ; la troisième de 1957, la sixième, le 24 novembre (ils viennent d’Italie53 et sont passés auparavant par Lourdes et Marseille, et continuent ensuite leur voyage vers Versailles et Paris, pour revenir ensuite à Rome54). 48 49 50 51 52 53 54 AGP, serie A.2, 83-1-1. “Sin duda celebraron la Misa”: AGP, serie A.2, 83-1-2, C, p. 1. Saint Josémaria était accompagné par le vénérable Álvaro del Portillo et par D. Giorgio de Filippi (même source). Rien trouvé sur Ars et le saint curé autour du 27 juin dans les Journaux du centre du Boulevard Saint-Germain (Paris) : AGP, serie M.2.2., 269-17 et du Collège Romain de la Sainte-Croix : AGP, serie M.2.2., 428-6. 1957 fut une année importante pour les incompréhensions manifestées par le cardinal Manuel Gonçalves Cerejeira et dont on a parlé plus haut : cette seule intention n’explique sans doute pas les trois pèlerinages à Ars, mais elle aura été présente dans le cœur de saint Josémaria et de ceux qui l’accompagnaient, notamment le vénérable Álvaro del Portillo qui s’était rendu ex professo à Lisbonne en mai 1956 pour chercher de clarifier la situation avec le patriarche. Cfr. Vázquez de Prada, El Fundador, vol. III, p. 362. Dans ce voyage, saint Josémaria était accompagné par le vénérable Álvaro del Portillo, par D. Giorgio de Filippi et par l’actuel prélat de l’Opus Dei, Mgr Javier Echevarría, alors jeune prêtre et qui séjourne ici à Paris pour la première fois : AGP, serie A.2, 83-1-2, D. AGP, serie A.2, 83-1-2. Rien trouvé sur Ars et le saint curé autour du 21 mai dans les Journaux du centre du Boulevard Saint-Germain (Paris) : AGP, serie M.2.2., 269-19 et du Collège Romain de la Sainte-Croix : AGP, serie M.2.2., 428-8. AGP, serie A.2, 83-1-1. Rien trouvé sur Ars et le saint curé autour des 13 et 14 septembre dans les Journaux du centre du Boulevard Saint-Germain (Paris) : AGP, serie M.2.2., 269-20 (saint Josémaria ne passe pas par Paris lors de ce voyage) et du Collège Romain de la Sainte-Croix : AGP, serie M.2.2., 428-8. Dans ce voyage, saint Josémaria était accompagné par le vénérable Álvaro del Portillo et par D. Giorgio de Filippi : AGP, serie A.2, 83-1-2, E. Rien trouvé sur Ars et le saint curé autour du 24 novembre dans les Journaux du centre du Boulevard Saint-Germain (Paris) : AGP, serie M.2.2., 269-21 et du Collège Romain de la Sainte-Croix : AGP, serie M.2.2., 428-9. 54 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS La septième visite a lieu le 1er et le 2 février 1958, ils y célèbrent la Messe55 puis retournent directement à Rome56. Le huitième pèlerinage est du 13 mai 1959 : ils viennent d’Italie, passent par Monaco, et partent ensuite pour le sud de la France et l’Espagne57. Saint Josémaria se rend pour la neuvième et dernière fois le 31 octobre er et le 1 novembre 1960 : il arrive de Paris et de Lyon et auparavant d’Espagne, et après Ars, repasse ensuite par Lyon avant de rejoindre Rome par Milan58. Il lui reste encore quinze années de vie, cette neuvième visite est son dix-septième passage par la France, il y reviendra encore dix-huit fois59, mais ne se rendra semble-t-il plus à Ars, pourquoi ? En l’absence de preuves documentaires, j’avancerais trois hypothèses : d’une part, le travail apostolique de l’Œuvre se développe en France hors de Paris, et les déplacements du fondateur ont d’abord comme objectif de voir ses enfants spirituels, de les encourager, de prier avec et pour eux ; d’autre part, la crise de l’Église qui fera tant souffrir saint Josémaria dans les dernières années de sa vie60 l’a poussé vers la Vierge Marie, et les visites aux sanctuaires de Notre Dame se multiplient lors de ses voyages ; Marie prend le pas sur les autres saints, l’hyperdulie sur la dulie ; finalement et de manière plus prosaïque, certains voyages sont effectués en avion et non plus en voiture61 et rendent plus difficile le passage par le petit village d’Ars. 55 56 57 58 59 60 61 Saint Josémaria était accompagné par le vénérable Álvaro del Portillo, par Don Javier Echevarría et par Armando Serrano : AGP, serie A.2, 83-1-2, F. AGP, serie A.2, 83-1-1. Rien trouvé sur Ars et le saint curé autour des 1er et 2 février dans les Journaux du centre du Boulevard Saint-Germain (Paris) : AGP, serie M.2.2., 269-21 et du Collège Romain de la Sainte-Croix : AGP, serie M.2.2., 428-9. AGP, serie A.2, 83-1-1. Saint Josémaria était accompagné par le vénérable Álvaro del Portillo, par D. Javier Echevarría et par Armando Serrano. Il n’y a pas de journal du centre du Boulevard Saint-Germain pour cette période dans l’AGP. Rien trouvé sur Ars et le saint curé autour du 13 mai dans le journal du Collège Romain de la Sainte-Croix : AGP, serie M.2.2., 428-12. AGP, serie A.2, 83-1-1. Rien trouvé sur Ars et le saint curé autour du 31 octobre et du 1er novembre dans les Journaux du centre du Boulevard Saint-Germain (Paris) : AGP, serie M.2.2., 269-27 et du Collège Romain de la Sainte-Croix : AGP, serie M.2.2., 428-16. Cfr. aussi Peter Berglar, Josemaría Escrivá. Leben und Werk des Gründers des Opus Dei, Köln, Adamas, 20054, p. 351. AGP, serie A.2, 83-1-1. Cfr. par exemple Vázquez de Prada, El Fundador, vol. III, pp. 582-588 ; pp. 591-596. Au moins ceux du 23 juillet 1961 et du 3 octobre 1972, dernier passage par la France à Lourdes : AGP, serie A.2, 83-1-1. SetD 8 (2014) 55 LAURENT TOUZE Le projet de pèlerinage Une autre manifestation de la piété de saint Josémaria envers saint Jean-Marie Vianney est son projet – non réalisé – de pèlerinage à Ars avec les prêtres de la Société Sacerdotale de la Sainte-Croix. Il l’envisageait pour 1956 et demandait, dans la note de gouvernement qui l’annonçait, leurs opinions à cet égard aux directeurs de l’Œuvre et aux prêtres de la Société Sacerdotale ; quand il rédige cet avis en effet, il n’a pas encore précisé le programme du pèlerinage envisagé : il annonce seulement qu’on chercherait une haute personnalité ecclésiastique qui préside l’activité, qu’elle comprendrait une journée de récollection, qu’il en serait lui-même le directeur spirituel, et que parce qu’il en attend des fruits spirituels, il confie cette intuition à la prière de ses enfants : 1. Os comunico que tengo el propósito de organizar, dentro del año 1956, una peregrinación a Ars. Convendrá que asistan, con los sacerdotes Numerarios que se designen, el mayor número posible de sacerdotes Oblatos62, Supernumerarios, Cooperadores y Asistentes Eclesiásticos de las distintas regiones. 2. Encomendad el asunto, para que a su hora saquemos muchos frutos espirituales de esta visita al Santo Cura de Ars, nuestro Patrón. 3. Oportunamente se señalará, con antelación suficiente, cuándo va a hacerse la peregrinación, los días que se van a emplear, los actos –entre ellos, una jornada de retiro–, el precio, etc. 4. Se procurará que presida una alta personalidad eclesiástica; y el Director espiritual será vuestro Padre. 5. Se estudiarán también con cariño las cosas materiales, para lograr que el viaje y la estancia en la parroquia de San Juan María Vianney sean una Convivencia más, ¡de las nuestras! 6. Id contando estas cosas, sin darles carácter oficial, para que esos hijos de la S.S.S.+ [Société Sacerdotale de la SainteCroix] den su parecer y, sobre todo, indiquen el tiempo más oportuno. 7. No dejéis de decirme lo que vayáis pensando sobre este asunto63. En novembre 1955, de passage à Paris, il en parle encore à ses fils de Paris, leur expliquant qu’il comptera sur eux pour certains détails de l’organisation64. Quelques mois plus tard, en mars 1956, une nouvelle note annonce un report du pèlerinage en 1957, translation expliquée par la préparation du second congrès général de l’Opus Dei qui se tiendra à Einsiedeln, en Suisse, 62 63 64 Saint Josémaria décida plus tard de les appeler Agrégés. AGP, serie E.1.3, nota 100. AGP, serie M.2.2., 269-15 (22 novembre 1955) ; AGP, serie A.2, 83-1-2, B.II. Rien trouvé sur le sujet aux alentours des mêmes dates dans le journal du Collège Romain de la SainteCroix, AGP, serie M.2.2., 428-3. 56 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS du 22 au 25 août 195665 ; saint Josémaria termine en écrivant : “Seguid encomendando el asunto, pues no tardaremos mucho en realizar este proyecto”66. Mais ensuite, les archives se taisent : pas de trace des réactions au projet initial demandées en 1955, aucun autre avis ultérieur qui explique l’abandon d’une idée finalement jamais réalisée, ni en 1957 ni plus tard. On sait seulement qu’il a finalement renoncé à cette entreprise, parce qu’il considérait que l’organisation d’activités collectives de ce type n’appartenait pas à l’esprit de l’Opus Dei67. On verra sans doute dans cette décision le poids de ce que saint Josémaria appelait l’humilité collective qu’il entendait que ces enfants vivent avec lui, pour fuir du fanatisme du groupe, de la fausse gloire des nombres, des foules et des statistiques ; il a souvent encouragé ses fils spirituels à ne vivre que pour la gloire de Dieu, à aimer travailler en silence et avec efficacité sans chercher les applaudissements, à se cacher et disparaître68. Saint Josémaria a peut-être pensé que ce pèlerinage risquait de favoriser un esprit de corps déplacé ; il a peut-être aussi craint que son humilité n’ait à souffrir d’un acte collectif où il aurait été nécessairement un point de référence en tant que fondateur de la Société Sacerdotale. Le saint curé d’Ars à Villa Tevere La dévotion aux saints a une autre manifestation habituelle dans l’histoire de la spiritualité que l’on retrouve dans les relations de saint Josémaria avec saint Jean-Marie : les chrétiens aiment à édifier des lieux de culte pour y honorer Dieu en honorant ses saints, pour y vénérer leurs représentations, c’est bien ce qu’a fait le fondateur de l’Opus Dei à Villa Tevere, où il vivait à Rome et d’où il dirigeait l’Œuvre dans le monde. D’un point de vue architectural, la plus importante de ces expressions d’art sacré est l’oratoire dédié au curé d’Ars. Sa construction semble décidée après mars 1952, et donc durant cette période 1951-1953 qui doit être celle de la nomination comme intercesseur, comme on l’a vu plus haut69. La réalisation 65 66 67 68 69 Cfr. Vázquez de Prada, El Fundador, vol. III, pp. 257-260. AGP, serie E.1.3, nota 4144 (15 mars 1956). Cfr. les souvenirs de Mgr Javier Echevarría in Crónica, 1994, p. 330, AGP, Biblioteca, P01. Cfr. par exemple Ernst Burkhart − Javier López, Vida cotidiana y santidad en la enseñanza de San Josemaría. Estudio de teología espiritual, vol. II, Madrid, Rialp, 2011, pp. 400-405. Cfr. AGP, serie A.3, leg. 176, carp. 2, exp. 19, qui est une liste, de la main de saint Josémaria, de 23 oratoires prévus à Villa Tevere, le 22e étant celui du curé d’Ars. Au dos de la liste, on trouve des indications sur les travaux, toujours de Villa Tevere, datées de mars 1952. SetD 8 (2014) 57 LAURENT TOUZE du projet arrive cinq ans plus tard, quand les architectes se penchent sur cette zone de Villa Tevere. Les indications reçues initialement de saint Josémaria sont assez générales : que le style de l’oratoire soit « relativement moderne » et que le retable, que présidera une statue du saint curé, commémore d’une certaine façon l’histoire de la Société Sacerdotale70. Les architectes commencent à travailler en mars 195871 et s’inquiètent rapidement du peu d’espace que le développement des travaux laisse à leur disposition. Saint Josémaria les encourage paternellement, approuve leurs propositions et les console de la taille réduite que devra avoir l’oratoire en leur faisant considérer qu’ils auront plus tard à mener à bien des constructions plus ambitieuses, des cathédrales, leur dit-il72. Un détail montre en passant à nouveau la connaissance que saint Josémaria avait de la vie et de la personnalité de saint Jean-Marie. Quand l’oratoire n’est encore qu’un projet, le fondateur de l’Opus Dei fait allusion à la possibilité de mettre sous le futur autel du saint curé les reliques du corps entier d’un martyr, et mentionne sur ce point la dévotion de l’abbé Vianney pour les reliques73. L’autel n’inclut finalement le corps entier d’aucun saint mais il est intéressant de noter que Josémaria sait que Jean-Marie aimait à prier les saints devant leurs reliques74. 70 71 72 73 74 “Quiere el Padre que sea de estilo relativamente moderno y que en el retablo, donde irá presidiendo la estatua, se conmemore en algún modo la historia de la Sociedad Sacerdotal de la Santa Cruz”: Diario de obras, 30 mai 1957: AGP, serie M.2.2, D 1059, 7. Pour les informations qui viennent du journal des travaux, tenu par l’architecte Jesús Álvarez Gazapo, je remercie M. Alfredo Méndiz de l’Istituo Storico San Josemaría Escrivá. Diario de obras, 12 mars 1958: AGP, serie M.2.2, D 1059, 9. “El Padre ha estado mucho rato con nosotros en la oficina por la mañana. Ha visto cómo se va planteando el oratorio del Cura de Ars, que queda pequeñísimo. Dice el Padre que puede quedar una cosa simpática, donde será posible hacer mucha labor con los curas Oblatos y Supernumerarios”: ibid., 15 mars 1958: AGP, serie M.2.2, D 1059, 9. “Ha estado mucho rato el Padre por la mañana en la oficina. Comentando sobre el oratorio del Cura de Ars, ha dicho que no nos preocupemos, ya llegará la hora de hacer catedrales”: 17 mars 1958: ibid. “El Padre estuvo gran rato en la oficina con nosotros por la mañana. Seguimos dándole vueltas al Cura de Ars; el Padre dice que nos conformemos con lo que habíamos preparado, pero es que no nos acaba de gustar”: 18 mars 1958: ibid. Le journal du Collège romain de la Sainte-Croix dit exactement : “El cuerpo entero de San Félix [irá] bajo el altar del Cura de Ars, que era muy devoto de las reliquias; encima irá una estatua de cuerpo entero del Santo Cura que hará un buen escultor”: AGP, serie M.2.2., 428-8 (6 juin 1957). Les reliques de saint Félix ne sont pas à Villa Tevere : le diariste doit confondre avec saint Séverin, dont les reliques, données à saint Josémaria par le cardinal Marcello Mimmi, archevêque de Naples, arrivent à Villa Tevere en 1957 ; elles furent déposées sous l’autel de l’oratoire de Saint-Joseph. Cfr. par exemple Monnin, Le curé d’Ars, p. 573. 58 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS L’oratoire définitif ne comprenant pas le retable qui devait illustrer l’histoire de la Société Sacerdotale, sans doute parce qu’il est plus petit que ce que prévoyaient initialement les architectes, l’élément essentiel de sa décoration le liant au curé d’Ars est la grande statue du saint, placée sur un piédestal derrière l’autel. En mai 1957, le journal des travaux mentionne qu’elle sera de taille naturelle, et s’inspirera de photos transmises par saint Josémaria qui est passé par Ars le 21 mai, lors de sa quatrième visite au sanctuaire. Ces photos, que je n’ai pas trouvées dans les archives de la prélature, représentaient peut-être la statue d’Émilien Cabuchet ou le reliquaire du saint. Le journal des travaux précise aussi que saint Josémaria donne aux architectes une statue du saint curé75 : il s’agit peut-être de la statue en bois, réalisée en France en 1953 pour saint Josémaria76, qui la reçut en juillet de la même année et dit à ses fils de France qu’elle lui plaisait beaucoup et qu’il l’avait placée sur son bureau de travail77. Le 12 juin 1957, les photos sont confiées au sculpteur Pasquale Sciancalepore, qui propose un croquis dès le 1678 ; la commande ferme est passée en juillet, et l’artiste, après avoir choisi son marbre à Querceta en Toscane79, commence sa sculpture. Saint Josémaria visite au moins deux fois son atelier pendant l’élaboration de l’œuvre, et manifeste à chaque fois sa 75 76 77 78 79 “El Padre dio a Jesús [Álvarez Gazapo] anoche varias cosas que traía del viaje, para nosotros. Fotografías de cosas aprovechables, un librito sobre Avignon y unas fotos y una escultura del Cura de Ars. Estas últimas nos servirán para que un escultor −posiblemente Sciancalepore− haga una escultura del santo, a tamaño natural, que presidirá su oratorio”: Diario de obras, 30 mai 1957: AGP, serie M.2.2, D 1059, 7. “Hoy salieron Fernando Maycas y Pepe y han comprado una estatua del cura de Ars (estaba encargada ya hace tiempo) para el Padre. Es una talla en madera, digna pero sencilla”: Journal du centre de la rue du Docteur Blanche (Paris), 12 avril 1953: AGP, serie M.2.2., 272-40. Comme le rapporte Ferdinand Maycas selon le diariste: “La imagen del Cura de Ars que le enviamos le ha gustado muchísimo, la tiene siempre sobre su mesa de trabajo”: Journal du centre de la rue du Docteur Blanche (Paris), 10 juillet 1953 : AGP, serie M.2.2., 272-40. Mgr Maycas, qui fut vicaire judiciaire de l’archidiocèse de Paris – nommé par le cardinal Jean-Marie Lustiger – et vit toujours dans la capitale française, pense reconnaître la statue qu’il avait fait sculpter sur les photos de l’oratoire-bibliothèque de Villa Tevere, à quelques pas de la chambre qu’occupait saint Josémaria, ce qui confirmerait à nouveau sa dévotion pour le saint curé. Je remercie Mgr Maycas, et M. l’abbé Ange Martinez, qui a bien voulu servir de truchement par courriels interposés. “El Padre y D. Álvaro estuvieron largo rato en la oficina. Por la mañana temprano, viendo el boceto del Cura de Ars, que trajo Sciancalepore, y que ha gustado al Padre”: Diario de obras, 16 juin 1957: AGP, serie M.2.2, D 1059, 7. Ibid., 8 juillet 1957: AGP, serie M.2.2, D 1059, 7. SetD 8 (2014) 59 LAURENT TOUZE satisfaction80. La sculpture est terminée en mai 195881, le piédestal qui la soutient est monté dans l’oratoire en août82 et l’ensemble doit être terminé entre août 1958 et mai 1959, période pour laquelle il n’existe pas de journal des travaux. En plus de cet oratoire dédié au curé d’Ars et de la statue de l’oratoirebibliothèque mentionnée plus haut en note, saint Jean-Marie Vianney est aussi présent à Villa Tevere avec les autres intercesseurs : par ses reliques, sur l’autel de la Sainte-Trinité, où célébrait habituellement saint Josémaria83 ; sur le retable d’un oratoire dédié aux intercesseurs84 ; par une petite statue d’argent qui orne le tabernacle de l’oratoire du conseil général de la Prélature, qui arrive à Villa Tevere en septembre 195685. On mentionnera aussi, hors de Villa Tevere, la statue du saint curé placée – avec celles des autres intercesseurs – à l’intérieur du retable du sanctuaire de Torrecuidad, dont Saint Josémaria suivit de près l’élaboration86. Comme l’écrivait le bienheureux Newman, « jamais l’Église catholique ne perd ce qu’elle a une fois possédé. […] Au lieu de passer d’une phase de la vie à l’autre, elle porte avec elle sa jeunesse et sa maturité jusqu’en sa vieillesse. […] Dominique ne lui fait pas perdre Benoît87, » et on ajouterait : saint Josémaria ne lui fait pas perdre saint Jean-Marie Vianney. Grâce à la belle 80 81 82 83 84 85 86 87 “El Padre con Jesús han ido en el coche de las obras, que conducía Javier Abad, a ver a Sciancalepore. El Padre ha visto el Cura de Ars, que está ya muy adelantado y le gustó mucho: quiere que hagamos un molde del boceto pequeño en barro, para poder fundir figuritas en metal ligero”: ibid., 31 mars 1958: AGP, serie M.2.2, D 1059, 9; “Invención de la Santa Cruz. El Padre ha ido a Santa Croce in Gerusalemme a primera hora de la mañana a rezar junto a las reliquias, y al volver ha pasado por el taller de Sciancalepore, que se debe haber llevado una buena sorpresa. El Padre viene muy contento de cómo queda la estatua”: ibid., 3 mai 1958: AGP, serie M.2.2, D 1059, 10. Ibid., 17 mai 1958: AGP, serie M.2.2, D 1059, 10. Ibid., 13 août 1958: AGP, serie M.2.2, D 1059, 10. Par exemple ibid., 2 juin 1957: AGP, serie M.2.2, D 1059, 7. “El Padre quiere que conservemos los modelos de los cuatro intercesores para poder hacer copias después”: ibid., 4 juillet 1959: AGP, serie M.2.2, D 1059, 11. Cfr. Vázquez de Prada, El Fundador, vol. III, pp. 306-309. Cfr. Manuel González-Simancas Lacasa, Un retablo de alabastro en pleno siglo XX, in Manuel Gómez Leira − Manuel Garrido González (eds.), Torreciudad, Madrid, Rialp, 1988, pp. 165-192, spécialement à propos de la statue du Curé d’Ars : pp. 170-172 ; 174 ; 182-184 ; 187-188 ; 191. John Henry Newman, La mission de saint Benoît, in Yves-Marie J. Congar o.p., Sainte Église, Paris, (Unam Sanctam, 41) Cerf, 1964, p. 559. 60 SetD 8 (2014) SAINT JOSÉMARIA ET LE CURÉ D’ARS vérité de la communion des saints88, des amitiés se forgent entre des chrétiens que séparent des siècles, et la dévotion du fondateur de l’Opus Dei pour le curé d’Ars donne l’exemple d’un de ses ponts d’affection et de confiance construits au-delà de la mort : c’est ce que cet article a entendu illustrer. On y voit alors « les saints qui se donnent la main et qui nous donnent la main,89 » pour nous encourager nous aussi à courir vers Dieu. Laurent Touze (Marseille, 1965). Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, docteur en théologie (Université Pontificale de la Sainte-Croix), il est professeur de théologie spirituelle à la faculté de théologie de la même université, dont il dirige le département de théologie spirituelle et dont il est vice-doyen. Il est membre correspondant de l’Académie Pontificale de Théologie. e-mail : [email protected] 88 89 Dont saint Josémaria disait notamment : « Nous les catholiques, nous trouvons dans la sainte Église [...] le sens de la fraternité, la communion avec tous nos frères déjà disparus et qui se purifient dans le purgatoire – l’Église souffrante – ou avec ceux qui jouissent déjà de la vision béatifique – l’Église triomphante – et aiment éternellement le Dieu trois fois saint. C’est l’Église qui demeure ici et qui, en même temps, transcende l’histoire » : Aimer l’Église, Paris, Le Laurier, 1993, n. 2. François-Marie Léthel o.c.d., La lumière du Christ dans le cœur de l’Église. Jean-Paul II et la théologie des saints, Paris, Parole et Silence, 2011, p. 16. SetD 8 (2014) 61