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Culture et nutrition

1979, Communications

La satisfaction des besoins alimentaires est une condition indispensable de la survie des êtres vivants. L'Homme semble avoir résolu ce problème de façon un peu différente de ce que l'on observe chez les autres animaux. Il doit à sa physiologie généreuse d'omnivore et à son caractère d'animal social doté de culture, de la fonction symbolique et recréant un microenvironnement qui lui est favorable (puisqu'il est « industrieux »), la possibilité de pouvoir subsister aussi bien à proximité du cercle polaire que dans les forêts équatoriales. On peut toutefois se demander si les efforts qu'il accomplit pour s'ajuster aux normes qui sont sécrétées par sa culture et qui relèvent de la symbolique sont toujours dans le droit fil de son adaptation optimale sur le plan biologique, à court terme en tant qu'individu, à long terme en tant qu'espèce animale. Les engouements d'un écologisme, venu cette fois d'outre-Atlantique mais dont les accents bien antérieurs à Rousseau retentissent de façon périodique, suggèrent aujourd'hui que ce n'est pas le cas, et l'on tremble à l'idée de s'approcher d'un champ où s'affrontent de façon aussi véhémente tant de puissants esprits. Si l'on peut admettre, avec E. E. Ruyle, que l'évolution biologique et culturelle sont toutes deux caractérisées par « l'adaptation » (dans la mesure où ce terme désigne, au sens le plus large, un ajustement-fit-entre un organisme et son environnement), dans le cas de l'évolution biologique et génétique, le mécanisme évoqué est la sélection naturelle et la reproduction différentielle des individus; le critère de la sélectivité étant celui de l'adaptation globale, principalement biologique (inclusive fitness) (1). Les choses sont plus complexes en ce qui concerne le domaine de la culture, dans laquelle seuls sont conservés les traits et les comportements qui apportent une « satisfaction » à un besoin mais qui, elle, peut n'avoir aucune incidence biologique. Il est difficile d'affirmer une fois pour toutes que l'évolution biologique et l'évolution culturelle sont étroitement alignées et peut-être l'originalité de l'Homme se trouve-t-elle précisément dans une certaine discontinuité. L'ajustement au milieu social peut être, dans une large mesure, indépendant de l'ajustement au milieu naturel. Ce dernier est d'ailleurs de façon croissante un milieu modifié, et souvent de façon chaotique, par l'action de l'Homme. Même un partisan de

Communications Culture et nutrition Monsieur Igor De Garine Citer ce document / Cite this document : De Garine Igor. Culture et nutrition. In: Communications, 31, 1979. La nourriture. Pour une anthropologie bioculturelle de l'alimentation. pp. 70-92; doi : 10.3406/comm.1979.1470 http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1979_num_31_1_1470 Document généré le 21/03/2017 Igor de Garine Culture et nutrition ALIMENTATION ET ADAPTATION. La satisfaction des besoins alimentaires est une condition indispensable de la survie des êtres vivants. L'Homme semble avoir résolu ce problème de façon un peu différente de ce que l'on observe chez les autres animaux. Il doit à sa physiologie généreuse d'omnivore et à son caractère d'animal social doté de culture, de la fonction symbolique et recréant un microenvironnement qui lui est favorable (puisqu'il est « industrieux »), la possibilité de pouvoir subsister aussi bien à proximité du cercle polaire que dans les forêts équatoriales. On peut toutefois se demander si les efforts qu'il accomplit pour s'ajuster aux normes qui sont sécrétées par sa culture et qui relèvent de la symbolique sont toujours dans le droit fil de son adaptation optimale sur le plan biologique, à court terme en tant qu'individu, à long terme en tant qu'espèce animale. Les engouements d'un écologisme, venu cette fois d'outre-Atlantique mais dont les accents bien antérieurs à Rousseau retentissent de façon périodique, suggèrent aujourd'hui que ce n'est pas le cas, et l'on tremble à l'idée de s'approcher d'un champ où s'affrontent de façon aussi véhémente tant de puissants esprits. Si l'on peut admettre, avec E. E. Ruyle, que l'évolution biologique et culturelle sont toutes deux caractérisées par « l'adaptation » (dans la mesure où ce terme désigne, au sens le plus large, un ajustement — fit — entre un organisme et son environnement), dans le cas de l'évolution biologique et génétique, le mécanisme évoqué est la sélection naturelle et la reproduction différentielle des individus; le critère de la sélectivité étant celui de l'adaptation globale, principalement biologique (inclusive fitness) (1). Les choses sont plus complexes en ce qui concerne le domaine de la culture, dans laquelle seuls sont conservés les traits et les comportements qui apportent une « satisfaction » à un besoin mais qui, elle, peut n'avoir aucune incidence biologique. Il est difficile d'affirmer une fois pour toutes que l'évolution biologique et l'évolution culturelle sont étroitement alignées et peut-être l'originalité de l'Homme se trouve-t-elle précisément dans une certaine discontinuité. L'ajustement au milieu social peut être, dans une large mesure, indépendant de l'ajustement au milieu naturel. Ce dernier est d'ailleurs de façon croissante un milieu modifié, et souvent de façon chaotique, par l'action de l'Homme. Même un partisan de 70 Culture et nutrition la « signification adaptative des comportements culturels », comme W. H. Durham (2) est amené, après avoir suggéré que « les Hommes tendent à adopter des comportements qui favorisent la propagation de leurs gènes », à reconnaître qu'il y a certainement des activités culturelles peu coûteuses (low-cost) qui ne contribuent presque pas à améliorer « l'adaptation globale » des individus et des groupes (3). Nombreux sont les comportements alimentaires qui entrent dans cette catégorie. STYLES ALIMENTAIRES ET BESOINS NUTRITIONNELS. L'expérience ethnographique apporte une contribution utile en amenant à considérer le comportement alimentaire des hommes avec une certaine circonspection. Elle plaide en faveur d'une approche systématique pluridisciplinaire de l'alimentation et de la nutrition, à laquelle contribueraient aussi bien les spécialistes des disciplines confondues sous le terme de « sciences sociales » que ceux des sciences biologiques. Elle suggère qu'en dépit de la multiplicité des paramètres qui doivent être pris en considération, l'alimentation et la nutrition des hommes doivent être approfondies aussi bien dans le cadre des sociétés humaines vivantes que dans celui du laboratoire et par cobaye interposé. Sans doute concédera-t-on qu'aucun animal ne possède une société et surtout une culture dont la complexité approche celle de l'Homme. Pourtant, nous en sommes encore à envier les descriptions que fournissent nos confrères primatologues du comportement alimentaire des animaux qu'ils étudient. Les sociétés traditionnelles contemporaines nous donnent, pour quelques années encore avant d'être agglutinées par la société industrielle internationale, une idée de la gamme et de l'extraordinaire variété des solutions apportées en réponse au besoin alimentaire, ceci à tel point que, si l'on comparait dans le monde animal deux variétés dotées de régimes alimentaires aussi différents que le sont ceux des Eskimos et des montagnards de Nouvelle-Guinée, on aurait le sentiment d'être en présence de deux espèces appartenant à des genres, voire à des familles différentes (voir tableau 1 en annexe). A condition de satisfaire certains besoins en nutriments et de maintenir entre les différents éléments de sa ration certaines constantes, telles que le pourcentage de calories d'origine protéique par rapport aux calories totales, l'Homme peut prospérer aussi bien à partir d'un régime essentiellement carné qu'à partir d'un régime presque totalement végétarien. Les spécialistes ne sont pas encore totalement d'accord sur ces normes, ainsi qu'en témoignent les controverses qui se perpétuent sur la notion de besoins alimentaires. C'est ce que démontre aussi la révision périodique des allocations recommandées en nutriments qui réunit périodiquement un comité international d'experts sous l'égide de l'OMS et de la FAO (4). Ce n'est pas par hasard si un récent symposium opposait les exigences nutritionnelles de l'animal humain aux besoins alimentaires qu'il ressent en tant qu'individu doté de conscience et intégré dans la société à laquelle 71 Igor de Garine il appartient — Diet of Man, Needs and Wants (5). Certaines sociétés, telles que celles de l'intérieur de la Nouvelle-Guinée, subsistent de façon relativement satisfaisante sur des rations si faibles en lipides, protéines et surtout en protéines animales, par rapport aux normes établies dans la science occidentale, que l'on a évoqué des différences qui relèvent du domaine de la physiologie et à propos duquel le débat reste pudiquement discret mais ouvert (6). Ainsi, par exemple, l'importance des pertes d'azote dans les excréments par rapport à l'azote contenu dans la ration ingérée chez certains montagnards de la Nouvelle-Guinée, comme les Chimbu, a conduit à émettre l'hypothèse que certaines bactéries auraient la capacité de fixer dans l'intestin l'azote gazeux (7). L'Homme n'est pas condamné à une utilisation totale des ressources qui lui sont offertes par le milieu et que ses moyens techniques l'autorisent à maîtriser. Il doit toutefois en effectuer un usage minimal qui satisfasse ses exigences sur deux plans : celui de la culture, celui de la biologie. La survie des individus et de la société qu'ils constituent exige que les besoins nutritionnels de l'être biologique soient remplis, mais le niveau de satisfaction de ces besoins varie sensiblement d'une société à l'autre. Il est des sociétés bien alimentées et d'autres où se maintiennent d'une génération à l'autre sur différentes catégories d'individus des carences endémiques qui se répercutent sur la démographie de la population tout entière (8). Rien n'interdit de penser que certaines sociétés, dont l'ajustement aux exigences nutritionnelles était insuffisant, se soient éteintes. Vers 1950, la modification du circuit de migration du caribou, dont les Eskimos du Nord-Ouest du Canada tirent la presque totalité de leurs ressources vivrières, aurait vraisemblablement provoqué l'extinction de cette population par la famine si le gouvernement canadien n'avait pris des mesures énergiques pour déplacer les survivants vers la zone plus clémente de la côte (9). Sans doute les moyens techniques dont disposent les sociétés pour exploiter les virtualités alimentaires sont-ils à incriminer au premier chef, mais c'est un lieu commun de signaler que les obstacles à l'utilisation des ressources alimentaires matériellement disponibles sont d'ordre culturel, et l'on se référera ici volontiers au tabou sur la vache respecté par les populations hindouistes et bouddhistes de l'Inde ou au fait que, comme l'écrit L. White (10), l'Homme soit le seul animal capable de distinguer l'eau bénite de l'eau ordinaire. ARBITRAIRE CULTUREL ET MALADAPTATION NUTRITIONNELLE. La décision de considérer une virtualité nutritionnelle comme un aliment consommable traduit un certain arbitraire culturel qui déroute bien souvent les spécialistes en provenance des sciences naturelles, habitués à fréquenter des animaux de laboratoire. Comme l'écrit Hornabrook à propos d'une des populations-vedettes du Programme biologique mondial, les habitants de Kaul (dans l'Ile de Kar-Kar au sud-est de la NouvelleGuinée), après avoir fait remarquer le faible niveau du régime sur le plan 72 Culture et nutrition calorique et surtout protéique — aux environs de 6 % des calories totales : «... On considère habituellement que les êtres humains consomment naturellement le régime alimentaire qui est physiologiquement optimal. Les gens de Kaul, qui pourtant vivent dans une assez grande proximité de a mer, utilisent le poisson et les autres ressources de l'Océan de façon extrêmement parcimonieuse (11) ». Il n'existe pas de bonne fée nutritionnelle ou, plus exactement, son action est limitée. Poussé par son instinct alimentaire spécifique, le choix alimentaire de l'Homme doit répondre à des besoins nutritionnels, guidé par des stimuli internes et satisfaire sa faim. Les nourritures qu'il ingère doivent posséder certains caractères sur le plan de l'odeur, de la saveur et du toucher et satisfaire son appétit, c'est-à-dire son désir de renouveler une expérience sensorielle agréable et de retrouver un bien-être consécutif à l'alimentation (12). Sans doute cet appétit est-il dans une large mesure ajusté aux besoins de son organisme et l'on mentionne dans ce domaine la régulation spontanée observée expérimentalement chez les enfants en bas âge, en particulier chez les bébés en état de déshydratation toxique(13). C'est un peu en ce sens que l'on interprète d'ailleurs souvent la géophagie comme la réponse d'un organisme qui ne trouve pas dans le régime alimentaire normal le calcium et le fer dont il a besoin (14). Un examen approfondi de la documentation ethnographique montre combien on doit se montrer prudent devant des notions comme celle de « faim de viande » ou de cannibalisme alimentaire. Il semble que les mécanismes de sécurité qui évitent le « suicide par l'alimentation » soient relativement grossiers. Comme l'écrit Le Magnen : « On observe (le développement) chez l'Homme d'un comportement d'autostimulation sensorielle dans lequel le renforcement par le plaisir sensoriel se substitue à, et l'emporte sur, l'activité limitante et régulatrice de la satisfaction métabolique (15). » Les ravages causés chez l'Homme moderne sédentaire par une consommation pléthorique d'aliments carnés, de lipides et de sucres montrent combien il est incapable d'adapter spontanément sa consommation à sa dépense énergétique, et substitue à la satisfaction de ses exigences biologiques celle de besoins qui sont d'un autre ordre et relèvent de la psychologie individuelle et de la culture. Les sensations tactiles, gustatives et olfactives recherchées dans la consommation alimentaire sont forgées dans la petite enfance et profondément marquées par la culture; elles nourrissent les stéréotypes qui opposent les différentes sociétés sur le plan gastronomique. Ces appétences sont, dans une large mesure, culturelles ; l'accoutumance aux saveurs pimentées et poivrées peut créer une véritable barrière culturelle et inversement contribuer à la cohésion d'un groupe. C'est le cas, par exemple, des minorités javanaises en Nouvelle-Calédonie dans un contexte où la cuisine, à base de tubercules, fait appel à des saveurs remarquablement neutres (16). Il en est de même des sensations qui relèvent de la cénesthésie : la valorisation diverse accordée au sentiment de repletion. Le passage de la ventrée sécurisante à une cuisine raffinée caractérisée par la multiplicité des stimulations d'ordre sensoriel et une moindre hébétude digestive, autorisant la conversation, s'est effectué de façon relativement récente dans la civilisation française. Il y a loin de Rabelais à Grimod de la Reynière. Inversement, les Massa du Nord-Cameroun, accoutumés à consommer des farines de 73 Igor de Garine sorgho rouge riches en cellulose, ont été longtemps réfractaires au riz blanchi dont on ne ressent pas suffisamment, selon eux, la charge confortante au cours de la digestion. L'Homme ne possède pas l'exclusivité des aberrations nutritionnelles — elles ont été provoquées expérimentalement sur les animaux de laboratoire. Dans la nature, un mouton qui ingère trop de trèfle peut mourir victime de sa gourmandise; un lagopède bu une grive qui se sont gorgés de framboises sauvages ou de raisins mûrs peuvent manifester des symptômes d'ébriété, mais il ne s'agit ici que d'accidents. L'Homme en revanche est capable de consommer, de façon consciente, des aliments dont il connaît de façon plus ou moins explicite l'action négative ou simplement neutre sur son organisme. En agissant de la sorte, il est évident qu'il ne recherche pas un bénéfice nutritionnel direct ou une adaptation à l'environnement, mais la satisfaction de certaines exigences qui relèvent de la culture dans laquelle il évolue et des exigences de sa psychologie individuelle. Dans toutes les sociétés humaines, on observe la consommation de boissons fermentées dont la teneur en alcool varie mais dont l'effet intoxicant semble plus recherché que l'intérêt nutritionnel. On observe aussi la consommation d'excitants et de stupéfiants — plantes masticatoires, infusions diverses ou même aliments toxiques tels que l'amanite (Amanita muscaria) chez les populations sibériennes (17) ou le peyotl mexicain (Lophorphora williamsii), dont les dégâts physiologiques sont certains et l'intérêt nutritionnel pour le moins contestable. C'est dans une même perspective que l'on pourrait mentionner le snobisme alimentaire qui pousse à consommer des « aliments » en fonction de leur rareté et de leur valeur de prestige (18) plutôt que de leur valeur nutritionnelle ou leur intérêt sur le plan organoleptique. Brillât-Savarin, en innovant ses « éprouvettes gastronomiques », anticipait bien les réactions de M. Prudhomme face aux aliments exotiques délicats et s'efforçait de trouver une correspondance gastronomique à la hiérarchie socio-économique de son temps (19). L'empereur romain Héliogabale ne faisait-il pas colorer les plats pour obtenir des repas émeraude ou pourpres et n'ordonnait-il pas à ses cuisiniers de mêler aux mets des perles, de l'ambre et de la poudre d'or (20)? La feuille d'argent comestible n'est-elle pas encore aujourd'hui un des éléments de la cuisine d'apparat de l'Inde du Nord? Dans quelle mesure goûte-t-on aujourd'hui réellement l'arôme de la truffe dans les préparations industrielles dites « aux truffes », que cette mention, plutôt que la quantité parcimonieuse qui en est utilisée, autorise à figurer aux menus d'apparat? La valeur symbolique domine et il ne faut pas oublier que l'Homme n'ingère pas des nutriments pour se sustenter, mais déguste des plats de composition complexe, combinés entre eux. On pourrait parler ici d'une double articulation de la gastronomie. L'intérêt nutritionnel d'un plat n'est que l'une des multiples significations dont il est chargé. La diététique contemporaine en sait quelque chose, qui doit s'appuyer sur l'esthétique corporelle et agiter devant les obèses le spectre d'un trépas précoce. Les aberrations alimentaires ne sont pas l'apanage d'individus isolés. Certaines sociétés, certaines cultures sont susceptibles d'effectuer de mauvais choix et de s'y tenir en dépit de la capacité matérielle qu'elles eussent eu d'en effectuer de meilleurs. Il est plus embarrassant d'observer 74 Culture et nutrition dans certaines sociétés traditionnelles une préférence pour un aliment de base fortement valorisé, ce que Jelliffe appelait « une super-nourriture culturelle » (21), dont l'intérêt " nutritionnel est médiocre et contribue au déséquilibre permanent du régime alimentaire. Que l'on pense aux sociétés forestières dont l'aliment de base est le manioc ou la banane plantain, ou aux sociétés dont l'ordinaire est à base de riz poli. Dans ces dernières, le béribéri n'est pas rare; dans les premières les carences protéiques sévissent en permanence dans la population infantile. Les sociétés forestières, en particulier, par le choix qu'elles effectuent, s'infligent, de façon peut-être arbitraire, un problème d'équilibre alimentaire difficile à résoudre. Comme l'écrit J. Périsse, « ... une ration dans laquelle l'essentiel des calories provient des tubercules pourra difficilement présenter un taux de calories protéiques élevé. Il faudrait pour cela que les légumineuses et les produits animaux soient présents en grande quantité (22) ». Il est possible que jadis la densité élevée du gibier ait autorisé une complémentation plus facile du régime, mais c'est rarement le cas dans les sociétés contemporaines. Sans doute l'usage des tubercules s'impose-t-il en milieu equatorial humide où la production et surtout la conservation des céréales posent des problèmes difficiles à résoudre. Il existe néanmoins entre la zone de savane et la zone forestière équatorîale une large bande climatique dans laquelle s'observent concurremment la production de céréales (en particulier du maïs) et celle des tubercules utilisés comme aliments de base. Le problème se pose de mettre en évidence les facteurs qui ont poussé tel ou tel groupe à accorder une priorité plus ou moins grande aux tubercules plutôt qu'aux céréales. Les vestiges archéologiques datant de 1000 avant J.-C. qui ont été mis au jour à Rancho Peludo au nord-est du Venezuela et à Momil dans le nord de la Colombie montrent que la culture du manioc et celle du maïs se sont succédé dans un même environnement avant qu'une prééminence se soit dessinée en faveur de la végéculture (conuco), qui représente un écosystème plus aisément généralisable et moins vulnérable que celui qui est centré sur les céréales (milpa) (23). C'est à une évolution similaire que l'on assiste actuellement en milieu tropical africain où le manioc tend à occuper des surfaces de plus en plus importantes par rapport aux céréales (sorgho et mil pénicillaire). Si l'on examine les raisons qui poussent à cette substitution, on constate qu'elles ne sont pas simplement, et sans doute pas au premier chef, d'ordre nutritionnel. Là où des sols appropriés sont disponibles, la culture du manioc permet de disposer d'une récolte à haut rendement, facile à stocker et qui continue à être disponible pendant la période de soudure alimentaire. Et l'on accepte volontiers un ventre plein d'un aliment de base glucidique contre l'abandon d'un aliment quotidien plus intéressant sur le plan nutritionnel mais plus incertain. Si l'on examine, par exemple, la façon dont le manioc s'est répandu dans le nord du Cameroun, on constate qu'il l'a fait tout d'abord à la périphérie des villes et bourgades et sans doute sous l'influence des minorités de salariés du Sud chez qui il est l'aliment de base. S'il a été accepté, c'est en raison du prestige des modèles diffusés par une minorité urbaine et surtout en raison de la simplicité relative de ses façons culturales par rapport à celles des céréales locales. Plutôt qu'une adaptation 75 Igor de Garine aux exigences nutritionnelles, c'est une adaptation aux conditions créées par le travail salarié horaire qui se manifeste dans l'adoption du manioc car, au niveau de la production, il allège l'emploi du temps des deux sexes. Au niveau de la consommation, la complexité de sa préparation, qui incombe aux femmes, n'apparaît pas, jusqu'à leur prochaine émancipation, comme un facteur susceptible de freiner son utilisation. Enfin, la charge intestinale provoquée par sa consommation n'a rien à envier à celle qui est ressentie après l'ingestion des bouillies et des pâtes épaisses de sorgho. A côté des croyances magico-religieuses extrêmement diverses et qui sont relatives au maintien de la santé ou à l'élimination de la maladie, l'un des comportements les plus constants susceptibles d'avoir une répercussion nutritionnelle, c'est la recherche d'un sentiment de repletion, qui marque l'hédonisme plutôt que la rationalité alimentaire chez les hommes aussi bien que chez les autres animaux. Son expression fournit aux dictons et à la littérature orale un domaine de choix. La plupart des sociétés traditionnelles possèdent l'équivalent des expressions imagées que l'on relève encore dans le Sud-Ouest français. S'exclamer : « Arrête, j'ai les dents du fond qui baignent! », ne connote-t-il pas une situation analogue à celle de l'Eskimo qui s'est gorgé de viande au point de ne pouvoir réintégrer sa langue à l'intérieur de sa bouche? La hartère, être « hart », ne suggèrent-ils pas les bruits de politesse qui doivent marquer au Maghreb la fin d'un bon repas, ce qui se traduit par le souci de la ventrée et la recherche des adjuvants qui la permettent, tels, en Afrique, les mucilages qui facilitent physiquement l'ingestion de bouillies et de pâtes épaisses à base d'hydrates de carbone : le gombo (Hibiscus esculentus), la feuille de baobab (Adansonia digitata), l'aubier d'une tiliacée (Grewia mollis) ou les feuilles bouillies qui en tiennent lieu, celles des amarantes ou du jute (Corchorus olitorius) par exemple? Les protéines animales, le plus souvent ingérées en petite quantité, ont aussi pour but de stimuler l'abondante consommation des glucides et les graisses jouent de même souvent le rôle d'un mucilage de luxe. Dans le cas des sociétés de chasseurs /cueilleurs, comme l'ont fait remarquer de nombreux auteurs, la ventrée est le meilleur moyen d'assurer le stockage des denrées périssables et, en particulier, des protéines animales que l'on ne sait pas conserver. L'évolution de ces groupes montre qu'en dépit des opinions récemment en vogue sur leur prospérité économique (24), la plupart échangent une alimentation saisonnière où les protéines animales sont relativement abondantes mais disponibles de façon irrégulière, contre un régime glucidique, régulier, mais dont l'abondance pallie la monotonie (25). Il n'est, d'ailleurs, pas impossible que cette notion même de monotonie alimentaire ne soit pas un pur produit des civilisations industrielles — « Du foie gras à tous les repas ! La société traditionnelle répondrait : « Oui, et pourquoi pas? » II en va de même si l'on observe l'évolution du régime dans la société en cours de monétarisation. L'accession au salariat régulier montre, au Sénégal, par exemple, une tendance à adopter des régimes stéréotypés mais pas nécessairement équilibrés sur le plan nutritionnel, forts en glucides, lipides et protéines animales (26). Et ici nous avons une opinion distincte de celle de D. Sanjur (27). Sans doute l'augmentation du revenu se manifeste-t-elle par une multiplication des 76 Culture et nutrition denrées achetées, mais elle se traduit aussi par une disparition des denrées en provenance de la cueillette traditionnelle, dont l'image s'est dégradée, et l'on peut émettre l'hypothèse que, dans certains cas, le régime obtenu dans un cadre monétaire moderne est moins varié, en particulier sur le plan vitaminique, que le régime traditionnel infra-monétaire. Si l'on peut parler d'adaptation ici, c'est que se fait jour un souci de s'affranchir des contraintes du milieu naturel pour adopter un rythme alimentaire constant strictement déterminé par des exigences culturelles. Ces exigences culturelles, étant de plus en plus amples géographiquement, sont de plus en plus abstraites du rythme saisonnier annuel. Avec le passage du lignage à la société rurale, aux ensembles régionaux, aux nations, au monde tout entier comme cadre de référence, les seules périodicités conservées sont relatives à des cycles festifs complexes que de nombreux facteurs contribuent à fixer et où le rythme hebdomadaire sera bientôt le seul à subsister universellement. Et sans doute serait-il possible de mettre en évidence une fois de plus combien le souci d'ajustement aux contraintes culturelles et psychologiques qu'elles engendrent est démarqué, on pourrait presque écrire indépendant, d'une notion d'adaptation au sens où l'entendent les physiologistes tant au niveau de l'individu qu'à celui du groupe. LE SEVRAGE. Sur un autre plan encore, le comportement alimentaire de l'Homme semble satisfaire difficilement les exigences de sa physiologie, et il s'agit même d'un domaine propre à le caractériser par rapport aux autres animaux : celui de sa très longue enfance, au cours de laquelle son développement physique est étroitement lié à sa nutrition. Il est de notoriété publique que, dans les sociétés traditionnelles, la mortalité infantile atteint un taux élevé au cours de la période du sevrage et sans doute s'agit-il ici d'un des rares universaux en matière d'alimentation humaine. Alors qu'il est encore au sein dans des conditions de « nature », le nourrisson prospère dans la plupart des cas; dès qu'il est sevré et pénètre dans l'aire d'influence de la culture où il a vu le jour, il accède à une période dangereuse de son existence. Au traumatisme créé par sa séparation plus bu moins brutale de la mère, vient s'ajouter une alimentation qui lui est peu familière et qui est généralement mal adaptée aux exigences de sa croissance, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif. On voit souvent apparaître des symptômes de maladies nutritionnelles — kwashiorkor, marasme — principalement dues à l'inadéquation du régime sur le plan protéique mais qui n'excluent pas dans certains cas son insuffisance calorique. L'Homme, sa culture, se substituent ici à la nature, en décidant, selon des normes qui sont particulières à chaque groupe, du moment du sevrage et en prescrivant les aliments qui devront être utilisés par le bébé. Il est frappant de voir combien peu de sociétés humaines ont été aptes à mettre au point ou à utiliser un aliment de sevrage adéquat sur le plan nutritionnel. La sagesse populaire, que l'on imaginerait tout de même 77 Igor de Garine influencée par les « pulsions alimentaires instinctives » de l'Homme, fait preuve dans ce domaine du plus grand arbitraire. L'enfant est généralement introduit à l'aliment de base de la communauté, celui qu'elle considère comme son pain quotidien « offert par les dieux ». Tant mieux pour l'enfant si celui-ci renferme un taux élevé de protéines — tant pis pour lui s'il s'agit du manioc ou de la banane. Dans le meilleur des cas, on s'efforcera de lui fournir un aliment blanc symboliquement équivalent au lait féminin. C'est, par exemple, le cas du « lait de pain de singe » obtenu à partir de la pulpe du baobab ou des bouillies claires de mil pénicillaire, légèrement fermentées, que l'on observe au Sénégal. Sans doute les rituels traditionnels jouent-ils un rôle efficace en adaptant les futurs adultes à leur aliment de base, mais ils manquent de souplesse et jouent un rôle inverse en ce qui concerne l'alimentation infantile dont on ne reconnaît généralement pas les exigences protéiques — hors du sein maternel, pas de salut. On est en droit de se demander pourquoi les sociétés humaines qui ont été capables de reconnaître et d'éliminer les principes toxiques présents dans de nombreux tubercules, afin d'en faire leur aliment de base, se sont révélées dans la plupart des cas incapables d'appréhender les exigences nutritionnelles des petits de leur espèce. Si l'on est à la recherche d'une finalité ou d'un processus destiné à maintenir une certaine homéostasie, on ne peut éliminer l'hypothèse que la mortalité infantile élevée que l'on observe dans la plupart des sociétés traditionnelles et qui, dans les cas extrêmes comme ceux des populations arctiques (Eskimos) ou insulaires (Marquises), peut aller jusqu'à l'infanticide, soit un dispositif de sécurité ajustant l'expansion démographique aux ressources du milieu et autorisant au prix d'un prélèvement constant au niveau des jeunes le maintien à long terme de la société dans les limites de son territoire. S'en tenir à ce genre d'explication méconnaîtrait toutefois certaines caractéristiques originales des sociétés humaines : leur mobilité, leur capacité à suppléer par l'échange l'insuffisance des ressources du milieu qu'elles occupent. Sans doute, dans le cas de l'alimentation de sevrage, peut-on plaider l'ignorance. Ignorance des exigences nutritionnelles infantiles, mais aussi vision confuse des relations qui existent entre la consommation alimentaire, la croissance, la santé. On notera au passage que les sociétés prémachinistes n'ont pas le monopole de la confusion en matière de nutrition. Pendant très longtemps, l'embonpoint et l'obésité sont apparus comme des manifestations positives : que l'on pense au jeune enfant de la bourgeoisie occidentale bourré de bouillie à l'office..., que l'on pense aussi aux femmes des populations sahariennes (Maures, Touareg) dont on valorise, recherche et fabriquait, jusqu'à une période récente, l'obésité, signe de prestige dans un contexte où le milieu naturel exige à la fois l'agilité et la frugalité. Sans doute s'agit-il là d'un des exemples les plus aptes à mettre en évidence le caractère « ludique » des relations de l'Homme au milieu naturel, et la prééminence accordée à des standards sociaux, ici de prestige, en contradiction flagrante avec les contraintes écologiques. On peut aller plus loin et constater qu'en matière nutritionnelle, l'Homme est un snob, capable de refuser de faire usage des connaissances qu'il possède et qui pourraient, dans certains cas, améliorer sa santé ou même lui sauver la vie. L'exemple du végétarisme auquel se condamne une fraction importante de la population indienne est trop connu pour que l'on y 78 Culture et nutrition insiste; mais les systèmes de prohibitions et de préférences alimentaires qui caractérisent de façon originale la plupart des sociétés humaines fournissent tous des exemples où des choix qui apparaissent positifs sur le plan de la culture ont des conséquences négatives sur le plan biologique, en particulier lorsqu'ils concernent les groupes dits vulnérables —■ femmes enceintes, allaitantes, enfants, vieillards et malades. ADAPTATION AU MILIEU ET SELECTIVITE ALIMENTAIRE. NÉCESSITÉ D'UNE APPROCHE COMPARATIVE. Il est moins fréquent de signaler l'important décalage qui existe entre les ressources vivrières connues et celles qui sont utilisées. Sans doute la rigueur de l'exploitation est-elle dans une large mesure conditionnée par celle des exigences de survie et les Eskimos tirent-ils un parti plus exhaustif des ressources qui leur sont offertes que des sociétés situées dans un milieu plus clément que l'Arctique. Même les Boschimans, qui occupent une zone aussi déshéritée, sont très sélectifs dans les choix alimentaires qu'ils effectuent et sont loin d'utiliser avec un égal enthousiasme toutes les ressources disponibles. Les Kung connaissent et nomment 200 espèces de plantes, 220 d'animaux, parmi lesquelles ils considèrent comme comestibles 85 espèces des premières, et 54 des secondes. Toutefois, 9 espèces seulement fournissent l'essentiel de l'alimentation végétale, dont la noix de ricinodendron, véritable pain quotidien (28). Un autre groupe, les Gwi, est tout aussi sélectif et n'utilise de façon constante que 13 espèces végétales, d'ailleurs différentes de celles des Kung (29). Les Hadza, étudiés par Woodburn, se contentent de 10 espèces majeures (30). Les sociétés agricoles utilisent une gamme encore plus restreinte. C'est ainsi que, chez les Massa du Tchad et du Cameroun, les aliments consommés de façon courante se réduisent à moins d'une dizaine (31). On notera aussi que la plupart des adultes restreignent dès qu'ils atteignent l'âge de la responsabilité leur régime en l'amputant de tous les produits de cueillette qu'ils utilisaient au cours de leur enfance et qu'il est devenu dorénavant approprié de classer dans les a cochonneries ». Il faut un long détour pour retrouver une valorisation de l'ortie ou des bulbes de nénuphar telle qu'elle apparaît dans la cuisine « écologique-minceur » de notre société française contemporaine. Les tenants de l'écologie culturelle (32) qui traitent des sociétés marginales situées dans des milieux naturels fréquemment contraignants ont souvent tenté de montrer que tel groupe, connu comme une entité isolée, tire toujours un parti honorable du milieu dans lequel il est inséré, le niveau de réussite auquel il parvient sur le plan vivrier étant conditionné par son niveau de connaissances, la technologie dont il dispose et peut-être une sagesse profonde qui l'empêche de compromettre de façon irrémédiable l'équilibre de l'écosystème dans lequel il se maintient à petits pas. Sur ce dernier point, l'expérience contemporaine que l'on possède des chasseurs/ cueilleurs montre que les précautionneux Tasaday (33) qui, grâce à une véritable planification de l'usage des produits de cueillette, animaux et 79 Igor de Garine végétaux, parviendraient à vivre cantonnés dans un territoire étonnamment restreint pour des chasseurs /cueilleurs, constituent l'exception. Dans la plupart des cas, l'inefficacité relative des techniques de capture assure la sécurité des espèces sur lesquelles s'effectue la prédation; mais combien de sociétés de chasseurs anéantissent sans pitié les femelles gravides qui tombent entre leurs mains, combien de pêcheurs, s'en remettant à la bienveillance de la divinité des eaux, écument jour après jour les rares trous d'eau qui subsistent dans les fleuves africains au cours de la période d'étiage. Sans doute peut-on aussi évoquer ici les interprétations aujourd'hui justement critiquées (34) que donne M. Harris de l'attitude des juifs et des musulmans vis-à-vis du porc, lesquelles mettent au premier plan la mauvaise adaptabilité du pauvre animal au genre de vie des nomades et le souci de préserver l'équilibre d'un écosystème fragile, pour ne point évoquer les arguments dits sanitaires qui créditent les populations sémites de connaissances sur la trichinose qui n'ont été acquises qu'en 1860 (35). Le problème n'est pas de montrer le parti vivrier qu'une société isolée peut tirer du milieu, mais les différentes solutions que diverses sociétés peuvent adopter à partir d'un milieu naturel homogène sur le plan de la production vivrière. Des nuances difficilement perceptibles au niveau de la composition des sols agricoles, du relief ou de l'irrigation suffisent à provoquer des différences très réelles au niveau de la consommation alimentaire. C'est au niveau des micro-systèmes écologiques que se situe la compréhendion de l'intégration vivrière d'une communauté dans son milieu. En 1960, sans l'arrondissement de Thienaba, Sénégal, avant la période de sécheresse actuelle, les villages seréré situés en bordure de « marigots » d'étendue et de profondeur médiocres tiraient de la pêche sporadique qu'ils y pratiquaient un régime sensiblement plus riche en protéines animales que la moyenne des autres villages, pourtant peu éloignés (36). Dans les populations du Nord-Cameroun et du Tchad, l'accès aux rives du Logone, aux tacs du Mayo Kebbi, se répercute lourdement sur le régime alimentaire des unités villageoises, tant à cause des possibilités offertes à la pêche et à l'agriculture, en raison de la nature des sols et de l'irrigation, que dans le domaine de l'élevage grâce à la permanence des pâturages. Sans doute est-il exact que dans une certaine mesure l'écologie influe sur les choix culturels, mais encore faut-il se garder des explications trop simplistes. Dans la région du Nord-Cameroun et du Tchad que nous connaissons, existe-t-il sur le plan vivrier davantage de similitudes entre deux villages riverains du cours d'eau, appartenant à deux ethnies différentes, qu'entre deux villages appartenant à une même ethnie mais dont l'un est situé au bord de l'eau et pas l'autre? Le problème est difficile à trancher et exige une analyse locale minutieuse qui implique aussi un recours à la micro-histoire. Deux possibilités se rencontrent dans le cas de sociétés occupant une même zone géographique. Elles disposent ou non du même corpus de connaissances et elles ont ou non développé la même technologie. Les exemples abondent de sociétés contiguës qui occupent une même zone et ont adopté des genres de vie, donc des styles alimentaires, différents. Il faut se montrer très prudent ici, car dans la plupart des cas des populations diverses situées dans une même zone géographique y occupent 80 Culture et nutrition de fait des micro-milieux distincts, appropriés aux productions vivrières qu'ils ont élues. Sans doute peut-on parler de réciprocité de perspective entre milieu et stratégie vivrière. Il n'en reste pas moins que les Turkana, éleveurs riverains du lac Rudolf au Kenya, pourraient y pratiquer la pêche ou tout au moins en consommer le poisson, s'ils n'y voyaient, comme beaucoup d'autres pasteurs, une abomination et un dernier recours (37). Le district de Mangola en Tanzanie, à proximité du lac Eyasi, est occupé par des sociétés traditionnelles contiguës dotées de genres de vie sensiblement différents : les Hadzapi — chasseurs /cueilleurs ; les pasteurs datoga — nomades; les Iraqw — qui ont une économie sédentaire agro-pastorale; des groupes swahili — dont l'économie essentiellement agricole est différente des précédents; enfin des groupes qui, à des degrés divers, exploitent les eaux du lac Eyasi, et l'on serait tenté de suggérer qu'ils occupent dans un même écosystème des niches écologiques différentes (38). Sans doute peut-on voir une spécialisation analogue à celle que l'on observe chez les animaux et qui permet une occupation plus dense du milieu. Le rapprochement avec le reste du règne animal ne saurait être poussé trop loin. Un examen suffisamment précis montre que les groupes voisins dont il vient d'être question sont en rapport de compétition, plutôt que de complémentarité vivrière. Sur un plan plus général, une société traditionnelle ne saurait être assimilée à une espèce animale dotée de caractéristiques alimentaires spécifiques et imperméable au comportement des espèces voisines, bien au contraire (39). Il n'existe pas de société humaine totalement isolée; qu'il s'agisse des Boschimans ou des Pygmées (40), elles sont toutes en relation d'échange avec des sociétés voisines et les Tasaday, sur le plan matrimonial, ne faisaient pas exception à la règle (41). D'autre part, quel que soit son volume, elle est elle-même composée de groupes, d'entités qui sont suffisamment hétérogènes ou conçues comme telles pour pouvoir dialoguer et échanger. Il est plus fécond de comparer entre elles des sociétés voisines situées dans un même milieu naturel et dotées du même bagage technologique (voir tableau 2 en annexe). Les différences qui seront éventuellement constatées manifesteront un parti pris culturel plutôt qu'un conditionnement imprescriptible par les contraintes du milieu, conception qui autorise à adopter la même problématique que dans le cas des sociétés animales. FONCTION SOCIALE DE L'ALIMENTATION. Les populations du Nord-Cameroun et du Tchad (Massa, Moussey, Toupouri), dont nous avons souvent traité (42), répondent aux critères évoqués. Elles vivent en étroite contiguïté géographique dans un même milieu naturel, elles disposent de la même technologie, sont informées de leurs cultures respectives, elles s'intermarient fréquemment et, comme on l'a montré par ailleurs, possèdent dans une large mesure une origine généalogique commune (43). L'usage alimentaire que font ces groupes des ressources qui sont à leur portée est pourtant distinct. Ils n'accordent pas la même priorité aux activités qui permettent l'acquisition ou la pro81 Igor de Garine duction de produits vivriers — chasse, pêche, agriculture et élevage. Ainsi, par exemple, les Massa valorisent davantage la pêche et l'élevage que l'agriculture ; les Moussey — l'agriculture et la chasse ; les Toupouri — l'agriculture et l'élevage. On est en droit de considérer que si le but essentiel de ces sociétés était de rechercher la plus grande efficacité nutritionnelle par rapport aux investissements en énergie, par exemple, on aurait dû voir la meilleure solution se répandre dans chacun des groupes. C'est ainsi que l'on aurait pu voir émerger la meilleure variété de sorgho et assister, par exemple, à l'adoption du sorgho repiqué de saison sèche (Sorghum durrha — le babouri dans la terminologie foulbé) dont les rendements sont très élevés partout où des terres hydromorphes leur convenant sont disponibles. Il n'en a rien été. Chacun des groupes possède sa propre gamme de sorgho et n'accorde pas la même priorité aux variétés disponibles. Loin de tirer profit du babouri, certains Massa respectaient jusqu'à il y a peu de temps un interdit absolu sur sa culture. Les Moussey ont attendu une période récente pour se mettre à l'élevage des bovins alors qu'ils se livrent depuis très longtemps à celui des chèvres, des moutons et du cheval, ce qui montre bien que la présence des glossines ne leur interdisait pas ce type d'élevage. Inversement, les Moussey cultivent en abondance des pois voandzou (Voandzeia subterranea), des haricots et du sésame, ce qui n'est pas le cas des Massa ni des Toupouri qui pourraient facilement le faire et améliorer ainsi la composition protéique et lipidique de leur régime. Sur le plan de la consommation, on distingue entre chacun de ces groupes des nuances très perceptibles dans la gamme des aliments qui sont le plus fréquemment consommés, de ceux qui sont inclus dans le rituel, enfin de ceux qui font à divers titres l'objet d'une préférence commune. Chaque société possède ses aliments de base, fortement valorisés sur le plan symbolique, et pas seulement, comme l'écrit Lee, en fonction de « ... leur abondance, de leur facilité de production ou de leur qualité nutritionnelle (44) ». La sérénité de ce genre d'explication est le plus souvent troublée par ce que nous avons appelé « l'arbitraire culturel ». Les comportements alimentaires constituent l'un des registres qui autorisent une société à affirmer et à afficher sa cohésion, ils ont une valeur démarcative et nourrissent les stéréotypes xénophobes qu'entretient chaque culture vis-à-vis de ses voisines. Ce n'est pas par hasard que la cuisine figure au premier plan dans la panoplie des revendications régionales. Les changements de comportement alimentaire auxquels nous assistons depuis vingt ans dans le Nord-Cameroun montrent que ce sont des modifications de la structure politique et sociale, sans doute liées à l'économie mais qui sont essentiellement de l'ordre de la culture, qui se répercutent sur la consommation alimentaire. Il s'agit plutôt d'une agression des modèles extérieurs aux sociétés que d'une évolution progressive tendant à assurer un équilibre dans un milieu naturel lentement modifié. Les Massa, comme la plupart des populations non musulmanes de la région qui nous intéresse, ont pendant des centaines d'années lutté militairement pour leur survie physique et leur authenticité culturelle et ont, sur le plan vivrier, préservé un style original étayé par un important corpus de symboles et croyances traditionnels, dont cet interdit, respecté jusqu'à une période récente par les Massa de Guisey : la culture du babouri. 82 Culture et nutrition Ce groupe connaissait les façons culturales de cette variété et possédait les terres hydromorphes qui leur sont nécessaires, mais a pendant longtemps refusé d'adopter une culture qui aurait doublé sa récolte et considérablement atténué l'acuité de la période de soudure. Mais la terre de Guisey (nagata), conçue comme une entité féminine, ne tolérait pas sur son corps la présence d'une telle récolte étrangère et eût provoqué, avant la récolte, la mort de tout novateur irrespectueux. Il n'est pas indifférent que les Massa de Guisey soient précisément ceux qui se trouvent directement en contact avec les Toupouri et le plus fortement influencés par ce groupe dynamique dont le sorgho repiqué de saison sèche (sans doute emprunté aux Foulbés) est un des atouts économiques majeurs. Refuser de doubler la récolte de céréales et d'adopter un trait culturel positif sur le plan de l'adaptation biologique permet de s'affirmer comme « Massa » face à la pression toupouri et de se maintenir en tant qu'entité culturelle et génétique. Le cas présenté n'est sans doute pas isolé et l'on doit envisager ce genre d'usage non nutritionnel de l'alimentation destiné, comme l'écrit M. Sahlins (45), à « favoriser les chances de vie sociale » dans le cadre d'une culture conçue comme une entité autonome. Il semble qu'au-delà des déterminismes imposés par le milieu, se manifeste au niveau de chacune des cultures un souci d'utiliser l'alimentation pour affirmer et afficher sa cohésion interne et son hétérogénéité par rapport aux cultures voisines. Il apparaît aussi qu'au sein de chaque culture globale les aliments et les plats sont utilisés pour expliciter des écarts différentiels entre les différents groupes opérant dans la société et entre les diverses catégories d'individus. On peut donc émettre l'hypothèse que la raison d'être de ces écarts différentiels ne se situe pas sur le plan de la biologie mais sur celui de la culture, en opérant dans le domaine de l'alimentation comme la prohibition de l'inceste dans celui de la sexualité, et en provoquant « le passage du fait naturel de la consanguinité au fait culturel de l'alliance (46) ». La différenciation des attitudes et des comportements alimentaires tout à la fois contribue à marquer la cohésion du groupe d'origine et à maintenir entre les individus et les groupes sociaux et les cultures une hétérogénéité qui favorise la communication et l'échange sans lesquels il ne peut exister de société humaine. l'évolution contemporaine, conséquences culturelles et biologiques. On assiste aujourd'hui à un profond bouleversement de la situation que nous venons de décrire. Les Massa du Cameroun tendent depuis une dizaine d'années à modifier leurs habitudes alimentaires, à abandonner le sorgho rouge hâtif qui était leur aliment de base pour le riz qu'à l'origine ils ont été obligés de cultiver industriellement, et pour le sorgho blanc repiqué tardif. C'est précisément chez les Massa de Guisey, jadis réfractaires mais qui occupent des sols appropriés, que se développe le plus rapidement cette dernière récolte. Que s'est-il passé? Assaillis de toute part par des 83 Igor de Garine modèles extérieurs et profondément découragés par leur infériorité matérielle, les Massa ont tout simplement renoncé à défendre leur autonomie culturelle. Ils cèdent aux influences conjuguées du développement économique moderne, des contraintes politiques qui l'accompagnent et de l'Islam, toutes trois exercées par l'intermédiaire des populations islamisées et en particulier des Foulbés, qui ont jadis dominé militairement la région et jouissent aujourd'hui de la sympathie gouvernementale. Ils exercent une influence prédominante dans tous les domaines et constituent le modèle culturel envié dans toute la zone par les non-islamisés. La réussite politique, économique et sociale implique pour un Massa de s'adapter aux circuits qu'ils contrôlent et de devenir un vrai Foulbé; de même qu'il abandonne volontiers sa propre langue pour le f ufuldé ou s'efforce d'emprunter le style vestimentaire des islamisés, il adopte leur comportement alimentaire. C'est ainsi que le riz, qui était méprisé, car une variété sauvage (Oryza barthii) constituait jadis un aliment traditionnel d'appoint, est aujourd'hui apprécié et que l'on assiste à une dévalorisation parallèle du sorgho rouge (Sorghum caudatum) au profit des variétés à farine blanche. C'est ainsi que l'intensification des circuits commerciaux et la monétarisation de l'économie permettent à des denrées importées d'entrer dans le régime, surtout si elles ont déjà été adoptées par les islamisés et les salariés. Et c'est un lieu commun de montrer qu'il n'en résulte pas une amélioration de la valeur diététique du régime ni de sa régularité. Comme ailleurs, on voit s'afficher les préférences pour le riz blanchi, les ragoûts de viande baignant dans l'huile et les sucreries. En revanche, il apparaît une désaffection vis-à-vis des farines traditionnelles colorées ou non blutées et l'on dédaigne les produits de cueillette ou même le poisson séché, réminiscence d'une époque rétrograde que l'on désire considérer révolue. L'évolution à laquelle on assiste est une véritable mutation qui dépossède les cultures traditionnelles du rôle de cadre prépondérant de l'activité humaine qu'elles assumaient depuis toujours, au profit d'ensembles infiniment plus vastes. L'évolution du comportement alimentaire est le reflet de celle qui se produit au niveau des structures sociales : le passage des groupes lignagers à la société villageoise puis régionale, enfin à la nation, elle-même intégrée dans la société mondiale. Elle substitue aux déterminismes géographiques et écologiques qui pèsent sur l'alimentation des exigences qui sont essentiellement économiques et même purement monétaires, largement affranchies du milieu ambiant et de la saisonnalité. A des clivages géographiques verticaux en entités cohérentes, on voit se substituer des clivages horizontaux en catégories socio-économiques universelles largement affranchies du milieu ambiant mais où un symbolisme nouveau, et pas nécessairement mieux ajusté aux exigences nutritionnelles, continue d'opérer. Un autre aspect encore incite à la circonspection. Sans doute la satisfaction du besoin primaire de la nutrition est-il un secteur prioritaire de l'activité des individus et des sociétés. Mais il n'est pas clos. Il intéresse la plupart des domaines d'activité d'une société tant sur le plan de la culture matérielle qu'au niveau des systèmes de représentation. En conséquence, les modifications qui sont susceptibles d'apparaître dans ce domaine ne sont pas limitées à des emprunts matériels circonscrits, dont l'intérêt est évident selon des critères objectifs, la plupart du temps distincts de 84 Culture et nutrition ceux qui opèrent dans les sociétés sous considération. Ce sont en réalité des pans tout entiers de la culture qui changent et dans lesquels peuvent être inclus des comportements relatifs à la production et à la consommation alimentaires. Dans l'exemple que nous avons emprunté au Nord-Cameroun, on peut dire que, globalement, l'adoption du modèle foulbé permet aux individus appartenant à des cultures traditionnelles moins dynamiques d'acquérir une certaine aisance dans le cadre des nouvelles structures politiques, économiques et sociales qui sont celles de la province du Nord-Cameroun et de la nation camerounaise. Cette évolution consomme l'anéantissement plus ou moins complet de la culture traditionnelle dont l'actualisation dépassait rarement le niveau du clan, et de la plupart des valeurs qui la caractérisent. Cet ajustement, dont on peut discuter l'utilité sur le plan de la survie économique et politique à count terme, peut, à long terme, avoir des conséquences négatives imprévues sur le plan biologique. En effet, l'adoption de ces modèles ne se limite pas à la culture matérielle, au comportement alimentaire. S'il n'intéresse pas encore au premier chef le comportement matrimonial et sexuel, qui reste fidèle à un système traditionnel à dot élevée relativement rigide sur le plan de la liberté sexuelle, valorisant la multiplication des enfants, on risque d'assister à une modification de ce domaine dans le sens d'un relâchement des moeurs sexuelles, caractéristique des populations islamisées du Nord-Cameroun (47). Sans doute apparaîtra-t-il gratifiant au niveau individuel et apte à assurer une mobilité accrue à des individus appelés à participer à des structures sociales et territoriales plus amples que par le passé. Cette évolution comporte des séquelles qui caractérisent aussi bien les sociétés islamisées que les groupes « animistes » qui, tels ceux de l'Adamaoua (48), subissent depuis longtemps leur emprise : liberté sexuelle des deux sexes, fragilité des mariages, fréquences des maladies vénériennes et des avortements — autant d'éléments qui amènent une diminution de la fécondité, dont il serait paradoxal d'affirmer qu'elle soit une manifestation positive de l'évolution génétique des Massa en tant que population, et qui accéléreront sa disparition aussi bien en tant qu'entité biologique que culturelle (49). CONCLUSION. Nous ne saurions nous montrer indûment optimiste et accepter la proposition selon laquelle « les hommes tendent à adopter des comportements qui favorisent la propagation de leurs gènes (50) ». Sur le plan de l'alimentation, il semble que l'évolution contemporaine vise à privilégier des comportements qui augmentent la cohésion et l'identité culturelle, conçue non pas comme la recherche d'un équilibre dans un écosystème peu perturbé, mais mouvante et guerrière dans un cadre social amplifié qui s'efforce de devoir le moins possible au milieu naturel et risque peut-être de ne plus satisfaire aux exigences biologiques minimales. A privilégier la consommation du riz poli, du manioc, du sucre et du 85 Igor de Garine corned beef en même temps qu'ils diminuent, peut-être par morosité, leur niveau d'activité physique, la plupart des Polynésiens manifestent aussi bien l'anéantissement de leur culture que la détérioration d'un équilibre nutritionnel tirant jadis un parti honorable de leur milieu, et sont parvenus bien près de l'anéantissement aussi bien sur le plan biologique que culturel. Ils ne sont pas les seuls. Nous nous sommes efforcé d'esquisser à propos de l'alimentation la complexité des rapports qui existent entre l'environnement naturel, la physiologie humaine et la culture. L'originalité relative et la complexité des sociétés humaines incitent à manipuler avec prudence un concept comme celui d'adaptation. S'il est difficile d'émettre une opinion sur la valeur adaptative des comportements culturels, il apparaît nécessaire d'envisager l'ajustement des organismes humains à leur milieu aussi bien dans une perspective culturelle que biologique. Il est toutefois encore trop rare qu'une telle approche soit conduite conjointement et avec une minutie suffisante. Sans doute est-il à la page de rechercher à propos de l'alimentation « les interférences bioculturelles » mais, si l'on désire éviter de se borner à privilégier certains aspects de la réalité, qu'il s'agisse des thèmes alimentaires dans la mythologie traditionnelle, de la valeur nutritionnelle du régime ou de l'évaluation de la biomasse, selon les aptitudes de chacun, il est nécessaire d'établir les faits. C'est-à-dire de décrire l'alimentation et la nutrition de groupes humains précis et sans doute limités, dans toute leur complexité et selon le maximum de perspectives possibles, puis d'examiner les liaisons possibles entre les différents ordres de phénomènes observés. Montrer les relations entre l'environnement naturel, la production vivrière, la technologie alimentaire, la consommation et les conséquences physiologiques de cette dernière paraît un domaine rebattu; on peut aller plus loin et examiner les liaisons qui existent entre l'alimentation et les différents systèmes qui opèrent dans la culture sur le plan économique, social ou — pourquoi pas — esthétique, aussi bien au niveau de la réalité vécue qu'à celui de la mythologie. Il est pourtant bien rare qu'une telle tentative ait été effectuée de façon systématique, repose sur des données quantifiées suffisantes et accorde aux différentes approches une importance équivalente. Le Programme biologique mondial ne fait pas exception en la matière (52) et nous sommes encore loin d'une collaboration pluridisciplinaire, on serait tenté d'écrire d'une « tolérance interdisciplinaire », qui autorise le développement d'une véritable anthropologie de V alimentation. Igor de Garine Centre national de la recherche scientifique. BIBLIOGRAPHIE (1) Ruyle (E. E.), Cloak (J. F. T.), Slobodkin (L. B.) et Dukham (W. H.), 1977, « The adaptative significance of cultural behaviour: comments and reply », Human Ecology, vol. 5, n° 1, p. 53. (2) Durham (W. H.), 1976, « The adaptative significance of cultural behaviour », Human Ecology, 4, p. 97-99. 86 Culture et nutrition (3) Durham (W. H.), 1976, op. cit., fig. I C. (4) FAO /OMS, 1973, Besoins énergétiques et Besoins en protéines, rapport d'un comité spécial mixte FAO /OMS d'experts, rapport FAO n° 52, Rome, rapport OMS n° 522 : 45. — , 1974, Manuel sur les besoins nutritionnels de l'Homme, Études nutr. 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(59) Garine (I. de) et Koppert (S.), 1976, Enquêtes alimentaires, inédites, en cours de dépouillement. 90 i Culture et nutrition TABLEAU 1 VARIATION DE LA CONSOMMATION ALIMENTAIRE DANS DIFFÉRENTES RÉGIONS DU MONDE K. calories Protéines totales (g) Protéines animales (g) Glucides (g) Lipides (g) Eskimo* (53) Barter Island (hiver) (été) Anaktuvuk Pass (été) Nouvelle- Guinée (54) Waropen (Nubuai) : côte Chimbu (Pari) : montagne Chimbu (Wandi) : montagne Kaul : côte Lufa : montagne (55) Afrique ** Kung (Bosuhimaus) (56) — Savane (57) Khombole, Sénégal Mobas, Togo Cabrais, Togo Golompoui, Cameroun — Zone forestière Evodula, Cameroun Batouri, Cameroun Douala, Cameroun — Altitude Chiga, Ouganda France rurale (58) Bretagne septentrionale Marais vendéen Haute Marne Adour Gard 3 800 3170 4 650 160 157 199 160 157 199 418 380 357 164 176 257 1460 1900 2 050 1944 2 523 9 20 28 36,9 47,1 7 0 3 9,1 9,5 347 0 425 366 529 ?'i ? 39 29 2140 93,1 32,1 337 j> 2 028 1601 1797 2 220 62,8 49,7 55,4 85,1 20,2 2,9 3,2 13,1 299 284 332 408 75,6 31 36 28 1634 1611 1719 40,1 31 54,5 11 10 31 251 336 245 53,7 16 56,7 0,2 398 12,5 51 37,2 46,8 51,2 40 486 378 464 443 358 133,5 90,6 92 107,5 73 2 051 102 3 980 2 973 3158 3 220 2 690 111 86,3 113,6 108,2 88 * Les ** Leschiffres chiffresqui quisuivent suivent<concernent la population mâle adulte. concernent la moyenne générale. 91 Igor de Garine TABLEAU 2 VARIÉTÉ DU RÉGIME DANS DEUX ENCLOS APPARTENANT A DEUX POPULATIONS VOISINES SITUÉES DANS LE MÊME MILIEU ET DOTÉES DES MÊMES MOYENS ALIMENTATION DE SAISON SÈCHE (AVRIL 1976) PER CAPITA (59) Massa (Kogoyna) Farine de sorgho rouge (Sorghum caudatum) Farine de mil pénicillaire Feuilles séchées de faux sésame (Cerathoteca sesamoides) Gombo sec (Hibiscus esculentus) Poisson frais Huile de poisson Sel minéral Total Protéines totales : 100,5 Poids (g) /\". calories Protéines végétales 28,4 15,8 Protéines animales 326,8 142,5 1144 486 0 0 4,4 31,5 327,2 11,1 1,45 844,95 11 89 543 100 0 2 373 0,9 3,4 0 0 0 48,5 0 0 52 0 0 52,0 560 20 1960 53 56 4,6 0 0 14 3 2 51 8 6 2,6 0,6 0,2 0 0 0 4 20 20 26 15 1,9 2 53 21 30 23 0 0 0 0 — 0 0 0 10,5 3,8 4 2,3 0 0 64,0 0 20,6 Moussey (Bigui) Farine de sorgho rouge (Sorghum caudatum) Haricots (Vigna unguiculata) secs Poids voandzou (Voandzeta subterranea) Feuilles séchées de faux sésame Gombo sec Fruit de tamarinier (Tamarindus indica) Poisson sec Poisson frais Viande de poulet Viande de chèvre Sel minéral Sel d'origine végétale (graminées calcinées) Total Protéines totales : 84,6. 92 1,67 687,57 0 2 207