Communications
Culture et nutrition
Monsieur Igor De Garine
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De Garine Igor. Culture et nutrition. In: Communications, 31, 1979. La nourriture. Pour une anthropologie bioculturelle de
l'alimentation. pp. 70-92;
doi : 10.3406/comm.1979.1470
http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1979_num_31_1_1470
Document généré le 21/03/2017
Igor de Garine
Culture
et
nutrition
ALIMENTATION ET ADAPTATION.
La satisfaction des besoins alimentaires est une condition indispensable
de la survie des êtres vivants. L'Homme semble avoir résolu ce problème
de façon un peu différente de ce que l'on observe chez les autres animaux.
Il doit à sa physiologie généreuse d'omnivore et à son caractère d'animal
social doté de culture, de la fonction symbolique et recréant un
microenvironnement qui lui est favorable (puisqu'il est « industrieux »), la
possibilité de pouvoir subsister aussi bien à proximité du cercle polaire que dans
les forêts équatoriales. On peut toutefois se demander si les efforts qu'il
accomplit pour s'ajuster aux normes qui sont sécrétées par sa culture et qui
relèvent de la symbolique sont toujours dans le droit fil de son adaptation
optimale sur le plan biologique, à court terme en tant qu'individu,
à long terme en tant qu'espèce animale. Les engouements d'un écologisme,
venu cette fois d'outre-Atlantique mais dont les accents bien
antérieurs à Rousseau retentissent de façon périodique, suggèrent aujourd'hui
que ce n'est pas le cas, et l'on tremble à l'idée de s'approcher d'un champ
où s'affrontent de façon aussi véhémente tant de puissants esprits. Si
l'on peut admettre, avec E. E. Ruyle, que l'évolution biologique et
culturelle sont toutes deux caractérisées par « l'adaptation » (dans la mesure
où ce terme désigne, au sens le plus large, un ajustement — fit — entre un
organisme et son environnement), dans le cas de l'évolution biologique
et génétique, le mécanisme évoqué est la sélection naturelle et la
reproduction différentielle des individus; le critère de la sélectivité étant celui de
l'adaptation globale, principalement biologique (inclusive fitness) (1).
Les choses sont plus complexes en ce qui concerne le domaine de la
culture, dans laquelle seuls sont conservés les traits et les comportements
qui apportent une « satisfaction » à un besoin mais qui, elle, peut n'avoir
aucune incidence biologique. Il est difficile d'affirmer une fois pour toutes
que l'évolution biologique et l'évolution culturelle sont étroitement
alignées et peut-être l'originalité de l'Homme se trouve-t-elle précisément
dans une certaine discontinuité. L'ajustement au milieu social peut être,
dans une large mesure, indépendant de l'ajustement au milieu naturel.
Ce dernier est d'ailleurs de façon croissante un milieu modifié, et souvent
de façon chaotique, par l'action de l'Homme. Même un partisan de
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la « signification adaptative des comportements culturels », comme
W. H. Durham (2) est amené, après avoir suggéré que « les Hommes
tendent à adopter des comportements qui favorisent la propagation de
leurs gènes », à reconnaître qu'il y a certainement des activités culturelles
peu coûteuses (low-cost) qui ne contribuent presque pas à améliorer
« l'adaptation globale » des individus et des groupes (3). Nombreux sont les
comportements alimentaires qui entrent dans cette catégorie.
STYLES ALIMENTAIRES ET BESOINS NUTRITIONNELS.
L'expérience ethnographique apporte une contribution utile en amenant à
considérer le comportement alimentaire des hommes avec une certaine
circonspection. Elle plaide en faveur d'une approche systématique
pluridisciplinaire de l'alimentation et de la nutrition, à laquelle contribueraient
aussi bien les spécialistes des disciplines confondues sous le terme de
« sciences sociales » que ceux des sciences biologiques. Elle suggère qu'en
dépit de la multiplicité des paramètres qui doivent être pris en
considération, l'alimentation et la nutrition des hommes doivent être approfondies
aussi bien dans le cadre des sociétés humaines vivantes que dans celui du
laboratoire et par cobaye interposé. Sans doute concédera-t-on qu'aucun
animal ne possède une société et surtout une culture dont la complexité
approche celle de l'Homme. Pourtant, nous en sommes encore à envier
les descriptions que fournissent nos confrères primatologues du
comportement alimentaire des animaux qu'ils étudient.
Les sociétés traditionnelles contemporaines nous donnent, pour
quelques années encore avant d'être agglutinées par la société industrielle
internationale, une idée de la gamme et de l'extraordinaire variété des
solutions apportées en réponse au besoin alimentaire, ceci à tel point que,
si l'on comparait dans le monde animal deux variétés dotées de régimes
alimentaires aussi différents que le sont ceux des Eskimos et des
montagnards de Nouvelle-Guinée, on aurait le sentiment d'être en présence de
deux espèces appartenant à des genres, voire à des familles différentes
(voir tableau 1 en annexe).
A condition de satisfaire certains besoins en nutriments et de maintenir
entre les différents éléments de sa ration certaines constantes, telles que le
pourcentage de calories d'origine protéique par rapport aux calories totales,
l'Homme peut prospérer aussi bien à partir d'un régime essentiellement
carné qu'à partir d'un régime presque totalement végétarien. Les
spécialistes ne sont pas encore totalement d'accord sur ces normes, ainsi qu'en
témoignent les controverses qui se perpétuent sur la notion de besoins
alimentaires. C'est ce que démontre aussi la révision périodique des
allocations recommandées en nutriments qui réunit périodiquement un comité
international d'experts sous l'égide de l'OMS et de la FAO (4). Ce n'est
pas par hasard si un récent symposium opposait les exigences nutritionnelles de l'animal humain aux besoins alimentaires qu'il ressent
en tant qu'individu doté de conscience et intégré dans la société à laquelle
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il appartient — Diet of Man, Needs and Wants (5). Certaines sociétés, telles
que celles de l'intérieur de la Nouvelle-Guinée, subsistent de façon
relativement satisfaisante sur des rations si faibles en lipides, protéines et
surtout en protéines animales, par rapport aux normes établies dans la
science occidentale, que l'on a évoqué des différences qui relèvent du
domaine de la physiologie et à propos duquel le débat reste pudiquement
discret mais ouvert (6). Ainsi, par exemple, l'importance des pertes d'azote
dans les excréments par rapport à l'azote contenu dans la ration ingérée
chez certains montagnards de la Nouvelle-Guinée, comme les Chimbu, a
conduit à émettre l'hypothèse que certaines bactéries auraient la capacité
de fixer dans l'intestin l'azote gazeux (7).
L'Homme n'est pas condamné à une utilisation totale des ressources
qui lui sont offertes par le milieu et que ses moyens techniques l'autorisent
à maîtriser. Il doit toutefois en effectuer un usage minimal qui satisfasse
ses exigences sur deux plans : celui de la culture, celui de la biologie. La
survie des individus et de la société qu'ils constituent exige que les besoins
nutritionnels de l'être biologique soient remplis, mais le niveau de
satisfaction de ces besoins varie sensiblement d'une société à l'autre. Il est des
sociétés bien alimentées et d'autres où se maintiennent d'une génération
à l'autre sur différentes catégories d'individus des carences endémiques qui
se répercutent sur la démographie de la population tout entière (8).
Rien n'interdit de penser que certaines sociétés, dont l'ajustement aux
exigences nutritionnelles était insuffisant, se soient éteintes. Vers 1950,
la modification du circuit de migration du caribou, dont les Eskimos du
Nord-Ouest du Canada tirent la presque totalité de leurs ressources
vivrières, aurait vraisemblablement provoqué l'extinction de cette
population par la famine si le gouvernement canadien n'avait pris des mesures
énergiques pour déplacer les survivants vers la zone plus clémente de la
côte (9).
Sans doute les moyens techniques dont disposent les sociétés pour
exploiter les virtualités alimentaires sont-ils à incriminer au premier chef, mais
c'est un lieu commun de signaler que les obstacles à l'utilisation des
ressources alimentaires matériellement disponibles sont d'ordre culturel,
et l'on se référera ici volontiers au tabou sur la vache respecté par les
populations hindouistes et bouddhistes de l'Inde ou au fait que, comme l'écrit
L. White (10), l'Homme soit le seul animal capable de distinguer l'eau
bénite de l'eau ordinaire.
ARBITRAIRE CULTUREL ET MALADAPTATION NUTRITIONNELLE.
La décision de considérer une virtualité nutritionnelle comme un aliment
consommable traduit un certain arbitraire culturel qui déroute bien
souvent les spécialistes en provenance des sciences naturelles, habitués à
fréquenter des animaux de laboratoire. Comme l'écrit Hornabrook à propos
d'une des populations-vedettes du Programme biologique mondial, les
habitants de Kaul (dans l'Ile de Kar-Kar au sud-est de la NouvelleGuinée), après avoir fait remarquer le faible niveau du régime sur le plan
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calorique et surtout protéique — aux environs de 6 % des calories totales :
«... On considère habituellement que les êtres humains consomment
naturellement le régime alimentaire qui est physiologiquement optimal. Les gens
de Kaul, qui pourtant vivent dans une assez grande proximité de a mer,
utilisent le poisson et les autres ressources de l'Océan de façon extrêmement
parcimonieuse (11) ».
Il n'existe pas de bonne fée nutritionnelle ou, plus exactement, son action
est limitée. Poussé par son instinct alimentaire spécifique, le choix
alimentaire de l'Homme doit répondre à des besoins nutritionnels, guidé
par des stimuli internes et satisfaire sa faim. Les nourritures qu'il ingère
doivent posséder certains caractères sur le plan de l'odeur, de la saveur
et du toucher et satisfaire son appétit, c'est-à-dire son désir de renouveler
une expérience sensorielle agréable et de retrouver un bien-être consécutif
à l'alimentation (12). Sans doute cet appétit est-il dans une large mesure
ajusté aux besoins de son organisme et l'on mentionne dans ce domaine
la régulation spontanée observée expérimentalement chez les enfants en
bas âge, en particulier chez les bébés en état de déshydratation toxique(13).
C'est un peu en ce sens que l'on interprète d'ailleurs souvent la géophagie comme la réponse d'un organisme qui ne trouve pas dans le régime
alimentaire normal le calcium et le fer dont il a besoin (14). Un examen
approfondi de la documentation ethnographique montre combien on doit
se montrer prudent devant des notions comme celle de « faim de viande »
ou de cannibalisme alimentaire. Il semble que les mécanismes de sécurité
qui évitent le « suicide par l'alimentation » soient relativement grossiers.
Comme l'écrit Le Magnen : « On observe (le développement) chez l'Homme
d'un comportement d'autostimulation sensorielle dans lequel le
renforcement par le plaisir sensoriel se substitue à, et l'emporte sur, l'activité
limitante et régulatrice de la satisfaction métabolique (15). »
Les ravages causés chez l'Homme moderne sédentaire par une
consommation pléthorique d'aliments carnés, de lipides et de sucres montrent
combien il est incapable d'adapter spontanément sa consommation à sa
dépense énergétique, et substitue à la satisfaction de ses exigences
biologiques celle de besoins qui sont d'un autre ordre et relèvent de la
psychologie individuelle et de la culture.
Les sensations tactiles, gustatives et olfactives recherchées dans la
consommation alimentaire sont forgées dans la petite enfance et
profondément marquées par la culture; elles nourrissent les stéréotypes qui
opposent les différentes sociétés sur le plan gastronomique. Ces appétences
sont, dans une large mesure, culturelles ; l'accoutumance aux saveurs
pimentées et poivrées peut créer une véritable barrière culturelle et inversement
contribuer à la cohésion d'un groupe. C'est le cas, par exemple, des
minorités javanaises en Nouvelle-Calédonie dans un contexte où la cuisine,
à base de tubercules, fait appel à des saveurs remarquablement neutres (16).
Il en est de même des sensations qui relèvent de la cénesthésie : la
valorisation diverse accordée au sentiment de repletion. Le passage de la ventrée
sécurisante à une cuisine raffinée caractérisée par la multiplicité des
stimulations d'ordre sensoriel et une moindre hébétude digestive, autorisant
la conversation, s'est effectué de façon relativement récente dans la
civilisation française. Il y a loin de Rabelais à Grimod de la Reynière.
Inversement, les Massa du Nord-Cameroun, accoutumés à consommer des farines de
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sorgho rouge riches en cellulose, ont été longtemps réfractaires au riz
blanchi dont on ne ressent pas suffisamment, selon eux, la charge
confortante au cours de la digestion.
L'Homme ne possède pas l'exclusivité des aberrations nutritionnelles —
elles ont été provoquées expérimentalement sur les animaux de laboratoire.
Dans la nature, un mouton qui ingère trop de trèfle peut mourir victime
de sa gourmandise; un lagopède bu une grive qui se sont gorgés de
framboises sauvages ou de raisins mûrs peuvent manifester des symptômes
d'ébriété, mais il ne s'agit ici que d'accidents. L'Homme en revanche est
capable de consommer, de façon consciente, des aliments dont il connaît
de façon plus ou moins explicite l'action négative ou simplement neutre
sur son organisme. En agissant de la sorte, il est évident qu'il ne recherche
pas un bénéfice nutritionnel direct ou une adaptation à l'environnement,
mais la satisfaction de certaines exigences qui relèvent de la culture dans
laquelle il évolue et des exigences de sa psychologie individuelle. Dans toutes
les sociétés humaines, on observe la consommation de boissons fermentées
dont la teneur en alcool varie mais dont l'effet intoxicant semble plus
recherché que l'intérêt nutritionnel. On observe aussi la consommation
d'excitants et de stupéfiants — plantes masticatoires, infusions diverses
ou même aliments toxiques tels que l'amanite (Amanita muscaria)
chez les populations sibériennes (17) ou le peyotl mexicain (Lophorphora
williamsii), dont les dégâts physiologiques sont certains et l'intérêt
nutritionnel pour le moins contestable.
C'est dans une même perspective que l'on pourrait mentionner le
snobisme alimentaire qui pousse à consommer des « aliments » en fonction
de leur rareté et de leur valeur de prestige (18) plutôt que de leur valeur
nutritionnelle ou leur intérêt sur le plan organoleptique. Brillât-Savarin, en
innovant ses « éprouvettes gastronomiques », anticipait bien les réactions
de M. Prudhomme face aux aliments exotiques délicats et s'efforçait
de trouver une correspondance gastronomique à la hiérarchie
socio-économique de son temps (19). L'empereur romain Héliogabale ne faisait-il
pas colorer les plats pour obtenir des repas émeraude ou pourpres et
n'ordonnait-il pas à ses cuisiniers de mêler aux mets des perles, de l'ambre
et de la poudre d'or (20)? La feuille d'argent comestible n'est-elle pas encore
aujourd'hui un des éléments de la cuisine d'apparat de l'Inde du Nord?
Dans quelle mesure goûte-t-on aujourd'hui réellement l'arôme de la
truffe dans les préparations industrielles dites « aux truffes », que cette
mention, plutôt que la quantité parcimonieuse qui en est utilisée, autorise
à figurer aux menus d'apparat? La valeur symbolique domine et il ne faut
pas oublier que l'Homme n'ingère pas des nutriments pour se sustenter,
mais déguste des plats de composition complexe, combinés entre eux.
On pourrait parler ici d'une double articulation de la gastronomie. L'intérêt
nutritionnel d'un plat n'est que l'une des multiples significations dont il est
chargé. La diététique contemporaine en sait quelque chose, qui doit
s'appuyer sur l'esthétique corporelle et agiter devant les obèses le spectre
d'un trépas précoce.
Les aberrations alimentaires ne sont pas l'apanage d'individus isolés.
Certaines sociétés, certaines cultures sont susceptibles d'effectuer de
mauvais choix et de s'y tenir en dépit de la capacité matérielle qu'elles
eussent eu d'en effectuer de meilleurs. Il est plus embarrassant d'observer
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Culture et nutrition
dans certaines sociétés traditionnelles une préférence pour un aliment
de base fortement valorisé, ce que Jelliffe appelait « une super-nourriture
culturelle » (21), dont l'intérêt " nutritionnel est médiocre et contribue
au déséquilibre permanent du régime alimentaire. Que l'on pense aux
sociétés forestières dont l'aliment de base est le manioc ou la banane
plantain, ou aux sociétés dont l'ordinaire est à base de riz poli. Dans ces
dernières, le béribéri n'est pas rare; dans les premières les carences protéiques sévissent en permanence dans la population infantile. Les sociétés
forestières, en particulier, par le choix qu'elles effectuent, s'infligent,
de façon peut-être arbitraire, un problème d'équilibre alimentaire difficile
à résoudre. Comme l'écrit J. Périsse, « ... une ration dans laquelle l'essentiel
des calories provient des tubercules pourra difficilement présenter un taux
de calories protéiques élevé. Il faudrait pour cela que les légumineuses et
les produits animaux soient présents en grande quantité (22) ». Il est
possible que jadis la densité élevée du gibier ait autorisé une complémentation
plus facile du régime, mais c'est rarement le cas dans les sociétés
contemporaines.
Sans doute l'usage des tubercules s'impose-t-il en milieu equatorial
humide où la production et surtout la conservation des céréales posent
des problèmes difficiles à résoudre. Il existe néanmoins entre la zone de
savane et la zone forestière équatorîale une large bande climatique dans
laquelle s'observent concurremment la production de céréales (en particulier
du maïs) et celle des tubercules utilisés comme aliments de base. Le
problème se pose de mettre en évidence les facteurs qui ont poussé tel ou tel
groupe à accorder une priorité plus ou moins grande aux tubercules plutôt
qu'aux céréales.
Les vestiges archéologiques datant de 1000 avant J.-C. qui ont été mis
au jour à Rancho Peludo au nord-est du Venezuela et à Momil dans le
nord de la Colombie montrent que la culture du manioc et celle du maïs
se sont succédé dans un même environnement avant qu'une prééminence
se soit dessinée en faveur de la végéculture (conuco), qui représente un
écosystème plus aisément généralisable et moins vulnérable que celui
qui est centré sur les céréales (milpa) (23).
C'est à une évolution similaire que l'on assiste actuellement en milieu
tropical africain où le manioc tend à occuper des surfaces de plus en plus
importantes par rapport aux céréales (sorgho et mil pénicillaire). Si l'on
examine les raisons qui poussent à cette substitution, on constate qu'elles
ne sont pas simplement, et sans doute pas au premier chef, d'ordre
nutritionnel. Là où des sols appropriés sont disponibles, la culture du manioc
permet de disposer d'une récolte à haut rendement, facile à stocker et qui
continue à être disponible pendant la période de soudure alimentaire.
Et l'on accepte volontiers un ventre plein d'un aliment de base glucidique
contre l'abandon d'un aliment quotidien plus intéressant sur le plan
nutritionnel mais plus incertain. Si l'on examine, par exemple, la façon dont le
manioc s'est répandu dans le nord du Cameroun, on constate qu'il l'a fait
tout d'abord à la périphérie des villes et bourgades et sans doute sous
l'influence des minorités de salariés du Sud chez qui il est l'aliment de base.
S'il a été accepté, c'est en raison du prestige des modèles diffusés par une
minorité urbaine et surtout en raison de la simplicité relative de ses façons
culturales par rapport à celles des céréales locales. Plutôt qu'une adaptation
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aux exigences nutritionnelles, c'est une adaptation aux conditions créées
par le travail salarié horaire qui se manifeste dans l'adoption du manioc
car, au niveau de la production, il allège l'emploi du temps des deux
sexes. Au niveau de la consommation, la complexité de sa préparation,
qui incombe aux femmes, n'apparaît pas, jusqu'à leur prochaine
émancipation, comme un facteur susceptible de freiner son utilisation. Enfin, la
charge intestinale provoquée par sa consommation n'a rien à envier à
celle qui est ressentie après l'ingestion des bouillies et des pâtes épaisses
de sorgho.
A côté des croyances magico-religieuses extrêmement diverses et qui
sont relatives au maintien de la santé ou à l'élimination de la maladie,
l'un des comportements les plus constants susceptibles d'avoir une
répercussion nutritionnelle, c'est la recherche d'un sentiment de repletion,
qui marque l'hédonisme plutôt que la rationalité alimentaire chez les
hommes aussi bien que chez les autres animaux. Son expression fournit
aux dictons et à la littérature orale un domaine de choix. La plupart des
sociétés traditionnelles possèdent l'équivalent des expressions imagées
que l'on relève encore dans le Sud-Ouest français. S'exclamer : « Arrête,
j'ai les dents du fond qui baignent! », ne connote-t-il pas une situation
analogue à celle de l'Eskimo qui s'est gorgé de viande au point de ne pouvoir
réintégrer sa langue à l'intérieur de sa bouche? La hartère, être « hart »,
ne suggèrent-ils pas les bruits de politesse qui doivent marquer au Maghreb
la fin d'un bon repas, ce qui se traduit par le souci de la ventrée et la
recherche des adjuvants qui la permettent, tels, en Afrique, les mucilages
qui facilitent physiquement l'ingestion de bouillies et de pâtes épaisses
à base d'hydrates de carbone : le gombo (Hibiscus esculentus), la feuille
de baobab (Adansonia digitata), l'aubier d'une tiliacée (Grewia mollis)
ou les feuilles bouillies qui en tiennent lieu, celles des amarantes ou du jute
(Corchorus olitorius) par exemple?
Les protéines animales, le plus souvent ingérées en petite quantité,
ont aussi pour but de stimuler l'abondante consommation des glucides
et les graisses jouent de même souvent le rôle d'un mucilage de luxe.
Dans le cas des sociétés de chasseurs /cueilleurs, comme l'ont fait remarquer
de nombreux auteurs, la ventrée est le meilleur moyen d'assurer le stockage
des denrées périssables et, en particulier, des protéines animales que l'on
ne sait pas conserver. L'évolution de ces groupes montre qu'en dépit
des opinions récemment en vogue sur leur prospérité économique (24),
la plupart échangent une alimentation saisonnière où les protéines animales
sont relativement abondantes mais disponibles de façon irrégulière, contre
un régime glucidique, régulier, mais dont l'abondance pallie la
monotonie (25). Il n'est, d'ailleurs, pas impossible que cette notion même de
monotonie alimentaire ne soit pas un pur produit des civilisations
industrielles — « Du foie gras à tous les repas ! La société traditionnelle
répondrait : « Oui, et pourquoi pas? » II en va de même si l'on observe l'évolution
du régime dans la société en cours de monétarisation. L'accession au
salariat régulier montre, au Sénégal, par exemple, une tendance à adopter
des régimes stéréotypés mais pas nécessairement équilibrés sur le plan
nutritionnel, forts en glucides, lipides et protéines animales (26). Et ici
nous avons une opinion distincte de celle de D. Sanjur (27). Sans doute
l'augmentation du revenu se manifeste-t-elle par une multiplication des
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Culture et nutrition
denrées achetées, mais elle se traduit aussi par une disparition des denrées
en provenance de la cueillette traditionnelle, dont l'image s'est dégradée,
et l'on peut émettre l'hypothèse que, dans certains cas, le régime obtenu
dans un cadre monétaire moderne est moins varié, en particulier sur le
plan vitaminique, que le régime traditionnel infra-monétaire.
Si l'on peut parler d'adaptation ici, c'est que se fait jour un souci de
s'affranchir des contraintes du milieu naturel pour adopter un rythme
alimentaire constant strictement déterminé par des exigences culturelles.
Ces exigences culturelles, étant de plus en plus amples géographiquement,
sont de plus en plus abstraites du rythme saisonnier annuel. Avec le
passage du lignage à la société rurale, aux ensembles régionaux, aux
nations, au monde tout entier comme cadre de référence, les seules
périodicités conservées sont relatives à des cycles festifs complexes que de
nombreux facteurs contribuent à fixer et où le rythme hebdomadaire sera
bientôt le seul à subsister universellement. Et sans doute serait-il possible
de mettre en évidence une fois de plus combien le souci d'ajustement aux
contraintes culturelles et psychologiques qu'elles engendrent est démarqué,
on pourrait presque écrire indépendant, d'une notion d'adaptation au sens
où l'entendent les physiologistes tant au niveau de l'individu qu'à celui
du groupe.
LE SEVRAGE.
Sur un autre plan encore, le comportement alimentaire de l'Homme
semble satisfaire difficilement les exigences de sa physiologie, et il s'agit
même d'un domaine propre à le caractériser par rapport aux autres
animaux : celui de sa très longue enfance, au cours de laquelle son
développement physique est étroitement lié à sa nutrition. Il est de notoriété publique
que, dans les sociétés traditionnelles, la mortalité infantile atteint
un taux élevé au cours de la période du sevrage et sans doute s'agit-il
ici d'un des rares universaux en matière d'alimentation humaine. Alors
qu'il est encore au sein dans des conditions de « nature », le nourrisson
prospère dans la plupart des cas; dès qu'il est sevré et pénètre dans l'aire
d'influence de la culture où il a vu le jour, il accède à une période
dangereuse de son existence. Au traumatisme créé par sa séparation plus bu
moins brutale de la mère, vient s'ajouter une alimentation qui lui est peu
familière et qui est généralement mal adaptée aux exigences de sa
croissance, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif. On voit souvent
apparaître des symptômes de maladies nutritionnelles — kwashiorkor,
marasme — principalement dues à l'inadéquation du régime sur le plan
protéique mais qui n'excluent pas dans certains cas son insuffisance
calorique. L'Homme, sa culture, se substituent ici à la nature, en décidant,
selon des normes qui sont particulières à chaque groupe, du moment du
sevrage et en prescrivant les aliments qui devront être utilisés par le
bébé. Il est frappant de voir combien peu de sociétés humaines ont été
aptes à mettre au point ou à utiliser un aliment de sevrage adéquat sur le
plan nutritionnel. La sagesse populaire, que l'on imaginerait tout de même
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Igor de Garine
influencée par les « pulsions alimentaires instinctives » de l'Homme, fait
preuve dans ce domaine du plus grand arbitraire. L'enfant est généralement
introduit à l'aliment de base de la communauté, celui qu'elle considère
comme son pain quotidien « offert par les dieux ». Tant mieux pour l'enfant
si celui-ci renferme un taux élevé de protéines — tant pis pour lui s'il
s'agit du manioc ou de la banane. Dans le meilleur des cas, on s'efforcera
de lui fournir un aliment blanc symboliquement équivalent au lait féminin.
C'est, par exemple, le cas du « lait de pain de singe » obtenu à partir de
la pulpe du baobab ou des bouillies claires de mil pénicillaire, légèrement
fermentées, que l'on observe au Sénégal. Sans doute les rituels
traditionnels jouent-ils un rôle efficace en adaptant les futurs adultes à leur aliment
de base, mais ils manquent de souplesse et jouent un rôle inverse en ce qui
concerne l'alimentation infantile dont on ne reconnaît généralement pas
les exigences protéiques — hors du sein maternel, pas de salut. On est en
droit de se demander pourquoi les sociétés humaines qui ont été capables
de reconnaître et d'éliminer les principes toxiques présents dans de
nombreux tubercules, afin d'en faire leur aliment de base, se sont révélées dans
la plupart des cas incapables d'appréhender les exigences nutritionnelles
des petits de leur espèce. Si l'on est à la recherche d'une finalité ou d'un
processus destiné à maintenir une certaine homéostasie, on ne peut éliminer
l'hypothèse que la mortalité infantile élevée que l'on observe dans la
plupart des sociétés traditionnelles et qui, dans les cas extrêmes comme ceux
des populations arctiques (Eskimos) ou insulaires (Marquises), peut aller
jusqu'à l'infanticide, soit un dispositif de sécurité ajustant l'expansion
démographique aux ressources du milieu et autorisant au prix d'un
prélèvement constant au niveau des jeunes le maintien à long terme de la société
dans les limites de son territoire. S'en tenir à ce genre d'explication
méconnaîtrait toutefois certaines caractéristiques originales des sociétés humaines :
leur mobilité, leur capacité à suppléer par l'échange l'insuffisance des
ressources du milieu qu'elles occupent.
Sans doute, dans le cas de l'alimentation de sevrage, peut-on plaider
l'ignorance. Ignorance des exigences nutritionnelles infantiles, mais aussi
vision confuse des relations qui existent entre la consommation alimentaire,
la croissance, la santé. On notera au passage que les sociétés prémachinistes
n'ont pas le monopole de la confusion en matière de nutrition. Pendant
très longtemps, l'embonpoint et l'obésité sont apparus comme des
manifestations positives : que l'on pense au jeune enfant de la bourgeoisie
occidentale bourré de bouillie à l'office..., que l'on pense aussi aux femmes
des populations sahariennes (Maures, Touareg) dont on valorise, recherche
et fabriquait, jusqu'à une période récente, l'obésité, signe de prestige dans
un contexte où le milieu naturel exige à la fois l'agilité et la frugalité.
Sans doute s'agit-il là d'un des exemples les plus aptes à mettre en évidence
le caractère « ludique » des relations de l'Homme au milieu naturel, et
la prééminence accordée à des standards sociaux, ici de prestige, en
contradiction flagrante avec les contraintes écologiques.
On peut aller plus loin et constater qu'en matière nutritionnelle, l'Homme
est un snob, capable de refuser de faire usage des connaissances qu'il
possède et qui pourraient, dans certains cas, améliorer sa santé ou même
lui sauver la vie. L'exemple du végétarisme auquel se condamne une
fraction importante de la population indienne est trop connu pour que l'on y
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Culture et nutrition
insiste; mais les systèmes de prohibitions et de préférences alimentaires
qui caractérisent de façon originale la plupart des sociétés humaines
fournissent tous des exemples où des choix qui apparaissent positifs sur le plan
de la culture ont des conséquences négatives sur le plan biologique, en
particulier lorsqu'ils concernent les groupes dits vulnérables —■ femmes
enceintes, allaitantes, enfants, vieillards et malades.
ADAPTATION AU MILIEU ET SELECTIVITE ALIMENTAIRE.
NÉCESSITÉ D'UNE APPROCHE COMPARATIVE.
Il est moins fréquent de signaler l'important décalage qui existe entre les
ressources vivrières connues et celles qui sont utilisées. Sans doute la
rigueur de l'exploitation est-elle dans une large mesure conditionnée
par celle des exigences de survie et les Eskimos tirent-ils un parti plus
exhaustif des ressources qui leur sont offertes que des sociétés situées dans
un milieu plus clément que l'Arctique. Même les Boschimans, qui occupent
une zone aussi déshéritée, sont très sélectifs dans les choix alimentaires
qu'ils effectuent et sont loin d'utiliser avec un égal enthousiasme toutes les
ressources disponibles. Les Kung connaissent et nomment 200 espèces
de plantes, 220 d'animaux, parmi lesquelles ils considèrent comme
comestibles 85 espèces des premières, et 54 des secondes. Toutefois, 9 espèces
seulement fournissent l'essentiel de l'alimentation végétale, dont la noix
de ricinodendron, véritable pain quotidien (28). Un autre groupe, les
Gwi, est tout aussi sélectif et n'utilise de façon constante que 13 espèces
végétales, d'ailleurs différentes de celles des Kung (29). Les Hadza, étudiés
par Woodburn, se contentent de 10 espèces majeures (30). Les sociétés
agricoles utilisent une gamme encore plus restreinte. C'est ainsi que, chez
les Massa du Tchad et du Cameroun, les aliments consommés de façon
courante se réduisent à moins d'une dizaine (31). On notera aussi que la
plupart des adultes restreignent dès qu'ils atteignent l'âge de la
responsabilité leur régime en l'amputant de tous les produits de cueillette qu'ils
utilisaient au cours de leur enfance et qu'il est devenu dorénavant
approprié de classer dans les a cochonneries ». Il faut un long détour pour retrouver
une valorisation de l'ortie ou des bulbes de nénuphar telle qu'elle apparaît
dans la cuisine « écologique-minceur » de notre société française
contemporaine.
Les tenants de l'écologie culturelle (32) qui traitent des sociétés marginales
situées dans des milieux naturels fréquemment contraignants ont souvent
tenté de montrer que tel groupe, connu comme une entité isolée, tire
toujours un parti honorable du milieu dans lequel il est inséré, le niveau de
réussite auquel il parvient sur le plan vivrier étant conditionné par son
niveau de connaissances, la technologie dont il dispose et peut-être une
sagesse profonde qui l'empêche de compromettre de façon irrémédiable
l'équilibre de l'écosystème dans lequel il se maintient à petits pas. Sur ce
dernier point, l'expérience contemporaine que l'on possède des chasseurs/
cueilleurs montre que les précautionneux Tasaday (33) qui, grâce à une
véritable planification de l'usage des produits de cueillette, animaux et
79
Igor de Garine
végétaux, parviendraient à vivre cantonnés dans un territoire étonnamment
restreint pour des chasseurs /cueilleurs, constituent l'exception. Dans la
plupart des cas, l'inefficacité relative des techniques de capture assure la
sécurité des espèces sur lesquelles s'effectue la prédation; mais combien
de sociétés de chasseurs anéantissent sans pitié les femelles gravides qui
tombent entre leurs mains, combien de pêcheurs, s'en remettant à la
bienveillance de la divinité des eaux, écument jour après jour les rares
trous d'eau qui subsistent dans les fleuves africains au cours de la période
d'étiage.
Sans doute peut-on aussi évoquer ici les interprétations aujourd'hui
justement critiquées (34) que donne M. Harris de l'attitude des juifs
et des musulmans vis-à-vis du porc, lesquelles mettent au premier plan
la mauvaise adaptabilité du pauvre animal au genre de vie des nomades
et le souci de préserver l'équilibre d'un écosystème fragile, pour ne point
évoquer les arguments dits sanitaires qui créditent les populations sémites
de connaissances sur la trichinose qui n'ont été acquises qu'en 1860 (35).
Le problème n'est pas de montrer le parti vivrier qu'une société isolée
peut tirer du milieu, mais les différentes solutions que diverses sociétés
peuvent adopter à partir d'un milieu naturel homogène sur le plan de la
production vivrière. Des nuances difficilement perceptibles au niveau de la
composition des sols agricoles, du relief ou de l'irrigation suffisent à
provoquer des différences très réelles au niveau de la consommation alimentaire.
C'est au niveau des micro-systèmes écologiques que se situe la compréhendion de l'intégration vivrière d'une communauté dans son milieu. En 1960,
sans l'arrondissement de Thienaba, Sénégal, avant la période de sécheresse
actuelle, les villages seréré situés en bordure de « marigots » d'étendue
et de profondeur médiocres tiraient de la pêche sporadique qu'ils y
pratiquaient un régime sensiblement plus riche en protéines animales que la
moyenne des autres villages, pourtant peu éloignés (36). Dans les
populations du Nord-Cameroun et du Tchad, l'accès aux rives du Logone, aux
tacs du Mayo Kebbi, se répercute lourdement sur le régime alimentaire
des unités villageoises, tant à cause des possibilités offertes à la pêche et à
l'agriculture, en raison de la nature des sols et de l'irrigation, que dans le
domaine de l'élevage grâce à la permanence des pâturages. Sans doute
est-il exact que dans une certaine mesure l'écologie influe sur les choix
culturels, mais encore faut-il se garder des explications trop simplistes.
Dans la région du Nord-Cameroun et du Tchad que nous connaissons,
existe-t-il sur le plan vivrier davantage de similitudes entre deux villages
riverains du cours d'eau, appartenant à deux ethnies différentes, qu'entre
deux villages appartenant à une même ethnie mais dont l'un est situé
au bord de l'eau et pas l'autre? Le problème est difficile à trancher et
exige une analyse locale minutieuse qui implique aussi un recours à la
micro-histoire.
Deux possibilités se rencontrent dans le cas de sociétés occupant une
même zone géographique. Elles disposent ou non du même corpus de
connaissances et elles ont ou non développé la même technologie. Les
exemples abondent de sociétés contiguës qui occupent une même zone
et ont adopté des genres de vie, donc des styles alimentaires, différents.
Il faut se montrer très prudent ici, car dans la plupart des cas des
populations diverses situées dans une même zone géographique y occupent
80
Culture et nutrition
de fait des micro-milieux distincts, appropriés aux productions vivrières
qu'ils ont élues. Sans doute peut-on parler de réciprocité de perspective
entre milieu et stratégie vivrière. Il n'en reste pas moins que les Turkana,
éleveurs riverains du lac Rudolf au Kenya, pourraient y pratiquer la
pêche ou tout au moins en consommer le poisson, s'ils n'y voyaient, comme
beaucoup d'autres pasteurs, une abomination et un dernier recours (37).
Le district de Mangola en Tanzanie, à proximité du lac Eyasi, est occupé
par des sociétés traditionnelles contiguës dotées de genres de vie
sensiblement différents : les Hadzapi — chasseurs /cueilleurs ; les pasteurs datoga —
nomades; les Iraqw — qui ont une économie sédentaire agro-pastorale;
des groupes swahili — dont l'économie essentiellement agricole est
différente des précédents; enfin des groupes qui, à des degrés divers, exploitent
les eaux du lac Eyasi, et l'on serait tenté de suggérer qu'ils occupent dans
un même écosystème des niches écologiques différentes (38).
Sans doute peut-on voir une spécialisation analogue à celle que l'on
observe chez les animaux et qui permet une occupation plus dense du
milieu. Le rapprochement avec le reste du règne animal ne saurait être
poussé trop loin. Un examen suffisamment précis montre que les groupes
voisins dont il vient d'être question sont en rapport de compétition, plutôt
que de complémentarité vivrière. Sur un plan plus général, une société
traditionnelle ne saurait être assimilée à une espèce animale dotée de
caractéristiques alimentaires spécifiques et imperméable au
comportement des espèces voisines, bien au contraire (39). Il n'existe pas de société
humaine totalement isolée; qu'il s'agisse des Boschimans ou des Pygmées
(40), elles sont toutes en relation d'échange avec des sociétés voisines
et les Tasaday, sur le plan matrimonial, ne faisaient pas exception à la
règle (41). D'autre part, quel que soit son volume, elle est elle-même
composée de groupes, d'entités qui sont suffisamment hétérogènes ou
conçues comme telles pour pouvoir dialoguer et échanger.
Il est plus fécond de comparer entre elles des sociétés voisines situées
dans un même milieu naturel et dotées du même bagage technologique
(voir tableau 2 en annexe). Les différences qui seront éventuellement
constatées manifesteront un parti pris culturel plutôt qu'un
conditionnement imprescriptible par les contraintes du milieu, conception qui autorise
à adopter la même problématique que dans le cas des sociétés animales.
FONCTION SOCIALE DE L'ALIMENTATION.
Les populations du Nord-Cameroun et du Tchad (Massa, Moussey,
Toupouri), dont nous avons souvent traité (42), répondent aux critères
évoqués. Elles vivent en étroite contiguïté géographique dans un même
milieu naturel, elles disposent de la même technologie, sont informées
de leurs cultures respectives, elles s'intermarient fréquemment et, comme
on l'a montré par ailleurs, possèdent dans une large mesure une origine
généalogique commune (43). L'usage alimentaire que font ces groupes
des ressources qui sont à leur portée est pourtant distinct. Ils n'accordent
pas la même priorité aux activités qui permettent l'acquisition ou la pro81
Igor de Garine
duction de produits vivriers — chasse, pêche, agriculture et élevage.
Ainsi, par exemple, les Massa valorisent davantage la pêche et l'élevage
que l'agriculture ; les Moussey — l'agriculture et la chasse ; les Toupouri —
l'agriculture et l'élevage. On est en droit de considérer que si le but essentiel
de ces sociétés était de rechercher la plus grande efficacité nutritionnelle
par rapport aux investissements en énergie, par exemple, on aurait dû
voir la meilleure solution se répandre dans chacun des groupes. C'est ainsi
que l'on aurait pu voir émerger la meilleure variété de sorgho et assister,
par exemple, à l'adoption du sorgho repiqué de saison sèche (Sorghum
durrha — le babouri dans la terminologie foulbé) dont les rendements
sont très élevés partout où des terres hydromorphes leur convenant sont
disponibles. Il n'en a rien été. Chacun des groupes possède sa propre
gamme de sorgho et n'accorde pas la même priorité aux variétés
disponibles. Loin de tirer profit du babouri, certains Massa respectaient jusqu'à
il y a peu de temps un interdit absolu sur sa culture. Les Moussey ont
attendu une période récente pour se mettre à l'élevage des bovins alors
qu'ils se livrent depuis très longtemps à celui des chèvres, des moutons et
du cheval, ce qui montre bien que la présence des glossines ne leur
interdisait pas ce type d'élevage. Inversement, les Moussey cultivent en
abondance des pois voandzou (Voandzeia subterranea), des haricots et du
sésame, ce qui n'est pas le cas des Massa ni des Toupouri qui pourraient
facilement le faire et améliorer ainsi la composition protéique et lipidique
de leur régime.
Sur le plan de la consommation, on distingue entre chacun de ces groupes
des nuances très perceptibles dans la gamme des aliments qui sont le
plus fréquemment consommés, de ceux qui sont inclus dans le rituel,
enfin de ceux qui font à divers titres l'objet d'une préférence commune.
Chaque société possède ses aliments de base, fortement valorisés sur le plan
symbolique, et pas seulement, comme l'écrit Lee, en fonction de « ... leur
abondance, de leur facilité de production ou de leur qualité
nutritionnelle (44) ». La sérénité de ce genre d'explication est le plus souvent troublée
par ce que nous avons appelé « l'arbitraire culturel ».
Les comportements alimentaires constituent l'un des registres qui
autorisent une société à affirmer et à afficher sa cohésion, ils ont une valeur
démarcative et nourrissent les stéréotypes xénophobes qu'entretient
chaque culture vis-à-vis de ses voisines. Ce n'est pas par hasard que la
cuisine figure au premier plan dans la panoplie des revendications
régionales. Les changements de comportement alimentaire auxquels nous
assistons depuis vingt ans dans le Nord-Cameroun montrent que ce sont
des modifications de la structure politique et sociale, sans doute liées à
l'économie mais qui sont essentiellement de l'ordre de la culture, qui se
répercutent sur la consommation alimentaire. Il s'agit plutôt d'une
agression des modèles extérieurs aux sociétés que d'une évolution progressive
tendant à assurer un équilibre dans un milieu naturel lentement modifié.
Les Massa, comme la plupart des populations non musulmanes de la
région qui nous intéresse, ont pendant des centaines d'années lutté
militairement pour leur survie physique et leur authenticité culturelle et ont,
sur le plan vivrier, préservé un style original étayé par un important corpus
de symboles et croyances traditionnels, dont cet interdit, respecté jusqu'à
une période récente par les Massa de Guisey : la culture du babouri.
82
Culture et nutrition
Ce groupe connaissait les façons culturales de cette variété et possédait
les terres hydromorphes qui leur sont nécessaires, mais a pendant
longtemps refusé d'adopter une culture qui aurait doublé sa récolte et
considérablement atténué l'acuité de la période de soudure. Mais la terre de
Guisey (nagata), conçue comme une entité féminine, ne tolérait pas
sur son corps la présence d'une telle récolte étrangère et eût provoqué,
avant la récolte, la mort de tout novateur irrespectueux. Il n'est pas
indifférent que les Massa de Guisey soient précisément ceux qui se trouvent
directement en contact avec les Toupouri et le plus fortement influencés
par ce groupe dynamique dont le sorgho repiqué de saison sèche (sans doute
emprunté aux Foulbés) est un des atouts économiques majeurs. Refuser
de doubler la récolte de céréales et d'adopter un trait culturel positif
sur le plan de l'adaptation biologique permet de s'affirmer comme « Massa »
face à la pression toupouri et de se maintenir en tant qu'entité culturelle
et génétique. Le cas présenté n'est sans doute pas isolé et l'on doit
envisager ce genre d'usage non nutritionnel de l'alimentation destiné, comme
l'écrit M. Sahlins (45), à « favoriser les chances de vie sociale » dans le
cadre d'une culture conçue comme une entité autonome.
Il semble qu'au-delà des déterminismes imposés par le milieu, se
manifeste au niveau de chacune des cultures un souci d'utiliser l'alimentation
pour affirmer et afficher sa cohésion interne et son hétérogénéité par
rapport aux cultures voisines.
Il apparaît aussi qu'au sein de chaque culture globale les aliments et les
plats sont utilisés pour expliciter des écarts différentiels entre les
différents groupes opérant dans la société et entre les diverses catégories
d'individus. On peut donc émettre l'hypothèse que la raison d'être de ces
écarts différentiels ne se situe pas sur le plan de la biologie mais sur celui
de la culture, en opérant dans le domaine de l'alimentation comme la
prohibition de l'inceste dans celui de la sexualité, et en provoquant « le
passage du fait naturel de la consanguinité au fait culturel de l'alliance (46) ».
La différenciation des attitudes et des comportements alimentaires tout à
la fois contribue à marquer la cohésion du groupe d'origine et à maintenir
entre les individus et les groupes sociaux et les cultures une hétérogénéité
qui favorise la communication et l'échange sans lesquels il ne peut exister
de société humaine.
l'évolution contemporaine,
conséquences culturelles et biologiques.
On assiste aujourd'hui à un profond bouleversement de la situation
que nous venons de décrire. Les Massa du Cameroun tendent depuis une
dizaine d'années à modifier leurs habitudes alimentaires, à abandonner
le sorgho rouge hâtif qui était leur aliment de base pour le riz qu'à l'origine
ils ont été obligés de cultiver industriellement, et pour le sorgho blanc
repiqué tardif. C'est précisément chez les Massa de Guisey, jadis réfractaires
mais qui occupent des sols appropriés, que se développe le plus rapidement
cette dernière récolte. Que s'est-il passé? Assaillis de toute part par des
83
Igor de Garine
modèles extérieurs et profondément découragés par leur infériorité
matérielle, les Massa ont tout simplement renoncé à défendre leur autonomie
culturelle. Ils cèdent aux influences conjuguées du développement
économique moderne, des contraintes politiques qui l'accompagnent et de l'Islam,
toutes trois exercées par l'intermédiaire des populations islamisées et en
particulier des Foulbés, qui ont jadis dominé militairement la région et
jouissent aujourd'hui de la sympathie gouvernementale. Ils exercent une
influence prédominante dans tous les domaines et constituent le modèle
culturel envié dans toute la zone par les non-islamisés. La réussite
politique, économique et sociale implique pour un Massa de s'adapter aux
circuits qu'ils contrôlent et de devenir un vrai Foulbé; de même qu'il
abandonne volontiers sa propre langue pour le f ufuldé ou s'efforce
d'emprunter le style vestimentaire des islamisés, il adopte leur comportement
alimentaire. C'est ainsi que le riz, qui était méprisé, car une variété sauvage
(Oryza barthii) constituait jadis un aliment traditionnel d'appoint, est
aujourd'hui apprécié et que l'on assiste à une dévalorisation parallèle du
sorgho rouge (Sorghum caudatum) au profit des variétés à farine blanche.
C'est ainsi que l'intensification des circuits commerciaux et la monétarisation de l'économie permettent à des denrées importées d'entrer dans le
régime, surtout si elles ont déjà été adoptées par les islamisés et les salariés.
Et c'est un lieu commun de montrer qu'il n'en résulte pas une amélioration
de la valeur diététique du régime ni de sa régularité. Comme ailleurs, on
voit s'afficher les préférences pour le riz blanchi, les ragoûts de viande
baignant dans l'huile et les sucreries. En revanche, il apparaît une
désaffection vis-à-vis des farines traditionnelles colorées ou non blutées et l'on
dédaigne les produits de cueillette ou même le poisson séché, réminiscence
d'une époque rétrograde que l'on désire considérer révolue.
L'évolution à laquelle on assiste est une véritable mutation qui
dépossède les cultures traditionnelles du rôle de cadre prépondérant de l'activité
humaine qu'elles assumaient depuis toujours, au profit d'ensembles
infiniment plus vastes. L'évolution du comportement alimentaire est le
reflet de celle qui se produit au niveau des structures sociales : le passage
des groupes lignagers à la société villageoise puis régionale, enfin à la
nation, elle-même intégrée dans la société mondiale. Elle substitue aux
déterminismes géographiques et écologiques qui pèsent sur l'alimentation
des exigences qui sont essentiellement économiques et même purement
monétaires, largement affranchies du milieu ambiant et de la saisonnalité.
A des clivages géographiques verticaux en entités cohérentes, on voit se
substituer des clivages horizontaux en catégories socio-économiques
universelles largement affranchies du milieu ambiant mais où un symbolisme
nouveau, et pas nécessairement mieux ajusté aux exigences nutritionnelles,
continue d'opérer.
Un autre aspect encore incite à la circonspection. Sans doute la
satisfaction du besoin primaire de la nutrition est-il un secteur prioritaire de
l'activité des individus et des sociétés. Mais il n'est pas clos. Il intéresse
la plupart des domaines d'activité d'une société tant sur le plan de la culture
matérielle qu'au niveau des systèmes de représentation. En conséquence,
les modifications qui sont susceptibles d'apparaître dans ce domaine ne
sont pas limitées à des emprunts matériels circonscrits, dont l'intérêt
est évident selon des critères objectifs, la plupart du temps distincts de
84
Culture et nutrition
ceux qui opèrent dans les sociétés sous considération. Ce sont en réalité
des pans tout entiers de la culture qui changent et dans lesquels peuvent
être inclus des comportements relatifs à la production et à la consommation
alimentaires.
Dans l'exemple que nous avons emprunté au Nord-Cameroun, on peut dire
que, globalement, l'adoption du modèle foulbé permet aux individus
appartenant à des cultures traditionnelles moins dynamiques d'acquérir
une certaine aisance dans le cadre des nouvelles structures politiques,
économiques et sociales qui sont celles de la province du Nord-Cameroun
et de la nation camerounaise. Cette évolution consomme l'anéantissement
plus ou moins complet de la culture traditionnelle dont l'actualisation
dépassait rarement le niveau du clan, et de la plupart des valeurs qui la
caractérisent. Cet ajustement, dont on peut discuter l'utilité sur le plan
de la survie économique et politique à count terme, peut, à long terme,
avoir des conséquences négatives imprévues sur le plan biologique. En
effet, l'adoption de ces modèles ne se limite pas à la culture matérielle,
au comportement alimentaire. S'il n'intéresse pas encore au premier chef
le comportement matrimonial et sexuel, qui reste fidèle à un système
traditionnel à dot élevée relativement rigide sur le plan de la liberté
sexuelle, valorisant la multiplication des enfants, on risque d'assister
à une modification de ce domaine dans le sens d'un relâchement des moeurs
sexuelles, caractéristique des populations islamisées du Nord-Cameroun (47).
Sans doute apparaîtra-t-il gratifiant au niveau individuel et apte à assurer
une mobilité accrue à des individus appelés à participer à des structures
sociales et territoriales plus amples que par le passé. Cette évolution
comporte des séquelles qui caractérisent aussi bien les sociétés islamisées
que les groupes « animistes » qui, tels ceux de l'Adamaoua (48), subissent
depuis longtemps leur emprise : liberté sexuelle des deux sexes, fragilité
des mariages, fréquences des maladies vénériennes et des avortements
— autant d'éléments qui amènent une diminution de la fécondité, dont
il serait paradoxal d'affirmer qu'elle soit une manifestation positive
de l'évolution génétique des Massa en tant que population, et qui
accéléreront sa disparition aussi bien en tant qu'entité biologique que
culturelle (49).
CONCLUSION.
Nous ne saurions nous montrer indûment optimiste et accepter la
proposition selon laquelle « les hommes tendent à adopter des
comportements qui favorisent la propagation de leurs gènes (50) ». Sur le plan
de l'alimentation, il semble que l'évolution contemporaine vise à privilégier
des comportements qui augmentent la cohésion et l'identité culturelle,
conçue non pas comme la recherche d'un équilibre dans un écosystème
peu perturbé, mais mouvante et guerrière dans un cadre social amplifié
qui s'efforce de devoir le moins possible au milieu naturel et risque peut-être
de ne plus satisfaire aux exigences biologiques minimales.
A privilégier la consommation du riz poli, du manioc, du sucre et du
85
Igor de Garine
corned beef en même temps qu'ils diminuent, peut-être par morosité,
leur niveau d'activité physique, la plupart des Polynésiens manifestent
aussi bien l'anéantissement de leur culture que la détérioration d'un
équilibre nutritionnel tirant jadis un parti honorable de leur milieu, et sont
parvenus bien près de l'anéantissement aussi bien sur le plan biologique
que culturel. Ils ne sont pas les seuls.
Nous nous sommes efforcé d'esquisser à propos de l'alimentation la
complexité des rapports qui existent entre l'environnement naturel,
la physiologie humaine et la culture. L'originalité relative et la complexité
des sociétés humaines incitent à manipuler avec prudence un concept
comme celui d'adaptation. S'il est difficile d'émettre une opinion sur la
valeur adaptative des comportements culturels, il apparaît nécessaire
d'envisager l'ajustement des organismes humains à leur milieu aussi
bien dans une perspective culturelle que biologique. Il est toutefois encore
trop rare qu'une telle approche soit conduite conjointement et avec une
minutie suffisante. Sans doute est-il à la page de rechercher à propos de
l'alimentation « les interférences bioculturelles » mais, si l'on désire éviter
de se borner à privilégier certains aspects de la réalité, qu'il s'agisse des
thèmes alimentaires dans la mythologie traditionnelle, de la valeur nutritionnelle du régime ou de l'évaluation de la biomasse, selon les aptitudes
de chacun, il est nécessaire d'établir les faits. C'est-à-dire de décrire
l'alimentation et la nutrition de groupes humains précis et sans doute limités,
dans toute leur complexité et selon le maximum de perspectives possibles,
puis d'examiner les liaisons possibles entre les différents ordres de
phénomènes observés. Montrer les relations entre l'environnement naturel, la
production vivrière, la technologie alimentaire, la consommation et les
conséquences physiologiques de cette dernière paraît un domaine rebattu;
on peut aller plus loin et examiner les liaisons qui existent entre
l'alimentation et les différents systèmes qui opèrent dans la culture sur le
plan économique, social ou — pourquoi pas — esthétique, aussi bien au
niveau de la réalité vécue qu'à celui de la mythologie.
Il est pourtant bien rare qu'une telle tentative ait été effectuée de façon
systématique, repose sur des données quantifiées suffisantes et accorde
aux différentes approches une importance équivalente. Le Programme
biologique mondial ne fait pas exception en la matière (52) et nous sommes
encore loin d'une collaboration pluridisciplinaire, on serait tenté d'écrire
d'une « tolérance interdisciplinaire », qui autorise le développement d'une
véritable anthropologie de V alimentation.
Igor de Garine
Centre national de la recherche scientifique.
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90
i
Culture et nutrition
TABLEAU 1
VARIATION DE LA CONSOMMATION ALIMENTAIRE
DANS DIFFÉRENTES RÉGIONS DU MONDE
K. calories
Protéines
totales
(g)
Protéines
animales
(g)
Glucides
(g)
Lipides
(g)
Eskimo*
(53)
Barter Island (hiver)
(été)
Anaktuvuk Pass (été)
Nouvelle- Guinée (54)
Waropen (Nubuai) : côte
Chimbu (Pari) : montagne
Chimbu (Wandi) : montagne
Kaul : côte
Lufa : montagne (55)
Afrique **
Kung (Bosuhimaus) (56)
— Savane (57)
Khombole, Sénégal
Mobas, Togo
Cabrais, Togo
Golompoui, Cameroun
— Zone forestière
Evodula, Cameroun
Batouri, Cameroun
Douala, Cameroun
— Altitude
Chiga, Ouganda
France rurale (58)
Bretagne septentrionale
Marais vendéen
Haute Marne
Adour
Gard
3 800
3170
4 650
160
157
199
160
157
199
418
380
357
164
176
257
1460
1900
2 050
1944
2 523
9
20
28
36,9
47,1
7
0
3
9,1
9,5
347
0
425
366
529
?'i
?
39
29
2140
93,1
32,1
337
j>
2 028
1601
1797
2 220
62,8
49,7
55,4
85,1
20,2
2,9
3,2
13,1
299
284
332
408
75,6
31
36
28
1634
1611
1719
40,1
31
54,5
11
10
31
251
336
245
53,7
16
56,7
0,2
398
12,5
51
37,2
46,8
51,2
40
486
378
464
443
358
133,5
90,6
92
107,5
73
2 051
102
3 980
2 973
3158
3 220
2 690
111
86,3
113,6
108,2
88
* Les
**
Leschiffres
chiffresqui
quisuivent
suivent<concernent la population mâle adulte.
concernent la moyenne générale.
91
Igor de Garine
TABLEAU 2
VARIÉTÉ DU RÉGIME DANS DEUX ENCLOS APPARTENANT
A DEUX POPULATIONS VOISINES SITUÉES DANS LE MÊME MILIEU
ET DOTÉES DES MÊMES MOYENS
ALIMENTATION DE SAISON SÈCHE (AVRIL 1976) PER CAPITA (59)
Massa (Kogoyna)
Farine de sorgho rouge
(Sorghum caudatum)
Farine de mil pénicillaire
Feuilles séchées de faux sésame
(Cerathoteca sesamoides)
Gombo sec (Hibiscus esculentus)
Poisson frais
Huile de poisson
Sel minéral
Total
Protéines totales : 100,5
Poids
(g)
/\". calories
Protéines
végétales
28,4
15,8
Protéines
animales
326,8
142,5
1144
486
0
0
4,4
31,5
327,2
11,1
1,45
844,95
11
89
543
100
0
2 373
0,9
3,4
0
0
0
48,5
0
0
52
0
0
52,0
560
20
1960
53
56
4,6
0
0
14
3
2
51
8
6
2,6
0,6
0,2
0
0
0
4
20
20
26
15
1,9
2
53
21
30
23
0
0
0
0
—
0
0
0
10,5
3,8
4
2,3
0
0
64,0
0
20,6
Moussey (Bigui)
Farine de sorgho rouge (Sorghum
caudatum)
Haricots (Vigna unguiculata) secs
Poids voandzou (Voandzeta subterranea)
Feuilles séchées de faux sésame
Gombo sec
Fruit de tamarinier (Tamarindus
indica)
Poisson sec
Poisson frais
Viande de poulet
Viande de chèvre
Sel minéral
Sel d'origine végétale (graminées
calcinées)
Total
Protéines totales : 84,6.
92
1,67
687,57
0
2 207