TOMBOUCTOU, DE LA
CONQUETE PAR LE SULTAN
AHMED EL MANSOUR A
L’EXIL DU SAVANT AHMED
BABA A MARRAKECH
Aperçu sur les liens historiques et culturels entre Marrakech et Tombouctou
Article réalisé par POUDIOUOU Ibrahima, étudiant en Master 1 en Tourisme, Patrimoine et
Développement durable à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l’Université
Cadi Ayyad de Marrakech sous la direction du Pr. A. AMMALEK, professeur d’Histoire à la
FLSH-Marrakech.
Tombouctou, de la conquête par le sultan Ahmed El Mansour
à l’exil du savant Ahmed Baba à Marrakech
Introduction
I.
II.
III.
IV.
Conquête de Tombouctou, quelle justification ?
- Dans quel contexte le sultan engagea une guerre militaire contre l’Empire
Songhaï ?
- Quel positionnement des ulémas de Marrakech pour une telle guerre ?
- Les vrais motivations du sultan, laver un affront et posséder de l’or ?
Les marocains lancèrent l’assaut avec Jaoudar Pacha comme chef de guerre
- Qui est Jaoudar Pacha ?
- Pour récupérer les salines de Taghazza, les marocains détruisirent Gao,
capitale de l’Empire
- La prise de Tombouctou et la fin de l’Empire Songhaï
Ahmed BABA, de sa vie intellectuelle à Tombouctou à sa captivité à
Marrakech
- Qui est Ahmed BABA ?
- Ahmed BABA, philosophe et défenseur des causes nobles ?
- De la captivité à Marrakech au retour dans Tombouctou détruit
Quelques témoignages, citations et commentaires sur Tombouctou
(Ibn Battuta, René Caillé, Ahmed BABA)
Conclusion
1|Page
Introduction
La terre qui correspond à la République du Mali actuelle est celle de brillantes
civilisations qui a vu naitre trois grands empires : l’Empire du Ghana, l’Empire du Mali et
l’Empire Songhaï. Ce dernier Empire est fondé vers le VIIème siècle par une dynastie métissée
de Songhaï et Berbères appelée les Dia. Absorbé à ses débuts par le puissant Empire du Mali
en 1300, l’Empire Songhaï pris son indépendance sous Soni Ali Ber vers 1464-1492. Il
atteindra son apogée sous la dynastie des Askia vers le début du XVème. L’Empire du Songhaï
s’étendait des territoires de l’actuel Sénégal, du Mali, du Niger, et une partie du Nigeria. Il
avait Gao pour capitale et Tombouctou comme ville spirituelle. Cette ville qui a été rebâtie
sous le règne de Kankou Moussa, qui de son retour de la Mecque fit venir à Tombouctou de
nombreux savants et philosophes arabes qui ont rejoint les savants locaux pour faire de la ville
une cité de la connaissance. C’est là aussi que d’autres savants maures et marocains
s’installeront par la suite. En raison de ses nombreux savants et penseurs, Tombouctou est une
ville aux noms multiples, « ville des 333 saints, la mystérieuse, la perle noire du désert,
etc… »
2|Page
I.
La conquête de Tombouctou, quelle justification ?
Contexte :
La guerre qui opposa les trois rois de la Méditerranée, appelée aussi la guerre de l’Oued
El Makkhazine s’est soldée par la mort des trois rois et favorisa ainsi l’avènement au pouvoir
d’une dynastie arabe au trône au Maroc, les Saadiens. Cela correspond plus précisément au
règne du Sultan Ahmed El Mansour qui rêvait d’un Maroc riche, puissant et aussi redoutable
que son voisin espagnol. Si l’Espagne est proche du Maroc, le sultan ne dispose pas de
moyens suffisants pour l’annexer. De même que les territoires composant l’Algérie actuelle
restent également hors de portée du sultan du Maroc car lors de leur débâcle, les ottomans s’y
installèrent et y règnent en maitre. Alors le sultan a bien conscience qu’il existe au Sud un
Empire qui depuis un certain commença à s’affaiblir car divisé par des guerres de successions
depuis le retrait de l’Empereur Askia Mohamed. Il sait également que l’or que possèdent les
empereurs du sud peut concurrencer les richesses de son voisin espagnol avec leur découverte
de l’Amérique. Car lors des voyages à la Mecque de certains rois noirs de cet empire, le cours
de l’or baissa sur les marchés égyptiens sinon arabes. Le sultan est également au courant de
l’existence d’une citée brillante dans cet empire où des intellectuels arabes venaient s’installer
sous la protection de l’Empereur. Les ornements royaux dans cet empire sont uniquement en
or. C’est donc vers le « Bilad As Soudan » que vont se tourner les convoitises d’Ahmed El
Mansour. Mais comment engager une conquête contre un territoire musulman et surtout
justifier celle-ci auprès des ulémas de Marrakech ?
Justification de la guerre auprès des ulémas de Marrakech
Quelques rappels historiques nous semblent nécessaires à ce niveau :
-
-
l’Islam a été introduit dans la cette partie du sud du Sahara par les invasions
Almoravides vers le XIème siècle, causant ainsi la chute de ce premier grand
empire ouest-africain, l’Empire du Ghana. De ce fait, l’islam professer dans
toute cette parie de l’Afrique Subsaharienne est majoritairement de rite
malékite.
A l’apogée de l’Empire Songhaï, les salines de Teghazza qui appartenaient au
Maroc furent annexées les soldats du Songhaï Askia Mohamed. Elles restèrent
sous l’autorité des Askia de Gao jusqu’au règne d’Ishak II, le contemporain
d’Ahmed El Mansour.
Ainsi, le sultan a voulu se baser sur l’hypothèse de livrer une guerre sainte contre des
mécréants du Soudan mais cet argument ne tenait pas car ses conseillers lui rappelèrent les
nombreux savants installés à Tombouctou et avec lesquels les ulémas de Marrakech
entretenaient de nombreuses correspondances, ceux de l’université islamique de Sankoré qui
n’avait pas à l’époque moins de 20 milles étudiants.
Le sultan fini par trouver une justification qui puisse être acceptable par les ulémas : les
salines de Teghazza se situent entre la ville de Tombouctou et la vallée du Draa. Alors en
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croire le sultan l’occupation songhaï de cette localité est une violation territoriale. Donc
récupérer les salines de Teghazza est une cause juste car cela permet au Maroc de recouvrer
son intégrité territoriale. C’est dans ce sens qu’il va mettre sur pied une armée composée de
4000 hommes dont la moitié était essentiellement composée de mercenaires Espagnols. Le
sultan nomma à la tête de cette armée, Jaoudar Pacha, un homme qui s’est illustré lors de
l’Oued El Makkhazine par son courage et sa bravoure mais surtout par sa fidélité aux
souverains, n’importe qui qu’il soit.
Les marocains lancèrent l’assaut avec Jaoudar Pacha comme chef de guerre
II.
Qui est Jaoudar Pacha ?
L’homme fort à qui la mission de récupération a été confiée n’est pas un officier de l’armée
marocaine. C’est un étranger convertis et installé auprès du Sultan marocain à Marrakech depuis
la fin de la guerre des trois rois. S’il n’a pas été éliminé par El Mansour comme les autres
officiers pro-ottomans, c’est parce qu’à la différence des autres « On le dit expéditif et cynique,
mais il est idolâtré par ses hommes et surtout il est fidèle au sultan, quel qu’il soit. C’est cette
dernière particularité qui le sauve de la purge anti-ottomane dans l’armée marocaine ordonnée
par El Mansour après son avènement au pouvoir »1. Très redouté et connu de tous les officiers
marocains pour sa vaillance : Jaoudar Pacha. C’est à lui qu’il sera ordonné de livrer bataille à cet
empire Songhaï à Gao. Si le sultan décide de lui confier cette tâche, c’est bien parce que la plus
part des hommes de cette armée ont un respect total à son égard. En quittant Marrakech, il avait
sous ses commandements 4000 hommes tous armés jusqu’aux dents. Objectif de la mission,
récupérer les salines de Teghazza que l’Empire Songhaï occupe illégalement.
Pour récupérer les salines de Teghazza, les soldats d’Ahmed El Mansour ont détruit
Gao, capitale de l’Empire Songhaï
Avec plus de deux milles chameaux, chargés de vivres, de pièces d’artillerie et de minutions,
quittèrent Marrakech en direction de Gao en ce début de l’an 1590. Arrivé à Teghazza, les
marocains s’emparent des salines sans difficulté et commencent la ainsi leur marche vers la
capitale de l’Empire Songhaï, Gao. Selon certaines sources, il faut au moins cinq mois pour
travers l’étendu désertique du grand Sahara qui mène jusqu’à Tombouctou. Bien instruits de sa
mission de sa mission principale qui est de prendre la ville de Gao et ses réserves d’or, Jaoudar et
ses hommes ne peuvent pas désarmer après la prise de Teghazza. Mais durant ces longues
traversées, une partie importante de l’armée a été décimée par les fièvres tropicales.
Affaiblies et surtout en manque de vivre, Jaoudar et ses hommes arrivent à Tondibi, une localité
située à 60 km de Gao en début Avril 1591. Il n’est pas question de lancer l’assaut vue l’état de
l’armée, et chef de guerre de l’armée d’El Mansour tentera de trouver un compromis avec Ishak
II en lui faisant une proposition de soumission au sultan Ahmed El Mansour de Marrakech. Cet
empereur disposant d’une armée de plus de 40 000 hommes refuse de se soumettre. Commence
Sebti, A., « L’ho
e ui a o uis To ou tou », Zamane, revue d’histoi e, pu li atio du 02 Dé e
2012. Disponible sur : http://www.zamane.ma/lhomme-qui-a-conquis-tombouctou/
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ainsi les préparatifs de la guerre d’un côté comme de l’autre. Ishak II est bien conscient que la
proposition de celui qui a pour mission de détruire son empire est due à la faiblesse de l’armée
qu’il commande et par conséquent, les hommes de Gao ne peuvent accepter de compromis. De
son côté, Jaoudar tente de restructurer son armée et c’est dans ce sens qu’il va s’emparer des
vivres
d’une
caravane
marchande
en
direction
de
Sijilmassa.
La date du 12 Avril de marque le début des hostilités entre les armées ennemies. Ce sont les
hommes d’Ishak II commandés par lui-même qui ont attaqué les premiers. Malgré la supériorité
numérique de l’Empereur de Gao, les hommes de Jaoudar disposent de ce qui va faire la
différence, l’artillerie lourde. Ainsi dans un rien de temps, les Marocains mettent les 40 000
hommes armés d’arcs et de flèches en déroute. Mais le Morisque qui avait pour mission de
capturer Gao et déposséder cette capitale de ses trésors a bien l’intention de se montrer grand
seigneur : il demande à ses hommes de ne pas poursuivre les soldats ennemis en fuite mais
également laisse la vie sauve à l’empereur Ishak II et les princes de sa dynastie.
Reconnaissant sa défaite, Ishak II proposera à Jaoudar mille pièces d’or, mille esclaves et sa
propre soumission au Sultan saâdien. En contrepartie, il demande le retrait de la troupe
marocaine de son pays. En réponse à cette proposition, Jaoudar se tourna vers le Nord tout en
affirmant : « Je ne suis qu’un esclave » mais il prend l’engagement à Ishak II de faire part de sa
requête au Sultan à Marrakech. Après la bataille de Gao, les troupes expéditionnaires marocaines
se dirigèrent vers Tombouctou. A cette occasion, le Morisque adresse une correspondance au
Sultan pour faire le point sur l’Etat d’avancement de la guerre et précise la nouvelle direction de
l’armée.
La prise de Tombouctou et le déclin de l’Empire songhaï
Après la conquête de Gao, Jaoudar et ses hommes font leur entrée à Tombouctou sans
résistance en date du 25 Avril 1591. En plein cœur du désert, Tombouctou est une véritable cité
spirituelle à cette époque. Peuplée de 80 000 habitants dont plus 20 000 étudiants, la perle noire
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du désert impressionna Jaoudar : ses savants et ses mosquées et universités imposent respect de
la part de ses visiteurs. Les mosquées Sidi Yaya et Sankoré qui datent toutes les deux
respectivement du XIV et XVème siècle sont aussi des centres d’étude des textes religieux. En
plus de ces deux mosquées, il y a aussi la grande mosquée Djingarebere. Impressionnante par
son architecture, elle a été bâtie sur l’ordre du puissant empereur du Mali Mansa Moussa au
retour de la Mecque en 1325 et l’architecte de cette mosquée est aussi un andalou comme
Jaoudar du nom de Abou Ishak Es-Sahéli. En plus de ces richesses culturelles musulmanes qui
témoignent d’un passé glorieux, le Morisque découvre également les nombreuses écoles
coraniques dirigés par des lettrés dont l’autorité intellectuelle est incontestable à Tombouctou.
Dans ces écoles se tiennent des discours et des débats sur la théologie, la philosophie, la
jurisprudence et les sciences comme l’architecture ou la médecine. Jaoudar se laissa ainsi
fasciner par ce pays dans lequel la pensée est libre contrairement à sa ville natale de Grenade ou
sa capitale adoptive. Après son entrée à Tombouctou, Jaoudar ordonnera la construction de la
Kasbah mais qui sera terminer par son le pacha qui le succéda à la tête de Tombouctou.
Cette fascination est vue de mauvaise œil par le sultan Ahmed El Mansour qui envoie à
Tombouctou une nouvelle expédition et destitue Jaoudar qu’il accuse de « sympathie avec
l’ennemi mais aussi d’avoir pillé une caravane se dirigeant vers le Maroc »2.
Le nouveau Pacha du nom de Mahmoud Ben Zergoun arrive à Tombouctou le 17 Août 1591 ;
c’est lui qui va achever la destruction des restes de l’empire Songhaï. Il arrêtera le successeur de
l’empereur Ishak II, Mohamed Gao et tous les princes de la dynastie qu’il ordonne d’assassiner.
Si les Songhaïs sont militairement vaincus, les intellectuels s’opposent à une dominant
marocaine de leur pays. Ils considèrent ainsi que l’occupation d’une terre musulmane par une
autre force musulmane est contre les principes même de l’Islam. Parmi ces intellectuels, il y a
Ahmed BABA, un éminent savant de Tombouctou. Il sera arrêté puis expédié à Marrakech par
Ben Zergoun avec une centaine d’autres maitres d’écoles coraniques et philosophes.
C’est ainsi que le sultan du Maroc Ahmed El Mansour portera désormais le nom du doré,
« Eddahabi » en arabe, grâce aux « richesses qu’il aurait soutirées aux Songhaïs ». Quant à la
situation à Tombouctou, elle ne fut pas stable et c’est pourquoi, Ben Zergoun s’est vu révéler de
ses fonctions de pacha et d’autres ont été envoyés sur place. Cette succession de pachas
continuera jusqu’en 1612. A la fin du règne d’Ahmed El Mansour, le Maroc entra dans une
période de guerre civile qui débouchera à la fin de la dynastie saâdienne. Il faut attendre
quelques décades pour qu’une autre dynastie arabe, les Alaouites prennent le pouvoir et réunifie
le royaume.
Sebti, A., « L’ho
e ui a o uis To ou tou », Za a e, evue d’histoi e, pu li atio du 02 Dé e
2012. Disponible sur : http://www.zamane.ma/lhomme-qui-a-conquis-tombouctou/
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III.
Ahmed BABA, de sa vie intellectuelle à Tombouctou à sa captivité à
Marrakech
Qui est Ahmed BABA ?
De son vrai nom Ahmed Ibn Ahmad Al Takuri Al Masufi al Timbukti BABA est né le 26
octobre 1556 à Araouane dans l’actuel Mali, il meurt à Tombouctou en 1627. Il est sans
doute, l’un des savants les plus éclairés de son époque. Son instruction religieuse commence
auprès de son père Alhadj Ahmed à Araouane alors lui-même juriste confirmé et respecté des
érudits de Tombouctou. Depuis cette date, celui qui s’opposera à la domination marocaine
montre un intérêt particulier aux sciences, à la philosophie et à la littérature. C’est donc en
compagnie de son père qu’il arrive dans la ville des 333 saints pour poursuivre sa scolarité
sous la direction de Mohammed Baghayogo. Ici, il se trouve au cœur même de la cité
spirituelle où les idées s’affrontent lors des rencontres et des débats. Dans son autoportrait,
Ahmed BABA dira de son professeur Baghayogo « Ce fut mon guide et mon précepteur dans
la carrière des lettre, et nul autre, (…) ne m’a été aussi utile que lui ».3
Ahmed Baba consacre ainsi toute sa jeunesse à l’apprentissage des sciences, de la
jurisprudence, de la philosophie, la grammaire et autres disciplines. Il ne terminera cette
longue quête de la connaissance qu’à la trentaine. A la fin de cette formation, il est devenu à
son tour non seulement philosophe mais aussi un maître-penseur dans la mesure où il
enseignait lui-même sa philosophie à un nombre considérable de disciples. En plus de ce rôle
de philosophe, Ahmed Baba avait la fonction de cadi et d’écrivain. De son actif, il aurait
rédigé une centaine d’ouvrage sur plusieurs thématiques touchant la vie intellectuelle et
spirituelle de son temps. Selon certaines sources comme le site internet Afrikhepri.org, 56 de
ses ouvrages sont connus jusqu’à ce jour dont certains se trouvent actuellement dans la
bibliothèque Naciri de Zagora. La majorité de ses ouvrages ont été rédigés lors de son exil à
Marrakech entre 1593 et 1607. Quand il fut enchainé et exilé à Marrakech, sa bibliothèque
personnelle comptait plus 1600 ouvrages.
Ahmed BABA, philosophe et défenseur des causes nobles ?
La personnalité intellectuelle d’Ahmed BABA est reconnue de tous et sa pensée se
démarqua de celles de ses contemporains par une vision avant-gardiste. Il fonde avant tout ses
réflexions sur le droit canonique musulman. Ses thèses concernent en majorité les questions
philosophiques, politiques et religieuses. Dans l’un de ses ouvrages rédigés en 1588, intitulé
Jalb al-nima ma wadaf al-niqma bi-mujanat al wulat al-zalama, (Porte-bonheur et contremalheur : éviter les autorités injustes), Ahmed BABA traite des relations entre savants et
politiques. Il y démontre la nécessité que les intellectuels doivent se désolidariser avec des
pouvoirs injustes. C’est dans ce sens qu’il dira : « c’est pour m’alerter moi-même et mettre en
3
MBONGO, N., Un grand maitre de la philosophie africaine médiévale : Ahmed BABA, Ethiopiques numéro 6667, Revue de littérature et de philosophie négro-africaine, 1er et 2ème semestre 2001. Accessible sur :
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-article&id_article=1280#nb4
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garde des compatriotes et mes pairs contre la fréquentation des gouvernants oppresseurs que
j’ai composé ce volume. »4
Il prône une gouvernance politique fondée sur la morale et la science et dans laquelle les deux
dernières tiennent le premier rôle. Dans son ouvrage Tunfat al-fudala bi-bad fada’il al
Ulama’a (Dons prestigieux, élargissant la vertu des savants), rédigé en 1603, le savant de
Tombouctou dira : « ceux qui possèdent le savoir ou le pouvoir et n’agissent pas selon leur
enseignements ne sont qu’à moitié obéissants, tandis que ceux qui la ou le possède et agissent
en conséquence ont un double mérite (…). Nous penchons pour l’idée de la prééminence des
savants comme le prouvent de nombreux hadiths et athars ainsi que de nombreuses traditions
remontants aux « anciens vertueux ». Mais les savants dont il s’agit ici sont ceux qui font
preuve de piété et de dévotion et se conforment à l’enseignement du coran et de la sunna et
non ceux qui cherchent à tirer de leur science des intérêts immédiats ou une gloire
personnelle.»5 Cette citation nous permet également de comprendre que la pensée d’Ahmed
BABA place la communauté au-dessus des intérêts individuels. Sa philosophie consacre les
philosophes et la raison pensante comme des tribunaux du politique mais surtout elle prône la
tolérance politique et le sens du progrès scientifiques et social de la part du gouvernant
comme la seule manière d’aboutir à une gouvernance politiquement éclairée et socialement
équitable. En même temps, elle recommande la vigilance voire la distanciation des savants
vis-à-vis des politiques pour que la science puisse garder toute sa dignité. Il convient de noter
également que cette profondeur de la pensée d’Ahmed BABA lui permit d’échanger avec les
plus grands savants de son temps parmi lesquels Al Ghazali et Ibn Khaldoun. Ahmed BABA
s’opposa également à d’autres thèses comme la malédiction de Chem qui considère que la
race noire serait maudite ou encore la déshumanisation de l’esclave par son maître.
S’il développe une pensée politique, le penseur de Tombouctou est aussi un patriote confirmé.
Certains chercheurs comme MBONGO pensent que ce patriotisme s’est surtout révélé lors de
la consultation faite par Ishak II à la veille de la conquête marocaine. A ce titre MBONGO
affirme : « Il est certain, assure Zeys que Ishak-sokya dut interroger également les oulémas
soudaniens sur la valeur juridique des prétentions du sultan marocain ; ce qui le prouve, c’est
l’attitude patriotique que prit Ahmed BABA à cette occasion. Il était alors dans toute la force
de l’âge - il avait trente-six ans - dans tout l’éclat de sa renommée ; il exerçait une grande
influence sur ses concitoyens, par la pureté de ses mœurs, par la stricte orthodoxie de son
enseignement. Il n’hésita pas un instant à déclarer que le Maroc n’avait aucun droit sur le
Soudan. »6 Ne se limitant pas à une simple prise de position, Ahmed BABA, s’engagera dans
la lutte contre l’occupation de son pays et pour se faire, il se base sur une thèse jurisconsulte
qui remonterait jusqu’au prophète Mohammed et selon laquelle, tout musulman est libre par
le fait de sa croyance et qu’il ne saurait perdre cette liberté par le fait d’autrui, ni l’aliéner par
son propre fait. Cela rend, selon lui, les musulmans intouchables les uns par les autres mais
surtout sacrés les uns pour les autres et le même pacte de croyance les unis dans le temps et
4
Conférer la référence précédente.
Citatio ti ée d’u a ti le i titulé Ah ed BABA dispo i le su le site : http://afrikhepri.org/ahmed-baba/
6
MBONGO, N., Un grand maitre de la philosophie africaine médiévale : Ahmed BABA, Ethiopiques numéro 6667, Revue de littérature et de philosophie négro-africaine, 1er et 2ème semestre 2001. Accessible sur :
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-article&id_article=1280#nb4
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dans l’espace. En solidarité avec lui, les intellectuels de Tombouctou qui étaient
majoritairement ses disciples, car l’homme le plus instruit de la cité des 333 saints à l’époque,
l’accompagnèrent dans son exil marocain lorsqu’il fut arrêté par le Pacha du sultan Ahmed El
Mansour.
Durant sa captivité à Marrakech, il s’est révélé un éminent savant et jurisconsulte. Il continua
toujours son opposition à l’idée d’esclavagisme de ses compatriotes soudanais et lorsqu’il fut
ramené devant le sultan marocain Ahmed El Mansour, il lui fit part de son indignation et de
l’injustice que ce dernier faisait subir aux soudanais. Face à l’opposition des ulémas de
Marrakech et la taille de la connaissance d’Ahmed BABA, le sultan fut obligé de le libérer
mais l’interdisant de retourner à Tombouctou. Il lui a été confié le rôle de cadi et il continua
également d’enseigner la philosophie et la jurisprudence à Marrakech le reste de sa captivité.
A la mort d’Ahmed El Mansour en 1603, l’un de ses successeurs aurait libérer Ahmed BABA
qui retourna dans sa Tombouctou détruite.
En 1970, un centre de recherche scientifique spécialisé dans la recherche et la numérisation
des manuscrits du nom de « centre de documentation et de recherches Ahmed-Baba » a été
fondé à Tombouctou sur l’initiative du gouvernement du Mali avec l’aide l’UNESCO. En
2009, il devient l’Institut des Hautes études et de recherches islamiques Ahmed BABA.
IV.
Quelques témoignages sur la ville de Tombouctou et l’empire Songhaï
La richesse de la région a longtemps fasciné les Européens. Cette réputation a été nourrie
par les récits de grands voyageurs, comme le marocain Ibn Battuta qui y séjourna en 1352. Il
décrit ici la cour impériale : «La salle (d'audiences) a trois fenêtres en bois recouvertes de
plaques d'argent et, au-dessous, trois autres recouvertes de plaques d'or... Les écuyers
arrivent avec des armes magnifiques : carquois d'or et d'argent, sabres ornés d'or ainsi que
leur fourreau, lances d'or et d'argent, massues de cristal […]. Certains jours, le sultan tenait
audience dans la cours du palais sous un arbre. Il était assis sur une estrade recouverte de
tapis de soie, et surmontée d'une ombrelle de soie, couronnée d'un oiseau en or. Le sultan
porte une coiffe en or. Il est vêtu d'une tunique de velours rouge confectionnée dans de
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précieux tissus venus d'Europe. Il est précédé de musiciens dont les guitares sont en or et en
argent. Derrière lui, 300 esclaves soldats». (Ibn Battuta,Voyages, 1352-1353).
Au même titre qu’Ibn Battuta, d’autres explorateurs ont écrits aussi sur la cité des 333 saints
comme, René Caillé qui dira : « Revenu de mon enthousiasme, je trouvai que le spectacle que
j'avais sous les yeux ne répondait pas à mon attente ; je m'étais fait de la grandeur et de la
richesse de cette ville une toute autre idée : elle n'offre, au premier aspect, qu'un amas de
maisons en terre, mal construites ; dans toutes les directions, on ne voit que des plaines
immenses de sable mouvant, d'un blanc tirant sur le jaune, et de la plus grande aridité. [...]
La ville de Tombouctou peut avoir trois milles de tour ; elle forme une espèce de triangle ; les
maisons sont grandes, peu élevées et n'ont qu'un rez-de-chaussée ; dans quelques-unes on a
élevé un cabinet au-dessus de la porte d'entrée. Elles sont construites en briques de forme
ronde, roulées dans les mains et séchées au soleil ; les murs ressemblent à la hauteur près à
ceux de Djenné.
« Les rues de Tombouctou sont propres et assez larges pour y passer trois cavaliers de front ;
en dedans et en dehors, on voit beaucoup de cases en paille, de forme presque ronde, comme
celles des Foulahs pasteurs ; elles servent de logement aux pauvres et aux esclaves qui
vendent des marchandises pour le compte de leurs maîtres.
Tombouctou renferme sept mosquées, dont deux grandes, qui sont surmontées chacune d'une
tour en brique, dans laquelle on monte par un escalier intérieur.
Cette ville mystérieuse qui, depuis des siècles, occupait les savants, et sur la population de
laquelle on se formait des idées si exagérées, comme sur sa civilisation et son commerce avec
tout l'intérieur du Soudan, est située dans une immense plaine de sable blanc et mouvant, sur
lequel il ne croît que de frêles arbrisseaux rabougris » (Journal d'un voyage à Tombouctou et
à Jenné, dans l'Afrique centrale, 1830).
A Ahmed BABA de dire, lors de son exil à Marrakech : « O toi qui vas à Gao, fais un détour
par Tombouctou. Murmure mon nom à mes amis, et porte-leur le salut parfumé de l’exilé, qui
soupire après le sol ou résident sa famille, ses amis, ses voisins. Console là-bas mes proches
chéris, de la mort des Seigneurs qui ont été ensevelis »
Il ajouté également : « Le sel vient du Nord, l'or vient du sud, l'argent vient des pays blancs,
mais la parole de Dieu, les choses savantes et les contes jolis, on ne les trouve qu'à
Tombouctou ».
Depuis 1988, la ville de Tombouctou est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de
l’UNESCO. De même, en 2007, la ville de Tombouctou était sur la liste des villes en
compétition pour obtenir le titre de Merveille du monde moderne mais elle ne fut pas retenue
pour le choix final.
A la fin de notre étude, il convient de noter que les rapports entre le royaume marocain et
le soudan qui correspond à l’actuel zone qui comprend le Mali et une partie du Niger ont été
abondants parfois très approfondis amicalement comme le démontre le voyage de Ibn Battuta
au Soudan en 1352-1353 et l’envoi de l’architecte Andalou Es-Sahéli par Mansa Moussa en
qualité d’émissaire auprès du sultan marocain à Fez en 1337. Ces mêmes liens se sont révélés
en d’autres temps très tendus comme le témoigne la conquête menée par les Saâdiens au
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XVème siècle qui s’est soldé par le pillage des richesses de l’empire songhaï mais surtout et
réduction à l’esclavage pure et dure des soudanais et ses intellectuels comme ce fut le cas de
l’éclairé Ahmed BABA. A cela, il convient d’ajouter les similarités de certaines pratiques
culturelles comme l’Islam malékite qui reste la forme de l’Islam la plus pratiquée au Mali
actuel. Et cela a été confirmé en septembre dernier lors de la visite de sa majesté le Roi
Mohamed VI au Mali à l’occasion de l’investiture du président Ibrahim Boubacar Keita. Il
convient également de rappeler que la ville de Tombouctou est considérée conne une des
villes-repères de la propagation de la culture écrite arabe et de l’islam dans la zone ouest
africaine. La réactivation de ses liens est une condition indispensable à l’échange culturel
entre les peuples.
Sources :
Articles :
Sebti, A., « L’homme qui a conquis Tombouctou », Zamane, revue d’histoire, publication du
02 Décembre 2012. Disponible sur : http://www.zamane.ma/lhomme-qui-a-conquistombouctou/
MBONGO, N., Un grand maitre de la philosophie africaine médiévale : Ahmed BABA,
Ethiopiques numéro 66-67, Revue de littérature et de philosophie négro-africaine, 1er et 2ème
semestre 2001. Accessible sur : http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimerarticle&id_article=1280#nb4
Sites internet consultés :
http://afrikhepri.org/ahmed-baba/
http://www.herodote.net/Tombouctou-synthese-1744.php
www.wikipedia.org
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