Cahiers de littérature orale
63-64 | 2008
Pratiques d’enquêtes
Histoires de contextes
Expériences en région songhay-zarma (Niger)
Sandra Bornand
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/clo/84
DOI : 10.4000/clo.84
ISSN : 2266-1816
Éditeur
INALCO
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2008
Pagination : 27-57
ISBN : 978-2-85831-181-1
ISSN : 0396-891X
Référence électronique
Sandra Bornand, « Histoires de contextes », Cahiers de littérature orale [En ligne], 63-64 | 2008, mis en
ligne le 13 mars 2013, consulté le 12 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/clo/84 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/clo.84
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Histoires de contextes
Histoires de contextes
Expériences en région songhay-zarma (Niger)
Sandra Bornand
1
Enquêter sur la littérature orale, c’est avant tout contribuer à la construction
d’interactions que l’on classe dans la catégorie « littérature orale » et qu’il s’agit de
penser en tant que co-constructions qui se développent dans un contexte particulier.
Cette affirmation me permet de mettre l’accent sur l’aspect dialogique qui existe, sous
forme implicite, dans tout discours de littérature orale.
2
Dans les récits de griots généalogistes songhay-zarma par exemple, on s’aperçoit que si
ceux-ci ont le monopole de la parole, ils s’adressent pourtant bien à un destinataire,
direct ou indirect, avec lequel ils établissent un dialogue implicite. Si cette fonction
dialogique du discours est essentielle à la production du sens, sa prise en compte est,
par voie de conséquence, indispensable à sa compréhension. Or cela implique de
considérer le contexte de production dans son ensemble : qui énonce et qui reçoit le
discours, dans quel cadre et dans quelles circonstances. Mais aussi quel type d’échange
se met en place et quels en sont les destinataires, primaires ou secondaires. C’est bien
sûr toujours l’auditoire « traditionnel » de l’énonciateur, mais lorsqu’un chercheur
assiste à la prestation, il est important de considérer que sa présence est de nature à
modifier l’interaction, puisqu’une partie au moins du discours lui est destinée. Cette
part est soumise à variation suivant l’identité de l’observateur, mais aussi de ses
antécédents relationnels avec les participants ou le rôle social qu’on lui attribue. Ainsi
le chercheur, par sa simple présence, participe de fait à l’interaction verbale, et l’on
peut alors affirmer qu’il la coproduit, avec les détenteurs d’un répertoire oral, comme
avec le reste de l’auditoire, dans des contextes particuliers qu’il s’agit de décrire.
3
Mais le concept de contexte est en lui-même problématique et, depuis quelques années,
sa représentation comme statique et préexistant à l’interprétation est remise en
question tant en anthropologie qu’en analyse des discours. Les réflexions récentes
montrent qu’il est désormais nécessaire de le percevoir dans sa dynamique, c’est-à-dire
comme le résultat d’une interprétation. Qu’impliquent alors ces nouvelles
représentations du contexte sur les pratiques d’enquêtes en littérature orale ? C’est ce
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Histoires de contextes
que je m’efforcerai d’examiner ici à partir d’exemples tirés de mes expériences chez les
Songhay-Zarma1 du Niger.
De l’art de tisser des liens
4
L’étymologie même du mot « contexte » nous met sur la piste d’une conception
dynamique : celui-ci vient, en effet, du latin contextus et contexere signifiant
respectivement « assemblage » et « tisser avec ». Contextualiser correspondrait ainsi à
l’action de mettre en relation. Ceci renvoie, en anthropologie, à ce qu’écrit Dilley (1999,
39), lorsqu’il montre que pour résoudre :
the problem in delimiting the extent of the domain indicated by «context», one
possible line of approach is to think of context in terms of «connection». Context
too involves making connections and, by implication, disconnections. A
phenomenon is connected to its surroundings.
5
En analyse des discours, Charaudeau et Maingueneau (2002, 135) développent l’aspect
construit de la relation, montrant que :
le discours est une activité tout à la fois conditionnée (par le contexte) et
transformatrice (de ce même contexte) ; donné à l’ouverture de l’interaction, le
contexte est en même temps construit dans et par la façon dont celle-ci se déroule ;
définie d’entrée, la situation est sans cesse redéfinie par l’ensemble des événements
discursifs.
6
Ces réflexions m’amènent à décrire trois principaux types de relations dont il me
semble devoir tenir compte pour évaluer l’impact du « contexte » sur la performance
de l’énonciateur2 de littérature orale et sur les analyses du chercheur :
• relations entre le chercheur et son « terrain »3 ;
• relations au sein de la situation de communication (correspondant à la performance) ;
• relations entre une performance particulière et les performances précédentes.
7
Cette classification « durcie » pour les besoins de l’article doit, toutefois, être
relativisée ; elle est provisoire et ne prétend à aucune exhaustivité.
Relations entre le chercheur et son « terrain »
8
Parler du « contexte », ce n’est pas seulement décrire les représentations des
« contextes socioculturels » dans lesquels vivent les différents interlocuteurs du
chercheur et celles des situations de communication4 liées aux discours analysés. Cela
implique aussi de prendre en compte ce qui a amené un chercheur à étudier cette
littérature orale particularités, les relations qui lient celui-ci aux habitants du
« terrain » dans lequel il enquête et ce qu’elles impliquent (notamment sur les analyses
qui en découlent).
Une recherche aux dimensions intersubjectives et émotionnelles
9
Si je devais évoquer les origines premières de ma recherche sur la littérature orale
songhay-zarma, il me faudrait remonter bien au-delà de mes études universitaires.
C’est en effet dans l’enfance qu’ont eu lieu mes premiers contacts avec l’Afrique noire
et l’oralité. Les contes d’abord que mon père et ma grand-mère me racontaient le soir
m’ont fait rêver dès mon plus jeune âge, puis les aventures de mon cousin au Tchad,
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corroborées par des objets mystérieux qui hantaient le grenier, ont attisé ma curiosité.
Ce sont ces souvenirs, longtemps restés enfouis, qui, j’en suis sûre, ont donné sens à
une suite de rencontres fortuites au cours de mes études :
• ensuite, un voyage au Niger qui suivit mon premier contact avec l’Afrique noire deux années
auparavant ;
• puis, une rencontre avec une famille songhay-zarma et peule qui m’accueillit lors de mon
premier séjour au Niger et qui devint par la suite « ma » famille dans ce pays ;
• enfin, cette rencontre en amena une autre avec un jasare qui lui était particulièrement lié,
Djibo Badjé dit « Djéliba » (terme d’origine soninké signifiant littéralement « le grand
griot »). Celui-ci est le dernier griot songhay-zarma encore vivant, sachant tant énoncer des
appels d’ancêtres que raconter des récits de guerriers ou d’ancêtres.
10
L’écoute de ses récits, le son du luth à trois cordes qui les accompagnait ont provoqué
en moi un déclic. Alors qu’auparavant je songeais à finir au plus vite mes études pour
quitter le monde académique, je décidai de m’engager dans un travail de thèse sur la
littérature orale songhay-zarma. Depuis, la fascination provoquée par ces discours ne
s’est jamais démentie.
11
Dès le départ, cette recherche – comme d’ailleurs toute enquête ethnologique – a par
conséquent une dimension intersubjective et émotionnelle. L’insertion familiale et
sociale qui s’ensuivit a, au fur et à mesure, pesé davantage sur mon implication dans le
jeu des rapports sociaux de la société étudiée. Il est alors indispensable – comme le
montre Leservoisier (1998, 12) – d’« analyser les conditions et les effets de cette
transformation dans la compréhension des phénomènes étudiés ». Cet article s’inscrit
donc dans la perspective d’une anthropologie réflexive, qui se veut – toujours selon le
même auteur (ibid., 5-6) – « résolument constructive et attachée aux données
empiriques ». Et, plus que la simple mise en évidence des grilles de lecture du
chercheur, ce questionnement est surtout à la base de la production des connaissances.
Une histoire d’enracinement ou l’« impossible neutralité du
chercheur5 »
12
Si un phénomène est lié à son environnement, comme le souligne Dilley (1999), un
chercheur l’est, quant à lui, à ceux qui lui donnent accès à cet environnement, à la
société étudiée. Pour ma part, ce lien se révèle par mon intégration dans le système de
parenté de ma famille d’accueil. Classée de la même manière qu’un de ses membres
avec qui j’avais un contact privilégié, j’étais alors considérée – selon mes
interlocuteurs – comme la fille ou la petite-fille, la nièce, la tante (paternelle ou
maternelle), la sœur ou encore la cousine à plaisanterie. J’ai favorisé cette association
en me comportant selon le type de « relation familiale » qui me liait à mon
interlocuteur, et en respectant au quotidien les règles sociales6. L’apprentissage des
comportements adaptés s’est fait progressivement, et au départ, cette insertion
familiale s’est construite plus ou moins consciemment tant de mon côté que du côté de
la famille ; relevant de l’ordre du « comme si… », cette identification était alors fictive
au sens étymologique du terme7, même si – le temps aidant – l’aspect construit tend
progressivement à s’effacer. Je considère ainsi aujourd’hui cette famille comme la
mienne, ce qui me semble réciproque.
13
Après des années d’allées et venues, cette intégration familiale a été soulignée, et
renforcée par mon mariage à Niamey (avec mon époux, également suisse, qui m’y avait
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Histoires de contextes
accompagnée à plusieurs reprises) selon les rituels en cours actuellement en région
songhay-zarma (mélange de pratiques musulmanes et antéislamiques). Sur le plan de
mes recherches « pures » (qui n’étaient pas le but premier à ce moment-là), cette
cérémonie a été des plus fructueuses, car elle m’a permis de produire une série de
documents sonores et filmographiques, mais surtout d’observer « de l’intérieur » des
aspects auxquels je n’aurais pas eu accès en d’autres circonstances (cf. deuxième
partie).
14
Sur le plan social, si, comme pour tout marié, cette cérémonie était un rite de passage
et marquait un changement de statut, celui-ci a été bien plus important que ce que je
pouvais imaginer : en me mariant au Niger, je pensais juste montrer mon attachement à
ceux qui m’avaient accueillie et faire se rencontrer nos familles, deux suisses (celle de
mon mari et la mienne) et une nigérienne. Mais en retour, j’ai remarqué que le grand
crédit symbolique qui m’était accordé en avait été augmenté : cet événement est ainsi
toujours évoqué, lorsque je suis introduite chez des gens que je ne connais pas, pour
montrer ma spécificité et m’extraire en quelque sorte de mon seul rôle de chercheur.
En outre, mon geste a provoqué, en retour, une marque d’attachement (un « contredon »), bien plus forte, de la part des membres de la famille : l’invitation par mon
« père » nigérien, qui entre-temps avait été élu chef de canton, à sa cérémonie
d’intronisation, les membres de la famille considérant que ma présence était
indispensable à la réussite symbolique de celle-ci. Comme lors du mariage, mon statut
ambigu d’ « étrangère familiale » m’a permis d’avoir un accès libre aux différents
espaces occupés par le chef, même lorsqu’il se retrouvait seul, ce dont ni – d’un côté –
sa propre fille, ni – de l’autre – un autre étranger n’auraient pu bénéficier.
15
À cette intégration familiale, s’en ajoute une autre qui en dépend clairement : elle
concerne mes liens avec Djéliba, le jasare de la famille, avec lequel j’ai le plus travaillé et
noué des liens très proches. Lorsque je l’accompagnais, j’étais la lokkoliize (lit. : « enfant
d’école », « élève ») venue d’Europe qui voulait connaître les « traditions » des jasare. En
le suivant dans ses diverses activités (cérémonies, visites protocolaires) et en l’écoutant
me raconter ce qu’il savait du passé des Songhay-Zarma, en l’interrogeant même, je
correspondais à l’image de l’élève jasare, tout en restant à distance, puisque je ne suis
pas d’origine jasare, que je suis une femme, que je n’apprends pas les discours par
cœur8, mais les analyse. Je jongle ainsi entre plusieurs rôles : à la fois élève, « noble » et
chercheur étranger. Cette ambiguïté (dans la réalité, le noble ne peut être élève de
griot) montre par conséquent la liberté sociale et familiale qu’on m’octroie. Mais si elle
fait de moi une sorte d’électron libre au sein d’un système structuré et si mon rôle
social (pour reprendre une expression de Goffman) ne semble pas être en contradiction
avec mon rôle de chercheur9, nous verrons, par la suite, que leur combinaison n’est pas
si évidente…
16
Comme mon parcours le montre, une expérience de terrain, c’est d’abord pour moi
l’histoire d’une intégration aux multiples facettes. Et l’affiliation, sans cesse rappelée
par la famille ou le jasare, m’a été précieuse pour mes recherches sur la littérature
orale. Ainsi, chaque fois que je vais dans un village, je suis située d’un point de vue
social et familial10, ce qui renforce alors mon inscription dans la communauté.
17
Or l’implication personnelle du chercheur suppose souvent qu’il se positionne ou qu’il
soit défini, explicitement ou non, par ses interlocuteurs en terme d’appartenance à un
clan allié ou rival. Se pose alors la question de la ligne de conduite 11 à adopter pour
éviter de menacer la face de son interlocuteur, mais aussi celle du contrat établi, de
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façon plus ou moins consciente, entre les partenaires pour que l’interaction se passe
bien. Ceci justifie la nécessité, pour le chercheur en littérature orale, d’une approche
réflexive et d’interroger ses relations à la société qu’il étudie, et celles qu’il a avec
l’énonciateur (y compris les différentes identités qui sont attribuées par celui-ci au
chercheur), avant, après et pendant la rencontre ainsi qu’au moment de
l’interprétation du discours.
18
Comme l’écrit Christine Pirinoli (2004, 165) :
J’ai constaté que la posture « neutre » de chercheuse était impraticable :
parfaitement incongrue pour mes interlocuteurs, pour qui la mémoire est à la fois
une question politique et existentielle, elle était également inopérante pour moi,
car, en tant que telle, elle ne me permettait pas de construire des relations de
confiance qui seules pouvaient m’offrir un accès privilégié à mon « terrain ».
19
Si le « terrain » sur lequel je travaille est beaucoup moins sensible que celui de cette
chercheuse qui a étudié la construction de la mémoire en Palestine, la question de la
posture se pose également. J’ai, comme elle, pris le parti de considérer l’objectivité
moins comme
une question de distance et de neutralité qu’une question d’honnêteté du chercheur
dans la prise en compte de tous les facteurs qui ont affecté la production de sa
connaissance : le contexte et les rapports de force dans lesquels ses interlocuteurs
évoluent, mais aussi ses propres positions politiques, éthiques et théoriques, le jeu
de ses identités sociales, professionnelles ou ethniques, etc.
(Ibid., 179)
20
Ainsi, il m’est arrivé – du fait de mon attachement à cette famille – de ne pas avoir
accès aux informations d’une autre ou même de renoncer à travailler sur certains
aspects pour ne pas faire « perdre la face » à des proches et, par conséquent, risquer de
rompre une relation à laquelle je tiens.
21
Si ces biais, inhérents à toute recherche en sciences humaines et sociales, sont
également présents en littérature orale et doivent être pris en compte, je pense que –
sans cette implication – je n’aurais pu avoir accès à certaines informations. Par
exemple, grâce aux relations qui lient « ma » famille d’accueil à Djéliba, son jasare, j’ai
eu un accès facilité au groupe auquel il appartient : d’une part, parce que – dans la
société songhay-zarma – l’intercession est un élément important, l’individu ne
communiquant pas lui-même son désir et d’autre part, parce que les jasare sont
généralement réticents à parler de leur savoir à des étrangers (et de surcroît membres
du sexe féminin) ou ont tendance à monnayer fortement le don d’informations.
22
Par l’implication dans ma recherche de Djéliba, reconnu par les nobles et les jasare
comme le dernier grand représentant des griots, j’ai bénéficié d’un contact plus rapide
et confiant avec les autres jasare. Ses explications sur ma venue et sur les objectifs de
ma recherche ont souvent permis de dépasser de nombreux blocages. Comme
« lorsqu’on commence une rencontre, directe ou médiatisée, les participants
entretiennent déjà un certain type de relations sociales, et s’attendent à garder entre
eux à l’avenir des rapports déterminés » (Goffman, 1974, 38), son rôle – lorsqu’il me met
en relation avec les autres jasare – consiste à me faire profiter du crédit symbolique qui
est le sien (il est le président de l’association des griots traditionnels du Niger). Djéliba
est donc à même de désamorcer la crainte chez certains jasare de passer pour des
« menteurs », au cas où leur version différerait de la sienne 12 ; une crainte qui montre
combien raconter, c’est risquer de « perdre la face ».
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Histoires de contextes
23
Mais si la stratégie de Djéliba a très souvent fonctionné, il y a eu quelques échecs, à
l’image de celui vécu avec deux jasare de Saga, dont le père avait travaillé avec un
chercheur américain. Ceux-ci ont, devant Djéliba, accepté de me rencontrer sans
condition, mais se sont par la suite lancés dans un chantage financier inacceptable pour
moi. S’il est normal que, suite aux enregistrements, je récompense les jasare (qui vivent
de leur parole), je ne discute pas préalablement de mes dons, afin de ne pas quantifier
l’information. Pour leur expliquer mon raisonnement, j’utilise le verbe fansayaƞ qui
signifie « racheter contre une rançon13 » et non celui de dayyaƞ (« acheter ») ou banayaƞ
(« payer »), reprenant – à mon compte – une expression utilisée pour le rachat des
esclaves et pour l’achat du Coran. Avec ce terme (qui marque un décalage entre valeur
de l’érudition et valeur monétaire), je manifeste mon respect par rapport à leur savoir
et relativise simultanément mon don en le définissant comme une simple gratitude.
24
Si cet exemple illustre le fait qu’on n’arrive jamais sur un terrain « vierge » de
chercheurs14 et que l’interlocuteur a la possibilité de jouer sur la concurrence
éventuelle entre ceux-ci, il montre également que les deux frères jasare, en engageant
un rapport de force avec moi, signifiaient leur rivalité avec Djéliba. En rappelant le
travail de leur père (aujourd’hui décédé) avec un chercheur américain et les attentions
que celui-ci – selon eux – leur accorde encore aujourd’hui, les deux jasare se
positionnaient comme des concurrents de Djéliba, dont le père avait travaillé avec Jean
Rouch et surtout Boubou Hama15, et mettaient en évidence l’importance du savoir
détenu par leur famille. L’intervention de Djéliba comme « médiateur » était donc ici
finalement à l’origine des blocages rencontrés. Le fait que, devant leur refus, celui-ci
n’a pas proposé de m’aider (au contraire d’une première rencontre « ratée » avec un
autre jasare, cf. note 14) semble confirmer cette hypothèse.
Relations entre l’énonciateur et la situation de
communication
25
Toute interaction sociale est définie – comme l’écrit Goffman (1973, 23) – comme
« l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives
lorsqu’ils sont en présence physique les uns des autres ». Cette définition implique,
d’une part, que soient compris comme « partenaires » – dans le cadre d’une
performance de littérature orale – tant l’énonciateur que le « destinataire » direct et
indirect (le public présent lors de la performance, mais aussi le chercheur) du discours
produit. Elle implique, d’autre part, que l’interaction sociale soit vue comme une
coopération basée sur le fait que :
les différents ingrédients du contexte n’interviennent dans la communication que
sous la forme de « savoirs » et de « représentations » : le contexte s’identifie à
l’ensemble des représentations que les interlocuteurs ont du contexte,
représentations qui peuvent être ou non partagées par les participants au processus
communicatif.
(Charaudeau et Maingueneau, 2002, 135)
26
Deux questions se posent alors :
• quelle implication cette conception a-t-elle dans la production (ou construction) d’un corpus
de littérature orale ?
• quelle influence a ma présence – comme partenaire de l’inter-action – sur ces performances,
et cela même lorsque les situations de communications sont dites « traditionnelles » ? Car,
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s’il est toujours préférable de réaliser des enregistrements des conditions « naturelles »,
l’apparence « traditionnelle » ne soustrait pas le chercheur à s’interroger sur son impact sur
la production du discours.
27
On peut ainsi s’interroger sur ce qu’apporte (négativement ou positivement) cette
implication sur la compréhension du « contexte » lors d’une performance. Pour
répondre à cette question, il est tout d’abord nécessaire – à la suite de Malinowski
(1974) – de distinguer, d’un point de vue théorique, d’une part le « contexte
socioculturel » et de l’autre, la situation de communication (appelée « situation
d’énonciation » par l’anthropologue anglais), tout énoncé relevant d’abord d’une
situation culturelle déterminée, même complexe (« contexte socioculturel »), et ensuite
des conditions dans lesquelles a lieu l’acte de parole 16 (situation de communication) 17.
Et ce double aspect du « contexte » ne doit pas être uniquement évoqué afin de
présenter le texte dans un ensemble, mais étudié dans son incidence sur les discours.
Car :
le discours est une activité tout à la fois conditionnée, et transformative : les rôles
sociaux ne sont pas une fois pour toutes distribués par cette « institution »
souveraine, mais ils sont sans cesse négociés, remaniés, redistribués au cours
d’affrontements et d’interactions qui sont aussi de nature verbale.
(Kerbrat-Orecchioni, 1998, 250)
28
La représentation du discours comme dynamique et transformatif comporte une triple
exigence :
• tout d’abord, il est nécessaire de comparer des discours produits dans des « contextes
socioculturels » variés (par exemple, en milieux urbain, villageois ou mixte), car
l’énonciateur s’adapte aux compétences linguistiques, discursives et encyclopédiques des
énonciataires qui varient d’un sujet à l’autre, mais aussi d’un groupe à l’autre ;
• ensuite, il faut comparer des discours produits dans des situations de communication dites
« habituelles » et dans des types de situations différents (« provoquée » et « hors situation
de communication «habituelle»18 ») ;
• enfin, il s’agit d’analyser quelle influence a ma présence (en tant que chercheur étranger)
sur ces interactions discursives, car :
tous les participants contribuent ensemble à une même définition globale de la
situation : l’établissement de cette définition n’implique pas tant que l’on s’accorde
sur le réel que sur la question de savoir qui est en droit de parler sur quoi. J’appelle
« consensus temporaire » ce niveau d’accord. Il va de soi que chaque type
déterminé de situation d’interaction engendre un type déterminé de consensus
temporaire.
(Goffman, 1973, 18-19)
29
Il s’agit, par conséquent, de concevoir la contextualisation comme une pratique sociale
impliquant des relations de pouvoir et non comme la proclamation transparente de la
vérité (cf. Dilley, 1999, XI), d’établir quels consensus existent entre chercheur et
détenteurs de la littérature orale et d’affiner les degrés d’analyses entre les différents
types de situations de communication. C’est dans cette optique que j’interrogerai mon
influence sur les productions discursives enregistrées en situation de communication
« habituelle » et décrirai les stratégies que j’ai dû mettre en place lorsqu’il m’était
impossible d’enregistrer dans ce type de situation communicationnelle.
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Histoires de contextes
Quand tout fonctionne : l’enregistrement en situation de
communication « habituelle »
30
« Quand tout fonctionnait », j’assistais et enregistrais des discours en jouant un rôle 19
en adéquation avec la situation de communication particulière liée au genre discursif
qui était enregistré. C’est ce type de situations que je qualifierais – avec prudence –
d’« habituelles ». Dans ce cas, l’enregistrement est réalisé au cours de cérémonies
auxquelles j’ai pu assister comme invitée, participante (d’un rôle plus ou moins
périphérique à celui, central, de celle que l’on marie) ou accompagnatrice du jasare.
31
En comparant les trois principaux rôles sociaux que j’ai joués lors des cérémonies au
cours desquelles j’ai enregistré des performances, on voit que chacun d’eux implique
un degré d’influence différent de ma présence sur l’interaction.
Lorsque l’on chantait pour moi…
32
Paradoxalement, c’est lors de mon propre mariage à Niamey, dans la famille qui
m’accueillait depuis mon premier séjour au Niger, et donc au moment où je me trouvais
au centre de l’interaction, que ma présence a eu le moins d’implication sur la
production du discours. Cela ne veut pas dire que celui-ci ne m’était pas destiné et qu’il
n’était pas produit pour moi, mais que cette situation se rapprochait le plus des
situations habituelles de performance : mon rôle correspondait alors à celui de
n’importe quelle mariée, même si les chanteuses ne pouvaient faire totalement
abstraction du fait que je n’étais pas Zarma et que la situation n’était pas complètement
habituelle20. Mais il n’y avait rien de « joué » lors de ce mariage. J’en veux pour preuve
le fait que les organisateurs du rite, mes « parents » nigériens, ont tout fait pour que
l’acte performatif que constitue la bénédiction nuptiale par les marabouts et la foule
fonctionne malgré mon altérité évidente. Ainsi ont-ils demandé au président de
l’Association islamique et à des lettrés musulmans très respectés si ce mariage serait
considéré comme valable, car ni mon mari ni moi n’étions convertis. Dès lors que les
réponses ont été positives, l’idée du mariage a été acceptée. Cette anecdote montre la
conscience que le « résultat » du rite, tout comme celui d’un acte de langage, « c’est son
effet perlocutoire ; effet qui dépend largement du contexte institutionnel dans lequel
s’actualise l’énoncé, mais aussi, de ses propriétés internes, i.e. de la valeur illocutoire qui
s’y trouve inscrite – un acte de langage étant « réussi », dès lors que la valeur illocutoire
à laquelle il prétend aboutit effectivement perlocutoirement » (Kerbrat-Orecchioni,
1998, 59).
33
Tout a donc été fait, non plus « comme si », mais véritablement à l’instar 21 des mariages
des filles de la famille. Mais je n’ai pu me départir de ma curiosité de chercheur. Si je ne
pouvais pas enregistrer moi-même les performances orales liées à cet événement
(j’étais condamnée à rester couchée, sous une couverture de coton, dans une chambre,
alors que les chants avaient principalement lieu dans la cour à l’extérieur de la maison),
j’avais confié le micro à une des femmes de la famille. Cette demande ne signifiait pas
pour autant que je vivais mon mariage comme un jeu, mais montrait que, avec quelques
précautions, mes rôles de mariée et de chercheur n’étaient pas contradictoires.
34
Si la soirée (le hanna : littéralement « passer la nuit ») était organisée en mon honneur,
comme on l’organise lors des mariages d’autres filles de la famille, j’en étais, en quelque
sorte, absente. Les chanteuses étaient les femmes de Djéliba, que je connaissais
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Histoires de contextes
particulièrement bien, et qui étaient habituellement conviées lors des cérémonies de
mariage familiales. L’assistance était, quant à elle, composée de femmes, membres de la
famille, amies et connaissances. La « seule » présence étrangère était, en fait, celle des
parents suisses. Bien qu’au nombre de neuf, le fait qu’ils ne comprennent pas la langue
zarma n’a pas eu de réelle influence sur les chanteuses. Car les chants ressemblent aux
productions enregistrées lors d’autres mariages22.
35
Mon rôle de mariée, lui aussi, était semblable : comme toute jeune mariée, j’étais une
actrice passive lors de la performance chantée. Les chanteuses chantent, en effet, dans
la concession, à l’extérieur de la maison, et s’adressent à deux énonciataires : la mariée,
recluse dans une chambre, mais aussi un public principalement féminin. Ainsi, si j’étais
au centre de la cérémonie, j’étais d’une certaine manière plus « insignifiante » que
lorsque j’assistais, en tant que participante ou invitée, à un mariage : dans ce dernier
cas, les chanteuses étaient potentiellement plus tentées de se concentrer sur moi dans
l’espoir d’obtenir de ma part une plus grande contribution (nooru-say : « distribution
d’argent ») que par des membres de l’assemblée songhay-zarma. En d’autres termes, le
rite envahit ici le tout, au point qu’il fasse presque (j’insiste sur ce terme) complètement
disparaître mon altérité.
Lorsque j’étais l’invitée…
36
J’ai parfois joué un rôle d’invitée, par exemple, lors de l’enregistrement en janvier 1999
d’un corpus énoncé par Djéliba Badjé au cours du mariage d’un membre de la famille
considéré comme mon oncle paternel (baaba : « père »). Si l’on pouvait me concevoir
comme participante lors de l’enregistrement des appels d’ancêtres où femmes et
hommes sont rassemblés, j’avais un statut à part lors de la journée que les hommes
passent auprès du marié. Dans le premier cas, comme toute l’assemblée, je participais
en effet à la bénédiction du mariage et étais témoin de l’union 23, alors que dans le
second, ma présence parmi une assemblée strictement masculine mettait
immédiatement en évidence la particularité de mon statut : mon identité sexuelle a, en
effet, été oubliée, alors qu’elle est une donnée centrale dans la société songhay-zarma
tant dans la répartition des lieux que des activités quotidiennes et cérémonielles. Cet
effacement de l’identité sexuelle souligne alors le consensus temporaire de la
communauté présente autour de mon rôle : je suis là en tant que proche du marié et
chercheur. Il y avait donc clairement une dissociation entre les rôles familial (dans
lequel on aurait pu me confiner) et professionnel, et celle-ci était comprise et intégrée
par les membres de la famille et les amis. Mon origine extérieure à la société que
j’étudie explique sans doute cette complaisance : comme femme songhay-zarma, issue
de cette famille, je n’aurais sûrement pas osé ni même pu si facilement passer toute la
journée parmi les hommes. À cela s’ajoutait ma proximité avec le marié : ma présence
n’était alors pas vécue comme intrusive, mais comme celle d’une proche qui écrivait
une thèse sur la littérature orale des jasare.
37
Ces représentations ambivalentes m’ont permis d’enregistrer tous les discours énoncés
par Djéliba lors de ce mariage : de la bénédiction du matin aux éloges de la nuit, en
passant par l’histoire du grand-père du marié. Le fait que ce travail a abouti à une thèse
publiée (Bornand, 2005b) et que l’institution universitaire m’a reconnue comme
« experte » ont augmenté mon crédit symbolique, me donnant une autre dimension.
Ma présence et mes recherches dépassent aujourd’hui la fonction de témoignage et
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9
Histoires de contextes
participent, à leurs yeux, à la valorisation de la famille par sa commémoration (avec un
aspect quasi performatif).
38
À l’instar du jasare-marqueur de noblesse, on peut donc dire que je « fonctionne »
comme un marqueur de distinction dans la société actuelle :
Parce que les « représentations du passé sont des constructions sociales centrales
pour la constitution symbolique des groupes sociaux » (Smith, 2004), elles sont
l’objet d’un combat et ceci d’autant plus qu’aujourd’hui de plus en plus de groupes
et d’individus font valoir leurs prétentions à la mémoire et, du même coup,
cherchent à confisquer l’histoire à leur profit. Dans les sociétés modernes, la
multiplicité des appartenances de chaque individu rend encore plus difficile la
construction d’une mémoire unifiée et provoque une fragmentation des mémoires.
(Candau, 2005, 103)
39
Même si mon travail diffère de celui du jasare, mon activité est donc aussi perçue
comme une arme dans la lutte autour de la maîtrise du passé. Et l’écrit devient alors
stratégie contre l’oubli qui les guettera, lorsque leur jasare viendra à disparaître.
40
Cette volonté de lutter contre l’oubli paraît évidente, lorsque mon « père » nigérien, le
nouveau chef de canton de Liboré, Amirou Alzouma Sounna, exprime son envie
d’archiver les discours sur l’histoire de son canton (entretiens et littérature orale) que
j’avais enregistrés. Par cette constitution de « pièces à conviction » (sonores et écrites),
que l’on pourrait convoquer à tout moment dans le débat, mon travail est en quelque
sorte détourné de sa fonction de réflexion sur les manières de dire la mémoire pour
devenir « patrimoine ». Or, ce dernier est particulièrement efficace comme « appareil
idéologique de la mémoire » (Guillaume in Jeudy, 1990, 17) et « [sa] maîtrise est un
enjeu : il s’agit de décider quelles représentations du passé vont être données à voir,
mises en scène et, éventuellement, partagées » (Candau, 2005, 125).
41
Selon moi, ceci explique, en partie au moins, l’invitation qui m’a été faite pour
l’intronisation de mon « père » nigérien. Me convier à y participer revenait à me
demander de témoigner une nouvelle fois. C’est d’ailleurs par l’énoncé – prononcé avec
une pointe d’humour – « comme cela tu pourras écrire un autre livre » que l’un de mes
« oncles paternels » a justifié la volonté familiale de m’inviter. Mais mon activité de
témoin ne justifie pas à elle seule leur invitation : de même que les chefs
« traditionnels » et les représentants du pouvoir ont été conviés, j’étais invitée pour
marquer l’importance de l’événement. D’autant plus que ma présence, par le livre que
je pouvais écrire et diffuser, offrait la perspective d’une inscription dans un temps et
dans un espace plus vastes. Mais il n’est pas ici seulement question de tactique : en
acceptant que ma famille nigérienne organise mon mariage et en me pliant aux
« règles » instaurées par la société dans son ensemble, je lui avais montré mon
attachement. De la même manière, en me faisant participer à cette cérémonie
d’intronisation, elle marquait le sien, et cela par l’intermédiaire de son représentant le
plus éminent (le chef de canton). Ainsi se construit entre nous, au fil du temps, une
histoire affective partagée. L’inscription dans un même lieu et sur une temporalité
étendue (quatorze ans) a, par conséquent, participé à la construction d’une relation
toujours plus proche, les points d’orgue qu’ont été le mariage et l’intronisation
gommant l’aspect construit des liens, au profit d’une représentation d’adoption 24,
« même si le bois stagne dans l’eau, il ne se transformera jamais en crocodile »
(proverbe songhay-zarma).
42
Quels sont les risques d’une telle implication ? J’en vois trois majeurs.
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10
Histoires de contextes
43
Le premier est celui, déjà mentionné, de la récupération de mon travail par les acteurs
sociaux, car :
des individus / groupes s’affrontent soit pour faire prévaloir leurs mémoires
respectives, avec comme objectif que l’une d’entre elles […] parvienne à s’imposer à
tous au point d’éradiquer la ou les mémoires alternatives, soit, encore, des
individus / groupes s’affrontent en regard d’une mémoire qui n’est pas réellement
contestée, pour en privilégier tel ou tel éclairage ou tel aspect particulier, c’est-àdire un faciès mémoriel.
(Candau, 2005, 101-102)
44
La réappropriation par les acteurs sociaux de la recherche n’est pas en soi due à
l’implication émotionnelle et subjective du chercheur, mais est coexistante à toute
recherche en ethnologie et en littérature orale. La conscience de cette implication peut
alors participer à une réflexion plus poussée sur les finalités de son propre travail pour
ceux que l’on enregistre et du contrat moral qui lie le chercheur à ces derniers.
45
Le deuxième risque est une conséquence de ce contrat moral qui lie les deux parties :
comment traiter de discours qui pourraient me mettre en position de conflit avec des
personnes qui m’ont accueillie et à qui je suis liée ? En d’autres termes, comment faire
coïncider mon rôle de chercheur et celui d’ « hôte » et ne pas se censurer ou, au
contraire, détruire une relation construite sur le long terme ? Car, comme l’écrit
Goffman (1974, 10) : « L’individu a généralement une réponse émotionnelle immédiate
à la face que lui fait porter un contact avec les autres : il la soigne ; il s’y « attache » ».
Pour illustrer cette problématique, je prendrai un exemple datant du début de mes
recherches et ne concernant pas le canton de Liboré duquel viennent mes proches
(cette précaution oratoire n’est-elle pas en elle-même le signe d’une certaine
censure ?). À cette époque, mes enregistrements portaient sur les récits de jasare à
propos d’une chefferie zarma et sur les généalogies adressées, par ces mêmes jasare, au
chef de canton. Celui-ci, qui m’avait été présenté par Djéliba, m’avait proposé de venir
loger chez lui. Sur le moment, je n’y avais pas vu d’objection car, les jasare de son
canton vivant dans un village que je ne pouvais atteindre, il pouvait les accueillir chez
lui. Mais, au fur et à mesure de mes entretiens et enregistrements, je me suis rendu
compte que les jasare sautaient une génération ou donnaient le nom d’un ancêtre
maternel, lorsqu’ils louaient le chef et sa famille. Ces stratégies mettaient en évidence
l’enjeu que pouvait avoir la profération d’une généalogie et les conflits entre clans
rivaux ayant droit à la chefferie. Si avoir habité chez le chef de canton n’a pas empêché
des discussions ouvertes avec les jasare, il a compliqué la suite de mes recherches : le
chef et sa famille me considéraient comme une alliée, alors que les clans rivaux
m’attribuaient un rôle d’ « espionne ». De retour de Niamey, j’ai cherché des stratégies
pour sortir de cette impasse, car cet exemple de manipulation généalogique était très
intéressant : comment alors ménager la face du chef et de ses proches tout en se faisant
accepter par les clans rivaux ? Une de mes connaissances, qui descendait de la
principale famille rivale pour la chefferie, m’a proposé de rencontrer ses grands-pères
et a même enregistré leur version, ma présence n’étant pas acceptée. Ceux-ci ont révélé
que des conflits se produisaient encore régulièrement entre eux (ce qui m’avait été
caché). Comme ce « terrain » était explosif (puits empoisonnés, bagarres) et que les
enjeux politiques dépassaient les objectifs de ma recherche (une analyse des stratégies
discursives des jasare – qui allait être évidemment comprise comme une validation
d’une version – valait-elle, en effet, de futurs conflits ?), j’ai laissé de côté ces discours
généalogiques. Mais j’ai intégré, lors de terrains moins sensibles, les éléments repérés à
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Histoires de contextes
cette occasion tant dans les enquêtes que dans les analyses des mécanismes discursifs.
On retrouve ici les avantages d’une entrée par le conflit (cf. Olivier de Sardan 25).
46
Le troisième risque – que j’ai nommé « les malentendus du off » – réside dans
l’ambiguïté entre mon rôle familial et celui de chercheur. Ainsi, même le jour de mon
mariage, j’ai fait effectuer des enregistrements. Mais si – dans ce cas – ce
comportement a provoqué les rires, car je pensais au travail un jour de fête, il ne créait
pas de ruptures du consensus autour du rôle que je jouais : d’une part, parce que j’ai
délégué et suis donc restée dans mon rôle de mariée ; d’autre part, parce que l’habitude
a été prise, en milieu urbain, de faire filmer son mariage. Mais il n’a pas toujours été
aussi évident de gérer l’ambiguïté de mes rôles. Ainsi un proche pouvait-il aborder un
sujet touchant de près ou de loin à mes recherches au cours d’un échange privé, mais
refuser – par la suite – de répondre à mes questions, lorsque je demandais des
précisions, soulignant de cette manière que c’était au confident qu’il s’adressait et non
au chercheur. Ces blocages mettent en évidence une compréhension de la situation de
communication différente : quelque chose se produit amenant l’interlocuteur à
interpréter différemment mon rôle (tantôt confidente, tantôt chercheur) et, par
conséquent, mes questions (vécues alors comme intrusives). Est-ce le fait de quitter la
posture d’écoute attentive pour questionner ? Une manière de formuler la question ?
Un changement dans mes intonations ? Par une analyse attentive des conditions de
production de ces « malentendus du off », il s’agira de dégager les éléments entraînant
la rupture du consensus nécessaire à la réussite de l’interaction et impliquera de savoir
parfois laisser de côté mon rôle de chercheur pour ne pas risquer de déstabiliser mon
interlocuteur ou même de briser la confiance.
Lorsque j’étais l’accompagnatrice du jasare…
47
J’ai également participé à des cérémonies en tant qu’accompagnatrice du jasare. Dans
ces cas, je jouais un rôle d’assistante, à l’instar de ce qu’il pouvait demander à ses fils.
Ainsi je portais son luth, lui cherchais de l’eau lorsqu’il avait soif, allais demander une
natte pour qu’il puisse faire ses prières, etc. Mais, contrairement à ses enfants, je n’étais
pas enfermée dans ce rôle et me comportais simultanément en chercheur, lorsque
j’effectuais des enregistrements. Cette double casquette était d’ailleurs explicitée par
Djéliba lorsqu’il me présentait à des gens qui ne me connaissaient pas : il me définissait
comme lokkoliize (élève) et comme chercheuse suisse venue travailler avec les jasare.
Ceci a donné l’occasion d’enregistrements « en situation de communication
«habituelle» », mais ma position dans la communication différait de celle où j’étais
l’invitée : l’énonciateur (le jasare) adresse un énoncé à un énonciataire direct (par
exemple, le marié à qui il raconte un récit) et à un énonciataire secondaire (ses
proches). En tant qu’accompagnatrice de Djéliba, je faisais partie de l’auditoire tout en
étant à part : si la narration ne m’était pas destinée, le fait que j’étais invitée par le
jasare n’était pas sans incidence sur la production du discours. Tout d’abord, Djéliba,
l’énonciateur, ne manquait pas de souligner qu’on lui devait ma présence et en profitait
pour se valoriser, la présence d’un chercheur étranger symbolisant l’importance de son
savoir et celui du « groupe social » auquel il appartient, qui tend depuis quelques
années à être dévalorisé. Ensuite, il s’impliquait – comme l’hôte 26 d’ailleurs – pour que
l’enregistrement soit de bonne qualité, au contraire – par exemple – de mon mariage,
où les enjeux du rite faisaient oublier certaines précautions indispensables. Cette
coopération tant de l’énonciateur que de l’énonciataire principal est caractéristique de
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Histoires de contextes
la plupart des enregistrements réalisés en tant qu’invitée ou accompagnatrice du jasare,
démontrant au passage une plus grande visibilité du chercheur. L’énonciateur vise ainsi
par son discours, non seulement son hôte, mais aussi le public et moi-même. Toutefois,
les effets visés diffèrent selon les énonciataires : agir sur le premier, valoriser le
premier aux yeux du second et se mettre en valeur en tant qu’énonciateur, par la
réussite de l’enregistrement, pour le troisième.
Lorsque l’enregistrement en situation de communication
« habituelle » n’est pas possible…
48
Mais il n’est pas toujours possible d’enregistrer une performance orale dans une
situation de communication définie comme « habituelle », pour deux raisons
principales : la première est que certains genres discursifs relevant de la littérature
orale ne sont aujourd’hui plus (ou presque plus) énoncés, car le contexte socioculturel
s’est modifié ; la seconde raison est liée à des problèmes techniques.
49
La difficulté, voire l’impossibilité d’enregistrer en situation de communication
« habituelle » m’a amenée à mettre en place deux stratégies de contournement qui
impliquent toutes deux une modification de certaines conditions par rapport à une
performance « traditionnelle ».
50
Une première stratégie est d’être à l’origine de la performance tout en respectant les
paramètres de situations de communication « habituelles » : j’entends ici une
interaction dans laquelle l’énonciateur s’adresse à un énonciataire « traditionnel » et
respecte le temps (hors cérémonie) et le lieu d’énonciation, car il procède – sur ma
demande – comme à son habitude. Pour exemple, je prendrai celui du jasare qui rend
visite pour les besoins de mes enquêtes à un noble, un chef de village ou de canton pour
lui dire ses louanges ou lui raconter les exploits de ses ancêtres. Si elle ressemble à celle
réalisée en situation de communication « habituelle », elle reste toutefois artificielle,
car – au-delà de leurs énonciataires « légitimes » – les louanges, les appels d’ancêtres ou
les récits sont aussi, voire prioritairement destinés au chercheur. En ne récompensant
jamais le jasare lors de prestations que je définis comme réalisées « en situation de
communication provoquée », les énonciataires « traditionnels » prouvent qu’ils ont
bien conscience de ce détournement27.
51
Une deuxième stratégie, plus radicale, est de créer une situation de profération tout à
fait artificielle : l’énonciateur y profère, en privé, un discours. Outre l’absence de
l’énonciataire « traditionnel », le temps et le lieu de l’énonciation ne sont pas respectés.
Cette stratégie a été mise en place systématiquement lorsqu’il était impossible de
réaliser un enregistrement en situation de communication provoquée. C’est le cas, par
exemple, lorsque des raisons religieuses sont à l’origine d’interdictions. Ainsi, dans le
village de Bangoula, où vivent les descendants du héros du récit d’Alfa Modidaajo (cf.
Bornand, 2005b), il est interdit actuellement de jouer de la musique, de raconter des
histoires et de chanter autre chose que des sourates (versets du Coran). Le jasare ne
peut pas non plus raconter ce récit aux descendants de l’opposant du marabout, le
« prêtre des religions du terroir » (ziima), celui-ci ayant été humilié par le héros. Car,
pour ne pas faire perdre la face à un noble, un jasare ne narre pas un récit à ceux qui y
sont les vaincus. Certaines modifications sociales sont aussi à l’origine de la disparition
progressive de certains genres. Par exemple, certains époux ne préviennent plus leur
épouse, lorsqu’ils prennent une coépouse, empêchant de facto l’organisation du
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Histoires de contextes
marcanda (cérémonie, réservée aux femmes mariées lors d’un mariage polygame,
permettant à celle qui perd sa place de dernière épousée d’accepter l’arrivée d’une
nouvelle venue dans le foyer, Bornand, 2005a). D’autres interdisent que l’on chante à
cette occasion, car ces chants seraient harram (« interdit, péché »). Quel que soit
l’argument énoncé, il relève le plus souvent d’une stratégie masculine pour empêcher
des chants dans lesquels l’homme est critiqué.
52
Une impossibilité d’exploiter l’enregistrement réalisé en situation de communication
« habituelle » existe également du fait de l’environnement sonore. C’est ce qui m’est
arrivé lors de deux marcanda ; ces enregistrements n’ont pas pu être transcrits, même
avec l’aide de natifs zarmaphones, en raison tantôt de l’accompagnement musical,
tantôt de l’alternance de chanteuses, car on ne peut prévoir qui va parler pour le
placement du microphone.
53
Même « hors situation de communication habituelle », il m’est arrivé quelques
mésaventures techniques. C’était le cas lors de ma première tentative d’enregistrement
(village de Boktili, nuit du 18 février 1999) de chants de marcanda : les femmes voulaient
chanter et danser devant la maison, comme elles le faisaient habituellement. En un
après-midi, le bruit avait couru qu’une « performance » aurait lieu dans la cour d’une
des organisatrices et tous les villageois étaient présents, à l’exception des hommes
mariés et des vieillards. Les cris des enfants et les réactions de l’auditoire couvraient
leurs chants et, serrée par la foule, je ne pouvais passer le micro d’une femme à l’autre
(je ne disposais à l’époque que d’un seul micro-cravate). Lorsque nous avons voulu
écouter la cassette, nous nous sommes rendu compte que le document était
inexploitable. Les femmes ont alors proposé de refaire la séance d’enregistrement à
huis clos dans une des cases du chef de village, allant jusqu’à bloquer l’entrée : seules
les femmes mariées qui chantaient avaient le droit de pénétrer à l’intérieur. Ce sont ici
les femmes elles-mêmes qui sont à l’origine de l’organisation de la performance (cf.
initiative, choix des chants et des chanteuses). Et ce n’est pas le seul cas où les
stratégies de contournement des difficultés d’enregistrement ont été proposées par les
énonciateurs « traditionnels » des genres discursifs enregistrés 28. Ceci diminue un peu
mon influence sur la réalisation de la performance, même si c’est ma présence dans
leur village qui est à l’origine de leur proposition et qu’elles m’ont mandatée pour
enregistrer leur prestation. Ce mandat peut d’ailleurs être interprété comme montrant
leur volonté de se positionner par rapport aux hommes :
• d’une part, elles y expriment leur volonté de valoriser le répertoire de littérature orale
féminine (mon objet d’étude était, à cette époque, les récits historiques, relevant du domaine
masculin), alors qu’une grande partie de celui-ci est en voie de disparition (à leurs dires et
dans les faits). Elles m’impliquent ainsi dans leur projet, ma simple présence, mais aussi mon
intérêt attestant implicitement de l’importance de leur production discursive ;
• d’autre part, au-delà de la littérature orale, elles remettent en question – par l’attention que
je leur porte (nombreux enregistrements et entretiens) – les représentations masculines de
la parole féminine, considérée comme sans importance en région songhay-zarma, et
montrent que – tout comme les hommes – elles méritent enregistrement et enquête.
54
Je donnerai un autre exemple d’initiative prise par des énonciatrices : sachant que
j’avais enregistré des joutes et chants de marcanda auprès de villageoises d’origine
noble, les femmes de Djéliba – installées dans la capitale – m’ont proposé des chants de
mariage polygame, réservés à une catégorie particulière de chanteuses (celles d’origine
« captive »). Elles y évoquent le sexe, l’adultère féminin et se moquent de l’impuissance
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Histoires de contextes
masculine. À la demande des énonciatrices, cet enregistrement a été réalisé dans la plus
grande discrétion, loin des hommes, afin qu’aucun d’eux ne puisse écouter ce qu’elles
chantaient.
55
Leur proposition d’enregistrement se justifie principalement de trois manières :
• tout d’abord, il s’agit – pour elles, comme pour les autres chanteuses – de se positionner par
rapport à l’intérêt que j’accorde à leur mari (celui-ci est le jasare avec qui j’ai le plus souvent
travaillé) ;
• ensuite, elles veulent montrer leur savoir-faire : implicitement, elles cherchent à prouver
qu’en tant que citadines et « professionnelles » (elles vivent de leurs chants), elles sont les
véritables détentrices de ce genre de chant. À l’opposition, « professionnelles » / « non
professionnelles » s’ajoute probablement celle entre citadines et villageoises ;
• enfin, la version présentée laisse entrevoir une certaine jouissance de la part des chanteuses
qui dépassent la censure instaurée par les hommes, ces chants obscènes étant le plus
souvent interdits. Chaque fois qu’elles ont cru pouvoir chanter en ma présence et « en
situation de communication «habituelle» », elles ont d’ailleurs toujours dû y renoncer au
dernier moment, sur pression du mari.
56
Si, au début, je considérais ces enregistrements comme des productions « par défaut »,
induisant l’idée de performances « authentiques, pures » vs « inauthentiques,
impures », la multiplication des types de situation de communication m’apparaît
aujourd’hui un plus pour l’analyse. Elle permet, en effet, de comparer non seulement
des discours énoncés par des énonciateurs différents, dans des situations de
communication « habituelles » variées, mais aussi ceux énoncés dans des situations de
communication plus ou moins « artificielles » (Bornand, 2009).
Relations entre une performance particulière et les
performances précédentes
57
L’obligation d’enregistrer dans des situations de communication variées, « réelles » ou
construites, a permis de révéler la dimension pleinement interlocutive des discours de
jasare.
58
D’une part, la comparaison de discours ayant le même objet, mais enregistrés dans des
situations de communication artificiellement variées a eu le mérite de montrer les liens
entre certains « morceaux de discours » et des types de situation particuliers. Par
exemple, un appel d’ancêtres énoncé hors situation de communication « habituelle »
est une simple énumération de noms (liste généalogique ascendante), alors que lors
d’un mariage, c’est un discours hétéroclite composé majoritairement de listes
généalogiques ascendantes et descendantes, de souhaits, de proverbes et de formules
de remerciement. La présence ou l’absence de certains « pans de discours » permet
alors de s’intéresser à leurs fonctions dans l’énonciation (notamment performative). Ce
constat confirme ainsi l’hypothèse posée d’un lien direct entre la situation de
communication et la forme que l’énonciateur donne à son discours 29.
59
D’autre part, la multiplicité des énonciations en situation « habituelle » d’un discours
adressé à une même personne au cours d’un même événement (lors d’un mariage par
exemple) permet d’affiner l’analyse, en montrant l’influence sur le discours d’une
situation de communication spécifique. Il ne s’agit plus de dire que tel discours est
prononcé à tel moment, mais de décrire précisément quelles sont les interactions entre
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Histoires de contextes
un discours et une situation spécifique : ainsi un appel d’ancêtres est-il prolongé ou
raccourci en fonction des circonstances. Le but est de décrire ce qui apparaît comme
relevant d’une situation de communication particulière pour l’énonciateur,
l’énonciataire et le chercheur, mais aussi les représentations que l’énonciateur a de
l’énonciataire (et inversement), de la situation d’interaction, des finalités de son
discours, et des représentations qu’il pense que le destinataire a de ces trois éléments
notamment. Car, comme l’écrit Kerbrat-Orechioni (1998, 197) :
On ne peut concevoir d’échanges qui s’établissent sur un mode entièrement non
coopératif […] Si deux personnes ont l’une et l’autre intérêt à se parler, elles
obtiendront l’une et l’autre un bénéfice si elles réussissent à le faire, et elles y
perdront toutes deux si elles n’y parviennent pas, et on est en droit de tenir leur
échange de paroles pour une activité accomplie en société, associant l’échange
verbal au fait de « mettre en commun », de « faire société ».
Conclusion
60
« Histoires de contextes » – ai-je intitulé cet article – car il mêle expériences
personnelles de pratiques d’enquêtes en littérature orale sur un « terrain » particulier,
examen de la performance de littérature orale du point de vue de l’énonciateur et de
l’énonciataire et parcours théorique interdisciplinaire, réintroduisant les réflexions sur
le « contexte » tant en anthropologie sociale et réflexive qu’en analyse
communicationnelle et pragmatique. Or « ces histoires de contextes » ne sont pas
neutres et impliquent d’analyser des représentations, le plus souvent, négligées. Conçu
désormais non plus comme unique, mais comme une construction dynamique, le
concept problématique de « contexte » apporte un affinement dans l’analyse du modèle
communicationnel, où la situation de communication est envisagée comme une
interlocution et où l’on s’interroge sur l’énonciateur et l’énonciataire à la fois dans leur
statut individuel et dans leur(s) rôle(s) social(aux). Dans ce modèle où l’énoncé n’est
plus vu comme un message livré par un destinateur à un destinataire, mais coproduit
par ceux-ci, s’ajoute ainsi un devoir d’analyse concernant les représentations des uns
sur les autres et sur eux-mêmes ainsi que sur l’énoncé produit.
61
Il s’agit également d’histoires d’enquêteur et d’ « enquêtés », dans la mesure où – qu’on
le veuille ou non – la présence du chercheur complique plus encore le modèle
communicationnel lors d’une performance « habituelle » de littérature orale. Se posent
alors les questions suivantes :
• Quelles sont les motivations du chercheur ? quel(s) rôle(s) joue-t-il ? et comment les fait-il
coïncider ?
• Comment conçoit-il son rôle dans la situation de communication ? Depuis quelle position
parle-t-il ? Est-il dans son rôle de chercheur, de marié ou d’ami, etc. ?
• Quelles relations a-t-il avec les énonciateurs et énonciataires durant la performance ? Quels
rôles sociaux ceux-ci lui assignent-ils ?
• Comment faire coïncider le rôle qui lui est attribué par l’institution universitaire qui lui
donne les moyens de faire sa recherche et qui lui permet de se rendre sur le « terrain », et
celui, assigné par les enquêtés (par exemple, de « nièce », d’amie ou de mariée), sans perdre
son crédit symbolique ?
• À qui parle le chercheur, lorsqu’il discute avec un énonciateur ou énonciataire d’un type de
littérature orale ? Est-ce, par exemple, au chef de canton, à l’oncle paternel ou à
l’ « enquêté », sachant qu’un même individu joue différents rôles ?
Cahiers de littérature orale, 63-64 | 2008
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Histoires de contextes
• Comment se passe la coopération interlocutive ? Les intérêts sont-ils communs entre
l’énonciateur, l’énonciataire et le chercheur ? Sinon, comment rétablir l’équilibre nécessaire
au consensus temporaire, et éviter un éventuel dysfonctionnement de la communication ?
62
L’analyse montre que plus mon statut se rapprochait du rôle social attribué à une
personne issue de la société (dans mon exemple, celui de mariée), moins importante
était mon influence sur la production discursive. Mais, même proche de la situation
« idéale » de performance « habituelle », le chercheur (même local) ne peut se « mettre
complètement dans la peau de l’autre ». En d’autres termes, quoi que je fasse, mon
altérité demeure visible. Sinon, si l’on reprend l’exemple de mon mariage, celui-ci ne
serait pas défini comme un événement exceptionnel et je ne serais pas obligée
d’employer des circonlocutions telles que « ressembler à », « comme si », « à l’instar
de ».
63
L’impossibilité ou la quasi-impossibilité d’enregistrer – sans biais – une performance en
situation de communication « habituelle » n’implique toutefois pas d’y renoncer. Elle
impose, au contraire, de trouver des stratégies de contournement comme multiplier les
versions, en comparant des performances produites dans des situations de
communication différentes, mais aussi dans des types de situation communicationnelle
au sein d’un « contexte socioculturel » identique ou quasi identique 30. Ce dernier point
met en évidence la nécessité d’enregistrements, si possible de discours du même type,
répétés sur une longue durée. Ces variations dans le temps au sein d’une « même »
culture offrent des comparaisons internes à une culture et pas seulement au sein de
cultures différentes.
64
La variété des situations de communication permet, par les modifications que les
énonciateurs apportent à leur discours, d’analyser les représentations que ceux-ci ont
de la situation de communication. Ceci aide à mieux comprendre les liens pris en
compte par ces énonciateurs dans leur interprétation de cet ensemble construit,
dynamique qu’est le « contexte énonciatif » pour s’adapter à leurs énonciataires, voire
au « contexte socioculturel ». En « variant » aussi ce dernier, on s’aperçoit que les
modifications du discours sont notables. C’est le cas, par exemple, lors
d’enregistrement de concerts de Djéliba, au Niger, auprès d’expatriés ou, dans le cadre
du centre culturel franco-nigérien, devant un public mixte, ou encore à l’étranger lors
d’une tournée en Belgique et en Hollande (Bornand, 2007).
65
Ainsi, d’un côté, ces « variations d’échelles » (temporelles, par des enregistrements sur
la durée31, ou locales par des enregistrements dans des « contextes culturels »
différents) prennent au mot la conception du contexte comme construction
dynamique : l’énonciateur tient compte des spécificités de la situation de
communication pour négocier les places, les rôles et les changements de statut, afin
d’éviter l’échec de la performance.
66
Au bout de la « chaîne », travailler sur les représentations qu’ont les énonciataires de la
situation de communication et socioculturelle permet de comprendre leurs jugements
sur l’énonciateur et leurs explications concernant la réussite d’une performance ou son
échec, en incluant le chercheur dans cette analyse et en appliquant aux pratiques
d’enquête en littérature orale cette fameuse réflexivité déjà exploitée en
anthropologie…
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Histoires de contextes
BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. Qui représentent environ 22 % de la population nigérienne.
2. Reprenant les appellations de Benveniste (1966, 1974), j’appelle « énonciateur » celui qui
adresse son énoncé à un énonciataire (qui peut être considéré comme co-énonciateur du fait de
son implication dans l’énonciation de l’énoncé).
3. Je reprends ici la définition du concept de terrain citée par Pirinoli (2004, note 1, 165) : « Dans
l’optique, notamment, de Clifford (1997a) ou de Gupta et Ferguson (1997), je ne considère pas le
« terrain » comme localisé et défini spatialement, mais bien plus comme une construction qui
peut se référer à des lieux et des temporalités variables, en fonction des objets de recherche.
C’est donc à cette acception non géographique que je me référerai en utilisant ce terme ».
4. Suivant les derniers développements en analyse des discours, je distingue (ce qui n’était pas le
cas in Bornand, 2005b) « la situation “réelle”, “référentielle” de communication de la parole, avec
les paramètres d’ordre social et psychologique qui en déterminent la figure et la situation
d’énonciation telle qu’elle paraît, par la médiation de la langue, dans l’énoncé qui est lui-même
l’objet du processus de communication. En schématisant beaucoup, la première correspond à
l’acte effectif de production de l’énoncé […]. La seconde constitue au contraire l’éventuelle
inscription et expression linguistique dans l’énoncé lui-même, de la première […] » (Calame,
2000, 20).
5. Selon l’expression fort appropriée de Christine Pirinoli (2004).
6. Il ne faut pas voir dans cette association aucune intention malhonnête. Il s’agissait juste,
comme l’écrit D’Halluin (2006, 65-66) de « faire «avec les moyens du bord», d’élaborer des
tactiques, pour reprendre la distinction établie par Michel de Certeau (1990, 57-63) entre cette
notion et celle de stratégie, qui suppose que le sujet ait une relative maîtrise de la situation ». Je
ne souhaiterais pas que la dimension potentiellement violente de mon discours scientifique (avec
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Histoires de contextes
une analyse a posteriori des relations nées sur le terrain et une mise à distance imposée par le
cadre universitaire) soit ressentie, par mes proches au Niger comme une trahison, les liens noués
étant tout à fait sincères.
7. Fictio désigne, en premier lieu, l’action de façonner.
8. Même s’il m’a « initiée » – sur ma demande – durant un mois à l’apprentissage des jasare.
N’arrivant plus à mémoriser les discours, j’ai fini par abandonner de moi-même.
9. Ceci paraît plus difficile pour un chercheur local (cf. Diawara, 1990). D’ailleurs, si j’avais été
une « véritable » femme de la famille, je n’aurais sûrement pas pu agir aussi librement.
10. Lorsque je suis introduite par Djéliba Badjé, celui-ci ne manque pas de parler de mon
intégration dans la famille. Par ce geste, il m’associe simultanément aux jasare et aux nobles de
Liboré.
11. Définie par Goffman (1974, 9) comme « un canevas d’actes verbaux et non verbaux qui lui
sert à exprimer son point de vue sur la situation, et, par-là, l’appréciation qu’il porte sur les
participants », mais aussi sur lui-même. De toute façon, « qu’il ait ou non l’intention d’adopter
une telle ligne, l’individu finit toujours par s’apercevoir qu’il en a effectivement une. Et, comme
les autres participants supposent toujours chez lui une position plus ou moins intentionnelle, il
s’ensuit que, s’il veut s’adapter à leurs réactions, il lui faut prendre en considération l’impression
qu’ils ont pu se former à son égard. » (Ibid.).
12. L’idée d’une version « vraie », évaluation attribuée habituellement à la première version
fixée ou à celle produite par un jasare plus reconnu, est partagée par la plupart d’entre eux.
13. « La rançon est à la fois un échange économique (un homme réduit à l’état de marchandise
contre d’autres biens matériels) et un acte symbolique par lequel un esclave est lavé de la
souillure de sa condition (dans l’optique de l’idéologie dominante, celle de l’aristocratie). »
(Olivier de Sardan, 1982, 130)
14. Dans une autre chefferie, cette problématique a été particulièrement forte : un vieux jasare
avait refusé plusieurs fois de me rencontrer malgré l’insistance du chef de canton. De retour à
Niamey, j’avais raconté ma mésaventure à Djéliba, qui avait alors proposé de m’accompagner
auprès de ce jasare. Malade ce jour-là (il est décédé depuis), le vieux griot avait pourtant joué du
luth et raconté l’histoire de la chefferie et celle d’un grand guerrier du village. À la fin de la
rencontre, il avait alors expliqué la raison de sa défiance : elle avait pour origine la venue de
chercheurs et journalistes européens et nigériens qui lui avaient fait des promesses qu’ils
n’avaient pas tenues, malgré les multiples interventions du chef de canton. Cette attitude avait
eu pour conséquence le discrédit non seulement des chercheurs et des journalistes, mais aussi du
chef qui n’avait pas su gérer la situation ni eu l’autorité suffisante pour se faire respecter de « ses
étrangers ».
15. Premier président de l’Assemblée Nationale après l’Indépendance (1960).
16. Soit l’ensemble des circonstances immédiates et perceptibles dans lesquelles est produit
l’énoncé (temps, lieu, identité des co-énonciateurs, etc.).
17. Pour plus de détails, lire Joly (1983).
18. Dans ma thèse de doctorat (Bornand, 2005b), je parlais d’ « enregistrement hors contexte »,
semblant impliquer que l’acte de langage n’était pas produit dans un contexte. Or, cette
expression maladroite cherchait à désigner le fait que la situation de communication était
« fabriquée » pour les besoins d’enquête et se différenciait des situations de performance
habituelles. C’est pourquoi je parle aujourd’hui d’enregistrement « hors situation de
communication habituelle ».
19. Amossy (1999, 13) parle de présentation de soi : « indissociable de l’influence mutuelle que
désirent exercer l’un sur l’autre les partenaires, la présentation de soi est tributaire des rôles
sociaux et des données situationnelles. Dans la mesure où elle est inhérente à tout échange social
et soumise à une règle socioculturelle, elle dépasse largement l’intentionnalité du sujet parlant et
agissant ».
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20. De nombreuses personnes qualifient d’ailleurs cet événement comme sortant du quotidien,
hors du commun.
21. Cette préposition marque toutefois l’impossibilité de se fondre dans l’autre.
22. Les phénomènes de variabilité ne sont pas plus nombreux que dans d’autres situations de
communication quasi identiques.
23. La bénédiction du mariage se caractérise par une sorte de « contrat » entre les familles des
mariés et la foule présente.
24. Ce terme est ici compris comme processus d’intégration d’un étranger au sein d’une famille.
25. « Il ne faut pas voir dans notre approche d’une société par ses conflits, ni la recherche du
conflit pour le conflit, ni la volonté de privilégier les conflits sur toute autre forme de sociabilité
ou de promouvoir une vision agonistique systématique des sociétés, ni le refus de prendre en
compte les codes communs ou les représentations partagées. Notre hypothèse n’est qu’une
hypothèse méthodologique, bien souvent vérifiée, selon laquelle le repérage et l’analyse des
conflits sont des pistes de recherche fructueuses, qui font gagner du temps et qui évitent certains
pièges que les sociétés ou idéologies tendent aux chercheurs. » (Olivier de Sardan, 1997, 177).
26. L’enregistrement n’avait pas lieu, évidemment, sans l’accord de mon hôte. Et ce dernier
n’hésitait pas à se mettre en valeur, lorsqu’il me présentait auprès des membres de l’assemblée.
Ainsi suis-je perçue par celui-ci comme chercheur et membre de l’auditoire, venue assister à une
performance réalisée pour lui, et par le jasare, comme chercheur-élève, présente pour lui et grâce
à lui.
27. On peut parler ici de trope communicationnel portant sur le récepteur, soit « chaque fois que
s’opère, sous la pression du contexte, un renversement de la hiérarchie des niveaux de
destinataire ; c’est-à-dire chaque fois que le destinataire qui en vertu des marqueurs d’allocution
fait en principe figure de destinataire direct, ne constitue en fait qu’un destinataire secondaire,
cependant que le véritable allocutaire, c’est en réalité celui qui a en apparence statut de
destinataire indirect » (Kerbrat-Orecchioni, 1998, 31).
28. Ainsi Djéliba m’a proposé de raconter des récits « hors situation de communication
habituelle » et c’est en commun que nous avons élaboré la stratégie d’enregistrement « en
situation provoquée ». Ainsi, il montrait toute l’étendue de son répertoire et cherchait à protéger
certaines pratiques discursives de l’oubli, ce qu’il n’aurait pu faire s’il s’était cantonné aux
énonciations « en situation habituelle ».
29. Cf. la littérature en kit de Derive (1990).
30. J’écris quasi, car les enregistrements sur la durée de discours « identiques » montrent que le
« contexte socioculturel » se modifie, par les enjeux politiques, l’islamisation ou
l’occidentalisation progressives des mœurs.
31. Permettant ainsi au chercheur de réexaminer, avec la distance que lui offre le temps, ses
analyses.
RÉSUMÉS
Cet article propose une analyse, alliant réflexion théorique et expériences personnelles, sur les
situations de communication de littérature orale songhay-zarma (Niger) et sur l’influence qu’a le
chercheur sur ces dernières. En effet, enquêter sur la littérature orale, c’est avant tout contribuer
à la construction d’interactions que l’on classe dans la catégorie « littérature orale » et qu’il s’agit
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de penser en tant que co-constructions qui se développent dans un contexte particulier. La
situation de communication est ainsi envisagée comme une interlocution et où l’on s’interroge
sur l’énonciateur et l’énonciataire à la fois dans leur statut individuel et dans leur(s) rôle(s)
social(aux). Ce modèle communicationnel, où l’énoncé est vu comme coproduit par ceux-ci,
implique de s’interroger sur les représentations que les énonciateurs ont des énonciataires,
d’eux-mêmes ainsi que de l’énoncé produit.
Allying theoretical reflection and personal experiences, this article analyzes oral literary speech
acts among the Songhay-Zarma (Niger) and the influence that the research scholar exercises over
them. In point of fact, conducting research on oral literature means, above all, contributing to
the construction of interactions that we classify in the category “oral literature” and that we
should perceive as co-constructions which emerge in a particular context. The situation of
communication is thus considered as a form of interlocution in which one interrogates oneself on
the sender and the receiver in their individual status and their social role(s). This
communications model, where the «message» is seen as co-produced by the two, implies that one
examines the representations that senders have of the receivers, of themselves, and of the
message.
INDEX
Population Zarmas, Songhay-Zarma
Index géographique : République du Niger
Thèmes : anthropologie (Afrique)
Keywords : Oral Literature, Songhay-Zarma, Context, Communication, Sender, Receiver,
Representations, Anthropology, Republic of Niger, Zarma
Mots-clés : contexte, communication, représentations, énonciateur, énonciataire, jasare
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