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BULLETIN
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VAcadémie
Royale
de Langue et de Littérature
Françaises
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Palais des A e a d é
Françaises
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1983
Bulletin
de
l'Académie Royale
de
Langue et de Littérature Françaises
1983
Tome LXI — N° 1
ANNÉE 1983
BULLETIN
DE
VAcadémie
Royale
de Langue et de Littérature
Françaises
Académie Royale
de Langue et de Littérature Françaises
Palais des Académies
BRUXELLES
SOMMAIRE
Une revue catholique au tournant du siècle : Durendal
1894-1914, par Françoise Chatelain
5
Ghelderode et De Coster : de Y Humble supplique à la
Comète à La Balade du Grand Macabre
Communication de M. André Vandegans à la séance
mensuelle du 8 janvier 1983
55
À propos et au-delà des structuralismes
Communication de M. Willy Bal à la séance mensuelle
du 12 février 1983
74
Chronique
88
Catalogue des ouvrages publiés
90
Toutes reproductions ou adaptations d'un extrait quelconque de ce livre
par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie ou microfilm,
réservées pour tous pays.
Une revue catholique
au tournant du siècle :
Durendal 1894-1914
par Françoise CHATELAIN
L'étude dont nous entamons ici la publication (la deuxième et dernière
partie paraîtra dans notre prochain Bulletin) répond à l'appel de l'Académie
qui souhaitait « une étude historique et critique sur la revue Durendal ». cette
revue avant joué un rôle important dans la vie de nos Lettres au tournant du
XX' siècle.
L'étude de M"" Françoise Chatelain s'adapte heureusement,
par son
format, à une publication en deux tranches dans le Bulletin, ce qui lui permet
d'atteindre son public sans retard. Un tiré à part réunissant les deux parties
de cet ouvrage sera d'ailleurs réalisé, constituant ainsi une édition rapide que
nous n 'aurions pu réaliser par la voie normale qu 'après de longs délais.
Remerciements.
Puissent être remerciés Messieurs R. Trousson et M. Lobet pour l'aide
qu'ils ont apportée à l'élaboration de ce travail, ainsi que les membres de
l'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique
pour en avoir permis la publication.
6
Françoise Chatelain
Introduction
Lorsqu'on parcourt une histoire de la littérature belge de
langue française, le chapitre consacré à cette époque particulièrement florissante, qui va de 1880 à la première guerre mondiale, frappe par l'éclosion soudaine de revues littéraires qui
suivirent l'exemple de la Jeune Belgique. Dans la liste de ces
revues plus ou moins éphémères, l'attention est attirée par la
longévité surprenante de l'une d'elles, Durendal, revue catholique d'art et de littérature.
Ce mensuel catholique parut pendant vingt ans, de 1894 à
1914, alors que la Jeune Belgique ne sortit de presse que durant
seize années et que la Wallonie disparut au bout de sept ans.
Quelle recette a donc permis à Durendal de garder si longtemps ses lecteurs ? Et une seconde question vient à l'esprit : à
quoi pouvait bien s'intéresser une revue littéraire catholique à
un moment où la littérature catholique semble inexistante ?
Qui a fondé Durendal ? Quels étaient ses objectifs ? Autant de
questions sur lesquelles bien peu de critiques ou d'historiens
littéraires se sont penchés.
En faut-il davantage pour désirer examiner avec un peu
d'attention cette revue et la sortir de l'oubli, comme ce fut fait
autrefois pour la Jeune Belgique et la Wallonie ?
C'est ce que nous allons essayer de faire : rechercher les
origines de la revue, découvrir son but, analyser la manière
dont elle l'atteignit et les raisons qui la maintinrent en vie audelà de la durée moyenne d'existence des revues littéraires
belges.
Ce travail ne se veut pas exhaustif : beaucoup d'aspects
devront malheureusement rester ignorés, principalement certains problèmes plus particulièrement artistiques qui sortent de
nos compétences par leur caractère trop technique. Nous ne
proposerons pas non plus, dans chaque chapitre, un relevé
détaillé de tous les articles parus dans Durendal et traitant du
sujet mais seulement les extraits les plus significatifs.
La présentation typographique de la revue, son illustration
de plus en plus abondante et le sommaire de chaque numéro
Une revue catholique au tournant du siècle
7
ne nous paraissent pas mériter de longs développements. Il
suffit de savoir qu'en 1894 chaque numéro comptait vingt
pages, tandis que ce nombre était passé à soixante en 1914.
Le contexte historique
Il importe avant toute chose de définir le climat politique
dans lequel allait se développer Durendal et, pour cela, il faut
remonter à une année cruciale pour le parti catholique (et aussi
pour la vie politique belge en général) : 1888.
1. Le parti catholique à partir de 1888
En cette année lourde d'agitations ouvrières, les catholiques
sont au pouvoir dans le gouvernement Beernaert ; mais déjà la
division s'est installée en son sein : en face de l'aile ultra-conservatrice de Charles Woeste, se développe une minorité démocrate. Quant à l'opposition, elle réunit libéraux et socialistes.
Les difficultés auxquelles Beernaert doit faire face sont nombreuses : son parti, anti-militariste, s'oppose au service militaire
personnel que certains souhaiteraient voir instauré en Belgique ; les Flamands réclament davantage de droits et des
projets de loi ont d'ailleurs été déposés en leur faveur. Mais le
problème le plus urgent est certainement celui d'une réforme
électorale que tout rend nécessaire. Tâche ardue à laquelle
Beernaert va s'atteler sans plus tarder.
Quelles solutions s'offrent à lui ? Les socialistes et certains
libéraux demandent purement et simplement le suffrage universel ; Woeste y est résolument opposé.
En 1890 enfin, une première proposition est soumise aux
parlementaires. C'est le roi qui l'a formulée : il s'agirait du
suffrage censitaire, à l'application duquel on joindrait différentes réformes propres à accroître le pouvoir royal : création
d'une police d'Etat émanant directement du pouvoir central,
renforcement du Sénat dans un sens conservateur, droit de
référendum accordé au roi.
8
Françoise
Chatelain
Cette proposition se heurte au veto catégorique de Woeste
et des cercles catholiques : pris entre le roi et son parti, Beernaert propose un autre type de scrutin, proche du système
électoral anglais : 450 000 électeurs. La droite refuse d'abord,
hésite, tergiverse... Finalement, malgré l'opposition de Woeste,
elle se résigne et accepte. On croit la question réglée mais il
n'en est rien.
En 1892, Janson réclame à nouveau le suffrage universel;
en mai, la revision des articles 47 (sur le droit de suffrage), 26
(à propos du référendum royal) et 48 (sur la représentation des
minorités) est décidée malgré de nouvelles difficultés.
Plusieurs suggestions sont alors avancées : la droite défend
le vote rural, basé sur l'habitation, les libéraux doctrinaires se
prononcent pour un vote basé sur le capacitariat et le cens de
dix francs ; quant aux radicaux, ils réclament à nouveau le
suffrage universel.
Le gouvernement, après avoir tenté une alliance avec les
libéraux doctrinaires et essuyé un échec, essaie de s'entendre
avec les radicaux et propose le suffrage plural, tout en repoussant une autre proposition des libéraux doctrinaires : le vote
plural selon les études. Woeste dont la position s'était, on se le
rappelle, écartée de celle du gouvernement, se rapproche alors
des libéraux doctrinaires. Mais toutes les propositions sont
repoussées, tandis que l'antagonisme entre Woeste et Beernaert
s'accentue et que la population s'agite de plus en plus. Craignant dès lors que le contrôle du mouvement ne leur échappe
et que l'appui des radicaux ne leur fasse défaut, les chefs du
P.O.B. (Parti Ouvrier Belge) se prononcent pour le vote plural.
Le lendemain, 18 avril 1893, la droite cède également et le
suffrage universel plural basé sur la famille, l'instruction et le
capital est adopté ; le vote est rendu obligatoire, le référendum
royal est repoussé.
C'est la paix, semble-t-il. Une trêve bien précaire en réalité
puisque, dès l'année suivante, une nouvelle difficulté surgit : la
représentation proportionnelle. Dans le même temps, les divergences entre Woeste et Beernaert aboutissent à la démission de
ce dernier : on va vers de nouvelles élections au lendemain
desquelles on pourra juger des retombées du suffrage univer-
Une revue catholique au tournant du siècle
9
sel. Le nombre des électeurs est en effet passé de 137 772 à
1 381 000.
Les catholiques sortent grands vainqueurs du scrutin et remportent 104 sièges. Leur programme est nouveau : orthodoxie
religieuse et respect de la liberté constitutionnelle bien sûr,
mais aussi liberté de l'enseignement, une certaine forme de
décentralisation et une politique sociale dont le but déclaré est
de barrer la voie aux socialistes. On voit aussi naître un groupe
démocrate-chrétien, alors que le parti est de plus en plus miné
par l'opposition entre l'immobilisme de Woeste et les idées
démocratiques de la jeune génération. Un nouveau parti dissident se crée même, à l'initiative de deux prêtres qui combattent les idées de Woeste, mais ce groupement sera vite
condamné.
Les libéraux — les grands vaincus — ne conservent que
14 sièges. Bien qu'ils s'adressent toujours à la même clientèle et
s'opposent toujours à l'intervention de l'Etat dans les relations
entre le capital et le travail, ils soutiennent désormais le suffrage universel pur et simple et envisagent une réforme de
l'armée (ce que refusent absolument les catholiques). Les nouveaux chefs sont progressistes et semblent se rapprocher des
socialistes ; rien de très étonnant dès lors si l'on voit de vieux
libéraux provinciaux quitter les rangs de leur parti pour
rejoindre les catholiques.
Les socialistes enfin remportent 34 sièges, essentiellement en
Wallonie et deviennent ainsi une force politique avec laquelle
il va falloir désormais compter. Ils proposent un vaste programme politique et social.
Avec le suffrage universel, voici donc la carte politique de la
Belgique totalement remaniée : jusqu'ici les deux partis « traditionnels » s'étaient succédé plus ou moins régulièrement à la
tête du pays ; il n'allait plus en être de même. Les élections de
1894 laissaient en effet le parti libéral en totale perdition;
quant aux catholiques, ils se devaient de remédier au plus vite
aux dissensions internes susceptibles de les affaiblir au moment
où ils allaient devoir se réorganiser pour faire face aux nouvelles
circonstances politiques et résister à la montée du socialisme.
10
Françoise Chatelain
2. Naissance de la Jeune Droite
Longtemps catholiques et libéraux n'étaient pas intervenus
en matière sociale, mais à la suite de la crise de 1884-1885 et
des grandes émeutes de 1886, le parti catholique au pouvoir fut
amené à prendre en considération la situation et les revendications du prolétariat. Le discours du trône de 1886 — sous le
gouvernement Beernaert — présentait l'Etat comme le protecteur de l'ouvrier ; il fut suivi de diverses lois qui réglementaient
les rapports entre ouvriers et patronat (1887: prescriptions
légales minimum en ce qui concernait le paiement des salaires ;
1889: réglementation du travail des femmes et des enfants,
création de conseils de prud'hommes, de sociétés d'habitations
ouvrières, de comités de patronage, ...).
Le mouvement démocrate-chrétien, qui se préparait à
l'action depuis 1879, profita de cette occasion qui lui était
offerte de se développer.
Voici les trois congrès de Liège en 1886, 1887 et 1890, celui
de Malines en 1891, où tous demandent l'effacement du paternalisme, souhaitent la création de corporations, réclament des
associations telles que coopératives, mutualités, caisses
d'épargne, syndicats. Malheureusement pour eux, toutes ces
revendications sont battues en brèche par les conservateurs de
Woeste lui-même qui réussit même à faire intervenir le Pape
pour modérer les mouvements démocrates-chrétiens.
Jusqu'en 1891, le catholicisme social reste l'affaire d'individus qui professent une doctrine chrétienne parmi d'autres.
Mais Rerum Novarum va renverser la situation en faisant de
cette option la doctrine officielle de l'Eglise : il n'est plus question que les conservateurs discutent, sinon des modalités
d'application.
Mais penchons-nous davantage sur ce mouvement.
Ses artisans ? des prêtres et des laïcs d'une trentaine
d'années, parfois moins (ce qui explique l'épithète Jeune
Droite), réunis dans la Ligue démocratique belge.
Leur inspiration ? les théologiens du Moyen Age — Saint
Thomas d'Aquin en tête — mais aussi des précurseurs belges,
Une revue catholique au tournant du siècle
11
comme Ducpétiaux, et étrangers, comme Ketteler, le socialisme
naissant enfin. Le mouvement se base sur la religion catholique
romaine : l'organisation de la société moderne menaçant le
salut d'une grande partie de la population, il importe, en s'inspirant de la charte de justice sociale qu'est l'Evangile, d'améliorer le sort des petits pour restaurer le règne du Christ.
Dès lors s'élaborent les principes de la Société : le régime
existant exploite l'homme puisqu'une grosse part des profits va
à une partie minime de la population. L'ouvrier, démoralisé,
sans défense, laïcisé, aboutit à la lutte des classes.
N o u s voulons, dit Henri Carton de Wiart, que tout h o m m e qui
travaille puisse gagner son pain dans des conditions qui satisfassent
à ses nécessités tant physiques que morales, à sa dignité, et l'aident
à accomplir sa destinée dans cette vie et dans l'autre. N o u s voulons
cela pour tout h o m m e et en particulier pour l'ouvrier
Dans cette promotion sociale, le rôle de l'Etat est de diriger la
société publique et de promouvoir le bien commun.
Chaque citoyen a droit à une justice triple : sociale, distributive et commutative.
Dès lors il faut une législation sociale qui organise la propriété, le travail, les associations, le marché. Le non-propriétaire a droit au minimum des biens matériels nécessaires à son
bien-être et, s'il se trouve dans une carence excessive, il a le
droit de s'approprier le bien d'autrui.
La source de la propriété est le travail qui a droit de primauté, lorsqu'il s'agit de partager les biens produits.
Pour appliquer les théories du mouvement, une réforme
politique est nécessaire ; elle devra se baser sur la maxime
suivante : « le peuple transfère la puissance publique à ses
représentants par voie de suffrage universel. » Les démocrates
chrétiens s'opposent donc au système du remplacement devant
les charges militaires et, bien qu'ils restent anti-militaristes, ils
sont prêts à défendre leur patrie.
I. CARTON DE WIART H., L'action politique des démocrates
chrétiens,
Bruxelles, 1895, p. 12, cité par REZSOHAZY R . , Origines et formation du catholicisme social en Belgique, 1842-1909, p. 176.
12
Françoise Chatelain
Il est évident que conservateurs de Woeste et jeunes démocrates-chrétiens (Carton de Wiart, Renkin, ...) ne peuvent
s'entendre ; c'est donc l'affrontement sur tous les terrains : électoral, religieux, juridique ; d'autant plus que la minorité de
membres de la Jeune Droite favorable au suffrage universel
pur et simple n'hésite pas à faire cause commune avec les
socialistes (mais peut-on s'en étonner après avoir lu leur programme ?) et que l'on voit Henri Carton de Wiart haranguer la
foule aux côtés des tribuns socialistes.
Le premier député démocrate-ehrétien entre enfin à la
Chambre en 1892, c'est Alphonse Nothomb. Les premières
réalisations viennent ensuite: en 1895, c'est la création du
Ministère du Travail, en 1896, les règlements d'atelier, en 1897,
la fondation de l'Inspection des Mines, en 1898, la personnification civile des unions professionnelles, en 1903, des garanties
contre les accidents de travail. Le repos dominical est reconnu
en 1905 ; enfin en 1908, c'est un cabinet « Jeune Droite » majoritaire qui s'installe au pouvoir. Mais avant d'en arriver là,
combien de heurts, de désaveux entre les deux conceptions du
parti catholique !
LES DEBUTS D'UNE JEUNE REVUE
1. La genèse de Durendal
Le Congrès de Malines en 1891
C'est en 1891, après l'encyclique Rerum Novarum, que la
jeune démocratie chrétienne belge s'organise réellement au
cours du fameux Congrès de Malines. Alors que le mouvement
se penche avec fièvre sur les problèmes de la classe ouvrière,
quelques jeunes osent aborder un sujet jusque là bien déprécié
dans le monde catholique belge : la littérature, qui s'éveillait
enfin dans notre pays.
De même qu'elles consacrent l'éveil social du pays, les
années 1880 marquent l'éclosion de la littérature belge que
Une revue catholique au tournant du siècle
13
même l'exemple de Charles De Coster n'avait pu réellement
faire sortir de sa léthargie.
Cette naissance était l'œuvre des revues littéraires : le premier, Edmond Picard fonda YArt Moderne qui prônait l'art
social ; puis, en 1881, Max Waller prit la direction de la Jeune
Belgique. La revue se rangea immédiatement sous l'étendard
de l'Art pour l'Art qu'elle ne devait jamais renier et s'éleva
contre l'académisme et l'utilitarisme de Picard.
Entre les deux voies, offertes à cette époque, à la littérature
(l'Art pour l'Art et le naturalisme), les écrivains catholiques
belges ne trouvaient guère leur place. La doctrine chrétienne
s'opposait au positivisme sur lequel s'appuyaient les deux théories littéraires mais leur critique ne leur proposait, semblait-il,
aucune autre esthétique capable de rivaliser avec celles des
mouvements réprouvés. De leur côté, les revues catholiques
affichaient un certain mépris pour la littérature et lorsqu'elles
daignaient s'y intéresser, c'était pour soutenir des formules
esthétiques périmées, désespérément fidèles aux canons classiques de Boileau.
L'évolution des tendances littéraires en France allait cependant amener, dans ces milieux, un regain d'intérêt pour la
littérature. Vers 1885, la réaction s'organise contre les excès du
naturalisme et la froideur du Parnasse. Elle se tourne davantage vers l'occultisme, le romantisme allemand et Wagner ; ses
écrivains aspirent à un idéal assez flou et qu'incarnent bien les
théories préraphaélites, décadentes et symbolistes.
Jusqu'au moment où ce genre d'évasion devient insuffisant
pour rassasier la soif d'absolu de certains artistes qui, en se
convertissant, franchissent le pas qui séparait le culte de la
beauté pure et le catholicisme où Dieu est beauté suprême.
Chez nous, c'est en 1890 qu'un groupe de jeunes catholiques
(Firmin Vanden Bosch, Henry Carton de Wiart, Maurice Dullaert et Pol Demade) commence à s'intéresser aux nouvelles
esthétiques littéraires et manifeste le désir de rajeunir la littérature catholique farcie des « bondieuseries des pions rétrogrades
et indécrottables » (selon l'expression de F. Vanden Bosch).
C'est surtout vers l'Art pour l'Art qu'ils vont se tourner, juste
hommage à leur aînée, la Jeune Belgique. Le 15 octobre 1890,
14
Françoise Chatelain
le Magasin Littéraire accueille les jeunes réformateurs :
F, Vanden Bosch ose y faire l'éloge de Max Waller, dans ce
qu'on considère généralement comme « un des premiers manifestes de la Jeune Belgique catholique » 2.
Vanden Bosch et ses amis n'adhèrent cependant pas sans
réserves à la doctrine de la revue de Waller : ils n'accepteront
de suivre la voie du modernisme que dans la mesure où celuici s'accordera avec leur foi et leur morale :
N o u s souscrivions de tout notre enthousiasme à l'œuvre de libération intellectuelle entreprise par Max Waller et ses compagnons,
mais nous nous refusions à admettre la subordination dans laquelle
la Jeune Belgique prétendait placer le d o g m e et la morale vis-à-vis
de l'Art décrété souverain. Et nous f î m e s nôtre la fière devise
« amendée » de la Jeune Belgique : « ne crains fors Dieu ! » 3.
Cette prise de position nette engagea Vanden Bosch dans
une polémique avec Charles Tilman, le critique de la Revue
Générale et déclencha une petite guerre dans les milieux catholiques conservateurs auxquels la revue était attachée, et qui
avaient condamné la Jeune Belgique dont les « campagnes
tapageuses et provocantes troublaient la quiétude bourgeoise » 4, et l'Art pour l'Art, considéré comme une dangereuse
nouveauté. On avait d'ailleurs sévèrement mis en garde la
jeunesse catholique contre ces hérésies.
Cependant le ralliement du Magasin Littéraire indiquait
suffisamment l'importance prise par ce mouvement d'insurgés.
Il était donc nécessaire que les autorités catholiques statuent
sur ce problème.
L'occasion leur en fut donnée en 1891, au Congrès de
Malines. Dès l'ouverture des débats à la Section Littéraire du
Congrès, Léon De Monge, « chargé de mettre au pas la génération catholique nouvelle en flirt compromettant avec la Jeune
Belgique » 5 fit son rapport ; mais laissons parler Vanden
Bosch :
2. GILSOUL R„ La Théorie de l'Art pour l'Art, p. 360.
3. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran du passé, p. 23.
4. VANDEN BOSCH F., Ceux que j'ai connus, p. 93.
5. V A N D E N BOSCH., lbid.,
p. 1 0 4 .
Une revue catholique au tournant du siècle
15
il fonça avec une ardeur agressive sur la théorie de l'Art pour l'Art
qui était le substratum du m o u v e m e n t de la Jeune Belgique, mit en
garde le groupe des « j e u n e s catholiques >> contre des complaisances
équivoques en faveur de cette théorie et de ce mouvement, et formula in terminis, la motion suivante : « Il importe de désavouer
hautement les écrivains qui se disent catholiques et nous compromettent et nous déshonorent » 6 .
Godefroid Kurth, président de la Section littéraire, se chargea
de répondre à l'accusateur et fit remarquer le danger et l'injustice de cette condamnation sans nuances. « Et on ne parla plus
de l'Art pour l'Art 7 ».
Dans la suite du débat, les Jeunes Catholiques réussirent à
faire admettre leurs positions :
enfants de l'Eglise, nous nous déclarions filialement soumis à ses
d o g m e s et à sa morale : mais déniant à qui que ce fût le droit de
créer des « syllabus artistiques », nous affirmions nettement notre
admiration et notre sympathie pour la renaissance littéraire, éclose
sur le sol belge, et dont nous ne voulions pas qu'elle se passât en
dehors de l'idée catholique afin qu'elle ne se fît pas contre elle 8 .
Les jeunes employèrent quelques arguments de choc pour faire
approuver leur thèse et invoquèrent le ralliement de l'Eglise à
la République Française, conseillé par Léon XIII, pour demander la reconnaissance de toutes les littératures.
L'approbation de la Section littéraire du Congrès de
Malines permit aux Jeunes Catholiques d'acquérir un statut
officiel dans le monde catholique belge.
Le résultat du Congrès de Malines de 1891, au point de vue
littéraire, fut de restituer aux catholiques la conscience de leur mission, de raviver en eux le culte agissant d'une grande tradition et de
doter le mouvement naissant d'une « s o m m e » d'idées, vivantes et
généreuses, au moyen de laquelle des jeunes hommes, fils de
l'enseignement catholique et imprégnés de son esprit, allaient participer avec une activité rayonnante à la Renaissance esthétique du
pays 9 .
Le 15 octobre 1891, ils étaient officiellement accueillis par le
Magasin Littéraire.
6.
V A N D E N BOSCH
F., Ibid.. pp. 107-108.
7. V A N D E N BOSCH F . , Ibid..
p. 108.
8 . V A N D E N BOSCH F . , Ibid..
p.
9. V A N D E N BOSCH F . , Ibid.,
p. 1 1 1 .
108.
Françoise Chatelain
16
Une revue littéraire catholique française
accueille de nouveaux convertis
Il importe de désavouer hautement les écrivains qui se disent
catholiques et nous compromettent et nous d é s h o n o r e n t 1 0 .
Qui sont-ils donc ? Quelques écrivains français récemment
convertis au catholicisme : Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'IsleAdam, Paul Verlaine et Léon Bloy, que les Jeunes Catholiques
revendiquaient comme maîtres et « répondants de leurs initiatives de renouveau » " . Ce phénomène de la conversion d'écrivains est caractéristique de l'histoire littéraire en cette fin du
XIX e siècle : comme nous l'avions déjà mentionné brièvement,
dégoûtés du naturalisme et du positivisme, bon nombre
d'artistes se tournèrent vers un idéal qu'ils tentèrent d'exprimer
dans le symbolisme ; mais certains d'entre eux, insatisfaits,
cherchèrent leur absolu dans la foi et le catholicisme.
Barbey d'Aurevilly s'est converti dès 1855 ; il oppose au
réalisme et au naturalisme, la réalité qui, pour être complète, a
besoin de spiritualité. Celle-ci prend cependant une curieuse
direction : Barbey d'Aurevilly montre, dans ses œuvres, des
êtres sataniques qui s'efforcent d'entraîner les héros dans des
crimes odieux et rares.
Le catholicisme de Villiers de l'Isle-Adam n'est guère plus
rassurant : dans ses Contes cruels en 1883 et, plus encore dans
ses Nouveaux contes cruels en 1888, inspirés de Poe et des
romantiques allemands, il peint un monde étrange, inquiétant
et morbide ; son spiritualisme est un mélange de surnaturel
catholique et d'occultisme. Ami de Mallarmé et de Verlaine, il
s'adonna également au théâtre symboliste.
Lorsque les Jeunes Catholiques parlent de Verlaine, ils font
toujours allusion au poète de la Bonne Chanson de 1870 et
surtout au converti de 1874 qui se montre pénétré de christianisme et écrit Sagesse en 1880 où il évoque le mystère de l'âme
et les conflits entre le bien et le mal.
10. V A N D E N BOSCH F . , Ibid.,
p. 108.
U.
p. 110.
V A N D E N BOSCH F . , Ibid.,
Une revue catholique au tournant du siècle
17
Enfin, dernière figure de ce «brelan d'excommuniés» 1 2 ,
Léon Bloy, républicain anticlérical qui se convertit en 1869, à
l'âge de vingt-trois ans, sous l'influence de Barbey d'Aurevilly.
Il se lance alors dans le catholicisme militant en tant qu'exégète, journaliste et romancier. C'est un catholique illuminé,
symboliste et prophétique.
En résumé, ces maîtres à penser de la Jeune Belgique
Catholique s'opposaient radicalement au naturalisme et au
positivisme, ils fréquentaient les cercles symbolistes et admiraient Baudelaire. Tandis qu'
ils donnaient volontiers dans les extrêmes que ce soit en politique ou
dans l'interprétation des dogmes. Ils mettaient l'accent sur les traits
de foi catholique qui rebutent le plus l'incroyant ; par réaction
contre la sentimentalité de la masse des croyants, ils montraient le
christianisme tel qu'ils l'avaient, eux, découvert : âpre, vigoureux ; se
sentant en petite minorité, non seulement par rapport à l'ensemble
du pays, mais parmi les coreligionnaires, ils cherchaient de préférence ce qui les différenciait et les séparait des autres, refusant tout
terrain d'entente l 3 .
Il ne faut pas s'étonner de la méfiance, du scandale même,
soulevés, dans les milieux conservateurs catholiques, par la
revendication d'un tel patronage par les Jeunes Catholiques
belges. Le débat qu'ils menèrent pour la réhabilitation de leurs
maîtres admirés, préluda à une reconnaissance générale des
écrivains convertis, en Belgique.
La gloire de Barbey d'Aurevilly, de Villiers de l'Isle-Adam,
d'Ernest Hello et de Paul Verlaine, doit d'ailleurs beaucoup de son
rayonnement en Belgique au groupe des « Jeunes Catholiques » et à
leur obstination enthousiaste à hisser ces grands noms devant l'opinion c o m m e des étendards 14 .
Si les Jeunes Catholiques hésitaient sur l'action à mener
pour défendre maîtres et disciples, la voie leur fut bientôt
tracée par Paris. Le 25 janvier 1892, paraît le premier numéro
du Saint-Graal « revue catholique, idéaliste, mystique et wagnérienne » dont les rédacteurs en chef, E. Signoret et L. Le Car12. V A N D E N BOSCH F . , Ibid.,
13. GRIFFITHS R., Révolution
p. 1 1 1 .
à rebours, p. 17.
du passé, p. 22.
14. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran
18
Françoise Chatelain
donnel (nous reparlerons de celui-ci), ont respectivement vingt
et trente ans. Verlaine s'extasie :
Bien ! Très bien ! Le Saint-Graal, quel nom, quel n o m ! D o u b l e
signification : faîte de l'art moderne, sommet du Vrai éternel. SaintGraal, Sang réel, le sang du Christ dans l'or incandescent, SaintGraal, Lohengrin, Parsifal, la manifestation triomphale et triomphante de la plus sublime musique, de l'effort poétique peut-être
définitif de ces temps-ci IS .
Le numéro 9 d'août et septembre publie la longue liste des
collaborateurs de la revue (Les quarante chevaliers du SaintGraal) parmi lesquels on relèvera les noms de Léon Bloy,
Verlaine, Moréas, Stuart Merrill, Tolstoï, Anatole France, Maeterlinck, Maurras...
Quel exemple pour nos jeunes qui, sous la tutelle d'Herman
de Boets, se sentaient de plus en plus à l'étroit dans les
colonnes du Magasin Littéraire et ne pouvaient donner à leur
programme toute l'ampleur souhaitable :
Déblayer d'abord, créer ensuite ; rien ne sert de lancer des
livres : ils sombreraient dans l'indifférence. Ce qui importe, c'est
d'ouvrir la route, de la désencombrer des idoles qui l'obstruent, de
l'indifférence qui l'embroussaille, et d'amorcer la jeunesse vers un
idéal dont les routines ne voilent plus l'éclat ; l'éternité des principes
dans l'évolution des formes ; et, au service d e cet idéal, de l'enthousiasme, de l'indépendance, voire m ê m e de l'insolence ! ".
Le groupe (Firmin Vanden Bosch, Henry Carton de Wiart
et Maurice Dullaert) décida donc de voler de ses propres ailes ;
en octobre 1892, Le Drapeau, « organe de combat », était fondé
à Gand sous la direction de F. Vanden Bosch. Il rallia très vite
à sa cause de jeunes écrivains, dont Georges Virrès et Pol
Demade.
Le Drapeau
Les prises de position du Drapeau sont très nettes : son
programme commence par un salut à la Jeune Belgique (qu'il
15. Cité par.GuiCHARD L., La musique et les lettres en France au temps du
wagnérisme, p. 69.
16. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran
du passé,
p. 19.
Une revue catholique au tournant du siècle
19
suivra jusque dans ses haines). La nouvelle revue se déclare
opposée à tout académisme, se place à nouveau sous la protection du Pape Léon XIII (sage précaution dans le climat de
discorde qui baigne les dernières années du siècle pour les
catholiques) et définit ses objectifs :
Hâter, dans la modeste mesure de son apostolat, hâter cette
œuvre libératrice, convaincre la jeunesse que le passé, si glorieux
soit-il, a toujours l'inconvénient d'être le passé ; qu'être de son
é p o q u e est, m ê m e en littérature, la meilleure façon et la plus pratique d'être catholique ; lui persuader que la « tristesse des temps
présents », « la perversité du siècle », « la décadence de l'art » sont
de vaines balivernes qu'il faut laisser aux manuels de style ; lui
répéter, avec Monseigneur Ireland, que « la réaction est le rêve
d'hommes assis aux portes des cimetières, pleurant sur des tombes
qui ne se rouvriront pas » ; lui prouver que catholiques et modernistes sont deux adjectifs qui ne s'excluent point — tel est le but du
Drapeau
Dans la pratique, il n'y a qu'un moyen d'arriver à cette fin
(c'est la grande idée de Vanden Bosch et du jeune mouvement) : réformer l'enseignement catholique.
Par ailleurs, la jeune revue va adopter son ton personnel, la
polémique :
... la tactique de la persuasion n'avait aucune chance de réussir : on
eût vite fait de nous renvoyer à notre inexpérience ! La seule
m é t h o d e efficace était d e v é h é m e n c e et d'ironie. Je pris sur moi
d'appliquer cette méthode, et j e le fis, avec la plus joyeuse férocité 1 8 .
Mais le Drapeau n'est pas seulement une entreprise de
démolition : dès le premier numéro, Pol Demade se prononce
pour une nouvelle théorie du roman chrétien sous les auspices
de Barbey d'Aurevilly ; il réclame, au nom de la vie, le droit,
pour les romanciers chrétiens, de peindre la passion. Il présente
le refus de toute passion comme une marque de jansénisme de
la part de ses coreligionnaires. Et pour mettre ses principes en
application, il publie, en 1892, Ame Princesse, roman qui peut
être considéré comme la première réalisation concrète de la
nouvelle école.
17. V A N D E N BOSCH F . , «
Notre programme », dans Le Drapeau, nov.
p. 2.
18. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran
du passé,
p. 24.
1982,
I
20
Françoise Chatelain
La Jeune Belgique accueillit tout d'abord avec intérêt sa
cadette mais en janvier 1893, elle émit, au nom de l'Art pour
l'Art, de nettes réserves sur le programme du Drapeau :
... les nouvelles recrues littéraires ont relevé les tristes drapeaux que
nous avions foulés aux pieds : la Revue Rouge s'inféode à l'art
social-démocratique, l'Avenir Social et le Drapeau prêchent l'art
social-chrétien. D e part et d'autre c'est l'utilitarisme substitué à l'art
pur. Certes on comprend que chaque parti cherche à attirer des
écrivains et à les charger de la défense de son programme, mais
l'artiste qui cède à cet appel, qui asservit son art à une doctrine, qui
met un intérêt de propagande à la place du culte supérieur de la
beauté, celui-là verra son labeur choir de chute en chute car il
sacrifiera de plus en plus sa foi esthétique affaiblie à ses convictions
philosophiques, morales ou politiques l 9 .
On l'imagine bien, le fougueux rédacteur en chef du Drapeau n'allait pas laisser passer une telle occasion de croiser le
fer. Il répondit donc à la revue qui mettait en cause les intentions de son périodique et la Jeune Belgique se vit obligée de
faire officiellement machine arrière.
Voilà de nouveau les Jeunes Catholiques engagés sur le
terrain périlleux de l'Art pour l'Art, dont le sort n'avait pu être
réglé au Congrès de Malines. Les conservateurs reprirent très
vite le débat (on peut d'ailleurs se demander si ce débat littéraire n'était pas une sournoise tentative de sape du mouvement
démocrate-chrétien, puisque les rédacteurs du Drapeau étaient
les leaders de ce mouvement). En 1893, Mg Cartuyvels condamnait une nouvelle fois la doctrine poétique de la Jeune
Belgique et des Jeunes Catholiques. Aussitôt, Firmin Vanden
Bosch répliqua : la discussion menaçait de s'éterniser et prenait
une ampleur considérable.
Mg Mercier proposa alors une solution de conciliation en
définissant, à sa manière, l'Art pour l'Art :
Q u e penser dès lors de la formule l'Art pour l'Art ? Prise au pied
de la lettre cette formule n'a pas de sens. Dire qu'un m o y e n a sa
raison d'être en lui-même, qu'un moyen est pour lui-même et non
pour le but par rapport auquel il est le moyen, c'est ne pas
s'entendre soi-même. Aussi n'est-ce pas là le sens de la formule
19. La Jeune Belgique, janvier 1893, p. 8.
Une revue catholique au tournant du siècle
21
d'ailleurs peu heureuse de l'Art pour l'Art. Ceux qui la préconisent
veulent dire que l'art n'a pas de fin extrinsèque à poursuivre. Il ne
doit pas servir des buts utilitaires ou professionnels, c o m m e un
vulgaire métier, mais doit être désintéressé. Sa fin intrinsèque, la
seule digne de lui, c'est le beau, la conception et l'expression du
beau ; elle exprime en des termes concis la noble mission de l'Art 2 0 .
La direction du Drapeau pouvait considérer qu'elle avait remporté une victoire importante.
La petite revue catholique, à peine née, était destinée à
s'éteindre puisque les portes de la réaction, qu'elle était chargée d'enfoncer, étaient entrebâillées.
Laissons le rédacteur en chef tourner la première page du
renouveau catholique en Belgique :
En novembre 1893, l'œuvre de « déblaiement » — et, si vous
voulez, l'entreprise de démolition — que le Drapeau
s'assigna
c o m m e but était accomplie ; à une revue de combat allait succéder
une revue d'oeuvres,
Durendal21.
2. Le comité de rédaction de Durendal
La couverture du premier numéro de Durendal nous propose la liste de ses fondateurs, parmi lesquels deux noms connus : Henry Carton de Wiart et Pol Demande — qui, on s'en
souviendra, participèrent activement aux premiers combats de
la jeunesse littéraire catholique et du mouvement démocratechrétien ; mais on voit aussi apparaître un nouveau nom, celui
de l'abbé Henry Moeller.
Henry Carton de Wiart s'était illustré aux côtés de Maurice
Dullaert et de Firmin Vanden Bosch au Congrès de Malines de
1891, alors qu'il n'était âgé que de vingt-deux ans. Il ne s'était
pas contenté de participer aux débats de la Section des Lettres,
mais avait également siégé à la Section des œuvres sociales.
Avocat et député, Carton de Wiart mena de front des carrières
politique et littéraire. Il prit nettement parti pour le progrès
social et défendit les droits des travailleurs.
20. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran
2 1 . V A N D E N BOSCH F . , Ibid.,
p. 36.
du passé,
p. 36.
22
Françoise Chatelain
Tout en maintenant un fossé entre les socialistes et le
groupe qu'il avait fondé — la Justice Sociale —, il n'hésita pas
à participer, avec ses ennemis politiques, à des meetings en
faveur du suffrage universel. Henry Carton de Wiart avait
débuté en littérature avec des Contes Hétéroclites en 1891, où,
dans un style fin et délicat à la manière de Barbey d'Aurevilly,
il défendait ses positions démocratiques. La doctrine romanesque du jeune écrivain était très nette :
Pour moi, s'il s'agit des œuvres d'imagination, je ne comprends
pas mieux le roman qui se veut chrétien que celui dont toute inspiration religieuse ou sociale serait systématiquement bannie au nom
de la fausse idée claire de l'Art pour l'Art. A v e c cet exquis écrivain
que fut R e n é Bazin, je crois qu'il n'y a pas, à proprement parler, de
roman catholique, mais je constate qu'il y a, Dieu merci ! des
romans écrits par des catholiques, c'est-à-dire par des écrivains pour
qui le p h é n o m è n e spirituel existe. Ils se distinguent peut-être des
autres romans en ceci que le bien s'y n o m m e le bien et que le mal
s'y n o m m e le mal. Pour le surplus, je tiens qu'un écrivain, — je
parle d'un écrivain d'imagination, non d'un polémiste, — ne doit
nullement s'assigner pour devoir un parti pris d'édification ou de
prédication. Rien de ce qui est humain ne lui est étranger 2 2 .
Egratignure à l'Art pour l'Art... déjà !
De six ans l'aîné du député, Pol Demade était médecin et
avait participé au comité de rédaction du Drapeau. Pendant ses
études à Paris, il avait rencontré Barbey d'Aurevilly et Maurice
Barrés, ses maîtres. Il s'attira cependant l'opposition violente
de Barrés lorsqu'il défendit le droit pour les romanciers catholiques de peindre la passion et composa Ame Princesse dont
nous avons parlé plus haut. Œuvre littéraire bien modeste que
celle de Demade : ce seul roman et quelques recueils de nouvelles puis, l'âge venant, de la littérature médicale. Il fut le
directeur effectif de la nouvelle revue de 1894 à 1897, date à
laquelle l'abbé Moeller prit, seul, la tête de Durendal.
Si la participation de ces deux hommes fut réelle et fréquente dans les premiers numéros de la revue, leur signature
ne devait plus apparaître qu'assez épisodiquement dans la
suite.
2 2 . C A R T O N DE W I A R T H . , Souvenirs
littéraires,
pp. 41-42.
Une revue catholique au tournant du siècle
23
Mais la véritable cheville ouvrière de Durendal, ce fut l'abbé
Moeller qui en tint les rênes à partir de 1897 jusqu'au dernier
numéro, celui de juillet 1914. Il importe donc de s'arrêter un
instant sur sa vie et sa carrière.
Henry Moeller était né à Louvain le 17 juillet 1852, d'une
famille qui comptait déjà quelques célébrités : le père du futur
abbé, Jean Moeller, était professeur d'histoire à l'Université de
Louvain et y avait fondé le Cercle l'Emulation que fréquentèrent plus tard Max Waller, Albert Giraud, Iwan Gilkin,
Emile Verhaeren et quelques autres. Son grand-père paternel,
philosophe Scandinave, avait été un adepte de l'école d'Iéna
avant de se convertir au catholicisme ; l'autre aïeul du jeune
Moeller, bavarois et luthérien, avait été connu comme écrivain
pour la jeunesse sous le nom de Griinewald et avait lui aussi
abjuré la foi protestante pour se tourner vers le catholicisme.
Le jeune homme entreprend tout d'abord une candidature
en Philosophie et Lettres à l'Université de Louvain ; mais il
interrompt assez vite ses études pour se consacrer à la vie
monastique ; cette expérience le satisfaisant sans doute peu, il
quitte temporairement le couvent, y retourne quelque temps
après pour enfin abandonner définitivement cette voie. On le
retrouve finalement étudiant en Théologie et condisciple du
futur Cardinal Mercier.
Ordonné prêtre à Malines en 1877, il est nommé chapelain
auxiliaire à Bruxelles. Toutefois il possède peu d'aptitudes pour
le ministère paroissial. Attiré davantage par la littérature et le
combat démocrate-chrétien, l'abbé Moeller débute dans le
journalisme comme polémiste au Drapeau et adhère au Cercle
Léon XIII, fondé immédiatement après la publication de
Rerum Novarum ; il participe désormais aux campagnes de la
Jeune Droite aux côtés d'Henry Carton de Wiart.
C'est alors qu'il est nommé aumônier sans charge d'âmes
auprès d'une maison d'éducation des Dames du Sacré-Cœur,
sinécure qui lui procure les moyens de vivre sans le distraire
de ses nouvelles activités de directeur de revue.
La Grande Guerre suspendit la publication de Durendal et
dispersa les amis de l'abbé Moeller ; seul, inactif, impuissant au
milieu de cette guerre qui se prolongeait, il sombra peu à peu
24
Françoise
Chatelain
dans la dépression ; il s'alita en août 1918 et cessa bientôt de se
nourrir ; il meurt le 17 septembre 1918, âgé de 66 ans et
emportant avec lui « sa » revue Durendal.
Georges Rency 23 et Henry Carton de Wiart 2 4 nous le présentent comme un petit homme mince et vif, passablement
anti-conformiste et tolérant. Pour lui, « la beauté et la foi ne
faisaient qu'un » 25 mais il n'avait aucun don pour la création
littéraire et dut toujours se contenter de faire œuvre de critique. Moeller était enthousiaste et opiniâtre ; il s'était profondément engagé dans la défense de la littérature et du modernisme catholiques et rien ne put l'en distraire. Il découvrit, le
premier, la profondeur de la conversion de J. K. Huysmans
alors que l'écrivain n'éveillait encore que méfiance dans les
milieux catholiques. Il obtint même, du romancier, sa collaboration active à Durendal. Firmin Vanden Bosch définit à merveille le rôle exact de l'abbé Moeller dans la revue :
Durendal fut plus que la chose de l'Abbé ; ce fut son âme, le but
d e son existence, l'angle sous lequel il voyait le service de Dieu. A
cette œuvre, il donna tout lui-même, et il fut, à l'état permanent, un
stimulateur d e confiance et d e labeur, et ce, notamment, sous
l'humble forme de mendiant de copies et de mendiant d'abonnements. Verhaeren m e disait un jour : « Moeller, c'est le marchand de
vin de Durendal ! » Parole combien vraie, sous son allure un peu
crûment familière ; quand il s'agissait d e l'éclat à donner à Durendal, Moeller ne s'épargnait aucune peine et n e reculait devant
aucune audace : Bourget, Barrés, Mistral, H u y s m a n s furent l'objet
de ses fréquentes sollicitations 26 .
On comprendra donc sans peine qu'il était impossible que la
revue renaisse après la guerre, alors que l'abbé n'était plus là
pour la conduire.
D'autres écrivains et artistes allaient, au fur et à mesure du
développement de Durendal, venir grossir ce petit noyau
d'hommes. Tout d'abord, des anciens du Drapeau : Firmin
Vanden Bosch qui devait rester un collaborateur fidèle même
23.
RENCY
G., Souvenirs de ma vie littéraire, pp. 137-138.
2 4 . C A R T O N DE W I A R T H . , Op.
cit.,
pp.
2 5 . C A R T O N DE W I A R T H . , Op.
cit.,
p.
26. VANDEN BOSCH F . , Sur l'écran
166-167.
164.
du passé,
p. 37.
Une revue catholique au tournant du siècle
25
lorsque ses fonctions de magistrat l'eurent conduit en Afrique
du Nord. Vanden Bosch avait fait les débuts fracassants que
l'on sait ; au sein du Comité de rédaction de Durendal, il se
spécialisa surtout dans la critique littéraire :
Firmin Vanden Bosch est un critique de principe doublé d'un
critique d'impression. Il s'est, en effet, formé un idéal d'après des
lois immuables et précises. Son point d e vue est essentiellement, et
quelle que soit aussi sa liberté d'opinions, catholique. Il juge toutes
les œuvres littéraires d'après un principe de morale. Il connaît la
moralité, l'immoralité et place entre elles le caractère amoral. Mais
son principe n'est pas obtus et cette tolérance qu'il possède à un
haut degré lui permet fréquemment d'élargir la notion de la moralité. (...)
Cependant, fermement fidèle à son principe, il en arrivera, par la
logique et la déduction à trouver, chez tous ceux qu'il admire, une
part de son idéalisme. Ainsi la critique d e Firmin Vanden Bosch est
une et pleinement entière 1 1 .
Georges Virrès, le romancier régionaliste, devint aussi critique pour Durendal.
Des transfuges de la Jeune Belgique se joignirent également
au groupe, notamment des esthètes : Arnold Goffin — qui se
consacrait surtout à la peinture et à la littérature médiévales
italiennes — et Olivier-Georges Destrée, spécialiste des primitifs italiens et des préraphaélites. Il écrivit des poèmes en prose
et se convertit au catholicisme sous l'influence de l'abbé Moeller, avant d'entrer dans les ordres sous le nom de Dom Bruno
Destrée. Des poètes aussi quittèrent la revue déjà vieille pour
Durendal : les parnassiens Franz Ansel et Fernand Severin.
Le groupe s'enrichit encore de «jeunes » : Victor Kinon et
Thomas Braun qui écrivaient à la manière de Francis Jammes,
Georges Marlow, symboliste et idéaliste, le jeune Pierre
Nothomb et deux correspondants à Paris : Henri Mazel et
Tancrède de Visan. Ces deux derniers aussi étaient symbolistes : Tancrède de Visan publia en effet un Essai sur le symbolisme ; quant à Henri Mazel, il fut membre de la rédaction de
revues aussi diverses que YErmitage, le Mercure de France, la
Réforme Sociale ; toutefois, il ne limita pas sa carrière à cette
27.
GAUCHEZ
M., Le livre des masques belges, pp. 111-112.
26
Françoise Chatelain
activité de critique puisqu'il fut également l'auteur de drames
religieux et historiques, de recueils de poèmes, de romans à
caractère historique...
Tous ces «journalistes» étaient catholiques (la plupart
étaient aussi démocrates-chrétiens) mais ils venaient d'horizons
professionnels et géographiques différents. Il arrivait parfois
même que leurs théories esthétiques s'opposent, bien que les
adeptes du symbolisme soient la majorité : c'est probablement
dans cette union des diversités qu'il faut chercher une des
raisons du succès de la revue pendant vingt ans.
3. Le programme
L'anarchie artistique et littéraire, qui a fait table rase de toutes
les lois, n'a rien pu et ne pourra sans doute rien, contre l'aspiration
de l'âme humaine vers la Beauté. Cette aspiration est une loi naturelle, et en Art, selon nous, la seule légitime. C'est en se soumettant
à cette loi les tout premiers que les catholiques se ressaisiront euxmêmes, et qu'ils réconquerront en Art le terrain perdu.
Le catholicisme intégral nous fait un devoir de rechercher la
Beauté, cette Beauté qui, de son n o m réel, s'appelle Dieu tout court.
En Art cette tendance vers Dieu se n o m m e , je crois — disons le mot
franchement — l'idéalisme 28 .
Tout, à nouveau, nous remet en mémoire cette revue française de 1892 et cela bien que personne, nulle part, n'en mentionne seulement le nom. Mais ils la connaissaient et il ne faut
pas voir de coïncidence dans ces concordances : Durendal était
aux « pairs autour de la table ronde » (curieux mélange d'épopée et de merveilleux breton !) ce que représentait pour les
« chevaliers du Saint-Graal » le Saint-Graal lui-même, c'est-àdire un idéal neuf, nourri de la foi catholique, une « geste
idéale » des lettres catholiques face au « 93 artistique et littéraire » (Dur., janvier 1894, p. 1).
La revue exhortait donc les artistes catholiques à accepter la
liberté artistique et littéraire pour en tirer profit :
Séparons-nous résolûment du passé (...)
Vivons pour le travail et l'espérance.
28. La Geste Idéale, dans Durendal, janvier 1894, p. 3.
(Dur., 1894, p. 2).
Une revue catholique au tournant du siècle
27
La revue, heureuse du retour vers l'idéalisme qu'elle décelait
chez les artistes contemporains, proclamait que
L'heure propice a sonné qui pourrait mettre d'accord le mouvement conscient du catholicisme et le mouvement inconscient du
monde moderne vers l'Idéal.
(Dur., 1894, p. 3).
Avant de définir avec précision son programme, la revue
annonçait son intention de réunir
des artistes jeunes, dévoués à l'art pour lui-même, sans but apologétique direct, et fiers seulement de travailler à l'élévation de l'âme
humaine.
(Dur., 1894, p. 4.)
sans considérer l'art comme un monopole catholique.
Mais il allait de soi que cette reconnaissance de principe
d'un art qui ne fût pas catholique impliquait, en retour, de la
part des artistes non chrétiens, qu'ils admettent le droit, pour
les catholiques, d'exprimer leur foi dans l'œuvre d'art.
La revue refusait aussi de s'inféoder à toute théorie ou école
littéraire et laissait chacun de ses collaborateurs libre de
s'exprimer dans la forme qui lui convenait le mieux, à condition toutefois qu'il se soumît aux grands principes du programme. (Mais une revue dont la rédaction comptait des
membres appartenant à différentes écoles pouvait-elle exiger
d'eux davantage ?)
Si Durendal se voulait éclectique :
N o s sympathies iront donc aux sincères, aux vrais, où qu'ils
soient, fussent-ils à cent mille lieues de nous, et à ceux-là seuls.
(Dur., 1894, p. 4.)
elle se déclarait aussi absolument intraitable quant à la forme.
Des qualités artistiques indiscutables étaient exigées des écrivains désireux de se concilier la bienveillance de la revue : à
l'avance, les médiocres, même catholiques — surtout catholiques (pouvait-on donner prise à la critique des adversaires ?)
— étaient écartés. Et les mêmes principes seraient, disait-on,
appliqués en critique.
Enfin le manifeste redisait sa joie devant la renaissance de
l'idéalisme en littérature.
Les principes de fondation de Durendal étaient, on le voit,
des plus généreux : elle s'ouvrait au modernisme et n'écartait, a
28
Françoise Chatelain
priori, que les œuvres totalement dépourvues d'intérêt artistique, préoccupation particulièrement méritoire à une époque
où la qualité n'était peut-être pas un critère toujours apprécié à
sa juste valeur.
Nous verrons de manière détaillée dans la suite de ce travail
comment la revue devait respecter ce programme.
4. Les premières lances rompues
au service du catholicisme
En marge des résolutions officiellement prises dans son programme, la revue s'enflamma pour quelques causes spécifiquement catholiques : la modernisation de l'enseignement chrétien,
le retour à des formes plus pures d'art religieux et un cas épineux : la conversion de Joris-Karl Huysmans. Ces prises de
position eurent un retentissement considérable et contribuèrent
fort au succès de Durendal.
Le problème de l'enseignement
La situation de l'enseignement en Belgique préoccupait les
jeunes catholiques progressistes en cette fin de XIX e siècle.
L'enseignement catholique, vainqueur de la guerre scolaire,
gardait des structures périmées et les méthodes de la Compagnie de Jésus (qui contrôlait un nombre important d'établissements scolaires) ne s'attiraient pas l'approbation unanime du
monde catholique, ni même du clergé. Au Congrès de Malines,
Vanden Bosch affirmait qu'il fallait avant tout moderniser
l'enseignement de la littérature si l'on voulait asseoir le mouvement naissant des lettres catholiques sur des bases solides et y
intéresser la jeunesse.
Durendal orchestra rapidement une campagne pour le
renouvellement des programmes pédagogiques. Dès le premier
numéro, l'abbé Moeller annonce la couleur. Il s'attaque aux
Jésuites auxquels il reproche leur hypocrisie : pourquoi interdisent-ils l'étude des auteurs modernes ? « Les écrivains con-
Une revue catholique au tournant du siècle
29
temporains sont immoraux ? mais eux-mêmes n'ont-ils pas inscrit à leur programme La Fontaine qui écrivit pourtant des
Contes licencieux à côté de ses Fables ?
Dès lors que vous offrez une si accueillante hospitalité dans vos
classes à un auteur du XVII e siècle, quoiqu'il ait plus d'une fois
trempé sa plume dans la boue, de quel droit nous jetez-vous la
petite pierre de votre pudeur effarouchée, sous prétexte que nous
poussons la jeunesse dans des voies dangereuses, lorsque nous
l'engageons à permettre loyalement aux littératures de notre époque
de s'ouvrir sur leurs pupitres à côté des chefs-d'œuvre 29 .
Moeller propose la publication de nouveaux manuels littéraires
qui, au lieu de réunir des textes classiques et « païens », offriraient aux élèves les passages les plus édifiants des auteurs du
XIX e siècle.
Ce n'est là qu'un début : pendant les deux années suivantes,
Pol Demade ne cessera d'attaquer les Jésuites et de harceler les
autorités responsables en leur proposant diverses formules de
réforme.
Dès mai 1894, il critique violemment la conception passéiste
de l'enseignement des Jésuites et les exhorte à se rallier au
modernisme :
Voyons, mes Pères, lorsqu'on est le premier ordre d'un temps
passionné pour l'art et la littérature, on n'a pas le droit de se contenter d'écrire des guides du Jeune Littérateur ou même des brochures
ridicules. Faites-vous artistes, littérateurs et aidez-nous à infuser un
peu de sang à l'Art et à la Littérature catholiques qui se meurent
d'anémie 30 .
En août 1894, il présente des propositions concrètes et
publie le Programme de la ligue pour la réforme de l'enseignement moyen, ligue à laquelle il adhère aux côtés de professeurs
de l'école vétérinaire de Cureghem et des universités de Liège
et de Bruxelles. Il s'agit d'une réforme globale de l'enseignement secondaire :
Exclusion complète du latin et du grec des trois années inférieures du Collège, au profit de l'enseignement de la langue materMorale et littérature, dans Dur., janvier 1 8 9 4 , p. 12.
Faut-il louer le mérite littéraire des écrivains mauvais ?,
dans Dur., mai 1895, p. 110.
29.
MOELLER H . ,
30.
D E M A D E P.,
Françoise Chatelain
30
nelle (français ou flamand), d'une seconde langue (français en pays
flamand ; flamand ou allemand en pays wallon), des sciences naturelles et des mathématiques (...)
Création de collèges modernes 3 I .
Dans cette optique, tous les élèves auraient dû suivre des cours
communs pendant trois ans et, selon leurs goûts, s'orienter vers
des études littéraires ou scientifiques en quatrième année. Tous
devraient surtout maîtriser parfaitement leur langue maternelle, base de leur éducation.
Il s'agissait en fait d'aligner l'enseignement catholique sur
l'enseignement de l'Etat qui avait créé depuis plusieurs années
des sections d'humanités modernes et d'humanités latin-mathématiques. Les catholiques proposaient pourtant quelques originalités : trois années de cours communs pour les sections
latines et modernes (premier pas vers l'enseignement rénové ?)
et une tentative de flamandisation des établissements secondaires de la partie nord du pays. Et en cela, ils s'alignaient sur
les revendications des mouvements catholiques flamands,
comme nous le verrons plus loin.
En juillet 1895, la revue exprime ses regrets devant l'inertie
des catholiques dans la discussion du budget de l'Instruction
Publique à la Chambre et s'interroge : pourquoi aucun des
leurs n'a-t-il comblé les lacunes qu'on pouvait relever dans les
discours de Messieurs Destrée et Demblon, députés socialistes ?
Dès le mois suivant, Pol Demade revient à la charge dans un
article intitulé : Vous venez en aide à l'anarchie. Il remarque
que la grosse majorité des « anarchistes » (c'est-à-dire, pour lui,
des socialistes) est issue de milieux catholiques. S'interrogeant
sur les raisons de ce paradoxe, Demade est contraint de
répondre : c'est l'enseignement catholique, mieux (ou pire),
c'est l'inertie des ministères catholiques qui est responsable de
cet état de choses. L'auteur se montre particulièrement dur
envers ces hommes politiques :
demandez aux Dedecker, aux Malou, aux Delcour, aux Devolder,
etc., etc., quelles ont été leurs œuvres ? Le plus sincère d'entre eux a
répondu d'avance à cette question avec une désarmante sincérité :
31.
DEMADE
P., L'école nouvelle, dans Dur., août 1894, p. 147.
Une revue catholique au tournant du siècle
31
« N o u s avons vécu ! » Hélas, il n'avait m ê m e pas vécu, celui-là, il
avait tout au plus vivoté î 2 .
Mais leur inertie n'est pas seulement politique :
nous en connaissons parmi nous qui nient le progrès pour ne pas
devoir se donner la peine de le suivre.
,
,„„
(Dur., 1895, p. 165.)
et de citer La Croix de Paris qui condamnait les laboratoires
de psychologie au moment même où l'université de Louvain en
ouvrait un. Pour Demade, il ne faut pas chercher ailleurs les
raisons du culte que tous les catholiques vouent au passé et il
s'élève violemment contre le conservatisme des siens. Car il
doit bien le reconnaître, ce sont les « anarchistes » qui ont une
attitude positive. Poursuivant son raisonnement, Demade constate avec le Père Didon :
Fabriquer des révoltés ou des êtres sans vouloir, mais c'est tout
le programme — involontaire ! — de nos écoles catholiques, que
Monseigneur Cartuyvels, vice-recteur de l'Université de Louvain, a
qualifiées publiquement de laminoirs.
Les conséquences de notre éducation sont désolantes. Sous prétexte de polir les caractères et de leur enlever ce qu'ils ont d'abrupt,
la lime éducative a tellement passé et repassé sur tous les angles du
bloc humain que, angles et bloc, tout s'en est allé en poussière au
gré du vent.
(Dur., 1895, pp. 168-169)
Dès lors une seule solution s'impose : réformer l'éducation.
Demade ne se contente plus, cette fois, de proposer une nouvelle structure d'humanités, il annonce quelles doivent être les
trois orientations de l'enseignement chrétien : éducation physique, éducation morale et éducation intellectuelle, c'est-à-dire
science et littérature :
Enseignez les faits d'abord (culture scientifique), les signes après
(culture littéraire). Le culte du fond est hiérarchiquement supérieur
au culte de la forme, c'est indéniable.
(Dur., 1895, p. 172.)
Pendant les années qui suivent, Durendal ne cessera pas de
stigmatiser l'enseignement rétrograde des Jésuites jusqu'à
l'aboutissement : en 1905, le premier Congrès international de
32.
p.
165.
D E M A D E P.,
Vous venez en aide à l'anarchie, dans Dur., août
1895,
32
Françoise
Chatelain
l'expansion mondiale se réunit à Mons et publie en 1907 La
Réforme de l'enseignement. La langue maternelle est enfin
reconnue comme noyau de la formation littéraire. Une seule
langue ancienne garde un statut inchangé : le latin, que les
langues modernes doivent toutefois égaler dans l'estime des
pédagogues.
En 1910, au Congrès de Malines, l'abbé Halflants pouvait
établir un bilan des progrès effectués en matière d'enseignement : les lettres contemporaines avaient conquis un statut
officiel au côté des auteurs classiques qui gardaient cependant
la première place ; la littérature belge commençait également à
trouver sa place dans les programmes diocésains. Mais l'abbé
Halflants demandait encore des progrès et conseillait l'étude de
pages de Godefroid Kurth et Henri Pirenne, d'Emile Verhaeren, de Rodenbach ou de Giraud. II proposait d'initier les
enfants à l'art grâce à la lecture de textes choisis dans La Belgique de Camille Lemonnier ou Bruges-la-Morte de Rodenbach. L'abbé recommandait aussi que l'on parle aux jeunes des
« mauvais » livres pour pouvoir les en préserver et concluait
par ces souhaits :
1° que sans négliger l'étude de la littérature française classique et
moderne, une part plus grande soit faite, dans l'enseignement, aux
auteurs belges.
2° que parmi les auteurs belges, on étudie spécialement :
a) les littérateurs catholiques.
b) les écrivains qui font le mieux connaître la patrie, les arts, les
mœurs, la mentalité belge
En bref, on peut dire que la rédaction de Durendal, qui
avait tant d'idées sur ce que devait être l'enseignement
moderne, amorça un mouvement de réflexion qui devait aboutir à introduire l'étude des auteurs contemporains et de la
littérature belge dans les établissements scolaires catholiques.
Ce qui, finalement, importait pour une revue littéraire.
33. HALFLANTS P., La littérature belge dans l'enseignement, dans Les lettres
belges d'expression française au Congrès de Malines, p. 62.
Une revue catholique au tournant du siècle
33
La question de Part religieux
Immédiatement après avoir amorcé sa campagne de rénovation de l'enseignement, la jeune revue s'attaqua à un autre
fléau : les formes artistiques qui sévissaient dans l'Eglise de
cette époque, c'est-à-dire l'imagerie sulpicienne et la musique
profane.
Durendal déclencha l'offensive en publiant, en juillet 1894,
un article d'André Hallays paru dans le Journal des Débats du
17 juin 1894:
On ne paraît pas se douter ici que la musique d'église doit avant
tout être religieuse et que la beauté de la liturgie catholique disparaît au milieu des tintamarres d'opéra. La foi souffre de ce mélange
extravagant de profane et de sacré et le bon goût en est révolté 34 .
Haro donc sur la musique profane adaptée à la liturgie et
sur les images pieuses de ce XIX e siècle finissant : elles offensaient à la fois le sentiment religieux et le goût esthétique.
Il faut nous préoccuper d'abord d'art graphique, puisque
c'est par là que Durendal engagea sa croisade.
Puisque la revue s'élevait contre les représentations picturales existantes, il lui fallait proposer autre chose. C'est dans le
but de découvrir de nouveaux talents que, dès novembre 1894,
le comité de rédaction proposa aux artistes chrétiens de participer à un salon d'art religieux :
Notre but est celui-ci : réunir à Bruxelles — en un Salon international, — des objets d'art de toute nature, appliqués ou destinés au
culte privé ou public. Montrer au public, — spécialement au public
catholique et au clergé, — qu'il doit exister, qu'il existe un grand
nombre d'artistes capables de réagir par des œuvres contre la tendance trop évidente à la camelote ou au mauvais goût qui se manifeste dans l'ornementation d'un si grand nombre de nos églises
urbaines et rurales 3S .
Ce salon, qui se tint en 1899, remporta un grand succès. Il
incombait dès lors aux artistes de suivre le mouvement amorcé
34. HALLAYS A., Musique d'église, dans Dur., juillet 1894, p. 125.
35. Salon d'art chrétien. Appel aux artistes, dans Dur., novembre 1894,
p. 205.
34
Françoise Chatelain
et de produire des œuvres en accord avec cette définition de
l'art religieux :
... l'art religieux s'assigne un but supérieur à la seule jouissance :
c'est l'édification spirituelle. L'art religieux est une forme
d'enseignement, une sorte d'éloquence sacrée. C'est l'art au service
d'une cause plus grande que le simple amusement des dilettantes
puisqu'il évoque la fin dernière de l'homme, le but surnaturel de la
vie 3«.
Mais pour la réalisation de ce dessein, les avis ne concordaient plus et les deux tendances se firent jour dans la rédaction de Durendal : l'abbé Moeller demandait des artistes neufs,
des créateurs. Il n'admettait le recours aux services d'un
« copiste » qu'en cas d'absolue nécessité, c'est-à-dire s'il était
impossible de faire appel au talent d'un artiste original pour
exécuter une œuvre chrétienne. Le bouillant directeur de la
revue exigeait deux qualités pour l'art religieux : sobriété et
grandeur ; pour le reste, que le peintre donne libre cours à son
inspiration. Voici donc le point de vue moderniste.
L'abbé Verhelst, chacun le savait, avait une vue quelque
peu rétrograde de l'art pictural et s'opposait, sur ce terrain à
son fougueux collègue. Il croyait aux mérites de la tradition : il
était préférable, pour un artiste, de suivre la voie tracée par ses
prédécesseurs (surtout les primitifs italiens) même s'il fallait
nuire à l'art. Car en suivant son inspiration, il risquait de ne
pas atteindre avec autant de précision le but qui lui était fixé :
l'édification spirituelle. Verhelst allait plus loin : il proposait,
aux artistes contemporains, les statuts que l'on imposait à leur
collègues siennois du XIV e siècle. Il était souhaitable qu'ils
maîtrisent parfaitement la science du dessin et de la coloration,
mais aussi qu'ils connaissent à fond le dogme, l'Evangile, l'iconographie chrétienne et même le latin. Si l'on précise que le
don n'était pas superflu pour un artiste, on comprendra que
l'abbé Verhelst ait été contraint de recourir au concours de
copistes, faute d'artistes originaux de réel talent !
C'est précisément sur la question des copies et surtout de
celles réalisées par l'école de Saint-Luc que devait se concrétiser l'opposition des deux abbés.
36.
VERHELST F . ,
L'Art religieux, dans Dur., décembre
1899,
p.
891.
Une revue catholique au tournant du siècle
35
L'abbé Verhelst pensait trouver, dans ces travaux, la seule
possibilité de renouvellement de l'art religieux, puisqu'il était
pratiquement impossible de dénicher des génies artistiques
neufs ; il reconnaissait cependant des lacunes artistiques au
programme de Saint-Luc mais espérait que l'école pourrait vite
les combler et
... recueillir la glorieuse succession de nos grands primitifs et la faire
fructifier en esprit de foi et de généreuse aspiration au Progrès, qui
est la foi suprême de l'art.
(Dur., 1899, p. 896.)
Mais l'abbé Moeller ne balançait pas non plus :
Personne n'est plus admirateur que moi du grand art religieux
des anciens, mais je n'aime point les soi-disantes copies d'un certain
siècle que nous donnent les artistes de Saint-Luc.
Voilà tout. Et je trouve que ces copies sont à cent lieues de
l'original 3 7 .
Il dénonçait surtout la décoration de l'abbaye de Maredsous à
laquelle il reprochait son manque de goût, ses couleurs
criardes, son absence de grandeur et de sobriété qui la faisait
ressembler à une décoration de théâtre et de salle de concert.
A l'unanimité, la rédaction de Durendal réclamait donc de
nouvelles formes d'art décoratif religieux mais elle était divisée
sur leur nature. On est cependant en droit de penser que la
revue suivait davantage l'abbé Moeller qui avait pris l'habitude
de laisser la parole à l'abbé Verhelst tout en précisant au nom
de Durendal qu'il ne partageait pas nécessairement ses goûts.
Il n'y avait par contre aucune divergence d'opinion au sein
de la rédaction sur l'attitude à adopter face à la musique
d'église. Il fallait abandonner la musique « théâtrale » et
retourner à Palestrina, à la musique grégorienne ; bref à la
musique d'avant Jean-Sébastien Bach. Aussi l'abbé Moeller
accueillit-il avec joie l'accession de Pie X au trône pontifical : il
voyait en ce nouveau pape, le réformateur de la musique religieuse :
U n e revue d'art doit toujours et avant tout considérer la question
au point de vue artistique. Eh bien, c'est en nous mettant à ce point
de vue-là, c'est au nom de l'art, c'est par respect et amour pour la
37.
MOELLER
H., L'Ecole de Saint-Luc, dans Dur., septembre 1899, p. 710.
36
Françoise Chatelain
Beauté que nous réclamons impérieusement le bannissement définitif de nos églises de la musique abominable, vulgaire, grotesque,
sans caractère, absolument antiartistique que l'on y exécute, et le
rétablissement de la musique grégorienne et de la musique palestrinienne qui, de l'avis de tous les artistes, réalisent le plus bel idéal
que l'on puisse rêver en fait d'art musical religieux 38 .
Sans "doute Durendal fut-elle entendue puisque l'abbé Verhelst pouvait se féliciter, en mai 1903, d'un nombre relativement important d'auditions des anciens maîtres polyphonistes.
Telle était donc la position de la revue sur l'art religieux,
mais cet art religieux, ce n'était pas seulement la musique
d'église ou l'illustration picturale des textes sacrés :
Le grand Art est religieux : une symphonie de Beethoven est, au
sens profond du mot, une oeuvre aussi religieuse qu'une messe de
Palestrina. Les mystères d'ombre et de lumière d'un Rembrandt
procèdent du frisson de l'au-delà comme une fresque du Beato
Angelico est inspirée de la douce vision de cet au-delà 39 .
La conversion de Joris-Kar! Huysmans
C'est d'art et de religion aussi qu'il fut question lorsque
Durendal s'empara du cas de J.-K. Huysmans.
Il importe avant tout de rappeler la carrière de celui-ci.
Ecrivain français d'origine hollandaise, Huysmans avait débuté
dans l'école naturaliste et avait participé aux « Soirées de
Médan ». Il avait publié quelques romans qui montraient la vie
sordide de héros médiocres : Marthe, histoire d'une fille, En
ménage, A Vau-l'eau...
Mais, dès 1884, Huysmans s'éloigna du naturalisme dans A
Rebours, roman de tonalité décadente, histoire d'une quête
d'idéal qui échoue. Devant l'échec du héros, qui était aussi
celui de l'auteur, Huysmans se tourna vers l'occultisme et le
satanisme dans Là-bas, en 1891, où apparaissait un nouveau
personnage.; Durtal.
C'est à cette époque que Huysmans rencontra l'abbé
Mugnier. Il était déjà prêt à accueillir la foi chrétienne et il se
38. MOELLER H . , Pie X et la réforme de la musique d'église, dans Dur.,
novembre 1903, p. 642.
39. R Y E L A N D T J . , Art et religion, dans Dur., août 1899, pp. 670-671.
Une revue catholique au tournant du siècle
37
convertit en 1892. Dès lors, son œuvre littéraire allait prendre
une orientation totalement différente. Dans En Route, publié
en 1895, Huysmans faisait vivre à Durtal sa conversion; il
devait encore écrire La Cathédrale, hymne à la cathédrale de
Chartres, VOblat qui raconte son expérience personnelle à
l'abbaye de Ligugé, Sainte Lydwine de Schiedam, une hagiographie et les Foules de Lourdes, avant de mourir en 1907 à Paris
où il s'était retiré après la dissolution de l'ordre bénédictin et la
dispersion des religieux de Ligugé.
La conversion de J. K. Huysmans provoqua des remous
dans les milieux littéraires français : les violents reproches de
Zola dès la publication de A rebours ne lui concilièrent cependant pas les faveurs des sphères catholiques au moment de sa
conversion. Si de jeunes ecclésiastiques saluaient avec joie la
venue de l'écrivain à la foi, les conservateurs et surtout les
jésuites restaient sceptiques quant à sa sincérité réelle et reprochaient même à son roman, En Route, des passages immoraux.
Ces débats trouvèrent tout naturellement leur écho en Belgique. On ne peut nier le rôle qu'y prit Durendal. L'intérêt fut
réciproque : la revue attira l'attention de Huysmans :
C'est à la d e m a n d e m ê m e de Huysmans que Buet, en 1894, avait
mandé à l'abbé Moeller le désir du nouveau converti d'entrer en
relations avec l u i 4 0 .
et de son côté, Durendal manifesta de la sympathie à Huysmans, ce qui n'est pas étonnant puisqu'on connaît l'admiration
qu'elle professait déjà envers d'autres convertis célèbres :
A la fin de la première année de Durendal. il advint à la revue
une bonne fortune inattendue. Henry Carton de Wiart ayant rencontré à Paris J. K. Huysmans, qui corrigeait les épreuves d'En
Route, il intéressa le curieux écrivain à la j e u n e revue bruxelloise, et
le numéro de décembre 1894, apportait aux lecteurs de Durendal un
fragment encore inédit d'En
Route*1.
En décembre 1894, Durendal propose donc à ses lecteurs, un
chapitre d'En Route : Sainte Lydwine et la substitution mystique
qu'un article élogieux avait annoncé dans le numéro précédent.
40. VAN WELKENHUYZEN G., J K. Huysmans
et la Belgique,
41. VIRRES G., Souvenir, Souvenir, que me veux-tu ?, p. 65.
p. 177.
Françoise Chatelain
38
Le roman est publié au début de l'année 1895. La réaction
ne se fait pas attendre : le grand public est méfiant, presque
hostile, il ne comprend pas. Mais, même parmi les intellectuels,
l'unanimité ne se fait pas : les conservateurs ne reçoivent pas
aisémenj cet écrivain qui traîne encore, derrière lui, des relents
de soufre. Cependant une telle opposition n'est pas pour
décourager nos écrivains catholiques qui, depuis quatre ans,
ont pris l'habitude de combattre les réactionnaires de leur parti
et, puisqu'elle a admis Huysmans au nombre des siens, il n'est
pas question que la revue ne fasse pas tout pour l'imposer à la
face du monde chrétien. Dans le numéro d'avril 1895, Pol
Demade consacre plusieurs pages à faire partager aux lecteurs
ses impressions :
Je ne sais rien, dans la littérature de ces dernières années, de
cette intensité d e passion, d'angoisse, de vérité, de tristesse et de
beauté aussi. C'est d e la vie la plus ardente et c'est à la fois de l'art
le plus magnifique 4 2 .
et à tenter d'expliquer l'incompréhension qui accueillit le
roman :
Le spectacle d'une âme perdue, errante, affolée, dématée n'eût
point étonné les faiseurs de compte rendu, mais que cette âme, par
des chemins inaccoutumés d'art cinglât droit vers le christianisme et
s'y ancrât à jamais, ce d é n o u e m e n t devait mener à de belles incompréhensions de divers côtés et surtout chez les catholiques, où l'abbé
Klein, seul peut-être, fit preuve d'intelligence. Il est vrai que c'est un
prêtre et que le volume — qui n'est pas un livre pour enfants, — est
écrit uniquement pour les inquiets ou les soucieux de l'Au-delà.
(Dur., 1895, p. 70.)
Il ne manque pas de noter au passage le rôle important que
joue, dans la conversion de Durtal — et de Huysmans —, une
conception de l'art religieux qui est, précisément, celle de
Durendal. Habilement, Demade reconnaît que l'œuvre garde
certains caractères du naturalisme (et prévient ainsi une objection majeure qu'on pourrait lui faire).
J'oublie, je pardonne. Durtal vient à peine de se convertir, il a
chassé de son c œ u r tous ses vices, il n'a pas encore eu le temps
d'installer toutes ses vertus. Il vient de Là-Bas, il est En Route,
laissez-lui le temps d'arriver Là-Haut...
(Dur., 1895, p. 76.)
42.
DEMADE P.,
En Route.
J. K .
Huysmans, dans Dur., avril
1895,
p.
74.
Une revue catholique au tournant du siècle
39
La suite de la carrière de Huysmans devait prouver que
Moeller et les siens avaient eu raison de lui faire confiance.
C'était donc une nouvelle victoire pour Durendal qui, dans
l'opération, avait allongé la liste de ses collaborateurs d'un
nom devenu prestigieux pour les catholiques. Huysmans devait
désormais réserver la primeur de ses romans à la revue ; il
suffit pour s'en rendre compte, de consulter les tables :
La symbolique des couleurs et des gemmes, chapitre inédit de
la Cathédrale en janvier 1898; le premier chapitre de Sainte
Lydwine de Schiedam en mars 1901 ; un extrait de l'Oblat en
janvier 1903; une préface inédite d'A Rebours en avril 1904;
un passage des Foules de Lourdes en août 1906 et, enfin, un
extrait de Trois Primitifs en mars 1907. Même après sa mort,
Huysmans allait encore fournir de la matière à Durendal
puisque de juin 1907 à 1910, l'abbé Moeller devait publier sa
correspondance avec l'écrivain. Huysmans introduisit aussi de
nouveaux collaborateurs : le poète Louis Le Cardonnel,
ordonné prêtre en 1896 et fondateur, comme nous l'avons noté,
du Saint-Graal, le vicomte d'Hennezel et J. Esquirol. Il se
chargea aussi de promouvoir la revue dans son entourage :
en 1899, il est heureux d'annoncer à l'abbé Moeller : « Le Durendal
fait la joie du cloître auquel je le prête : les jeunes l'aiment bien » 43 .
Reste à savoir à qui cette victoire profita réellement. Elle
imposa Huysmans aux milieux catholiques belges et joua un
rôle important pour leur faire admettre la nouvelle image que
l'écrivain souhaitait donner de lui-même. (Peut-être Huysmans,
qui connaissait l'impact de la revue sur la jeunesse progressiste
et catholique de Belgique, comptait-il sur son appui pour une
bataille qu'il devinait difficile). De toutes façons, il est probable que l'approbation qu'il reçut des catholiques belges
l'encouragea à poursuivre dans la voie qu'il venait de se choisir. Il est aussi indiscutable que le catholicisme eut son profit
dans l'affaire : il récupérait une âme et quelle âme ! De plus
l'exemple de l'écrivain provoqua bon nombre de conversions
chez les lecteurs :
4 3 . V A N WELKENHUYZEN G . , Op.
cit.,
p.
181.
40
Françoise Chatelain
A un m ê m e moment, notons-le, l'abbé Moeller annonçait à
Huysmans qu'en Belgique c o m m e en France, des lecteurs d'En
Roule s'étaient convertis 4 4 .
Profits qui, somme toute, compensaient le triste tableau que le
catholicisme venait, une fois encore, de donner de ses dissensions. Mais incontestablement, ce fut surtout Durendal qui tira
un bénéfice immense de cette bataille qu'elle avait remportée.
Avantages matériels d'abord : en plus d'une collaboration fructueuse, Huysmans apportait à la revue un débouché en France
et asseyait sa réputation dans les milieux littéraires. Mais surtout, Durendal recevait un encouragement moral important ;
elle ne s'était pas trompée : des écrivains athées et les pires qui
soient, les naturalistes, éprouvaient un besoin impérieux
d'idéal ; qu'en outre, dans cette quête d'idéal, ils se soient
tournés vers Dieu et aient choisi la revue pour annoncer ce
bonheur, quel triomphe !
L'heure propice a sonné qui pourrait mettre d'accord le mouvement conscient du catholicisme et le m o u v e m e n t inconscient du
m o n d e moderne vers l'Idéal 4S .
En créant une revue littéraire et démocrate-chrétienne, les
fondateurs de Durendal s'engageaient sur un terrain miné
puisqu'il était évident que leurs adversaires conservateurs (les
amis de Charles Woeste encore largement majoritaires au sein
du parti ne désarmaient pas) guettaient le premier faux pas des
Jeune Droite afin de les discréditer.
Il fallait donc donner confiance et c'est ce que l'on fit en
s'attaquant à l'art chrétien d'abord, combat somme toute assez
anodin. La défense de Joris-Karl Huysmans était peut-être un
peu plus risquée mais il fallait asseoir la nouvelle réputation de
la revue et le jeu en valait la chandelle.
Le procédé était habile : les premières années passées sans
crise (et Dieu sait combien c'était difficile en ces temps de
revues éphémères !), la bataille était gagnée : Durendal était
acceptée. On pouvait maintenant passer aux choses sérieuses et
quitter le terrain purement religieux. Devenir réellement une
revue littéraire.
4 4 . V A N WELKENHUYZEN G . , Op.
cit.,
p. 169.
45. La Geste Idéale, dans Dur., janvier 1894, p. 1.
Une revue catholique au tournant du siècle
41
LA DESTINEE DE DURENDAL
Si le beau a des règles ou, plutôt, des caractères, ils sont en
évolution incessante : quant aux vieilles règles académiques, ce
qui en subsiste encore n'a d'intérêt qu'archéologique, aussi bien
d'ailleurs, que la rhétorique surannée dont on continue pieusement
à enseigner les formes et figures dans les collèges.
GOFFIN A „ Dur., j a n v i e r 1911, p. 62.
1. Durendal
face aux grands mouvements culturels et littéraires
L'Art pour l'Art
On se souviendra que le Congrès de Malines de 1891, qui
consacra l'existence de la Jeune Droite, avait été le cadre d'une
querelle des Anciens et des Modernes sur la question de l'Art
pour l'Art et que, seul, Mgr Mercier avait pu régler le différend en proposant une nouvelle définition de la théorie littéraire mise en cause.
On se rappellera également que le mouvement littéraire des
Jeunes Catholiques, qui devait concrétiser son action par la
publication du Drapeau d'abord, de Durendal ensuite, se plaça
sous le patronage de la Jeune Belgique malgré les réticences
exprimées par celle-ci. Faut-il dès lors en conclure que Durendal s'était rangée sous la bannière de l'Art pour l'Art et allait
épouser, comme le Drapeau en son temps, toutes ses querelles ?
Certainement pas.
La Jeune Belgique, pour nos jeunes littérateurs catholiques
de 1890, c'est le modèle, la renaissance des lettres belges,
l'ouverture à l'art moderne, c'est l'équivalent en littérature de
ce qu'ils veulent en politique : l'audace, la nouveauté, l'espoir.
Il faut imiter cet exemple et voilà ce qui explique l'engouement, les saluts fraternels. Mais dès le départ, il existe un fossé
42
Françoise Chatelain
entre l'Art pour l'Art de Waller d'abord, de Gilkin et Giraud
ensuite, et l'Art pour Dieu de la Jeune Droite littéraire ; divergence qui apparaît dès le début dans les déclarations de Firmin
Vanden Bosch :
nous souscrivions de tout notre enthousiasme à l'œuvre de libération
intellectuelle entreprise par Max Waller et ses compagnons, mais
nous nous refusions à admettre la subordination dans laquelle la
Jeune Belgique prétendait placer le d o g m e et la morale vis-à-vis de
l'Art décrété souverain. Et nous fîmes nôtre la fière devise « amendée » de la Jeune Belgique : « N e crains ... fors D i e u ! » 4 6 .
La Jeune Belgique, comme l'Art pour l'Art qu'elle professe, est
un tremplin pour Durendal qui va chercher, dans sa rédaction,
quelques-uns de ses collaborateurs, parmi lesquels il faut signaler Fernand Severin et Franz Ansel. Pour eux qui sont catholiques, il va de soi de participer à la rédaction d'une revue
catholique qui affirme si clairement son attachement au
mouvement qu'ils chérissent. Mais Severin ne se détache
quand même pas totalement de la « vieille » revue et Ansel,
qui l'avait quittée, y retourne en 1896. Pourquoi? Parce que
Durendal n'est pas parnassienne ; elle n'a vu dans l'Art pour
l'Art qu'un tremplin vers l'Art pour Dieu, or la Jeune Belgique
et l'Art pour l'Art n'évoluent pas et Durendal désire le progrès.
Seuls les irréductibles restent fidèles, comme Severin qui
écrit en 1910 à propos de la Guirlande des Dieux de Giraud :
... la forme l'emporte incomparablement sur le fond bien que
beauté de la forme ne puisse sérieusement se concevoir sans
solidité du fond.
La poésie tel que le Crime de l'archange, vrai chef-d'œuvre
passion, suppose beaucoup moins de passion que de réflexion et
travail, c'est beau pour cette raison m ê m e 4 7 .
la
la
de
de
Mais les autres, ceux qui tiennent réellement en main Durendal, s'acharnent sur le cadavre de la Jeune Belgique... avec
quelle ingratitude :
Tôt vinrent, j e le sais, les clairvoyances décevantes et les jeunes
catholiques durent aux principes essentiels de leur Foi de se séparer
46. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran
4 7 . SEVERIN F . ,
1910,
p.
209.
du passé,
p. 23.
La Guirlande des Dieux par Albert Giraud, dans Dur., avril
Une revue catholique au tournant du siècle
43
d'une école qui domestiquait le D o g m e et la Morale à une idôlatrique souveraineté de l'Art.
Là où l'art pour l'art, vaine et néfaste acrobatie de mots, trôna
en maître, régne l'art auréolé de Foi et de Charité, l'art qui prie et
l'art qui évangélise, l'art qui soit une glorification de D i e u et l'art
qui soit un viatique des foules ! 4 8 .
et Arnold Goffin rédige l'oraison funèbre de la Jeune
à la rédaction de laquelle il avait autrefois participé :
Belgique
Ces immuables principes remémorent fatalement les immortels
principes, pétris d'universelle philanthropie et de tolérance, dont
s'inspirait, avec une logique inflexible, ce rhéteur de Robespierre
pour fournir chaque jour de nouvelles victimes à son ami FouquierTinville. L'humeur de M M . Giraud et Gilkin est trop mélangée
d'indifférence pour les pousser jamais à faire décapiter leurs contradicteurs — dans l'opinion peut-être que ceux-ci n'y perdraient pas
grand'chose ! Ils n'ont donc aucun cadavre sur la conscience, —
sauf celui de la Jeune Belgique elle-même, morte d'asphyxie esthétique entre leurs mains ! 4 9 .
Symbolisme et wagnérisme
Repoussant l'Art pour l'Art, Durendal se tourna vers le symbolisme :
N o t o n s vers 1892, l'apparition du Réveil et de Floréal, entièrement dévoués à la cause du Symbolisme. Ils seront bientôt rejoints
par la Revue rouge et Durendal ; cette dernière revue toutefois ne
défend pas invariablement les intérêts de la poésie nouvelle 50 .
On peut, en ce qui concerne Durendal, expliquer facilement
cette réticence : on vient de voir combien certains irréductibles
demeuraient fidèles à l'Art pour l'Art : il est clair qu'ils se
montrèrent extrêmement méfiants à l'égard du symbolisme
comme on le verra lorsqu'on examinera la querelle du vers
libre,
4 8 . V A N D E N BOSCH F . , La Jeune Belgique et la littérature catholique, dans
Dur., février 1898, p. 172.
4 9 . G O F F I N A., L'Art pour l'Art, dans Dur., février 1 8 9 8 , p. 1 5 6 .
50. BRAET H., L'accueil fait au symbolisme en Belgique, 1885-1900, p. 173.
Françoise Chatelain
44
enrichi à la fois de l'héritage du « Parnasse » défunt
dépouilles du « Symbolisme » moribond 5 1 .
et
des
Même les sympathisants avouaient parfois leur incompréhension :
J'ai peur, pourtant que, m ê m e chez la postérité, l'étonnement ne
l'emporte encore sur le respect. Stéphane Mallarmé reste, à perpétuité, un problème 52 .
Malgré cela, il faut bien admettre l'appartenance de Durendal
au grand mouvement artistique de ce XIX e siècle finissant.
Le programme du mouvement, d'abord, est fait pour
séduire les jeunes catholiques :
A u naturalisme immédiat, à la vérité immédiate, les j e u n e s littérateurs du m o u v e m e n t symboliste opposèrent les fondements de
l'esthétique wagnérienne...
A l'art de copie, ils opposèrent l'art d e transposition ; au personnage d e réalité anecdotique, le personnage de signification symbolique 53 .
En effet, ils saluent le mouvement symboliste comme le retour
tant attendu vers l'idéal :
L'attitude de cette génération est, du point de vue lyrique, une
des plus nobles qui soient dans l'histoire des idées esthétiques du
XIX e siècle. Les tenants du symbolisme n'ont cherché autre chose
q u e la poésie pure, c'est-à-dire dépouillée d e tout ce qui n'est pas
elle : didactisme, éloquence, etc... Ils ont agrandi le c h a m p de la
vision poétique en tournant leurs regards vers l'intérieur, vers l'âme,
et en poussant des prolongements jusqu'au d o m a i n e d e l'inconscient. Ce mot de symbolisme ne signifie qu'un retour aux données
premières de la vie psychologique de l'homme ; il est s y n o n y m e
d'idéalisme 5 4 .
et nous pouvons mieux comprendre, grâce à l'éclairage symboliste, cette remarque du programme de Durendal, déjà citée
plus haut :
51.
F., Gabriel Nigond, dans Dur., février 1905, p. 87.
M., Stéphane Mallarmé, dans Dur., septembre 1 8 9 8 , p. 7 8 6 .
53. MAUCLAIR C., Souvenirs sur le mouvement symboliste en France, 18841 8 9 7 , dans Nouvelle revue, 1 5 / 1 0 et 1 / 1 1 / 1 8 9 7 , cité par G U I C H A R D L „ La
musique et les lettres en France du temps du wagnérisme, p. 240.
5 4 . V I S A N T . de. Lettre parisienne, dans Dur., février 1 9 1 1 , p. 8 9 .
ANSEL
5 2 . DULLAERT
Une revue catholique au tournant du siècle
45
Or fait remarquable, l'âme contemporaine, désemparée de tout,
aiguille précisément vers l'Idéalisme. N o u s pensons donc — et quelques-uns de nos amis l'ont pensé avec nous — que l'heure propice a
sonné qui pourrait mettre d'accord le m o u v e m e n t conscient du
catholicisme et le m o u v e m e n t inconscient du m o n d e moderne vers
l'Idéal, et voilà I'arrière-pensée qui a présidé à la création de cette
nouvelle revue :
Durendal55.
Beaucoup de collaborateurs de Durendal, rédacteurs à temps
plein ou occasionnels, viennent d'ailleurs de revues symbolistes : ainsi, Arnold Goffin, les Destrée ont quitté la Wallonie à
l'arrivée de Ghil ; YArt Jeune, revue à la rédaction de laquelle
ont participé Blanche Rousseau et Jean Dominique — les deux
poétesses de Durendal —, fusionna avec le Coq Rouge, connu
pour son orientation on ne peut plus symboliste.
Vanden Bosch et Dullaert, quoique n'ayant jamais appartenu à aucune rédaction symboliste (différente de Durendal),
œuvrent pour orienter le Magasin Littéraire vers ce mouvement culturel.
Tancrède de Visan et Henri Mazel, les correspondants parisiens de Durendal, sont des symbolistes notoires.
Au moment où éclate la querelle qui oppose la Jeune Belgique au Coq Rouge, le débat du vers libre atteint la rédaction
de notre revue catholique. L'abbé Moeller attaque en accusant
les vers-libristes d'avoir torturé la langue en « l'encombrant de
néologismes absurdes » :
Le Beau c'est l'ordre ; ... et l'anarchie c'est le désordre, c'est le
gâchis. Il y a en littérature c o m m e en toute chose des principes
éternels qu'on ne viole pas impunément ... Les vers-libristes abolissent toutes les règles et déclarent la poésie à tout jamais affranchie. Pour reconnaître cette poésie il n'y a que deux moyens : la
déclaration de l'auteur lui-même qui se proclame poète ... et le fait
d'aller à la ligne là où, en prose, on eût continué à écrire sur la
m ê m e ligne ... ce n'est plus de la poésie, c'est tout bonnement de la
prose que nous livrent ces écrivains sous l'étiquette fausse et menteuse du vers libre ... Pour être peintre il faut savoir dessiner, pour
être musicien, il faut connaître les lois de l'harmonie et pour être
poète, il faut connaître les règles de la bonne vieille prosodie 56 .
55. La Geste idéale, dans Dur., janvier 1894, p. 2.
MOELLER H., L'anarchie littéraire, dans Dur., mars
56.
1896,
pp.
157-158.
46
Françoise Chatelain
Un certain D., dans sa critique du recueil de Gustave Kahn,
Limbes de lumière, est moins catégorique certes mais peu optimiste :
Je doute, pour ma part, qu'il (le vers libre) s'impose tel, jamais.
L'on peut craindre qu'ils ne s'abusent étrangement, les verslibristes,
en croyant libérer d'entraves surrannées le rythme, qu'ils ne le tuent
en prétendant l'affranchir 5 7 .
C'est dans le Magasin Littéraire que parlent les défenseurs :
Maurice Dullaert :
Il (Verlaine) s'insurge contre le culte excessif de la rime riche,
bijou d'un sou ... Il affranchit le vers d'une contrainte qui menaçait
de bannir toute surprise, de tuer toute souplesse et toute ingénuité 58 .
et Firmin Vanden Bosch :
C'est dans le sens de la liberté que le vers français a perpétuellement évolué ; dès lors donc qu'une atteinte fut portée à son intégrité
classique, ces ultimes novations d'aujourd'hui étaient à prévoir ; et,
si sacrilège il y a, les révolutionnaires d'aujourd'hui en partagent la
responsabilité avec les révolutionnaires de jadis : la méconnaissance
actuelle du nombre homosyllabique et de la Rime fait suite logique
au rejet ancien de l'hémistiche et à la réhabilitation de l'enjambement, ceci appelle cela 59 .
H. Braet nous propose ce résumé du même article de Vanden
Bosch, Une cause littéraire. La Jeune Belgique contre le Coq
Rouge :
La poésie symboliste est la réincarnation du mystère. Le langage
des j e u n e s poètes peut donc paraître obscur, car chez eux la forme
est appropriée à la substance. Quant au vers français, il a toujours
évolué vers la liberté : le vers libre en est l'aboutissement. Vanden
Bosch invite les conservateurs à respecter cette évolution 60 .
Pourquoi, eux qui prenaient si souvent la plume pour Durendal, se sont-ils exprimés dans une autre revue ?
57. D., Les Livres, dans Dur., août et septembre 1897, p. 105.
5 8 . DULLAERT M . , Paul Verlaine ( I I I ) , dans Magasin Littéraire,
pp. 352-353, cité par BRAET H., Op. cit., p. 131.
5 9 . V A N D E N BOSCH F . , Une cause littéraire ( I I I ) , dans Magasin
1 8 9 6 , I, p. 2 3 4 , cité par BRAET H . , Ibid., p. 130.
60.
BRAET H . , Op.
cit.,
p. 4 3 .
1896,
I,
littéraire,
47
Une revue catholique au tournant du siècle
C'est un mystère auquel on ne peut répondre que par des
hypothèses : respect pour Moeller et ses opinions ? crainte
d'une censure ? difficile à dire.
Quoi qu'il en soit, même en refusant ce qu'elle pouvait
considérer comme des outrances, la rédaction de Durendal
devait être symboliste puisque ses maîtres à penser — à
l'exception toutefois de l'éternel marginal Léon Bloy — avaient
adhéré au mouvement dès ses débuts et que le Saint-Graal,
dans lequel on a pu voir un modèle pour la revue belge, comptait parmi ses collaborateurs des personnalités comme Verlaine,
Moréas ou Maeterlinck.
La perception symboliste telle qu'on l'analyse à Durendal :
le paysage est pour lui (le symboliste) c o m m e une phrase musicale : il pourra essayer de reconstituer cette phrase « par la force de
la pensée réfléchie »>, mais il ne pourra s'estimer satisfait que si la
sensibilité consultée ne remarque point la différence qualitative
entre l'effet obtenu et la sensation primitive 6 1 .
doit beaucoup à Wagner et à sa musique. Le symbolisme, à
travers lequel transparaît, selon A. Coeuroy, la pensée wagnérienne, avait côtoyé le maître :
Villiers de l'Isle-Adam, dont l'esprit, c o m m e disait Roujon, oscillait « du dilettantisme satanique de Poe au mysticisme wagnérien »
dédia « à Monsieur Wagner » son petit conte : Le secret
de
l'ancienne musique où il supposait qu'une des parties à exécuter
dans un opéra « d'un maître allemand » était une suite de silences
pour chapeau chinois : satire à la Mark Twain des détracteurs de
Wagner lui reprochant la difficulté de sa musique 62 .
Les jeunes symbolistes chrétiens s'en étaient tout naturellement
inspirés puisque Wagner professait, tout comme eux, des tendances mystiques et idéalistes :
Le caractère de la scène et le ton de la légende contribuent
ensemble à jeter l'esprit dans cet état de rêve qui le porte bientôt
jusqu'à la pleine clairvoyance, et l'esprit découvre alors un nouvel
enchaînement des p h é n o m è n e s du monde, que ses yeux ne pouvaient apercevoir dans l'état de veille ordinaire 63 .
61. CHRISTOPHE L., L'attitude du lyrisme contemporain, dans Dur., juillet
1912, p. 478.
62. COEUROY A., Appels
63.
WAGNER
d'Orphée,
R., Lettre p.
XLIX,
pp. 200-201.
cité par
GUICHARD L.,
Op. cit., p.
12.
48
Françoise
Chatelain
La vie et la mort, l'importance et l'existence du m o n d e extérieur,
tout ici dépend uniquement des mouvements intérieurs d e l'âme 6*.
En raison de ces idées, Wagner fut rapidement annexé par le
mouvement qui voyait en lui le chrétien avant tout et applaudissait à l'opposition du compositeur au naturalisme :
Tout en admirant la noblesse des théories de Wyzewa, il conclut,
sceptique, que chacun trouve dans Wagner, c o m m e dans des
auberges espagnoles, ce qu'ils y apportent.
Wagner, cette œuvre où vivent les symboles, a donc contribué à
détourner du naturalisme ou de certain nihilisme stérile et à orienter
vers des œuvres symboliques et mystiques les jeunes littérateurs qui
s'y trouvaient préparés 6 5 .
Enfin, Wagner souhaitait une fusion de la poésie et de la
musique pour créer l'œuvre parfaite. Certains pensèrent qu'il
avait réussi :
D a n s le système de Wagner, qui est celui d'un récitatif perpétuel,
traduisant avec fidélité le sens des paroles ... la note repose exactement sur le mot et ne s'élance pas toute seule vers le ciel ... le
rythme, souvent peu sensible, suit plutôt la phrase parlée que la
période musicale ... l'air d e désordre vient de l'absence du rythme
carré que de parti pris le maître évite, de m ê m e qu'il s'abstient de
moduler 6 6 .
Les Villiers de l'Isle-Adam, Huysmans, Verlaine applaudissent
donc avec enthousiasme et on peut sans doute voir la création
du fameux Saint-Graal comme une émanation directe de
l'œuvre wagnérienne :
Bien ! Très bien ! Le Saint Graal, quel nom, quel nom ! double
signification : faîte de l'art moderne, sommet du Vrai éternel. Saint
Graal, Sang réel, le sang du Christ dans l'or incandescent, Saint
Graal, Lohengrin, Parsifal, la manifestation triomphale et triomphante de la plus sublime musique, de l'effort poétique peut-être
définitif de ces t e m p s - c i 6 7 .
Lettre p. L U , cité par G U I C H A R D L . , Ibid., p. 13.
cité par G U I C H A R D L . , Ibid., p. 1 4 9 .
Th., cité par G U I C H A R D L . , Ibid., p. 17.
P., dans le Saint Graal, 24 décembre 1891, cité par
64. WAGNER R.,
65.
BARRES M . ,
66.
67.
VERLAINE
GAUTHIER
CHARD L., Ibid.,
p. 69.
GUI-
Une revue catholique au tournant du siècle
49
Et tout naturellement, Durendal leur emboîte le pas :
Ce qui marque le Crépuscule des Dieux, c o m m e d'ailleurs toute
l'œuvre de Wagner, parmi les plus sublimes manifestations de l'art
de tous les temps, c'est que si le souffle du ciel n'abandonne jamais
le p o è m e dont il est l'âme et qu'il traverse constamment d'un bout à
l'autre, cette inspiration, loin d'être livrée à elle-même, a pour guide
une lumière supérieure, celle du génie sûr de sa route, pleinement
conscient du but poursuivi et des moyens propres à l'atteindre 68 .
La revue partage l'admiration du grand maître pour Beethoven
dans l'œuvre duquel il voyait une première ébauche de la
mélodie telle qu'il la rêvait pour son opéra idéal :
Si les idées q u e Bruckner y expose sont souvent nobles et belles,
si prises isolément, elles sembleraient pouvoir constituer la base
magnifique du Temple, le lien qui les unit est trop débile, et non
seulement elles ne s'éclairent point mutuellement, ne s'enchaînent
pas dans la lumière d'une forme architecturale, mais elles ne s'y
opposent pas non plus l'une à l'autre en ces contrastes éclatants,
impérieux et révélateurs chers à la muse romantique et dont Beethoven a su tirer le s u m m u m d'effets 6 9 .
(Notons au passage le peu d'intérêt que suscite Bruckner chez
le critique musical de Durendal.)
De la même façon ils acclamèrent les tentatives d'application des théories wagnériennes auxquelles se livrèrent rapidement certains artistes français. Ainsi les tentatives d'adaptations
de l'esthétique de Wagner au théâtre comme celles que pratiquèrent Paul Fort et Jacques Copeau furent-elles encouragées
vivement par l'abbé Moeller lui-même. En septembre 1913, il
publiait une lettre du directeur du Vieux-Colombier dans
laquelle ce dernier priait l'abbé de répandre ses idées s'il les
jugeait intéressantes. Ce que ne manquèrent pas de faire le
directeur de Durendal et Tancrède de Visan.
On peut s'étonner, connaissant l'admiration de la revue
pour le compositeur allemand, de l'attitude qu'elle adopta à
l'égard du seul compositeur français qui, loin d'imiter servilement Wagner, avait su profiter de ses leçons pour créer une
6 8 . GOLESCO
p. 160.
69.
G.
GOLESCO G .
de. Le Crépuscule des Dieux, dans Dur., mars
1902,
de. Chronique d'art, dans Dur., janvier 1907, pp. 62-63.
50
Françoise Chatelain
œuvre typiquement française : Debussy. Si Arnold Goffin et
Joseph Ryelandt n'hésitaient pas à proclamer, à propos de
Pélléas et Mélisande, que le drame de Maeterlinck et la partition de Debussy s'unissaient dans une harmonie parfaite,
Georges de Golesco par contre, tout en lui reconnaissant des
talents de suggestion pour réaliser ce qu'il appelait des « photographies sonores », lui reprochait un manque certain d'émotion
lyrique et une trop grande objectivité. Georges de Golesco était
le critique musical attitré de Durendal et, à ce titre, on ne peut
négliger sa remarque.
On ne peut s'empêcher de rapprocher cette prise de position
de l'attitude de Durendal devant la peinture nouvelle : approbation, voire admiration pour l'impressionnisme où l'on ne
peut manquer de voir l'empreinte de Wagner et du symbolisme :
Ils proclamaient leur droit au rêve et leur besoin d'imprégner
leurs tableaux de pensée et de provoquer dans celui qui les contemple certains états d'âme, c o m m e les appelle Maurice Denis. Le
mot de symbolisme était c o m m o d e : la littérature s'en était emparée,
par défi d'abord, puis avec fierté. N e convenait-il pas également
bien aux peintres ? 7 0 .
mais refus absolu du pointillisme et étonnement devant les
œuvres de Van Gogh reproduites dans YArt flamand et hollandais :
des œuvres fort curieuses de cet artiste si original. Le talent si
particulier, si spécial, si violent et si tourmenté de cet artiste si bien
doué, en dépit de l'exaspération que dénotent ses dernières œuvres,
est très judicieusement analysé... 7 1 .
Sans doute toutes ces modernisations n'appartenaient-elles déjà
plus à la sphère de pensée de la revue vieillissante.
En matière de peinture, ils en étaient en effet restés avant
tout au pré-raphaélisme.
Un art comme celui de Maeterlinck, rempli de brumes évanescentes, se trouvait parfaitement illustré par la peinture de
Burne-Jones, Watts ou Dante-Gabriel Rossetti, eux qui choi70. PEYRÉ H., Qu'est-ce
que le symbolisme
?, pp. 183-184.
71. H. M., Livres et revues, dans Dur., août 1904, p. 505.
Une revue catholique au tournant du siècle
51
sissaient de peindre à la manière des primitifs italiens en privilégiant le rêve.
Durendal parle abondamment de l'initiateur : Ruskin.
C'était, pour Arnold Goffin, un génie, autodidacte tendre et
imprégné de beauté et de sentiment. Les critiques se donnaient
rarement la peine d'expliquer au lecteur ce qu'était exactement
cette école de peinture, mais il paraît que l'engouement suscité
par le mouvement leur donnait à penser que tout détail était
superflu.
On peut donc comprendre qu'en juillet 1895, William Ritter
regrettait cette popularité des Burnes-Jones, Watts etc., réservant le monopole de l'art à quelques esthètes avertis puisque le
vulgaire était incapable de comprendre !
Article de louanges encore pour les préraphaélites d ' A u x
confins du Réel et du Rêve qu'écrivit, en juin 1911, Emile Chardome : il y comparait les jeunes filles peintes par Burne-Jones
aux figures de Botticelli.
Quant à Arnold Goffin, voici comment il rattachait le symbolisme au préraphaélisme :
En résumé, un art très réfléchi, très prémédité qui, dans ses
origines ou dans ses intentions, s'afïilie à celui de Gustave Moreau,
de Burne-Jones, de Watts ; un art très représentatif des tendances
idéalistes qui se manifestèrent dans l'art et dans les lettres, il y a un
peu plus d'un quart de siècle, par réaction et révolte contre les
systèmes matérialistes qui prévalaient à cette époque. (...)
le succès des œuvres de M. Khnopff en témoigne — si, toutefois,
ce succès n'est pas dû surtout au talent de l'artiste — le symbolisme
artistique a toujours des fidèles. Mais le courant qui persiste dans ce
sens n'a rien de l'impétuosité et des puissances généreuses de fécondation de celui qui a exalté jusqu'à l'héroïsme les visions de Meunier
72
.
Finalement, l'éclectisme de Durendal était menacé dès le
départ par la devise même que s'était donnée la revue : l'idéalisme avant tout. A la limite on pourrait même considérer, en
faisant référence à Villiers de l'Isle-Adam, au Saint-Graal,
qu'avant même de venir au monde, Durendal était symboliste,
72.
p. 640.
GOFFIN
A., Sur l'Art et les Lettres belges, dans Dur., octobre 1911,
52
Françoise
Chatelain
et portait donc en elle les germes de sa disparition : le refus de
comprendre toute évolution qui l'éloignerait de ses premières
amours.
2. Durendal et le statut des écrivains belges
Souhaitant produire des œuvres, Durendal devait se situer
par rapport à un problème crucial à son époque (mais cela a-til changé aujourd'hui ?) : existe-t-il une « Littérature belge de
langue française » ou seulement la « Littérature française de
Belgique », c'est-à-dire des œuvres littéraires françaises écrites
par des Belges ? Les collaborateurs de la revue ne pouvaient
manquer de s'interroger eux aussi. Les catholiques étaient
fermement convaincus de la personnalité propre de nos lettres :
J'aime beaucoup le titre très net et très franc de ce livre : Histoire
d e la Littérature
belge d'expression française.
A elle seule, cette
vedette est une affirmation de nationalisme littéraire qu'Edmond
Picard était tout naturellement désigné pour souligner d'une préface.
La préface c o m m e le volume de M. Henri Liebrecht, réjouira et
exaltera tous ceux qui croient à l'originale autonomie de notre
culture et que nos Lettres, alimentées par les ressources propres de
la race ne sont point une contrefaçon simiesque de l'art français 7 3 .
Cette déclaration ne faisait que résumer la position qu'avait
déjà prise l'auteur dans un article consacré à Eugène Demolder
en novembre 1902 : les Lettres belges d'expression française
comme celles d'expression néerlandaise appartenaient au patrimoine belge et lui seul avait le droit de partager la gloire que
nos écrivains recueillaient à l'étranger. Les littératures française
de France et néerlandaise des Pays-Bas — si l'on peut se permettre cette expression — faisaient fausse route lorsqu'elles
proclamaient que la langue dans laquelle étaient écrits les
ouvrages suffisait à justifier une annexion. Le seul critère pour
déterminer l'appartenance de l'œuvre à une culture est l'esprit
qui l'a inspirée. L'âme du pays transparaît d'autant plus dans
les Lettres belges que :
73.
p. 756.
VANDEN
BOSCH
F., Chronique littéraire, dans Dur., décembre 1909,
Une revue catholique au tournant du siècle
53
les plus originaux et les plus spontanés, parmi les conteurs belges,
étaient et sont restés des écrivains rustiques : ils s'appellent Eekhoud, Krains, Delattre, des Ombiaux, Georges Virrès, Stiernet, Garnir, Delaunoy et Boué. Tous apportent, à célébrer la région qui est
la leur, un talent incontestable d'une ferveur passionnée ; les Flamands y mettent plus de puissance, de profondeur et de sérieux, les
Wallons, plus de grâce souple et d'agrément enjoué 7 4 .
Et malgré le grand amour qu'il vouait à leur littérature — la
nôtre — le critique ne pouvait que regretter :
On a pu dire à bon droit que la plupart des romans belges
exhalaient un relent d'étable.
(Dur., 1913, p. 431.)
C'était d'autant plus regrettable que la veine régionaliste
commençait à lasser les lecteurs et Durendal comprenait cette
réaction ; elle lança un appel aux jeunes pour qu'ils renouvellent leur inspiration. Pourtant elle demeurait confiante dans
l'avenir de nos lettres : elle avait perçu les symptômes du
changement chez les nouveaux conteurs.
A h ! la joie de concevoir, de sentir naître en soi la vie et de
souffrir pour la mettre au monde, de voir apparaître sur la page
blanche les idées, les images et les visions qui, lentement et mystérieusement, ont pris forme dans notre subconscience ! Je n'en connais pas qui soit plus complète et qui nous console mieux de la fuite
ou de l'amertume des jours 75 .
Le plaisir d'écrire ne compensait pas toujours les désillusions
qui guettaient les écrivains belges car déjà à cette époque, ils
n'avaient pas- la vie aisée et l'on comprend qu'ils ne prenaient
pas la peine de chercher des modes d'expression neufs.
La vie n'est ni clémente ni souriante, sous notre ciel aux écrivains professionnels. (...)
Combien ont végété misérablement ou ont dû demander aux
hâtives improvisations du journalisme de quoi acheter un modeste
pain quotidien. D'autres, et ils sont les plus à plaindre, furent contraints par le besoin à rabaisser leur idéal au niveau des complaisances vulgaires ou libertines des foules !
Il n'existe pas en notre pays — jusqu'ici — des sinécures où
l'artiste puisse œuvrer ses chefs-d'œuvre, avec une lente et scrupu-
74. ANSEL F., A
propos de quelques livres, dans Dur., juillet
7 5 . C A R T O N DE W I A R T H . , Op.
cit.,
p. 41.
1913,
p.
431.
54
Françoise Chatelain
leuse patience, dans une ambiance propice de confortable quiétude 7 6 .
Rappelant la découverte de Maeterlinck en Belgique grâce à
l'article consacré par Mirbeau à la Princesse Maleine dans le
Figaro, Arnold Goffin s'alarmait :
Le succès ou la notoriété pour un écrivain belge seraient-ils donc
au prix de l'expatriation ? Et faudra-t-il arriver à cette paradoxale
conclusion que la littérature belge n'a de chances de vie que hors de
Belgique 77 .
Le problème se posait de manière aiguë pour lui qui vivait de
sa plume.
La situation était assez étrange : la littérature belge était
surtout appréciée de la France qui la revendiquait pour sienne
mais la majorité des romanciers ne peignaient que la région
qui les avait vus naître et grandir.
Notre littérature était bel et bien en crise en ce début de
XX e siècle. Après une éclosion de talents absolument inattendue à l'époque du symbolisme, le mouvement s'était essoufflé.
Le renouvellement réclamé du public tardait à se manifester et
les conditions dans lesquelles travaillaient les écrivains ne favorisaient guère un regain de vigueur de la littérature belge.
Des problèmes semblables agitent périodiquement les
milieux littéraires belges. Régulièrement, des écrivains de
valeur quittent leur terre natale pour s'exiler en France où ils
pensent trouver des facilités de travail (faut-il citer Françoise
Mallet-Joris, Henri Michaux ou Hubert Juin ?). Ceux qui
restent chez nous sont également forcés, sous peine de rester
obscurs, d'envoyer leurs manuscrits à des maisons d'édition
françaises davantage susceptibles de leur assurer la diffusion
qu'ils méritent. Le métier d'écrivain reste, en Belgique, dans la
plupart des cas, une occupation secondaire pour celui qui s'y
livre, puisqu'il ne suffit pas à le faire vivre.
(La fin dans le prochain
76. VANDEN
p.
BOSCH F . ,
Bulletin.)
L'Apostolat de l'écrivain, dans Dur., août
1909,
507.
77. GOFFIN A.,
L'avenir des Lettres belges, dans Dur., janvier
1906,
p.
26.
Ghelderode et De Coster :
de YHumble supplique à la Comète
à La Balade du Grand Macabre
Communication de M. André VANDEGANS
à la séance mensuelle du 8 janvier 1983
De Coster publiait dans YUylenspiegel du 5 mars 1857 un
texte qu'il avait intitulé « Humble supplique à la comète » et
daté du 1er mars de la même année. Il réimprimera cette lettre
fictive dans les Contes brabançons qui paraîtront à Paris, chez
Michel Lévy, en 1861
L'auteur de la missive et ses amis sont troublés. On parle
autour d'eux de la prochaine venue d'une comète destructrice
de la Terre et de ses habitants. Le bruit est-il fondé ? La
comète
va-t-elle
anéantir
indistinctement
« bons » et
« méchants » ? Ce serait injuste. L'auteur connaît beaucoup de
« bonnes gens », de toutes classes et professions, qui travaillent
pour vivre et ne veulent que vivre et chanter parce qu'ils
aiment les plaisirs sains et n'ont jamais médité la souffrance de
personne. Ils goûtent le présent et, si le malheur les abat, se
relèvent. Leurs « défauts », car ils en ont, sont excusables. Si
tous doivent périr, ils consoleront la femme qu'ils aiment et
mourront en chantant. Mais bons et méchants ne sauraient être
condamnés. Si l'auteur le pensait, lui et ses amis en appelleraient à Dieu. L'injustice de la comète ferait vaciller en chacun
l'idée qu'il entretient du droit et de l'équité. On assisterait à
des comportements comme on en vit peu avant l'an mille :
absurdes, déments, offensants. Les esprits « simples » offri-
1. Le conte occupe les pages 91 à 100.
56
André
Vandegans
raient bien vite « leurs biens aux moines » qui « n'en auraient
que faire». Les « j e u n e s » comme les «vieux», les «sains»
comme les « malades » s'empresseraient de vivre. Affolé, le
monde se jetterait publiquement dans des « débauches
inouïes ». Les « sept péchés capitaux » seraient honorés. Les
« vieux avares », pressés de connaître les jouissances, « mourraient de leur première orgie ». Les « sages » se transformeraient en « satyres », les « vierges » en « bacchantes ». Mais la
comète sait bien qu'il ne s'agit que d'arracher « l'ivraie » du
champ. L'auteur et ses amis prient donc l'astre de supprimer
« méchants, hypocrites, sournois » qui haïssent la lumière
(taupes, hiboux). Les vaniteux, les ennuyeux et les creux
(coquelicots). Ceux (castors) qui détestent artistes et poètes
(fauvettes, rossignols, pinsons), — il s'agit des membres d'une
classe sociale, la bourgeoisie, hostile à l'art sous le prétexte
qu'il ne sert à rien, — étant entendu que cette classe compte
nombre de représentants irréprochables qui devraient être graciés. Méritent aussi l'extermination les faux savants, les
pédants, les plagiaires (divers perroquets) et les romantiques
attardés, qui ne sont que des malades et des égoïstes (coucous
pleurards). Encore une fois, attention aux méchants, hypocrites
et sournois ! Point de quartier non plus pour les rampants et
les bavants, c'est-à-dire les flatteurs et les envieux (vers de
terre, limaces, serpents). Ni pour les mauvais riches (insectes
accapareurs). Ni pour les farceurs en tous genres, — ceux de la
foire exceptés. Ni pour les rapaces (aigles, vautours, éperviers),
les prédateurs sauvages et cruels (hyènes, lions, chacals), les
créatures de fausseté (tous les félins). Les suppliants recommandent au contraire à la comète les fidèles (chiens), les
patients (bœufs), les laborieux (abeilles), les êtres nobles (chevaux), ainsi que tous ceux qui réjouissent l'oreille (rossignols,
pinsons, alouettes) ou toutes celles qui embellissent le monde
par leurs couleurs ou leurs parfums (les fleurs, sans restriction).
Renonçant, pour finir, à la métaphore, l'auteur de la supplique
demande encore grâce à la comète pour les femmes, « dont le
caractère est resté inconnu jusqu'aujourd'hui ». Elles lui semblent supérieures aux hommes, qui les ont toujours très mal
traitées, leur injustice le disputant à leur mauvaise foi.
Ghelderode et De Coster
57
Le texte est, à l'évidence, un éloge de la vie saine et de ceux
qui l'aiment, des vrais artistes, des hommes bons et travailleurs,
des femmes. Il est une satire des ennemis de la lumière, des
personnages gonflés et vides, des utilitaristes, des faussaires,
des égoïstes, des envieux, des cupides, des cruels, des trompeurs. Eloge et satire portés par une lettre supposée, que son
auteur adresse à un astre qui menace, selon la rumeur, tout ce
qui vit sur le globe. Lettre qui, en raison des circonstances ne
peut être qu'une « supplique », et très « humble », adressée à
cet astre pour qu'il épargne les bons et frappe les méchants,
que l'on prend soin de signaler, par prudence, soi-même. La
lettre est une défense et une dénonciation écrite dans l'anxiété
de la venue prochaine de la fin du monde terrestre. Elle est
conjuration de ce cataclysme par quelques bons en faveur de
tous les autres et d'eux-mêmes. Le motif du cataclysme terrestre sous-tend d'un bout à l'autre du texte le motif de l'éloge
des bons et celui de la critique des méchants. Les deux derniers
motifs se déploient en permanent contrepoint au premier,
lequel n'apparaît que brièvement à la surface et demeure le
plus souvent caché.
L'« Humble supplique » semble n'être qu'une fantaisie
d'écrivain en veine de désigner au feu d'une comète imaginaire
tous ceux dont il ne serait pas fâché que la Terre fût purgée en
raison de leur nocivité. Et de recommander à sa bienveillance
les êtres qui l'émeuvent par leurs qualités ou le charment par
leur apparence. Or la comète à laquelle s'adresse l'auteur de la
lettre n'est pas née de son esprit. Les astronomes la connaissent
bien, et l'on dut en parler au début de 1857. En fait, on a
relevé pour cette période de l'année le passage de deux
comètes. La première (1857 a), découverte le 22 février, n'était
guère brillante et devait traverser le ciel à une distance respectable de la Terre et du Soleil. Elle était invisible à l'œil nu.
Sans doute n'occupa-t-elle que les spécialistes. Il ne dut pas en
être de même de la seconde (1857 b), la comète périodique
Brorsen 1846 III, dont on prévoyait le retour pour 1857. Les
prédictions du savant Van Galen fixaient le retour de la
comète au périhélie (c'est-à-dire au point le plus proche du
Soleil) au 25 juin 1857. L'opposition (c'est-à-dire la position de
58
André
Vandegans
la comète à l'opposé du Soleil par rapport à la Terre, d'où l'on
observe alors le plus favorablement l'astre) devait se produire
le 10 juin. Enfin, la comète serait au plus près de la Terre (soit
à 1,5 unités astronomiques) vers le 15 juillet. L'« Humble supplique » fut écrite dans l'attente du passage, que l'on pouvait
trouver prochain, d'une comète réelle. Nous comprenons
mieux d'où vient que l'auteur de la lettre écrive que ses amis et
lui sont très inquiets lorsqu'ils pensent au 13 juin. La précision
n'aurait pas grand sens si elle était donnée, sans autre information, à propos d'un astre imaginaire. Elle est motivée dès lors
que la comète Brorsen 1857 b devait évoluer dans les parages
de notre planète au début de l'été. Sans doute De Coster avaitil été quelque peu mal informé puisque l'auteur de la
« Supplique » redoutait le 13 juin alors qu'il devait plutôt
craindre la mi-juillet. En tout état de cause, il s'alarmait pour
rien. Van Galen s'était, en effet, trompé. On retrouva, par
hasard, le 18 mars, la comète dans un autre endroit du ciel, et
on put l'observer à l'œil nu quelques jours plus tard. Elle passa
au périhélie au début d'avril et au plus près de la Terre vers le
début de mai, la distance minimale étant de 0,74 unité astronomique. L'événement se passa donc plus tôt que prévu, et
sans qu'il en résultât rien de fâcheux ni pour la Terre ni pour
ses habitants 2 . Ainsi l'« Humble supplique » est-elle issue d'un
fait appartenant à l'histoire, en l'occurrence celle du système
solaire.
Mais elle s'enracine dans le psychisme de Charles De Coster
dont elle manifeste les tendances vitalistes, orientées vers le
2. Je dois les informations qu'on vient de lire à l'extrême obligeance de
M. François Dossin, chef de travaux à l'Institut d'Astrophysique de l'Université
de Liège. M. Dossin cite les références suivantes : S. K. VSEKHVIATSKII, Physical Characteristics of Cornets, publ. à Moscou en 1958, la trad. anglaise ayant
paru à Jérusalem en 1964; Astronomische Nachrichten, n° 39, Altona, 1954. Il
ajoute que l'ouvrage de V E R O N et RIBES sur Les Comètes (Paris, Hachette,
1979) parle, en son chapitre III, des croyances auxquelles donnaient lieu jadis
les apparitions de comètes. Je prie M. Dossin de bien vouloir trouver ici
l'expression de ma vive gratitude. On sait que, dans les Pensées sur la comète
(1694), Pierre Bayle dénonçait déjà les fausses idées que les esprits non éclairés
formaient au sujet de l'influence prétendue des comètes sur notre globe.
Ghelderode et De Coster
59
plein épanouissement de l'être dans un univers de bonté,
d'authenticité, de santé, de générosité ainsi que de travail, de
beauté et de joie.
*
*
*
Ghelderode a lu l'« Humble supplique », et, selon toute
vraisemblance, assez tôt. Il a rencontré, à l'en croire, La
Légende d'Ulenspiegel vers 1916 3 . On peut, semble-t-il, lui
accorder foi dès lors qu'on décèle l'influence du livre dans La
Halte catholique, commencée en 1917 et publiée en 1922 ; dans
L'Histoire comique de Keizer Karel, entreprise dès l'automne de
1918, publiée également en 1922, et que Ghelderode dédia au
«génie» de Charles De Coster; et dans Heiligen Antonius
(Saint Antoine), roman inédit, commencé en
et achevé en
1921. Ghelderode acquit les Contes brabançons, dans une traduction néerlandaise, en 1919 4 . On peut penser qu'il les lut
sans tarder, en cette période où l'animait une intense ferveur
costérienne.
Quoi qu'il en soit, La Farce de la Mort qui faillit trépasser,
où l'on doit situer l'origine un peu grêle de la flamboyante
Balade du Grand Macabre, porte la trace de souvenirs de
l'« Humble supplique ». La Farce parut, en version néerlandaise, sous le titre Van den Dood die bijna stierf, signée par Jef
Vervaecke et Michel de Ghelderode, en 1925 * Une deuxième
édition néerlandaise fut publiée en 1932 6 . Vervaecke, mort le
24 juin 1926, à l'âge de trente-deux ans, ne la connut pas. En
1942, l'intérêt pour le texte étant demeuré vif] on donna une
troisième édition néerlandaise 1 , qui fut la dernière de l'espèce.
Dix ans plus tard, la version française vit enfin le jour, par les
3. M. de GHELDERODE, Les Entretiens d'Ostende, p. 35, Paris, L'Arche, s.d.
[1956). L'édition qu'il en possédait est de 1921.
4. Voir R. BEYEN, « Les Goûts littéraires de Michel de Ghelderode », dans
Les Lettres romanes, t. XXIV [1970], p. 143 et n., p. 144. Le critique signale
que Ghelderode n'acquit les Contes brabançons en éd. française qu'en 1950.
5. Vilvoorde, De Tijdspiegel ; Brussel, Gudrun.
6. Antwerpen, De Oogst.
7. Antwerpen, P. Vinck.
60
André
Vandegans
soins de Ghelderode, et sous son nom seul 8 . Cette édition
s'appuyait sur la première édition néerlandaise de 1925,
laquelle constituait à son tour la traduction d'un manuscrit
élaboré par Ghelderode, en français, cela va sans dire, entre le
début de 1924 et le mois de juin de l'année 1925 9 . Sur quel
texte de La Farce dois-je ici me fonder pour la rapprocher de
l'« Humble supplique » ? Je ne puis recourir à celui de 1952,
postérieur de dix-huit ans à La Balade du Grand Macabre. Je
ne puis davantage me servir de la deuxième édition néerlandaise, publiée par Jozef Contrijn en 1932. En effet, Ghelderode
avait traduit en français la première édition néerlandaise, celle
de 1925, à une date antérieure à mars 1928. L'abbé J. Pêtre fait
état, dans La Scène de mars 1928, d'une pièce de Ghelderode
qu'il possède en manuscrit « à titre documentaire ». Cette pièce
s'intitule De la Mort qui faillit trépasser, farce en cinq tableaux
et un prologue. On voit par le titre de l'œuvre et par la présence d'un prologue de Vervaecke, qu'il s'agit bien de Van den
Dood die bijna stierf de 1925. D'ailleurs, dès janvier 1928, le
même ecclésiastique annonçait déjà De la Mort et, en sus, une
« nouvelle version » de ce texte intitulée La Farce de la Mort
qui faillit trépasser. Cette « nouvelle version » pourrait bien être
soit une ébauche de la version de 1952, soit cette version ellemême. On ignore à quelle date cette ébauche aurait été commencée. De ce qui précède, il résulte que je ne puis ici utiliser
que l'édition néerlandaise de 1925.
La Farce de la Mort qui faillit trépasser appartient à la série
de cinq pièces que Ghelderode aurait, si on l'en croit, « reconstituées d'après le spectacle des marionnettes bruxelloises » ou
encore à partir du témoignage de montreurs retraités, et qu'il
8. Bruxelles, A l'enseigne de « La Sirène ».
9. On lira sur le problème complexe des éditions Michel de Ghelderode ou
la Comédie des apparences. Catalogue rédigé par R. BEYEN, pp. 56 et 58, Paris,
Centre Georges Pompidou, 27 février-7 avril 1980 ; Bruxelles, Bibliothèque
royale Albert IER, 26 avril-7 juin 1 9 8 0 ; et Ph. D E N D A L , La Farce de la Mon qui
faillit trépasser de Michel de Ghelderode. Proefschrift voorgedragen tôt het
behalen van de graad van Licenciaat in de Romaanse Filologie, Katholieke
Universiteit te Leuven, 1981, 2 vol. (Mémoire dactylographié); on se reportera
au vol. I, Edition critique, pp. 1-14, et au vol. II, pp. 41-58.
Ghelderode et De Coster
61
écrivit, en fait, lui-même, en 1924-1925, pour le théâtre de
marionnettes de la Renaissance d'Occident. Elles répondent
vraisemblablement, au moins en partie, au désir qu'éprouvait
le jeune écrivain de ne pas voir périr à Bruxelles un art qui lui
était cher. Mais on ne saurait les tenir pour des vestiges du
folklore de la capitale 10.
La Farce met en scène une singulière tribulation de la Mort.
Elle en sortira intacte et prête à reprendre son œuvre. Au
premier tableau nous sommes dans la chambre d'étude du
philosophe Paternoster, qui dort. Son ami Van Slimmeke,
ivrogne, vient lui demander de l'argent pour boire. Paternoster,
dont le cœur est faible, lui en donne. Surgit la femme du philosophe. Elle injurie et bat son mari qui, par ses largesses inconsidérées, a donné une preuve nouvelle de sa sottise. Van Slimmeke se manifeste une deuxième fois et retrouve Paternoster
endormi. Pour le réveiller, il lui annonce que sa femme s'est
noyée, puis disparaît soudainement. C'est que vient d'entrer
Pitje-la-Mort. Stupéfaction de Paternoster. Il accueille toutefois
civilement l'étrange apparu, qui se présente. L'ahurissement du
philosophe est à son comble. Après avoir récupéré ses esprits, il
s'empresse d'interroger la Mort sur un sujet qui lui tient à
cœur : sa femme vivra-t-elle longtemps encore ? Jusqu'à centdix ans, énonce la Mort. La réponse épouvante Paternoster. Ne
pourrait-on abréger l'existence de la mégère ? Impossible : les
femmes méchantes sont condamnées à demeurer longtemps sur
la Terre. La Mort, apparemment pour consoler le malheureux
philosophe, lui propose alors de l'accompagner dans ses
voyages. Paternoster accepte. Au cours du deuxième tableau,
on voit Paternoster et la Mort sortir éméchés d'un cabaret et
pénétrer dans un autre qui a pour enseigne « A l'Eternité ».
Non plus que dans le précédent, les compères ne découvrent
âme qui vive. Depuis que l'on sait que la Mort est dans les
environs, chacun se terre dans sa cave. Au troisième tableau,
10. Voir A . V A N D E G A N S , « Le Mystère de la Passion et Barabbas », dans
Revue des langues vivantes, t. XXI [1966], n° 6, pp. 547-566; Aux origines de
«Barabbas ». «A dus Tragicus » de Michel de Ghelderode, pp. 25-27, Paris, Les
Belles Lettres, 1978 ; et R. BEYEN, Michel de Ghelderode ou la hantise du
masque, pp. 178-184, Bruxelles, Palais des Académies, 1971.
62
André
Vandegans
qui se déroule « A l'Eternité », on retrouve pourtant Van Slimmeke apeuré qui fait office de patron. Les trois personnages
s'enivrent copieusement, Paternoster essayant, d'ailleurs sans y
parvenir, de tirer de la Mort ses secrets. Au moment où, sous
l'effet de la boisson, la Mort semble néanmoins au bord des
confidences, surviennent l'un après l'autre un apothicaire, un
notaire, un médecin, un entrepreneur de pompes funèbres, un
sacristain, un sonneur de cloches, un fabricant de tombes et un
général. Ils prient la Mort de bien vouloir reprendre sa promenade : l'inaction où elle se complaît est très dommageable à
l'exercice de la profession des demandeurs. Que l'on éconduit
sans cérémonie. Le trio reprend ses libations. Mais la Mort
n'est plus en état de rien dire qui puisse intéresser les compères. Tout au plus esquisse-t-elle un pas de danse, immédiatement suivi de son écroulement. Paternoster et Van Slimmeke,
ne sachant trop que faire, se décident enfin à la transporter
hors du cabaret. Pendant le quatrième tableau, ils croient
découvrir que la Mort est morte, — ce qui ne va pas sans leur
poser un problème philosophique, — et, dans un grand
trouble, ils balancent la défunte supposée par-dessus le mur
d'un cimetière. Mais on s'aperçoit, au cinquième tableau, que
la Mort est toujours bien vivante. A la terreur de Paternoster et
de son ami, elle frappe à la porte du philosophe. On lui ouvre,
mais elle n'est nullement courroucée. Elle ne manifeste que le
désir de reprendre son voyage interrompu. Paternoster est-il
toujours prêt à l'accompagner ? Le philosophe ne témoigne
plus d'aucun enthousiasme. Il imagine une subtile ruse qui lui
permet de se défaire de son épouse. C'est elle que la Mort
emporte, tandis que les deux bonhommes se réjouissent
bruyamment. Mais voici que reparaît à la fenêtre la face ricanante de la camarde, qui articule : « Elle aujourd'hui ! ... Vous
demain ! ... » " . Paternoster s'effare. Van Slimmeke sourit et
vide son verre.
La Farce souligne sans la moindre ambiguïté l'éternité de la
mort et l'impossibilité radicale où se trouve l'homme de
l'apprivoiser ni d'en rien connaître. Le texte montre constam11. Je traduis.
Ghelderode et De Coster
63
ment la méchanceté de la mort, son cynisme, sa dureté, sa
cruelle hypocrisie. C'est en vain que les hommes lui opposent
leurs pauvres ruses et tentent de l'attirer dans leur camp, de la
faire passer du côté de la vie. De cette vie que Van Slimmeke
et Paternoster aiment violemment, en dépit de la différence de
leur condition. La Farce exalte la vie contre la mort inéluctable. Elle enseigne aussi, discrètement, qu'il convient d'accepter son destin avec sérénité. Ce dont les philosophes de profession ne sont pas toujours les plus capables.
On aura relevé au passage la trace appuyée de quelquesunes des fondamentales obsessions ghelderodiennes : la mort,
la femme, la pensée inauthentique, la vie, le bien, le mal
reçoivent ici le traitement que la création du dramaturge et du
conteur leur réserve du commencement à la fin de son déploiement.
Souvent ces obsessions sont réactivées par des œuvres d'art
et/ou par des textes littéraires. C'est le cas lorsque Ghelderode
conçoit et écrit La Farce. L'empreinte de l'« Humble supplique
à la comète » de Charles De Coster y est sensible. La Farce,
page d'écriture dramatique où la vie délectable oppose ses
défenses dérisoires à la toute-puissante Mort, distingue, sans
autres nuances, comme il convient dans un texte du genre,
deux catégories de personnages : les bons et les mauvais. Sont,
de toute évidence, dénoncés comme nuisibles les personnages
qui n'entrent pas en scène : l'apothicaire, le notaire, le médecin, l'entrepreneur de pompes funèbres, le sacristain, le fabricant de monuments funéraires, le général. Ils ont en commun
de vivre de la mort, de trahir constamment l'homme, d'être
passés à l'ennemi. La Farce condamne ces misérables. Elle
n'est pas sans sévérité à l'égard de Paternoster. C'est un philosophe, autrement dit, comme la plupart des membres de la
corporation (non comme tous), un bavard sans gaîté ni courage. Un fort penchant au sommeil et le peu de temps qu'il
met à se convertir à la fréquentation des tavernes plaident, il
est vrai, pour lui. Mais la lâcheté de son comportement, tout à
la fin de la pièce, le flétrit sans équivoque. Le seul personnage
auquel La Farce soit clémente, Van Slimmeke, n'est rien
d'autre que l'ami du philosophe. On ne lui voit aucune profes-
64
André
Vandegans
sion. Il ne vit que pour boire, avec l'argent d'autrui, et, devenu
ivre, pour célébrer le monde et semer largement autour de lui
la gaîté et la joie. Van Slimmeke est du côté de la vie, avec
l'homme et pour lui. Il ne s'effraye pas de la réapparition de la
Mort à la fenêtre de la maison d'où elle vient d'emporter la
femme de Paternoster. Il faudra mourir demain. Soit. Comme
les autres. Il n'y a pas de quoi s'effrayer. Buvons. Cette sérénité
oppose dignement Van Slimmeke à la terreur hurlante de
l'épouse de Paternoster devant l'imminence du trépas. La
femme du philosophe est constamment apparue comme une
harpie vociférante, ennemie de la générosité, du plaisir, du
repos, de la réflexion désintéressée. La fin de la pièce découvre
sa cupidité, son hypocrisie, sa méchanceté, sa lâcheté enfin.
Tous les traits du personnage le désignent comme mauvais. Il
tremble devant la mort et il est la mort lui-même, permanent
insulteur de la vie, de ce qui l'embellit, la parfume et la couronne.
La Farce est, comme l'« Humble supplique », éloge et satire.
Eloge de la vie, de ceux qui l'aiment et la servent, critique de
ceux qui la trahissent, la fuient ou ne concourent pas à son
épanouissement. Eloge encore de ceux qui, devant la mort,
font face. Si toutefois Ghelderode oppose, après De Coster, la
vie à la mort, c'est de manière tout à fait originale. De Coster
avait distingué bons et mauvais, amis et ennemis de la vie en
fonction de la psychologie, de la classe sociale, de la qualité
esthétique et du sexe. Ecrivain de théâtre, qui a fait choix de la
farce, Ghelderode ne s'embarrasse pas de subtilités. S'agissant
des hommes, la profession est chargée de les signifier, elle qui,
en vérité, les signifie authentiquement depuis plusieurs siècles,
sur la scène au moins. Procédé assurément simplificateur mais
qui peut être, dans la farce, d'une singulière efficacité. Quant à
la femme, Ghelderode, comme De Coster, la range bien, sans
plus de nuances, dans l'une des deux catégories, mais pas dans
celle où la situait De Coster. Il ne partage nullement les sentiments délicats de son maître. Il éprouve la femme comme sa
viscérale ennemie. Il a d'autant moins de scrupules à la camper, dans La Farce, selon son cœur et sa pensée qu'ici encore il
a pour lui une longue tradition dramatique.
Ghelderode et De Coster
65
Le motif cataclysmique est également présent dans La
Farce, mais en un seul endroit. Nous sommes au troisième
tableau. Paternoster et la Mort viennent de faire leur entrée
dans la taverne « A l'Eternité ». Van Slimmeke, assez mal à
l'aise, boit à la santé de la Mort, lui souhaite bonheur, satisfaction de ses désirs 12 « et une longue, oui une très longue vie ».
La Mort s'étonne : « Une très longue vie ? Hi, hi, hi... Je souhaite tout l'opposé ». Puis, s'adressant à ses deux commensaux :
J'ai en fait rendez-vous avec un ami, — que tu dois aussi bien
connaître, Paternoster — il n'est pas, depuis longtemps, un inconnu,
m o n collègue l'Antéchrist. Il prépare de vastes plans et dès qu'ils
seront prêts, je m e mettrai à son service. Il est très satisfait de moi ;
mes nombreux et modestes exploits, sous forme de petites guerres
dans lesquelles je m e suis constamment distinguée et où j'exerçais le
c o m m a n d e m e n t suprême, l'ont rendu tout à fait content ! Hi, hi,
hi... I3 .
Cette allusion à un cataclysme radical dans une œuvre qui
emprunte, d'autre part, à l'« Humble supplique » deux de ses
motifs est issue d'une rêverie ghelderodienne sur le motif fondamental qui traverse le texte costérien. Mais le dramaturge
passe à la limite. De Coster le propulse vers une évocation de
l'anéantissement du cosmos. Toutefois, je le répète, sur le mode
de la simple allusion 14. Le sujet de Ghelderode est ailleurs. Il
veut montrer la Mort qui, au cours de sa promenade, connaît
une mésaventure bouffonne, d'ailleurs sans conséquence pour
elle. L'exécution de ce propos donne à l'écrivain l'occasion de
confronter des représentants de la vie à des auxiliaires de la
mort, c'est-à-dire d'exprimer l'une des constantes de son imaginaire. L'« Humble supplique » lui fournit des matériaux pour
cette expression. Elle lui en offre même de différents, sur un
12. Je traduis.
13. J. VERVAECKE e n M. d e GHELDERODE, Van den Dood
die bijna
stierj\
pp. 47-48.
14. Encore l'allusion est-elle sensiblement plus brève dans la version française originale publiée par Ph. Dendal dans le mémoire cité. La Mort se borne
à dire : « Ah ! Ah ï ... Je souhaite seulement qu'advienne la fin du monde ! ... ».
Mais on peut penser que l'amplification de la version néerlandaise est due à
Ghelderode. Il a presque certainement collaboré à cette version.
66
André
Vandegans
autre objet de ses rêveries: la fin du monde l5 . En passant, il
glisse ce motif, inquiétante arabesque, mais ne s'attarde pas. Le
développer serait trop faire pour un divertissement que l'on
veut bref.
Ainsi trois motifs essentiels de La Balade du Grand Macabre,
que Ghelderode publiera en 1934, apparaissent, déjà unis, dix
ans plus tôt, dans un des textes dramatiques de sa jeunesse, où
l'on découvre par ailleurs d'autres préfigurations de la grande
pièce. Ces trois motifs sont nés de l'action d'un texte mineur de
Charles De Coster, un peu perdu dans les Contes brabançons.
Il n'a pas fini de stimuler Ghelderode.
*
*
*
La Balade du Grand Macabre, si l'on en croit une déclaration du dramaturge, émise en 1956, devrait l'existence aux
pressions de la situation internationale. Ghelderode aurait été,
en 1934, très affecté par les progrès du nazisme l6 . La « farce
pour rhétoriciens » serait donc, comme l'« Humble supplique »,
un produit de l'événement. Rien n'interdit de le penser. Mais
on doit se souvenir qu'en 1934 le motif cataclysmique s'est
emparé de l'écrivain depuis longtemps.
La Balade, — œuvre majeure que l'on voudra bien me
dispenser d'analyser, — introduit vigoureusement et largement,
dès le premier tableau, le motif cataclysmique, la défense des
bons et l'abandon des mauvais à la colère céleste. Nous
15. Elle apparaît pour la première fois, sauf erreur, dans le « Final » de
Heiligen Antonius, liée au motif de la punition des méchants et à celui de la
récompense des bons. Mais Heiligen Antonius est au départ d'un chemin de la
création différent de celui qui conduit à La Balade du Grand Macabre. Le
motif de la fin du monde sera utilisé plus ou moins amplement par la suite
dans d'autres textes dramatiques de Ghelderode qui ne relèvent pas de la
tradition dont je m'occupe ici : La Mort du Docteur Faust, Un Soir de pitié,
Trois acteurs, un drame, Barabbas, Pantagleize, Les Femmes au tombeau. Sire
Halewyn, D'un diable qui prêcha merveilles, Fastes d'Enfer (Voir Nadine Berthe
CASTRO, Un Moyen âge contemporain : le théâtre de Michel de Ghelderode,
pp. 59 et 144, [Lausanne], l'Age d'homme, s.d. [1976].
16. Voir R . BEYEN, Michel de Ghelderode ou la hantise du masque, p. 3 9 4 , et
Ghelderode, p. 7 6 , [Paris], Seghers, s.d. [ 1 9 7 4 ] ,
Ghelderode et De Coster
67
sommes ici très près de De Coster. Nekrozotar, prétendu messager de Dieu, annonce qu'un astre va détruire le monde.
PORPRENAZ. — [...] Que votre seigneurie m e pardonne. Qu'elle
écoute ma supplique ... Voyez mes pleurs ... Grand Sire, grand
macabre, grand justicier, grand moissonneur, j'embrasse vos
semelles et je m'humilie et je vous d e m a n d e de ne point détruire les
bons h o m m e s de Breugellande, ni leurs commères, ni leurs jeunes ...
[...].
NEKROZOTAR. — Fauchés seront, trétous fauchés et périront ...
PORPRENAZ. — Ou ne fauchez q u e les mauvais ... Laissez vivre
les doux et les rieurs...
NEKROZOTAR. — Fauchés seront, les mauvais et les bons...
PORPRENAZ. — Laissez les enfants...
NEKROZOTAR. — Fauchés seront, les enfants et leurs poux... I7 .
On aura noté, outre l'identité des motifs, deux significatives
réminiscences textuelles, que j'ai soulignées.
Le tableau suivant met en scène le premier objet de la satire
sur quoi s'appesantit La Balade. On y voit à l'œuvre une de ces
créatures qui a particulièrement suscité l'indignation divine :
une femme lubrique, tyrannique et cruelle. L'immonde Salivaine torture son mari, le pauvre philosophe Vuidebolle 18,
dont Nekrozotar aidé de Porprenaz l'aidera pourtant à se
débarrasser. Comme dans La Farce de la Mort, Ghelderode
prend ici le parfait contrepied de De Coster qui demandait
grâce pour les femmes. 11 suit au contraire De Coster lorsqu'il
fait détruire par Vuidebolle son télescope et ses cornues ainsi
que disperser ses livres. Vuidebolle se venge de la « salope »,
de la « truie » qui a empoisonné ses jours en le forçant à cultiver une science absurde, imposée par le pouvoir. Ghelderode
ne condamne nullement ici la science authentique, comme on
le verra plus loin. Ainsi De Coster ne recommandait-il à
17. M. de GHELDERODE, La Balade du Grand Macabre, farce pour rhétoriciens, pp. 28-29, Bruxelles, Editions Tréteaux, 1935.
18. Ce nom choisi à une fin de caractérisation a peut-être été formé sur
celui que porte dans << Les Amies de pension » de Villiers de l'Isle-Adam,
l'amant de cœur de Georgette : M. de Testevuyde (voir Contes cruels. Nouveaux contes cruels, pp. 315-322, éd. P.-G. Castex, Paris, Garnier, s.d. [1968]).
Vuidebolle ne caractérise qu'imparfaitement le « philosophe » dès lors que, une
fois débarrassé de sa femme, il pense et se comporte sainement.
68
André
Vandegans
l'attention de la comète que les « perroquets », c'est-à-dire les
« faux savants ». La pensée que, d'autre côté, l'on satirise violemment dans La Balade est celle qui se nourrit du calcul pour
secréter le mal, personnifié par Aspiquet et Basiliquet.
Le troisième tableau est le pendant du précédent. Sire Goulave y est la victime des personnages que l'on vient de nommer
et qui sont ses ministres. Ils l'instruisent à des exercices pour
lesquels il n'a pas le moindre don et qui ne lui inspirent que
dégoût. Le deuxième objet de la satire apparaît ici : les politiciens. Eux aussi, par leurs iniquités, ont allumé la colère de
Dieu. De Coster ne vise pas expressément ceux qui s'occupent
des affaires de l'Etat, mais il pourrait bien les ranger parmi les
taupes et les hiboux dont il serait heureux que la comète
débarrassât le monde. L'auteur de l'« Humble supplique » qualifie ces animaux de « sournois », épithète que Goulave attribuera bientôt à ses ministres. Au cours du tableau, les événements se précipitent : la comète est annoncée, le peuple
s'affole, les capitaux fuient, l'argent se déprécie, des cas de
démence apparaissent. Quant aux ministres, la foule les hue.
Goulave leur reproche de l'avoir tenu dans l'ignorance de la
situation. Ils s'esquivent. Goulave se montre alors au peuple,
une bouteille à la main. Il annonce qu'il est désormais à lui
seul le gouvernement, invite l'assistance à se confier à Dieu, à
boire et à chanter avec lui « l'hymne du bon plaisir, notre
cantique national, que ces sournois ministres avaient interdit » 19. Cet appel à une vie sainement instinctive est dans le
droit fil de la signification que produit l'« Humble supplique ».
Dont La Balade, on l'aura noté, utilise l'endroit où l'auteur de
la lettre évoque les abominations qui ne manqueraient pas de
se produire si la comète détruisait indifféremment les bons et
les méchants.
Suivent deux intermèdes qui réactivent puissamment le
motif cataclysmique, le premier par l'annonce bruyante que
fait Vuidebolle du désastre imminent, le second par le chœur
de la foule qui se lamente sur son sort.
19. M. de GHELDERODE, La Balade du Grand Macabre, p. 64.
Ghelderode et De Coster
69
Au quatrième tableau, nous sommes à nouveau dans la
chambre de Goulave qui, à l'entrée de Nekrozotar, de Porprenaz et de Vuidebolle, se réfugie sous la table. Porprenaz et
Vuidebolle font boire le Grand Macabre. Celui-ci, bientôt ivre,
rappelle d'abord le passé, entre autres « les approches de l'an
mille » 20 . Puis il célèbre Breugellande telle qu'elle était jadis.
Un véritable Pays de Cocagne où « la seule activité des
benoîtes gens consistait à prohiber toute réflexion, à danser
ventre à ventre au son des cornemuses, à jouer aux boules, à
tirer à la perche, à fumer de longues pipes, à goûter les bières
et les vins, à mastiquer, à digérer et à recommencer ». Si l'on
était éveillé, on riait. Si l'on ne riait pas, on dormait. « Quant
aux jeux de l'amour, je ne me souviens pas, continue Nekrozotar, mais ils étaient nombreux, variés et sans hypocrisie ... Nul
ne thésaurisait, ou ne besognait ou n'enviait son semblable 21 ».
Dans cet « éden », on ne trouvait absoluement « rien qui [ne
fût] naturel et raisonnable 22 ». Ce tableau se souvient évidemment de F« Humble supplique » dans sa nouvelle évocation de
l'an mille et dans la peinture de Breugellande au temps du feu
roi : un pays selon les vœux de l'auteur de la lettre. Autre
souvenir costérien : la condamnation de la thésaurisation et de
l'envie. La satire politique, sous-jacente dans tout le tableau,
doit peut-être, ici encore, quelque chose à l'« Humble supplique », mais je n'oserais y insister en raison de la discrétion
de De Coster en la matière. Cet endroit de la farce de 1934 est
imprégné de l'émouvante nostalgie d'un temps où Breugellande n'était régie que par les lois de l'instinct. Mais le spectateur ou le lecteur savent qu'il ne s'agit pas de toutes les formes
de l'instinct. La luxurieuse Salivaine a déjà été condamnée et
punie, et le sera davantage encore, à la fin de la pièce. L'instinct dont on regrette ici qu'il ne règne plus était « naturel et
raisonnable ». Naturel : tel que l'éprouvent tous ceux qui
appartiennent au plus grand nombre ; qui ne s'inscrivent pas,
pourrait-on dire, hors de la nature. Raisonnable : tel qu'il est
2 0 . M . d e GHELDERODE, op. cit.,
p. 77.
2 1 . M . d e GHELDERODE, op. cit.,
p. 7 8 .
2 2 . M . d e GHELDERODE, op. cit.,
p. 79.
70
André
Vandegans
maîtrisé chez les hommes capables de gouverner leurs pulsions.
Cet instinct peut être dit bon. En somme, Ghelderode pense
comme De Coster en partie spontanément, en partie sous
l'action d'agents culturels au nombre desquels il faut compter
l'« Humble supplique ». Mais son inconscient tient un autre
langage. Revenons aux regrets de Nekrozotar. Il se rappelle
parfaitement l'insouciance des habitants de Breugellande au
temps jadis, leur goût de la danse, le plaisir qu'ils prenaient à
jouer, à fumer, à boire, à manger, à rire et à dormir. Mais pour
ce qui est des «jeux de l'amour », il ne s'en souvient pas, dit-il
d'abord, pour tout aussitôt lever la barrière de l'interdit et
affirmer qu'ils étaient « nombreux, variés et sans hypocrisie ».
Rien de plus. On pourrait être plus disert. Mais Ghelderode
est, de toute évidence, gêné. Comme il l'est pour faire parler
Adrian et Jusemina, le couple d'amoureux, si l'on peut ainsi
dire, de la pièce. Il leur attribue un langage précieux et
ampoulé, dont il se moque lui-même par la bouche de Porprenaz. Chez Ghelderode, l'amour même naturel et raisonnable,
n'est jamais issu du bon instinct. Dans La Balade, on boit
énormément, la luxure ne se dissimule guère, la voix de l'amitié chaleureusement résonne, l'amour est absent.
Au cinquième tableau, le cataclysme a eu lieu. Porprenaz,
Vuidebolle, Nekrozotar crus morts reprennent vie. Salivaine,
elle aussi ranimée, bondit, furieuse, sur Nekrozotar et lui
réclame étrangement un hareng saur. Comme Nekrozotar
répond à sa femme que le poisson est mort, elle bat sauvagement le vieillard, qui tombe 2 3 . Trois soudards de Goulave,
promus « colonels honoraires » 24 et rescapés comme lui, combattent la forcenée tandis que le roi hurle : « Vive Breugellande ! ... A bas les dies illa ... les comètes ... et les mégères ! ... »
Un « Hurrah ! ... » général accueille la chute de Salivaine 2S.
Ce tableau accuse vivement les points où La Balade rencontre
l'« Humble supplique » dont elle procède et ceux où elle s'en
23. Sur le symbolisme du hareng saur, voir R.
76.
2 4 . M . d e GHELDERODE, op. cit.,
p. 99.
25.
p. 103.
M . d e GHELDERODE, op. cit.,
BEYEN,
Ghelderode, pp. 75-
Ghelderode et De Coster
71
sépare. La Breugellande de Ghelderode est cette terre de
liberté totale, de pleine satisfaction des instincts innocents, de
loyauté, d'amitié, de vie et de joie qu'affectionne également De
Coster. En Breugellande, point de place pour le « serpent » ni
pour la « femme traîtresse 26 ». De Coster place les « serpents »
au nombre des animaux qu'il prie la comète de détruire 27, —
mais il ne songe à mettre à leur rang aucune sorte de femmes.
Il n'opère d'ailleurs entre elles nulle distinction.
Le début du sixième et dernier tableau s'ouvre sur l'entrée
de Porprenaz qui amène en chantant « l'autel de Bacchus
(c'est-à-dire une tonne de vin), et le trône de sire Goulave et la
bibliothèque du vrai savant 2 8 ». On voit ici que Ghelderode ne
faisait aucunement, plus haut, le procès de la science mais celui
du charlatanisme, à la suite de De Coster accusant les « perroquets ». Le rapide bilan que Goulave dresse ensuite du désastre nous ramène une fois encore à l'évocation costérienne
des déplorables comportements auxquels se livreraient les
hommes si la comète confondait bons et mauvais. Ces comportements, chez Ghelderode, peut-être moins réaliste que De
Coster, ont été le fait des seuls méchants. Le tableau, qui veut
représenter l'ensemble de ce qu'a vu Goulave, contient d'ailleurs deux cas de mort alors que De Coster s'en était tenu à la
prévision de réactions devant l'approche du danger. Goulave
parle :
Les meilleurs sont en vie ... Les gentils seulement saufs, les
autres ... Les comètes ont du bon ... Que je vous raconte ... Par cette
nuit funeste — ou providentielle — les canailles, vicieux, ladres,
punais, galeux, crétins, médisants, ramollis, fanatiques, cafards ...
[...] ont été saisis d e frousse impérieuse, de mâle — rage [sic] ou de
folie subite à l'idée de leur anéantissement... Il en est qui tombèrent
foudroyés, d'autres qui fondirent sur leur vase, d'autres qui mangèrent leur argent, d'autres qui goinfrèrent tant qu'ils étouffèrent,
d'autres qui se ruaient sur les filles et se brisaient la tête contre les
murs, d'autres qui mirent le feu à leur maison, ou sautèrent dans
l'eau, ou mordirent leurs amis ou blessèrent leurs voisins ou bien,
les sens détraqués, rirent, s'attifèrent et firent mille soties [sic]
26.
M . d e GHELDERODE, op. cit.,
27. Ch. DE COSTER, Contes
p. 9 8 .
brabançons,
p. 97.
28. M. d e GHELDERODE, La Balade du Grand Macabre,
p. 105.
72
André
Vandegans
c o m m e des fous de carême ... Quant aux f e m m e s dans cette tempête ...
Vuidebolle complète : « Les corbeaux nettoieront... 2 9 ». On
doit à la vérité de rappeler que De Coster redoutait déjà que
les « vierges » ne se muassent en « bacchantes » 30 .
La fin de la pièce fait assister à la confusion d'Aspiquet, de
Basiliquet et de Salivaine ; à la mort de Nekrozotar qui consent
à disparaître dès lors que la « lumière » et la « liberté » sont
restaurées ; à la sortie du tombeau d'Adrian et de Jusemina
qui, passant au travers du cataclysme, ont assuré la perpétuation de la race. Goulave aura le dernier mot.
D'un tombeau sort la vie. Il faudra nous conduire de façon q u e
les h o m m e s d e l'avenir n e pleurent autrement que de joie ... C o m m e
je fais ... (Il essuye une larme.) Que je vous embrasse, la fraternité
n'est pas une vaine inscription ... Soudards, sonnez ... C'est le
m o m e n t de boire en Breugellande ... Sonnez vers le soleil ... (Les
trois amis s'embrassent. Les soudards jouent du clairon et bondissent
joyeusement)31.
Cette conclusion n'apporte rien de neuf à mon propos. La
Balade du Grand Macabre est débitrice, surtout au travers de
La Farce de la Mort, de l'« Humble supplique à la comète ».
On y découvre, puissamment orchestrés, les trois motifs qui
composent le texte costérien et dont La Farce n'avait qu'à
peine esquissé le troisième : le motif cataclysmique. La Balade,
dans la mesure où elle place la bonté, l'amitié et une instinctivité saine, contrôlée par la raison, au rang des plus hautes
valeurs, prolonge avec éclat et ampleur, l'« Humble supplique ». Elle est, comme La Farce de la Mort dont elle prend
le relais, mais avec combien plus de force, louange de la vie.
Au service de cette louange, Ghelderode a mis l'abondance, la
vigueur, la rutilance d'un verbe qui laisse loin derrière lui le
langage de La Farce.
La Balade, née, pour partie, de l'« Humble supplique », la
transforme pourtant constamment. Je ne dis rien de la transpo2 9 . M . d e GHELDERODE, op.
cit.,
p.
107.
30. Ch. DE COSTER, Contes brabançons, p. 94.
31. M. de GHELDERODE, La Balade du Grand Macabre, p. 117.
Ghelderode et De Coster
73
sition du langage épistolaire en langage dramatique, ni de la
métamorphose d'une écriture réaliste imprégnée de lyrisme en
une écriture expressionniste : sujets d'ailleurs passionnants. Je
ne veux remarquer d'abord que ceci : la satire costérienne se
disperse sur un grand nombre d'objets, la satire ghelderodienne
se concentre sur les hommes de pouvoir et sur la femme ; elle
en devient incomparablement plus aiguë. Au reste. De Coster
ne dit explicitement rien des hommes politiques et il célèbre la
femme. Ghelderode se libère ici presque tout à fait de son
inspirateur. Une autre originalité lui vient de sa psyché. On
doit reconnaître qu'elle ne le sert pas toujours au mieux. Sa
célébration de l'instinctivité saine et raisonnable ne sonne plus
juste lorsqu'il s'agit de la sexualité. Elle tourne visiblement
court dans l'évocation de l'ancienne Breugellande. Elle est
maladroite dès que les moeurs de jadis sont heureusement
restaurées. Porprenaz, Vuidebolle, Goulave sont incomparablement plus réussis qu'Adrian et Jusemina. Les buveurs de La
Balade se détachent avec un relief dont les amants, figures
désespérément plates, sont dépourvus. Mais que Ghelderode
puisse, avec Salivaine, camper la luxure, tout change. La
sexualité vicieuse trouve aussitôt en lui l'un de ses plus étonnants peintres. Une insuffisance de complexion peut engendrer, comme on sait, chez l'artiste, un vigoureux pouvoir
d'accusation.
La faiblesse de la mise en scène d'une sexualité normale,
l'absence complète de l'amour dans La Balade ne font pas que
le vœu formulé par l'auteur de l'« Humble supplique » ne soit
réalisé avec éclat dans la pièce de 1934. Ghelderode sauve ceux
pour lesquels intercédait De Coster. Il atteste ainsi ce que sa
puissante « farce pour rhétoriciens » doit à un texte mineur du
« g é n i e » qu'il honorait déjà publiquement en 1922. Il révèle
aussi la parenté de cœur qui l'unit, sous le jeu irritant des
comédies, des fabulations et des palinodies, à l'auteur de la
généreuse Légende d'Ulenspiegel.
À propos
et au-delà des structuralismes
Communication de M. Willy BAL
à la séance mensuelle du 12 février 1983
Les divers modèles scientifiques proposés au XIX e siècle et
au début du XX e siècle pour l'analyse des langues, des cultures
et des littératures faisaient référence, comme on le sait, à la
temporalité — qu'il s'agît du temps théorique de l'évolution ou
du temps concret de l'histoire. La notion d'évolution y était
centrale.
La conception structurale, qui atteint son apogée dans le
second tiers du XX e siècle, tend au contraire à analyser et à
expliquer les phénomènes sans référence temporelle — plus
généralement sans référence extrinsèque — et du point de vue
d'une totalité organisée.
La formation et la propagation des structuralismes débutent
— le fait est bien connu — par la mutation de la linguistique,
due à l'enseignement saussurien des débuts du siècle.
La linguistique s'y définit comme l'étude interne et synchronique des états de langue, la langue étant conçue comme un
système de signes, entité autonome de dépendances internes.
Ainsi structure et immanence sont-ils les deux mots-clés du
structuralisme linguistique.
Si F. de Saussure attribue à la langue une double fonction :
sociale et sémiologique, il n'est pas douteux cependant qu'à la
faveur notamment de la distinction langue/parole, sa linguistique évacue la fonction sociale au profit de la fonction sémiologique. La conception abstraite de la langue détachée de son
fonctionnement, de son actualisation en situation entraîne
l'attribution à la structure d'un caractère homogène, toute
variation étant rejetée dans la parole individuelle et, de ce fait,
À propos et au-delà des structuralismes
75
écartée du champ de la linguistique. La procédure que développera la version radicale du saussurisme, la glossématique,
consiste à réduire les variantes — théoriquement en nombre
non-fini — à des invariants en nombre fini. Sur ce plan, un
rapprochement peut se faire avec la grammaire générative
transformationnelle. Celle-ci représente en effet la compétence
linguistique sous la forme d'un système fini de règles qui, à
partir d'un nombre restreint, donc fini, de structures phrastiques élémentaires, permettent d'engendrer l'ensemble probablement non-fini des phrases grammaticales de la langue. Il
s'agit donc toujours de ramener le multiple à l'un, le non-fini
au fini ou la diversité à l'homogénéité.
En anthropologie, passe au premier plan l'idée, déjà conçue
par Frank Boas et par Marcel Mauss, de totalité intégrée, cohérente. C'est l'idée que l'on trouve au centre du fonctionnalisme
de B. Malinowski et du structuro-fonctionnalisme de
A. R. Radcliffe-Brown.
Pour B. Malinowski, l'analyse fonctionnelle a pour but principal d'expliquer les faits anthropologiques, à un niveau quelconque de développement, donc en dehors de toute temporalité, par leur fonction, c'est-à-dire par le rôle qu'ils jouent dans
le système total de la culture, par la manière dont ils sont reliés
les uns aux autres à l'intérieur de ce système. Le fonctionnalisme a un sens aigu de l'autonomie des cultures et un grand
respect des différences entre cultures.
A. R. Radcliffe-Brown pose deux concepts fondamentaux :
la structure et la fonction. La première, se référant à la
« morphologie » de la société, est définie comme le réseau
permettant des relations sociales au sein d'une société. La
seconde, se référant à la « physiologie » de la société, consiste,
pour un élément socio-culturel, dans le rôle qu'il joue dans la
vie sociale en tant que totalité et, par conséquent, dans la
contribution que cet élément apporte au maintien de la continuité structurelle. Par ce second point de la définition de la
fonction, A. R. Radcliffe-Brown montre que la dimension temporelle ne lui échappe pas. En fait, essayant de concilier le
synchronique et le diachronique, la stabilité et le changement,
il s'oriente déjà vers un modèle pluridimensionnel.
76
Willy Bal
A la fois méthode d'analyse et ensemble de théories, le
structuralisme de Claude Lévi-Strauss a puisé à diverses
sources : en anthropologie même, chez M. Mauss et
A. R. Radcliffe-Brown, en linguistique, chez Saussure, Troubetzkoy, Jakobson, en analyse littéraire, chez Propp. La structure, selon lui, manifeste les caractéristiques d'un système. Elle
est faite de plusieurs éléments dont aucun ne peut subir de
changement sans que des changements interviennent dans tous
les autres éléments.
Malgré l'emploi du mot « changement » qui pourrait faire
croire que référence est faite à la diachronie, c'est avec
Cl. Lévi-Strauss que s'avive l'opposition entre structure et histoire. En effet, sa méthode s'applique par excellence aux sociétés dont on met l'histoire entre parenthèses. Aussi est-il tenté
d'en revenir à une dichotomie entre sociétés sans histoire ou du
moins sociétés à histoire « froide », c'est-à-dire de conservation,
et sociétés à histoire « chaude », c'est-à-dire de renouvellement.
La notion de transformation qu'il lie au concept de structure
n'a pas de rapport avec l'évolution ; elle est plutôt à rapprocher
de la transformation en mathématique ou en linguistique générative transformationnelle. Pour lui, la conséquence de cette
liaison est d'imposer à l'analyse la tâche « de définir les structures, de les transformer en manipulant leurs relations internes
et d'introduire un ensemble de transformations ainsi réalisées à
l'intérieur des connaissances ethnographiques existantes. Grâce
à cette méthode, on peut ramener une contingence infinie à
une base limitée de principes nécessaires. Ce dont il est maintenant question, ce n'est pas d'une société ou d'une culture, mais
de l'ensemble restreint de possibilités sur la base desquelles se
créent toutes les sociétés et toutes les cultures et se développe
leur diversité apparemment infinie » (M. Freedman) '. En
somme, une algèbre du social, comme L. Hjelmslev, le chef de
file de la glossématique, voulait faire une algèbre du langage.
1. Cf. « L'anthropologie sociale et culturelle », dans Tendances principales
de la recherche dans les sciences sociales et humaines. Deuxième partie/Tome
premier : Sciences anthropologiques et historiques. Esthétique et science de
l'art, sous la direction de Jacques HAVET. Paris-La Haye-New York, Mouton/Unesco, 1978, p. 3-p. 193. (Le passage cité se trouve à la p. 91).
À propos et au-delà des structuralismes
77
L'extension de la conception saussurienne de la langue en
tant que système sémiologique formel, à d'autres systèmes de
signes, quelle qu'en soit la substance, a conduit au structuralisme littéraire, qui a aussi trouvé d'autres sources, principalement dans la phénoménologie et dans l'enseignement de l'école
formaliste russe.
Il revendique une sorte de monopole de l'analyse synchronique. Le texte est conçu comme une structure, par analogie
avec la phrase, comme si les textes étaient d'immenses phrases
dérivées de la langue générale des symboles. Les caractéristiques attribuées au texte sont l'autonomie et la clôture, ce qui
permet de l'analyser comme une totalité dont on possède tous
les éléments et qui n'accepte qu'une explication immanente,
sans référence notamment à l'histoire, à l'auteur, etc. De là
notamment le développement d'une poétique narrative. Celleci peut être centrée sur l'action, l'analyse s'étageant à trois
niveaux : définition des unités narratives minimales, les fonctions (comme chez Propp), combinaison de ces unités ou syntaxe fonctionnelle (par ex., chez Cl. Bremond), niveau sémantique constitué par l'univers thématique du récit. L'analyse
peut aussi être centrée sur les personnages, non pour en cerner
une psychologie assimilable à celle des personnes, mais considérés d'un point de vue formel, c'est-à-dire comme jouant un
rôle déterminé dans le déroulement de l'intrigue (d'où une
typologie comme celle d'A. Greimas). On peut aussi centrer
l'analyse sur le temps du récit, différent du temps vécu
(H. Weinrich, G. Genette). Cl. Bremond propose une « logique
du récit » qui essaie « de décrire le réseau complet des options
logiquement offertes à un narrateur, en un point quelconque
de son récit, pour continuer l'histoire commencée »,
Du point de vue épistémologique, cinq constantes essentielles se dégagent des différents modèles structuralistes proposés en linguistique, en anthropologie et en critique littéraire :
1) la notion de totalité intégrée, autonome, close, relativement stable, ou structure ;
2) la primauté des relations sur les éléments, ceux-ci ne
prenant leur signification que dans et par les relations qu'ils
contractent entre eux et avec la structure qui les intègre ; le
78
Willy Bal
réseau des relations constituant la forme selon Saussure, on
peut parler d'une conception formelle ;
3) la légitimité exclusive de Y explication immanente ;
4) toute référence extrinsèque, notamment au temps, à l'histoire, étant exclue de ce fait, la seule perspective possible est
synchronique ou, plus généralement, a-temporelle ;
5) le caractère abstrait, obtenu par la réduction des
variantes à des invariants, du non-fini des réalisations contingentes au fini des prémisses (unités minimales, règles ou principes), la diversité non-finie du réel s'expliquant par les possibilités de la combinatoire des éléments structuraux.
Ce dernier point concorde exactement avec la thèse générale
formulée par L. Hjelmslev pour les sciences humaines et qui
peut être résumée comme suit : à chaque processus (un texte,
par exemple) correspond un système, sur la base duquel le
processus peut être analysé et décrit avec un nombre limité de
prémisses ou éléments, qui servent constamment dans différentes combinaisons. Les éléments peuvent être classés selon
leurs possibilités combinatoires. En faisant un compte général
et exhaustif des combinaisons possibles, on atteindrait le
niveau d'une science systématique, exacte et généralisante,
dont la théorie prévoit tous les événements (combinaisons possibles) et établit les conditions de leur réalisation.
*
*
*
A partir des années 60, semble s'ouvrir une nouvelle phase
dans l'analyse des faits linguistiques, culturels et littéraires. Des
modèles pluridimensionnels sont proposés, qui tentent de
dépasser certaines oppositions apparues sous le règne des structuralismes, telles les oppositions entre synchronie et diachronie,
statisme et dynamisme, structure et histoire, facteurs internes et
facteurs externes.
Identifier la synchronie et la statique a été une des grandes
tentations du courant structuraliste. Et cependant, dès 1931,
R. Jakobson dénonçait une telle opération comme un rétrécissement illégitime du cadre de la synchronie. Il ajoutait : « La
À propos et au-delà des structuralismes
79
liaison de la statique et de la dynamique est une des antinomies dialectiques les plus fondamentales qui déterminent l'idée
de langue ». La validité de ce principe ne se limite pas à la
langue.
Le fonctionnalisme anthropologique surtout s'était fondé sur
la notion de « totalité intégrée », comme le saussurisme sur la
notion de « système homogène », la stabilité — relative sans
doute — caractérisant l'une et l'autre.
En anthropologie, une certaine image des sociétés dites traditionnelles était devenue classique : des sociétés intégrées, en
parfait équilibre, statiques.
Déjà cependant A. R. Radcliffe-Brown n'excluait pas les
faits de déséquilibre et donc le changement.
A l'heure actuelle, un courant constitué par des chercheurs
de tradition et de formation différentes, s'est formé, que représente en France de façon typique Y anthropologie dynamique de
Georges Balandier.
L'image des sociétés traditionnelles s'est modifiée au point
qu'on a pu parler de « la mort du primitif ». Le changement,
non seulement s'impose à l'observateur parce que ces sociétés
ont été bouleversées par l'impact du monde moderne — fait
historique, contingent — mais parce que le changement est
inhérent à toute réalité sociale. Indépendamment du choc de
l'histoire, ces sociétés elles-mêmes étaient des lieux de tension,
de conflits, en équilibre précaire, hétérogènes aussi. Ainsi le
concept même de changement, naguère banni par les tenants
de la totalité parfaitement intégrée, est-il réhabilité et placé au
cœur même de l'interprétation de la vie sociale. Le processus
global du changement doit être envisagé ; on n'y arrive qu'en
le mettant en situation, en définissant la situation dans laquelle
il se produit : c'est le concept de « situation sociale » de
M. Gluckman ou pour l'Afrique noire, le concept introduit par
G. Balandier de « situation coloniale ». Cette situation doit être
saisie dans son ensemble et en tant que système.
Reconnaissance de l'hétérogénéité : « Avec force, G. Balandier a insisté sur l'hétérogénéité de toute société parce qu'elle
est la résultante d'une histoire. Des éléments d'origine et
d'« âge » différents y sont repérables, qui peuvent éventuelle-
80
Willy Bal
ment entrer en contradiction les uns avec les autres ; ils ne sont
pas toujours adaptés les uns aux autres, et la société ne les
utilise pas tous avec un égal bonheur » (P. Mercier) 2 .
C'est là le principe d'un modèle « variationniste » que nous
retrouverons en linguistique. Ainsi, la dynamique et l'hétérogénéité pénètrent-elles dans la notion même de système.
Autre modification épistémologique : à côté de la causalité
interne à laquelle s'étaient référés la plupart des anthropologues depuis les évolutionnistes jusqu'à Durkheim, la causalité
externe fait un retour en force, avec les défis lancés aux sociétés par l'histoire, avec les rencontres de civilisations. Roger
Bastide, entre autres, veut conjuguer la causalité qui a son
point de départ dans le milieu interne et celle qui provient des
contacts de civilisations.
La dynamique socio-culturelle va ainsi raviver l'intérêt historique ; la dichotomie structure-histoire va être transcendée, les
deux termes en seront placés non plus en relation d'exclusion
mais en relation dialectique.
Comment le linguiste ne serait-il pas frappé par de multiples
analogies ?
Dès les thèses du cercle de Prague (1929), R. Jakobson
affirmait le dynamisme de la synchronie dans la coexistence en
un même état de langue, notamment sous la forme de
variantes stylistiques, d'éléments sentis comme archaïques ou
novateurs, ou encore d'éléments plus ou moins productifs, si
bien que même la description synchronique ne peut éliminer la
notion de changement. « L'esprit de l'équilibre et la tendance
simultanée vers sa rupture constituent des propriétés indispensables du tout qu'est la langue », écrivait-il par ailleurs.
Conciliation indispensable du statique et du dynamique
mais aussi du synchronique et du diachronique, comme l'affirmaient W. von Wartburg, E. Coseriu ou, plus récemment Bernard Pottier, que je cite : « La synchronie, nécessaire pour
saisir les données, n'existe pas. Il faut donc, dès que possible,
rétablir le dynamisme du langage en la complétant par des
2. Cf. Histoire de l'anthropologie.
Sociologue », p. 172.
Paris. P.U.F., 1971, «Collection SUP, Le
À propos et au-delà des structuralismes
81
indices évolutifs. Car le temps est partout, et est la cause de
l'évolution constante des organisations sémantiques, syntaxiques et phoniques. » 3
Le recours à une double causalité, transcendant l'opposition
externe/interne, est affirmé par des linguistes de tendances très
différentes comme Walther von Wartburg et André Martinet.
Parmi les facteurs externes, se rencontrent les faits d'interférence linguistique. Si même on tend maintenant à réduire la
capacité explicative — parfois exagérée — de ces phénomènes,
il n'en reste pas moins qu'on leur attache légitimement beaucoup d'importance.
Une rupture épistémologique considérable consiste dans la
dissociation de la notion de structure et de l'attribut d'homogénéité. Elle est due à ce qu'il faut bien appeler la révolution
sociolinguistique, menée notamment par William Labov, à partir des années 1960. C'est ici qu'il convient de parler de révolution et non, comme on l'a fait abusivement, à propos de la
grammaire générative et transformationnelle, laquelle s'inscrit
dans une tradition idéaliste et rationaliste.
Il faut sans doute rendre justice à des précurseurs comme
Hugo Schuchardt qui, dans le dernier quart du XIX e siècle,
affirmait l'hétérogénéité de toute langue ou parler, liée en
partie d'ailleurs au phénomène de Sprachmischung, dont il fut
le pionnier, ou encore comme Antoine Meillet qui associait la
variation linguistique aux facteurs sociaux. Mais nous devons
reconnaître que l'influence du saussurisme empêcha leurs voix,
avant 1960, d'avoir l'écho qu'elles méritaient.
Briser l'identification de la structure et de l'homogénéité,
faire reconnaître la variation inhérente à tout système linguistique, mieux encore faire reconnaître qu'une partie fondamentale des variations est instituée socialement, gouvernée par des
règles, fait partie du système, tel est l'essentiel du programme
de W. Labov, dans le cadre duquel se placent de nombreux
travaux réalisés en sociolinguistique.
3. Cf. «Au-delà du structuralisme», dans XVI' Congrès Internacional de
Lingùistica i Filalogia Romàniques. Actes. Tom I. Sessions plenàries i taules
rodones. Palma de Mallorca, Editorial Moll, 1982, pp. 177-179.
82
Willy Bal
La reconnaissance de ces variations 4 nous amène à rejeter
la définition courante de la communauté linguistique comme
un groupe de locuteurs qui utilisent tous les mêmes formes, au
profit de la conception d'un groupe de locuteurs à qui
s'imposent les mêmes normes quant à la communication linguistique.
A partir de là, la notion de compétence s'étend à un modèle
global réunissant de façon hiérarchisée, la compétence linguistique proprement dite, la compétence épilinguistique, c'est-àdire l'aptitude des locuteurs à porter des jugements relativement aux variétés linguistiques employées, et la compétence de
communication.
On peut définir celle-ci comme la connaissance des règles
psychologiques, sociales et culturelles qui gouvernent l'utilisation de la parole dans un contexte social donné, ce qui suppose
non seulement la maîtrise du répertoire verbal de la communauté considérée mais aussi la connaissance des règles qui
régissent le passage d'une variété sociolinguistique à une autre.
La compétence de la communication engendre des messages
verbaux dont la qualité principale est d'être appropriés à une
situation, c'est-à-dire acceptables au sens le plus large du
terme.
Soit dit par parenthèse, une telle extension de la notion de
compétence devrait avoir une incidence sur les modèles pédagogiques, dans le sens du passage de l'enseignement de la
langue à celui de l'ethnocommunication.
Par la notion d'énonciation, la langue est mise en situation
et le rôle du locuteur, c'est-à-dire du sujet d'énonciation, est
réinstauré en linguistique.
4. On répartit souvent les variations linguistiques en quatre catégories :
variations dans le temps (ou diachroniques), variations dans l'espace (ou diatopiques), variations en rapport avec les groupes sociaux (ou diastratiques),
variations selon les situations de communication (ou diaphasiques). Si les deux
premières catégories ont reçu un statut scientifique à partir du XIX e siècle,
dans le cadre de la linguistique historico-comparative, de la dialectologie et de
la géographie linguistique, la reconnaissance des deux dernières ou du moins
leur constitution en objet de science est récente et due principalement à l'essor
de la socio-linguistique.
À propos et au-delà des structuralismes
83
L'énonciation est un acte, individuel en même temps que
social. En tant qu'acte individuel, elle exprime la liberté du
locuteur à l'intérieur des contraintes socio-culturelles et particulièrement linguistiques. En tant qu'acte social, elle s'insère dans
l'ensemble d'un comportement, soumis à des conditions de
possibilité et d'efficacité, à des normes sociales et déployant
des forces capables de produire des effets déterminés : c'est la
composante pragmatique
du langage, déjà entrevue par
K. Biihler dans les années 1930 et développée surtout par
l'école d'Oxford (Austin, Searle) et en France, entre autres, par
Oswald Ducrot.
Mais à l'explicite de l'énoncé, produit de l'énonciation, est
sous-jacent de l'implicite, dit dans le contexte ou non dit mais
contenu dans la situation ou présupposé soit en vertu de principes logiques qu'on peut croire universels (comme le principe
de non-contradiction), soit en vertu de savoirs culturels spécifiques.
En outre, l'ensemble du message fait référence à un niveau
conceptualisé, le lieu des noèmes c'est-à-dire des éléments de
sens déliés des langues, auxquels se réfère, par exemple, l'analyse sémantique componentielle.
La reconnaissance de toutes ces composantes ou conditions
de l'acte langagier entraîne à la fois un élargissement et une
« désautonomisation » de la linguistique. Celle-ci ne peut plus
s'isoler des autres sciences humaines. L'analyse des structures
immanentes, restant nécessaire, devient insuffisante.
Dans la constitution d'un modèle taxinomique du commentaire littéraire, le texte peut, me semble-t-il, être considéré
comme situé au point d'intersection de deux axes, dont chacun
est bipolaire. Au total, cinq points figurent dans ce schéma.
L'un des axes — nous le dénommerons psycho-sociologique
— unit le pôle individuel: l'homme et/ou l'auteur, et le pôle
social : société et culture.
L'autre axe — que nous appellerons sémiologique — unit
forme et vision du monde. Par forme, nous entendons les fonctions et leurs combinaisons, les structures, les procédés langagiers, bref tout ce qui ressortit à l'analyse formelle. La vision
du monde inclut la thématique, la symbolique.
84
Willy Bal
Ce qu'on dénomme couramment « structuralisme littéraire »
se situe essentiellement sur l'axe du sémiologique. Une tension
constante s'y développe entre les deux pôles, dont l'un, la
forme, renvoie explicitement à une réflexion sur la langue,
l'autre, la vision, renvoyant implicitement au psychanalytique.
Concilier ces deux pôles, essayer de montrer la solidarité d'un
univers mental et d'une construction sensible, d'une vision et
d'une forme, est, par exemple, la visée d'un Jean Richard dans
Forme et signification (1963).
L'ancien modèle favori de l'histoire littéraire « l'homme et
l'œuvre » allait de l'individu (biographie de l'homme-écrivain)
au texte. Un autre modèle essayait d'expliquer le texte à partir
de la société. On peut synthétiser ces deux modèles comme
représentant une même démarche causale et génétique, trouvant son point de départ dans des faits historiques et extrinsèques à l'œuvre, démarche située tout entière sur un seul axe,
l'axe psycho-sociologique.
Je crois d'abord qu'un acquis de la critique littéraire contemporaine est d'avoir fait reconnaître la primauté du texte.
Examinons, à titre d'exemples, quelques modèles littéraires
d'aujourd'hui en fonction du schéma proposé.
Prenons d'abord le cas d'un modèle d'inspiration marxiste :
le structuralisme génétique de Lucien Goldmann, dans la ligne
de Lukâcs. Son hypothèse fondamentale se formule comme
suit : « le caractère collectif de la création littéraire provient du
fait que les structures de l'univers de l'œuvre sont homologues
aux structures mentales de certains groupes sociaux ou en
relation intelligible avec elles ». Ainsi l'axe sémiologique est-il
explicitement relié au pôle social du second axe et par là, à
l'histoire.
Considérons d'une façon plus générale la sociocritique :
comme préalable, elle reprend la notion de texte élaborée par
la critique formelle et l'avalise comme objet d'étude prioritaire ; mais la finalité est différente puisque l'intention et la
stratégie de la sociocritique consistent à restituer au texte sa
teneur sociale. D'autre part, elle a à résoudre le problème que
posent les rapports entre les conditionnements sociaux qui sont
généraux et des phénomènes littéraires qui sont individuels,
À propos et au-delà des structuralismes
85
particuliers. Elle en cherche surtout la solution dans l'étude
psychanalytique et psychologique : il s'agit d'observer la genèse
de l'individuel à partir de conditionnements collectifs. La
sociocritique, partant du texte, parcourt ainsi les deux axes.
Voyons maintenant l'analyse thématique, qui s'inscrit sur
l'axe sémiologique. Sans doute peut-on considérer les thèmes
dans leur signification symbolique, c'est-à-dire à l'intérieur
d'un système de signes dans lesquels les formes du monde
naturel ou humain sont chargées d'une signification analogique. Mais cette symbolique — dans sa configuration du
moins — renvoie à un groupe socio-culturel spécifique, avec
son inconscient collectif (Jung). Liaison donc d'un pôle de l'axe
sémiologique avec le pôle social de l'axe psycho-sociologique.
On peut aussi, dans le cadre de l'analyse thématique, avec J.P. Weber, définir le thème comme « un événement ou une
situation (au sens le plus large du mot) infantiles, susceptibles
de se manifester — en général inconsciemment — dans une
œuvre ou un ensemble d'œuvres d'art ». Nous voici renvoyés
de l'axe sémiologique au pôle individuel du second axe (psychologie et inconscient individuel, dans la postérité freudienne). Cette perspective commande la psychobiographie, la
pathographie, plus généralement la psychocritique.
Un néo-structuralisme tend à se manifester, qui accepte de
situer historiquement les systèmes formels dont il étudie le
fonctionnement synchronique. « Comment le critique se hasarderait-il à conférer une fausse intemporalité aux structures qu'il
sait fort bien avoir prélevées dans le cours d'une histoire, à un
moment ponctuel x d'une évolution diachronique ?... La structure objective de l'œuvre fixe la forme achevée de la relation ;
toutefois la tension qui dresse cette forme dans son espace, qui
la déroule dans sa durée propre, est un vecteur historique dont
la critique ne devrait jamais méconnaître la présence »
(J. Starobinski) 5 .
L'histoire littéraire, de son côté, dans la mesure où, admettant la primauté du texte, elle tente d'en dégager les indices
5. Cf. « Littérature », dans Tendances principales de la recherche... (op. cit.
dans la note 1), pp. 822-836. (Le passage cité se trouve p. 831 et p. 832).
86
Willy Bal
d'une singularité psychique ou d'une situation sociale particulière, se doit d'accepter, au moins partiellement, des techniques
empruntées à la linguistique, à la sociologie, à l'anthropologie
sociale et culturelle, à la psychanalyse. Ainsi s'oriente-t-elle
vers des horizons plus larges qui sont ceux de l'histoire culturelle.
On voit qu'à la prédominance dont jouissait naguère un
formalisme immanentiste tend à se substituer une pluralité de
modèles pluridimensionnels. Dans ce domaine aussi, l'opposition
structure-histoire tend à être dépassée. Si les structures immanentes restent un objet d'analyse nécessaire, elles ne sont plus
tenues pour suffisantes. La causalité externe — d'ordre individuel ou socio-culturel — fait un retour en force. Le recours à
d'autres sciences humaines s'avère indispensable.
Ainsi les tendances actuelles pourraient être synthétisées en
cinq points :
1) Un besoin accru d'interdisciplinarité et une convergence
des sciences humaines et particulièrement des trois disciplines
concernées. Cette tendance se manifeste entre autres par la
création de disciplines en chevauchement, telles l'ethnolinguistique, la psycholinguistique, la sociolinguistique, ou par l'orientation de l'histoire littéraire vers l'histoire culturelle, ou encore
par l'intérêt porté par les anthropologues aux langues et littératures. Cette convergence est due à de nombreux facteurs, entre
autres :
— l'identité des principales influences reçues : marxisme,
psychanalyse, structuralisme ;
— le rôle important, voire central, attribué à la communication, non seulement en linguistique et, bien sûr, en littérature mais aussi en anthropologie, spécialement chez
Cl. Lévi-Strauss avec le schéma ternaire d'analyse des règles
du jeu social : communication des femmes (mariage, structures de parenté), des messages (langage), des biens et services (économie) ;
— l'extension, à partir de la linguistique, des notions
corrélatives de système sémiologique (ou sémiotique) : sémiotique de l'inconscient, des codes de parenté, du corpus
À propos et au-delà des structuralismes
87
mythique, des relations sociales, sémiotique littéraire, etc., et
de texte, étendu à tous les ensembles et systèmes signifiants.
2) Le retour du sujet, que la phase précédente avait évacué,
le signe, la structure ou la fonction se substituant à
l'homme. Or, nous voyons, de façon particulièrement manifeste, se réintroduire le sujet en linguistique, notamment avec
les « instances du discours » d'E. Benveniste, et -en critique
littéraire, avec la psychocritique et, dans une certaine mesure,
avec la sociocritique. En anthropologie, le rapport entre l'individuel et le social traverse ou recouvre les débats suscités par
toutes les opérations théoriques ; avec l'instauration de modèles
variationnistes, l'individuel semble gagner en présence. Certes,
il ne s'agit plus de l'individu conçu comme un absolu : la personnalité est relativisée par le rôle de l'inconscient (individuel
ou collectif) d'une part, des structures et infrastructures
sociales, d'autre part.
3) Si le point de vue immanent est toujours reconnu comme
nécessaire, il n'est plus tenu pour suffisant ; la causalité externe
revient en force ; c'est là un autre facteur de l'interdisciplinarité
dont il a été question plus haut.
4) En liaison avec le retour du sujet et celui de la causalité
externe, une dimension historique se trouve intégrée dans les
nouveaux modèles proposés. Les oppositions structure/histoire,
statique/dynamique sont en voie de dépassement.
5) Une dissociation entre la notion de système et l'attribut
d'homogénéité conduit, surtout dans l'analyse des structures
collectives, à des modèles variationnistes, intégrant la variation
au système.
*
*
*
Il m'apparaît donc qu'après un long passage par un formalisme, qui eut ses raisons, ses vertus, son efficacité mais qui, à
force d'abstraction, réduisant l'objet et éliminant le sujet,
s'enfermait dans sa propre construction, anthropologie, critique
littéraire et linguistique sont en train de reprendre un « visage
humain ».
Chronique
Séances mensuelles
La séance mensuelle de janvier suit traditionnellement un
déjeuner amical qui réunit les membres de l'Académie. Elle
s'est ouverte, le 8 janvier, par la traditionnelle passation des
pouvoirs, M. Pierre Ruelle succédant, comme directeur, à
M. Jean Tordeur. M. Thomas Owen sera vice-directeur pour
1983.
L'Académie a entendu une communication de M. André
Vandegans : « Ghelderode et De Coster, de Y Humble supplique
à la comète à la Balade du Grand Macabre. » Le texte en est
publié dans ce Bulletin.
L'Académie a attribué le prix Georges Lockem au recueil
L'inévitable de M. Christophe Georis et le prix Sander Pierron
à M m e Irène Stecyk pour son roman Perle morte. Elle a décerné
le prix Nessim Habif (Grand Prix de littérature française hors
de France) à M. Philippe Jaccottet pour l'ensemble de son
œuvre.
Enfin, l'Académie a entériné les propositions de la Commission consultative du Fonds national de la Littérature en attribuant des subventions d'aide à l'édition à des manuscrits et à
quelques revues.
Réunie en séance mensuelle le 12 février, l'Académie a
entendu une communication, que nous publions dans cette
livraison, de M. Willy Bal : « A propos et au-delà des structuralismes ».
L'Académie a procédé à un large échange de vues sur les
conséquences de l'évolution institutionnelle de la Belgique. Elle
Chronique
89
estime essentiel que la communautarisation de la Culture
n'entraîne aucune conséquence fâcheuse sur son statut administratif ou sur sa situation nationale et internationale, ou
encore sur le Fonds national de la Littérature, dont la gestion
lui est confiée par la loi.
L'Académie a attribué plusieurs subventions d'aide à l'édition dans le cadre du Fonds national de la Littérature.
L'Académie a tenu le 12 mars sa troisième séance de
l'année, toujours sous la présidence de M. Pierre Ruelle, directeur. Elle a entendu M. André Vandegans dans une communication sur « Le farfelu dans L'Espoir d'André Malraux » dont
le texte est destiné, prioritairement à une publication italienne,
sera publié dans un prochain Bulletin.
André Malraux a montré un sens du farfelu, du fantaisiste,
voire du burlesque, surtout dans la première partie de sa vie et
de son œuvre. L'auteur de La jeunesse d'André Malraux était
particulièrement qualifié pour explorer à nouveau l'univers de
l'écrivain.
L'Académie a établi son calendrier des prochains mois :
séances mensuelles le 9 avril et le 14 mai, séance publique le
28 mai pour la réception de MM. Jean Rousset et Gérald
Antoine.
OUVRAGES PUBLIÉS
PAR
l'Académie Royale
de Langue et de Littérature françaises
Table Générale des Matières du Bulletin de l'Académie. par René Fayt. Années 1922 à 1970. 1 vol. in-8° de
122 pages. — 1972
150 —
Le centenaire d'Émile Verhaeren. Discours, textes
et documents (Luc Hommel, Léo Collard, duchesse de La
Rochefoucauld, Maurice Garçon, Raymond Queneau, Henri
de Ziegler, Diego Valeri, Maurice Gilliams, Pierre Nothomb,
Lucien Christophe, Henri Liebrecht, Alex Pasquier, Jean Berthoin, Édouard Bonnefous, René Fauchois, J. M. Culot)
1 vol. in-8° de 89 p. - 1956
150,-
Le centenaire de Maurice Maeterlinck. Discours,
études et documents (Carlo Bronne, Victor Larock, duchesse
de La Rochefoucauld, Robert Vivier, Jean Cocteau, Jean
Rostand, Georges Sion, Joseph Hanse, Henri Davignon, Gustave Vanwelkenhuyzen, Raymond Pouilliart, Fernand Desonay, Marcel Thiry). 1 vol. in-8° de 314 p. — 1964
400,—
ACADÉMIE. —
ACADÉMIE. —
ACADÉMIE.
—
Galerie des portraits. Recueil des 74 notices biographiques et critiques publiées de 1928 à 1972 dans l'Annuaire
sur Franz Ansel, l'abbé Joseph Bastin, Julia Bastin, Alphonse
Bayot, Charles Bernard, Giulio Bertoni, Émile Boisacq, Thomas Braun, Ferdinand Brunot, Ventura Garcia Calderon,
Joseph Calozet, Henry Carton de Wiart, Gustave Charlier,
Jean Cocteau, Colette, Albert Counson, Léopold Courouble,
Henri Davignon, Auguste Doutrepont, Georges Doutrepont,
Hilaire Duesberg, Louis Dumont-Wilden, Georges Eekhoud,
Max Elskamp, Servais Etienne, Jules Feller, Georges Garnir,
Iwan Gilkin, Valère Gille, Albert Giraud, Edmond Glesener,
Arnold Goffin, Albert Guislain, Jean Haust, Luc Hommel,
Jakob Jud, Hubert Krains, Arthur Langfors, Henri Liebrecht,
Maurice Maeterlinck, Georges Marlow, Albert Mockel,
Édouard Montpetit, Pierre Nothomb, Christofer Nyrop, Louis
Piérard, Charles Plisnier, Georges Rency, Mario Roques, Jacques Salverda de Grave, Fernand Severin, Henri Simon, Paul
Spaak, Hubert Stiernet, Lucien-Paul Thomas, Benjamin Val-
ACADÉMIE. —
Ouvrages publiés
91
lotton, Émile van Arenbergh, Firmin van den Bosch,
Jo van der Elst, Gustave Vanzype, Ernest Verlant, Francis
Vielé-Griffin, Georges Virrès, Joseph Vrindts, Emmanuel
Walberg, Brand Whitlock, Maurice Wilmotte, Benjamin
Mather Woodbridge, par 43 membres de l'Académie. 4 vol.
14 x 20 de 470 à 500 pages, illustrés de 74 portraits. Chaque
volume
400,-
du Colloque Baudelaire, Namur et Bruxelles 1967, publiés
en collaboration avec le Ministère de la Culture française et
la Fondation pour une Entraide Intellectuelle Européenne
(Carlo Bronne, Pierre Emmanuel, Marcel Thiry, Pierre
Wigny, Albert Kies, Gyula Illyès, Robert Guiette, Roger
Bodart, Marcel Raymond, Claude Pichois, Jean Follain, Maurice-Jean Lefebve, Jean-Claude Renard, Claire Lejeune, Edith
Mora, Max Milner, Jeanine Moulin, José Bergamin, Daniel
Vouga, François Van Laere, Zbigniew Bienkowski, Francis
Scarfe, Valentin Kataev, John Brown, Jan Vladislav, GeorgesEmmanuel Clancier, Georges Poulet). I vol. in-8° de 248 p.
ACTES
— 1968
250,-
Christian — La poétique
8° de 145 p. — 1961
ANGELET
de Tristan Corbière.
Christian. — Jean de Boschère ou
l'attente. 1 vol. in-8° de 372 p. — 1978
BERG
1
vol. in240,-
le mouvement
de
450,-
BERVOETS Marguerite. — Œuvres d'André Fontainas.
de 238 p. — 1949
1 vol. in-8°
300,-
Roland. — Michel de Ghelderode ou la hantise du masque.
Essai de biographie critique. 1 vol. in-8° de 540 p. — 1971
Réimp. 1972 et 1980
BEYEN
des écrivains français de Belgique.
(A-Des) établi par Jean-Marie C U L O T .
BIBLIOGRAPHIE
Tome
1
V I I - 3 0 4 p. —
480,-
1881-1960.
1
vol. in-8° de
1958
300,-
T o m e 2 (Det-G) établi par René FAYT, Colette PRINS, Jean
W A R M O E S , SOUS l a d i r e c t i o n d e R o g e r B R U C H E R .
1 vol.
in-8°
de XXXIX-219 p. — 1966
300,-
T o m e 3 (H-L) établi par René FAYT, Colette PRINS, Jeanne
BLOGIE, SOUS la direction de Roger B R U C H E R . 1 vol. in-8° de
X1X-310 p. — 1968
420,-
T o m e 4 ( M - N ) établi par René FAYT, Colette PRINS, Jeanne
B L O G I E et R. Van de S A N D E , SOUS la direction de Roger B R U CHER. 1 vol. in-8°, 4 6 8 p. -
1972
450,-
de Franz Hellens, par Raphaël D e Smedt.
Extrait du tome 3 de la Bibliographie des Écrivains français
de Belgique, i br. in-8° de 36 p. — 1968
60,-
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages publiés 92
92
Annie. — L'Esthétique
1 vol. 14 x 20 d e 208 p. — 1942
BODSON-THOMAS
BOUMAL
Louis. — Œuvres
de Georges
Rodenbach.
250,—
(publiées par Lucien Christophe et
Marcel Paquot). Réédition, 1 vol. 14 x 20 d e 211 p. — 1939.
250,—
Herman. — L'accueil fait au symbolisme
1885-1900. 1 vol. in-8° d e 203 p. — 1967
300,—
BRAET
en
Belgique,
Marthe. — Études philologiques
sur la langue, le
vocabulaire et le style du chroniqueur Jean de Haynin. 1 vol.
in-8° d e 306 p. - 1933
350,-
Rosa. — L'Évolution
14 x 20 de 328 p. — 1956
400,—
BRONCKART
BUCHOLE
poétique
de Robert Desnos.
1
vol.
CHAINAYE Hector. — L'Âme des choses. Réédition 1 vol. 14 x 20
de 189 p. - 1935
Paul. — Nouvel essai sur Octave
1 vol. 14 x 20 de 204 p. — 1952
Pirmez.
CHAMPAGNE
200,-
I. Sa vie.
270,—
Gustave. — Le Mouvement romantique en Belgique.
(1815-1850). I. La Bataille romantique. 1 vol. in-8° de 423 p.
— 1931
480,—
Gustave. — Le Mouvement
(1815-1850). 11. Vers un Romantisme
546 p. — 1948
600,-
CHARLIER
CHARLIER
romantique en Belgique.
national. 1 vol. in-8° de
Gustave. — La Trage-Comédie
1 vol. in-8° de 116 p. — 1959
CHARLIER
Lucien. — Albert Giraud.
1 vol. 14 x 20 de 142 p. - 1960
CHRISTOPHE
Pastoralle
(1594).
160,—
Son œuvre et son
temps.
200,—
Pour le Centenaire de COLETTE,
textes de Georges Sion, Françoise Mallet-Joris, Pierre Falize, Lucienne Desnoues et Carlo
Bronne, 1 plaquette de 57 p., avec un dessin de Jean-Jacques
Gailliard
Gaston. — Le Théâtre de Maurice
in-8° de 270 p. — 1955
COMPÈRE
Jean-Marie. — Bibliographie
8° de 156 p. — 1958
CULOT
d'Émile
Maeterlinck.
1
80,-
vol.
360,—
Verhaeren.
1 vol. in200,—
DAVIGNON Henri. — L'Amitié
de Max Elskamp
et
d'Albert
Mockel (Lettres inédites). 1 vol. 14 x 20 d e 76 p. — 1955 . . .
150,—
DAVIGNON Henri. — Charles
in-8° d e 184 p. - 1952
300,-
Van Lerberghe
et ses amis.
DAVIGNON Henri. — De la Princesse de Cléves
queyroux. 1 vol. 14 x 20 de 237 p. — 1963
DEFRENNE Madeleine. — Odilon-Jean
468 p. — 1957
Périer.
à Thérèse
1 vol.
Des300,—
1 vol. in-8° d e
600,—
Ouvrages publiés
93
Xavier. — Le roman d'un géologue. Réédition (Préface
de Gustave Charlier et introduction de Marie Gevers). 1 vol.
14 x 20 de 292 p. — 1958
350,—
Fernand. — Ronsard poète de l'amour.
1 vol. in-8° de 282 p. — Réimpression, 1965
360,—
D E REUL
DESONAY
Cassandre.
I.
Fernand. — Ronsard poète de l'amour. I I . De Marie à
Genêvre. 1 vol. in-8° dde 317 p. — Réimpression, 1965
450,—
Fernand. — Ronsard poète de l'amour. I I I . Du poète de
cour au chantre d'Hélène. 1 vol. in-8° de 415 p. — 1959
540,—
Charles. — La Rose et l'Épée. Réédition.
14 x 20 de 126 p. — 1936
150,—
DESONAY
DESONAY
DE SPRIMONT
1
vol.
Georges. — Les Proscrits du Coup d'État du 2 décembre 1851 en Belgique. 1 vol. in-8° de 169 p. — 1938
200,—
Jacques — Les Romanciers français
XIX'siècle.
1 vol. in-8° de 221 p. — 1963
300,—
DOUTREPONT
DUBOIS
de l'Instantané
au
Anne-Marie. — Edmond Breuché de la Croix. I vol. 14 x
20 de 170 p. - 1957
220,-
Robert. — La Théorie de l'Art pour l'Art chez les écrivains belges de 1830 à nos jours. 1 vol. in-8° de 418 p. — 1936
480 —
Robert. — Les influences anglo-saxonnes sur les Lettres
françaises de Belgique de 1850 à 1880. 1 vol. in-8 e de 342 p. —
1953
480 —
GILLIS
GILSOUL
GILSOUL
Albert. — Critique littéraire. Réédition.
187 p . - 1 9 5 1
GIRAUD
1
vol.
14
x
20
de
270,—
Robert. — Max Elskamp et Jean de Bosse hère. Correspondance. 1 vol. 14 x 20 de 64 p. — 1963
100 —
Jean S.J. — Essai sur la valeur exégétique du substantif dans les {< Entrevisions » et « La Chanson d'Ève » de Van
Lerberghe. 1 vol. in-8° de 303 p. — 1956
400,—
Jean S.J. — Le mot-thème dans l'exégèse
1 vol. in-8° de 108 p. — 1959
200 —
GUIETTE
GUILLAUME
GUILLAUME
Lerberghe.
de Van
Dominique. — Le fantastique dans l'œuvre
prose de Marcel Thiry. 1 vol. in-8" de 226 p. — 1981
HALLIN-BERTIN
en
360,—
Jean. — Médicinaire Liégeois du XIII' siècle et Médicinaire Namurois du XIV' (manuscrits 815 et 2700 de Darmstadt). 1 vol. in-8° de 215 p. — 1941
300,-
Paul. — Un coin de la Vie de misère. Réédition. 1 vol.
14 x 20 de 167 p. — 1942
200 —
Nicole. — Le souci de l'expression
14 x 20 de 236 p. — 1958
300,-
HAUST
HEUSY
HOUSSA
chez Colette.
1
vol.
Ouvrages publiés 94
94
« La Jeune Belgique » (et « La Jeune revue littéraire »). Tables
générales des matières, par Charles Lequeux (Introduction par
Joseph Hanse). 1 vol. in-8° de 150 p. — 1964
200,—
Francis et B R A U N Thomas. — Correspondance
(18981 9 3 7 ) . Texte établi et présenté par Daniel Laroche. Introduction de Benoît Braun. 1 vol. i n - 8 ° de 2 3 8 p. — 1 9 7 2
360,—
Jean-Marie. — Style et Archaïsme dans la Légende
d'Ulenspiegel de Charles De Coster, 2 vol. in-8°, 425 p. +
358 p., 1973
750,-
LECOCQ Albert. — Œuvre poétique. Avant-propos de Robert
Silvercruys. Images d'Auguste Donnay. Avec des textes inédits. 1 vol. in-8° de 336 p
480,—
MAES Pierre. — Georges Rodenbach (1855-1898). Ouvrage couronné par l'Académie française. 1 vol. 14 x 20 de 352 p. —
1952
420,-
JAMMES
KLINKENBERG
François. — Il y avait une fois.
1943
MARET
-
1
vol.
14
x 20 de
116
p.
180,-
Roland. — Le Tableau littéraire de la France
XVIIIesiècle.
1 vol. de 14 x 20 de 145 p. — 1972
MORTIER
au
210,—
Jeanine. — Fernand Crommelynck, textes inconnus et
peu connus, étude critique et littéraire, 332 p. in-8°, plus
iconographie — 1974
420,—
Jeanine. — Fernand Crommelynck
paroxysme. 1 vol. in-8° de 450 p. — 1978
600,—
MOULIN
MOULIN
ou le théâtre
du
Émilie. — Le premier visage de Rimbaud, nouvelle édition revue et complétée, 1 vol. 14 x 20, 335 p. — 1973
390,—
Michel. — Albert Mockel.
1 vol. in-8° de 256 p. — 1962
360,—
NOULET
Esthétique
OTTEN
du
Symbolisme.
Marcel. — Les Étrangers dans les divertissements
Cour, de Beaujoyeulx à Molière. 1 vol. in-8° de 224 p
PAQUOT
Edmond. — L'Amiral.
1939
PICARD
-
PIELTAIN
de la
300,—
Réédition. 1 vol. 14 x 20 de 95 p.
Paul. — Le Cimetière
150,marin de Paul
Valéry
(essai
d'explication et commentaire). 1 vol. in-8° de 324 p. — 1975.
450,—
Octave. — Jours de Solitude.
de 351 p. — 1932
420,-
PIRMEZ
Réédition.
1
vol. 14 x 20
Jacques. — Témoignages sur la syntaxe du verbe dans quelques parlers français de Belgique. — 1 vol. in-8° de 248 p. —
1962
300,-
REICHERT Madeleine. — Les sources allemandes des œuvres poétiques d'André Van Hasselt. 1 vol. in-8° de 248 p. — 1 9 3 3 . . . .
320,—
POHL
Ouvrages publiés
95
Paul. — Mademoiselle Vallantin. Réédition (Introduction
par Gustave Vanwelkenhuyzen). 1 vol. 14 x 20 de 216 p. —
1959
250—
Madeleine. — L'élément poétique dans «À la recherche
du Temps perdu » de Marcel Proust. 1 vol. in-8° de 213 p. —
1954
300
Hector. — Études de syntaxe descriptive. Tome I : La
conjonction « si » et l'emploi des formes verbales. 1 vol. in-8° de
200 p. — 1967. Réimpression en 1969
300,—
Tome II : La syntaxe de l'interrogation.
— 1967. Réimpression en 1969
360,—
REIDER
REMACLE
-
RENCHON
1 vol. in-8° de 284 p.
Eugène. — Impressions littéraires (Introduction par Gustave Charlier). 1 vol. 14 x 20 de 212 p. — 1957
300,—
Pierre. — Le vocabulaire professionnel du houilleur
borain. 1 vol. in-8° de 200 p. — 1953. Réédition en 1981 . . . .
320,—
Romain. — Trois adaptations de Shakespeare : Mesure
pour Mesure, Le Roi Lear, La Tempête. Introduction et
notices de Georges Sion. 1 vol. in-8° de 382 p
450,—
Pierre-Jean. — Jules
1 vol. in-8° de 420 p. - 1962
540,—
ROBIN
RUELLE
SANVIC
SCHAEFFER
Destrée.
Essai biographique.
Fernand. — Lettres à un jeune poète, publiées et commentées par Léon Kochnitzky. 1 vol. 14 x 20 de 132 p. —
1960
180,—
Arsène. — Introduction à l'histoire de l'Esthétique française (troisième édition revue et augmentée). 1 vol. in-8° de
172 p. — 1966
240 —
Introduction à l'œuvre
1 vol. in-8° de 200 p. — 1937
270 —
SEVERIN
SOREIL
SOSSET
L.L.
—
de Charles
TERRASSE Jean. — Jean-Jacques Rousseau
d'or. 1 vol. in-8° de 319 p. — 1970
De
Coster.
et la quête de l'âge
400-
Claude. — Le Jeu de l'Étoile du manuscrit de Cornillon.
1 vol. in-8° de 170 pp. — 1980
T H O M A S Paul-Lucien. — Le Vers moderne. 1 vol. in-8° de 274 p.
— 1943
THIRY
James. — En pays wallon. Réédition.
20 de 241 p. — 1935
VANDRUNNEN
1
vol.
14
300,—
300,-
x
300,—
Gustave. — Histoire d'un livre : « Un
Mâle », de Camille Lemonnier. 1 vol. 14 x 20 de 162 p. —
196 1
240,—
Gustave. — Itinéraires et portraits. Introduction par
Gustave Vanwelkenhuyzen. 1 vol. 14 x 20 de 184 p. — 1969
200,—
VANWELKENHUYZEN
VANZYPE
Ouvrages publiés 96
96
François. — Edmond Picard et le réveil des
belges (1881-1898). 1 vol. in-8° d e 100 p. — 1935
VERMEULEN
Robert. — Et la poésie fut langage.
232 p. — 1954. Réimpression en 1970
VIVIER
VIVIER
Robert. — Traditore.
1
vol.
IN-8°
de
Lettres
140,—
1 vol. 14 x 20 de
300,—
285
p. —
1960
360,—
« LA WALLONIE ». — Table générale des matières (juin 1886 à
décembre 1892) par Ch. LEQUEUX. — 1 vol. in-8° de 44 p. —
1961
9 5 , -
Léon. — La Culture en Hesbaye
de 255 p, — 1949
WARNANT
WILLAIME Élie. — Fernand Severin.
14 x 20 de 212 p. — 1941
liégeoise.
1 vol. in-8°
300,—
— Le poète et son Art. 1 vol.
Marc. — La genèse de « Meurtres » de Charles
1 vol. in-8° d e 200 p. — 1978
WYNANT
300,—
Plisnier.
250,—
Livres épuisés
Alphonse : Le Poème moral.
Roger : Maurice Maeterlinck, l'œuvre et son audience, (bibliographie).
D O N E U X G u y : Maurice Maeterlinck.
Une poésie. Une sagesse. Un homme.
D O U T R E P O N T Georges : La littérature et les médecins en France.
É T I E N N E Servais : Les Sources de « Bug-Jargal ».
FRANÇOIS Simone : Le Dandysme et Marcel Proust ( D e Brummel au Baron
de Charlus).
Lerberghe.
G U I L L A U M E Jean : La poésie de Van
G U I L L A U M E Jean : « Les Chimères » de Nerval.
HANSE Joseph : Charles De Coster.
L E J E U N E Rita : Renaut de Beaujeu. Le lai d'Ignaure ou Lai du prisonnier.
L E M O N N I E R Camille : Paysages de Belgique.
M I C H E L Louis. — Les légendes épiques carolingiennes
dans l'œuvre de Jean
d'Outremeuse.
R E M A C L E Louis : Le parler de La Gleize.
V A N W E L K E N H U Y Z E N G u s t a v e : L'influence
du naturalisme français en Belgique.
de Baudelaire .
V I V I E R Robert : L'originalité
WILMOTTE Maurice : Les origines du Roman en France.
BAYOT
BRUCHER
En outre, la plupart des communications
et articles publiés dans ce Bulletin depuis sa création existent en tirés à part.
Le présent tarif annule les précédents.
Imprimerie J. Duculot, 5800-Gembloux (Belgique). Tél. 081/61.00.61.