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Une revue catholique au tournant du siècle : Durendal 1894-1914

Une revue catholique au tournant du siècle : Durendal 1894-1914, par Françoise Chatelain 5 Ghelderode et De Coster : de Y Humble supplique à la Comète à La Balade du Grand Macabre Communication de M. André Vandegans à la séance mensuelle du 8 janvier 1983 55 À propos et au-delà des structuralismes Communication de M. Willy Bal à la séance mensuelle du 12 février 1983 74 Chronique 88 Catalogue des ouvrages publiés 90 Toutes reproductions ou adaptations d'un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie ou microfilm, réservées pour tous pays. Une revue catholique au tournant du siècle : Durendal 1894-1914 par Françoise CHATELAIN

f o n e LX1 N I ANNtt BULLETIN DE VAcadémie Royale de Langue et de Littérature Françaises Acjtkm e Rowle d e L a n g u e et d e L i t t é r a t u r e Palais des A e a d é Françaises lies BRI \F L L F S 1983 Bulletin de l'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises 1983 Tome LXI — N° 1 ANNÉE 1983 BULLETIN DE VAcadémie Royale de Langue et de Littérature Françaises Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises Palais des Académies BRUXELLES SOMMAIRE Une revue catholique au tournant du siècle : Durendal 1894-1914, par Françoise Chatelain 5 Ghelderode et De Coster : de Y Humble supplique à la Comète à La Balade du Grand Macabre Communication de M. André Vandegans à la séance mensuelle du 8 janvier 1983 55 À propos et au-delà des structuralismes Communication de M. Willy Bal à la séance mensuelle du 12 février 1983 74 Chronique 88 Catalogue des ouvrages publiés 90 Toutes reproductions ou adaptations d'un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie ou microfilm, réservées pour tous pays. Une revue catholique au tournant du siècle : Durendal 1894-1914 par Françoise CHATELAIN L'étude dont nous entamons ici la publication (la deuxième et dernière partie paraîtra dans notre prochain Bulletin) répond à l'appel de l'Académie qui souhaitait « une étude historique et critique sur la revue Durendal ». cette revue avant joué un rôle important dans la vie de nos Lettres au tournant du XX' siècle. L'étude de M"" Françoise Chatelain s'adapte heureusement, par son format, à une publication en deux tranches dans le Bulletin, ce qui lui permet d'atteindre son public sans retard. Un tiré à part réunissant les deux parties de cet ouvrage sera d'ailleurs réalisé, constituant ainsi une édition rapide que nous n 'aurions pu réaliser par la voie normale qu 'après de longs délais. Remerciements. Puissent être remerciés Messieurs R. Trousson et M. Lobet pour l'aide qu'ils ont apportée à l'élaboration de ce travail, ainsi que les membres de l'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique pour en avoir permis la publication. 6 Françoise Chatelain Introduction Lorsqu'on parcourt une histoire de la littérature belge de langue française, le chapitre consacré à cette époque particulièrement florissante, qui va de 1880 à la première guerre mondiale, frappe par l'éclosion soudaine de revues littéraires qui suivirent l'exemple de la Jeune Belgique. Dans la liste de ces revues plus ou moins éphémères, l'attention est attirée par la longévité surprenante de l'une d'elles, Durendal, revue catholique d'art et de littérature. Ce mensuel catholique parut pendant vingt ans, de 1894 à 1914, alors que la Jeune Belgique ne sortit de presse que durant seize années et que la Wallonie disparut au bout de sept ans. Quelle recette a donc permis à Durendal de garder si longtemps ses lecteurs ? Et une seconde question vient à l'esprit : à quoi pouvait bien s'intéresser une revue littéraire catholique à un moment où la littérature catholique semble inexistante ? Qui a fondé Durendal ? Quels étaient ses objectifs ? Autant de questions sur lesquelles bien peu de critiques ou d'historiens littéraires se sont penchés. En faut-il davantage pour désirer examiner avec un peu d'attention cette revue et la sortir de l'oubli, comme ce fut fait autrefois pour la Jeune Belgique et la Wallonie ? C'est ce que nous allons essayer de faire : rechercher les origines de la revue, découvrir son but, analyser la manière dont elle l'atteignit et les raisons qui la maintinrent en vie audelà de la durée moyenne d'existence des revues littéraires belges. Ce travail ne se veut pas exhaustif : beaucoup d'aspects devront malheureusement rester ignorés, principalement certains problèmes plus particulièrement artistiques qui sortent de nos compétences par leur caractère trop technique. Nous ne proposerons pas non plus, dans chaque chapitre, un relevé détaillé de tous les articles parus dans Durendal et traitant du sujet mais seulement les extraits les plus significatifs. La présentation typographique de la revue, son illustration de plus en plus abondante et le sommaire de chaque numéro Une revue catholique au tournant du siècle 7 ne nous paraissent pas mériter de longs développements. Il suffit de savoir qu'en 1894 chaque numéro comptait vingt pages, tandis que ce nombre était passé à soixante en 1914. Le contexte historique Il importe avant toute chose de définir le climat politique dans lequel allait se développer Durendal et, pour cela, il faut remonter à une année cruciale pour le parti catholique (et aussi pour la vie politique belge en général) : 1888. 1. Le parti catholique à partir de 1888 En cette année lourde d'agitations ouvrières, les catholiques sont au pouvoir dans le gouvernement Beernaert ; mais déjà la division s'est installée en son sein : en face de l'aile ultra-conservatrice de Charles Woeste, se développe une minorité démocrate. Quant à l'opposition, elle réunit libéraux et socialistes. Les difficultés auxquelles Beernaert doit faire face sont nombreuses : son parti, anti-militariste, s'oppose au service militaire personnel que certains souhaiteraient voir instauré en Belgique ; les Flamands réclament davantage de droits et des projets de loi ont d'ailleurs été déposés en leur faveur. Mais le problème le plus urgent est certainement celui d'une réforme électorale que tout rend nécessaire. Tâche ardue à laquelle Beernaert va s'atteler sans plus tarder. Quelles solutions s'offrent à lui ? Les socialistes et certains libéraux demandent purement et simplement le suffrage universel ; Woeste y est résolument opposé. En 1890 enfin, une première proposition est soumise aux parlementaires. C'est le roi qui l'a formulée : il s'agirait du suffrage censitaire, à l'application duquel on joindrait différentes réformes propres à accroître le pouvoir royal : création d'une police d'Etat émanant directement du pouvoir central, renforcement du Sénat dans un sens conservateur, droit de référendum accordé au roi. 8 Françoise Chatelain Cette proposition se heurte au veto catégorique de Woeste et des cercles catholiques : pris entre le roi et son parti, Beernaert propose un autre type de scrutin, proche du système électoral anglais : 450 000 électeurs. La droite refuse d'abord, hésite, tergiverse... Finalement, malgré l'opposition de Woeste, elle se résigne et accepte. On croit la question réglée mais il n'en est rien. En 1892, Janson réclame à nouveau le suffrage universel; en mai, la revision des articles 47 (sur le droit de suffrage), 26 (à propos du référendum royal) et 48 (sur la représentation des minorités) est décidée malgré de nouvelles difficultés. Plusieurs suggestions sont alors avancées : la droite défend le vote rural, basé sur l'habitation, les libéraux doctrinaires se prononcent pour un vote basé sur le capacitariat et le cens de dix francs ; quant aux radicaux, ils réclament à nouveau le suffrage universel. Le gouvernement, après avoir tenté une alliance avec les libéraux doctrinaires et essuyé un échec, essaie de s'entendre avec les radicaux et propose le suffrage plural, tout en repoussant une autre proposition des libéraux doctrinaires : le vote plural selon les études. Woeste dont la position s'était, on se le rappelle, écartée de celle du gouvernement, se rapproche alors des libéraux doctrinaires. Mais toutes les propositions sont repoussées, tandis que l'antagonisme entre Woeste et Beernaert s'accentue et que la population s'agite de plus en plus. Craignant dès lors que le contrôle du mouvement ne leur échappe et que l'appui des radicaux ne leur fasse défaut, les chefs du P.O.B. (Parti Ouvrier Belge) se prononcent pour le vote plural. Le lendemain, 18 avril 1893, la droite cède également et le suffrage universel plural basé sur la famille, l'instruction et le capital est adopté ; le vote est rendu obligatoire, le référendum royal est repoussé. C'est la paix, semble-t-il. Une trêve bien précaire en réalité puisque, dès l'année suivante, une nouvelle difficulté surgit : la représentation proportionnelle. Dans le même temps, les divergences entre Woeste et Beernaert aboutissent à la démission de ce dernier : on va vers de nouvelles élections au lendemain desquelles on pourra juger des retombées du suffrage univer- Une revue catholique au tournant du siècle 9 sel. Le nombre des électeurs est en effet passé de 137 772 à 1 381 000. Les catholiques sortent grands vainqueurs du scrutin et remportent 104 sièges. Leur programme est nouveau : orthodoxie religieuse et respect de la liberté constitutionnelle bien sûr, mais aussi liberté de l'enseignement, une certaine forme de décentralisation et une politique sociale dont le but déclaré est de barrer la voie aux socialistes. On voit aussi naître un groupe démocrate-chrétien, alors que le parti est de plus en plus miné par l'opposition entre l'immobilisme de Woeste et les idées démocratiques de la jeune génération. Un nouveau parti dissident se crée même, à l'initiative de deux prêtres qui combattent les idées de Woeste, mais ce groupement sera vite condamné. Les libéraux — les grands vaincus — ne conservent que 14 sièges. Bien qu'ils s'adressent toujours à la même clientèle et s'opposent toujours à l'intervention de l'Etat dans les relations entre le capital et le travail, ils soutiennent désormais le suffrage universel pur et simple et envisagent une réforme de l'armée (ce que refusent absolument les catholiques). Les nouveaux chefs sont progressistes et semblent se rapprocher des socialistes ; rien de très étonnant dès lors si l'on voit de vieux libéraux provinciaux quitter les rangs de leur parti pour rejoindre les catholiques. Les socialistes enfin remportent 34 sièges, essentiellement en Wallonie et deviennent ainsi une force politique avec laquelle il va falloir désormais compter. Ils proposent un vaste programme politique et social. Avec le suffrage universel, voici donc la carte politique de la Belgique totalement remaniée : jusqu'ici les deux partis « traditionnels » s'étaient succédé plus ou moins régulièrement à la tête du pays ; il n'allait plus en être de même. Les élections de 1894 laissaient en effet le parti libéral en totale perdition; quant aux catholiques, ils se devaient de remédier au plus vite aux dissensions internes susceptibles de les affaiblir au moment où ils allaient devoir se réorganiser pour faire face aux nouvelles circonstances politiques et résister à la montée du socialisme. 10 Françoise Chatelain 2. Naissance de la Jeune Droite Longtemps catholiques et libéraux n'étaient pas intervenus en matière sociale, mais à la suite de la crise de 1884-1885 et des grandes émeutes de 1886, le parti catholique au pouvoir fut amené à prendre en considération la situation et les revendications du prolétariat. Le discours du trône de 1886 — sous le gouvernement Beernaert — présentait l'Etat comme le protecteur de l'ouvrier ; il fut suivi de diverses lois qui réglementaient les rapports entre ouvriers et patronat (1887: prescriptions légales minimum en ce qui concernait le paiement des salaires ; 1889: réglementation du travail des femmes et des enfants, création de conseils de prud'hommes, de sociétés d'habitations ouvrières, de comités de patronage, ...). Le mouvement démocrate-chrétien, qui se préparait à l'action depuis 1879, profita de cette occasion qui lui était offerte de se développer. Voici les trois congrès de Liège en 1886, 1887 et 1890, celui de Malines en 1891, où tous demandent l'effacement du paternalisme, souhaitent la création de corporations, réclament des associations telles que coopératives, mutualités, caisses d'épargne, syndicats. Malheureusement pour eux, toutes ces revendications sont battues en brèche par les conservateurs de Woeste lui-même qui réussit même à faire intervenir le Pape pour modérer les mouvements démocrates-chrétiens. Jusqu'en 1891, le catholicisme social reste l'affaire d'individus qui professent une doctrine chrétienne parmi d'autres. Mais Rerum Novarum va renverser la situation en faisant de cette option la doctrine officielle de l'Eglise : il n'est plus question que les conservateurs discutent, sinon des modalités d'application. Mais penchons-nous davantage sur ce mouvement. Ses artisans ? des prêtres et des laïcs d'une trentaine d'années, parfois moins (ce qui explique l'épithète Jeune Droite), réunis dans la Ligue démocratique belge. Leur inspiration ? les théologiens du Moyen Age — Saint Thomas d'Aquin en tête — mais aussi des précurseurs belges, Une revue catholique au tournant du siècle 11 comme Ducpétiaux, et étrangers, comme Ketteler, le socialisme naissant enfin. Le mouvement se base sur la religion catholique romaine : l'organisation de la société moderne menaçant le salut d'une grande partie de la population, il importe, en s'inspirant de la charte de justice sociale qu'est l'Evangile, d'améliorer le sort des petits pour restaurer le règne du Christ. Dès lors s'élaborent les principes de la Société : le régime existant exploite l'homme puisqu'une grosse part des profits va à une partie minime de la population. L'ouvrier, démoralisé, sans défense, laïcisé, aboutit à la lutte des classes. N o u s voulons, dit Henri Carton de Wiart, que tout h o m m e qui travaille puisse gagner son pain dans des conditions qui satisfassent à ses nécessités tant physiques que morales, à sa dignité, et l'aident à accomplir sa destinée dans cette vie et dans l'autre. N o u s voulons cela pour tout h o m m e et en particulier pour l'ouvrier Dans cette promotion sociale, le rôle de l'Etat est de diriger la société publique et de promouvoir le bien commun. Chaque citoyen a droit à une justice triple : sociale, distributive et commutative. Dès lors il faut une législation sociale qui organise la propriété, le travail, les associations, le marché. Le non-propriétaire a droit au minimum des biens matériels nécessaires à son bien-être et, s'il se trouve dans une carence excessive, il a le droit de s'approprier le bien d'autrui. La source de la propriété est le travail qui a droit de primauté, lorsqu'il s'agit de partager les biens produits. Pour appliquer les théories du mouvement, une réforme politique est nécessaire ; elle devra se baser sur la maxime suivante : « le peuple transfère la puissance publique à ses représentants par voie de suffrage universel. » Les démocrates chrétiens s'opposent donc au système du remplacement devant les charges militaires et, bien qu'ils restent anti-militaristes, ils sont prêts à défendre leur patrie. I. CARTON DE WIART H., L'action politique des démocrates chrétiens, Bruxelles, 1895, p. 12, cité par REZSOHAZY R . , Origines et formation du catholicisme social en Belgique, 1842-1909, p. 176. 12 Françoise Chatelain Il est évident que conservateurs de Woeste et jeunes démocrates-chrétiens (Carton de Wiart, Renkin, ...) ne peuvent s'entendre ; c'est donc l'affrontement sur tous les terrains : électoral, religieux, juridique ; d'autant plus que la minorité de membres de la Jeune Droite favorable au suffrage universel pur et simple n'hésite pas à faire cause commune avec les socialistes (mais peut-on s'en étonner après avoir lu leur programme ?) et que l'on voit Henri Carton de Wiart haranguer la foule aux côtés des tribuns socialistes. Le premier député démocrate-ehrétien entre enfin à la Chambre en 1892, c'est Alphonse Nothomb. Les premières réalisations viennent ensuite: en 1895, c'est la création du Ministère du Travail, en 1896, les règlements d'atelier, en 1897, la fondation de l'Inspection des Mines, en 1898, la personnification civile des unions professionnelles, en 1903, des garanties contre les accidents de travail. Le repos dominical est reconnu en 1905 ; enfin en 1908, c'est un cabinet « Jeune Droite » majoritaire qui s'installe au pouvoir. Mais avant d'en arriver là, combien de heurts, de désaveux entre les deux conceptions du parti catholique ! LES DEBUTS D'UNE JEUNE REVUE 1. La genèse de Durendal Le Congrès de Malines en 1891 C'est en 1891, après l'encyclique Rerum Novarum, que la jeune démocratie chrétienne belge s'organise réellement au cours du fameux Congrès de Malines. Alors que le mouvement se penche avec fièvre sur les problèmes de la classe ouvrière, quelques jeunes osent aborder un sujet jusque là bien déprécié dans le monde catholique belge : la littérature, qui s'éveillait enfin dans notre pays. De même qu'elles consacrent l'éveil social du pays, les années 1880 marquent l'éclosion de la littérature belge que Une revue catholique au tournant du siècle 13 même l'exemple de Charles De Coster n'avait pu réellement faire sortir de sa léthargie. Cette naissance était l'œuvre des revues littéraires : le premier, Edmond Picard fonda YArt Moderne qui prônait l'art social ; puis, en 1881, Max Waller prit la direction de la Jeune Belgique. La revue se rangea immédiatement sous l'étendard de l'Art pour l'Art qu'elle ne devait jamais renier et s'éleva contre l'académisme et l'utilitarisme de Picard. Entre les deux voies, offertes à cette époque, à la littérature (l'Art pour l'Art et le naturalisme), les écrivains catholiques belges ne trouvaient guère leur place. La doctrine chrétienne s'opposait au positivisme sur lequel s'appuyaient les deux théories littéraires mais leur critique ne leur proposait, semblait-il, aucune autre esthétique capable de rivaliser avec celles des mouvements réprouvés. De leur côté, les revues catholiques affichaient un certain mépris pour la littérature et lorsqu'elles daignaient s'y intéresser, c'était pour soutenir des formules esthétiques périmées, désespérément fidèles aux canons classiques de Boileau. L'évolution des tendances littéraires en France allait cependant amener, dans ces milieux, un regain d'intérêt pour la littérature. Vers 1885, la réaction s'organise contre les excès du naturalisme et la froideur du Parnasse. Elle se tourne davantage vers l'occultisme, le romantisme allemand et Wagner ; ses écrivains aspirent à un idéal assez flou et qu'incarnent bien les théories préraphaélites, décadentes et symbolistes. Jusqu'au moment où ce genre d'évasion devient insuffisant pour rassasier la soif d'absolu de certains artistes qui, en se convertissant, franchissent le pas qui séparait le culte de la beauté pure et le catholicisme où Dieu est beauté suprême. Chez nous, c'est en 1890 qu'un groupe de jeunes catholiques (Firmin Vanden Bosch, Henry Carton de Wiart, Maurice Dullaert et Pol Demade) commence à s'intéresser aux nouvelles esthétiques littéraires et manifeste le désir de rajeunir la littérature catholique farcie des « bondieuseries des pions rétrogrades et indécrottables » (selon l'expression de F. Vanden Bosch). C'est surtout vers l'Art pour l'Art qu'ils vont se tourner, juste hommage à leur aînée, la Jeune Belgique. Le 15 octobre 1890, 14 Françoise Chatelain le Magasin Littéraire accueille les jeunes réformateurs : F, Vanden Bosch ose y faire l'éloge de Max Waller, dans ce qu'on considère généralement comme « un des premiers manifestes de la Jeune Belgique catholique » 2. Vanden Bosch et ses amis n'adhèrent cependant pas sans réserves à la doctrine de la revue de Waller : ils n'accepteront de suivre la voie du modernisme que dans la mesure où celuici s'accordera avec leur foi et leur morale : N o u s souscrivions de tout notre enthousiasme à l'œuvre de libération intellectuelle entreprise par Max Waller et ses compagnons, mais nous nous refusions à admettre la subordination dans laquelle la Jeune Belgique prétendait placer le d o g m e et la morale vis-à-vis de l'Art décrété souverain. Et nous f î m e s nôtre la fière devise « amendée » de la Jeune Belgique : « ne crains fors Dieu ! » 3. Cette prise de position nette engagea Vanden Bosch dans une polémique avec Charles Tilman, le critique de la Revue Générale et déclencha une petite guerre dans les milieux catholiques conservateurs auxquels la revue était attachée, et qui avaient condamné la Jeune Belgique dont les « campagnes tapageuses et provocantes troublaient la quiétude bourgeoise » 4, et l'Art pour l'Art, considéré comme une dangereuse nouveauté. On avait d'ailleurs sévèrement mis en garde la jeunesse catholique contre ces hérésies. Cependant le ralliement du Magasin Littéraire indiquait suffisamment l'importance prise par ce mouvement d'insurgés. Il était donc nécessaire que les autorités catholiques statuent sur ce problème. L'occasion leur en fut donnée en 1891, au Congrès de Malines. Dès l'ouverture des débats à la Section Littéraire du Congrès, Léon De Monge, « chargé de mettre au pas la génération catholique nouvelle en flirt compromettant avec la Jeune Belgique » 5 fit son rapport ; mais laissons parler Vanden Bosch : 2. GILSOUL R„ La Théorie de l'Art pour l'Art, p. 360. 3. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran du passé, p. 23. 4. VANDEN BOSCH F., Ceux que j'ai connus, p. 93. 5. V A N D E N BOSCH., lbid., p. 1 0 4 . Une revue catholique au tournant du siècle 15 il fonça avec une ardeur agressive sur la théorie de l'Art pour l'Art qui était le substratum du m o u v e m e n t de la Jeune Belgique, mit en garde le groupe des « j e u n e s catholiques >> contre des complaisances équivoques en faveur de cette théorie et de ce mouvement, et formula in terminis, la motion suivante : « Il importe de désavouer hautement les écrivains qui se disent catholiques et nous compromettent et nous déshonorent » 6 . Godefroid Kurth, président de la Section littéraire, se chargea de répondre à l'accusateur et fit remarquer le danger et l'injustice de cette condamnation sans nuances. « Et on ne parla plus de l'Art pour l'Art 7 ». Dans la suite du débat, les Jeunes Catholiques réussirent à faire admettre leurs positions : enfants de l'Eglise, nous nous déclarions filialement soumis à ses d o g m e s et à sa morale : mais déniant à qui que ce fût le droit de créer des « syllabus artistiques », nous affirmions nettement notre admiration et notre sympathie pour la renaissance littéraire, éclose sur le sol belge, et dont nous ne voulions pas qu'elle se passât en dehors de l'idée catholique afin qu'elle ne se fît pas contre elle 8 . Les jeunes employèrent quelques arguments de choc pour faire approuver leur thèse et invoquèrent le ralliement de l'Eglise à la République Française, conseillé par Léon XIII, pour demander la reconnaissance de toutes les littératures. L'approbation de la Section littéraire du Congrès de Malines permit aux Jeunes Catholiques d'acquérir un statut officiel dans le monde catholique belge. Le résultat du Congrès de Malines de 1891, au point de vue littéraire, fut de restituer aux catholiques la conscience de leur mission, de raviver en eux le culte agissant d'une grande tradition et de doter le mouvement naissant d'une « s o m m e » d'idées, vivantes et généreuses, au moyen de laquelle des jeunes hommes, fils de l'enseignement catholique et imprégnés de son esprit, allaient participer avec une activité rayonnante à la Renaissance esthétique du pays 9 . Le 15 octobre 1891, ils étaient officiellement accueillis par le Magasin Littéraire. 6. V A N D E N BOSCH F., Ibid.. pp. 107-108. 7. V A N D E N BOSCH F . , Ibid.. p. 108. 8 . V A N D E N BOSCH F . , Ibid.. p. 9. V A N D E N BOSCH F . , Ibid., p. 1 1 1 . 108. Françoise Chatelain 16 Une revue littéraire catholique française accueille de nouveaux convertis Il importe de désavouer hautement les écrivains qui se disent catholiques et nous compromettent et nous d é s h o n o r e n t 1 0 . Qui sont-ils donc ? Quelques écrivains français récemment convertis au catholicisme : Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'IsleAdam, Paul Verlaine et Léon Bloy, que les Jeunes Catholiques revendiquaient comme maîtres et « répondants de leurs initiatives de renouveau » " . Ce phénomène de la conversion d'écrivains est caractéristique de l'histoire littéraire en cette fin du XIX e siècle : comme nous l'avions déjà mentionné brièvement, dégoûtés du naturalisme et du positivisme, bon nombre d'artistes se tournèrent vers un idéal qu'ils tentèrent d'exprimer dans le symbolisme ; mais certains d'entre eux, insatisfaits, cherchèrent leur absolu dans la foi et le catholicisme. Barbey d'Aurevilly s'est converti dès 1855 ; il oppose au réalisme et au naturalisme, la réalité qui, pour être complète, a besoin de spiritualité. Celle-ci prend cependant une curieuse direction : Barbey d'Aurevilly montre, dans ses œuvres, des êtres sataniques qui s'efforcent d'entraîner les héros dans des crimes odieux et rares. Le catholicisme de Villiers de l'Isle-Adam n'est guère plus rassurant : dans ses Contes cruels en 1883 et, plus encore dans ses Nouveaux contes cruels en 1888, inspirés de Poe et des romantiques allemands, il peint un monde étrange, inquiétant et morbide ; son spiritualisme est un mélange de surnaturel catholique et d'occultisme. Ami de Mallarmé et de Verlaine, il s'adonna également au théâtre symboliste. Lorsque les Jeunes Catholiques parlent de Verlaine, ils font toujours allusion au poète de la Bonne Chanson de 1870 et surtout au converti de 1874 qui se montre pénétré de christianisme et écrit Sagesse en 1880 où il évoque le mystère de l'âme et les conflits entre le bien et le mal. 10. V A N D E N BOSCH F . , Ibid., p. 108. U. p. 110. V A N D E N BOSCH F . , Ibid., Une revue catholique au tournant du siècle 17 Enfin, dernière figure de ce «brelan d'excommuniés» 1 2 , Léon Bloy, républicain anticlérical qui se convertit en 1869, à l'âge de vingt-trois ans, sous l'influence de Barbey d'Aurevilly. Il se lance alors dans le catholicisme militant en tant qu'exégète, journaliste et romancier. C'est un catholique illuminé, symboliste et prophétique. En résumé, ces maîtres à penser de la Jeune Belgique Catholique s'opposaient radicalement au naturalisme et au positivisme, ils fréquentaient les cercles symbolistes et admiraient Baudelaire. Tandis qu' ils donnaient volontiers dans les extrêmes que ce soit en politique ou dans l'interprétation des dogmes. Ils mettaient l'accent sur les traits de foi catholique qui rebutent le plus l'incroyant ; par réaction contre la sentimentalité de la masse des croyants, ils montraient le christianisme tel qu'ils l'avaient, eux, découvert : âpre, vigoureux ; se sentant en petite minorité, non seulement par rapport à l'ensemble du pays, mais parmi les coreligionnaires, ils cherchaient de préférence ce qui les différenciait et les séparait des autres, refusant tout terrain d'entente l 3 . Il ne faut pas s'étonner de la méfiance, du scandale même, soulevés, dans les milieux conservateurs catholiques, par la revendication d'un tel patronage par les Jeunes Catholiques belges. Le débat qu'ils menèrent pour la réhabilitation de leurs maîtres admirés, préluda à une reconnaissance générale des écrivains convertis, en Belgique. La gloire de Barbey d'Aurevilly, de Villiers de l'Isle-Adam, d'Ernest Hello et de Paul Verlaine, doit d'ailleurs beaucoup de son rayonnement en Belgique au groupe des « Jeunes Catholiques » et à leur obstination enthousiaste à hisser ces grands noms devant l'opinion c o m m e des étendards 14 . Si les Jeunes Catholiques hésitaient sur l'action à mener pour défendre maîtres et disciples, la voie leur fut bientôt tracée par Paris. Le 25 janvier 1892, paraît le premier numéro du Saint-Graal « revue catholique, idéaliste, mystique et wagnérienne » dont les rédacteurs en chef, E. Signoret et L. Le Car12. V A N D E N BOSCH F . , Ibid., 13. GRIFFITHS R., Révolution p. 1 1 1 . à rebours, p. 17. du passé, p. 22. 14. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran 18 Françoise Chatelain donnel (nous reparlerons de celui-ci), ont respectivement vingt et trente ans. Verlaine s'extasie : Bien ! Très bien ! Le Saint-Graal, quel nom, quel n o m ! D o u b l e signification : faîte de l'art moderne, sommet du Vrai éternel. SaintGraal, Sang réel, le sang du Christ dans l'or incandescent, SaintGraal, Lohengrin, Parsifal, la manifestation triomphale et triomphante de la plus sublime musique, de l'effort poétique peut-être définitif de ces temps-ci IS . Le numéro 9 d'août et septembre publie la longue liste des collaborateurs de la revue (Les quarante chevaliers du SaintGraal) parmi lesquels on relèvera les noms de Léon Bloy, Verlaine, Moréas, Stuart Merrill, Tolstoï, Anatole France, Maeterlinck, Maurras... Quel exemple pour nos jeunes qui, sous la tutelle d'Herman de Boets, se sentaient de plus en plus à l'étroit dans les colonnes du Magasin Littéraire et ne pouvaient donner à leur programme toute l'ampleur souhaitable : Déblayer d'abord, créer ensuite ; rien ne sert de lancer des livres : ils sombreraient dans l'indifférence. Ce qui importe, c'est d'ouvrir la route, de la désencombrer des idoles qui l'obstruent, de l'indifférence qui l'embroussaille, et d'amorcer la jeunesse vers un idéal dont les routines ne voilent plus l'éclat ; l'éternité des principes dans l'évolution des formes ; et, au service d e cet idéal, de l'enthousiasme, de l'indépendance, voire m ê m e de l'insolence ! ". Le groupe (Firmin Vanden Bosch, Henry Carton de Wiart et Maurice Dullaert) décida donc de voler de ses propres ailes ; en octobre 1892, Le Drapeau, « organe de combat », était fondé à Gand sous la direction de F. Vanden Bosch. Il rallia très vite à sa cause de jeunes écrivains, dont Georges Virrès et Pol Demade. Le Drapeau Les prises de position du Drapeau sont très nettes : son programme commence par un salut à la Jeune Belgique (qu'il 15. Cité par.GuiCHARD L., La musique et les lettres en France au temps du wagnérisme, p. 69. 16. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran du passé, p. 19. Une revue catholique au tournant du siècle 19 suivra jusque dans ses haines). La nouvelle revue se déclare opposée à tout académisme, se place à nouveau sous la protection du Pape Léon XIII (sage précaution dans le climat de discorde qui baigne les dernières années du siècle pour les catholiques) et définit ses objectifs : Hâter, dans la modeste mesure de son apostolat, hâter cette œuvre libératrice, convaincre la jeunesse que le passé, si glorieux soit-il, a toujours l'inconvénient d'être le passé ; qu'être de son é p o q u e est, m ê m e en littérature, la meilleure façon et la plus pratique d'être catholique ; lui persuader que la « tristesse des temps présents », « la perversité du siècle », « la décadence de l'art » sont de vaines balivernes qu'il faut laisser aux manuels de style ; lui répéter, avec Monseigneur Ireland, que « la réaction est le rêve d'hommes assis aux portes des cimetières, pleurant sur des tombes qui ne se rouvriront pas » ; lui prouver que catholiques et modernistes sont deux adjectifs qui ne s'excluent point — tel est le but du Drapeau Dans la pratique, il n'y a qu'un moyen d'arriver à cette fin (c'est la grande idée de Vanden Bosch et du jeune mouvement) : réformer l'enseignement catholique. Par ailleurs, la jeune revue va adopter son ton personnel, la polémique : ... la tactique de la persuasion n'avait aucune chance de réussir : on eût vite fait de nous renvoyer à notre inexpérience ! La seule m é t h o d e efficace était d e v é h é m e n c e et d'ironie. Je pris sur moi d'appliquer cette méthode, et j e le fis, avec la plus joyeuse férocité 1 8 . Mais le Drapeau n'est pas seulement une entreprise de démolition : dès le premier numéro, Pol Demade se prononce pour une nouvelle théorie du roman chrétien sous les auspices de Barbey d'Aurevilly ; il réclame, au nom de la vie, le droit, pour les romanciers chrétiens, de peindre la passion. Il présente le refus de toute passion comme une marque de jansénisme de la part de ses coreligionnaires. Et pour mettre ses principes en application, il publie, en 1892, Ame Princesse, roman qui peut être considéré comme la première réalisation concrète de la nouvelle école. 17. V A N D E N BOSCH F . , « Notre programme », dans Le Drapeau, nov. p. 2. 18. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran du passé, p. 24. 1982, I 20 Françoise Chatelain La Jeune Belgique accueillit tout d'abord avec intérêt sa cadette mais en janvier 1893, elle émit, au nom de l'Art pour l'Art, de nettes réserves sur le programme du Drapeau : ... les nouvelles recrues littéraires ont relevé les tristes drapeaux que nous avions foulés aux pieds : la Revue Rouge s'inféode à l'art social-démocratique, l'Avenir Social et le Drapeau prêchent l'art social-chrétien. D e part et d'autre c'est l'utilitarisme substitué à l'art pur. Certes on comprend que chaque parti cherche à attirer des écrivains et à les charger de la défense de son programme, mais l'artiste qui cède à cet appel, qui asservit son art à une doctrine, qui met un intérêt de propagande à la place du culte supérieur de la beauté, celui-là verra son labeur choir de chute en chute car il sacrifiera de plus en plus sa foi esthétique affaiblie à ses convictions philosophiques, morales ou politiques l 9 . On l'imagine bien, le fougueux rédacteur en chef du Drapeau n'allait pas laisser passer une telle occasion de croiser le fer. Il répondit donc à la revue qui mettait en cause les intentions de son périodique et la Jeune Belgique se vit obligée de faire officiellement machine arrière. Voilà de nouveau les Jeunes Catholiques engagés sur le terrain périlleux de l'Art pour l'Art, dont le sort n'avait pu être réglé au Congrès de Malines. Les conservateurs reprirent très vite le débat (on peut d'ailleurs se demander si ce débat littéraire n'était pas une sournoise tentative de sape du mouvement démocrate-chrétien, puisque les rédacteurs du Drapeau étaient les leaders de ce mouvement). En 1893, Mg Cartuyvels condamnait une nouvelle fois la doctrine poétique de la Jeune Belgique et des Jeunes Catholiques. Aussitôt, Firmin Vanden Bosch répliqua : la discussion menaçait de s'éterniser et prenait une ampleur considérable. Mg Mercier proposa alors une solution de conciliation en définissant, à sa manière, l'Art pour l'Art : Q u e penser dès lors de la formule l'Art pour l'Art ? Prise au pied de la lettre cette formule n'a pas de sens. Dire qu'un m o y e n a sa raison d'être en lui-même, qu'un moyen est pour lui-même et non pour le but par rapport auquel il est le moyen, c'est ne pas s'entendre soi-même. Aussi n'est-ce pas là le sens de la formule 19. La Jeune Belgique, janvier 1893, p. 8. Une revue catholique au tournant du siècle 21 d'ailleurs peu heureuse de l'Art pour l'Art. Ceux qui la préconisent veulent dire que l'art n'a pas de fin extrinsèque à poursuivre. Il ne doit pas servir des buts utilitaires ou professionnels, c o m m e un vulgaire métier, mais doit être désintéressé. Sa fin intrinsèque, la seule digne de lui, c'est le beau, la conception et l'expression du beau ; elle exprime en des termes concis la noble mission de l'Art 2 0 . La direction du Drapeau pouvait considérer qu'elle avait remporté une victoire importante. La petite revue catholique, à peine née, était destinée à s'éteindre puisque les portes de la réaction, qu'elle était chargée d'enfoncer, étaient entrebâillées. Laissons le rédacteur en chef tourner la première page du renouveau catholique en Belgique : En novembre 1893, l'œuvre de « déblaiement » — et, si vous voulez, l'entreprise de démolition — que le Drapeau s'assigna c o m m e but était accomplie ; à une revue de combat allait succéder une revue d'oeuvres, Durendal21. 2. Le comité de rédaction de Durendal La couverture du premier numéro de Durendal nous propose la liste de ses fondateurs, parmi lesquels deux noms connus : Henry Carton de Wiart et Pol Demande — qui, on s'en souviendra, participèrent activement aux premiers combats de la jeunesse littéraire catholique et du mouvement démocratechrétien ; mais on voit aussi apparaître un nouveau nom, celui de l'abbé Henry Moeller. Henry Carton de Wiart s'était illustré aux côtés de Maurice Dullaert et de Firmin Vanden Bosch au Congrès de Malines de 1891, alors qu'il n'était âgé que de vingt-deux ans. Il ne s'était pas contenté de participer aux débats de la Section des Lettres, mais avait également siégé à la Section des œuvres sociales. Avocat et député, Carton de Wiart mena de front des carrières politique et littéraire. Il prit nettement parti pour le progrès social et défendit les droits des travailleurs. 20. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran 2 1 . V A N D E N BOSCH F . , Ibid., p. 36. du passé, p. 36. 22 Françoise Chatelain Tout en maintenant un fossé entre les socialistes et le groupe qu'il avait fondé — la Justice Sociale —, il n'hésita pas à participer, avec ses ennemis politiques, à des meetings en faveur du suffrage universel. Henry Carton de Wiart avait débuté en littérature avec des Contes Hétéroclites en 1891, où, dans un style fin et délicat à la manière de Barbey d'Aurevilly, il défendait ses positions démocratiques. La doctrine romanesque du jeune écrivain était très nette : Pour moi, s'il s'agit des œuvres d'imagination, je ne comprends pas mieux le roman qui se veut chrétien que celui dont toute inspiration religieuse ou sociale serait systématiquement bannie au nom de la fausse idée claire de l'Art pour l'Art. A v e c cet exquis écrivain que fut R e n é Bazin, je crois qu'il n'y a pas, à proprement parler, de roman catholique, mais je constate qu'il y a, Dieu merci ! des romans écrits par des catholiques, c'est-à-dire par des écrivains pour qui le p h é n o m è n e spirituel existe. Ils se distinguent peut-être des autres romans en ceci que le bien s'y n o m m e le bien et que le mal s'y n o m m e le mal. Pour le surplus, je tiens qu'un écrivain, — je parle d'un écrivain d'imagination, non d'un polémiste, — ne doit nullement s'assigner pour devoir un parti pris d'édification ou de prédication. Rien de ce qui est humain ne lui est étranger 2 2 . Egratignure à l'Art pour l'Art... déjà ! De six ans l'aîné du député, Pol Demade était médecin et avait participé au comité de rédaction du Drapeau. Pendant ses études à Paris, il avait rencontré Barbey d'Aurevilly et Maurice Barrés, ses maîtres. Il s'attira cependant l'opposition violente de Barrés lorsqu'il défendit le droit pour les romanciers catholiques de peindre la passion et composa Ame Princesse dont nous avons parlé plus haut. Œuvre littéraire bien modeste que celle de Demade : ce seul roman et quelques recueils de nouvelles puis, l'âge venant, de la littérature médicale. Il fut le directeur effectif de la nouvelle revue de 1894 à 1897, date à laquelle l'abbé Moeller prit, seul, la tête de Durendal. Si la participation de ces deux hommes fut réelle et fréquente dans les premiers numéros de la revue, leur signature ne devait plus apparaître qu'assez épisodiquement dans la suite. 2 2 . C A R T O N DE W I A R T H . , Souvenirs littéraires, pp. 41-42. Une revue catholique au tournant du siècle 23 Mais la véritable cheville ouvrière de Durendal, ce fut l'abbé Moeller qui en tint les rênes à partir de 1897 jusqu'au dernier numéro, celui de juillet 1914. Il importe donc de s'arrêter un instant sur sa vie et sa carrière. Henry Moeller était né à Louvain le 17 juillet 1852, d'une famille qui comptait déjà quelques célébrités : le père du futur abbé, Jean Moeller, était professeur d'histoire à l'Université de Louvain et y avait fondé le Cercle l'Emulation que fréquentèrent plus tard Max Waller, Albert Giraud, Iwan Gilkin, Emile Verhaeren et quelques autres. Son grand-père paternel, philosophe Scandinave, avait été un adepte de l'école d'Iéna avant de se convertir au catholicisme ; l'autre aïeul du jeune Moeller, bavarois et luthérien, avait été connu comme écrivain pour la jeunesse sous le nom de Griinewald et avait lui aussi abjuré la foi protestante pour se tourner vers le catholicisme. Le jeune homme entreprend tout d'abord une candidature en Philosophie et Lettres à l'Université de Louvain ; mais il interrompt assez vite ses études pour se consacrer à la vie monastique ; cette expérience le satisfaisant sans doute peu, il quitte temporairement le couvent, y retourne quelque temps après pour enfin abandonner définitivement cette voie. On le retrouve finalement étudiant en Théologie et condisciple du futur Cardinal Mercier. Ordonné prêtre à Malines en 1877, il est nommé chapelain auxiliaire à Bruxelles. Toutefois il possède peu d'aptitudes pour le ministère paroissial. Attiré davantage par la littérature et le combat démocrate-chrétien, l'abbé Moeller débute dans le journalisme comme polémiste au Drapeau et adhère au Cercle Léon XIII, fondé immédiatement après la publication de Rerum Novarum ; il participe désormais aux campagnes de la Jeune Droite aux côtés d'Henry Carton de Wiart. C'est alors qu'il est nommé aumônier sans charge d'âmes auprès d'une maison d'éducation des Dames du Sacré-Cœur, sinécure qui lui procure les moyens de vivre sans le distraire de ses nouvelles activités de directeur de revue. La Grande Guerre suspendit la publication de Durendal et dispersa les amis de l'abbé Moeller ; seul, inactif, impuissant au milieu de cette guerre qui se prolongeait, il sombra peu à peu 24 Françoise Chatelain dans la dépression ; il s'alita en août 1918 et cessa bientôt de se nourrir ; il meurt le 17 septembre 1918, âgé de 66 ans et emportant avec lui « sa » revue Durendal. Georges Rency 23 et Henry Carton de Wiart 2 4 nous le présentent comme un petit homme mince et vif, passablement anti-conformiste et tolérant. Pour lui, « la beauté et la foi ne faisaient qu'un » 25 mais il n'avait aucun don pour la création littéraire et dut toujours se contenter de faire œuvre de critique. Moeller était enthousiaste et opiniâtre ; il s'était profondément engagé dans la défense de la littérature et du modernisme catholiques et rien ne put l'en distraire. Il découvrit, le premier, la profondeur de la conversion de J. K. Huysmans alors que l'écrivain n'éveillait encore que méfiance dans les milieux catholiques. Il obtint même, du romancier, sa collaboration active à Durendal. Firmin Vanden Bosch définit à merveille le rôle exact de l'abbé Moeller dans la revue : Durendal fut plus que la chose de l'Abbé ; ce fut son âme, le but d e son existence, l'angle sous lequel il voyait le service de Dieu. A cette œuvre, il donna tout lui-même, et il fut, à l'état permanent, un stimulateur d e confiance et d e labeur, et ce, notamment, sous l'humble forme de mendiant de copies et de mendiant d'abonnements. Verhaeren m e disait un jour : « Moeller, c'est le marchand de vin de Durendal ! » Parole combien vraie, sous son allure un peu crûment familière ; quand il s'agissait d e l'éclat à donner à Durendal, Moeller ne s'épargnait aucune peine et n e reculait devant aucune audace : Bourget, Barrés, Mistral, H u y s m a n s furent l'objet de ses fréquentes sollicitations 26 . On comprendra donc sans peine qu'il était impossible que la revue renaisse après la guerre, alors que l'abbé n'était plus là pour la conduire. D'autres écrivains et artistes allaient, au fur et à mesure du développement de Durendal, venir grossir ce petit noyau d'hommes. Tout d'abord, des anciens du Drapeau : Firmin Vanden Bosch qui devait rester un collaborateur fidèle même 23. RENCY G., Souvenirs de ma vie littéraire, pp. 137-138. 2 4 . C A R T O N DE W I A R T H . , Op. cit., pp. 2 5 . C A R T O N DE W I A R T H . , Op. cit., p. 26. VANDEN BOSCH F . , Sur l'écran 166-167. 164. du passé, p. 37. Une revue catholique au tournant du siècle 25 lorsque ses fonctions de magistrat l'eurent conduit en Afrique du Nord. Vanden Bosch avait fait les débuts fracassants que l'on sait ; au sein du Comité de rédaction de Durendal, il se spécialisa surtout dans la critique littéraire : Firmin Vanden Bosch est un critique de principe doublé d'un critique d'impression. Il s'est, en effet, formé un idéal d'après des lois immuables et précises. Son point d e vue est essentiellement, et quelle que soit aussi sa liberté d'opinions, catholique. Il juge toutes les œuvres littéraires d'après un principe de morale. Il connaît la moralité, l'immoralité et place entre elles le caractère amoral. Mais son principe n'est pas obtus et cette tolérance qu'il possède à un haut degré lui permet fréquemment d'élargir la notion de la moralité. (...) Cependant, fermement fidèle à son principe, il en arrivera, par la logique et la déduction à trouver, chez tous ceux qu'il admire, une part de son idéalisme. Ainsi la critique d e Firmin Vanden Bosch est une et pleinement entière 1 1 . Georges Virrès, le romancier régionaliste, devint aussi critique pour Durendal. Des transfuges de la Jeune Belgique se joignirent également au groupe, notamment des esthètes : Arnold Goffin — qui se consacrait surtout à la peinture et à la littérature médiévales italiennes — et Olivier-Georges Destrée, spécialiste des primitifs italiens et des préraphaélites. Il écrivit des poèmes en prose et se convertit au catholicisme sous l'influence de l'abbé Moeller, avant d'entrer dans les ordres sous le nom de Dom Bruno Destrée. Des poètes aussi quittèrent la revue déjà vieille pour Durendal : les parnassiens Franz Ansel et Fernand Severin. Le groupe s'enrichit encore de «jeunes » : Victor Kinon et Thomas Braun qui écrivaient à la manière de Francis Jammes, Georges Marlow, symboliste et idéaliste, le jeune Pierre Nothomb et deux correspondants à Paris : Henri Mazel et Tancrède de Visan. Ces deux derniers aussi étaient symbolistes : Tancrède de Visan publia en effet un Essai sur le symbolisme ; quant à Henri Mazel, il fut membre de la rédaction de revues aussi diverses que YErmitage, le Mercure de France, la Réforme Sociale ; toutefois, il ne limita pas sa carrière à cette 27. GAUCHEZ M., Le livre des masques belges, pp. 111-112. 26 Françoise Chatelain activité de critique puisqu'il fut également l'auteur de drames religieux et historiques, de recueils de poèmes, de romans à caractère historique... Tous ces «journalistes» étaient catholiques (la plupart étaient aussi démocrates-chrétiens) mais ils venaient d'horizons professionnels et géographiques différents. Il arrivait parfois même que leurs théories esthétiques s'opposent, bien que les adeptes du symbolisme soient la majorité : c'est probablement dans cette union des diversités qu'il faut chercher une des raisons du succès de la revue pendant vingt ans. 3. Le programme L'anarchie artistique et littéraire, qui a fait table rase de toutes les lois, n'a rien pu et ne pourra sans doute rien, contre l'aspiration de l'âme humaine vers la Beauté. Cette aspiration est une loi naturelle, et en Art, selon nous, la seule légitime. C'est en se soumettant à cette loi les tout premiers que les catholiques se ressaisiront euxmêmes, et qu'ils réconquerront en Art le terrain perdu. Le catholicisme intégral nous fait un devoir de rechercher la Beauté, cette Beauté qui, de son n o m réel, s'appelle Dieu tout court. En Art cette tendance vers Dieu se n o m m e , je crois — disons le mot franchement — l'idéalisme 28 . Tout, à nouveau, nous remet en mémoire cette revue française de 1892 et cela bien que personne, nulle part, n'en mentionne seulement le nom. Mais ils la connaissaient et il ne faut pas voir de coïncidence dans ces concordances : Durendal était aux « pairs autour de la table ronde » (curieux mélange d'épopée et de merveilleux breton !) ce que représentait pour les « chevaliers du Saint-Graal » le Saint-Graal lui-même, c'est-àdire un idéal neuf, nourri de la foi catholique, une « geste idéale » des lettres catholiques face au « 93 artistique et littéraire » (Dur., janvier 1894, p. 1). La revue exhortait donc les artistes catholiques à accepter la liberté artistique et littéraire pour en tirer profit : Séparons-nous résolûment du passé (...) Vivons pour le travail et l'espérance. 28. La Geste Idéale, dans Durendal, janvier 1894, p. 3. (Dur., 1894, p. 2). Une revue catholique au tournant du siècle 27 La revue, heureuse du retour vers l'idéalisme qu'elle décelait chez les artistes contemporains, proclamait que L'heure propice a sonné qui pourrait mettre d'accord le mouvement conscient du catholicisme et le mouvement inconscient du monde moderne vers l'Idéal. (Dur., 1894, p. 3). Avant de définir avec précision son programme, la revue annonçait son intention de réunir des artistes jeunes, dévoués à l'art pour lui-même, sans but apologétique direct, et fiers seulement de travailler à l'élévation de l'âme humaine. (Dur., 1894, p. 4.) sans considérer l'art comme un monopole catholique. Mais il allait de soi que cette reconnaissance de principe d'un art qui ne fût pas catholique impliquait, en retour, de la part des artistes non chrétiens, qu'ils admettent le droit, pour les catholiques, d'exprimer leur foi dans l'œuvre d'art. La revue refusait aussi de s'inféoder à toute théorie ou école littéraire et laissait chacun de ses collaborateurs libre de s'exprimer dans la forme qui lui convenait le mieux, à condition toutefois qu'il se soumît aux grands principes du programme. (Mais une revue dont la rédaction comptait des membres appartenant à différentes écoles pouvait-elle exiger d'eux davantage ?) Si Durendal se voulait éclectique : N o s sympathies iront donc aux sincères, aux vrais, où qu'ils soient, fussent-ils à cent mille lieues de nous, et à ceux-là seuls. (Dur., 1894, p. 4.) elle se déclarait aussi absolument intraitable quant à la forme. Des qualités artistiques indiscutables étaient exigées des écrivains désireux de se concilier la bienveillance de la revue : à l'avance, les médiocres, même catholiques — surtout catholiques (pouvait-on donner prise à la critique des adversaires ?) — étaient écartés. Et les mêmes principes seraient, disait-on, appliqués en critique. Enfin le manifeste redisait sa joie devant la renaissance de l'idéalisme en littérature. Les principes de fondation de Durendal étaient, on le voit, des plus généreux : elle s'ouvrait au modernisme et n'écartait, a 28 Françoise Chatelain priori, que les œuvres totalement dépourvues d'intérêt artistique, préoccupation particulièrement méritoire à une époque où la qualité n'était peut-être pas un critère toujours apprécié à sa juste valeur. Nous verrons de manière détaillée dans la suite de ce travail comment la revue devait respecter ce programme. 4. Les premières lances rompues au service du catholicisme En marge des résolutions officiellement prises dans son programme, la revue s'enflamma pour quelques causes spécifiquement catholiques : la modernisation de l'enseignement chrétien, le retour à des formes plus pures d'art religieux et un cas épineux : la conversion de Joris-Karl Huysmans. Ces prises de position eurent un retentissement considérable et contribuèrent fort au succès de Durendal. Le problème de l'enseignement La situation de l'enseignement en Belgique préoccupait les jeunes catholiques progressistes en cette fin de XIX e siècle. L'enseignement catholique, vainqueur de la guerre scolaire, gardait des structures périmées et les méthodes de la Compagnie de Jésus (qui contrôlait un nombre important d'établissements scolaires) ne s'attiraient pas l'approbation unanime du monde catholique, ni même du clergé. Au Congrès de Malines, Vanden Bosch affirmait qu'il fallait avant tout moderniser l'enseignement de la littérature si l'on voulait asseoir le mouvement naissant des lettres catholiques sur des bases solides et y intéresser la jeunesse. Durendal orchestra rapidement une campagne pour le renouvellement des programmes pédagogiques. Dès le premier numéro, l'abbé Moeller annonce la couleur. Il s'attaque aux Jésuites auxquels il reproche leur hypocrisie : pourquoi interdisent-ils l'étude des auteurs modernes ? « Les écrivains con- Une revue catholique au tournant du siècle 29 temporains sont immoraux ? mais eux-mêmes n'ont-ils pas inscrit à leur programme La Fontaine qui écrivit pourtant des Contes licencieux à côté de ses Fables ? Dès lors que vous offrez une si accueillante hospitalité dans vos classes à un auteur du XVII e siècle, quoiqu'il ait plus d'une fois trempé sa plume dans la boue, de quel droit nous jetez-vous la petite pierre de votre pudeur effarouchée, sous prétexte que nous poussons la jeunesse dans des voies dangereuses, lorsque nous l'engageons à permettre loyalement aux littératures de notre époque de s'ouvrir sur leurs pupitres à côté des chefs-d'œuvre 29 . Moeller propose la publication de nouveaux manuels littéraires qui, au lieu de réunir des textes classiques et « païens », offriraient aux élèves les passages les plus édifiants des auteurs du XIX e siècle. Ce n'est là qu'un début : pendant les deux années suivantes, Pol Demade ne cessera d'attaquer les Jésuites et de harceler les autorités responsables en leur proposant diverses formules de réforme. Dès mai 1894, il critique violemment la conception passéiste de l'enseignement des Jésuites et les exhorte à se rallier au modernisme : Voyons, mes Pères, lorsqu'on est le premier ordre d'un temps passionné pour l'art et la littérature, on n'a pas le droit de se contenter d'écrire des guides du Jeune Littérateur ou même des brochures ridicules. Faites-vous artistes, littérateurs et aidez-nous à infuser un peu de sang à l'Art et à la Littérature catholiques qui se meurent d'anémie 30 . En août 1894, il présente des propositions concrètes et publie le Programme de la ligue pour la réforme de l'enseignement moyen, ligue à laquelle il adhère aux côtés de professeurs de l'école vétérinaire de Cureghem et des universités de Liège et de Bruxelles. Il s'agit d'une réforme globale de l'enseignement secondaire : Exclusion complète du latin et du grec des trois années inférieures du Collège, au profit de l'enseignement de la langue materMorale et littérature, dans Dur., janvier 1 8 9 4 , p. 12. Faut-il louer le mérite littéraire des écrivains mauvais ?, dans Dur., mai 1895, p. 110. 29. MOELLER H . , 30. D E M A D E P., Françoise Chatelain 30 nelle (français ou flamand), d'une seconde langue (français en pays flamand ; flamand ou allemand en pays wallon), des sciences naturelles et des mathématiques (...) Création de collèges modernes 3 I . Dans cette optique, tous les élèves auraient dû suivre des cours communs pendant trois ans et, selon leurs goûts, s'orienter vers des études littéraires ou scientifiques en quatrième année. Tous devraient surtout maîtriser parfaitement leur langue maternelle, base de leur éducation. Il s'agissait en fait d'aligner l'enseignement catholique sur l'enseignement de l'Etat qui avait créé depuis plusieurs années des sections d'humanités modernes et d'humanités latin-mathématiques. Les catholiques proposaient pourtant quelques originalités : trois années de cours communs pour les sections latines et modernes (premier pas vers l'enseignement rénové ?) et une tentative de flamandisation des établissements secondaires de la partie nord du pays. Et en cela, ils s'alignaient sur les revendications des mouvements catholiques flamands, comme nous le verrons plus loin. En juillet 1895, la revue exprime ses regrets devant l'inertie des catholiques dans la discussion du budget de l'Instruction Publique à la Chambre et s'interroge : pourquoi aucun des leurs n'a-t-il comblé les lacunes qu'on pouvait relever dans les discours de Messieurs Destrée et Demblon, députés socialistes ? Dès le mois suivant, Pol Demade revient à la charge dans un article intitulé : Vous venez en aide à l'anarchie. Il remarque que la grosse majorité des « anarchistes » (c'est-à-dire, pour lui, des socialistes) est issue de milieux catholiques. S'interrogeant sur les raisons de ce paradoxe, Demade est contraint de répondre : c'est l'enseignement catholique, mieux (ou pire), c'est l'inertie des ministères catholiques qui est responsable de cet état de choses. L'auteur se montre particulièrement dur envers ces hommes politiques : demandez aux Dedecker, aux Malou, aux Delcour, aux Devolder, etc., etc., quelles ont été leurs œuvres ? Le plus sincère d'entre eux a répondu d'avance à cette question avec une désarmante sincérité : 31. DEMADE P., L'école nouvelle, dans Dur., août 1894, p. 147. Une revue catholique au tournant du siècle 31 « N o u s avons vécu ! » Hélas, il n'avait m ê m e pas vécu, celui-là, il avait tout au plus vivoté î 2 . Mais leur inertie n'est pas seulement politique : nous en connaissons parmi nous qui nient le progrès pour ne pas devoir se donner la peine de le suivre. , ,„„ (Dur., 1895, p. 165.) et de citer La Croix de Paris qui condamnait les laboratoires de psychologie au moment même où l'université de Louvain en ouvrait un. Pour Demade, il ne faut pas chercher ailleurs les raisons du culte que tous les catholiques vouent au passé et il s'élève violemment contre le conservatisme des siens. Car il doit bien le reconnaître, ce sont les « anarchistes » qui ont une attitude positive. Poursuivant son raisonnement, Demade constate avec le Père Didon : Fabriquer des révoltés ou des êtres sans vouloir, mais c'est tout le programme — involontaire ! — de nos écoles catholiques, que Monseigneur Cartuyvels, vice-recteur de l'Université de Louvain, a qualifiées publiquement de laminoirs. Les conséquences de notre éducation sont désolantes. Sous prétexte de polir les caractères et de leur enlever ce qu'ils ont d'abrupt, la lime éducative a tellement passé et repassé sur tous les angles du bloc humain que, angles et bloc, tout s'en est allé en poussière au gré du vent. (Dur., 1895, pp. 168-169) Dès lors une seule solution s'impose : réformer l'éducation. Demade ne se contente plus, cette fois, de proposer une nouvelle structure d'humanités, il annonce quelles doivent être les trois orientations de l'enseignement chrétien : éducation physique, éducation morale et éducation intellectuelle, c'est-à-dire science et littérature : Enseignez les faits d'abord (culture scientifique), les signes après (culture littéraire). Le culte du fond est hiérarchiquement supérieur au culte de la forme, c'est indéniable. (Dur., 1895, p. 172.) Pendant les années qui suivent, Durendal ne cessera pas de stigmatiser l'enseignement rétrograde des Jésuites jusqu'à l'aboutissement : en 1905, le premier Congrès international de 32. p. 165. D E M A D E P., Vous venez en aide à l'anarchie, dans Dur., août 1895, 32 Françoise Chatelain l'expansion mondiale se réunit à Mons et publie en 1907 La Réforme de l'enseignement. La langue maternelle est enfin reconnue comme noyau de la formation littéraire. Une seule langue ancienne garde un statut inchangé : le latin, que les langues modernes doivent toutefois égaler dans l'estime des pédagogues. En 1910, au Congrès de Malines, l'abbé Halflants pouvait établir un bilan des progrès effectués en matière d'enseignement : les lettres contemporaines avaient conquis un statut officiel au côté des auteurs classiques qui gardaient cependant la première place ; la littérature belge commençait également à trouver sa place dans les programmes diocésains. Mais l'abbé Halflants demandait encore des progrès et conseillait l'étude de pages de Godefroid Kurth et Henri Pirenne, d'Emile Verhaeren, de Rodenbach ou de Giraud. II proposait d'initier les enfants à l'art grâce à la lecture de textes choisis dans La Belgique de Camille Lemonnier ou Bruges-la-Morte de Rodenbach. L'abbé recommandait aussi que l'on parle aux jeunes des « mauvais » livres pour pouvoir les en préserver et concluait par ces souhaits : 1° que sans négliger l'étude de la littérature française classique et moderne, une part plus grande soit faite, dans l'enseignement, aux auteurs belges. 2° que parmi les auteurs belges, on étudie spécialement : a) les littérateurs catholiques. b) les écrivains qui font le mieux connaître la patrie, les arts, les mœurs, la mentalité belge En bref, on peut dire que la rédaction de Durendal, qui avait tant d'idées sur ce que devait être l'enseignement moderne, amorça un mouvement de réflexion qui devait aboutir à introduire l'étude des auteurs contemporains et de la littérature belge dans les établissements scolaires catholiques. Ce qui, finalement, importait pour une revue littéraire. 33. HALFLANTS P., La littérature belge dans l'enseignement, dans Les lettres belges d'expression française au Congrès de Malines, p. 62. Une revue catholique au tournant du siècle 33 La question de Part religieux Immédiatement après avoir amorcé sa campagne de rénovation de l'enseignement, la jeune revue s'attaqua à un autre fléau : les formes artistiques qui sévissaient dans l'Eglise de cette époque, c'est-à-dire l'imagerie sulpicienne et la musique profane. Durendal déclencha l'offensive en publiant, en juillet 1894, un article d'André Hallays paru dans le Journal des Débats du 17 juin 1894: On ne paraît pas se douter ici que la musique d'église doit avant tout être religieuse et que la beauté de la liturgie catholique disparaît au milieu des tintamarres d'opéra. La foi souffre de ce mélange extravagant de profane et de sacré et le bon goût en est révolté 34 . Haro donc sur la musique profane adaptée à la liturgie et sur les images pieuses de ce XIX e siècle finissant : elles offensaient à la fois le sentiment religieux et le goût esthétique. Il faut nous préoccuper d'abord d'art graphique, puisque c'est par là que Durendal engagea sa croisade. Puisque la revue s'élevait contre les représentations picturales existantes, il lui fallait proposer autre chose. C'est dans le but de découvrir de nouveaux talents que, dès novembre 1894, le comité de rédaction proposa aux artistes chrétiens de participer à un salon d'art religieux : Notre but est celui-ci : réunir à Bruxelles — en un Salon international, — des objets d'art de toute nature, appliqués ou destinés au culte privé ou public. Montrer au public, — spécialement au public catholique et au clergé, — qu'il doit exister, qu'il existe un grand nombre d'artistes capables de réagir par des œuvres contre la tendance trop évidente à la camelote ou au mauvais goût qui se manifeste dans l'ornementation d'un si grand nombre de nos églises urbaines et rurales 3S . Ce salon, qui se tint en 1899, remporta un grand succès. Il incombait dès lors aux artistes de suivre le mouvement amorcé 34. HALLAYS A., Musique d'église, dans Dur., juillet 1894, p. 125. 35. Salon d'art chrétien. Appel aux artistes, dans Dur., novembre 1894, p. 205. 34 Françoise Chatelain et de produire des œuvres en accord avec cette définition de l'art religieux : ... l'art religieux s'assigne un but supérieur à la seule jouissance : c'est l'édification spirituelle. L'art religieux est une forme d'enseignement, une sorte d'éloquence sacrée. C'est l'art au service d'une cause plus grande que le simple amusement des dilettantes puisqu'il évoque la fin dernière de l'homme, le but surnaturel de la vie 3«. Mais pour la réalisation de ce dessein, les avis ne concordaient plus et les deux tendances se firent jour dans la rédaction de Durendal : l'abbé Moeller demandait des artistes neufs, des créateurs. Il n'admettait le recours aux services d'un « copiste » qu'en cas d'absolue nécessité, c'est-à-dire s'il était impossible de faire appel au talent d'un artiste original pour exécuter une œuvre chrétienne. Le bouillant directeur de la revue exigeait deux qualités pour l'art religieux : sobriété et grandeur ; pour le reste, que le peintre donne libre cours à son inspiration. Voici donc le point de vue moderniste. L'abbé Verhelst, chacun le savait, avait une vue quelque peu rétrograde de l'art pictural et s'opposait, sur ce terrain à son fougueux collègue. Il croyait aux mérites de la tradition : il était préférable, pour un artiste, de suivre la voie tracée par ses prédécesseurs (surtout les primitifs italiens) même s'il fallait nuire à l'art. Car en suivant son inspiration, il risquait de ne pas atteindre avec autant de précision le but qui lui était fixé : l'édification spirituelle. Verhelst allait plus loin : il proposait, aux artistes contemporains, les statuts que l'on imposait à leur collègues siennois du XIV e siècle. Il était souhaitable qu'ils maîtrisent parfaitement la science du dessin et de la coloration, mais aussi qu'ils connaissent à fond le dogme, l'Evangile, l'iconographie chrétienne et même le latin. Si l'on précise que le don n'était pas superflu pour un artiste, on comprendra que l'abbé Verhelst ait été contraint de recourir au concours de copistes, faute d'artistes originaux de réel talent ! C'est précisément sur la question des copies et surtout de celles réalisées par l'école de Saint-Luc que devait se concrétiser l'opposition des deux abbés. 36. VERHELST F . , L'Art religieux, dans Dur., décembre 1899, p. 891. Une revue catholique au tournant du siècle 35 L'abbé Verhelst pensait trouver, dans ces travaux, la seule possibilité de renouvellement de l'art religieux, puisqu'il était pratiquement impossible de dénicher des génies artistiques neufs ; il reconnaissait cependant des lacunes artistiques au programme de Saint-Luc mais espérait que l'école pourrait vite les combler et ... recueillir la glorieuse succession de nos grands primitifs et la faire fructifier en esprit de foi et de généreuse aspiration au Progrès, qui est la foi suprême de l'art. (Dur., 1899, p. 896.) Mais l'abbé Moeller ne balançait pas non plus : Personne n'est plus admirateur que moi du grand art religieux des anciens, mais je n'aime point les soi-disantes copies d'un certain siècle que nous donnent les artistes de Saint-Luc. Voilà tout. Et je trouve que ces copies sont à cent lieues de l'original 3 7 . Il dénonçait surtout la décoration de l'abbaye de Maredsous à laquelle il reprochait son manque de goût, ses couleurs criardes, son absence de grandeur et de sobriété qui la faisait ressembler à une décoration de théâtre et de salle de concert. A l'unanimité, la rédaction de Durendal réclamait donc de nouvelles formes d'art décoratif religieux mais elle était divisée sur leur nature. On est cependant en droit de penser que la revue suivait davantage l'abbé Moeller qui avait pris l'habitude de laisser la parole à l'abbé Verhelst tout en précisant au nom de Durendal qu'il ne partageait pas nécessairement ses goûts. Il n'y avait par contre aucune divergence d'opinion au sein de la rédaction sur l'attitude à adopter face à la musique d'église. Il fallait abandonner la musique « théâtrale » et retourner à Palestrina, à la musique grégorienne ; bref à la musique d'avant Jean-Sébastien Bach. Aussi l'abbé Moeller accueillit-il avec joie l'accession de Pie X au trône pontifical : il voyait en ce nouveau pape, le réformateur de la musique religieuse : U n e revue d'art doit toujours et avant tout considérer la question au point de vue artistique. Eh bien, c'est en nous mettant à ce point de vue-là, c'est au nom de l'art, c'est par respect et amour pour la 37. MOELLER H., L'Ecole de Saint-Luc, dans Dur., septembre 1899, p. 710. 36 Françoise Chatelain Beauté que nous réclamons impérieusement le bannissement définitif de nos églises de la musique abominable, vulgaire, grotesque, sans caractère, absolument antiartistique que l'on y exécute, et le rétablissement de la musique grégorienne et de la musique palestrinienne qui, de l'avis de tous les artistes, réalisent le plus bel idéal que l'on puisse rêver en fait d'art musical religieux 38 . Sans "doute Durendal fut-elle entendue puisque l'abbé Verhelst pouvait se féliciter, en mai 1903, d'un nombre relativement important d'auditions des anciens maîtres polyphonistes. Telle était donc la position de la revue sur l'art religieux, mais cet art religieux, ce n'était pas seulement la musique d'église ou l'illustration picturale des textes sacrés : Le grand Art est religieux : une symphonie de Beethoven est, au sens profond du mot, une oeuvre aussi religieuse qu'une messe de Palestrina. Les mystères d'ombre et de lumière d'un Rembrandt procèdent du frisson de l'au-delà comme une fresque du Beato Angelico est inspirée de la douce vision de cet au-delà 39 . La conversion de Joris-Kar! Huysmans C'est d'art et de religion aussi qu'il fut question lorsque Durendal s'empara du cas de J.-K. Huysmans. Il importe avant tout de rappeler la carrière de celui-ci. Ecrivain français d'origine hollandaise, Huysmans avait débuté dans l'école naturaliste et avait participé aux « Soirées de Médan ». Il avait publié quelques romans qui montraient la vie sordide de héros médiocres : Marthe, histoire d'une fille, En ménage, A Vau-l'eau... Mais, dès 1884, Huysmans s'éloigna du naturalisme dans A Rebours, roman de tonalité décadente, histoire d'une quête d'idéal qui échoue. Devant l'échec du héros, qui était aussi celui de l'auteur, Huysmans se tourna vers l'occultisme et le satanisme dans Là-bas, en 1891, où apparaissait un nouveau personnage.; Durtal. C'est à cette époque que Huysmans rencontra l'abbé Mugnier. Il était déjà prêt à accueillir la foi chrétienne et il se 38. MOELLER H . , Pie X et la réforme de la musique d'église, dans Dur., novembre 1903, p. 642. 39. R Y E L A N D T J . , Art et religion, dans Dur., août 1899, pp. 670-671. Une revue catholique au tournant du siècle 37 convertit en 1892. Dès lors, son œuvre littéraire allait prendre une orientation totalement différente. Dans En Route, publié en 1895, Huysmans faisait vivre à Durtal sa conversion; il devait encore écrire La Cathédrale, hymne à la cathédrale de Chartres, VOblat qui raconte son expérience personnelle à l'abbaye de Ligugé, Sainte Lydwine de Schiedam, une hagiographie et les Foules de Lourdes, avant de mourir en 1907 à Paris où il s'était retiré après la dissolution de l'ordre bénédictin et la dispersion des religieux de Ligugé. La conversion de J. K. Huysmans provoqua des remous dans les milieux littéraires français : les violents reproches de Zola dès la publication de A rebours ne lui concilièrent cependant pas les faveurs des sphères catholiques au moment de sa conversion. Si de jeunes ecclésiastiques saluaient avec joie la venue de l'écrivain à la foi, les conservateurs et surtout les jésuites restaient sceptiques quant à sa sincérité réelle et reprochaient même à son roman, En Route, des passages immoraux. Ces débats trouvèrent tout naturellement leur écho en Belgique. On ne peut nier le rôle qu'y prit Durendal. L'intérêt fut réciproque : la revue attira l'attention de Huysmans : C'est à la d e m a n d e m ê m e de Huysmans que Buet, en 1894, avait mandé à l'abbé Moeller le désir du nouveau converti d'entrer en relations avec l u i 4 0 . et de son côté, Durendal manifesta de la sympathie à Huysmans, ce qui n'est pas étonnant puisqu'on connaît l'admiration qu'elle professait déjà envers d'autres convertis célèbres : A la fin de la première année de Durendal. il advint à la revue une bonne fortune inattendue. Henry Carton de Wiart ayant rencontré à Paris J. K. Huysmans, qui corrigeait les épreuves d'En Route, il intéressa le curieux écrivain à la j e u n e revue bruxelloise, et le numéro de décembre 1894, apportait aux lecteurs de Durendal un fragment encore inédit d'En Route*1. En décembre 1894, Durendal propose donc à ses lecteurs, un chapitre d'En Route : Sainte Lydwine et la substitution mystique qu'un article élogieux avait annoncé dans le numéro précédent. 40. VAN WELKENHUYZEN G., J K. Huysmans et la Belgique, 41. VIRRES G., Souvenir, Souvenir, que me veux-tu ?, p. 65. p. 177. Françoise Chatelain 38 Le roman est publié au début de l'année 1895. La réaction ne se fait pas attendre : le grand public est méfiant, presque hostile, il ne comprend pas. Mais, même parmi les intellectuels, l'unanimité ne se fait pas : les conservateurs ne reçoivent pas aisémenj cet écrivain qui traîne encore, derrière lui, des relents de soufre. Cependant une telle opposition n'est pas pour décourager nos écrivains catholiques qui, depuis quatre ans, ont pris l'habitude de combattre les réactionnaires de leur parti et, puisqu'elle a admis Huysmans au nombre des siens, il n'est pas question que la revue ne fasse pas tout pour l'imposer à la face du monde chrétien. Dans le numéro d'avril 1895, Pol Demade consacre plusieurs pages à faire partager aux lecteurs ses impressions : Je ne sais rien, dans la littérature de ces dernières années, de cette intensité d e passion, d'angoisse, de vérité, de tristesse et de beauté aussi. C'est d e la vie la plus ardente et c'est à la fois de l'art le plus magnifique 4 2 . et à tenter d'expliquer l'incompréhension qui accueillit le roman : Le spectacle d'une âme perdue, errante, affolée, dématée n'eût point étonné les faiseurs de compte rendu, mais que cette âme, par des chemins inaccoutumés d'art cinglât droit vers le christianisme et s'y ancrât à jamais, ce d é n o u e m e n t devait mener à de belles incompréhensions de divers côtés et surtout chez les catholiques, où l'abbé Klein, seul peut-être, fit preuve d'intelligence. Il est vrai que c'est un prêtre et que le volume — qui n'est pas un livre pour enfants, — est écrit uniquement pour les inquiets ou les soucieux de l'Au-delà. (Dur., 1895, p. 70.) Il ne manque pas de noter au passage le rôle important que joue, dans la conversion de Durtal — et de Huysmans —, une conception de l'art religieux qui est, précisément, celle de Durendal. Habilement, Demade reconnaît que l'œuvre garde certains caractères du naturalisme (et prévient ainsi une objection majeure qu'on pourrait lui faire). J'oublie, je pardonne. Durtal vient à peine de se convertir, il a chassé de son c œ u r tous ses vices, il n'a pas encore eu le temps d'installer toutes ses vertus. Il vient de Là-Bas, il est En Route, laissez-lui le temps d'arriver Là-Haut... (Dur., 1895, p. 76.) 42. DEMADE P., En Route. J. K . Huysmans, dans Dur., avril 1895, p. 74. Une revue catholique au tournant du siècle 39 La suite de la carrière de Huysmans devait prouver que Moeller et les siens avaient eu raison de lui faire confiance. C'était donc une nouvelle victoire pour Durendal qui, dans l'opération, avait allongé la liste de ses collaborateurs d'un nom devenu prestigieux pour les catholiques. Huysmans devait désormais réserver la primeur de ses romans à la revue ; il suffit pour s'en rendre compte, de consulter les tables : La symbolique des couleurs et des gemmes, chapitre inédit de la Cathédrale en janvier 1898; le premier chapitre de Sainte Lydwine de Schiedam en mars 1901 ; un extrait de l'Oblat en janvier 1903; une préface inédite d'A Rebours en avril 1904; un passage des Foules de Lourdes en août 1906 et, enfin, un extrait de Trois Primitifs en mars 1907. Même après sa mort, Huysmans allait encore fournir de la matière à Durendal puisque de juin 1907 à 1910, l'abbé Moeller devait publier sa correspondance avec l'écrivain. Huysmans introduisit aussi de nouveaux collaborateurs : le poète Louis Le Cardonnel, ordonné prêtre en 1896 et fondateur, comme nous l'avons noté, du Saint-Graal, le vicomte d'Hennezel et J. Esquirol. Il se chargea aussi de promouvoir la revue dans son entourage : en 1899, il est heureux d'annoncer à l'abbé Moeller : « Le Durendal fait la joie du cloître auquel je le prête : les jeunes l'aiment bien » 43 . Reste à savoir à qui cette victoire profita réellement. Elle imposa Huysmans aux milieux catholiques belges et joua un rôle important pour leur faire admettre la nouvelle image que l'écrivain souhaitait donner de lui-même. (Peut-être Huysmans, qui connaissait l'impact de la revue sur la jeunesse progressiste et catholique de Belgique, comptait-il sur son appui pour une bataille qu'il devinait difficile). De toutes façons, il est probable que l'approbation qu'il reçut des catholiques belges l'encouragea à poursuivre dans la voie qu'il venait de se choisir. Il est aussi indiscutable que le catholicisme eut son profit dans l'affaire : il récupérait une âme et quelle âme ! De plus l'exemple de l'écrivain provoqua bon nombre de conversions chez les lecteurs : 4 3 . V A N WELKENHUYZEN G . , Op. cit., p. 181. 40 Françoise Chatelain A un m ê m e moment, notons-le, l'abbé Moeller annonçait à Huysmans qu'en Belgique c o m m e en France, des lecteurs d'En Roule s'étaient convertis 4 4 . Profits qui, somme toute, compensaient le triste tableau que le catholicisme venait, une fois encore, de donner de ses dissensions. Mais incontestablement, ce fut surtout Durendal qui tira un bénéfice immense de cette bataille qu'elle avait remportée. Avantages matériels d'abord : en plus d'une collaboration fructueuse, Huysmans apportait à la revue un débouché en France et asseyait sa réputation dans les milieux littéraires. Mais surtout, Durendal recevait un encouragement moral important ; elle ne s'était pas trompée : des écrivains athées et les pires qui soient, les naturalistes, éprouvaient un besoin impérieux d'idéal ; qu'en outre, dans cette quête d'idéal, ils se soient tournés vers Dieu et aient choisi la revue pour annoncer ce bonheur, quel triomphe ! L'heure propice a sonné qui pourrait mettre d'accord le mouvement conscient du catholicisme et le m o u v e m e n t inconscient du m o n d e moderne vers l'Idéal 4S . En créant une revue littéraire et démocrate-chrétienne, les fondateurs de Durendal s'engageaient sur un terrain miné puisqu'il était évident que leurs adversaires conservateurs (les amis de Charles Woeste encore largement majoritaires au sein du parti ne désarmaient pas) guettaient le premier faux pas des Jeune Droite afin de les discréditer. Il fallait donc donner confiance et c'est ce que l'on fit en s'attaquant à l'art chrétien d'abord, combat somme toute assez anodin. La défense de Joris-Karl Huysmans était peut-être un peu plus risquée mais il fallait asseoir la nouvelle réputation de la revue et le jeu en valait la chandelle. Le procédé était habile : les premières années passées sans crise (et Dieu sait combien c'était difficile en ces temps de revues éphémères !), la bataille était gagnée : Durendal était acceptée. On pouvait maintenant passer aux choses sérieuses et quitter le terrain purement religieux. Devenir réellement une revue littéraire. 4 4 . V A N WELKENHUYZEN G . , Op. cit., p. 169. 45. La Geste Idéale, dans Dur., janvier 1894, p. 1. Une revue catholique au tournant du siècle 41 LA DESTINEE DE DURENDAL Si le beau a des règles ou, plutôt, des caractères, ils sont en évolution incessante : quant aux vieilles règles académiques, ce qui en subsiste encore n'a d'intérêt qu'archéologique, aussi bien d'ailleurs, que la rhétorique surannée dont on continue pieusement à enseigner les formes et figures dans les collèges. GOFFIN A „ Dur., j a n v i e r 1911, p. 62. 1. Durendal face aux grands mouvements culturels et littéraires L'Art pour l'Art On se souviendra que le Congrès de Malines de 1891, qui consacra l'existence de la Jeune Droite, avait été le cadre d'une querelle des Anciens et des Modernes sur la question de l'Art pour l'Art et que, seul, Mgr Mercier avait pu régler le différend en proposant une nouvelle définition de la théorie littéraire mise en cause. On se rappellera également que le mouvement littéraire des Jeunes Catholiques, qui devait concrétiser son action par la publication du Drapeau d'abord, de Durendal ensuite, se plaça sous le patronage de la Jeune Belgique malgré les réticences exprimées par celle-ci. Faut-il dès lors en conclure que Durendal s'était rangée sous la bannière de l'Art pour l'Art et allait épouser, comme le Drapeau en son temps, toutes ses querelles ? Certainement pas. La Jeune Belgique, pour nos jeunes littérateurs catholiques de 1890, c'est le modèle, la renaissance des lettres belges, l'ouverture à l'art moderne, c'est l'équivalent en littérature de ce qu'ils veulent en politique : l'audace, la nouveauté, l'espoir. Il faut imiter cet exemple et voilà ce qui explique l'engouement, les saluts fraternels. Mais dès le départ, il existe un fossé 42 Françoise Chatelain entre l'Art pour l'Art de Waller d'abord, de Gilkin et Giraud ensuite, et l'Art pour Dieu de la Jeune Droite littéraire ; divergence qui apparaît dès le début dans les déclarations de Firmin Vanden Bosch : nous souscrivions de tout notre enthousiasme à l'œuvre de libération intellectuelle entreprise par Max Waller et ses compagnons, mais nous nous refusions à admettre la subordination dans laquelle la Jeune Belgique prétendait placer le d o g m e et la morale vis-à-vis de l'Art décrété souverain. Et nous fîmes nôtre la fière devise « amendée » de la Jeune Belgique : « N e crains ... fors D i e u ! » 4 6 . La Jeune Belgique, comme l'Art pour l'Art qu'elle professe, est un tremplin pour Durendal qui va chercher, dans sa rédaction, quelques-uns de ses collaborateurs, parmi lesquels il faut signaler Fernand Severin et Franz Ansel. Pour eux qui sont catholiques, il va de soi de participer à la rédaction d'une revue catholique qui affirme si clairement son attachement au mouvement qu'ils chérissent. Mais Severin ne se détache quand même pas totalement de la « vieille » revue et Ansel, qui l'avait quittée, y retourne en 1896. Pourquoi? Parce que Durendal n'est pas parnassienne ; elle n'a vu dans l'Art pour l'Art qu'un tremplin vers l'Art pour Dieu, or la Jeune Belgique et l'Art pour l'Art n'évoluent pas et Durendal désire le progrès. Seuls les irréductibles restent fidèles, comme Severin qui écrit en 1910 à propos de la Guirlande des Dieux de Giraud : ... la forme l'emporte incomparablement sur le fond bien que beauté de la forme ne puisse sérieusement se concevoir sans solidité du fond. La poésie tel que le Crime de l'archange, vrai chef-d'œuvre passion, suppose beaucoup moins de passion que de réflexion et travail, c'est beau pour cette raison m ê m e 4 7 . la la de de Mais les autres, ceux qui tiennent réellement en main Durendal, s'acharnent sur le cadavre de la Jeune Belgique... avec quelle ingratitude : Tôt vinrent, j e le sais, les clairvoyances décevantes et les jeunes catholiques durent aux principes essentiels de leur Foi de se séparer 46. VANDEN BOSCH F., Sur l'écran 4 7 . SEVERIN F . , 1910, p. 209. du passé, p. 23. La Guirlande des Dieux par Albert Giraud, dans Dur., avril Une revue catholique au tournant du siècle 43 d'une école qui domestiquait le D o g m e et la Morale à une idôlatrique souveraineté de l'Art. Là où l'art pour l'art, vaine et néfaste acrobatie de mots, trôna en maître, régne l'art auréolé de Foi et de Charité, l'art qui prie et l'art qui évangélise, l'art qui soit une glorification de D i e u et l'art qui soit un viatique des foules ! 4 8 . et Arnold Goffin rédige l'oraison funèbre de la Jeune à la rédaction de laquelle il avait autrefois participé : Belgique Ces immuables principes remémorent fatalement les immortels principes, pétris d'universelle philanthropie et de tolérance, dont s'inspirait, avec une logique inflexible, ce rhéteur de Robespierre pour fournir chaque jour de nouvelles victimes à son ami FouquierTinville. L'humeur de M M . Giraud et Gilkin est trop mélangée d'indifférence pour les pousser jamais à faire décapiter leurs contradicteurs — dans l'opinion peut-être que ceux-ci n'y perdraient pas grand'chose ! Ils n'ont donc aucun cadavre sur la conscience, — sauf celui de la Jeune Belgique elle-même, morte d'asphyxie esthétique entre leurs mains ! 4 9 . Symbolisme et wagnérisme Repoussant l'Art pour l'Art, Durendal se tourna vers le symbolisme : N o t o n s vers 1892, l'apparition du Réveil et de Floréal, entièrement dévoués à la cause du Symbolisme. Ils seront bientôt rejoints par la Revue rouge et Durendal ; cette dernière revue toutefois ne défend pas invariablement les intérêts de la poésie nouvelle 50 . On peut, en ce qui concerne Durendal, expliquer facilement cette réticence : on vient de voir combien certains irréductibles demeuraient fidèles à l'Art pour l'Art : il est clair qu'ils se montrèrent extrêmement méfiants à l'égard du symbolisme comme on le verra lorsqu'on examinera la querelle du vers libre, 4 8 . V A N D E N BOSCH F . , La Jeune Belgique et la littérature catholique, dans Dur., février 1898, p. 172. 4 9 . G O F F I N A., L'Art pour l'Art, dans Dur., février 1 8 9 8 , p. 1 5 6 . 50. BRAET H., L'accueil fait au symbolisme en Belgique, 1885-1900, p. 173. Françoise Chatelain 44 enrichi à la fois de l'héritage du « Parnasse » défunt dépouilles du « Symbolisme » moribond 5 1 . et des Même les sympathisants avouaient parfois leur incompréhension : J'ai peur, pourtant que, m ê m e chez la postérité, l'étonnement ne l'emporte encore sur le respect. Stéphane Mallarmé reste, à perpétuité, un problème 52 . Malgré cela, il faut bien admettre l'appartenance de Durendal au grand mouvement artistique de ce XIX e siècle finissant. Le programme du mouvement, d'abord, est fait pour séduire les jeunes catholiques : A u naturalisme immédiat, à la vérité immédiate, les j e u n e s littérateurs du m o u v e m e n t symboliste opposèrent les fondements de l'esthétique wagnérienne... A l'art de copie, ils opposèrent l'art d e transposition ; au personnage d e réalité anecdotique, le personnage de signification symbolique 53 . En effet, ils saluent le mouvement symboliste comme le retour tant attendu vers l'idéal : L'attitude de cette génération est, du point de vue lyrique, une des plus nobles qui soient dans l'histoire des idées esthétiques du XIX e siècle. Les tenants du symbolisme n'ont cherché autre chose q u e la poésie pure, c'est-à-dire dépouillée d e tout ce qui n'est pas elle : didactisme, éloquence, etc... Ils ont agrandi le c h a m p de la vision poétique en tournant leurs regards vers l'intérieur, vers l'âme, et en poussant des prolongements jusqu'au d o m a i n e d e l'inconscient. Ce mot de symbolisme ne signifie qu'un retour aux données premières de la vie psychologique de l'homme ; il est s y n o n y m e d'idéalisme 5 4 . et nous pouvons mieux comprendre, grâce à l'éclairage symboliste, cette remarque du programme de Durendal, déjà citée plus haut : 51. F., Gabriel Nigond, dans Dur., février 1905, p. 87. M., Stéphane Mallarmé, dans Dur., septembre 1 8 9 8 , p. 7 8 6 . 53. MAUCLAIR C., Souvenirs sur le mouvement symboliste en France, 18841 8 9 7 , dans Nouvelle revue, 1 5 / 1 0 et 1 / 1 1 / 1 8 9 7 , cité par G U I C H A R D L „ La musique et les lettres en France du temps du wagnérisme, p. 240. 5 4 . V I S A N T . de. Lettre parisienne, dans Dur., février 1 9 1 1 , p. 8 9 . ANSEL 5 2 . DULLAERT Une revue catholique au tournant du siècle 45 Or fait remarquable, l'âme contemporaine, désemparée de tout, aiguille précisément vers l'Idéalisme. N o u s pensons donc — et quelques-uns de nos amis l'ont pensé avec nous — que l'heure propice a sonné qui pourrait mettre d'accord le m o u v e m e n t conscient du catholicisme et le m o u v e m e n t inconscient du m o n d e moderne vers l'Idéal, et voilà I'arrière-pensée qui a présidé à la création de cette nouvelle revue : Durendal55. Beaucoup de collaborateurs de Durendal, rédacteurs à temps plein ou occasionnels, viennent d'ailleurs de revues symbolistes : ainsi, Arnold Goffin, les Destrée ont quitté la Wallonie à l'arrivée de Ghil ; YArt Jeune, revue à la rédaction de laquelle ont participé Blanche Rousseau et Jean Dominique — les deux poétesses de Durendal —, fusionna avec le Coq Rouge, connu pour son orientation on ne peut plus symboliste. Vanden Bosch et Dullaert, quoique n'ayant jamais appartenu à aucune rédaction symboliste (différente de Durendal), œuvrent pour orienter le Magasin Littéraire vers ce mouvement culturel. Tancrède de Visan et Henri Mazel, les correspondants parisiens de Durendal, sont des symbolistes notoires. Au moment où éclate la querelle qui oppose la Jeune Belgique au Coq Rouge, le débat du vers libre atteint la rédaction de notre revue catholique. L'abbé Moeller attaque en accusant les vers-libristes d'avoir torturé la langue en « l'encombrant de néologismes absurdes » : Le Beau c'est l'ordre ; ... et l'anarchie c'est le désordre, c'est le gâchis. Il y a en littérature c o m m e en toute chose des principes éternels qu'on ne viole pas impunément ... Les vers-libristes abolissent toutes les règles et déclarent la poésie à tout jamais affranchie. Pour reconnaître cette poésie il n'y a que deux moyens : la déclaration de l'auteur lui-même qui se proclame poète ... et le fait d'aller à la ligne là où, en prose, on eût continué à écrire sur la m ê m e ligne ... ce n'est plus de la poésie, c'est tout bonnement de la prose que nous livrent ces écrivains sous l'étiquette fausse et menteuse du vers libre ... Pour être peintre il faut savoir dessiner, pour être musicien, il faut connaître les lois de l'harmonie et pour être poète, il faut connaître les règles de la bonne vieille prosodie 56 . 55. La Geste idéale, dans Dur., janvier 1894, p. 2. MOELLER H., L'anarchie littéraire, dans Dur., mars 56. 1896, pp. 157-158. 46 Françoise Chatelain Un certain D., dans sa critique du recueil de Gustave Kahn, Limbes de lumière, est moins catégorique certes mais peu optimiste : Je doute, pour ma part, qu'il (le vers libre) s'impose tel, jamais. L'on peut craindre qu'ils ne s'abusent étrangement, les verslibristes, en croyant libérer d'entraves surrannées le rythme, qu'ils ne le tuent en prétendant l'affranchir 5 7 . C'est dans le Magasin Littéraire que parlent les défenseurs : Maurice Dullaert : Il (Verlaine) s'insurge contre le culte excessif de la rime riche, bijou d'un sou ... Il affranchit le vers d'une contrainte qui menaçait de bannir toute surprise, de tuer toute souplesse et toute ingénuité 58 . et Firmin Vanden Bosch : C'est dans le sens de la liberté que le vers français a perpétuellement évolué ; dès lors donc qu'une atteinte fut portée à son intégrité classique, ces ultimes novations d'aujourd'hui étaient à prévoir ; et, si sacrilège il y a, les révolutionnaires d'aujourd'hui en partagent la responsabilité avec les révolutionnaires de jadis : la méconnaissance actuelle du nombre homosyllabique et de la Rime fait suite logique au rejet ancien de l'hémistiche et à la réhabilitation de l'enjambement, ceci appelle cela 59 . H. Braet nous propose ce résumé du même article de Vanden Bosch, Une cause littéraire. La Jeune Belgique contre le Coq Rouge : La poésie symboliste est la réincarnation du mystère. Le langage des j e u n e s poètes peut donc paraître obscur, car chez eux la forme est appropriée à la substance. Quant au vers français, il a toujours évolué vers la liberté : le vers libre en est l'aboutissement. Vanden Bosch invite les conservateurs à respecter cette évolution 60 . Pourquoi, eux qui prenaient si souvent la plume pour Durendal, se sont-ils exprimés dans une autre revue ? 57. D., Les Livres, dans Dur., août et septembre 1897, p. 105. 5 8 . DULLAERT M . , Paul Verlaine ( I I I ) , dans Magasin Littéraire, pp. 352-353, cité par BRAET H., Op. cit., p. 131. 5 9 . V A N D E N BOSCH F . , Une cause littéraire ( I I I ) , dans Magasin 1 8 9 6 , I, p. 2 3 4 , cité par BRAET H . , Ibid., p. 130. 60. BRAET H . , Op. cit., p. 4 3 . 1896, I, littéraire, 47 Une revue catholique au tournant du siècle C'est un mystère auquel on ne peut répondre que par des hypothèses : respect pour Moeller et ses opinions ? crainte d'une censure ? difficile à dire. Quoi qu'il en soit, même en refusant ce qu'elle pouvait considérer comme des outrances, la rédaction de Durendal devait être symboliste puisque ses maîtres à penser — à l'exception toutefois de l'éternel marginal Léon Bloy — avaient adhéré au mouvement dès ses débuts et que le Saint-Graal, dans lequel on a pu voir un modèle pour la revue belge, comptait parmi ses collaborateurs des personnalités comme Verlaine, Moréas ou Maeterlinck. La perception symboliste telle qu'on l'analyse à Durendal : le paysage est pour lui (le symboliste) c o m m e une phrase musicale : il pourra essayer de reconstituer cette phrase « par la force de la pensée réfléchie »>, mais il ne pourra s'estimer satisfait que si la sensibilité consultée ne remarque point la différence qualitative entre l'effet obtenu et la sensation primitive 6 1 . doit beaucoup à Wagner et à sa musique. Le symbolisme, à travers lequel transparaît, selon A. Coeuroy, la pensée wagnérienne, avait côtoyé le maître : Villiers de l'Isle-Adam, dont l'esprit, c o m m e disait Roujon, oscillait « du dilettantisme satanique de Poe au mysticisme wagnérien » dédia « à Monsieur Wagner » son petit conte : Le secret de l'ancienne musique où il supposait qu'une des parties à exécuter dans un opéra « d'un maître allemand » était une suite de silences pour chapeau chinois : satire à la Mark Twain des détracteurs de Wagner lui reprochant la difficulté de sa musique 62 . Les jeunes symbolistes chrétiens s'en étaient tout naturellement inspirés puisque Wagner professait, tout comme eux, des tendances mystiques et idéalistes : Le caractère de la scène et le ton de la légende contribuent ensemble à jeter l'esprit dans cet état de rêve qui le porte bientôt jusqu'à la pleine clairvoyance, et l'esprit découvre alors un nouvel enchaînement des p h é n o m è n e s du monde, que ses yeux ne pouvaient apercevoir dans l'état de veille ordinaire 63 . 61. CHRISTOPHE L., L'attitude du lyrisme contemporain, dans Dur., juillet 1912, p. 478. 62. COEUROY A., Appels 63. WAGNER d'Orphée, R., Lettre p. XLIX, pp. 200-201. cité par GUICHARD L., Op. cit., p. 12. 48 Françoise Chatelain La vie et la mort, l'importance et l'existence du m o n d e extérieur, tout ici dépend uniquement des mouvements intérieurs d e l'âme 6*. En raison de ces idées, Wagner fut rapidement annexé par le mouvement qui voyait en lui le chrétien avant tout et applaudissait à l'opposition du compositeur au naturalisme : Tout en admirant la noblesse des théories de Wyzewa, il conclut, sceptique, que chacun trouve dans Wagner, c o m m e dans des auberges espagnoles, ce qu'ils y apportent. Wagner, cette œuvre où vivent les symboles, a donc contribué à détourner du naturalisme ou de certain nihilisme stérile et à orienter vers des œuvres symboliques et mystiques les jeunes littérateurs qui s'y trouvaient préparés 6 5 . Enfin, Wagner souhaitait une fusion de la poésie et de la musique pour créer l'œuvre parfaite. Certains pensèrent qu'il avait réussi : D a n s le système de Wagner, qui est celui d'un récitatif perpétuel, traduisant avec fidélité le sens des paroles ... la note repose exactement sur le mot et ne s'élance pas toute seule vers le ciel ... le rythme, souvent peu sensible, suit plutôt la phrase parlée que la période musicale ... l'air d e désordre vient de l'absence du rythme carré que de parti pris le maître évite, de m ê m e qu'il s'abstient de moduler 6 6 . Les Villiers de l'Isle-Adam, Huysmans, Verlaine applaudissent donc avec enthousiasme et on peut sans doute voir la création du fameux Saint-Graal comme une émanation directe de l'œuvre wagnérienne : Bien ! Très bien ! Le Saint Graal, quel nom, quel nom ! double signification : faîte de l'art moderne, sommet du Vrai éternel. Saint Graal, Sang réel, le sang du Christ dans l'or incandescent, Saint Graal, Lohengrin, Parsifal, la manifestation triomphale et triomphante de la plus sublime musique, de l'effort poétique peut-être définitif de ces t e m p s - c i 6 7 . Lettre p. L U , cité par G U I C H A R D L . , Ibid., p. 13. cité par G U I C H A R D L . , Ibid., p. 1 4 9 . Th., cité par G U I C H A R D L . , Ibid., p. 17. P., dans le Saint Graal, 24 décembre 1891, cité par 64. WAGNER R., 65. BARRES M . , 66. 67. VERLAINE GAUTHIER CHARD L., Ibid., p. 69. GUI- Une revue catholique au tournant du siècle 49 Et tout naturellement, Durendal leur emboîte le pas : Ce qui marque le Crépuscule des Dieux, c o m m e d'ailleurs toute l'œuvre de Wagner, parmi les plus sublimes manifestations de l'art de tous les temps, c'est que si le souffle du ciel n'abandonne jamais le p o è m e dont il est l'âme et qu'il traverse constamment d'un bout à l'autre, cette inspiration, loin d'être livrée à elle-même, a pour guide une lumière supérieure, celle du génie sûr de sa route, pleinement conscient du but poursuivi et des moyens propres à l'atteindre 68 . La revue partage l'admiration du grand maître pour Beethoven dans l'œuvre duquel il voyait une première ébauche de la mélodie telle qu'il la rêvait pour son opéra idéal : Si les idées q u e Bruckner y expose sont souvent nobles et belles, si prises isolément, elles sembleraient pouvoir constituer la base magnifique du Temple, le lien qui les unit est trop débile, et non seulement elles ne s'éclairent point mutuellement, ne s'enchaînent pas dans la lumière d'une forme architecturale, mais elles ne s'y opposent pas non plus l'une à l'autre en ces contrastes éclatants, impérieux et révélateurs chers à la muse romantique et dont Beethoven a su tirer le s u m m u m d'effets 6 9 . (Notons au passage le peu d'intérêt que suscite Bruckner chez le critique musical de Durendal.) De la même façon ils acclamèrent les tentatives d'application des théories wagnériennes auxquelles se livrèrent rapidement certains artistes français. Ainsi les tentatives d'adaptations de l'esthétique de Wagner au théâtre comme celles que pratiquèrent Paul Fort et Jacques Copeau furent-elles encouragées vivement par l'abbé Moeller lui-même. En septembre 1913, il publiait une lettre du directeur du Vieux-Colombier dans laquelle ce dernier priait l'abbé de répandre ses idées s'il les jugeait intéressantes. Ce que ne manquèrent pas de faire le directeur de Durendal et Tancrède de Visan. On peut s'étonner, connaissant l'admiration de la revue pour le compositeur allemand, de l'attitude qu'elle adopta à l'égard du seul compositeur français qui, loin d'imiter servilement Wagner, avait su profiter de ses leçons pour créer une 6 8 . GOLESCO p. 160. 69. G. GOLESCO G . de. Le Crépuscule des Dieux, dans Dur., mars 1902, de. Chronique d'art, dans Dur., janvier 1907, pp. 62-63. 50 Françoise Chatelain œuvre typiquement française : Debussy. Si Arnold Goffin et Joseph Ryelandt n'hésitaient pas à proclamer, à propos de Pélléas et Mélisande, que le drame de Maeterlinck et la partition de Debussy s'unissaient dans une harmonie parfaite, Georges de Golesco par contre, tout en lui reconnaissant des talents de suggestion pour réaliser ce qu'il appelait des « photographies sonores », lui reprochait un manque certain d'émotion lyrique et une trop grande objectivité. Georges de Golesco était le critique musical attitré de Durendal et, à ce titre, on ne peut négliger sa remarque. On ne peut s'empêcher de rapprocher cette prise de position de l'attitude de Durendal devant la peinture nouvelle : approbation, voire admiration pour l'impressionnisme où l'on ne peut manquer de voir l'empreinte de Wagner et du symbolisme : Ils proclamaient leur droit au rêve et leur besoin d'imprégner leurs tableaux de pensée et de provoquer dans celui qui les contemple certains états d'âme, c o m m e les appelle Maurice Denis. Le mot de symbolisme était c o m m o d e : la littérature s'en était emparée, par défi d'abord, puis avec fierté. N e convenait-il pas également bien aux peintres ? 7 0 . mais refus absolu du pointillisme et étonnement devant les œuvres de Van Gogh reproduites dans YArt flamand et hollandais : des œuvres fort curieuses de cet artiste si original. Le talent si particulier, si spécial, si violent et si tourmenté de cet artiste si bien doué, en dépit de l'exaspération que dénotent ses dernières œuvres, est très judicieusement analysé... 7 1 . Sans doute toutes ces modernisations n'appartenaient-elles déjà plus à la sphère de pensée de la revue vieillissante. En matière de peinture, ils en étaient en effet restés avant tout au pré-raphaélisme. Un art comme celui de Maeterlinck, rempli de brumes évanescentes, se trouvait parfaitement illustré par la peinture de Burne-Jones, Watts ou Dante-Gabriel Rossetti, eux qui choi70. PEYRÉ H., Qu'est-ce que le symbolisme ?, pp. 183-184. 71. H. M., Livres et revues, dans Dur., août 1904, p. 505. Une revue catholique au tournant du siècle 51 sissaient de peindre à la manière des primitifs italiens en privilégiant le rêve. Durendal parle abondamment de l'initiateur : Ruskin. C'était, pour Arnold Goffin, un génie, autodidacte tendre et imprégné de beauté et de sentiment. Les critiques se donnaient rarement la peine d'expliquer au lecteur ce qu'était exactement cette école de peinture, mais il paraît que l'engouement suscité par le mouvement leur donnait à penser que tout détail était superflu. On peut donc comprendre qu'en juillet 1895, William Ritter regrettait cette popularité des Burnes-Jones, Watts etc., réservant le monopole de l'art à quelques esthètes avertis puisque le vulgaire était incapable de comprendre ! Article de louanges encore pour les préraphaélites d ' A u x confins du Réel et du Rêve qu'écrivit, en juin 1911, Emile Chardome : il y comparait les jeunes filles peintes par Burne-Jones aux figures de Botticelli. Quant à Arnold Goffin, voici comment il rattachait le symbolisme au préraphaélisme : En résumé, un art très réfléchi, très prémédité qui, dans ses origines ou dans ses intentions, s'afïilie à celui de Gustave Moreau, de Burne-Jones, de Watts ; un art très représentatif des tendances idéalistes qui se manifestèrent dans l'art et dans les lettres, il y a un peu plus d'un quart de siècle, par réaction et révolte contre les systèmes matérialistes qui prévalaient à cette époque. (...) le succès des œuvres de M. Khnopff en témoigne — si, toutefois, ce succès n'est pas dû surtout au talent de l'artiste — le symbolisme artistique a toujours des fidèles. Mais le courant qui persiste dans ce sens n'a rien de l'impétuosité et des puissances généreuses de fécondation de celui qui a exalté jusqu'à l'héroïsme les visions de Meunier 72 . Finalement, l'éclectisme de Durendal était menacé dès le départ par la devise même que s'était donnée la revue : l'idéalisme avant tout. A la limite on pourrait même considérer, en faisant référence à Villiers de l'Isle-Adam, au Saint-Graal, qu'avant même de venir au monde, Durendal était symboliste, 72. p. 640. GOFFIN A., Sur l'Art et les Lettres belges, dans Dur., octobre 1911, 52 Françoise Chatelain et portait donc en elle les germes de sa disparition : le refus de comprendre toute évolution qui l'éloignerait de ses premières amours. 2. Durendal et le statut des écrivains belges Souhaitant produire des œuvres, Durendal devait se situer par rapport à un problème crucial à son époque (mais cela a-til changé aujourd'hui ?) : existe-t-il une « Littérature belge de langue française » ou seulement la « Littérature française de Belgique », c'est-à-dire des œuvres littéraires françaises écrites par des Belges ? Les collaborateurs de la revue ne pouvaient manquer de s'interroger eux aussi. Les catholiques étaient fermement convaincus de la personnalité propre de nos lettres : J'aime beaucoup le titre très net et très franc de ce livre : Histoire d e la Littérature belge d'expression française. A elle seule, cette vedette est une affirmation de nationalisme littéraire qu'Edmond Picard était tout naturellement désigné pour souligner d'une préface. La préface c o m m e le volume de M. Henri Liebrecht, réjouira et exaltera tous ceux qui croient à l'originale autonomie de notre culture et que nos Lettres, alimentées par les ressources propres de la race ne sont point une contrefaçon simiesque de l'art français 7 3 . Cette déclaration ne faisait que résumer la position qu'avait déjà prise l'auteur dans un article consacré à Eugène Demolder en novembre 1902 : les Lettres belges d'expression française comme celles d'expression néerlandaise appartenaient au patrimoine belge et lui seul avait le droit de partager la gloire que nos écrivains recueillaient à l'étranger. Les littératures française de France et néerlandaise des Pays-Bas — si l'on peut se permettre cette expression — faisaient fausse route lorsqu'elles proclamaient que la langue dans laquelle étaient écrits les ouvrages suffisait à justifier une annexion. Le seul critère pour déterminer l'appartenance de l'œuvre à une culture est l'esprit qui l'a inspirée. L'âme du pays transparaît d'autant plus dans les Lettres belges que : 73. p. 756. VANDEN BOSCH F., Chronique littéraire, dans Dur., décembre 1909, Une revue catholique au tournant du siècle 53 les plus originaux et les plus spontanés, parmi les conteurs belges, étaient et sont restés des écrivains rustiques : ils s'appellent Eekhoud, Krains, Delattre, des Ombiaux, Georges Virrès, Stiernet, Garnir, Delaunoy et Boué. Tous apportent, à célébrer la région qui est la leur, un talent incontestable d'une ferveur passionnée ; les Flamands y mettent plus de puissance, de profondeur et de sérieux, les Wallons, plus de grâce souple et d'agrément enjoué 7 4 . Et malgré le grand amour qu'il vouait à leur littérature — la nôtre — le critique ne pouvait que regretter : On a pu dire à bon droit que la plupart des romans belges exhalaient un relent d'étable. (Dur., 1913, p. 431.) C'était d'autant plus regrettable que la veine régionaliste commençait à lasser les lecteurs et Durendal comprenait cette réaction ; elle lança un appel aux jeunes pour qu'ils renouvellent leur inspiration. Pourtant elle demeurait confiante dans l'avenir de nos lettres : elle avait perçu les symptômes du changement chez les nouveaux conteurs. A h ! la joie de concevoir, de sentir naître en soi la vie et de souffrir pour la mettre au monde, de voir apparaître sur la page blanche les idées, les images et les visions qui, lentement et mystérieusement, ont pris forme dans notre subconscience ! Je n'en connais pas qui soit plus complète et qui nous console mieux de la fuite ou de l'amertume des jours 75 . Le plaisir d'écrire ne compensait pas toujours les désillusions qui guettaient les écrivains belges car déjà à cette époque, ils n'avaient pas- la vie aisée et l'on comprend qu'ils ne prenaient pas la peine de chercher des modes d'expression neufs. La vie n'est ni clémente ni souriante, sous notre ciel aux écrivains professionnels. (...) Combien ont végété misérablement ou ont dû demander aux hâtives improvisations du journalisme de quoi acheter un modeste pain quotidien. D'autres, et ils sont les plus à plaindre, furent contraints par le besoin à rabaisser leur idéal au niveau des complaisances vulgaires ou libertines des foules ! Il n'existe pas en notre pays — jusqu'ici — des sinécures où l'artiste puisse œuvrer ses chefs-d'œuvre, avec une lente et scrupu- 74. ANSEL F., A propos de quelques livres, dans Dur., juillet 7 5 . C A R T O N DE W I A R T H . , Op. cit., p. 41. 1913, p. 431. 54 Françoise Chatelain leuse patience, dans une ambiance propice de confortable quiétude 7 6 . Rappelant la découverte de Maeterlinck en Belgique grâce à l'article consacré par Mirbeau à la Princesse Maleine dans le Figaro, Arnold Goffin s'alarmait : Le succès ou la notoriété pour un écrivain belge seraient-ils donc au prix de l'expatriation ? Et faudra-t-il arriver à cette paradoxale conclusion que la littérature belge n'a de chances de vie que hors de Belgique 77 . Le problème se posait de manière aiguë pour lui qui vivait de sa plume. La situation était assez étrange : la littérature belge était surtout appréciée de la France qui la revendiquait pour sienne mais la majorité des romanciers ne peignaient que la région qui les avait vus naître et grandir. Notre littérature était bel et bien en crise en ce début de XX e siècle. Après une éclosion de talents absolument inattendue à l'époque du symbolisme, le mouvement s'était essoufflé. Le renouvellement réclamé du public tardait à se manifester et les conditions dans lesquelles travaillaient les écrivains ne favorisaient guère un regain de vigueur de la littérature belge. Des problèmes semblables agitent périodiquement les milieux littéraires belges. Régulièrement, des écrivains de valeur quittent leur terre natale pour s'exiler en France où ils pensent trouver des facilités de travail (faut-il citer Françoise Mallet-Joris, Henri Michaux ou Hubert Juin ?). Ceux qui restent chez nous sont également forcés, sous peine de rester obscurs, d'envoyer leurs manuscrits à des maisons d'édition françaises davantage susceptibles de leur assurer la diffusion qu'ils méritent. Le métier d'écrivain reste, en Belgique, dans la plupart des cas, une occupation secondaire pour celui qui s'y livre, puisqu'il ne suffit pas à le faire vivre. (La fin dans le prochain 76. VANDEN p. BOSCH F . , Bulletin.) L'Apostolat de l'écrivain, dans Dur., août 1909, 507. 77. GOFFIN A., L'avenir des Lettres belges, dans Dur., janvier 1906, p. 26. Ghelderode et De Coster : de YHumble supplique à la Comète à La Balade du Grand Macabre Communication de M. André VANDEGANS à la séance mensuelle du 8 janvier 1983 De Coster publiait dans YUylenspiegel du 5 mars 1857 un texte qu'il avait intitulé « Humble supplique à la comète » et daté du 1er mars de la même année. Il réimprimera cette lettre fictive dans les Contes brabançons qui paraîtront à Paris, chez Michel Lévy, en 1861 L'auteur de la missive et ses amis sont troublés. On parle autour d'eux de la prochaine venue d'une comète destructrice de la Terre et de ses habitants. Le bruit est-il fondé ? La comète va-t-elle anéantir indistinctement « bons » et « méchants » ? Ce serait injuste. L'auteur connaît beaucoup de « bonnes gens », de toutes classes et professions, qui travaillent pour vivre et ne veulent que vivre et chanter parce qu'ils aiment les plaisirs sains et n'ont jamais médité la souffrance de personne. Ils goûtent le présent et, si le malheur les abat, se relèvent. Leurs « défauts », car ils en ont, sont excusables. Si tous doivent périr, ils consoleront la femme qu'ils aiment et mourront en chantant. Mais bons et méchants ne sauraient être condamnés. Si l'auteur le pensait, lui et ses amis en appelleraient à Dieu. L'injustice de la comète ferait vaciller en chacun l'idée qu'il entretient du droit et de l'équité. On assisterait à des comportements comme on en vit peu avant l'an mille : absurdes, déments, offensants. Les esprits « simples » offri- 1. Le conte occupe les pages 91 à 100. 56 André Vandegans raient bien vite « leurs biens aux moines » qui « n'en auraient que faire». Les « j e u n e s » comme les «vieux», les «sains» comme les « malades » s'empresseraient de vivre. Affolé, le monde se jetterait publiquement dans des « débauches inouïes ». Les « sept péchés capitaux » seraient honorés. Les « vieux avares », pressés de connaître les jouissances, « mourraient de leur première orgie ». Les « sages » se transformeraient en « satyres », les « vierges » en « bacchantes ». Mais la comète sait bien qu'il ne s'agit que d'arracher « l'ivraie » du champ. L'auteur et ses amis prient donc l'astre de supprimer « méchants, hypocrites, sournois » qui haïssent la lumière (taupes, hiboux). Les vaniteux, les ennuyeux et les creux (coquelicots). Ceux (castors) qui détestent artistes et poètes (fauvettes, rossignols, pinsons), — il s'agit des membres d'une classe sociale, la bourgeoisie, hostile à l'art sous le prétexte qu'il ne sert à rien, — étant entendu que cette classe compte nombre de représentants irréprochables qui devraient être graciés. Méritent aussi l'extermination les faux savants, les pédants, les plagiaires (divers perroquets) et les romantiques attardés, qui ne sont que des malades et des égoïstes (coucous pleurards). Encore une fois, attention aux méchants, hypocrites et sournois ! Point de quartier non plus pour les rampants et les bavants, c'est-à-dire les flatteurs et les envieux (vers de terre, limaces, serpents). Ni pour les mauvais riches (insectes accapareurs). Ni pour les farceurs en tous genres, — ceux de la foire exceptés. Ni pour les rapaces (aigles, vautours, éperviers), les prédateurs sauvages et cruels (hyènes, lions, chacals), les créatures de fausseté (tous les félins). Les suppliants recommandent au contraire à la comète les fidèles (chiens), les patients (bœufs), les laborieux (abeilles), les êtres nobles (chevaux), ainsi que tous ceux qui réjouissent l'oreille (rossignols, pinsons, alouettes) ou toutes celles qui embellissent le monde par leurs couleurs ou leurs parfums (les fleurs, sans restriction). Renonçant, pour finir, à la métaphore, l'auteur de la supplique demande encore grâce à la comète pour les femmes, « dont le caractère est resté inconnu jusqu'aujourd'hui ». Elles lui semblent supérieures aux hommes, qui les ont toujours très mal traitées, leur injustice le disputant à leur mauvaise foi. Ghelderode et De Coster 57 Le texte est, à l'évidence, un éloge de la vie saine et de ceux qui l'aiment, des vrais artistes, des hommes bons et travailleurs, des femmes. Il est une satire des ennemis de la lumière, des personnages gonflés et vides, des utilitaristes, des faussaires, des égoïstes, des envieux, des cupides, des cruels, des trompeurs. Eloge et satire portés par une lettre supposée, que son auteur adresse à un astre qui menace, selon la rumeur, tout ce qui vit sur le globe. Lettre qui, en raison des circonstances ne peut être qu'une « supplique », et très « humble », adressée à cet astre pour qu'il épargne les bons et frappe les méchants, que l'on prend soin de signaler, par prudence, soi-même. La lettre est une défense et une dénonciation écrite dans l'anxiété de la venue prochaine de la fin du monde terrestre. Elle est conjuration de ce cataclysme par quelques bons en faveur de tous les autres et d'eux-mêmes. Le motif du cataclysme terrestre sous-tend d'un bout à l'autre du texte le motif de l'éloge des bons et celui de la critique des méchants. Les deux derniers motifs se déploient en permanent contrepoint au premier, lequel n'apparaît que brièvement à la surface et demeure le plus souvent caché. L'« Humble supplique » semble n'être qu'une fantaisie d'écrivain en veine de désigner au feu d'une comète imaginaire tous ceux dont il ne serait pas fâché que la Terre fût purgée en raison de leur nocivité. Et de recommander à sa bienveillance les êtres qui l'émeuvent par leurs qualités ou le charment par leur apparence. Or la comète à laquelle s'adresse l'auteur de la lettre n'est pas née de son esprit. Les astronomes la connaissent bien, et l'on dut en parler au début de 1857. En fait, on a relevé pour cette période de l'année le passage de deux comètes. La première (1857 a), découverte le 22 février, n'était guère brillante et devait traverser le ciel à une distance respectable de la Terre et du Soleil. Elle était invisible à l'œil nu. Sans doute n'occupa-t-elle que les spécialistes. Il ne dut pas en être de même de la seconde (1857 b), la comète périodique Brorsen 1846 III, dont on prévoyait le retour pour 1857. Les prédictions du savant Van Galen fixaient le retour de la comète au périhélie (c'est-à-dire au point le plus proche du Soleil) au 25 juin 1857. L'opposition (c'est-à-dire la position de 58 André Vandegans la comète à l'opposé du Soleil par rapport à la Terre, d'où l'on observe alors le plus favorablement l'astre) devait se produire le 10 juin. Enfin, la comète serait au plus près de la Terre (soit à 1,5 unités astronomiques) vers le 15 juillet. L'« Humble supplique » fut écrite dans l'attente du passage, que l'on pouvait trouver prochain, d'une comète réelle. Nous comprenons mieux d'où vient que l'auteur de la lettre écrive que ses amis et lui sont très inquiets lorsqu'ils pensent au 13 juin. La précision n'aurait pas grand sens si elle était donnée, sans autre information, à propos d'un astre imaginaire. Elle est motivée dès lors que la comète Brorsen 1857 b devait évoluer dans les parages de notre planète au début de l'été. Sans doute De Coster avaitil été quelque peu mal informé puisque l'auteur de la « Supplique » redoutait le 13 juin alors qu'il devait plutôt craindre la mi-juillet. En tout état de cause, il s'alarmait pour rien. Van Galen s'était, en effet, trompé. On retrouva, par hasard, le 18 mars, la comète dans un autre endroit du ciel, et on put l'observer à l'œil nu quelques jours plus tard. Elle passa au périhélie au début d'avril et au plus près de la Terre vers le début de mai, la distance minimale étant de 0,74 unité astronomique. L'événement se passa donc plus tôt que prévu, et sans qu'il en résultât rien de fâcheux ni pour la Terre ni pour ses habitants 2 . Ainsi l'« Humble supplique » est-elle issue d'un fait appartenant à l'histoire, en l'occurrence celle du système solaire. Mais elle s'enracine dans le psychisme de Charles De Coster dont elle manifeste les tendances vitalistes, orientées vers le 2. Je dois les informations qu'on vient de lire à l'extrême obligeance de M. François Dossin, chef de travaux à l'Institut d'Astrophysique de l'Université de Liège. M. Dossin cite les références suivantes : S. K. VSEKHVIATSKII, Physical Characteristics of Cornets, publ. à Moscou en 1958, la trad. anglaise ayant paru à Jérusalem en 1964; Astronomische Nachrichten, n° 39, Altona, 1954. Il ajoute que l'ouvrage de V E R O N et RIBES sur Les Comètes (Paris, Hachette, 1979) parle, en son chapitre III, des croyances auxquelles donnaient lieu jadis les apparitions de comètes. Je prie M. Dossin de bien vouloir trouver ici l'expression de ma vive gratitude. On sait que, dans les Pensées sur la comète (1694), Pierre Bayle dénonçait déjà les fausses idées que les esprits non éclairés formaient au sujet de l'influence prétendue des comètes sur notre globe. Ghelderode et De Coster 59 plein épanouissement de l'être dans un univers de bonté, d'authenticité, de santé, de générosité ainsi que de travail, de beauté et de joie. * * * Ghelderode a lu l'« Humble supplique », et, selon toute vraisemblance, assez tôt. Il a rencontré, à l'en croire, La Légende d'Ulenspiegel vers 1916 3 . On peut, semble-t-il, lui accorder foi dès lors qu'on décèle l'influence du livre dans La Halte catholique, commencée en 1917 et publiée en 1922 ; dans L'Histoire comique de Keizer Karel, entreprise dès l'automne de 1918, publiée également en 1922, et que Ghelderode dédia au «génie» de Charles De Coster; et dans Heiligen Antonius (Saint Antoine), roman inédit, commencé en et achevé en 1921. Ghelderode acquit les Contes brabançons, dans une traduction néerlandaise, en 1919 4 . On peut penser qu'il les lut sans tarder, en cette période où l'animait une intense ferveur costérienne. Quoi qu'il en soit, La Farce de la Mort qui faillit trépasser, où l'on doit situer l'origine un peu grêle de la flamboyante Balade du Grand Macabre, porte la trace de souvenirs de l'« Humble supplique ». La Farce parut, en version néerlandaise, sous le titre Van den Dood die bijna stierf, signée par Jef Vervaecke et Michel de Ghelderode, en 1925 * Une deuxième édition néerlandaise fut publiée en 1932 6 . Vervaecke, mort le 24 juin 1926, à l'âge de trente-deux ans, ne la connut pas. En 1942, l'intérêt pour le texte étant demeuré vif] on donna une troisième édition néerlandaise 1 , qui fut la dernière de l'espèce. Dix ans plus tard, la version française vit enfin le jour, par les 3. M. de GHELDERODE, Les Entretiens d'Ostende, p. 35, Paris, L'Arche, s.d. [1956). L'édition qu'il en possédait est de 1921. 4. Voir R. BEYEN, « Les Goûts littéraires de Michel de Ghelderode », dans Les Lettres romanes, t. XXIV [1970], p. 143 et n., p. 144. Le critique signale que Ghelderode n'acquit les Contes brabançons en éd. française qu'en 1950. 5. Vilvoorde, De Tijdspiegel ; Brussel, Gudrun. 6. Antwerpen, De Oogst. 7. Antwerpen, P. Vinck. 60 André Vandegans soins de Ghelderode, et sous son nom seul 8 . Cette édition s'appuyait sur la première édition néerlandaise de 1925, laquelle constituait à son tour la traduction d'un manuscrit élaboré par Ghelderode, en français, cela va sans dire, entre le début de 1924 et le mois de juin de l'année 1925 9 . Sur quel texte de La Farce dois-je ici me fonder pour la rapprocher de l'« Humble supplique » ? Je ne puis recourir à celui de 1952, postérieur de dix-huit ans à La Balade du Grand Macabre. Je ne puis davantage me servir de la deuxième édition néerlandaise, publiée par Jozef Contrijn en 1932. En effet, Ghelderode avait traduit en français la première édition néerlandaise, celle de 1925, à une date antérieure à mars 1928. L'abbé J. Pêtre fait état, dans La Scène de mars 1928, d'une pièce de Ghelderode qu'il possède en manuscrit « à titre documentaire ». Cette pièce s'intitule De la Mort qui faillit trépasser, farce en cinq tableaux et un prologue. On voit par le titre de l'œuvre et par la présence d'un prologue de Vervaecke, qu'il s'agit bien de Van den Dood die bijna stierf de 1925. D'ailleurs, dès janvier 1928, le même ecclésiastique annonçait déjà De la Mort et, en sus, une « nouvelle version » de ce texte intitulée La Farce de la Mort qui faillit trépasser. Cette « nouvelle version » pourrait bien être soit une ébauche de la version de 1952, soit cette version ellemême. On ignore à quelle date cette ébauche aurait été commencée. De ce qui précède, il résulte que je ne puis ici utiliser que l'édition néerlandaise de 1925. La Farce de la Mort qui faillit trépasser appartient à la série de cinq pièces que Ghelderode aurait, si on l'en croit, « reconstituées d'après le spectacle des marionnettes bruxelloises » ou encore à partir du témoignage de montreurs retraités, et qu'il 8. Bruxelles, A l'enseigne de « La Sirène ». 9. On lira sur le problème complexe des éditions Michel de Ghelderode ou la Comédie des apparences. Catalogue rédigé par R. BEYEN, pp. 56 et 58, Paris, Centre Georges Pompidou, 27 février-7 avril 1980 ; Bruxelles, Bibliothèque royale Albert IER, 26 avril-7 juin 1 9 8 0 ; et Ph. D E N D A L , La Farce de la Mon qui faillit trépasser de Michel de Ghelderode. Proefschrift voorgedragen tôt het behalen van de graad van Licenciaat in de Romaanse Filologie, Katholieke Universiteit te Leuven, 1981, 2 vol. (Mémoire dactylographié); on se reportera au vol. I, Edition critique, pp. 1-14, et au vol. II, pp. 41-58. Ghelderode et De Coster 61 écrivit, en fait, lui-même, en 1924-1925, pour le théâtre de marionnettes de la Renaissance d'Occident. Elles répondent vraisemblablement, au moins en partie, au désir qu'éprouvait le jeune écrivain de ne pas voir périr à Bruxelles un art qui lui était cher. Mais on ne saurait les tenir pour des vestiges du folklore de la capitale 10. La Farce met en scène une singulière tribulation de la Mort. Elle en sortira intacte et prête à reprendre son œuvre. Au premier tableau nous sommes dans la chambre d'étude du philosophe Paternoster, qui dort. Son ami Van Slimmeke, ivrogne, vient lui demander de l'argent pour boire. Paternoster, dont le cœur est faible, lui en donne. Surgit la femme du philosophe. Elle injurie et bat son mari qui, par ses largesses inconsidérées, a donné une preuve nouvelle de sa sottise. Van Slimmeke se manifeste une deuxième fois et retrouve Paternoster endormi. Pour le réveiller, il lui annonce que sa femme s'est noyée, puis disparaît soudainement. C'est que vient d'entrer Pitje-la-Mort. Stupéfaction de Paternoster. Il accueille toutefois civilement l'étrange apparu, qui se présente. L'ahurissement du philosophe est à son comble. Après avoir récupéré ses esprits, il s'empresse d'interroger la Mort sur un sujet qui lui tient à cœur : sa femme vivra-t-elle longtemps encore ? Jusqu'à centdix ans, énonce la Mort. La réponse épouvante Paternoster. Ne pourrait-on abréger l'existence de la mégère ? Impossible : les femmes méchantes sont condamnées à demeurer longtemps sur la Terre. La Mort, apparemment pour consoler le malheureux philosophe, lui propose alors de l'accompagner dans ses voyages. Paternoster accepte. Au cours du deuxième tableau, on voit Paternoster et la Mort sortir éméchés d'un cabaret et pénétrer dans un autre qui a pour enseigne « A l'Eternité ». Non plus que dans le précédent, les compères ne découvrent âme qui vive. Depuis que l'on sait que la Mort est dans les environs, chacun se terre dans sa cave. Au troisième tableau, 10. Voir A . V A N D E G A N S , « Le Mystère de la Passion et Barabbas », dans Revue des langues vivantes, t. XXI [1966], n° 6, pp. 547-566; Aux origines de «Barabbas ». «A dus Tragicus » de Michel de Ghelderode, pp. 25-27, Paris, Les Belles Lettres, 1978 ; et R. BEYEN, Michel de Ghelderode ou la hantise du masque, pp. 178-184, Bruxelles, Palais des Académies, 1971. 62 André Vandegans qui se déroule « A l'Eternité », on retrouve pourtant Van Slimmeke apeuré qui fait office de patron. Les trois personnages s'enivrent copieusement, Paternoster essayant, d'ailleurs sans y parvenir, de tirer de la Mort ses secrets. Au moment où, sous l'effet de la boisson, la Mort semble néanmoins au bord des confidences, surviennent l'un après l'autre un apothicaire, un notaire, un médecin, un entrepreneur de pompes funèbres, un sacristain, un sonneur de cloches, un fabricant de tombes et un général. Ils prient la Mort de bien vouloir reprendre sa promenade : l'inaction où elle se complaît est très dommageable à l'exercice de la profession des demandeurs. Que l'on éconduit sans cérémonie. Le trio reprend ses libations. Mais la Mort n'est plus en état de rien dire qui puisse intéresser les compères. Tout au plus esquisse-t-elle un pas de danse, immédiatement suivi de son écroulement. Paternoster et Van Slimmeke, ne sachant trop que faire, se décident enfin à la transporter hors du cabaret. Pendant le quatrième tableau, ils croient découvrir que la Mort est morte, — ce qui ne va pas sans leur poser un problème philosophique, — et, dans un grand trouble, ils balancent la défunte supposée par-dessus le mur d'un cimetière. Mais on s'aperçoit, au cinquième tableau, que la Mort est toujours bien vivante. A la terreur de Paternoster et de son ami, elle frappe à la porte du philosophe. On lui ouvre, mais elle n'est nullement courroucée. Elle ne manifeste que le désir de reprendre son voyage interrompu. Paternoster est-il toujours prêt à l'accompagner ? Le philosophe ne témoigne plus d'aucun enthousiasme. Il imagine une subtile ruse qui lui permet de se défaire de son épouse. C'est elle que la Mort emporte, tandis que les deux bonhommes se réjouissent bruyamment. Mais voici que reparaît à la fenêtre la face ricanante de la camarde, qui articule : « Elle aujourd'hui ! ... Vous demain ! ... » " . Paternoster s'effare. Van Slimmeke sourit et vide son verre. La Farce souligne sans la moindre ambiguïté l'éternité de la mort et l'impossibilité radicale où se trouve l'homme de l'apprivoiser ni d'en rien connaître. Le texte montre constam11. Je traduis. Ghelderode et De Coster 63 ment la méchanceté de la mort, son cynisme, sa dureté, sa cruelle hypocrisie. C'est en vain que les hommes lui opposent leurs pauvres ruses et tentent de l'attirer dans leur camp, de la faire passer du côté de la vie. De cette vie que Van Slimmeke et Paternoster aiment violemment, en dépit de la différence de leur condition. La Farce exalte la vie contre la mort inéluctable. Elle enseigne aussi, discrètement, qu'il convient d'accepter son destin avec sérénité. Ce dont les philosophes de profession ne sont pas toujours les plus capables. On aura relevé au passage la trace appuyée de quelquesunes des fondamentales obsessions ghelderodiennes : la mort, la femme, la pensée inauthentique, la vie, le bien, le mal reçoivent ici le traitement que la création du dramaturge et du conteur leur réserve du commencement à la fin de son déploiement. Souvent ces obsessions sont réactivées par des œuvres d'art et/ou par des textes littéraires. C'est le cas lorsque Ghelderode conçoit et écrit La Farce. L'empreinte de l'« Humble supplique à la comète » de Charles De Coster y est sensible. La Farce, page d'écriture dramatique où la vie délectable oppose ses défenses dérisoires à la toute-puissante Mort, distingue, sans autres nuances, comme il convient dans un texte du genre, deux catégories de personnages : les bons et les mauvais. Sont, de toute évidence, dénoncés comme nuisibles les personnages qui n'entrent pas en scène : l'apothicaire, le notaire, le médecin, l'entrepreneur de pompes funèbres, le sacristain, le fabricant de monuments funéraires, le général. Ils ont en commun de vivre de la mort, de trahir constamment l'homme, d'être passés à l'ennemi. La Farce condamne ces misérables. Elle n'est pas sans sévérité à l'égard de Paternoster. C'est un philosophe, autrement dit, comme la plupart des membres de la corporation (non comme tous), un bavard sans gaîté ni courage. Un fort penchant au sommeil et le peu de temps qu'il met à se convertir à la fréquentation des tavernes plaident, il est vrai, pour lui. Mais la lâcheté de son comportement, tout à la fin de la pièce, le flétrit sans équivoque. Le seul personnage auquel La Farce soit clémente, Van Slimmeke, n'est rien d'autre que l'ami du philosophe. On ne lui voit aucune profes- 64 André Vandegans sion. Il ne vit que pour boire, avec l'argent d'autrui, et, devenu ivre, pour célébrer le monde et semer largement autour de lui la gaîté et la joie. Van Slimmeke est du côté de la vie, avec l'homme et pour lui. Il ne s'effraye pas de la réapparition de la Mort à la fenêtre de la maison d'où elle vient d'emporter la femme de Paternoster. Il faudra mourir demain. Soit. Comme les autres. Il n'y a pas de quoi s'effrayer. Buvons. Cette sérénité oppose dignement Van Slimmeke à la terreur hurlante de l'épouse de Paternoster devant l'imminence du trépas. La femme du philosophe est constamment apparue comme une harpie vociférante, ennemie de la générosité, du plaisir, du repos, de la réflexion désintéressée. La fin de la pièce découvre sa cupidité, son hypocrisie, sa méchanceté, sa lâcheté enfin. Tous les traits du personnage le désignent comme mauvais. Il tremble devant la mort et il est la mort lui-même, permanent insulteur de la vie, de ce qui l'embellit, la parfume et la couronne. La Farce est, comme l'« Humble supplique », éloge et satire. Eloge de la vie, de ceux qui l'aiment et la servent, critique de ceux qui la trahissent, la fuient ou ne concourent pas à son épanouissement. Eloge encore de ceux qui, devant la mort, font face. Si toutefois Ghelderode oppose, après De Coster, la vie à la mort, c'est de manière tout à fait originale. De Coster avait distingué bons et mauvais, amis et ennemis de la vie en fonction de la psychologie, de la classe sociale, de la qualité esthétique et du sexe. Ecrivain de théâtre, qui a fait choix de la farce, Ghelderode ne s'embarrasse pas de subtilités. S'agissant des hommes, la profession est chargée de les signifier, elle qui, en vérité, les signifie authentiquement depuis plusieurs siècles, sur la scène au moins. Procédé assurément simplificateur mais qui peut être, dans la farce, d'une singulière efficacité. Quant à la femme, Ghelderode, comme De Coster, la range bien, sans plus de nuances, dans l'une des deux catégories, mais pas dans celle où la situait De Coster. Il ne partage nullement les sentiments délicats de son maître. Il éprouve la femme comme sa viscérale ennemie. Il a d'autant moins de scrupules à la camper, dans La Farce, selon son cœur et sa pensée qu'ici encore il a pour lui une longue tradition dramatique. Ghelderode et De Coster 65 Le motif cataclysmique est également présent dans La Farce, mais en un seul endroit. Nous sommes au troisième tableau. Paternoster et la Mort viennent de faire leur entrée dans la taverne « A l'Eternité ». Van Slimmeke, assez mal à l'aise, boit à la santé de la Mort, lui souhaite bonheur, satisfaction de ses désirs 12 « et une longue, oui une très longue vie ». La Mort s'étonne : « Une très longue vie ? Hi, hi, hi... Je souhaite tout l'opposé ». Puis, s'adressant à ses deux commensaux : J'ai en fait rendez-vous avec un ami, — que tu dois aussi bien connaître, Paternoster — il n'est pas, depuis longtemps, un inconnu, m o n collègue l'Antéchrist. Il prépare de vastes plans et dès qu'ils seront prêts, je m e mettrai à son service. Il est très satisfait de moi ; mes nombreux et modestes exploits, sous forme de petites guerres dans lesquelles je m e suis constamment distinguée et où j'exerçais le c o m m a n d e m e n t suprême, l'ont rendu tout à fait content ! Hi, hi, hi... I3 . Cette allusion à un cataclysme radical dans une œuvre qui emprunte, d'autre part, à l'« Humble supplique » deux de ses motifs est issue d'une rêverie ghelderodienne sur le motif fondamental qui traverse le texte costérien. Mais le dramaturge passe à la limite. De Coster le propulse vers une évocation de l'anéantissement du cosmos. Toutefois, je le répète, sur le mode de la simple allusion 14. Le sujet de Ghelderode est ailleurs. Il veut montrer la Mort qui, au cours de sa promenade, connaît une mésaventure bouffonne, d'ailleurs sans conséquence pour elle. L'exécution de ce propos donne à l'écrivain l'occasion de confronter des représentants de la vie à des auxiliaires de la mort, c'est-à-dire d'exprimer l'une des constantes de son imaginaire. L'« Humble supplique » lui fournit des matériaux pour cette expression. Elle lui en offre même de différents, sur un 12. Je traduis. 13. J. VERVAECKE e n M. d e GHELDERODE, Van den Dood die bijna stierj\ pp. 47-48. 14. Encore l'allusion est-elle sensiblement plus brève dans la version française originale publiée par Ph. Dendal dans le mémoire cité. La Mort se borne à dire : « Ah ! Ah ï ... Je souhaite seulement qu'advienne la fin du monde ! ... ». Mais on peut penser que l'amplification de la version néerlandaise est due à Ghelderode. Il a presque certainement collaboré à cette version. 66 André Vandegans autre objet de ses rêveries: la fin du monde l5 . En passant, il glisse ce motif, inquiétante arabesque, mais ne s'attarde pas. Le développer serait trop faire pour un divertissement que l'on veut bref. Ainsi trois motifs essentiels de La Balade du Grand Macabre, que Ghelderode publiera en 1934, apparaissent, déjà unis, dix ans plus tôt, dans un des textes dramatiques de sa jeunesse, où l'on découvre par ailleurs d'autres préfigurations de la grande pièce. Ces trois motifs sont nés de l'action d'un texte mineur de Charles De Coster, un peu perdu dans les Contes brabançons. Il n'a pas fini de stimuler Ghelderode. * * * La Balade du Grand Macabre, si l'on en croit une déclaration du dramaturge, émise en 1956, devrait l'existence aux pressions de la situation internationale. Ghelderode aurait été, en 1934, très affecté par les progrès du nazisme l6 . La « farce pour rhétoriciens » serait donc, comme l'« Humble supplique », un produit de l'événement. Rien n'interdit de le penser. Mais on doit se souvenir qu'en 1934 le motif cataclysmique s'est emparé de l'écrivain depuis longtemps. La Balade, — œuvre majeure que l'on voudra bien me dispenser d'analyser, — introduit vigoureusement et largement, dès le premier tableau, le motif cataclysmique, la défense des bons et l'abandon des mauvais à la colère céleste. Nous 15. Elle apparaît pour la première fois, sauf erreur, dans le « Final » de Heiligen Antonius, liée au motif de la punition des méchants et à celui de la récompense des bons. Mais Heiligen Antonius est au départ d'un chemin de la création différent de celui qui conduit à La Balade du Grand Macabre. Le motif de la fin du monde sera utilisé plus ou moins amplement par la suite dans d'autres textes dramatiques de Ghelderode qui ne relèvent pas de la tradition dont je m'occupe ici : La Mort du Docteur Faust, Un Soir de pitié, Trois acteurs, un drame, Barabbas, Pantagleize, Les Femmes au tombeau. Sire Halewyn, D'un diable qui prêcha merveilles, Fastes d'Enfer (Voir Nadine Berthe CASTRO, Un Moyen âge contemporain : le théâtre de Michel de Ghelderode, pp. 59 et 144, [Lausanne], l'Age d'homme, s.d. [1976]. 16. Voir R . BEYEN, Michel de Ghelderode ou la hantise du masque, p. 3 9 4 , et Ghelderode, p. 7 6 , [Paris], Seghers, s.d. [ 1 9 7 4 ] , Ghelderode et De Coster 67 sommes ici très près de De Coster. Nekrozotar, prétendu messager de Dieu, annonce qu'un astre va détruire le monde. PORPRENAZ. — [...] Que votre seigneurie m e pardonne. Qu'elle écoute ma supplique ... Voyez mes pleurs ... Grand Sire, grand macabre, grand justicier, grand moissonneur, j'embrasse vos semelles et je m'humilie et je vous d e m a n d e de ne point détruire les bons h o m m e s de Breugellande, ni leurs commères, ni leurs jeunes ... [...]. NEKROZOTAR. — Fauchés seront, trétous fauchés et périront ... PORPRENAZ. — Ou ne fauchez q u e les mauvais ... Laissez vivre les doux et les rieurs... NEKROZOTAR. — Fauchés seront, les mauvais et les bons... PORPRENAZ. — Laissez les enfants... NEKROZOTAR. — Fauchés seront, les enfants et leurs poux... I7 . On aura noté, outre l'identité des motifs, deux significatives réminiscences textuelles, que j'ai soulignées. Le tableau suivant met en scène le premier objet de la satire sur quoi s'appesantit La Balade. On y voit à l'œuvre une de ces créatures qui a particulièrement suscité l'indignation divine : une femme lubrique, tyrannique et cruelle. L'immonde Salivaine torture son mari, le pauvre philosophe Vuidebolle 18, dont Nekrozotar aidé de Porprenaz l'aidera pourtant à se débarrasser. Comme dans La Farce de la Mort, Ghelderode prend ici le parfait contrepied de De Coster qui demandait grâce pour les femmes. 11 suit au contraire De Coster lorsqu'il fait détruire par Vuidebolle son télescope et ses cornues ainsi que disperser ses livres. Vuidebolle se venge de la « salope », de la « truie » qui a empoisonné ses jours en le forçant à cultiver une science absurde, imposée par le pouvoir. Ghelderode ne condamne nullement ici la science authentique, comme on le verra plus loin. Ainsi De Coster ne recommandait-il à 17. M. de GHELDERODE, La Balade du Grand Macabre, farce pour rhétoriciens, pp. 28-29, Bruxelles, Editions Tréteaux, 1935. 18. Ce nom choisi à une fin de caractérisation a peut-être été formé sur celui que porte dans << Les Amies de pension » de Villiers de l'Isle-Adam, l'amant de cœur de Georgette : M. de Testevuyde (voir Contes cruels. Nouveaux contes cruels, pp. 315-322, éd. P.-G. Castex, Paris, Garnier, s.d. [1968]). Vuidebolle ne caractérise qu'imparfaitement le « philosophe » dès lors que, une fois débarrassé de sa femme, il pense et se comporte sainement. 68 André Vandegans l'attention de la comète que les « perroquets », c'est-à-dire les « faux savants ». La pensée que, d'autre côté, l'on satirise violemment dans La Balade est celle qui se nourrit du calcul pour secréter le mal, personnifié par Aspiquet et Basiliquet. Le troisième tableau est le pendant du précédent. Sire Goulave y est la victime des personnages que l'on vient de nommer et qui sont ses ministres. Ils l'instruisent à des exercices pour lesquels il n'a pas le moindre don et qui ne lui inspirent que dégoût. Le deuxième objet de la satire apparaît ici : les politiciens. Eux aussi, par leurs iniquités, ont allumé la colère de Dieu. De Coster ne vise pas expressément ceux qui s'occupent des affaires de l'Etat, mais il pourrait bien les ranger parmi les taupes et les hiboux dont il serait heureux que la comète débarrassât le monde. L'auteur de l'« Humble supplique » qualifie ces animaux de « sournois », épithète que Goulave attribuera bientôt à ses ministres. Au cours du tableau, les événements se précipitent : la comète est annoncée, le peuple s'affole, les capitaux fuient, l'argent se déprécie, des cas de démence apparaissent. Quant aux ministres, la foule les hue. Goulave leur reproche de l'avoir tenu dans l'ignorance de la situation. Ils s'esquivent. Goulave se montre alors au peuple, une bouteille à la main. Il annonce qu'il est désormais à lui seul le gouvernement, invite l'assistance à se confier à Dieu, à boire et à chanter avec lui « l'hymne du bon plaisir, notre cantique national, que ces sournois ministres avaient interdit » 19. Cet appel à une vie sainement instinctive est dans le droit fil de la signification que produit l'« Humble supplique ». Dont La Balade, on l'aura noté, utilise l'endroit où l'auteur de la lettre évoque les abominations qui ne manqueraient pas de se produire si la comète détruisait indifféremment les bons et les méchants. Suivent deux intermèdes qui réactivent puissamment le motif cataclysmique, le premier par l'annonce bruyante que fait Vuidebolle du désastre imminent, le second par le chœur de la foule qui se lamente sur son sort. 19. M. de GHELDERODE, La Balade du Grand Macabre, p. 64. Ghelderode et De Coster 69 Au quatrième tableau, nous sommes à nouveau dans la chambre de Goulave qui, à l'entrée de Nekrozotar, de Porprenaz et de Vuidebolle, se réfugie sous la table. Porprenaz et Vuidebolle font boire le Grand Macabre. Celui-ci, bientôt ivre, rappelle d'abord le passé, entre autres « les approches de l'an mille » 20 . Puis il célèbre Breugellande telle qu'elle était jadis. Un véritable Pays de Cocagne où « la seule activité des benoîtes gens consistait à prohiber toute réflexion, à danser ventre à ventre au son des cornemuses, à jouer aux boules, à tirer à la perche, à fumer de longues pipes, à goûter les bières et les vins, à mastiquer, à digérer et à recommencer ». Si l'on était éveillé, on riait. Si l'on ne riait pas, on dormait. « Quant aux jeux de l'amour, je ne me souviens pas, continue Nekrozotar, mais ils étaient nombreux, variés et sans hypocrisie ... Nul ne thésaurisait, ou ne besognait ou n'enviait son semblable 21 ». Dans cet « éden », on ne trouvait absoluement « rien qui [ne fût] naturel et raisonnable 22 ». Ce tableau se souvient évidemment de F« Humble supplique » dans sa nouvelle évocation de l'an mille et dans la peinture de Breugellande au temps du feu roi : un pays selon les vœux de l'auteur de la lettre. Autre souvenir costérien : la condamnation de la thésaurisation et de l'envie. La satire politique, sous-jacente dans tout le tableau, doit peut-être, ici encore, quelque chose à l'« Humble supplique », mais je n'oserais y insister en raison de la discrétion de De Coster en la matière. Cet endroit de la farce de 1934 est imprégné de l'émouvante nostalgie d'un temps où Breugellande n'était régie que par les lois de l'instinct. Mais le spectateur ou le lecteur savent qu'il ne s'agit pas de toutes les formes de l'instinct. La luxurieuse Salivaine a déjà été condamnée et punie, et le sera davantage encore, à la fin de la pièce. L'instinct dont on regrette ici qu'il ne règne plus était « naturel et raisonnable ». Naturel : tel que l'éprouvent tous ceux qui appartiennent au plus grand nombre ; qui ne s'inscrivent pas, pourrait-on dire, hors de la nature. Raisonnable : tel qu'il est 2 0 . M . d e GHELDERODE, op. cit., p. 77. 2 1 . M . d e GHELDERODE, op. cit., p. 7 8 . 2 2 . M . d e GHELDERODE, op. cit., p. 79. 70 André Vandegans maîtrisé chez les hommes capables de gouverner leurs pulsions. Cet instinct peut être dit bon. En somme, Ghelderode pense comme De Coster en partie spontanément, en partie sous l'action d'agents culturels au nombre desquels il faut compter l'« Humble supplique ». Mais son inconscient tient un autre langage. Revenons aux regrets de Nekrozotar. Il se rappelle parfaitement l'insouciance des habitants de Breugellande au temps jadis, leur goût de la danse, le plaisir qu'ils prenaient à jouer, à fumer, à boire, à manger, à rire et à dormir. Mais pour ce qui est des «jeux de l'amour », il ne s'en souvient pas, dit-il d'abord, pour tout aussitôt lever la barrière de l'interdit et affirmer qu'ils étaient « nombreux, variés et sans hypocrisie ». Rien de plus. On pourrait être plus disert. Mais Ghelderode est, de toute évidence, gêné. Comme il l'est pour faire parler Adrian et Jusemina, le couple d'amoureux, si l'on peut ainsi dire, de la pièce. Il leur attribue un langage précieux et ampoulé, dont il se moque lui-même par la bouche de Porprenaz. Chez Ghelderode, l'amour même naturel et raisonnable, n'est jamais issu du bon instinct. Dans La Balade, on boit énormément, la luxure ne se dissimule guère, la voix de l'amitié chaleureusement résonne, l'amour est absent. Au cinquième tableau, le cataclysme a eu lieu. Porprenaz, Vuidebolle, Nekrozotar crus morts reprennent vie. Salivaine, elle aussi ranimée, bondit, furieuse, sur Nekrozotar et lui réclame étrangement un hareng saur. Comme Nekrozotar répond à sa femme que le poisson est mort, elle bat sauvagement le vieillard, qui tombe 2 3 . Trois soudards de Goulave, promus « colonels honoraires » 24 et rescapés comme lui, combattent la forcenée tandis que le roi hurle : « Vive Breugellande ! ... A bas les dies illa ... les comètes ... et les mégères ! ... » Un « Hurrah ! ... » général accueille la chute de Salivaine 2S. Ce tableau accuse vivement les points où La Balade rencontre l'« Humble supplique » dont elle procède et ceux où elle s'en 23. Sur le symbolisme du hareng saur, voir R. 76. 2 4 . M . d e GHELDERODE, op. cit., p. 99. 25. p. 103. M . d e GHELDERODE, op. cit., BEYEN, Ghelderode, pp. 75- Ghelderode et De Coster 71 sépare. La Breugellande de Ghelderode est cette terre de liberté totale, de pleine satisfaction des instincts innocents, de loyauté, d'amitié, de vie et de joie qu'affectionne également De Coster. En Breugellande, point de place pour le « serpent » ni pour la « femme traîtresse 26 ». De Coster place les « serpents » au nombre des animaux qu'il prie la comète de détruire 27, — mais il ne songe à mettre à leur rang aucune sorte de femmes. Il n'opère d'ailleurs entre elles nulle distinction. Le début du sixième et dernier tableau s'ouvre sur l'entrée de Porprenaz qui amène en chantant « l'autel de Bacchus (c'est-à-dire une tonne de vin), et le trône de sire Goulave et la bibliothèque du vrai savant 2 8 ». On voit ici que Ghelderode ne faisait aucunement, plus haut, le procès de la science mais celui du charlatanisme, à la suite de De Coster accusant les « perroquets ». Le rapide bilan que Goulave dresse ensuite du désastre nous ramène une fois encore à l'évocation costérienne des déplorables comportements auxquels se livreraient les hommes si la comète confondait bons et mauvais. Ces comportements, chez Ghelderode, peut-être moins réaliste que De Coster, ont été le fait des seuls méchants. Le tableau, qui veut représenter l'ensemble de ce qu'a vu Goulave, contient d'ailleurs deux cas de mort alors que De Coster s'en était tenu à la prévision de réactions devant l'approche du danger. Goulave parle : Les meilleurs sont en vie ... Les gentils seulement saufs, les autres ... Les comètes ont du bon ... Que je vous raconte ... Par cette nuit funeste — ou providentielle — les canailles, vicieux, ladres, punais, galeux, crétins, médisants, ramollis, fanatiques, cafards ... [...] ont été saisis d e frousse impérieuse, de mâle — rage [sic] ou de folie subite à l'idée de leur anéantissement... Il en est qui tombèrent foudroyés, d'autres qui fondirent sur leur vase, d'autres qui mangèrent leur argent, d'autres qui goinfrèrent tant qu'ils étouffèrent, d'autres qui se ruaient sur les filles et se brisaient la tête contre les murs, d'autres qui mirent le feu à leur maison, ou sautèrent dans l'eau, ou mordirent leurs amis ou blessèrent leurs voisins ou bien, les sens détraqués, rirent, s'attifèrent et firent mille soties [sic] 26. M . d e GHELDERODE, op. cit., 27. Ch. DE COSTER, Contes p. 9 8 . brabançons, p. 97. 28. M. d e GHELDERODE, La Balade du Grand Macabre, p. 105. 72 André Vandegans c o m m e des fous de carême ... Quant aux f e m m e s dans cette tempête ... Vuidebolle complète : « Les corbeaux nettoieront... 2 9 ». On doit à la vérité de rappeler que De Coster redoutait déjà que les « vierges » ne se muassent en « bacchantes » 30 . La fin de la pièce fait assister à la confusion d'Aspiquet, de Basiliquet et de Salivaine ; à la mort de Nekrozotar qui consent à disparaître dès lors que la « lumière » et la « liberté » sont restaurées ; à la sortie du tombeau d'Adrian et de Jusemina qui, passant au travers du cataclysme, ont assuré la perpétuation de la race. Goulave aura le dernier mot. D'un tombeau sort la vie. Il faudra nous conduire de façon q u e les h o m m e s d e l'avenir n e pleurent autrement que de joie ... C o m m e je fais ... (Il essuye une larme.) Que je vous embrasse, la fraternité n'est pas une vaine inscription ... Soudards, sonnez ... C'est le m o m e n t de boire en Breugellande ... Sonnez vers le soleil ... (Les trois amis s'embrassent. Les soudards jouent du clairon et bondissent joyeusement)31. Cette conclusion n'apporte rien de neuf à mon propos. La Balade du Grand Macabre est débitrice, surtout au travers de La Farce de la Mort, de l'« Humble supplique à la comète ». On y découvre, puissamment orchestrés, les trois motifs qui composent le texte costérien et dont La Farce n'avait qu'à peine esquissé le troisième : le motif cataclysmique. La Balade, dans la mesure où elle place la bonté, l'amitié et une instinctivité saine, contrôlée par la raison, au rang des plus hautes valeurs, prolonge avec éclat et ampleur, l'« Humble supplique ». Elle est, comme La Farce de la Mort dont elle prend le relais, mais avec combien plus de force, louange de la vie. Au service de cette louange, Ghelderode a mis l'abondance, la vigueur, la rutilance d'un verbe qui laisse loin derrière lui le langage de La Farce. La Balade, née, pour partie, de l'« Humble supplique », la transforme pourtant constamment. Je ne dis rien de la transpo2 9 . M . d e GHELDERODE, op. cit., p. 107. 30. Ch. DE COSTER, Contes brabançons, p. 94. 31. M. de GHELDERODE, La Balade du Grand Macabre, p. 117. Ghelderode et De Coster 73 sition du langage épistolaire en langage dramatique, ni de la métamorphose d'une écriture réaliste imprégnée de lyrisme en une écriture expressionniste : sujets d'ailleurs passionnants. Je ne veux remarquer d'abord que ceci : la satire costérienne se disperse sur un grand nombre d'objets, la satire ghelderodienne se concentre sur les hommes de pouvoir et sur la femme ; elle en devient incomparablement plus aiguë. Au reste. De Coster ne dit explicitement rien des hommes politiques et il célèbre la femme. Ghelderode se libère ici presque tout à fait de son inspirateur. Une autre originalité lui vient de sa psyché. On doit reconnaître qu'elle ne le sert pas toujours au mieux. Sa célébration de l'instinctivité saine et raisonnable ne sonne plus juste lorsqu'il s'agit de la sexualité. Elle tourne visiblement court dans l'évocation de l'ancienne Breugellande. Elle est maladroite dès que les moeurs de jadis sont heureusement restaurées. Porprenaz, Vuidebolle, Goulave sont incomparablement plus réussis qu'Adrian et Jusemina. Les buveurs de La Balade se détachent avec un relief dont les amants, figures désespérément plates, sont dépourvus. Mais que Ghelderode puisse, avec Salivaine, camper la luxure, tout change. La sexualité vicieuse trouve aussitôt en lui l'un de ses plus étonnants peintres. Une insuffisance de complexion peut engendrer, comme on sait, chez l'artiste, un vigoureux pouvoir d'accusation. La faiblesse de la mise en scène d'une sexualité normale, l'absence complète de l'amour dans La Balade ne font pas que le vœu formulé par l'auteur de l'« Humble supplique » ne soit réalisé avec éclat dans la pièce de 1934. Ghelderode sauve ceux pour lesquels intercédait De Coster. Il atteste ainsi ce que sa puissante « farce pour rhétoriciens » doit à un texte mineur du « g é n i e » qu'il honorait déjà publiquement en 1922. Il révèle aussi la parenté de cœur qui l'unit, sous le jeu irritant des comédies, des fabulations et des palinodies, à l'auteur de la généreuse Légende d'Ulenspiegel. À propos et au-delà des structuralismes Communication de M. Willy BAL à la séance mensuelle du 12 février 1983 Les divers modèles scientifiques proposés au XIX e siècle et au début du XX e siècle pour l'analyse des langues, des cultures et des littératures faisaient référence, comme on le sait, à la temporalité — qu'il s'agît du temps théorique de l'évolution ou du temps concret de l'histoire. La notion d'évolution y était centrale. La conception structurale, qui atteint son apogée dans le second tiers du XX e siècle, tend au contraire à analyser et à expliquer les phénomènes sans référence temporelle — plus généralement sans référence extrinsèque — et du point de vue d'une totalité organisée. La formation et la propagation des structuralismes débutent — le fait est bien connu — par la mutation de la linguistique, due à l'enseignement saussurien des débuts du siècle. La linguistique s'y définit comme l'étude interne et synchronique des états de langue, la langue étant conçue comme un système de signes, entité autonome de dépendances internes. Ainsi structure et immanence sont-ils les deux mots-clés du structuralisme linguistique. Si F. de Saussure attribue à la langue une double fonction : sociale et sémiologique, il n'est pas douteux cependant qu'à la faveur notamment de la distinction langue/parole, sa linguistique évacue la fonction sociale au profit de la fonction sémiologique. La conception abstraite de la langue détachée de son fonctionnement, de son actualisation en situation entraîne l'attribution à la structure d'un caractère homogène, toute variation étant rejetée dans la parole individuelle et, de ce fait, À propos et au-delà des structuralismes 75 écartée du champ de la linguistique. La procédure que développera la version radicale du saussurisme, la glossématique, consiste à réduire les variantes — théoriquement en nombre non-fini — à des invariants en nombre fini. Sur ce plan, un rapprochement peut se faire avec la grammaire générative transformationnelle. Celle-ci représente en effet la compétence linguistique sous la forme d'un système fini de règles qui, à partir d'un nombre restreint, donc fini, de structures phrastiques élémentaires, permettent d'engendrer l'ensemble probablement non-fini des phrases grammaticales de la langue. Il s'agit donc toujours de ramener le multiple à l'un, le non-fini au fini ou la diversité à l'homogénéité. En anthropologie, passe au premier plan l'idée, déjà conçue par Frank Boas et par Marcel Mauss, de totalité intégrée, cohérente. C'est l'idée que l'on trouve au centre du fonctionnalisme de B. Malinowski et du structuro-fonctionnalisme de A. R. Radcliffe-Brown. Pour B. Malinowski, l'analyse fonctionnelle a pour but principal d'expliquer les faits anthropologiques, à un niveau quelconque de développement, donc en dehors de toute temporalité, par leur fonction, c'est-à-dire par le rôle qu'ils jouent dans le système total de la culture, par la manière dont ils sont reliés les uns aux autres à l'intérieur de ce système. Le fonctionnalisme a un sens aigu de l'autonomie des cultures et un grand respect des différences entre cultures. A. R. Radcliffe-Brown pose deux concepts fondamentaux : la structure et la fonction. La première, se référant à la « morphologie » de la société, est définie comme le réseau permettant des relations sociales au sein d'une société. La seconde, se référant à la « physiologie » de la société, consiste, pour un élément socio-culturel, dans le rôle qu'il joue dans la vie sociale en tant que totalité et, par conséquent, dans la contribution que cet élément apporte au maintien de la continuité structurelle. Par ce second point de la définition de la fonction, A. R. Radcliffe-Brown montre que la dimension temporelle ne lui échappe pas. En fait, essayant de concilier le synchronique et le diachronique, la stabilité et le changement, il s'oriente déjà vers un modèle pluridimensionnel. 76 Willy Bal A la fois méthode d'analyse et ensemble de théories, le structuralisme de Claude Lévi-Strauss a puisé à diverses sources : en anthropologie même, chez M. Mauss et A. R. Radcliffe-Brown, en linguistique, chez Saussure, Troubetzkoy, Jakobson, en analyse littéraire, chez Propp. La structure, selon lui, manifeste les caractéristiques d'un système. Elle est faite de plusieurs éléments dont aucun ne peut subir de changement sans que des changements interviennent dans tous les autres éléments. Malgré l'emploi du mot « changement » qui pourrait faire croire que référence est faite à la diachronie, c'est avec Cl. Lévi-Strauss que s'avive l'opposition entre structure et histoire. En effet, sa méthode s'applique par excellence aux sociétés dont on met l'histoire entre parenthèses. Aussi est-il tenté d'en revenir à une dichotomie entre sociétés sans histoire ou du moins sociétés à histoire « froide », c'est-à-dire de conservation, et sociétés à histoire « chaude », c'est-à-dire de renouvellement. La notion de transformation qu'il lie au concept de structure n'a pas de rapport avec l'évolution ; elle est plutôt à rapprocher de la transformation en mathématique ou en linguistique générative transformationnelle. Pour lui, la conséquence de cette liaison est d'imposer à l'analyse la tâche « de définir les structures, de les transformer en manipulant leurs relations internes et d'introduire un ensemble de transformations ainsi réalisées à l'intérieur des connaissances ethnographiques existantes. Grâce à cette méthode, on peut ramener une contingence infinie à une base limitée de principes nécessaires. Ce dont il est maintenant question, ce n'est pas d'une société ou d'une culture, mais de l'ensemble restreint de possibilités sur la base desquelles se créent toutes les sociétés et toutes les cultures et se développe leur diversité apparemment infinie » (M. Freedman) '. En somme, une algèbre du social, comme L. Hjelmslev, le chef de file de la glossématique, voulait faire une algèbre du langage. 1. Cf. « L'anthropologie sociale et culturelle », dans Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines. Deuxième partie/Tome premier : Sciences anthropologiques et historiques. Esthétique et science de l'art, sous la direction de Jacques HAVET. Paris-La Haye-New York, Mouton/Unesco, 1978, p. 3-p. 193. (Le passage cité se trouve à la p. 91). À propos et au-delà des structuralismes 77 L'extension de la conception saussurienne de la langue en tant que système sémiologique formel, à d'autres systèmes de signes, quelle qu'en soit la substance, a conduit au structuralisme littéraire, qui a aussi trouvé d'autres sources, principalement dans la phénoménologie et dans l'enseignement de l'école formaliste russe. Il revendique une sorte de monopole de l'analyse synchronique. Le texte est conçu comme une structure, par analogie avec la phrase, comme si les textes étaient d'immenses phrases dérivées de la langue générale des symboles. Les caractéristiques attribuées au texte sont l'autonomie et la clôture, ce qui permet de l'analyser comme une totalité dont on possède tous les éléments et qui n'accepte qu'une explication immanente, sans référence notamment à l'histoire, à l'auteur, etc. De là notamment le développement d'une poétique narrative. Celleci peut être centrée sur l'action, l'analyse s'étageant à trois niveaux : définition des unités narratives minimales, les fonctions (comme chez Propp), combinaison de ces unités ou syntaxe fonctionnelle (par ex., chez Cl. Bremond), niveau sémantique constitué par l'univers thématique du récit. L'analyse peut aussi être centrée sur les personnages, non pour en cerner une psychologie assimilable à celle des personnes, mais considérés d'un point de vue formel, c'est-à-dire comme jouant un rôle déterminé dans le déroulement de l'intrigue (d'où une typologie comme celle d'A. Greimas). On peut aussi centrer l'analyse sur le temps du récit, différent du temps vécu (H. Weinrich, G. Genette). Cl. Bremond propose une « logique du récit » qui essaie « de décrire le réseau complet des options logiquement offertes à un narrateur, en un point quelconque de son récit, pour continuer l'histoire commencée », Du point de vue épistémologique, cinq constantes essentielles se dégagent des différents modèles structuralistes proposés en linguistique, en anthropologie et en critique littéraire : 1) la notion de totalité intégrée, autonome, close, relativement stable, ou structure ; 2) la primauté des relations sur les éléments, ceux-ci ne prenant leur signification que dans et par les relations qu'ils contractent entre eux et avec la structure qui les intègre ; le 78 Willy Bal réseau des relations constituant la forme selon Saussure, on peut parler d'une conception formelle ; 3) la légitimité exclusive de Y explication immanente ; 4) toute référence extrinsèque, notamment au temps, à l'histoire, étant exclue de ce fait, la seule perspective possible est synchronique ou, plus généralement, a-temporelle ; 5) le caractère abstrait, obtenu par la réduction des variantes à des invariants, du non-fini des réalisations contingentes au fini des prémisses (unités minimales, règles ou principes), la diversité non-finie du réel s'expliquant par les possibilités de la combinatoire des éléments structuraux. Ce dernier point concorde exactement avec la thèse générale formulée par L. Hjelmslev pour les sciences humaines et qui peut être résumée comme suit : à chaque processus (un texte, par exemple) correspond un système, sur la base duquel le processus peut être analysé et décrit avec un nombre limité de prémisses ou éléments, qui servent constamment dans différentes combinaisons. Les éléments peuvent être classés selon leurs possibilités combinatoires. En faisant un compte général et exhaustif des combinaisons possibles, on atteindrait le niveau d'une science systématique, exacte et généralisante, dont la théorie prévoit tous les événements (combinaisons possibles) et établit les conditions de leur réalisation. * * * A partir des années 60, semble s'ouvrir une nouvelle phase dans l'analyse des faits linguistiques, culturels et littéraires. Des modèles pluridimensionnels sont proposés, qui tentent de dépasser certaines oppositions apparues sous le règne des structuralismes, telles les oppositions entre synchronie et diachronie, statisme et dynamisme, structure et histoire, facteurs internes et facteurs externes. Identifier la synchronie et la statique a été une des grandes tentations du courant structuraliste. Et cependant, dès 1931, R. Jakobson dénonçait une telle opération comme un rétrécissement illégitime du cadre de la synchronie. Il ajoutait : « La À propos et au-delà des structuralismes 79 liaison de la statique et de la dynamique est une des antinomies dialectiques les plus fondamentales qui déterminent l'idée de langue ». La validité de ce principe ne se limite pas à la langue. Le fonctionnalisme anthropologique surtout s'était fondé sur la notion de « totalité intégrée », comme le saussurisme sur la notion de « système homogène », la stabilité — relative sans doute — caractérisant l'une et l'autre. En anthropologie, une certaine image des sociétés dites traditionnelles était devenue classique : des sociétés intégrées, en parfait équilibre, statiques. Déjà cependant A. R. Radcliffe-Brown n'excluait pas les faits de déséquilibre et donc le changement. A l'heure actuelle, un courant constitué par des chercheurs de tradition et de formation différentes, s'est formé, que représente en France de façon typique Y anthropologie dynamique de Georges Balandier. L'image des sociétés traditionnelles s'est modifiée au point qu'on a pu parler de « la mort du primitif ». Le changement, non seulement s'impose à l'observateur parce que ces sociétés ont été bouleversées par l'impact du monde moderne — fait historique, contingent — mais parce que le changement est inhérent à toute réalité sociale. Indépendamment du choc de l'histoire, ces sociétés elles-mêmes étaient des lieux de tension, de conflits, en équilibre précaire, hétérogènes aussi. Ainsi le concept même de changement, naguère banni par les tenants de la totalité parfaitement intégrée, est-il réhabilité et placé au cœur même de l'interprétation de la vie sociale. Le processus global du changement doit être envisagé ; on n'y arrive qu'en le mettant en situation, en définissant la situation dans laquelle il se produit : c'est le concept de « situation sociale » de M. Gluckman ou pour l'Afrique noire, le concept introduit par G. Balandier de « situation coloniale ». Cette situation doit être saisie dans son ensemble et en tant que système. Reconnaissance de l'hétérogénéité : « Avec force, G. Balandier a insisté sur l'hétérogénéité de toute société parce qu'elle est la résultante d'une histoire. Des éléments d'origine et d'« âge » différents y sont repérables, qui peuvent éventuelle- 80 Willy Bal ment entrer en contradiction les uns avec les autres ; ils ne sont pas toujours adaptés les uns aux autres, et la société ne les utilise pas tous avec un égal bonheur » (P. Mercier) 2 . C'est là le principe d'un modèle « variationniste » que nous retrouverons en linguistique. Ainsi, la dynamique et l'hétérogénéité pénètrent-elles dans la notion même de système. Autre modification épistémologique : à côté de la causalité interne à laquelle s'étaient référés la plupart des anthropologues depuis les évolutionnistes jusqu'à Durkheim, la causalité externe fait un retour en force, avec les défis lancés aux sociétés par l'histoire, avec les rencontres de civilisations. Roger Bastide, entre autres, veut conjuguer la causalité qui a son point de départ dans le milieu interne et celle qui provient des contacts de civilisations. La dynamique socio-culturelle va ainsi raviver l'intérêt historique ; la dichotomie structure-histoire va être transcendée, les deux termes en seront placés non plus en relation d'exclusion mais en relation dialectique. Comment le linguiste ne serait-il pas frappé par de multiples analogies ? Dès les thèses du cercle de Prague (1929), R. Jakobson affirmait le dynamisme de la synchronie dans la coexistence en un même état de langue, notamment sous la forme de variantes stylistiques, d'éléments sentis comme archaïques ou novateurs, ou encore d'éléments plus ou moins productifs, si bien que même la description synchronique ne peut éliminer la notion de changement. « L'esprit de l'équilibre et la tendance simultanée vers sa rupture constituent des propriétés indispensables du tout qu'est la langue », écrivait-il par ailleurs. Conciliation indispensable du statique et du dynamique mais aussi du synchronique et du diachronique, comme l'affirmaient W. von Wartburg, E. Coseriu ou, plus récemment Bernard Pottier, que je cite : « La synchronie, nécessaire pour saisir les données, n'existe pas. Il faut donc, dès que possible, rétablir le dynamisme du langage en la complétant par des 2. Cf. Histoire de l'anthropologie. Sociologue », p. 172. Paris. P.U.F., 1971, «Collection SUP, Le À propos et au-delà des structuralismes 81 indices évolutifs. Car le temps est partout, et est la cause de l'évolution constante des organisations sémantiques, syntaxiques et phoniques. » 3 Le recours à une double causalité, transcendant l'opposition externe/interne, est affirmé par des linguistes de tendances très différentes comme Walther von Wartburg et André Martinet. Parmi les facteurs externes, se rencontrent les faits d'interférence linguistique. Si même on tend maintenant à réduire la capacité explicative — parfois exagérée — de ces phénomènes, il n'en reste pas moins qu'on leur attache légitimement beaucoup d'importance. Une rupture épistémologique considérable consiste dans la dissociation de la notion de structure et de l'attribut d'homogénéité. Elle est due à ce qu'il faut bien appeler la révolution sociolinguistique, menée notamment par William Labov, à partir des années 1960. C'est ici qu'il convient de parler de révolution et non, comme on l'a fait abusivement, à propos de la grammaire générative et transformationnelle, laquelle s'inscrit dans une tradition idéaliste et rationaliste. Il faut sans doute rendre justice à des précurseurs comme Hugo Schuchardt qui, dans le dernier quart du XIX e siècle, affirmait l'hétérogénéité de toute langue ou parler, liée en partie d'ailleurs au phénomène de Sprachmischung, dont il fut le pionnier, ou encore comme Antoine Meillet qui associait la variation linguistique aux facteurs sociaux. Mais nous devons reconnaître que l'influence du saussurisme empêcha leurs voix, avant 1960, d'avoir l'écho qu'elles méritaient. Briser l'identification de la structure et de l'homogénéité, faire reconnaître la variation inhérente à tout système linguistique, mieux encore faire reconnaître qu'une partie fondamentale des variations est instituée socialement, gouvernée par des règles, fait partie du système, tel est l'essentiel du programme de W. Labov, dans le cadre duquel se placent de nombreux travaux réalisés en sociolinguistique. 3. Cf. «Au-delà du structuralisme», dans XVI' Congrès Internacional de Lingùistica i Filalogia Romàniques. Actes. Tom I. Sessions plenàries i taules rodones. Palma de Mallorca, Editorial Moll, 1982, pp. 177-179. 82 Willy Bal La reconnaissance de ces variations 4 nous amène à rejeter la définition courante de la communauté linguistique comme un groupe de locuteurs qui utilisent tous les mêmes formes, au profit de la conception d'un groupe de locuteurs à qui s'imposent les mêmes normes quant à la communication linguistique. A partir de là, la notion de compétence s'étend à un modèle global réunissant de façon hiérarchisée, la compétence linguistique proprement dite, la compétence épilinguistique, c'est-àdire l'aptitude des locuteurs à porter des jugements relativement aux variétés linguistiques employées, et la compétence de communication. On peut définir celle-ci comme la connaissance des règles psychologiques, sociales et culturelles qui gouvernent l'utilisation de la parole dans un contexte social donné, ce qui suppose non seulement la maîtrise du répertoire verbal de la communauté considérée mais aussi la connaissance des règles qui régissent le passage d'une variété sociolinguistique à une autre. La compétence de la communication engendre des messages verbaux dont la qualité principale est d'être appropriés à une situation, c'est-à-dire acceptables au sens le plus large du terme. Soit dit par parenthèse, une telle extension de la notion de compétence devrait avoir une incidence sur les modèles pédagogiques, dans le sens du passage de l'enseignement de la langue à celui de l'ethnocommunication. Par la notion d'énonciation, la langue est mise en situation et le rôle du locuteur, c'est-à-dire du sujet d'énonciation, est réinstauré en linguistique. 4. On répartit souvent les variations linguistiques en quatre catégories : variations dans le temps (ou diachroniques), variations dans l'espace (ou diatopiques), variations en rapport avec les groupes sociaux (ou diastratiques), variations selon les situations de communication (ou diaphasiques). Si les deux premières catégories ont reçu un statut scientifique à partir du XIX e siècle, dans le cadre de la linguistique historico-comparative, de la dialectologie et de la géographie linguistique, la reconnaissance des deux dernières ou du moins leur constitution en objet de science est récente et due principalement à l'essor de la socio-linguistique. À propos et au-delà des structuralismes 83 L'énonciation est un acte, individuel en même temps que social. En tant qu'acte individuel, elle exprime la liberté du locuteur à l'intérieur des contraintes socio-culturelles et particulièrement linguistiques. En tant qu'acte social, elle s'insère dans l'ensemble d'un comportement, soumis à des conditions de possibilité et d'efficacité, à des normes sociales et déployant des forces capables de produire des effets déterminés : c'est la composante pragmatique du langage, déjà entrevue par K. Biihler dans les années 1930 et développée surtout par l'école d'Oxford (Austin, Searle) et en France, entre autres, par Oswald Ducrot. Mais à l'explicite de l'énoncé, produit de l'énonciation, est sous-jacent de l'implicite, dit dans le contexte ou non dit mais contenu dans la situation ou présupposé soit en vertu de principes logiques qu'on peut croire universels (comme le principe de non-contradiction), soit en vertu de savoirs culturels spécifiques. En outre, l'ensemble du message fait référence à un niveau conceptualisé, le lieu des noèmes c'est-à-dire des éléments de sens déliés des langues, auxquels se réfère, par exemple, l'analyse sémantique componentielle. La reconnaissance de toutes ces composantes ou conditions de l'acte langagier entraîne à la fois un élargissement et une « désautonomisation » de la linguistique. Celle-ci ne peut plus s'isoler des autres sciences humaines. L'analyse des structures immanentes, restant nécessaire, devient insuffisante. Dans la constitution d'un modèle taxinomique du commentaire littéraire, le texte peut, me semble-t-il, être considéré comme situé au point d'intersection de deux axes, dont chacun est bipolaire. Au total, cinq points figurent dans ce schéma. L'un des axes — nous le dénommerons psycho-sociologique — unit le pôle individuel: l'homme et/ou l'auteur, et le pôle social : société et culture. L'autre axe — que nous appellerons sémiologique — unit forme et vision du monde. Par forme, nous entendons les fonctions et leurs combinaisons, les structures, les procédés langagiers, bref tout ce qui ressortit à l'analyse formelle. La vision du monde inclut la thématique, la symbolique. 84 Willy Bal Ce qu'on dénomme couramment « structuralisme littéraire » se situe essentiellement sur l'axe du sémiologique. Une tension constante s'y développe entre les deux pôles, dont l'un, la forme, renvoie explicitement à une réflexion sur la langue, l'autre, la vision, renvoyant implicitement au psychanalytique. Concilier ces deux pôles, essayer de montrer la solidarité d'un univers mental et d'une construction sensible, d'une vision et d'une forme, est, par exemple, la visée d'un Jean Richard dans Forme et signification (1963). L'ancien modèle favori de l'histoire littéraire « l'homme et l'œuvre » allait de l'individu (biographie de l'homme-écrivain) au texte. Un autre modèle essayait d'expliquer le texte à partir de la société. On peut synthétiser ces deux modèles comme représentant une même démarche causale et génétique, trouvant son point de départ dans des faits historiques et extrinsèques à l'œuvre, démarche située tout entière sur un seul axe, l'axe psycho-sociologique. Je crois d'abord qu'un acquis de la critique littéraire contemporaine est d'avoir fait reconnaître la primauté du texte. Examinons, à titre d'exemples, quelques modèles littéraires d'aujourd'hui en fonction du schéma proposé. Prenons d'abord le cas d'un modèle d'inspiration marxiste : le structuralisme génétique de Lucien Goldmann, dans la ligne de Lukâcs. Son hypothèse fondamentale se formule comme suit : « le caractère collectif de la création littéraire provient du fait que les structures de l'univers de l'œuvre sont homologues aux structures mentales de certains groupes sociaux ou en relation intelligible avec elles ». Ainsi l'axe sémiologique est-il explicitement relié au pôle social du second axe et par là, à l'histoire. Considérons d'une façon plus générale la sociocritique : comme préalable, elle reprend la notion de texte élaborée par la critique formelle et l'avalise comme objet d'étude prioritaire ; mais la finalité est différente puisque l'intention et la stratégie de la sociocritique consistent à restituer au texte sa teneur sociale. D'autre part, elle a à résoudre le problème que posent les rapports entre les conditionnements sociaux qui sont généraux et des phénomènes littéraires qui sont individuels, À propos et au-delà des structuralismes 85 particuliers. Elle en cherche surtout la solution dans l'étude psychanalytique et psychologique : il s'agit d'observer la genèse de l'individuel à partir de conditionnements collectifs. La sociocritique, partant du texte, parcourt ainsi les deux axes. Voyons maintenant l'analyse thématique, qui s'inscrit sur l'axe sémiologique. Sans doute peut-on considérer les thèmes dans leur signification symbolique, c'est-à-dire à l'intérieur d'un système de signes dans lesquels les formes du monde naturel ou humain sont chargées d'une signification analogique. Mais cette symbolique — dans sa configuration du moins — renvoie à un groupe socio-culturel spécifique, avec son inconscient collectif (Jung). Liaison donc d'un pôle de l'axe sémiologique avec le pôle social de l'axe psycho-sociologique. On peut aussi, dans le cadre de l'analyse thématique, avec J.P. Weber, définir le thème comme « un événement ou une situation (au sens le plus large du mot) infantiles, susceptibles de se manifester — en général inconsciemment — dans une œuvre ou un ensemble d'œuvres d'art ». Nous voici renvoyés de l'axe sémiologique au pôle individuel du second axe (psychologie et inconscient individuel, dans la postérité freudienne). Cette perspective commande la psychobiographie, la pathographie, plus généralement la psychocritique. Un néo-structuralisme tend à se manifester, qui accepte de situer historiquement les systèmes formels dont il étudie le fonctionnement synchronique. « Comment le critique se hasarderait-il à conférer une fausse intemporalité aux structures qu'il sait fort bien avoir prélevées dans le cours d'une histoire, à un moment ponctuel x d'une évolution diachronique ?... La structure objective de l'œuvre fixe la forme achevée de la relation ; toutefois la tension qui dresse cette forme dans son espace, qui la déroule dans sa durée propre, est un vecteur historique dont la critique ne devrait jamais méconnaître la présence » (J. Starobinski) 5 . L'histoire littéraire, de son côté, dans la mesure où, admettant la primauté du texte, elle tente d'en dégager les indices 5. Cf. « Littérature », dans Tendances principales de la recherche... (op. cit. dans la note 1), pp. 822-836. (Le passage cité se trouve p. 831 et p. 832). 86 Willy Bal d'une singularité psychique ou d'une situation sociale particulière, se doit d'accepter, au moins partiellement, des techniques empruntées à la linguistique, à la sociologie, à l'anthropologie sociale et culturelle, à la psychanalyse. Ainsi s'oriente-t-elle vers des horizons plus larges qui sont ceux de l'histoire culturelle. On voit qu'à la prédominance dont jouissait naguère un formalisme immanentiste tend à se substituer une pluralité de modèles pluridimensionnels. Dans ce domaine aussi, l'opposition structure-histoire tend à être dépassée. Si les structures immanentes restent un objet d'analyse nécessaire, elles ne sont plus tenues pour suffisantes. La causalité externe — d'ordre individuel ou socio-culturel — fait un retour en force. Le recours à d'autres sciences humaines s'avère indispensable. Ainsi les tendances actuelles pourraient être synthétisées en cinq points : 1) Un besoin accru d'interdisciplinarité et une convergence des sciences humaines et particulièrement des trois disciplines concernées. Cette tendance se manifeste entre autres par la création de disciplines en chevauchement, telles l'ethnolinguistique, la psycholinguistique, la sociolinguistique, ou par l'orientation de l'histoire littéraire vers l'histoire culturelle, ou encore par l'intérêt porté par les anthropologues aux langues et littératures. Cette convergence est due à de nombreux facteurs, entre autres : — l'identité des principales influences reçues : marxisme, psychanalyse, structuralisme ; — le rôle important, voire central, attribué à la communication, non seulement en linguistique et, bien sûr, en littérature mais aussi en anthropologie, spécialement chez Cl. Lévi-Strauss avec le schéma ternaire d'analyse des règles du jeu social : communication des femmes (mariage, structures de parenté), des messages (langage), des biens et services (économie) ; — l'extension, à partir de la linguistique, des notions corrélatives de système sémiologique (ou sémiotique) : sémiotique de l'inconscient, des codes de parenté, du corpus À propos et au-delà des structuralismes 87 mythique, des relations sociales, sémiotique littéraire, etc., et de texte, étendu à tous les ensembles et systèmes signifiants. 2) Le retour du sujet, que la phase précédente avait évacué, le signe, la structure ou la fonction se substituant à l'homme. Or, nous voyons, de façon particulièrement manifeste, se réintroduire le sujet en linguistique, notamment avec les « instances du discours » d'E. Benveniste, et -en critique littéraire, avec la psychocritique et, dans une certaine mesure, avec la sociocritique. En anthropologie, le rapport entre l'individuel et le social traverse ou recouvre les débats suscités par toutes les opérations théoriques ; avec l'instauration de modèles variationnistes, l'individuel semble gagner en présence. Certes, il ne s'agit plus de l'individu conçu comme un absolu : la personnalité est relativisée par le rôle de l'inconscient (individuel ou collectif) d'une part, des structures et infrastructures sociales, d'autre part. 3) Si le point de vue immanent est toujours reconnu comme nécessaire, il n'est plus tenu pour suffisant ; la causalité externe revient en force ; c'est là un autre facteur de l'interdisciplinarité dont il a été question plus haut. 4) En liaison avec le retour du sujet et celui de la causalité externe, une dimension historique se trouve intégrée dans les nouveaux modèles proposés. Les oppositions structure/histoire, statique/dynamique sont en voie de dépassement. 5) Une dissociation entre la notion de système et l'attribut d'homogénéité conduit, surtout dans l'analyse des structures collectives, à des modèles variationnistes, intégrant la variation au système. * * * Il m'apparaît donc qu'après un long passage par un formalisme, qui eut ses raisons, ses vertus, son efficacité mais qui, à force d'abstraction, réduisant l'objet et éliminant le sujet, s'enfermait dans sa propre construction, anthropologie, critique littéraire et linguistique sont en train de reprendre un « visage humain ». Chronique Séances mensuelles La séance mensuelle de janvier suit traditionnellement un déjeuner amical qui réunit les membres de l'Académie. Elle s'est ouverte, le 8 janvier, par la traditionnelle passation des pouvoirs, M. Pierre Ruelle succédant, comme directeur, à M. Jean Tordeur. M. Thomas Owen sera vice-directeur pour 1983. L'Académie a entendu une communication de M. André Vandegans : « Ghelderode et De Coster, de Y Humble supplique à la comète à la Balade du Grand Macabre. » Le texte en est publié dans ce Bulletin. L'Académie a attribué le prix Georges Lockem au recueil L'inévitable de M. Christophe Georis et le prix Sander Pierron à M m e Irène Stecyk pour son roman Perle morte. Elle a décerné le prix Nessim Habif (Grand Prix de littérature française hors de France) à M. Philippe Jaccottet pour l'ensemble de son œuvre. Enfin, l'Académie a entériné les propositions de la Commission consultative du Fonds national de la Littérature en attribuant des subventions d'aide à l'édition à des manuscrits et à quelques revues. Réunie en séance mensuelle le 12 février, l'Académie a entendu une communication, que nous publions dans cette livraison, de M. Willy Bal : « A propos et au-delà des structuralismes ». L'Académie a procédé à un large échange de vues sur les conséquences de l'évolution institutionnelle de la Belgique. Elle Chronique 89 estime essentiel que la communautarisation de la Culture n'entraîne aucune conséquence fâcheuse sur son statut administratif ou sur sa situation nationale et internationale, ou encore sur le Fonds national de la Littérature, dont la gestion lui est confiée par la loi. L'Académie a attribué plusieurs subventions d'aide à l'édition dans le cadre du Fonds national de la Littérature. L'Académie a tenu le 12 mars sa troisième séance de l'année, toujours sous la présidence de M. Pierre Ruelle, directeur. Elle a entendu M. André Vandegans dans une communication sur « Le farfelu dans L'Espoir d'André Malraux » dont le texte est destiné, prioritairement à une publication italienne, sera publié dans un prochain Bulletin. André Malraux a montré un sens du farfelu, du fantaisiste, voire du burlesque, surtout dans la première partie de sa vie et de son œuvre. L'auteur de La jeunesse d'André Malraux était particulièrement qualifié pour explorer à nouveau l'univers de l'écrivain. L'Académie a établi son calendrier des prochains mois : séances mensuelles le 9 avril et le 14 mai, séance publique le 28 mai pour la réception de MM. Jean Rousset et Gérald Antoine. OUVRAGES PUBLIÉS PAR l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises Table Générale des Matières du Bulletin de l'Académie. par René Fayt. Années 1922 à 1970. 1 vol. in-8° de 122 pages. — 1972 150 — Le centenaire d'Émile Verhaeren. Discours, textes et documents (Luc Hommel, Léo Collard, duchesse de La Rochefoucauld, Maurice Garçon, Raymond Queneau, Henri de Ziegler, Diego Valeri, Maurice Gilliams, Pierre Nothomb, Lucien Christophe, Henri Liebrecht, Alex Pasquier, Jean Berthoin, Édouard Bonnefous, René Fauchois, J. M. Culot) 1 vol. in-8° de 89 p. - 1956 150,- Le centenaire de Maurice Maeterlinck. Discours, études et documents (Carlo Bronne, Victor Larock, duchesse de La Rochefoucauld, Robert Vivier, Jean Cocteau, Jean Rostand, Georges Sion, Joseph Hanse, Henri Davignon, Gustave Vanwelkenhuyzen, Raymond Pouilliart, Fernand Desonay, Marcel Thiry). 1 vol. in-8° de 314 p. — 1964 400,— ACADÉMIE. — ACADÉMIE. — ACADÉMIE. — Galerie des portraits. Recueil des 74 notices biographiques et critiques publiées de 1928 à 1972 dans l'Annuaire sur Franz Ansel, l'abbé Joseph Bastin, Julia Bastin, Alphonse Bayot, Charles Bernard, Giulio Bertoni, Émile Boisacq, Thomas Braun, Ferdinand Brunot, Ventura Garcia Calderon, Joseph Calozet, Henry Carton de Wiart, Gustave Charlier, Jean Cocteau, Colette, Albert Counson, Léopold Courouble, Henri Davignon, Auguste Doutrepont, Georges Doutrepont, Hilaire Duesberg, Louis Dumont-Wilden, Georges Eekhoud, Max Elskamp, Servais Etienne, Jules Feller, Georges Garnir, Iwan Gilkin, Valère Gille, Albert Giraud, Edmond Glesener, Arnold Goffin, Albert Guislain, Jean Haust, Luc Hommel, Jakob Jud, Hubert Krains, Arthur Langfors, Henri Liebrecht, Maurice Maeterlinck, Georges Marlow, Albert Mockel, Édouard Montpetit, Pierre Nothomb, Christofer Nyrop, Louis Piérard, Charles Plisnier, Georges Rency, Mario Roques, Jacques Salverda de Grave, Fernand Severin, Henri Simon, Paul Spaak, Hubert Stiernet, Lucien-Paul Thomas, Benjamin Val- ACADÉMIE. — Ouvrages publiés 91 lotton, Émile van Arenbergh, Firmin van den Bosch, Jo van der Elst, Gustave Vanzype, Ernest Verlant, Francis Vielé-Griffin, Georges Virrès, Joseph Vrindts, Emmanuel Walberg, Brand Whitlock, Maurice Wilmotte, Benjamin Mather Woodbridge, par 43 membres de l'Académie. 4 vol. 14 x 20 de 470 à 500 pages, illustrés de 74 portraits. Chaque volume 400,- du Colloque Baudelaire, Namur et Bruxelles 1967, publiés en collaboration avec le Ministère de la Culture française et la Fondation pour une Entraide Intellectuelle Européenne (Carlo Bronne, Pierre Emmanuel, Marcel Thiry, Pierre Wigny, Albert Kies, Gyula Illyès, Robert Guiette, Roger Bodart, Marcel Raymond, Claude Pichois, Jean Follain, Maurice-Jean Lefebve, Jean-Claude Renard, Claire Lejeune, Edith Mora, Max Milner, Jeanine Moulin, José Bergamin, Daniel Vouga, François Van Laere, Zbigniew Bienkowski, Francis Scarfe, Valentin Kataev, John Brown, Jan Vladislav, GeorgesEmmanuel Clancier, Georges Poulet). I vol. in-8° de 248 p. ACTES — 1968 250,- Christian — La poétique 8° de 145 p. — 1961 ANGELET de Tristan Corbière. Christian. — Jean de Boschère ou l'attente. 1 vol. in-8° de 372 p. — 1978 BERG 1 vol. in240,- le mouvement de 450,- BERVOETS Marguerite. — Œuvres d'André Fontainas. de 238 p. — 1949 1 vol. in-8° 300,- Roland. — Michel de Ghelderode ou la hantise du masque. Essai de biographie critique. 1 vol. in-8° de 540 p. — 1971 Réimp. 1972 et 1980 BEYEN des écrivains français de Belgique. (A-Des) établi par Jean-Marie C U L O T . BIBLIOGRAPHIE Tome 1 V I I - 3 0 4 p. — 480,- 1881-1960. 1 vol. in-8° de 1958 300,- T o m e 2 (Det-G) établi par René FAYT, Colette PRINS, Jean W A R M O E S , SOUS l a d i r e c t i o n d e R o g e r B R U C H E R . 1 vol. in-8° de XXXIX-219 p. — 1966 300,- T o m e 3 (H-L) établi par René FAYT, Colette PRINS, Jeanne BLOGIE, SOUS la direction de Roger B R U C H E R . 1 vol. in-8° de X1X-310 p. — 1968 420,- T o m e 4 ( M - N ) établi par René FAYT, Colette PRINS, Jeanne B L O G I E et R. Van de S A N D E , SOUS la direction de Roger B R U CHER. 1 vol. in-8°, 4 6 8 p. - 1972 450,- de Franz Hellens, par Raphaël D e Smedt. Extrait du tome 3 de la Bibliographie des Écrivains français de Belgique, i br. in-8° de 36 p. — 1968 60,- BIBLIOGRAPHIE Ouvrages publiés 92 92 Annie. — L'Esthétique 1 vol. 14 x 20 d e 208 p. — 1942 BODSON-THOMAS BOUMAL Louis. — Œuvres de Georges Rodenbach. 250,— (publiées par Lucien Christophe et Marcel Paquot). Réédition, 1 vol. 14 x 20 d e 211 p. — 1939. 250,— Herman. — L'accueil fait au symbolisme 1885-1900. 1 vol. in-8° d e 203 p. — 1967 300,— BRAET en Belgique, Marthe. — Études philologiques sur la langue, le vocabulaire et le style du chroniqueur Jean de Haynin. 1 vol. in-8° d e 306 p. - 1933 350,- Rosa. — L'Évolution 14 x 20 de 328 p. — 1956 400,— BRONCKART BUCHOLE poétique de Robert Desnos. 1 vol. CHAINAYE Hector. — L'Âme des choses. Réédition 1 vol. 14 x 20 de 189 p. - 1935 Paul. — Nouvel essai sur Octave 1 vol. 14 x 20 de 204 p. — 1952 Pirmez. CHAMPAGNE 200,- I. Sa vie. 270,— Gustave. — Le Mouvement romantique en Belgique. (1815-1850). I. La Bataille romantique. 1 vol. in-8° de 423 p. — 1931 480,— Gustave. — Le Mouvement (1815-1850). 11. Vers un Romantisme 546 p. — 1948 600,- CHARLIER CHARLIER romantique en Belgique. national. 1 vol. in-8° de Gustave. — La Trage-Comédie 1 vol. in-8° de 116 p. — 1959 CHARLIER Lucien. — Albert Giraud. 1 vol. 14 x 20 de 142 p. - 1960 CHRISTOPHE Pastoralle (1594). 160,— Son œuvre et son temps. 200,— Pour le Centenaire de COLETTE, textes de Georges Sion, Françoise Mallet-Joris, Pierre Falize, Lucienne Desnoues et Carlo Bronne, 1 plaquette de 57 p., avec un dessin de Jean-Jacques Gailliard Gaston. — Le Théâtre de Maurice in-8° de 270 p. — 1955 COMPÈRE Jean-Marie. — Bibliographie 8° de 156 p. — 1958 CULOT d'Émile Maeterlinck. 1 80,- vol. 360,— Verhaeren. 1 vol. in200,— DAVIGNON Henri. — L'Amitié de Max Elskamp et d'Albert Mockel (Lettres inédites). 1 vol. 14 x 20 d e 76 p. — 1955 . . . 150,— DAVIGNON Henri. — Charles in-8° d e 184 p. - 1952 300,- Van Lerberghe et ses amis. DAVIGNON Henri. — De la Princesse de Cléves queyroux. 1 vol. 14 x 20 de 237 p. — 1963 DEFRENNE Madeleine. — Odilon-Jean 468 p. — 1957 Périer. à Thérèse 1 vol. Des300,— 1 vol. in-8° d e 600,— Ouvrages publiés 93 Xavier. — Le roman d'un géologue. Réédition (Préface de Gustave Charlier et introduction de Marie Gevers). 1 vol. 14 x 20 de 292 p. — 1958 350,— Fernand. — Ronsard poète de l'amour. 1 vol. in-8° de 282 p. — Réimpression, 1965 360,— D E REUL DESONAY Cassandre. I. Fernand. — Ronsard poète de l'amour. I I . De Marie à Genêvre. 1 vol. in-8° dde 317 p. — Réimpression, 1965 450,— Fernand. — Ronsard poète de l'amour. I I I . Du poète de cour au chantre d'Hélène. 1 vol. in-8° de 415 p. — 1959 540,— Charles. — La Rose et l'Épée. Réédition. 14 x 20 de 126 p. — 1936 150,— DESONAY DESONAY DE SPRIMONT 1 vol. Georges. — Les Proscrits du Coup d'État du 2 décembre 1851 en Belgique. 1 vol. in-8° de 169 p. — 1938 200,— Jacques — Les Romanciers français XIX'siècle. 1 vol. in-8° de 221 p. — 1963 300,— DOUTREPONT DUBOIS de l'Instantané au Anne-Marie. — Edmond Breuché de la Croix. I vol. 14 x 20 de 170 p. - 1957 220,- Robert. — La Théorie de l'Art pour l'Art chez les écrivains belges de 1830 à nos jours. 1 vol. in-8° de 418 p. — 1936 480 — Robert. — Les influences anglo-saxonnes sur les Lettres françaises de Belgique de 1850 à 1880. 1 vol. in-8 e de 342 p. — 1953 480 — GILLIS GILSOUL GILSOUL Albert. — Critique littéraire. Réédition. 187 p . - 1 9 5 1 GIRAUD 1 vol. 14 x 20 de 270,— Robert. — Max Elskamp et Jean de Bosse hère. Correspondance. 1 vol. 14 x 20 de 64 p. — 1963 100 — Jean S.J. — Essai sur la valeur exégétique du substantif dans les {< Entrevisions » et « La Chanson d'Ève » de Van Lerberghe. 1 vol. in-8° de 303 p. — 1956 400,— Jean S.J. — Le mot-thème dans l'exégèse 1 vol. in-8° de 108 p. — 1959 200 — GUIETTE GUILLAUME GUILLAUME Lerberghe. de Van Dominique. — Le fantastique dans l'œuvre prose de Marcel Thiry. 1 vol. in-8" de 226 p. — 1981 HALLIN-BERTIN en 360,— Jean. — Médicinaire Liégeois du XIII' siècle et Médicinaire Namurois du XIV' (manuscrits 815 et 2700 de Darmstadt). 1 vol. in-8° de 215 p. — 1941 300,- Paul. — Un coin de la Vie de misère. Réédition. 1 vol. 14 x 20 de 167 p. — 1942 200 — Nicole. — Le souci de l'expression 14 x 20 de 236 p. — 1958 300,- HAUST HEUSY HOUSSA chez Colette. 1 vol. Ouvrages publiés 94 94 « La Jeune Belgique » (et « La Jeune revue littéraire »). Tables générales des matières, par Charles Lequeux (Introduction par Joseph Hanse). 1 vol. in-8° de 150 p. — 1964 200,— Francis et B R A U N Thomas. — Correspondance (18981 9 3 7 ) . Texte établi et présenté par Daniel Laroche. Introduction de Benoît Braun. 1 vol. i n - 8 ° de 2 3 8 p. — 1 9 7 2 360,— Jean-Marie. — Style et Archaïsme dans la Légende d'Ulenspiegel de Charles De Coster, 2 vol. in-8°, 425 p. + 358 p., 1973 750,- LECOCQ Albert. — Œuvre poétique. Avant-propos de Robert Silvercruys. Images d'Auguste Donnay. Avec des textes inédits. 1 vol. in-8° de 336 p 480,— MAES Pierre. — Georges Rodenbach (1855-1898). Ouvrage couronné par l'Académie française. 1 vol. 14 x 20 de 352 p. — 1952 420,- JAMMES KLINKENBERG François. — Il y avait une fois. 1943 MARET - 1 vol. 14 x 20 de 116 p. 180,- Roland. — Le Tableau littéraire de la France XVIIIesiècle. 1 vol. de 14 x 20 de 145 p. — 1972 MORTIER au 210,— Jeanine. — Fernand Crommelynck, textes inconnus et peu connus, étude critique et littéraire, 332 p. in-8°, plus iconographie — 1974 420,— Jeanine. — Fernand Crommelynck paroxysme. 1 vol. in-8° de 450 p. — 1978 600,— MOULIN MOULIN ou le théâtre du Émilie. — Le premier visage de Rimbaud, nouvelle édition revue et complétée, 1 vol. 14 x 20, 335 p. — 1973 390,— Michel. — Albert Mockel. 1 vol. in-8° de 256 p. — 1962 360,— NOULET Esthétique OTTEN du Symbolisme. Marcel. — Les Étrangers dans les divertissements Cour, de Beaujoyeulx à Molière. 1 vol. in-8° de 224 p PAQUOT Edmond. — L'Amiral. 1939 PICARD - PIELTAIN de la 300,— Réédition. 1 vol. 14 x 20 de 95 p. Paul. — Le Cimetière 150,marin de Paul Valéry (essai d'explication et commentaire). 1 vol. in-8° de 324 p. — 1975. 450,— Octave. — Jours de Solitude. de 351 p. — 1932 420,- PIRMEZ Réédition. 1 vol. 14 x 20 Jacques. — Témoignages sur la syntaxe du verbe dans quelques parlers français de Belgique. — 1 vol. in-8° de 248 p. — 1962 300,- REICHERT Madeleine. — Les sources allemandes des œuvres poétiques d'André Van Hasselt. 1 vol. in-8° de 248 p. — 1 9 3 3 . . . . 320,— POHL Ouvrages publiés 95 Paul. — Mademoiselle Vallantin. Réédition (Introduction par Gustave Vanwelkenhuyzen). 1 vol. 14 x 20 de 216 p. — 1959 250— Madeleine. — L'élément poétique dans «À la recherche du Temps perdu » de Marcel Proust. 1 vol. in-8° de 213 p. — 1954 300 Hector. — Études de syntaxe descriptive. Tome I : La conjonction « si » et l'emploi des formes verbales. 1 vol. in-8° de 200 p. — 1967. Réimpression en 1969 300,— Tome II : La syntaxe de l'interrogation. — 1967. Réimpression en 1969 360,— REIDER REMACLE - RENCHON 1 vol. in-8° de 284 p. Eugène. — Impressions littéraires (Introduction par Gustave Charlier). 1 vol. 14 x 20 de 212 p. — 1957 300,— Pierre. — Le vocabulaire professionnel du houilleur borain. 1 vol. in-8° de 200 p. — 1953. Réédition en 1981 . . . . 320,— Romain. — Trois adaptations de Shakespeare : Mesure pour Mesure, Le Roi Lear, La Tempête. Introduction et notices de Georges Sion. 1 vol. in-8° de 382 p 450,— Pierre-Jean. — Jules 1 vol. in-8° de 420 p. - 1962 540,— ROBIN RUELLE SANVIC SCHAEFFER Destrée. Essai biographique. Fernand. — Lettres à un jeune poète, publiées et commentées par Léon Kochnitzky. 1 vol. 14 x 20 de 132 p. — 1960 180,— Arsène. — Introduction à l'histoire de l'Esthétique française (troisième édition revue et augmentée). 1 vol. in-8° de 172 p. — 1966 240 — Introduction à l'œuvre 1 vol. in-8° de 200 p. — 1937 270 — SEVERIN SOREIL SOSSET L.L. — de Charles TERRASSE Jean. — Jean-Jacques Rousseau d'or. 1 vol. in-8° de 319 p. — 1970 De Coster. et la quête de l'âge 400- Claude. — Le Jeu de l'Étoile du manuscrit de Cornillon. 1 vol. in-8° de 170 pp. — 1980 T H O M A S Paul-Lucien. — Le Vers moderne. 1 vol. in-8° de 274 p. — 1943 THIRY James. — En pays wallon. Réédition. 20 de 241 p. — 1935 VANDRUNNEN 1 vol. 14 300,— 300,- x 300,— Gustave. — Histoire d'un livre : « Un Mâle », de Camille Lemonnier. 1 vol. 14 x 20 de 162 p. — 196 1 240,— Gustave. — Itinéraires et portraits. Introduction par Gustave Vanwelkenhuyzen. 1 vol. 14 x 20 de 184 p. — 1969 200,— VANWELKENHUYZEN VANZYPE Ouvrages publiés 96 96 François. — Edmond Picard et le réveil des belges (1881-1898). 1 vol. in-8° d e 100 p. — 1935 VERMEULEN Robert. — Et la poésie fut langage. 232 p. — 1954. Réimpression en 1970 VIVIER VIVIER Robert. — Traditore. 1 vol. IN-8° de Lettres 140,— 1 vol. 14 x 20 de 300,— 285 p. — 1960 360,— « LA WALLONIE ». — Table générale des matières (juin 1886 à décembre 1892) par Ch. LEQUEUX. — 1 vol. in-8° de 44 p. — 1961 9 5 , - Léon. — La Culture en Hesbaye de 255 p, — 1949 WARNANT WILLAIME Élie. — Fernand Severin. 14 x 20 de 212 p. — 1941 liégeoise. 1 vol. in-8° 300,— — Le poète et son Art. 1 vol. Marc. — La genèse de « Meurtres » de Charles 1 vol. in-8° d e 200 p. — 1978 WYNANT 300,— Plisnier. 250,— Livres épuisés Alphonse : Le Poème moral. Roger : Maurice Maeterlinck, l'œuvre et son audience, (bibliographie). D O N E U X G u y : Maurice Maeterlinck. Une poésie. Une sagesse. Un homme. D O U T R E P O N T Georges : La littérature et les médecins en France. É T I E N N E Servais : Les Sources de « Bug-Jargal ». FRANÇOIS Simone : Le Dandysme et Marcel Proust ( D e Brummel au Baron de Charlus). Lerberghe. G U I L L A U M E Jean : La poésie de Van G U I L L A U M E Jean : « Les Chimères » de Nerval. HANSE Joseph : Charles De Coster. L E J E U N E Rita : Renaut de Beaujeu. Le lai d'Ignaure ou Lai du prisonnier. L E M O N N I E R Camille : Paysages de Belgique. M I C H E L Louis. — Les légendes épiques carolingiennes dans l'œuvre de Jean d'Outremeuse. R E M A C L E Louis : Le parler de La Gleize. V A N W E L K E N H U Y Z E N G u s t a v e : L'influence du naturalisme français en Belgique. de Baudelaire . V I V I E R Robert : L'originalité WILMOTTE Maurice : Les origines du Roman en France. BAYOT BRUCHER En outre, la plupart des communications et articles publiés dans ce Bulletin depuis sa création existent en tirés à part. Le présent tarif annule les précédents. Imprimerie J. Duculot, 5800-Gembloux (Belgique). Tél. 081/61.00.61.