ÉLOGE
DU MAUVAIS LECTEUR
DU MÊME AUTEUR
EN TOUTE MAUVAISE FOI.
Sur un paradoxe littéraire, 2015.
2017
POUVOIRS DE L'IMPOSTURE , 2018
QUI A PEUR DE L’IMITATION ?,
Chez d’autres éditeurs
ALBERT COHEN : LES FICTIONS DE LA JUDÉITÉ ,
Classiques-Garnier,
2011.
ÉCRIRE LA JUDÉITÉ .
Enquête sur un malaise dans la littérature
française, Champ Vallon, 2015.
ALBUM ROMAIN GARY, Gallimard, « Bibliothèque de la Pleiade »,
2019.
MAXIME DECOUT
ÉLOGE
DU MAUVAIS LECTEUR
LES ÉDITIONS DE MINUIT
Publié avec le soutien du laboratoire CIELAM
et de l’Université d’Aix-Marseille
© 2021 by LES ÉDITIONS DE MINUIT
www.leseditionsdeminuit.fr
AVANT-PROPOS
LA MAUVAISE LECTURE À L’USAGE
DES BONS LECTEURS
Demandez à plusieurs personnes de lire un même texte
et de le résumer. Vous verrez que chacun n’en aura pas
retenu la même chose. Demandez ensuite à une personne
de lire un texte, de le raconter à une seconde, puis à celle-ci
de le lire. Vous verrez que le second lecteur sera surpris de
ne pas trouver son compte dans le résumé qui lui avait été
fait auparavant. Il notera surtout les différences entre le
texte tel qu’on le lui avait présenté et celui qu’il a lu, entre
le résumé et le livre tel qu’il est, c’est-à-dire tel qu’il croit
qu’il est. Ces expériences, extrêmement banales, soulignent
une évidence : nous ne lisons pas tous de la même façon. Et
chacun se croit, la plupart du temps, le lecteur compétent.
Le mauvais lecteur est fréquemment celui que l’autre tient
pour tel. C’est celui qui ne lit pas comme nous. C’est l’autre.
Or l’autre est aussi celui qui fournit à un modèle théorique
ce qui lui manque, sa part dérobée. De sorte que le mauvais
lecteur pourrait révéler des aspects absolument cruciaux
dans notre conception du bon lecteur et même, plus largement, de la lecture.
*
Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle. L’Europe découvre
avec stupeur qu’on peut mourir de lire – ou plutôt de mal
lire. Un jeune homme vient de se tirer une balle dans la tête
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ÉLOGE DU MAUVAIS LECTEUR
en raison d’un amour impossible. Pire : plusieurs personnes,
dans un inexplicable élan de solidarité, sont elles aussi passées à l’acte, parfois en revêtant les mêmes vêtements que le
suicidé. Il faut dire que celui-ci n’est pas n’importe qui : il
s’agit d’un personnage de roman, le héros des Souffrances du
jeune Werther de Goethe. Face à l’ampleur du phénomène, le
livre est interdit dans plusieurs villes européennes.
Cette contagion donnera son nom au suicide mimétique, que le sociologue américain David Phillips baptise
l’« effet Werther 1 ». Mais il ne faut pas oublier que l’origine
des morts est inédite : il s’agit d’un livre. Plus précisément,
d’un type de lecture bien particulier, qui restera pendant
des années le prototype de la mauvaise lecture et dont on
pressentait depuis longtemps les risques : la lecture à la Don
Quichotte, par empathie et identification, sans prise de
recul ni lucidité. Seulement, avec Werther, cette influence
délétère du livre sur son mauvais lecteur n’est plus une fiction : elle est devenue une réalité. En tant qu’usage perverti
de la lecture, le suicide est particulièrement convaincant.
Plus commune peut-être – espérons-le du moins –, est la
réaction de ces jeunes gens qui ont singé le héros de René de
Chateaubriand. Cheveux longs, dans le vent, visage mélancolique, le jeune romantique tient la pose à la manière de
son modèle. L’écrivain détestera pour cela même son propre
roman et déplorera l’avoir écrit 2.
*
Changement de décor, changement d’époque. Nous
sommes en France au début du XXe siècle. Un certain Palamède de Guermantes, baron de Charlus, est né sous la
plume de Proust dans À la recherche du temps perdu. Il lit
Musset en soupirant et en larmoyant – mais il lit surtout
1. Voir David P. Phillips, « The Influence of Suggestion on Suicide:
Substantive and Theoretical Implications of the Werther Effect », American
Sociological Review, no 39, 1974, p. 340-354.
2. Voir François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe,
livres XIII à XXIV, Paris, Librairie Générale Française, « Le livre de
poche », 2012 [1848], p. 69.
LA MAUVAISE LECTURE À L’USAGE DES BONS LECTEURS
9
Musset à sa manière. Car à la place de la jeune femme sur
qui se lamente le poète, Charlus a mis le visage de celui
dont il est tombé amoureux, Morel. Sans cette substitution,
« il n’aurait ni pleuré, ni compris, puisque c’était par cette
seule voie, étroite et détournée, qu’il avait accès aux vérités de l’amour 3 ». Proust en déduit que « chaque lecteur est,
quand il lit, le propre lecteur de soi-même ». Voilà une autre
manière de mal lire : non plus en imitant le texte mais en
projetant sur lui ses pensées, voire en le déformant.
*
Les lecteurs de Werther poussés au suicide, le baron de
Charlus dénaturant les vers de Musset : nous tenons avec
eux des spécimens de mauvais lecteur tout à fait révélateurs. Or on voit tout de suite qu’ils ne le sont pas parce
qu’ils se méprennent sur le sens du texte ou font des contresens. Ils le sont parce qu’ils lisent à l’encontre de ce que le
texte prévoit et en donnant à leur subjectivité une place
prédominante.
La lecture n’est de toute façon pas une activité homogène.
Ouvrez un dictionnaire et vous constaterez que le mot « lecture » recèle au moins deux sens : il désigne aussi bien l’interprétation du texte que l’acte concret de lire. Si bien que
vous pouvez être mauvais lecteur parce que vous n’interprétez pas le texte selon ce qu’il escompte ou parce que vous ne
pratiquez pas l’activité de lecture selon ce qu’elle exige. C’est
autant par vos attitudes intellectuelles et émotionnelles que
par votre manière concrète de lire un texte qu’il faudrait
donc en passer pour définir la mauvaise lecture. Le mauvais lecteur serait celui qui, intellectuellement ou émotionnellement, ne suit pas la logique intime du texte, ou celui
qui, pratiquement, ne lit pas le texte comme le texte le veut
– c’est-à-dire, le plus souvent, mot à mot, linéairement.
*
3. Marcel Proust, Le Temps retrouvé [1927], dans À la recherche du temps
perdu, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, p. 489.
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ÉLOGE DU MAUVAIS LECTEUR
Il est pourtant surprenant que la bonne lecture ait été
célébrée alors qu’elle est peut-être quelque chose d’assez
rare dans la vie de tous les jours. Certes le lecteur réel, le
lecteur à la Charlus, celui que vous êtes, comme moi, celui
qui a un corps, des envies, des fatigues, celui qui s’enthousiasme ou baille à s’en décrocher la mâchoire, a obtenu ces
dernières années les faveurs de la critique littéraire, de la
sociologie, de l’histoire, de l’anthropologie et de la didactique 4. Mais il n’est pas encore le mauvais lecteur. La théorie
littéraire a plutôt eu tendance à éviter ce terrain – il faut dire
qu’il est glissant, pour ne pas dire miné. Nous disposons
toutefois d’assez de recul sur la bonne lecture pour envisager aujourd’hui les richesses cachées et déroutantes de la
mauvaise lecture 5. Mais cela ne sera possible qu’en se gardant de tout jugement sur elle. Ne prenez donc pas le terme
« mauvais » comme une critique : il signale un écart par rapport à une norme intellectuelle, un pas de côté face à la lecture que le texte programme. Il ne s’agit pas de faire l’éloge
du tout et du n’importe quoi : toutes les mauvaises lectures
ne se valent pas mais l’idéal de la bonne lecture ne doit pas
engendrer la honte ou le refoulement d’autres attitudes qui
ont toute leur place dans notre compréhension des œuvres,
qui nous disent quelque chose de ce qu’est la littérature et
4. Notre préoccupation pour le mauvais lecteur accompagne le regain
d’intérêt de la critique pour les pratiques concrètes du lecteur. Voir entre
autres Roger Chartier (dir.), Pratiques de la lecture, Paris, Payot, « Petite
bibliothèque Payot », 2003 [1985] ; Michel Picard, La Lecture comme jeu,
Paris, Minuit, « Critique », 1986 ; Vincent Jouve, L’Effet-personnage dans le
roman, Paris, PUF, « Écriture », 1992 ; Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la
fiction ?, Paris, Seuil, « Poétique », 1999 ; Michèle Petit, Éloge de la lecture :
la construction de soi, Paris, Belin, « Alpha », 2016 [2002] ; Marielle Macé,
Façons de lire, manières d’être, Paris, Gallimard, « NRF essais », 2011 ;
Raphaël Baroni, La Tension narrative, Paris, Seuil, « Poétique », 2007 ; Hélène
Merlin-Kajman, Lire dans la gueule du loup. Essai sur une zone à défendre, la
littérature, Paris, Gallimard, « NRF essais », 2016.
5. Pour un premier aperçu sur quelques mauvais lecteurs, on pourra
consulter le volume collectif dirigé par Claudia Bouliane et Pierre Popovic,
Fabula / Les colloques, « Les mauvaises lectures », 2013, https://www.fabula.
org/colloques/document2234.php.
LA MAUVAISE LECTURE À L’USAGE DES BONS LECTEURS
11
de ce que nous sommes, de comment nous l’abordons et
la vivons.
Si on s’est donc largement interrogé sur les règles de la
bonne lecture, les pratiques dissidentes restent en partie à
explorer. Que se passe-t-il lorsque, dans la relation entre
vous et l’œuvre, le système se grippe, lorsque le pôle le plus
imprévisible (vous-même) ne répond pas conformément aux
exigences du pôle le plus fixe (le texte) ? C’est l’ensemble de
ces dysfonctionnements qui constitue la mauvaise lecture.
Pour la cerner, il sera donc indispensable de se demander,
comme nous y invitent les imitateurs de Werther et le baron
de Charlus, ce que le lecteur fait ou peut faire du texte, plus
que ce qu’il doit en faire.
*
Allons même plus loin en déplaçant la question qui est
habituellement la vôtre face à un texte : comment bien le
lire. L’autre question – comment mal le lire – ne vous
effleure jamais. Mal lire n’est pourtant pas plus évident
que bien lire. N’auriez-vous pas en effet besoin de quelque
talent pour vous émanciper des impératifs de la bonne lecture ? Du talent, oui, un brin de folie, certainement, mais
aussi beaucoup de ruse 6. Car la mauvaise lecture, qui ne se
soumet pas aux usages prescrits, est tout sauf passive ; elle
s’invente de mille manières, elle manœuvre, s’approprie et
s’affranchit.
Or cette pratique intervient volontiers en des moments
d’altération du cours de la bonne lecture. Réfléchir sur ces
catégories ne va dès lors pas de soi, puisque aucune frontière, ni claire, ni infranchissable, ne les sépare. Qu’est-ce
qui vous autorise à postuler que vous avez bien lu ? Il est
relativement difficile d’en avoir l’assurance. De la même
façon, pouvez-vous décréter, sans l’ombre d’un doute,
6. Michel de Certeau, dans L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire
(Paris, Gallimard, « Folio », 2019 [1980], p. 239-255), fait pour sa part de la
lecture en général une sorte de braconnage qui permet à l’homme ordinaire
de se soustraire aux exigences de l’organisation sociale.
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ÉLOGE DU MAUVAIS LECTEUR
qu’une lecture est foncièrement mauvaise ? Ceci est d’autant plus complexe que tout dépend des paramètres que
l’on regarde. Vous pouvez mal lire parce que votre interprétation est erronée, ou encore parce que, sur un plan
émotionnel, votre lecture est gouvernée par des sentiments qui la faussent. Mais il est délicat de distinguer
si nettement les sphères intellectuelle et affective. C’est
pourquoi il arrive, plus fréquemment qu’on ne le pense,
que le mauvais lecteur commente avec une extraordinaire
finesse l’œuvre qu’il lit mais en soit un mauvais lecteur
parce qu’il réagit face à elle sans distance ou de manière
disproportionnée.
La principale conséquence de ce partage incertain est
que la mauvaise lecture ne peut pas être réduite à une
lecture ratée. Elle est une lecture qui emprunte des voies
détournées, dévalorisées, et dont les forces créatrices sont
fréquemment sous-estimées. C’est à leur poursuite que je
vous convie. Pour cela, il convient de prendre conscience
que vous faites parfois naître dans une œuvre, comme
l’explique Michel Charles, une sorte de texte fantôme qui
n’était pas d’abord inscrit en elle, mais qui en était comme
une possibilité non réalisée. Ce deuxième texte vient alors
doubler le premier, qui passe en arrière-plan, voire disparaît 7. Si Michel Charles fait de ce phénomène un dispositif de compréhension de l’œuvre, ce mécanisme est aussi
à l’origine de toutes les distorsions que le mauvais lecteur
inflige à un texte. Il faudra donc pister ces représentations
mentales que sont les textes fantômes. Selon les types de
mauvaise lecture, vous observerez comment ces spectres,
cachés à la vue de tous, hantent le mauvais lecteur et comment celui-ci s’y prend pour les faire naître selon qu’il
cultive une lecture passionnelle ou détachée, qu’il soit
rongé par la peur ou l’envie, captif de préjugés ou délesté
de tout tabou. Cet arsenal de pulsions est le seul à autoriser
le surgissement de textes fantômes de cette nature. Vous
verrez ainsi à la fois comment le texte affecte le mauvais
7. Michel Charles, Introduction à l’étude des textes, Paris, Seuil,
« Poétique », 1995, p. 189 et suivantes.
LA MAUVAISE LECTURE À L’USAGE DES BONS LECTEURS
13
lecteur et comment le mauvais lecteur affecte lui-même
le texte.
*
Or l’obstacle majeur entravant une telle entreprise est
que le mauvais lecteur déploie une activité silencieuse, non
consignée, et qui, pourtant, vous concerne. La mauvaise lecture appartient à nos manières de lire et est constitutive de
notre culture de la lecture, dans laquelle nous sommes plus
des usagers que des experts. Mais elle est généralement privée d’un cadre qui la reconnaisse et la légitime. Il va alors
de soi que la description et la compréhension d’un tel phénomène font problème. Comment réfléchir à quelque chose
qui n’a pas de discours ?
C’est dès lors chez les écrivains que vous pourrez observer le mieux cette lecture muette. Car un désir de la faire
entendre s’y devine. Indéniablement, certains sont plutôt
récalcitrants face au mauvais lecteur. Ils le regardent de
travers – avec un petit sourire en coin –, ni très rassurés
ni très heureux d’être en sa compagnie. On les comprend :
le mauvais lecteur n’est guère un sujet passionnant, sa fréquentation ne paraît pas très enrichissante. Il fait peur ou
amuse, tout en piquant la curiosité. Mais cette situation
a largement évolué avec le temps. Jusqu’au XIX e siècle, le
mauvais lecteur est soit le pédant qui professe des élucubrations, soit celui qui, comme Don Quichotte et les imitateurs de Werther, s’identifie de manière maladive aux
personnages d’un livre. Il est régulièrement représenté
dans des fictions pour vous sensibiliser aux dangers de
la lecture. On ne l’écoute cependant pas vraiment, on
ne lui donne pas tout à fait la parole, on ne l’estime qu’à
moitié. Les choses changent au XX e siècle où un nombre
considérable de textes est consacré au mauvais lecteur. Qui
plus est, ces œuvres lui confèrent une place inédite : vous
voyez le mauvais lecteur pratiquer sa passion avec jubilation, effroi ou emportement. Il donne son impulsion aux
œuvres, s’installe dans le texte, accapare votre attention,
agit sur vous. Vous le lisez et l’écoutez en même temps
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ÉLOGE DU MAUVAIS LECTEUR
qu’il lit et parle. Il a trouvé une voix grâce à ceux qui
écrivent désormais la mauvaise lecture 8.
*
C’est depuis cet observatoire privilégié que vous pourrez côtoyer des mauvais lecteurs de tout acabit, qu’ils soient
malicieux, ardents, malintentionnés, dissimulateurs, séducteurs, virulents ou arrogants. Car le mauvais lecteur est
rarement Monsieur tout le monde. Il est mauvais lecteur
avec aplomb, avec adresse, avec panache. C’est pour cette
raison que ce livre est aussi un manuel de la mauvaise lecture à l’usage des bons lecteurs que vous espérez être ou
que vous croyez être. Il a l’intention de vous former à l’art
de la mauvaise lecture, tout en vous révélant les moyens prodigieusement diversifiés pour y parvenir. Afin de partager
l’exaltation du mauvais lecteur, il vous faudra expertiser longuement ses trucs et astuces, et nous verrons bien, au terme
de ce parcours, si vous saurez mettre en pratique ceux qui
siéent à votre tempérament ou – mieux encore – inventer les
vôtres. Vous pourrez ainsi faire le compte des désagréments
et des avantages à être un mauvais lecteur. Quels bénéfices
le lecteur comme le texte retirent-ils d’une mauvaise lecture ? Pourquoi mal lire quand on sait comment il faudrait
s’y prendre pour bien lire et qu’on est apte à le faire ? Ces
questions, qui ont trait aux causes, aux buts et aux effets
de la mauvaise lecture, sont essentielles si on veut dépasser le stade de la simple condamnation. La mauvaise lecture
est-elle profitable au-delà du seul plaisir qu’elle prodigue
– assez unique en son genre, il faut bien le dire ? Et pour qui
est-elle profitable ? Le texte, le lecteur, la littérature ?
*
Une pratique et une ruse, mais au départ silencieuses et
8. Voir notamment la notion de « lecture écrite » telle que la développe
Bruno Clément dans Le Lecteur et son modèle, Paris, PUF, « Écriture », 1999,
p. 233.
LA MAUVAISE LECTURE À L’USAGE DES BONS LECTEURS
15
sans porte-parole. C’est à la lumière de ces traits essentiels
que s’organisent les quatre principales étapes impliquées
dans toute authentique formation à la mauvaise lecture.
Vous qui entreprenez cette initiation, il vous faudra, dans
un premier temps, reconnaître qu’il existe un puissant imaginaire du mauvais lecteur qui ne date pas d’hier. Celui-ci,
d’abord restreint au phénomène de l’identification pathologique, a hanté la société et la littérature jusqu’au XXe siècle
où il a périclité en cédant la place à un discours envahissant
sur la bonne lecture. Pour en arriver à une conception plus
féconde du mauvais lecteur, il vous sera utile de comprendre
les réquisitoires contre lui et de vous pencher sur les raisons
à l’inflation de ce discours sur le bon lecteur. Vous noterez
comment ils ont orienté votre perception de la lecture et
comment ils vous ont empêché de discerner les bienfaits de
la mauvaise lecture.
Ce seront ensuite les transformations de cet imaginaire
à partir du XXe siècle qui devront vous interpeller car elles
ont remodelé les relations entre compréhension des textes
et immersion dans les œuvres, ainsi qu’entre bonne et
mauvaise lectures. Après la mort d’un mauvais lecteur qui
s’identifiait sans trop réfléchir, un nouveau mauvais lecteur,
beaucoup moins naïf, ne tarde pas à naître. C’est en sa compagnie que vous découvrirez qu’interpréter subtilement un
texte peut aussi être un remarquable procédé pour mal le
lire.
La troisième étape incontournable dans votre apprentissage repose sur l’examen du droit à la parole que la littérature des XXe et XXIe siècles a concédé au mauvais lecteur.
Désormais habilité à verbaliser ses lectures, à laisser libre
cours à ses tours de passe-passe et à ses pulsions, le mauvais lecteur se constitue en sujet. De l’amour sans partage à
la perfidie, il laisse s’emballer des passions qui, supprimant
presque tous les tabous face aux textes, sont à l’origine d’un
enrichissement sans commune mesure des œuvres mal lues.
L’ultime étape de ce parcours s’attachera à voir que ces
ruses et fantasmes ne se limitent nullement à la façon dont
le mauvais lecteur compose une image mentale du texte en
réagissant face à lui et en le faisant signifier. Ils sont aussi
16
ÉLOGE DU MAUVAIS LECTEUR
mobilisés de manière tout à fait concrète dans un ensemble
de pratiques où l’activité de lire et la matérialité du texte
sont soumises à rude épreuve. De la lecture en diagonale à
l’intervention directe sur un texte pour le transformer, vous
expérimenterez des méthodes radicales pour être enfin cet
excellent mauvais lecteur que – sans oser l’avouer – vous
aviez toujours rêvé de devenir.
TABLE
AVANT-PROPOS. LA MAUVAISE LECTURE À L’USAGE
DES BONS LECTEURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITRE I. MORT ET RENAISSANCE DU MAUVAIS
LECTEUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Des horribles dangers de l’identification . . . . . . . . . . . . . .
Naissance du bon lecteur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Redevenir un mauvais lecteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
17
18
25
29
CH A PIT R E II. SPLENDEUR S ET MISÈR ES DE
L’INTERPRÉTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Les deux mauvais lecteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’immersion par intellection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Être transformé en mauvais lecteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La lecture contrefactuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
39
45
52
59
CHAPITRE III. LA PAROLE AU MAUVAIS LECTEUR . . . .
73
74
83
90
Fétichisme et fanatisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Fétichisme, mimétisme, exorcisme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La lecture haineuse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITR E IV. LES PR ATIQUES DU MAUVAIS
LECTEUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Lire le nez en l’air . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Lire en tous sens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mauvaise lecture et bricolage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Lire pour réécrire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
106
112
122
130
ÉPILOGUE. ET SI DON QUICHOTTE AVAIT SU
MIEUX LIRE ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
Cette édition électronique du livre
Éloge du mauvais lecteur de Maxime Decout
a été réalisée le 01 décembre 2020
par les Éditions de Minuit
à partir de l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782707346629).
© 2021 by LES ÉDITIONS DE MINUIT
pour la présente édition électronique.
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ISBN : 9782707346643