Grothendieck et Lautman chez Deleuze
Dans « Deleuze chez Grothendieck », notre dernier tag
Nous devons demander au lecteur de nous excuser des coquilles contenues dans ce tag même si ce lecteur, habitué aux tours de bonneteau analogiques de la critique littéraire, les a facilement corrigées, comme celle où il faut lire « ellipse » au lieu de « parabole »., nous avons exposé comment le modèle d’univers du roman proustien peut être pensé à nouveaux frais dans le lignage riemannien ouvert par Deleuze à partir du concept de multiplicité, où Deleuze est le chaînon intemédiaire entre Riemann et Peirce. Cette promotion du modèle proustien, cependant, peut prêter à contresens, pour des raisons qui ne peuvent être vraiment éclaircies qu’en faisant intervenir Lautman sur la question, quand on considère le contresens qui pèse aussi sur sa réception.
Le système de Lautman est entièrement construit sur une Ligne que nous avons appelée Ligne de Lautman et qui peut être figurée par le diagramme suivant :
Idées dialectiques
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Mathématiques
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Philosophie naturelle
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Physique
Une fois que la pensée de Lautman est ainsi schématisée dans sa colonne vertébrale, le contresens le plus caractéristique à son propos, qui, comme tous les contresens, risque beaucoup de se reproduire, peut être décelé. Il a son prototype dans l’intervention amicale de Charles Ehresmann lors de la discussion qui suivit la conférence de Lautman devant la Société Française de Philosophie. En substance, Ehresmann déclara les idées de Lautman si intéressantes que, certainement, les mathématiciens parviendraient un jour à leur donner la frappe mathématique dont l’exactitude leur manquait encore. Afin de voir qu’il s’agit d’un contresens il suffit de rappeler que sur la Ligne de Lautman, comme l’étage de la philosophie naturelle y est expressis verbis, l’empyrée des Idées dialectiques est un registre essentiellement philosophique. La supposition que les Idées de Lautman soient subsumées sous des concepts mathématiques définit ce qui serait une réfutation de Lautman. Comme « Deleuze chez Grothendieck » peut prêter à une supposition semblable, il faut dire la différence.
Il ne s’agit pas ici, malgré les apparences, de traduire Proust dans le langage mathématique. Il s’agit de sélectionner, dans la boîte à outils des mathématiques, des schèmes susceptibles de renouveler, par transposition en dialectique ascendante, le registre des Idées de Lautman pour le mettre, comme il se doit, au diapason de l’évolution des mathématiques. Dans ce processus, le modèle proustien d’univers agit par conséquent comme un filtre systématique. Filtre, car il s’agit de pratiquer une épochè sur toutes les technicités inépuisables qui n’intéressent que les mathématiciens
Technicités qui, tout au contraire, doivent être considérées en philosophie des mathématiques dans leur foisonnement. afin de retenir seulement ce qui est d’essence philosophique. Systématique de surcroît car il s’agit aussi de sortir du régime de la simple énumération des Idées, où Lautman avait dû se tenir en pionnier, afin de parvenir là également à ce que Wittgenstein appelle une « représentation synoptique ». Il convient d’ailleurs de préciser que, dans cette délicate alchimie entre mathématiques et philosophie, l’étage philosophique des Idées dialectiques doit plus précisément se définir comme étage logico-philosophique. Deux exemples en feront voir les enjeux. Le concept de fonction, depuis Frege et Russell, et même depuis son rapport leibnizien avec le concept de raison suffisante (sans parler de sa refonte en logique combinatoire), a cessé d’être une chasse gardée du mathématicien pour trouver sa place exacte sur la carte des concepts philosophiques. Dans le langage de Boole on pourrait dire qu’il a cessé d’être en tête à tête avec le concept de nombre. Mais l’affaire est plus complexe puisque le Nombre lui-même, depuis le 0 et de 1 de Boole, a été promu, au sens échiquéen, au rang des Idées philosophiques, où il était d’ailleurs attendu, comme sur une table de Mendeleiev, sur la table des termes transcendentaux dressée par Platon dans le Théétète. Ces acquis font partie de ce que le modèle d’univers proustien doit mettre sur orbite. La logique modale esquissée par Deleuze, où Albertine est promue monde possible, y est la cheville ouvrière.