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HISTOIRE DES TEMPÊTES
Emmanuel Garnier
Maître de conférences habilité en histoire
Membre senior de l'Institut universitaire de France,
Centre de recherche d'histoire quantitative CNRS-université de Caen,
Université de Cambridge, Département de géographie
Ce travail tente de prouver l'intérêt pour l'assureur d'une approche historique consacrée aux tempêtes et aux cyclones entre 1500 et nos jours.
Les exemples de la France, de l'Europe et de l'océan Indien montrent que ces événements extrêmes sont en réalité des facteurs de permanence
historique et que les archives peuvent être très utiles pour estimer leur sévérité. Dans cette perspective, une simulation du coût actuel de la tempête
atlantique de mars 1937 est réalisée. Elle révèle que les sociétés littorales de cette époque étaient nettement plus résilientes. Enfin, l'étude prouve
que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la vulnérabilité a augmenté plus rapidement que l'aléa tempête, notamment depuis les années
1990 avec l'urbanisation croissante des littoraux.
« L a tempête du siècle ! » (1) C'est par ce titre ne souffrant aucune contestation que la presse inaugura le règne de
l'ouragan Lothar dans nos mémoires. Dans la même veine, mais dix années plus tard cette fois-ci, un responsable
politique pérennisait cette certitude en déclarant à propos de la tempête Xynthia du 26 février 2010 qu'il s'agissait d'« un
phénomène jamais vu depuis des siècles » (2). Cette affirmation a largement prévalu alors, et prévaut encore d'ailleurs dans les
premiers jours qui suivent tout désastre naturel. En France, elle fut très largement amplifiée par les médias et
partiellement cautionnée par les ingénieurs de l'État, dont le discours employait fréquemment les termes « exceptionnel »,
« inédit » ou « imprévisible ». Plus récemment encore, elle fut diffusée sans modération, tant en Europe qu'au Japon, après
le tsunami du 11 mars 2011. l'interprétation des catastrophes serait-elle décidément un éternel recommencement ?
Pourtant, les spécialistes de la question, climatologues et météorologues, se sont montrés depuis plusieurs années
maintenant d'une prudence de bon aloi, s'efforçant de faire comprendre aux décideurs, aux médias et aux opinions
publiques dans le monde qu'un événement extrême contemporain isolé ne pouvait être symptomatique d'une rupture
climatique historique augurant une nouvelle ère en matière d'aléas. Ainsi, le très récent rapport SREX (IPCC, 2012) fait
remarquer que la majeure partie des données « historiques » se rapportant aux tempêtes se limite à une période très courte
comprise généralement entre 1950 et nos jours. De plus, il insiste sur le fait que l'hypothèse d'une recrudescence des
tempêtes est loin d'être clairement établie aujourd'hui. Posture médiatique et politique durable, les effets pratiques du
dogme de « l'inédit » se révèlent malheureusement néfastes sur le long terme puisqu'ils cautionnent trop souvent
l'imprévision dans la prise en charge du risque et induisent ou entretiennent une spéculation foncière à l'origine d'une
exposition croissante de nos territoires.
En conséquence, cette contribution d'historien souhaite avant tout démontrer que, en matière de tempêtes, toutes les
interprétations sont possibles selon la focale utilisée et que, loin d'être exceptionnelles, elles marquèrent déjà durablement
les sociétés anciennes, qu'il s'agisse de l'Europe ou d'autres parties du monde comme le montre l'exemple de l'île Maurice.
Second horizon stratégique, la question du coût rétrospectif d'un événement historique sera abordée à partir de l'exemple
de la tempête de mars 1937. Nourri de ces exemples parfaitement documentés dans les archives, l'historien peut alors
évoquer la question de la vulnérabilité comme cause majeure de la sévérité d'un événement dit extrême.
Une « histoire » de focales
R appelons-le d'emblée, comme le fait d'ailleurs fort bien le rapport SREX : aujourd'hui, les climatologues, les décideurs
politiques, les assureurs et les réassureurs sont amenés à évaluer un risque tempêtes dépourvu de toute profondeur
historique digne de ce nom puisque les bases de données disponibles ne débutent généralement guère avant les années
1950. Partant de ce constat, les lignes qui suivent présentent successivement trois exemples géographiques différents
(France, Europe du Nord, océan Indien) pour lesquels ont été réalisées des reconstructions sur le temps long.
■ Mesurer les tempêtes
Question cruciale et lancinante, comment interpréter les témoignages multiples, de nature avant tout descriptive
jusqu'au milieu du XIXe siècle, et qui ne revêtent pas forcément la même réalité selon le lieu considéré ? Seconde difficulté
de taille, quels critères peuvent effectivement être retenus pour qualifier la tempête ? Du côté de l'administration
forestière, la solution est relativement simple, puisque ses archives évoquent clairement les bois « chablis », ou arbres
déracinés par les vents. Quant aux descriptions urbaines, elles mettent l'accent sur les dommages causés au bâti selon une
hiérarchie stricte qui énumère les édifices cultuels puis publics et enfin les demeures bourgeoises, l'habitat populaire étant
totalement ignoré. Dans les ports, on s'empresse d'énumérer longuement les dégâts causés aux navires et aux
infrastructures portuaires. À la campagne, on parle surtout des récoltes céréalières et fruitières détruites, tandis qu'à l'île
Maurice on ne manque pas de détailler les dommages dans les plantations et les sucreries. Au final, entre les flèches des
églises écroulées, les ardoises de la bonne bourgeoisie qui s'envolent, les vaisseaux coulés ou échoués, les indicateurs ne
manquent pas pour évaluer les stigmates d'une tempête. Néanmoins, que valent ces signes tangibles si l'on n'est pas en
mesure de sélectionner les plus puissants afin d'éliminer les simples coups de vent ?
Fort des ces indicateurs socioéconomiques, l'historien peut ainsi retenir comme grille de conversion une méthode
simple se prêtant parfaitement à l'interprétation des descriptions de l'époque : l'échelle de Beaufort pour le continent
européen et celle de Saffir-Simpson utilisée par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) dans le cas
de l'océan Indien (Garnier, 2004). À partir des effets que ces événements produisent, ces échelles permettent d'estimer de
manière raisonnable la vitesse d'un vent selon une échelle numérique, les derniers degrés retenant particulièrement
l'attention car indiquant un caractère destructeur et donc une plus forte empreinte sociale dans les sources.
■ Les tempêtes continentales
Dans le cas des tempêtes françaises, dont l'impact fut principalement terrestre, le verdict de l'histoire dément les
propos de ceux qui, au lendemain des catastrophes éoliennes de la dernière décennie, insistaient sur le caractère
exceptionnel et nouveau des aléas venteux. Sous l'Ancien Régime, par exemple, il serait plus à propos de parler de
« tempêtes du siècle » tant les éléments se déchaînèrent au cours de cette période en fonction des conjonctures climatiques
du moment. Les cinq cents ans étudiés révèlent ainsi une chronologie constituée de mouvements contradictoires marqués
successivement par des offensives et des rémissions (Garnier, 2010).
Graphique 1. Les tempêtes (force 10 et sup.) de la France septentrionale entre 1500 et 2000
Sur l'ensemble de la période, 22 événements compris entre la tempête (force 10) et l'ouragan (force 12) ont concerné le
nord de la France avec un rythme de retour de l'ordre d'une quinzaine d'années, 80 % d'entre eux éclatant au cours des
mois de janvier, février ou mars. Gardons-nous cependant d'en tirer des généralités, car il s'agit de récurrences
hasardeuses qui ne tiennent pas compte des inégalités locales et chronologiques.
Graphique 2. Nombre de violentes tempêtes en France par demi-siècle entre 1700 et 2000
Néanmoins, certaines périodes apparaissent plus critiques que d'autres, et les archives de l'administration forestière
signalent ainsi des années à « chablis » sur les périodes 1580-1640, 1710-1770 et 1870-1920. Si l'on ne retient que les
phénomènes majeurs, 15 événements compris entre force 10 et force 12 touchent la France. Observation de taille à
souligner, les aléas majeurs sont plus nombreux au XVIIIe siècle (9 événements) qu'au XXe siècle (8 événements), même en
incluant Lothar-Martin.
■ Les tempêtes de submersion européennes
Contre toute attente, les résultats historiques accumulés battent en brèche l'idée selon laquelle la submersion de février
2010 fut un aléa totalement imprévisible. Avec 63 événements répartis sur les littoraux méditerranéen, normand et
atlantique, les tempêtes de submersion sont indéniablement des phénomènes de permanence historique. Nonobstant, si la
portion côtière Poitou-Charentes – Pays de la Loire l'emporte largement, sa supériorité s'explique davantage par des
recherches plus approfondies que par un risque historique supérieur (Garnier, 2 juillet 2010, Garnier et al., 2011).
Le graphique 3 (p. 25) concerne tous les risques de raz de marée recensés dans les archives pour la portion littorale
comprise entre l'estuaire de la Gironde et celui de la Loire entre 1500 et 2010. Il distingue la tempête de submersion, au
sens strict du terme, du tsunami, d'origine sismique. Deux paroxysmes maritimes s'observent très nettement : le premier
au cours du XVIIIe siècle avec un effectif de 7 submersions et de 2 tsunamis, et la période 1850-1949, qui en concentre
respectivement 9 et 1. A contrario, la seconde moitié du XXe siècle se caractérise par une quasi-disparition des
événements, relevant pour la plupart d'épiphénomènes. Cette « rémission catastrophique » postérieure à 1950 apparaît
donc bien comme un point commun à l'échelle de nos littoraux qui, à ce titre, explique sans doute pour partie le
sentiment trompeur de « nouveauté » qui anime nos contemporains.
Graphique 3. Tempêtes de submersion et tsunamis sur les littoraux saintongeais et vendéens
Affirmer la permanence historique des submersions en France impose une comparaison avec le restant de l'Europe. La
chronologie la plus fiable, celle de l'Atlantique français, a été comparée à celle de la mer du Nord (Lamb, 1991).
Le bilan comparatif surprend par ses similitudes, puisque les deux espaces maritimes affichent des totaux très proches
avec 29 événements recensés sur les côtes françaises contre 27 en mer du Nord (Grande-Bretagne, Pays-Bas, Allemagne,
Danemark). La répartition séculaire montre clairement que, dans un cas comme dans l'autre, le XVIIIe siècle fut
incontestablement le siècle de tous les dangers avec 20 submersions (soit environ un tiers du total), suivi par ordre
décroissant des XXe et XIXe siècles.
Graphique 4. Répartition par siècle des submersions en Charente-Maritime et en mer du Nord
A contrario, l'observation de cette même chronologie, répartie cette fois-ci par période de cinquante ans, souligne de
fortes disparités entre les deux séries, plus particulièrement au cours de la séquence contemporaine. De facto, leurs
tendances sont totalement contradictoires au XXe siècle. Les années 1900-1950, marquées par 4 submersions de grande
sévérité (comme celle de 1937) sur nos côtes, ne connaissent que 2 inondations sur les littoraux européens. Plus
intéressantes encore sont les années 1950-2000, exemptes de catastrophes pour la Saintonge-Vendée alors que nos voisins
septentrionaux subissent de manière très rapprochée les tempêtes de 1953 (Pays-Bas, Grande-Bretagne) et de 1962 (nord
de l'Allemagne) (Lamb, 1991).
■ Les cyclones mauriciens à travers les siècles
Dans le cas mauricien, il convient d'indiquer que les sources historiques se rapportant aux cyclones dans cette île ne
relatent que les événements les plus extrêmes, autrement dit seulement ceux ayant eu un impact très sévère sur la
population et l'économie locale. Cette réalité documentaire explique que la reconstruction graphique ne comporte que les
catastrophes dont l'indice est supérieur ou égal à trois sur l'échelle de Saffir-Simpson.
Graphique 5. Les ouragans de l'île Maurice, 1695-2005
La reconstruction chronologique procède du dépouillement des archives coloniales britanniques déposées aujourd'hui
aux Archives nationales (3), à Kew. En rouge figurent les cyclones actuellement disponibles dans les bases de données des
Mauritius Meteorological Services et de la NOAA-National Weather Service, tandis qu'en gris sont représentés les
événements extraits des archives ou de la documentation historique. L'exemple mauricien montre à l'envi combien il est
important de raisonner sur des échelles de temps longues si l'on veut mieux évaluer les tendances extrêmes réelles et leur
sévérité passée et actuelle. Loin d'accuser une tendance à la hausse, la reconstruction historique effectuée sur trois siècles
démontre au contraire que le XXe siècle et le début du siècle suivant furent finalement nettement moins affectés par des
ouragans que les périodes antérieures. Le XVIIIe siècle suscite un intérêt tout particulier puisque, à l'instar de ce qui a déjà
été observé pour les tempêtes françaises continentales et les submersions en Atlantique et en mer du Nord, il correspond
à une phase d'intense activité cyclonique avec des aléas à la fois plus nombreux (11 événements) et plus sévères (de force
3 à force 5).
La démarche historique permet donc de répondre de manière relativement fiable à la question lancinante de l'assureur
concernant l'évolution récente des événements extrêmes comparés à ceux qui précédèrent. Mieux que cela, l'histoire est à
même de lui procurer des données précises à propos des dommages et de l'ampleur géographique de ces aléas qui,
lorsqu'ils affectent un territoire à enjeux socioéconomiques importants, se muent en catastrophes naturelles.
Le coût d'une tempête historique : la submersion atlantique de 1937
méthodologie retenue exploite le contenu historique des archives afin de simuler un événement historique dans le
L aprésent.
Il s'agit de quantifier les pertes potentielles de la submersion majeure de 1937 par rapport aux enjeux actuels,
une éventualité statistiquement envisageable (Garnier et al., 2012). Il importe également de préciser que cette tempête n'est
actuellement pas disponible dans les catalogues des agences de modélisation des catastrophes, faute de données
historiques.
■ « Un véritable raz de marée... »
Dans sa une du 15 mars 1937, le journal Ouest-France évoque « un véritable raz de marée qui déferle sur les côtes atlantiques »
dans la nuit du 13 au 14 mars. Si le terme de « raz de marée » est inadapté à l'événement puisqu'il procède en réalité d'une
conjonction météorologique exceptionnelle, il donne en revanche une bonne idée du choc provoqué par cette invasion
aquatique massive à l'échelle du trait côtier atlantique. De facto, tous ces paramètres apparaissent anormaux, comme au
lendemain de Xynthia, dans la mesure où le scénario de la catastrophe associe une très violente tempête de l'ordre de 973
hPa (contre 975 hPa en 2010) à de forts coefficients de marée, compris entre 138,5 à Granville et 109,5 à Paimpol. À titre
comparatif, le coefficient le plus élevé relevé à La Rochelle-Pallice, le 28 février 2010, atteignait 102.
À petite échelle, celle du littoral atlantique, le phénomène touche un espace maritime compris entre le pays Basque et le
sud de la Bretagne. Les informations relevées dans la presse de l'époque indiquent que la tempête était orientée, comme
en février 2010, selon un axe sud-sud-ouest et qu'elle affecta successivement Bayonne à 3 h 30, l'anse de L'Aiguillon à 4
heures et enfin Lorient à 4 h 30, confirmant du même coup l'existence d'une profonde dépression remontant le golfe de
Gascogne pour toucher la France dans la nuit.
Pour autant, il convient de revenir sur la portion du trait côtier la plus sévèrement touchée, entre l'estuaire de la Loire
et La Rochelle. C'est là que furent enregistrés les plus gros dommages, ceux-là mêmes qui serviront dans un second temps
de référence pour tenter une estimation contemporaine de la catastrophe. Le cas de La Faute-sur-Mer apparaît d'emblée
comme un cas d'école. Sur place, la digue de La Faute à L'Aiguillon a été coupée en plusieurs endroits, et il a fallu faire
intervenir deux sections de tirailleurs tunisiens envoyés aussitôt sur place afin d'épauler les habitants mobilisés de leur
propre initiative pour la réfection des ouvrages. Heureusement, aucune perte humaine n'est à déplorer en raison d'un
aménagement littoral bien différent du nôtre.
Comme le montre l'extrait de la carte d'état-major de 1889 (carte 1), la ville de La Faute-sur-Mer que nous connaissons
aujourd'hui n'existe pas encore, et c'est tout juste si la carte situe quelques cabanes de pêcheurs sur le futur territoire de la
cité balnéaire. Quant au tissu urbain de L'Aiguillon-sur-Mer, il se développe alors derrière la protection naturelle que sont
les deux cordons dunaires.
■ Combien coûterait-elle aujourd'hui ?
L'exploitation des sources historiques, grâce à leurs contenus géographique et socioéconomique, autorise un transfert
vers l'époque actuelle à condition de les recontextualiser en fonction des réalités assurancielles actuelles. La démarche
première a été de constituer un environnement représentatif des expositions actuelles. À partir des dernières données de
l'Insee sur le logement, un portefeuille « marché » recensant l'ensemble des biens immobiliers pouvant faire l'objet d'un
contrat d'assurance en multirisque habitation (MRH) a été intégré aux analyses, soit 17 millions de maisons et 13 millions
d'appartements. Le second objectif a été de rassembler l'ensemble des paramètres météorologiques et marégraphiques
pouvant générer une marée de tempête d'une telle ampleur sur le périmètre considéré.
Carte 1. La construction historique d'une vulnérabilité littorale. La Faute-sur-Mer, 1851-2008
Les deux départements principalement touchés par Xynthia ont servi de référence pour la méthodologie en validant la
simulation de l'événement de 1937. De la sorte, il est possible de comparer les estimations d'un événement simulé selon
l'hypothèse d'un coefficient de marée de l'ordre de 102 aux chiffres de sinistres réels issus du rapport émis courant
février 2011 par la FFSA. L'ordre de grandeur obtenu est totalement cohérent ; cependant le chiffrage présenté ici est un
peu plus conservateur, car Xynthia a impacté d'autres départements. Les estimations en termes de sinistralité simulée pour
un événement de type Xynthia sur les départements de la Vendée et de la Charente-Maritime crédibilisent l'approche
retenue en matière de modélisation et autorisent la comparaison avec 1937. À titre indicatif, rappelons que Xynthia
occasionna un sinistre de 1,48 milliard d'euros : 745 millions d'euros induits par la submersion marine et 735 millions
d'euros induits par le péril tempêtes.
Au final, la quantification des pertes potentielles de la submersion majeure de 1937 par rapport aux enjeux actuels
s'élèverait à 4,02 milliards d'euros, soit près de quatre fois le montant de Xynthia pour la branche MRH. Le coût global se
répartirait entre 1,95 milliard d'euros pour la garantie catastrophes naturelles et 2,07 milliards d'euros pour le péril
tempêtes. Dans le détail, le sinistre type 1937 endommagerait 54 000 maisons au regard de la réalité urbaine actuelle sur
l'ensemble du littoral impacté, avec un coût indemnitaire moyen de 36 000 euros (MRH) par sinistré.
Du risque à la vulnérabilité
n rupture avec le mythe du « bon vieux temps », une posture qui consisterait à idéaliser les sociétés anciennes
E confrontées
au risque en faisant abstraction d'un siècle de mutations sociales et économiques dans notre pays, ces
lignes livrent des expériences d'adaptations élaborées par nos devanciers. Contrairement à ce que l'on pourrait croire
aujourd'hui, le risque compris dans sa dimension sociale n'était pas conçu jadis comme une fatalité mais plutôt comme un
état d'attente débouchant sur l'anticipation d'une crise capable de bouleverser la communauté (Garnier et al., 2010). Elle
impliquait une perception du danger, traduction d'une peur qui s'éveille au souvenir d'une catastrophe passée, dont
émergeait la conscience collective d'une menace potentielle. Par conséquent, la communauté veillait à exhumer et à
entretenir le souvenir des tempêtes, particulièrement celui des submersions, sous des formes diverses et originales.
■ Des sociétés anciennes plus résilientes ?
L'exemple de la submersion qui frappa le secteur de l'île de Noirmoutier et de Fromentine en 1937 est emblématique
des formes d'adaptation que développèrent les communautés entre les temps médiévaux et la première moitié du
XXe siècle, avant que n'intervienne la fameuse « rupture » mémorielle et technique postérieure à la Seconde Guerre
mondiale. Un dispositif d'alerte-prévention très souple et efficace était fondé sur une réaction locale pouvant se passer
dans les premières heures d'une intervention extérieure. Les sources ne mentionnent aucun décès en dépit d'une
inondation très étendue et très brutale, dont les effets démographiques auraient pu être aggravés par son déroulement
nocturne. L'alerte est donnée grâce à des pompiers de faction sur la côte et des pêcheurs qui constatent que la mer est de
plus en plus agitée. Le tocsin retentit alors du nord au sud jusqu'aux villages continentaux en fonctionnant comme un
système de relais sonore parfaitement identifiable. Les habitants se réfugient soit à l'étage de leur maison soit dans des
zones réputées, de « mémoire d'homme », insubmersibles. La résilience des locaux peut surprendre quand les archives
signalent que le dernier événement de ce type remontait à... 1877 !
Sur le plan de la mortalité, l'étude des registres paroissiaux puis de l'état civil montre également que le tribut humain
payé lors des tempêtes demeurait très modeste. Ainsi les tempêtes pourtant très sévères de 1711, 1788 et 1937 n'ont pas
provoqué de surmortalité particulière (4). Les rares décès imputables à la tempête concernent essentiellement des marins
surpris en mer au moment du déchaînement des éléments naturels. Et même la terrible submersion de mars 1937, qui
avait envahi sur plusieurs kilomètres une bonne partie des terres situées entre la Bretagne méridionale et l'estuaire de la
Gironde, n'eut aucun impact démographique au dire des archives préfectorales et de la presse.
■ « ... La plupart de nos maux sont encore notre ouvrage. » (5)
Plus d'une soixantaine d'années plus tard, l'événement Xynthia met en exergue des aberrations en matière d'urbanisme.
À titre d'exemple emblématique, à La Faute-sur-Mer, 3 000 maisons ont été construites sur d'anciennes zones
marécageuses dont une majeure partie se trouvait sous le niveau de la mer. En occultant les risques encourus, les
aménageurs et les élus ont rendu ces secteurs moins résilients au regard du péril intrusion marine.
À l'échelle nationale, les chiffres sont encore plus inquiétants pour l'avenir. Sur le littoral de la Manche, nous observons
une augmentation de l'urbanisation de l'ordre de 11 % entre 1990 et 2010, contre 10 % sur le littoral de la côte atlantique
et 13 % sur le pourtour méditerranéen. Soit une évolution de l'ordre de 11 % sur l'ensemble des littoraux français. Entre
1990 et 1999, l'artificialisation s'est quelque peu ralentie. Depuis 2000, la pression foncière accrue a accéléré très
fortement le rythme d'artificialisation. À n'en pas douter, une clé de réponse à la catastrophe Xynthia se trouve donc au
niveau du positionnement des enjeux.
Ces différents exemples historiques glanés au fil des siècles montrent combien le besoin de mémoire peut constituer
l'une des réponses de nos sociétés confrontées à une vulnérabilité croissante et donc à une sévérité accrue des tempêtes,
rançon logique des mutations économiques des cinquante dernières années. Face à ce constat, l'historien répond que le
pouvoir destructeur des tempêtes peut probablement être limité en envisageant une culture de la « conservation » fondée
sur la capacité d'une communauté à acquérir et à développer, à travers l'histoire, la mémoire de son propre héritage en
matière de survie. Alors qu'anticiper ce que seront les températures des cinquante prochaines années suscite des
conjectures ou des critiques, la construction d'une mémoire des extrêmes en matière d'adaptation des agrosystèmes, des
territoires urbains et littoraux serait certainement très précieuse. Alors enfin émergerait une nouvelle ère, moins coûteuse
en vies et en argent : celle de sociétés résilientes parce que conscientes du risque et donc mieux préparées à absorber le
choc de l'aléa.
Notes
1. Le Monde du 7 janvier 2000.
2. Le Monde du 26 février 2010.
3. National Archives : IOR/F/4/588, PRO 30/43,CO 1069, CO 882/5, CAB 24/209, DSIR 4/3478, East Indies Series 16. The Brisbane Courier (1868, 1892), Straits
Times Weekly (1892, 1911).
4. Archives départementales de Charente-Maritime : 2E 299/1 et 2E 299/3 ; bibliothèque municipale de La Rochelle : ms. 163.
5. J.-J. Rousseau, Lettre à Voltaire sur la Providence (1756) : « Je ne vois pas qu'on puisse chercher la source du mal [...] ailleurs que dans l'homme libre [...] ; et, quant aux maux
physiques, [...] ils sont inévitables dans tout système dont l'homme fait partie [...] la plupart de nos maux physiques sont encore notre ouvrage. Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez
par exemple, que la nature n'avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement
logés, le dégât eût été beaucoup moindre, et peut-être nul », in Lettres philosophiques, Vrin, 1974, p. 36.
Bibliographie
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national des forêts, 2004, pp. 16-20.
GARNIER E., Les Dérangements du temps. 500 ans de chaud et de froid en Europe, Plon, 2010, 244 p. ; prix Gustave Chaix d'Est-Ange de l'Académie des sciences morales
et politiques (Institut de France) et Risques 2010 FFSA/La Tribune/BFM Radio (2e édition).
GARNIER E. (rapporteur), « La crise Xynthia à l'aune de l'histoire », rapport aux missions d'enquête parlementaire et sénatoriale sur Xynthia, 2 juillet 2010.
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vol. 101, n° 1-2, 2010, pp. 281-310.
GARNIER E. et al., « Recrudescence de l'aléa ou vulnérabilisation croissante ? Visions croisées de l'historien et du courtier en réassurance sur les submersions », in
Hallegatte S. ; Przyluski V. (sous la dir. de), Gestion des risques naturels. Leçons de la tempête Xynthia, Quae, 2012 (sous presse), pp. 107-130.
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(4e édition), 174 p.
IPCC, Managing the Risks of Extreme Events and Disasters to Advance Climate Change Adaptation, special report of Intergovernmental Panel on Climate Change,
Cambridge University Press, 2012, 582 p., pp. 161, 163.
LAMB H., Historical Storms of the North Sea, British Isles and Northwest Europe, Cambridge University Press, 1991, 204 p.
Septembre 2012 N° ISBN 978-2-35588-048-3
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