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HISTOIRE DE LA MATERNITE

2014

cette histoire, de la préhistoire à nos jours, fait une revue de questions fondamentales sur la condition de femmes à travers le temps

0 7. L’histoire de la maternité des origines à nos jours. Conférence donnée en 4 fois à l’Université de Caen 1. Des origines à 1921 : les avatars du corps féminin, Amphi Jean Grémillon, le 7 avril 2014. 2. Du Moyen Age à 1921 : les avatars du corps féminin, suite Amphi Anne De Clèves, le 14 avril 2014. 3. De 1921 à 1968 : le triomphe de la médicalisation, Amphi Alexis de Tocqueville, le 26 mai 2014. 4. De 1968 à 2014 : une place pour l’enfant, avec la NSV, Puis, enfin, une place pour le père : le couple. Amphi Anne de Clèves, 17 novembre 2014. Plan 1. Introduction. 2. première conférence : Des origines à 1921 : les avatars du corps féminin. Un monde exclusivement de femmes. L’apparition timide du médecin en 1750. A. Les origines : Préhistoire, Egypte, Grèce, Rome et Gaule. B. Rôle et statut de la femme dans la société traditionnelle C. Amour et sexualité D. Le problème majeur de la fécondité et les rites de fécondité. E. Le rachitisme et l’espérance de vie des femmes. F. La grossesse G. La science ne sait rien H. La matrone et la sage-femme I. Rites liés aux satellites de la naissance J. Suites de couches K. Les relevailles. 3. De 1921 à 1968 : le triomphe de la médicalisation. Mais elle reste centrée sur la femme, avec l’ASC & l’ASD A. La maîtrise progressive de l’anesthésie. B. L’asepsie C. La chirurgie réparatrice D. Les freins dus à la religion E. Les progrès sociaux F. La Russie et l’accouchement sans douleur, ASD. G. Les Etats-Unis et l’accouchement sans crainte, ASC Conclusions 4. De 1968 à 2014 : Une place pour l’enfant avec la naissance sans violence (NSV) ; puis, enfin, une place pour le père : le couple. A. La révolution psychologique et psychanalytique B. La neurobiologie des émotions et la chimie de la naissance. C. Les combats féministes et les (derniers ?) acquis sociaux. D. Les années bonheur : Les Bluets, les Lilas, Saint-Cloud et Pithiviers. E. Le principe de précaution inscrit dans la constitution et la régression obstétricale française : « Vive les parapluies ! ». F. Médecines alternatives et complémentaires. Conclusions générales. Ecrire sur la maternité et la maternalité n’est pas chose facile lorsque l’on est un homme, mais cela reste malheureusement conforme à la tradition scientifique d’un discours masculin dominant à travers l’histoire de la pensée. Certes les femmes se sont mises à prendre la parole et à écrire sur le sujet : il n’était que temps. Mais ce discours féminin est tardif (fin des années 60 et années 701), lié aux luttes sociales et politiques des femmes pour leur émancipation. La France est un pays qui résiste énormément aux changements, et concernant les femmes, ce n’est que très tardivement que celles-ci eurent le droit de vote, le 21 avril 1944 (le 29 avril 1945, elles votent pour la première fois pour les élections municipales), ou la possibilité d’ouvrir seules un compte en banque seulement en 1965 (article 222 du code civil). Et les hommes tiennent encore, dans ce domaine, le haut du pavé. Est-ce une manière inconsciente pour eux de s’approprier la procréation, la grossesse et l’accouchement ? Ce que l’homme ne peut faire avec son corps, il le fait avec son esprit : la création sous toutes ses formes a été l’apanage des hommes au détriment des femmes. L’art, la science, etc. sont des productions masculines et elles traduisent l’expression d’un désir (refoulé ou sublimé) renforcé par la langue qu’il utilise à cet effet : «mon enfant, mon dernier né, être le père d’une invention, accoucher d’une œuvre ; aux forceps », etc. sont autant de formules symptomatiques de cette envie, au même titre que les fameuses «couvades». Je ne peux donc pas, ni me justifier, ni m’excuser auprès des femmes, mais j’assume pleinement ma part de féminin dans cet insaisissable entre-deux2. Hélène Cixous, Luce Irigaray, Elisabeth Badinter, Christine Olivier, Mireille Laget, Françoise Héritier, Nicole Belmont, Yvonne Knibiehler, etc. font parties de cette tradition féminine érudite et scientifique. Et nous ne parlons pas ici de la littérature féminine très abondante au XX°siècle 2 Jean-Bernard Pontalis, «l’insaisissable entre-deux» in Bisexualité et différence des sexes, Paris, Gallimard, Nouvelle revue de psychanalyse, N°7, 197 3. 1 2. Des origines à 1921. A. Les origines : Préhistoire, Egypte, Grèce, Rome et Gaule 1. Préhistoire : «La fonction maternelle chez les humains n’a rien de naturel ; elle est toujours et partout une construction sociale, définie et organisée par des normes, selon les besoins d’une population donnée à une époque donnée de son histoire. Pourtant la même fonction reste pour chaque femme une histoire personnelle, inscrite au plus profond de sa vie privée. Ces deux dimensions, sociale et individuelle s’articulent plus ou moins bien selon les moments, les lieux, les milieux.1 » L’auteur de cette affirmation rejoint ici les thèses d’Elisabeth Badinter pour qui l’amour maternel est issu, lui aussi, d’une construction sociale dictée par la philosophie du siècle des Lumières 2 et celles de Françoise Héritier3 qui a préfacé l’ouvrage d’Yvonne Knibiehler. Et que savons-nous de l’histoire de la maternité aux origines ? D’abord il est important de souligner que la bipédie a modifié considérablement, en premier lieu, la grossesse et, en second lieu, notre rapport au désir. La grossesse d’abord en rendant le bassin plus étroit en position debout et en l’obligeant à s’adapter au port d’un utérus gravide. Le bassin osseux s’est incliné et le détroit supérieur est maintenant à environ 40° par rapport à la verticale. Le défilé p elvien effectue une courbure où ses axes d’entrée et de sortie périnéale ont adopté des directions différentes. L’utérus humain doté d’un solide plancher pelvien musculo-tendineux contrebalance l’effet de la pesanteur en position debout. Mais l’effort musculaire utérin et abdominal au moment de l’accouchement est moins efficace, car il n’y a plus un axe unique orienté de façon idéale comme auparavant. Cela explique pourquoi la naissance humaine est plus difficile et plus longue que celle des mammifères, primates y compris. L’étroitesse nouvelle du bassin de la femme a modifié aussi la durée de la grossesse : une forme de compromis entre une maturation suffisante pour l’adaptation du bébé à la vie et la possibilité de passer le crâne et de sortir sans encombre est 1 Knibiehler Yvonne, sous la direction de, Maternité, Affaire privée, affaire publique, 2001, Paris, Bayard. Page 13. 2 Badinter Elisabeth, L’amour en plus : histoire de l’amour maternel, XVIIe aux XXe siècles, Paris, Champs, Flammarion, 1980. 3 Héritier Françoise, Masculin Féminin I. La Pensée de la différence, Paris, Éditions Odile Jacob, 1996 et Hommes, femmes : la construction de la différence, Paris, Éditions Le Pommier, 2010. et cf. la conférence 5 : les fonctions paternelles, page 88. apparue. L’homme est de ce fait plus immature à la naissance que les mammifères et il lui faudra plus d’une année pour qu’il puisse marcher. Notre rapport au désir a lui aussi été modifié. L’hominisation progressive de l’espèce, même si notre proximité avec l’animal est évidente et plus encore notre sexualité (le coït se transformant en accouplement) et nos organes génitaux, il est évident là aussi que le désir humain et plus précisément les signaux de celui-ci se transforment. Ainsi quand notre aïeule marchait à quatre pattes, elle était alors couverte de poils et seule la vulve était visible (signal). En se levant, la femme a perdu progressivement sa pilosité et sa vulve, par contre, est devenue invisible, cachée (mystérieuse ?) et recouverte de poils. Et inversement pour le mâle : quand il s’est levé, son pénis caché, à quatre pattes, est devenu « triomphant » et bien visible debout. Les signes du désir humain se sont alors philogénétiquement et nécessairement déplacés des organes génitaux au visage (déplacement vers le haut de Sigmund Freud) : le croisement des regards, les mouvements labiaux ainsi que la rougeur de la vulve (signal+++) qui s’est reportée sur les joues et le cou. Nous n’avons évidemment aucuns documents écrits relatant la sexualité, la fécondité, le lien causal entre sexualité et reproduction, la naissance aux temps préhistoriques. Par contre, nous avons une iconographie importante (fresques, dessins, etc.) ainsi que des objets sculptés qui nous permettent de nous faire une idée assez précise de la vie sexuelle, de la reproduction et de la grossesse chez nos ancêtres du paléolithique. Ces œuvres d’art prouvent qu’ils possédaient déjà la fonction symbolique, ou sémiotique, et qu’ils étaient particulièrement habiles compte tenu des endroits où ces peintures rupestres ont été retrouvées. Jean-Pierre Duhart (gynécologue et historien) montre qu’il s’agit de représentations morphologiques d’humains semblables à nous et qu’il n’existe aucune différence entre les corps féminins figurés dans l’art du Paléolithique et ceux de nos contemporaines. La sexualité est bien présente dans ces sociétés archaïques : accouplements (grottes d’Enlène et de La Marche), érections, masturbations, éjaculations, femmes gravides (grotte du Galibou et de La laugerie Basse), accouchements (Laussel), etc. L’exposition «sexo en piedra» [sexes en/de pierre] du 8 juillet au 23 décembre 2010, près du gisement archéologique de la fondation d’Atapuerca dans le nord de l’Espagne, a exhibé des scènes de zoophilie, de voyeurisme et d’homosexualité ainsi qu’une très belle et surprenante collection de godemichés (sans savoir qui des femmes ou des hommes ou des deux les utilisaient), dont un modèle double provenant des Gorges d’Enfer. Enfin le lien entre sexualité et grossesse semble avoir existé dès le néolithique. Pour l’historien des sciences Jean Baudet 1 «l’observation des animaux facilitée par l’élevage, va permettre à l’homme d’appréhender les liens entre accouplement et reproduction. Mais les mécanismes de la reproduction sont restés très longtemps obscurs». Et pour Timothy Taylor2 «le contrôle de la sexualité comme la contraception par les plantes ou par un allaitement prolongé, comme la production d'images érotiques, datent d'il y a plus de trente mille ans. Ce n'est qu'avec les débuts de l'agriculture que la femme a véritablement été accaparée par la maternité». Cependant cette thèse ne fait pas l’unanimité et d’autres chercheurs pensent, comme Gilles Delluc3, que «dans le groupe préhistorique, il est probable que seule la filiation maternelle pouvait être prouvée. Les Paléolithiques n’avaient probablement pas conscience des fonctions des deux sexes dans la procréation, de l’origine de la grossesse dans le rapport sexuel. La maternité devait leur sembler être une sorte de parthénogenèse inexplicable dont le corps de la femme était dépositaire. Sans doute d’ailleurs, la venue de l’enfant n’était-elle perçue que deux ou trois mois avant sa naissance, devant l’augmentation du volume abdominal maternel (Rozoy, 2006)». En fait Taylor4 pense que nous avons beaucoup de mal à concevoir que nos lointains ancêtres aimaient forniquer et c’est pour cette raison que «les nombreux bâtons phalliques de l'ère glaciaire retrouvés, ont tour à tour été considérés comme des objets rituels, des bâtons de commandement ou des propulseurs de flèches, alors que tant leur taille, leur forme que leur symbolisme explicite les désignent comme les dignes ancêtres de nos godemichés en caoutchouc». Les scènes de mises au monde sont assez nombreuses pour qu’on se fasse une idée précise de la naissance : expulsion fœtale en cours, postures compatibles avec la parturition, et cela ne surprend pas non plus, quand on sait les risques morbides ou mortels maternels et fœtaux que cela comporte. Et on a découvert dans les sépultures paléolithiques des squelettes de jeunes femmes accompagnées de leur fœtus. 1 Jean Baudet, Penser le vivant : une histoire de ma médecine et de la biologie, Paris, Vuibert, 2001 2 Timothy Taylor, La préhistoire du sexe, Paris, Bayard, 1998. 3 Delluc Brigitte & Delluc Gilles, le sexe au temps des Cro-Magnon, Périgueux, Pilote 24, 2006 4 Timothy Taylor. Les Américains ont les mêmes résistances à l’égard de leurs propres origines et n’acceptent toujours pas l’idée d’être les descendants directs de bandits, condamnés, criminels et prostitués. Le film « Gangs of New York » a fait un flop aux USA compte tenus de l’importance de l’inné dans la culture américaine. Au début de 1992, a été trouvé dans la grotte d'Agnano (Italie) le squelette daté du début du Paléolithique supérieur, d'une femme de 20 ans morte pendant l'accouchement, comme l'indiquent l'engagement de la présentation fœtale dans le pelvis et la position abdominale d’une main, in Jean Duhart1. Quoiqu’il en soit, l’espérance de vie des hommes comme des femmes, au néolithique, est estimée à 20 ans, comme celle d’ailleurs de Lucy (Australopithecus afarensis) trouvée en 1974 en Ethiopie, mais qui date, elle, de 3 à 4 millions d’années. 2. Egypte : Il n’y a pas de lien direct entre les humains du paléolithique et les Egyptiens. C’est certainement la civilisation la plus aboutie du monde antique tant sur les plans médicaux, chirurgicaux que pharmacologiques, pour rester dans le domaine de la maternité. A partir des recherches de Christiane Desroches Noblecourt2 «La femme au temps des pharaons» et «Le fabuleux héritage de l’Egypte», nous allons pouvoir nous faire une idée plus précise de la contraception, de la vie sexuelle, de la grossesse et de l’accouchement de ces femmes. a. Les méthodes contraceptives en Egypte. Elles sont nombreuses et surprenantes de modernité pour l’époque. Les préservatifs en membranes intestinales de mouton, les pilules contraceptives composées d’hormones (œstrogène) à partir de graines de grenades réduites en poudre (le fruit du grenadier contient un œstrogène naturel), les stérilets (acacia), des tampons contraceptifs (compresses de coloquinte, miel, dattes et miel) et enfin les spermicides (pommades à base de miel, dattes, excréments de crocodiles et d’éléphants il y a 3800 ans) et enfin le test de grossesse (uriner tous les jours sur de l’orge et de l’amidonnier). b. La sexualité en Egypte. Le papyrus «érotique» de Turin, composé de 12 scènes pornographiques, vieux de 3200 ans va nous permettre d’approcher la sexualité des Egyptiens. Il a été découvert à Deir el medineh (village où résidait la confrérie des artisans chargés de construire les tombeaux et les temples des pharaons et de leurs proches au nouvel empire) au début du XVIIe siècle et il se trouve au musée égyptologique de Turin Jean Duhart, Réalisme de l’image masculine paléolithique, préface d’Yves Coppens, Grenoble, Editions J. Million, 1996 2 Christiane Desroches-Noblecourt, La femme au temps des pharaons, Paris, Stock, 1986 et Le fabuleux héritage de l’Egypte, Paris, Télémaque, 2004 1 depuis le début du XVIIIe. Champollion1 l’a analysé en 1824 et décrit son aspect pornographique avec dégoût : «Là des débris de peinture d’une pornographie monstrueuse et qui me donnent une bien singulière idée de la gravité et de la sagesse égyptiennes» (lettre à son frère le 6 novembre 1824). . Ce qu’écrivait Timothy Taylor (supra page 126), à propos des Paléontologues, peut s’appliquer aussi aux Egyptologues et il aura fallu attendre 1973 pour avoir une publication exhaustive de ces documents sulfureux. Ce papyrus est en très mauvais état de conservation, mais c’est grâce aux copies d’Ippolito Rosellini faites au XIXe siècle que Pascal Vernus2, égyptologue et directeur d’études en linguistique et en philologie à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, pourra parler à son sujet de «transgression codifiée». Il pense que la société égyptienne était très prude, et que la sexualité n’a jamais été montrée crûment. Le sexe est évoqué, suggéré mais demeure voilé. Or ici, le papyrus de Turin représente des scènes de lupanar avec « des hommes qui semblent être des brutes mal dégrossies, étrangers à la bonne société », se livrant à des acrobaties et des fantaisies sexuelles avec des hétaires. Cette sexualité s’oppose à celle des divinités d’Egypte, qui existait et était montrée, mais toujours revêtue d’un caractère sacré. Mais qu’importe, si ces positions sexuelles sont représentées dans ces maisons closes, on peut penser que les Egyptiens pouvaient aussi les pratiquer chez eux. c. La grossesse et l’accouchement sont deux événements majeurs pour la société égyptienne et les familles se devaient d’avoir beaucoup d’enfants (entre 5 & 9). Les femmes utilisent la magie, s’entourent le ventre de ceinture de protection, font appel aux dieux (la déesse Thouèris, le dieu Nain Bès et la déesse Meskhenet3) et aux médecins. Pour accoucher, les femmes vont s’isoler dans une maison de 1 Michel Dewatcher, Champollion, un scribe pour l’Egypte, Paris, Gallimard, 1990 & 1995. 2 Vernus Pascal, conférence filmée (1 heure et 7 minutes) par « Papyrus » association Lilloise d’égyptologie au centre d’archéologie et d’égyptologie de l’université de Lille 3, le 21 décembre 2012, sur le papyrus érotique de Turin. 3 La déesse hippopotame Thouéris, protectrice de la maternité et Nain Bès, dieu qui apporte la joie dans les foyers. Ce dernier est aussi le protecteur des femmes en couche sur lesquelles il veille également pendant leur grossesse. La déesse Meskhenet (Meskhent ou Meskhonit) est la personnification des assises du monde et donc du lit de briques de l’accouchement. naissance portant le nom de «Mammisi»1. Elles sont assistées par une sage-femme, une matrone, la voisine et sa famille au féminin. Les hommes comme les médecins ne peuvent pas être présents. Elles accouchent assises sur un siège de naissance ou un meskhenet (assemblage de 4 briques rituelles), représentant les 4 divinités de protection de la femme qui accouche et de son bébé, à savoir, les déesses : Nouf qui conjure le mauvais sort, Tenouf qui symbolise la durée de la vie, Isis qui apporte les bons soins à la mère, Nephthys qui va assurer le destin de l’enfant et de Meskhenet, assistée de Rénénouet, déesse de l’allaitement des enfants. Nous n’avons pas d’écrits concernant la pratique clinique des accouchements, par contre, contrairement à l’idée répandue des forceps inventés par les Grecs puis par les Romains, on retrouve à Kôm-Ombo des bas-reliefs montrant des accouchements, des instruments chirurgicaux et parmi eux, sans aucun doute, des forceps. Le placenta était considéré comme le frère jumeau du bébé. Certains papyrus rapportent qu'il était enterré devant la maison, d'autres disent qu'il était jeté dans le Nil pour assurer la survie du bébé, une autre source encore décrit que le placenta devenait remède pour la maman, afin qu'elle récupère ses forces, et enfin, qu’un fragment pouvait être donné au bébé avec du lait pour assurer, de nouveau, sa survie dans un monde hostile2. L'allaitement durait 3 ans, et dans les familles aisées, on faisait appel à des nourrices. Chez les dignitaires égyptiens et les familles royales, les nourrices étaient riches et aimées par les enfants devenus adultes, qu’elles avaient nourris. La naissance d'une fille était aussi bien accueillie que la naissance d'un garçon car dans l'Egypte ancienne, la femme était l'égale de l'homme. Elles avaient les mêmes droits sociaux, pouvait divorcer, etc. Enfin il est remarquable de préciser que la césarienne3 était pratiquée par les Egyptiens, ainsi que l’anesthésie4 et même l’asepsie (mains de l’opérateur et instruments). Imhotep fut le plus grand médecin de l’antiquité égyptienne (3e millénaire avant notre ère) et son traité (papyrus Edwin Smith) permet d’en mesurer ses connaissances en avance sur son époque. Alexandrie deviendra par la suite, après le déclin de la Grèce classique sous les Ptolémées, une très grande école de médecine. Mais les 1 Mammisi est un terme inventé par Champollion. Il provient de « per-meset » qui signifie « lieu de naissance ». Nous verrons, quand nous aborderons la naissance dans la société traditionnelle française, que les mêmes traitements étaient infligés au Placenta. 3 Césarienne pratiquée dans un but didactique avec mort de la mère à coup sûr. 4 Eponge somnifère, , pierre de Memphis, Cannabis foemina, Mandragore, lactuca virosa, Jusquiame noire et pavot somnifère. 2 cinquante mille livres que contenait la grande bibliothèque furent perdus dans trois incendies successifs en 47 avant J.C. par les Romains puis au troisième siècle par des fanatiques chrétiens et enfin au septième siècle par les Arabes. Quelques ouvrages ont survécu et nous savons que les médecins alexandrins ont abondamment pratiqué la dissection du corps humain : Hérophile (4e siècle avant J.C.) qui écrivit un manuel à l’usage des sages-femmes où il donne un exposé de l’utérus et découvre les ovaires qu’il baptise les testicules féminins. Et il est le premier à décrire les anomalies du squelette comme cause possible des dystocies. Cléophante (3e s.) puis Démétrios d’Apamée (2e s.) poursuivent l’œuvre et travaillent sur les dystocies maternelles, fœtales et celles provenant de la filière génitale. 3. Grèce : le changement concernant les femmes est radical. “Le mâle est supérieur par nature et la femelle inférieure… l'un gouverne et l'autre est gouvernée.” Aristote. Elles ne sont pas aimées par les hommes (misogynes, machistes et pédérastes) et leur sont très inférieures. Elles ne jouissent d’aucune dignité : on peut les prêter et les emprunter pour faire des enfants, privées d’instruction, de majorité (elles sont sous tutelles), de droits juridiques et politiques, elles vont devoir toute leur vie rester sous l’autorité d’un père, puis d’un mari, voire d’un fils en cas de veuvage. La cérémonie du mariage est très particulière car la femme a le crâne rasé à la manière d’un homme et que le couple n’a le droit de passer qu’une seule nuit ensemble. Les conceptions biologiques de la fécondation comparent la femme à un vase devant héberger passivement le petit d’homme pour le faire pousser. Mais Aristote (384-322 avant J.C.), déjà cité, n’est pas le seul philosophe à avoir influencé la société grecque. Platon (427-347 avant J.C.) avant lui a écrit sur la nature inférieure de la femme dont l’unique fonction sociale consiste à faire des enfants et particulièrement des mâles. La famille garde une seule fille et les autres sont « exposées » (abandonnées) : soit elles meurent sur place, soit elles sont recueillies par des marchands pour devenir des esclaves ou des prostituées. Certaines mères vivent avec leurs filles une relation exclusive, comme Hécube avec Polyxène ou Clytemnestre avec Iphigénie. Mais vient le temps de la séparation : les filles partent vers un mari ou vers la mort. C’est ainsi que les hommes séparent les filles de leurs mères. Hécube, reine d’Ilion, est une mère très aimante, presque possessive, attachée par un lien charnel à chacun de ses enfants. Polyxène est sa «fille chérie» et juste avant le sacrifice de la fille, par ses gestes et ses mots, la très sage et très raisonnable reine d’Ilion devient une enfant. Devant la détresse maternelle, sa fille endosse le rôle protecteur jusque-là tenu par sa mère, elle devient la mère de sa mère, pour pouvoir faire le deuil de cette relation privilégiée dont la fin est proche1. Aristote va cependant plus loin que Platon : l’incapacité de la femme à produire du sperme est sa déficience, «Une femme, conclut Aristote, c’est comme s’il s’agissait d’un mâle infertile» (Génération d’Animaux I/728a) et « Un mâle est mâle en vertu d’une capacité particulière, une femelle est une femelle en vertu d’une incapacité particulière. » (Génération d’Animaux I/82f). Les philosophes vont se poser trois questions principales qui sont les suivantes : l’origine de la semence, la détermination du sexe de l’embryon et l’hérédité. Pour chacune d’elles, se pose le problème du rôle du père. 1. Origine de la semence. Les théories encéphalo-myélogénétique2 et hématogénétique3 supposent, semble-t-il, l’unicité de la semence, laquelle bien entendu est masculine, ce qui implique une supériorité du père sur la mère dans le mécanisme de la reproduction. Du reste, ces théories n’expriment nulle part qu’une quelconque semence maternelle ait joué un rôle nécessaire dans la reproduction. 2. La détermination du sexe de l’embryon. Les philosophes font le plus souvent de la mère le lieu, mais très rarement l’agent de la détermination du sexe de l’embryon. C’est presque toujours au père qu’appartient la faculté de déterminer le sexe du futur nouveau-né. Et dans tous les cas, c’est à lui, et au masculin en général, que se rapportent les valeurs “positives” mises en œuvre dans ce processus de la génération : droite, chaleur, vitesse, force. À la mère, et plus généralement au féminin, sont au contraire associés le côté gauche, le froid, la lenteur et la faiblesse. L’enfant à naître sera du sexe paternel ou maternel 1 Bodiou Lydie, Brulé Pierre & Pierini Laurence, En Grèce antique, la douloureuse obligation de la maternité, Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 21 | 2005, pages 17-42. 2 Encéphalo-myélogénétique : la semence provient du cerveau ou de la moelle. de Crotone. 3 Alcméon Hématogénétique : « Quand la femme et l’homme ensemble mêlent les semences de l’amour issues de leurs veines, une puissance formatrice façonne, à partir de sangs contraires, des corps bien constitués, si du moins elle garde la proportion » Parménide, 5e siècle avant J.C. selon que telle ou telle qualité (favorable ou défavorable) aura prévalu. 3. Enfin l’hérédité. Elle semble, pour Platon, localisée dans la moelle qui est la «substance mère». Il s’agit de la moelle en général, qu’elle soit osseuse, spinale ou «cérébrale». Platon conçoit la mère à la fois comme nourrice, nourricière et réceptacle de la semence paternelle. Aristote va réfuter cette théorie. Pour lui la semence provient de la partie chaude du sang de l’homme, la femme n’ayant qu’un sang froid. Galien (130-200 avant J.C.) reviendra à l’idée d’une parité des semences de la mère et du père, comme plus tôt Hippocrate (460-370 avant J.C. De la génération), mais les conceptions d’Aristote, dominantes, agissent comme un frein aux progrès des découvertes. Il faudra attendre les travaux d’Antoni van Leeuwenhoek au XVIIe et ceux de Lazzaro Spallanzani au XVIIIe, pour que fût remis en cause le modèle théorisé par Aristote. Cela mettait fin à deux millénaires de survalorisation de la fonction paternelle qui, en Occident, trouvait ses racines les plus anciennes en Grèce ancienne. La médecine obstétricale et gynécologique Grecque. Dans l'antiquité, une loi interdisait la profession médicale aux esclaves et aux femmes. A cette époque, était banni tout contact physique de la femme avec un médecin homme pendant la grossesse et l'accouchement. Le médecin donnait seulement des conseils sur la façon de vivre la grossesse sur les plans psychologique et biologique. Seule la sage-femme était autorisée à intervenir, sous les auspices de la déesse Ilithia. Cependant, une Athénienne, Aphrodite, voulut devenir médecin. Habillée en homme, elle fut l'élève d'un grand médecin : Hérophilos. «Je voudrais aider les femmes à mettre en pratique les théories des hommes médecins et des hommes philosophes» disaitelle. Elle visitait les femmes enceintes et participait à leur accouchement. Et il y eut des heurts entre elle et les médecins car « cet homme » avait un grand succès auprès des femmes. Ce qui pour eux était très suspect. Découverte en tant que femme, on tenta de l'éliminer en application de la loi excluant les femmes de la profession médicale. Mais les Athéniennes s’unirent et persuadèrent le tribunal d'autoriser les femmes à devenir médecins. A partir de ce moment, les femmes d'Athènes, de Sparte et de Macédoine ont eu la possibilité de mettre en pratique une préparation prénatale. Plusieurs d'entre elles ont écrit des livres à ce sujet. Mais la société se modifia à l'époque de Byzance, sous l'occupation turque, et les mœurs se transformèrent. La tradition populaire se transmit alors d'une femme à l'autre, d'une génération à l'autre, pendant des siècles. Mais certaines de ces connaissances et de ces pratiques avaient perdu leur sens originel et devinrent simplistes. (Mme Kelly Boudara, Professeur de Droit à l'Université d’Athènes). Mais d’autres sources mentionnent Agnodice1, femme médecin et gynécologue qui eut elle aussi, à la même époque, Hérophile comme professeur, mais elle dut s’appeler Miltiade (prénom masculin) pour pouvoir faire ses études. On retrouve dans ces 2 textes l’inverse de ces médecins européens qui, au péril de leur vie (certains sont morts brûlés), se déguisèrent en sage-femme ou matrone pour pouvoir assister à des accouchements. Si peu, très peu de femmes grecques peuvent devenir médecin, (Théano, femme médecin, mathématicienne et philosophe, est une exception et appartenait à l’école pythagoricienne) les sages-femmes ont existé très tôt dans la société traditionnelle. Mais encore à l'époque d'Hippocrate, aucune sage-femme "n'accouche d'autres femmes tant qu'elle est encore capable de concevoir et d'enfanter". Cet usage vient dit-on d'Artémis qui a été chargée de présider aux accouchements sans avoir jamais enfanté. Elle n'a donc pas permis aux femmes stériles d'être des sages-femmes, parce que la nature humaine est trop faible pour exercer un art dont elle n'a pas l'expérience; ainsi est-ce aux femmes qui ont passé l'âge d'enfanter qu'elle a confié cette charge, pour honorer la ressemblance qu'elles ont avec elle. Socrate s'enorgueillissait d'être le fils d'une très vaillante et vénérable sagefemme Phénarete, il comparait sa doctrine philosophique à l'art des accouchements et lui donnera de ce fait, le nom de "Maïeutique". Les sages-femmes grecques (Olympias) comportaient deux groupes : Celui des sages-femmes ordinaires et celui des sages-femmes de grade supérieur. Les sages-femmes jouissaient d’un grand prestige et du statut de prêtresses et possédaient un pouvoir surnaturel. Celles-ci pouvaient faire des avortements (remarque : l’avortement est contraire à la doctrine et au serment d’Hippocrate) en utilisant pour ce faire des abortifs tels l’orpin ou des racines de matthioles ou des pessaires de 1 Aloïs Delacoux, Biographie des sages-femmes célèbres, contemporaines, Paris, Trinquart, 1834, Agnodice pages 34 & 35. anciennes modernes et cantharides, pratiquaient des accouchements de prématurés, et conseillaient les hommes dans le choix de leurs épouses pour leur assurer une meilleure descendance et étaient aussi des marieuses patentées. Nous savons que des chaises d’accouchements ont existé ainsi que les forceps. L’accouchée était impure jusqu’au 14e jour du post partum et ne pouvait se rendre au temple qu’à partir du 40e (déjà un rite de quarantaine mais beaucoup moins drastique que celui des Hébreux, chez qui la femme, pour la naissance d’une fille, est impure pendant 80 jours, Lévitique, XII, 2-5). La médecine Hippocratique érigea en dogme l’obligation de naître en présentation céphalique. Si ce n’était pas le cas, on essayait d’effectuer par tous les moyens une version céphalique. L’embryotomie se pratiquait à l’aide d’instruments spéciaux (couteaux et crochets). L’obstétrique grecque va être à son apogée avec Soranos d’Ephèse, mais celui-ci, bien que Grec, exercera à Rome. 4. La médecine romaine. Les premiers grands médecins romains sont en fait, des Grecs comme Archagatus de Sparte1 qui est le premier à venir s’installer à Rome en 219 avant J.C. puis Asclépiade de Bithynie en 124-70 avant notre ère, Aulus Cornélius Celsus, dit Celse (1e siècle de notre ère) dont un ouvrage « de la médecine », abrégé où se retrouve toute la médecine grecque romanisée, et Soranos d’Ephèse (2e siècle) dont son traité « des maladies des femmes » sera la référence jusqu’à la Renaissance. Claude Galien (131-201/216 de notre ère) arrive à Rome en 162. Il est considéré comme le père de la pharmacie. Prolixe, il laissera, et seule une petite partie de son œuvre est connue, une œuvre colossale : 157 traités, 19 fragments et 15 commentaires sur Hippocrate. La saignée qu’il pratiquait régulièrement pour toutes sortes de maladies, aura une influence importante sur la médecine occidentale jusqu’au XIXe siècle. La médecine romaine pratiquée d’abord par des médecins Grecs, puis par des Egyptiens, des Espagnols, des Germains, et des Romains, le nombre de praticiens se développe très rapidement et ils exercent une médecine de type libérale : 1 Blondel Karen, La relation entre la femme et le médecin dans la Rome antique, thèse pour le doctorat de médecine, Université Henri Poincaré, Nancy 1, 7 décembre 2004. Chaque citoyen malade consulte le médecin de son choix. Les plus habiles et les plus reconnus se feront d’énormes fortunes rapidement. Les sages-femmes et les femmes médecins seront soumises aux mêmes responsabilités juridiques que les hommes. Oui, il y eut des femmes médecins chez les Romains1. Certaines ont écrit des traités qui ne nous sont pas parvenus mais que de grands médecins ont abondamment cités : Cléopâtre, médecin grecque, a écrit un traité sur les maladies des femmes et un autre livre consacré aux soins corporels. Elle fut citée par Galien pour son sérieux dans ces recherches. Aspasie fut gynécologue et Aetius, médecin romain auteur d’une encyclopédie médicale s’appuie très largement sur elle pour la partie consacrée aux femmes. Galien reprit aussi les travaux d’Elephantis, réputée pour ses médicaments et potions abortifs. Antiochis et Xanité sont reconnus pour le soulagement des douleurs. Enfin des sages-femmes importantes comme Laïs, Olympias, Salpe et Sotira auteurs de traités sur des maladies purement féminines liées aux organes génitaux ou à la grossesse, sont citées par Pline l’Ancien dans son « Histoire Naturelle ». Ainsi le livre XXVIII intitulé : « traitant des remèdes tirés des animaux » a comme contributions d’auteurs étrangers Sotira, Laïs, Elephantis et Salpe. 1. L’œuvre de Celse (non médecin, mais polygraphe pour beaucoup d’historiens). Son traité en huit livres rédigés en latin (de re medica) semble pourtant n’être que la traduction d’un ouvrage grec antérieur d’un certain Titus Aufidius. Mais Celse, en grand érudit, rédige avec élégance ce traité dont la partie gynécologique et obstétricale est cependant réduite. Il fera en outre des observations cliniques très fines sur la version podalique interne. Mais il y décrit aussi des instruments chirurgicaux identiques à ceux retrouvés à Pompéi, comme le spéculum vaginal à mécanisme d’ouverture à vis. Et la chirurgie romaine est très développée pour l’époque : scalpels, crochets, forceps, leviers, sondes, cathéters, spéculums sont utilisés sur des patients préalablement anesthésiés à l’aide de pavot. 1 Cette tradition va perdurer. Ainsi : Trotula de Salerne a tenu une chaire à l'école de médecine de e Salerne au XI siècle où elle enseignait à des Italiennes nobles, d'où le surnom de ses étudiantes : 16 « les dames de Salerno » . On attribue à Trotula plusieurs textes d'influence sur la médecine féminine, couvrant les champs de l'obstétrique et de la gynécologie, entre autres sujets. Dorotea Bocchi, une autre femme médecin italienne, a détenu une chaire de philosophie et de médecine à l'université de Bologne dès 1390 et pendant plus de 40 ans. 2. L’œuvre de Soranos. Soranos d’Ephèse est, lui, un vrai médecin grec du Ier/IIe siècle après J.C. qui fit ses études à Alexandrie. Son traité sur « les maladies des femmes » est un modèle de précision clinique sur la grossesse, l’accouchement et l’allaitement. Erudit, son œuvre gynécologique et obstétricale va survivre au Moyen-Âge et jusqu’au XVIe siècle. Son traité est divisé en quatre parties : le livre 1 concerne les sagesfemmes et les qualités dont elles doivent faire preuve. Le livre 2 traite de la grossesse, des accouchements eutociques et dystociques, des soins à donner au nouveau-né. Les livres 3 & 4 concernent les maladies des femmes et les traitements à appliquer. A la lecture de son traité, on reste convaincu que Soranos était un praticien très expérimenté préconisant, pour l’accouchement, la position assise, la protection du périnée, la délivrance manuelle, la version podalique interne, les difficultés de la primipare âgée et l’avortement quand la vie de la mère semblait menacée1. 3. L’œuvre de Galien Claude Galien, médecin Grec, représente le nec plus ultra de la médecine romaine antique. Son œuvre eut une influence considérable sur les médecines chrétienne, juive et musulmane du Moyen-âge, et ses théories vont dominer, pendant plus d’un millénaire, les connaissances médicales de la civilisation occidentale. En 1530, Vésale (médecin Belge) va s’atteler à la traduction des œuvres de Galien et donner ainsi un regain de popularité à ses travaux. Concernant la fécondation, le fœtus et la grossesse, Galien pense qu’il existe un sperme mâle et un sperme femelle, et justifie la ressemblance du fœtus à l’un ou l’autre des parents en fonction du mélange de leurs semences. Galien a enfin donné son nom à un serment qui s’inspire de celui d’Hippocrate et qui concerne les pharmaciens, texte médiéval composé en 1608 par Jean Renou, médecin d’Henri III, et traduit en Français par Louis de Serres en 1624. 5. La Gaule. Nous ne saurions voir dans le détail cette importante partie de l’histoire de France qui commence avec l’arrivée des Celtes en -1300 avant notre ère, puis par l’arrivée des Gaulois en -209, 1 Fernand Leroy, Histoire de naître, Bruxelles, De Boeck, 2002. l’arrivée des Romains en -52, les débuts du Moyen-âge en 467, l’avènement de la Renaissance en 1450 jusqu’en 1600, c'est-à-dire au début de l’âge classique. Nous n’avons pas de sources directes concernant les femmes, la fécondité, la naissance et le développement des bébés pendant plusieurs périodes que je viens d’énumérer. Concernant les Celtes, nous savons que la femme jouissait d’une liberté et d’une autonomie importante par rapport aux Romaines. Elle choisissait librement son époux et la durée du mariage pouvait être fixée à l’avance. Le divorce existait et la femme pouvait user de ses biens propres. D’autre part, en se mariant elle n’entrait jamais dans la famille du mari et appartenait toujours à sa propre famille. Ces femmes celtes sont connues pour leur courage : elles furent des guerrières redoutables, peu farouches, violentes et aimant boire comme les hommes. Véritables furies, elles apparaissent toujours « échevelées », terme qu’utilisent les historiens romains à leur sujet. Les relations sont empreintes d’âpreté entre les époux qui ignorent la tendresse. En dehors du mariage il existait une forme de concubinage codifié par des règles très strictes. La civilisation celtique va disparaître par acculturation après les conquêtes romaines puis leur soumission aux Romains au premier siècle de notre ère. Les Gaulois (-209 à -52) sont en fait des Celtes, ou plus précisément il n’y a pas de différence entre eux (cf. Jules César). La médecine est surtout phytopharmaceutique (les Druides et les Ovates avaient une grande connaissance de la nature), mais des instruments chirurgicaux ont été retrouvés dans des sépultures. Les femmes pouvaient être médecins et les villes de Metz, Lyon et Nîmes possèdent des stèles l’attestant. Il y avait aussi des sages-femmes baptisées : « obstetrix », littéralement, celle qui se tient devant. Grégoire de Tours a bien écrit une histoire de France1 considérablement remaniée et retouchée par la suite, mais il ne nous livre aucune indication sur le sujet qui nous intéresse ici sauf à nous fournir la liste de toutes les reines et d’en donner le nombre d’enfants qu’elles ont eus. En tant qu’homme d’Eglise il parle des femmes en termes binaires de bonté/méchanceté, de fidélité/ adultère, etc. 1 Grégoire de Tours, 539-594, 10 livres sur l’Histoire des Francs suivi des Chronique de Frégédaire = auteurs inconnus qui ont continué l’œuvre de Grégoire de Tours longtemps après sa mort. in Guizot : Collection des mémoires relatifs à l’Histoire de France, depuis la fondation de la monarchie Française jusqu’au 13e siècle (31 volumes) par Philippe Remacle. regrettant l’époque bénie de Clovis, aïeul chrétien, et il semble les définir par 3 uniques attributs : l’âge, la chevelure et l’élégance. Sylvie Lescouzères a écrit la « femme barbare », à partir de l’œuvre de Grégoire de Tours et nous donne quelques chiffres que nous pouvons utiliser ici. Le but du mariage est la conception, renforcée par la loi Salique où l’enfant mâle tient une place privilégiée et qui donne une grande importance à la femme dans le monde Franc. La moyenne des naissances de l’ensemble des femmes citées par Grégoire de Tours est de 2,33 enfants par femme. Pour le mari, il n’est nullement obligatoire d’avoir un fils avec la même épouse. Son but est d’avoir un héritier par n’importe quel moyen. Pour les femmes, l’accouchement doit bien se passer pour qu’elles puissent vivre, et cela même si l’enfant meurt. Elles doivent survivre entre les accouchements et surmonter les épidémies et les disettes. Enfin elles doivent défendre et garder leur place d’épouse coûte que coûte. Il est très important de souligner que les droits des femmes vont progressivement diminuer siècle par siècle (la misogynie de l’Eglise y sera pour beaucoup) comme une peau de chagrin, pour arriver à un statut de tutelle (fin du Moyen-Âge, début de la Renaissance) interminable qui ne se terminera qu’au XXe siècle. Enfin, ne jamais perdre de vue que la femme n’existera qu’au travers de ses maternités, ce qui va la rendre très vulnérable dans ses siècles de disettes, de famines et d’absence de médecine scientifique. B. Rôle et statut traditionnelle de la femme dans la société La société médiévale traditionnelle est sous le joug de l’Eglise qui gère totalement la vie des premiers français. Ceux-ci sont confrontés à une église obsédée par le péché, notamment de la chair, et qui va rendre la vie impossible aux femmes, supposées être à l’origine de la chute de l’humanité. Dès lors le seul moyen de salut semble être en premier lieu d’embrasser la vie religieuse. Depuis le Ve siècle leur nombre ne va cesser de croître ainsi que celui des abbayes et des prieurés. A leur tête, des abbesses au pouvoir très important, initialement nommées par les rois, secondées par la prieure. L’origine noble des abbesses, prieures et mères s’oppose à celle des sœurs souvent roturières. Le second rôle est celui d’épouse. Lors d’une conférence1 faite à Caen, en 1999, j’avais exposé les âges des majorités pendant l’histoire de France et montré qu’à partir du Moyen-Âge, la femme ne sera plus jamais majeure, mais sous la tutelle constante de son père puis de son mari. Par contre l’âge du mariage (nubilité) va considérablement varier au fil des siècles allant de 12 ans pour les filles et de 14 ans pour les garçons avec des fiançailles à 7 ans pour les filles. [La législation révolutionnaire du 20 septembre 1792 fait passer cet âge à 13 ans pour les filles et 15 pour les garçons mais, dans la réalité, le mariage a lieu au XVIIIe siècle vers 30 ans, le couple paysan devant s'établir (maison, terres, métier) avant de pouvoir convoler. Au XIXe siècle, l'âge est plus précoce car la révolution industrielle, en créant le métier d'ouvrier, permet de s'établir plus tôt. Il faudra attendre la création du code civil par Napoléon Bonaparte et la loi du 1er Germinal an XII (1er avril 1804) pour faire passer l'âge nubile à 15 ans pour les filles et 18 pour les garçons (art. 144 du Code Civil)]. La conception du mariage est par ailleurs un point de friction entre l'Église et les guerriers francs. Ces derniers, bien que catholiques, veulent conserver leurs coutumes germaniques - rapt, concubinage, répudiation - alors que l'Église entend imposer l'indissolubilité du couple, sauf cas exceptionnels : inceste et non consommation du mariage. De plus les mariages royaux se font très tôt (3/4 ans) mais sont des unions politiques consommées plus tard. Seul le mariage béni par un prêtre est reconnu par l'Église. Ceci n'empêche pas la persistance des mariages coutumiers ou par simple consentement mutuel, jusqu'à la fin du Moyen-Âge. Plus encore, l’âge des ménarches (premières règles), influencées par les carences en graisses est variable. Dans une France dénutrie et soumise aux famines, les règles peuvent n’arriver qu’à 17 ans et des aménorrhées de famines frappent régulièrement les femmes des siècles passés. Ajoutons à cela une majorité nobiliaire différente de la majorité roturière : les enfants de basses classes étaient responsables plus tôt pénalement que ceux issus de la noblesse et pouvaient ainsi être directement condamnés en bas âge. Quoi qu’il en soit le célibat est contre nature et apparaît comme une hérésie et un péché : certaines frérèches entre frère et sœur sont là pour masquer des célibats honteux aux yeux de la société. Le troisième rôle est celui de mère. C’est le devoir principal de la femme mariée et le fait de ne pas avoir d’enfants est un péché mortel et une offense directe à Dieu. La stérilité est toujours d’origine féminine et à la campagne la femme est appelée une «mule». Le test des urines 1 Boulet François-Xavier, L’Histoire des maternités précoces en France, in « les actes de la deuxième journée d’étude des maternités adolescentes ». Caen, CREAI, 1999. est sans ambiguïté : si l’herbe jaunit et qu’elle fume, c’est encore la preuve de sa stérilité. L’idée véhiculée par cette idéologie est que la femme stérile a dans son ventre des acides qui corrompent toute vie et l’empêchent de mettre au monde. La répudiation par le mari est la réponse à cette stérilité supposée de la femme. La femme au labeur. En milieu rural la femme travaille. Elle est corvéable à merci et à travail égal, la femme mange beaucoup moins que les hommes. Dénutries, elles vont souffrir de rachitisme, ce qui va avoir des répercussions dramatiques sur leur possibilité de mettre au monde sans problème. L’espérance de vie est moindre que celle des hommes. La raison en est l’obligation d’une maternité meurtrière. C. Amour et sexualité. Quels types de liens unissaient l’homme et la femme ? Il y a une inégalité constante entre l’homme et la femme concernant tous les domaines de la vie. A commencer par la naissance : la durée de l’impureté de la mère n’est pas la même : 40 jours pour la naissance d’un garçon contre 80 pour la naissance d’une fille. Les liens entre époux sont emprunts de « rugosité » et la violence des maris contre les femmes est courante. Le mariage d’amour n’existe pas, ou très rare, et la dot traditionnelle incombait intégralement à la famille de la mariée. Son origine est romaine pour qui la femme n’était pas juridiquement responsable, et de ce fait ne pouvait posséder aucuns biens propres. Il fallait donc une transmission patrimoniale sous forme de dot. Et celle-ci était obligatoire pour rendre le mariage légitime. Cette dot est une possession sous contrôle du mari, ainsi même si la femme en est propriétaire de son vivant, l’époux a sur elle un droit de gestion et même de possession en cas de répudiation. En milieu rural, une série de dictons montrent qu’un abîme affectif sépare l’homme de la femme, et que les bêtes ont plus de valeur aux yeux du mari que sa femme : « femme qui meurt, petit malheur, vache qui meurt grand malheur » « femme morte on oublie, cheval mort on s’écrie »¹, (les bêtes coûtent chers, tandis qu’une femme peut facilement être remplacée par une autre qui à son tour amènera une dot) et sur le plan sexuel , la femme se doit de rester passive : « L'affaire va mal quand la poule approche le coq » et « Ce n'est pas un amour qui convient quand la poule fait des avances au coq » ou « quand c’est la poule qui va au coq, l’amour ne vaut pas une noix »1, « mule et femme, le bâton les améliore », etc. Cependant la sexualité est orchestrée par l’Eglise qui va avoir à sa disposition les pénitentiels, le calendrier romain et les fêtes religieuses. 1 Cités par Edward Shorter, Le corps des femmes, Paris, Seuil, 1984. Les fêtes religieuses. Elles ponctuent l’année et en fonction de leur importance, le couple ne peut pas avoir de relations sexuelles. Ainsi pour Noël, Pâques, les cendres, le carême, le Vendredi saint, etc. le calendrier Romain. Le vendredi en général, le dimanche jour du Seigneur, etc. Les pénitentiels1. Inventés par l’Eglise, ils sont considérés, à contrario, comme des manuels de sexologie. En effet, tous les savoirs répressifs de l’Eglise par rapport aux péchés de chair ont été consignés par nos pères. Il ne manque rien, ils ont pensé à tout et chaque péché a son prix en pénitence pouvant aller jusqu’au bûcher pour la sodomie, par exemple. Coincés entre ses 3 armes redoutables, le couple traditionnel a peu de chance de pouvoir s’accoupler. Ajoutez les jours d’impureté de la femme et finalement nos ancêtres ne pouvaient faire l’amour que 1,2 fois par mois. Cela semble dérisoire mais suffisant pour que la femme soit enceinte et là encore la continence allait durer tout le temps de la grossesse jusqu’aux relevailles. La femme qui a ses règles est impure et la naissance d’un enfant roux est le signe d’une transgression : les parents ont conçu l’enfant pendant les règles de la mère et cela a déteint sur la couleur des cheveux du nouveau-né. Les parents sont donc fautifs. (L’enfant roux est mal vu dans la société traditionnelle, car il est de la couleur du sang, de la violence et de la trahison. Et cela remonte très loin dans l’histoire : chez les Egyptiens, le dieu Seth est le dieu du mal et il est roux. On dit que Judas qui a trahi Jésus était roux. C’est aussi la couleur des flammes, du feu infernal, donc de l’enfer, donc du diable et certains enfants roux ont été brûlés au Moyen-âge. C’est aussi la couleur de la prostitution. Bref le roux est sujet de moqueries encore aujourd’hui. Un jeune collégien savoyard a été poussé au suicide par ses camarades de classe en février 2013 pour cette unique raison.) Les règles2 consignent la femme à l’exclusion : pas de cuisine, pas de pâtisserie, pas de mayonnaise, pas de coiffeur, elle fait rouiller le fer, tourner le porc dans le saloir, avorter les melons. On l’accuse de s’opposer à la fermentation panaire, de troubler le vin, de faire disparaître le tain du miroir. Elle peut même servir d’insecticide dans les champs en faisant fuir les bestioles ! Certains endroits du village sont interdits, etc. La femme est impure pendant la grossesse, 1 2 Jean-Louis Flandrin, Un temps pour embrasser, Paris, Seuil, 1983. Cités par Jacques Gélis, L’arbre et le fruit, Paris, Fayard, 1984. impure quand elle met au monde (nous venons au monde entre pisse et merde) et impure après la naissance (40 ou 80 jours, comme chez les Hébreux). Ces nombreuses périodes d’impureté vont être, quand elles sont respectées par le mari1, la chance des femmes qui vont pouvoir, étant exclues des corvées, se reposer et se refaire une santé. Jacques Gélis et Edward Shorter insistent tous deux sur le caractère particulièrement violent et rapide des rapports sexuels qui ne peuvent jamais contenter les femmes. D’autres inégalités plus graves encore vont frapper plus durement les femmes : les inégalités alimentaires engendrant le rachitisme et l’inégalité entre l’homme et la femme pour l’espérance de vie. (cf. supra page 145). D. Le problème majeur de la fécondité. L’enfant a tout prix, tel est l’obsession de la femme. Le couple sans enfant est déjà comme mort car il n’a pas d’avenir. La femme se doit d’être fécondable et féconde. Les comportements féminins pour résoudre ce problème vont se tourner vers tout ce qui peut les aider à être enceintes : la religion, l’alimentation, les saints païens et les éléments 1. La quête religieuse. Elle est parfaitement logique dans cette société où la religion est toute puissante et omniprésente. Il existe des saints fécondants, comme sainte Marguerite (qui est la patronne des sagesfemmes), saint Egide, sainte Anne, sainte Catherine, saint Antoine, saint Pancrace, saint Philibert, sainte Brigitte, sainte Agathe, sainte Foy, saint Léonard, etc. des prières à ces saints permettent d’exaucer un désir de grossesse. Les prières, les offrandes, les messes, les pèlerinages, les jeûnes, les cierges, toucher le battant d’une cloche, etc. tout va être utilisé pour permettre la grossesse. Il s’agit ici des croyances religieuses dues au catholicisme, mais il y avait aussi chez les Celtes et les Gaulois des déesses païennes de fécondité plus anciennes et très populaires comme : Brigit, déesse irlandaise associée à la fertilité, Damona, déesse gauloise de la fertilité, Épona, déesse des chevaux et de la fertilité, Nantosuelte, déesse de la nature, de la terre, du feu et de la fertilité, Onuava, déesse de la fertilité, Rosmerta, déesse galloromaine de la fertilité et de l'abondance. 1 Cités par Edward Shorter, le corps des femmes, Paris, Seuil, 1984. Beaucoup de maris n’attendent pas que les femmes sortent de leur période d’impureté après l’accouchement et leur « sautent » dessus, les blessant et les infectant. Pages 21 & 22. 2. La quête alimentaire. Certaines herbes et fruits possèdent des vertus fécondantes. La figue dans le midi de la France, fermée elle symbolise le testicule, ouverte la vulve. Pour être enceinte, la femme doit s’endormir sous un figuier. La grenade et tous les fruits rouges (à sang) sont fécondants. Les noix, car les deux parties (cerneaux) sont unies comme doit l’être le couple. Les fèves, les graines, le fenouil, l’armoise et surtout la mandragore. 3. Le recours aux saints païens. C’est le plus étonnant et déconcertant moyen que les femmes vont utiliser. La France compte quelques 2000 «saints imaginaires et facétieux1», le plus connu étant saint Glinglin. Concernant la fécondité, certains saints païens et Phalliques vont s’illustrer en France jusque dans nos églises. Il y a principalement cinq saints phalliques (car ils ont tous un sexe en érection) qui vont se partager le pays. Saint Greluchon (ou saint Grélichon, Guerluchon en Berry). Selon la légende, toutes les femmes qui venaient prier seules en sa compagnie et dans les bois devenaient enfin fertiles. Greluchon fait l'objet de nombreux pèlerinages, car ses statues possèdent le pouvoir de vaincre la stérilité. Saint Génitour, aux mariées, la fécondité, dans l’Indre. Saint Foutin, (Fourtin, Photin), « les prêtres laissaient leurs ouailles poncer le pénis du saint, des miracles survenaient régulièrement : le pénis qui avait perdu plusieurs centimètres au grattage, récupérait une fois par an sa taille originale ». «Le miracle n’était néanmoins pas grand, car ce phallus consistait en une longue pièce de bois passée par un trou, et lorsque la partie de l’avant se raccourcissait, un coup de maillet donné derrière le faisait ressortir de toute la longueur qu’il avait perdue.2», sud de la France. Saint Phalier, Limoges, survivance d’un culte païen phallique antérieur, avec la présence d’une statue gallo-romaine ithyphallique d’un culte à Priape. Saint Guénolé, (Guinolé, en Bretagne, Anjou, Touraine et Guingaloe dans la Maine). Les femmes disposaient de 2 rites principaux pour satisfaire leur quête de fécondité : 1 Merceron Jacques, Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, Paris, Seuil, 2002. ² Dulaure Jacques Antoine, Du culte de Priape sous les noms de saint Fourtin, René, Guerlichon, Guignole, etc., Paris, Dentu, 1805 Le breuvage ou décoction magique, préparé avec des raclures du pénis en bois, mélangées à de l’eau, du vin, de l’urine, de la bave de crapaud, selon les régions et il fallait l’avaler pour être enceinte. S’accoupler au saint Phallique, rite plus acrobatique, mais plus fécondant. Il fallait se laisser enfermer le soir, à la tombée de la nuit, par le bedeau (qui devait avoir un rôle important dans le rite), se dévêtir et escalader la statue. L’Eglise va finir par se fâcher et en 1820, seulement, le curé d’Argilesse emmure de nuit (lui aussi) saint Greluchon. Les femmes dépossédées de leur phallus en bois, vont alors se tourner vers les gisants pour se frotter nues contre la pierre froide. En effet l’église d’Argilesse en Berry, possède un très beau gisant du chevalier de Guillaume de Naillac, ancien croisé, mort en 1266 qui va servir d’exutoire de longues années encore aux femmes privées de leur saint Greluchon. 4. Le recours aux éléments. Les éléments fondamentaux ont toujours exercé des pouvoirs magiques, symboliques et analogiques sur les esprits. Il est donc normal que les femmes aient imaginé des moyens surnaturels capables de répondre à leurs besoins irrépressibles de maternité. La pierre. C’est le plus ancien élément utilisé par l’homme dans ses quêtes magiques et symboliques. Elle renvoie à l’Alma Mater, la grande mère nourricière et de plus, la pierre est vivante, car elle se déplace et remonte toujours à la surface des champs. Elle se retrouve sous quatre formes ; pierre dressée, pierre plate, pierre trouée et chaise en pierre. La pierre dressée ou phallique (menhir) est le moyen le plus ancien que les femmes ont utilisé. Nues, elles se frottent lascivement contre la pierre rugueuse pour s’échauffer le fondement et être ainsi fécondées dans un simulacre d’accouplement. On en trouve en Bretagne, dans la Creuse (Orcival et Tracros), dans l’Eure, en Normandie (Thaon : le menhir de la demoiselle de Bracqueville et les menhirs de Colomby-sur-Thaon), etc. La pierre plate ou pierre à frottis se présente comme un plan incliné à la manière d’un toboggan que les femmes escaladaient. Arrivées au sommet elles enlevaient leurs baches (culottes en français du XIIIe siècle), s’asseyaient et glissaient ainsi jusqu’en bas pour être réchauffées par la pierre. De très nombreuses régions françaises en possèdent : les Vosges, l’Alsace, Côtes d’Armor, Ile et Vilaine, Provence, etc. La pierre trouée. Il s’agit d’une roche rouée à l’entrée des villages que les femmes vont devoir franchir pour être enceintes. Il existe deux variantes : le couple peut franchir la pierre trouée pour avoir des enfants et le nouveau-né est passé par le trou de la roche, devant tout le village rassemblé, pour son baptême social. Les anciennes pièces de monnaie trouées avaient le même pouvoir magique, ainsi que les bagues et les alliances. Les petits galets troués sont aussi recherchés sur les plages et dans l’église d’Omonville-laPetite (où est enterré Jacques Prévert), un mur est tapissé de petites pierres trouées, porte bonheur, mises en vente par le curé. Enfin les sièges magiques de fécondité, les plus anciens car ils remontent, avec les menhirs, aux Celtes, sont encore utilisés de nos jours. En effet à Locronan, en Bretagne, a lieu deux pèlerinages circulaires : la grande Troménie (12 km) tous les 6 ans en juillet, et la petite Troménie (6 km) tous les ans, le second dimanche de juillet, en l’honneur de saint Ronan. Le parcours passe devant des mégalithes magiques de fécondité, où les femmes vont s’asseoir, appelés « la jument de pierre » puis « chaise de saint Ronan ». En Bretagne d’autres pèlerinages ont lieu régulièrement à Landeleau (dimanche de Pentecôte), à Locquénolé (la veille du jeudi de l'Ascension) et à Gouesnou et à Bourbriac (jeudi de l'Ascension). En France, à Ceaucé dans l’Orne, à Larchant en Seine et Marne, à Magnac-Laval en Haute Vienne, etc. Les mégalithes de fécondité sont imposants et, sur certains, plusieurs femmes peuvent s’y tenir assises en même temps. Aujourd’hui les femmes ne restent que peu de temps sur la pierre, mais elles y vont encore. Le vent. C’est un puissant agent de fécondation. Les vents sont toujours personnifiés et la tradition orphique (Eole, les enfants du vent) veut qu’il puisse féconder la nature ainsi que les femmes sur leur passage. Agueil, Albe, Ardênne, Djosène, Auster, Aquilons, Bise, Bîhe, Cers , Narbonnais, Farou, Galerne , Solaire, Grande Bise, Hâle, Hegoa, Levant, Libeccio, Mitgjorn, MigVent du Midi, Noroît, Tramontane, Marin, Mistral, Toureillo, Traverse, Vent d'autan, Zéphyr sont les principaux vents français. La femme qui voulait être fécondée se devait de « prendre » le vent à la manière d’une manche à air… Mais ces mêmes vents pouvaient aussi servir les femmes infidèles : ainsi en 1637, au parlement de Grenoble, Magdeleine D’Antomont D’Aiguemère fit plaider le vent. Elle mit au monde un garçon qu’elle prétendit avoir conçu pendant l’absence de son mari, au moment d’une sieste qu’elle fit nue par un bel après-midi d’été, fécondée par le Zéphyr. Les experts médecins de la faculté de Montpellier, s’appuyant sur la panspermie et le vent fécondant, donnèrent raison à la Dame1. L’arbre. C’est le rite le plus romantique. La femme, pour satisfaire son désir, se rend dans la forêt à la recherche du plus bel arbre. Il existait aussi des arbres à épousailles (Picardie), et les gens y accouraient à 1 Jacques Gélis, l’arbre et le fruit, page 67. plusieurs dizaines de km à la ronde1. On pouvait secouer l’arbre à des moments précis de l’année, mais c’est surtout la coutume d’embrasser l’arbre qui était la plus répandue : Poitou, Bretagne, Provence au XIVe siècle par exemple. Mais le contact pouvait être plus intime comme avec les pierres : embrasser, se frotter, glisser sur certaines racines… L’eau enfin. L’eau transporte les germes de vie, il est donc tout à fait logique que nos ancêtres aient utilisé l’eau pour satisfaire leurs désirs d’enfanter. L’eau avait des vertus génésiques importantes dans les campagnes. Boire l’eau miraculeuse, se baigner, éclabousser ou mouiller ses organes génitaux étaient choses classiques. Les femmes affectionnaient aussi les fontaines d’eaux ferrugineuses, « fontaines de rouille » capables d’assurer la fécondité des femmes et des bêtes. La couleur rouge était très importante dans ces croyances et l’on pouvait ainsi mettre du vin pour colorer certaines eaux. Enfin, enfant je vivais en Alsace et un dicton très particulier et très répandu à l’époque (années cinquante) parlait en ces termes de ces eaux magiques et fécondantes : « les lavandières attrapent des bébés en lavant le linge dans la rivière ». E. Le rachitisme et espérance de vie des femmes. Ces deux inégalités qui découlent des autres (cf. infra page 140) vont avoir un énorme retentissement sur l’avenir des femmes dans la société traditionnelle. Si l’espérance de vie des femmes est inférieure à celles des hommes, c’est en partie à cause des maternités. On peut même penser que le grand perdant de l’histoire va être l’enfant. Par une sorte de déplacement de l’agressivité et de la frustration, les femmes en veulent aux hommes (brutalités, violences, sexualités débridées, grossesses subies, inégalités psychologique, sociale, etc.) mais vont déplacer ce trop-plein d’amertume sur l’enfant pour qui le sort sera encore plus terrible que celui des femmes. Les enfants meurent dans l’indifférence générale, le deuil d’enfant n’existait pas et 1 Jacques Gélis, l’arbre et le fruit, page 68. la nomination de l’enfant non plus : à quoi bon lui donner un nom s’il n’est pas capable de vivre. Nous avons écrit qu’à travail égal, les femmes mangeaient moins que les hommes. Certes le rachitisme frappait également les hommes et les femmes, mais les répercussions sur le bassin des femmes va être très important.1 Les chiffres fournis par E. Shorter sont là : entre 14 et 22 % des bassins sont rétrécis et risquent de compliquer l’accouchement. La mortalité pour cause de rachitisme est énorme et la première grossesse est celle qui va départager les femmes : ou cela passe, ou cela casse. Les bassins peu rétrécis permettaient des accouchements spontanés, mais les femmes mouraient quand même plus en couche que les autres (19% contre 6%). Les bassins très rétrécis (inférieurs à 8 cm) entraînaient 50% de décès. Face aux difficultés d’accouchement dues au rachitisme, les matrones, les sages-femmes puis les chirurgiens n’avaient pas de solutions. « L’accouchement carnage » d’autrefois ne permettait de sauver ni la mère, qui mourait en quelques jours, ni l’enfant qui restait coincé dans le bassin maternel et mourait aussi. Quant à l’espérance de vie des femmes, elle est moindre que celle des hommes, aux âges où elle peut enfanter : les périodes 25-44 ans en France, 15-30 en Angleterre, 20-30 en Italie montrent que l’âge d’être mère a une incidence directe sur leur mortalité. Il faudra attendre les années 1914 pour que les femmes commencent à mourir moins vite que les hommes. La guerre de 14-18, mais surtout les progrès de la médecine y contribuent. Actuellement l’écart de vie, au profit des femmes, est de 85 ans contre 78,7 pour les hommes. La fameuse encyclopédie allemande de Joseph Meyer « Konversationslexikon » (1889) porte le jugement suivant sur l'aide qu'on pouvait apporter au Moyen Âge aux femmes qui essayaient d’accoucher: « Dans l'Occident chrétien, l'obstétrique se trouvait exclusivement entre les mains de femmes qui ne savaient rien, ou au plus d'hommes qui ne s'intéressaient guère à leur travail. Dans les cas difficiles on se contentait le plus souvent d'appeler le prêtre et l'aide qu'il pouvait apporter relevait plutôt de la superstition. (...) 1 Edward Shorter, le corps des femmes, pages 34 et 91 Dans les faits, les accoucheuses (matrones ou « basles » en vieux français, à ne pas confondre avec les « ventrières » [sages-femmes]) étaient simplement des femmes qui avaient survécu à de nombreux accouchements, et qui tiraient leur science de l’expérience transmise oralement. Souvent, elles n’avaient pas de connaissance d’anatomie ». . F. La grossesse. C’est la suppression des règles qui constitue pour les femmes le critère essentiel de la grossesse. L’uromancie est importante dans les siècles classiques et l’examen de leurs urines permet, à coup sûr, le pronostic d’une grossesse. Celle-ci est comparable à une cuisson : on utilise pour le fœtus ma métaphore du pain. La pâte monte lentement, elle lève, gonfle, il est à point. Les peurs accompagnent les femmes enceintes ; peur de l’accident, de la chute, de l’hémorragie et pour soimême peur des caries, des rages de dents, etc. De plus elle sera toujours responsable de l’accident, des pathologies, d’un accouchement avant terme. Et pour conjurer le sort, toute une série d’interdits vont accompagner la grossesse. La crainte d’un cordon circulaire, d’une difformité, de la mort in utero sont toujours assortis de recommandations : ne pas croiser les jambes en s’asseyant, ne pas porter de ceinture (sauf les ceintures de grossesse qui protègent), ne pas tricoter pendant la grossesse, ne pas suivre d’enterrement, ne pas manger de lapin ou de lièvre sous peine d’accoucher des mêmes animaux. Se protéger en portant des pierres d’aigle, de lune, etc. Et puis arrivent les fameuses envies alimentaires qui doivent être satisfaites sous peine de créer des tâches de vin sur le corps de l’enfant, de manger pour deux pour faire de beaux bébés, enfin la divination du sexe est importante et toute une série de croyances corporelles permettent de prévoir : si le sein droit est plus dur, c’est un garçon, le lait terne et dilué, c’est une fille, si elle est colorée et gaie, c’est un garçon, pâle et pensive, une fille. G. La science ne sait rien. La science médicale et les sciences biologiques sont dépourvues de connaissances. La théorie de la superfétation existe toujours, la durée de la grossesse est à géométrie variable et, en amont, la fécondation reste tributaire des vieilles traditions grecques. Antoni van Leeuwenhoek (1632-1723) qui a découvert le spermatozoïde, d’abord chez le cochon puis chez l’homme en 1667, est tellement convaincu de la théorie des animalcules, qu’il voit, dans les microscopes qu’il fabrique lui-même (à sa mort on en trouvera 350) en observant les noyaux des spermatozoïdes, des petits cochons avec la queue en tirebouchon et des petits enfants assis en tailleur, habillés, avec sur le crâne les fontanelles bien visibles1. Cette découverte va à l’encontre des paradigmes de son époque sur la génération spontanée défendue par William Harvey et Reinier de Graaf. Ce retard scientifique est considérable si l’on se reporte aux découvertes de l’ancienne Egypte. L’Eglise, avec ses dogmes poussiéreux et ses nombreux interdits, ne permet pas aux scientifiques d’aller contre elle sous peine, à minima, d’excommunication. Souvenons-nous de Galilée mort en 1642, c’est-à-dire du vivant de Leeuwenhoek. Revenons à la théorie de la superfétation. C’est l'implantation d'une nouvelle grossesse dans un utérus qui contient déjà une grossesse en développement. Hippocrate déjà mentionnait le phénomène (livre 8, 472-476) et Pline en fait mention dans son livre VII. Mais cette théorie va durer longtemps : j’ai retrouvé des traités de médecine du XVIIe au XIXe s. où elle est encore débattue2. Une chose est sûre, la superfétation ne parlait pas en faveur des relations sexuelles pendant la grossesse. Ce qui est naïf chez les anciens (Hippocrate et Pline parlent de 7 fœtus, voire plus, dans l’utérus en même temps) devient vite grotesque par la suite. 1 2 Fernand Leroy, Histoire de naître, illustration page 316 Joseph Capuron, Cours théorique et pratique d'accouchemens, Bruxelles, 1886, pages 151152. Lazare Rivière, la pratique de médecine avec la théorie, La trinité, 1682, pages 520-521. Alphonse Vevergie, Médecine légale: théorique et pratique, Volume 1, Paris, 1840, page 505. Alfred Velpeau, Traité complet de l'art des accouchemens ou Tocologie théorique et pratique, pages 193-194. William Smellie, Traité de la théorie et pratique des accouchemens, vol 1, Paris, 1771, pages 122-123. Antoine Petit, Traité Des Maladies Des Femmes Enceintes Des Femmes En Couche, Paris, An VII, Vol 1, pages 107-110. Madame veuve Marie Boivin, Traité pratique des maladies de l'utérus et de ses annexes, Bruxelles, 1834, pages 28-29. Armand Corre, Manuel d’accouchement, Paris, 1885, page 33. Mais le terme n’est pas supprimé pour autant : des manuels d’accouchements du début XXe s. en font encore mention1 et parlent alors de superfoetation. Les mythes ont la vie longue et les doctes savants en parlaient encore il n’y a pas si longtemps. La durée de la grossesse. François Rabelais, médecin, au XVIe siècle, consulté sur une contestation de la date de conception, décrit une durée de gestation de 11 mois, reprise dans son histoire de Gargantua : « Elle engroissa d’un beau filz et le porta jusqu’à l’onzième moys ». (Tome 1, Livre 1, chapitre 3, page 9 et il rajoute à la même page qu’Homère pense que l’enfant naquit au 12e pour être ainsi formé à la perfection) que Montaigne en 1580 accepta cette durée “idéale” de grossesse. C’est Baudelocque qui parla le premier d’une durée de gestation de 9 mois. Dans son « Art des accouchements 2», il écrit : « l’époque la plus ordinaire de l’accouchement est la fin du 9ème mois de la grossesse, mais elle n’est pas invariable ». Adolphe Pinard doute sur la réalité de la notion de grossesse prolongée et pense qu’il s’agit plutôt de gestations retardées à leur début. En 1850, Reid a retrouvé une durée de gestation allant de 237 à 275 jours avec un maximum de 280 jours soit 40 SA. Ce n’est qu’en 1902 que la notion de terme dépassé a été acceptée, grâce à Ballantyne qui a reconnu le premier le syndrome de post-maturité et la morbidité accrue liée aux grossesses prolongées. Un peu plus tard, en 1952, Stewart définissait le terme de la grossesse entre 250 et 285 jours, soit entre 35 SA + 5 jours et 40 SA + 5 jours. Et pour l’antiquité ? En Egypte la durée de la grossesse est bien calculée. L’Ostracon (éclat de calcaire utilisé comme support de l’écriture) de Strasbourg précise qu’elle dure 275 jours.3 Pour la Grèce la durée est beaucoup plus hasardeuse. Le Corpus hippocratique mentionne plusieurs termes différents pour une grossesse; 240, 270, 280 (7 périodes de 40 jours) ou 300 jours (de la nature de l’enfant) et Aristote quant à lui croit que la durée de gestation peut varier entre 7 et 10 mois. 1 Marcel Metzger, l’accoucheur moderne, Paris, 1931, page 206. 2 Jean-Louis Baudelocque, Arts des accouchements, Paris, 1781. in article du SynGof, N° 93, juin 2013 : grossesse prolongée et terme dépassé. 3 Fernand Leroy, Histoire de naître, page 41. Par contre, il est fort possible que les Anciens comptaient les mois avec le nombre de jours de menstruation, donc 28 jours. Chez les Romains, Pline a écrit dans son Histoire naturelle que l’humain est un des seuls animaux qui s’accouple lorsque la femelle est enceinte et croit que l’être humain peut féconder plusieurs œufs, et ce à des moments différents. Lorsque l’intervalle entre les deux conceptions est court, les bébés seront mis au monde en même temps. La grossesse durait entre 7 et 13 mois, avec 9 et 10 mois comme délais les plus courants. Le soutien officiel de l’église catholique pour les enseignements de Claude Galien (influencé par Hippocrate et Aristote) en a fait la seule doctrine médicale politiquement acceptable jusqu'à la Renaissance. Ce soutien a été une des principales raisons de l'énorme impact de son enseignement, en dépit de leur valeur parfois douteuse. H. La matrone et la sage-femme Comment les femmes accouchent-elles dans la société traditionnelle ? On retiendra 4 formes : seule, avec la voisine, avec la ou les matrones et enfin avec la sage-femme. L’accouchement solitaire se retrouvait dans les campagnes. La femme enceinte allait travailler avec sa brouette, mettait au monde en plein champ et revenait, quand elle le pouvait, le soir avec le nouveau-né qu’elle transportait ainsi. Toujours à la campagne, l’étable, entre le bœuf et l’âne, donnent des « points », car on imitait ainsi la nativité. Dans la maison ou masure, la pièce à vivre, avec un feu et de l’eau chaude. La voisine fait partie de l’entraide des femmes face aux adversités de la vie. A une condition cependant : que la voisine soit déjà mère, ce qui est un rite de passage évident entre femmes. Mais la voisine, même si elle est pleine de sympathie pour celle qui accouche, ne connaît absolument rien à rien et en cas de problème c’est la catastrophe. La matrone est le personnage central en milieu rural. Personnage parce qu’il faut qu’il réponde à certains critères bien précis : physiquement, forte et bien bâtie (il faut de la force dans certains cas), âgée (en a vu de toutes les couleurs), veuve (libre de ses mouvements), être une grande « gueule » (avoir un sens aigu de la communication), par contre elle n’a jamais vu un bassin anatomique, et son savoir est nul. Elle ne vient d’ailleurs pas seule chez vous, elle est accompagnée par ses « groupies », femmes simples, chacune chargée d’une activité bien précise : psaumes, chants, feu, eau chaude, magie, etc. qui envahissent la masure et commencent par mettre le père et tous les hommes dehors. L’accouchement peut alors commencer. Souvent la parturiente lorsqu’elle est primipare ne sait même pas par où l’enfant va sortir. Les postures de l’accouchement varient régions par régions, mais la plus courante dans la société traditionnelle est de se mettre à genoux sur une chaise, la matrone venant se placer derrière. Une des femmes se met à psalmodier des formules magico religieuses censées protéger la mère tandis que la matrone graisse ses mains avec du saindoux. « Allez ma petite chèvre, pousse ! » « J’ai mal, mais par où il sort ? » «Je le sens, allez, lève-toi » « Sainte Marie pleine de grâce…. » Il est évident que son rôle médical est nul et que si des dystocies apparaissent, l’avenir de la femme et de l’enfant est compromis. Si la naissance tarde, la matrone a deux techniques imparables : faire courir la femme autour de la masure ou s’emparer d’un vêtement du père (bonnet ou culotte) que l’on va agiter devant la vulve en disant : «Il va sentir l’odeur du père et va sortir ». Comme l’écrit Edward Shorter1, si l’accouchement tarde, quatre possibilités s’offrent aux matrones : 1. Ne rien faire. On abandonne à son triste sort la femme incapable d’accoucher naturellement. « Leur ignorance est cause que bien des mères meurent avec leur enfant pendant l’accouchement » (page 81). 2. Les remèdes populaires sont principalement de deux sortes. D’abord les recettes magiques comme par exemple ouvrir toutes les serrures et verrous, à défaire tous les nœuds et même détacher les vaches de l’étables : en libérant ainsi l’environnement proche de la femme, on incite l’utérus à faire de même de son contenu. Seconde recette : l’utilisation de drogues à l’aide de potions et d’infusions. Certaines pouvaient être efficaces en stimulant les contractions utérines comme l’ergot de seigle, d’autres étaient purement magiques et quelquefois dangereuses pour la santé de la femme et de l’enfant. 1 Edward Shorter, le corps des femmes, pages 80 et suivantes 3. Tirer sur tout ce qui dépasse ou couper (page 83). Il s’agit d’agir directement en tirant « de toute ses forces » pour faire sortir l’enfant. La tête du bébé est souvent la cible privilégiée de ses tirades inconsidérées des matrones et elle se « décolle ». Mais les bras subissaient eux aussi les mêmes terribles tractions. Et dans de nombreuses régions, les matrones coupaient tout ce qui dépassait. 4. L’intervention obstétricale traditionnelle : l’embryotomie ou craniotomie. Mais cette technique radicale est interdite par l’Eglise quand le fœtus est encore vivant car il n’est pas baptisé. (Le baptême en urgence est une obligation religieuse qui condamnera les mères jusqu’au XXe siècle compris au motif qu’elles ont déjà reçu ce premier sacrement). Cette technique blesse et infecte aussi les femmes car on utilise pour démembrer l’enfant des crochets de ferme qui traînent dans les étables. Mais rendons quand même justice aux matrones pour avoir pratiqué les premières des accouchements dits sans douleur. En effet, elles avaient deux techniques possibles à leur disposition : l’alcool d’abord. Saouler la femme qui accouche pour qu’elle ne souffre plus est chose banale au même titre que saouler le blessé que l’on va amputer. La seconde technique est plus remarquable et se pratique dans beaucoup de sociétés traditionnelles encore aujourd’hui. Il s’agit de faire encore plus mal ailleurs. L’origine est attestée par Hippocrate : « Deux souffrances survenant en même temps, mais sur des points différents, la plus forte fait taire la plus faible » (Aphorismes, section 2, numéro 46). Il suggère déjà qu’une stimulation douloureuse à distance du site opératoire va faire oublier l’intensité de celle provoquée par le geste du chirurgien. Les matrones vont elles aussi pratiquer cette technique pour dévier les douleurs de l’enfantement en donnant des coups de marteau sur la main, en pinçant jusqu’au sang, etc. Mais un autre problème obsède les matrones : la délivrance. Elles vont tout faire pour la hâter, au risque de faire mourir la mère : tirer sur le cordon, donner des coups sur le ventre sont pratiques courantes à la campagne. Puis l’utilisation de fils de coton ou de laine que l’on met dans la gorge des femmes pour leur donner des haut-le-cœur, et plus tardivement, utiliser la poudre d’éternue pour créer des spasmes. La sage-femme (terme attesté en 1212), contrairement à la matrone, exerce exclusivement en ville. Elle pratique déjà son art en Gaule Romaine1 (l’obstetrix) et on retrouve des corporations puissantes de sages-femmes recensées depuis le 13e siècle2 en Europe. Elle possède un savoir (relatif) transmis sans grande modification depuis les corpus Grecs et Romains, mais qui est très certainement supérieur à celui des médecins qui ne pratiquent pas de gynécologie obstétrique. Au départ elles sont autonomes, mais très vite l’église va s’assurer qu’elles donnent le baptême aux nourrissons mourants (les clystères à baptême). Elles sont souvent riches, car les villes s’arrachent les bonnes sages-femmes et sont accompagnées d’une stagiaire qu’elles forment plusieurs années. Mais les choses vont très vite se gâter : en 1326, une bulle pontificale du pape Jean XXII va persécuter les sorcières pendant 4 siècles. Puis en 1484, le pape Innocent VIII, formule officiellement dans le Malleus Maleficarum (« Le marteau des sorcières », écrit par deux prêtres dominicains Jacques ou Jacob Sprenger et Henry Institoris ou Heinrich Kraemer et édité à Strasbourg) une déclaration de sorcellerie à l’encontre des sages-femmes qui aura une grande influence sur les inquisiteurs. Pourquoi un tel acharnement ? On pense qu’ayant accumulé des savoirs empiriques sur le corps, sur les plantes médicinales, sur la prévention et la guérison de certaines maladies, elles furent considérées comme des sorcières par l’église. Donnant la vie, accoucheuses, guérisseuses et veilleuses de morts, les femmes détiennent un pouvoir qui échappe aux hommes. Dans le Malleus Maleficarum, les femmes sont l’emblème de la luxure : la sorcellerie prend la forme d’une débauche sexuelle où ce ne sont qu’orgies et accouplements contre nature avec le diable. Et Satan peut même les féconder pour qu’elles donnent naissance à des êtres démoniaques. Jules Michelet dans « La sorcière » écrit « pour un sorcier, dix mille sorcières 3», ce qui montre l’ampleur de l’acharnement dont les femmes sont l’objet. 1 Gérard Coulon. La sage-femme en Gaule et dans l’occident romain, in Voyage en Gaule romaine, Arles & Paris, Actes sud, 2011 2 Edward Shorter, Le corps des femmes, Paris, Seuil, 1984, pages 45 et suivantes. 3 Jules Michelet, La sorcière, Paris, Garnier Flammarion, 1993, première édition 1862. Introduction, ligne 3, page 1. Remarque : les dernières sorcières brûlées en France le furent à Bournel (Lot et Garonne) en 1826 et à Camalès (Hautes-Pyrénées) en 1856 ! A tel point que des historiens parlent de « génocide », comme Stéphanie et Edouard Brasey1, et Françoise d’Eaubonne, dans « Le sexocide des sorcières », invente ce mot pour montrer que l’inquisition n’eut de cesse de pousser l’Europe vers un « Männerbund », c’est-àdire un monde sans femme. « Sexocide est le mot juste puisqu’il s’agit, sous prétexte de sorcellerie, d’une misogynie frappant tout un sexe tenu pour responsable du péché originel2». Les sages-femmes vont être persécutées et brûlées pendant de nombreuses années, puis elles vont finir par acquérir un rôle médicolégal important dans le royaume, car elles sont capables de dépister les nombreux infanticides. Enfin les médecins vont superviser leurs pratiques cliniques, puis progressivement leur formation. Le pouvoir des sages-femmes déclinera progressivement et cela jusqu’au XXe siècle, après la seconde guerre mondiale. Les sages-femmes exercent en ville, au domicile des bourgeois et dans les hospices. Mais les conditions d’asepsie dans ces hôpitaux d’alors sont inexistantes : les accouchées sont 4 ou 5 par paillasse, têtes bêches comme des sardines à l’huile dans une boîte, dans des salles communes où elles s’infectent et meurent de fièvre puerpérale (septicémie) dans les suites de couches. Certaines vont s’illustrer, comme madame Marguerite Angélique le Boursier du Coudray3, maîtresse sage-femme (1712-1790), qui fabriquera un mannequin en cuir appelé « la machine », l’original est conservé au musée Gustave Flaubert et d’histoire de la médecine à Rouen, et elle entreprit un tour de France qui l’amena à Caen en 1775 pour enseigner l’art de mettre au monde. « Instruction sur la conservation des enfans à l’occasion d’une sage-femme4» par la sage-femme de la ville de Landelles qui fut formée par madame du Coudray en mai et juin 1775, ainsi que 83 Stéphanie & Edouard Brasey, Traité de sorcellerie, Paris, Pré aux Clercs, 2011. Le génocide des sorcières, page 180 1 2 Françoise d’Eaubonne, Le sexocide des sorcières, ou la genèse mystico religieuse d’un massacre, Paris, l’esprit frappeur, 1999. Lettre ouverte à Jean Paul II, page 1. Aloïs Delacoux, Biographie des sages-femmes célèbres, anciennes, modernes et contemporaines, Paris, Trinquart, 1834, (plusieurs centaines de sages-femmes). 3 4 Maryvonne Goubet-Mahé, « Instruction sur la conservation des enfans à l’occasion d’une sage-femme » in Annales de Normandie, 35e année, Numéro 2, 1985, La femme, maternité bienfaisance, pp 151-164 autres élèves. Ce fut un tel succès que madame du Coudray recommença une seconde formation à Caen au mois de juin de la même année. Madame du Coudray fut une très grande pédagogue et 5000 sages-femmes suivirent son enseignement ainsi que de nombreux chirurgiens. Elle publia son traité « abrégé de l’art des accouchements » en 1759. Louise Bourgeois (1563/64/80 – 1636/44) dite la Boursier car mariée à Martin Boursier, Maître chirurgien et élève d’Ambroise Paré¹, fut la sage-femme attitrée de Marie de Médicis et l’accoucha à 6 reprises. Elle fut rétribuée par le roi Henri IV, 500 couronnes pour la naissance d’un garçon et 300 pour celle d’une fille et fut pensionnée à hauteur de 300 écus, somme considérable pour l’époque puisqu’un chirurgien gagnait 50 écus par an. Mais c’est surtout la première sage-femme à avoir écrit un traité d’obstétrique, publié en 1609, et 3 études sur la stérilité des femmes (1617, 1626 et 1634). Marie Louise Dugès La Chapelle, dite Veuve La Chapelle, (1769 – 1821) fille d’un médecin et d’une sage-femme, fut une enfant précoce puisqu’à l’âge de onze ans et demi elle réussit un accouchement difficile et à quinze ans elle est capable de traiter des cas rares et complexes. Elle fut mariée en 1792 à Monsieur La Chapelle, chirurgien et veuve en 1795. Nommée à la tête de l’hospice de la maternité, elle conçut une école de formation de sages-femmes novatrice dans la transmission des connaissances et laissa un traité « pratique des accouchements » en 3 volumes (1821). Elle fut l’amie de Jean-Louis Baudelocque. I. Rites liés aux satellites de la naissance. Toutes les sociétés, depuis la nuit des temps, ont ritualisé la naissance² et la mort. La naissance, parce qu’elle permet la pérennité du groupe social, à des époques où l’espérance de vie était courte et la survie t r è s aléatoire des mères ainsi que des enfants, revêt une valeur importante. ¹ Il est l’auteur en 1573 d’un traité « Manière d’extraire les enfans hors du ventre de la mère ». ² Cesbron Paul & Knibiehler Yvonne, La naissance en Occident, Paris, Albin Michel, 2004. Il est donc normal que les hommes aient attaché beaucoup d’importance à ce moment fragile et ténu en élaborant des cultes magiques pour conjurer le sort. La société traditionnelle française n’échappe pas à cette tradition de coutumes plus ou moins complexes. Les satellites correspondent aux éléments qui ont une histoire avec le nouveau-né : les membranes, le placenta et le cordon ombilical. Les membranes ovulaires sont faites de l’amnios (interne) et du chorion (externe) qui contiennent le liquide amniotique dans lequel baigne l’embryon, puis le fœtus, relié à la face fœtale du placenta par le cordon ombilical, jusqu’à l’accouchement. Nicole Belmont1 a travaillé sur les « naissances singulières », c’est-à-dire sur des naissances atypiques, très chargées de sens du fait de leur rareté. Ces naissances concernent des caractéristiques du nouveau-né (jumeaux, coiffé, avec une dent, des tâches de vin, etc.) ou des présentations peu courantes (siège complet, césarienne, etc.) qui frappent l’inconscient collectif et ont une influence sur le devenir de l’enfant. Elle va ainsi opposer la naissance coiffée (signe bénéfique) au siège complet (maléfique) en utilisant la symbolique d’un axe de vie (tête en avant) et de mort (pieds en avant). Ainsi pour la coiffe, elle va l’analyser d’abord en terme de protection (comme les vêtements et le couvre-chef), puis en terme phallique (à partir du dieu Cucullus) et montrer, rites à l’appui comme les circoncisions, que la coiffe protège l’enfant et gratifie la mère. Citant Pline, elle montre que la naissance pieds en avant a toujours été signe de mort dans les sociétés et l’enfant qui vient au monde ainsi est condamné à un funeste destin ainsi que son père qui souffre en retour de castration. Nous retiendrons que les membranes protègent celui qui naît ainsi (métaphorique) tout comme celui qui porte sur lui une coiffe séchée en guise de talisman (métonymique). [Les avocats londoniens du XIXe portaient des membranes séchées pour gagner leurs plaidoiries]. La coiffe séchée est pieusement conservée par les familles pour porter chance. Il ne faut jamais la brûler, sinon l’enfant périra de la même manière, ni la mettre dans l’eau pour ne pas qu’il se noie. 1 Nicole Belmont, Les signes de la naissance. Etude des représentations symboliques associées aux naissances singulières. Paris, Plon, 1971. (Recherches en sciences humaines 29).Réédition Brionne, Gérard Monfort, 1983. Le placenta (le gâteau). Les croyances sont directement en lien avec les fonctions nourricières qu’il a vis-à-vis du fœtus. Les traitements sont nombreux et varient de régions en régions. Il permet de rendre les femmes fécondes : en se baignant avec dans une eau vive, elles vont pouvoir être enceintes. Il permet la montée du lait en le plaçant trois jours sous le lit de l’accouchée. Il est aussi le double gémellaire de l’enfant : enterré dans un coin du village, il signe l’appartenance de l’enfant à ce lieu. Le paysan normand l’enterre volontiers dans un champ, un verger ou un potager pour qu’il puisse tirer bénéfice de ses vertus nourricières. En fait les traitements aux éléments sont variés : l’air : séché, il est accroché aux branches d’un pommier pour avoir de bonnes récoltes. On le met sous le lit des jeunes mariés pour qu’ils puissent avoir rapidement des enfants. La terre : il la rend féconde. L’eau : il permet la fertilité des femmes. Pour le feu, c’est uniquement pour éviter des manœuvres de sorcellerie qu’il est détruit. Le cordon. Il est le lien historique entre la mère et l’enfant. On ne retrouve que trois traitements aux éléments. L’air : séché, il est conservé dans une petite boite et donné à l’enfant le jour de ses sept ans. Il va devoir dénouer les extrémités nouées du cordon et en fonction de son agilité, il aura de la chance en santé, en argent, en amour, etc. Il prévoit donc l’avenir de l’enfant. Il peut aussi être cousu dans la chemise ou la blouse de l’enfant. Ainsi celui-ci aura de bons résultats à l’école. Une fois séché, il ne peut plus être brûlé ni noyé, car l’enfant périrait de la même manière. Terre : toujours en Normandie, il protège et rend fertile l’endroit où il se trouve. Feu : pour protéger l’enfant et la mère des sorciers. Pas de traitement à l’eau connu. Pour une étude détaillée des rites, je renvoie le lecteur au livre de Jacques Gélis, « l’arbre et le fruit », pages 282 et suivantes. J. Suites de couches. Dans une société sale (la toilette, le bain et les ablutions ont été totalement puis partiellement interdits par l’église, et par la médecine pendant plusieurs siècles1 de la fin de la renaissance au XVIIIe), où 1 Corbin Alain, Le miasme et la jonquille, Champs, Flammarion, Paris, 1986. Cotelle-Bernède Odile & Charron Monique, L’eau quotidienne et les femmes, petits soucis et grands tracas liés à l’absorption d’eau, Paris, Stock, 1990. Mikaïloff Nathalie, Les manières de propreté : du Moyen-âge à nos jours, Paris, Maloine, 1990. Vigarello Georges, Le propre et le sale, Paris, Points, Seuil, 1992. Vigarello Georges, Le sain et le malsain, Paris, Seuil, 1993. l’asepsie est toujours inconnue, les suites de couches sont très souvent dramatiques. Les survivantes de l’accouchement vont être confrontées aux fièvres de lait (septicémie), aux infections de toutes sortes, aux mutilations et blessures, et elles vont faire mourir en grand nombre. Le tableau dressé par Edward Shorter dans «le corps de femmes» est hallucinant : fièvres gastriques, fièvres purement rhumatismales, fièvres catarrhales, pneumonies, hémorragies et chocs, fièvres entériques, éclampsies, fistules, déchirures, chutes de matrices, etc. et plus tard, l’abus de l’usage du forceps mutilera encore les femmes. Certaines étaient condamnées à mort par les infections et les fistules ano-vaginales (ou recto-vaginales) non soignées, d’autres restaient handicapées toute leur vie durant (périnées complets, incontinences) et enfin leur sexualité était fortement compromise. Et l’hôpital restait l’endroit où les femmes mouraient le plus des suites de couches. K. Les relevailles. Il s‘agit d’un rite religieux important qui a permis aux femmes de se refaire une santé. Rite de quarantaine pour la naissance d’un garçon, il est poussé jusqu’à quatre-vingts jours pour la naissance d’une fille. La femme est donc impure après la naissance pendant quarante ou quatre-vingts jours et cette impureté l’exclut de la société et la protège. Elle ne peut rien faire, sauf s’occuper de son nouveau-né. Pas de cuisine, pas de travaux ménagers, pas de sexualité tellement l’impureté est importante et contagieuse. A la fin de cette période, la femme se rend à l’église où elle est attendue par le prêtre. Rite de purification par l’eau (goupillon) et par le feu (cierge), elle peut enfin réintégrer la société des hommes et de Dieu. Les hommes trouvant cette période d’abstinence trop longue, vont réduire progressivement le rite des relevailles à la manière d’une peau de chagrin, siècle après siècle, pour ne plus exister aujourd’hui. 3. De 1921 à 1968 : le triomphe de la médicalisation. Mais elle reste plus centrée sur la femme que sur le nouveau-né. A. La maîtrise progressive de l’anesthésie. Le 31 mars 1842, le docteur Crawford Long endort pour la première fois un patient à l’éther. Puis en décembre 1844, Horace Wells utilise les effets hilarants du protoxyde d’azote pour arracher une dent. Le 30 septembre 1846 Morton William enlève une dent sur un patient anesthésié avec de l’éther versé sur un mouchoir. Ensuite vint le chloroforme, utilisé jusqu’en 1848, mais les risques de syncopes mortelles sont importants et il est abandonné. Après la seconde guerre mondiale, l’anesthésie devient une discipline médicale autonome à laquelle est adjointe la réanimation. Les techniques d’anesthésie vont progresser durant la guerre de Sécession (1861-1865) et la première guerre mondiale (1914-1918). Ainsi Silas Weir Mitchell (1829-1914) en 1871/72, pendant la guerre de Sécession, travailla sur le « membre fantôme1» et fit des essais d’anesthésie sur les moignons des amputés. Au XXe siècle, la cocaïne est utilisée comme anesthésique local. Revenons à l’obstétrique. L’inhalation de l’éther fit des victimes en Angleterre et en France. Les médecins accoucheurs français furent très circonspects quant à son utilisation et la France prit du retard en anesthésie obstétricale. Le premier décembre 1847, le chloroforme fut utilisé pour la première fois en France pour un accouchement difficile2 à Paris. Puis au Mans le 20 décembre de la même année, un accouchement aux forceps sans aucune douleur fut pratiqué. La reine Victoria accoucha de son huitième enfant Léopold, [duc d’Albany, comte de Clarence et baron d’Arklow], sous chloroforme administré par son médecin le docteur John Snow le 7 avril 1853 et l’expression «accouchement à la reine» est restée. La reine Victoria fut aussi une consommatrice régulière de cannabis, prescrit par ses médecins pour soulager ses douleurs menstruelles. L’usage du chloroforme va soulever des protestations de l’église (« tu enfanteras dans la douleur ») et des académies de médecine. En 1898, le chirurgien allemand Auguste Bier, pratique la première rachianesthésie et Théodore Tuffier fait à Paris, quelques mois après, la première rachicocaïnisation. On assiste alors à un véritable engouement pour cette nouvelle méthode mais appliquée sans discernement, elle entraîne des paralysies et des accidents mortels. En 1901, Fernand Cathelin et Jean-Marie Athanase Sicard font la première anesthésie caudale. En 1921, l’espagnol Fidel Pages Miravé 1 S.W. Mitchell inventa le terme «membre fantôme» et fit de nombreuse expériences sur les moignons avec de l’éther, de la cocaïne, etc. et finit par admettre, comme bien avant lui Descartes, que le phénomène est d’origine centrale et non périphérique. 2 Margueritte Zimmer, Histoire de l’anesthésie, Paris, EDP Sciences, 2008 & Marie-Thérèse Cousin, L’anesthésie-réanimation en France des origines à 1965, tome 1, Anesthésie, Paris, l’Harmattan, 2005. pratique les premières péridurales1 à la novocaïne. En 1938, P. Graffagnino et L.W. Seyler pratiquent les premières anesthésies péridurales lombaires pour obstétrique (single shot) et en 1947, Charles Flowers met au point la péridurale continue en obstétrique. La maîtrise de l’anesthésie va permettre aux femmes d’être réparées par la chirurgie, d’être sauvées de la césarienne et de ne plus mourir en couches et en suites de couches en aussi grand nombre qu’auparavant. B. L’asepsie. La seconde victoire de la médecine concerne l’asepsie. Ignace Philippe Semmelweis (1818 – 1865) médecin obstétricien met en évidence le risque nosocomial dès 1846. Il devine les vrais mécanismes de la contagion des fièvres puerpérales dans une maternité. C’est l’observation des taux de mortalité qui le met sur la piste : les femmes meurent moins en accouchant à leur domicile, à la maternité des sages-femmes de Vienne ou même dans la rue qu’à l’hôpital où il exerce. Il conclut que le portage de particules cadavériques se faits par les mains des étudiants en médecine qui passent des salles de dissection et d’autopsie aux salles d’accouchement sans se laver les mains ni changer de blouses. En mai 1847, il instaure l’antisepsie des mains avec une solution de chlorure de chaux. Semmelweis nous prouve qu’en l’absence de la compréhension exacte du phénomène - il ne connaissait pas les bactéries – il a réussi à instaurer une solution efficace. Mais les médecins et les académies de médecine ne tiennent pas compte de ses découvertes et les rejettent avec un dédain poli pour cinq raisons : premièrement parce qu’ils ne veulent pas admettre être directement responsables de tant de morts, deuxièmement parce que la découverte de Semmelweis allait à l’encontre de la dyscrasie (mauvaise mixture des 4 humeurs fondamentales), troisièmement parce que cette thèse ne reposait sur aucune vérité scientifique (Pasteur et Lister démontrèrent la théorie microbienne quelques décennies plus tard), quatrièmement parce que les idées de Semmelweis semblaient étayées par une conception religieuse de la mort : il fallait se purifier les mains après chaque autopsie et qu’enfin le protocole de lavage des mains durait 5 minutes, jugé trop long par les médecins. Seul, désavoué par tous ses collègues, il fut atteint par la maladie d’Alzheimer. Interné dans un asile privé de Vienne, il devint violent et en réponse, fut battu par le personnel de l’institution. Il mourut de ses blessures rapidement et ironie du sort, l’autopsie confirma effectivement les mauvais traitements qui lui causèrent une La première péridurale non obstétricale date de 1885 et fut réalisée par un américain : James Léonard Coming. 1 septicémie. Semmelweis mourut d’avoir eu raison trop tôt, avant que Pasteur prouve le rôle des microbes. Mais en même temps cette découverte transforme sa triste vie en destin et Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, fera sa thèse de médecine : « La vie et l'œuvre de Philippe Ignace Semmelweis » en 1924 et la republiera ensuite sous le titre « Semmelweis » en 1936. Aujourd’hui les impératifs et protocoles d’asepsie sont intégrés dans les services, les hôpitaux ont tous un service dédié. Mais si l’asepsie sauve les malades et les femmes lors de l’accouchement, le développement des maladies nosocomiales reste un problème très préoccupant (Nosocomial signifie hôpital) dans les services de soins. Nous aborderons ce sujet dans la dernière partie (période 1968-2014). C. La chirurgie réparatrice. Quand on visite le musée «Gustave Flaubert et d’histoire de la médecine» à Rouen, au 51 rue Lecat, on est à la fois fasciné par la beauté des instruments chirurgicaux présentés, fabriqués artisanalement dans des matériaux nobles et on reste frappé d’effroi à l’idée que l’anesthésie n’existait pas à cette époque (l’instrument pour soigner la maladie de la pierre est, à cet égard, très évocateur). Certes les chirurgiens sont intervenus très tôt pour essayer de soigner les blessés : On possède des crânes du Néolithique trépanés et Ambroise Paré, par exemple, pour sauver Henri II blessé (un bout de lance brisée est entré dans le cerveau du roi, juste au-dessus de l’œil droit) lors d’un tournoi le 15 juin 1559, n’hésita pas à reproduire sur quatre têtes de condamnés à mort décapités¹, la blessure du roi, qui finit quand même par mourir dans d’atroces souffrances le 10 juillet 1559. Lors des premières césariennes pratiquées sur les femmes qui bien sûr mouraient, le chirurgien barbier faisait sur le ventre de la future victime, à l’aide d’un fusain, un trait avec des repères pour le recoudre sans faire de plis !² Les hommes ont toujours essayé d’agir en réparant et bricolant les corps abîmés et disloqués, mais ce qui est nouveau maintenant c’est la maîtrise à la fois de l’anesthésie et de l’asepsie. Grâce à ces deux découvertes majeures, la chirurgie va pouvoir sauver des vies à grande échelle. Et la chirurgie obstétricale va elle aussi progresser très rapidement. ¹Michel Peyramaure, Le roman de Catherine de Médicis, Paris, Presses de la Cité, 2002. cf. les pages 125, 126, 134 & 135 où est décrite, avec une précision atroce, la tentative d’Ambroise Paré d’opérer à vif, en présence de Vésale venu spécialement de Belgique, un condamné qui mourut dans d’atroces souffrances : Ambroise Paré enfonça un bout de bois volontairement dans son œil à l’aide d’un maillet et son crâne fut ensuite scié pour pouvoir observer la blessure de l’intérieur. ²La première césarienne sans anesthésie sur femme vivante et réussie eu lieu en 1500, en Suisse, par Jacques Nufer, boucher et châtreur de porcs, sur sa femme Elisabeth Alepaschin. Il obtient de la magistrature locale l’autorisation de tenter la césarienne, car les médecins et les 13 ventrières sollicités déclarèrent tous forfait (Les césariennes uniquement post mortem étaient pratiquées pour sauver et baptiser l’enfant). On dit même que son épouse accoucha ensuite normalement à cinq reprises, dont une fois de jumeaux. In Grand Dictionnaire Universel du XIX°, vol 3, page 810. Mais même si l’asepsie fait d’énormes progrès, il faudra attendre la découverte des sulfamides et des antibiotiques (Sir Alexander Fleming 1929) pour pouvoir agir vraiment. On assiste à une «explosion technologique au XXe siècle1» marquée par l’antibiothérapie, l’endocrinologie, l’hémato-immunologie, les rayons X, les ultrasons, l’imagerie médicale, la biologie moléculaire, l’ingénierie génétique et la surveillance échographique puis électronique de l’accouchement. La mortalité périnatale et la mortalité maternelle ont considérablement baissé en France de 1920 à1970. On estime que le taux de réduction est respectivement de 75% et 98%, ce qui est considérable. Mais il existe d’énormes disparités selon les professionnels (sages-femmes et médecins) et selon les lieux de naissances (domicile, hôpitaux, etc.). Pour les professionnels qui pratiquent les accouchements, les médecins sont ceux qui ont le plus de décès au début du XXe siècle. L’écart entre les décès dus aux médecins et aux sages-femmes est considérable : sur 100.000 naissances en 1920, 33 décès sont imputables aux sages-femmes et 146 aux médecins pour des infections puerpérales2. Cette disparité a plusieurs explications : d’abord les relations conflictuelles entre médecins et sages-femmes qui travaillent sur le même territoire, ensuite le fait que les médecins témoignent d’un intérêt plus tardif que les sages-femmes pour l’asepsie et les techniques d’asepsie. Les médecins sont beaucoup moins « compliants » que les sages-femmes pour suivre les protocoles d’asepsie. Il faut aussi se rappeler la résistance au changement qu’ils ont témoigné face aux découvertes de Semmelweis. Rappelons aussi que les causes de mortalité maternelle sont en premier lieu l’hémorragie de la délivrance, ensuite les éclampsies et les embolies amniotiques, puis les hypertensions artérielles, les infections, les troubles cardiaques et les complications obstétricales. Les femmes riches meurent plus que les femmes pauvres à cette époque pour les mêmes raisons : les riches accouchent avec un médecin, les pauvres avec des sages-femmes ! En résumé il valait mieux accoucher à domicile avec une bonne sage-femme bien formée à l’asepsie qu’à l’hôpital, où l’asepsie n’était pas maîtrisée, avec un médecin qui abusait de forceps, d’épisiotomies, d’anesthésie et des trop fortes doses de calmants, pour justifier ses honoraires3. 1 Fernand leroy, Histoire de naître, page 399 et suivantes. 2 Vincent de Brouwere, René Tonglet & Wim Van Lerberghe, La maternité sans risque dans les pays en développement : les leçons de l’histoire. Studies in Health Sevices Organisations & Policy, N°6, 1997. 3 Loudon I, Death in chilbirth, An international study of maternal care and latrenal mortality, 1800-1950, Oxford, Oxford University Press, 1992. D. Les freins dus à la religion. La religion catholique, encore aujourd’hui, est une institution réfractaire aux progrès et aux changements des sexualités et des méthodes de contraceptions. Concernant la naissance, l’église s’est très tôt assurée des bonnes pratiques des sages-femmes concernant le baptême, car la mort d’un nouveau-né non baptisé est un drame majeur dans la société traditionnelle. L’ondoiement est une cérémonie simplifiée du baptême en cas de risque imminent de décès. Des seringues à baptême intra-utérin furent utilisées pour sauver ces enfants mort-nés de la fosse commune appelée « carré des anges » : grâce à l’ondoiement ils pouvaient être ensevelis dans le caveau familial. Certains clystères à eau bénite portaient à leur extrémité un orifice en forme de croix pour augmenter les garanties de sauvetage de l’âme et de repos éternel1. Cette hantise de l’absence de baptême est telle que nos aïeux imaginèrent des « sanctuaires à répit ». Le répit est, chez l’enfant mort-né, un retour à la vie temporaire le temps de lui donner le baptême avant la mort définitive. Ainsi baptisé, l’enfant allait directement au paradis au lieu d’errer éternellement dans les limbes. Ces sanctuaires, au nombre de 277 en France, ont fonctionné du XIIIe au XXe siècles compris. Le corps du bébé mort était exposé sur un autel consacré à la Vierge Marie. Des prières ferventes, des psaumes, des offrandes avaient lieu tout le temps de l’exposition et l’assistance toute entière guettait le moindre signe de vie. Des gaz, des mouvements saccadés des doigts, voire des bras, des flexions des orteils2, sauvaient le petit mort et sa famille du malheur : il était immédiatement baptisé et pouvait aller au paradis. Cette priorité dogmatique du baptême pour le nouveau-né mourant a toujours contribué à la mortalité des mères déjà baptisées jusqu’au XXe siècle. Souvenez-vous du « Cardinal », film d’Otto Preminger réalisé en 1963 avec Romy Schneider. Il est inspiré directement du livre prémonitoire d’Henry Morton Robinson paru en 1950 et qui raconte l’histoire d’un prêtre Stephen Fermoyle confronté aux grands problèmes qui agitent encore l’église : la sexualité, le célibat des prêtres, le statut de la femme, la science, la foi, les mariages mixtes, etc. Concernant la maternité, il refuse que l’on sacrifie le bébé pour 1 2 Fernand Leroy, Histoire de naître, page 95. American Academy of Neurology. “Spontaneous Movements Often Occur After Brain Death” ScienceDaily, 13 Janvier 2000. Il s’agit de réflexes médullaires qui n’impliquent pas l’activité du cerveau. sauver sa sœur qui meurt en couche, au motif que celui-ci n’est pas baptisé. Les dualismes corps - âme et homme - animal n’ont plus de bases biologiques depuis peu, même si l’église peut encore réfuter les thèses évolutionnistes de Darwin en maintenant toujours l’idée d’une création divine et que cette complexité de la vie est la preuve même de l’existence de Dieu1. Les provocations épistolaires de l’église sont légions. «Que devient l’âme des enfants qui sont morts dans un avortement ?» «Que deviennent les enfants qui meurent sans être baptisés ?» «J’ai fait une fausse couche. Est-ce que ce bébé devient un ange ?» peut-on lire sur le site web «Vienaissante» en 2014. Les pères répondent en faisant référence au «Catéchisme de l’église catholique». Exemple l’article 1261 pour répondre aux deux premières questions : « l’église ne peut que les confier à la miséricorde de Dieu….nous permettent d’espérer qu’il y ait un chemin de salut pour les enfants morts sans baptême». Plus curieux encore le document de 41 pages intitulé «Espérance du salut pour les enfants morts sans baptême» approuvé par le pape Benoît XVI, confirme enfin que les enfants morts sans baptême sont destinés au Paradis. «Ainsi disparaît l’hypothèse théologique des limbes» nées au XIIIe siècle. Concernant les menaces de mort en couches du fait de la grossesse, «le magistère ne s’est pas prononcé de façon explicite sur ces cas limites, qui restent donc ouverts à la discussion des théologiens moralistes… Pourquoi peut-on agir pour sauver la vie de la mère et naissance d’un enfant non viable, qui va rapidement mourir, alors qu’il n’est jamais permis de commettre un mal pour une fin bonne ? 2». Mais si les limbes n’existent plus officiellement, des groupes intégristes prônent encore en 2014 leur existence, comme celle de l’enfer et du paradis…et de l’excommunication. C’est ainsi qu’au mois de mars 2009, l’archevêque de Recife au Brésil a excommunié la mère d’une fillette de 9 ans, enceinte de jumeaux après avoir été violé par son beau-père. Dans la foulée, il a excommunié toute l’équipe médicale qui a pratiqué l’intervention. Le cardinal Giovanni Battista Re, préfet de la congrégation pour les évêques a justifié les excommunications en ces termes : «les jumeaux qu’elle portait avaient le droit de vivre». L’académie pontificale pour la vie (APV) était dirigée à l’époque par Monseigneur Rino Fisichella qui prit parti pour la fillette en ces termes : "Nous sommes de ton côté. [...] Ce sont d'autres personnes qui méritent l'excommunication et notre 1 Suzanne Charles, Et nous sommes nés, tentative d’analyse anthropologique de la sexualité, Laboratoire d’Anthropologie, Revue d’anthropo, Vrije Universiteit Bruxelles, Belgique, 2006. 2 Clarification de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, publiée le 10 juillet 2009 dans L’Osservatore Romano. pardon, non pas ceux qui t'ont permis de vivre1". Cette prise de position suscita des réactions très contrastées : des protestations des défenseurs de la vie de tout être conçu contre des applaudissements des partisans de la liberté de l’avortement. Les anciens ont demandé et obtenu la démission du président de l’académie en juin 2010 après que d’autres scandales éclatent : une conférence sur l’infertilité dégénère après que des spécialistes proposent des méthodes de procréation proscrites par l’église provoquant la colère des plus anciens et un congrès sur les cellules souches a été annulé suite à l’indignation des plus anciens qui dénoncèrent le mauvais choix des intervenants trop progressistes. Bref, l’église est encore un frein puissant contre la modernité et beaucoup d’intellectuels catholiques français ont du mal à suivre. . E. Les progrès sociaux. Le XXe siècle est marqué par d’importants progrès sociaux : (Ne sont présentés que les lois qui sont en lien avec le sujet) 1910 : La durée maximum du travail est limitée pour tous à 10 heures quotidienne. Loi Millerand (socialiste puis centre droit à l'époque de cette loi) sous un ministère d'Aristide Briand libéral. 1918 : Allocations familiales : Émile Marcesche à Lorient janvier 1918 et Emile Romanet à Grenoble 29 avril 1918 (Deux chefs d'entreprises). Généralisées en 1930, sous la présidence du Conseil d'André Tardieu, Centre droit. 1919 : Temps de travail loi du 17 avril 1919 sous la présidence de Clemenceau (radical-socialiste) instaurant la semaine de quarantehuit heures et la journée de huit heures. 1926 ; Fête des mères. 1928 : Assurance maladie et assurance Maternité, sous le ministère de Raymond Poincaré de l'Alliance démocratique. 1929 : projet de généralisation des allocations familiales. 1932 : Allocations familiales généralisées à tous les secteurs. 1936 : Congés payés de quinze jours sous Léon Blum, Front populaire socialiste + radicaux de gauche. 1936 : Semaine de 40 heures sous Léon Blum, Front populaire socialiste et radicaux de gauche. 1936 : Convention collective, sous Léon Blum, front populaire socialiste + radicaux de gauche. 1938 : Allocations de la mère au foyer. 1941 : Comités sociaux d’établissement sous Pétain. Tempête au Vatican, l’académie pontificale pour la vie joue sa tête, Chiesa news, Rome, 8 février 2010 1 1941 : Salaire Minimum Loi du 4 octobre 1941 contenue dans la Charte du Travail. 1941 : Nationalisation des différentes caisses d'assurances santé qui deviendra à la Libération la Sécurité Sociale. 1942 : la Loi du 28 juillet instaure la Médecine du Travail obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés. Sous Pétain. 1945 : 29 avril droit de vote des femmes 1946 : Création du statut de la fonction publique par Maurice Thorez communiste. Généralisation de la médecine du travail à toutes les entreprises par Ambroise Croizat communiste. 1950 : SMIG ancêtre du SMIC, créé sous la présidence de Vincent Auriol socialiste 1956 : Congés payés. Troisième semaine instaurée par Guy Mollet, secrétaire général de la SFIO. 1958 : Assurance chômage sous le gouvernement Pflimlin centriste. 1969 : Congés payés. Quatrième semaine instaurée sous De Gaulle, conservateur. Il est important de souligner le rôle majeur des mouvements féministes pour que l’état reconnaisse la maternité comme une fonction sociale à part entière. Entre les deux guerres mondiales, la politique nataliste de l’état ramène les femmes au foyer et sacralise la fonction maternelle : il faut engendrer, élever de « vigoureux citoyens » pour sauver la France de l’ennemi allemand. (De la même manière, les instructions de l’éducation physique devaient faire des hommes solides et vigoureux pour faire barrage aux envahisseurs Allemands). F. La Russie et l’accouchement sans douleur, ASD. La douleur est un problème récurrent et constant dans l’histoire de la naissance. Il est vrai que dans notre société christianisée, les hommes sont longtemps restés résignés devant la douleur, et ce dolorisme religieux imitant et investissant la souffrance du Christ lors de son supplice sur la croix, l’a érigée en valeur et en promesse pour l’au-delà. Les nombreux proverbes ou dictons de la société traditionnelle sont porteurs d’une terrible réalité : « pas de femme enceinte sans douleur », « les petits os donnent de grandes douleurs », « gémir comme une vache qui fait un veau », « prendre les douleurs », « avoir ses douleurs », etc. Au XXe siècle, l’accoucheur Louis Devraigne1 (1876 – 1946) affirmant qu’il "est facile de suivre le travail par l’allure et les cris d’une femme", 1 Marie-France Morel, Réalités en gynécologie obstétrique n° 67, janvier 2002, p. 31-34 et dans le n° 71, mai 2002, p. 42-46. reprend le même tableau clinique des quatre types de douleurs, en fonction de l’état d’avancement du travail : les "mouches" jusqu’à la dilatation à deux francs, les douleurs "préparantes", accompagnées de cris "déchirants" jusqu’à la dilatation complète, les douleurs "explosives", avec cris sourds et gutturaux du début de l’expulsion et enfin les douleurs "concassantes", lorsque la tête sort. Il n’est jamais question de soulager cette douleur si précieuse pour l’accoucheur car elle est devenue un signe clinique à part entière. Durant la période 1930-1970, des méthodes douces de soulagement de la douleur obstétricale vont voir le jour simultanément en Russie et en Angleterre. En Russie d’abord où Ivan Petrovitch Pavlov (prix Nobel en 1904) élabore la théorie neurophysiologique de l’hypnose pendant les années 1890-1900, puis son élève K.M. Bykov jette les bases de la médecine psychosomatique en 1920 et durant les années 30/40, Illia Velvoski, Nikolaiev et Platonov mettent au point et exposent la méthode d’accouchement « psychoprophylactique » (préparation psychologique permettant d’éviter la douleur) appelée ASD (accouchement sans douleur) connue en France sous le nom de PPO (préparation prophylactique obstétricale). En 1951, Fernand Lamaze (1891-1957) neurologue et obstétricien à la polyclinique des Bluets (maternité des métallos) se rend en Russie à l’institut Ivan-Pavlov : « Ce fut pour moi un véritable bouleversement de voir cette femme accoucher sans aucune manifestation douloureuse…tous ses muscles étaient relâchés…pas la moindre angoisse dans ses yeux, pas un cri, pas la moindre goutte de sueur ne perlait sur son front, pas une seule contraction du visage. Et le moment venu, elle a fait les efforts de pousser sans aucune aide, dans un calme absolu…Après avoir été le témoin d'une chose pareille, je n'avais plus qu'une préoccupation : transplanter cela en France et… cela devenait pour moi une idée fixe » 1. Et de retour en France il met au point l’accouchement sans douleur. «Je n'ai pas connu mon grand-père, mais on m'a élevée dans sa légende : Fernand Lamaze a été un accoucheur comme il n'en existe plus, entièrement dévoué à son métier et à la cause des femmes, donnant la vie comme on donne l'absolution, par goût du sacerdoce ". " Médecin accoucheur à la clinique du Belvédère mais aussi à celle des Métallos, aux Bluets, sa liberté n'avait pas de prix. En 1951, à la suite d'un voyage en Union soviétique, il osa s'attaquer à l'un des grands tabous, le biblique précepte de l'enfantement dans la souffrance, et, malgré les attaques du corps médical, introduisit en France la méthode 1 Fernand Lamaze, interview dans la revue des travailleurs de la C.G.T., juin/juillet 1953. dite de " l'accouchement sans douleur ", ouvrant ainsi la voie à tous les autres combats. " " Mon grand-père était un héros, en somme, figé pour l'éternité. Mais qui se cachait véritablement derrière cette image d'Épinal ? " " Je suis partie à sa recherche. J'ai exploré chaque piste, interrogé les derniers témoins, fouillé les mémoires. Au fur et à mesure que j'avançais, les pièces du puzzle ne coïncidaient plus. Mon personnage se dérobait, me forçant à le traquer dans ses plus intimes retraites. " " Au terme de cette enquête, des zones d'ombre subsistent, mais Lamaze en ressort grandi, plus humain par ses faiblesses et ses contradictions, illuminé par un rêve qui le dépasse, celui de permettre aux hommes de vivre comme il voulait les faire venir au monde, sans douleur »1. En 1952, 500 ASD sont réalisés aux Bluets. Et malgré les réticences des médecins catholiques et traditionalistes attachés à la lettre à l’Ancien Testament, des médecins conservateurs opposés à Fernand Lamaze, des gestionnaires trouvant la méthode trop coûteuse et enfin de l’église par le pape Pie XII opposé à l’ASD (il donnera son accord en 19562), très rapidement, devant l’engouement des femmes pour cette méthode d’accouchement, des cours de préparation vont être proposés et pris en charge par la sécurité sociale dès 1956. Il faut aussi souligner les paradoxes de l’ASD : importé par un Français en pleine guerre froide avec la Russie, propagé par les communistes métallurgistes de la C.G.T. qui sont tout sauf des féministes, ce sont des hommes (Lamaze, Read et Vellay) qui sont à l’origine, comme déjà aux XVIIe et XVIIIe siècles, et non des femmes, à la promotion de cette méthode pour que les femmes ne souffrent plus. Mais ne souffrent-elles vraiment plus avec l’ASD ? Le but essentiel de cette préparation est de démystifier l’accouchement (on visite une salle de travail, on dispense des connaissances 1 2 Caroline Gutmann, le testament du docteur Lamaze, Paris, J-C Lattes, 1999. Pie XI, Esquisse de la nouvelle méthode 1956. L’Eglise dans ce texte donne un avantage à Grantly Dick Read, estimant « qu’il ne s’appuyait pas comme eux (Lamaze) sur la conception matérialiste » page 1. «En ce qui concerne l’extension et le succès de la nouvelle méthode (appelée méthode psycho prophylactique), on prétend qu’en Russie et en Chine, elle a déjà été utilisée pour des centaines de millier de cas. Elle s’est implantée aussi en divers pays de l’Occident : plusieurs maternités municipales auraient mis à sa disposition des sections particulières. Les maternités organisées exclusivement selon des principes seraient jusqu’à présent peu nombreuses en Occident ; la France, entre autres, en a une (communiste) à Paris ; en France également deux institutions catholiques, à Jallieu et Cambrai, ont adopté complètement la méthode dans leurs services, sans sacrifier ce qui avait fait ses preuves antérieurement. Quant au succès, on affirme qu’il est très important : 85% à 100% des naissances survenues de la sorte auraient été réellement indolores»p.2. anatomiques et physiologiques) et surtout d’associer activement la femme à son accouchement. Le travail respiratoire entre les poussées (respiration haletante rapide : hyper ventilation) entraîne une hypo oxygénation paradoxale du cerveau, par vasoconstriction des petits vaisseaux sanguins, provoque une diminution de la pression partielle de dioxyde de carbone dans les poumons, et donc dans le sang artériel, et une modification du pH sanguin (alcalose respiratoire). Cela peut provoquer des hallucinations, des sensations de planer, d’états de transe et avoir donc un rôle direct sur le vécu de la douleur. Mais, revers énorme de la médaille, le fœtus lui aussi souffrait d’hypoxie impossible à évaluer objectivement à l’époque mise à part le score d’APGAR1 qui souvent annonçait 6 à 7 sur 10, signe d’une souffrance. Il faut se souvenir que l’ASD était un véritable « examen de passage » évalué et noté par la sage-femme. Mais cette évaluation portait plus sur la douleur observée que ressentie. La bonne élève réussissait son examen quand elle se pliait totalement aux injonctions de l’accoucheur et semblait ne pas souffrir. « En pratique, il fut constaté que 20 à 30% des accouchées rendent compte d’un travail sans douleur notable. Ce pourcentage correspond à ce qui peut être considéré comme un effet placebo 2». L’ASD fut remplacé par la psychoprophylaxie obstétricale (P.P.O) et actuellement les femmes respirent amplement et profondément sans haleter rapidement comme avec l’ASD. Et elles sont beaucoup plus à l’écoute de leur propre corps qu’auparavant. Elles font de la relaxation et de la gymnastique douce. A. L’Angleterre et l’accouchement sans crainte, ASC Le docteur Grantly Dick Read (1890 – 1959) est le promoteur d’une technique d’accouchement sans crainte (ASC), ou sans peur, en Angleterre dès 1942. Mais les aléas de la traduction de son ouvrage « childbirth without fear » [accouchement sans crainte] font qu’il a été traduit en Français par « l’accouchement sans douleurs », presque comme la technique précédente du docteur Fernand Lamaze « l’accouchement sans douleur ». 1 Score d’APGAR. Virginia Apgar, en 1952, propose une évaluation du nouveau-né 60 secondes après sa naissance, ainsi qu’à 5,10, 15 et 20 minutes après si besoin. 5 éléments spécifiques sont notés 0,1 ou 2 points. La note maximale totale est donc 2 pts x 5 = 10. (Rythme cardiaque, respiration, tonus, couleur de la peau, réactivité à la stimulation) signe d’une parfaite adaptation, alors qu’un score ≤ à 7 réfère à une détresse. 2 Fernand leroy, Histoire de naître, page 397 Il s’agit d’une méthode d’accouchement naturel « psychophysique » en réaction à l’utilisation systématique de l’anesthésie dans les pays anglo-saxons. Sa technique sera très suivie aux U.S.A., bien moins en Angleterre et très peu en France (La traduction française date de 1953, contre 1944 pour l’édition aux Etats-Unis). En 1959, l’Osservatore Romano (journal et organe officiel du Vatican) «estima que cette méthode n’est pas contraire aux enseignements de la Bible1» Les deux méthodes de préparation à la naissance (ASD et ASC) ne sont pas très éloignées l’une de l’autre. Dans les deux cas, il est important de souligner que ce sont les médecins eux-mêmes qui, dans un premier temps, vont préparer les femmes à ces méthodes. Qu’ils vont, et c’est très rare en médecine, transmettre leur savoir aux femmes. La différence essentielle entre ces deux méthodes réside dans le titre même : sans douleur pour l’ASD et sans crainte pour l’ASC, la méthode anglaise étant plus proche de la réalité. Conclusions. Cette période (1921-1968) est celle des grands bouleversements technologiques, médicaux et sociaux de notre pays. Mais cette hyper médicalisation qui pointe, tout en sauvant les femmes et les enfants, va avoir un effet pervers : elle va confisquer aux femmes ces gestuelles et pratiques de grossesse et d’accouchement qu’elles avaient construites siècle après siècle et les déposséder d’une culture du corps de la naissance qu’elles n’ont plus aujourd’hui. Cette prise en charge médicale va aussi modifier les représentations collectives de la grossesse et de l’accouchement. La première est devenue une forme particulière de « maladie » et la seconde une sorte d’ « opération » chirurgicale. 4. De 1968 à 2014 : Une place pour l’enfant avec la naissance sans violence (NSV) ; puis, enfin, une place pour le père : le couple. A. La révolution psychologique et psychanalytique. Les années soixante vont être les années dédiées au développement et à la reconnaissance de la psychologie et de la psychanalyse. Le 1 Accouchement «sans douleur» au point de vue psychiatrique. A.S.D. : aspects théoriques et pratiques de l’accouchement «sans douleur» par Anne Mélotte-Athmer, suivi du Discours pontifical d S.S. Pie XII commenté par Mr le Chanoine Heylen, Professeur à l’Université de Louvain, Bruxelles, Turnhout, Brespol, 1959. grand public commence à se familiariser et à accepter ces discours par le truchement de personnes médiatisées comme Françoise Dolto. En effet dès 1950, elle participe avec d’autres spécialistes à une première émission radiophonique sur l’éducation sexuelle des enfants dans le cadre de l’émission « la tribune de Paris » à la RTF. Puis, sur Europe 1, elle anime durant l’année scolaire 1968/69 une nouvelle émission où elle répond en direct aux auditeurs sous le pseudonyme de « Docteur X ». Enfin sur France Inter, avec Jacques Pradel, elle animera la fameuse émission « lorsque l’enfant paraît » d’octobre 1976 à 1978, en répondant en différé, cette fois-ci, aux auditeurs. (cf. la parole de Dolto page 35). Bernard This1, dès 1972, avant Frédérick Leboyer, proposera une nouvelle lecture et une vision novatrice de la naissance. Mais il n’y a pas que les sciences humaines qui se développent. La société française, avec les « événements » de mai 68, change, elle aussi, en profondeur. Un clivage, un fossé semblent séparer la jeunesse des « vieux bourgeois réactionnaires». La libération sexuelle, commencée aux USA avec Herbert Marcuse (1898-1979), philosophe et sociologue engagé, qui avec « Eros et civilisation » [1958 pour la traduction française] puis « l’homme unidimensionnel » [1968 pour la traduction française], incarnera, au même titre que Michel Foucault, l’espoir d’un renouveau de la critique sociale. Avec le succès des mouvements contestataires estudiantins de la plupart des pays occidentaux : USA, France, Allemagne, Japon, Pologne, Angleterre, Grèce, Portugal, Espagne, etc., notamment de la politique étrangère américaine (VietNam) et Russe (invasion de Prague), avec les luttes féministes, les cultes du corps, l’objection de conscience face à l’armée, la culture jeune (avec sa musique, son cinéma, sa littérature, etc.), tout cela ébranlera la société française qui se retrouvera au bord d’une guerre civile (de Gaulle s’est rendu à Baden-Baden le 29 mai 68 rencontrer les chefs militaires, dont le Général Massu, qui l’ont assuré de leur loyauté et un P.C. opérationnel fut même établi à Verdun au cas où des troupes françaises ramenées d’Allemagne auraient à intervenir2). 1968 c’est aussi la parution du « livre blanc de la médecine ». La psychologie se démocratise, les discours sociologiques s’adaptent à une société en crise, des philosophes prennent la parole (il est interdit d’interdire) et s’activent comme Jean-Paul Sartre, les intellectuels se mobilisent (Gilles Deleuze, Louis Althusser, Pierre Bourdieu, Roland Barthes, Jacques Derrida, etc.) et pour la psychanalyse, Jacques Lacan provoque une scission au sein de l’Ecole Freudienne de Paris (EFP) qui sera dissoute en 1981. 1 Bernard This, Naître, Paris, Aubier Montaigne, 1972 2 Le Monde 2, « De Gaulle rencontre Massu à Baden-Baden », 22 mai 208. Dans plusieurs villes universitaires, des facultés se déclarent autonomes et des universités modifient leur statut dans un sens plus démocratique. La loi Faure du 12 novembre 1968 supprime les facultés au profit des U.E.R. et les études sont réorganisées en unités de valeur. Les étudiants vont pouvoir enfin siéger dans les conseils d’U.E.R. et d’Universités. Le centre universitaire expérimental de Vincennes engagé fortement à gauche, créé par Edgar Faure, ministre de l’éducation, fonctionnera sur le principe de l’autogestion. Georges Deleuze ainsi que Michel Foucault, entre autres, y enseigneront, et il sera finalement démoli en 1979. Si les universités ont été organisées en U.E.R. il est à noter que les disciplines juridiques (Droit), Pharmaceutiques et Médicales ont conservé leurs facultés avec à leur tête des doyens jusqu’à la création des U.F.R. en 1984. On parle aujourd’hui de l’U.F.R. de médecine, mais le Président élu se fait encore appeler doyen. Les effectifs d’étudiants explosent à l’université grâce à une démocratisation de la société mais ne nous leurrons pas : si les étudiants des classes moyennes accèdent à l’enseignement supérieur, ceux des classes favorisées se tournent vers le privé. Dans les années quatre-vingt, des émissions à caractère « psychologique » apparaissent dans l’univers télévisuel. « Psychow » de Pascale Breugnot avec le concours du psychanalyste Serge Leclaire en 1983, se proposait de faire une psychothérapie en direct, mit la France entière en émoi : le pompiste éjaculateur précoce de la première émission eut son heure de gloire le lendemain avec des kilomètres de queue à sa station-service pour signer des autographes. Et le bébé se mit à passionner la France. Heureusement des émissions plus sérieuses comme «le bébé est une personne»1 de Bernard Martino, diffusée en trois épisodes (1985) eut une audience très forte et un impact considérable dans la société. Daniel Karlin et Tony Lainé présentent, entre autres documentaires, « l’amour en France » en 1990, une chronique bien française sur la sexualité en dix épisodes2. De nos jours la psychologie est partout à la télévision : Serge Hefez, Serge Tisseron, Claude Halmos, Didier Pleux, Gérard Miller, Christophe André, Marcel Rufo, etc. interviennent régulièrement dans des émissions variées et à des heures de grande audience. D’autres émissions très discutables, telles celles de Didier Destal, Mireille Dumas, Jean-Luc Delarue, Jacques Pradel et Sophie Davant (même si elle s’entoure de psychologue comme Yvonne Poncet-Bonissol par exemple), sévissent aussi, mais « ne respectent pas la déontologie des psy, parce qu’ils ne la connaissent pas » (Serge Tisseron). Ces secondes séries d’émissions, très prisées par les téléspectateurs, sont 1 Martino Bernard, Le bébé est une personne, Paris, Balland, 1985. 2 Karlin Daniel & Tony Lainé, L’amour en France, Paris, Grasset, 1989. dans l’air du temps : exhibitionnistes, intrusives, souvent superficielles, quelquefois dangereuses, elles donnent de la psychologie une image tronquée et déformée, consumériste et « bling-bling » (le psychologue clinicien ou le psychanalyste sont rarement sous les projecteurs, par discrétion et nécessité professionnelle). Le phénomène n'a pas échappé à Sylvie Nerson-Rousseau (1948-2001), psychanalyste. «Conditionné sous forme de kits, adaptable en toutes circonstances, le discours psy tend à représenter la solution à tous nos malheurs1», «le recours aux « psys » va croissant…les individus y font de plus en plus souvent appel dans l'espoir de trouver des solutions ailleurs insatisfaisantes ». La psychanalyse était à l’époque de Sigmund Freud subversive2, aujourd'hui elle est devenue l'affaire de tous. La vague psy s'est installée, elle est à la mode et sans doute va-t-elle durer. B. La neurobiologie des émotions et la chimie de la naissance. Les Neurosciences représentent actuellement un secteur majeur de la biologie et sont porteuses d'enjeux essentiels dans le domaine de la Santé. Ces dernières années des succès spectaculaires ont été obtenus grâce, en particulier, à l’introduction de modèles animaux variés sur le plan phylogénétique, à l’élaboration d’outils de la biologie moléculaire et de la génétique de plus en plus fins, aux progrès majeurs de l'imagerie cérébrale et au développement de nouveaux outils mathématiques et de modélisation. Ces nouvelles approches ont transformé, en profondeur, aussi bien les analyses au niveau moléculaire que l'étude des fonctions physiologiques les plus élaborées du cerveau, et, plus largement, du système nerveux. De plus, dans les années 80, on a vu s'amorcer un grand mouvement de synthèse entre les neurosciences, l'éthologie, la psychologie cognitive, la neuropsychologie, et l'imagerie cérébrale. Nous allons nous limiter à l’étude rapide de la neurobiologie et de la neuropsychologie (qui sont deux branches des neurosciences) dans les domaines particuliers de l’amour, des émotions, du lien, de l’attachement et du très grand amour et nous montrerons que la 1 Nerson-Rousseau Sylvie, Le divan dans la vitrine, la psychanalyse à tort et à travers, Paris, Nil éditions, 2000 2 Les théories sexuelles infantiles, d’une part, et le fait que les troubles psychiques comme les névroses n’empruntent pas les voies royales de l’anatomie, d’autre part, ont été perçus comme étant de la subversion par les familles et par la médecine de l’époque. relation mère bébé peut se construire et fonctionner comme un coup de foudre amoureux. Aujourd’hui, grâce à la neuro-imagerie, nous sommes en train de donner raison aux Balinais pour qui l’amour est, d’une manière ancestrale et traditionnelle, une forme particulière de « maladie », voire de « folie ». Les travaux récents menés par l’équipe du docteur Francesco Bianchi-Demicheli, psychiatre et sexologue au CHU de Genève en collaboration avec Stéphanie Ortigue1, chercheuse à l’Université de Syracuse à New York. Lorsqu’un « coup de foudre » arrive, c’est la presque totalité du cerveau qui s’agite. Les aires émotionnelles se réveillent bien sûr, mais l’amour n’est pas qu’une simple émotion, car les aires les plus évoluées, où se font les processus les plus complexes, s’éveillent également. L’amour est un réseau distribué dans le cerveau, c’est un processus dynamique. Sous l’effet de la passion amoureuse, une douzaine d’aires cérébrales sont directement activées. Le système cognitif est en mouvement ainsi que les aires de la motivation et de la récompense, celles de la cognition sociale. Les aires en lien avec la peur ou l’agressivité se désactivent sous l’effet de l’amour. Les réseaux de l’attention et surtout l’aire du « self », i.e. de la conscience s’activent elle aussi (formation réticulée, thalamus, cortex préfrontal, et dans les aires associatives postérieures de l’hémisphère dominant ou langagier: le gyrus cingulaire postérieur et le précunéus ; et le cortex rétroplénial). Enfin le gyrus angulaire (lobe pariétal du cortex cérébral) impliqué dans les processus mathématiques les plus complexes et dans ceux du langage les plus élaborés comme la sémantique se réveille lui aussi. Le coup de foudre est donc un mécanisme très complexe que notre cerveau va traiter à partir des sensations physiologiques et psychiques, mais aussi à partir du vécu de la personne, des concepts culturels, et plus généralement d’une expérience personnelle ancrée dans la mémoire. Les effets physiques de l’état amoureux sont les suivants : Le rythme cardiaque augmente, car le cerveau envoie des messages au cœur, le faisant battre plus vite dans le but de faciliter la circulation sanguine, et permettre ainsi un bon approvisionnement des organes et assurer qu'ils fonctionnent le plus efficacement possible. Les joues rougissent à cause de la vasodilatation, conséquence directe de l'accélération du rythme cardiaque. Les lèvres de la bouche subissent également ce phénomène, elles deviennent plus roses, pulpeuses, et surtout plus attrayantes. 1 Francesco Bianchi-Demicheli, Stéphanie Ortigue et Georges Abraham, Sexologie, Naissance d'une science de la vie, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2012. L'augmentation de la température interne peut faire transpirer. La voix de l'homme devient plus grave afin de mieux séduire la femme. Il a été en effet prouvé que la voix occupe 37% de la compréhension de la conversation, et que l'on fait plus attention à une voix grave qu'une voix aiguë. La pupille se dilate (mydriase) avec une augmentation possible du volume jusqu'à 4 fois. Les pupilles dilatées sont très stimulantes, et entraînent une dilatation synchrone de celles du partenaire. Les mouvements sont ralentis, plus doux et langoureux. La femme se passe la main gauche dans les cheveux et ce geste dure trois fois plus longtemps que d’habitude, il s'accompagne de 7 fois plus de sourires que s’il était fait avec la main droite. Inconsciemment, on cherche à attirer le regard de l'autre en posant nos mains sur des endroits de notre propre corps que l’on considère comme importants. C’est une façon discrète mais très efficace d'attirer l'attention du partenaire. Les principales hormones impliquées dans la relation amoureuse sont : a/ Les endorphines (ex endomorphines) sont des composés opioïdes endogènes sécrétés par l’hypophyse et l’hypothalamus. Les enképhalines agissent contre la douleur, les α-endorphines sont antalgiques et tranquillisantes, les γ-endorphines régulent les comportements agressifs et les β-endorphines sont euphorisantes et sédatives. Elles ressemblent à des opiacées car elles sont analgésiques et procurent du plaisir : elles sont fabriquées dans certains cas bien particuliers comme, par exemple, quand nous sommes attirés physiquement par une personne. Elle agit comme les amphétamines, en réduisant l'appétit et les besoins de sommeil, et en provoquant de l'euphorie, de la bonne humeur, de l'optimisme et de l'hyperactivité. Elle supprime aussi l’inhibition. Ces effets sont semblables à ceux d’une drogue : elles combattent le stress, sont bénéfiques pour la santé et sont sécrétées au moment de l’orgasme, provoquant une sensation de relaxation et l’envie de dormir qui suit. b/ Les phényléthylamines (ou PEA), sont des alcaloïdes monoaminés qui jouent le rôle de neurotransmetteurs dans le cerveau. Les phényléthylamines substituées peuvent être des alcaloïdes, des hormones, des neurotransmetteurs, des stimulants, des substances hallucinogènes, anorexigènes et antidépresseurs. Les PEA ont des effets euphorisants, excitants, conduisent à l’hyperactivité et rendent « aveugle » : l’être aimé est parfait et n’a aucun défaut. On la retrouve aussi dans le chocolat. c/ La sérotonine est une hormone locale, servant de neurotransmetteur dans le système nerveux central. Elle nous permet de rester optimiste, d’être de bonne humeur et de garder notre calme. Pour produire cette hormone, il faut des acides aminés présents dans notre alimentation. Son taux baisse quand on ne se nourrit pas assez, ce qui explique notre mauvaise humeur et notre agressivité quand nous avons faim. d/ La dopamine est l’hormone de la récompense. Dès que nous faisons du bien à notre corps en le nourrissant, l’abreuvant, le reposant, etc. la dopamine est fabriquée pour nous gratifier de la bonne action que nous venons de lui faire. Elle nous donne des sensations de puissance et d’énergie dans la sexualité. e/ L’ocytocine (ou oxytocine), est l’hormone de l’attachement. Elle est produite en grande quantité au moment de l’orgasme. Elle procure un sentiment de bien-être et d’apaisement, de confiance et d’optimisme. Elle est sécrétée en très grande quantité au moment de l’accouchement et de l’allaitement. Excellente pour la santé, elle fait diminuer le stress. f/ La vasopressine est une hormone qui a un effet vasoconstricteur et augmente la pression artérielle favorisant l’érection chez l’homme. Elle joue un rôle important dans l’attachement entre partenaires sexuels. Chez le campagnol, en l’absence de résultats chez l’homme, elle augmente les comportements de fidélité des mâles et leur implication auprès des petits. g/ La lulibérine est une hormone sécrétée par l’hypothalamus qui, lorsqu’elle est produite prépare notre corps à l’amour et a un effet coupe-faim sur notre organisme (vivre d’amour et d’eau fraîche). Quand la lulibérine arrive, la faim quitte notre hypothalamus et notre personne : la lulibérine et l’amour sont donc des coupe-faim naturels qui font maigrir (Gérard Apfeldorfer, psychiatre et psychothérapeute, spécialiste des troubles alimentaires, auteur de « mangez en paix », Odile Jacob, 2008). h/ Enfin la testostérone, ou androgène, que l’on appelle à tort l’hormone sexuelle « mâle », mais qui, lors d’un rapport sexuel, est produite chez la femme comme chez l’homme, augmentant ainsi la circulation sanguine dans les organes sexuels, déclenche le désir sexuel. C’est l’hormone de la sexualité et de l’agressivité que les deux sexes possèdent en abondance. Elle est produite dans les testicules, les ovaires et les glandes surrénales. On la compare souvent à un carburant chimique qui va alimenter le moteur sexuel du cerveau (Dr Louann Brizendine «Les secrets du cerveau féminin, [the female brain ]», Editions Le Petit Livre de Poche, 2006). Nous remarquons qu’il y a, dans la chimie de l’amour, beaucoup de doublons. Cette multiplicité de production d’hormones aux effets presque identiques est certainement une sécurité cérébrale pour la reproduction1. Nous intégrerons la chimie de l’attachement avec la naissance sans violence. Précisons aussi que « l’odorat est le sens le plus mystérieux…à la fois le plus cérébral…tout en étant le plus instinctuel ²». B. Les combats féministes et les (derniers ?) acquis sociaux. Les combats féministes dans les années soixante-dix ont permis, après d’âpres luttes, le vote de la loi de 1975 sur l’avortement. Le slogan : « un enfant si je veux quand je veux» devient enfin une réalité. Les bouleversements sociaux qu’implique la loi Veil sont énormes et renversent le rapport de force entre les hommes et les femmes. En premier lieu, la maternité contrainte du passé est remplacée par le désir d’enfant (Sauf que le nombre d’IVG ne bouge pas en France depuis 1975). Maintenant les femmes n’existent plus à l’ombre des pères, c’est l’inverse qui se produit, car les hommes deviennent tributaires de la volonté des femmes pour accéder à la paternité. En second lieu, la famille change de structures dans ces années soixantedix : le divorce augmente, les familles monoparentales apparaissent et les naissances hors mariage se multiplient. Après quarante ans de luttes et de mouvement de libération, les Françaises ont transformé la société, ont changé les rapports hommesfemmes, ont modifié les fonctions paternelles et maternelles, même si beaucoup de choses restent encore à faire Une grande histoire en trois moments : Celui de la découverte, celui des contradictions et celui enfin de la réflexion et du bilan³. Mais l’inégalité sociale au travail, entre les hommes et les femmes, perdure : les femmes sont toujours surreprésentées dans les emplois non qualifiés (61% sont des femmes et seulement 6% sont cadres). Et l’écart entre les salaires masculins et féminins est toujours important. Mais les choses commencent à changer : de plus en plus de femmes dirigent leur petite entreprise (18 à 30% en quinze ans). Et même si, paradoxalement, les femmes réussissent mieux certaines études longues et difficiles comme la médecine par exemple, elles sont moins de femmes médecins à pratiquer que les hommes. 1 Jean-Didier Vincent, La Biologie des passions, Paris, Odile Jacob, 1986 & Michel Odent, L’amour scientifié, les mécanismes de l’amour, Bernex-Genève & Saint Julien en Genevoix, 1999. ² Tobie Nathan, Philtre d’amour, Paris, Odile Jacob, 2015. ³ Françoise Picq, Libération des femmes, quarante ans de mouvement, Brest, Dialogues, 2011. Concernant les comportements maternels, Marcela Iacub1, juriste et essayiste, suggère une déconstruction possible de la prévalence de la mère dans l’attachement parental. Elle regrette la prééminence du biologique pour établir la filiation. En brillante juriste, elle regrette l’ancien code civil de 1804 (code Napoléon) à celui de 1970, supprimant le chef de famille remplacé par une autorité parentale conjointe. L’égalité des droits des enfants nés hors mariage avec ceux nés d’un couple a été proclamée en 1972 et en 1975 et la loi sur le consentement mutuel rend le divorce plus facile. Le PACS et le concubinage reconnu datent de 1999, et enfin le mariage pour les personnes du même sexe en 2013 (mariage pour tous). Ce qui change avec ces nouvelles lois par rapport au code Napoléon : La femme en se mariant restait mineure avec une capacité juridique restreinte, sauf pour ses propres affaires si elle était mariée sous le régime de la séparation des biens, et les enfants adultérins, non reconnus n’avaient aucun droit. Mais, écrit-elle, et c’est le plus important dans son analyse, les enfants d’avant ne naissaient pas du ventre de leur mère, mais bien du mariage et fondait la filiation non sur la nature, mais sur la seule volonté. On parlait autrefois de filiations légitimes ou illégitimes, aujourd’hui on parle de vraies filiations fondées sur le corps et de fausses filiations, comme l’adoption, fondées uniquement sur la volonté. Voici enfin les dernières modifications législatives votées depuis 1970 : 1971 : Formation Professionnelle Continue, sous de Pompidou conservateur. la Présidence 1975 : Assurance Vieillesse, pour tous, Ministère Chirac, sous la présidence de Giscard, conservateur. 1982 : Congés payés, Cinquième semaine par Pierre Mauroy, sous la présidence de Mitterrand socialiste. 1 Marcela Iacub, L’Empire du ventre : Pour une autre histoire de la maternité, Paris, Fayard, 2004. 1982 : Temps de travail, ordonnance n°82-41 instituant la semaine de trente-neuf heures sous Mitterrand. 1983 : Retraite a 60 ans, sous la présidence de Mitterrand socialiste. 1998 : Temps de travail, loi Aubry du 13 juin 1998, instituant la semaine de trente-cinq heures, socialiste. 2000 : Temps de travail, loi Aubry du 19 janvier, trente-cinq heures. On constate un essoufflement et un ralentissement évident du nombre de lois votées, sans tenir compte des modifications ultérieures, dans cette période contemporaine. C. Les années bonheur : Les Bluets, les Lilas, Pithiviers et les autres. Les années bonheur naissent à la suite de mai 68. Un nom, un seul au début, fera entendre une voix nouvelle, un discours « subversif » en obstétrique : il s’agit du docteur Fréderick Leboyer, né en 1918, qui après avoir mis au monde des milliers d’enfants, à l’hôpital d’abord puis dans une clinique de Neuilly-sur-Seine, selon les protocoles de l’époque, va, à partir de 1973, révolutionner la manière de mettre au monde. Ancien interne des hôpitaux de Paris et ancien chef de clinique à la faculté de médecine de Paris, il décide d’abandonner l’exercice de la médecine et démissionne de l’ordre des médecins et s’inscrit à la société des gens de lettres pour devenir écrivain et se consacrer à l’écriture. Sa méthode, qui s’appellera à tort « Leboyer » par le grand public, se retrouve plus dans le titre de son ouvrage de 1974 : « pour une naissance sans violence ». En fait, ce qui lui a permis de construire cette réflexion sur la naissance se résume en deux choses : a/ les découvertes de la psychologie de l’époque sur la sensorialité des nouveaux-nés, les hypothèses concernant la douleur du nourrisson, les écrits psychanalytiques d’Otto Rank concernant le traumatisme de la naissance, les travaux de René Spitz sur les privations maternelles et l’hospitalisme, ceux de John Bowlby sur les effets des carences de soins maternels, l’éthologie avec Harry Harlow et les macaques privés de mères, Emmi Pickler et sa pouponnière révolutionnaire de Loczy, Arthur Ianov et le cri primal, etc. toutes ces recherches novatrices vont bousculer son regard qu’il porte, en professionnel de la naissance, sur les bébés. b/ une analyse didactique qu’il effectuera et qui lui fera revivre les traumatismes de sa propre naissance, ainsi qu’un voyage initiatique en Inde, en 1962, où il s’initie à L’Adhyatma Yoga (Yoga vers le Soi) auprès de Swâmi Prajnanpad (ancien professeur d’université réfugié au Bengale, 1891-1974) C’est un des tous premiers lecteurs orientaux de S. Freud. Il invente entre « vedânta » et psychanalyse, un style particulier de psychothérapie qui est une aventure spirituelle. Cette rencontre le marquera profondément, lui, Denise et Arnaud Desjardins (en 1964) qui nous ferons connaître ce maître spirituel à travers plusieurs ouvrages qu’ils lui consacreront1. Les entretiens qu’ils avaient avec le maître s’appelaient tout simplement des « sittings » et quand une émotion surgissait, il les faisait s’allonger, de là est né le « lying ». De retour à Paris, totalement transformé par cette rencontre, il renonce aux accouchements traditionnels de Neuilly et va expérimenter, pendant sept ans, une nouvelle manière d’accueillir le bébé. Quand il est certain que sa méthode est sans danger pour les nouveaux nés et après avoir donné sa démission à l’ordre des médecins, il publie « pour une naissance sans violence » qui deviendra un best-seller traduit dans de nombreux pays. En même temps que le livre, paraît « naissance », film de 20 minutes, réalisé par Pierre-Marie Goulet qui nous montre une NSV en temps réel 2. Les réactions, très violentes, des anciens confrères obstétriciens ne se firent pas attendre. Réquisitoires d’autant plus violents que l’obstétrique commençait à développer son hyper technicité (monitoring, péridurale, etc.) et que la douleur du nouveau-né n’intéressait personne. Elle semblait donc impossible à concilier avec la NSV. Comme le souligne Marie-France Morel, les promoteurs historiques de l’ASD français, comme Pierre-André Chadeyron, auteur en 1971, de la petite fantasmagorie pour une femme enceinte, n’ont pas du tout adhéré à la méthode de Fréderick Leboyer, la trouvant trop "psy" à leur goût…. Et le cas du docteur Bernard Séguy, rapporté par MarieFrance Morel, ressemble à une conversion brutale digne du nouveau testament : critiquant la méthode et l’homme, par écrit et à la télévision, il s’oppose à une sage-femme qui lui propose, avec beaucoup de bon sens, d’essayer lui-même la NSV. Il apprend tout seul et met au monde 1 Arnaud Desjardins, Le Védanta et l’inconscient, Paris, Editions La Table Ronde, 1986, Arnaud Desjardins, Approches de la méditation, Paris, Editions La Table Ronde, 1989 &Denise Desjardins, La mémoire des vies antérieures, Paris, Editions La Table Ronde, 1997, Denise Desjardin, Le lying, passerelle au cœur de soi, Paris, Editions de la Table Ronde, 2001.Frédérick Leboyer, Portrait d'un homme remarquable, Svami Prajnanpad, Paris, Critérion, 1991. 2 Marie-France Morel, Naître sans violence ; les mutations de l’accueil des nouveaux nés dans les années 70, XXIVes rencontres de Béziers, 3&4 avril 2014, Association Béziers Périnatalité. son premier « bébé Leboyer » et en revient transfiguré et bouleversé. Il brûle dans la foulée ses livres et deviendra un promoteur de la NSV. Même certaines féministes sont des opposantes actives. Ainsi Françoise Tournier, dans la revue « Elle » de mars 1974, attaque et invective Leboyer en ces termes «Faites un autodafé de vos livres et on vous oubliera vite monsieur Leboyer». On comprend aisément, à la lecture de ces lignes, pourquoi Fréderick Leboyer a pris soin de demander sa radiation, après six mois de réflexion, auprès de l’ordre des médecins. Mais qu’est-ce que la méthode Leboyer ? En relisant les textes fondateurs de l’ASV, on comprend très vite ce qu’a apporté Fréderick Leboyer : 1/ Une dimension poétique de la naissance. Son premier ouvrage est un long poème d’amour, entrecoupé de photos en noir et blanc, pour l’enfant qui se fait naître et qui a droit à notre respect. 2/ Une dimension festive de la naissance. Effectivement, dès lors que l’on pense que l’enfant est désiré, sa venue au monde se doit d’être célébrée comme une fête : fête partagée avec la famille (des enfants ont vu naître ainsi leur petit frère ou petite sœur), des amis proches sont venus accompagner le couple en salle de naissance. 3/ Le respect de la mère. Le respect du corps d’abord : en ne la rase plus, elle choisit elle-même ses positions corporelles pour mettre au monde, etc. Le respect de la personne : tout est dit, parlé avec elle. Elle est totalement associé à ce qui se passe. 4/ Le respect de l’enfant. C’est un progrès considérable que d’avoir introduit en salle de naissance, les acquis de la psychologie, de la psychophysiologie et de la psychanalyse. Pas de bruit, une musique que la mère a choisie et écoutée pendant la grossesse, de la pénombre pour ne pas agresser le bébé avec la lumière violente d’un scialytique, une petite baignoire pour donner un bain au bébé, un environnement de la naissance sécurisant, calme et apaisant : des plantes vertes, un aquarium, pas d’instruments chirurgicaux, bref un univers de naissance ressemblant au domicile. 5/ Une place pour le père. Jusqu’ici le père est simplement toléré en salle de travail. Ici, sa présence est importante pour la mère et son bébé. En étant présent il ne fait simplement acte de présence : il rassure la mère et va avoir un rôle actif à la naissance de son enfant : c’est lui qui sera en charge de couper le cordon ombilical (autrement dit de séparer déjà la mère de son enfant). C’est lui qui va donner ce premier bain lourd de symbolique. Et le replacer ensuite sur le ventre maternel. Le père ira jusqu’à faire les gestes du médecin, ce qui fait montre, pour le praticien qui s’efface, tout en surveillant, d’une grande abnégation, et le père sortira lui-même son bébé. Par la suite on préférera donner le bain après la première tétée. 6/ Enfin, laisser le temps. Quand la mère est assise avec son bébé contre elle, elle est parfaitement en sécurité. Rien ne presse donc. Il faut pouvoir permettre aux acteurs de cette fête de se rencontrer. Et la sécurité, tant décriée par les médecins obstétriciens, où est-elle ? Il y a deux niveaux : Le premier, concerne le « tri » des femmes. Ainsi le moindre antécédent familial, le moindre risque potentiel va vous exclure de la NSV. Le second c’est l’hyper-médicalisation de la maternité, derrière la salle nature, passé le sas, vous vous retrouvez dans une structure ultrasophistiquée qui permet de répondre à l’urgence. Qui a adhéré à la méthode de la NSV ? Et bien ce sont les femmes. Femmes sages-femmes pour qui le discours parlait et femmes accouchantes qui se sentaient plus actives, adultes, moins infantilisées qu’auparavant. Il faut cependant admettre que certaines femmes préféraient la sécurité classique d’une maternité traditionnelle. Qu’à cela ne tienne, chacune a le droit de choisir sa manière de mettre au monde. Et la mesure expérimentale de la NSV, cela donne quoi ? Danielle Rapoport 1, en 1975, publie une première série de résultats qui montrent que ces enfants nés par NSV ont une très bonne qualité de développement global. Le développement de ces 120 enfants, un, deux ou trois ans après cette naissance, témoigne d’un développement adaptatif global très satisfaisant et d’un niveau psychomoteur parfait. Et la possibilité pour les mères d’établir un contact et une relation précoces de qualité avec leur bébé. «Ainsi dans notre langage, bien naître et bien-être» s’entendent de la même façon. 1 Danielle Rapoport, Pour une naissance sans violence : résultats d’une première enquête, Bulletin de Psychologie, Paris, 1975-1976, tome XXIX, numéro 322, fascicule 8-13, Psychologie clinique 2, pages 552/560 Nous serions un peu plus nuancés. Ce n’est pas la NSV qui fait la différence, mais c’est, en amont, l’attitude des parents et l’intérêt qu’ils portent à l’éducation et à l’"élevage" (Dolto) qui semble l’emporter. Les maternités sans violence sont, en France, une vingtaine en 1984, et sont le plus souvent de petites structures familiales conviviales : .Pithiviers, les lilas (qui vient de sauver sa tête en 2014), Auxerre, Toulouse, Lannion, pertuis, Aunay sur Odon, Châteauroux, Céret, Saint Cloud, Maison-Lafitte, Châtenay-Malabry, Maisons de naissance à Sarlat, etc. Aujourd’hui, il n’existe pas une maternité française qui ne propose des aspects de la méthode Leboyer : pénombre, baignoire, musique, rôle du père, etc. ce qui prouve l’impact et la banalisation de ses conceptions de la naissance. Comment ça marche ? Cette méthode très simple et logique, part d’abord des femmes : ce sont elles qui vont pouvoir choisir les postures du corps pour l’accouchement. Michel Odent 1, à Pithiviers, a synthétisé les choix des femmes de la manière suivante : Une période déambulatoire, durant les premières heures du travail, où les femmes vont pouvoir marcher dehors, dans un parc par exemple, comme à Nantes, connectées par HF à la sage-femme de Garde. Une période à quatre pattes pour préparer l’expulsion. Debout, en flexion, au moment de l’expulsion, soutenue aux aisselles par le père ou la sage-femme, le médecin recevant dans ses mains le bébé qui sort très rapidement. Un long moment, assises en tailleur, le bébé contre le ventre, parfaitement en sécurité, sans couper immédiatement le cordon ombilical. Ce moment où elle sont assises avec leurs bébés (qui utilisent le réflexe archaïque de fouissement2) contre elles, est très important parce qu’elles vont, grâce au contact peau à peau : 1 Michel Odent, Bien Naître, Paris, Seuil, 1976 & Naître et renaître dans l’eau, Paris, Presses Pocket, N°4, 1990 & L’amour scientifié, les mécanismes de l’amour, Bernex-Genève & Saint Julien en Genevoix, éditions Jouvence, 1999. 2 Le réflexe de fouissement fait partie des réflexes archaïques (innés : automatismes favorisant un minimum d’adaptation à la vie aérienne). Il permet au nouveau né de localiser tout seul le sein et le mamelon maternels dans les premières minutes qui suivent la naissance. Il suffit de le placer sur le ventre de la mère et il va « ramper » jusqu’au sein et porter tout seul le mamelon à sa bouche. Il est évident que les manières de mettre au monde dans la société traditionnelle ne permettaient pas de 1/ sécréter une hormone post hypophysaire, l’ocytocine, qui va permettre la délivrance spontanée du placenta. 2/ être excitées par le bébé en produisant des endorphines, de la lulibérine, de la dopamine, etc. qui vont supprimer la douleur de la naissance à la fois pour le bébé et pour la maman et qui vont mettre les acteurs de la naissance en situation de dépendance mutuelle par le bien-être qu’ils ressentent. Il n’y a pas que la mère et son bébé qui sont au « Nirvana », le père, la sage-femme, ainsi que le personnel hospitalier présent, sont tous aussi dans cet état de béatitude. Bref ce moment d’intimité corporel très riche en odeurs, chaleur de la peau, contacts des épidermes va être le prototype de la relation fusionnelle et de la capacité à vivre des relations régressives en toute sécurité. A partir du moment où la mère et l’enfant sont baignés d’hormones, des changements physiques vont apparaître : les pupilles sont en mydriase, signes d’un afflux d’endorphine. Enfin, et c’est universel, la mère va trouver que son bébé est le plus beau. Il est perçu comme tel à cause du plaisir hormonal qu’il lui procure. Ensuite il ne peut être que bon, pour les mêmes raisons. Et pour finir, il sent bon. Cette trilogie (beau, bon, sent bon) est le signe d’un coup de foudre amoureux pour la mère et l’on peut penser que pour le bébé, sa mère devient la personne la plus belle, la meilleure et qu’elle sent bon. Cette relation fusionnelle va pouvoir durer jusqu’à 3, voire 4 ans au maximum : le temps que l’enfant puisse acquérir un premier niveau dans son autonomie. Mais après les choses se gâtent : on devient moins beau, on est moins bon et on ne sent plus bon. Des évolutions notables sont apparues au fil des ans, notamment la naissance dans l’eau à Pithiviers. Copié à partir de femmes russes qui mettent au monde leur enfant dans l’eau de mer depuis des siècles, l’accouchement en piscine « oblige » les professionnels de santé à se mettre à l’eau. Vous avez une très bonne illustration de la naissance dans l’eau à Pithiviers dans la seconde partie du documentaire «le bébé est une personne» de Bernard Martino. La mère, le père, mais aussi la sagefemme et Michel Odent sont tous dans la piscine pour accueillir bébé. Et ce qui est remarquable, dans cette petite séquence anthologique, est que la mère, parce qu’on lui donne le temps d’aller à la rencontre de son enfant, va littéralement lécher le crâne de son bébé, comme n’importe qu’elle femelle mammifère. Le cas particulier de l’accouchement à domicile. Il existe deux formes : l’accouchement assisté à domicile (AAD) et l’accouchement non assisté (ANA). voir ce réflexe. C’est avec les nouvelles techniques de naissance où le nouveau né est placé sur le ventre maternel, qu’on a pu le redécouvrir et le décrire (ASD et NSV). Les accouchements à domicile représentent 90% des naissances dans le monde. En Europe, les Pays Bas ont une forte tradition d’A.A.D. avec 29,3% des naissances. Cette pratique s’explique par trois facteurs : premièrement le pays est plat, deuxièmement la densité urbaine du pays est telle qu’en cas de nécessité, l’accès à la maternité est rapide et troisièmement c’est l’hôpital qui vient au domicile de la parturiente avec un mini camion tout équipé et qu’une sage-femme toujours présente est accompagnée d’une « kraamverzorgster», assistante formée en trois ans, qui est présente à l’accouchement et qui vient tous les jours au domicile de l’accouchée pour la conseiller et l’aider (allaitement et soins au bébé). En France, ce choix reste minoritaire car les contraintes administratives et légales qui frappent les sages-femmes sont importantes : les assurances refusent de leur garantir une responsabilité civile professionnelle à moins de 20.000 euros (infra p.196) et elles sont parfois en conflit avec les structures hospitalières en cas de transfert en urgence. Précisons aussi que les sages-femmes frontalières suisses, belges et allemandes peuvent pratiquer en toute légalité sur le sol français et que les frais de la naissance sont pris en charge par la sécurité sociale. Le praticien qui se rend au domicile emporte un kit de réanimation pour la mère et l’enfant, ainsi qu’un monitoring. Les choix des couples désirant l’accouchement à domicile sont nombreux et ont toujours une connotation militante. Et parmi ces choix on soulignera l’absence d’épisiotomie, un aménagement Leboyer plus facile à mettre en place et une plus faible occurrence du post partum blues. D’autre part les femmes qui choisissent cet accouchement à domicile ont moins de facteurs de risques (moins d’obèses, moins d’utérus cicatriciels, moins d’antécédents obstétricaux) et qu’il ne se pratique que dans le cas de grossesses normales (pas de jumeaux, pas de présentation par le siège, pas de césarienne, pas d’hypertension, pas de placenta praevia, etc.). Cependant il faut noter que le risque de mort néonatale est deux fois supérieur à domicile et que ce risque de mortalité du bébé, au cours du seul premier mois, est trois fois plus important qu’à l’hôpital. Enfin les maisons de naissance, préconisées en 2002 par la loi Kouchner, auraient pu être l’intermédiaire idéal entre le domicile et l’hôpital, mais leurs réalisations sont au point mort en France, car elles sont aux antipodes des principes actuels qui orientent la périnatalité : hyper-médicalisation de l’accouchement, permettant de garantir la sécurité de la mère et son bébé, au détriment souvent de la relation et de l’accompagnement humain1. Ces années sont donc les années bonheur de la naissance en France, et elles sont, nous allons le 1 Madeleine Akrich, Accoucher à domicile ? Comparaison France/Pays Bas. La santé de l’homme, n°391, septembre/octobre 2007, pages 45 à 47. montrer dans le dernier paragraphe, bien derrière nous. Ces maternités avaient introduit, en plus de la NSV, le chant prénatal avec MarieLouise Aucher, l’haptonomie avec Frans Veldman, la sophrologie, le yoga, la préparation en milieu aquatique, la naissance dans l’eau et les bébés nageurs. Ces années ont été celle de la découverte du bébé en tant que personne à part entière, de l’intérêt qu’on lui portait tous et du respect qu’on lui témoignait comme le docteur Albert Grenier1, en grand professionnel, savait si bien le faire. Dans l’absolu, il faudrait (les clinique, les hôpitaux, les praticiens, etc.) pouvoir permettre aux femmes de choisir chacune leur manière de mettre au monde en fonction de leur désir, histoire personnelle, culture et souhait… les professionnels étant capables de s’adapter à la carte. Toutes les femmes ne souhaitent pas forcément faire de la NSV. Enfin il faut savoir relativiser les vécus de chacun : il arrive que des mères conservent un très mauvais souvenir de leur accouchement, alors que le praticien en garde lui, un très bon souvenir. Et il arrive aussi que des mères soient très heureuses de leur naissance, alors que la sage-femme a eu le sentiment de passer tout près d’une catastrophe. Et aujourd’hui, quarante ans après la mise en place progressive de la NSV, elle est pratiquement oubliée, car la péridurale semble l’emporter, et donc paradoxalement, l’intérêt s’est de nouveau déplacé : il est repassé de l’enfant à la mère2. C. Le principe de précaution et la régression obstétricale française : « Vive les parapluies ! ». Le principe de précaution a été inscrit dans la Constitution Française le 28 février 2005 dans la charte de l’environnement qui contient 10 articles. Il y figure dans l’article 5. 1 Albert Grenier, disparu en 2013, fut chef de service en pédiatrie à l’hôpital de Bayonne et le promoteur de la « motricité libérée » et de sa mesure, plus prédictives que l’APGAR chez l’enfant à risques. 2 Marie-France Morel, Naître sans violence ; les mutations de l’accueil des nouveaux nés dans les années 70, XXIVes rencontres de Béziers, 3&4 avril 2014, Association Béziers Périnatalité. Mais très vite, le champ d’application de ce principe environnemental a évolué et s’est étendu à d’autres domaines : santé publique, alimentation, risque économique, etc. et pour rester dans le domaine de la santé, en raison de crises récentes majeures (le sang contaminé, la vache folle, etc.). Il faut aussi comprendre qu’il n’est pas une solution à l’incertitude scientifique, mais bien un processus interactif régulier entre l’action et la connaissance. Il n’est donc pas figé, mais évolue périodiquement en fonctions des avancées scientifiques et il repose sur des valeurs éthiques, comme l’éthique scientifique et la bioéthique. Mais l’affaire de la grippe A/H1N1 en 2009/2010 va en montrer les limites. Le bilan des morts directement liées au virus H1N1 est de 3121 au 6 avril 2010, contre 2000 à 6000 décès pour la grippe saisonnière2 chaque année. Le principe de précaution a tout de suite été mis en place par le ministère de la santé durant l’été 2009, en optant pour une campagne nationale de vaccination non obligatoire. Le 21 août, une circulaire destinée aux préfets mettait en place un plan de vaccination au 28 septembre, comme étant une réponse sanitaire évolutive exceptionnelle. Les résultats furent particulièrement décevants : 5,36 millions de personnes seulement s’étaient fait vacciner au premier juin3. Malgré une campagne de vaccination volontariste fondée sur le principe de précaution, le rapport estime que sa mise en œuvre a été trop rigide (protocoles parfois inhabituels, confusion entourant les réquisitions des personnels de santé, horaires d’ouverture et de lieux de vaccination parfois très peu adaptés) et un emballement médiatique aux informations contradictoires qui ont fini par faire douter les Français à la fois de la sûreté des vaccins et de la nécessité de se faire vacciner. Résultats : un gouffre sanitaire et financiers (94 millions de vaccins commandés, plus 34 millions de doses optionnelles. La France a réussi à en revendre au Qatar, à l’Egypte, mais le reste est impossible à revendre car les dates limites d’utilisation sont très justes et fut donc détruit par incinération en 2010 et 2011). 1 Sources BEH, Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 29 juin 2010 / n° 24-25-26, Numéro thématique – Épidémie de grippe A(H1N1) 2009 : premiers éléments de bilan en France. 2 Sources : Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) 2010, (6000 décès) & Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Grippe, janvier 2012 (2000 décès.) 3 Direction de l’information légale et administrative, campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) : des résultats décevants, 23 juillet 2010. Au total, 12 vaccins différents ont été produits et vendus à la France par 8 laboratoires pharmaceutiques. De nombreux effets indésirables (ex. narcolepsie), des douleurs et effets secondaires transitoires, une polémique médicale sur les adjuvants utilisés et sur certains conservateurs au mercure, le risque de 2 cas sur un million de contracter le syndrome de Guillain-Barré (SGB). Et pour couronner le tout, le directeur de la revue médicale allemande « Arznei-Telegramm », Wolfgang Becker-Brüser, accuse la campagne de vaccination massive d'être une sorte « d’expérimentation grandeur nature sur la population » française, le 29 août 2009. Le coût total de ce fiasco sanitaire s’élève dans un premier temps à 1,5 milliards d’euros puis le Sénat estime la note globale à 2,2 milliards d’euros en janvier 2010 pour 8,8% de Français vaccinés. Outre l’achat des vaccins (800 millions), 68,3 millions d’euros en frais administratifs, 48,48 millions pour la fabrication des bons de vaccination. 21,03 millions de dépenses logistiques, 290 millions pour l’indemnisation des personnels de santé. 350 millions pour le coût des masques1. Les frais d’information pour 60 millions, 100 millions pour les frais d’organisation territoriale. Et à cela s’ajoute les coûts liés aux consultations de généralistes, plus les arrêts maladie estimés de 376 à 752 millions d’euros. Plus, enfin, l’augmentation des cotisations des mutuelles santé, mises à contribution forcée, qui réclament aux assurés sociaux quelques 350 millions d’euros d’augmentation des cotisations. On évalue ainsi le prix de revient de la dose unitaire de vaccin à 113 euros, alors qu’elles sont vendues par les fabricants entre 6,25 euros et 10 euros la dose. Voici en quelques lignes l’impact financier de l’application du principe de précaution pendant la pandémie de la grippe A/H1N1. Rappelons aussi que l’Etablissement de préparation et de réponses aux urgences sanitaires (EPRUS), crée en 2007, possède un stock national santé estimé, en janvier 2009 (avant la pandémie) à 246.918.594, et en mai 2010, (donc après la grippe A/H1N1), à 1.051.719.700 euros de vaccins de toutes sortes, antibiotiques, iode et masques (1 milliard de masques chirurgicaux et 700 millions de masques FFP2)2. Face à cet évènement, la commission d’enquête parlementaire propose une quarantaine de propositions afin de gérer au mieux les 1 La mairie de Saint Aubin sur mer (14750) possède encore un stock périmé de plus de 1000 masques FFP2. 2 Rapport du Sénat du 13 septembre 2014. La grippe A/H1N1 : retour sur la première pandémie du XXIe siècle. crises futures, comme par exemple la mise en place d’une centrale d’achat européenne mutualisée pour l’ensemble des vaccins1. On a accusé la campagne de vaccination d’être inégale et à deux vitesses, car il semble bien que les dirigeants politiques allemands ont reçu des vaccins dépourvus d’adjuvants (celvapan de Baxter), et les citoyens ordinaires le pandemrix de GSK. Cette information confirmée par la Chancellerie Allemande eut comme effet de faire disparaître le peu de confiance qui restait dans la population Française et des plaintes commencèrent à être portées sur tout le territoire français : à Nice dès le 23 septembre 2009 par un collectif SOS justice et droit de l’homme, puis à Grenoble, le 23 octobre, une plainte contre x pour empoisonnement, la ministre de la santé sera plusieurs fois assignée en référé et le Sénat, dans son rapport, dénonce le poids des lobbies et l’acceptation par les décideurs politiques et administratifs de contrats commerciaux trop contraignants. Bref l’application à la lettre du principe de précaution en matière de pandémie, démontre les limites d’une nation à faire face à une crise sanitaire due à un virus finalement bien moins virulent et agressif que ceux de la grippe saisonnière. Le professeur Claude Sureau (Le danger de naître, 1978) souligne dans son dernier article2 que « l’application d’un principe de précaution en médecine comme obligation juridique, ou passible de sanctions judiciaires, présente un bon nombre d’effets pervers ». La précaution est souvent excessive et tend à se retourner contre son objectif premier : la protection de la santé du patient. Il plaide donc pour une éthique de précaution, mieux adaptée aux particularités de l’activité médicale3. Et la gynécologie Obstétricale Française se porte comment aujourd’hui ? Les chiffres qui arrivent chaque année sont de plus en plus alarmants. Le journal international de médecine (JIM) publiait le 9 février 2012 les résultats d’une enquête : en 2010, le comité national d’experts sur la mortalité maternelle (CEMM) [c’est fou ce que la 1 Rapport parlementaire du 13 juillet 2010. Direction de l’information légale et administrative, campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) : des résultats décevants, 23 juillet 2010. 2 Sureau Claude, «Principe de précaution» ou «éthique de précaution» in La santé face au principe de précaution, sous la direction de Dominique Lecourt, in les cahiers du centre Georges Ganguilhem, Paris, Puf, N°1, 2009. 3 Elle se pose (l’application du principe de précaution) avec acuité en ce qui concerne le retrait et la réimplantation des prothèses mammaires défectueuses pour 30.000 femmes. La problématique est bien posée par Jean-Yves Nau dans « La précaution prime sur la raison », Slate.fr, Life, 20 décembre 2011. France aime et use des commissions de toutes sortes] observait que la proportion de décès maternels « évitables » n’évoluait pas dans le temps et pire, que la mortalité infantile augmentait passant de 3,6 à 3,7 pour 1000 de 2009 à 2010 et en 2013. La Cour des Comptes, dans son rapport annuel, épinglait les résultats français. Ainsi au classement des plus faibles taux de mortalité, la France est passée du 7e rang européen en 1999 au 20e rang sur un total de 30 pays et l’étude Euro-PERISTAT de 2013, concernant la mortinatalité, la relègue au dernier rang !1. L’écart avec des pays comme la Suède ou la Finlande est significatif : en France la mortalité au cours des 28 premiers jours de vie est équivalente à la mortalité sur l’ensemble de la première année en Suède, rapportée à 1000 naissances. Certes les pays nordiques ont toujours été en tête de la prévention et des taux de mortalité maternelle et infantile, mais ce qui apparaît comme inquiétant est que la France stagne dans ce domaine alors que d’autres pays d’Europe progressent régulièrement. La Cour des Comptes fait état d’une dégradation de la situation : le score d’APGAR (cf. supra page 170) s’est légèrement dégradé de 2006 à 2010, la mortalité au cours de la première semaine est passée de 1,6/1 000 en 2005 à 1,8 en 2009. Ces résultats pourraient être expliqués partiellement par une hausse de la prématurité (6,6 % des enfants étaient nés avant 37 semaines en 2010, contre 6,3 % en 2003). Et les magistrats soulignent, page 398, que « les causes souvent invoquées pour expliquer la stagnation de la mortalité infantile (l’âge des mères, l’augmentation de prématurés, celle de grossesses multiples, celle du nombre d’enfants nés de mères étrangères et de femmes en situation de précarité) ne suffisent pas à en rendre compte et les déterminants de cette situation préoccupante demeurent incomplètement cernés ». Et de citer des enquêtes INSEE de juin 2011 sur la stagnation de la mortalité infantile et les résultats d’une enquête périnatale de 2010, de l’INSERM la même année, qui montrent que ces éléments étaient déjà connus en 2010 et où il était déjà constaté une même stagnation de la mortalité infantile. Et la Cour des Comptes fait les mêmes constats pour la mortalité maternelle. Page 400 du rapport annuel 2012, elle estime que les décès maternels sont pour moitié évitables et souligne que à contrario, « le profil de la mortalité maternelle (taux et causes obstétricales) des autres régions de métropole est très comparable à celui des Pays-Bas ou de la Finlande » et les hémorragies maternelles qui sont toujours les premières cause de mortalité en France sont « dans les pays (Royaume-Uni, Finlande, Suède) ayant appliqué une INSERM, rapport Euro-PERISTAT, Paris, 27 mai 2013. Mortinatalité = naissances d’enfants sans vie. 1 politique forte de prévention (pratique de la délivrance dirigée, organisation de mises en situation d’urgence, etc.), les hémorragies n’arrivent qu’au second rang des causes de décès, ce qui montre que des marges de progression existent ». Bref, la Cour des Comptes n’est pas tendre mais elle a raison1. Mais comment expliquer cette chute continue dans les classements européens? Et comment expliquer enfin qu’en 2013, la France soit la dernière de tous les pays européens en terme de mortinatalité 2? D’abord le déficit des hôpitaux qui ne cessent d’augmenter : 150 millions en 2012 et 400 millions en 2013 pour les 1029 hôpitaux publics. Moins d’argent, moins de soins de qualité. Le nombre de maternités en France est en chute libre : on est passé de 1369 maternités (dont 716 privées) en 1975 à 535 (dont 208 privées) en 2010, soit une diminution de 61% de nos maternités. Ces suppressions sont directement responsables de l’éloignement de l’accès aux soins pour les femmes enceintes : Le tribunal administratif de Pau ne s’y est pas trompé. Il a rendu un jugement s’appuyant sur la mise en danger des femmes du fait de la fermeture de la maternité de Lannemezan pour demander la réouverture de celle-ci le 6 mai 2008, mais pour l’agence régionale d’hospitalisation (ARH) la fermeture est définitive. Les femmes sont plus à risque aujourd’hui que les hommes pour certaines affections (AVC, Hypertension, dépressions, migraines, cancers du sein bien évidemment). Le poids de bébés à la naissance semble augmenter légèrement : On passe d’un poids moyen de 3 231,5 ± 584,3 en 2006, à 3 254,0 ± 567,7 en 2010 sue une cohorte de 14800 nouveaux nés et dans la tranche de poids 3 000 - 3 499, on passe de 39,6 à 40,4%, celle de 3500 - 3 999, on passe de 25,4 à 26,0% et enfin celle de 4 000 4 499, on passe de 5,7 à 6,3%3. Il semblerait, en outre, que les enfants, dont la quasi-totalité des mères sont imprégnées de bisphénol qui traverse la barrière placentaire, ont un poids de naissance supérieur aux autres enfants, poids d’autant plus important que le taux d’imprégnation est élevé. 1 Cour des Comptes, Rapport public annuel 2012, 8 février 2012. (Cour des comptes – Politique de périnatalité – Politique de lutte contre le cancer – Prise en charge des personnes âgées – Projets informatiques hospitaliers). 2 3 INSERM, rapport Euro-PERISTAT, Paris, 27 mai 2013. Enquête nationale périnatale 2010, les naissances en 2010 et leur évolution depuis 2003, Béatrice Blondel & Morgane Kermarrec, Inserm, mai 2011. L’augmentation de césariennes est importante en France : on est passé de 10% en 1981 à près de 23% en 20101 et le taux de détresse respiratoire aussi2. Qu’elle soit pratiquée pour convenance personnelle, programmée ou en urgence, elle est aujourd’hui un acte chirurgical maîtrisé. Elle est faite sous anesthésie générale (rare, moins de 5%, en urgence extrême), sous rachianesthésie péridurale combinée ou sous péridurale, avec analgésie post opératoire. Mais l’absence de travail utérin peut avoir des conséquences sur l’état clinique du nouveau-né, car en venant au monde par les voies naturelles, le bébé est beaucoup plus stimulé sur les plans : respiratoire, éliminatoire, endocrinien, nerveux, de l’éveil, de l’olfaction, etc. Si bien que les soins au nouveauné sont plus importants après la naissance. Ce mode d'accouchement pourrait aussi avoir un effet épi-génétique et cet effet serait conservé dans les cellules souches du nouveau-né et augmenterait les risques de maladie auto immunes 3 (asthme, diabète, obésité, etc.). Les études médicales ont été transformées. Plus exactement les étudiants font moins de clinique (au lit du patient) et l’imagerie médicale est dévoyée, car elle sert trop souvent à l’établissement des diagnostics qui se faisaient autrefois par la clinique. On disait autrefois que les sages-femmes avaient des yeux au bout des doigts…et un médecin généraliste d’aujourd’hui est bien incapable de faire un accouchement, s’il n’en a jamais fait dans son cursus universitaire. Ensuite pour se protéger, l’hôpital a mis des protocoles par trop interventionnistes, où tout est, en principe, consigné. L’augmentation des interventions est morbide. La clinique de l’individuel est devenue la généralisation du plus grand nombre. En dernier lieu l’augmentation des risques nosocomiaux est plus importante que les infections attrapées en maisons de naissance ou au domicile des parturientes. 1 Association Césarine, août 2014. 2 Revue médicale Suisse, 2008, numéro 4, Pages 504-508. 3 Almgren, M., Schlinzig, T., Gomez-Cabrero, D., Gunnar, A., Sundin, M., Johansson, & Ekström, T. J. (2014) Cesarean delivery and hematopoietic stem cell epigenetics in the newborn infant: implications for future health ? American Journal of Obstetrics and Gynecology. L’épigénétique comble la brèche entre l’inné et l’acquis. Elle correspond au domaine se focalisant sur toutes les modifications (ou facteurs) qui ne sont pas codés par la séquence d’ADN mais qui se transmettent. G. Médecines alternatives et complémentaires. Parallèlement au principe de précaution inscrit dans la constitution française, et qui a eu comme nous venons de le voir, un effet pervers pour la pratique gynécologique et obstétricale, la résurrection d’anciennes techniques médicales et l’apparition de nouvelles médecines alternatives et complémentaires semblent promises à un bel avenir. De quoi s’agit-il ? De plus en plus les maternités des hôpitaux français font appel à des «techniques naturelles» ou utilisent des «méthodes alternatives» accompagner la naissance. Nous allons maintenant les recenser. Aux médecines scientifiques, dites allopathiques, sont opposées les médecines homéopathiques, ou médecines douces, qui ne sont pas conventionnelles et que les anglo-saxons appèlent «médecines alternatives et complémentaires». Mais comme l’écrit Isabelle Ignace, psychologue, hypno thérapeute et responsable du pôle pédagogique de l’Institut Français d’Hypnose, «ces médecines ne viennent pas tant en remplacement des médecines occidentales qu’en complément, en appui de celles-ci. Cette précision est importante pour éviter l’arrêt d’un traitement. Par exemple, quand je reçois des patients souffrant d’un cancer, je leur demande de ne pas cesser leur chimiothérapie1». Le plan stratégique 2010 de l’Assistance Publique (Hôpitaux de Paris [AP-HP]) fait désormais place aux médecines alternatives et complémentaires, et notamment à la médecine traditionnelle chinoise, promues au rang de «thématique innovante». Et la province n’est pas en reste car les universités de Montpellier et de Strasbourg ont mis en place un diplôme interuniversitaire d’acupuncture en obstétrique réservé aux sages-femmes. Les structures hospitalières citées (Hôpital Robert Debré, CHU de Nîmes, CHU Montpellier, CHU Strasbourg, CHU Poitiers, CH d’Aix en Provence, CH de Montélimar2, etc.) ont mis elles aussi en place des médecines alternatives dont l’hypnose3 (pour des hypno naissance, ou hypno sédations ou anesthésie sous hypnose, ou transe hypnotique), la sophrologie, l’haptonomie, la relaxation, le yoga, la méthode du docteur Bernadette de Gasquet pour les postures d’accouchement, etc. 1 Hopital.fr, l’hôpital à votre service, 30 mai 2011. Médecines alternatives et complémentaires. Chaque salle de naissance est équipée de tables d’accouchement permettant une alternance de positions, de suspensions, de tabouret d’accouchement, de ballons, de coussins d’allaitement,… Deux d’entre elles dites « physiologiques » sont équipées d’une baignoire. 2 3 Sándor Lóránd, ami de Sándor Ferenczi, expérimente l’accouchement sous hypnose dès 1921. Bref les anciennes salles de travail sont progressivement remplacées par des salles de naissances beaucoup plus chaleureuses et conviviales où les médecines alternatives permettent, en complément des médecines scientifiques, de rendre les venues au monde plus agréables. Conclusions générales. Au terme de cette présentation, nous sommes inquiets de cette régression, qui concerne la qualité des soins, et qui est indigne d’un pays évolué. La France est le premier pays d’Europe en termes de fécondité, mais le vingtième en termes de sécurité maternelle et infantile et le dernier en mortinatalité. Les césariennes mêmes justifiées, augmentent par trois le risque maternel1. Les protocoles scientifiques ont repris le dessus et parallèlement aux fermetures de maternités, les coûts de transports explosent (l’hélicoptère est utilisé dans certains cas). Certes la mortalité infantile a considérablement baissé2: on passe ainsi de 177 pour mille naissance en 1890 à 145 pour mille en 1900, 126 pour mille en 1913, à 78 pour mille en 1931. Puis à 7 pour mille en 1990 et enfin à 3,6 pour mille en 2009 et 3,7 en 2010. Et pour les femmes3 on est passé de 60 à 100 pour mille au XVIIIe siècle, à 30 à 80 pour mille au XIXe siècle, puis 3 pour mille en 1925, et 0,8 pour mille en 1951 à 0,10 pour 1000 en 2000 et enfin 0,08 pour mille en 2008. Mais la chute i m p o r t a n t e de la France dans le classement européen pose problème. Mais l’affaire des « bébés nés sans bras » de 2007 à 2018, et le scandale national qui suivit (aucune explication valide n’a été avancée), pose le problème majeur du dépistage et le rôle de l’échographie. L’utilisation de l’anesthésie péridurale reste très variable en France allant de 100% (clinique Sainte Marthe [21], Maternité catholique Sainte Félicité [75] et polyclinique Saint Jean [68]) à 0% (Hôpital privé 1 Sources BEH, Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 12 décembre 2006, n° 50, Numéro thématique –La mortalité maternelle en France, bilan et perspectives. 2 Marie-France Morel, la mortalité maternelle, histoire et représentations, in Les mères et la mort, réalités et représentations, Elisabeth Lamothe, Pascale Sardin & Julie Sauvage, Bordeaux, PUB, 2008, page 41. 3 idem pages 39,40 & 41. mère enfant à Natécia [69], Hôpital de Decize [58] et Hôpital Est, réunion St André, St Benoît [97]). Les données statistiques donnent 3/4 (75%) de péridurales en France pour l’année 2003 (HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, 2012). Quant à l’épisiotomie, elle est malheureusement devenue « un rite de passage » avec, par exemple, un taux de 69,3% pratiquées à Brest. La moyenne nationale se situant à 47% en 2003 (68% chez les primipares et 31% chez les multipares). Les recommandations du CNGOF (collège national des gynécologues et obstétriciens Français) d’abaisser le nombre d’épisiotomies dans les accouchements « respectés » sont, semble-il, devenues une priorité nationale. « En 2003, le CHU de Besançon faisait 19 % d'épisiotomies, un pourcentage déjà peu élevé par rapport à la moyenne nationale de 47 %. Il passe à 10 % après la publication des recommandations pour la pratique du CNGOF en 2006, pour atteindre 3,4 % désormais en 2007 […] Ces pratiques nouvelles n'ont pas augmenté le taux de déchirures du troisième et quatrième degré. "Notre pratique est reproductible", estime le professeur Maillet [(chef de service de la maternité du CHU de Besançon)]. Et sans attendre des années, pourrait-on ajouter. La prudence du CNGOF, qui estimait que le taux de 30 % préconisé au niveau national pourrait baisser si les conséquences de cette politique de réduction étaient positives, n'est donc plus de mise. On peut désormais plaider moins de 5 % d'épisiotomie. Non seulement c'est possible, mais c'est surtout 1 nettement moins délétère pour les femmes » . « Depuis 1994, mon taux d’épisiotomie est à 0, se flatte Jack Mouchel, gynécologue obstétricien à la clinique du Tertre Rouge (Le Mans). J’avais pris connaissance de la littérature existant à ce sujet et grâce à ces arguments scientifiques, j’ai plus ou moins convaincu mes collègues dont les taux individuels vont parfois encore jusqu’à 30 ou 40 %. ». Car pour diminuer son taux d’épisiotomie, le geste médical reconnu comme étant le « plus pratiqué en salle de naissance, à l’exception de la section du cordon ombilical », comme l’explique 1 o Profession Sage-femme, n 158, septembre 2009, p. 15. Bernard Jacquetin, chef de service en gynécologie obstétrique au CHU 1 de Clermont-Ferrand, il faut d’abord convaincre » . Autre exemple à Caen, dans le service dirigé par le professeur Michel Dreyfus (coordinateur des RCP), l’information a commencé à circuler dès cet été. « Entre ce que j’avais appris et ce que je lisais, il y avait une différence incroyable, note Annie Le Tardif, sage-femme cadre du service qui a participé à la lecture des RCP. J’ai été étonnée d’apprendre que les problèmes sphinctériens ne sont pas plus nombreux après une déchirure qu’après une épisiotomie ». « Nous avions des dogmes, comme souvent en médecine, reconnaît sincèrement le professeur Michel Dreyfus. Et puis c’était un geste très couramment pratiqué qui ne semblait vraiment pas une priorité dans la 2 réflexion sur nos pratiques ». D’un dogme, il ne faudrait pourtant pas directement passer à un autre. "L'épisiotomie est l'opération chirurgicale la plus fréquemment pratiquée sur les femmes. Son usage est si routinier qu'on semble souvent oublier que c'est une procédure chirurgicale, avec les risques, 3 complications et conséquences que cela comporte ». "Au vu des dernières informations médicales et nombreuses, c'est un geste douloureux, violent et irrémédiable sans aucune justification scientifique; elle provoque des déchirures du 2e et 3e degré (qu'elle ne prévient pas lors de l'accouchement […]), des fistules vagino-anales, des incontinences urinaires et fécales, une perte sanguine supérieure à la césarienne!, [une] cicatrice douloureuse […] qui doit être "reprise" pour de nombreuses femmes; elle altère le schéma corporel, provoque honte et culpabilité. Une femme sur 4 souffre d'incontinence urinaire après un accouchement (à cause des techniques d'extraction, des épisiotomies ou de la césarienne). Et elles attendent en moyenne 12 1 2 3 La fin de l’épisiotomie ? Profession Sage-Femme, n° 123, mars 2006, p. 4–7. La fin de l’épisiotomie ? Profession Sage-femme, n° 123, mars 2006, p. 4–7. Barbara Katz. Rothman, Encyclopaedia of Childbearing: Critical perspectives, (Arizona), Oryx Press, 1993, p. 126. Phoenix ans avant de consulter, […] elle aggrave les hémorroïdes en modifiant la circulation locale (surtout la lymphe) et crée des œdèmes […] enfin beaucoup de femmes souffrent de dyspareunies". La moindre des conséquences de l'épisiotomie est sexuelle : les nerfs sectionnés ne se ressoudent jamais, lentement d'autres terminaisons nerveuses prendront le relais, mais la sensation ne sera plus jamais la même dans la zone affectée, parfois elle sera carrément désagréable (du 1 genre sensation de "courant électrique" ). Il semblerait enfin que l’augmentation considérable des primes d’assurance que payent tous les praticiens libéraux, a une influence directe sur l’application d’un principe de précaution et le refus légitime, 2 pour certains, du risque zéro dans les disciplines médicales. Les primes d’assurance des médecins gynécologues et obstétriciens ont triplé en 15 ans, passant de 13.000 à 35.000 euros (Un généraliste paie 360 euros). Des dispositifs d’aide, institués par la loi du 13 août 2004, relative à l'assurance maladie, permettent aux médecins exerçant une spécialité particulièrement exposée, de bénéficier, dans certaines conditions, d'une aide de l'assurance maladie pour le financement de leurs cotisations d'assurance. Pour les obstétriciens, cette aide est égale, selon les cas, à 35 ou 50 pour cent de la part de cotisation comprise entre 4 000 et 18 000 euros. Ce dispositif repose sur un engagement volontaire des médecins d'améliorer la sécurité des pratiques de leur spécialité, l'objectif étant de diminuer le risque, et 3 donc le nombre d'accidents médicaux . La grande majorité des contrats d'assurance prévoient aujourd'hui des plafonds de garantie supérieurs à 3 millions d'euros. 1 Sophie Gamelin, "L'épisiotomie est un acte chirurgical inutile, dangereux, et mutilateur", AFAR (Alliance Francophone pour l'Accouchement Respecté) et Sophie Gamelin & Martine HerzogEvans, les droits des mères tome 1, la grossesse et l’accouchement, collection la justice au quotidien, Paris, L’Harmattan, 2003. 2 Jean Claude Gluckman, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Centre d'étude et de recherche viroimmunologiques, in médecine/sciences 1995, n°8, vol .11, août 1995. 3 Fédération française des sociétés d’assurance, Direction des affaires publiques, dossier de presse du 27 juin 2006 Mais selon la direction du Trésor, moins de 10 000 professionnels de santé, et majoritairement des gynécologues obstétriciens, ne sont couverts qu'à hauteur de 3 millions d'euros. La création d’un fond de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé est proposée...afin d’assurer l’indemnisation 1 des victimes de dommages d’un montant exceptionnel . (Certaines indemnisations en obstétrique sont allées jusqu’à 7 millions d’euros, et ce qui justifie l'importance de ces sommes est que la durée de vie d'un enfant handicapé est la même que celle d'un autre enfant). Les plaintes sont elles aussi en très nette augmentation, (même si, au final, les condamnations restent stables, les montants des indemnités versées augmentent) calquées sur le modèle américain, et il n’est pas surréaliste d’imaginer, dans quelques années, des cabinets d’avocats spécialisés implantés dans les halls d’accueil des hôpitaux et des cliniques. Le nombre d’obstétriciens libéraux a diminué fortement au cours des 2 dernières années : 1500 seulement sont aujourd’hui en activité . C’est donc une corporation limitée qui supporte des sinistres très lourds. D'après la CNAM, l'effectif des gynécologues libéraux diminue de 0,5% par an en moyenne depuis 1995. En 1997, 65 nouveaux gynécologues libéraux se sont installés alors que, pour la seule année 1988, on enregistrait 566 installations de gynécologues. La part des femmes 3 praticiennes augmentent aussi : 38,6% en 2009 et 43,8 en 2014 . L’exercice de l’ensemble des gynécologues se répartit comme suit : 79% sont libéraux et 21% sont hospitaliers. Parmi les libéraux (79%) seuls 49% ont un exercice libéral exclusif. Et sur les 21% de l’hôpital, 1 Sénat, projet de loi de finances, 15 septembre 2014, Mission santé et article 60 rattaché. 2 Fédération française des sociétés d’assurance, Direction des affaires publiques, dossier de presse du 27 juin 2006 3 Insee, santé, médecine, Médecins suivant le statut et la spécialité en 2014. En 2009 : 5397 total général des gynécologues et obstétriciens, 3179 ont une activité mixte libérale et hospitalière. En 2014 : 4381 total général des gynécologues et obstétriciens, 2645 ont une activité mixte libérale et hospitalière. 13% sont praticiens publics avec consultations secteur privé. . Précisons enfin que les mêmes primes d’assurance pour les 1 sages-femmes libérales sont de l’ordre de 20.000 euros, ce qui est faramineux compte tenu de leurs revenus, mais que les médecins obstétriciens libéraux paient 25.000 à 35.000 euros par an et que les réanimateurs libéraux (statut médico-chirurgical) peuvent payer jusqu’à 1.500.000 euros (source SFVA : société française de vente d’assurances). 1 Drees, santé gouvernement français, études et résultats, n°791, mars 2012. Sur les 18900 sages-femmes en 2011, 2700 en libérales et 760 en mixtes, contre 13950 en secteurs hospitalier et 1500 salariées et elles sont plus de 20.000 en 2014.