INTRODUCTION
L’art mobilier de la grotte Bourrouilla à Arancou (PyrénéesAtlantiques) compte aujourd’hui une soixantaine de vestiges
réunissant plus de quatre-vingt motifs dont une moitié de
figurations animales. À une exception près, ces
représentations figuratives sont attribuables au Magdalénien
supérieur. Outre la grande qualité graphique d’une partie de
cette production, d’autant plus exceptionnelle que bon
nombre des œuvres sont des miniatures n’excédant pas
20 mm de longueur, la diversité du bestiaire figuré et la
présence de thèmes inhabituels de l’art paléolithique sont
remarquables. Ainsi pouvons-nous observer que, parmi les
mammifères herbivores, les cervidés (cerf et biche, alors que
le renne est absent) sont plus nombreux que les chevaux et
les bisons, et les caprinés (bouquetin et isard) complètement
absents. Plus étonnant est la place dominante des
figurations de poissons. La présence de l’ours, de canidés,
de mammifères marins et d’oiseaux exacerbe la dimension
extraordinaire des choix iconographiques des artistes de
Bourrouilla. Néanmoins, l’essentiel de ces thèmes existe
ailleurs et joue dans d’autres séries un rôle plus ou moins
marginal. La surprise à Arancou réside
dans leur présence simultanée et dans le
relatif effacement des thèmes classiques.
Avant de présenter dans le détail
quelques-uns de ces vestiges et de nous
interroger sur ce qu’ils apportent à notre
connaissance
des
comportements
humains de la fin de la dernière glaciation,
il n’est pas inutile de présenter rapidement
le gisement.
L’art mobilier
d’Arancou :
drôle de choix !
Frédéric Plassard & Morgane Dachary
PRÉSENTATION DU GISEMENT
Bourrouilla est une petite grotte située
dans un paysage vallonné à la limite entre
les grandes plaines aquitaines et la montagne pyrénéenne.
La découverte du gisement remonte à 1986 et coïncide avec
l’identification d’une fouille clandestine à l’intérieur de la
cavité. Après le tamisage et le tri des déblais résultant de
cette intervention sauvage, et devant le potentiel
archéologique du gisement, un programme de recherche
fut mis en place dans les années 1990 et se poursuit encore
(Chauchat et al. 1999 ; Dachary et al. 2008 et 2016,
notamment). Le gisement s’étend à l’intérieur de l’unique
galerie de la grotte, longue d’une dizaine de mètres, et en
avant du porche. Cependant, une petite salle terminale livre
les vestiges les plus spectaculaires et les mieux conservés,
en dépit d’une stratigraphie tronquée et des séquelles de la
fouille clandestine. Jusqu’ici, les documents archéologiques
témoignent d’occupations attribuables à la charnière entre
Magdalénien moyen et Magdalénien supérieur, puis de
passages répétés au cours des Magdaléniens supérieur et
terminal. Tant à l’extérieur que dans la cavité, des vestiges
de fréquentions mésolithiques (Dachary et al. 2013),
néolithiques et protohistoriques ont aussi été reconnus.
ANIMAUX RARES, GIBIERS INATTENDUS. REFLETS DE LA BIODIVERSITÉ
PRÉHISTOIRE
102
Le Magdalénien supérieur est aujourd’hui la période la plus
documentée sur le site. La fouille de niveaux archéologiques
à l’extérieur, sous le porche et dans la salle terminale, permet
de bien caractériser cette série d’occupations. Le site était
fréquenté au cours de la belle saison. Le cerf et le renne
constituent les gibiers privilégiés, puisque leurs ossements
représentent environ 80 % des vestiges paléontologiques.
Certains niveaux de la salle terminale (US 2007) témoignent
aussi d’une intense exploitation de la ressource halieutique
et en particulier de la capture du saumon dont les restes se
retrouvent en grand nombre. La chouette harfang constitue
un dernier gibier remarquable. Les ossements découverts
permettent d’estimer que plus d’une soixantaine de ces
animaux furent chassés par les hommes du Magdalénien
supérieur d’Arancou.
L’outillage lithique et osseux (os, bois de renne et bois de
cerf), mis au jour au cours des fouilles et extrait des déblais
de la fouille clandestine est caractéristique du Magdalénien
supérieur. Les lamelles à dos dominent l’outillage en silex,
accompagnées par des burins (dont des burins de Lacan,
typique de la période), beaucoup plus nombreux que les
grattoirs et les perçoirs. La présence de harpons à un et deux
rangs de barbelures, associés à des sagaies à biseau double
et aux classiques lissoirs sur os et aiguilles à chas confirment
l’attribution chrono-culturelle. L’analyse technologique de
l’outillage en silex laisse entrevoir que le site, de petites
dimensions, a été fréquenté à de nombreuses reprises, mais
sur de courtes périodes.
Dans ce contexte, la relative abondance et la diversité des
vestiges à caractère symbolique (art mobilier et parure)
peut surprendre. En effet, certains schémas théoriques
d’exploitation des territoires par les chasseurs-cueilleurs associent ces activités à des sites occupés sur de longues
périodes, et souvent par des groupes assez nombreux,
donc offrant des dimensions importantes. La grotte de
Bourrouilla est un contre-exemple spectaculaire à ce
schéma et nous invite donc à penser autrement la façon
dont les Hommes du Paléolithique supérieur ont parcouru
et exploité leur territoire.
PRÉDOMINANCE DU MARGINAL :
LE BESTIAIRE FIGURÉ À ARANCOU
Comme nous l’avons déjà dit, l’art mobilier de Bourrouilla offre
un bestiaire varié et original au regard de son abondance toute
relative. Le trio habituel du Magdalénien des Pyrénées (Bison,
Cheval, Bouquetin) est ici supplanté par des espèces
habituellement secondaires puisqu’on ne compte que deux
bisons, quatre chevaux et que le bouquetin est absent. Parmi
les mammifères herbivores, les cervidés dominent mais restent
peu nombreux (1 biche, 1 cerf et 3 cervidés sans précision).
LES FIGURATIONS DE SAUMON
Les poissons, des salmonidés exclusivement, sont figurés
sept fois et dans une majorité de cas il s’agit de saumons
indiscutables (fig. 1). Si ce thème apparaît assez souvent
103
dans l’art mobilier magdalénien (surtout dans les Pyrénées,
mais aussi en Périgord), il est en général largement
marginal par rapport aux grands herbivores (Cleyet-Merle
1990). On est donc frappé de constater sa prééminence à
Arancou. De plus, il est associé sur deux objets (réunissant
six des sept représentations) à un cervidé. Ce type de
composition existe dans d’autres sites pyrénéens
attribuables au Magdalénien supérieur, mais sa valeur
symbolique nous échappe.
Dans une autre perspective, deux des trois supports ornés
de saumons sont des lissoirs façonnés à partir de côtes
refendues (fig. 1b et c). Si ce type de vestige est habituel
dans ce contexte culturel, on est frappé de leur petite taille
à Arancou. La découverte dans un niveau particulièrement
riche en vestiges de poissons d’un fragment de lissoir tout
à fait identique à ceux décorés, issus de la fouille
clandestine, nous conduit à poser la question de leur
utilisation dans le traitement du cuir de poissons. Cette
pratique, documentée par l’ethnologie, est difficile à
démontrer dans le registre archéologique, mais le format
des lissoirs est ici en accord avec la finesse des cuirs de
saumon et avec la minutie indispensable à leur traitement
(Dachary et al. 2016).
En d’autres termes, les données archéologiques plaident
dans ce cas pour une relation étroite entre l’exploitation économique (alimentaire, mais peut-être pas seulement) d’une
ressource et la place de son image dans la production iconographique : on travaille le cuir de saumon avec un objet
frappé de l’effigie du saumon, associée par deux fois à un
cervidé quand l’espèce cerf est l’une des plus chassée
(parmi les herbivores) par les occupants de la grotte.
LES MAMMIFÈRES MARINS
Deux mammifères marins sont représentés dans la série. Le
premier, associé à un cerf, décore une pendeloque à bélière
issue de la fouille clandestine (fig. 2a). Cette pièce est
parfaitement inscrite dans la production standardisée du
Magdalénien supérieur de Bourrouilla : production sur côte
refendue, petite dimension, bords festonnés sont récurrents
pour les lissoirs et les pendeloques découverts sur le site.
La figuration explicite d’un cétacé est beaucoup plus
exceptionnelle ; il est cependant délicat de trancher sur
l’espèce figurée. Si la baleine est peu vraisemblable, on
hésite entre cachalot et bélouga (Fritz & Roussot 1999). Ce
type d’image est rarissime dans l’art paléolithique. Le
Magdalénien pyrénéen semble ne livrer qu’une autre image
sur baguette demi-ronde dans la grotte de La Vache
(Feruglio & Robineau 2001), dont la détermination spécifique
est là encore difficile : cachalot ou cachalot nain (fig. 2b) ?
Le domaine cantabrique fournit en outre une gravure de
cétacé sur dent de cachalot dans le Magdalénien moyen de
la grotte de Las Caldas (Corchón-Rodríguez & AlvarezFernández 2008), et une gravure pariétale dans la grotte de
Tito-Bustillo (Asturies) identifiable comme une baleine
(Balbin Behrmann 1989).
L’ART MOBILIER D’ARANCOU :
DRÔLE DE CHOIX !
Fig. 1 Figurations de poissons d’Arancou. a- Pendeloque sur hémi-côte façonnée. b- Lissoir dit « la biche aux saumons ». Sur le relevé sont
indiquées en bleu les figurations de poissons certaines et probables. c- Lissoir sur hémi-côte. Le poisson est encadré par deux séries de
grandes hachures et associé à une figuration indéterminée (Clichés F. Plassard, relevé d’après A. Roussot, modifié).
ANIMAUX RARES, GIBIERS INATTENDUS. REFLETS DE LA BIODIVERSITÉ
PRÉHISTOIRE
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À ce jour, aucun vestige osseux de cétacé ou de phocidé
n’a été identifié à Bourrouilla. Ils existent en revanche dans
plusieurs sites magdaléniens des Pyrénées et des
Cantabres et témoignent d’une fréquentation du milieu
littoral, d’une exploitation d’animaux échoués, voire d’une
chasse active (pour les phoques). Outre des traces
anthropiques témoignant d’activités bouchères sur certains
sites proches de la côte, l’utilisation de dents de phoques
et de cétacés dans la confection d’objets de parure, ou leur
seule présence dans les niveaux archéologiques, et
l’utilisation d’ossements de cétacés comme matière
première dans la fabrication de pointes de projectiles,
documentée aujourd’hui dans une douzaine de sites nordpyrénéen, confirment l’intérêt que les Magdaléniens avaient
pour ces animaux (Pétillon 2018 ; Pétillon & Chauvière, ce
volume). Dans un autre contexte géographique, la présence
d’un maxillaire de phoque dans les niveaux magdaléniens
de l’abri Raymonden (Dordogne) s’inscrit probablement
dans la même logique (Hardy 1891).
Pour autant, la remontée du niveau de la mer à la fin de la
dernière glaciation nous prive sans doute de nombreux sites
côtiers et nous interdit d’estimer la part prise par le milieu
littoral et ses richesses dans l’exploitation du territoire par
les derniers chasseurs-cueilleurs du Paléolithique.
a
b
LES OISEAUX
Fig. 2 a- Arancou. Pendeloque en os (côte refendue) ornée d’un cétacé
et d’un cerf (©MNP, dist. RMN-GP, cliché P. Jugie). b- La Vache (Ariège).
Baguette demi-ronde ornée d’un cétacé, Face supérieure, face
inférieure et déroulé de la gravure (Relevé V. Feruglio).
La seconde figuration de mammifère marin est moins
spectaculaire. Le support de l’œuvre est un fragment de
diaphyse de tibia de cerf, découvert au cours des fouilles
sous le porche d’entrée, dans un niveau attribué avec
certitude au Magdalénien supérieur. À la différence de
l’objet précédent, la réalisation de la gravure n’a pas été
précédée d’un façonnage du support. En outre, la
fragmentation du vestige nous prive d’une part sans doute
importante de la représentation. En l’état actuel, on peut lire
deux grands tracés légèrement courbes et disposés en
oblique sur la diaphyse osseuse autour de laquelle ils
s’enroulent. Ils convergent à gauche pour former un motif
fourchu. L’ensemble évoque le corps fuselé et la nageoire
caudale d’un phocidé. Le motif, pour être rare, n’est pas
exceptionnel puisque le Paléolithique supérieur européen
livre à peine une quarantaine de figurations vraisemblables
ou certaines de phocidés, dont une majorité sont
attribuables au Magdalénien moyen et supérieur (Pétillon
2018). Pour rester proche du gisement d’Arancou, citons
uniquement les gisements d’Isturitz (Pyrénées-Atlantiques)
et de Duruthy (Landes) dont les niveaux magdaléniens
moyens fournissent chacun une représentation.
105
Les déblais de la fouille clandestine livrent deux figurations
d’oiseaux incontestables. La première est gravée sur un
fragment de lissoir ou de pendeloque aux bords festonnés
(fig. 3). Les deux extrémités de l’objet étant manquantes par
suite de cassures, il est difficile de savoir s’il s’agit ou non
d’une pendeloque à bélière sur le modèle de celle décrite
plus haut et décorée d’un cétacé, mais c’est assez
vraisemblable. Un quadrupède indéterminé, en profil
gauche et limité à l’arrière-train est amputé par une cassure
de l’objet. Immédiatement à droite et au-dessus, se trouve
une figuration d’oiseau en profil droit. En dépit de ses
dimensions réduites (11 mm de long), on peut lire une ligne
de contour nette qui dessine la tête, et dans son
prolongement, le bec, ainsi que le corps et la queue. Des
hachures obliques vers l’arrière évoquent le plumage. La
forme générale, le bec massif et l’absence de pattes, parce
qu’elles sont peut-être repliées sous le corps, plaident pour
une figuration d’engoulevent. Il s’agirait alors de l’unique
image de cet animal dans le bestiaire paléolithique (Fritz &
Roussot 1999).
Fig. 3 Arancou. Pendeloque ( ?) ornée d’un quadrupède indéterminé
et d’un oiseau, engoulevent probable (©MNP, dist. RMN, Cliché
P. Jugie).
L’ART MOBILIER D’ARANCOU :
DRÔLE DE CHOIX !
La seconde figuration est d’une lecture moins aisée parce
qu’elle prend place sur la diaphyse d’un os long d’oiseau
(chouette harfang probable). Associée à deux têtes de
cheval, l’image se développe sur la longueur du support et
sur une moitié de sa circonférence, hypothéquant la
possibilité d’une vision d’ensemble. Néanmoins, il est facile
de déchiffrer le cou allongé d’un échassier au bec
moyennement développé, ainsi qu’un corps assez allongé
terminé par une queue qui semble tomber vers le sol (fig 4).
Ces caractéristiques sont compatibles avec la grue
(Crémadès 1996) que les artistes magdaléniens ont
probablement aussi figurée à Lortet (Hautes-Pyrénées), La
Vache (Ariège) et Laugerie-Basse (Dordogne, Cleyet-Merle
& Madelaine 1995 et Laroulandie, ce volume, p. 91).
On ne saurait évoquer la gent aviaire de Bourrouilla sans
parler de la chouette harfang. C’est en effet l’espèce
d’oiseau la plus abondante parmi les vestiges osseux mis
au jour sur le site. Environ 1 500 restes (pour un minimum
d’une soixantaine d’individus) ont été identifiés tant dans les
déblais de la fouille clandestine que pendant les fouilles de
tous les secteurs du gisement. Certains niveaux fouillés à
l’intérieur de la grotte ont livré des restes très nombreux,
témoignant à la fois de la consommation de la viande, mais
aussi de l’utilisation de certains os pour la confection
d’aiguilles à chas de petit calibre. En outre, le plumage
(blanc chez le mâle) aura probablement retenu l’attention
des Hommes et sera sans doute intervenu dans la parure
corporelle et/ou l’empennage des hampes de sagaies. Et
pourtant, le harfang n’est jamais figuré !
LES CANIDÉS
Les canidés sont rares dans l’art paléolithique pariétal et
mobilier. Le loup comme le renard (roux ou arctique) font
partie des animaux qu’ont nécessairement côtoyés les
Hommes, mais qu’ils n’ont pratiquement pas représentés.
Les données nouvelles sur une domestication du chien,
détaillées dans l’article de M. Boudadi-Maligne (ce volume),
plus ancienne que ce que l’on pouvait imaginer renforcent
le hiatus entre la place vraisemblablement tenue par ces
animaux dans la vie des chasseurs-cueilleurs et leur
discrétion remarquable dans l’iconographie.
Dans ce contexte, chaque représentation de canidé a son
importance. Elles sont deux à Bourrouilla, gravées en file
indienne sur une côte de cerf (Aurière et al. 2013). La lecture
de ces œuvres est rendue plus difficile par le mauvais état
de conservation du vestige. Celui-ci était en effet brisé en
34 fragments au moment de sa découverte et il présente
par ailleurs les traces d’une exposition au feu (fig. 5).
Néanmoins, on peut assez facilement déchiffrer deux
animaux figurés en profil droit et se suivant. La qualité
technique de ces images est très différente de celle des
lissoirs et pendeloques décrits précédemment. L’étude
détaillée de ces figurations démontre que le graveur a
rencontré des difficultés dans la manipulation de son outil
et sans doute aussi dans le respect de l’anatomie des
animaux qu’il représentait. Seuls leurs profils sont indiqués.
L’animal de gauche est le plus complet. Il présente une tête
triangulaire avec un museau pointu et une oreille saillante.
L’arrière-train est très arrondi, figuré par un tracé dédoublé.
Fig. 4 Arancou. Tube en os d’oiseau orné d’une grue et de deux chevaux (©MNP, dist. RMN, Cliché P. Jugie, relevé A. Roussot).
ANIMAUX RARES, GIBIERS INATTENDUS. REFLETS DE LA BIODIVERSITÉ
PRÉHISTOIRE
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Fig. 5 Arancou. Côte de cerf ornée de deux canidés. (Clichés F. Plassard, relevé L. Aurière).
Le membre postérieur est figuré légèrement décalé vers
l’arrière et la queue est absente. Le second animal est moins
lisible car morcelé par de nombreuses fractures. La ligne
cervico-dorsale est très légèrement concave, la tête
(désormais incomplète) semble plus épaisse, et le poitrail
plus massif. La ligne ventrale est mal préservée, le membre
antérieur est droit et finit en pointe.
La détermination spécifique de ces représentations est
délicate. La morphologie et l’attitude des animaux
conduisent à hésiter entre cervidés et canidés. Le sujet de
gauche nous fait cependant privilégier la dernière
hypothèse, sans pouvoir trancher entre renard roux et loup.
Le renard polaire est exclu parce que ses oreilles sont
rondes et petites alors qu’elles sont figurées grandes et
pointues sur les images qui nous intéressent. Un rapide
aperçu (non exhaustif) des images de canidés découvertes
sur d’autres sites nous amène une nouvelle fois à la grotte
La Vache (Ariège), où deux loups affrontés sont gravés sur
une côte de bovidé. La grotte béarnaise d’Espalungue livre,
quant à elle, une représentation en ronde bosse de la tête
d’un renard sculptée à l’extrémité d’un bâton percé en bois
de renne (Piette 1907). Et pour ne citer qu’un dernier
exemple pyrénéen, évoquons une autre représentation de
renard (polaire ?) gravée dans la grotte Altexerri au Pays
basque espagnol (Altuna 1997). Le Périgord n’est pas en
reste avec un loup assez pertinent, peint à Font-de-Gaume,
même s’il connaît des problèmes de conservation (Capitan
et al. 1910 ; Boudadi-Maligne, ce volume, p. 76) et un
107
renard gravé sur un fragment osseux de Limeuil (Tosello
2003). Nous ne saurions terminer ce florilège sans citer une
figuration du Magdalénien moyen de la grotte de La Marche
(Vienne). Gravée sur une plaquette calcaire, et mêlée à des
tracés indéchiffrables, cette représentation claire de canidé
pourrait être celle d’un chien, eu égard à son attitude. Si
l’hypothèse était confirmée, cette image serait pour l’instant
la seule de cet animal dans l’art paléolithique (Mélard 2016
; Boudadi-Maligne, ce volume, p. 76).
Revenons à Arancou. Loup, renard roux et renard polaire
sont bien représentés dans le matériel paléontologique du
gisement. S’agissant du loup, Il est presque exclusivement
représenté par des os des extrémités des membres, ce qui
laisse penser que c’est la peau (et la fourrure) des animaux
qui fut introduite sur le site et non l’animal entier (Fosse
1999). Pour les renards, la forme polaire semble la mieux
représentée, mais il est difficile de statuer sur ces vestiges
dont aucun ne porte de trace d’action humaine, hormis une
canine de renard roux, percée et décorée dont la fonction
d’objet de parure ne fait pas de doute.
LES OURS
Le dernier animal que nous évoquerons ici est l’ours. Il est
figuré deux fois à Arancou sur un fragment de côte refendue
découvert dans les déblais de la fouille clandestine (fig. 6).
Particulièrement étroit et assez épais, ce support offre une
face supérieure plus convexe que les lissoirs classiques.
Sur cet objet très incomplet figurent deux animaux se
L’ART MOBILIER D’ARANCOU :
DRÔLE DE CHOIX !
Fig. 6 Arancou. Hémi-côte ornée de deux ours se suivant (©MNP,
dist. RMN, cliché P. Jugie, relevé A. Roussot, modifié F. Plassard).
suivant, d’abord interprétés comme des canidés (Fritz &
Roussot 1999), puis comme des ours (Man-Estier 2011),
avant que la découverte d’un fragment complémentaire ne
conforte cette hypothèse. En effet, le sujet de droite est
maintenant assez complet pour que soient identifiables une
queue courte, ainsi qu’une ligne de garrot légèrement
bossue et caractéristique des ursidés. Notons néanmoins
que la tête du sujet de gauche semble bien peu épaisse
pour celle d’un ours.
La place de l’ours dans l’art paléolithique est très marginale
(de l’ordre de 2 % des images). Pour autant, avec environ
170 représentations, il n’a pas le caractère exceptionnel des
canidés ou des cétacés. Dans ces conditions, sa présence
à Arancou est moins remarquable que celle d’autres
thèmes, mais elle accentue néanmoins le caractère
inhabituel du bestiaire figuré sur ce site.
Quant au matériel paléontologique, la fouille clandestine a livré
une quinzaine de vestiges dont certains évoquent l’ours des
cavernes. Cette détermination est cependant sujette à caution
dans un contexte magdalénien récent où cet animal est sensé
avoir déjà disparu (Fosse 1999). Aucune datation directe de
ce matériel n’est venue jusqu’ici trancher la question.
ET AILLEURS…
Les gisements attribués au Magdalénien moyen et
supérieur dans les Pyrénées sont nombreux et certains ont
livré des corpus d’art mobilier beaucoup plus conséquents
que Bourrouilla. C’est notamment le cas de sites fouillés
anciennement comme Isturitz, Gourdan, Lortet, et plus
encore le Mas-d’Azil (voir par exemple Thiault & Roy 1996).
Malheureusement les conditions de fouilles ne permettent
pas toujours de connaître avec certitude l’attribution
chronoculturelle de chaque pièce et l’on doit souvent se
contenter d’évoquer le Magdalénien récent, sans plus de
précision.
ANIMAUX RARES, GIBIERS INATTENDUS. REFLETS DE LA BIODIVERSITÉ
PRÉHISTOIRE
Seule sans doute, la grotte de La Vache qui n’a livré que du
Magdalénien supérieur échappe à ce flou et livre une série
spectaculaire, tant par le nombre des objets que par la
qualité graphique d’une bonne part d’entre eux et leur
diversité thématique (Clottes & Delporte 2003). Plus de
200 figurations animales y sont réparties sur une centaine
d’objets pour une quinzaine d’espèces figurées. Le
bouquetin domine, à égalité avec les animaux indéterminés,
et accompagné par le cheval, le bison et les cervidés (cerf,
biche, renne et cervidés indéterminés). Au total, ceux là
constituent 70 % du corpus quand toutes les autres
espèces (aurochs, isard, antilope saïga, ours, loup, cétacé,
oiseaux, félin, phoque, rongeurs, humain) s’additionnent
pour compléter la série.
Les comparaisons avec Arancou sont tentantes mais restent
fragiles en raison du déséquilibre numérique entre les deux
séries. À Bourrouilla, nous connaissons aujourd’hui cinq fois
moins de figurations animales qu’à La Vache. Pour autant, le
contexte chronoculturel identique – le Magdalénien
supérieur –, confirmé par la proximité des datations
radiocarbone et l’apparition de sujets rares, incitent au
parallèle. On est alors surpris de constater, comme nous
l’avons dit plus haut, que la série de Bourrouilla ne se contente
pas d’offrir une diversité iconographique peu habituelle et
seulement comparable à celle de La Vache, mais qu’elle
donne aux sujets réputés marginaux une place
prépondérante, reléguant les grands herbivores « classiques »
au second plan. C’est une situation unique en l’état de la
recherche. L’intérêt de ce matériel est décuplé par les
méthodes de fouilles qui permettent de restituer ces vestiges
au sein d’une stratigraphie fine et fiable, voire de lier cette
production symbolique à d’autres activités réalisées sur le site.
On peut néanmoins s’interroger sur cette diversité
thématique. Elle est globalement associée au Magdalénien
supérieur bien qu’elle puisse être perceptible dans
certaines séries du Magdalénien moyen comme La Marche
(Vienne). Elle se manifeste davantage dans l’art mobilier
que dans l’art pariétal, mais aussi bien sur des supports
organiques (os, bois de renne) que lithiques (plaquettes ou
galets). Loin de la zone pyrénéenne, le site de plein air
occupé au Magdalénien supérieur de Gönnersdorf
(Allemagne, vallée du Rhin) a livré ainsi des centaines de
figurations gravées sur des plaquettes de schistes. Outre
400 figurations féminines devenues emblématiques par leur
schématisme (Figuration Féminines Schématiques – FFS –
dites encore « figurations féminines du type LalindeGönnersdorf »), on compte 275 figurations animales parmi
lesquelles une majorité de chevaux et de mammouths, mais
aussi un bestiaire plus inhabituel réunissant l’ours, le loup,
le lion, les phoques (13), les oiseaux (22) d’espèces variées
(grue, corbeau, lagopède…) ou encore une grenouille et
deux figurations de tortues marines (Bosinski 2011).
Cet élargissement iconographique est contemporain d’une
diversification de l’exploitation des ressources animales. En
effet, jusqu’au Magdalénien moyen, le spectre des faunes
108
chassées est le plus souvent réduit aux grands herbivores
de troupeaux (bison, cheval, renne,…) tandis qu’au cours du
Magdalénien supérieur, la capture de « proies alternatives »
s’accroît avec notamment le développement de la pêche (au
saumon, en général), de l’exploitation des oiseaux, voire des
mammifères marins (Pinnipèdes) sur certains sites côtiers.
Dans le même esprit, c’est au cours du Magdalénien moyen
qu’apparaît l’utilisation des os de cétacés dans l’industrie
osseuse (Pétillon 2018 et ce volume).
Pour autant, il serait illusoire de chercher une image fidèle
de cette diversification dans le bestiaire figuré. La chouette
harfang est absente de l’art de Bourrouilla alors qu’elle a
constitué un gibier plus qu’occasionnel pour les occupants
du site et il en va de même pour le lagopède à La Vache.
Le gisement de Gönnersdorf se trouvait à plus 500 km des
rivages de la Mer du Nord et ses occupants n’avaient donc
pas physiquement accès aux phoques ou aux tortues
109
marines au moment de leur séjour sur le cours moyen du
Rhin. Ces animaux ne participaient donc pas immédiatement
à leur économie. S’ils les représentaient là, c’est qu’ils les
avaient vus ailleurs au cours de déplacements sur un territoire
très vaste (Bosinski 2011).
Au total, la diversité iconographique documentée par certains
sites du Magdalénien récent trahit probablement en partie
l’évolution de choix d’ordre économique dans l’exploitation
des ressources mais reflète sans doute plus encore des
changements d’ordre culturel impliquant le recours à de
nouveaux motifs. Rappelons cependant pour terminer que,
dans un passé plus ancien, l’Aurignacien de la grotte
Chauvet livre une image de hibou et de nombreuses
figurations de grands carnivores, attestant ainsi du caractère
pluriel des expressions graphiques paléolithiques et nous
invitant à la plus grande prudence dans nos interprétations.
L’ART MOBILIER D’ARANCOU :
DRÔLE DE CHOIX !