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L’art mobilier d’Arancou : drôle de choix !

2019, Catalogue exposition Musée national de Préhistoire, "Animaux rares, gibiers inatendus. Reflets de la Biodiversité", Les Eyzies, juin-nov. 2019

INTRODUCTION L’art mobilier de la grotte Bourrouilla à Arancou (PyrénéesAtlantiques) compte aujourd’hui une soixantaine de vestiges réunissant plus de quatre-vingt motifs dont une moitié de figurations animales. À une exception près, ces représentations figuratives sont attribuables au Magdalénien supérieur. Outre la grande qualité graphique d’une partie de cette production, d’autant plus exceptionnelle que bon nombre des œuvres sont des miniatures n’excédant pas 20 mm de longueur, la diversité du bestiaire figuré et la présence de thèmes inhabituels de l’art paléolithique sont remarquables. Ainsi pouvons-nous observer que, parmi les mammifères herbivores, les cervidés (cerf et biche, alors que le renne est absent) sont plus nombreux que les chevaux et les bisons, et les caprinés (bouquetin et isard) complètement absents. Plus étonnant est la place dominante des figurations de poissons. La présence de l’ours, de canidés, de mammifères marins et d’oiseaux exacerbe la dimension extraordinaire des choix iconographiques des artistes de Bourrouilla. Néanmoins, l’essentiel de ces thèmes existe ailleurs et joue dans d’autres séries un rôle plus ou moins marginal. La surprise à Arancou réside dans leur présence simultanée et dans le relatif effacement des thèmes classiques. Avant de présenter dans le détail quelques-uns de ces vestiges et de nous interroger sur ce qu’ils apportent à notre connaissance des comportements humains de la fin de la dernière glaciation, il n’est pas inutile de présenter rapidement le gisement. L’art mobilier d’Arancou : drôle de choix ! Frédéric Plassard & Morgane Dachary PRÉSENTATION DU GISEMENT Bourrouilla est une petite grotte située dans un paysage vallonné à la limite entre les grandes plaines aquitaines et la montagne pyrénéenne. La découverte du gisement remonte à 1986 et coïncide avec l’identification d’une fouille clandestine à l’intérieur de la cavité. Après le tamisage et le tri des déblais résultant de cette intervention sauvage, et devant le potentiel archéologique du gisement, un programme de recherche fut mis en place dans les années 1990 et se poursuit encore (Chauchat et al. 1999 ; Dachary et al. 2008 et 2016, notamment). Le gisement s’étend à l’intérieur de l’unique galerie de la grotte, longue d’une dizaine de mètres, et en avant du porche. Cependant, une petite salle terminale livre les vestiges les plus spectaculaires et les mieux conservés, en dépit d’une stratigraphie tronquée et des séquelles de la fouille clandestine. Jusqu’ici, les documents archéologiques témoignent d’occupations attribuables à la charnière entre Magdalénien moyen et Magdalénien supérieur, puis de passages répétés au cours des Magdaléniens supérieur et terminal. Tant à l’extérieur que dans la cavité, des vestiges de fréquentions mésolithiques (Dachary et al. 2013), néolithiques et protohistoriques ont aussi été reconnus. ANIMAUX RARES, GIBIERS INATTENDUS. REFLETS DE LA BIODIVERSITÉ PRÉHISTOIRE 102 Le Magdalénien supérieur est aujourd’hui la période la plus documentée sur le site. La fouille de niveaux archéologiques à l’extérieur, sous le porche et dans la salle terminale, permet de bien caractériser cette série d’occupations. Le site était fréquenté au cours de la belle saison. Le cerf et le renne constituent les gibiers privilégiés, puisque leurs ossements représentent environ 80 % des vestiges paléontologiques. Certains niveaux de la salle terminale (US 2007) témoignent aussi d’une intense exploitation de la ressource halieutique et en particulier de la capture du saumon dont les restes se retrouvent en grand nombre. La chouette harfang constitue un dernier gibier remarquable. Les ossements découverts permettent d’estimer que plus d’une soixantaine de ces animaux furent chassés par les hommes du Magdalénien supérieur d’Arancou. L’outillage lithique et osseux (os, bois de renne et bois de cerf), mis au jour au cours des fouilles et extrait des déblais de la fouille clandestine est caractéristique du Magdalénien supérieur. Les lamelles à dos dominent l’outillage en silex, accompagnées par des burins (dont des burins de Lacan, typique de la période), beaucoup plus nombreux que les grattoirs et les perçoirs. La présence de harpons à un et deux rangs de barbelures, associés à des sagaies à biseau double et aux classiques lissoirs sur os et aiguilles à chas confirment l’attribution chrono-culturelle. L’analyse technologique de l’outillage en silex laisse entrevoir que le site, de petites dimensions, a été fréquenté à de nombreuses reprises, mais sur de courtes périodes. Dans ce contexte, la relative abondance et la diversité des vestiges à caractère symbolique (art mobilier et parure) peut surprendre. En effet, certains schémas théoriques d’exploitation des territoires par les chasseurs-cueilleurs associent ces activités à des sites occupés sur de longues périodes, et souvent par des groupes assez nombreux, donc offrant des dimensions importantes. La grotte de Bourrouilla est un contre-exemple spectaculaire à ce schéma et nous invite donc à penser autrement la façon dont les Hommes du Paléolithique supérieur ont parcouru et exploité leur territoire. PRÉDOMINANCE DU MARGINAL : LE BESTIAIRE FIGURÉ À ARANCOU Comme nous l’avons déjà dit, l’art mobilier de Bourrouilla offre un bestiaire varié et original au regard de son abondance toute relative. Le trio habituel du Magdalénien des Pyrénées (Bison, Cheval, Bouquetin) est ici supplanté par des espèces habituellement secondaires puisqu’on ne compte que deux bisons, quatre chevaux et que le bouquetin est absent. Parmi les mammifères herbivores, les cervidés dominent mais restent peu nombreux (1 biche, 1 cerf et 3 cervidés sans précision). LES FIGURATIONS DE SAUMON Les poissons, des salmonidés exclusivement, sont figurés sept fois et dans une majorité de cas il s’agit de saumons indiscutables (fig. 1). Si ce thème apparaît assez souvent 103 dans l’art mobilier magdalénien (surtout dans les Pyrénées, mais aussi en Périgord), il est en général largement marginal par rapport aux grands herbivores (Cleyet-Merle 1990). On est donc frappé de constater sa prééminence à Arancou. De plus, il est associé sur deux objets (réunissant six des sept représentations) à un cervidé. Ce type de composition existe dans d’autres sites pyrénéens attribuables au Magdalénien supérieur, mais sa valeur symbolique nous échappe. Dans une autre perspective, deux des trois supports ornés de saumons sont des lissoirs façonnés à partir de côtes refendues (fig. 1b et c). Si ce type de vestige est habituel dans ce contexte culturel, on est frappé de leur petite taille à Arancou. La découverte dans un niveau particulièrement riche en vestiges de poissons d’un fragment de lissoir tout à fait identique à ceux décorés, issus de la fouille clandestine, nous conduit à poser la question de leur utilisation dans le traitement du cuir de poissons. Cette pratique, documentée par l’ethnologie, est difficile à démontrer dans le registre archéologique, mais le format des lissoirs est ici en accord avec la finesse des cuirs de saumon et avec la minutie indispensable à leur traitement (Dachary et al. 2016). En d’autres termes, les données archéologiques plaident dans ce cas pour une relation étroite entre l’exploitation économique (alimentaire, mais peut-être pas seulement) d’une ressource et la place de son image dans la production iconographique : on travaille le cuir de saumon avec un objet frappé de l’effigie du saumon, associée par deux fois à un cervidé quand l’espèce cerf est l’une des plus chassée (parmi les herbivores) par les occupants de la grotte. LES MAMMIFÈRES MARINS Deux mammifères marins sont représentés dans la série. Le premier, associé à un cerf, décore une pendeloque à bélière issue de la fouille clandestine (fig. 2a). Cette pièce est parfaitement inscrite dans la production standardisée du Magdalénien supérieur de Bourrouilla : production sur côte refendue, petite dimension, bords festonnés sont récurrents pour les lissoirs et les pendeloques découverts sur le site. La figuration explicite d’un cétacé est beaucoup plus exceptionnelle ; il est cependant délicat de trancher sur l’espèce figurée. Si la baleine est peu vraisemblable, on hésite entre cachalot et bélouga (Fritz & Roussot 1999). Ce type d’image est rarissime dans l’art paléolithique. Le Magdalénien pyrénéen semble ne livrer qu’une autre image sur baguette demi-ronde dans la grotte de La Vache (Feruglio & Robineau 2001), dont la détermination spécifique est là encore difficile : cachalot ou cachalot nain (fig. 2b) ? Le domaine cantabrique fournit en outre une gravure de cétacé sur dent de cachalot dans le Magdalénien moyen de la grotte de Las Caldas (Corchón-Rodríguez & AlvarezFernández 2008), et une gravure pariétale dans la grotte de Tito-Bustillo (Asturies) identifiable comme une baleine (Balbin Behrmann 1989). L’ART MOBILIER D’ARANCOU : DRÔLE DE CHOIX ! Fig. 1 Figurations de poissons d’Arancou. a- Pendeloque sur hémi-côte façonnée. b- Lissoir dit « la biche aux saumons ». Sur le relevé sont indiquées en bleu les figurations de poissons certaines et probables. c- Lissoir sur hémi-côte. Le poisson est encadré par deux séries de grandes hachures et associé à une figuration indéterminée (Clichés F. Plassard, relevé d’après A. Roussot, modifié). ANIMAUX RARES, GIBIERS INATTENDUS. REFLETS DE LA BIODIVERSITÉ PRÉHISTOIRE 104 À ce jour, aucun vestige osseux de cétacé ou de phocidé n’a été identifié à Bourrouilla. Ils existent en revanche dans plusieurs sites magdaléniens des Pyrénées et des Cantabres et témoignent d’une fréquentation du milieu littoral, d’une exploitation d’animaux échoués, voire d’une chasse active (pour les phoques). Outre des traces anthropiques témoignant d’activités bouchères sur certains sites proches de la côte, l’utilisation de dents de phoques et de cétacés dans la confection d’objets de parure, ou leur seule présence dans les niveaux archéologiques, et l’utilisation d’ossements de cétacés comme matière première dans la fabrication de pointes de projectiles, documentée aujourd’hui dans une douzaine de sites nordpyrénéen, confirment l’intérêt que les Magdaléniens avaient pour ces animaux (Pétillon 2018 ; Pétillon & Chauvière, ce volume). Dans un autre contexte géographique, la présence d’un maxillaire de phoque dans les niveaux magdaléniens de l’abri Raymonden (Dordogne) s’inscrit probablement dans la même logique (Hardy 1891). Pour autant, la remontée du niveau de la mer à la fin de la dernière glaciation nous prive sans doute de nombreux sites côtiers et nous interdit d’estimer la part prise par le milieu littoral et ses richesses dans l’exploitation du territoire par les derniers chasseurs-cueilleurs du Paléolithique. a b LES OISEAUX Fig. 2 a- Arancou. Pendeloque en os (côte refendue) ornée d’un cétacé et d’un cerf (©MNP, dist. RMN-GP, cliché P. Jugie). b- La Vache (Ariège). Baguette demi-ronde ornée d’un cétacé, Face supérieure, face inférieure et déroulé de la gravure (Relevé V. Feruglio). La seconde figuration de mammifère marin est moins spectaculaire. Le support de l’œuvre est un fragment de diaphyse de tibia de cerf, découvert au cours des fouilles sous le porche d’entrée, dans un niveau attribué avec certitude au Magdalénien supérieur. À la différence de l’objet précédent, la réalisation de la gravure n’a pas été précédée d’un façonnage du support. En outre, la fragmentation du vestige nous prive d’une part sans doute importante de la représentation. En l’état actuel, on peut lire deux grands tracés légèrement courbes et disposés en oblique sur la diaphyse osseuse autour de laquelle ils s’enroulent. Ils convergent à gauche pour former un motif fourchu. L’ensemble évoque le corps fuselé et la nageoire caudale d’un phocidé. Le motif, pour être rare, n’est pas exceptionnel puisque le Paléolithique supérieur européen livre à peine une quarantaine de figurations vraisemblables ou certaines de phocidés, dont une majorité sont attribuables au Magdalénien moyen et supérieur (Pétillon 2018). Pour rester proche du gisement d’Arancou, citons uniquement les gisements d’Isturitz (Pyrénées-Atlantiques) et de Duruthy (Landes) dont les niveaux magdaléniens moyens fournissent chacun une représentation. 105 Les déblais de la fouille clandestine livrent deux figurations d’oiseaux incontestables. La première est gravée sur un fragment de lissoir ou de pendeloque aux bords festonnés (fig. 3). Les deux extrémités de l’objet étant manquantes par suite de cassures, il est difficile de savoir s’il s’agit ou non d’une pendeloque à bélière sur le modèle de celle décrite plus haut et décorée d’un cétacé, mais c’est assez vraisemblable. Un quadrupède indéterminé, en profil gauche et limité à l’arrière-train est amputé par une cassure de l’objet. Immédiatement à droite et au-dessus, se trouve une figuration d’oiseau en profil droit. En dépit de ses dimensions réduites (11 mm de long), on peut lire une ligne de contour nette qui dessine la tête, et dans son prolongement, le bec, ainsi que le corps et la queue. Des hachures obliques vers l’arrière évoquent le plumage. La forme générale, le bec massif et l’absence de pattes, parce qu’elles sont peut-être repliées sous le corps, plaident pour une figuration d’engoulevent. Il s’agirait alors de l’unique image de cet animal dans le bestiaire paléolithique (Fritz & Roussot 1999). Fig. 3 Arancou. Pendeloque ( ?) ornée d’un quadrupède indéterminé et d’un oiseau, engoulevent probable (©MNP, dist. RMN, Cliché P. Jugie). L’ART MOBILIER D’ARANCOU : DRÔLE DE CHOIX ! La seconde figuration est d’une lecture moins aisée parce qu’elle prend place sur la diaphyse d’un os long d’oiseau (chouette harfang probable). Associée à deux têtes de cheval, l’image se développe sur la longueur du support et sur une moitié de sa circonférence, hypothéquant la possibilité d’une vision d’ensemble. Néanmoins, il est facile de déchiffrer le cou allongé d’un échassier au bec moyennement développé, ainsi qu’un corps assez allongé terminé par une queue qui semble tomber vers le sol (fig 4). Ces caractéristiques sont compatibles avec la grue (Crémadès 1996) que les artistes magdaléniens ont probablement aussi figurée à Lortet (Hautes-Pyrénées), La Vache (Ariège) et Laugerie-Basse (Dordogne, Cleyet-Merle & Madelaine 1995 et Laroulandie, ce volume, p. 91). On ne saurait évoquer la gent aviaire de Bourrouilla sans parler de la chouette harfang. C’est en effet l’espèce d’oiseau la plus abondante parmi les vestiges osseux mis au jour sur le site. Environ 1 500 restes (pour un minimum d’une soixantaine d’individus) ont été identifiés tant dans les déblais de la fouille clandestine que pendant les fouilles de tous les secteurs du gisement. Certains niveaux fouillés à l’intérieur de la grotte ont livré des restes très nombreux, témoignant à la fois de la consommation de la viande, mais aussi de l’utilisation de certains os pour la confection d’aiguilles à chas de petit calibre. En outre, le plumage (blanc chez le mâle) aura probablement retenu l’attention des Hommes et sera sans doute intervenu dans la parure corporelle et/ou l’empennage des hampes de sagaies. Et pourtant, le harfang n’est jamais figuré ! LES CANIDÉS Les canidés sont rares dans l’art paléolithique pariétal et mobilier. Le loup comme le renard (roux ou arctique) font partie des animaux qu’ont nécessairement côtoyés les Hommes, mais qu’ils n’ont pratiquement pas représentés. Les données nouvelles sur une domestication du chien, détaillées dans l’article de M. Boudadi-Maligne (ce volume), plus ancienne que ce que l’on pouvait imaginer renforcent le hiatus entre la place vraisemblablement tenue par ces animaux dans la vie des chasseurs-cueilleurs et leur discrétion remarquable dans l’iconographie. Dans ce contexte, chaque représentation de canidé a son importance. Elles sont deux à Bourrouilla, gravées en file indienne sur une côte de cerf (Aurière et al. 2013). La lecture de ces œuvres est rendue plus difficile par le mauvais état de conservation du vestige. Celui-ci était en effet brisé en 34 fragments au moment de sa découverte et il présente par ailleurs les traces d’une exposition au feu (fig. 5). Néanmoins, on peut assez facilement déchiffrer deux animaux figurés en profil droit et se suivant. La qualité technique de ces images est très différente de celle des lissoirs et pendeloques décrits précédemment. L’étude détaillée de ces figurations démontre que le graveur a rencontré des difficultés dans la manipulation de son outil et sans doute aussi dans le respect de l’anatomie des animaux qu’il représentait. Seuls leurs profils sont indiqués. L’animal de gauche est le plus complet. Il présente une tête triangulaire avec un museau pointu et une oreille saillante. L’arrière-train est très arrondi, figuré par un tracé dédoublé. Fig. 4 Arancou. Tube en os d’oiseau orné d’une grue et de deux chevaux (©MNP, dist. RMN, Cliché P. Jugie, relevé A. Roussot). ANIMAUX RARES, GIBIERS INATTENDUS. REFLETS DE LA BIODIVERSITÉ PRÉHISTOIRE 106 Fig. 5 Arancou. Côte de cerf ornée de deux canidés. (Clichés F. Plassard, relevé L. Aurière). Le membre postérieur est figuré légèrement décalé vers l’arrière et la queue est absente. Le second animal est moins lisible car morcelé par de nombreuses fractures. La ligne cervico-dorsale est très légèrement concave, la tête (désormais incomplète) semble plus épaisse, et le poitrail plus massif. La ligne ventrale est mal préservée, le membre antérieur est droit et finit en pointe. La détermination spécifique de ces représentations est délicate. La morphologie et l’attitude des animaux conduisent à hésiter entre cervidés et canidés. Le sujet de gauche nous fait cependant privilégier la dernière hypothèse, sans pouvoir trancher entre renard roux et loup. Le renard polaire est exclu parce que ses oreilles sont rondes et petites alors qu’elles sont figurées grandes et pointues sur les images qui nous intéressent. Un rapide aperçu (non exhaustif) des images de canidés découvertes sur d’autres sites nous amène une nouvelle fois à la grotte La Vache (Ariège), où deux loups affrontés sont gravés sur une côte de bovidé. La grotte béarnaise d’Espalungue livre, quant à elle, une représentation en ronde bosse de la tête d’un renard sculptée à l’extrémité d’un bâton percé en bois de renne (Piette 1907). Et pour ne citer qu’un dernier exemple pyrénéen, évoquons une autre représentation de renard (polaire ?) gravée dans la grotte Altexerri au Pays basque espagnol (Altuna 1997). Le Périgord n’est pas en reste avec un loup assez pertinent, peint à Font-de-Gaume, même s’il connaît des problèmes de conservation (Capitan et al. 1910 ; Boudadi-Maligne, ce volume, p. 76) et un 107 renard gravé sur un fragment osseux de Limeuil (Tosello 2003). Nous ne saurions terminer ce florilège sans citer une figuration du Magdalénien moyen de la grotte de La Marche (Vienne). Gravée sur une plaquette calcaire, et mêlée à des tracés indéchiffrables, cette représentation claire de canidé pourrait être celle d’un chien, eu égard à son attitude. Si l’hypothèse était confirmée, cette image serait pour l’instant la seule de cet animal dans l’art paléolithique (Mélard 2016 ; Boudadi-Maligne, ce volume, p. 76). Revenons à Arancou. Loup, renard roux et renard polaire sont bien représentés dans le matériel paléontologique du gisement. S’agissant du loup, Il est presque exclusivement représenté par des os des extrémités des membres, ce qui laisse penser que c’est la peau (et la fourrure) des animaux qui fut introduite sur le site et non l’animal entier (Fosse 1999). Pour les renards, la forme polaire semble la mieux représentée, mais il est difficile de statuer sur ces vestiges dont aucun ne porte de trace d’action humaine, hormis une canine de renard roux, percée et décorée dont la fonction d’objet de parure ne fait pas de doute. LES OURS Le dernier animal que nous évoquerons ici est l’ours. Il est figuré deux fois à Arancou sur un fragment de côte refendue découvert dans les déblais de la fouille clandestine (fig. 6). Particulièrement étroit et assez épais, ce support offre une face supérieure plus convexe que les lissoirs classiques. Sur cet objet très incomplet figurent deux animaux se L’ART MOBILIER D’ARANCOU : DRÔLE DE CHOIX ! Fig. 6 Arancou. Hémi-côte ornée de deux ours se suivant (©MNP, dist. RMN, cliché P. Jugie, relevé A. Roussot, modifié F. Plassard). suivant, d’abord interprétés comme des canidés (Fritz & Roussot 1999), puis comme des ours (Man-Estier 2011), avant que la découverte d’un fragment complémentaire ne conforte cette hypothèse. En effet, le sujet de droite est maintenant assez complet pour que soient identifiables une queue courte, ainsi qu’une ligne de garrot légèrement bossue et caractéristique des ursidés. Notons néanmoins que la tête du sujet de gauche semble bien peu épaisse pour celle d’un ours. La place de l’ours dans l’art paléolithique est très marginale (de l’ordre de 2 % des images). Pour autant, avec environ 170 représentations, il n’a pas le caractère exceptionnel des canidés ou des cétacés. Dans ces conditions, sa présence à Arancou est moins remarquable que celle d’autres thèmes, mais elle accentue néanmoins le caractère inhabituel du bestiaire figuré sur ce site. Quant au matériel paléontologique, la fouille clandestine a livré une quinzaine de vestiges dont certains évoquent l’ours des cavernes. Cette détermination est cependant sujette à caution dans un contexte magdalénien récent où cet animal est sensé avoir déjà disparu (Fosse 1999). Aucune datation directe de ce matériel n’est venue jusqu’ici trancher la question. ET AILLEURS… Les gisements attribués au Magdalénien moyen et supérieur dans les Pyrénées sont nombreux et certains ont livré des corpus d’art mobilier beaucoup plus conséquents que Bourrouilla. C’est notamment le cas de sites fouillés anciennement comme Isturitz, Gourdan, Lortet, et plus encore le Mas-d’Azil (voir par exemple Thiault & Roy 1996). Malheureusement les conditions de fouilles ne permettent pas toujours de connaître avec certitude l’attribution chronoculturelle de chaque pièce et l’on doit souvent se contenter d’évoquer le Magdalénien récent, sans plus de précision. ANIMAUX RARES, GIBIERS INATTENDUS. REFLETS DE LA BIODIVERSITÉ PRÉHISTOIRE Seule sans doute, la grotte de La Vache qui n’a livré que du Magdalénien supérieur échappe à ce flou et livre une série spectaculaire, tant par le nombre des objets que par la qualité graphique d’une bonne part d’entre eux et leur diversité thématique (Clottes & Delporte 2003). Plus de 200 figurations animales y sont réparties sur une centaine d’objets pour une quinzaine d’espèces figurées. Le bouquetin domine, à égalité avec les animaux indéterminés, et accompagné par le cheval, le bison et les cervidés (cerf, biche, renne et cervidés indéterminés). Au total, ceux là constituent 70 % du corpus quand toutes les autres espèces (aurochs, isard, antilope saïga, ours, loup, cétacé, oiseaux, félin, phoque, rongeurs, humain) s’additionnent pour compléter la série. Les comparaisons avec Arancou sont tentantes mais restent fragiles en raison du déséquilibre numérique entre les deux séries. À Bourrouilla, nous connaissons aujourd’hui cinq fois moins de figurations animales qu’à La Vache. Pour autant, le contexte chronoculturel identique – le Magdalénien supérieur –, confirmé par la proximité des datations radiocarbone et l’apparition de sujets rares, incitent au parallèle. On est alors surpris de constater, comme nous l’avons dit plus haut, que la série de Bourrouilla ne se contente pas d’offrir une diversité iconographique peu habituelle et seulement comparable à celle de La Vache, mais qu’elle donne aux sujets réputés marginaux une place prépondérante, reléguant les grands herbivores « classiques » au second plan. C’est une situation unique en l’état de la recherche. L’intérêt de ce matériel est décuplé par les méthodes de fouilles qui permettent de restituer ces vestiges au sein d’une stratigraphie fine et fiable, voire de lier cette production symbolique à d’autres activités réalisées sur le site. On peut néanmoins s’interroger sur cette diversité thématique. Elle est globalement associée au Magdalénien supérieur bien qu’elle puisse être perceptible dans certaines séries du Magdalénien moyen comme La Marche (Vienne). Elle se manifeste davantage dans l’art mobilier que dans l’art pariétal, mais aussi bien sur des supports organiques (os, bois de renne) que lithiques (plaquettes ou galets). Loin de la zone pyrénéenne, le site de plein air occupé au Magdalénien supérieur de Gönnersdorf (Allemagne, vallée du Rhin) a livré ainsi des centaines de figurations gravées sur des plaquettes de schistes. Outre 400 figurations féminines devenues emblématiques par leur schématisme (Figuration Féminines Schématiques – FFS – dites encore « figurations féminines du type LalindeGönnersdorf »), on compte 275 figurations animales parmi lesquelles une majorité de chevaux et de mammouths, mais aussi un bestiaire plus inhabituel réunissant l’ours, le loup, le lion, les phoques (13), les oiseaux (22) d’espèces variées (grue, corbeau, lagopède…) ou encore une grenouille et deux figurations de tortues marines (Bosinski 2011). Cet élargissement iconographique est contemporain d’une diversification de l’exploitation des ressources animales. En effet, jusqu’au Magdalénien moyen, le spectre des faunes 108 chassées est le plus souvent réduit aux grands herbivores de troupeaux (bison, cheval, renne,…) tandis qu’au cours du Magdalénien supérieur, la capture de « proies alternatives » s’accroît avec notamment le développement de la pêche (au saumon, en général), de l’exploitation des oiseaux, voire des mammifères marins (Pinnipèdes) sur certains sites côtiers. Dans le même esprit, c’est au cours du Magdalénien moyen qu’apparaît l’utilisation des os de cétacés dans l’industrie osseuse (Pétillon 2018 et ce volume). Pour autant, il serait illusoire de chercher une image fidèle de cette diversification dans le bestiaire figuré. La chouette harfang est absente de l’art de Bourrouilla alors qu’elle a constitué un gibier plus qu’occasionnel pour les occupants du site et il en va de même pour le lagopède à La Vache. Le gisement de Gönnersdorf se trouvait à plus 500 km des rivages de la Mer du Nord et ses occupants n’avaient donc pas physiquement accès aux phoques ou aux tortues 109 marines au moment de leur séjour sur le cours moyen du Rhin. Ces animaux ne participaient donc pas immédiatement à leur économie. S’ils les représentaient là, c’est qu’ils les avaient vus ailleurs au cours de déplacements sur un territoire très vaste (Bosinski 2011). Au total, la diversité iconographique documentée par certains sites du Magdalénien récent trahit probablement en partie l’évolution de choix d’ordre économique dans l’exploitation des ressources mais reflète sans doute plus encore des changements d’ordre culturel impliquant le recours à de nouveaux motifs. Rappelons cependant pour terminer que, dans un passé plus ancien, l’Aurignacien de la grotte Chauvet livre une image de hibou et de nombreuses figurations de grands carnivores, attestant ainsi du caractère pluriel des expressions graphiques paléolithiques et nous invitant à la plus grande prudence dans nos interprétations. L’ART MOBILIER D’ARANCOU : DRÔLE DE CHOIX !