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Isaki Lacuesta: Démasquer le mythe

2018, Castanon-Akrami, Brice & Ramos Alquezar, Sergi (éds.), Le cinéma d'Isaki Lacuesta

Ce travail analyse l’intersection entre mythe et politique dans l’œuvre du cineasta catalan Isaki Lacuesta. La notion de mythe renvoie souvent à des figures aux quelles, loin des modèles héroïques, on reconnait une certaine exceptionnalité et même exemplarité. L’attirance pour les mythes du réalisateur surgit de sa fascination pour l’interaction entre la vie et l’art (Cravan vs. Cravan, 2002 ; La leyenda del tiempo, 2006 ; Els passos dobles, 2011), ainsi que pour l’aventure et l’altérité (Cravan vs. Cravan, La noche que no acaba, Los condenados) ; mais surtout de sa volonté de restaurer la complexité inconfortable de la vie face à la simplicité réconfortante du mythe (La leyenda del tiempo, Los condenados ; La propera pell, 2016) et de développer une relecture idéologique des discours arrangeants camouflés dans ces récits qui sont bien souvent hérités et assumés de manière irréfléchie.

Brice Castanon-Akrami et Sergi Ramos Alquezar (éds.) Le cinéma d'lsaki Lacuesta Centre Pompídou Texce incégral © Éditions mare & martín, 2018 Sauf pour leur rexte © Frodon, © Maire et © Vita-Macas Traduction des cexces d'Enrique Vila-Matas, Angel Quintana, Josecxo Cerdán et Miguel Fernández Labayen et des encreciens avec Amanda Villavieja, Do mi Parra, Gerard Gil, Sergi Dies et Isaki Lacuesta : Brice Castanon-Akrami et Sergi Ramos Alquezar. Traduction de l'enrretien avec Isa Campo : Sonia Kerfa. ISBN 979-1 0-92054-94- 1 Le Code de la propriété imellecmelle incerdit les copies ou reproduccions descinées aune ucilisarion collective. Toute représen ration ou reproduccion incégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consencemenr de I'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et conscitue une concrefa<;on sanctionnée par les arrides L. 335-2 et suivants du Code de la propriété incellecruelle. Pour les publications destinées ala jeunesse: application de la Loi nº 49-956 d u 16 juillet 1949. Table des matieres Isaki Lacuesta, « who lives more lives than one » Brice CASTANON-Ñ<RAMI et Sergi RAM os ALQUEZAR... ... .. .. .. ... . . .. . .. .. . . ... .. 9 eombre de Cravan Enrique Vru-MATAS........ ...... .............. ........ .. .............. .... ... .......... ... . ..... 29 Cartographie et territoires Jean-Paul AUBERT ................ ... ...... ...... .. ............. ...... ........ ....... ..... . . ...... .. 35 Des images sur la frontiere Ángel QUINTANA ... .. . .......... ... .... ... .. .. ... .... ... .... ... .... ... .. .. ... .. .. . ....... ....... .. . 51 Des lieux qui « n'existent » pas : regard de géographes sur le projet Llocs que no existeixen (Goggle Earth 1.0) (Isaki Lacuesta et Isa Campo, 2009) Ana'is MARSHALL et Frédéric Ar.EXANDRE .... ........... . ... ... ......... .. ... .. . . . .. . .... 67 Las Variaciones Marker Jean-Michel F RODON ... .. .. .. .. .. ... .... ... . ... . .. . . ... .. .... . ......... . .... ..... ..... ....... .... 83 A double titre. Les identités masquées par Isaki Lacuesta (Autour de La Propera pell et Entre dos aguas) Frédéric MAIRE.......... ........ ....... ...... .. ............. .... ... . . .. .. . . . .. .. . . .. .. .. .. .. ... . ... . 91 Hantise et voix fantomes dans La Leyenda del tiempo d'Isaki Lacuesta : une poétique de l'absence Pascale THIBAUDEAU.... .. ... ... ....... .. ................ ..................... ............... ... ... 99 La quete (bribes et morceaux) Josetxo CERDÁN et Miguel F ERNÁNDEZ LABAYEN ... ............ .. . .... .... ...... .... 115 Démasquer le mythe Marta ÁLVAREZ et Iván VILI.ARMEA ÁLVAREZ .. . ...... ............... .... ............... 153 Filmer et produire ou l'art contraint de faire de l'adversité le fondement de la diversité Julie AMroT-GUILLOUET .... ....... .......... ... ....... ........ .... ... ....... ..... . .... .......... 167 ENTRETIENS Entretien avec Isa Campo Sonia KERFA ............ ...... .. ... .. ... ..... . . .. .... ....... .. . ...... .. ..... .... .. ..... ....... ........ 185 261 Démasquer le mythe Marta ÁLvAREZ, Université de Bourgogrze Franche-Comté, CRJT lván Vru.ARMEA ÁLVAREZ, Universidade de Santiago de Compostela Le cinéma d'Isaki Lacuesta cultive l'art de la fuite, échappant atoute tentative il embrasse la fiction (Los Condenados, 2009) quand on attendait -', documentaire, s'intéresse au star system (La Noche que no acaba, 201 O) quand :i le pensait résolument indépendant ou devient grossier (Murieron por encima !.e sus posibilidades, 20 14) quand on le croyait subril. Nous y reconnaissons la oracité filmique d'un cinéaste transmoderne, qui alterne les formats et les genres !':: qui reviem a des themes modernes avec des formes posr-modernes. Le mythe c:sr l'un de ses themes de prédilection, un axe fédérateur énoncé par l'auteur lui'.'Ileme et par la critique des son premier film. ~'enfermement: Nous idemifions dans l' reuvre du réalisateur catalan le vaste éventail de significations qui SOnt aujourd'hui associées a la notion de mythe, ainsi qu' un ¡raÍtement tres contemporain, qui ne craint pas l'appropriation populaire. En ~!fet, dans l' reuvre d'Isaki Lacuesta cette catégorie renvoie souvent a des figures dans lesquelles, loin des modeles héro'iques, on reconnait une cerraine excep:ionnalité et meme une exemplarité 1• Son atrirance pour les mythes vient de sa :iscination pour l'interaction entre la vie et l' arr (Cravan vs Cravan, 2002 ; La :..eyenda del tiempo, 2006 ; Los Pasos dobles, 2011), pour !'aventure et l'altérité Cravan vs Cravan, La Noche que no acaba, Los Condenados) ; mais aussi de sa volonté de restaurer la complexité incommode de la vie face ala simplicité récon:Ortante du mythe (La Leyenda del tiempo, Los Condenados ; La Propera pell, 201 6) et de développer une relecture idéologique des discours complaisants camouflés dans ces récits qui sont bien souvent hérités et assumés de maniere irréfléchie. Dans ce sens, nous constatons un point de rencontre entre mythe et politique, sujet qui fera l'objet de ce travail. Nous considérons que le caractere politique est l . Hans Blumenberg, La Raison du mythe, París, Gallimard, 2005 [200 l] écablit une différence entre une tradition dogmatique et une tradition mythique. Cette derniere, face ala premiere, (( parait disposée ala variation en vue de manifester la nature inépuisable de son fonds de départ » (p. 33), les deux conceptions se croisent dans la lecture que nous faisons de l'ceuvre d'Isaki Lacuesta : parfois les récits et figures exemplaires deviennent dogmes, et c'est alors que l'ceuvre du réalisateur se donne pour mission la démythificarion. 153 rout aussi inhérent al' a:uvre d'Isaki Lacuesra, meme si cerre affirmation implique de conrredire l'auteur: «Je ne dirais jamais que je fais du cinéma politique. [... ]Je fais du cinéma, et il y a des manieres eres différentes d'en faire »2 • Dans ces mocs, nous entendons le refus de la limitation et de la catégorisation propres a toUC cinéaste, beaucoup moins partagé par le critique, qui sent au contraire l' envie, sinon l' obligacion, d'établir des connexions et de montrer des fils rouges la ou l'auceur fait de son mieux pour s'y dérober. Nous sommes d'accord avec Brice Cascanon3 lorsqu'il affirme la dimension policique du cinéma du réalisateur catalan, s'appuyant pour cela sur Jacques Ranciere ec sur la « capacité des corps quelconques a s' emparer de leur destin »4 ; il s'agit d'un élément fondamencal dans l'a:uvre de Lacuesta, qui ocrroie parfois une portée myrhique aux figures qui représentenr cette évolurion. Dans les pages qui suivent, nous aurons l' occasion de monrrer que certains de ses films traitent par ailleurs ouvercemenc des questions qui correspondent a une concepcion plus tradirionnelle de la politique, s'interrogeant sur l'organisacion de la vie en société et sur l'exercice du pouvoir a l'intérieur de celle-ci5. Des vies exemplaires Cravan vs Cravan, premier long m étrage d'Isaki Lacuesta, ese, selon son auteur, un film sur « la consrruction d'un myrhe »6, un « bien petit mythe >>7, celui d'Arthur C ravan, qui s'est pourtanc construir en se mesurant a des myrhes bien plus grands. En effet, ce neveu d'O scar W ilde grandit dans l'admiration de l'écrivain ec cótoie d'autres importantes figures du Paris artiscique du début du 2. Paula de Felipe Martínez, Violeta Martín N úñez, «Jamás diría que hago cine político. Tampoco me definiría como un documentalista. Hago cine, y hay formas muy distintas de hacerlo », L'Atalante, Valence, nº 9, 2010, p. 46. 3 . Brice Castanon, Renouveau du documentaire en Espagne et nouveau réalisme catalan: le Master en Documentaire de création de l'Université Pompeu Fabra (Barcelone), these de doctorar, 2011 , p. 27 1, consultée le 16 avril 201 8. URL: http://www.theses.fr/2011REIML004 4. Jacques Ranciere, Le spectateur émancipé, París, La Fabrique, 2008, p. 88. 5. Ce qui comprend a la fois la politique - « la sphere de la conquece, de l'exercice et du rapporc de pouvoir » - et le politique - « la sphere des choses communes - la polis », selon les termes d'Emmanuel Barot, Camera politica, dialectique du réalisme dans le cinéma politique militant, París, Vrin, 2009, p. 27. 6 . José Oliva, « Isaki Lacuesca n arra la historia de Arthur Cravan, púgil y poeta », Diario de León.es, mis en ligne le 11 occobre 2002, consulté le 16 avril 2018, URL : htcp:// www.diariodeleon.es/noticias/cultura/ isaki-lacuesca-narra-hiscoria-arthur-cravan -p ugilpoeta_ 44769.html 7 . « Lo bueno de un mico pequeñito es que puedes descubrirlo. De Dalí o de Picasso hay un montón de biografías escritas, sin embargo, de C ravan no. Esco te permite imaginar y fabular » in Elia Iglesias, « Hacer cine me da la posibilidad de vivir otras vidas », Grafelbergnoticias, mis en ligne le 30 juillec 2010, consulté le 16 avril 2018, URL : http:// grafelbergnoticias.blogspoc.fr/2010/07 /isaki-lacuesra-hacer-cine-me-da-la.hcml 154 xx.• siecle. Le p accencuant le e du choix ec du lesquelles le pa le plus cravanú pistes et combi le réalisateur e adopte une fo:le paysage narn Ce sont les Lacuesta : « Qt cion d'O scar ~ pourrait omTJ qui est Augie:: ou un mélangt a plusieurs mo d'autres figure sité et / ou acL rransformés ec .'\va deviene COI différences, inc réalisateur. Aic par des perso: hollywoodiens interroge par a - celui de Ca..1 Les fil ms d leur pouvoir Ll: La Leyenda tk, nage de Makil fantóme de C. presque tocalic émotionnelle 1 entre dans un espagnole et :: par embrasse:a sa maniere. s' exprimer sa E 8. « Who lives : 9. «¿Pero quié::: o una mezcla a consulté le 16,' largometrajes/lo Dation implique de oürique. [.. .] Je fais >ans ces mors, nous 1:-es a tout cinéasre. 'envie, sinon l'obli! ou l'auteur fair de Casranon 3 lorsqu'i.: n, s'appuyant pou: ;_ues a s'emparer de "t' de Lacuesta, qui ::u cene évolurion. e que certains de 1:-respondent a une e l'organisation de le-ci5• ra, esr, selon son '.':1 perit myrhe »-. :am a des mythes :!S !'admiration de ique du débur du · hago cine político. :mas muy distintas xx< siecle. Le personnage et la mythification a laquelle le soumet Lacuesta - en accentuant le caractere légendaire et mystérieux de sa vie - nous donnent les clés du choix et du rraitement des figures centrales de ses films postérieurs, parmi lesquelles le personnage de Frarn;:ois Augieras dans Los Pasos dobles seca sans doute le plus cravanien. Il s'agit la d'un autre personnage bigger than lije, qui brouille les pistes et combine le geste artistique a l' art de la fui te et de l' altérité. A. nouveau le réalisateur construir un mécanisme de myrhification, mais Los Pasos dobles adopte une forme plus fictionnelle, qui teime de fabularion cette incursion dans le paysage naturel et humain du Pays Dogon. Ce som les vies et les histoires multiples de ces personnages qui captivent Lacuesta : « Qui vit plus d'une vie / devra m ourir plus d' une mort »8 , cetre citarion d'Oscar Wtlde ouvre le premier long métrage du réalisateur catalan, mais pourrair ouvrir tous ses films. Qui est Cravan ? Un boxeur, un poete ? « Mais, qui est Augieras? Légionnaire, peintre, écrivain, saint, bandit, voleur, démon ou un mélange de tout cela? »9 . Comme Cravan, l'écrivain-peintre aura droit a plusieurs mores. rambigüité et l'altérité qui les caractérisem identifient aussi d'aurres figures que les films de Lacuesta accueillent avec bienveillance, curiosité et I ou admirarion, comme Ava Gardner ou Camarón de la Isla, des noms rransformés en mythe par la culture contemporaine. Entre les mains de Lacuesta, Ava deviem tour aussi cravanienne, on scrute ses différents visages a des époques différentes, incarnant l'imbrication entre fiction et vie qui impregne l'oeuvre du réalisateur. Ajourons-y sa capacité a évoluer dans un milieu tres conditionné par des personnalités et des institutions aussi écrasantes que les producteurs hollywoodiens et autres donneurs de lec,:ons sur la sexualité féminine. ractrice imerroge par ailleurs l'Espagne de l' époque tour en incarnant plusieurs mythes - celui de Carmen, celui de Pandora - jusqu'a en devenir un elle-meme. :.i:iur-cravan-p ugil- Les films de Lacuesta fom le portrait de ces personnalirés et insisrent sur leur pouvoir inspirateur pour permettre a d'autres personnages de se réinventer. La Leyenda del tiempo en offre l'un des meilleurs exemples a travers le personnage de Makiko. La jeune japonaise arrive a San Fernando a la poursuite du fantóme de Camarón, figure rutélaire d u film ; malgré son absence pendant la presque rotalité du film, il est un élémem essentiel pour comprendre l'évolution émotionnelle des personnages autour desquels est construir le récir. Makiko entre dans un vérirable jeu de masques, elle apprend a erre chinoise pour erre espagnole et pour devenir finalement elle-meme. C'est la liberté qu'elle finir par embrasser en suivant son idole, et pour cela elle devra accepter de chanrer a sa maniere, comprenant que chanter « comme Camarón» veut dire laisser s' exprimer sa propre voix. z1i o de Picasso ha\· oer mite imaginar y :ras vidas », Grafel~ 8, URL : http:// ;i.-la.hrml 8. « Who lives more lives rhan one / more dearhs rhan one muse die ». 9. « ¿Pero quién es Augiéras? ¿Legionario, pintor, escritor, pistolero, sanco, ladrón, diablo o una mezcla de codo ello? », dans le synopsis du film, sur le site de La Termita Films, consulté le 16/04/ 2018, URL : h ttp://www.latermitafilms.com/es/obras-isaki-lacuesta/ largometrajes/los-pasos-dobles-double-steps/ .falisme catalan : le r".e}, rhese de docto'7120 11 REIMLOO~ • p. 88. ;:e, de l'exercice er L-nunes - la polis ». ;;sme dans le cinéma ;!I ~- poeta», Diario l 8, URL : http:I/ 155 dont l' origine s risce Isa CamP' :>our le courr :::i qui ont vécu !1 celles des Es~ a un m omenr ' discussions su: résurgence d' a: !e souligner, le oour l'hiscoire ' I'extrapolacion. , cese « une cor.; ese au cceur de La questio:i las Variaciones La Leyenda del tiempo (2006). Cette série de films présente des personnages libres ou qui apprivoisenc leur liberté. La fuite -de Cravan en France, en Espagne, au Mexique; d'Ava en Espagne: d'Augiéras au Pays Dogon, etc. - deviene un besoin et presque un geste de survie, autant que les secrets I mensonges I myches qui s'immiscenc dans les histoires et qui les lienc a leurs commUflautés respectives. C'ese ainsi que ces reuvres nous permettenc de mieux saisir d'autres films de l'auteur plus explicitemenc policiques, qui choisiront justemenc des stratégies contraires, celles de la démychification. Les personnages des films qui nous onc intéressés jusqu' ici deviennent exemplaires dans la mesure ou ils sane eux-memes iconoclastes, faisant preuve d' une position quelque peu anarchisce et individualiste dans un monde qui regorge de modeles normaáfs (le(s) pere(s), l'artiste, H ollywood, Paris), de corsees patriarcaux, créatifs, hétérosexuels... En choisissant ses myches, Isaki Lacuesca en construir d'autres: des individualités particulieres, qui arpencenc leur propre chemin et sonc caraccérisées par leur créativité et par leur refus de la norme. Dans cette consrellation, il semble logique qu'il n'aime pas les héros, et encare moins les récits qui, se voulant fondateurs et fédérateurs, deviennent prescriptifs et tocalisants. De la guérilla a la famille : le poids du passé Les référen ces littéraires se multiplient pour éclairer Los Condenados 10 , film qui quescionne le recours a la lutte armée et les récits de résiscance politique, 1O. Filmin, « Entrevista a Isaki Lacuesta, director de Los condenados », Filmin, m is en ligne le 12/11 / 2009, consulté le 16/04/2018, URL: https://www.filmin.es/ blog/ emrevisca-a-isaki-lacuesca-direcror-de-los-condenados. 156 un scept1c1sme roujours le cor (2011 ) réunir ; famille du grcw de 1936, soutei a marqué le réal cercaine manib carian dans l'hi le sujet de la ,-:, adifférentS niY AvecLos Co. commumcanor asusciter l'enn 11. Voir Isaki Lar le 16/04/201 8. !acuesta-escribe-! 12. Loi 52/200Voir l' arride de ~ quisca >>, Bulleó: 13. Ana Useros.. Madrid, nº 22. : reviscaminerval 2. 14. Pascale T hil armée dans Los ligne le 29/0 lC.. PDF/Hispan iso 15. « Las revoh.:t 16. « [D]ialogae implicación en : dom l' origine semble se trouver dans un voyage du réalisareur avec sa co-scénariste Isa Campo en Amérique Latine et dans une collaboration avec Pere Vila pour le court métrage Soldats anonims (2008) 11 . Les expériences des personnes qui ont vécu les dictarures larino-américaines er les luttes armées rencontrent celles des Espagnols au long du XX" siecle (guerre civile, répression, terrorisme) a un moment de tension particuliere en Espagne. En effer, le pays assiste awc discussions sur la loi pour la mémoire historique et, dans ce contexte, a la résurgence d'anciens antagonismes 12 • C omme le réalisateur ne manque pas de le souligner, le recul hisrorique par rapport aux faits racontés était fondamental pour l'histoire de Los Condenados13, mais il était aussi attiré par la possibilité de l'extrapolation, ce qui nous permet d'affirmer, avec Pascale Thibaudeau, que c'est « une communauré de destins et l'universalité de la violence polirique qui est au creur de ce film »14 . . qui apprivoisent leur L:e ; d'Ava en Espagne : 1ue un geste de survie. nr dans les histoires er que ces reuvres nous ;::i:..icirement politiques. a démythification. Les ~.-iennent exemplaires preuve d'une position .ll regorge de modeles cs parriarcaux, créatifs. :onsrruit d'autres : des .>1 et sont caractérisées o nsrellation, il semble qui, se voulant fonda- Condenados 10 , film :ésistance politique. 1s udos », Filmin, mis er. -.dilmin. es/blog/ enrre- La question de la lutte armée impregne l' reuvre du réalisareur. Elle ouvre Las Variaciones Marker (2007), les mots qui accompagnent les images expriment un scepticisme confirmé par d'autres films : « Les révolurions consistent a faire coujours le contraire de ce qu'a fait le gouvernement précédent » 15 . Herencia (2011) réunir trois générations de Lacuesta pour rapporter l'appartenance de la famille du grand-pere au parti communiste, qui, avant le soulevement miliraire de 1936, soutenait la lurte armée comme élément stratégique. Cene circonstance a marqué le réalisateur, il reconnait que ce film tres court (3' 11") « dialogue d'une certaine maniere avec Los Condenados et explique rétrospectivement notre implicarion dans l'histoire » 16 • Dans d'autres entretiens, il évoque par ailleurs comment le sujet de la violence politique revient sans cesse dans sa famille basque, rouchée a différents niveaux par le conflit dans la région. Avec Los Condenados, Isaki Lacuesta rrouve dans la fiction un moyen efficace de communication avec le public. 11 reconnait l' objecrif performatif du film, cherchant asusciter l' envie d'agir, de parriciper a l'histoire, de discuter et de se positionner, l l. Voirlsaki Lacuesta, « Isaki Lacuestaescribesobre Los condenados », Noticine. com, consulté le 16/04/2018, URL : http://noticine.com/ iberoamerica/36-iberoamerica/12306-isakilacuesta-escribe-sobre-qlos-condenadosq.html 12. Loi 52/2007, connue sous le nom de Loi sur la mémoire historique, votée en 2007. Voir !'arride de Jean-Frarn:;:ois Macé, « Los conflictos de memoria en la Espafia postfranquista », Bulletin Hispanique, Bordeaux, nº 11 4-2, 2012, p. 749-774. 13. Ana Useros, « Leyendas de lo cotidiano. Enrrevista con Isaki Lacuesta », Minerva, .\1adrid, nº 22, 2014, consulté le 16/04/20 18, URL :http://www.circulobellasartes.com/ revistaminerva/aniculo.php?id=588 14. Pascale Thibaudeau, « Espagne-Amérique Latine : mémoires croisées de la lurte armée dans Los condenados d'Isaki Lacuesta », HispanismeS, nº 7, 2016, p. 80, mis en ligne le 29/01 /2017, consulté le 16/ 04/2018, URL :http:/ /www.hispanistes.fr/ images/ PD F/ HispanismeS/Hispanismes_7/ 6.Article-Pascale-Thibaudeau. pdf 15 . « Las revoluciones consisten en hacer siempre lo contrario que el gobierno precedenre ». 16. « [D ] ialoga en cierta manera con Los condenados y explica retrospectivamente nuestra implicación en la historia », Ana Useros, art. cit. 157 ?as son a;: ~ ira jusq 'appel de es con:~ ~'.us gra;:{ -e oas a·• ~ -.t:nble ::iea:ar~ laa ::g ?lr r.:..:e se ,;¡_., ~~e-r:-, !': ··~...:r ~-;_, la. . -~tse:: ce ! _-; so:.:::..'el Ces: Los Condenados (2009). -~me tout en étant conscient de la polémique inhérente au sujet traité et a la fac;:on de l'aborder17 • Le film raconte une excavation illégale pour retrouver les restes d'Ezequiel, membre d'un groupe guérillero dans un pays qui n'est - ne veut pas erre - précisé 18 • Cene opération réunit un groupe de fideles a la mémoire du héros combattant, mais, un ancien carnarade, Martín, qui est directement impliqué dans la disparition d'Ezequiel assisre inquiet aux réacrions que cene exhumation provoque chez la nouvelle génération. Avec Raúl, l'ami qui l'a invité a se joindre aux recherches, il est le seul asavoir que « l'histoire officielle » ne correspond pas aux fairs. Doit-on raconter la vérité meme si on sait que beaucoup de personnes vom en souffrir ? Quand la violence est-elle justifiée ? Peut-on échapper a son héritage ? Le long métrage pose beaucoup plus de questions qu'il n'apporre de réponses, mais quelques propositions discursives se faufilent parmi tant d'interrogations. On peut parler de démythification, voire de démystification de la mémoire de cene lurte armée, objer de nostalgie, et meme de culte, qui a ses héros - Martín, Raúl - et ses martyrs - Ezequiel, dont le portrait illuminé par des bougies fair figure d'aucel. Couverture du film donne le ton en établissant un contraste entre des images qui peuvent erre comprises comme un rite visant a raviver le souffle guérillero et d'aurres qui renvoient a la maladie et a un présent bien peu héro"ique 19 • Le jeune Pablo incarne la fascination pour le passé, il ne cache 17. Filmin, are. cit. 18. Jaime Pena explique qu'Isaki Lacuesta veur ainsi que « cec endroir devienne tous les endroits » (« Lacuesra sitúa a sus personajes en un lugar que no existe, simplemente para que ese lugar sea codos los lugares»), « Imprimir (o no) la leyenda », Cahiers du Cinéma España, Madrid, nº 28, 2009, p. 9. 19. Pascale Thibaudeau, art. cit., p. 84. 158 ::.s e::;.4 ~±~6e ., . •• 'es - - - d.:.r ~ -2.:e".!I ---·-- J.&..I. ' . :::.z.nt - .... !"" .~ ?ou.:. ·- ·e m.-e: es;¡¡ ;¡;:~ pas son attirance pour les armes a feu ni sa défense de la lurte armée de l'ETA, er ira jusqu'a tuer un animal par simple curiosité d'óter la vie. En répondant a : appel de Raúl, Martín semble s'etre donné comme mission de faire descendre .es combattants de leur piédestal, mais c' ese Silvia, la fille d'Ezequiel, qui ose la plus grande transgression, en revendiquant le droit a vivre sa propre histoire et a I!e pas avoir a assumer les histoires des autres. I..:énonciation principale du film semble rejoindre son point de vue : l' absence remarquée de Silvia fait que le spectateur soic a l' affut de son apparition, celle-ci ese particulierement frappante, dle se lance dans un monologue - qui est plutot un dialogue tronqué - en un .'Ong plan fixe de presque sept minutes. 11 ese difficile de ne pas comprendre les a.rguments de celle qui considere avoir assez pleuré la disparition de son pere et veut simplement vivre. Elle accepte de se déplacer quand Martín luí révele enfin la vérité et que son pere passe du statut de héros a celui de mutre, mais sa ?résence servira alors non pas avénérer et a réaffirmer un mythe, mais a apporter un soutien dans le présent a ceux qui doivent affronter la vérité. C' est surtout cette réaffirmation du présent qui líe Los Condenados au 2i-é et a la fas;on !'::"Ouver les restes esr - ne veut pas 2 la mémoire du c:emenr impliqué cene exhumation miré a se joindre >=-respond pas aux ~ personnes vonr :: ason hérirage ? orte de réponses, d'inrerrogations. e la mémoire de héros - Martín, des bougies fair .::u un contraste r,isanr a raviver :m présent bien :?SSé, il ne cache eevienne taus les O.:.a1plemente para -.Wiers du Cinéma court mécrage Soldats anonims. On ese loin dans ce demier film des implica.ions émotionnelles que « les condamnés » entretiennent avec l' objet de leurs recherches. Ici, aucun líen personnel n' ese évoqué, en fait, les participants aux rouilles ne savent meme pas a qui appartiennent les restes qu'ils recherchent, et Ont du mal a les identifier lorsqu'ils les trouvent. On joue sur les attentes des spectateurs, familiers des débats autour de la mémoire historique20 ; il ese difficile, sinon impossible, de prendre parti quand nous ne savons pas avec certitude a qui appartiennent les restes et les objets retrouvés, et c' ese justemem la l' enjeu du documentaire, dont la modalité observationnelle fait que ce soit le présent qui s'impose : celui de l'agriculture qui continue de broyer la terre et les dépouilles, celui des travailleurs qui participent aux excavations et qui s'inquietent de la comptabilité des heures de travail. Le synopsis l'avait annoncé : « C'est un film sur le temps, l'hiscoire, et le présent »21 • Pour revenir au long métrage, dans son affirmation du présent le film prend une direccion différente de celle des a:uvres « de la généracion des enfants » - (Los rubios, Albertina Carri, 2003 ; Papá Iván, M aría Inés Roque, 2004 ; M, _ icolás Prividera, 2007 ; etc.) que la critique a interprété a la lumiere de la tliéorie de la postmémoire 22 - , mais aussi d'autres films « d'exhumation », qui attirent l' actention sur les victimes disparues a travers la recherche des corps NN, Héctor Gálvez, 2009 ; Nostalgia de la luz, 2010, Patricio Guzmán) . S'ils 20 . Voir Josecxo Cerdán et Miguel Fernández Labayen, « Memorias y fosas comunes : estrategias políticas del documental independiente», L'Atalante, Valence, nº 23, 2017, p. 187-195. i 1. « Es una película sobre el tiempo, la h istoria, y el presente » (nous soulignons). 12. Voir Laia Quílez, « Éticas y estéticas de la postmemoria en el audiovisual contemporáneo», Historia actual online, nº 38 (3), 20 15, consulté le 16/04/2018, URL: http:// historia-actual.org/Publicaciones/index.php/haol/ article/viewArticle/ 11 9 8 159 font tous appel a des stratégies d' éloignement pour favoriser une distanciation réflexive, les discours reposent sur la certitude de la dénonciation des circonstances des disparitions. Ce son t ces certitudes qu'il est difficile de trouver dans la proposition de Lacuesta, ce qui peut s'avérer épineux quand le sujet est si délicat, mais il ne serait pas pertinent de lui faire un proces a ce propos quand les enjeux sont ailleurs, dans l'affirmation de la vie et du présem mais aussi du droit a ne pas assumer un héritage. 1 ¡ 1 ' lí 1 On passerait ainsi de la guérilla, de la violence de la lurte armée, a la famille, de sang et de choix, deux sujets tres présents dans l' ceuvre de notre réalisateur et qui se croisent parfois (Los Condenados, Herencia). Dans ce sens, La Propera pell, le film qu'lsaki Lacuesta réalise avec Isa Campo, pourrait se lire comme une symhese et une allégorie des questions qui nous occupent ici. Le réalisateur se déclare camusien dans son approche de la violence, mais cela ne veut pas dire seulement, comme il le répete souvent, que le recours a la violence est toujours un échec, Camus lui-meme savait que parfois on n'a pas le choix23. Dans La Propera pe!!, Gabriel doit accepter le fait qu'il a tué son pere, que cela lui était nécessaire pour continuer a vivre ; il doit pour cela faire face a son passé, meme s'il s'avere compliqué et pesant, et l'accepter, aussi pénible et douloureux qu'il soit. Les personnages des autres films du réalisateur catalan ne commettent pas d'actes aussi extremes, ils se limitent parfois a emprunter un chemin comraire a celui de la famille (comme le fait littéralemenr Isaki Lacuesta lui-meme dans Herencia) ou se lancent dans cette fuite en avant a laquelle nous avons déja fait référence ; l'important est de rester dans le présenr et, si possible, sans le poids du passé qú on hérite a ses dépends - Los Condenados, Cinco irmás (Por un amor que morreu) (2013) . La mort donnée par Gabriel nous apparait done comme symbolique, elle nous rapproche du mythe fondateur de la psychanalyse, mais chez lsaki Lacuesta et Isa Campo on ese bien loin d'CEdipe : il ne s'agit pas de prendre une place mais de suivre son propre chemin. Des bateaux et des masques Pourquoi un camusien dédaré tourne-t-il un film qui encha1ne les assassinats et les démembrements, Murieron por encima de sus posibilidades ? Ce long métrage d'Isaki Lacuesta met en images une idée qui est également au cceur de La Matanr;a del porc (2012) : le fantasme de rorrurer des banquiers; selon l'auteur, il « faisait partie de l'imaginaire collectif espagnol »24 • Dans ce meme volume, 23. Juan Sardá, « Isaki Lacuesta: "Camus tenía razón, la violencia siempre es un fracaso" », El cultural, mis en ligne le 20/11/2009, consulté le 17/04/2018, URL :http://www.elcultural.com/ revista/cine/Isaki-Lacuesta/26201 24. « [F]ormaba parte del imaginario colectivo español, [ .. .] resumía muy bien un país y un momento '" Daniel Seguer, « Murieron por encima de sus posibilidades», Transit. 160 ~~ ú une diseanciaeion iacion des circons~e de trouver dans .and le sujet ese si 2 ce propos quand sem mais aussi du LUlée, a la famille, ~ noere réalisateur :e sens, La Propera se Jire comme une !. Le réalisateur se 2. :ie veut pas dire >.ence ese toujours choix23 • Dans La . que cela lui étaie ¡ son passé, meme r douloureux qu'il ie commettent pas chemin comraire s:a lui-meme dans Jus avons déja fait i!ble, sans le poids miás (Por un amor L<Úr done comme JSychanalyse, mais i.: ne s'agir pas de rdiaine les assassie 1ong 1e:ir au creur de La :-:s ; selon I'aueeur, ce meme volume, .~:.wa ··:J_de:s .? e l?re es un fracaso" », L :http://www.elcul- muy bien un país '!Íli/idades », Transit. 1.2 _',,furieron por encima de sus posibilidades (2014). :a comribution de Josecxo Cerdán et de Miguel Fernández Labayen apporte des informations tres édairantes sur les deux films, les reliant au parcours militant .fo réalisaeeur. Ces reuvres sont bien an crées dan s leur com emporanéité sociohisw rique, et soulignem la particularité du regard de Lacuesta ; en effet, face a un cinéma de la crise et del' austérieé qui privilégie la représentation de la souffrance des victimes, le réalisateur m ontre la réaction de celles-ci et pose la question de la :esponsabilité face a la grande récession et de la possibilité de gestes de résistance. La Matanfa del porc explicite des connexions entre les dernieres années du :Tanquisme, la Transition et les manifescations des Indignés de 201 1, a travers un :nontage parallele d'images de ces différentes époques. Lincitation a la violence que fait la voix over contraste avec l'attitude des jeunes manifeseancs - la meme voix qualifie le mouvement des Indignés de « Greenpeace político» - et rappelle '.es « visions et désirs de violence qui craversent le reve vertueux » du mouvemem25• .\ partir de scenes d' abattage traditionnel du cochon, le film exploite le paradigme ce la (( gastronomie politique )) dont la fonction d'expression de la protestation en temps de crise a été étudiée par Germán Labrador, qui considere que dans ce Cine y otros desvaríos, mis en ligne le 28/04/2015, consulré le 16/04/2018, URL: hnp: // cinentransit.com/murieron-por-encima-de-sus-posibilidades/ 25. « Lacuesta expresa, mediante una reflexión histórica y desde el paradigma de la gastronomía política, las visiones y deseos de violencia que atraviesan el sueño virtuoso del movimiento 15-M », Germán Labrador Méndez, «La marea caníbal. La lógica cultural de la :emporalidad de crisis en España, entre revolución, biopolítica, hambre y memoria »,Archivo de la frontera, mis en ligne le 12/01/2015, consulté le 16/04/2018, p. 25, URL: http:// ;vww.archivodelafrontera.com/wp-conrent/uploads/20 15/01 /Germ%C3%Al n_ ~brador-La_marea_can%C3%ADbal_. pdf 161 11 film « Lacuesta s'interroge sur les limites et le prix de l'innocence politique »26 . Un peu plus tard, Murieron por encima de sus posibilidades imerrogera avec le meme scepticism e d' autres modes d' action. l 1 ·1¡ l 1 1 1 1 1 Pour ce faire, le réalisateur compose un véricable « esperpento », done les clés formelles sont celles, en images, du scyle, devenu genre littéraire a pare entiere, créé par Valle-lnclán27 : l'ironie, l'hyperbole et l'animalisation ; la parodie, la satire et la caricature. Dans le film, cinq hommes se retrouvenr dans un hopical psychiatrique a cause d'« accidenrs » qui renvoient au conrexte de la crise28 • Ensemble, ils préparent un plan pour prendre leur revanche sur les responsables de la siruation : déguisés en pandas, ils obligeront ceux qui ont décidé les restrictions budgécaires a« couper » ou a« étre coupés ». Comme Valle-Inclán un siecle plus toe, Isaki Lacuesta considere que seule cette esthécique peut rendre compre d'une société tour aussi grotesque29 • Plusieurs séquences illustrent par un raisonnement par l'absurde les exces qui Ont mené a la crise, on voit les personnages reprendre le langage des cransactions - spéculations - immobilieres pour jouer au Monopoly ou utiliser les arguments de la banque et autres entités financieres pour juscifier une dette crapuleuse ou lancer un crafic de drogue aux portes des écoles. Si la dénonciarion de la destruction de l'État-providence ese claire, la proposicion d'lsaki Lacuesta est bien plus complexe. On assiste aune parodie d'alliance entre opprimés : les catégories aisées veulent récupérer leur ancienne situation privilégiée avec le soutien des classes moyennes ec populaires unies par leur désir de vengeance contre les élices ec de restauracion du mirage de prospérité dans lequel elles vivaienr jusque-la. La satire arteinr tous les domaines, elle dénonce un systeme destrucceur d'une énorme complexité, dom les parametres ne sonr meme pas compris par les dirigeants eux-mémes - le président de la Banque Centrale ese forcé de le reconnaitre -, mais aussi l' erreur de center un retour en arriere, tout en rappelant les faiblesses des mouvements de résiscance, aussi bien dans le passé- la résistance au franquisme - que dans le présent - « Que peut-on attendre d' un mouvement révolucionnaire printanier [le 15-M] ? >l - 30 • 26. « Lacuesta se pregunta por los límites y el precio de la inocencia política », !bid. 27. Poete, romancier et dramaturge, il écrit en 1920 Luces de bohemia, une piece qu'L considere comme son premier esperpento. Le mot désignait en espagnol un personnage, une chose ou situation grotesques ; aujourd'hui le dictionnaire de la Real Academia Españole comprend deux autres significations : conception littéraire de Valle-Inclán et reuvre qu.: s'y accorde. 28. I.:on y reconnait une parodie des« hiscoires de vie » qui sont devenues le modele narraci: habitud pour aborder la crise depuis une perspeccive plus humaine. Voir Germán Labrado: « Las vidas subprime: la circulación de historias de vida como tecnología de im aginació~ política en la crisis española (2007-201 2) >>, Hispanic Review, nº 80 (4), 20 12, p. 557-58 : 29. Begoña Piña, « Isaki Lacuesta : "La única forma de entender España es el espe:pento" », Público, mis en ligne le 22/04/201 5, consulté le 16/04/2018, URL : http: www.publico.es/ culturas/isaki-lacuesta-unica-forma-en tender- 1.html 30. « Qué se puede esperar de un movimiento revolucionario [el 15-M] que se hace e primavera ». 162 Au-dei; nage du El Foucault ei construir s¡ fran c;ais : 1 navire, (( n lieu », «la ¡ les fantasc des cadres t de la tél~"is Alhambra pacte socia.! de Grenaru du directe-.J comme les minable, e.e Les méc la révolucic Bakhtine « !'hópital ps er d'avoir : :nontre a.m.! :·espace ré:t :lJm et !'Es] :nait que • 1 alors a des : Le cama .::inéma de: :out au lo:::¡ . . . :1ques msis:: _a fete, que que ces mé;J ; l . Michel Ft :. IV (1980< ;2. « [U]n ba ~3 . M ichel Ft ~ .Europa ? -:is en ligne .:s. econoffila: ::isis-hisror:Z~"· Voir !'en_, .::;¡ .'v!oyen Ágt -.: Raúl Erno :ence politique »26. Un ::-rogera avec le m eme ;:>enro », dom les clés :fraire a parr enriere, •cien ; la parodie, la .!Tent dans un hópi:O:'ltexte de la crise2s. ~ sur les responsables l:1 r décidé les resuicalle-Indán un siecle _?eut rendre compre s::-enr par un raison"oir les personnages :lieres pour jouer au :i:és financieres pour t!X portes des écoles. claire, la proposiparodie d'alliance ancienne situarion U:1Íes par leur désir de prospérité dans .aines, elle dénonce pa:ametres ne sonr cie:Jt de la Banque ?.'lter un retour en sisrance, aussi bien : : - « Que p eut-on '.':S: ie .!~ ? )) _ 30 Au-dela des intertextualités reconnues par le réalisateur lui-meme, apres le visionnage du film on peut se demander si Lacuesta n' aura.ir pas par ailleurs lu Michel ::=oucault et Mikhail Bakhtine. En effet, Murieron por encima de sus posibilidades se construir spatialement autour de deux des hétérotopies énoncées par le philosophe rrarn;ais : la clinique psychiatrique, exemple de l'hétérotopie de la déviation, et le :J.avire, « l'hétérotopie par excellence », « un morceau flottant d'espace, un lieu sans lieu », « la plus grande réserve d'imagination »31• Le bateau du film concentre tous :es fantasmes du capitalisme : un luxe décomplexé, éroúsant et misogyne partagé par des cadres de la politique et de la banque et par des stars de la mode, du football et de la télévision. Lacuesta renforce le caractere symbolique de sa proposition : « !'effet .-\ lhambra » ese une métaphore qui représente un nouvel ordre basé sur la rupture du pacte social et sur un manque d' égalité qu'il faut dissimuler, comme dans le Pala.is de Grenade, ou le luxe intérieur est camouflé par des murs en briques. Le bateau d u directeur de la banque centrale en devient le meilleur exem ple ; le spectateur, comme les personnages, a du mal a croire qu'un petit bateau de peche,« un bateau minable, comme l'Alhambra »32 puisse cacher un si vaste et luxueux pala.is. Les médias contribuent a la cacophonie ambiante et a la rransformarion de la révolution initiée par les pandas en mouvement carnavalesque planétaire. Bakhtine rejoim Foucault : la fiction se clót dans la gaité de la fece du retour a :'hópital psychiarrique, avec les agitateurs h eureux d'etre devenus trending tapie et d'avoir réussi a maitriser la crise économique. rhétérotopie de la déviation montre ainsi son caractere totalisant, en mem e temps que son pouvoir de reflet de l'espace référentiel33 , car tout favorise le parallele entre l'hOpital psychiatrique du film et l'Espagne, dont le président du gouvernement - Mariano Rajoy - affirmait que« la crise [était] de l'hisroire ancienne »34 . Les pandas ne renvoiem plus alors a des révolutionnaires, mais aux hommes politiques du p ays. Le carnaval devient une figure cié p our comprendre le caractere politique du cinéma de Lacuesta. Si le masque et le déguisement som des éléments constants cout au long de son ceuvre, quelques-uns de ses films plus explicitement politiques insistent sur l'inversion des hiérarchies et le défi de l' autoricé inhérents la fece, que Bakhtine avait analysés35 • 11 nous semble par ailleurs tres significatif que ces memes films se terminent par une scene de carnaval, en évitant le retour a z ?<>lírica '" !bid. .:a, une piece qu'il 1:.:._, personnage, une l Academia Española L-:dán et ceuvre qui 31. Michel Foucault, « Des espaces autres » in Michel Foucault, Dits et écrits: 1954-1988, N (1980-1988), Paris, Gallimard, 1994, p. 762. 32. « [U]n barco de mierda, como la Alhambra ». 33. Michel Foucault, op. cit., p. 76 1. 34. Europa Press, « Rajoy : "En much os asp ectos, la crisis es historia del pasado" », mis en ligne le 11/ 12/2014, consulté le 16/04/2018, URL : http://www.europ apress. es/ eco nomia/ macroeco nomia-00 3 3 8/no ticia-econo mia-macro-raj oy-muchos-aspectoscrisis-historia-pasado-2014 121114 5606.html 35. Voir l'ceuvre de M ikhail Bakhtine, L'r:euvre de Franfois Rabelais et la culture populaire au Mayen Áge et sous la Renaissance, París, Gallimard, 1982 [1933], mais aussi l'article de Raúl Ernesto García Rodríguez, « La carnavalización del mundo como crítica : risa, L es le modele narrarif • Germán Labrador >gia de imaginació~ • 201 2, p. 557-581. ~aña es el esper~ : 8, URL : http:// ~iJ que se h ace en 163 so::: .~s ... ;"..S-...2...'J -·, ..,,!J .~ ~ \·é:ci en ooxr --.-:e 2.u a....- n...-. 6ns rt ~:.iosn ~ :::a;.é ::: 2 p;a~ z ,¿,:,_ ~ _, Canto a Fidel (2013). a l' ordre. C' est le cas dans Murieron . . . , mais aussi dans Canto a Fidel, réalisé en collaboration avec Alba Sotorra (201 3). Comm e souvent chez Lacuesta, le formar court montre de maniere plus directe les stratégies du réalisateur. La panoplie carnavalesque est ici endossée par les corps n us des acteurs, les images confirment l'appropriation des genres canoniques qui est une caractéristique du carnaval. Les vers apologiques consacrés a Fidel Castro par Carilda O liver Labra en 1957 - dont les versions se sont sans cesse multipliées depuis, ala plus grande gloire du Líder mdximo - sont détournés en étant prononcés par un personnage qui veur offrir aCuba une révolution pornographique. Le poeme sen de bande son aun montage alterné d'images du triomphe castriste et de plans d' un pénis déguisé en Fidel et d'un torse féminin faisanr figure de la poétesse nationale. Le déguisement, le travestissement - les levres de Sophia Loren découpées sur un magazine deviendront celles du pénis-Fidel -, la chair et le sexe rabaissem le sublime et l'autorité, le masque vient ici démasquer le mythe du héros guérillero et la littérature qui contribue a l'assoir et a le perpétuer, dévoilant ainsi une conscience contemporaine des dangers de telles mystifications. Conclusion : s'affranchir Le masque et le déguisement sont des présences constantes dans le cinéma d'lsaki Lacuesta, mais ils adoptent des fonctions tres différenres selon les films, acción , política y subjetividad en la vida social y en el hablar », Athenea Digital, nº 13 (2), 2013, consulté le 16/04/2018, URL: h ttp://atheneadigital. net/article/view/v13-n2-garcia 164 .. • ::¡-.se ..--=s ~ n~~~-at c.2l5 2 CS!G"'...D ils sont rendus nécessaires par la nature meme de personnages qui changent constamment de nom et de role. Parfois métaphoriques, ils sont bien souvent visibles, sous la forme de « véritables » masques, d' accessoires, de maquillage et de vetements qui exprimem différentes facettes du personnage : Cravan s'habille en boxeur, Ava en Espagnole, Makiko en Chinoise, Augieras pose sur son visage une fausse barbe. La Leyenda del tiempo consacre quelques minutes a la fete du carnaval a Cadix, créant un contexte qui aura une fonction tres particuliere dans l' ensemble du film. En plein milieu de la fete costumée, les personnages exposent leurs fictions individuelles, et ce faisant le spectateur comprend que les catégories sont floues et perméables, que ces histoires, comme des masques, vont a l'encontre de l'enfermement dans une identité unique; elles aident les protagonistes a s' affranchir des histoires héritées, a « s' emparer de leur destin »36 et a acquérir ainsi une dimension politique et (posirivemem) mythique. .: Fidel, réalisé ez Lacuesta, le :-éalisateur. La urs, les images ;zcréristique du a O liver Labra .!a plus grande ~n personnage ~ serr de bande ms d' un pénis =:s.se nationale. découpées sur e rabaissem le é:-os guérillero ta.ar ainsi une D 'autres films d'lsaki Lacuesta reviennent sur des questions d'actualité qui renvoient au partage et a l' exercice du pouvoir dans nos sociétés - la lurte armée, la crise économique, le leadership, etc. Ces sujets sont en rapport avec des mythes, des récits hérités qui risquent d'entraver l'émanciparion et de nier le présent, et envers lesquels le réalisateur adopte une évidente attitude de démythification. 11 prétend ainsi relativiser leur imporrance, donnant toujours la prioricé au vivant, mais aussi réfuter les mensonges dont ils se servent, bien plus nocifs, dans leur ambition totalisante, que les inventions que déploient les personnages dans leurs parcours. [esperpento offre a l'auteur un langage efficace pour ce type de fictions, dans lesquelles, paradoxalement, le masque serta démasquer, le chaos du carnaval altérant le jeu des hiérarchies. Entre Foucaulr et Bakhtine, certains films de Lacuesta pourraient correspondre a une carnavalesque nef des fous qui devient sarire de tous les aspects de la société et questionnement de tous les métarécits, des plus dictatoriaux aux plus résistants. C'est dans ce sens que le cinéma du réalisateur catalan se révele profondément bakhrinien : dans son dialogisme essemiel37 . Son plurilinguisme se laisse encendre dans l'énorme variété de langues qui se trouvent représentées dans ses films (anglais, bambara, catalan, dogon, franc;:ais, espagnol, galicien, japonais, ... ) mais aussi dans le croisement des voix, des discours et des valeurs qui contribuent a créer des oeuvres denses et riches, des textes dérangeants qui menent a la discussion plus qu'a l'affirmation. ms le cinéma don les films, rjta~ nº 13 (2), d 3-n2-garcia 36. Jacques Ranciere, op. cit., on reprend la lecture de Brice Castanon (op. cit.) que nous avons citée plus haut. 37. Voir Problemes de la poétique de Dostofevski, Paris, Seuil, 1998 [1929] et Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard , 1987 [1978). 165