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Le secret d’ Omphale
par Véronique DASEN
| Presses Universit aires de France | Revue ar chéol ogique
2008/ 2 - n° 46
ISSN 0035-0737 | ISBN 9782130570035 | pages 265 à 281
Pour cit er cet art icle :
— Dasen V., Le secret d’ Omphale, Revue archéol ogique 2008/ 2, n° 46, p. 265-281.
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DOCUMENTS
ET CHRONIQUES
LE SECRET D’OMPHALE
par Véronique Dasen
The secret of Omphale.
Résumé. – Le personnage d’Omphale apparaît sur une
série de gemmes magiques utérines d’époque romaine
impériale. L’héroïne y représente le doublet féminin
d’Héraclès qui protège traditionnellement la région du
ventre sur les pierres gravées. Alors qu’Héraclès lutte
contre un lion, Omphale affronte un âne qui personnifie l’action d’entités malignes qui pourraient nuire à la
santé féminine, des mouvements involontaires de l’utérus aux dangers de l’accouchement. Ce modèle positif
de femme combative, issu d’un jeu d’images et de mots,
se retrouve sur d’autres supports, terres cuites, petits
bronzes et pendentifs en métal dans la série des pseudoBaubô d’Égypte romaine.
Abstract. – The character of Omphale appears on a
series of magical uterine gems of the Roman imperial
period. Omphale substitutes for Herakles who traditionally protects the region of the belly on engraved
stones. Whereas Heracles throttles a lion, Omphale
fights against a donkey which embodies the action of
malevolent entities theatening feminine health, from
the unvoluntary movements of the uterus to the dangers of delivery. This positive model of a combative
woman, based on a play of words and images, is found
in the series of the pseudo-Baubo from Roman Egypt
depicted on other media, such as terracottas, small
bronzes and metallic pendants.
Mots clés. – Monde romain. Égypte romaine. Iconographie. Gemmes magiques. Magie médicale. Magie utérine. Omphale. Baubô. Héraclès. Incubes. Époque romaine impériale.
Key-words. – Roman World. Roman Egypt. Iconography.
Medical Magic. Uterine magic. Omphale. Baubo. Herakles. Incubes. Roman Imperial period.
Les amours d’Omphale et d’Héraclès constituent un thème populaire qui appartient au genre du
« monde à l’envers »1. Chez Diodore de Sicile, Omphale, reine de Lydie, achète comme esclave Héraclès
qui doit expier le meurtre d’Iphitos. Elle lui confie la tâche de débarrasser son royaume de divers monstres
et brigands. Séduite par ses exploits, Omphale découvre les origines du héros et lui rend sa liberté ; elle
l’épouse et lui donne même un fils, Lamos2. Le motif de l’effémination d’Héraclès se développe à l’époque
romaine. Les auteurs se plaisent à décrire comment, sous l’emprise de sa maîtresse, l’identité masculine du
héros vacille. Les amants échangent leurs vêtements, leurs attributs et leurs rôles : amolli, parfumé et revêtu
1. Sur ce motif, H. Kenner, Das Phänomen der verkehrten
Welt in der griechisch-römischen Antike, Bonn, Klagenfurt,
1970, spéc. p. 134-141. Pour les sources littéraires et iconographiques, Boardman, p. 45-53.
REV. ARCH. 2/2008, p. 265-281.
2. Diodore de Sicile, IV, 31, 5-8. Voir aussi le récit similaire d’Apollodore, Bibliothèque, II, 6, 3 ; II, 7, 8 (leur fils
s’appelle Agélaos).
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Véronique Dasen
d’atours féminins, Héraclès « de sa robuste main file la douce laine »3, tandis qu’Omphale adopte sa massue
et sa peau de lion.
Dès la Renaissance, ce couple insolite a inspiré les artistes qui ont traité sur le mode burlesque l’épisode piquant des rôles inversés, dépeignant le héros soumis et féminisé, occupé à des travaux d’aiguille ou
apprenant à manier la quenouille et le fuseau aux pieds d’Omphale4. Cet engouement contraste avec le
désintérêt relatif des imagiers de l’Antiquité, en dépit de l’importance du thème dans la tradition littéraire.
L’image de ce couple non conventionnel n’apparaît qu’à l’époque hellénistique5. Dans l’art romain, peu de
documents font allusion à la dimension négative de la servitude d’Héraclès, à la perte de son identité
héroïque et sexuelle, hormis quelques représentations, peut-être influencées par la propagande d’Octave qui
vise à dénoncer la corruption d’Antoine, dominé par une reine orientale6. Le décor de demeures campaniennes met l’accent sur l’ivresse du héros dans un cadre bachique propice au franchissement des limites7.
Dès la fin du Ier siècle apr. J.-C. le regain de faveur du thème s’explique diversement selon les contextes. À
l’époque des Sévères, le personnage d’Hercule devient un modèle auquel l’art funéraire rend indirectement
hommage en immortalisant les charmes d’une épouse défunte sous les traits de sa compagne d’une beauté
légendaire8.
Sur les pierres gravées, le motif d’Omphale connaît également un intérêt particulier. De nombreuses
gemmes montrent une Omphale d’un érotisme discret, parfois réduite à un buste coiffé de la leontè, ou
debout, nue, portant avec grâce les attributs d’Héraclès, sans perdre de sa féminité ni de sa pudeur, traduite
par l’inclinaison de sa tête (fig. 1)9. La faveur de ces pierres est d’ordinaire interprétée comme l’expression
du désir de séduction, voire d’émancipation et de domination de la clientèle féminine10. D’autres interprétations sont cependant possibles. Leur vogue ne pourrait-elle être due aux pouvoirs cachés d’Omphale, qui
3. Properce, Élégie, III, 11, 17-20, trad. D. Paganelli
(CUF). Voir aussi par ex. Ovide, Héroïdes, 9, 54-120 ; Fastes, II, 305-358 ; Sénèque, Hercule sur l’Œta, 371-377 ; Lucien, Dialogue des dieux, 13.
4. Voir C. Bischoff, Die Schwäche des starken Geschlechts, Herkules und Omphale und die Liebe in bildlichen Darstellungen des 16. und 18. Jahrhunderts, dans
M. Dinges éd., Hausväter, Priester, Kastraten. Zur Konstruktion von Männlichkeit in Spätmittelalter und früher Neuzeit,
Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 153-186 ;
V. I. Stoichita, A. M. Coderch, Goya, The Last Carnival,
Londres, Reaktion Books, 1999, p. 38-42, fig. 10 et 12.
5. Sur le traitement différencié du thème en Grèce et à
Rome, B. Wagner-Hasel, Herakles und Omphale im Rollentausch, Mythologie und Politik in der Antike, dans
G. Engel, H. Wunder éd., Geschlechterperspektiven. Forschungen zur Frühen Neuzeit, Königstein, Ulrike Helmer
Verlag, 1998, p. 205-228.
6. Plutarque, Antoine, 90, 4 ; P. Zanker, The Power of
Images in the Age of Augustus, Ann Arbor, Michigan
Press, 1988, p. 57-65, fig. 45-46. Cf. C. Wölfel, Mythos und
politische Allegorie auf Tafelsilber der römischen Kaiserzeit,
2002, p. 41-43, FU Berlin, Dissertation électronique
<http://www.diss.fu-berlin.de/2002/16/index.html> (Cléopâtre ou Cléopâtre-Séléné en Omphale). D’autres femmes
célèbres, telle Aspasie, sont comparées de manière négative
à Omphale : par ex. Plutarque, Périclès, 24 ; P. SchmittPantel, Aspasie, la nouvelle Omphale, dans P. Schmitt-Pantel, F. de Polignac éd., Athènes et le politique, Dans le sillage de
Claude Mossé, Paris, Albin Michel, 2007, p. 199-221.
7. Sur le cadre bachique, cf. Ovide, Fastes, II, 329330. Pompéi : voir Boardman nos 8, 14, 27-29, 37. Voir
aussi une possible représentation d’Héraclès en Omphale
sur une lampe du Ier siècle, H. Beames, Ariadne, Omphale,
or Hercules : A new interpretation of an ancient lamp ?,
Med. Archaeology, 17, 2004 (= L. Beaumont et al. éd.,
Festschrift in Honour of J. Richard Green), p. 15-23, et le miroir en argent de Terzigno (villa 2) avec un manche en
forme de massue raccordé au disque par une leontè dans
P. G. Guzzo dir., Da Pompei a Roma, Histoires d’une éruption, Pompéi, Herculanum, Oplontis, Milan, Electa / Gand,
Snoeck, 2003, p. 88, fig. 4.
8. N. B. Kampen, Omphale and the instability of gender, dans N. B. Kampen et al. éd., Sexuality in Ancient Art:
Near East, Egypt, Greece, and Italy, Cambridge, Cambridge
University Press, 1996, p. 233-246 ; S. B. Matheson, The
divine Claudia: Women as goddess in Roman art, dans
D. E. E. Kleiner et al., éd., I, Claudia, Women in Ancient
Rome, New Haven, Yale University Art Gallery, 1996,
p. 182-193 ; H. Wrede, Consecratio in formam deorum:
vergöttlichte Privatpersonen in der römischen Kaiserzeit,
Mayence, Philipp von Zabern, 1981 ; P. Zanker, Eine
römische Matrone als Omphale, RM, 1999, p. 119-131.
9. Coll. A. Danicourt (Ier s. av. / Ier s. apr. J.-C.) ;
J. Boardman, publication sur Internet (févr. 2003)
<http://www.beazley.ox.ac.uk/gems/>. Voir aussi Boardman, nos 43-45 (buste), 58-61 et 71-77 (debout).
10. Boardman, p. 52 ; S. Ritter, Ercole e Onfale nell’arte
romana dell’età tardo-repubblicana e augustea, dans
C. Jourdain-Annequin, C. Bonnet éd., Héraclès, les femmes et
le féminin. IIe rencontre héracléenne. Actes du colloque de Grenoble, 22-23 octobre 1992, Bruxelles-Rome, Institut historique belge de Rome, 1996, p. 89-102 ; F. Wulff Alonso,
L’histoire d’Omphalè et d’Héraklès, ibid., p. 103-120.
Le secret d’Omphale
a
1. Cornaline rouge
(2,2 × 1,5 × 3 cm),
coll. A. Danicourt,
Musée municipal
de Péronne.
© Beazley archive.
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b
2 a, b. Jaspe rouge (1,20 × 1,04 × 0,34 cm),
Hambourg, coll. W. Skoluda M090. Cl. W. Skoluda.
vont bien au-delà de la séduction érotique ? Aucun texte, à ma connaissance, n’y fait allusion, mais une
série de gemmes et d’objets magiques révèlent qu’Omphale détient des compétences très particulières qui
en font le doublet d’Héraclès dans un domaine qui concerne spécifiquement la santé féminine.
OMPHALE SUR LES GEMMES MAGIQUES
Dans l’abondante production des gemmes magiques, fabriquées à Alexandrie ou selon des modèles
issus de ce milieu mêlant cultures grecque, égyptienne et juive, une série importante se compose de pierres
dites utérines destinées à protéger la matrice, l’organe féminin par excellence11. Ces pierres datent en majorité de l’époque romaine impériale (IIe-IIIe s. apr. J.-C.) et sont gravées dans des minéraux associés à la couleur rouge, qui leur confère des qualités hémostatiques par magie sympathique. À côté de la cornaline ou du
jaspe rouge, de nombreuses pièces sont en pierre de type ferrique, comme l’hématite ou la magnétite, qui
dégagent une couleur rouge une fois pulvérisées ou au contact de l’eau12.
Dans ce groupe, plusieurs gemmes se distinguent par une variante inhabituelle : elles représentent
une femme nue qu’une inscription ou ses attributs permettent d’identifier à Omphale13. Un jaspe rouge
11. Sur le corpus des gemmes utérines, voir A. A. Barb,
Diva matrix, JWCI, 16, 1953, p. 193-238 ; A. E. Hanson,
Uterine amulets and Greek uterine medicine, Medicina nei
Secoli, 7, 1995, p. 281-299 ; Dasen, 2002 ; Michel, 2004,
p. 178-202 et § 54, p. 334-341 ; Dasen, 2007.
12. Parmi les traités des Lapidaires grecs, voir par ex. le
Lapidaire orphique, 659, au sujet de l’hématite : « Qui toucherait sa surface pourrait prétendre sans doute qu’il a sous
les mains de la pierre, quand ce n’est guère qu’en fait du
sang coagulé. Sa couleur est vraiment celle du sang en ef-
fet : trempée dans de l’eau, la matière devient vite du véritable sang, et “sanguine” est le nom que la pierre a reçu
des tout premiers hommes » (trad. R. Halleux, J. Schamp,
CUF). Cf. une affirmation similaire dans les Kérygmes lapidaires d’Orphée, 22.
13. La plupart des pièces sont répertoriées par Michel,
2004, p. 341, § 54 . 9 « mit Schwangerer und Esel »
(10 gemmes et 4 comparanda), mais sans commentaire sur
la figure d’Omphale.
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Véronique Dasen
de la collection Skoluda de Hambourg (fig. 2 a, b)14 figure ainsi une femme nue, de face, accroupie,
inclinant vers son sexe une petite cruche pour se laver. Sa position frontale, jambes écartées, pourrait
évoquer la toilette d’une prostituée, mais l’indication du ventre gonflé l’associe plutôt à une posture d’accouchement, attestée sur d’autres gemmes de la même période15. Un détail important toutefois diffère :
alors que le corps de la femme en travail doit être dépourvu de liens qui pourraient magiquement empêcher la délivrance, les cheveux du personnage semblent être retenus en chignon sur la tête ; si le motif
contient une allusion à l’accouchement, celui-ci n’est donc pas jugé imminent. Sous la ligne de sol, une
inscription nomme le personnage OMFA / LH. Le revers porte l’image d’un équidé, probablement un
âne, couché sur le dos, le sexe dressé, accompagné d’une inscription magique intraduisible sur trois
lignes : IAC / ZARZ / AC16.
D’autres gemmes établissent un lien plus explicite entre l’âne et la femme, toujours nue, parfois
coiffée de la leontè et armée d’une massue qui la désigne comme l’Omphale mythique à défaut d’inscription. Sur une cornaline rouge conservée à Kassel (fig. 3 a, b)17, la femme accroupie s’appuie sur le gourdin. Elle présente un ventre très arrondi qui suggère qu’elle est enceinte, mais ses cheveux sont à nouveau retenus en chignon dans la nuque. Au revers marche un âne entouré de charaktères, de signes
magiques. Sur le jaspe rouge du musée Getty (fig. 4 a, b)18, Omphale brandit cette fois la massue de
manière menaçante, tandis qu’au revers l’âne ithyphallique avance, l’échine courbée, un triple Y inscrit
dans le registre inférieur19.
La position d’Omphale parfois varie. Sur le jaspe rouge de la collection Southesk (fig. 5 a, b)20, elle se
tient debout, de face, la tête coiffée de la leontè. Sa posture, les jambes légèrement fléchies, évoque l’attitude
caractéristique du dieu nain Bès aux jambes torses. La référence est peut-être volontairement appuyée et
vise à renforcer les pouvoirs d’Omphale : en Égypte dynastique et romaine, Bès est l’un des gardiens familiers de la grossesse et de l’accouchement. Mi-homme, mi-lion, il est comme Héraclès vêtu d’une peau de
félidé. Des milliers d’amulettes portent son effigie protectrice que l’on retrouve sur les gemmes utérines21.
Omphale brandit une massue en direction de l’équidé ithyphallique qui s’avance au revers. Divers signes
apparaissent dans le champ de l’image. Trois L et un surmontent l’animal, tandis que sous les pattes se
trouvent un I et les trois S barrés conventionnellement associés au dieu Chnoubis qui gouverne les maux de
ventre sur les gemmes utérines. L’Omphale d’un autre jaspe rouge, conservé à Bonn (fig. 6 a, b), est cette
14. Michel, 2001 b, p. 79-80, no 83 (avec lecture
d’OMYALH) ; Michel, 2004, p. 341, § 54 . 9 (comparanda). Sur la lecture OMFALH, voir G. Nachtergael, Quelques inscriptions grecques sur des intailles magiques, Aegyptus, 83, 2003, p. 186.
15. Michel, 2001 a, nos 387 et 388 ; Dasen, 2002,
fig. 3 b, et 2007, fig. 2 a-b. Cf. le jaspe vert avec Éros et
Psyché, nue, accroupie dans la même pose au-dessus de
son amant ; Delatte-Derchain, p. 238, no 329.
16. Une pièce similaire avec l’inscription OMFALH
est décrite (sans ill.) dans le catalogue de la coll. Southesk, H. Carnegie, Catalogue of the Collection of Antique
Gems Formed by James, Ninth Earl of Southesk KT, Londres, B. Quaritch, 1908, p. 151, no 21 (A : femme nue accroupie, cheveux dénoués ; B : quadrupède). Le motif de
la femme nue accroupie, tenant une cruche, sans âne,
mais accompagnée d’une formule magique se retrouve sur
d’autres gemmes : magnétite, coll. Skoluda, Hambourg
(face B : AZARAZAX) ; Michel, 2001 b, no 84 ; Michel,
2004, p. 341, § 54 . 9 (comparanda). Jaspe rouge, Hambourg, Museum für Kunst und Gewerbe, 1965, 123 (face
B : IARZARZA) ; Michel, 2001 b, no 85 ; Michel, 2004,
p. 341, § 54 . 9 (comparanda).
17. P. Zazoff éd., Antike Gemmen in deutschen Sammlungen, III, Braunschweig, Göttingen, Kassel, Wiesbaden, Franz
Steiner Verlag, 1970, no 187, p. 245, pl. 111 ; Michel,
2001 b, no 82.
18. Michel, 2004, p. 341, § 54 . 9, pl. 78, 2.
19. Peut-être pour Hygieia ou Hystera, comme le suggère A. A. Barb, Seth or Anubis ?, JWCI, 22, 1959, p. 370,
n. 29.
20. H. Carnegie, op. cit., n. 16, p. 177, N 57 ; Michel,
2004, p. 341, § 54 . 9.
21. A. M. Bisi, Da Bes a Herakles (a proposito di tre
scarabei del Metropolitan Museum), RSt. Fen., 8, 1980,
p. 19-42. Sur Bès et la protection de la maternité au Ier millénaire, V. Dasen, Der Gott Bes und die Zwergin. Eine Figur zum Schutz der Mutterschaft, dans S. Bickel éd., In
Ägyptischer Gesellschaft, Aegyptiaca der Sammlungen Bibel + Orient der Universität Freiburg, Fribourg, Academic
Press, 2004, p. 64-69.
Le secret d’Omphale
a
3 a, b. Cornaline rouge (1,16 × 0,9 × 0,37 cm),
Kassel, Staatliche Museen, Antikensammlung,
ancienne coll. Capello. Cl. du musée.
b
a
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b
4 a, b. Jaspe rouge (1,2 × 1,6 cm)
serti dans une bague en or,
The J. Paul Getty Museum 82.AN.162.80.
Cl. The J. Paul Getty Museum,
Villa Collection, Malibu, California.
fois assise et vue de profil22. Au revers, un âne ithyphallique penche la tête ; sous son ventre sont gravés
trois S, peut-être une variante des S barrés traditionnels.
Le lien de l’âne avec la matrice et le processus de la reproduction est manifeste sur la gemme hématite de Bologne (fig. 7 a, b)23, qui substitue au personnage d’Omphale l’image d’un utérus figuré sous la
forme d’une ventouse médicale fermée par une clef, symbole d’un organe bien clos, protégé de toute
influence extérieure. Au revers, un âne est associé à trois lettres, VVV, ou LLL si l’animal est couché sur le
dos. Le pourtour de la gemme porte le nom d’Ororiouth, la puissance qui maîtrise les mouvements de l’utérus et favorise l’accouchement24.
LE VENTRE D’HÉRACLÈS
L’Héraclès auquel Omphale se substitue détient des compétences particulières sur les gemmes magiques. Gravé d’ordinaire sur du jaspe de couleur rouge, le héros y lutte contre un lion ; il contrôle la région
du ventre, comme le suggère l’inscription de trois kappas, KKK, sur le revers (fig. 8 a, b)25. La formule a fait
l’objet de diverses interprétations ; on peut y lire l’initiale du mot kôlikè, répété trois fois, ou l’abréviation du
nom Kok Kouk Koul, une entité invoquée dans un papyrus magique pour délivrer d’une fièvre26. Un passage d’Alexandre de Tralles (VIe s. apr. J.-C.) confirme cette croyance : l’auteur prescrit de porter en cas de
colique une « pierre de Médie », sertie dans une bague en or, portant gravée la figure d’Héraclès en train de
maîtriser le lion de Némée27. Si les travaux de A. A. Barb et C. Bonner ont fait progresser notre lecture du
22. G. Platz-Horster, Die antiken Gemmen im Rheinischen Landesmuseum Bonn, Cologne-Bonn, R. Habelt,
1984, 55, no 42, pl. 11 (découverte à Cologne) ; Michel,
2004, p. 341, § 54 . 9.
23. A. R. Mandrioli Bizarri, La collezione di gemme del
museo civico archeologico di Bologna, Bologne, Grafis edizioni, 1987, p. 135, no 271 ; Michel, 2004, p. 341, § 54 . 9.
24. Sur Ororiouth, W. M. Brashear, The Greek magical
papyri : An introduction and survey, dans ANRW, 18, 5,
1995, spéc. s.v. « orôriouth », p. 3595 ; sur le motif de l’utérus-ventouse, voir en dernier lieu Dasen, 2007.
25. Michel, 2001 b, no 87 ; Michel, 2004, p. 281,
§ 23 . 1 . a, pl. 77, 1.
26. Sur ces interprétations, voir Bonner, p. 62-64 ; Michel, 2004, p. 178-179.
27. Éd. Th. Putschmann, II, Vienne, 1879, p. 377. Voir
A. Guardasole, Alexandre de Tralles et les remèdes naturels, dans F. Collard, E. Samama dir., Mires, physiciens et
charlatans. Les marges de la médecine de l’Antiquité au
XVIe siècle, Langres, D. Guéniot, p. 81-99, spéc. p. 95.
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a
Véronique Dasen
b
a
5 a, b. Jaspe rouge (1,2 × 1 cm),
coll. Southesk. D’après H. Carnegie,
Catalogue of the Collection
of Antique Gems Formed by James,
Ninth Earl of Southesk KT, Londres, 1908,
N 57, pl. XIV.
7. Hématite (1,63 × 1,26 × 3,7 cm), Bologne,
Museo civico archeologico Gl. 163.
Cl. du musée.
b
6 a, b. Jaspe rouge (1,79 × 1,40 × 0,32 cm)
serti dans un pendentif en or, Bonn,
Rheinisches Landesmuseum 36417. Cl. du musée.
a
b
dispositif mis en place dans les images, il reste à comprendre pourquoi Héraclès fut précisément choisi pour
personnifier ces pouvoirs. L’explication réside probablement dans sa réputation proverbiale de gros mangeur, voire de goinfre. La comédie en fait un glouton qui s’empiffre sans jamais tomber malade, un ventre
auquel s’identifier afin de bénéficier de la même résistance28. Un raisonnement similaire est à l’œuvre sur les
gemmes magiques dites stomachiques qui portent le motif d’un ibis pour favoriser la digestion, un oiseau
réputé capable de manger sans risque des animaux dangereux, comme les serpents et les scorpions29.
Le pouvoir protecteur d’Héraclès ne se limite toutefois pas à l’estomac. Dans le corps féminin, la
région du ventre comprend aussi l’utérus et les problèmes qu’on lui associe, des déplacements incontrôlés
(toute la gamme des fameuses maladies « hystériques ») au déroulement de la grossesse et de l’accouche-
28. Voir par ex. l’Héraclès vorace d’Aristophane (Les
Guêpes, 60 ; Lysistrata, 928), d’Euripide (Alceste, 747-760)
et de Callimaque (Hymne à Artémis, 159-161).
29. La fonction du motif de l’ibis est confirmée par des
inscriptions désignant l’organe à protéger, stomachou, ou
ordonnant pesse (peptè, eupeptei) « digère » ; H. Seyrig,
Invidiae medici, Berytus, 1, 1934, p. 1-11, spéc. p. 5 ; Bonner, p. 51-53. Sur certaines gemmes, le motif de l’ibis est
associé au revers à celui de la matrice ; voir par ex. DelatteDerchain, nos 188-190.
Le secret d’Omphale
a
a
271
b
8 a, b. Jaspe rouge
(1,4 × 1,10 × 0,33 cm), Hambourg,
coll. W. Skoluda M107. Cl. W. Skoluda.
b
9 a, b. Jaspe rouge
(2,29 × 1,92 × 0,33 cm), Hambourg,
coll. W. Skoluda M116. Cl. W. Skoluda.
ment. Dans le vocabulaire médical, les mêmes termes s’appliquent d’ailleurs aux deux organes, tel stoma, la
bouche, désignant l’orifice utérin et celui de l’estomac30. Cette polyvalence trouve une résonance particulière dans la figure d’Héraclès, dont la boulimie se double d’un insatiable appétit sexuel. N. Loraux a
montré que sa virilité superlative, traduite par une impressionnante progéniture, ne peut pas être dissociée
de son ventre qui le féminise31. Cette proximité particulière avec le monde féminin pourrait l’avoir qualifié
comme le gardien du ventre des femmes.
30. F. Skoda, Médecine ancienne et métaphore. Le vocabulaire de l’anatomie et de la pathologie en grec ancien, Paris,
Peeters / Selaf, 1988, 5 . 18 (stoma), p. 90, et 5 . 150 (stomachos), 151 (stoma), p. 179-180. Voir aussi N. Loraux,
Les expériences de Tirésias, Le féminin et l’homme grec, Paris,
Gallimard, 1989, p. 152, sur la fonction matricielle de l’estomac (gastèr et nèdus) dans l’imaginaire mythique. Sur
l’imprécision du vocabulaire hippocratique entre ventre,
estomac et matrice, C. Roura, Aprocimaciones al lenguaje
cientifico de la coleccion hipocratica, Emerita, 40, 1972,
p. 319-327, spéc. p. 320-321. En latin, voir aussi D. Gou-
revitch, Les noms latins de l’estomac, RPhil., 50, 1976,
p. 85-110 ; ead., Stomachus et l’humeur, RPhil., 51, 1977,
p. 56-74. Pour le vocabulaire égyptien, voir C. Spieser,
Nouvelles approches de l’image emblématique de Serket :
le serpent, la corne et l’utérus, Göttinger Miszellen, 209,
2006, p. 91-99, spéc. p. 96, n. 24, p. 96. Sur cet ensemble
dans la médecine populaire, A. Berg, Der Krankheitskomplex der Kolik- u. Gebärmutterleiden in Volksmedizin und Medizingeschichte, Berlin, Emil Ebering, 1935.
31. Sur la féminité d’Héraclès, N. Loraux, op. cit.,
n. 30, p. 150-160.
272
Véronique Dasen
Sur certaines pierres, Héraclès intervient explicitement dans la protection de l’utérus. Sur un autre
jaspe rouge de la collection Skoluda (fig. 9 a, b)32, il lutte contre un lion, debout sur le serpent ourobore
contenant l’utérus symbolisé par une ventouse et entouré des trois lettres K. La scène combine différents
niveaux de lecture, associant à l’animal maîtrisé aussi bien le contrôle d’un danger (avortement, saignements...) que des douleurs. Le groupe établit aussi une comparaison entre l’utérus et la bête sauvage dans la
mesure où le serpent ourobore placé sous les pieds d’un dieu contient généralement des créatures dangereuses dans l’iconographie égyptienne33. La fonction de la gemme est donc triple : maîtriser l’utérus en tant
qu’organe indiscipliné, écarter tout danger et apaiser les douleurs. La couleur rouge du jaspe, associée en
Égypte à l’image du feu qui refoule les ennemis, renforce les propriétés prophylactiques de la pierre34.
Les attributs adoptés par Omphale, la massue et la leontè, possèdent une valeur supplémentaire dans
le contexte de la magie médicale. La massue est l’arme qui définit Héraclès comme le champion des monstres et autres créatures dangereuses. L’image de la bête féroce est souvent utilisée dans la littérature grecque
pour traduire métaphoriquement la violence de la maladie. Une lettre apocryphe n’hésite pas à comparer à
Héraclès le médecin Hippocrate qui « purge la terre et la mer non pas des bêtes farouches, mais des maladies sauvages et malfaisantes », tandis que Pline l’Ancien raconte que la Grèce lui aurait conféré les mêmes
honneurs qu’au héros pour avoir prédit et soigné une épidémie35. La massue d’Héraclès donne ainsi à
Omphale des compétences non seulement agonistiques mais guérisseuses. Omphale se différencie toutefois
de son amant, qui étouffe le lion à mains nues sans employer son arme. On verra plus loin que cette distinction n’est pas innocente et que le fait qu’elle manie le gourdin possède un sens caché qui renforce l’efficacité
de l’image. Le port de la leontè assure à Omphale l’invulnérabilité et l’invincibilité nécessaires pour lutter
contre les forces démoniques responsables des maladies ou qui habitent l’organe malade36.
L’ÂNE D’OMPHALE
Contrairement à Héraclès, Omphale possède des pouvoirs qui ne sont indiqués par aucun texte. Le
choix de l’héroïne pourrait provenir de son nom, associé à omphalos, le nombril, qui évoque le lien qui unit
la mère au fœtus et de manière plus générale la région du ventre et le sexe. Si cet emploi au sens large
d’omphalos n’est pas attesté dans la littérature médicale gréco-romaine37, il correspond parfaitement aux
jeux de mots qui structurent la magie antique, tissée de correspondances visuelles et verbales. En hébreu, le
terme scharar, « le nombril », ne désigne-t-il pas le sexe féminin par euphémisme38 ? Grâce à son nom,
Omphale détiendrait ainsi une double compétence, sexuelle et maternelle.
32. Michel, 2001 b, no 86 ; Michel, 2004, p. 281,
§ 23 . 2, pl. 77, 2 ; Dasen, 2007, pl. I. Face B :
KOLOKER KOLOFOCEIR.
33. Gemmes avec Bès panthée, voir par ex. Michel,
2001 a, no 159. Voir ibid., nos 290-291 l’ordre d’écarter
tout mal dans une tabula ansata.
34. S. Aufrère, L’univers minéral dans la pensée égyptienne, II, Le Caire, IFAO, 1991, p. 554-558.
35. Lettre II, de Paetus à Artaxerxès (trad. Littré IX,
314) ; Pline, HN, VII, 123. Sur le motif, J. Jouanna, La
maladie comme agression dans la collection hippocratique
et la tragédie grecque : la maladie sauvage et dévorante,
dans P. Potter, G. Maloney, J. Desautels éd., La maladie et
les maladies dans la collection hippocratique, Québec, Sphinx,
1990, p. 39-60.
36. Parmi les personnifications de ces forces maléfiques,
signalons la figure féminine (Abizion, Obyzouth ?) que ter-
rasse Salomon cavalier sur les gemmes magiques : DelatteDerchain, p. 261-264, nos 369-377 ; H. Seyrig, op. cit.,
n. 29, p. 5-9 ; J. Spier, Medieval byzantine magical amulets
and their tradition, JWCI, 56, 1993, p. 25-62 ; Michel,
2004, p. 146-149.
37. Relevons une occurrence dans une incantation magique destinée à stopper un saignement (Codex Vossianus
L.Q.9, Leiden, VIe s. apr. J.-C.) : Ad profluvium sanguinis
scribis in charta et ligas de tela : si vir est in collo, si mulier in
umbilico, sicut terram non tangunt, ita sanguinem bibant talem (?). Tantale, bibes sanguinem, Tantale (éd. R. Heim,
Incantamenta magica graeca latina, Leipzig, Teubner, 1892,
p. 276).
38. W. Gesenius, Hebräisches und aramäisches Wörterbuch über das Alte Testament, Berlin-Göttingen-Heidelberg,
Springer, 1967 (17e éd.), p. 863 et 864. Voir par ex. le
Cantique des Cantiques, 7:3 : « Ton nombril est une coupe
Le secret d’Omphale
273
L’identité de son adversaire souligne le rapport d’Omphale à la sexualité et à la procréation : tandis
qu’Héraclès combat toujours un lion, Omphale affronte toujours un âne. Au-delà de son lien avec le fantasme d’une sexualité débordante, mis en scène dans le célèbre roman d’Apulée39, l’âne possède aussi une
signification plus profonde qui éclaire la fonction de l’amulette. En milieu égyptien (mais pas uniquement),
l’âne personnifie les forces obscures responsables des accidents de la santé, qu’il s’agisse d’une fausse
couche ou d’une autre maladie. En Mésopotamie, on le retrouve dans le personnage de la démone
Lamashtu, aux oreilles d’âne40, et en Grèce dans celui de l’ogresse Empousa, aux jambes et pieds d’âne,
aussi dénommée Onokole selon la Souda41.
L’action malfaisante d’un âne mâle est évoquée dans les textes de magie et de médecine égyptiennes
qui contiennent de nombreuses allusions à des entités malignes qui agissent de nuit. Leur mode d’action
évoque celui des incubes. Elles viennent inoculer à leur victime endormie une semence nocive, capable de
provoquer toutes sortes de maladies, du simple cauchemar à une fièvre mortelle42. Dans ces textes, la
semence maléfique porte différents noms. Le terme le plus répandu est âaâ, qui désigne un liquide malfaisant qui se répand dans le corps, tandis que metout désigne à la fois le sperme et le venin43. Pour chasser ces
substances, la plupart des recettes prescrivent des fumigations dont l’action doit être répulsive.
À côté des âmes de morts dangereux, l’incube le plus redouté est le dieu Seth, associé au désordre
et à la violence, dont la démonisation se développe à la Basse Époque (dès le VIIe s. av. J.-C.)44. Ce dieu,
dont la semence est comparée au poison du scorpion45, est jugé capable de menacer le bon déroulement
d’une grossesse. Il est tenu responsable d’une mauvaise présentation de l’enfant, d’un accouchement
retardé46, voire d’un avortement47. Selon Plutarque, Isis, enceinte d’Horus, aurait porté pour se protéger
une amulette, peut-être en hématite48. Les textes égyptiens préconisent de porter le « nœud d’Isis » ou
nœud tit, une amulette en jaspe rouge, ou simplement une perle de cornaline rouge pour prévenir ou
stopper les saignements49.
en demi-lune ; que le mélange ne manque pas ! » (trad.
TOB, Le Cerf, 1994). Dans la version grecque de la Septante, scharar est traduit par omphalos. Je remercie
Chr. Tuor de ces indications. Cette image trouve une traduction visuelle dans des figurines syro-palestiniennes où
nombril et sexe se confondent ; O. Keel, S. Schroer, EvaMutter alles Lebendigen, Frauen- und Göttinnenidole aus dem
Alten Orient, Fribourg, Academic Press, 2004, p. 88-91,
nos 42-45 (Syrie-Palestine, Bronze Moyen, 1900-1600
av. J.-C.).
39. Apulée, Métamorphoses, VII, 21, X, 20-22. Il possède aussi une connotation érotique dans le monde grec,
notamment dans la sphère dionysiaque. Cf. le skyphos à figures rouges d’Épictète (fin du VIe s. av. J.-C.) avec un âne
sollicité par une ménade ; Naples, Musée national,
RP 27669 ; C. Johns, Sex or Symbol? Erotic Images of Greece
and Rome, Londres, British Museum Press, 1982, p. 111,
fig. 92 (ARV2, 77, 85).
40. S. Iles Johnston, Defining the dreadful. Remarks on
the Greek child-killing demon, dans M. Meyer, P. Mirecki
éd., Ancient Magic and Ritual Power, Leiden-New York-Cologne, Brill, 1995, p. 377-378.
41. Souda 1049 Adler. I. Sorlin, Striges et Geloudes,
Histoire d’une croyance et d’une tradition, Trav. Mem.,
11, 1991, p. 421.
42. Sur les avatars de ces croyances au Moyen Âge,
M. van der Lugt, Le ver, le démon et la vierge. Les théories
médiévales de la génération extraordinaire, Paris, Belles
Lettres, 2004, p. 189-364.
43. W. Westendorff, Beiträge aus und zu den medizinischen Texten, III, Incubus-Vorstellungen, ZÄS, 96, 1970,
p. 145-151 ; Th. Bardinet, Les papyrus médicaux de l’Égypte
pharaonique, Paris, Fayard, 1995, p. 121-125 et 216.
44. D. Frankfurter, Religion in Roman Egypt, Assimilation
and Resistance, Princeton, Princeton University Press,
1998, p. 112-115 ; Id., The Perils of Love: Magic and
Countermagic in Coptic Egypt, Journal of the History of
Sexuality, 10, 2001, p. 493, n. 43.
45. Le poison du scorpion est la semence de Seth ; H. te
Velde, Seth, the God of Confusion, A Study of his Role
in Egyptian Mythology and Religion, Leyde, Brill, 1967,
p. 38-39.
46. P. Chester Beatty VIII, l. 7-8 : « Celui qui retourne
l’enfant, l’ennemi de Khnoum » ; J.-F. Borghouts, The
Magical Texts of Pap. Leiden I 348, Leyde, Brill, 1971,
p. 144-145, n. 344.
47. Pour une discussion des sources, cf. R. K. Ritner, A
Uterine Amulet in the Oriental Institute Collection, JNES,
43, 1984, p. 216-217.
48. Plutarque, Isis et Osiris, 65 et 68. L’amulette est appelée « juste de voix », peut-être par un jeu de mot sur
Maât et haimatites ; A. A. Barb, op. cit., n. 19, p. 368-369.
49. Pour les sources, voir W. Westendorff, s.v. « Isisknoten », dans LÄ, III, 1980, col. 204. Textes magiques :
W. Westendorff, Handbuch der altägyptischen Medizin, I,
Leyde-Boston-Cologne, Brill, 1999, p. 420-423, spéc.
p. 421-422 la formule contre des saignements (P. London,
10059).
274
Véronique Dasen
Seth peut adopter l’apparence d’un canidé ou d’un quadrupède indéfinissable zoologiquement, mais
à Basse Époque, et surtout à l’époque gréco-romaine, il prend celle d’un âne sauvage, un animal de mauvaise réputation50. Il est malfaisant aussi bien pour les hommes que les femmes qu’il agresse sexuellement,
comme on peut le lire dans les formules d’imprécation, notamment sur les stèles de donation dès la fin du
Nouvel Empire. Une stèle de la 26e dynastie (VIe s. av. J.-C.) porte ainsi la menace : « Que celui qui transgressera cela (...) un âne copulera avec lui, un âne copulera avec sa femme ».
Ce dieu inquiétant est souvent invoqué dans les papyrus magiques51. On le retrouve sur les gemmes
utérines, mobilisé par le magicien pour contraindre l’utérus que l’on se représente comme un organe doué
d’une vie propre, aux mouvements imprévisibles, capable de causer toutes sortes de maladies en se déplaçant dans le corps52. Similia similibus, la puissance menaçante de Seth est jugée capable de contrôler celle de
la matrice. « Contracte-toi, utérus, sinon Typhon-Ororiouth te possédera », peut-on restituer sur une
gemme hématite du British Museum qui identifie Seth à Typhon et à Ororiouth. L’utérus-ventouse est surmonté du dieu reconnaissable à ses oreilles d’âne, tenant le sceptre ouas dans la main droite et le signe ankh
dans la main gauche53.
La puissance séthienne possède aussi une dimension positive. Dans la pensée religieuse égyptienne,
la violence de Seth n’est pas toujours destructrice. Elle peut même être jugée nécessaire à la dynamique cosmique, à la succession des cycles de la vie qui sont rythmés par des épisodes violents, comme celui de l’accouchement. Cette nature ambivalente de l’âne séthien explique que de nombreuses recettes gynécologiques médico-magiques utilisent des substances tirées de l’âne, cœur, poils, testicules..., et d’animaux
associés à Seth (tortue, porc), pour prévenir ou stopper des saignements et calmer divers maux de la
matrice54. Une formule magique invoque même la puissance du liquide amniotique de l’ânesse pour
déclencher un accouchement55. Une gemme hématite du British Museum représente deux ânes séthiens
debout sur l’utérus-ventouse renversé, tenant chacun le signe ankh, symbolisant peut-être le contrôle des
deux moments essentiels du processus, l’ouverture puis la fermeture de l’utérus lors de l’accouchement56.
L’usage de produits tirés de l’âne, et plus particulièrement de l’ânesse, se retrouve dans la pharmacopée
gynécologique hippocratique57.
50. P. Vernus, J. Yoyotte, Bestiaire des pharaons, Paris,
A. Viénot-Perrin, 2005, p. 106 (l’âne sauvage), 667-671
(l’animal de Seth).
51. Sur l’association de Seth avec l’âne dans la magie,
A. Procopé-Walter, Iao und Set (zu den figurae magicae in
den Zauberpapyri), Archiv für Religionswissenschaft, 30,
1933, p. 34-69 ; G. Michailidis, Papyrus contenant un dessin du dieu Seth à tête d’âne, Aegyptus, 32, 1952, p. 4553 ; E. Brunner-Traut, s.v. « Esel », dans LÄ, II, 1977,
col. 27-30.
52. Sur ce mal, voir S. Byl, L’anthropomorphisme de la
matrice dans la médecine de la Grèce ancienne, dans
D. Gourevitch dir., Histoire de la médecine, Leçons méthodologiques, Paris, Ellipses, 1995, p. 115-121 ; H. King, Hippocrates’ Woman, Reading the Female Body in Ancient Greece,
Londres-New York, Routledge, 1998, p. 212-234 ; Dasen,
2002.
53. Même scène et inscription sur une gemme hématite
du Cabinet des médailles M 8001 (Delatte-Derchain,
no 359) et de Saint-Pétersbourg, Ermitage J 6654 (O. Neverov, Les amulettes magiques de l’Ermitage, dans
A. Mastrocinque éd., Atti dell’incontro di studio « Gemme
gnostiche e cultura ellenistica », Verona, 22-23 ottobre 1999,
Bologne, Pàtron, 2002, p. 203). Sur ce type d’injonction
dans les papyrus magiques, voir en dernier lieu Chr. Fa-
raone, New lights on ancient exorcisms of the wandering
womb, ZPE, 144, 2003, p. 189-200, spéc. p. 196.
54. W. Westendorff, 1999, op. cit. n. 49, p. 422-424 :
recette pour chasser un incube : pulvériser et mélanger à
du vin les testicules d’un âne rouge (?) (Ebers, 756) ;
R. K. Ritner, op. cit., n. 47, p. 215, et n. 46 (liste des produits dans les remèdes gynécologiques : lait, urine, poil,
foie). Sur l’usage de substances tirées de l’âne pour promouvoir la fertilité dans la culture berbère (excréments,
sang, pancréas...), G. Camps, s.v. « Âne », dans Encyclopédie berbère, V, Aix-en-Provence, Edisud, 1988, spéc.
p. 652-654 (§ L’âne, animal magique). Je remercie
S. Walentowitz de cette référence.
55. J.-F. Borghouts, op. cit., n. 46, incantation 29 et
p. 144, n. 344.
56. Londres, British Museum G 294 ; Michel, 2001 a,
no 380.
57. De la nature de la femme 15 (trad. Littré, VII, 333335) : leucorrhée : « Le flux est comme de l’urine
d’âne (...) traitement : boire du lait d’ânesse ». De la nature
de la femme, 16 (Littré, VII, 337) : écoulement suite à un
avortement : boire du lait d’ânesse. De la nature de la
femme, 18 (Littré, VII, 339) : suppression des règles : boire
du lait d’ânesse. Autres recettes : crottin de mulet à boire
pulvérisé et mélangé à un liquide (De la nature de la femme,
Le secret d’Omphale
275
La représentation possible d’un cheval sur la gemme de la collection Southesk (fig. 5 b) ne contredit
pas cette interprétation. Comme l’a récemment démontré D. Frankfurter, dans le monde romain le cheval
détient aussi une connotation érotique, dont témoignent en Égypte des textes d’envoûtements amoureux58.
La présence de l’animal est peut-être ici associée à la facette plus inquiétante du cheval, à sa violence qui le
rapproche de celle de Seth.
Opposé à une Omphale enceinte, au ventre arrondi (fig. 2 a, 3 a, 4 a, 11 a), l’âne représente probablement la face menaçante de Seth, l’incube capable de nuire au fœtus et au déroulement de l’accouchement. Le souci d’éloigner les forces malfaisantes du fœtus est bien attesté sur les gemmes utérines. Il explique la présence constante du serpent ourobore autour de la ventouse-utérus, formant un
cercle magique qui protège le ventre maternel tout en renforçant l’idée de son scellement indiqué par
la clé59.
La puissance de Seth est toutefois sous contrôle, comme le révèle non seulement le geste
d’Omphale, mais le jeu de mots contenu dans l’image de la massue. Au deuxième degré, la femme et
l’âne utilisent les mêmes armes, puisque le mot grec skutalè, « la massue », signifie métaphoriquement « le
phallus »60. Le gourdin que brandit la femme se réfère à la fois à la dimension sexuelle de la contrainte et
à sa domination.
La menace peut être traduite de manière plus explicite. L’empreinte d’une gemme aujourd’hui disparue (fig. 10) montre Omphale nue, la tête coiffée de la leontè, accroupie au-dessus d’un âne au sexe
dressé61. Pour bien indiquer la destination de la pierre, le graveur a ajouté à côté de l’animal l’image d’un
utérus-ventouse, l’organe à protéger. Mais la position de l’animal est curieuse. Couché sur le dos, les pattes
en l’air, l’âne est dominé par l’héroïne qui lui retourne sa menace en brandissant une massue. Sur le revers,
une longue inscription se termine avec trois Y, comme sur le jaspe du musée Getty (fig. 4 b), et trois S barrés propres aux gemmes stomachiques.
Sur un jaspe rouge fragmentaire, conservé au British Museum (fig. 11 a, b), le couple mythique est
cette fois réuni. Seule la partie supérieure des personnages est conservée. Les deux faces proposent une traduction « bilingue » du même thème, grecque (Héraclès étouffe le lion) et égyptienne (la femme et l’âne
séthien). Elles établissent une équivalence : comme Héraclès maîtrise le lion, Omphale domine tout mal, ici
désigné par trois K dans le champ de la gemme62. Au héros masculin correspond un doublet féminin,
l’image inattendue d’une femme enceinte (souvent) et combative (toujours), maîtrisant son corps et écartant les influences maléfiques63.
90 ; Littré, VII, 409) ; crottin d’âne mêlé à de la terre
raclée sous le sabot d’un âne, appliqué en fumigations (De
la nature de la femme, 103 ; Littré, VII, 419). Sur l’usage de
produits de type excrémentiel de manière générale dans la
médecine gynécologique grecque, H. Von Staden, Matière
et signification, Rituel, sexe et pharmacologie dans le Corpus Hippocratique, Ant. Cl., 60, 1991, p. 42-61 ; Id., Women and Dirt, Helios, 19, 1992, p. 7-30.
58. D. Frankfurter, 2001, op. cit., n. 44, p. 491-497, et
spéc. fig. 2 ; C. Johns, op. cit., n. 39, p. 109, fig. 90.
59. Sur le symbolisme de l’ourobore, R. K. Ritner,
op. cit., n. 47, p. 219-220. Sur la protection de l’embryon,
Dasen, 2007.
60. Aristophane, Lysistrata, l, 991. Le jeu de mots pourrait se faire aussi en latin ; cf. J. N. Adams, The Latin
Sexual Vocabulary, Londres, Duckworth, 1982, p. 19-24.
61. Ancienne coll. P. Arndt ; J. G. Griffiths, A. A. Barb,
op. cit., n. 19, p. 369-370, pl. 38 f. Cf. ibid., pl. 38 g, une
gemme en jaspe brun, également disparue, porte à l’avers
une scène similaire et au revers l’injonction : statheti metra
« reste en place utérus ».
62. Deux K figurent à gauche et à droite du personnage,
le troisième devait se trouver dans la partie brisée.
63. Signalons une série de gemmes gravées sur du jaspe
jaune avec le motif isolé d’une créature ithyphallique accroupie (Delatte-Derchain, no 435 : tête de chien ?), associée au revers à une inscription contre les douleurs du
ventre, stomachou (Michel, 2001 b, no 142 : cynocéphale ?).
Sur les traces de la croyance aux incubes dans la culture latine, voir F. Gury, À propos de l’image des incubes latins,
MEFRA, 110, 1998, p. 995-1021.
276
Véronique Dasen
a
b
a
10. Empreinte (1,7 × 1,2 cm),
Munich, Staatliche Münzsammlung,
ancienne coll. P. Arndt 2356.
Cl. du musée.
b
11 a, b. Jaspe rouge
(1,6 × 1,4 × 0,3 cm),
Londres,
British Museum G 364,
EA 56364.
© The British Museum.
UNE OMPHALE MAGIQUE PARMI LES PSEUDO-BAUBÔ
L’image d’une Omphale magique, repoussant les forces malfaisantes qui menacent sa santé et celle
de l’enfant qu’elle porte, se retrouve-t-elle sur d’autres supports, comme les bronzes ou les terres cuites ?
Plusieurs exemplaires, jusqu’ici non répertoriés, apparaissent dans la série bien connue des pseudo-Baubô
d’Égypte romaine. Ce type de personnage représente une femme nue, corpulente, peut-être enceinte,
accroupie, les jambes écartées et parfois relevées ; elle touche d’une main son sexe (fig. 12)64 ou lève les
64. C. Ewigleben, J. von Grumbkow dir., Götter, Gräber
und Grotesken, Tonfiguren aus dem Alltagsleben im römischen
Ägypten, Ausstellung, Museum für Kunst und Gewerbe Ham-
burg, 15. März - 12 Mai 1991, Hambourg, Museum für
Kunst und Gewerbe, 1991, p. 34-35, fig. 111.
Le secret d’Omphale
12. Terres cuites (H. 4,0-12,9 cm), Hambourg,
Museum für Kunst und Gewerbe, 1989 . 1258, 584, 935, 949, 1154. Cl. du musée.
13. Bronze (H. 2,9 cm), Paris, BnF, Cabinet des médailles, 597.
D’après Boardman, pl. 43, no 81.
277
278
Véronique Dasen
deux bras dans un geste de prière, ou tient dans la main un objet ou un fruit. Si la référence à la Baubô ou
Iambé du mythe de Déméter est incorrecte, cette appellation moderne est restée dans le langage courant et
n’a pas été remplacée65. La pose impudique des figurines les fait entrer dans la catégorie des représentations
auxquelles l’indécence confère une force apotropaïque66 et l’on s’accorde à voir dans ces objets des amulettes destinées à favoriser la sexualité et la fécondité féminine. Des exemplaires de très petite taille (2-3 cm),
provenant d’Égypte, mais aussi de Palestine et de Phénicie, sont d’ailleurs munis d’une bélière ou percés
d’un trou qui permet de les porter en pendentif67.
À ce groupe appartiennent des figures d’Omphale identifiables au port de la leontè et de la massue,
jusqu’ici interprétées comme des Baubô atypiques ou des erotica. Un petit bronze conservé au Cabinet
des médailles de Paris (fig. 13)68 offre un parallèle très proche de nos gemmes. Il représente une femme
nue, coiffée de la peau de lion nouée sur le devant, dans une position accroupie, les jambes écartées
comme l’Omphale des gemmes magiques. De la main droite elle tient une massue qui repose sur son
épaule, comme on peut le voir sur le dos de l’objet. Sa main gauche est placée dans un geste de protection sur le sommet de la tête d’un personnage momiforme (?) debout sur son pied. La minuscule figure
pourrait représenter Horus-Harpocrate, l’enfant par excellence, à venir ou déjà né, qu’il faut défendre.
Ce groupe s’inscrirait alors dans la série de bronzes et terres cuites figurant une effigie d’HorusHarpocrate portée par l’un de ses gardiens, le jeune dieu lui-même, sous sa forme enfantine ou grotesque, ou le dieu Bès69. Un petit pendentif en or de la collection Derek J. Content présente une
Omphale très similaire, mais sans personnage additionnel (fig. 14)70 ; son ventre saillant et son sexe aux
contours bien marqués semblent suggérer qu’il s’agit d’une femme enceinte. Le type se retrouve avec de
légères variantes dans d’autres petits bronzes et terres cuites71, ainsi que dans des objets de plus grande
dimension. L’Omphale en terre cuite publiée par P. Graindor (fig. 15)72 est armée d’une massue et porte
sur l’épaule gauche une peau de félidé ; elle présente à nouveau un ventre proéminent et une vulve
dilatée qui évoquent l’imminence d’un accouchement.
65. Voir F. Dunand, Une « pseudo-Baubô » du Musée
de Besançon, dans H. Walter éd., Hommages à Lucien Lerat, Paris, Belles-Lettres, 1984, p. 263-270 ; ead., Catalogue des terres cuites gréco-romaines d’Égypte, Paris, RMN,
1990, nos 561-569 ; M. Olender, Aspects de Baubô, Textes
et contextes antiques, RHR, 202, 1985, p. 3-55 ; Th. Karaghiorga-Stathacopoulou, s.v. « Baubo », dans LIMC, III,
1986, p. 87-90.
66. Comme les représentations de phallus ou du geste de
la fica ; G. Pitré, La jettatura ed il malocchio in Sicilia, 1884 :
« L’uomo che s’imbatte in un jettatore, porta subito le mani
agli organi del sesso. » Cité par P. Perdrizet, Bronzes grecs
d’Égypte de la collection Fouquet, Paris, Bibliothèque d’art et
d’archéologie, 1911, p. 43. L’interprétation prophylactique
est soutenue par la présence d’un œil sur quelques terres
cuites, P. Perdrizet, ibid., fig. p. 43 ; Id., Les terres cuites grecques d’Égypte de la collection Fouquet, Nancy, BergerLevrault, 1921, no 338, pl. 82, p. 124 (fig.), no 345 (fig.).
67. Voir par ex. les petits pendentifs en faïence bleue
ou verte dans Chr. Herrmann, Die ägyptischen Amulette
der Sammlungen Bibel + Orient der Universität Freiburg,
Schweiz, Fribourg-Göttingen, Academic Press-Vandenhoeck & Ruprecht, 2003, nos 404-405, pl. LV.
68. E. Babelon, J.-A. Blanchet, Catalogue des bronzes antiques de la Bibliothèque Nationale, Paris, E. Leroux, 1895,
no 597 (fig.) : « De la main droite, levée, elle brandit la
massue d’Hercule ; de la gauche, étendue de côté, elle
saisit par la tête un petit Hermès bachique, posé sur son
pied gauche » ; Boardman, no 81, pl. 43 : « the club is
raised in her right hand as if to strike the small herm (of
Heracles?) ».
69. F. Dunand, 1990, op. cit., n. 65, nos 230 et 231
(Harpocrate portant une petite statue d’Harpocrate), 512
et 515 (pseudo-Harpocrate nain avec une statue d’Harpocrate ou de divinité non identifiée) ; C. Ewigleben, J. von
Grumbkow dir., op. cit., n. 64, no 50 (Bès portant une
statue d’Horus).
70. Je remercie J. Boardman et C. Wagner de m’avoir
procuré une photographie de ce document et D. J. Content
de m’accorder la permission de la publier.
71. 1. – Bronze (H. 2,6 cm), Le Caire, Musée égyptien,
27 . 700 ; M. C. C. Edgar, Greek Bronzes, Catalogue général
des Antiquités égyptiennes du Musée du Caire, Le Caire, Impr.
de l’IFAO, 1904, no 27 . 700, p. 18, pl. II (leontè, massue).
2. – Bronze (H. 4,6 cm), coll. Fouquet ; P. Perdrizet,
1911, op. cit., n. 66, p. 41, no 67, pl. XXIV (couronne ou
leontè ?). 3. – Terre cuite (H. 7,7 cm), Paris, Louvre,
AF 1299 ; F. Dunand, 1990, op. cit., n. 65, p. 205, no 561
(couronne ou leontè ?).
72. P. Graindor, Terres cuites de l’Égypte gréco-romaine,
Anvers, De Sikkel, 1939, p. 100-103, no 30, pl. XII (la figure féminine est interprétée comme une Isis portant une
peau de panthère qui l’associe à Dionysos, assimilé à Osiris, brandissant « une sorte d’eiresionè »).
Le secret d’Omphale
279
14. Feuille d’or (H. ca 2 cm),
coll. Derek J. Content. Cl. C. Wagner.
15. Terre cuite (H. 19 cm). D’après P. Graindor,
Terres cuites de l’Égypte gréco-romaine, Anvers, De Sikkel,
1939, pl. XII, no 30.
16. Terre cuite (H. 13,9 cm), Hambourg,
Museum für Kunst und Gewerbe, 1989 . 1490. Cl. du musée.
280
Véronique Dasen
Dans des groupes plus complexes, il est tentant de reconnaître l’évocation du couple d’Héraclès et
d’une Omphale partageant la nudité et la pose indécente des pseudo-Baubô. Une terre cuite de la collection
Fouquet montre ainsi une femme aux seins volumineux assise sur les épaules d’un homme barbu aux traits
marqués que P. Perdrizet identifie, sans l’expliquer, à un « Héraclès portant sur ses épaules une vieille femme
nue dans une pose obscène »73. La terre cuite conservée à Hambourg (fig. 16) présente également un homme
barbu, vêtu d’une longue tunique dont dépasse un phallus ; la femme qui se tient sur ses épaules porte les
deux attributs caractéristiques d’Omphale, la leonté et la massue74. Ce type de composition n’est pas inconnu
dans les bronzes et faïences de la Basse Époque égyptienne qui voit se multiplier des groupes prophylactiques,
avec cette fois le dieu Bès à califourchon sur les épaules d’une femme, parfois naine et parfois enceinte75.
CONCLUSION
Le secret de la figure d’Omphale se situe donc bien au-delà de son simple charme séducteur. Par un
jeu de mots (omphalos / sexe / Omphale, massue / phallus) et d’images (Omphale avec les attributs d’Héraclès, mais aussi de Bès), surgit une figure féminine aux compétences nouvelles, absente des sources littéraires traditionnelles. L’Omphale des magiciens veille activement sur la santé, la sexualité et la fécondité des
femmes. Elle offre un modèle féminin positif, celui d’un personnage qui maîtrise son corps et sait repousser
les influences des entités malignes. Elle transpose sur le plan mythique la force cachée et la capacité de résilience des femmes d’autrefois, un vécu qui n’a guère laissé de trace écrite. La valeur prophylactique
d’Omphale était peut-être implicite sur les gemmes d’apparence plus anodine (fig. 1). Cette référence pourrait expliquer la vogue du motif d’Omphale sur les pierres ou pâtes de verre montées en bagues, capable de
se transformer à volonté, comme d’autres images divines, en figure magique76.
Véronique DASEN,
Université de Fribourg,
Département des Sciences de l’Antiquité,
16, rue Pierre-Aeby,
CH – 1700 Fribourg.
[email protected]
ABRÉVIATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Boardman
Bonner
J. Boardman, s.v. « Omphale », LIMC, VII, 1994, p. 45-53.
C. Bonner, Studies in Magical Amulets Chiefly Graeco-Egyptian, Ann Arbor,
The University of Michigan Press, 1950.
73. P. Perdrizet, 1921, op. cit., n. 66, p. 124, no 342
(H. 9,9 cm) ; Th. Karaghiorga-Stathacopoulou, op. cit.,
n. 65, no 9, pl. 68. Cf. une terre cuite de la même collection où la femme, coiffée de deux boutons de lotus, est
cette fois accroupie sur les épaules d’un homme au visage
grotesque, un vêtement drapé autour des hanches,
et doté d’un long phallus qui touche par terre ; P. Perdrizet, 1921, op. cit., n. 66, p. 124, no 341 (H. 38 cm) ;
Th. Karaghiorga-Stathacopoulou, op. cit., n. 65, no 9,
pl. 68.
74. C. Ewigleben, J. von Grumbkow dir., op. cit., n. 64,
p. 34, no 110.
75. Voir par ex. J. Bulté, Talismans égyptiens d’heureuse
maternité, « Faïence » bleu-vert à pois foncés, Paris, CNRS,
1991, p. 31-33 (doc. 59-70) et 64-65 ; V. Dasen, op. cit.,
n. 21.
76. Voir A. M. Nagy, Gemmae magicae selectae. Sept notes sur l’interprétation des gemmes magiques, dans
A. Mastrocinque, Atti dell’incontro di studio « Gemme gnostiche e cultura ellenistica », Verona, 22-23 ottobre 1999, Bologne, Pàtron, 2002, spéc. p. 155-156.
Le secret d’Omphale
Dasen, 2002
Dasen, 2007
Delatte-Derchain
Michel, 2001 a
Michel, 2001 b
Michel, 2004
281
V. Dasen, Métamorphoses de l’utérus, d’Hippocrate à Ambroise Paré,
Gesnerus, 59, 2002, p. 167-186.
V. Dasen, Représenter l’invisible : la vie utérine sur les gemmes magiques,
dans V. Dasen éd., L’embryon humain à travers l’histoire. Images, savoirs et
rites, Gollion, Infolio, 2007, p. 41-64.
A. Delatte, Ph. Derchain, Les intailles magiques gréco-égyptiennes de la Bibliothèque Nationale, Paris, Bibliothèque Nationale, 1964.
S. Michel, Die magischen Gemmen im Britischen Museum, Londres, The
British Museum Press, 2001.
S. Michel, Bunte Steine – dunkle Bilder: « Magische Gemmen », Munich, Biering & Brinkman, 2001.
S. Michel, Die magischen Gemmen. Zu Bildern und Zauberformeln auf
geschnittenen Steinen der Antike und Neuzeit, Berlin, Akademie Verlag, 2004.