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De Notre-Dame-de-la-Carraque à Caraquet

2017, Revue d'histoire de la Société historique Nicolas-Denys

Caraquet est l'un des toponymes les plus mystérieux du Nord-est. Alors que plusieurs peuvent être facilement expliqués par une étymologie micmaque, comme Miscou et Tracadie, que d'autres sont associés à des personnages historiques, comme Paquetville ou Bathurst, et que d'autres encore sont purement descriptifs, comme Petit-Rocher ou Grande-Anse, aucune explication du toponyme de Caraquet ne permet de retracer avec certitude son origine et sa signification. Dans cet article, je vais énumérer les principales hypothèses ayant été énoncées quant à son origine et tenter de les confronter aux cartes et documents anciens. Mon hypothèse est que la croyance en l'origine par le mot français caraque est très ancrée et peut-être bien réelle mais qu'un ensemble de variations de prononciations, issues de l'origine diverse des premiers habitants et explorateurs, expliquent l'orthographe et la prononciation actuelle. Note : Ceci est une version sauvegardée, qui peut différencier légèrement de la version publiée.

Patrick de Grasse, « De Notre-Dame-de-la-Carraque à Caraquet », Revue d’histoire de la Société historique Nicolas-Denys, vol. 46, no. 3, 2017. Note : Ceci est une version sauvegardée, qui peut différencier légèrement de la version publiée. Caraquet est l’un des toponymes les plus mystérieux du Nord-est. Alors que plusieurs peuvent être facilement expliqués par une étymologie micmaque, comme Miscou et Tracadie, que d’autres sont associés à des personnages historiques, comme Paquetville ou Bathurst, et que d’autres encore sont purement descriptifs, comme Petit-Rocher ou Grande-Anse, aucune explication du toponyme de Caraquet ne permet de retracer avec certitude son origine et sa signification. Dans cet article, je vais énumérer les principales hypothèses ayant été énoncées quant à son origine et tenter de les confronter aux cartes et documents anciens. Mon hypothèse est que la croyance en l’origine par le mot français caraque est très ancrée et peut-être bien réelle mais qu’un ensemble de variations de prononciations, issues de l’origine diverse des premiers habitants et explorateurs, expliquent l’orthographe et la prononciation actuelle. Je désire remercier l’archéologue Brad Loewen de l’Université de Montréal, l’historien Philippe Basque du Village historique acadien ainsi que l’historien Doug Ford du Musée de Jersey pour leur recherche de documents et leurs conseils, ainsi que les historiens Fidèle Thériault et Clarence Lebreton pour leur réponses. Notre-Dame-de-la-Carraque Le toponyme apparait pour la première fois le 9 décembre 1663 sous la forme Notre-Dame-dela-Carraqu(é?)e. Le document d’origine se trouve dans les Archives départementales de Pyrénées-Atlantiques, à Pau, à la cote 3E-4390. Il s’agit d’une déclaration quant au naufrage du navire Saint-Jacques. Ce toponyme a de quoi surprendre à plusieurs égards. Selon l’archéologue Brad Loewen, il pourrait faire allusion à une chapelle ou une mission 1. Toutefois, même si la partie « NotreDame » n’apparait nulle part ailleurs au cours de l’histoire, ce n’est pas la seule fois que l’endroit est appelé Carraque ou Caraque. Caraque(s) La forme Caraques, au pluriel, est répétée dans un document judiciaire daté de 1664 2. Encore une fois, on mentionne la présence de pêcheurs à cet endroit, et il s’agirait aussi de Basques, un point majeur dans cette étude. Il va sans dire que le toponyme est prononcé par des gens qui ont soit été à Caraquet ou ont du moins connu ceux qui y sont allés. Le toponyme apparaît à nouveau sous la forme Caraque en 1674, dans une carte de l’Atlantique Nord réalisée par Denis Rotiz à Saint-Jean-de-Luz 3. Encore une fois, c’est au Pays basque. En 1705, lors de la confirmation de la seigneurie de Pokemouche, c’est l’orthographe Caraques qui est utilisée 4. En 1724, l’ingénieur Jacques l’Hermitte complète une carte de la baie des Chaleurs accompagnant son rapport sur les ressources forestières ; il utilise l’orthographe Caraques 5. À noter que son rapport contient une forme plus proche de l’orthographe actuelle: Carraquet 6. Le toponyme ancien Caraque, singulier ou pluriel, avec un ou deux « r », disparaît en fait rapidement mais n’est donc probablement pas le fruit du hasard, étant donné qu’il provient de gens ayant visité la localité. Une preuve en faveur de l’hypothèse de l‘étymologie par le mot caraque est le fait que de nombreuses cartes anglaises du XVIIIe siècle utilisent la version anglaise de ce mot, carrock ou carrack, ou des formes très proches 7. Le mot a en effet connu de nombreuses variations en Communication personnelle. Archives départementales de Charente-Maritime, B 5665/fol. 152-153. 3 Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, CPL GE SH ARCH-21. 4 Bibliothèque et archives nationales du Québec, TP1,S28,P8124. 5 Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE SH 18 PF 125 DIV 6 P 2. 6 Bibliothèque et archives nationales du Canada, no MIKAN 2487321, Mémoire de Jacques L'Hermitte, ingénieur, officier d'état-major et cartographe, relatif à la Baie des Chaleurs. 15 août 1724. 7 Voir par exemple : Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE DD-2987 (8538 B), carte de 1 2 anglais 8. Bien entendu, le toponyme n’a pas été créé par les Anglais. Il se peut toutefois qu’il provienne du basque, tel que décrit plus loin. Quelle(s) caraque(s)? À quoi peut bien faire allusion ce toponyme? Selon l'Encyclopaedia Britannica, la ville serait nommée d'après la caraque, un type de bateau 9. L'historien Fidèle Thériault soutient l’hypothèse de la caraque car la langue micmaque ne comprend pas le son « r » 10, un point qui sera développé plus loin. Dans son rapport de 1724, Jacques l’Hermitte mentionne qu’on a bâti un navire à Caraquet: « il y a aussi du côté du mouillage une petite chénière, on y a basty il y a vingt ans un navire, elle est vis-à-vis de cette Isle [de Caraquet] à la terre ferme » 11. Compte tenu de la topographie de la côte vis-à-vis l’île de Caraquet, le lieu du chantier ne pourrait être situé qu’entre la pointe d’Herbe (au bout de la rue de la Plage), à l’ouest, et la rive est du ruisseau Isabelle… là où se serait installé le fondateur Gabriel Giraud et, soit dit en passant, à pas plus de deux kilomètres du chantier naval de Bas-Caraquet. Cela ne veut pas dire que le toponyme fasse allusion à une caraque mais il est assez particulier que l’endroit où la ville fut fondée soit aussi un endroit où l’on construit des navires depuis au moins 1704, situé devant une île à l’origine du toponyme qui s’écrivait à l’origine Caraque. Car on parle bien d’un navire: un terme surtout utilisé pour de forts tonnages 12. La construction d’un simple canot d’écorce ou d’une pirogue n’aurait pas marqué l’imaginaire au point d’en parler vingt ans plus tard. Le chêne n’étant pas disponible partout, on devait ainsi se déplacer pour construire de grandes embarcations. En passant, cette zone recèle donc peut-être un potentiel archéologique pour la même raison. 1820 par Herman Moll (Coraque) et, toujours à la Bibliothèque nationale de France, GE DD-2987 (8620), carte de 1755 de Thomas Jefferys (Karoket). 8 Oxford English Dictionnary, entrée « caraque ». 9 Encyclopædia Britannica. Encyclopaedia Britannica Online Academic Edition. 2014. Chicago: Encyclopædia Britannica Inc. Entrée « Caraquet ». Consulté le 11 septembre 2011. http://www.britannica.com/EBchecked/topic/94562/Caraquet. 10 Paul-Émile Thériault, « Le Pkalge du Micmac ou la Carraque des Normands? », L'Acadie nouvelle, 24 octobre 2005, p. 6. 11 Bibliothèque et archives nationales du Canada, no MIKAN 2487321, Mémoire de Jacques L'Hermitte, ingénieur, officier d'état-major et cartographe, relatif à la Baie des Chaleurs. 15 août 1724. 12 Le Petit Robert 2014, entrée « navire ». Quant à savoir si le toponyme provient de ce navire, cette preuve n’est pourtant pas suffisante, car le toponyme apparait bien avant 1704, soit 41 ans plus tôt, en 1663. Il se peut tout de même qu’on y ait construit des navires auparavant. Le toponymiste William B. « Bill » Hamilton, après des recherches dans les archives du Musée de Saint-Hélier, à l’île Jersey, a écrit « Caraquet traces it to an old French word caraque or carraque. It meant a special type of boat used by Channel Islanders while pursuing the inshore fishery », autrement dit, les pêcheurs des îles Anglo-normandes seraient venus pêcher à Caraquet à bord de caraques 13. Bill Hamilton est malheureusement mort et il n’a pas publié la référence de sa découverte. Doug Ford, conservateur du musée et spécialiste de l'histoire maritime, rappelle toutefois que les caraques ont été largement remplacées au XVIIe siècle 14. Fidèle Thériault et Clarence Lebreton notent que l'île de Caraquet a la forme d'une caraque renversée vue de la terre ferme 15. Cette hypothèse est intéressante car les roches du Cheval Blanc, situées à l’est de l’île, sont elle-même nommées d’après l’apparence des bancs de glace qui s’y accumulent à l’hiver 16 ; il n’y a qu’un pas pour appliquer cette logique au toponyme de l’île. Il s’agit là pourtant surtout de suppositions. C’est en fait l’étymologie du mot caraque qui pourrait nous aider à trancher la question. Selon le Grand dictionnaire étymologique et historique du français, le mot caraque est entré dans la langue française en 1295 sous la plume de Philippe de Novare 17. Selon le Dictionnaire des mots français d’origine arabe, le mot aurait d’abord passé par l’italien génois, sous la forme caracca, emprunté au XIIe de l’arabe ‫كراكة‬, karrāka, « drague » 18. Selon le Dictionnaire de l’Académie française, le mot arabe a le sens de « brûlot, barque » 19. L’Etymologisches Worterbuch der Französischen Sprache considère plutôt que le mot ne vient pas de l’arabe karrāka car selon les descriptions anciennes du bateau il n’aurait jamais été utilisé comme un brûlot 20. Le mot proviendrait ainsi plutôt du mot arabe qaraquîr, Bill Hamilton, « Places names on the Acadian Peninsula », Telegraph-Journal, 26 février 2005, p. 8. Communication personnelle. 15 Clarence Lebreton et Fidèle Thériault. 2017. À la découverte de l’île de Caraquet. Tracadie : La Grande marée, p. 19. 16 Clarence Lebreton et Fidèle Thériault. 2017. Op. cit., p. 22. 17 Grand dictionnaire étymologique et historique du français, 2005, entrée « caraque ». 18 Dictionnaire des mots français d’origine arabe, 2007, entrée « caraque ». 19 Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition en ligne, entrée « caraque ». 20 Etymologisches Worterbuch der Französischen Sprache, 1969, entrée « caraque ». 13 14 pluriel de qurqûr, « navire de commerce » 21. Le mot a connu plusieurs orthographes en français: karaque, carèques, quaracque et carake 22. Certaines de ces variations expliqueraient d’ailleurs les formes inhabituelles retrouvées dans plusieurs documents français, basques et anglais. Quoi qu’il en soit, il est important de préciser que, selon le Dictionnaire étymologique de la langue française, le mot n’a pas toujours représenté le même bâtiment 23. Il a d’abord, en français, le sens de « petit bateau des Sarrasins » 24. Le terme a plus tard pris le sens moderne de « navire de commerce, étroit du haut et très élevé sur l’eau, utilisé au Moyen-Âge et jusqu’à la fin du XVIe siècle » 25. Plus important encore, selon la Grande Encyclopédie Larousse, le terme caraque « est devenu un nom générique pour qualifier les bâtiments capables de transporter un fret très important à travers les océans » 26. La caraque de Caraquet, si elle existe, n’a donc pas nécessairement une taille ou même une forme spécifique. Il ne faut pas oublier que les Basques pêchaient la morue à Caraquet, dans des embarcations semblant varier entre 130 et 180 tonneaux 27, ce qui est somme toutes assez petit comparativement à la définition habituelle d’une caraque. Il reste que les mêmes Basques faisaient la chasse à la baleine à Miscou, près de Caraquet, dans des embarcations probablement beaucoup plus grosses. En effet, le San Juan, retrouvé à Red Bay, au Labrador, jaugeait de 200 à 300 tonneaux 28. Miscou n’est distante que d’un peu plus de 30 kilomètres en mer de Caraquet. L’approche des deux localités est toutefois assez difficile, tel que noté par Piarres Detcheverry dès 1677: un banc de sable rend la navigation hasardeuse entre Miscou et Caraquet 29. De plus, le chenal de Caraquet est reconnu difficile à naviguer depuis cette époque alors que Detcheverry dénonce le fait qu’il n’y a plus de bouées installées à l’entrée des ports, comme autrefois 30. Finalement, les roches du Cheval-Blanc, situées juste à l’est de l’île de Caraquet, sont aussi à éviter car la profondeur du chenal s’y réduit très rapidement, comme une espèce de mur sousIdem. Dictionnaire des mots français d’origine arabe, 2007, entrée « caraque ». 23 Dictionnaire étymologique de la langue française, 2008, entrée « caraque ». 24 Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition en ligne, entrée « caraque ». 25 Idem. 26 Grand encyclopédie Larousse. http://www.larousse.fr/archives/grande-encyclopedie/page/8590#454022 27 Archives départementales des Pyrénées Atlantiques, Pau, 3E-4390, 09 décembre 1663, et 3E-4395, 30 janvier 1665. 28 Brian M. Fagan et Nadia Durrani. 2015. In the Beginning: An Introduction to Archaeology. Routledge. P. 169. 29 Brad Loewen et Miren Egaña Goya. 2014. « Le routier de Piarres Detcheverry, 1677. Un aperçu de la présence basque dans la baie des Chaleurs au XVIIe siècle ». Dans Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 68, n° 1-2, 2014, p. 148. 30 Idem. 21 22 marin. Il est raisonnable de croire que des navires assez importants ont pu se réfugier dans la baie de Caraquet en cas de tempête, ou même s’y échouer. De Caraque à Caraquet L’un des aspects les plus étranges de l’histoire du toponyme est le passage à l’orthographe moderne, Caraquet. Comment l’expliquer? Cette forme apparait en fait aussi tôt que le 30 janvier 1665, dans une reconnaissance de dette en lien avec la pêche basque à Caraquet 31. Elle figure pour la première fois sur une carte en 1672 32. Une orthographe similaire, Karaquet, est utilisée par le premier habitant permanent de la ville, Gabriel Giraud, dans une lettre datée de 1761 33 ; il se peut toutefois que sa lettre ait été écrite par le recenseur Pierre du Calvet 34. Quoi qu’elle prenne du temps à s’imposer, surtout en anglais, cette orthographe est la principale à être utilisée de nos jours. Tout de même, dans le contexte de la pêche basque à Caraquet, l’orthographe utilisée varie dans les documents recensés au cours de la même période. Il semble en fait y avoir une hésitation sur la prononciation. Il serait hasardeux de tenter d’expliquer chaque variation du toponyme mais il est important de noter que les gens du sud de la France ont un accent assez particulier, dont l’un des éléments les plus distinctifs est le fait que le schwa est très souvent prononcé; le schwa est le « e » de certains mots prononcé de façon optionnelle, par exemple dans tarte 35. En plus, dans le Français méridional, la prononciation du schwa suit la loi de position, autrement dit il peut être prononcé de différentes manières selon la position du son dans le mot 36. Même chez les Basques parlant Archives départementales des Pyrénées Atlantiques, 3E-4395, 30 janvier 1665. Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE DD-2987 (8621). 33 Public Records Office, Papiers Amherst, Lettre de Gabriel Giraud à Murray, 27 août 1761. 34 Victorin N. Mallet. 2016. Évidences de communautés métisses autour de la baie des Chaleurs, d’hier à aujourd’hui, p. 107. 35 Sylvain Detey. 2010. Les variétés du français parlé dans l'espace francophone: ressources pour l'enseignement. Paris: Ophrys, p. 192. 36 Julienne Eychenne. 2013. « Schwa and the loi de position in Southern French ». Dans French Language Studies, vol. 24, p. 223-253. 31 32 français, le schwa a tendance à être prononcé 37. Cela expliquerait, du moins pour le XVIIe siècle, les variations Caraquie et Caraquet, qui ne tendraient qu’à transcrire la prononciation du « e » final en « i » ou « è ». Changement de prononciation Les premières mentions du toponyme renverraient ainsi à une prononciation différente que celle utilisée de nos jours, /ka.ʁa.'kɛt/ (ca-ra-quètte, IPA) en français, et /ˈkɑrəˌket/ en anglais 38. Encore une fois, l’explication se trouve peut-être dans les sources anglaises. En effet, Roderick MacKenzie, en 1761, lors de la déportation des Acadiens de la baie des Chaleurs, écrit une lettre au colonel Forster, dans laquelle il utilise l’orthographe Karakett 39. La prononciation moderne existe donc depuis au moins 250 ans. À noter que Roderick Mackenzie est guidé par un Micmac 40 . Cette prononciation est confirmée par deux lettre du colonel Forster datées de la même année, où il écrit aKarakett et Karakett. La première forme est la plus révélatrice, car il précise bien « a place called aKarakett » (un endroit appelé à Karakett): Forster aurait vraisemblablement appris le toponyme d’un francophone. Si cela ne suffisait pas, un autre anglophone, le marin Ashley Bowen, utilise l’orthographe Carricutt, avec toujours le même accent sur le « t » final, lors d’une visite en 1762 41. Ce n’est toutefois certainement pas à Roderick MacKenzie ni Ashley Bowen que l’on doit cette prononciation mais probablement à la population acadienne de la ville, telle que démontré au chapitre suivant, ou même à Gabriel Giraud. Toutefois, ce n’est pas un cas inhabituel en français, où il y a souvent une confusion sur la prononciation du « t » final, notamment dans des patronymes comme Fradet, Paquet et Turcot 42. Cette confusion aurait été amplifiée si des gens aurait eu connaissance du toponyme à l’écrit seulement. Sylvain Detey. 2010. Ibid., p. 162. Canadian Oxford Dictionnary, 2nd Edition, entrée « Caraquet ». 39 Public Records Office, Papiers Amherst, E436, 165-166, P.R.O. 262. Lettre de MacKenzie à Forster, Fort Cumberland, 3 novembre 1761. 40 Idem. 41 Daniel Vickers. 2006. The Autobiography of Ashley Bowen (1728-1813). Peterborough: Broadview Press, p. 77. 37 38 42 Anonyme. 1950. « Autour de Jean Fradet », Mémoires de la Société généalogique canadienne-française, vol. 4, p. 43-45. Caraquette À l’opposé de Gabriel Giraud, il est important de préciser que la population acadienne de la ville semble préférer l’orthographe Caraquette. Il n’a pas été possible de consulter le document de la pétition de 1783 pour la concession de terres mais Olivier Légère, l’un des pionniers de la communauté acadienne, utilise la forme Caraquette dans son testament, daté du 9 décembre 1804 43 . La même orthographe est utilisée en 1805 lors de la confirmation d’un échange de terrain entre son fils Cyrille et ses beaux-frères 44. Cet usage démontre bel et bien le changement de prononciation au XVIIe siècle. En fait, il se peut que ce soient les Acadiens qui aient changé la prononciation. En anglais, cette terminaison semble apparaître pour la première fois en 1815 sur une carte de la Gaspésie, toutefois sous la forme Carriquette 45. En 1831, une carte topographique du Québec faite sous la direction de Joseph Bouchette, utilise l’orthographe Caraquette 46. Il semble que le premier livre à utiliser cette orthographe soit le British North America de John McGregor, en 1832 47. L’historien William F. Ganong utilise cette forme dans un répertoire toponymique qu’il publie en 1896 48. Pourtant, il en dénonce l’usage en 1904, affirmant qu’il date de 1831, basé sur la croyance que le toponyme est originaire d’un mot français 49 ; il fait vraisemblablement allusion à la carte de Bouchette. En 1911, un lecteur de L'Évangéline, citant probablement l’article de Ganong, dénonce lui aussi l'usage de l'orthographe Caraquette, qui selon lui date d'une cinquantaine d'années et qu'il explique par la croyance que le nom est d'origine française 50. Cette forme du toponyme reste malgré tout populaire, surtout en anglais. Une recherche en Fidèle Thériault. 1972. « Olivier Légère, 1734-1818 ». Revue de la Société historique Nicolas-Denys, vol. 1 no. 5, juin-déc, p. 126. 44 Ibid., p. 129. 45 David Rumsey Map Collection, 4431.017. 46 Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE C-9401. 47 John McGregor. 1832. Brittish North America. Vol. II. Édimbourg : William Blackwood ; Londres : T. Cadell. 48 William F. Ganong. 1896. « A Monograph of the places nomenclature of New Brunswick ». Dans Transactions, vol. 2, Royal Astronomical Society of Canada, p. 224. 49 William F. Ganong. 1948. History of Caraquet and Pokemouche. Saint-Jean: New Brunswick Museum, p. 9. 50 Anonyme, « Un correspondant de Caraquet nous écrit », L'Évangéline, 26 juillet 1911, p. 4. 43 août 2016 sur le moteur de recherche Google fournit près de 50 000 résultats. De plus, la variété d'huître de la ville est souvent nommée avec cette orthographe, même en français. Finalement, un restaurant de la ville porte le nom de Le Caraquette. Une origine micmaque? Les Micmacs donnaient un toponyme à tous les lieux qu'ils fréquentaient 51. Les Micmacs ont le souvenir de nombreux toponymes anciens mais, comme dans toutes les langues, ils peuvent en avoir abandonné certains, ou encore en avoir perdu la compréhension 52. Il n’y a là rien de surprenant et, comme le rappelle William F. Ganong, l'Européen moyen, à la même époque, ne connaissait pas nécessairement le sens du toponyme de sa ville 53. En 1875, Silas Rand, spécialiste de la langue micmaque, inclut la version du toponyme de Caraquet dans la langue micmaque, soit Kalaket, dans son A First Reading Book in the Micmac Language 54. Il n'est toutefois pas précisé si c'est un toponyme d'origine micmaque, ni sa signification. William F. Ganong est le premier à soutenir une origine micmaque et rajoute que ceux-ci nomment la ville Calaket mais qu'ils ne conservent pas de souvenir de la signification du mot 55. En 1906, Eugène Rouillard, dans son Noms géographiques de la province de Québec et des provinces maritimes empruntés aux langues sauvages, mentionne que les Micmacs nomment la ville Calaget mais que l'origine du toponyme est inconnue 56. En 1919, les recherches de Silas Rand sur les toponymes micmacs sont compilées par William Anderson, avec les formes Kalooget, Kaluget et Kalluget ; aucune indication n'est fournie sur la signification 57. En 1975, Alan Rayburn, dans Geographical names of New Brunswick, reprend l'hypothèse Alan Rayburn. 1975. Geographical names of New Brunswick. Ottawa: Surveys and Mapping Branch, Department of Energy, Mines and Ressources, p. 12. 52 Idem. 53 Idem. 54 Silas Rand. 1875. A First Reading Book in the Micmac Language. Halifax: Nova Scotia Publishing Company, p. 86. 55 William F. Ganong. 1948. Op. cit., p. 8. 56 Eugène Rouillard. 1906. Noms géographiques de la province de Québec et des provinces maritimes empruntés aux langues sauvages. Québec: Éditions Marcotte, p. 28. 57 Silas Rand et William Anderson (éditeur). Micmac Place-Names in the Maritime Provinces & Gaspe Peninsula Recorded between 1852 & 1890 by Rev. S.T. Rand, DD, LLD, DCL. 1919. P. 31. 51 micmaque, telle qu'il convient de l'appeler, toutefois avec la forme Pkalge. Il semble en fait être le premier à lui trouver une signification probable, qui serait « jonction de deux rivière » (traduction de meeting of two rivers), en référence à la rivière Caraquet et à la rivière du Nord 58. Jonction de rivière se dit Matapegiag en micmac, d’où le toponyme moderne de la Matapédia 59 . Il y a une certaine ressemblance entre les deux mots, l’un des deux étant peut-être plus anciens, ou encore associé à un accent différent. En 1996, Bill Hamilton, dans son Places Names of Atlantic Canada, mentionne que le nom de la ville est probablement une francisation d'un terme micmac 60, comme le croyait Ganong ; à noter que ce livre fut publié avant son article énonçant une possible origine normande à partir du mot caraque. Selon Hamilton, ce toponyme micmac d’origine se serait prononcé /ka.la.'ge/ « kala-gué », ce qui est très proche de la forme moderne du toponyme micmac, Galagee 61. Il semblerait que la prononciation de la version Pkalge, rapportée par Rayburn, corresponde plutôt à /ɛp.kal.'ke/ (« èp-kal-ké »). Les toponymes sont en fait l’aspect le plus stable de la langue micmaque 62. Il n’y a qu’un seul cas de transformation extrême de toponyme d’origine autochtone au Nouveau-Brunswick, EtLeemlootch ayant été transformé en Grimrose, l’ancien nom de Gagetown 63. Alan Rayburn souffre depuis quelques années de démence et il est donc difficile d’y voir clair dans sa proposition. Il se pourrait que son Pkalge ne soit qu’une variété locale du Pegiag des Micmacs de la Ristigouche, et donc le toponyme n’aurait pas le sens de « jonction de deux rivières » mais seulement « rivière ». Cela ne veut pas dire que le toponyme soit d’origine micmaque mais cette hypothèse a un certain crédit. La langue micmaque ne comprend par le son « r » mais il est pourtant assez courant qu’un « l » soit transformé en « r » dans un mot passant de cette langue au français, par exemple dans le cas du micmac Listo Goj, qui est devenu Ristigouche en français 64. Le micmac Kalaket aurait ainsi pu former le français Caraquet. L’explication des variations orthographiques énumérées aux chapitres précédents devient toutefois plus difficile mais pas impossible. Cette Alan Rayburn. 1975. Op. cit., p. 71. Commission de toponymie du Québec. « Matapegiag (rivière) ». http://www.toponymie.gouv.qc.ca/ct/ToposWeb/Fiche.aspx?no_seq=39703 60 William B. Hamilton. 1996. Places Names of Atlantic Canada, Toronto: University of Toronto Press, p. 59. 61 Idem. 62 Alan Rayburn. 1975. Op. cit., p. 13. 63 Idem. 64 Alan Rayburn. 1975. Op. cit., p. 229. 58 59 même transformation mais à partir du micmac Pkalge est plus difficile mais pas non plus insurmontable. Une autre hypothèse est aussi réaliste: le toponyme micmac provient plutôt du français ou même du basque. Il y a des exemples de mots français avec le son « r » repris en micmac avec un « l ». Un exemple de réutilisation de toponyme français en micmac, avec cette même transformation, est Louisbourg, qui est devenu Luipo'lk 65. Un toponyme micmac modifié en français peut aussi être modifié à nouveau en micmac. Par exemple, le nom de la ville de Shippagan, située près de Caraquet, provient du micmac Sepakunjíj 66. Le toponyme micmac a par la suite été transformé en Sipakun. Il est donc presque impossible de savoir si le toponyme Caraquet provienne de la langue micmaque ou si les Micmacs l’ont simplement emprunté du français. C'est l'hypothèse micmaque, à partir du mot Kalaket, qui est retenue par le gouvernement municipal, tel que visible sur le site web en 2017 67. Fidèle Thériault considère que l'origine micmaque du toponyme est fictive, comme pour de nombreuses autres localités au Nouveau-Brunswick 68. Il n’y a en fait aucun moyen de savoir comment les Micmacs nommaient le lieu avant le milieu du XIXe siècle mais il y a des indices, par exemple la manière dont les personnes guidées par les Micmacs transcrivent le toponyme, mentionné précédemment. De plus, comme le fait remarquer Marc-André Comeau, il n’y a aucun document connu où le toponyme est retranscrit avec un « l » au lieu d’un « r » 69, que ce soit en français, en basque ou en anglais. Mystère du routier de Piarres Detcheverry Le Basque Piarres Detcheverry publie un routier en 1677 à Bayonne, en France. Ce routier a été traduit par Brad Loewen et Miren Egaña Goya. Il s’agit d’une « description systématique des Unama‘ki College. « Mi‘kmaw places names in Cape Breton ». https://www.cbu.ca/indigenous-affairs/unamakicollege/mikmaq-resource-centre/miscellany/mikmaw-place-names-in-cape-breton/ 66 Silas Rand. 1875. Op. cit., p. 100. 67 Ville de Caraquet. 2017. « Clin d'oeil historique ». http://www.caraquet.ca/ville/clin-doeil-historique 68 Communication personnelle. 69 Marc-André Comeau. 2015. « Cartes basques et toponymie de la Péninsule acadienne ». Revue de la Société historique Nicolas-Denys, vol. XLIV, no 1, p. 60. 65 routes et lieux fréquentés par les Basques dans la baie des Chaleurs et sur la pointe de la péninsule gaspésienne au XVIIe siècle » 70. Detcheverry utilise l’orthographe Karakicque ou Karakic 71. Une carte accompagnatrice, publiée en trois versions en 1689, utilise l’orthographe Karaqicq ou Qaraqicq 72. Le basque est une langue agglutinante où le suffixe « -ik » est courant. Il a le sens de « quelques-uns » ou « n’importe lequel » 73. Le suffixe « k » est utilisé pour un sujet actif avec un verbe transitif 74. Il n’aurait donc pas beaucoup de sens dans le contexte. Le français n'ayant pas le suffixe « -ik », ou du moins pas écrit de cette manière ni avec un sens réaliste dans le contexte, celui-ci provient vraisemblablement de la langue micmaque. Il y est un locatif; autrement dit, il signifie « l'endroit où l'on retrouve » 75. Kalakik voudrait ainsi dire « l'endroit où l'on retrouve des caraques », si c’est sa véritable étymologie. Le « l » provient du fait que la langue micmaque ne contient par le son « r », l'une des principales oppositions de l'historien Fidèle Thériault quant à la soi-disant origine par le micmac Kalaket 76 . Un autre point d’une extrême importance est le fait que la plupart des toponymes d’origine autochtones au Nouveau-Brunswick se rapportent à un cours d’eau, un lac ou un havre, compte tenu de l’importance de la navigation dans les premiers siècles de la colonisation européenne 77. La possible forme micmaque Kalakik expliquerait donc le toponyme basque. En effet, les deux peuples entretenaient des liens très forts. Selon l'archéologue Brad Loewen, le document judiciaire de 1664 mentionne une personne restée à terre pour surveiller le poste de pêche de Caraquet en l'absence des Basques, et cette personne pourrait être un Canadien, un nom donné à l'époque à une population métissée d’Européens et d'autochtones 78. Il semble que les pêcheurs basques soient parmi les premiers Européens à avoir des contacts avec les autochtones, au point où la langue des Canadiens peut être considérée comme « à moitié Brad Loewen et Miren Egaña Goya. 2014. Op. Cit., p. 127. Brad Loewen et Miren Egaña Goya. 2014. Op. Cit., p. 150. 72 Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, CPL GE SH 18E PF 125 DIV 1 P 2 RES. 73 Basque-English Dictionnary 1989, p. a37. 74 Exemple : Gizon agin du (« l’homme l’a fait ») (Basque English Dictionnary, 1989, p. a37). 75 Alan Rayburn. 1975. Op. cit., p. 13. 76 Paul-Émile Thériault. 2005. Op. cit., p. 6. 77 Alan Rayburn. 1975. Op. cit., p. 13. 78 Communication personnelle. 70 71 basque » 79. De plus, les sites archéologiques amérindiens de la Péninsule acadienne sont ceux comprenant la plus grande proportion de chaudrons de cuivre en Amérique du Nord. Ceux-ci furent échangés avec les pêcheurs basques, bretons et normands dans la région à partir de la seconde moitié du XVIIᵉ siècle 80. Quoi qu’il en soit, il est raisonnable de penser que les Basques aient pu reprendre un toponyme micmac, ou vice-versa. En fait, selon Brad Loewen et Miren Egaña Goya, les Basques utilisaient principalement des toponymes d’origine micmaque 81. Une influence mutuelle n’aurait donc rien de surprenant. Cette hypothèse semble être confirmée par le fait que plus d’un siècle plus tard, en 1803, il existe deux formes concurrentes du toponyme selon l’explorateur Alexander Taylor: Caraquid et Caragate 82. Une autre hypothèse, encore plus simple, serait que Piarres Detcheverry ait mal transcrit le toponyme micmac. En effet, Nipisiguit, un autre toponyme d’origine micmaque, a bien été transcrit en Pichiguy sous sa plume 83. D’ailleurs, Nipisiguit a aussi été transcrit en Nipisiguik par Roderick MacKenzzie en 1761 84. Le Caraquid rapporté par Alexander Taylor aurait ainsi pu être transcrit en Karakik et ses variantes par les Basques, suivant une logique semblable. Une origine basque ? Après une recherche dans plusieurs encyclopédies et dictionnaires basques, il semble que deux mots pourraient en expliquer l’origine: karraka et kala. Karraka a plusieurs sens : croassement, lime, racloir, grattoir ou déclic 85. Il réfère aussi au rollier d'Europe (Coracias garrulus) 86 ou encore à l’exécution 87 ou au fonctionnement 88. La plupart de ces sens n’ont pas de rapport Peter Bakker. 1989. « The Language of the Coast Tribes is Half Basque : A Basque-American Indian Pidgin in Use between Europeans and Native Americans in North America, ca. 1540-ca. 1640 ». Anthropological Linguistics, vol. 3, no 3/4, 117-147. 80 Laurier Turgeon. 1996. « Le chaudron de cuivre en Amérique : parcours historique d'un objet interculturel ». Ethnologie française, vol. 26, no 1, p. 61. 81 Brad Loewen et Miren Egaña Goya. 2014. Op. cit., p. 141. 82 W.O. Raymond. 1901. Winslow Papers, A.D. 1776-1826. St. John : New Brunswick Historical Society, p. 499. 83 Brad Loewen et Miren Egaña Goya. 2014. Op. cit., p. 147. 84 Lettre de MacKenzie à Forster, Fort Cumberland, 3 novembre 1761. Papiers Amherst, E436, 165-166, P.R.O. 262. 85 Elhuyar Language et technologie. « Karraka ». https://hiztegiak.elhuyar.eus/eu/karraka 86 Idem. 87 Gouvernement basque. « Karraka ». http://www.euskara.euskadi.eus/r59738/eu/contenidos/termino/_c03403/eu_k_0907/k0907.html 88 Elhuyar Language et technologie. « Karraka ». https://hiztegiak.elhuyar.eus/eu/karraka 79 évident avec Caraquet. Le rollier d’Europe, tel que son nom l’indique, ne se retrouve même pas en Amérique du Nord. Les corbeaux sont toutefois très courants à Caraquet. C’est le seul sens qui pourrait être acceptable, si ce n’était d’un autre: caraque 89. En effet, c’est ainsi que l’embarcation s’appelle en basque. Cette étymologie aurait l’avantage de ne pas nécessiter d’autres étapes quant à la transformation du toponyme. Une autre étymologie raisonnable pourrait être à partir du mot kala, ayant le sens de site de pêche, d’endroit pour lancer un filet de pêche ou pour pêcher 90. Dans les deux cas, et même avec l’étymologie à partir du mot basque karraka ou du mot français caraque, il faudrait expliquer la terminaison en -ik mais aussi la transformation vers le micmac, le français et l’anglais. Un toponyme formé par le mot basque kala avec le suffixe basque -ik serait insensé pour la raison énoncée précédemment, et il manque de toute manière un « k » et il faudrait expliquer le passage du « l » vers le « r ». Il semble donc peu probable que le toponyme provienne du basque, sauf peut-être à partir du mot karraka. Une origine picarde ? L’une des hypothèses, rapportée par Claude Le Bouthillier en 2009, explique l'origine du toponyme par deux lieux-dits en France, soit à Boursin et à Desvres, deux localités du Pas-deCalais 91. Marc-André Cormier note que Coulomby a aussi une rue du Caraquet 92. Selon le chanoine Haigneré, le lieu-dit de Boursin correspondrait au hameau de Crunquet de la carte de Cassini du XVIIIe siècle 93. Selon l’abbé Jules Corblet et le chanoine Haigneré, crunquet provient du ch’ti, ou ch’timi, la variété de la langue picarde parlée dans le Nord-Pas-de-Calais 94. Il en existerait en fait deux formes, crunket avec le sens de « groupe » et crinquet avec le sens de « butte dans un village » 95. Aucun fondateur connu de la ville ne provenait du Pas-de-Calais. Marc-André Comeau note toutefois que des pêcheurs boulonnais ont fréquenté les côtes de Terre-Neuve au Miguel Laburu et al. 2010. Arkitektura Naval Vasca. Lasarte-Oria: Etor-Ostoa, p. 93. Basque English Dictionnary, 1989, entrée « kala ». 91 Claude Lebouthillier. 2009. « Le Grand Caraquet ». L’Acadie nouvelle, 18 juin 2009, p. 13. 92 Marc-André Comeau. 2010. Op. cit., p. 62. 93 Ibid., p. 63, citant le Dictionnaire topographique de la France, 1881, entrée « Caraquet ». 94 Marc-André Comeau. 2010. Op. cit., p. 63. 95 Idem. 89 90 XVIe siècle 96. Cependant, il avance l’idée que ce serait le missionnaire Bonaventure de Boulogne, ou encore Chrestien Le Clerq ou Emmanuel Jumeau, tous deux originaires de Bapeaume, qui seraient à l’origine du nom de la ville 97. C’est impossible dans le cas de Chrestien Le Clerq car il est arrivé en Nouvelle-France en 1675, soit après la création du toponyme 98. Il en est de même pour Jumeau car il est arrivé en 1682 99. Bonaventure de Boulogne est toutefois présent au Canada en 1640 100. Selon Marc-André Comeau, le toponyme pourrait faire allusion à la butte à Japon, dans l’ouest de la ville 101. Cette butte est en effet assez remarquable, comparativement au relief très bas du fond de la baie de Caraquet, ce qui n’aurait pas manqué d’impressionner le visiteur. De plus, cela expliquerait peut-être la première forme connue du toponyme, Notre-Dame-de-la-Caraque. En effet, les origines de Saint-Anne-du-Bocage, près de la butte à Japon, sont nébuleuses. Il se peut donc que le toponyme originel de la ville fasse allusion à une chapelle ou une mission située près de la butte à Japon. Toutes ces hypothèses, car il n’y en a encore aucune preuve, ne changent en rien la logique semblant expliquer l’évolution du toponyme de la ville. En effet, le toponyme picard est prononcé « caraqué », ce qui permet l’explication élaborée aux chapitres précédents. Conclusion Ainsi, la ville a porté au départ le nom de Notre-Dame-de-la-Carraque, tel que prouvé par un document daté de 1663. Probablement à cause de l’accent des pêcheurs basques fréquentant les côtes, ou l’accent des magistrats, le toponyme est souvent retranscrit sous la forme Caraquet, Caraquie ou des variantes. L’orthographe Caraquet s’impose toutefois rapidement, surtout en français. Par un phénomène assez courant dans cette langue, Caraquet passe de la prononciation « ca-ra-qué » à « ca-ra-quète », probablement à cause des premiers résidents acadiens Idem. Ibid., p. 63-64. 98 Odoric-Marie Jouve. 1996. Dictionnaire biographique des récollets missionnaires en Nouvelle-France, 1615-1645, 1670-1849, entrée « Chrestien Le Clerq ». 99 Ibid., entrée « Emmanuel Jumeau ». 100 Marc-André Comeau. 2010. Op. cit., p. 63-64. 101 Idem. 96 97 permanents, au XVIIIe siècle. Cette prononciation est confirmée par des témoins auditifs anglophones, qui utilisent une transcription mettant l’accent sur le « t » final. Aussi, la population acadienne, dès le début du XIXe siècle, utilise l’orthographe Caraquette, vraisemblablement pour préciser la prononciation. Celle-ci est petit à petit dénoncée mais subsiste, surtout en anglais. La présence de caraques à cet endroit est soutenue par le toponymiste Bill Hamilton. Bien qu’il n’y en ait en fait aucune preuve, la croyance en cette étymologie est assez forte pour que les anglophones utilisent, jusqu’au début du XVIIIe siècle, des traductions de ce mot, soit carrack ou carrock ou des variantes. Ces confusions et ces étymologies populaires expliquent la plupart des autres variations orthographiques apparues au fil du temps dans les textes et les cartes. Toutefois, la forme Karakik utilisée en Basque dans les années 1670 est difficile à expliquer. Il se pourrait qu’elle soit liée à la version micmaque du toponyme. D’ailleurs, l’explorateur Alexander Taylor note deux orthographes dans le même texte, comme si plusieurs prononciations existaient à l’origine. Le toponyme pourrait aussi provenir du basque karraka, qui a justement le sens de « caraque ». Il est aussi plausible que le toponyme soit d’origine picarde, avec le sens de « butte dans un village ». Il aurait pu être créé par le missionnaire Bonaventure de Boulogne au cours des années 1640, sans que cela ne soit prouvé. Les variations toponymiques ne doivent d’ailleurs pas être toutes prises pour des preuves. Il est assez commun de retrouver des erreurs dans les cartes et documents anciens. Par contre, plusieurs mentions ont été faites par des gens vivant à Caraquet ou ayant visité la localité. De plus, certaines variations ne peuvent s’expliquer par de simples fautes de transcription, surtout que certaines tendances s’observent. L’auteur Claude Le Bouthillier aurait ainsi eut raison lorsqu’il expliquait, dans son roman Le Feu du mauvais temps, que le toponyme aurait une origine mixte 102. C’est ainsi que le toponyme de Caraquet a obtenu son orthographe et sa prononciation moderne. Son histoire démontre l’importance du patrimoine maritime de la ville. De plus, elle porte à se questionner sur l’ancienneté réelle de la communauté et de l’importance des Basques et des Micmacs dans sa fondation et son développement. 102 Claude Le Bouthillier. 2004. Le Feu du mauvais temps. Montréal: Éditions XYZ, p. 43-44.