1
COLLOQUE A l’INALCO, PARIS, avril 2008
(Actes non publiés, forme orale)
Odette Varon-Vassard
DIMITRIS HADZIS μ Une réception difficile
la mémoire de Philippos Vlachos1
Dimitris ώadzis a été un des écrivains emblématiques de la
littérature grecque de l’après guerre mais aussi un intellectuel de la
gauche, avec une œuvre scientifique dans le domaine de la philologieέ
Permettez-moi de commencer en rappelant quelques éléments de la vie et
de l’oeuvre de l’écrivain Dimitris Hadzis.
Vie de Dimitris Hadzis
σé en 1λ1γ, jeune pendant l’τccupation, participant à la
Résistance d’abord et ensuite à la guerre civile grecque, longtemps éxilé
dans les pays communistes de l’Est, et mort en 1λκ1 en ύrèce, la vie de
Hadzis traverse le cœur du βίème siècle et est marquée à jamais des
expériences des années ’ζίέ En 1λ1γ, année où Dimitris ώadzis va voir
le jour à Ioannina, ville d’Epire, la ville va être libéré de la domination
ottomane et va être annexé à l’Etat grecέ Ses premières années coincident
avec un nouveau début pour sa ville natale, qui devient une ville grecque
d’un Etat moderneέ Son père, journaliste et érudit, membre actif de sa
société, éditait son propre journal, Ipiros (Epire), la direction duquel
Hadzis se trouvera obligé de prendre à 1λ ans, après la mort subite du
pèreέ En 1λγη le jeune directeur du journal devient membre du Parti
Communiste de la ύrèce (KKE) et en 1λγθ, année où s’installe la
Vlachos, fondateur des éditions Keimena avec ύeorgia
Papageorgiou, a été l’éditeur de l’œuvre littéraire de Dimitris ώadzis en ύrèce, aux
années ’ιίέ
1
.Philippos
2
dictature de Ioannis εetaxas, il est arrêté et connaît son premier exil en
tant que déporté politique à l’île de όolegandros –le mot « exil »
deviendra un mot-clé dans la vie de ώadzisέ (J’aimerais rappeller que
certaines des Iles de la mer Egée qui font aujourd’hui le bonheur de
touristes athéniens et étrangers ont servi pendant de longues périodes
d’exil et de camp de concentration de dissidents, surtout communistesέ
C’était le cas de Folegandros, île d’exil de Dimitris ώadzis, où le cas de
Ikaria, dans laquelle il va connaître son deuxième exil en 1λζιέ D’autres,
comme celle de Makronissos, au lieu d’être des lieux de mémoire, sont
livrés à l’abandon et deviennent pratiquement inaccessiblesέ)
Rentré à Athènes en 1λζ1, il a été dans les premiers organisateurs
du όront σational δibérateur, l’EAε, la plus grande organisation de
Résistanceέ Il a travaillé pour l’EAε et plus tard il a rejoint le maquis,
dans l’armée de l’ELASέ Après la libération il a été rédacteur en chef du
journal Eleftheri Ellada (Grèce libre), qui ayant débuté comme journal
clandestin de l’EAε, devenait son journal officiel. Pendant la guerre
civile grecque (1946-1949), en tant que membre de l’Armée
Démocratique (Dimokratikos Stratos, l’Armée qui comporte tous les
combattants de l’EδAS), laquelle il a rejoint en 1948, il a connu les affres
de cette guerre, qui a marqué la mémoire collective grecque jusqu’à nos
jours et sa mémoire personnelle aussi, en lui inspirant son premier texteέ
« Comme ça j’ai vu aussi la guerre civile μ un piège duquel
personne de nous ne pοuvait plus s’échapperέ » 2
écrivait ώadzis, dans une lettre adressé à un jeune intellectuel grec
beaucoup plus tardέ À la fin de cette guerre, il a partagé le sort de
plusieurs milliers de ses camarades en s’exilant aux pays de l’Estέ
2
)
.
π έ
, χ ζιβ, (λήκή1λλ1),
έ γγ-γζέ (απ
π
π
φα
3
Bucarest d’abord, puis l’Allemagne et finalement Budapest où il vivra le
plus longtemps.
En Bucarest, en 1952, arrivera son exclusion du Parti Communiste.
Je ne vais pas commenter ici plus longuement la rupture qu’ont vécu de
nombreux intellectuels brillants, lesquels, ayant servi le parti, se sont vus
exclure dans l’esprit stalinien de l’époque, si méfiant envers les
intellectuels et les esprits libresέ D’ailleurs il ne s’agit pas d’une
particularité grecqueέ Je veux signaler uniquement que, une fois exclu du
Parti, ώadzis n’a jamais renié son idéologie de la façon que lui-même la
concevaitέ Elle a toujours été un axe qui structurait sa vie et sa penséeέ
C’est pourquoi à la fin de l’année 1λιζ, au lendemain du changement de
régime après la chute de la dictature des colonnels, il va rentrer s’installer
en ύrèce, où il vivra ses dernières années, qui malheureusement ne vont
pas être longues (de 1λιζ à 1λκ1)έ Pour ce retour il dit que ce n’est pas la
nostalgie du paysage (il utilise même une ironie à ce sujet) qui l’a fait
revenir mais le besoin d’essayer ses idées sur le social et le politiqueέ3
C’est pourquoi il a pris part et il a contribué dans cette grande osmose des
idées qui a eu lieu en ύrèce au lendemain du changement du régimeέ
La dernière acitivité de ώadzis, coupée par sa mort prématurée, a
été l’édition d’une revue littéraire, To Prisma (Le Prisme). Ayant
commencé sa « carrière » en tant que rédacteur en chef du journal de son
père, il l’a fini en tant que directeur d’une revueέ Dans son projet
personnel cette revue a tenu une place particulière et on va y revenirέ
εettre citation du livre de ύoulandris aux édέ « Mavri Lista » à la
quatrième de couverture ( χ
α α α
π - α
α
α α α
π
α
α- … έ)
3
.
4
Le dialogue des littératures
εais je voudrais ici signaler un premier champ d’intêret de
Hadzis : Une des constantes de son propre projet culturel a été l’échange
dans la culture et la littératureέ Ayant vécu la plus grande et plus féconde
partie de sa vie éxilé en Europe cenrtale, imbibé aussi de la grande
tradition de la culture de la Mitteleuropa, Hadzis a voulu fonctionner en
tant que passeur entre la littérature grecque moderne et les littératures
étrangèresέ
Cette
activité
se
mariait
bien
avec
son
activité
professionnelle μ à partir de 1ληλ il a commencé une thèse à l’Université
de Budapest et à partir de 1λθι il a enseigné au département de la langue
et littérature grecque de la même universitéέ
En 1960 déjà, en collaboration avec l’écrivain εelpo Axioti, il a
édité une Anthologie de nouvelles grecques traduites en allemand au titre
Antigone lebt (Antigone vit)έ δe livre a connu un grand succès éditorialέ
En 1λι1 il a édité une anthologie de textes grecs à partir du λème siècle
jusqu’en 1967 traduits en hongrois sous le titre Petit miroir de la
littérature grecque moderne. ώadzis a écrit lui même les parties qui font
la liaison ente les différents textes traduitsέ4 En 1974 il a édité un volume
du même type concernant la littérature byzantineέ
TO PRISMA (LE PRISME)
δe mouvement inverse, c’est à dire la traduction de la littérature
étrangère en grec, l’a préoccupé quand il est rentré vivre en ύrèceέ Je
trouve extrêmement intéressant son souci constant de faire les littératures
dialoguer et de jeter son regard toujours à l’autreέ ώadzis entreprendra
l’édition d’une revue qui concrétisera ce souciέ
4
Η πα
.
α
α π
ου Δ
Χα
υ, Λο ο εχ α α
1λζι-1981,
έ
ο α
,
ε απο ε
ε
α βίίγ, έ 1λκ-199.
,
5
La revue de Dimitris Hadzis, To Prisma (Le Prisme) a été sa
dernière intervention culturelle, «sa dernière proposition accomplie, son
chant du cygne », comme remarque Vénétia Apostolidouέ5 Six ans après
la chute de la dictature des colonnels, l’été 1980, ώadzis édite le premier
numéro de la revue To Prisma, ayant comme sous-titre en français :
Revue trimestrielle de littérature étrangère contemporaine. Quatre
numéros de la revue vont paraître jusqu’à l’été 1λκ1έ 6 δe dernier après la
mort de l’écrivain, qui surviendra en juillet 1λκ1έ ώadzis signa l’éditorial
du premier volume uniquement, celui qui présente son projet culturel. Le
2ème et le 4ème volume sont signés par Dimitris Raftopoulos, intellectuel et
critique de la gauche ayant dans ses bagages l’expérience de la Revue
d’Art (Epitheorissi Texnis) la plus importante revue culturelle de la
gauche des années ’ηί et ’θίέ Raftopoulos écrira donc l’épilogue de
l’histoire, en mentionnant que ce dernier numéro était conçu et préparé
par Hadzis lui-mêmeέ C’est triste de constater que les collaborateurs qui
ont entouré ώadzis dans cette entreprise n’ont pas voulu reprendre le
flambeauέ εais cela confirme aussi qu’il s’agissait d’une vision
personnelleέ D’ailleurs très souvent en ύrèce les revues littéraires sont
l’oeuvre d’une seule personne (je donne un seul exemple encore, la revue
salonicienne Diagonios de Dinos Christianopoulos).
Un prisme est un objet qui dévie et décompose les rayons lumineux
en analysant la lumièreέ Que décompose le Prisme de Hadzis ? Hadzis
veut familiariser le public grec (et il vise au grand public, éditorial 1 er
numéro) avec la littérature contemporaine mondiale, en lui dévoilant
α π
υ, «
ε απο ε
ε , Η πα
α βίίγ, έ βκλ-βλη [ πα
6
. To
α,
αα
χ α, χ 1-ζ,
έ Κα α
,
5
ο α
,
έ
α», φέ
α
ου Δ
Χα
α απ
έ βκλ]έ
π
απ
πα
α 1λκί-1981.
Λο ο εχ α
1λζι-1981,
α
χ
α
έ
6
plusieurs de ces facettes, instaurer un dialogue avec elle et en même
temps analyser ses composantes.
Je cite de son éditorial du 1er numéro :
« [σotre édition] vise à s’opposer au concept néfaste de
notre singularité [
α
α]έA cultiver l’esprit, la conception,
la conscience que nous ne sommes pas seuls ou uniques,
autonomes et autosuffisants, mais nécessairement nous appartenons
nous aussi à un monde […] qui partage les mêmes problèmes
[…] »
La position de Hadzis est extrêmement importante dans une société
qui avait beaucoup de mal au niveau des mentalités pour se débarasser de
plein de stéréotypes, comme la fameuse « singularité » {
α
α}.
εême dans l’élite de l’intelligentsia grecque, comme elle a pris forme
après 1λιζ, des valeurs-tabous se sont créées, auxquelles il valait mieux
ne pas y toucher : une de celles-là avait à voir avec « la singularité
nationale » qui impliquait en même temps « supériorité »έ La tendance de
méfiance envers les étrangers « responsables de tous nos maux » allait de
pair avec le désintêret envers eux et l’introversion dans une ύrèce
profondément provincialeέ
Dans ce contexte l’attitude de ώadzis est
encore plus importante et novatrice, et en même temps solitaireέ
Dans ce souci d’ouverture, l’outil primordial est la traduction, sur
laquelle il jettera de la lumière pour la première fois en ύrèce en sortant
de l’ombre ce travail mépriséέ δ’article de Aléxis Ziras (critique littéraire)
dans le 2ème numéro (hiver 1λκί) concerne la production traduite de
l’année 1λκίέ δ’écrivain constate l’état décevant des traductions mais
7
aussi les conditions de travail minables imposés au traducteursέ7 Il
déplore le fait que la traduction littéraire est envisagée d’une façon nonprofessionnelle de la part des éditeurs mais aussi des traducteursέ
De ce point de vue, la revue To Prisma est un précurseur d’un
nouvel intérêt pour la traduction en ύrèce qui donnera ses fruits vers la
fin des années ‘κί et début des années ’λί (par l’organisation de
formations pour la traduction, la première étant celle du Centre de
Traduction δittéraire de l’Institut όrançais d’Athènes (1λκθ), à l’initiative
de Titos Patrikios et de Pavlos Zannas entre autres, de dossiers dans des
revues, de prix de traduction (198λ, s’instaure le prix national de
traduction), et –permettez-moi de l’ajouter- de l’édition de la revue
Métafrassi (1λλη), qui en quelque sorte s’inscrira dans le sillon ouvert par
le Prisma de Dimitris ώadzis, ou au moins c’est ce que nous espéronsέ)
D’ailleurs, dans le premier numéro de Prisma, sous la rubrique
l’ « Atelier du Traducteur », Pavlos Zannas publie un article autour de sa
traduction de la Recherche du temps perdu de Proust –qui
malheureusement restera inachevée à cause de sa mort prématurée- et
Titos Patrikios publie la traduction d’un poème de jeunesse de Saint John
Perse (Images dans Robinson Crusoe) avec une notice pour le poèteέ δa
rubrique « l’atelier du traducteur » existe dans les ζ numéros : au 3ème la
revue publie un interview du traducteur éminent Edmund Keely qui a
traduit en anglais plusieurs de nos poètes les plus importants (Kavafis,
Séféris, Elytis entre autres)έ Une dernière remarque μ Au dernier numéro,
les dernières pages sont consacrées à la traduction de deux textes
théoriques autour de traduction μ le cinquième chapitre du livre de
Georges Mounin, Linguistique et traduction (trad. M.Aravantinou), et un
extrait du livre de George Steiner, After Babel
7
π
.
α α», Το
α, «
α, χ β, χ
αφ α
1λκίέ
α 1λκί, έ 11ι-120.
(trad. S.Tsaknias).
–
απ
–
8
δ’introduction de la traductologie est très récente en ύrèceέ δa revue
Métafrassi a commencé à publier des textes fondateurs de cette discipline
en 1λλι et les éditions εetaixmio ont démarré une collection seulement
en 2002. After Babel a été traduit en βίίζέ8
τn constate encore une fois le rôle de précurseur de Hadzis et de sa
revueέ C’est triste qu’elle ait arrêté son édition au moment où elle ouvrait
une nouvelle voieέ C’est très problable qu’elle aurait beaucoup offert dans
ce domaine aussi.
*****************
Dans la deuxième partie de ce texte j’esquisserai la chance
éditoriale de ώadzis en όranceέ Je le dirai d’emblée μ lui qui s’est occupé
tellement de promouvoir la littérature des autres, que ce soit la littérature
grecque moderne en Europe ou l’etrangère en ύrèce, n’a pas eu la chance
qu’il méritaitέ Son œuvre est près peu traduite, et n’a pas la place qui lui
revient dans le « canon » de la littérature grecque moderneέ De beaucoup
plus jeunes que lui et nettement moins importants ont eu la chance d’être
présentés au public francophoneέώadzis n’a pas eu encore ce qu’il mériteέ
LES TRADUCTIONS
1. Takis Hatzis, Mourgana, traduit par εelpo Axioti, édité par le
Comité όrançais d’aide à la ύrèce Démocratique (1λζκ)
δe premier récit littéraire que Dimitris ώadzis (signé encore Takis
ώadzis, prénom par lequel l’ont toujours appellé ses proches) écrira, sera
inspiré d’un des derniers épisodes sanglants de la guerre civile grecque, la
bataille de εourganaέ Édité en Juillet 1λζκ par la « Voix de Boulkès »,
les éditions du Parti Communiste, elle a été tout de suite traduite en
français par l’écrivain εelpo Axioti, combattante elle aussi, et a été
George Steiner, Mε
Scripta, Athènes βίίζ
8
α
, trad. ύέ Kondylis, révision Aris Berlis, édέ
9
éditée en όrance par les soins « du Comité όrançais d’aide à la ύrèce
Démocratique »έ (A propos, je voudrais remercier εonsieur σicos
ύoulandris qui m’a permis de connaître et de consulter cette édition rareέ)
A la première page, une notice s’adresse au lecteur francophone en
reprenant en partie le texte qui accompagnait l’édition grecqueμ
« Mourgana est une montagne de l’Épireέ Sur ces cimes,
l’Armée Démocratique de ύrèce a brisé l’ »offensive du
printemps » de 1λζκ, lancée par les monarchofascistes et les
Américainsέ
Ce récit n’est pas seulement une description, simple et fidèle,
de la bataille.
C’est surtout l’image modeste, ardente et héroïque, de notre
Armée Démocratique qui a affrontée, avec une foi invincible,
l’écrasante supériorité de l’ennemiέ
A travers les phases de ce livre, tu t’informes, camarade
lecteur, de la façon dont tes frères, les combattants de l’Armée
Démocratique se battent là bas, au front ν les batailles légendaires
soutenues par tes camarades sur le sol de la patrie, et la marche
héroïque de notre peuple pour la liberté et l’indépendance de notre
cher paysέ […] «
Je cite le début du récitμ
«
« Nous nous trouvons près de εourganaέ σous devons
entreprendre une grande opération, et cette fois j’ai peurέ »
Il avait reçu sa lettre quelques jours auparavant, il n’avait pas
eu le temps de lui envoyer la réponseέ Il lui écrivait qu’il l’aimait
beaucoup, qu’à son retour il l’épouserait, et il avait ajouté encore
une fois qu’il avait très peur à εourganaέ C’était un soldat du ηκγ e
bataillon, de la 75e brigade. Son cadavre se trouve maintenant sous
un rocher à pic à Tserobetsi, le visage à moitié rongé, l’un des
10
pieds cassé et le bras emporté deux mètres plus loinέ δ’autre bras
semble toucher la poche où se trouvent ses lettresέ Dans le vacarme
de ses journées, les lettres ont été dénichées par les nôtresέ εais
elles se sont mouillées et les noms des deux amoureux se sont
effacéesέ « (page 3)
ώadzis donne la parole à l’adversaire, qui exprime sa peur « cette
fois j’ai peur », « il avait très peur à εourgana »έ δe jeune écrivain,
qui écrit son premier récit littéraire, a déjà acquis des qualités d’un
écrivain mûrέ δe ton héroïque de l’avis aux lecteurs donne sa place à la
misère du corps, à la douleur, la peur et finalement à la mortέ δa guerre
civile c’est avant tout tout çaέ δes projets détruits, les vies des jeunes
finies avant même de commencerέ Il y a des pages de Mourgana qui sont
au moins égales de certaines pages de`l’Espoir de Malraux qui ont fait
connaître la guerre civile espagnole dans le monde entierέ
δe fait que le premier texte littéraire de ώadzis a été édité tout de
suite en France, dans le cadre de la solidarité envers les combattants de la
guerre civile, est très émouvantέ Par contre je ne suis pas en mesure de
dire quel a été l’impact de ce texteέ
βέ Dimìtris ώadzis, La fin de notre petite ville, traduit du
grec par Michel Volkovitch et Patricia Portier, éditions de l’Aube
et éditions Complexe 1λλί (en deux volumes) ή édέ De l’Aube,
βίίβ, édέ De poche (en un volume)
La fin de notre petite ville est l’oeuvre qui marque l’entrée
officielle de ώadzis dans la littérature grecqueέ Edité d’abord en exil ( d.
Ν α
α) il a été repris en 1λθγ en ύrèce, (
.
π
11
χ
)έ Cette seconde édition l’a fait vraiment connaître en le classant
tout de suite parmi nos grands.
Si la première traduction de ώadzis a eu la chance d’être éditée en
France l’année même de son édition grecque –je parle de Mourgana-, la
deuxième verra le jour seulement quarante ans aprèsέ δorsque j’ai connu
Michel Volkovitch en 1988 en Arles, au colloque des traducteurs, il
racontait qu’il avait enfin trouvé un éditeur pour le receuil de Hadzis La
fin de notre petite ville, mais comme la collection ne comportait que des
livres d’une centaine de pages à peu près, il aurait été édité en deux
volumes ! C’était la première fois que je me rendais compte des
difficultés de la littérature grecque à franchir les frontières des langues
européennes,
et
surtout
des
langues
européennes
dominantes, avec une énorme tradition littéraireέ
occidentales
δ’œuvre perdait
totalement son unité dans cette édition, car il perdait son titreέ La fin de
notre petite ville donnait sa place au titre d’une nouvelle chaque fois et
devenait sous-titre (La fin de notre petite ville 1 et 2). Ainsi le premeir
volume s’appellait Le Cahier du détective et le deuxième Le testament du
professeur par les nouvelles qui avait le même titreέ τn peut imaginer si
le lecteur cherche l’unité d’une peuvre au sous-titre et si cette façon
d’éditer un grand écrivain étranger pour la première fois peut faciliter une
réceptionέ
Vingt ans après cette première édition, le receuil de Hadzis, reste
toujours le seul livre de ώadzis publié en όrance (maintenant enfin dans
un seul volume, qui porte le vrai titre, à la collection de poche des
éditions de l’Aube, réédité en βίίβ)έ
À la quatrième de couverture il y a des extraits de six présentations
dans les journaux μ les deux sont des écrivains grecs qui ont fait carrière
en France (Vassilis Alexakis et Vassilis Vassilikos). Il y a aussi Lucile
Farnoux (qui s’occupe de présenter les sujets grecs dans Le Monde
12
systématiquement) note μ ‘Dimitris Hadzis, un des grands prosateurs
grecs contemporainsέ « Le testament du professeur » est à elle seule un
chef d’œuvre, empreint de cette ironie très fine caractéristique du style de
Hadzis »έ όarnoux positionne ώadzis d’emblée dans la constellation des
écrivains grecs en lui conférant sa vraie place et choisit de mettre en
avant la nouvelle « Le testament du professeur « . André Clavel dans le
Journal de Genève note : « Un merveilleux conteur dont le regard
s’illumine dès qu’il retrouve les saveurs du quotidien : jamais amer ni
revenchard, mais lucide et mélancoliqueέ »
Il paraît que ce premier ouvrage de ώadzis a été bien accueilli par
la critiqueέ εais à quel point elle influence le public ς À quel point le
lecteur a pu voir à ώadzis un écrivain européen, et pas uniquement un
écrivain grec lié à ses racines et limité par elles et enfermé dans les
stéréotypes et l’exotismeς Dans quelle mesure l’œil du lecteur des
langues dominantes (anglais, français, allemand… ) provenant des
culteures avec une énorme tradition littéraire et des écrivains qui
construisent le « canon littéraire », comme ώarold Bloom l’a démontré,
peut ne pas être condescendant ou simplement piégé par ses idées reçues
en lisant de la littérature grecque moderne ? Question qui pourrait peutêtre s’applique à d’autres littératures balkaniques et dont on pourrait peutêtre débattre par la suiteέ
Monsieur Nicos Goulandris, dans l’épilogue de sa critique de la
traduction anglaise du même ouvrage (The End of our Small Town) pose
la question extrêmement intéressante de la façon dont les idées reçues du
traducteur envers l’écrivain qu’il traduit influencent sa traductionέ Il
conclut en disant que « cette approche
rend son œuvre presque
intraduisible parce que, cassant sa cohésion interne, elle le rend
incompréhensibleέ « [article dans Nea Estia numέ 1ι1θ] Dans ces idées
reçues ύoulandris note l’approche de ώadzis comme un écrivain de
13
gauche, un prosateur qui a beaucoup d’élements oraux et représentatif
d’un certain endroit, lié à l’espace épiroteέ J’ai l’impression –si je
comprends bien l’esprit de ύoulandris- qu’il considère tous ses éléments
réducteurs de l’ampleur et de la valeur de l’oeuvre de ώadzisέ Ce n’est
pas qu’ils manquent totalement mais il ne sont pas suffisants pour la
décrire et la positionnerέ Au moins c’est ma façon de comprendre cette
remarqueέ J’aurais continué en disant que ώadzis est un écrivain
européen, homologues des grands écrivains de l’τccident des années ’ηί
et ’θίέ Dans un contexte de littérature comparée ώadzis aurait beuacoup
mieux trouvé sa place et ses particularitésέ Une telle étude n’existe pas
publiée à ma connaissance (évidemment je ne peux pas savoir les
mémoires et les thèses qui se font dans les Universités)έ
Je souhaiterais faire aussi un commentaire sur la couverture de
cette édition μ la maison ensoleillée dans une île -on voit l’architecture
typique des Cyclades et la mer au fonds, le bleu et le jaune qui dominefait appel au stérétoype qui attire le touriste et est tout ce qu’il y a de plus
inapproprié pour ώadzisέ Sa petite ville a les traits de sa ville natale de
Ioannina, une ville du nord, avec un lac, des murailles, des arbres et son
architecture ottomaneέ δe climat en plus de ses histoires, la décadence de
cette ville (la fin, d’ailleurs… dans le titre) est totalement contraire à cette
imageέ C’est clair que la chance commerciale d’un livre grec passe par les
stéréotypes où au moins c’est ce qu’en pensent les éditeursέ
LE DOUBLE LIVRE (1976)
Unique roman de Dimitris ώadzis, qui avait excellé dans le genre
littéraire de la nouvelle, édité en ύrèce après son retour, en 1λιθ, Le
Double livre est un livre majeur de la littérature néohélléniqueέ Cette
dernière œuvre accomplie fait preuve de la maturité laquelle l’écrivain
avait atteintέ D’ailleurs il a laissé inachevé un autre roman, chose qui
14
montre qu’il avait parcouru le chemin qui va de la nouvelle au romanέ 9
Déjà la Fin de la petite ville présente une certaine unité, qui conduit le
traducteur Michel Volkovitch à parler « d’un tout »έ Je cite « La fin de
notre petite ville forme un tout μ d’un récit à l’autre les Thèmes se
répondent, se développent, s’enrichissent de résonances obsédantes […] »
(post face p. 272)
Pourtant la construction du Double livre est tout à fait autre choseέ
Je dirais d’emblée que je déplore le fait que ce livre n’ait pas été traduit
en françaisέ Je considère qu’il serait le livre le plus intéréssant de cet
écrivain, celui aussi qui aurait pu faciliter la réception et devenir la
locomotive des autres receuils de nouvellesέ εichel Volkovitch écrit dans
sa postface μ « Deux des trois livres phares de la prose grecque d’après
guerre –le Troisième anneau de Taktsis et Cités à la dérive de Tsirkassont depuis longtemps traduits en françaisέ δe troisième La Fin de notre
petite ville, publié en 1λθγ, aussitôt devenu un classique et traduit en
plusieurs langues, aura mis un quart de siècle à nous parvenirέ »
(Postface, p. 269) Je veux bien accepter les deux autres livres comme des
livres majeurs de notre littérature contemporaine, mais dans ce cas
j’aurais mis comme troisième le Double livre, déjà parce qu’il s’agit d’un
roman, et de ce fait il est un livre homologue aux autres romans.
(En fait l’oeuvre de Stratis Tsirkas, Les cités à la dérive
(
υ
ε πο
ε ε ) est une trilogie, il s’agit de trois romansέ Je
rappelle à l’occasion la traduction de Catherine δerouvre et Chryssa
Prokopakis (édέ le Seuil, 1λι1)έ Quant à Taktsis il a eu la chance d’être
traduit par Jacques δacarrière et d’être édité par ύallimard en 1λθιέ)
Connaissant la difficulté du genre de la nouvelle à passer en
France, si je ne me trompe pas, je crois que le Double Livre pourrait avoir
.O εο
ο υ
από
υ
α (Oncle Polykratis de Ouganda, des
extraits ont été publiés par la revue Anti en 1λιλ en tant que prépublication)έ
9
15
une autre chance, susciter un autre intérêt et placer ώadzis à sa vraie
placeέ Et là il ne s’agit pas uniquement du fait que le livre est un roman,
mais surtout de la qualité de ce romanέ Dans ce roman, qui se situe aux
années ’ηί en ύrèce et ’θί en Allemagne (pou cela aussi il est double)
ώadzis a mis toute son expérience de l’exil, du dépaysement, des
communautés grecques d’emigrés en Europeέ Ce livre qui parle
d’émigration, à l’époque où la ύrèce envoyait ses émigrés aux quatre
coins du monde, et notamment « gastarbeiter » en Allemagne, est aussi un
livre sur l’émigration, sans reprendre les stéréotypes de la nostalgieέ δa
thématique est beaucoup plus moderne, touchant des questions de
déculturation, d’acculturation impossible, en somme d’identitéέ
δes ζίέίίί grecs (ou romioi, qui est le terme toujours utilisé par
Hadzis, terme qui provient de la domination ottomane), à Stuttgart sont,
comme il dit, une vraie cité, plus grande que celle de Volos, qui est
l’autre pôle de ce livre doubleέ Un chapitre est consacré à Stuttgart et
l’autre à la ύrèce dans ce double livreέ Deux chapitres sont consacrés à
la région de Volos, d’où est originaire Kostas, le narrateur principalέ Déjà
cette structure est un dialogue avec l’Europe, une confrontation
permanenteέ ώadzis dans ce livre est plus Européen que jamais, en restant
en
même
temps
profondément
grecέ
Cette
dialectique
est
merveilleusement élaboréeέ Kostas va arriver à dire :
« Et je te dis que je suis 4 ans parti mais la nostalgie du pays
comme on dit je ne l’ai jamais euέ Je ne connaîs pas de quoi elle est faiteέ
Il paraît donc que moi je n’ai pas de patrie, je n’ai pas au pays ma patrie,
comme l’ont ces petites Espagnoles bêtes, ou les nôtres qui se torturent
avec la nostalgie […] εoi je ne retourne jamais à Sourpi [son village
natal], à la gare des bus où Anastassia m’attendait, à la place de Almyros
où il y avait notre cinéma du dimanche, à l’atelier de bois, au bistrot de
16
Volos où on allait avec le εaître, je ne me revois pas dans tout ça, je ne
veux plus y retournerέ Je suis donc un homme qui n’a pas de patrieέ »
De ce point de vue c’est vraiment dommage que ce livre ne soit
pas accessible au lecteur francophone (à part un chapitre qui est inclus
dans un receuil de nouvelles d’écrivains originaires d’Épire)έ J’aimerais
donc clore ce texte en éveillant l’intérêt et en émettant le souhait que ce
livre passe vite la frontière de la francophonieέ --------------------