à Claudia et Camila
to Claudia and Camila
C A R LOS LU N A
5 CONTINENTS EDITIONS
Coordination éditoriale
Editorial coordination
Laura Maggioni
Direction artistique | Art direction
Annarita De Sanctis
5 Continents Editions
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
Piazza Caiazzo 1
PHOTO CREDITS
IT – 20124 Milan
www.fivecontinentseditions.com
P. 9: © Teodoro Ríos
P. 10: © Andy Warhol Foundation for the
ISBN : 978-88-7439-742-6
Distribution BELLES LETTRES /
Traduction en français | French translation
Diffusion L’entreLivres
Catherine Tron-Mulder
Distributed in the United States and
Canada by Harry N. Abrams, Inc.,
Secrétariat de rédaction | Editing
New York. Distributed outside the United
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States and Canada, excluding Italy,
by Yale University Press, London
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New York
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(ARS), New York / ADAGP, Paris
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Achevé d’imprimer en Italie sur les
presses de Tecnostampa – Pigini Group
Tous droits reservés | All rights reserved
Printing Division Loreto – Trevi, Italie,
– Carlos Luna. Pour la présente édition
pour le compte de 5 Continents Editions,
For the present edition
Milan en juin 2017
© 2017 – 5 Continents Editions srl
Printed and bound in Italy in June 2017
by Tecnostampa – Pigini Group Printing
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P. 2: Fernando Armenghol
Division Loreto – Trevi, Italy,
for 5 Continents Editions, Milan
P. 68–69, 99: Denise Lugo
P. 180: Fernando Armenghol
Toutes les images de Carlos Luna
© Carlos Luna
All Carlos Luna images © Carlos Luna
SOMMAIRE TABLE OF CONTENTS
[8]
[9]
LA « MACHINE VERTE » / CHRONIQUES
[ 36 ]
UNE VISITE D’ATELIER AVEC CARLOS LUNA
D’UNE LÉGÈRETÉ QUOTIDIENNE
[ 37 ]
A STUDIO VISIT WITH CARLOS LUNA
GREEN MACHINE / CHRONICLES OF AN EVERYDAY
Jack Rasmussen
LIGHTNESS
Bárbaro Martínez-Ruiz
[ 20 ]
L’ESPRIT DANS L’ART DE CARLOS LUNA
[ 21 ]
SPIRIT IN THE ART OF CARLOS LUNA
[ 42 ]
CARLOS LUNA / LE PARCOURS D’UN ARTISTE
[ 43 ]
CARLOS LUNA / AN ARTIST’S JOURNEY
Carol Damian
Henry John Drewal
[ 168 ] CHRONOLOGIE
[ 169 ] CHRONOLOGY
[ 30 ]
L’ART DÉCONCERTANT DE CARLOS LUNA,
Camila Luna
OU LES FARCES DU VILAIN GARÇON
[ 31 ]
THE UNSETTLING ART OF CARLOS LUNA,
OR THE NAUGHTY BOY’S TRICKS
Ramón Alejandro
[ 176 ] CURRICULUM
REMERCIEMENTS ACKNOWLEDGEMENTS
Josi & Carla Eshkenazi
Don & Era Farnsworth
Camila Luna
Jack Rasmussen
Clea Fernández
Carlos M. Luna
José Antonio Rodríguez
Ramón Alejandro
Fernando Franco
Cristóbal Luna
Norma Sánchez
Nestor Arenas
Benjamín Fernández Galindo
Carlos Luna Padura
Eleonora Stein
Enrique & Arminda Aguera
Fernanda Gamboa
Bárbaro Martínez-Ruiz
Emilio & Yolanda Suárez
Fernando Armenghol
Manuel García
Annegreth Nill
Tallulah Terryll
James Blanchard Cisneros
Bienvenido y Margarita Goiburo
Ramón Osuna
José Villarreal
Simona Capasso
Shelby James
Claudio Pastori
José A. Villafranca
Ramón y Nercys Cernuda
Tomás Kepets
Nicholas Price
Carol Damian
Robert Lennon
Don Queralto
Les animaux de ma famille My pets
Henry John Drawal
Denise Lugo
Coty Ramírez
Churro & Cocoa
L A « MACHINE VERTE » / CHRONIQUES
D’UNE LÉGÈRETÉ QUOTIDIENNE
N
BÁRBARO MARTÍNEZ-RUIZ
Michaelis School of Fine Art
Chaire du département d’histoire de l’art et de discours de l’art
é en 1969 à Pinar del Río, à Cuba, Carlos Luna explore dans une œuvre de
adeptes de la Regla de Ocha et Oddu par les prêtres d’Ifa – qui a constamment nourri
grande envergure l’influence des souvenirs et de l’imagination sur la perception
son œuvre. Quoique l’on dispose de compilations écrites de ces textes oraux tradition-
temporelle. Son art s’enracine dans la riche culture rurale de Cuba – le Cuba de
nellement utilisés lors des cérémonies divinatoires, il n’en existe aucune trace iconogra-
sa jeunesse, de ses études universitaires et de ses plus anciens souvenirs. Au fil du
phique, et les spécialistes de l’art et de la culture de l’Afrique, de la diaspora africaine
temps, Luna a présenté une vision optimiste de l’identité cubaine, enracinée dans la
ou des Caraïbes ne sont pas parvenus à un consensus quant à la réalité d’une éven-
fierté nationale mais éloignée de ce qu’il considère comme une obsession cubaine pour
tuelle expression graphique des scènes et des personnages décrits par la tradition
des notions occidentales très politiques et une dépendance excessive à l’égard des ten-
Pataki/Oddu. Cependant, à partir de sa propre expérience mais aussi de fragments
dances extérieures de l’art contemporain. Au cœur de cette idée plus fière de l’identité
d’une histoire culturelle partagée, de récits de souvenirs et des interprétations de géné-
nationale cubaine se trouve la conviction de Luna selon laquelle l’art lui-même construit
rations de Yoruba et de descendants de Yoruba, Luna réinvente des illustrations de
un monde d’amour-propre, d’innovation et de renouveau. En se centrant sur le mode de
cette tradition Pataki/Oddu. Ce faisant, il crée de nouveaux souvenirs visuels tout en
vie rural de Cuba, souvent oublié, et sur sa contribution à la culture de l’île dans son
facilitant l’accès à des pratiques presque tombées dans l’oubli, entremêlant leur redé-
ensemble, Luna incite ses spectateurs cubains à apprendre à comprendre leur héritage
couverte et celle d’autres éléments sous-estimés de l’identité cubaine contemporaine.
et à désapprendre des notions historiques élitistes et fortement politiques. Ce nécessaire
Grâce à cette démarche, l’œuvre de Luna fournit la preuve en images d’un sys-
repositionnement permet de saisir l’ambiguïté inhérente à une double réalité : d’une part
tème artistique qui revisite constamment de multiples héritages visuels. Il signale les
l’appartenance à l’histoire sociopolitique occidentale, d’autre part un talent inné pour
traits distinctifs de chaque forme artistique constitutive, négociant en temps réel la
1
l’élaboration d’une identité culturelle et artistique unique en son genre .
répartition de valeur et d’espace entre différents types de techniques, célébrant la
Luna a axé sa carrière artistique sur la technique picturale, demeurant dévoué à ce
bousculade de traditions iconographiques distinctes et libérant leur potentiel conju-
qu’il estime être la capacité exceptionnelle de la peinture : offrir des possibilités apparem-
gué pour obtenir une force expressive. Par exemple, la maîtrise technique – évidente
ment infinies de chanter ce que les Cubains ne trouvent que rarement dans leur vie quo-
lorsqu’on examine de près les dessins et les tableaux de Luna – traduit sa pleine
tidienne : un imaginaire transcendant les frontières physiques, une tradition visuelle
conscience des notions occidentales sur la création d’ombre et de lumière, mais
dépassant les divisions culturelles et politiques, et une philosophie servant de guide moral.
l’artiste choisit, au contraire, d’introduire un autre niveau de conceptualisation de
Le récit de Luna est un récit d’unification qui reconnaît la légitimité de références cultu-
valeur associée à la lumière et à la couleur en transposant dans le cadre les formu-
relles variées tout en intégrant un commentaire politique complexe dans des panoramas
lations littéraires des mêmes idées. Cette méthode visuelle reconnaît une certaine
accessibles, non menaçants. Si Luna plaide pour la fusion des différents courants cultu-
affinité de la peinture et de la littérature, une caractéristique qu’Horace avait relevée
rels, il n’évite pas les sujets brûlants. Au contraire, il demande au spectateur d’affronter des
dans sa célèbre comparaison : « Ut pictura poesis » (« Il en est de la poésie comme
thèmes tels que l’importance de l’harmonie sociale ou la prédilection de la société pour la
de la peinture2 »). Néanmoins, Luna invente un nouvel imaginaire artistique non pas
beauté, des questions qui émergent de sous la surface peinte après un examen attentif.
en associant ses propres images aux notions occidentales sur la poésie, mais plutôt
en les reliant à la tradition littéraire yoruba qu’il connaît intimement, puisqu’il l’a
Son initiation à l’Ifa, une religion yoruba répandue à Cuba, et des décennies de
utilisée au quotidien dans sa pratique de la divination d’Ifa.
pratique ont offert à Luna l’accès à une tradition littéraire – appelée Pataki par les
[ 8 ]
GREEN MACHINE / CHRONICLES
BÁRBARO MARTÍNEZ-RUIZ
Michaelis School of Fine Art
Department Chair, History of Art & Discourse of Art
OF AN EVERYDAY LIGHTNESS
B
orn in 1969 in Pinar del Rio, Cuba, Carlos Luna explores across a far-ranging
available, no accompanying visual record exists and no consensus has emerged from
body of work how memories and imagination affect temporal perception. His
scholars of African, African diaspora, or Caribbean art and culture, as to whether the
art draws deeply upon the rich rural culture of Cuba—the Cuba of the artist’s
scenes and characters described in Pataki/Oddu were ever previously articulated in
youth, academic training, and deepest memories. Over time, Luna has presented an
visual form. However, using his own experience, and drawing upon fragments of
optimistic vision of Cuban identity, one rooted in national pride, but removed from
shared cultural history, recounted memories and interpretation across generations of
what he views as a Cuban preoccupation with politically charged western notions and
Yoruba and Yoruba-descended people, Luna reimagines such visual accompaniments
overreliance on external contemporary art trends. At the core of this prouder vision of
to Pataki/Oddu. In the process, he both creates new visual memories and facilitates
Cuban national identity is Luna’s view that art itself constructs a realm of pride, inno-
access to near-forgotten practices, intertwining their rediscovery with that of other
vation, and renewal. Through his focus on Cuba’s oft-forgotten rural lifestyle and its
undervalued contributors to contemporary Cuban identity.
contribution to the island’s broader culture, Luna encourages his Cuban audience to
In this effort, Luna’s work provides visual substantiation of an artistic system
learn how to understand their heritage and to unlearn historical elitist and politically
continually revising multiple visual legacies. He points out the characteristic fea-
charged notions. This necessary repositioning allows for an embrace of the ambiguity
tures of each component art form, negotiating in real time the allocation of value
inherent in being both part of Western socio-political history and the natural to forge
and space between different kinds of media, celebrating the jostling of distinctive
a uniquely diverse artistic cultural identity.1
visual traditions, and embracing the combined potential for expressive strength. For
Luna has unabashedly focused his artistic career on the medium of painting, remain-
example, the technical skills evident in a close examination of Luna’s drawings and
ing insistently committed to what he views to be painting’s unique capacity to offer
paintings show him to be fully aware of Western notions of producing light and
seemingly limitless opportunities to extol what Cubans rarely find in their daily life: an
shade, but he opts instead to introduce another level of conceptualization of value
imaginary that transcends physical boundaries; a visual tradition that surpasses cultural
associated with light and color by transposing literary formulations of the same
and political divisions; and a guiding moral philosophy. Luna’s is a narrative of unification
ideas into the frame. This visual method recognizes that paintings have a certain
that simultaneously acknowledges the legitimacy of diverse cultural references, and inte-
affinity for literary works, a characteristic Horace observed in his famous simile “Ut
grates complex political commentary into accessible, non-threatening vistas. Although
picture poesis” (“As is painting, so is poetry”).2 Luna, however, creates a new artis-
Luna advocates for a coalescence of Cuba’s varied cultural strands, he does not shy away
tic imaginary not by associating his images with Western notions of poetry, but
from challenging topics. Instead, he asks the viewer to wrestle with arguments ranging
instead by linking them to the Yoruba literary tradition with which he is intimately
from the importance of social harmony to society’s predilection for beauty, questions that
familiar, having used it daily during Ifa divination practice.
reveal themselves upon closer inspection beneath the painted surface.
Through his initiation into and decades of practice of Ifa, a Yoruba religion common in Cuba, Luna has had access to a literary tradition known as Pataki to Regla de
RURAL ICONS
Ocha practitioners, Oddu to Ifa priests, that has consistently informed his work. While
Empingated (Awesome), Dale, Dale, Huye (Giddy Up and Run Away) and El Gran
written compilations of these oral texts traditionally used in divination ceremonies are
Mambo (The Great Mambo) introduce core visual principles of Luna’s work and
[ 9 ]
arcs et flèches, étoiles et fers à cheval – sur la surface de ses tableaux. Représentant
ces éléments symboliques dans un style conventionnel et mettant en relief leur
qualité pictographique, Luna les isole par des techniques telles que le dessin à la
mine de plomb, des fonds atmosphériques et une composition très contrastée. En
recourant à ces symboles conventionnels, Luna a dégagé un espace pour élaborer
un nouveau vocabulaire de formes, de structures et de concepts visuels, rendant
ainsi hommage à des œuvres de ses prédécesseurs et contemporains cubains, dont
The Jungle (1943) et Hurricane (1946) de Wifredo Lam, Tribute to Almodovar (1995)
de Sosa Bravo et Aayy, Shas, I Can’t Stand it Anymore (1967) d’Umberto Peña.
Ces trois tableaux dégagent une tension viscérale ; autour de formes calligraphiques isolées qui semblent comprimées, le vide créé par leur séparation suscite
un sentiment d’horreur. Les symboles cherchent à s’émanciper de la surface plane
et luttent pour la liberté de parler de leurs expériences culturelles, traditions religieuses et paradigmes moraux respectifs. Cette exigence d’un récit visuel par le
biais d’une interaction symbolique caractérise le style de Luna, qui propulse cet
élan graphique plus loin que les artistes auxquels il fait référence, développant
EL GRAN MAMBO 6 PIECES, 2006. OIL ON CANVAS, 144 X 192 IN. | EL GRAN MAMBO (6 PARTIES), 2006. HUILE SUR
TOILE, 366 X 488 CM. CCG ART COLLECTION
l’analyse exhaustive de formes inspirées d’expériences culturelles, d’un éveil religieux et de paradigmes moraux spécifiques. En exprimant ce désir narratif, Luna
fait allusion à la riche tradition littéraire Pataki/Oddu et à son rôle fondateur pour la
culture cubaine rurale, tout en s’efforçant de construire son propre récit né de l’expérience cubaine contemporaine4.
ICÔNES RURALES
Empingated [Vachement génial], Dale, Dale, Huye [Sortez d’ici] et El Gran Mambo
introduisent les principes visuels fondamentaux de l’œuvre de Luna et prouvent sa
maîtrise de la tradition picturale académique espagnole connue sous le nom de
TYPES HUMAINS, CARICATURES ET ANTI-HÉROS
« facture3 », tout en exprimant ses croyances personnelles et son intérêt pour la
Toujours plongé dans une réflexion sur les défis inhérents à l’expression de l’idée de
sagesse populaire. Allusions au pouvoir fonctionnaliste de l’absurdité, ces œuvres
Cuba, Luna s’intéresse à ce que signifie être un guajiro (paysan) et à la façon dont
évoquent visuellement des archétypes moraux locaux issus de l’histoire orale verna-
ces guajiros, notamment ceux de la province de Pinar del Río, se présentent au
culaire d’une expérience rurale à Pinar del Río, nourrie par les pratiques religieuses
monde. En figurant des festivités paysannes, des pratiques culturelles et des inté-
afro-cubaines, et font contraster ces souvenirs avec la perspective d’une vie moderne
rieurs domestiques, Luna explore les mœurs rurales et aborde un thème répandu
incertaine. Elles permettent aussi au spectateur d’examiner consciemment la tech-
dans l’art cubain qui a émergé avec la tradition narrative itinérante des graveurs de
nique de composition de Luna – son emploi varié de la peinture, du fusain, de tex-
l’Europe coloniale5. Luna revisite cette tradition, mais rafraîchit l’iconographie typique
tures et de surfaces inhabituelles, le choix de la couleur et l’incorporation de supports
de la campagne cubaine en utilisant des suggestions plus allégoriques et en redé-
linguistiques pour exprimer un concept de « beauté » qui s’appuie sur la promesse
ployant les sujets ruraux tels des héros oubliés. Ce faisant, il représente des arché-
d’une fonction verbale – et le traitement de thèmes complexes par le biais de repré-
types humains, passant du paysan ordinaire au petit chef, de l’amoureux humble et
sentations érotiques très sensuelles et de brillantes observations politiques et morales
généreux au farceur6.
exprimées avec une fausse ingénuité. Ensemble, elles constituent un coup de poing
En assignant à ces sujets ruraux des rôles de héros oubliés, Luna réinvente aussi
verbo-visuel d’honnêteté cathartique et retracent le parcours finalement optimiste qui
des figures politiques sous des traits caricaturaux. Robo-Ilusión s’insurge contre le
a conduit l’artiste de Cuba au Mexique et aux États-Unis.
portrait emblématique de Fidel Castro en lui donnant tour à tour l’apparence d’un
Dans ces œuvres précoces, Luna a trouvé une façon très personnelle d’incorporer des symboles emblématiques – ciseaux, couteaux, pyramides, triangles, arbres,
paysan, d’un chef, d’un vieillard attendant la fin. Le train, métaphore du passage du
temps, met à mal l’archétype historique du leader tout-puissant7.
[ 10 ]
a new vocabulary of form, structure and visual concepts, paying homage in the
process to works by his Cuban forbears and contemporaries, including Wifredo
Lam’s The Jungle (1944) and Hurricane (1946), Sosa Bravo’s Tribute to Almodovar
(1995), and Umberto Peña’s Aayy, Shas, I Can’t Stand it Anymore (1967).
These three paintings convey a visceral tension; isolated calligraphic forms
appear constrained, and the vacuum implied by their separation conveys a sense of
horror. The symbols seek emancipation from their flat surfaces and strain for the
freedom to converse among themselves about their respective cultural experiences,
moral paradigms, and diverse religious traditions. This demand for a visual narrative through symbolic interaction is characteristic of Luna’s style, and he takes this
graphic impulse further than the artists he references, developing a comprehensive
analysis of forms grounded in specific cultural experiences, moral paradigms and
religious awakening. In conveying this narrative desire, Luna both alludes to the rich
Pataki/Oddu literary tradition and its role in the shaping of rural Cuban culture and
strives to build his own narrative borne of contemporary Cuban experience.4
TEODORO RÍOS, JARRÓN CON AROMA DE MARIPOSAS, 1943. OIL AND MIXED MEDIA ON CANVAS, 29½ X 32½ IN.
TEODORO RÍOS, JARRÓN CON AROMA DE MARIPOSAS, 1943. HUILE ET TECHNIQUE MIXTE SUR TOILE, 75 X 82,5 CM
PEOPLE TYPES, MOCKERY, AND ANTIHEROES
Continually reflecting on challenges inherent in articulating the idea of Cuba, Luna
is interested in what it means to be a guajiro (peasant), and how guajiros, espe-
exemplify the artist’s skill in the Spanish academic painting tradition known as
3
cially those from Cuba’s Pinar del Rio province, present themselves to the world. In
facture, while also encapsulating his personal creed and his engagement with
depicting peasant festivities, cultural practices, and domestic interiors, Luna
popular wisdom. Referencing the functionalist power of absurdity, these works visu-
explores rural customs and references a frequent theme in Cuban art that began
ally evoke local moral archetypes from the vernacular oral history of a rural experi-
with the traveling narrative tradition of colonial European printmakers.5 Luna revis-
ence in Pinar del Rio informed by Afro-Cuban religious practice and contrast these
its this tradition, but repaints the distinctive iconography of rural Cuba, using more
memories with the prospect of uncertain modern life. They also allow the viewers
allegorical suggestions and redeploying the rural subjects as forgotten heroes. In
to mindfully traverse Luna’s technical approach to composition—his varied use of
doing so, he depicts human archetypes: shifting from the ordinary peasant to the
paint, charcoal, unusual textures and surfaces, choice of color and incorporation of
impersonated ruler, from generous and humble lover to gregarious trickster.6
verbal aids to articulate a concept of “beauty” that builds upon the promise of ver-
As Luna recasts these rural subjects as forgotten heroes, he also reimagines
bal function—and his treatment of complex themes through sensually charged
political figures as caricatures. Robo-Ilusión challenges the iconic representation of
erotic depictions and sparkling political and moral observations expressed with a
Fidel Castro by transforming him from peasant, to ruler, to an elderly figure awaiting
false political innocence. Collectively, they produce a verbal-visual punch of cathar-
his end. The train’s metaphorical passage of time undermines the historical arche-
tic honesty, and map the artist’s ultimately optimistic journey from Cuba to Mexico
type of an all-powerful leader.7
and on to the United States.
In these early works, Luna developed a unique way of incorporating iconic symbols such as scissors, knives, pyramids, triangles, trees, bows and arrows, stars and
DRAWING FROM ART HISTORY LESSONS
horseshoes, across the surface of his paintings. Depicting these symbols in a con-
The painting tradition of bodegones in colonial Spain and pre-1959 Cuba, in which
ventional style and highlighting their pictographic quality, Luna isolates them using
interior living spaces were portrayed in intimate detail, plays a strong role in Luna’s
techniques such as graphite drawing, atmospheric backgrounds and high contrast
vocabulary of icons. Artists of the bodegone tradition whose work echoes through his
composition. In using such conventional symbols, Luna created the space to develop
include Theodoro Rios (Jar with Butterfly Aroma), Mario Carreño (Still Life with
[ 11 ]
simple morceau de tissu. La nappe est un objet qui définit une culture rurale et établit un
lien physique avec le passé de l’artiste, mais la représentation en deux dimensions qu’en
fait Luna joue avec l’idée de culture « populaire ». Il fait allusion à des emblèmes du Pop
Art, comme Icebox (1961) d’Andy Warhol, The Red Smile (1963) d’Alex Katz, Retroactive I
(1964) de Robert Rauschenberg, Great American Nude #5 (1964) de Tom Wesselmann
et Blam (1962) de Roy Lichtenstein, interrogeant la construction individuelle et collective
du souvenir d’objets définissant notre identité nationale, culturelle et personnelle.
Dans La Mesa, comme dans El Gallo Negro [Le Coq noir], le coq figurant au centre
de la composition ancre la routine quotidienne du guajiro et fait écho à des thèmes
de l’imagination paysanne récurrents dans l’œuvre de Luna, comme La catedral
(1997), Mi secreto abre camino (2002), Bum (2002), Café caliente Juliana (2004)
et El kikiriki de Pablo (2005)8. Le coq peut être vu comme une référence littéraire à Ifa,
l’histoire Ogunda (Ogunda Idi) d’Orunmila, dans laquelle l’oiseau protège le propriétaire d’une maison en l’avertissant de la trahison commise à l’intérieur et en lui rappelant d’entrer par une autre porte. C’est une référence littérale à la menace pesant
sur l’intimité du foyer, à la vulnérabilité de ce qui était autrefois un refuge protecteur,
un royaume intérieur. Dans Bum, le coq est posé sur le chapeau de quelqu’un, suggérant le lien indissoluble entre une personne et ses traditions. La métaphore sonore
sous-entendue par le titre onomatopéique Bum associe les images – encadrées par le
ciel bleu foncé de l’aurore – à un coup de feu et au cri du coq au lever du jour.
Le rôle central du coq à Cuba et dans d’autres lieux de la diaspora yoruba se manifeste aussi par sa présence sur les coupes d’Osun. Selon Osun, le mythe de la création des
Yoruba-Lucumí, un coq accompagnait les Obatala lorsqu’ils sont arrivés sur notre planète
pour y créer l’humanité et y a répandu de la terre de ses pattes griffues. Si la coupe ellemême est associée à l’âme du croyant, comme l’oiseau Ban dans l’Égypte ancienne était
ANDY WARHOL, ICEBOX, 1961. OIL, INK, AND GRAPHITE ON CANVAS, 67 × 53 1/8 IN. | ANDY WARHOL, ICEBOX,
souvent représenté planant au-dessus du corps momifié pour assurer son vol vers l’au-
1961. HUILE, ENCRE ET MINE DE PLOMB SUR TOILE, 170,2 X 134,9 CM. THE MENIL COLLECTION
delà, le coq possède la vitalité nécessaire pour apporter la vie terrestre au croyant après
son initiation. Cette référence à la transcendance, état supérieur de conscience attendu
d’un initié yoruba – et au rôle de l’oiseau en tant que messager divin et manifestation
L’INSPIRATION PUISÉE DANS LES COURS D’HISTOIRE DE L’ART
symbolique et physique de la présence protectrice de Dieu9 –, s’entremêle dans l’œuvre
La tradition picturale des bodegones dans l’Espagne coloniale et le Cuba d’avant
de Luna avec d’autres références populaires au coq dans la culture cubaine. Le combat de
1959, qui représentait les espaces de vie domestique avec des détails intimistes,
coqs, véritable institution dans les grandes communautés rurales, renvoie à la fois aux
joue un rôle important dans le répertoire d’icônes de Luna. Parmi les artistes de la
petits plaisirs de la vie à la campagne et à l’idée chrétienne de lutte contre les forces du
tradition bodegone dont l’œuvre résonne dans celle de Luna, citons Theodoro Rios
mal et des ténèbres par une vigilance constante et la préparation au second avènement
(Jar with Butterfly Aroma), Mario Carreño (Still Life with Fish), Victor Manuel García
du Christ10. Ensuite, le coq, symbolisé par le nombre onze, apparaît dans la loterie
(Flower Vase), Antonio Gattorno (Fruits of the Tropic) et Julio Larraz (Conversation).
chinoise, activité répandue quoique illégale et frauduleuse, dans laquelle il incarne de
Tout en faisant référence à des exemples de ce genre pictural, Luna va plus loin et
grandes qualités morales comme la persévérance et le zèle, la confiance et l’honnêteté.
Le coq n’est qu’un exemple du talent de Luna pour la création de fascinants flots
explore les traits distinctifs et les différents aspects qu’il évoque.
Dans La Mesa [La Table], la nappe traditionnelle qui orne toutes les salles à manger
de représentations à plusieurs niveaux qui passent sans heurts de l’image au texte,
de la province rurale de Pinar del Río devient une référence culturelle qui transcende le
mettent l’accent sur la cognition physique et relient l’expérience humaine à des lieux
[ 12 ]
interior of a home by alerting the owner to treason being committed within, and
reminding him to enter through an alternative entrance. This is a literal reference to
weakening of the privacy of home, the vulnerability of what was once a protective
dwelling, an inner realm. In Bum, the rooster is represented resting on a person’s
hat, suggesting the inseparable relation of a person to their traditions. The sonic
metaphor suggested by the onomatopoeic title Bum links the images—framed by a
dark blue sky of the aurora—to a gunshot and the rooster’s crowing to greet the day.
The central role of the rooster in Cuba and other places in the Yoruba diaspora
is also seen through its traditional placement on top of Osun chalices. Osun, the
Yoruba-Lucumí creation story, tells of a rooster accompanying Obatala in their journey to earth in order to create mankind and spreading soil over the earth with its
clawed feet. While the chalice itself is associated with the soul of the believer, like
Ba the bird in ancient Egypt often represented hovering over the mummified body
to assure its flight to the afterlife, the rooster contains the vitality required to offer
life on earth to the believer after initiation. This reference to transcendence, the
higher state of consciousness required of a Yoruba initiate—and to the bird’s role as
a messenger of God and as a symbolic and physical manifestation of God’s protecROY LICHTENSTEIN, BLAM, 1962. OIL ON CANVAS, 60 X 80 IN. | ROY LICHTENSTEIN, BLAM, 1962. HUILE SUR TOILE,
172,7 X 203,2 CM. YALE UNIVERSITY ART GALLERY
tive presence9—intertwines in Luna’s work with other popular meanings associated
with the rooster in Cuban culture. First, as a symbol of cockfighting, an institution
in large rural communities and associated with both the indulgence of rural life and
the Christian belief in fighting the power of evil and darkness through constant
Fish), Victor Manuel García (Flower Vase), Antonio Gattorno (Fruits of the Tropic),
vigilance and preparation for the second coming of Christ.10 Second, symbolized by
and Julio Larraz (Conversation). While referencing such examples of the genre, Luna
the number eleven, the rooster is associated with the widespread yet illegal and
goes further, investigating the distinctive features and various guises he evokes.
fraudulent Chinese lottery in which it is used to embody important moral attribu-
In La Mesa (The Table), the traditional tablecloth found in every dining room in
tions such as hardworking and observant, confidence and honesty.
the rural province of Pinar del Rio becomes a cultural reference beyond a modest
The rooster is but one example of Luna’s ability to create absorbing flows of
piece of textile. The tablecloth is an object that defines a rural culture and provides
multi-layered representations that transition seamlessly from image to text and
a physical connection to the artist’s past, but Luna’s two-dimensional representa-
emphasize physical cognition and link human experience to specific places we call
tion of it plays with the idea of what culture is “popular.” He references iconic pop
home. Memories of grandmother knitting, the sound of rhymed couplets, an
art such as Andy Warhol’s Icebox (1961), Alex Katz’s The Red Smile (1963),
exhausted horse, a house already abandoned in the valley, the leaves of the tree, a
Robert Rauschenberg’s Retroactive I (1964), Tom Wesselmann’s Great American
hero and a martyr—images and allusions that stand alone and yet, through their
Nude #5 (1964), and Roy Lichtenstein’s Blam (1962), thereby raising questions
distinctive iconography, appear to transform into a physical realm before your eyes.
about how we individually and collectively remember objects that define us nation-
This quasi-tautological visual stratagem is elemental to Luna’s approach, allowing
ally, culturally, and personally.
him to allude to universal rites of passage as well as his own development of reli-
The rooster in the center of La Mesa’s composition as well as in El Gallo Negro
gious consciousness.
(The Black Rooster) anchors the guajiro’s daily routine and echoes themes of agrar-
Also alluding to the Ifa divination system central to Yoruba religious practice is
ian imagination seen repeatedly across Luna’s body of work, such as La catedral
the interaction between the color black and various shades of gray in Black Bite,
(1997), Mi secreto abre camino (2002), Bum (2002), Café caliente Juliana
which, like El Gallo Negro, forms part of the artist’s 2014 “black series.” The vari-
8
(2004), and El kikiriki de Pablo (2005). The rooster evokes an Ifa literary refer-
ations across the low values of light that dominate Black Bite’s surface suggest a
ence, the Ogunda di (Ogunda Idi) story of Orunmila, in which the bird protects the
mysterious atmosphere in which unanswered questions abound. These graphic
[ 13 ]
spécifiques qu’on appelle le « chez-soi ». Les souvenirs d’une grand-mère qui tricote,
l’écho d’une comptine, un cheval épuisé, une maison abandonnée dans la vallée, les
feuilles d’un arbre, un héros et un martyr – des images et des allusions autonomes
qui semblent pourtant, par leur iconographie distinctive, devenir sous nos yeux les
éléments d’un monde physique. Ce stratagème visuel quasi tautologique, fondamental dans l’approche de Luna, lui permet de se référer à des rites de passage universels, ainsi qu’à l’éveil de sa propre conscience religieuse.
Autre allusion au système de divination d’Ifa, essentiel dans la pratique religieuse
yoruba, l’interaction entre le noir et différents tons de gris dans Black Bite, qui, comme
El Gallo Negro, fait partie de la « série noire » de l’artiste (2014). Les variations entre
les valeurs lumineuses faibles qui dominent la surface de Black Bite suggèrent une
ambiance mystérieuse dans laquelle fourmillent des questions sans réponse. Ces effets
graphiques font penser à l’atmosphère des contes moraux yoruba et au besoin toujours
actuel d’archétypes moraux et de leçons éthiques véhiculés par ces histoires.
Importante œuvre récente, Blanca Prieta [Blanche-Neige noircie] reflète un autre
aspect de l’intérêt de Luna pour les enjeux contemporains du racisme et de la politique
dans la société cubaine. Le titre de l’œuvre évoque l’expérience sociale du racisme dans
une société cubaine qui incite les gens de couleur à tenter de se faire passer pour des
Blancs. Cette attitude reste très répandue à Cuba dans les familles interraciales (mulattos),
qui y avaient recours pour échapper à l’oppression et aux préjugés raciaux endémiques
CAFÉ CALIENTE JULIANA, 2004. OIL ON CANVAS, 60 X 72 IN. | CAFÉ CALIENTE JULIANA, 2004. HUILE SUR TOILE,
157,5 X 183 CM. CCG ART COLLECTION
dans l’île. Mais elle n’était (n’est) pas toujours couronnée de succès, et selon Luna, le titre
du tableau fait écho à l’expression cubaine : « hacerse pasar por blanco hasta que se
descubra11 », se faire passer pour un Blanc jusqu’à ce qu’on soit démasqué. Ce thème est
sion entre une beauté fugace et des souvenirs temporels qui façonnent la mémoire
en lien direct avec l’histoire personnelle de la famille de l’artiste, caractérisée par le mélange
et l’imagination. Ces séries utilisent une tactique duplicative qui crée un effet d’écho
de nombreuses cultures au fil de plusieurs vagues d’immigration. Luna adhère à ce pro-
pour les souvenirs évoqués, tout en instaurant une distance perceptuelle par rapport
cessus, qu’il nomme « devenir un type », plutôt que de se choisir une identité parmi diffé-
au souvenir lui-même. La surface dure et miroitante des plaques métalliques offre
rents types syncrétiques. L’absurdité du titre du tableau fait également allusion au modèle
une dualité proximité/distance, alors que la fragilité et la délicatesse artisanales des
politique totalitaire de Cuba et à la forme de racisme passif-agressif dans une société
assiettes en céramique – qui servent elles-mêmes de support à la représentation
socialiste dépourvue de la protection juridique qu’aurait portée un mouvement pour les
d’images emblématiques de la vie quotidienne campagnarde – soulignent le contraste
droits civiques. Finalement, le titre surprend doublement : d’abord en situant le person-
entre la nature transitoire et éphémère du souvenir et la forme physique d’un humble
nage de Blanche-Neige à Cuba, puis en faisant d’elle une personne de couleur, ironisant
objet utilisé pour servir de la nourriture. Ces caractéristiques opposées suggèrent une
sur l’idée que sur l’île, le racisme est aussi improbable qu’un conte de fées.
profonde ambivalence à l’égard de l’acte de souvenance et une vue prudente et
méfiante sur des souvenirs apparemment inaltérés.
En jouant avec la réfraction et les manières uniques dont l’expérience vécue frag-
L’ART DU CHANGEMENT
mente les souvenirs, Luna détourne son regard des images familières de la vie quoti-
Luna prouve aussi son sens récursif du souvenir en tissant des images embléma-
dienne pour le diriger sur des moments périphériques qui, sans cela, seraient oubliés
tiques dans un récit visuel porté par la céramique et le métal. Des eaux-fortes sur
sitôt exprimés. Il cherche à incarner un lyrisme visuel en conférant une forme solide à
plaque d’acier et une série de quatre-vingts assiettes en céramique créées dans les
des images isolées et en permettant la résurrection de leur témoignage déformé. Par
célèbres ateliers de poterie de Talavera à Puebla, au Mexique, ont fourni à l’artiste de
leur reconstitution et leur répétition ultérieure, la représentation pictographique indique
nouveaux supports pour insérer entre des images emblématiques le récit d’une ten-
un glissement vers le monde des contes, des plaisanteries et des proverbes. Cette
[ 14 ]
effects evoke the ambience set in Yoruba moral tales and suggest the continued
In playing with refraction and the unique ways in which lived experience frag-
contemporary need for the moral archetypes described in and ethical lessons
ments memories, Luna redirects his gaze from the familiar images of everyday life
imparted by such stories.
to outlying moments, otherwise spoken and forgotten. He seeks to embody visual
An important recent work that demonstrates a different angle of Luna’s
lyricism by giving individual images a solid form and allowing their slanting testi-
engagement with the contemporary issues of racism and politics in Cuba society
mony to be resurrected. In their reconstitution and subsequent repetition, the picto-
is Blanca Prieta (Blackened Snow White). The title of the piece refers to the
graphic rendering denotes a shift toward the realm of tales, jokes, and proverbs.
social experience of racism in Cuban society that causes a person of color to seek
This shift challenges how our understanding can have an effect on the varied pos-
to pass themselves off as a white person. This “passing” is very common among
sible readings of the past, how we remember and ultimately challenge and reshape
interracial families (mulattos) in Cuba, which used passing as a way to escape
our memories. In tracing memory, Luna sketches an argument for the power of
racial prejudice and oppression endemic to Cuban society. Widely attempted,
mind, asserting its ability to reconfigure alienated daily routines as a new kind of
passing met (meets) with varying levels of success, and Luna speaks of the paint-
vernacular poetry.
ing’s title echoing the Cuban saying about a person who impersonates a white
In his most recent body of work (2014–15) Luna reintroduces themes from his
person until being discovered (“hacerse pasar por blanco hasta que se descu-
earlier oeuvre, but now expressing them in the entirely new medium of textile.
11
This specific topic has a direct connection to the Luna family’s personal
Shifting from painting and drawing to woven tapestries, Luna explores new modes
history, a history characterized by the blending of many cultures through different
of incorporating Ifa literary adages into his work, and seeks to portray Ifa divination
waves of immigration. Luna embraces this process, terming it “becoming a type”
as a harmonious system for the understanding and management of all creation.
rather than choosing what to be from among varied syncretic types. The absurdity
Viewing art as a metaphor, Luna challenges the audience’s preconceptions by pro-
in the painting’s title also refers to Cuba’s totalitarian political model and the
viding repeated opportunities to rediscover what has been represented before on
passive-aggressive form of racism in a socialist society lacking a history of legal
different surfaces and through other visual effects. The woven tapestries are the
protection borne of a civil rights movement. Finally, the title also alludes to the
result of an ambitious collaboration between Luna and the renowned Magnolia
double surprise of locating the character of Snow White in Cuba, and representing
Editions in Oakland California that sought to shift Luna’s work from analog to digital
her as a person of color, a twist that plays on the irony of suggesting racism in
production. To create these masterful tapestries, Luna created individual sketches
Cuba to be as unbelievable as a fairy-tale.
on paper, working closely with Magnolia as it translated these detailed works into
bra”).
digital renderings. A mechanical loom read the digital renderings, capturing a level
of detail not immediately evident to the naked eye.
The seven large tapestries that comprise the series—Bailaora, In the Garden,
THE ART OF CHANGING
Luna’s recursive sense of memory is also demonstrated by his weaving of iconic
Dreamer, Catalina’s Mirror, Who Eats Whom, Sometimes, and Heartbreaker—evi-
images into a visual narrative told through ceramic and metal. Steel-plate etchings
dence Luna’s signature style of visually delightful, graffiti-like scrawls that subvert the
and a series of eighty ceramic plates he created at the ancient Talavera pottery in
calligraphic gestures of artists like Jackson Pollock into more stable, or literary, visual
Puebla, Mexico, provided new vehicles for the artist to interleave iconic imagery with
references and then introduce elements of vernacular culture into mainstream artistic
a tale of the tension between fleeting beauty and temporal recollections that shape
practice. Vernacular cultural references drawn from Nigeria, Cuba, and South Florida,
memory and imagination. These series utilize a doubling tactic that creates an echo
play into the tapestries’ pictorial compositions, complementing depictions of Ifa phil-
effect for the referenced memories, while simultaneously enforcing a perceptual dis-
osophical concepts that allude to the shared spiritual legacies in these communities.
tance from the memory itself. The hard mirrored surface of the metallic plates present
Some of the important Ifa philosophical concepts interrogated by Luna’s pictorial
a duality of nearness and distance while the fragility and delicate handiwork of the
technique are the interrelated notions of ori (inner or spiritual head), edo (sacrifice),
ceramic plates—themselves vehicles for the depiction of iconic images of everyday
and iwapele (good character). In exploring these three complementary concepts Luna
rural life—highlights the contrast between the transient, ephemeral nature of memory
is attempting to find a visual form capable of expressing both the complexity of these
and the physical form of a humble object used to provide nourishment. These com-
relationships, and a clear understanding of the underlying religious concepts.12
Tapestry proves itself to be an ideal medium for capturing such details, as it
peting characteristics suggest a deep ambivalence towards the act of remembering
and a guarded, distrustful view of seemingly unblemished memories.
stacks multiple surfaces and effects to create a deep field of woven layers with
[ 15 ]
évolution interroge l’influence de notre interprétation sur les différentes lectures pos-
spectateur et l’œuvre, reflet du lien entre l’artiste lui-même et la surface de la tapisserie
sibles du passé, nos façons de nous remémorer, puis de remettre en cause et de
pendant le processus de production. En invitant le spectateur dans le dialogue avec
remodeler nos souvenirs. En remontant le fil de la mémoire, Luna esquisse un argu-
l’œuvre en cours de réalisation et en reproduisant l’extrême souci du détail qu’elle a
ment pour le pouvoir de l’esprit, dont il affirme la capacité de reconfigurer de lointaines
exigé, les tapisseries soulèvent des questions sur l’interaction complexe entre la dis-
routines quotidiennes comme un nouveau type de poésie vernaculaire.
tance, la compréhension et la relation13. Décoratives, fonctionnelles, ingénieuses et
Dans son œuvre la plus récente (2014-2015), Luna réintroduit des thèmes déjà
complexes, elles jettent un regard vers un vénérable passé d’expression artistique tout
traités, mais en les exprimant désormais sur un support entièrement nouveau, le tissu.
en s’inscrivant solidement dans l’ère de la reproduction mécanique et numérique,
Passant de la peinture et du dessin à la tapisserie, Luna explore de nouvelles façons
comme le guajiro constitue le fil conducteur entre le passé et l’avenir de Cuba.
d’incorporer les adages littéraires d’Ifa dans son œuvre, et s’efforce de représenter cette
Dans un cahier anonyme appelé « The World of Ifa as Philosophy », Itatumo 3914,
pratique divinatoire comme un système harmonieux permettant de comprendre et de
on trouve un mythe de création, utilisé par un babalawo (prêtre) à Cuba pendant les
régir toute la création. Considérant l’art comme une métaphore, Luna remet en cause les
formations et servant de référence constante à une vie d’apprentissage religieux, qui
idées préconçues du public en lui offrant des occasions répétées de redécouvrir ce qu’il
décrit une « sphère divine » et explique l’origine du « bien » et du « mal ». Le person-
a déjà représenté auparavant sur des surfaces différentes et par le biais d’autres effets
nage central, Ogbeidi, évolue dans un espace apparemment désert, décrit comme un
visuels. Ces tapisseries sont le fruit d’une collaboration ambitieuse avec les célèbres
lagon et appelé Orima ou Aima, qui signifie « début » ou « obscurité absolue ». C’est
Magnolia Editions à Oakland, en Californie, qui ont cherché à faire passer l’œuvre de
un monde habité et régi par Esu (médiateur et gardien de la puissance divine, de
Luna de l’analogique au numérique. Pour créer ces tissages magistraux, Luna a réalisé
l’autorité, du principe d’ordre et de l’harmonie). Dans ce monde, Olodumare (Dieu),
des croquis sur papier, coopérant étroitement avec Magnolia qui a traduit ces dessins
qui se tient dans un minuscule noyau translucide de lumière et d’eau, comprend que
détaillés en modèles numériques, lesquels ont été lus par un métier à tisser mécanique,
le monde de l’obscurité représente la plénitude de notre existence mais ne peut ni
avec un degré de détail qui n’est pas immédiatement visible à l’œil nu.
s’épanouir ni embellir. Entamant le dialogue, les deux divinités discutent de leurs
Les sept grandes tapisseries qui composent la série – Bailaora, In the Garden,
limites respectives, Esu se plaignant d’avoir l’espace le plus vaste mais aucun pou-
Dreamer, Catalina’s Mirror, Who Eats Whom, Sometimes et Heartbreaker – mettent
voir de donner la vie. Il permet donc à Olodumare de partager son territoire, en
en évidence le style distinctif de Luna : de délicieux griffonnages, sortes de graffitis
échange d’une puissance créatrice et de la possibilité de se déplacer librement dans
qui subvertissent les gestes calligraphiques d’artistes comme Jackson Pollock en
le monde du dieu suprême en se mêlant aux créatures que celui-ci a engendrées.
références plus stables, littéraires ou visuelles, puis introduisent des éléments de
Luna interprète ce récit et reproduit son cadre dans le fond noir de la tapisserie
culture indigène dans la pratique artistique dominante. Des références culturelles
finale. Le titre de l’œuvre, Heartbreaker, apparaît en rouge, en un contraste saisis-
vernaculaires venues du Nigeria, de Cuba et du sud de la Floride se glissent dans les
sant qui laisse supposer une dichotomie obscurité/lumière et évoque la tension et la
compositions picturales des tapisseries, complétant les représentations des concepts
négociation préalables au partage des mondes d’Esu et Olodumare. Dans le haut de
philosophiques d’Ifa qui évoquent les héritages spirituels communs à ces commu-
la composition, le noir s’impose face à l’intensité du rouge, tandis que le rouge
nautés. Parmi ces grands concepts interrogés par la technique picturale de Luna,
s’égoutte avec hésitation dans le noir de la partie inférieure. Le noir s’élève dans le
citons les notions étroitement liées d’ori (tête intérieure ou spirituelle), edo (sacrifice)
monde du rouge et s’y répand sous la forme calligraphique de couteaux, de lames,
et iwapele (intégrité). En explorant ces trois concepts complémentaires, Luna s’ef-
d’yeux et de cavaliers de la mort. Des fonds similaires sont visibles dans d’autres
force de trouver une forme visuelle capable d’exprimer tant la complexité de leurs
tapisseries de Luna – In the Garden, Sometimes et Who Eats Whom – et offrent
relations qu’une compréhension claire des concepts religieux sous-jacents12.
d’autres occasions de relier ces images aux thèmes d’un récit religieux bien connu.
La tapisserie s’avère être un support idéal pour saisir ces détails, car elle réunit une
L’utilisation du récit est importante pour plusieurs raisons. Elle permet à Luna de
multitude de surfaces et d’effets pour créer un profond champ de couches tissées alter-
créer une nouvelle représentation visuelle de figures littéraires yoruba, tissant une image-
nant les couleurs vives et sombres. Le processus de production et ses résultats concrets
rie conceptuelle sans équivalent dans la culture yoruba d’Afrique de l’Ouest ni dans la
reflètent les fonctions de l’œil humain, qui, de loin, aperçoit une grande composition
diaspora. On peut décrire sa création comme l’éloge approprié de la continuité africaine
bigarrée mais, de près, distingue l’abstraction infinie de chaque fil de couleur, méta-
dans les deux Amériques et la comprendre comme une nouvelle conceptualisation des
phore visuelle du message général transmis par la divination par le biais des détails de
notions philologiques yoruba utilisant des images de cette diaspora. En même temps, en
chaque lecture. L’utilisation du tissu établit également une relation intime entre le
intégrant le récit de création, Luna promeut une nouvelle connaissance visuelle religieuse
[ 16 ]
ited and managed by Esu (keeper of divine power, authority, principle of order, harmony and agent of reconciliation). Within this realm, Olodumare (God) dwelt in a
miniscule core of translucent light and water and there, came to recognize that while
the dark realm represented the plenitude of our existence, it could not bloom or beautify. Engaging with one another, Esu and Oludumare discuss their limitations and Esu
laments to Olodumare that he had the most space but could not bring life into fruition. In exchange for creative power, Esu allowed Olodumare to share his space with
the condition that he, Esu, be able to move freely into Olodumare’s space and mix
with the creatures Oludumare had brought forth.
Luna interprets this story and replicates its setting in the black background of
the final tapestry. The tapestry’s title, Heartbreaker, appears in red, a stark contrast
that suggests a dichotomy of dark and light and alludes to the tension and negotiation required for the sharing of realms between Esu and Olodumare. In the tapestry, black overpowers the intensity of the red in the upper part of the composition
and red hesitantly leaks into black in the lower part of the composition. Black rises
up in the realm of red, calligraphically spreading in the form of knives, blades, eyes
and death’s horsemen. Similar backdrops are visible in Luna’s other tapestries—In
the Garden, Sometimes, and Who Eats Whom—and provide further opportunities
IN THE GARDEN, 2015 (DETAIL). JACQUARD TAPESTRY | IN THE GARDEN, 2015 (DÉTAIL). TAPISSERIE JACQUARD
for the visual to be linked to the themes of a well-known religious story.
Luna’s use of the story is important for several reasons. It allowed him to
alternating vibrant and somber colors. The production process and its physical
create a new visual rendering of Yoruba literary figures, weaving a conceptual
results mirror the functions of the human eye, which observes a broad colorful
imagery without parallel in Yoruba culture in West Africa or seen in the diaspora.
composition from afar, but up close it perceives the infinite abstraction of individual
His creation can be described as a fitting celebration of African continuity in the
colored threads, serving as a visual metaphor for how divination can convey a
Americas and understood as a new conceptualization of Yoruba philological
broader message across the details of individual readings. The use of textile also
notions using Yoruba-diaspora visual tools. At the same time, Luna’s integration
creates an intimate relationship between the viewer and the piece that mirrors the
of the creation story promotes a new religious visual literacy and encourages a
artist’s own relationship with the tapestry’s surface during the production process.
broadening of responses to identity in the new world. Finally, in its retelling, Luna
By inviting the viewer into the process of engagement with the piece during its
prompts audience to seek a deeper understanding of the story’s core message, to
production—and replicating the hyper-attention to detail that it required, the tapes-
think about the relationship between two important Yoruba religious archetypes—
tries raise questions about the complex interaction of distance, comprehension, and
Olodumare and Esu. Their attributes comprise key moral Yoruba paradigms on
13
Decorative, functional, imaginative, and complex, these tapestries
both side of the Atlantic, emphasizing the fundamental, traditionally binary nature
simultaneously look back to a venerable history of artistic expression and yet are
of good and evil. Here, however, they are presented as complementary, a reminder
firmly embedded in the age of mechanical and digital reproduction, like the guajiro
that the two formulations—through words and now through images—are as
the connective thread between Cuba’s past and future.
inseparable as the concept of existence and the moral values assigned to
connection.
There is a creation story told in the anonymous notebook known as “The World
Olodumare’s creatures.15
of Ifa as Philosophy, Itatumo 39”14 used by a babalawo (priest) in Cuba during training and as an ongoing reference for a life of religious learning that describes a “divinesphere” and tells of the origin of “good” and “evil.” The central figure, Ogbeidi, exists
CONCLUSION
in what appeared to be an otherwise empty space described as a lagoon and named
In Ernst Fisher’s seminal book titled The Necessity of Art, he addresses the funda-
Orima or Aima, which means beginning or absolute darkness. It was a realm inhab-
mental questions about the role and purpose of art in society, asking why is it
[ 17 ]
et incite à diversifier les réponses à la quête d’identité dans le Nouveau Monde. Enfin,
Luna, Mendive s’est centré sur la culture visuelle et religieuse des Yoruba et a exploré
dans son adaptation, Luna invite le public à chercher à mieux comprendre le message
son influence sur la culture cubaine dans son ensemble.
essentiel du récit, à réfléchir à la relation entre deux grands archétypes religieux yoruba
En utilisant l’art pour créer et recréer des espaces fluides de réflexion et de réinter-
– Olodumare et Esu. Leurs attributs comprennent les paradigmes moraux au centre de la
prétation, Luna souligne l’importance de la forêt tropicale, appelée El Monte, espace
tradition yoruba des deux côtés de l’Atlantique, mettant l’accent sur la nature fondamen-
redouté dans la tradition religieuse afro-cubaine comme dans l’imagination populaire
tale, traditionnellement binaire, du bien et du mal. Ici, néanmoins, ils sont présentés
des Cubains. La forêt tropicale – la « machine verte » primitive – est un lieu primordial,
comme complémentaires, rappelant que les deux formulations – par le biais des mots et
une source africaine de vie qui continue à servir implicitement de fontaine de vitalité et
maintenant par le biais des images – sont aussi indissociables que le concept d’existence
de guérison physique et spirituelle. Séparée d’elle par un océan, la campagne cubaine
et les valeurs morales attribuées aux créatures d’Olodumare15.
verdoyante est célébrée comme un espace tout aussi vital, peuplé par ceux qui cultivent
la terre – les guajiros – dont, selon Luna, le lien avec la nature et les apports à l’émergence de la culture cubaine n’ont pas été pris en considération.
Dès le début de sa carrière, l’œuvre de Luna a annoncé l’évolution accélérée de l’art
CONCLUSION
Dans son ouvrage fondateur, The Necessity of Art, Ernst Fisher soulève des questions
conceptuel et a contribué de manière fascinante et durable à la réconciliation de multi-
fondamentales sur le rôle et le sens de l’art dans la société, se demandant pourquoi
ples paradigmes artistiques et culturels de la diaspora africaine. Son esthétique de prédi-
il est important pour nous et ce qui constitue sa force. Carlos Luna se pose lui aussi
lection – nourrie par la culture visuelle occidentale tout autant qu’africaine – s’est
ces questions et utilise de nouvelles formes d’arts plastiques pour explorer les
répandue de plus en plus, et cette intégration se poursuivra sans doute encore pendant
manières dont des formes plus anciennes – tant visuelles qu’orales – pouvaient
un certain temps. En favorisant un changement durable de la production artistique dans
transmettre des enseignements religieux, spirituels et moraux complexes et faciliter
une ère de mondialisation, l’œuvre de Luna devrait également être reconnue pour la
des incursions dans les mystères conceptuels de l’esprit. Sa curiosité et la persévé-
permanence qu’elle donne à certaines créations artistiques qui risqueraient sinon de
rance avec laquelle il a cherché à la fois des réponses et de nouvelles façons de poser
disparaître de la mémoire consciente. À l’avant-garde de ce changement, Luna continue
les questions rappellent un autre artiste cubain, Manuel Mendive, dont le propre
de faire évoluer son œuvre en expérimentant de nouvelles techniques, en revisitant et en
parcours a remis en cause les pratiques artistiques occidentales à Cuba, sur le plan
diversifiant les innombrables façons dont il utilise la peinture pour raconter, adapter et
esthétique et conceptuel, en adoptant d’autres héritages artistiques de l’île. Comme
réinventer des prises de conscience personnelles, nationales et transnationales.
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5
Annegreth Nill, « Introduction. A Matter of Life and Death », in Pablo Picasso Ceramics :
Carlos Luna Paintings, Fort Lauderdale, Fort Lauderdale Museum, 2008, p. 20-34. Cf. Jaime
Moreno Villarreal, « Carlos Luna : The Artist as Is », in Carlos Luna: Step-by-Step, p. 17-26.
Cf. Horace, Ars poetica, vers 361 ; Plutarque, De Gloria Atheniensium, III, 346f-347c.
Faktura vient du latin factura, qui signifie fabrication ou objet fabriqué. En espagnol,
le mot factura, orthographié comme l’étymon latin, a été utilisé dans les années 1920
par le constructiviste russe Alexander Rodchenko et par d’autres artistes adeptes du mouvement
constructiviste. Le terme a revêtu une importance cruciale pour toute une génération d’artistes
cubains formés en Union soviétique dans les années 1970 et au début des années 1980,
qui, en rentrant à Cuba, ont défini le programme des deux plus prestigieuses écoles d’art de l’île.
Lisa Phillips, The American Century: Art & Culture 1950-2000, New York, Whitney Museum
of American Art, 1999, p. 114-138.
Tels que Frédéric Mialhe, Aire de combat de coqs, compilés dans l’Album Pintoresco de la Isla
de Cuba, 1853 ; Victor Patricio de Landaluze, El Zapateo, 1875 ; Federico Amerigo, Paysage,
s. d. ; carte postale avec vue de Cuba au début du XXe siècle, Combat de coqs ; Joaquin Blez,
Paysans avec le général Molinet, sucrerie de Chaparra, vers 1910 ; Carlos Enríquez, L’Enlèvement
des mulâtresses, 1938 ; Eduardo Abela, Paysans, 1938 ; Antonio Gattorno, La Sieste,
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[ 18 ]
1939-1940 ; Lorenzo Romero Arciaga, La Tasse de café, vers 1940 ; Rene Portocarrero,
Femme à la fenêtre, vers 1940 ; et Mariano Rodríguez, Coq, 1941.
Enrique García Gutiérrez, « Carlos Luna : Keep Your Eyes on Me », in El Gran Mambo, Long
Beach, Museum of Latin America Art, 2008, p. 13-21. Cf. Jesus Rosado, « Carlos Luna : An
Island for the Road », in Carlos Luna Personal Histories, Cisneros Capital Group, 2006, p. 18-31.
Henry John Drewal, « Yoruba Arts and Life as Journeys », in The Yoruba Artists, Washington,
Smithsonian Institution Press, 1994, p. 194.
Ibid., p. 194.
Ibid., p. 38-39.
J. C. Cooper, An Illustrated Encyclopedia of Traditional Symbols, p. 38-39.
Entretien personnel avec Carlos Luna, Miami, juin 2014.
Bárbaro Martínez-Ruiz, Things That Cannot Be Seen Any Other Way. The Art of Manuel Mendive,
2012-2013, p. 19-20.
Marija Gimbutas, The Language of the Goddess, New York, Thames & Hudson, 2001, p. 13-21.
Robert Farris Thompson, Face of the Gods, Munich, Prestel, 1993, p. 161. Cf. fac-similé
anonyme. « The World of Ifa as Philosophy », Itatumo 39, collection personnelle, p. 56.
Frank Willet, African Art, New York, Thames & Hudson, 1971, p. 78-82.
important to us, and what constitutes its inherited power. Carlos Luna himself asks
physical as well as spiritual healing. An ocean away, the green Cuban countryside
these questions, and uses new visual art forms to explore ways in which older
is celebrated as an equally vital space, one populated by those who farm the land—
forms—both visual and oral—were able to convey complex religious, spiritual and
the guajiros—whose connection to nature and contributions to the emergence of
moral teachings and facilitate journeys into conceptual mysteries of the mind. His
Cuban culture Luna believes to have been overlooked.
curiosity, and the persistence with which he has sought both answers and new
From early in his career, Luna’s work has foreshadowed the accelerating devel-
ways of asking the questions calls to mind another Cuban artist, Manuel Mendive,
opment of conceptual art and has made fascinating and enduring contributions to
whose own artistic journey challenged Western artistic practices in Cuba aestheti-
the reconciliation of multiple artistic and cultural paradigms in the African diaspora.
cally and conceptually by embracing other artistic legacies in the country. Like
His preferred aesthetic—one equally informed by Western and African visual cul-
Luna, Mendive focused on Yoruba visual and religious culture and explored its
ture—has become increasingly common, a mainstreaming likely to continue for
impact on broader Cuban culture.
some time to come. In facilitating a lasting shift in artistic production in this era of
In using art to fluidly create and re-create spaces of reflection and reinterpreta-
globalization, Luna’s work should also be recognized for giving permanence to spe-
tion, Luna alludes to the importance of the rain forest, known as “El Monte,” as a
cific artistic creations, ones that might otherwise fade from conscious recollection.
scared space in Afro-Cuban religious tradition, as well as in the popular imagination
At the forefront of this shift, Luna’s work is continuing to evolve as he experiments
of Cubans. The rainforest—the original Green Machine—is a place of origin, an
with new media and revisits and expands the myriad ways in which to use painting
African source of life that continues to implicitly serve as a source of vitality and
to tell, retell and reimagine personal, national and trans-national awakenings.
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Annegreth Nill, “Introduction. A Matter of Life and Death”, in Pablo Picasso Ceramics:
Carlos Luna Paintings, pp. 20–34. See Jaime Moreno Villarreal, “Carlos Luna: The Artist as Is”,
in Carlos Luna: Step-by-Step, pp. 17–26.
See Horace, Ars poetica 361; Plutarch, De Gloria Athenensium III. 346f–347c.
Faktura comes from the Latin word factura, which means a making, manufacturing or a thing
that has been manufactured. Factura in Spanish, spelled like the Latin original, was a term used
in the 1920s by Russian constructivist artist Alexander Rodchenko and other artists affiliated
with the Constructivist movement. This word became critical to a generation of Cuban artists
trained in the Soviet Union in the 1970s and early 1980s, whose return to Cuba shaped
the curriculum at the two most prestigious art academies in Cuba.
Lisa Phillips, The American Century: Art & Culture 1950–2000, 0p. 114–38.
Such as Federico Mialhe, Cockpit and Day of the Magi, compiled in the Album Picturesque
of the Island of Cuba, 1853; Victor Patricio de Landaluze, The Zapateo, 1875;
Federico Amerigo, Landscape, n.d; Postcard view of Cuba early twentieth century, Cockfight;
Joaquin Blez, Peasants with General Molinet, Chaparra Sugar Mill, ca. 1910;
Carlos Enríquez, The Abduction of the Mulatto Women, 1938; Eduardo Abela, Peasants, 1938;
Antonio Gattorno, The Siesta, 1939–40; Lorenzo Romero Arciaga, The Cup of Coffee, ca. 1940;
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Rene Portocarrero, Woman at the Window, ca. 1940; and Mariano Rodríguez, Rooster, 1941.
Enrique García Gutiérrez, “Carlos Luna: Keep Your Eyes on Me”, in El Gran Mambo, pp. 13–21.
See Jesus Rosado, “Carlos Luna: An Island for the Road”, in Carlos Luna Personal Histories,
pp. 18–31.
Henry John Drewal, Yoruba Arts and Life as Journey, p. 194.
Ibid., p. 194.
Ibid, p. 38–39.
J. C. Cooper, An Illustrated Encyclopedia of Traditional Symbols, pp. 38–39.
Personal conversation with Carlos Luna, Miami, June 2014.
Bárbaro Martínez-Ruiz, Things That Cannot Be Seen Any Other Way. The Art of Manuel
Mendive, pp. 19–20.
Marija Gimbutas, The Language of the Goddess. New York: Thames & Hudson, 2001,
pp. 13–21.
Robert Farris Thompson, Face of the Gods. Munchen: Prestel, 1993 p. 161. See Anonymous
Facsimile. “The World of Ifa as Philosophy”, Itatumo 39. Personal Collection, p. 56.
Frank Willet, African Art. New York: Thames & Hudson, 1971, pp. 78–82.
HENRY JOHN DREWAL
L’ESPRIT DANS L’ART
Professeur titulaire de la chaire Evjue-Bascom
Départements d’histoire de l’art et d’études afro-américaines
Université Wisconsin-Madison
DE CARLOS LUNA
I
NTRODUCTION
de vivre associe la religion, la politique, la musique et la sensualité, quelque chose qui
J’arrivais à Miami pour y passer quelque temps avec Carlos Luna lorsqu’un orage d’été
s’incarne dans sa puissante imagerie. Il aime parler des femmes, et beaucoup de ses
s’est abattu sur notre avion, assailli par de gros nuages noirs, des coups de tonnerre,
images jouent avec la forme et la fonction du pénis, du vagin, des seins et des testi-
des éclairs, des vents violents et une pluie torrentielle. Après un atterrissage mouvementé,
cules – des thèmes sexuels et sensuels. Toutes ces facéties m’évoquent l’essence
j’ai retrouvé Carlos et lui ai dit, en faisant allusion au mauvais temps : « Chango [le dieu
d’Eleggua, orisha de la santeria : divin farceur, intermédiaire et messager entre les
du tonnerre] est arrivé. » Mais Carlos m’a répondu que c’était plutôt Yemaya, reine de la
hommes, les ancêtres et les dieux, gardien des carrefours, il nous ramène sur terre
mer et des eaux du ciel. Elle avait révélé sa présence par ce déluge purificateur – un
quand nous décollons de la réalité, et joue avec des sujets sérieux – matériels ou spi-
excellent présage. Carlos m’a expliqué que beaucoup de ses expositions avaient été inau-
rituels – avec un humour enfantin. Eleggua est le principe de l’incertitude, de l’indéter-
gurées sous la pluie. Inquiet à l’idée que personne ne vienne y assister, il avait été rassuré
mination. Eleggua est celui « qui jette une pierre demain et tue un oiseau hier », celui
par sa marraine : « Non, c’est bien, la pluie va tout nettoyer et ouvrir la voie à quelque
« qui a du mal à grimper sur un brin d’herbe, mais dont l’ombre obscurcit la mon-
chose de neuf. » Elle avait raison. C’est à partir de ce moment que notre amitié a pris de
tagne ». Eleggua est le témoin de la folie et des réussites des hommes. Lorsqu’il nous
la profondeur. Moi, l’Américain de Brooklyn, et Carlos, le Cubain nourri de culture rurale
observe, comme c’est souvent le cas dans l’œuvre de Carlos, il nous rappelle qu’il faut
guajira, sommes tous les deux touchés et inspirés par la sagesse, les croyances et les
réfléchir avant d’agir, et contempler les mystères de ce monde et de nos vies.
coutumes des Yoruba d’Afrique et de leurs descendants à Cuba, connus sous le nom de
Deux grands thèmes traversent les images et les rythmes colorés de son œuvre. Le
Lucumi. Ces réflexions sur Carlos Luna – sa personnalité, sa vie et son œuvre – sont
premier regroupe la culture, la musique et l’histoire rurales ou campesinas/guajiras, inspi-
façonnées aussi bien par nos idées différentes que par celles que nous partageons. Nous
rées des souvenirs d’une enfance passée à la campagne, à San Luis et à Pinar del Río
sommes l’un comme l’autre à cheval entre deux mondes, et nos « doubles vies » sont
– région où se côtoient les meilleures plantations de tabac cubaines, la vie agricole et les
enrichies par les nombreux voyages culturels que nous avons accomplis.
forêts vierges des montagnes (el monte). C’est le royaume du tabac – le lieu où la terre
Carlos Luna est un homme en perpétuel mouvement, animé d’une « force performa-
magique et les pluies fertiles font pousser les trois feuilles indispensables à la fabrication
tive » que les Yoruba (et les Cubains) appellent ache. Il crée des œuvres qui possèdent
des cigares : tripe, sous-cape et cape. C’est là que l’alchimie du sol, de la température, du
cette ardente énergie spirituelle. Ses idoles dévoilent sa personnalité : José Marti et
climat et des savoir-faire familiaux traditionnels a donné naissance à l’inégalable havane.
Antonio Maceo Grajales, militants de l’indépendance cubaine ; Mohammed Ali ; Martin
Les mythes, les propriétés médicinales et magiques du tabac et la culture qui s’est déve-
Luther King ; Malcolm X – tous des combattants en lutte contre vents et marées, et tous
loppée autour d’eux sont la fusion de traditions indigènes (amérindiennes), africaines et
(à l’exception de Marti) des guerriers d’ascendance africaine. C’est peut-être l’une des
européennes. Ces traditions rurales ont façonné Carlos Luna d’innombrables manières.
raisons pour lesquelles Carlos s’est senti attiré par le monde de la sagesse yoruba/lucumi.
La campagne cubaine est aussi le berceau de la musique qui touche le cœur, l’âme…
Carlos Luna est perfectionniste, généreux, débordant de vie et profondément facé-
et les pieds de Carlos. Le son cubain trouve sa source dans le changüí – le son, le rythme,
tieux, mais ses facéties sont parfois on ne peut plus sérieuses. À la fois sensible et
les instruments de la province montagneuse de l’Oriente, importés au début du XXe siècle
sensuel, il est animé de sentiments profonds et agit avec franchise et honnêteté. Il se
à La Havane et dans le reste de l’île par les soldats cubains. Les sons et les rythmes, la
consacre totalement à son travail et se dévoue corps et âme à ceux qu’il aime. Sa soif
musique et la danse de la culture guajira imprègnent la campagne et inspirent Carlos.
[ 20 ]
HENRY JOHN DREWAL
SPIRIT IN THE ART
Evjue-Bascom Professor
Departments of Art History & Afro-American
Studies University of Wisconsin-Madison
OF CARLOS LU NA
I
NTRODUCTION
powerful imagery. He loves to talk about women, and many of his images play with
I flew into Miami through a summer storm to spend some time with Carlos
the form and function of penis, vagina, breasts and balls—sexual, sensual matters.
Luna. The billowing dark clouds, thunder, lightening, powerful winds, and heavy
All of this playfulness reminds me of the essence of the Santeria orisha Eleggua—
rains rocked the plane. After a bumpy landing, I met Carlos and said in reference to
divine trickster, mediator, and messenger between humans, ancestors and gods,
the weather that “Chango [the Thundergod] had come.” But he replied that instead
crossroads guardian who brings us down when we get too high, who plays with
it was Yemaya, Queen of the Sea and Celestial Waters. She had made her presence
childlike humor about serious worldly and otherworldly matters. Eleggua is the
known with water to wash everything clean—a most auspicious sign. He told me
principle of uncertainty, indeterminacy. Eleggua is the one “who throws a stone
that in the past many of his exhibition openings were rainy. He had worried that no
tomorrow, and kills a bird yesterday,” the “one who struggles to climb a blade of
one would come, but his godmother said “No, it is good—everything would be
grass, but whose shadow darkens a mountain.” Eleggua is witness to human folly
cleansed and the way opened for something new.” And she was right. Our friend-
as well as human accomplishment. When he looks at us, as he so often does in
ship deepened from that moment on—I am American from Brooklyn, New York,
Carlos’s work, we are reminded to think before acting, to contemplate the mysteries
and Carlos a Cuban nurtured by rural guajiro culture, and both of us touched and
of this world and our lives.
inspired by the wisdom, beliefs, and practices of Yoruba people in Africa and their
Two broad themes run through the colorful images and rhythms of his work.
descendants in Cuba known as Lucumi. These thoughts on Carlos Luna—his per-
The first is rural or campesino/guajiro culture, music, and history based on memo-
sonality, life and work—have been shaped as much by our different perspectives as
ries of his childhood in rural San Luis and Pinar del Río—land of Cuba’s finest
by those shared. We are both in-betweeners, living hyphenated lives simultane-
tobacco plantations, farm life, and virgin mountain forests (el monte). This is where
ously, enriched by the multiple cultural journeys we have taken.
tobacco was king—the place of magical soil and fertile rains that grow the three
Carlos Luna is a man in constant motion. He is alive with “performative power”
essential leaves for making cigars—filler, binder, wrapper. This is the place where
or what Yorubas (and Cubans) call ache. He creates works that possess this vibrant
the magical synthesis of soil, temperature, climate, and family traditions of crafts-
spiritual energy. His idols reveal the kind of person he is: José Marti and Antonio
manship fused to create the unique Habano cigar. The myths, medicinal, and mag-
Maceo Grajales, fighters for Cuban independence; Muhammad Ali; Martin Luther
ical properties of tobacco and the culture that grew around them are a fusion of
King; and Malcolm X—all fighters constantly battling against the odds, and all of
indigenous (Amerindian), African, and European traditions. These country tradi-
them (except Marti), warriors of African descent. Perhaps this is one of the reasons
tions have shaped Carlos Luna in myriad ways.
Rural Cuba is also the source of the music that moves the heart, soul … and
he has been drawn to the world of Yoruba/Lucumi wisdom.
Carlos Luna is a perfectionist and generous of spirit, full of life and deeply play-
feet of Carlos. The source of Cuban Son is changui—the sound, the rhythm, the
ful, but a playfulness that can also be deadly serious. He is both sensitive and
instruments that came from the mountainous Oriente province to Havana and the
sensual, one who feels deeply and acts openly and honestly. He gives himself com-
rest of Cuba with Cuban soldiers in early twentieth century. The sounds and
pletely to his work, and his heart to those he loves. He has a lust for life that encom-
rhythms, the music and dance of guajiro culture permeate the countryside. These
passes religion, politics, music, and sensuality, something that is embodied in his
are the rhythms that animate Carlos.
[ 21 ]
Quand il est en plein élan, il est comme en transe – la couleur, la ligne, la forme et la
texture se rejoignent et explosent à la surface. La musique est là – les paroles, le rythme,
la cadence, le mouvement, la mesure, le tempo, le volume et le timbre, ou couleur musicale. Son imagerie danse, et lui aussi. Il s’est inspiré des figures syriennes et mésopotamiennes en « surimpression » pour renforcer cette sensation et suggérer le mouvement
– qu’il met en valeur pour dire sa passion pour la vie vécue comme une danse. De plus,
ces personnages reconstituent et rendent visible le cours du temps et de l’histoire.
Deuxième influence dans sa vie et son œuvre : la présence de l’Afrique à Cuba, révélée par les images, les idées et la philosophie lucumi. En un sens, la culture cubaine
paysanne (guajira) et la pensée lucumi se rejoignent grâce à el monte – la forêt rurale,
peuplée de forces spirituelles qu’on ne peut voir mais qu’on sent autour de soi. El monte,
source de guérison, abrite des remèdes divins à base de plantes. Ces forêts montagneuses
ont protégé et encouragé l’esprit révolutionnaire, accueillant les cimarrones ou esclaves
marrons – déterminés à échapper à l’esclavage et à construire une vie d’indépendance
fondée sur la sagesse africaine – et les Independistas/Mambistas cubains, Marti et Maceo.
Carlos lutte lui aussi pour l’indépendance – pour une indépendance personnelle et pour
la liberté d’exprimer ses aspirations les plus profondes et ses idéaux les plus élevés.
El monte est au cœur de toutes les religions afro-cubaines, y compris dans la foi
lucumi avec ses ancêtres divinisés (orishas) assimilés aux forces de la nature : les
fleuves pour la déesse Ochun ; l’arbre pour Iroko ; le fer pour Ogun ; les tempêtes de
Chango, dieu du tonnerre ; les vents, la pluie et les ouragans d’Oya ; et les océans de
Yemaya. Leur omniprésence à Cuba, île entourée par les mers qui servent à la fois de
séparation et de lien avec l’Afrique, imprègne une grande partie de l’histoire, de la
culture et de l’art du pays. El monte est un lieu puissant, dangereux mais enrichissant
NEO ASSYRIAN SARGON, DRIVER OF HORSES, II 721–705 BC. KHORSABAD ANCIENT DUR SHARRUKIN ASSYRIA
IRAQ | ÉPOQUE NÉO-ASSYRIENNE, RÈGNE DE SARGON II, CONDUCTEUR DE CHEVAUX, 721-705 AV. J.-C. KHORSABAD
(ANCIENNE DUR-SHARRUKIN), ASSYRIE, IRAK
– un endroit secret uniquement connu de ceux qui y entrent, y consacrent du temps et
de l’énergie, cherchant la connaissance avec sagesse pour atteindre le discernement et
la compréhension des choses. Carlos a accompli ce voyage spirituel.
La musique est centrale dans sa vie et son œuvre. Il est toujours en train d’écouter
PROCESSUS ARTISTIQUE
de la musique, le plus souvent du son cubain mais également toute une gamme de
Voir Carlos à l’œuvre, c’est assister à une performance multisensorielle. La musique est
genres musicaux actuels qui l’inspirent, lui et ses gestes picturaux. Il le dit lui-même : « Je
une constante, souvent sous la forme des sons guajiros – rythmes de la campagne cubaine
danse tous les jours » – et il danse bien d’ailleurs. Il a notamment une prédilection pour
et de ses souvenirs d’enfance. Mais l’artiste apprécie également toutes sortes d’autres
Elio Revé et les rythmes riches et complexes du changüí. Il aime tout particulièrement
genres musicaux. Et il ne s’agit pas seulement d’écouter, mais aussi de bouger, pour sti-
ces moments décisifs, où les percussions ou clave marquent une rupture ou une pause
muler son corps et son esprit. Son esprit danse à chaque instant. Carlos possède une
(picao ou picarto). Lorsque cela arrive, Carlos se penche, remue les hanches, secoue les
énorme collection de musiques cubaines d’hier et d’aujourd’hui, sources d’inspiration de
épaules et danse encore un peu. On retrouve ce picao dans la riche complexité de ses
la danse de sa vie et de son art… Ces rythmes pénètrent dans son corps et rejaillissent
compositions, qui fourmillent d’interruptions et de reprises, de tours et de détours. Carlos
dans ses pinceaux, qu’il tient dans la bouche jusqu’au moment d’attaquer la surface de
recherche continuellement le groove, cet espace où jaillissent de vastes idées fluides pour
ses œuvres. Tout en écoutant de la musique et en dansant, il surfe sur Internet et les
exprimer ses sentiments et ses émotions avec les images qui peuplent son monde peint.
médias sociaux avec son téléphone, recherchant en permanence l’humour et le pathos, la
[ 22 ]
on the surface. There is music—lyrics, rhythm, pace, flow, beat, tempo, volume,
and timbre or color tone. His imagery dances, as does he. To extend this impression, he has been inspired by Syrian/Mesopotamian “multiple-exposure” figures to
suggest motion—he highlights movement to express his passion for life as a
dance. Those multiple-exposure figures also trace and make visible the flow of
time and history.
A second influence in his life and work is the African presence in Cuba revealed
in Lucumi images, ideas, and philosophy. In a sense, rural Cuban/guajiro culture and
Lucumi thought come together because of el monte—the rural forests, source of
spiritual powers unseen but felt. El monte is the source of healing, empowering
herbal medicines of the gods. These mountainous forests also sheltered and sustained the spirit of revolutionaries: the cimarrones or maroons—those with the
determination to escape and resist enslavement and carve out lives of independence
based on African wisdom—and the Cuban Independistas/Mambistas who followed
them, Marti and Maceo. Carlos too is a fighter for independence—personal independence and the freedom to express his deepest aspirations and highest ideals.
El monte is at the heart of all Afro-Cuban religions, as in Lucumi faith with its
deified ancestors (orichas) who are at one with natural forces: a river goddess like
Ochun, a tree like Iroko, iron like Ogun, storms like those of the Thundergod Chango,
the winds, rains, and hurricanes of Oya, and the ocean waters of Yemaya. Their
omnipresence in Cuba, an island surrounded by the same seas that separate yet
also connect Africa to Cuba, infuses much of the history and culture and art of
Cuba. El monte is a powerful, dangerous, but enriching place—a secret place
known only by those who enter and spend time and energy, seeking knowledge with
BRASS STATUE OF THE SANKOFA ADINKRA SYMBOL, KUMASI, GHANA | STATUE EN CUIVRE DU SYMBOLE ADINKRA
wisdom to gain insight and understanding. Carlos has taken that spiritual journey.
DU SANKOFA, KUMASI, GHANA
ARTISTIC PROCESS
Music is central to his life and work. He is always playing music, mostly
To witness Carlos working is to see a multi-sensorial performance. Music is a con-
Cuban son but also a whole range of Cuban and contemporary global sounds that
stant, much of it Cuban guajiro sounds—the rhythms of rural Cuba and the mem-
animate him and his painterly gestures. As he says “I dance every day”—and he
ories of his childhood. But he savors plenty of other music as well. And this not just
dances well. One of his favorite musicians is Elio Revé and the rich and complex
for listening, but for moving—activating his body-mind. His mind dances every
rhythms of changüí. He especially loves those critical moments in the music
minute. He has an enormous store of Cuban music from the past and present that
when the drums or clave do a cut, or break (picao or picarto). When this hap-
inspires his dancing life and art … its rhythms enter his body and emerge in the
pens, he dips down, moves his hips and shakes his shoulders, and dances some
fluid strokes of his brushes that are gripped in his mouth until the moment of attack
more. Those same kinds of picao can be seen in the rich complexity of his com-
on the surface of his works. As he listens and dances, he also surfs the internet and
positions filled with starts and stops, twists and turns. He is continually searching
social media on his phone, constantly seeking the humor and pathos, the craziness
for the groove, that place where expansive, seamless ideas can flow to express his
of life happening around him. Carlos works at playing and painting, constantly lis-
feelings and emotions with the images that populate his painted world. When he
tening to music and searching the web for strange, inane, silly offerings. He gets a
is in flow, he is entranced—color, line, form, texture come together and explode
kick out of the playful stupidity of people who share their quirks online. Social
[ 23 ]
Par ses paroles et ses actes, il prouve sa volonté de rester fidèle à lui-même, à son
destin et à ceux qui l’entourent. Il connaît les qualités à cultiver : l’attention, la patience,
l’endurance, la fidélité à soi et aux autres, et le travail acharné, visant l’excellence.
RÉSULTATS VISUELS
Carlos rend l’invisible visible, transmettant au présent et à l’avenir les messages et les
enseignements de son passé. Il sait qu’hier est un prologue, qu’il faut le creuser et y
réfléchir pour trouver sa voie aujourd’hui et demain. C’est ce qu’exprime le sankofa des
Ashanti d’Afrique de l’Ouest, cet oiseau qui « regarde en arrière pour aller de l’avant »,
ou ce que nous rappellent les paroles de sagesse des Yoruba : « La rivière qui oublie sa
source s’assèche. » L’œuvre de Carlos ne se révèle pas à la surface, c’est en profondeur
qu’elle regorge de messages subtils. Il faut avoir la clé pour les décoder. Souvent
cachés à la vue, leurs enseignements ne se dévoilent qu’au prix de la réflexion.
Beaucoup de ses images récurrentes renvoient à la campagne, à la vie paysanne
des Cubains. L’une d’entre elles est le campesino « typique » – un homme portant un
chapeau et une moustache, à cheval, qui fume parfois un cigare. Mais l’image qui revient
le plus souvent est le coq, emblème de Cuba et de sa culture rurale ou guajira. Pour
Carlos, c’est un type de coq particulier, qui a une importance spécifique : le kikiriki, nom
ES TARDE, YA ME VOY, 2006 (DETAIL). OIL ON CANVAS | ES TARDE, YA ME VOY, 2006 (DÉTAIL). HUILE SUR TOILE
onomatopéique d’un coq petit mais vaillant, combattant hardi, fier, un peu trop sûr de lui.
Kikiriki est l’alter ego, l’avatar de Carlos, petit mais fougueux, qui avance avec courage et
folie de la vie autour de lui. Carlos travaille en jouant et en peignant, ne cessant d’écouter
bravade, s’attaquant à des gens et des thèmes plus grands ou plus forts que lui.
de la musique et de dénicher les cadeaux étranges et absurdes du Web. Il se régale de la
Le coq est devenu un symbole de Cuba, de la personnalité et de la réputation de ses
stupidité des internautes qui partagent leurs excentricités en ligne. Les médias sociaux
habitants. Mais il a pour Carlos une importance qui remonte à son enfance et à l’époque
sont devenus sa fenêtre sur la folie du monde extérieur, tandis qu’il crée ses propres uni-
de ses études. À dix-sept ans, alors qu’il étudie l’art à La Havane, Carlos rencontre
vers, ses propres histoires, ses propres personnages à l’intérieur de son atelier.
Mariano Rodríguez (1912-1990), célèbre peintre cubain qui fut le premier à utiliser
Il construit un avenir lointain avec des œuvres qui dureront, fabriquant de solides
l’emblème du coq. Suite à une dispute sur la politique, Rodríguez veut se battre avec
cadres en bois recouverts de contreplaqué, puis d’une couche de papier spécial. Il
Carlos, se conduisant comme un « vieux coq » en présence d’un jeune kikiriki. Depuis,
commence par faire un croquis sur la surface préparée, puis le développe à la pein-
Carlos n’a pas cessé de se battre. Porteur de nombreuses significations pour Cuba et pour
ture, parfois avec des pochoirs, parfois à main levée, remplissant certaines zones
l’artiste lui-même, le coq définit celui-ci comme un combattant, comme en témoignent
avec de la couleur, en retravaillant d’autres avec des formes et des lignes. Il bouge
les idoles que Carlos prend pour exemple. Marti était un « guerrier des mots », le poète et
sur la musique, s’arrête pour regarder quelque chose sur son téléphone mobile, puis
l’architecte d’une vision de l’indépendance et de la démocratie cubaines. Pourtant, lors
se remet au travail, revivifié…, toujours en mouvement, buvant des litres de tisane.
de sa dernière bataille contre les Espagnols, où il perdit la vie, Marti montait un cheval
Son énergie expansive l’entraîne souvent à déborder des limites de ses tableaux.
blanc et portait un uniforme noir, comme pour dire : « Me voilà, je suis un vrai guerrier. »
Il crée alors, sur les murs auxquels ils sont accrochés, de minutieux motifs et cadres
Quand nous avons parlé de Mohammed Ali, Carlos a surtout évoqué le « Rumble in the
peints ou sculptés, traces visibles des vibrations acoustiques des mouvements et des
Jungle », sa victoire mythique sur le tenant du titre, George Foreman, à Kinshasa, après
flux animant l’œuvre, qui viennent se déverser sur les parois. Carlos explique qu’il
les concerts de James Brown et B. B. King, légendes de la soul, et de Celia Cruz, la
s’est toujours senti attiré par les papiers peints, souvenir de la maison familiale à
« reine de la salsa ». Ali avait déclaré avant le match : « Je volette comme un papillon et
Cuba, et par les fresques des maisons de la période de la colonisation espagnole aux
je pique comme une abeille. La main ne peut frapper ce que l’œil ne voit pas. » Carlos
Amériques, ainsi que par les peintures murales antiques de Pompéi.
semble avoir pris à cœur ces paroles poétiques et prophétiques, car il les met en pratique
[ 24 ]
VISUAL RESULTS
Carlos makes visible the invisible, conveying messages and lessons from his past to
offer to the present and future. He knows that the past is prologue: that excavating
the past and reflecting on it are essential to finding one’s way in the present and
future. As the Asante of West Africa say with their sankofa image of a bird looking
backward, “looking back to the past, to find the way forward,” or as the Yoruba
words of wisdom remind us, “A river that forgets its source, dries up.” His work is
not on the surface, it is filled with subtle messages embedded. One must know the
issues to decode. Often these messages are hidden in plain sight, lessons to be
learned through reflection.
Many of his recurring images reference the countryside, the rural life of Cuba
and Cubans. One is the “typical” campesino image—a man with a hat and mustache riding on a horse, sometimes smoking a cigar. But probably his most repeated
image is the rooster. The cockerel is an iconic symbol for Cuba and its rural or guajiro
culture. But for Carlos it is one particular type of rooster that has special meaning
and significance—the kikiriki—the onomatopoeic name for the crowing of a small
but brave, feisty fighter, an aggressive, proud, cocky cockerel. Kikiriki is the alterego, the avatar of the diminutive, yet spirited Carlos himself who goes about with
courage and bravado, taking on persons and issues bigger or stronger than him.
KIKIRIBU VAN VAN, 2006 (DETAIL). OIL ON CANVAS | KIKIRIBU VAN VAN, 2006 (DÉTAIL). HUILE SUR TOILE
The rooster has become a symbol of Cuba and Cubans’ personality and reputation.
But for Carlos, it has a significance that goes back to his childhood and days as an art
media has become his window to this crazy world outside, as he creates his own
student. When Carlos was seventeen and an art student in Havana he met Mariano
worlds, stories, and characters inside his studio.
Rodríguez (1912–1990), the famous Cuban painter who first used the rooster icon.
He builds for the distant future with works that will endure, creating strong, rigid
They had an argument about politics and he wanted to fight Carlos, acting like an “old
wooden frames that are covered in plywood and then a layer of special paper. He begins
rooster” in the presence of the young kikiriki. Carlos has been fighting ever since. The
by sketching on the prepared surface and then building it up with paint, sometimes with
rooster means many things to the nation and to Carlos. What this says about him as
stencils, some freehand, filling in areas with color, re-working other parts with shapes
person and a spirit is that he is a fighter, no matter the odds. That is evident from the
and lines. He moves to the music, stops to view something on his cellphone and then
idols he tries to emulate. Marti was a “word warrior,” the poet and architect of a vision
returns to his work renewed … always moving, continually drinking herbal tea.
of Cuban independence and democracy. Yet in his final battle with the Spanish—in
His expansive energy forces him to often go beyond the frame of his paintings.
which he perished—Marti rode a white horse and wore a black uniform as if to say, “I
He creates elaborate painted or sculpted designs & frames on the walls that hold
am here, I am a true warrior.” When we talked about Muhammad Ali, Carlos spoke
his work. They are like visible sonic vibrations of the movements and flows within
most about the fabled “Rumble in the Jungle”—Ali’s winning fight against title-holder
the works that escape to flow across the walls. He explains that he always felt
George Foreman in Kinshasa (former Zaire), when soul luminaries James Brown, B.B.
attracted to wallpaper decoration, a memory from his family home in Cuba, and to
King, and the “Queen of Salsa” Celia Cruz performed. Ali had declared before the fight,
domestic painted frescos on the walls of houses from the Spanish colonial period in
“I float like a butterfly and sting like a bee. The hands can’t hit what the eyes can’t see.”
the Americas, as well as the ancient murals of Pompeii.
Carlos seems to have taken these poetic and prophetic words to heart, for he does the
In his words and his actions Carlos demonstrates that he strives to be true to
same thing in his powerful paintings. His works can have incredibly stinging messages
himself, and thus true to his destiny and to those around him. He knows that what
yet, like beautiful “butterflies” they float before our eyes and in our minds. We must dig
he needs to remember and live by are the attributes of focus, patience, endurance,
deep to find the lessons hidden in plain sight. Muhammad Ali and Carlos are both
truthfulness to self and others, and hard, challenging, highest quality work.
strong and beautiful—they conquer with the power of beauty.
[ 25 ]
quelque chose d’indescriptiblement délicieux, déplaisant, ou laid. To fuck or be fucked !
L’œuvre est un hommage aux luttes et aux triomphes d’une vie. Le monde est rempli de
dangers à éviter et d’occasions à saisir représentés par des symboles guerriers (arc et trois
flèches d’Osossi, couteaux et ciseaux d’Ogun qui coupent et transpercent des pingas,
secrets et symboles maçonniques – des yeux dans des pyramides, un carré et un compas,
des yeux qui flottent partout, etc.), le désir et l’amour étant symbolisés par des figures
féminines transformées en mâchoires béantes et dévorantes. Pourtant, la voie spirituelle
vers la survie, le chemin du succès et de la réalisation de soi planent au-dessus de tout
cela dans la sagesse et l’aide d’Ifa. Une multiplicité multisensorielle remplit l’espace pour
donner une idée de tout ce que nous devrons affronter avant de quitter cette existence.
Autre exemple, l’œuvre Black Bite, dont le titre est un jeu de mots sur l’expression
familière cubaine, una mordida negra, littéralement une « morsure noire » (black bite), qui
signifie « faire du tort à quelqu’un, ou le trahir », qu’on pourrait traduire en anglais par
backbiting. En jouant avec le langage et l’attitude, Carlos évoque une conscience raciale
profondément enracinée à Cuba – la discrimination fondée sur la couleur de peau, un
racisme persistant, visible aujourd’hui dans les statuettes de negritas (nounous noires)
vendues dans les boutiques de l’aéroport de La Havane. Ici, le titre est écrit à l’envers, sens
dessus dessous. Des monstres noirs aux dents d’un blanc éclatant entourent le guajiro à
cheval, prêts à le dévorer de tous côtés. Carlos joue avec les mots, les images, les idées et
les concepts, « mettant tout sens dessus dessous » pour nous obliger à re-penser, ré-fléchir,
ré-viser, re-noncer, ré-agir et re-vivre – comme nous sommes censés le faire tout au long
SE TE ACABÓ EL MAMEY CABRON, 2003 (DETAIL). GOUACHE AND CHARCOAL ON MATE PAPER, 67 X 94 IN | SE TE ACABÓ
de nos vies sans cesse marquées par des choix à faire et des décisions à prendre.
EL MAMEY CABRON, 2003 (DÉTAIL). GOUACHE ET FUSAIN SUR PAPIER D’AMATE, 170 X 239 CM
Certains de ces jeux de mots touchent à des sujets politiques, en particulier à la promesse non tenue de la révolution cubaine. Si Carlos a pu admirer certains de ces idéaux,
dans ses puissants tableaux. Ses œuvres ont beau véhiculer des messages incroyable-
il a fini par être déçu et s’est farouchement opposé à la suppression des libertés person-
ment piquants, elles volettent devant nos yeux et nos esprits comme de beaux papillons.
nelles par le régime. Pour Carlos, Fidel Castro a volé ces libertés. Son tableau intitulé
Il faut creuser en profondeur pour découvrir leurs enseignements cachés. Mohammed Ali
Robo-Lucion joue sur le verbe robar, voler. Au lieu d’une révolution, c’est un vol qui a
et Carlos sont tous les deux forts et beaux – ils conquièrent par la puissance de la beauté.
emporté la liberté de choisir. Carlos était très hostile à un gouvernement qui décidait de ce
que quelqu’un pouvait faire, dire ou peindre. La mort et la destruction remplissent cette
œuvre sombre. Des testicules et des pénis (cojones et pingas) deviennent des os – enjeux
JEUX DE MOTS
de vie et de mort. Une autre œuvre – Mr. C. O. Jones – joue sur le mot cojones, qui signifie
Carlos travaille à la fois avec les images et avec les mots, c’est un conteur et un poète
« testicules » au sens propre et « courage, machisme » au sens figuré. Ici, Carlos s’inspire
visuel qui aime jouer avec le langage pour faire réagir le spectateur. Il dialogue avec son
du mythe classique de Persée, qui a décapité Méduse, le démon à la chevelure de ser-
public tant avec les mots qu’avec les images, s’inspirant des nombreuses histoires enten-
pents. Carlos le kikiriki tranche la tête de Fidel. Les yeux sont ceux des forces castristes de
dues dans son enfance à Pinar del Río, des traditions orales de la foi lucumi et de la
sécurité intérieure, des informateurs qui dénonçaient tous ceux qui cherchaient à saper la
divination d’Ifa, ainsi que des bribes de conversations quotidiennes saisies au passage.
révolution. Mais s’y ajoutent aussi les yeux de l’orisha Eleggua, qui nous observent.
Prenez par exemple le titre de l’œuvre Empingated (Freaking Awesome !) : Carlos a
forgé ce calembour après avoir entendu un Américano-Cubain transformer l’exclamation
Sommes-nous des co-con-spirit-eurs ? Des alliés ou des ennemis ? Eleggua assiste à la
scène et nous demande de décider.
argotique cubaine – pinga/pingao ! – en verbe d’action, empingated. Pinga/pingao ! fait
Dale, Dale Huye! ([ Sortez d’ici !] – 2005) manifeste avec puissance la volonté
référence au pénis (cock en argot anglais) et aussi à FUCK ! Fuckin’ Awesome se dit de
d’échapper à des menaces venues de toutes parts. Trois avions (de couleur bleue, comme
[ 26 ]
to a penis/cock and also FUCK! Fuckin’ Awesome! Something that is indescribably
delicious, or distasteful, or ugly. Whether to fuck or be fucked! So the work is an
homage to life’s struggles and triumphs. The world is populated with all manners of
dangers and opportunities represented by warrior symbols (triple arrows/bow of
Osossi, the knives and scissors of Ogun cutting/piercing pingas, Masonic secrets
and symbols of eyes in pyramids, square and calipers, and floating eyes everywhere, etc.), lust and love in female figures turned into gaping, devouring jaws. Yet
the spiritual path to survival, the way to success and self-realization hovers above
in the wisdom and guidance of Ifa. Multi-sensorial multiplicity populates the entire
space to give us a sense of all we must confront in this brief life before departure.
Another is the title and theme of the work called Blackbite, a play on the Cuban
colloquial expression, una mordida negra, literally “a black bite” which means “to
wrong or betray someone,” what in English would be expressed as an act of “backbiting.” Playing with language and attitude, he touches on a deeply engrained
Cuban color consciousness—discrimination based on skin color, a persistent racism
evident today in the negrita mammy statues sold in the Havana airport store. Here
the script is written from behind, from the back. Black monsters with gleaming
white teeth surround the guajiro on horseback, ready to devour him on every side.
Carlos plays with words, images, ideas and concepts, “turning things on their head”
to make us re-think, re-flect, re-vise, re-nounce, re-act, and re-live—as we are
meant to do throughout our lives of constant choice and decision.
Some of that word play is directed to political matters, specifically the unfulfilled
promise of the Cuban revolution. While Carlos may have admired some of its ideals,
he became disillusioned and strongly opposed the regime’s suppression of personal
freedom. For Carlos, Fidel stole those freedoms. His painting entitled Robo-lucion
plays on the verb robar “to steal.” Instead of revolution, it was a theft of freedom of
choice. Carlos was very much opposed to a government that determined what a person could do or say or paint. Death and destruction fill this dark work. Balls and
EL GRAN MAMBO, 2006 (DETAIL). OIL ON CANVAS | EL GRAN MAMBO, 2006 (DÉTAIL). HUILE SUR TOILE
penises (cojones and pingas) become bones—issues of life and death.
Another work—Mr. C. O. Jones—plays on the word cojones, literally “balls”
WORD-PLAY
and figuratively “courage, machismo.” Here Carlos is inspired by the classical myth
Carlos is both an image-smith and a word-smith, a story-teller and visual poet who
of Perseus slaying Medusa, the snake-headed demon. Carlos the kikiriki be-heads
loves to play with words to evoke responses in his audiences. He connects with his
Fidel. The eyes are those of Fidel’s homeland security forces, informers who exposed
publics with both words and images. Some of this must have come from the many
anyone who sought to undo the revolution. But they are also joined by the eyes of
stories he heard growing up in Pinar del Río. Another source may be the rich oral
the orisha Eleggua, watching us. Are we co-con-spirit-ors? Allies or enemies?
traditions of Lucumi faith and Ifa divination. Still others are snippets of conversa-
Eleggua witnesses and asks us to decide.
tions heard in passing, every day.
Dale, Dale Huye! (“Get out of here!”) 2005—evokes in a powerful way the
Take for example his work entitled Empingated (Freaking Awesome!). The title
escape from menaces on all sides. Three planes (colored blue like his human pro-
is Carlos’s humorous take on his hearing a Cuban-American turn the Cuban slang
tagonists) fly above an islandscape. The weaponry of warriors and enemies (knives,
exclamation—pinga/pingao!—into an action verb empingated. Pinga/pingao! refers
arrows, horse shoes, devouring mouths), as well as occult Masonic symbols,
[ 27 ]
les tentations et tous les défis, tout en demeurant fidèle à lui-même. C’est une réflexion
sur la quête constante de connaissance, de sagesse et de compréhension tout au long
d’une vie, avec le souci de suivre le bon chemin tracé par des forces divines mais aussi
matérielles. Après Puebla, au Mexique, où Carlos s’est affirmé comme artiste, le voyage
s’est poursuivi vers Miami. Des mots extraits de pensées, de chansons, de conversations
et de rencontres apparaissent parsemés, dispersés dans toute la composition, posant des
questions, révélant des émotions, rendant des sons visibles. Au cœur même de l’œuvre
est écrit mirame siempre – « regardez-moi toujours ». L’artiste nous invite à contempler
avec lui le mambo de sa vie jusqu’à présent, et à nous demander où l’emmèneront
l’existence et l’art à la prochaine étape de cette odyssée spirituelle.
Il y a un mur couvert d’assiettes superbement dessinées et vernissées, réalisées
par Carlos dans les ateliers Talavera Santa Catarina, à Puebla. C’est au Mexique qu’il
a rencontré l’amour et trouvé la liberté d’exprimer toute la gamme de ses sentiments
et des souvenirs de sa vie familiale dans la campagne cubaine. Rien d’étonnant si
les thèmes récurrents sont le kikiriki (coq), les chevaux, le guajiro à cheval, avec son
chapeau et sa moustache, une femme et un coq (relations masculin/féminin), les
théières et cafetières évoquant les rituels visuels, olfactifs et gustatifs du matin que
ROUND PLATE, 2015. TALAVERA CERAMICS, D. 17½ IN. | ASSIETTE RONDE, 2015. CÉRAMIQUE DE TALAVERA, D. 44,5 CM
préparait sa grand-mère, et les yeux d’Eleggua, témoin de tout cela.
Dans le dernier espace est exposée une série de tapisseries jacquard. Carlos a collaboré avec Magnolia Editions à Oakland, en Californie, pour la création de plusieurs tapis-
les protagonistes humains de Carlos) survolent un paysage insulaire. Les armes des guer-
series magnifiques à grande échelle. L’une d’elles, intitulée Who Eats Whom [Qui mange
riers et des ennemis (couteaux, flèches, fers à cheval, bouches dévorantes), ainsi que des
qui ], est une œuvre illustrant l’éternel combat entre les forces terrestres et celles surnatu-
symboles maçonniques occultes, reflètent les dangers qui rôdent de tous côtés. La seule
relles, s’interrogeant sur le résultat de cette lutte. Située dans une jungle rappelant Wifredo
solution, la seule échappatoire est de s’envoler. Les bouches des monstres sont celles des
Lam (« C’est la jungle là-bas ! »), cette épopée a pour combattants un lion (GRR !) et un
détracteurs proférant des rumeurs et des mensonges destructeurs. Il y a des yeux partout
cheval : même si le fauve tue l’équidé, lorsqu’il mourra lui-même, ses restes fertiliseront
– informateurs, espions, agents secrets, forces de sécurité, tous résolus à exercer un
la terre, où pousse l’herbe que mange le cheval. Alors, qui l’emporte ? L’issue de cette
contrôle absolu – et les yeux d’Eleggua observent tout ce chaos et tous ces dangers. Toutes
bataille dans un cosmos et un monde où s’opposent des forces antagonistes n’est jamais
ces armes coupent, transpercent et attaquent des formes organiques – des testicules et
certaine, elle évolue constamment. C’est la lutte qui compte.
des pénis, en érection ou inertes – mettant en péril la virilité même de l’homme.
El Gran Mambo est un double triptyque monumental : six panneaux débordant
d’images complexes où flottent plusieurs versions de la figure bleue d’un homme titubant
LE VOYAGE CONTINUE…
dans une jungle inextricable de forces, de sentiments, d’événements et d’actions. C’est la
Le mélange culturel, historique et spirituel de Cuba, du Mexique et de Miami consti-
spirale et la torsade de la danse de vie de Carlos, son gran mambo. En regardant de
tue désormais une partie de l’être, de la pensée et des actes de Carlos Luna. Il
droite à gauche (comme dans l’art divinatoire d’Ifa), nous sommes embarqués dans un
l’ignore peut-être, mais il symbolise et incarne l’idéal yoruba de l’artiste vu comme
voyage à travers les grandes décisions d’une vie. Nous voyons le cavalier guajiro, avec
un nomade (are), toujours en marche, chez lui nulle part, étranger partout, prenant
son chapeau, sa moustache, son couteau à la main et ses bottes à éperons, qui quitte la
de constants départs créatifs. Carlos Luna a beaucoup bougé – de Pinar del Río à
campagne pour La Havane, puis se dirige vers les avions qui l’emportent loin de Cuba,
La Havane, puis à Puebla, puis à Miami, puis à ?? – créant partout où il se trouve,
vers le Mexique. Nous voyons les couteaux et les yeux des ennemis, les visages des êtres
dansant chaque jour, aimant chaque jour, riant chaque jour, peignant chaque jour
chers, les pertes et les gains, les échecs et les triomphes. Cependant, le voyage n’est pas
des images qui nous font avancer vers de nouvelles prises de conscience. Puisse sa
seulement physique, il est profondément spirituel puisque l’artiste se penche sur toutes
vision continuer à provoquer et à séduire – ACHE !
[ 28 ]
express the dangers on all sides. Flying to escape is the only solution. Monster
mouths are the mouths of detractors who try to destroy with lies and gossip. Eyes
are everywhere—informers, spies, secret agents, security forces bent on absolute
control—all of this danger and chaos witnessed by the eyes of Eleggua. All these
weapons cut, pierce, and attack those organic shapes that form cock-and-balls,
whether erect or inert—the very manhood of a man endangered.
El Gran Mambo is a monumental double-triptych—six panels bursting with complex images in which float multiple versions of a blue figure of a man tumbling
through a jumble and jungle of forces, feelings, events, and actions. It is the spiral
and swirl of Carlos’s dance of life, his gran mambo. Viewing from right to left (as in
Ifa divination), we are taken on a journey with all the momentous decisions that affect
one’s life. We see the guajiro horseman with hat, mustache, knife in hand, and spurs
on his boots riding out of the countryside to Havana and then to the planes that flew
him from Cuba to Mexico. We see the knives and eyes of enemies, and the faces of
loved ones, the losses and the gains, the setbacks and triumphs. But this is not just
a physical journey, it is deeply spiritual one as the artist reflects on all the temptations
and challenges, while remaining true to himself. It is a reflection about the continual
search for knowledge, wisdom and understanding in one’s life, checking to be sure
one is following the right path shaped by divine as well as worldly forces. From
Puebla-Mexico where he found his love and grew as an artist, the journey continued
to Miami. Words from thoughts, songs, conversations, and encounters appear interspersed/scattered throughout the composition, raising questions, revealing emotions,
bringing sounds to sights. At the very center is mirame siempre—“Look at Me Only.”
We are asked to contemplate along with the artist, his mambo life to this point, and
WIFREDO LAM, THE JUNGLE, 1943. 94¼ X 90½ IN., GOUACHE ON PAPER | WIFREDO LAM, THE JUNGLE, 1943.
GOUACHE SUR PAPIER, 239,4 X 229,9 CM. NEW YORK, MUSEUM OF MODERN ART
to wonder where life and art will take him next on this spiritual odyssey.
There is a wall filled with beautifully designed and glazed plates made by Carlos
in Talavera Santa Catarina, Puebla-Mexico. It was in Mexico that he found love and
prevails? Battling in a cosmos and world of competing forces, the outcomes are
the freedom to express the full range of his feelings and the full spectrum of memories
never certain, always in flux. It is the struggle that counts.
of his family life in rural Cuba. So the recurring themes are kikiriki/rooster, horses,
guajiro with hat and mustache on horseback, a woman and rooster (female/male
relationships), tea and coffee pots evoking the morning rituals of sights, smells, and
THE JOURNEY CONTINUES…
tastes prepared by his grandmother, and the eyes of Eleggua witnessing all.
The cultural, historical and spiritual mix of Cuba, Mexico, and Miami have become
And in the final space are a series of amazing jacquard tapestries. Always
part of his being and thinking and acting. He may not know it, but he epitomizes
searching for a new challenge, Carlos worked with Magnolia Editions in Oakland,
and embodies the Yoruba ideal of an artist as an itinerant person (are), forever on
California, to create several stunning, large-scale tapestries. One of these is entitled
the move, at home nowhere, a stranger everywhere engaged in constant depar-
Who eats Whom—a monumental work about the eternal struggle of worldly and
tures of creativity. Carlos Luna has been on the move—from Pinar del Río-Cuba to
otherworldy forces, and the questions of who are winners and who losers. Set in a
Havana, to Puebla-Mexico, to Miami-Florida, to ??—creating wherever he finds
jungle reminiscent of Wifredo Lam (it’s a jungle out there!), the combatants in this
himself, dancing every day, loving every day, laughing every day, painting every day
epic are a lion (GRR!) and a horse: A lion may kill a horse, but when that lion dies,
with images that move us to new insights. May his vision continue to provoke and
his remains fertilize the soil, that grows the grass, that a horse consumes. So who
delight—ACHE!
[ 29 ]
L’ART DÉCONCERTANT DE CARLOS LUNA,
RAMÓN ALEJANDRO
OU LES FARCES DU VIL AIN GARÇON
P
Écrivain et peintre
our qu’une œuvre acquière la qualité rare qui fait d’elle un classique, elle doit
grandes tapisseries aux thèmes cosmogoniques et apocalyptiques, destinés à orner
résulter de la maîtrise d’un art. Au fil des siècles, les artisans des civilisations
les lutrins des chœurs et des sacristies et les murs des cathédrales médiévales, à
successives ont accumulé des connaissances apprises dans les ateliers où ils
la simplicité des céramiques grecques, en passant par les Vénus préhistoriques
ont travaillé. Ils ont ainsi peu à peu donné naissance à des arts qui leur ont permis,
découvertes dans les Cyclades, dans la mer Égée – en réussissant toujours à impri-
à leur apogée, d’atteindre un degré de perfection tel que certaines œuvres séduisent
mer sur ses œuvres le sceau caractéristique de son originalité. Certains de ses
les individus issus de la même culture tout en inspirant aussi un sentiment esthé-
personnages, qui semblent sortis d’une bande dessinée moderne pour venir gam-
tique aux membres d’autres cultures. Pour qu’une œuvre soit un classique, il faut
bader gaiement dans ses tableaux, ont quelque chose des figures pariétales des
qu’elle puisse toucher tout être humain, créer en lui un écho intime et provoquer une
grottes d’Altamira et de Lascaux. Son passage par le Mexique, avant son installa-
émotion esthétique quelle que soit la culture dans laquelle elle a été créée. Ce qui la
tion définitive à Miami, se manifeste dans des motifs décoratifs imprégnés de ses
rend accessible au plus grand dénominateur commun entre les êtres humains, c’est
premiers souvenirs d’enfance à Cuba.
le sentiment de sa beauté.
Selon la fable de Nietzsche à propos de la route qui mène à la création artis-
Indépendamment du contexte et de l’époque, certaines œuvres transcendent les
tique, un individu doit passer par trois étapes successives avant de pouvoir pro-
siècles et les barrières culturelles, suscitant l’émotion – accessible à tous les membres
duire une œuvre originale : il se métamorphose d’abord en chameau, puis en lion,
de notre espèce – que produit une beauté intemporelle. Chacun d’entre nous est
et enfin en enfant. Sous la forme du chameau, il porte sur son dos tout l’héritage
doué de cette sensibilité. Lorsque les frustes conquérants venus d’Estrémadure se
culturel du passé. Ensuite, il doit se changer en lion et, dans un rugissement reten-
sont émerveillés devant les prouesses des Aztèques – ferronnerie, architecture,
tissant, se débarrasser de sa charge une bonne fois pour toutes. Ce n’est qu’alors
plumes d’oiseaux transformées en œuvres d’art –, personne n’a eu besoin de leur
qu’il atteint l’état primitif où il peut pleinement entrer dans le jeu créateur et éter-
expliquer la valeur de ces objets parce que leur beauté objective parlait pour eux.
nellement renouvelé de l’enfance. Tout artiste sait que les profondeurs de son
Telle est la plus grande qualité d’une œuvre d’art : remplir d’émerveillement de
œuvre s’enracinent dans le terrain fertile où il a fait ses premiers pas et ouvert les
simples mortels. Seul en est capable l’artiste qui maîtrise l’art de traduire dans un
yeux sur les merveilles du monde.
langage universel les produits ou les fruits de sa vision personnelle. L’artiste doit
L’enfant qu’était Carlos Luna projetait ses fantaisies tant sur les objets fami-
consacrer sa vie entière à cet effort. Dans le monde de l’art contemporain, rares sont
liaux de la maison parentale que sur le monde extérieur et les rues de sa ville
ceux qui ont cette audace. Carlos Luna en fait partie. Il ose aller à contre-courant de
natale, où déambulaient les personnages qui ont toujours peuplé l’arrière-pays
son époque. Avec son talent inné, empli d’élégance, il instille une charge poétique
cubain. Abolissant les frontières entre le règne végétal et animal – dont notre propre
qui transcende la maîtrise du métier pour faire de son tableau, sur la base de son
espèce – et le monde des objets, qui sont le fruit étrange de l’ingéniosité humaine,
excellence, une œuvre d’art de valeur durable, avec des répercussions bien au-delà
diverses créatures issues de son imagination célèbrent intempestivement diffé-
des contingences commerciales qui ont dévasté le monde de l’art.
rentes formes d’accouplement contre nature. Des appareils orthopédiques compli-
Diverses traditions se rejoignent dans ses œuvres. Fort de sa culture univer-
qués se logent dans l’anatomie improbable de personnages marginaux transformés
selle, Luna fait référence à tout un passé – depuis les manuscrits enluminés et les
en squelettes translucides qui dansent la rumba. La récurrence fantasmagorique
[ 30 ]
THE UNSETTLING ART OF CARLOS LUNA,
RAMÓN ALEJANDRO
OR THE NAUGHTY BOY ’S TRICKS
F
Writer and a painter
or a work of art to achieve the rare quality that allows it to be considered a
Various traditions come together in these works. This artist’s universal culture
classic it must be the result of the mastery of a craft possessed by the artist
enables him to reference an entire past—from the illuminated manuscripts and
who created it. Throughout the centuries, artisans of successive civilizations
great tapestries with their cosmogonic and apocalyptic themes, destined to be dis-
have accumulated the knowledge acquired in the workshops in which they labored.
played over the lecterns of choirs and sacristies and hung from the walls of medie-
Thus they progressively created the crafts that enabled them, at their height, to
val cathedrals, to the simplicity of Greek ceramics or the prehistoric Venuses found
obtain a level of perfection that made it possible for certain works to be appreciated
on the Cyclades in the Aegean Sea—without ever failing to mark his works with his
not only by individuals within the culture they were created in, but they were also
unmistakable seal of originality. There is something of the parietal figures of the
capable of communicating their sense of beauty to members of cultures other than
caves of Altamira and Lascaux grafted onto certain of his characters that seems to
their own. Therefore, the classical character of a work lies in its ability to move any
come out of modern comic books and to scamper jokingly across Carlos Luna’s
human being to resonate intimately in its presence and to experience aesthetic
paintings. His passing through Mexico, before settling permanently in Miami, is
emotion regardless of what culture it comes from. What makes it accessible to the
noticeable in how he uses decorative motifs infused with his early childhood mem-
greatest common denominator of human beings is the sense of beauty itself.
ories of Cuba.
Outside of any circumstance and time, there are works that transcend cultural
According to Nietzsche’s parable of the road that leads to artistic creation, for
barriers and the greatest lengths of time, provoking that very emotion accessible to
an individual to be capable of producing an original work, he needs to go through
all members of our species which timeless beauty produces. Each and every one of
three successive stages: first he turns into a camel, then a lion, and finally a child.
us is gifted with this ability. When the uncouth Extremaduran conquerors stood in
In the form of a camel he carries the entire cultural heritage of the past on his back.
awe before the Aztecs’ precious metalwork, architecture, and transformation of bird
Subsequently, he must turn into a lion and drop this entire load once and for all with
feathers into art, nobody had to explain the value of these works to them because
a resounding roar. Only then can he gain access to the primal state in which he can
their objective level of beauty made them speak for themselves. That is the greatest
fully enter into the eternally renewed creative play of childhood. Every artist knows
quality of a work of art: to fill ordinary mortals with wonder. Only the artist who has
that the deepest root of his work lies in that fertile terrain where he took his first
acquired a craft that allows him to translate into a universal language what his
steps and first opened his eyes to the wonders of the world.
personal vision is capable of producing, or giving birth to, can achieve this. The
The child that was Carlos Luna embodied his fantasies both in particular family
artist must offer his entire life to this effort. In the contemporary art world there are
objects of his parents’ house and in the world outside: those streets of his home-
few artists that dare to do so. Carlos Luna not only dares to go against the current
town where the characters that have forever abounded among the ordinary people
of his times by taking on this enterprise. With his natural talent, full of grace, he
of inland Cuba wandered. Doing away with the boundaries between the world of
instills the poetic charge necessary for a painting to transcend craftsmanship so
plants and animals—including our own species—and the world of artifacts that are
that, on the basis of its excellence, it can be considered a work of art of lasting
the curious fruit of human ingenuity, different beings from his own imagination
value, with repercussions above and beyond the commercial contingencies that
inopportunely celebrate various forms of unnatural coupling. Marginal characters
have devastated the art world.
turned into translucent rumba dancing skeletons display complex orthopedic
[ 31 ]
Mexicains, guidée par de nobles règles de chevalerie fondées sur une théologie
imprégnée du sens sacré des principes qui régissent Mère Nature elle-même,
source de toute sagesse.
Tous ces espaces sont animés par la phosphorescence spectrale de divers
êtres spirituels auxquels donnent vie l’habileté et la précision du dessin de Carlos
Luna. L’alchimie d’un art minutieux que ce cavalier solitaire maîtrise fait bouger
les jambes d’une bête articulée qu’une course obsessionnelle emporte vers un
horizon fuyant, prolongeant les apparences de la réalité au-delà de ce que nous
pensions possible. Différentes figures dansent au son des murmures de la campagne, au cœur d’un labyrinthe de motifs à la symétrie suspecte qui, telles ces
étoiles à six pointes qui constituent les flocons de neige, structure l’espace imaginaire dépourvu des effets de perspective hérités de la Renaissance, dans lequel
le spectateur est la proie d’hallucinations et croit pénétrer en chair et en os dans
un monde fantomatique. C’est la recréation inattendue et en plein jour de l’esTAPISSERIE DE L’APOCALYPSE. A MEDIEVAL FRENCH TAPESTRY COMMISSIONED BY LOUIS I, THE DUKE OF ANJOU,
pace où nous entrons en passant le seuil imperceptible de l’état crépusculaire qui
PRODUCED BETWEEN 1377 AND 1382 | TENTURE DE L’APOCALYPSE. TAPISSERIE MÉDIÉVALE FRANÇAISE COMMAN-
précède le sommeil. Les paysages animés que Carlos Luna offre à notre vue sont
DÉE PAR LOUIS Ier, DUC D’ANJOU, PRODUITE ENTRE 1377 ET 1382. CHÂTEAU D’ANGERS, ANGERS
en effet hypnotiques.
Cette hypnose naît de la suggestion même de la profondeur fictive dans laquelle
de Marta Hueso en machine dévorante met en scène une vieille excentrique
Carlos Luna nous invite à nous abandonner à l’étourdissante sarabande où s’entre-
décharnée qui satisfaisait – furtivement mais efficacement – les désirs d’adoles-
lacent et s’amourachent les différentes créations de son imagination. Coqs d’Osun
cents frustrés. Marta Hueso devient l’héroïne de mille aventures entrecroisées dans
toujours vigilants ; cafetières ; avions semblables à des chiens errants propulsés par
les passages secrets des labyrinthes arborés qui remplissent ces tableaux. Caché
des lames de ventilateurs électriques ; éléphants improbables aperçus dans quelque
parmi eux, un Carlos Luna soi-disant adulte nous défie de son rire irrévérencieux,
miniature du mystérieux Empire moghol ; scies de charpentiers ; vis de mécaniciens ;
jailli du masque sous lequel il dissimule avec de sages précautions sa jeunesse
machines à coudre métalliques Singer de nos mères et grand-mères, avec leur
éternelle et sans entraves. Peut-être agit-il ainsi pour que nous ne lui tenions pas
étrange pédale et cette aiguille verticale, omniprésente et menaçante. Et encore :
rigueur de l’envoûtement qu’il nous impose, sans même nous demander la permis-
serpents ; méduses ; charmantes damoiselles et paysans lubriques ; tasses à café ;
sion, par la simple contemplation de ses œuvres.
inscriptions au langage cru ; drapeaux nationaux ; emblèmes de deux des guerriers,
Dans ces figures surgies des insomnies enfiévrées des poètes, les os se trans-
que ce soit Ochosi ou Eshu ; mains puissantes portant un saint au bout de chaque
forment en monstrueux hachoirs à viande. Un cannibalisme galopant donne vie à
doigt ; les sept puissances africaines ; machette d’Oggún Arere : lions ; éclairs de
ce tintamarre de morceaux de corps humain mélangés à des objets domestiques
Chango ; têtes coupées ; coquillages porcelaines ; Oduns d’Ifa pour prédire l’avenir ;
qui inspiraient à Carlos Luna une peur atavique, une peur que nous éprouvons
couteaux sacrificiels ; marteaux ; tabourets ; dentiers ; crânes.
tous à l’idée d’être dévorés par ce qui nous fascine le plus : l’inconnu, qui palpite
On retrouve également les chicherekús ancestraux des Tatas congolaises, ces
subrepticement dans certaines choses, attendant le bon moment pour nous prendre
poupées maléfiques utilisées pour porter malheur à l’ennemi, qui préfigurent
par surprise. Les paysages de quelque continent encore inexploré grouillent de
depuis longtemps les drones mis au point par la technologie contemporaine. Elles
méconnaissables assemblages à rainures et languettes, le fruit hybride et impro-
sont les vénérables ancêtres des robots tueurs qui feront très bientôt office de sol-
bable d’une cohérence illogique, comme dû aux effets de quelque champignon
dats invulnérables en première ligne du vaste arsenal préparé pour les futurs com-
rapporté dans le sac d’un chaman huichol. Même les combinés de vieux télé-
bats à mort entre les États modernes dans leur lutte pour la suprématie mondiale.
phones deviennent des yeux. Ces choses nous observent alors que nous croyons
Des bêtes familières anonymes apparaissent ici et là, battant les paupières de
innocemment que ce sont nous qui les regardons. Ici, une bataille permanente
dentelle de leurs yeux d’un vert vitreux dans le feuillage d’une jungle faite de motifs
fait rage. C’est la guerre, mais une « guerre fleurie », comme celle des anciens
géométriques fantaisistes.
[ 32 ]
EMPINGATED, 2008 (DETAIL). OIL ON CANVAS | EMPINGATED, 2008 (DÉTAIL). HUILE SUR TOILE
LOS AÑOS DUROS DE MI MADRE, 2008. OIL ON CANVAS, 54¼ X 59¼ IN. | LOS AÑOS DUROS DE MI MADRE, 2008.
HUILE SUR TOILE, 138 X 150,5 CM
devices embedded into their improbable anatomies. Like the phantasmagorical
ical coherence, as though born under the effects of some mushroom brought over
recurrence of Marta Hueso as a devouring machine: a certain thin old geezer that
in the pouch of a Huichol shaman. So that even the receivers of old telephones
satisfied—furtively but efficiently—the desires of frustrated teenagers. Marta Hueso
become eyes. These things observe us while we innocently believe we are looking
becomes the protagonist of a thousand adventures interwoven throughout the secret
at them. Here a constant battle is taking place. There is war, but it is a Flowery
passageways of the labyrinths of trees that populate these paintings. Hidden among
War, like that of the old Mexicas, ordered by noble rules of chivalry based on a
them, a supposedly adult Carlos Luna challenges us with an irreverent laugh from
theology pervaded with the sacred sense of the principles that rule Mother Nature
behind the mask with which, taking wise precautions, he hides his unfettered and
herself, font of all wisdom.
eternal early youth. Perhaps he acts this way so that we don’t hold him accountable
All of these spaces are animated by the ghostly phosphorescence of diverse
for the enchantment which, without even asking us for permission, he imposes on
spiritual beings brought to life by the labor and art of the accuracy of his drawing.
us for simply viewing his works.
The alchemy of the precise craft which that lone horseman rides, moves the four
In these figures that spring from the feverish insomnia of poets, bone turns
legs of an articulated beast that escapes in an obsessive race toward a fleeing hori-
into an outrageous meat-grinding machinery. A galloping cannibalism infuses life
zon, prolonging the appearances of reality further than what we would have thought
into this hullabaloo of human body parts mixed with the household objects that
possible to expect. Different figures dance to the sound of the whispers of the coun-
instilled in his mind an atavistic fear, the fear we all have of being devoured by
tryside within a labyrinth of suspiciously symmetrical motifs that, like those six-
what most fascinates us: the unknown, that which pulsates surreptitiously within
pointed stars that make up snowflakes, structures the fictitious space in which,
certain things, watching for the right moment to jump on us from behind. It
without Renaissance perspective, the spectator hallucinates, thinking that he
swarms, throughout these landscapes of some as yet undiscovered continent, the
enters, flesh and blood, into a completely spectral realm. It is an unexpected recre-
unrecognizable tongues and grooves with the improbable, hybrid fruit of an illog-
ation in broad daylight of the space we enter when we are imperceptibly crossing
[ 33 ]
Ayant besoin d’encore plus d’espace pour s’ébattre librement, la faune qui
peuple ces tableaux déborde sur des assiettes en céramique Talavera. D’autres
fois, testant des techniques innovantes, Carlos Luna grave ses personnages à
l’acide sur des disques métalliques. Grâce à la science numérique qui transforme
le monde autour de nous, ces figures prennent vie dans de somptueuses tapisseries tissées par Magnolia Editions. Dans les dessins méticuleux où Carlos Luna
esquisse ses futures créations, la précision protéiforme d’une unique intuition
poétique est déjà visible, conférant à toutes ces œuvres leur exceptionnelle
homogénéité : une même graine qui, nourrie par l’extraordinaire talent de l’artiste, germe dans le terrain fertile de son esprit.
En contrepoint de cette profusion de créatures campagnardes que l’imagination
prolifique de Carlos Luna déverse sur nous jaillit l’étrange émotion esthétique qui
nous touche. Une musique jouée par des flûtes en bambou retentit, rythmée par les
claves faites du bois précieux des arbres gigantesques qui poussaient dans les
anciennes jungles tropicales couvrant l’île de Cuba avant l’arrivée des Espagnols,
enveloppée par la douce mélodie des marimbas dans les jardins secrets de ce monde
enchanté. Telle une nouvelle forme de beauté née son œuvre pour enrichir le panoDREAMER, 2015 (DETAIL). JACQUARD TAPESTRY | DREAMER, 2015 (DÉTAIL). TAPISSERIE JACQUARD
rama considérablement appauvri de l’art contemporain.
[ 34 ]
the threshold of the twilight state that precedes sleep. Because the animated land-
the modern national states in their struggle for world supremacy. Some familiar name-
scapes that Carlos Luna gives us to view are hypnotic.
less beasts appear here and there, the lace-like eyelids of their glassy-green eyes
This hypnosis is produced in the very suggestion of that fictitious depth through
blinking amidst the foliage of a jungle of whimsical geometric motifs.
which he invites us to deliver ourselves to the dizzying sarabande where the differ-
In need of even more space to frolic freely, the fauna that populate these paint-
ent creations of his imagination are intertwined and in love. The always vigilant
ings spill over onto Talavera ceramic plates or, experimenting with innovative tech-
roosters of Osun, the coffeepots, airplanes with something of stray dogs propelled
niques, Luna engraves his characters onto round metal sheets with acids. Using the
by blades of electric fans, improbable elephants glimpsed in some miniature of the
digital science that is transforming the world around us, the characters come to life
mysterious Mogul Empire of India, carpenters’ saws, mechanics’ screws, our moth-
in the sumptuous tapestries woven by Magnolia Editions. In the meticulous draw-
ers’ and grandmothers’ metallic Singer sewing machines, with their strange floor-
ings where he devises his future works, the precision of the many forms of a single
pedal and that ominous, ever-present vertical needle. Snakes, jellyfish, enchanting
poetic intuition is already visible, lending to all of these works their unique consis-
damsels and lewd peasants, coffee cups, signs with crude language, national flags,
tency: The same seed that, nourished by his extraordinary capacity for work, germi-
emblems of two of the warriors, be it Ochosi or Eshu, powerful hands with a saint
nates in the fertile terrain of his spirit.
at the tip of each finger, the African Seven Powers, Oggún Arere’s machete, lions,
In counterpoint to this profusion of countryside creatures that Carlos Luna’s
Chango’s lightning bolts, severed heads, cowry shells, Oduns de Ifa to predict the
prolific imagination so abundantly bestows on us, springs forth the strange aes-
future, sacrificial knives, hammers, stools, false teeth, and skulls.
thetic emotion that moves us. A music played by bamboo flutes resounds, along
Also present are the ancestral chicherekús of the Congo Tatas, those malignant
with the rhythmic striking of keys made from the precious wood of colossal trees of
dolls harnessed to cause misfortune to one’s enemies that have long foreshadowed
ancient tropical jungles that covered the island of Cuba before the arrival of the
the drones created by contemporary technology. They are the venerable grandparents
Spaniards, wrapped in the sweet melody of marimbas throughout the secret gar-
of the killer robots that very soon will act as invulnerable soldiers at the vanguard in
dens of this enchanted world. Like a new form of beauty produced by his work, to
the copious arsenal being prepared for use in the coming battles unto death among
enrich the drastically impoverished panorama of contemporary art.
[ 35 ]
UNE VISITE D’ATELIER
JACK RASMUSSEN
Directeur et conservateur de l’American University Museum,
Katzen Arts Center, Washington DC
AVEC CARLOS LUNA
J’ai eu la chance de passer quelque temps avec Carlos Luna dans son atelier de
Luna voulait travailler sur du papier en grand format sans devoir le mettre sous
Miami. Nous avons parlé de sa méthode de travail, des matériaux et des techniques
verre. Pour y parvenir, il a collaboré avec des conservateurs de papier et a longue-
dont il a acquis la maîtrise, de ses motifs artistiques et du contexte culturel qui permet
ment expérimenté pour trouver les matériaux et les techniques qui allaient garantir la
à son art de nous toucher avec tant de puissance et de beauté. C’est là que j’ai vu
durabilité de son œuvre et lui permettre d’obtenir la surface voulue. Le résultat, dont
Black Bite pour la première fois, une œuvre que je considère comme la pièce emblé-
Black Bite est un exemple caractéristique, allie tous les avantages du papier – sa beauté,
matique de cette exposition et comme le chef-d’œuvre de Luna jusqu’à présent.
sa texture et sa résistance – à la taille et à l’impact visuel des toiles de l’artiste.
Black Bite a été réalisé sur du papier français très fort, épais, dense et lisse, collé
sur la surface et les bords d’un support en bois. Sur une toile, il aurait fallu de nom-
Naturellement, l’excellente technique de Luna est tout entière au service de sa
vision artistique. Voici comment il décrit son sujet :
breuses couches de gesso poncé pour obtenir une surface aussi lisse et dense. Mais
comme il s’agit de papier, fait de pâte de coton non transformée et non apprêtée, il
À Cuba, on utilise l’expression « Black Bite » pour dire qu’on a un gros pro-
absorbe tout. La surface blanche ne pardonne rien.
blème, le pire de tous. On a le noir, on est dans un trou noir, on s’est planté,
Luna n’applique que des matériaux naturels sur la surface du papier : pigment,
on est cuit. Qui est-on quand on a un problème ? On peut être soit le pro-
aquarelle, encre, crayon et fusain. Il passe ensuite un vernis à base de cire et d’huile
blème, soit la solution. Quand on choisit d’être la solution, on étreint le
pour unifier les différentes couches et donner à l’œuvre toute son intensité. Ce pro-
problème et on en devient une partie, mais pas de manière problématique,
cessus technique est exigeant et chronophage, mais chaque création plonge Luna
on est là pour le résoudre, on va tout arranger.
dans l’exaltation :
Cet homme sur le tableau, en fait, il est dévoré par toutes ces choses pourvues de dents qui l’entourent. Sa main est tendue au-delà de lui-même. Il
À chaque fois, j’obtiens un goût, un résultat différent, qui se rapproche un
représente une partie du problème, mais comme on le voit sur le tableau, il n’est
peu plus de ce que je veux. C’est comme faire la cuisine ! Il faut se lancer et
pas sombre comme tout ce qui l’entoure. Il tend les bras pour accueillir le pro-
jouer avec tout ça.
blème et il devient la lumière à l’intérieur de celui-ci. Au lieu de le fuir, il l’étreint.
La première exposition de Luna à l’American University Museum, en 2008, regrou-
Dans la culture rurale cubaine et la religion afro-cubaine de la campagne, le cheval est
pait principalement des œuvres sur toile, mais également quelques-unes faites sur
très important. C’est un élément fondamental de la vie campagnarde, tout comme il est
amate, un papier somptueux fabriqué au Mexique à partir de l’écorce d’un arbre
impossible de se passer de voiture à Miami. On ne peut pas imaginer un campagnard
depuis la période préhispanique. J’ai été tout particulièrement impressionné par ces
sans son cheval. Dans la culture afro-cubaine, le cheval peut aussi être un médium :
œuvres sur papier. Malheureusement, Luna n’a pas réussi à se procurer de l’amate
de très haute qualité ces dernières années. Selon moi, cela a été une chance, car
Lorsqu’un esprit prend possession d’une personne, il parle à travers elle et
cette nouvelle œuvre réalisée sur du papier français représente une étape décisive
la qualifie de cheval. La personne est en transe. En tant qu’être vivant, si j’ai
pour l’artiste.
le don d’accueillir en moi les esprits des morts, alors je suis le cheval, le
[ 36 ]
A STUDIO VISIT
JACK RASMUSSEN
Director and Curator of the American University Museum,
Katzen Arts Center, Washington, DC
WITH CARLOS LUNA
I
was fortunate to spend some time with Carlos Luna in his Miami studio. We
artwork was going to last and give him the surface he wanted. The resulting work,
discussed his process, the materials and techniques he has mastered, his artistic
exemplified by Black Bite, has all the advantages of paper—the beauty, texture and
motifs, and the cultural context that enables Luna’s art to engage us with such
resilience of paper—and the size and visual impact of his canvases.
power and beauty. This is where I first saw Black Bite, which I believe is the iconic
piece of this exhibition, representing Luna’s best work as an artist to date.
All of Luna’s great technique, of course, is at the service of his artistic vision.
He describes his subject matter this way:
Black Bite was created on a very strong, thick, dense, and smooth French
paper glued to the surface and around the edges of a wooden support. If attempted
In Cuba, people use the expression “Black Bite” to say you have a dark
on canvas, it would have taken many layers of sanded gesso to get a similar smooth-
problem, the worst of the worst, you got a black bite, you had the dark
ness and density of surface. But because it is paper, made of cotton pulp that has
holes, you are tanked, you are done for. Who are you when you have the
been left un-sized and natural, it absorbs everything. The white surface is
problem? You can either be the problem or the solution to the problem.
unforgiving.
When you have chosen to be the solution to the problem, you hug the
Luna applies only natural materials to the paper’s surface: pigment, watercolor,
problem and become a part of it, but not in a problematic way, you are
ink, pencil and charcoal. Then, to finish the piece, he rubs a wax and oil varnish on
there to fix it, you will make it all right.
the surface to unify the many different layers and achieve the great richness of his
This man in the painting, he’s basically consumed by everything
work. The technical process is time-consuming and demanding, but Luna is excited
around him that has teeth. His hand is extending beyond himself. He is
each time he makes a work of art:
part of the problem, but as you can see in the painting, he’s not dark like
everything around him. He is extending his arms to receive the problem,
Each time, I come up with a different flavor/result, and it gets closer to
and become the light within the problem. Instead of running from the prob-
what I want. It’s like cooking! I have to embrace it and play with it.
lem, he hugs the problem.
Luna’s first show in the American University Museum, in 2008, featured mostly works
In Cuban rural culture and the Afro-Cuban religion of the countryside, the horse is very
on canvas, but some were also on Amate paper. Amate paper is a very rich, beautiful
important. The horse is a basic part of living life in the country, just as, in Miami, you
paper made from tree bark in Mexico since the Pre-Hispanic times. I was especially
must have a car. You cannot picture a country man without a horse. In Afro-Cuban
impressed by these works on paper. Unfortunately, Luna has been unable to obtain the
culture the horse can also be a medium:
highest-quality Amate paper for the last several years. I think this was fortuitous, as this
When a spirit gets hold of a person, the spirit talks through the person, and
new work on French paper represents a major breakthrough for the artist.
Luna wanted to create his art on paper in a large format without having to
refers to the person as the horse. The person is in a trance. As a living person,
frame it under glass. To achieve this, he worked with paper conservators and did a
if I have the gift that the dead spirits can get into me, then I am the horse,
lot of experimenting to find the right materials and techniques to make sure the
the medium that allows the dead to talk through me. In daily life, the horse
[ 37 ]
CARLOS LUNA: LOS DECORADOS, 2011. HEATHER JAMES FINE ART, PALM DESERT, CA | EXPOSITION « CARLOS LUNA : LOS DECORADOS », 2011. HEATHER JAMES FINE ART, PALM DESERT, (CA)
médium qui permet aux morts de parler à travers moi. Dans la vie quoti-
Depuis peu, Luna déborde des limites du papier pour faire du cadre une part inté-
dienne, le cheval est un véhicule, et dans la vie spirituelle, c’est un véhicule
grante de l’œuvre. Il a amorcé cette évolution avec les céramiques réalisées pour une
entre le monde des esprits et le monde matériel. Le cheval jaillit de l’obscu-
exposition en Californie. Petit à petit, il s’est rendu compte qu’il avait besoin de sortir
rité, les deux figures – l’homme et l’animal – sont dématérialisées par l’obs-
de la toile en deux dimensions, de dépasser sur le cadre et finalement sur le mur.
curité qu’ils traversent et dont ils font partie.
Peinture, sculpture et installation ne font plus qu’un :
Le tableau parle des périodes sombres ou difficiles de l’existence, dont
on peut tirer des leçons pour grandir, devenir quelque chose de plus grand
J’avais eu deux idées de peinture murale pour Black Bite : la première,
ou regarder la part d’ombre qui est en nous, l’accepter et grandir grâce à
c’était une énorme bouche qui dévorait tout, toute l’histoire, l’histoire dans
cela. Quand j’étais enfant, j’étais très timide. Ce n’est plus le cas. J’ai accepté
l’histoire ; la deuxième, un œil qui devenait un cône, une pyramide qui deve-
et dépassé ma faiblesse, mais elle fera toujours partie de mon histoire.
nait une énorme bouche. C’est très simple. C’est lié à la capacité de voir, au
[ 38 ]
is a medium of transportation, and in spiritual life, the horse is a medium
Recently, Luna started to work outside the edge of the paper, to make the framing part
between the spirit world and the material world. The horse is coming out of
of the work. It started with the ceramics he made for a show in California. Gradually
the dark, both figures—the man and the horse—are dematerialized by the
Luna saw he needed to get beyond the two-dimensional canvas and onto the frame
dark that shows they are passing through and become a part of it.
and eventually onto the wall. Painting, sculpture, and installation became one:
The painting talks about the moment when someone is having a bad
or dark period and they can learn from that and grow from that, transform
I had thought of two ideas for the painting on the wall for Black Bite. One
themselves into something greater, or they can look inside themselves at
is a huge mouth eating everything, eating the whole story, the story within
their dark side, accept that and grow from that. It’s like when I was a child,
the story. The other idea was of an eye becoming a cone, a pyramid becom-
I was very shy. But not anymore. I accepted and overcame my weakness,
ing a huge mouth. It is very simple. It has to do with the capability of
but that will also be part of my history.
seeing, the gift of seeing, but not seeing like this, but from a panoramic
[ 39 ]
constate que ce côté sombre n’est pas si sombre que ça. La réalité est plus
sombre. C’est plus difficile que d’aller en enfer et en revenir. Affronter la vie
quotidienne, ça c’est difficile.
Le processus créatif de Luna rapproche l’idée et la technique qui déchiffre l’idée :
Je vois, je perçois, je ressens, puis mon cerveau précise les choses et mes
mains trouvent la solution. Tout doit être relié. La tête ne doit pas diriger les
mains. Les mains sont l’instrument qui déchiffre les messages de la tête, et
la tête déchiffre les messages du cœur. Pour moi, c’est un travail d’équipe.
Je cherche la solution – comment la trouver ? Comment la trouver ? –, mais
quand j’arrête de me poser la question, je commence à trouver. Dans mes
petits croquis, j’essaie des choses. C’est comme si toutes les pièces du
puzzle s’ordonnaient. La solution vient à moi, tout simplement.
Si les motifs de Luna s’inspirent généralement du folklore cubain, ils sont universels :
Mes sujets ne sont qu’un reflet de la vie quotidienne. Je n’ai pas le temps de
parler de la vie de quelqu’un d’autre. Elle serait peut-être plus intéressante
que la mienne, mais je crois qu’il est important de parler de ma vie et de ce
BLACK BITE, 2013. MIXED MEDIA ON PAPER ON WOOD, 47 X 59 IN. | BLACK BITE, 2013. TECHNIQUE MIXTE SUR
que j’ai vécu. Je parle des problèmes humains. Mes problèmes d’être vivant
PAPIER MAROUFLÉ SUR BOIS, 119,5 X 150 CM
ont des échos dans la vie des autres.
Depuis l’apparition de l’homme, nos problèmes portent sur nousdon de voir, mais pas de voir comme ça, non, d’avoir une perspective pano-
mêmes, sur ce que nous faisons. Sur notre existence. Je ne peux pas parler
ramique, se voir à l’extérieur de soi, avoir une vue d’ensemble. Lorsqu’on
de mes problèmes à un extraterrestre, parce qu’il ne pourrait pas les com-
pense qu’on est capable de créer, on arrête de créer. Si on peut mettre son
prendre, mais tous les êtres humains, même dans une culture différente,
ego de côté, on découvre une vue panoramique. Alors on peut voir son pro-
peuvent comprendre les problèmes humains.
blème. On peut voir sa part d’ombre, et l’accepter.
Black Bite est une prouesse technique, un triomphe artistique et une révélation
Le titre Black Bite est écrit sens dessus dessous dans le tableau :
culturelle. Luna fait pénétrer les spectateurs dans l’obscurité et les ramène à la
lumière, physiquement et psychologiquement. Il nous propose une imagerie spéci-
Si je l’avais écrit à rebours, comme dans un miroir, on n’aurait pas pu le lire.
fique à sa culture, mais nous amène à comprendre l’universalité de son art. Luna
Je voulais que les spectateurs puissent le lire et le reconnaître, mais dans un
nous offre tout ce que nous pouvons attendre de nos meilleurs artistes.
autre espace. L’homme regarde sa part d’ombre après l’avoir traversée, et il
[ 40 ]
perspective, seeing outside of yourself, seeing the whole picture. When we
believe that we are able to create, we stop creating. If you can put your ego
on the side, you are able to achieve a panoramic view. And then you can
see your own problem. You can see your dark side, and accept it.
Black Bite is written in the painting upside down:
If it was written in reverse, as if in a mirror, you cannot read it. I wanted it
to be for the viewers to be able to read it and recognize it, but in another
space. The man looks at his dark side after he travels through, and found
out his dark side is not that dark. Reality is darker. It’s harder than traveling
to hell and back. Being in front of daily life, it is hard.
UNTITLED, 2001. GUACHE AND CHARCOAL ON AMATE PAPER, 47 X 94 IN. | SANS TITRE, 2001. GOUACHE ET FUSAIN
SUR PAPIER D’AMATE, 120 X 240 CM
Luna’s creative process brings together the idea and the technical process that
solves the idea:
think it’s important to talk about my life and what I have been through. I
I see, I perceive, I feel, then my brain elaborates it and my hands solve it.
talk about human problems. My problems as a living being have echoes in
Everything has to be connected. It’s not about the head leading the hands.
other people’s lives.
The hands are the tools to solve the head, and the head solves the heart. For
Ever since the first people were around, our problems have been about
me, it’s a team. I seek the solution—How do I solve it? How do I solve it?—
ourselves, What we are doing. Our existence. I cannot talk to an alien about
but when I stop asking myself, I start doing it. In small sketches I try things.
my problem, because he cannot relate to them, but people even from dif-
It’s like all the puzzle parts come together. The solution comes to me.
ferent backgrounds can relate to human problems.
Luna’s motifs are usually based on Cuban folklore, but they are universally
Black Bite is a technical achievement, an artistic triumph, and a cultural revelation.
relatable:
Luna brings viewers into the darkness and returns them to the light, both physically
and psychologically. He presents us with culture-specific imagery, but we come to
My subjects are just a reflection of everyday life. I don’t have time to dis-
understand the universality of his art. Luna does everything we can ask from our
cuss someone else’s life. It might be more interesting than my life, but I
best artists.
[ 41 ]
CARLOS LUNA /
CAROL DAMIAN
LE PARCOURS D’UN ARTISTE
Professeur d’histoire de l’art à la Florida International University (FIU)
arlos Luna évoque depuis longtemps le passage du temps et la persistance
C
la ville possède une existence propre, au-delà de son extravagance quotidienne ; les
de la mémoire dans des œuvres désormais identifiables à leur utilisation
artistes locaux sont reconnus pour leur talent et admirés pour leur succès qui dépasse
prodigieuse de l’imagerie populaire cubaine, des symboles caraïbes et d’une
les frontières du comté pour atteindre le village planétaire. Il n’est jamais simple de
esthétique stylistique complexe. Son identité cubaine s’inspire des personnages, des
survivre à la scène artistique, où que ce soit, et les artistes qui restent fidèles à leurs
histoires, de la musique et de la vitalité de ses réminiscences sur le passé de l’île,
idées doivent être salués pour leur ténacité et leur volonté constante de réaliser un
tout en abordant des thèmes clés relatifs à ses dix années passées à Miami, en
travail d’excellence. Ces réussites remarquables ont certainement moins à voir avec
Floride. Miami, l’un des centres artistiques les plus récents et dynamiques des États-
les tendances qui se manifestent à Miami qu’avec la qualité de l’œuvre de l’artiste et
Unis, est connu pour son esthétique stylistique complexe et particulière qui, très
sa vision personnelle.
reconnaissable et caractéristique de son temps et de ses origines, influence autant
Carlos Luna n’a jamais dérogé à son éthique professionnelle rigoureuse et s’est
les artistes que ceux-ci influencent les élites de la ville. Indubitablement, non seule-
toujours attaché à produire des œuvres qui dialoguent avec ses valeurs culturelles et
ment l’œuvre de Carlos Luna reflète son nouveau lieu de vie et ses extraordinaires
traditionnelles et auxquelles il donne vie grâce à la visualisation unique de son uni-
connotations tropicales, mais elle constitue aussi le support idéal pour décrire ses
vers. Les images de Luna retracent son parcours hors de son île natale tout comme
souvenirs culturels avec un grand charme visuel. En peu de temps, elle s’est intégrée
dans son quotidien. Explorant sans cesse de nouveaux procédés techniques, il
dans l’environnement exceptionnel du sud de la Floride. Avec plus de 2,5 millions
applique une diversité de méthodes pour trouver la solution qui exprimera chaque
d’habitants, dont près de la moitié est né à l’étranger, et 66 % d’Hispaniques, Miami
nouvelle idée – des idées qui émergent d’activités et de souvenirs lointains et
Dade County est un centre florissant pour l’art et les artistes, notamment pour ceux
récents – et le matériau qui répondra le mieux à son besoin de résoudre le problème,
venus d’Amérique latine et des Caraïbes. La diversité de leur travail – qu’ils peignent
tout en inventant et en réinventant un répertoire symbolique. Malgré d’abondantes
en plein air sur les célèbres Wynwood Walls, qu’ils travaillent au sein d’espaces et de
références à la vie à Cuba et au Mexique (où il a vécu après avoir quitté son île
collectifs alternatifs ou participent à des expositions dans des musées et des galeries
natale), dans chaque nouvelle série il met en jeu le présent, toujours éclairé par ses
– devient particulièrement visible et séduisante pour les visiteurs qui se pressent aux
idées sur la condition humaine et sur la création d’œuvres présentant un intérêt pour
foires d’art du mois de décembre, avec Art Basel Miami Beach en tête d’affiche. La
l’humanité. Il opère la transition de la peinture et du dessin à la sculpture et à la
communauté locale et internationale reconnaît un caractère particulier à la scène
céramique avec une aisance naturelle qui permet l’introduction d’une variété de
artistique et aux artistes de Miami : des styles complexes et colorés qui vont des
nouveaux matériaux : papier fait à la main, plaques métalliques et, maintenant,
installations les plus avant-gardistes à la célèbre abstraction géométrique associée
tapisserie. Au syncrétisme des matériaux, de l’imagerie et des symboles, qui conti-
au Venezuela et à l’Argentine, en passant par le Pop Art qui semble promouvoir
nue d’inspirer son processus de création, s’ajoutent désormais les influences de la
l’image de plaisir et de fantaisie de South Beach, et par bien d’autres choses encore.
vie à Miami qui complexifient encore son inventaire déjà riche en éléments gra-
Certains artistes suivent la mode, d’autres créent leur propre tendance. Si Miami a su
phiques. L’accumulation reconnaissable de signes et de symboles, de motifs figura-
s’attirer les salons artistiques de décembre, c’est parce qu’il émanait de ses interve-
tifs, de composants abstraits, d’objets et de dessins hybrides, réunie aux méthodes
nants culturels et de sa communauté artistique quelque chose de différent. À présent,
stylistiques et techniques de l’artiste – contours épais et motifs denses –, enracinées
[ 42 ]
CARLOS LUNA /
CAROL DAMIAN
AN ARTIST ’S JOURNEY
Professor of Art History at Florida International University
arlos Luna has long been concerned with the passage of time and the per-
C
to survive the art scene, anywhere, and the artists that do and remain true to their
sistence of memory in works that are now recognizable for their prodigious
personal vision, are to be lauded for their tenacity and constant commitment to
use of popular Cuban imagery, Caribbean symbols, and complex stylistic
produce excellent work. No doubt, these success stories have less to do with the
aesthetic. His Cuban identity takes on the characters, stories, music, and vitality of
trends in Miami, and everything to do with the quality of an artist’s work and a
his recollections of the island’s past, while addressing key issues pertinent to his
personal vision.
ten-year residency in Miami, Florida. One of the newest and most vibrant art cities
Carlos Luna has never strayed from his strong work ethic and dedication to
in the United States, Miami is known for its own particular and complex stylistic
producing works that dialogue with his own cultural and traditional values as he
aesthetic that is as influential to artists as they are to its establishment, as the most
brings them to life through a unique approach to the visualization of his world.
recognizable and typical of time and place. Undoubtedly, the work of Carlos Luna
Luna’s images capture his personal journey not only out of Cuba, but through daily
not only reflects his new home and its unique tropical overtones, but it is the perfect
life. Constantly exploring new technical processes, he applies many different meth-
vehicle to describe his cultural memories with a relevant visual appeal. His work
ods for his production as he searches for a solution to express each new idea – ideas
has become part of the unique environment of South Florida in a short period of
that emerge from long-term and short-term memories and activities – and finds the
time. Home to over 2.5 million people, over 50% of them foreign-born, and a
material that best meets his need to resolve any problems while inventing and
Hispanic population of 66%, Miami Dade County is a thriving center for art and
re-inventing a symbolic repertoire as well. Although references to life in Cuba and
artists, especially from Latin America and the Caribbean. The diversity of their
Mexico (where he lived after leaving the island) abound, with each new series, he
work, whether painting outside on the famous Wynwood Walls, or working in alter-
brings the present into play, always enlightened by his perceptions about the con-
native spaces and collectives, and participating in museum and gallery exhibitions,
dition of man and how to create works relevant to humanity. He makes the transi-
becomes especially apparent and attractive for visitors who arrive en masse for the
tion from painting and drawing to sculpture and ceramics with a natural facility that
December art fairs, headlined by Art Basel Miami Beach. The local and interna-
allows a variety of new materials to be introduced: hand-made paper, metal plates,
tional community recognizes something special in the Miami art scene and its art-
and now tapestry. The syncretization of materials, imagery, and symbols continues
ists: colorful and complex styles that range from the most cutting-edge installations
to inform his creative process, now with the additional influences that are part of
to the renowned geometric abstraction associated with Venezuela and Argentina to
life in Miami, further complicating his already complex inventory of graphic ele-
Pop Art that seems to serve the South Beach image of fun and fantasy, and every-
ments. The recognizable accumulation of signs and symbols, figurative motifs,
thing in between. There are artists who follow the trends and others who create
abstract components, objects and hybrid designs combined with his stylistic and
their own. The December art fairs came to Miami because there was something
technical methods of heavy outlines and dense patterning rooted in a strong sense
different about the cultural participants and art’s community, and now the city has
of graphic design result in surfaces that are as tactile physically as they are visually,
come into a life of its own beyond the week-long extravaganza, and the local artists
and translate from material to material, time and place.
are being recognized for their accomplishments and praised for their success as
There is clearly an over-patterned, over-worked aspect to Luna’s work that is
they reach beyond the county boundaries to join the global village. It is never easy
akin to a Baroque aesthetic, re-interpreted in contemporary terms in Miami’s
[ 43 ]
compte de la multiplicité des phénomènes, du flux des choses en perpétuelle évolution, et ceci demeure valable dans une ville comme Miami, qui reconnaît et promeut
un processus esthétique dans lequel les compositions sont dynamiques et ouvertes et
tendent à déborder – ou à faire mine de déborder – de leurs frontières. L’artiste à la
sensibilité néobaroque, si populaire en Amérique latine et dans les Caraïbes, célèbre
l’invention de formes artistiques adaptées au patrimoine culturel de chacun, en syncrétisme avec les nombreuses autres formes qui ont fusionné par le biais de la conquête,
des contacts et de la colonisation. Ce fut une période de dialogue international et
d’échanges artistiques bouillonnants suscités par la perte des caractéristiques nationales des formes d’origine et par leur absorption dans un nouvel environnement – qualifié par les Européens de « tropical », d’« exotique », d’« autre » et, plus souvent et à tort,
de « primitif ». Néanmoins, la variété des tentatives artistiques dès les premières années
de ce discours international et national allait laisser une marque sur la production
artistique dans tout ce qu’on a appelé le Nouveau Monde. De nos jours, Miami est le
« Nouveau Monde » avec son esthétique, son syncrétisme culturel et son attitude distinctive envers la production d’œuvres d’art. Tout comme les premières années donnent
naissance à un environnement d’imagination et de contradictions fertiles qui persiste
jusqu’à aujourd’hui, on ne peut faire abstraction de ses attributs lorsqu’on s’intéresse à
un artiste comme Carlos Luna. Pour illustrer notre propos, voyez l’une de ses plus
grandes et importantes compositions : El Gran Mambo (2006). Cette toile monumentale retrace le parcours de l’artiste à travers Cuba, le Mexique et les États-Unis avec le
personnage pictographique qui devient son alter ego, son guide et son aide spirituel.
Avec ses rythmes déterminés par la musique, qui accompagne toujours le travail de
Luna, El Gran Mambo refuse que soit arrêtée ou freinée sa traversée d’une forêt envahie de feuilles et de plantes grimpantes, entourée par les fantômes du passé et par les
espoirs pour l’avenir. Remplie des éléments de son répertoire symbolique qui se com-
EL GRAN MAMBO, 2006 (DETAIL). OIL ON CANVAS | EL GRAN MAMBO, 2006 (DÉTAIL). HUILE SUR TOILE
binent et s’accumulent dans la densité de l’imagerie, reflétant les multiples couches de
la vie elle-même, l’œuvre n’exprime pas seulement la quête personnelle de l’artiste, elle
dans un sens très fort du graphisme, engendre des surfaces aussi tactiles physique-
est aussi un dictionnaire visuel qui définit chaque mot, chaque lettre et chaque dessin
ment que visuellement, et traduit la matière en matière, en temps et en lieu.
abstrait en fonction des expressions graphiques que Luna utilise dans toutes ses créa-
On distingue clairement dans l’œuvre de Luna un aspect très orné, très travaillé,
tions. Chronique de la vie de l’artiste qui progresse sous sa forme moderniste en deux
comparable à l’esthétique baroque, réinterprétée en termes contemporains dans un
dimensions, El Gran Mambo fournit également une introduction aux éléments essen-
Miami latinisé. Miami est une ville excessive, pétrie de tendances culturelles venues
tiels omniprésents dans son œuvre : le paysan à chapeau, la cafetière, la végétation
des quatre coins des Amériques et des Caraïbes à laquelle la popularité de certaines
florale, la campagne, les rythmes musicaux et autres symboles emblématiques de la
célébrités et le tournage d’émissions de téléréalité (peut-être la faute à un excès de
culture cubaine. Près de dix ans après la création d’El Gran Mambo, Luna continue à
soleil ?) vaut un regain d’intérêt. Si les arts décoratifs de l’Amérique latine et des
utiliser des références en précisant les éléments symboliques de ce récit à travers l’ex-
Caraïbes ont longtemps privilégié le goût baroque de l’accumulation et de la ré-accu-
ploration de nouveaux supports et de nouvelles formes de communication.
mulation, avec un mille-feuille de références et d’appropriations et un mélange ryth-
À chaque découverte, Luna résout des problèmes visuels pertinents, mais il
mique aux connotations musicales, ses traits distinctifs dépassent la dérive décorative
applique en outre sa sagacité technique et stylistique à des approches inventives du
qui touche aussi les beaux-arts. On associe l’artiste baroque à la propension de rendre
matériau. S’éloignant de la peinture et de la relative simplicité des surfaces planes
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ROUND PLATES, 2015. TALAVERA CERAMICS, 17½ IN. DIAMETER | ASSIETTES RONDES, 2015. CÉRAMIQUES DE TALAVERA, D. 44,5 CM
Latinization. Miami is an exaggerated city, replete with the cultural trends from all
day, its attributes cannot be overlooked when considering an artist like Carlos Luna.
over the Americas and the Caribbean given new attention by the popularity of celeb-
To place them within the present discussion, look at one of Luna’s most monumen-
rity status and reality-TV surroundings (perhaps too much sun is to blame). While
tal and significant compositions: El Gran Mambo (The Great Mambo, 2006). The
the decorative arts in Latin America and the Caribbean have long favored a Baroque
impressive canvas tells the story of the artist’s journey through Cuba, Mexico and
sense of accumulation and re-accumulation, layers upon layers of references and
the United States with the pictographic character that becomes his alter-ego, guide,
appropriations, and a rhythmic melding accompanied by musical overtones, its
and spirit helper. Its rhythms determined by the music Luna listens to constantly as
features go beyond the decorative affecting the Fine Arts as well. The association of
he paints, El Gran Mambo refuses to be stopped or restrained as he strides through
the Baroque artist with the inclination to enter into the multiplicity of phenomena,
an overgrown forest of leaves and vines, surrounded by the ghosts of the past and
into the flux of things in their perpetual becoming, is still applicable in a city like
the hope for the future. Replete with his own symbolic repertoire that combines and
Miami which recognizes and supports an aesthetic process in which compositions
accumulates within the denseness of imagery, reflecting the many layers that life
are dynamic and open and tend to expand outside their boundaries, or pretend to
itself contains, the work is more than an expression documenting the artist’s per-
expand. The artist with a Neo-Baroque sensibility, so popular in Latin America and
sonal quest, it is also a visual dictionary with each word, letter and abstract design
the Caribbean, celebrates the invention of artistic forms befitting each one’s own
defined according to the graphic expressions he uses throughout his art. As much
cultural heritage in syncretism with the many others that came together through
as it chronicles the artist’s life as he marches forward in his modernistically flat-
conquest, contact, and colonization. It represented a period of international dia-
tened form, El Gran Mambo serves as an introduction to the key elements that are
logue and the effervescence of artistic exchange that resulted when original forms
a constant presence in Luna’s work: the hatted peasant, the coffee pot, the floral
lost their national characteristics and were absorbed into a new environment—
vegetation, the countryside, musical rhythms, and other iconic symbols of Cuban
described by the Europeans as “tropical,” “exotic,” “the other,” and most often and
culture. Almost a decade after the creation of El Gran Mambo, Luna continues to
wrongly, “primitive.” Nevertheless, the variety of artistic endeavors that occurred
work referentially as he expounds upon the symbolic elements of this narrative
from the early years of such international and national discourse, would leave its
through the exploration of new media and new forms of communication.
mark on artistic production throughout the so-called “New World,” of the Americas.
For every discovery, Luna not only solves pertinent visual problems, he also
Now Miami is the “New World” with its own aesthetic, cultural syncretism, and
applies his technical and stylistic acumen to inventive approaches to the material.
distinctive attitude toward the production of art. Just as the early years give rise to
Moving from painting and the relative simplicity of such plain two-dimensional
an environment of fertile imagination and contradictions that persists to the present
surfaces as hand-made paper, wood and canvas that are key to his success, never
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humaine et d’autres motifs en faveur de préoccupations purement formelles telles
que la ligne, le contour, la couleur, l’équilibre et l’harmonie de la composition – les
mêmes éléments qui définissent ses tableaux. Nul doute que Luna ait apporté une
contribution cruciale à l’art contemporain en magnifiant l’esthétique et le savoir-faire
courant de la céramique, lui attribuant un nouveau rôle, celui d’objet d’art.
Explorant et expérimentant sans cesse lorsqu’il transforme la matière grâce à de
nouveaux processus techniques, Luna a également constaté que ses idées picturales
changent en fonction du matériau et acquièrent une vie et une identité propres. Avec
comme symbole le plus frappant la présence d’avions dans nombre de ses compositions, Luna gère sa créativité avec une stratégie visant à sortir de la zone de confort
habituelle et familière de ses réussites, ce qui lui a permis d’exprimer ses expériences
toujours renouvelées par le biais de nouveaux récits visuels et de nouveaux matériaux. L’avion, image essentielle de son vocabulaire visuel, est chargé d’un symbolisme associé au voyage vers l’exil et aux envols de l’imagination qui intéressent
l’artiste et se révèlent de diverses manières déterminées par les techniques. D’élégants
WHO EATS WHOM, 2015 (DETAIL). JACQUARD TAPESTRY | WHO EATS WHOM, 2015 (DÉTAIL). TAPISSERIE JACQUARD
dessins réalisés à la feuille d’aluminium sur acier et avec une patine soigneusement
maîtrisée reflètent les motifs des céramiques et transforment la surface pour créer de
nouveaux effets de texture. À sa façon typique de déconstruire et de fragmenter les
– papier fait main, bois et toile –, qui sont la clé de son succès mais dont la popula-
images clés de son répertoire, Luna module l’éclat des métaux pour faire ressortir
rité et la reconnaissance ne le satisfont jamais, il étudie méthodiquement le potentiel
chaque élément comme une abstraction indépendante.
de la céramique, avec confiance et respect à l’égard de traditions vieilles de cinq
Une approche opposée à cette abstraction et à la déconstruction de ses motifs
siècles qui se perpétuent dans les ateliers de Talavera, à Puebla, au Mexique. Ornées
se manifeste dans le dernier matériau vers lequel il s’est tourné, la tapisserie. Le
de volutes organiques, les céramiques Talavera sont le résultat d’un processus com-
potentiel de réinvention de ses figures et de ses références nostalgiques apparaît
plexe qui n’autorise que des couleurs spécifiques et des argiles et vernis naturels.
clairement dans sa série de tapisseries. Pour relever ce défi, les dessins de Luna ont
S’appuyant sur une tradition codifiée, elles sont élaborées avec une révérence pour
été modélisés numériquement et introduits dans un métier à tisser mécanique, don-
les matériaux qui subsiste encore aujourd’hui. C’est ce même respect des matériaux
nant naissance à des tissus remarquables ornés des motifs caractéristiques de l’ar-
et des processus spécialisés qui anime les œuvres en céramique de Carlos Luna,
tiste. La série fait référence au rituel d’Ife au Nigeria, importé aux Caraïbes par les
adaptées à son vocabulaire cubain personnel et nourries par les expériences de son
esclaves africains de la région yoruba et jouant un grand rôle dans la symbolique de
enfance à la campagne et par un sentiment de fierté – non seulement à l’égard de sa
la diaspora. Présente dans les communautés de Cuba et du sud de la Floride, cette
propre identité, mais aussi comme une source d’inspiration pour ceux qui cherchent
imagerie syncrétique est un élément aussi complexe que prégnant dans la culture
la leur. L’espace limité que la céramique offre au dessin permet de se concentrer sur
locale de Miami. Dans les détails de la tapisserie et les couches de fibres, les motifs
des éléments symboliques spécifiques, déconstruisant les surfaces complexes de ses
de Luna animent une nouvelle texture de leurs effets jacquard enveloppant des
autres œuvres familières en deux dimensions sur toile et papier, toujours guidées par
images familières pour produire des impressions inédites.
son approche pictographique aux épais contours. Produites par les célèbres ateliers
L’œuvre de Carlos Luna mêle de nombreuses références et différents supports
Talavera Santa Catarina (à Puebla), qui ont magistralement traduit ses dessins en
dans des motifs rythmiques qui saisissent les expériences personnelles d’un parcours
objets de céramique fragiles, les incursions de Luna dans l’art de la poterie pour-
au sein d’une nouvelle culture mondiale, sans jamais perdre de vue les origines de
suivent des idées représentatives de sa volonté de diviser et d’obscurcir la figure
leur création.
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satisfied with their popularity and acceptance, he methodically studies the potential
of ceramics, dependent and respectful of the five-hundred-years-old traditions of
Puebla Mexico’s Talavera workshops. Replete with swirling organic designs and an
elaborate process limited to specific colors and natural clays and glazes, highly
regulated by tradition, Talavera ceramics are produced with a reverence for materials that persists today. This same respect for materials and specialized processes
informs the ceramic works of Carlos Luna, now adapted for his personal Cuban
vocabulary and motivated by the experiences of his own rural upbringing and pride
not only for his own identity, but as an inspiration for others searching for theirs.
The limited space for design in the ceramics provides an opportunity to focus on
specific symbolic elements, deconstructing the complex surfaces of his other familiar two-dimensional works on canvas and paper, still determined by his heavily
outlined pictographic approach. Produced by the famed Talavera Santa Catarina
DALE, DALE, HUYE, 2005. OIL ON CANVAS, 48 X 84 IN. | DALE, DALE, HUYE, 2005. HUILE SUR TOILE, 122 X 214,5 CM
(Puebla, Mexico), which masterfully translated his designs into the fragile and carefully proscribed ceramic objects, Luna’s forays into the art of pottery objects continue ideas representative of his willingness to section and obscure the human
acteristic way of deconstructing and fragmenting the key images in his repertoire,
figure and other patterns for the sake of such purely formal concerns as line, edge,
Luna adapts the sheen of metals to further enhance the individual elements as
color, balance and harmonious composition—the same attributes that define his
independent abstractions.
paintings. There is no doubt that Luna has made a major contribution to the art of
An opposite approach to such abstraction and deconstruction of his designs
today by elevating the aesthetics and common craftsmanship of ceramics to assume
appears in the newest material that he has begun to work in, tapestry. The potential
new roles as Fine Art objects.
to reimagine his figures and nostalgic references is evident in the tapestry series,
Constantly exploring and experimenting as he transforms materials through
which was a challenge for the artist, as he interpreted his drawings digitally to be
new technical processes, Luna has also found that his pictorial ideas change with
fed into a mechanical loom that weaves the fibers into remarkable new fabrics with
each material as they take on a life and identity of their own. Perhaps best sym-
his signature designs. The series references Ife ritual of Nigeria, brought by the
bolized by the incorporation of airplanes into many of his compositions, the strat-
African slaves to the Caribbean with the Yoruba peoples and an important part of
egy to manage creativity by moving outside the ordinary and familiar comfort zone
diaspora symbolism. Present in communities in Cuba and South Florida, the com-
of his accomplishments, has allowed Luna to treat ever-appearing life experiences
plexity of syncretic imagery mirrors the degree to which it has manifested itself as
through new visual narratives and new materials. The airplane is a key image in
a part of local Miami culture. Within the tapestry’s details and layers of fibers, his
his visual vocabulary, laden with symbolism associated with the journey into
designs animate another surface texture with their jacquard effects enveloping
exile, and the flights of imagination that preoccupy the artist and reveal them-
familiar images for new effects.
selves in a diversity of ways determined by the media. Elegant drawings made
The work of Carlos Luna combines numerous references and a diversity of
with a carefully controlled patina and aluminum leaf on steel mirror the designs
media in rhythmic designs that capture the personal experiences of a journey into
on ceramics, and transform surface textures for new textural effects. In his char-
new world culture, while never losing sight of the origins of their creation.
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