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Les noms du cheval en Europe

2016, Ethnozootechnie

Nous présentons une distribution géographique des noms pour le 'cheval' (et quelques mots thématiquement associés comme 'jument', 'poulain') pour l'Europe, et essayons d'en tirer quelques enseignements sur ce que ces noms peuvent nous dire. Nous verrons (a) qu'il faut toujours tenir compte des dialectes, en utilisant les atlas dialectologiques, (b) que les noms du 'cheval' sont très variés en Europe, même au sein de groupes linguistiques par ailleurs cohérents, (c) qu'ils ne nous disent pas tellement ou pas du tout le « passé profond » mais - plus intéressant - ce qui s'est passé.

Les noms du cheval en Europe François Jacquesson CNRS-Lacito. François Jacquesson. 2017. Les Noms du cheval en Europe. In : Bertrand Langlois (dir.) Dossier « Le Cheval, de la do esti atio à l levage », Ethnozootechnie 101 (2016), p. 5-9. (Ce dossier sulte d u e Jou e d tude, te ue au Museu Natio al d Histoi e Natu elle le ove e . Je souhaite e e ie ave a iti Be t a d La glois, a a ade aut efois d u e longue promenade à cheval en Mongolie. Résumé : Nous présentons une distributio g og aphi ue des o s pou le heval et uel ues ots th ati ue e t asso i s o e ju e t , poulai pou l Europe, et essayo s d e ti e uel ues e seig e e ts su e ue es o s peuve t ous di e. Nous ve o s a u il faut toujou s te i co pte des diale tes, e utilisa t les atlas diale tologi ues, ue les o s du heval so t t s va i s e Eu ope, e au sei de g oupes li guisti ues pa ailleu s oh e ts, u ils e ous dise t pas tellement ou pas du tout le « passé profond » mais - plus intéressant - e ui s est pass . 1. Méthode et contexte Nous allons examiner les noms du « cheval » da s les la gues de l Eu ope, o pas da s l id e de e he he l t ologie ulti e du ot ous ve o s ue est u e fausse piste , ais da s l id e plus se ei e d e ta li u e so te de g og aphie. Les o s u o do e pou « cheval » dans les dictionnaires de langues ne reflètent le plus souvent ue les o es li guisti ues de ha ue pa s. C est u e pauv e app o i atio de la alit , su tout pour un mot comme « cheval », car nous allons voir dans un premier temps (partie 2.) que le mot est t s va ia le, soit da s la p o o iatio d u ot les alisatio s pho ti ues , soit dans la variété des mots employés (la diversité lexicale). En fait, en Europe, ce sont les atlas dialectologiques qui donnent une meilleure idée de la vie du vocabulaire. Si nous les ouvrons, nous trouvons des centaines de va ia tes, au deu iveau u o vie t de di e. En outre, le « cheval » est une réalité complexe : les o s diff e t selo l e ploi u o e fait ou le statut u on lui donne (« coursier, pur-sang, canasson, rosse, bourrique »), pa fois selo l âge (« poulain »), et assurément selon le sexe ou la fonction reproductrice (« jument, pouliche »). Nous donnerons une faible idée de cette question en partie 3. Selo les gio s d Eu ope ou d Asie, l e ploi du heval va ie eau oup, et do les statuts et e plois, do le feuillet du vo a ulai e, ui est nullement réduit à un mot « cheval ». Enfin, notre mot français de « cheval » est parfois un point de départ biaisé. En mongol (aduu) ou en arabe (xayl) par exemple, langues qui décrivent des usages sociaux où le cheval a ou a eu une place importante, il existe un terme qui désigne non pas le cheval individuel, mais le troupeau de cheval - un terme collectif, donc, qui désigne une réalité importante, tant dans la vie naturelle des chevaux que da s l app o he « domesticante » u e o t les ho es. Cela ous appelle aussi ue plusieu s phénomènes interfère t da s les o s u o do e à de es a i au l e ploi e tai e e t, ais aussi le p estige do t ils so t le sig e. ui o t eu u si g a d ôle : 2. Les parlers français Pour les écoliers du XXIe siècle (qui en général ignorent tout du cheval), cet animal est surtout l e e ple-t pe d u e gle iza e : on dit cheval mais au pluriel chevaux - et l o thog aphe e est pas oi s iza e. O , l alte a e du si gulie e -al et du pluriel en -aux, tait pas du tout la gle partout en France : tait l usage da s u e pa tie de l Île-de-F a e, et est pou uoi la o e actuelle est ainsi. Mais le changement phonétique du /l/ final en /o/, qui en Île-de-F a e e s est p oduit u e s lla e fe e deva t le -s du pluriel, aux temps où ce dernier se prononçait , s est p oduit ailleu s eau oup plus la ge e t, et il a ivait souve t u o e te de /o/ auta t au si gulie u au plu iel, les uels e o t astaie t do pas. C est e u o o state e ega da t1 la carte n°269 (6e fas i ule, de l Atlas Linguistique de la France. Les enquêtes pour constituer ces cartes vraiment mémorables ont été réalisées à la toute fin du XIXe si le, su tout pa E. Ed o d, et l e se le a t pu li ava t sous la di e tio de J. Gilliéron, un des héros de la dialectologie. Plusieurs centaines de communes françaises ont été visitées, dans des conditions souvent difficiles, et on a demandé à des locuteurs des parlers locaux de prononcer toute u e s ie de ots ou d e p essio s, ui o t t s upuleuse e t ot es. U des faits les plus su p e a ts de la a te ui pe to ie les sultats de l e u te pou « cheval » est, juste e t, u o ne prononce pas souvent cheval ! Fig. 1. La partie finale du mot cheval dans les parlers français avant 1914 Source : carte 269 de l Atlas Li guisti ue de la F a e . La Figu e o t e, su le fo d de a te de F a e du o d où l o e o aît ie à d oite l AlsaceLo ai e, e haut à gau he le Cote ti , e as à gau he l île de Noirmoutier), la variété des prononciations locales du mot cheval, mais seulement la partie finale du mot. On voit que la 1 On trouve ces cartes en ligne : http://diglib.uibk.ac.at/ulbtirol/content/pageview/149276 ou bien http://cartodialect.imag.fr/cartoDialect/accueil . prononciation avec -al est fréquente en Île-de-F a e, ais a se te d s u o s e domaine restreint de -al, est -o qui domine, ou bien -a dans le nord-ouest. loig e. Ho s du 3. Le domaine de caballus et les langues romanes Il reste que toutes ces formes du mot cheval reposent sur des évolutions locales de la diffusion du mot latin caballus. Comme on sait, le mot latin ancien était equus, dont nous avons tiré des mots « savants » comme équestre, équidé et . Le e pla e e t da s l usage o ai du ot a ie equus par le mot plus récent caballus date du Ier siècle AEC2 : auparavant, caballus existait mais avec un sens de « cheval de travail (de labour, de trait etc.) », par opposition à equus qui était en quelque sorte le mot noble. La promotion en latin courant du mot caballus aux dépends du mot equus traduit une émergence du lexique paysan su le deva t de l usage. Cette e ge e a eu lieu assez tôt pour que toutes les langues o a es s e fasse t l ho, ais ous ve o s ue ela e lut pas les su p ises3. Fig. 2. Le nom du cheval dans des langues romanes. La Figure 2 donne quelques noms pour « cheval » dans plusieurs langues romanes. Pour les langues o e le po tugais, le astilla , le atala , le p ove çal, le f a çais, l italie , le ou ai , il s agit des fo es de la o e li guisti ue elles u o t ouve da s les di tio ai es , ave les se ves u o a faites da s l i t odu tio . E Co se, e Sa daig e, e Si ile, dans les parlers romanches de Suisse orientale (chaval, čhaval)4 et da s le pa le ou ai d Ist ie cå)5, les g aphies s effo e t d t e plus proches de la réalité dialectale. Il faut donc être prudent quand on dit que le castillan (caballo) ou AEC : Ava t l È e Ch tie e ou : Commune). Pour une étude plus complète, voir le Dictionnaire Étymologique Roman DE‘o http://www.atilf.fr/DERom/entree/ka'Ball-u . 4 Le sig e č est pou le so « tch ». 5 Le sig e å est pou u /a/ a o di, p o he de /o/. 2 3 , su le site de l ATILF : l italie cavallo) sont plus proches du latin caballu(s) ou plus conservateurs, car là encore, les parlers régionaux sont très divers. Comme nous allons voir bientôt, le mot latin caballu a aussi t e p u t pa les lo uteu s d aut es la gues. Cette la ge diffusio t aduit l e p ise ultu elle et o o i ue d u e so te de « civilisation du cheval ». Fig. 3. Les noms de la jument dans des langues romanes On dit très peu jument da s les la gues o a es, ho s du f a çais et de l italie . Le mot est latin, jumentum, et d sig ait à l o igi e la re syllabe procède du mot jugu joug u attelage , puis ie tôt la te d attelage et su tout le heval ; le sens moderne de fe elle du heval , ui se et e pla e au d ut du Mo e âge, vie t du fait u o utilisait des ju e ts pou l attelage. La Figure 3 montre que les parlers des Grisons suisses et le provençal ont une forme féminine de caballu, est-à-dire caballa. Mais elle montre surtout que le mot latin equus, qui avait complètement disparu au masculin au profit de caballu, est est au f i i . E effet, les fo es e tou es d u t ait pais so t des résultats de changements normaux du latin equa - et l o e a ue ue euga coexiste dans les parlers provençaux avec cavala (dont le français a tiré cavale). L uivale t ive existait en ancien français, mais a disparu au profit de jument. Ce ge e de a te d o t e ue l t ologie « les origines » e dit u u e fai le partie de la réalité de l usage, a les diff e es de fo es telles u elles appa aisse t su u e a te o t e t ue la o se vatio d u ot a ie est u e i itiative, autant que sa substitution par un autre mot. 4. Les domaines celtique et germanique Cette vérité se retrouve dans ce que nous allons montrer maintenant. A voir les choses de loin, les « langues celtiques » ou bien les « langues germaniques » fo e t des so tes d e tit s solides o e des trésors de formes particulières et typiques. Mais qua d o s app o he, les hoses so t eau oup plus souples et bien plus intéressantes. Regardons la Figure 4. Fig. 4. Le mot « cheval » dans les langues romanes, celtiques, germaniques. Nous avons conservé sur la Figure 4 les formes des langues romanes, en ajoutant sur fond clair les formes des langues celtiques, et sur fond sombre celles des langues germaniques. Pour le celtique, on a représenté les formes ordinaires pour le breton (marc’h) et le cornouan (margh), et plus au nord celle du gallois (ceffyl) et de l i la dais capall). On constate que ces deux dernières, qui sont cernées d u t ait pais, so t e fait e p u t es au lati caballu, localement transformé. Ce sont les gens de Bretagne et de Cornouailles qui ont conservé le vieux mot celtique, dont la tradition (sous forme de nom propre) est connue par ailleurs par le personnage du roi Marc dans le conte de Tristan et Iseut. Plus u ieuses e o e so t les la gues ge a i ues. Nous t ouvo s t ois ots diff e ts, e s ils se recoupent dans la réalité des parlers. Les formes comme hest-ur en islandais et les autres hest ou häst vie e t d u te e ui avait le se s de « étalon ». Les mots horse (dans la norme anglaise actuelle) ou rouss (en Autriche) ou notre rosse f a çaise vie e t d u te e qui est lié au sens de « courir » ; mais comme on voit ce sens particulier se perd (comme auparavant le sens de « étalon ») quand l emploi du mot se généralise. Enfin, le plus curieux est en domaine allemand le mot paard (néerlandais), peerd (bas-allemand) ou en haut-allemand pferd. Les do u e ts plus a ie s o t e t u il s agit de la o t a tio d u ot latin médiéval paraveredu(s). Co e o peut l atte d e d u ot aussi lo g, il s agit d u ot o pos e para + veredu, ui a t fo à l i itatio du mot grec médiéval para + hippos qui désignait un cheval de poste. Comme souvent dans les e pi es, l effi a it de l e pi e za ti eposait su la plus g a de apidit des o u i atio s offi ielles, d pe da tes d u s st e de elais de hevau f ais. L id e de e plus , dispo i le epose su e p fi e g e para qui a été emprunté tel quel dans le mot paraveredu. Mais le grec hippos a été laissé de côté en domaine latin, et remplacé par veredu, qui semble reposer sur un mot gaulois ou du moins celtique, dont la racine -red- serait homologue de la racine germanique bien connue ride ou reiten (respectivement en anglais et allemand) « chevaucher ». Ainsi, le modèle du mot a été emprunté au monde byzantin, y compris le préfixe, mais adapté pour le monde lati au o e d u e fo atio d o igi e elti ue, et e suite s v e e t o t a t s lla es à u e seule pou do e aujou d hui u ot pa faite e t ou a t. de ou 5. Langues slaves, baltiques, puis grec et albanais. Fig. 5. Carte de « cheval » dans plusieurs langues indo-eu op e es d Eu ope La Figure 5 complète les cartes précédentes en y ajoutant à droite, sur fond blanc les langues slaves, sur fond clair en haut les langues baltiques (arklys en lituanien, zirgs en letton), sur fond clair en bas le grec (alogho et l al a ais kalë). Toutes les langues représentées sur cette carte sont des langues dites indo-eu op e es, et l o o p e d ais e t ave et e e ple ue la o u aut d o igi e des langues est une image assez imprécise de la vie réelle ! Les formes pour « cheval » sont en effet très dive ses, o e o l a d jà o p is, et es fo es suppl e tai es e fo t ue o fi e ot e impression. Dans les langues slaves, sous diverses orthographes un terme très général est kony, u o pou ait aussi transcrire koñ en utilisant la lettre espagnole. C est e o e u ot diff e t de eu ue ous y avo s vus jus u i i. Cepe da t e usse, où kon est attesté aussi, le terme ordinaire pour cheval est6 lošady, qui fut emprunté autrefois sans doute à une langue de type turk. Outre la singularité des langues baltiques, qui fournissent à propos du « cheval » des faits intéressants (mais hors de notre propos ici !) y compris en vieux-prussien7, notons ue l al a ais kalë est lui aussi le sultat a tuel d u a ie e p u t au lati caballu (comparer avec roumain cal). Quant au grec alogos, u o peut t a s i e aloghos pour rendre la prononciation du gamma, il a totalement remplacé hippos da s la la gue ou a te. O , u est-ce que cet alogos ? C est a-logos : le préfixe Le sig e š se lit o e le ch français ou le sh anglais. ‘appelo s u ava t la olonisation allemande, on parlait en Prusse une langue baltique dite vieux-prussien. La conquête les chevaliers teutonique, et surtout encore le peuplement de la région par des Allemands, firent que ette la gue est plus pa l e depuis le XVIIIe si le ; il existe des documents anciens. 6 7 privatif bien connu placé devant logos aiso , pe s e . Ce te e, aut efois a o pag a t zôa a i au pou fo e aloga zôa les a i au d pou vus de aiso fo ulatio attest e d jà e g e antique), a volé ensuite de ses propres ailes pour signifier en somme « bête », au double sens que le mot possède en français, et ensuite spécifiquement « cheval » - pauvres bêtes ! Ainsi, de même que equus e lati a dispa u au as uli au p ofit d u te e ue pe so e au ait pu prévoir (caballus), de même le terme grec antique hippos connu de nos jours dans le monde entier, s est-il effacé devant ce surprenant aloga. Pour les parlers indo-eu op e s d Eu ope, il o vie t de e pas ou lie les diale tes o a is, ceux des ‘o s o igi ai es d I de et a iv s e Eu ope d s le XIVe si le. Comme on sait, ces groupes migrants ont emprunté de nombreux mots aux langues des populations auprès de qui ils résidaient ; est le as pour « cheval », car leur mot grast (plutôt graj da s le NO de l Eu ope est u e p u t à l a ie : ava t u ils a ive t e Eu ope ! 6. Les langues non indo-européennes d’Europe Pou fi i , ou lio s pas ue so t pa l es e Eu ope des la gues e o e diff e tes, u o e atta he pas aux groupes historiques dits indo-eu op e s. Elles e so t vide e t pas oi s i t essa tes. Il faut citer les langues finno-ougriennes et le basque. Les langues finno-ougriennes sont parlées en Europe (hongrois, finnois et estonien, same8) et au-delà ve s l est e ‘ussie et e Si ie, souve t à proximité des langues turkes, mongoles et toungouses. A vrai dire, le cheval est moins fréquent dans les gio s o di ues ue e l tait le e e, ais il e iste ie sû des ots pou le heval e ho g ois (ló), en finnois (hevonen) et estonien (hobune) ; pas en same. En basque, le mot commun est zaldi. Il y a dans Pli e l A ie , ,§ un passage bien connu des sp ialistes du heval, où l auteu dit que les gens des Asturies avaient un mot particulier pour cheval : « en Espagne il y a aussi les races (de chevaux) Gallaica et Asturica. Il s agit de a es de hevau ue nous appelons thieldones, et une variété plus petite asturcones ». Pline continue en parlant des allures particulières que prennent ces chevaux. Ce mot thieldon est peut-être9 une source du mot zaldi. 7. Conclusion Les o s de heval e Eu ope, e si l o est ei t a usive e t l e u te au ots les plus otoi es et les plus si ples voi l I t odu tio , so t d u e g a de va i t . Cette va i t t aduit10 l i po ta e de l a i al et so i s iptio da s les alit s lo ales du t avail hu ai , les emprunts de mots, les créations locales. Elle o t e ue l i t t de l histoire des mots tient moins à la « quête des origines » u à l tude de la va i t des sultats, ta t il est v ai ue l o igi e est u u o e pa i d aut es d avoi u se s. Version corrigée, novembre 2017 Same est le o ue se do e t les populatio s u o appelait aut efois les Lapo s. Michelena, Luis. 1961. Fonética Histórica Vasca (FHV), 356n. Voir le Dictionnaire de Michel Morvan : http://projetbabel.org/basque/dictionnaire.php 10 Co e l a soulig F a çois Popli à la suite de l e pos , lo s de la Jou e d Etude du ove e 8 9 .