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JEAN-MICHEL ROESSLI
Université de Fribourg (Suisse)
Vies et métamorphoses de la Sibylle
Notes critiques*
Les études sur la Sibylle se sont multipliées au cours de ces dernières
années, preuve, s’il en faut, de la vivacité de l’intérêt pour la divination et
la poésie oraculaire. En raison de la permanence et de l’universalité de
son message, la Sibylle, véritable réceptacle du divin, s’est prêtée à toutes
sortes d’utilisations, exploitations et manipulations dans les domaines
religieux et artistiques. Elle a inspiré poètes, peintres et compositeurs et
alimenté les espérances de plusieurs groupes religieux. Les présentes notes
critiques entendent profiter de parutions récentes pour rendre compte des
réflexions actuelles sur la prophétesse antique et sa survie à travers les
âges.
Lives and Metamorphoses of the Sibyl
Studies on the Sibyl have multiplied these last years, proof, if needed, of
the liveliness of the question of divination and oracular poetry. Due to the
long-lasting and broad influence of her message, the Sibyl, truthful recipient
of divine communication, lent herself to many uses and appropriations in the
areas of religion and the arts. She inspired poets, painters and composers
and nourished the hopes of various religious groups. The present review
article benefits from recent publications to report on current views about
the ancient prophetess and her survival through the ages.
* À propos de : Monique Bouquet et Françoise Morzadec (éds.), La Sibylle.
Parole et représentation, Rennes, Presses Universitaires de Rennes (PUR),
2004, 301 p., 19 figs. (Collection « Interférences »), 23 €. – Jackie Pigeaud, Les
Sibylles. Actes des VIIIe Entretiens de La Garenne Lemot, 18 au 20 octobre
2001, Nantes 2005, 231 p., 5 pls. en couleur, 30 €.
Revue de l’histoire des religions, 224 - 2/2007, p. 253 à 271
254
JEAN-MICHEL ROESSLI
Figure féminine de la divination et de la poésie, la Sibylle, au
nom si mystérieux qu’il n’a pas encore livré tous ses secrets 1, trouve
son origine à l’époque archaïque, quelque part entre Orient et Asie
Mineure. Depuis lors, elle n’a cessé de hanter l’imaginaire des
Grecs, des Romains et de leurs héritiers en Occident, et cela depuis
le haut Moyen Âge jusqu’à nos jours, en passant par la Renaissance
et l’époque moderne.
Tour à tour une et multiple, païenne, juive et chrétienne, la
Sibylle se fait porte-parole des polythéismes aussi bien que des
monothéismes. Par les oracles qu’elle profère ou ceux qu’on lui
prête, elle se fait encore l’écho des revendications identitaires de
divers groupes humains, que ce soit les ambitions politiques d’une
cité hellénistique ou l’affirmation de foi de quelque théologien juif
1. Les Anciens eux-mêmes, à l’instar de Varron (ap. Lactance, Institutions
divines, I, 6, 7), Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, IV, 66, 6) ou
Servius (Commentaire à l’Énéide III, 445), ont tenté de lever le voile sur
l’origine et la signification de ce nom. Leurs hypothèses, pour suggestives et
séduisantes qu’elles sont, n’en demeurent pas moins indémontrables sur le
plan philologique. Elles nourrissent l’imaginaire et font rêver les poètes, mais
ne satisfont pas les linguistes. Les modernes, eux aussi, ont tenté de percer le
mystère de ce nom, sans parvenir à des résultats plus probants (cf. Pierre
Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des
mots, Paris, 1968, s. v. Tßx ≥≥a). Ils ont voulu y voir un mot d’origine tantôt
grecque, tantôt sémitique et hésitent à y reconnaître au départ un nom propre
appliqué par extension à une classe d’individus ou un nom commun qui se
serait ensuite cristallisé sur un personnage particulier. Le fait que les sources
les plus anciennes ne semblent connaître qu’une Sibylle incite toutefois à
privilégier la première hypothèse. Sur tout cela, voir Herbert Chayyim Youtie,
« Sambathis », Harvard Theological Review, 37 (1944), p. 209-218. Plus
récemment, Valentin Nikiprowetzky, La Troisième Sibylle, Paris-La Haye,
1970, p. 11-16 ; Jean-Marc Rosenstiehl, Jean-Georges Heintz, « De ·ibtu, la
reine de Mari, à Sambéthé, la Sibylle chaldéenne ? », Revue d’histoire et de
philosophie religieuses, 52 (1972), p. 13-15. Pour d’autres hypothèses, voir
encore Robert B. Coote, “Sibyl: ‘Oracle’”, Journal of Northwest Semitic
Languages, 5 (1977), p. 3-8 ; Jacob Hoftijzer, Karel Jongeling, Dictionary
of the Northwest Semitic Inscriptions (Handbuch der Orientalistik. Erste
Abteilung. Der Nahe und Mittlere Osten, 21), Leyde-New York, 1995, vol. 2,
p. 774-775.
VIES ET MÉTAMORPHOSES DE LA SIBYLLE
255
ou chrétien. C’est sans doute pour répondre à tous ces besoins que la
Sibylle s’est multipliée, de façon tantôt anarchique tantôt organisée,
pour voir son nombre “canoniquement” fixé à “dix” dans le catalogue de Varron (antiquit. rer. div. frg. 56a Cardauns), puis à “douze”
à la fin du Moyen Âge 2. Ce sont les métamorphoses successives
de cette prophétesse aux multiples visages, qui, de figure inspirée,
est devenue inspiratrice pour les poètes, les artistes-peintres, les
compositeurs et les érudits, que se propose d’aborder l’ouvrage
publié par Monique Bouquet et Françoise Morzadec aux Presses
Universitaires de Rennes. Ce livre réunit, en un ensemble varié
mais cohérent, les vingt-et-une contributions, généralement brèves
et synthétiques, d’un colloque organisé en octobre 2001 par le Centre
d’Études des Littératures Antiques et Modernes de l’Université de
Rennes 2-Haute-Bretagne.
Après un avant-propos rétrospectif sur les études rassemblées
(p. 11-16), une première série de travaux est consacrée aux interprétations romaines de la Sibylle, telles qu’elles ressortent des œuvres
de Virgile, Tibulle, Ovide, Silius Italicus et Servius, en passant par
les libri Sibyllini et autres recueils d’oracles, dont la consultation
était placée sous le strict contrôle de prêtres en charge du sacré (uiri
sacris faciundis). Ces contributions sont opportunément précédées
d’un article de Caroline Février sur Le double langage de la Sibylle :
de l’oracle grec au rituel romain (p. 17-27), tant il est frappant de
constater que la Sibylle a pu servir à la fois la divination inspirée des
Grecs et la mantique inductive des Romains, s’exprimant pour cela
aussi bien dans un langage débridé que dans un discours construit
2. Voir notamment mon « Catalogues de sibylles, recueil(s) de Libri
Sibyllini et corpus des Oracula Sibyllina. Remarques sur la formation et la
constitution de quelques collections oraculaires dans les mondes gréco-romain,
juif et chrétien », dans Enrico Norelli (éd.), Recueils normatifs et canons dans
l’Antiquité. Perspectives nouvelles sur la formation des canons juif et chrétien
dans leur contexte culturel. Actes du colloque organisé dans le cadre du
programme plurifacultaire La Bible à la croisée des savoirs de l’Université de
Genève, 11-12 avril 2002 (Publications de l’Institut romand des sciences
bibliques 3), Lausanne, 2004, p. 47-68 (avec une bibliographie abondante sur
le sujet).
256
JEAN-MICHEL ROESSLI
et rétrospectivement adapté aux besoins de la politique religieuse de
la République et de l’Empire. Mais l’auteur montre que ce double
langage de la Sibylle se retrouve dans les libri Sibyllini eux-mêmes,
dont le genre se situe à mi-chemin entre oracula et remedia, oscillant
de l’un à l’autre en fonction des nécessités. On pourrait ajouter – mais
c’est une évidence – que le langage de la Sibylle ne peut être que
double, dans la mesure où celui-ci est souvent ambigu, équivoque,
obscur, sibyllin pour tout dire. C. Février s’interroge enfin sur le
moment où l’on a commencé à faire un usage politique de ces libri,
sous les Tarquins à l’époque archaïque ou plus tardivement sous
l’empereur Auguste. L’étude de Charles Guittard (Reflets étrusques
sur la Sibylle, “Libri Sibyllini” et “Libri Vegoici”, p. 29-42) revient
ensuite sur la question longtemps débattue des racines étrusques de
la prophétesse, en examinant le lien, suggéré par le commentaire de
Servius ad Aen. VI, 72, entre la nymphe Vécu, Végoia ou Bégoé et
la prophétie sibylline. Une belle traduction de l’oracle de Végoia
est donnée en appendice de cet article, où un rapprochement est
encore proposé avec l’oracle d’Hystaspe, à propos duquel je crois
utile d’indiquer la contribution de Piero Franco Beatrice, « Le livre
d’Hystaspe aux mains des chrétiens », dans Corinne Bonnet et
André Motte (éds.), Les syncrétismes religieux dans le monde
méditerranéen antique. Actes du colloque international en l’honneur
de Franz Cumont à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa
mort, Bruxelles-Rome, 1999, p. 357-382, en complément de celle,
fondamentale, de Bidez et Cumont, mentionnée par l’auteur.
Ensuite, ce sont les relectures ou appropriations plus spécifiquement littéraires de la Sibylle qui sont explorées. Jacqueline Champeaux
se demande par exemple, dans son étude sur les Figures romaines de
la Sibylle (p. 43-52), si le nom de la prophétesse n’est pas devenu
une appellation générique pour désigner une figure étrange ou une
vierge fanatique. Selon l’auteur, c’est à Virgile que l’on doit d’avoir
« fondu en un seul personnage, à la forte identité, les figures multiples,
donc fragmentaires, que lui avait léguées la tradition » (p. 47). Christophe Cusset s’intéresse à l’Alexandra de Lycophron (p. 53-60), dans
laquelle il décèle une assimilation de Cassandre à la Sibylle, toutes
deux vierges et toutes deux associées à une demeure souterraine
VIES ET MÉTAMORPHOSES DE LA SIBYLLE
257
décrite comme odieuse 3. Dans son article intitulé La Sibylle et
Médée : Virgile et la tradition argonautique (p. 61-68), Damien
P. Nelis, s’inspirant du commentaire d’Eduard Norden et d’une
réflexion de Hugh Lloyd-Jones, rapproche la Sibylle virgilienne et
Médée, chacune d’elles étant prêtresse d’Hécate et rattachée de ce
fait à des traditions catabatiques remontant jusqu’à l’Iliade (où Circé
joue le rôle tenu ailleurs par Médée) et dont on trouve des traces
dans les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes. Albert Foulon traite
ensuite des Sibylles élégiaques (p. 69-74), autrement dit des allusions
littéraires à la Sibylle dans les œuvres d’Ovide, Properce, et surtout
de Tibulle, dont il souligne l’originalité « dans l’importance accordée
à la fois au personnage de la Sibylle et au contenu de son message,
dépassant le seul destin d’Énée pour anticiper la domination de
Rome sur tout l’univers » (p. 72). Alain Deremetz se penche de son
côté sur La Sibylle dans la tradition épique à Rome : Virgile, Ovide
et Silius Italicus (p. 75-83). L’auteur relève que la figure prophétique
tutélaire de l’Énéide devient une « simple voix sans corps » dans les
Métamorphoses et une friponne délurée dans les Punica. S’appuyant
sur les théories du discours littéraire, il conclut que dans ces trois
poèmes la Sibylle joue « un double rôle, celui de prophétesse des
destins du héros au niveau de l’action racontée et celui d’un modèle
poétique qui illustre le rapport de l’auteur à son œuvre » (p. 82).
Françoise Morzadec, l’une des deux éditrices du volume, consacre
ensuite une étude pleine de finesse à Stace et la Sibylle : rivalité
littéraire autour de la louange de Domitien, la Silve IV, 3 (p. 85-98).
L’auteur s’efforce de comprendre et de définir les raisons qui ont
poussé le poète à insérer un panégyrique à l’empereur dans le
discours descriptif et visionnaire de la Sibylle. Pour Stace, à la
différence de Virgile dont il s’inspire et se démarque tout à la fois,
3. De ce texte capital et fort énigmatique, nous disposons désormais de
deux nouvelles traductions françaises assorties de notes et commentaires,
l’une due à Gérard Lambin, éditée dans la même collection « Interférences »
des Presses universitaires de Rennes en 2005, l’autre de Pascale Hummel, parue
dans la Bibliothèque volante des éditions Comp’Act à Chambéry en 2006. Le
même Christophe Cusset a organisé, en partenariat avec Evelyne Prioux, un
colloque sur Lycophron qui s’est tenu à Lyon et Saint-Étienne du 18 au
20 janvier 2007. Inutile de dire que les Actes seront attendus avec impatience.
258
JEAN-MICHEL ROESSLI
la Sibylle est une figure littéraire plus qu’une prophétesse, et le but
du poète est d’unir des éléments réalistes et imaginaires dans
l’espace privilégié de la louange (p. 93). Monique Bouquet, coéditrice du volume, s’interroge pour sa part sur La Sibylle servienne,
guide de l’exégèse moderne ? (p. 109-118). Selon l’auteur, le célèbre
commentaire de Servius “dépoétise” – en même temps qu’il
“dépersonnalise”, pourrait-on ajouter – la Sibylle, qui devient un
nom “commun” et peut du même coup désigner « toute jeune fille
dont le cœur reçoit la divinité » (« omnis puella cujus pectus numen
recipit », In Aen. III, 445, p. 110). Pour M. Bouquet, « Servius
serait à Virgile ce que la Sibylle est à Apollon » (p. 117). Autrement
dit, le scholiaste de Virgile fonctionnerait à l’égard de l’œuvre qu’il
commente un peu comme la Sibylle face au message du dieu
Apollon dont elle se fait l’interprète. D’autre part, dans son
commentaire, Servius semble suivre la distinction cicéronienne entre
mantique « naturelle » et mantique « artificielle » (De divinatione,
I, 18) et il décrit au moins trois phases dans l’histoire de la divination (Aen. VI, 46). D’Érythrées, la Sibylle se rend à Cumes dans le
but d’obtenir d’Apollon une longue vie, qu’elle reçoit, mais sans
corps, de sorte qu’elle finit par n’être plus qu’une voix (cf. Ovide,
Métamorphoses, 14, 152-153). C’est en lien avec cette étude, mais
pas seulement, qu’on lira l’article hautement instructif de Giuseppe
Ramires sur Les additions italiennes dans l’épisode de la Sibylle de
Cumes : Servius Ad Aen. VI, 37-135 (p. 119-129). L’auteur attire
l’attention sur les supplementa Italica figurant dans certains manuscrits humanistes de Servius (le Parisinus Latinus 7965, écrit à
Ferrare en 1469, par exemple), qui contiennent des interpolations
parfois antérieures à eux, interpolations dues, selon V. Zabughin,
« à la main de maître d’un helléniste éprouvé », mais non identifié
(p. 120). Ramires fait une analyse herméneutique de ces interpolations, notamment celles de Pétrarque dans le codex Ambrosianus.
Il examine ensuite quelques-unes des gloses relatives à la Sibylle
dont on ne connaît aucun parallèle ailleurs et conclut qu’une étude
globale de la question rendrait indispensable leur insertion dans le
cadre d’une nouvelle édition critique du commentaire de Servius,
édition qu’il juge du reste indispensable. Cet article, signé d’un
VIES ET MÉTAMORPHOSES DE LA SIBYLLE
259
auteur italophone, aurait encore gagné en lisibilité, s’il avait bénéficié d’ultimes retouches de la part des éditrices. Un peu plus tôt
dans l’ouvrage, Sabina Crippa a livré d’intéressantes réflexions sur
les Figures du «§x ≥≥aßµ|§µ (p. 99-108), verbe « dont se moque
Aristophane et que Diodore de Sicile définit comme l’expression
linguistique » désignant « le fait d’être inspiré » des dieux (p. 100).
L’auteur attire en outre l’attention, comme elle avait déjà fait
ailleurs, sur la distinction entre la Sibylle et les sibylles, de même
qu’entre oralité et écriture du langage sibyllin, autrement dit entre
vaticinations orales et prophéties mises par écrit. Dans cette contribution aussi, quelques italianismes, qu’il n’aurait pas été difficile
de supprimer, subsistent dans le nom de quelques auteurs anciens
(Erma, pour Hermas ; Ps.-Giustino, pour le Pseudo-Justin, etc.).
Ileana Chirassi Colombo, co-organisatrice et co-éditrice d’un
autre colloque sur les sibylles 4, s’arrête ensuite sur La bru de Noé
(p. 131-149), titre inspiré d’un vers du troisième livre des Oracles
sibyllins (v. 827 : « J’étais nymphe et de même sang que lui [Noé] »,
souvent traduit « J’étais sa bru et sa parente [de Noé] »), qui lie la
Sibylle, figure préhistorique d’avant la chute de la Tour de Babel, à
la famille de Noé. Cette Sibylle, juive sur les plans étymologique,
lexicographique et métaphorique, est à proprement parler « la
parole de Dieu ». Alternativement fille d’Ève ou de Circé, elle en
vient à personnifier le Sabbat à l’époque hellénistique (p. 140).
Sous le titre Quand Apollon s’est tu, les Sibylles parlent encore
(p. 151-163), Nicole Belayche s’interroge sur le rôle tenu par les
sibylles et leurs oracles dans les milieux païens et chrétiens des
IIIe et IVe siècles. Elle relève notamment que la transformation de la
Sibylle, véritable “voyante” païenne, en une prophétesse quasichrétienne, se reflète dans le passage d’oracles proférés en état de
transe à des prophéties de plus en plus sophistiquées et construites.
L’auteur place son excellente étude sous le patronage du Discours
de Constantin à l’assemblée des saints, dont elle ne remet pas en
cause l’authenticité, pas plus qu’elle n’exprime de doute sur sa date
4. Ileana Chirassi Colombo, Tullio Seppilli (éds.), Sibille e linguaggi
oracolari. Mito, storia, tradizione, Atti del Convegno Macerata-Norcia,
Settembre 1994, Pise-Rome, 1998 (impr. 1999).
260
JEAN-MICHEL ROESSLI
de composition, le lieu où il a été prononcé et la circonstance pour
laquelle il a été rédigé : à Antioche, le vendredi saint de l’année
325. N. Belayche n’ignore pourtant pas que la paternité de ce
Discours – à laquelle je souscris également – ne fait pas l’unanimité, aujourd’hui encore (cf. Cataudella, 2001), parmi les
spécialistes, mais il faut ajouter que la date de sa composition,
comme le lieu et la circonstance dans lesquels il a été délivré font
également l’objet de débats entre historiens, qui hésitent entre les
vendredis saints de 313 et 325 et d’autres circonstances situées
entre ces deux dates 5. Quant au lieu où le Discours aurait été
prononcé – s’il l’a jamais été, tout au moins sous la forme où nous
le connaissons –, Antioche n’est pas la seule candidate en lice. On a
également pensé à Nicomédie (Bleckmann, Barnes) et à Rome
(Edwards). Or, ce point n’est pas sans importance dans l’argumentation de l’auteur, puisqu’elle associe étroitement le lieu du
discours de l’empereur à la tradition assimilant la Sibylle ionienne
à Daphné et au sanctuaire d’Apollon situé dans ce même lieu
proche d’Antioche. Il aurait peut-être été utile de discuter ces diverses hypothèses et d’expliciter les raisons de la préférence pour
Antioche. La démonstration aurait à mon avis gagné encore en
force de persuasion. Petit détail enfin : le poème Sur le quatrième
consulat d’Honorius, attribué par “télescopage” à Rutilius Namatianus probablement en raison de la mention du De reditu suo de
5. Cf. Bruno Bleckmann, « Ein Kaiser als Prediger : Zur Datierung der
Konstantinischen “Rede an die Versammlung der Heiligen” », Hermes, 125,
(1997), p. 183-202 ; Michael Edwards, dans Michael Edwards, Martin Goodman,
Simon Price (éds.), Apologetics in the Roman Empire. Pagans, Jews, and
Christians, Oxford, 1999, p. 251-275 ; Harold Allen Drake, Constantine and
the Bishops. The Politics of Intolerance, Baltimore, 2000 (Baltimore-Londres,
2002) ; Timothy D. Barnes, “Constantine’s Speech to the Assembly of the Saints:
Place and Date of Delivery”, Journal of Theological Studies, 52 (2001), p. 26-36 ;
Maria R. Cataudella, « Costantino, Giuliano e l’Oratio ad Sanctorum Coetum »,
Klio, 83 (2001), p. 167-181, pour des prises de position récentes. Dernièrement,
Klaus Martin Girardet est revenu sur la question dans un ouvrage collectif sur
Constantin et conclut que le Discours a été prononcé à Trèves le vendredi
Saint 314 (« Konstantin und das Christentum: Die Jahre der Entscheidung
310 bis 314 », dans A. Demandt, J. Engemann (éds.), Konstantin der Große.
Geschichte – Archäologie – Rezeption, Trèves, 2006, p. 69-81, spécialement
p. 76-80).
VIES ET MÉTAMORPHOSES DE LA SIBYLLE
261
cet auteur à la même note 83, doit être restitué à Claudien, cité à la
note suivante.
Une large place est faite ensuite aux relectures médiévales de la
Sibylle. Comme on le sait, celle-ci a non seulement inspiré les poètes,
mais aussi les compositeurs de musique, et cela dès le IXe siècle, où
l’acrostiche sibyllin rapporté par Augustin dans la Cité de Dieu
(XVIII, 23, 1) et repris dans un sermon longtemps attribué à l’évêque
d’Hippone fait son entrée dans la liturgie de la nuit de Noël, avant
d’être traduit en langues vernaculaires et d’être inséré dans des
représentations théâtrales sacrées : l’ordo prophetarum. Partant d’un
manuscrit du Xe siècle provenant de Limoges (le BnF Lat. 1154) et
contenant des neumes proto-aquitains, Marie-Noël Colette commente
ce cantus Sibyllae dans une étude (Le chant de la Sibylle, composition,
transmission et interprétation, p. 165-176), qui précise et complète
les travaux, déjà anciens, de Solange Corbin, et ceux, plus récents,
de Maricarmen Muntané Gómez. Particulièrement pertinente me
paraît être l’association de ce chant de la Sibylle avec le thème de
l’attente eschatologique, central dans l’acrostiche et si prégnant
tout au long du haut Moyen Âge, et particulièrement aux approches
de l’An Mil 6. Suggestive aussi, l’explication selon laquelle les
signes annonciateurs de la parousie, sombres et terrifiants, ne peuvent
s’exprimer que dans une mélodie sobre et un chant minimal faisant
toute la place au texte et à son intelligibilité, ce qui n’exclut pas
totalement les ornements, qui se multiplieront du reste au cours des
siècles (dans la Sibilla Mallorquina du XVe siècle ou la Valenciana
du XVIe siècle, que l’on peut entendre désormais dans les enregistrements de Jordi Savall et de la Capella Reial de Catalunya, Alia
Vox, 1999) 7. C’est en lien avec l’article de M.-N. Colette et comme
6. Cf. Alfons Puigarnau Torrelló, « Muerte e Iconoclastia en la Cataluña
medieval », dans Milenio : Miedo y religión, Universidad de La Laguna (Tenerife,
Islas Canarias), 3-6 de Febrero del 2000, accessible sur le site internet :
<www.ull.es/congresos/conmirel/puigarna1.htlm>.
7. On complétera la bibliographie de cet article par les deux volumes de
Maricarmen Muntané Gómez : El Cant de la Sibila, Madrid, 1996-97, et la
thèse de doctorat non publiée de Niobe O’Connor, A Study of the Sibyl Chant
and its Dramatic Performance in the Spanish Church (Ninth to Sixteenth
Centuries), Université de St Andrews, 1984. Pour l’acrostiche sibyllin, je me
262
JEAN-MICHEL ROESSLI
son prolongement théâtral qu’on lira la contribution de Denise Huë
(La Sibylle au théâtre, p. 177-195), qui aborde précisément l’ordo
prophetarum 8. La datation basse proposée pour le sermon pseudoaugustinien Contra Iudaeos, Paganos et Arianos – VIIe siècle – ne
me semble pas pouvoir être suivie, dans la mesure où il figure dans un
manuscrit de la seconde moitié du VIe siècle, le Taurinensis G. V. 26,
contenant également un fragment de l’Adversus quinque haereses,
longtemps attribué à Augustin, lui aussi. L’auteur probable de ces
deux textes est Quodvultdeus, ami et correspondant d’Augustin,
qui sera élu évêque de Carthage entre 437 et 453. Mais quoi qu’il
en soit de la paternité et de la date de composition de ce sermon, sa
dette à l’égard de la Cité de Dieu, XVIII, 23 d’Augustin est totale,
et l’acrostiche, de même que les autres vers sibyllins repris de
Lactance qui y sont cités, auraient de toute façon été connus des
médiévaux, comme l’atteste l’extraordinaire diffusion de la somme
augustinienne à travers tout le Moyen Âge. Du reste, la tradition
manuscrite révèle que ces vers sibyllins ont également circulé à
cette époque sous forme de centons 9. D. Hüe évoque encore d’autres
textes, écrits en français, comme le Girouflier aux dames, qui figure
à la fin du Mistère du Vieil Testament, ou le Mistère de la Sibylle et
d’Octovien (p. 185-190), et enfin le Mystère de l’Incarnation et
Nativité de Nostre Seigneur et Redempteur Jésus-Christ, représenté
permets de renvoyer à mon étude sur « Augustin, les sibylles et les Oracles
sibyllins », dans Augustinus afer. Saint Augustin : Africanité et universalité. Actes
du colloque international, Alger-Annaba, 1-7 avril 2001, textes réunis par PierreYves Fux, Jean-Michel Roessli, Otto Wermelinger (Paradosis 45/1), Fribourg,
2003, p. 263-286.
8. Sur cette question, on complétera la bibliographie par les titres suivants :
Noeli Kilmer, Ordo prophetarum: A Study and Transcription of the Medieval
Liturgical Music-Drama (Thèse de doctorat défendue à la Catholic University
of America en 1975) ; Dorothy F. Glass, « L’Ordo prophetarum en Italie »,
Cahiers de civilisation médiévale, 44 (2001), p. 259-273 (sur les représentations
des prophètes dans l’Italie médiévale).
9. Cf. Bernhard Bischoff, « Die lateinischen Übersetzungen und Bearbeitungen aus den Oracula Sibyllina », dans Mélanges Joseph de Ghellinck, S. J.,
tome 1, Gembloux, 1951, p. 121-147 (= Mittelalterliche Studien. Ausgewählte
Aufsätze zur Schriftkunde und Literaturgeschichte, t. 1, Stuttgart, 1966, p. 150171).
VIES ET MÉTAMORPHOSES DE LA SIBYLLE
263
à Rouen en 1474 (p. 190-192), dans lesquels la Sibylle devient « un
personnage théâtral ». Isabelle His aborde pour sa part une étape
ultérieure de la réception musicale de la Sibylle dans sa contribution
sur La Sibylle en musique : d’Orlande de Lassus à Maurice Ohana
(p. 255-267). L’attention de l’auteur porte avant tout sur le rapport
subtil entre texte et musique, en partant des Prophetiae Sibyllarum
de celui qu’on pourrait tout aussi bien nommer Roland de Lassus 10
(sur le modèle de Roland Furieux de Tasse), comparées à deux
œuvres d’un compositeur franco-espagnol né au Maroc en 1914 et
mort à Paris en 1992, la Sibylle pour soprano, percussion et bandes
(1968) et Trois prophéties de la Sibylle (1989), dont I. His se
demande si elles n’ont pas été inspirées à ce dernier par le cycle des
douze motets avec prologue de son prédécesseur à la Renaissance.
Les contributions suivantes s’intéressent à la place de la Sibylle
dans la littérature française du Moyen Âge. En examinant les éléments
parodiques des romans arthuriens du XIIIe siècle – le Lancelot en
prose (1220-1225), les Prophéties de Merlin (1276) et le Livre
d’Artus (1280) –, Francine Mora explicite, dans son article intitulé
La Sibylle séductrice dans les romans en prose du XIIIe siècle : une
Sibylle parodique ? (p. 197-209), la façon dont la Sibylle perd son
caractère prophétique, virgilien et virginal (p. 206-207). Christine
Ferlampin-Acher montre, dans sa Sebille prophétesse et maternelle :
du monde antique au monde arthurien dans Perceforest (p. 211-225),
comment, dans ce roman du XIVe siècle, la Sibylle devient, par des
manipulations généalogiques complexes, ou la mère ancestrale du
roi Arthur, ou la fée Morgane, ou la Dame du Lac. Fabienne Pomel
(La Sibylle, guide et double de Christine dans l’autre monde des
lettres “le Chemin de longue étude” de Christine de Pizan, p. 227239) examine cette brillante réécriture littéraire, inspirée de Jean de
Mandeville, de Boèce et surtout de Dante. À l’instar de Virgile pour
le poète florentin, la Sibylle de Christine de Pizan fonctionne de
manière subtile – comme elle le fait du reste pour le poète latin
10. Plusieurs enregistrements sont disponibles, le dernier en date étant
celui de l’Ensemble Daedalus, dirigé par Roberto Festa, 2006 (Alpha 095). On
consultera aussi Philipp Weller, « “Notre Divin Orlande” : Lassus in His Time
and in Ours », Early Music, 27/3 (1999), p. 493-497, 499.
264
JEAN-MICHEL ROESSLI
dans l’Énéide –, à la fois comme double de l’auteur, image de la
sagesse, du savoir livresque, de la connaissance de l’écriture et de
la poésie prophétique, et comme idéal du lecteur et emblème d’une
voix transcendante. Vient ensuite une contribution sur le beau livre
de Jean Rabel, Jean Dorat et Claude Binet : Sibyllarum duodecim
oracula, publié en 1586. L’étude, précise et soignée, d’Emmanuel
Buron, n’a malheureusement pas pu profiter d’un article de Salvatore
Settis, « Sibilla Agrippa », paru, il est vrai, dans un périodique d’accès
difficile : Études de lettres. Revue de la Faculté des Lettres. Université
de Lausanne, 1985/4, p. 89-124. Cette contribution aurait permis à
l’auteur de bénéficier de réflexions fort éclairantes sur l’iconographie
des sibylles. Précisons enfin que le prénom du premier éditeur moderne
des oracula Sibyllina (Bâle, 1545) est Xystus, et non Christus, Betuleius
(forme latine de Sixt Birk ou Bircken, philologue augsbourgeois
connu également comme auteur de pièces de théâtre inspirées par
des thèmes bibliques à la manière des Mystères médiévaux).
Dans un article intitulé Sibylles fin de siècle (p. 273-283), Anne
Ducrey fait résonner, pour clore le volume, quelques-uns des échos
de la Sibylle dans le théâtre symboliste de Maurice Maeterlinck,
Henri de Régnier, Alexandre Blok et Fernando Pessoa. On pourrait
ajouter ici l’étrange et difficile sonnet de Gerard Manley Hopkins :
Spelt from Sibyl’s Leaves (1886), aux accents si profondément
virgiliens 11, et les poèmes que Marina Tsvetaïeva consacra à la
Sibylle 12 dans le sillage de son ami Rainer Maria Rilke 13 au début
du XXe siècle. On pourrait également rappeler que l’un des poèmes
les plus influents de la littérature anglo-américaine du XXe siècle,
The Waste Land de T. S. Eliot (1922) – traduit pour la première fois
11. De même que son modèle, le recueil intitulé Sibyl’s Leaves (1817) de
Samuel Taylor Coleridge.
12. Marina Tsvetaïeva,
, 5 vols, New
York, Russica, 1980-1993, ici vol. 3, p. 24-26 (traduction française dans
M. Tsvetaïeva, Poésies, Paris, 1993, p. 43). Sur ce sujet, voir Olga Peters
Hasty, Tsvetaeva’s Orphic Journeys in the Worlds of the Word (Studies in
Russian Literature and Theory), Evanston, 1996, spécialement p. 83-109.
13. Cf. « Eine Sibylle » (écrit entre le 22 août et le 5 septembre 1907 à
Paris), dans Neue Gedichte II, 1908. Dans ce recueil, le poème « Eine Sibylle »
est immédiatement précédé de « Ein Prophet » et de « Jeremia ».
VIES ET MÉTAMORPHOSES DE LA SIBYLLE
265
en français par Jean de Menasce en 1926 14 –, est placé sous le
patronage de la Sibylle, dont il met en exergue les paroles prêtées à
Trimalcion dans le Satiricon 48, 8 de Pétrone : « Et la Sibylle,
donc ! À Cumes, je l’ai vue moi-même de mes yeux suspendue dans
une bouteille, et quand les enfants lui demandaient : “Sibylle, que
veux-tu ?”, elle répondait : “Je veux mourir.” »
L’ouvrage, dont il faut souligner la confection soignée, s’achève
par une très bonne bibliographie, distribuée en autant de parties
qu’il y a de périodes couvertes par les contributions réunies. Mon
seul regret est que ce livre, qui fait la part belle au monde romain,
ne consacre pas plus de place aux oracula Sibyllina de composition
juive et chrétienne. Même s’il n’avait pas pour ambition de livrer
une synthèse sur le problème des sibylles, ce volume aurait gagné
encore en intérêt s’il avait aussi tenu compte de cet aspect de la
survie et de l’appropriation du langage oraculaire dans les mondes
juif et chrétien. Peut-être cette lacune s’explique-t-elle par les limites
imposées aux éditeurs. Pour s’en faire une idée, le lecteur se reportera
aux introductions et traductions des parties juives et chrétiennes du
corpus des Oracles sibyllins, parues, pour les premières, dans le
volume d’André Dupont-Sommer et Marc Philonenko, La Bible.
Écrits intertestamentaires (Bibliothèque de la Pléiade), Paris, 1987,
p. 1035-1140 (traduction de Valentin Nikiprowetzky), et, pour les
secondes, dans le tome II des Écrits apocryphes chrétiens, publié
en septembre 2005 (deuxième tirage en août 2006) sous la direction
de Pierre Geoltrain et Jean-Daniel Kaestli (Bibliothèque de la Pléiade),
p. 1045-1083 (traduction de l’auteur des présentes notes critiques).
Le programme du colloque de Rennes annonçait en outre une
communication de Patrizia Castelli intitulée « Triomphes des dieux
sur les murs : la “construction” des images des dieux et des sibylles
entre 1400 et 1500 », dont le texte ne figure pas dans les Actes. Cet
exposé portait peut-être sur les sibylles du Tempio Malatestiano de
Rimini ou sur celles, presque aussitôt détruites, du Palais du cardinal
Orsini à Rome. De cette historienne de l’art, active à Ferrare, on lira
14. Cf. mon « Jean de Menasce et T. S. Eliot », dans Michel Dousse, JeanMichel Roessli (éds.), Jean de Menasce (1902-1973), Fribourg, 1998, p. 39-53
et 205-225.
266
JEAN-MICHEL ROESSLI
avec profit « “Solvet saeclum in favilla”. Le immagini delle Sibille
al servizio dell’ideologia », dans Maria Chiabò – F. Doglio (éds.),
Mito e realtà del potere nel teatro : dall’ antichità classica al
Rinascimento. Convegno di studi, Roma 29 ottobre-1 novembre 1987
(Centro studi sul teatro medioevale e rinascimentale [Viterbo].
Convegno di studi 11), Rome, 1988, p. 313-332 et « Fonti ed
immagini : le dieci sibille ovvero l’ideologia del potere politicoreligioso tra medioevo e rinascimento », publié dans les Actes du
colloque de Macerata, cités ci-dessus en note 4, p. 709-739. Enfin,
deux intervenants ont dû se désister au dernier moment : Carla Di
Francesco, qui devait parler des « Sibylles de la Casa Romei »,
dont elle a dirigé la restauration et qui avaient déjà fait l’objet de
deux publications de sa part (« Le Sibille di Casa Romei : la proposta
di una nuova interpretazione della funzione e del significato dei
celebri affreschi quattrocenteschi », Ferrara : voci di una città 5/8
[1998] 8-16 et Le Sibille di Casa Romei : storia e restauro, Ravenne,
1998), et Roberto Guerrini, qui avait annoncé une conférence sur
« Les sources antiques du pavement du Dôme de Sienne » et dont
les résultats avaient déjà été publiés sous le titre « Le Divinae Institutiones di Lattanzio nelle epigrafi delle Rinascimento. Il Collegio
del Cambio di Perugia e il pavimento del Duomo di Siena (Ermete
Trismegisto e Sibille) », Annuario dell’Istituto Storico Diocesiano
di Siena 1 (1992-1993) 5-38 15, à lire en lien avec la contribution
suivante d’Anna Maria Romaldo : « Corpus Titulorum Senensium.
Le Divinae Institutiones di Lattanzio e il pavimento del Duomo di
Siena » (p. 51-81) 16. Entre-temps, le même R. Guerrini a fait paraître
avec Marilena Caciorgna un magnifique ouvrage sur le pavement
de la cathédrale de Sienne (Il pavimento del duomo di Siena. L’arte
della tarsia marmorea dal XIV al XIX secolo : fonti e simbologia,
Silvana, 2004), dans lequel un chapitre porte sur « Ermete e le sibille.
15. Repris sous une forme abrégée dans Senio Bruschelli (éd.), Il Duomo
come libro aperto : leggere l’arte della Chiesa [Quaderni dell’Opera, Anno I
numero 1], Sienne, 1997, p. 51-66.
16. Les deux études ont fait l’objet d’un compte rendu de Daniela Fausti
dans le Bullettino Senese di Storia Patria, 104 (1997), p. 567-570.
VIES ET MÉTAMORPHOSES DE LA SIBYLLE
267
Il primo riquadro della navata centrale e le tarsie delle navate laterali »
(p. 13-51).
Il est piquant de noter qu’une semaine plus tôt s’est tenue, non
loin de Rennes, une autre rencontre scientifique sur les Sibylles,
organisée par Alfrieda et Jackie Pigeaud dans le cadre des VIIIe Entretiens de La Garenne Lemot et dont les Actes ont été publiés à
Nantes en août 2005.
Ayant moi-même participé à ces Entretiens, je ne suis pas le
mieux placé pour en discuter le détail et me bornerai donc à une
présentation générale et à quelques compléments bibliographiques.
À la différence de la rencontre de Rennes, celle de Nantes ne visait
pas à offrir un panorama exhaustif du traitement de la Sibylle à
travers les âges. Il s’agissait plutôt de favoriser des échanges sur
divers aspects de la question. Et, à cet égard, on peut dire que les
organisateurs ont atteint leur objectif. Les communications présentées furent en effet très diverses, par leur contenu comme par leur
forme et, malgré l’impression d’éclatement qui peut se dégager de
l’ensemble et qui est en grande partie due à l’approche résolument
interdisciplinaire de J. Pigeaud, les discussions qui entrecoupèrent
les exposés furent au moins aussi nourries que ceux-ci.
Empêchés, pour des raisons familiales, d’animer ces Entretiens
de leur présence, Alain Michel et Pierre Brunel ont eu la bonne idée
de communiquer leur texte aux éditeurs, alors que d’autres, à
l’instar de Pascal Griener et Brenno Boccadoro, ont préféré y
renoncer, malgré d’intéressants exposés sur L’effacement de la
Sibylle chez Ruskin pour le premier et les Prophetiae Sibyllarum de
Roland de Lassus pour le second. Sous le titre « À propos des
Sibylles : la connaissance de Dieu, l’extase et les extra-lucides »
(p. 7-25), A. Michel nous livre une dissertation savante et richement documentée sur le thème de l’inspiration divine à travers les
âges. Pierre Brunel, spécialiste bien connu de littérature comparée,
brosse en fin de parcours un tableau complet de « La figure claudélienne de la Sibylle » (p. 191-201). Philippe Maréchaux (p. 27-36)
nous fait bénéficier pour sa part d’une lecture rafraîchissante de
la Sibylle de Panzoust de Sieur Rabelais, parodie ô combien drôle
et subtile des commentaires humanistes sur les sibylles et leurs
268
JEAN-MICHEL ROESSLI
prophéties 17. Dans ses « Notes sur la représentation des sibylles
dans l’art italien » (p. 37-47), Édouard Pommier nous offre un
intéressant tour d’horizon de l’iconographie des sibylles, tour
d’horizon qui profiterait encore davantage aux lecteurs si les œuvres
des Pisano, Ghiberti, Signorelli et autres Ghirlandaio, Pérugin et
Raphaël qu’il commente avaient pu être reproduites. Le titre minimaliste de la contribution suivante (« Notule sur un tableau d’Antoine
Caron », p. 49-53) ne doit pas être pris au premier degré, car son
auteur, Yves Hersant, donne de cette œuvre, reproduite en fin d’article,
une interprétation qui, si on peut la suivre, se révèle éminemment
séduisante. Deux contributions sont ensuite consacrées à Corinne
ou l’Italie de Madame de Staël, grande admiratrice de la Sibylle du
Dominiquin, elle-même figurée sous les traits de la Sainte-Cécile
de Raphaël, comme si, pour le Dominiquin, voix prophétique et
inspiration musicale fondaient l’une dans l’autre et avaient la
transcendance pour source commune. Michel Delon intitule sa
contribution : « Corinne et la Sibylle, ou de l’engagement à la
mélancolie » (p. 55-65), Blandine de Saint-Girons : « Du génie
féminin : Corinne ou “la sibylle triomphante” » (p. 67-82 + 3 pls.).
Bien que portant sur une même œuvre littéraire, les deux études ne
font pas double emploi et jettent sur cette appropriation de la Sibylle
à l’âge des Lumières un regard ma foi fort éclairant. Jean-Yves
Boriaud s’arrête ensuite sur « Les Sibylles et la Renaissance romaine »
(p. 83-91). L’auteur s’intéresse tout particulièrement à la période qui
va de 1480 à 1520, qui voit apparaître le traité de Filippo Barbieri,
Discordantiae nonnullae inter sanctos Hieronymum et Augustinum,
dans lequel les sibylles, au nombre de douze et non plus de dix,
« font l’objet d’une “description” systématique » (p. 86), qui va
durablement influencer l’iconographie de nos prophétesses, même
si on en a parfois exagéré la portée. Sur le ton lyrique qu’on lui
connaît, Philippe Heuzé, en amoureux inconditionnel et transi du
poète latin, cherche à montrer, dans sa « Sibylle selon Virgile »
(p. 93-98), comment celui-ci a transformé, dans l’Énéide, la prêtresse
17. Pour un point de vue différent et complémentaire, cf. Florence
M. Weinberg, “Written on the Leaves: Rabelais and the Sibylline Tradition”,
Renaissance Quarterly, 43/4 (1990), p. 709-730.
VIES ET MÉTAMORPHOSES DE LA SIBYLLE
269
du dieu Apollon en une initiée de l’au-delà, capable de guider le
héros troyen dans sa catabase, tout comme Virgile servira plus tard
de guide à Dante dans sa traversée des enfers 18. Étienne Wolff
aborde ensuite « Lactance et les Oracles sibyllins » (p. 99-106).
Son étude, un peu rapide et superficielle, mériterait d’être reprise et
approfondie, et surtout débarrassée des préjugés par trop simplistes
de l’auteur vis-à-vis de la littérature paléochrétienne. Anna Maria
Babbi s’interroge ensuite sur « La Sibylle dans les traductions
françaises du “Guerrin Meschino” » d’Andrea da Barberino (p. 107121). Sous le titre « Révéler ce qui doit devenir l’évidence ! Postures
de la découverte mathématique à l’âge classique », Jean Dhombres,
lui aussi absent de ces VIIIe Entretiens de La Garenne Lemot, nous
livre (p. 123-150) une intéressante réflexion d’historien des sciences
sur le débat autour de « la part d’inspiration que comporte la découverte scientifique » (p. 126). Je signale au passage que le cercle des
savants anglais dans lequel évoluait Isaac Newton était si vivement
intéressé par les Oracles sibyllins que certains d’entre eux se disaient
prêts à les voir figurer dans le canon biblique. William Whiston par
exemple, successeur de Newton à la chaire de mathématique de
Cambridge de 1702 à 1710, a même été le premier, après John Floyer,
à traduire les Oracles sibyllins en langue anglaise 19.
Spécialiste de littérature espagnole du XXe siècle, Joceline AubéBourligueux s’est penchée sur les rencontres de Federico García
Lorca avec la Sibylle-Sphinx : à la croisée des chemins de la culture
18. La bibliographie fournie dans cet article étant réduite à sa plus simple
expression, le lecteur trouvera toutes les informations utiles dans Enrico Flores,
« Sibilla », Enciclopedia virgiliana, t. IV, Rome, 1988, p. 825-827. J’ajouterai
encore le titre suivant : Harold Mattingly, “Virgil’s Golden Age: Sixth Aeneid
and Fourth Eclogue”, The Classical Review, 48 (1934), p. 161-165.
19. John Floyer, The Sibylline Oracles translated from the best Greek
copies and compar’d with the sacred prophesies, especially with Daniel and
the Revelations, and with so much history as plainly shews, that many of the
Sibyl’s predictions are exactly fulfill’d. With answers to objections made
against them, Londres, 1713 ; William Whiston, A Vindication of the Sibylline
Oracles, to which are added the Genuine Oracles themselves, with the Ancient
Citations from them in their Originals and in English, and a few brief notes,
Londres, 1715.
270
JEAN-MICHEL ROESSLI
antique et de la tradition andalouse (p. 151-172) 20. Dans son « Portrait
de l’artiste en Sibylle » (p. 173-179), Philippe Junod égrène quelques
remarques intéressantes sur l’idéal de l’artiste dans la peinture de la
Renaissance, inspirées par les modes de représentation des sibylles.
L’article de Jackie Pigeaud (« La Sibylle de Pierre Petit », p. 179-190)
aborde enfin un auteur et une œuvre largement méconnus des non
modernistes : le De Sibylla libri tres de Pierre Petit (1617-1687),
philosophe et médecin parisien, pour qui la Sibylle est une et ne
saurait se démultiplier. On saura gré à l’initiateur des Entretiens de
La Garenne Lemot d’avoir attiré l’attention du lecteur sur cet érudit
du XVIIe siècle et d’avoir ainsi donné accès à quelques-unes de ses
réflexions sur la prophétesse antique, la mélancolie et sa sœur
pythienne. À ce propos, il ne sera pas sans intérêt de préciser que
les sibylles et les oracles circulant sous leur nom ont occupé une
place de choix dans les débats intellectuels de l’époque moderne
(env. 1500-1800). Ceux-ci portaient avant tout sur des questions
d’ordre théologique – statut des sibylles et des Oracles sibyllins par
rapport aux prophètes de l’Ancien Testament et à la Révélation
biblique, etc. –, mais ils débordaient aussi ce cadre pour toucher à
des problèmes d’ordre littéraire, philosophique et médical, ce dont
Pierre Petit fournit un excellent exemple. Les textes à explorer dans
ce domaine sont innombrables et le travail, pour l’essentiel, reste à
faire 21. Le volume s’achève enfin (p. 203-230 + pl.) sur une étude
20. Le titre exact est « À la croisée des chemins de la culture antique et
de la tradition andalouse : les rencontres de Federico García Lorca avec la
Sibylle-Sphinx ».
21. J’y ai consacré une partie de ma thèse de doctorat, qui paraîtra dans la
Series apocryphorum du Corpus christianorum, sous le titre Les Oracles
sibyllins (Livres I, 324-400 ; VI; VII et VIII, 217-500). Origines païennes et
appropriations chrétiennes). Voir aussi Anthony Grafton, “Higher Criticism
Ancient and Modern: The Lamentable Deaths of Hermes and the Sibyls”, dans
A. C. Dionisotti, Anthony Grafton, Jill Kraye (éds.), The Uses of Greek and
Latin. Historical Essays (Warburg Institute Surveys and Texts 16), Londres,
1988, p. 155-170 (reproduit avec quelques changements sous le titre “The
Strange Deaths of Hermes and the Sibyls”, dans Anthony Grafton, Defenders
of the Text. The Traditions of Scholarship in an Age of Science, 1450-1800,
Cambridge (Mass.)-Londres, 1991, p. 162-177) ; Rieuwerd Buitenwerf, Book III
of the Sibylline Oracles and its Social Setting. With an Introduction, Translation,
VIES ET MÉTAMORPHOSES DE LA SIBYLLE
271
détaillée du sixième livre des Oracles sibyllins, un hymne au
Christ, appelé ici Fils de l’Immortel, qui pourrait bien constituer
l’un des plus anciens poèmes chrétiens de langue grecque en
dehors du Nouveau Testament (hymne aux Philippiens, par exemple). Étant l’auteur de cette contribution, je laisserai au lecteur le
soin d’en juger.
En guise de conclusion, je crois pouvoir dire que malgré une
certaine négligence dans la préparation du manuscrit et une mise en
page qui s’apparente davantage à un mémoire de fin d’études qu’à
un véritable livre, les études réunies par J. Pigeaud présentent dans
l’ensemble un grand intérêt et ont de quoi sustenter les esprits.
Elles compléteront en outre utilement le volume publié à Rennes
un an plus tôt. Pour cela, il faut espérer qu’un effort de diffusion
leur permette de sortir de la confidentialité.
[email protected]
and Commentary (Studia in Veteris Testamenti Pseudepigrapha 17), LeydeBoston, 2003, p. 5-28 ; Ralph Häfner, Götter im Exil. Frühneuzeitliches
Dichtungsverständnis im Spannungsfeld christlicher Apologetik und philologischer Kritik (ca. 1590-1736) (Frühe Neuzeit 80), Tübingen, 2003 (comptes
rendus de Martin Muslow, Christlicher Humanismus im Zeitalter der philologischen Kritik. Zu Ralph Häfners magistralem Werk Götter im Exil, URL :
http://iasl.uni-muenchen.de/rezension/liste/Muslow3484365803_1375.html ;
Dieter Martin, Sehepunkte, 6 (2006), URL : http://www.sehepunkte.de/2006/
01/9429.html ; Guido Giglioni, « Voci della Sibilla e voci della natura: divinazione oracolare in Girolamo Cardano », Bruniana & Campanelliana, 11/2
(2005), p. 365-387 ; Margherita Palumbo, « La fortuna degli Oracula Sibyllina
nel seicento », ibid., p. 493-508. Dans le cadre du même colloque sur Le parole
del futuro. Profezia e poesia nell’étà moderna (Naples, 8-9 octobre 2004), où
ont été présentées les deux contributions précédentes, Michaela Valente avait
brièvement évoqué « Gli Oracula sibyllina nel Rinascimento », qui sera publié
ailleurs dans un avenir proche.