La littérature prophétique jouit au Moyen Âge d'une grande fortune, qui dépasse, de loin, le cont... more La littérature prophétique jouit au Moyen Âge d'une grande fortune, qui dépasse, de loin, le contexte religieux avec le domaine de l'Apocalypse ou de l'Antéchrist. La prophétie peut en effet se mettre au service de n'importe quel message spirituel ou politique et se placer sous l'autorité de personnages aussi différents que Merlin, les Sibylles ou les prophètes bibliques. Le présent recueil regroupe huit études qui abordent par des biais différents le problème de la prophétie et de la divination médiévales. Il y est question de la place accordée, dans la culture du Moyen Âge, à la divination comme science, on évoque l'autorité du prophète, de la pose qu'il prend et de la rhétorique qu'il emploie. Ces derniers aspects ressortent particulièrement bien quand il s'agit de traduire, de commenter, bref de comprendre au sens littéral le discours prophétique, angle d'attaque bien représenté dans ce volume.
Une bibliographie de plus de 600 entrées vise à jeter des passerelles entre prophétie, divination et histoire des sciences.
Il est d'ordinaire commode, pour cerner la métaphore, d'en proposer deux définitions : une premiè... more Il est d'ordinaire commode, pour cerner la métaphore, d'en proposer deux définitions : une première d'ordre rhétorique et une seconde d'ordre sémantique. Cette distinction semble opératoire pour penser les corpus textuels médiévaux, car la démarcation profane / scripturaire est souvent à l'horizon de la pensée médiévale. Elle est formulée telle quelle dès la première question (article 9) de la Somme théologique (« La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ? »), et la notion de métaphore, au carrefour des arts du langage et de la théologie, a alimenté au Moyen Âge la réflexion des grammairiens et dialecticiens (pour lesquels elle est trope ou figure) comme celle des théologiens (où elle équivaut à un déplacement sémantique intervenant dans le discours sur Dieu). C'est mettre en question, pour les médiévaux, l'articulation problématique des belles lettres et des Saintes Lettres, et réfléchir au statut de l'image poétique comme forme d'expression de la vérité (qu'est-ce qu'une « vérité imagée » ?) : les divers efforts entrepris pour comprendre comment la vérité s'insinue dans les coeurs de manière voilée, menant parfois à une identification de la poésie à la théologie ou à la philosophie, constituent des jalons décisifs dans l'histoire de la pensée. Ces controverses, déjà bien connues, fécondent naturellement les travaux contemporains portant sur la période médiévale.
Questes, n°17 52 Femmes illustres et illustres reines : la communication politique au tournant de... more Questes, n°17 52 Femmes illustres et illustres reines : la communication politique au tournant des XV e et XVI e siècles Julien ABED À la fin du Moyen Âge, le genre du catalogue consacré exclusivement aux femmes est particulièrement bien représenté. Le De mulieribus claris de Boccace (1360-1374), Le Livre de la Cité des dames (1404-1405) de Christine de Pizan, tous les textes de la « querelle des femmes » qui s'ensuit, comprenant éloges ou blâmes, ont contribué à faire de la femme le sujet exclusif d'une oeuvre. Illustrer le « femenin sexe », c'est mettre en mémoire les femmes qui ont su s'illustrer dans l'histoire, païenne ou biblique, légendaire ou historique. Parmi les genres littéraires les plus représentatifs du discours pro-féminin, les « listes », les « catalogues » de Femmes illustres se signalent par leur récurrence : tous ne reposent pas sur le même schéma textuel (songes allégoriques, dialogues,
Questes, n° 14 50 Le cerf qui lève les cornes et le léopard gonflé de sang humain (Lyon, Biblioth... more Questes, n° 14 50 Le cerf qui lève les cornes et le léopard gonflé de sang humain (Lyon, Bibliothèque municipale, ms 768) Julien ABED L'engouement pour les prophéties de Merlin a familiarisé le public lettré du Moyen Âge avec la description de la violence humaine par des métaphores animales. Ce mode d'expression, antérieur au texte de Geoffroy de Monmouth (vers 1135), trouve déjà des racines dans le style biblique 1 . Je voudrais donner une nouvelle illustration de ce phénomène avec une prophétie inédite de la sibylle Tiburtine insérée dans un manuscrit du Pèlerinage de vie humaine de Guillaume de Diguleville 2 . Le décryptage de son symbolisme permet d'y lire des allusions aux événements qui ont opposé France et Angleterre au XIV e siècle. De prime abord, le texte ne fait pas attendre un tel débordement de violences animales. Il s'ajoute aux cinq versions françaises en prose déjà connues de la prophétie de la sibylle Tiburtine, et se conforme comme elles au scénario latin de la prophétie, diffusée par plus de 115 manuscrits 3 . Le début du 1 Par exemple Daniel, 7, Apocalypse, 12-13, comme le rappelle Michael CURLEY, « Animal Symbolism in the Prophecies of Merlin », dans Beasts and Birds of the Middle Ages : The Bestiary and Its Legacy, éd. Willene B. CLARK et Meradith T. MCNUNN, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1989 (coll. The Middle Ages), p. 151-63. 2 L'existence de ce texte inédit dans le manuscrit Lyon, Bibliothèque municipale 768, m'a été signalée par GÉRALDINE VEYSSEYRE, qui m'a généreusement donné, outre la matière de cette brève présentation, sa transcription. Deux textes prophétiques en fait se suivent, un premier attribué à la sibylle Tiburtine, et un second à Joachin de Flore. Ils sont intercalés aux f° 95 vb -99 v , entre le Pèlerinage de vie humaine (première rédaction) et le Pèlerinage de l'âme (version longue). Le manuscrit est daté du XIV e siècle.
Croire Questes, n° 10 31 Voir et croire une image de dévotion au XV e siècle Julien ABED Une foi ... more Croire Questes, n° 10 31 Voir et croire une image de dévotion au XV e siècle Julien ABED Une foi est affaire d'images autant que de textes. Ce sont les images qui, dans les églises ou dans les manuscrits, parlent le plus directement aux croyants, et structurent, au moins partiellement, l'imaginaire en lui donnant cohérence et diversité. Dans un célèbre chapitre de son ouvrage L'automne du Moyen Âge, Johan Huizinga a montré comment la pensée religieuse de la fin du Moyen Âge « se cristallise en images » 1 . J'aimerais donner avec la légende de l'Ara coeli un exemple de foi cristallisée en image dans le XV e siècle français. Sous Justinien (empereur byzantin du VI e siècle), le chronographe Timothée rapporte qu'Auguste aurait consulté la sibylle Tiburtine sur le Capitole, zone augurale traditionnelle de la Rome antique. Interrogée par l'empereur, la prophétesse aurait prédit la naissance de Jésus, futur Christ, et, instruit par cette prophétie, Auguste aurait dédié un autel portant l'inscription latine « Haec est ara coeli » (Ceci est l'autel du ciel), dont l'emplacement serait à l'origine exacte de l'église Santa Maria in Ara Coeli à Rome. L'historien latin Suétone (début du II e siècle) avait déjà rapporté qu'Auguste répugnait à se laisser appeler seigneur, dominus, et les Chrétiens, dès l'époque la plus ancienne, avaient été frappés de ces scrupules. La légende de l'Ara coeli a obtenu un grand succès durant tout le Moyen Âge littéraire, car elle a très tôt répondu au désir insatiable de voir Dieu, ou de le 1 Johan HUIZINGA, L'automne du Moyen Âge, précédé d'un entretien avec Jacques Le Goff, Paris, Payot, 2002 (1 ère éd. 1932), ch. XII, p. 231-267. 43
... | Ayuda. La vieillesse de la Sibylle: devenir d'un stéréotype antique à l'é... more ... | Ayuda. La vieillesse de la Sibylle: devenir d'un stéréotype antique à l'époque médiévale. Autores:Julien Abed; Localización: Bien dire et bien aprandre, ISSN 0220-665X, Nº. 24, 2006 (Ejemplar dedicado a: Réception et représentation de l'Antiquité) , pags. ...
La littérature prophétique jouit au Moyen Âge d'une grande fortune, qui dépasse, de loin, le cont... more La littérature prophétique jouit au Moyen Âge d'une grande fortune, qui dépasse, de loin, le contexte religieux avec le domaine de l'Apocalypse ou de l'Antéchrist. La prophétie peut en effet se mettre au service de n'importe quel message spirituel ou politique et se placer sous l'autorité de personnages aussi différents que Merlin, les Sibylles ou les prophètes bibliques. Le présent recueil regroupe huit études qui abordent par des biais différents le problème de la prophétie et de la divination médiévales. Il y est question de la place accordée, dans la culture du Moyen Âge, à la divination comme science, on évoque l'autorité du prophète, de la pose qu'il prend et de la rhétorique qu'il emploie. Ces derniers aspects ressortent particulièrement bien quand il s'agit de traduire, de commenter, bref de comprendre au sens littéral le discours prophétique, angle d'attaque bien représenté dans ce volume.
Une bibliographie de plus de 600 entrées vise à jeter des passerelles entre prophétie, divination et histoire des sciences.
Il est d'ordinaire commode, pour cerner la métaphore, d'en proposer deux définitions : une premiè... more Il est d'ordinaire commode, pour cerner la métaphore, d'en proposer deux définitions : une première d'ordre rhétorique et une seconde d'ordre sémantique. Cette distinction semble opératoire pour penser les corpus textuels médiévaux, car la démarcation profane / scripturaire est souvent à l'horizon de la pensée médiévale. Elle est formulée telle quelle dès la première question (article 9) de la Somme théologique (« La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores ? »), et la notion de métaphore, au carrefour des arts du langage et de la théologie, a alimenté au Moyen Âge la réflexion des grammairiens et dialecticiens (pour lesquels elle est trope ou figure) comme celle des théologiens (où elle équivaut à un déplacement sémantique intervenant dans le discours sur Dieu). C'est mettre en question, pour les médiévaux, l'articulation problématique des belles lettres et des Saintes Lettres, et réfléchir au statut de l'image poétique comme forme d'expression de la vérité (qu'est-ce qu'une « vérité imagée » ?) : les divers efforts entrepris pour comprendre comment la vérité s'insinue dans les coeurs de manière voilée, menant parfois à une identification de la poésie à la théologie ou à la philosophie, constituent des jalons décisifs dans l'histoire de la pensée. Ces controverses, déjà bien connues, fécondent naturellement les travaux contemporains portant sur la période médiévale.
Questes, n°17 52 Femmes illustres et illustres reines : la communication politique au tournant de... more Questes, n°17 52 Femmes illustres et illustres reines : la communication politique au tournant des XV e et XVI e siècles Julien ABED À la fin du Moyen Âge, le genre du catalogue consacré exclusivement aux femmes est particulièrement bien représenté. Le De mulieribus claris de Boccace (1360-1374), Le Livre de la Cité des dames (1404-1405) de Christine de Pizan, tous les textes de la « querelle des femmes » qui s'ensuit, comprenant éloges ou blâmes, ont contribué à faire de la femme le sujet exclusif d'une oeuvre. Illustrer le « femenin sexe », c'est mettre en mémoire les femmes qui ont su s'illustrer dans l'histoire, païenne ou biblique, légendaire ou historique. Parmi les genres littéraires les plus représentatifs du discours pro-féminin, les « listes », les « catalogues » de Femmes illustres se signalent par leur récurrence : tous ne reposent pas sur le même schéma textuel (songes allégoriques, dialogues,
Questes, n° 14 50 Le cerf qui lève les cornes et le léopard gonflé de sang humain (Lyon, Biblioth... more Questes, n° 14 50 Le cerf qui lève les cornes et le léopard gonflé de sang humain (Lyon, Bibliothèque municipale, ms 768) Julien ABED L'engouement pour les prophéties de Merlin a familiarisé le public lettré du Moyen Âge avec la description de la violence humaine par des métaphores animales. Ce mode d'expression, antérieur au texte de Geoffroy de Monmouth (vers 1135), trouve déjà des racines dans le style biblique 1 . Je voudrais donner une nouvelle illustration de ce phénomène avec une prophétie inédite de la sibylle Tiburtine insérée dans un manuscrit du Pèlerinage de vie humaine de Guillaume de Diguleville 2 . Le décryptage de son symbolisme permet d'y lire des allusions aux événements qui ont opposé France et Angleterre au XIV e siècle. De prime abord, le texte ne fait pas attendre un tel débordement de violences animales. Il s'ajoute aux cinq versions françaises en prose déjà connues de la prophétie de la sibylle Tiburtine, et se conforme comme elles au scénario latin de la prophétie, diffusée par plus de 115 manuscrits 3 . Le début du 1 Par exemple Daniel, 7, Apocalypse, 12-13, comme le rappelle Michael CURLEY, « Animal Symbolism in the Prophecies of Merlin », dans Beasts and Birds of the Middle Ages : The Bestiary and Its Legacy, éd. Willene B. CLARK et Meradith T. MCNUNN, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1989 (coll. The Middle Ages), p. 151-63. 2 L'existence de ce texte inédit dans le manuscrit Lyon, Bibliothèque municipale 768, m'a été signalée par GÉRALDINE VEYSSEYRE, qui m'a généreusement donné, outre la matière de cette brève présentation, sa transcription. Deux textes prophétiques en fait se suivent, un premier attribué à la sibylle Tiburtine, et un second à Joachin de Flore. Ils sont intercalés aux f° 95 vb -99 v , entre le Pèlerinage de vie humaine (première rédaction) et le Pèlerinage de l'âme (version longue). Le manuscrit est daté du XIV e siècle.
Croire Questes, n° 10 31 Voir et croire une image de dévotion au XV e siècle Julien ABED Une foi ... more Croire Questes, n° 10 31 Voir et croire une image de dévotion au XV e siècle Julien ABED Une foi est affaire d'images autant que de textes. Ce sont les images qui, dans les églises ou dans les manuscrits, parlent le plus directement aux croyants, et structurent, au moins partiellement, l'imaginaire en lui donnant cohérence et diversité. Dans un célèbre chapitre de son ouvrage L'automne du Moyen Âge, Johan Huizinga a montré comment la pensée religieuse de la fin du Moyen Âge « se cristallise en images » 1 . J'aimerais donner avec la légende de l'Ara coeli un exemple de foi cristallisée en image dans le XV e siècle français. Sous Justinien (empereur byzantin du VI e siècle), le chronographe Timothée rapporte qu'Auguste aurait consulté la sibylle Tiburtine sur le Capitole, zone augurale traditionnelle de la Rome antique. Interrogée par l'empereur, la prophétesse aurait prédit la naissance de Jésus, futur Christ, et, instruit par cette prophétie, Auguste aurait dédié un autel portant l'inscription latine « Haec est ara coeli » (Ceci est l'autel du ciel), dont l'emplacement serait à l'origine exacte de l'église Santa Maria in Ara Coeli à Rome. L'historien latin Suétone (début du II e siècle) avait déjà rapporté qu'Auguste répugnait à se laisser appeler seigneur, dominus, et les Chrétiens, dès l'époque la plus ancienne, avaient été frappés de ces scrupules. La légende de l'Ara coeli a obtenu un grand succès durant tout le Moyen Âge littéraire, car elle a très tôt répondu au désir insatiable de voir Dieu, ou de le 1 Johan HUIZINGA, L'automne du Moyen Âge, précédé d'un entretien avec Jacques Le Goff, Paris, Payot, 2002 (1 ère éd. 1932), ch. XII, p. 231-267. 43
... | Ayuda. La vieillesse de la Sibylle: devenir d'un stéréotype antique à l'é... more ... | Ayuda. La vieillesse de la Sibylle: devenir d'un stéréotype antique à l'époque médiévale. Autores:Julien Abed; Localización: Bien dire et bien aprandre, ISSN 0220-665X, Nº. 24, 2006 (Ejemplar dedicado a: Réception et représentation de l'Antiquité) , pags. ...
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