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Stabilité et univocité chez Joseph Petzold

principal inspirateur avec Avenarius du mouvement empiriocriticiste, pose comme préalable à la constitution d'une théorie la critique de la notion de causalité. La règle causale est présentée comme une limite à la définition d'une véritable doctrine positiviste, si bien que Mach peut écrire en 1894 : « j'espère que la science de la nature dans le futur mettra de côté les concepts de cause et d'effet, qui ont pour moi non seulement rapport au fétichisme mais aussi à cause de leur absence de clarté formelle ..». Comment dépasser ces obstacles épistémologiques, comment penser la nature grâce à une légalité n'empruntant rien à des catégories qui postulent sa décomposition ? Nous interrogerons la solution proposée par Joseph Petzold dans la logique de la perspective empiriocriticiste.

!1 Stabilité et univocité chez Joseph Petzold par olivier Lahbib Ernst Mach, principal inspirateur avec Avenarius du mouvement empiriocriticiste, pose comme préalable à la constitution d’une théorie la critique de la notion de causalité. La règle causale est présentée comme une limite à la définition d’une véritable doctrine positiviste, si bien que Mach peut écrire en 1894 : « j’espère que la science de la nature dans le futur mettra de côté les concepts de cause et d’effet, qui ont pour moi non seulement rapport au fétichisme mais aussi à cause de leur absence de clarté formelle ..». Comment dépasser ces obstacles épistémologiques, comment penser la nature grâce à une légalité n’empruntant rien à des catégories qui postulent sa décomposition ? Nous interrogerons la solution proposée par Joseph Petzold dans la logique de la perspective empiriocriticiste. 1. La critique machienne Mach oppose à la conception mécaniste qui isole les phénomènes d’un registre particulier, une méthode qu’on appellerait analogique. Mach veut une “physique comparée”, qui montre l’appartenance des phénomènes à “toutes les branches de la physique”. Il n’est pas question comme on l’a fait jusqu’à présent de réduire tous les phénomènes du monde matériel à des mouvements, comme dans la manière de penser de Descartes. Cela paraît exigible selon deux points de vue : d’abord le principe de l’économie de pensée suppose que tous les phénomènes physiques soient représentés par des principes qui sont en harmonie entre eux. Ensuite, les phénomènes étudiés ne sont pas réductibles à des mouvements, car comme on le sait le phénomène est pour Mach ce qui se donne dans l’ensemble psycho-physique qu’est l’homme. Il n’y a pas de phénomènes en ce sens qui puissent être ainsi réductibles seulement à une production mécanique. Le procédé analogique n’isole pas certains phénomènes et ne privilégie pas comme le fait l’application du principe de causalité un aspect du problème, au contraire il rapproche sur le mode empirique des aspects distincts, il compare des modèles possibles ; il reconstitue l’unité de la nature, rendue abstraite et superficielle par la loi a priori de la causalité mécanique. La réalité est au contraire constituée d’une pluralité de processus croisés, de causes mélangées. Le défaut de la causalité se trouve dans la conception de la nature, lorsqu’on se plait à la réduire à organisation simple de déterminations, de » relations causales univoques. Au contraire la réalité phénoménale brouille les relations, multiplie les causes. Car le phénomène n’est pas une réalité isolée et indépendante de celui qui la perçoit. La notion de causalité sera donc remplacée par la notion de fonction, qui permet de relier entre eux les différents aspects d’un phénomène, en dépassant les difficultés de la composition chronologique, peu opérante dans les rapports d’interaction, et pour penser la sensation comme rapport du corps et du donné sensible. Il semble qu’en cela la critique de la causalité opérée par l’empiriocriticisme soit conforme au second critère qui caractérise l’esprit de ce courant, le principe de l’économie de pensée. Pour répondre à la question : ce qui doit prendre la place des concepts de cause et d’effet, vraiment trop abstraits et conventionnels, et qui ne rendent pas compte de l’état du monde comme une totalité, puisque la nature n’existe qu’une seule fois et ne se divise pas d’elle-même d’un côté en des phénomènes de cause et de l’autre en des phénomènes d’effets, ou des phénomènes d’objets et de sujets, il faut donc dire qu’il n’y a pas d’un côté des causes de l’autre des effets, mais que des sensations - que nous appelons causes et effets - existent de façon continue et simultanée. C’est ainsi que Petzoldt, poursuivant la critique de Mach, au problème classique de la causalité préfère répondre en dégageant un petit nombre d’éléments agissant continuelle-ment de façon déterminée : « ils sont d’une telle sorte que nous pouvons les réduire à un changement continu et ! 2 univoque d’un petit nombre d’éléments récurrents, c’est-à-dire d’éléments déterminants, moyens de détermination - qui se déterminent mutuellement l’un l’autre, univoquement ». On ne peut pas sans procéder arbitrairement isoler un facteur un causal parmi un faisceau de détermination, comme si à elle seule et de façon abstraite, une puissance déterminante avait le pouvoir de modifier toutes les composantes de la nature. Un exemple de physique le montre bien : la loi de la chute des corps, l’attraction terrestre n’est pas une cause qui s’exerce de l’extérieur comme la cause unique de tous les phénomènes, au contraire c’est dans la réalité de chaque corps qu’elle se matérialise de façon univoque et invariable. La continuité des phénomènes est la source de la causalité, car toutes les composantes de la nature procèdent de la même raison déterminante. Il serait possible de penser cette causalité comme une fonction qui décrirait l’évolution des forces à l’oeuvre dans la nature, comme si chaque composante était une valeur dont le rapport aux autres s’expliquerait par la fonction qui la définit. Ainsi chaque partie est déterminée de la même façon que les autres, la même puissance de transformation du réel opère sur tous, prévisible d’après un calcul mathématique. On semble loin ici de la simple expérience. Ainsi s’il faut penser la nature comme une totalité qui existe comme un phénomène global qui ne se donne pas sous les conditions anthropomorphiques de la connaissance, il faudrait rendre son processus proprement anonyme, le détacher de l’arbitraire des sensations humaines individuelles. Le modèle de la fonction mathématique semble le mieux rendre compte de la stabilité de l’existence naturelle. La régularité de la répartition des déterminants sur le tracé de la courbe correspondant à la fonction est l’image la plus approchée de la stabilité de la nature pensée comme le processus du vivant. Pour Mach, pour qui les théories ne sont pas des constructions possibles, mais ont leur source dans l’observation, différentes hypothèses concernant un événement physique indiquent que plusieurs causes sont compossibles, qu’on n’a donc pas « isolé » le véritable processus producteur. Plusieurs types d’explication signifient plusieurs chemins pour un effet, et donc différentes causes. Un penseur aussi cohérent que Mach insiste donc sur le fait que nécessairement, parmi les différentes possibilités, celle qui s’impose, comme s’impose la ligne droite comme chemin le plus court entre deux points, est semblable au rapport le plus simple et immédiat entre la cause et l’effet : ce qui doit décider, c’est encore ici le principe d’économie s’imposant dans le rapport cause-effet. 2. Economie de pensée et stabilité L’économie de pensée a bien toujours une valeur biologique, elle épargne les forces du vivant, et aussi une valeur logique, qui n’est rien d’autre que la formulation abstraite du principe de l’épargne vitale. Comme la ligne droite est le chemin le plus court, l’univocité dans le rapport de la cause et de l’effet est la condition d’un ajustement parfait des phénomènes en cours. La causalité comme classement des événements sur la ligne du temps, la flèche du temps du physicien ne suffit pas, il faut que les phénomènes soient liés de façon univoque, c’est-à-dire que le faisceau des conditions de la production ne puisse pas être interverti. On touche une forme d’organicité de la nature, comme phénomène exprimant une seule et même dépense d’énergie. L’explicitation de la formule de Mach semble se trouver dans les recherches de Petzoldt lui offrant sa pleine cohérence ou sa radicalité. Petzoldt affirme ne pas trahir l’intention de la théorie machienne de la causalité, car comme le reconnaît Mach lui-même, il a su reprendre ce que dans sa jeunesse il avait envisagé à travers le projet d’une réinterprétation de la conception néo-humienne de la causalité dans son premier essai sur l’Histoire de la conservation de l’énergie (1872), et ensuite développé dans les deux premières éditions de sa Mécanique. !3 A travers la notion Petzoldt tente de rendre compte du fait que la nature ne se divise pas en des moments arbitrairement divisés par l’homme, difficulté insurmontable exigeant que le savant soumette la nature à un ordre de production que son intelligence seule peut élire. Si la nature se donne d’un seul coup, et si l’ordre temporel de la causalité ne représente qu’une fiction humaine, combien n’apparaîtraient pas encore plus arbitraires les outils conceptuels destinés à faire entrer de force la nature dans le moule a priori de la loi kantienne de la causalité. Nous divisons sa donation en plusieurs moments, et nous inventons pour elle un ordre dont rien ne garantit l’univocité. La véritable univocité de la causalité naturelle suppose que l’on détermine les phénomènes d’après des relations fondées sur leur propre productivité et non pas d’après notre interprétation. Il faut emprunter à la théorie des ensembles le vocabulaire de l’injection pour comprendre comment à une détermination de départ ne correspond qu’une détermination d’arrivée, si bien qu’en continuant la métaphore mathématique, nous dirions que l’image de l’ensemble d’arrivée est le reflet de l’ensemble de départ, et que les cardinaux des deux ensembles sont égaux. Cette heureuse injection est la garantie de l’univocité. L’interprétation de la causalité par Petzoldt est dérivable du rapport au principe de stabilité. La nature soumise à un strict déterminisme ne fait pas de sauts. Les caractères premiers qui conditionnent la relation causale sont la stabilité et l’uniformité. De sorte qu’on ne puisse décider d’une cause unique selon une détermination favorisée, peut-être de façon arbitraire, mais qu’il faille remplacer la causalité par l’univocité. Cette reformulation du problème causal resterait purement abstraite et injustifiée, si on ne comprenait pas sa dépendance à l’égard d’un changement de paradigme effectué dans la théorie des sciences, car a en effet eu lieu le dépassement du fondement mécanique pour une véritable prise en compte du fondement biologique : à savoir que parmi les multiples facteurs à la source d’une évolution, il faut établir ce qui revient à chacun. On oserait dire que les mutations du réel sont le résultat d’un faisceau de circonstances, et que l’on doit manifester la concurrence des facteurs, comme la sélection naturelle met en lumière la concurrence des individus et des espèces. L’univocité dans le rapport causal suppose la pluralité des constituants et des réalités. Ce qu’accomplit précisément Petzoldt, c’est une inversion du rapport entre économie et stabilité, puisque pour lui le principe de l’économie de pensée de Mach est déjà dépendant d’une réalité stable, la réalité biologique. Aussi s’agit-il bien davantage qu’un changement de paradigme : il s’agit de comprendre les conditions de la théorie de l’économie de pensée. Si la méthode empiriocriticiste repose principalement sur le principe d’économie de pensée, c’est que la réalité du monde physique est liée à une certaine quantité d’énergie portée par le vivant, et le principe de la survie est le maintien de ce niveau d’énergie. La stabilité n’est donc pas la conséquence, mais le principe, il gouverne la réalité qui va bien dans un seul sens. C’est ainsi que l’univocité est une détermination immanente : elle n’est pas un principe régulateur, comme la relation artificielle que l’esprit humain plaque sur la réalité de façon arbitraire et qu’il nomme causalité, mais elle est l’expression de la subsistance du monde comme production de vie, comme processus vital. Le principe d’économie reste encore dans d’univocité 1, Cette thèse est déjà ébauchée dans l’article de Petzoldt la Loi de l’univocité, reprise de Maxima, Minima, et Ökonomie, publié en 1890, où se trouve esquissée la critique de l’économisme biologique évolutionniste de Mach, et Avenarius. Petzoldt leur oppose un principe d’univocité et surtout une tendance à la stabilité, venant remplacer le principe d’économie de Mach-Avenarius. Ce sont « non pas les maxima, le minima, et l’économie, mais bien plutôt univocité et la stabilité qui éclairent les aspects de la réalité qui doivent être le centre de notre intérêt » écrit-il dans sa thèse, invitant à penser le fond de la réalité dans une perspective ontologique biologique, et non pas comme l’ont fait ses maîtres dans la seule perspective d’une méthode (biologique) évolutionniste. 1 ! 4 une perspective abstraite, trop marquée encore par le mécanisme, le principe de stabilité rend mieux compte de l’unité du vivant, comme de la production des idées. Le principe de stabilité est directement emprunté à l’expérience du vivant, selon laquelle le sujet observant et l’objet observé sont conditionnés mutuellement par la nécessaire présupposition d’une durée et d’une continuité des faits de la connaissance : « tous les systèmes organiques ou inorganiques qui subissent un développement se maintiennent pour un certain temps comme des touts fermés et changent dans la direction de certains états stationnaires. En particulier, le système nerveux central de l’être humain a la capacité de perdurer pour un temps relativement long comme un organisme particulier, et tous les processus qui adviennent en l’être humain, et spécialement ceux qui courent parallèlement à la vie psychique peuvent être aisément compris en considérant cette tendance à la stabilité : Nous devons concevoir cette conservation et ce développement en connexion avec un certain caractère général des processus naturels, sans lesquels ils ne seraient pas possibles. Nous devons en même temps faire porter à la nature une certaine présupposition générale, sans la confirmation de laquelle nous-mêmes nous ne pourrions pas vivre, ni physiquement ni mentalement. Une telle proposition se trouve à la base de toute recherche scientifique, quelque chose dont nous pouvons être plus ou moins conscient, et nous pouvons avoir la conviction qu’elle vaut partout, puisque nous ne pouvons pas nous concevoir nous-mêmes, avec notre nature mentale particulière, si nous l’imaginions disparaître .(...). Elle consiste dans l’assomption de l’univocité de tous les processus... Il faut non seulement maintenir l’idée d’une constitution commune du connaissant et du connu, mais insister sur l’idée d’une de leur adéquation des deux pour penser la continuité des événements. C’est la version alternative à la théorie de l’harmonie préétablie : « notre plus haute existence mentale, les parties les plus hautement développées de notre système nerveux central sont totalement incompréhensibles sans l’univocité de tous les êtres et de tous les événements ». Ce que Petzoldt retrouve d’un point de vue positiviste, c’est l’accord que la métaphysique a toujours recherché dans le problème de la connaissance, et que Leibniz a identifié sous la forme du principe de l’harmonie préétablie, accord élargi au rapport entre le connaissant et le connu. 3. Identité, unité, univocité N’est-ce qu’un postulat ? Peut-on ainsi justifier « la tendance à l’unité dans le domaine de la connaissance » ? Car comme le souligne justement Lénine, le principe de causalité inscrit dans le cadre du principe de stabilité est « le postulat de l’identité de tout ce qui s’accomplit ». Ce principe décrit assez bien le résultat de la tendance à l’unité, lorsque le cours des choses semble obéir à une parfaite plénitude, au calme, lorsque tout est stable. On notera que le retour à la notion d’unité n’advient pas uniquement chez Petzoldt, mais qu’on l’observe aussi chez Schuppe, dont la théorie phénoméniste joue en parallèle avec la théorie empiriocriticiste pure. L’identité dont il est question chez cet auteur n’est certes pas réductible à la synthèse transcendantale kantienne. La différence entre la cause et l’effet implique forcément la position d’une identité, et “naïvement” se fait jour à travers la différence de la cause et de l’effet, l’idée d’une persistance dans l’identité du phénomène, malgré les différences qui sont intervenues. Si la nature est définie comme identité et permanence dans sa réalité ontologique, on évoquera le télos de l’unité pour caractériser l’acte de la connaissance, comme la réalité en tant qu’objet de connaissance. .« Dans la nécessité empirique, c’est-à-dire dans la légalité des perceptions qui ont lieu, se trouve par conséquent l’unité de la chose. La pensée causale prétend s’appuyer sur l’unité supposée de la réalité », si bien qu’ « on n’acquiert que dans l’unité le but naturel au-delà duquel rien ne peut plus !5 être pensé et où la pensée peut, par conséquent, si elle tient compte de tous les faits du domaine correspondant, parvenir au calme ». Il ajoute ensuite : Il est certain que la nature ne satisfait pas toujours, loin de là, l’exigence de l’unité ; mais il est tout aussi certain que, dès maintenant, elle satisfait néanmoins, dans bien des cas, l’exigence du calme, et, toutes nos recherches antérieures nous portent à considérer comme très probable que la nature satisfera, à l’avenir, cette exigence, en toute occasion. Il serait donc plus exact de définir l’état d’âme existant comme une tendance à des états stables plutôt que comme une tendance à l’unité... Le principe des états stables est plus profond et plus large. Cela permet à Petzoldt de traduire le véritable but du principe de l’économie de pensée : retrouver une forme de quiétude, l’apaisement de toute tension, la production d’une véritable nécessité intellectuelle. En ce sens, l’univocité simplifie la nature et apaise la recherche, la meilleure illustration en serait certainement l’exemple de la ligne droit : A l’exclusion de tout autre moyen de détermination, à part celui d’une impulsion unique, c’est précisément seulement le chemin en ligne droite qui déterminé univoquement. Cependant, on ne peut pas mieux définir la ligne droite elle-même qu’en disant : dans notre espace à trois dimensions, c’est la ligne entre deux points qui est déterminée univoquement au sens où pour chaque déviation à partir d’elle, nous pouvons concevoir un nombre incalculable d’autres qui sont également déterminées. Pour la ligne droite seule, nous ne pouvons penser à aucune autre également justifié. Cela vaut également pour la loi d’inertie (p. 184) qui répond à ce réquisit de simplicité et de continuité (Loi d’inertie, p. 188-194) ; cela explique également le principe de moindre action ou variation (p. 185-188). Plus généralement, une théorie scientifique satisfait dans la mesure où elle rend compte de la continuité de la nature. L’univocité de l’explication signifie que la continuité de la nature est assurée. Ainsi nous ne pouvons trouver une indéfinité dans la succession des apparences. Nous devons seulement observer que l’univocité montre d’autres aspects que dans le cas de la dépendance simultanée. Elle montre son expression particulière ici par dessus tout dans la continuité du changement. La discontinuité serait un changement par saut, et par conséquent de façon générale l’opposé de l’univocité. Dans cette mesure, il y a, outre la dépendance simultanée d’éléments déterminant des faits, aussi une dépendance successive dans les mesures numériques de ces éléments déterminants ..... Finalement, conforme à la justification de la vérité logique exposée par Mach, le principe d’univocité de Petzoldt vient fonder le principe logique de l’identité et de la contradiction. Ce qui est univoque élimine la possibilité de pluralité compossible et ainsi établit la condition même de la non contradiction. Le principe d’univocité en tant qu’il fonde la logique n’est pas lui-même un principe logique, mais un principe indiquant un type de régime d’existence, il aurait donc en premier lieu une valeur biologique, et cette détermination elle-même est compatible avec une schématisation mathématique, puisque l’instrument mathématique offre la commodité et le confort d’une véritable économie de pensée. Petzoldt - ironise Lénine - est, lui, « supérieur à tout anthropomorphisme ». Petzoldt affirme avoir découvert la grande «loi de l’identité», qui élimine toute indécision comme toute trace de fétichisme, choisissant comme exemple le parallélogramme des forces. Il pointe de cette façon qu’on ne peut pas le « démontrer », qu’il faut l’admettre comme un « fait expérimental ». On ne peut admettre, affirme encore Petzoldt, qu’un corps se meuve sous des impulsions uniformes, de façon ! 6 diverse, tel est le reproche adressé à la nature : « nous ne pouvons admettre tant d’imprécisions et d’arbitraire dans la nature ». Aussi est-il facile pour Lénine de se moquer de Petzoldt et de son leitmotiv : « nous ne pouvons admettre... ». Le formalisme scientiste ne pourrait donc pas proposer davantage qu’une normalisation des faits, comme si la réalité, selon les principes de l’idéalisme, devait se soumettre à la législation scientifique : « notre pensée exige de la nature de la précision, et la nature se soumet toujours à cette exigence ; nous verrons même qu’elle est, en un sens, tenue de s’y soumettre ». « Pourquoi la nature ne choisit-elle aucune autre direction parmi les nombreuses directions possibles ? » Parce qu’il y aurait alors pluralité , tandis que la grande découverte empiriocriticiste de Joseph Petzoldt réclame l’unité. Il faudrait ajouter surtout l’univocité. Mais cette univocité est un réquisit arbitraire de la connaissance, nous ramenant à la solution kantienne du problème de la connaissance, énoncée par la Préface de la seconde édition de la Critique de la raison pure, lorsque le savant physicien exige de la nature qu’elle réponde aux questions qu’il lui pose, c’est-à-dire qu’elle nous apprenne ce que nous savions déjà, de façon a priori. Derrière l’interrogation sur la nécessité de la nature, Lénine voit l’ombre de Kant, mais pas primordialement le scepticisme de Hume. Il fait peu de cas de la référence constante de Mach à la solution humienne. Pourtant il faudrait encore ajouter que Avenarius analysant les mécanismes psychologiques intervenant dans la formation de la notion de force, ne peut contredire la référence privilégiée à Hume : la sensation de la force ne donne aucune nécessité au passage d’une cause à un effet, il n’y rien d’autre en cela qu’une probabilité. Le concept de cause montre son insuffisance parce que les conditions qui déterminent les phénomènes sont indéfinies, et la sélection d’une de ces conditions est arbitraire. La réflexion empiriocriticiste veut y substituer une loi de détermination univoque, la loi de l’univocité, qui n’impose pas de façon artificielle un ordre à la réalité, mais prétend rendre compte de la continuité de la réalité. Mais s’il y a bien une forme d’univocité dans les directions que prennent les événements de la nature, c’est que règne en elle une stabilité dont la pensée doit rendre compte. Fidèle en cela à son option moniste, l’empiriocriticisme, dans la pensée de Petzoldt, est forcément lié à une conception biologique de la réalité. On retrouve ici la dépendance de sa pensée à l’égard d’Avenarius, davantage qu’à l’égard de Ernst Mach, puisque la constitution vitale de la pensée y est clairement annoncée. De ce fait, la pensée causale, ou l’idée d’univocité qui s’y substitue, n’est pas un simple point de vue méthodologique, nous ne pouvons y méconnaître une forte portée ontologique. Mais le principe de stabilité, en cela plus radical que le principe de l’économie de pensée dont il apparaît comme le fondement, exige que la pensée elle-même ne fasse pas de sauts, qu’elle s’accorde avec le flux continu et ordonné du réel, que la stabilité de la pensée fasse écho à la structure vivante dont elle n’est qu’une expression. Le dépassement de la pensée causale s’achève donc dans l’idée d’un accord organique entre la pensée et le réel.