SARCOPÉNIE
Quoi de neuf en 2014 ?
C. beaudart (1), s. Gillain (2), J. Petermans (3), J-Y. reGinster (4), o. bruYère (5)
RÉSUMÉ : Le terme «sarcopénie» a été introduit, la première
fois en 1989, par Irwin Rosenberg pour définir une perte
progressive et généralisée de masse et de force musculaires
avec l’avancée en âge. Au-delà de certains seuils, cette perte
de masse et de force musculaires devient anormale. Malgré
l’amélioration des connaissances scientifiques, il n’existe
pas encore de définition universellement acceptée de la sarcopénie. De ce fait, il est aujourd’hui difficile de mesurer la
prévalence de la sarcopénie, car celle-ci est dépendante de la
définition utilisée. La sarcopénie constitue un véritable problème de santé publique dont les conséquences cliniques sont
multiples. Ainsi, on observe une diminution de l’autonomie et
de la qualité de vie, une altération du statut fonctionnel, une
augmentation de la fatigue, des chutes et une mortalité accrue
chez les sujets atteints de sarcopénie. Bien que plusieurs stratégies thérapeutiques, pharmacologiques et non pharmacologiques semblent avoir une action sur la force ou la masse
musculaire, à ce jour, très peu d’études ont évalué les effets de
traitements sur la sarcopénie. Il semblerait donc important
de développer des études interventionnelles de qualité allant
dans ce sens.
MOTS-CLÉS : Sarcopénie - Masse musculaire - Force musculaire
- Diagnostic - Epidémiologie
Résultat à la fois des progrès sociaux, sanitaires et technologiques, la tranche de la population des plus de 65 ans ne cesse d’augmenter
à travers le monde. Si aujourd’hui on compte
environ 600 millions de personnes de plus de
65 ans dans le monde, vers 2050, on devrait en
compter quelque 2 milliards (OMS). L’espérance de vie à la naissance ne cesse également
d’augmenter et se situe aujourd’hui, au sein des
pays industrialisés, autour de 80 ans. Le phénomène de vieillissement entraîne de nombreux
changements dans la composition corporelle
et, parmi ces changements, on note une perte
de masse musculaire squelettique. A partir de
25 ans, on observe en effet une diminution
progressive de la taille et du nombre de fibres
musculaires entraînant une perte de masse
musculaire d’environ 30% à l’âge de 80 ans.
Au-delà de certains seuils, cette perte de masse
musculaire est considérée comme anormale. Ce
phénomène, associé à une perte de force mus-
(1) Doctorante, (4) Professeur Ordinaire, (5) Professeur, Département de Santé Publique, Epidémiologie
et Economie de la Santé, Université de Liège.
(2) Chef de Clinique, (3) Chef de Service, Service de
Gériatrie, Site NDB, CHU de Liège.
Rev Med Liège 2014; 69 : 5-6 : 251-257
SARCOPENIA : WHAT’S NEW IN 2014 ?
SUMMARY : The term “sarcopenia” was first introduced in
1989 by Irwin Rosenberg to define a progressive and generalized loss of muscle mass and muscle strength with advancing
age. Above certain thresholds, that loss of muscle mass and
muscle strength is considered abnormal. Despite the progress
of scientific knowledge, a universally accepted definition of
sarcopenia is still lacking to date. Therefore, it is a real challenge to establish the prevalence of sarcopenia because the
results highly depend on the definition used for its diagnosis .
This geriatric syndrome represents a public health issue with
multiple clinical consequences. Loss of autonomy and quality
of life, altered functional status, increase of fatigue, falls and
a higher mortality rate are well-known consequences of sarcopenia. Although many pharmacological and non-pharmacological therapeutical strategies seem to have a positive impact
on muscle strength and muscle mass, very few studies have yet
assessed the effects of those treatments on sarcopenia itself.
Therefore, developing high-quality interventional studies, in
this field, seem necessary.
KEYWORDS : Sarcopenia - Muscle mass - Muscle strength Diagnosis - Epidemiology
culaire ou à une diminution substantielle de
fonction physique est appelé «sarcopénie». En
2010, un premier article traitant de la sarcopénie, et publié dans la Revue Médicale de Liège,
s’intéressait principalement à la physiopathologie de la sarcopénie (1). Ce thème ne sera donc
pas abordé dans cet article.
DÉFINITION
Le terme sarcopénie (du grec, «sarkos=
chair» et «penia = pauvreté») a été introduit,
la première fois en 1989, par Irwin Rosenberg
(2) pour décrire une perte de masse musculaire
squelettique avec l’avancée en âge. En 1997, le
groupe de Rosenberg (3) affine cette définition
en précisant que la sarcopénie est «une perte
involontaire de masse musculaire squelettique
avec l’avancée en âge». Sur base de cette définition, Baumgartner et al. furent les premiers à
développer une définition opérationnelle de la
sarcopénie. En sommant la masse musculaire
squelettique des quatre membres, ils définissent
la sarcopénie comme étant une diminution de
deux déviations standard de la masse musculaire squelettique appendiculaire par rapport à
un groupe jeune de référence (4). Dans cette
approche, la masse musculaire appendiculaire
est ajustée pour la taille mais, progressivement,
251
C. BEAUDART ET COLL.
d’autres facteurs d’ajustement tels que la masse
corporelle totale ou la masse graisseuse, ont été
proposés et ajoutés à cette définition. La définition de la sarcopénie a ensuite été enrichie
au gré des découvertes scientifiques dans le
domaine et a, de ce fait, évolué pour intégrer
progressivement à la notion de perte de masse
musculaire, celles de pertes de force et de fonction musculaires (5). En effet, la réduction de
la masse musculaire a pour principale conséquence, une réduction de la force musculaire.
L’évaluation de ce paramètre constitue une
approche complémentaire à la masse musculaire permettant de discriminer une population
touchée par la sarcopénie. Malgré l’amélioration des connaissances scientifiques, il n’existe
actuellement pas encore de définition de la sarcopénie universellement acceptée. Toutefois,
un groupe d’experts européens, l’European
Working Group on Sarcopenia in Older People
(EWGSOP), a récemment publié une définition
consensuelle de la sarcopénie (6). La sarcopénie se définirait comme une perte de masse
musculaire couplée soit à une perte de force
musculaire, soit à une diminution des performances physiques.
L’EWGSOP suggère d’utiliser 3 degrés
conceptuels : la présarcopénie, la sarcopénie
et la sarcopénie sévère. Ainsi, la présarcopénie
serait caractérisée par une diminution de masse
musculaire, sans réduction de force musculaire
ou de performance physique; la sarcopénie
serait identifiée par une diminution de masse
musculaire associée à une perte de force musculaire ou de performance physique; la sarcopénie sévère serait, quant à elle, définie lorsque
les 3 critères sont atteints.
MESURE
DE LA SARCOPÉNIE
Une large gamme de techniques peut être
utilisée pour mesurer les différentes composantes de la sarcopénie (7), telles que définies
par l’EWGSOP, à savoir la masse musculaire,
la force musculaire et la performance physique.
LA
MASSE MUSCULAIRE APPENDICULAIRE
La masse musculaire peut être mesurée par
trois techniques d’imagerie médicale. La tomographie par ordinateur (CT-scan), l’imagerie
par résonance magnétique (IRM) et l’absorptiométrie biphotonique à rayons X (DXA). Le
CT scan et le IRM sont actuellement les techniques de référence en recherche, dites «gold
standard». En effet, ces méthodes permettent
de séparer la masse graisseuse des autres tis252
sus du corps et d’ainsi obtenir des images et
une mesure très précise de la masse musculaire.
Toutefois, les coûts importants et la difficulté
d’accès à ces équipements limitent l’utilisation
de ces deux techniques en pratique clinique. De
ce fait, l’alternative la plus largement utilisée
pour mesurer la masse musculaire appendiculaire est la DXA. Cette technique, démontrant
une excellente corrélation par rapport au gold
standard, permet de distinguer la graisse, la
densité minérale osseuse et la masse maigre par
la transmission à travers le corps de rayons X à
haute et basse énergie. Différents seuils existent
pour définir la sarcopénie. Toujours basés sur
une diminution de deux déviations standard de
la masse musculaire squelettique appendiculaire
par rapport au groupe jeune de référence, ce
sont généralement les seuils proposés par Baumgarner et al. (4), qui sont retenus, à savoir une
masse musculaire squelettique appendiculaire/
taille² inférieure à 7,26 kg/m² pour un homme
et 5,5 kg/m² pour une femme. Cette technique
d’absorptiométrie biphotonique à rayons X
présente l’avantage d’exposer le patient à des
rayonnements limités, contrairement au CTscan, mais comporte toutefois le désavantage
de ne pas être portative, ce qui peut limiter son
usage dans le cas d’études épidémiologiques à
grande échelle. Ainsi, d’autres techniques, portatives cette fois, comme l’impédancemétrie,
ont également été développées pour mesurer
la masse musculaire. Le principe d’analyse
d’impédance bioélectrique permet d’obtenir
des estimations du volume de masse graisseuse et de masse maigre. Le principe repose
sur une analyse segmentaire multi-fréquence
réalisée au moyen d’électrodes tactiles placées
en différents points du corps. Cette technique
est peu coûteuse, facile d’utilisation et peut être
réalisée à la fois chez des patients ambulants
et chez des patients alités. Cette méthode est
toutefois reconnue pour sous-estimer la masse
graisseuse et surestimer la masse musculaire.
De ce fait, les seuils de diagnostic de la sarcopénie ont été adaptés et s’élèvent à 8,87 kg/
m² pour les hommes et 6,42 kg/m² pour les
femmes (8). Enfin, des mesures anthropométriques sont également utilisées pour mesurer la
masse musculaire. Chez l’homme, des calculs
basés sur la circonférence et l’épaisseur du pli
cutané de la partie médiane du bras ont été utilisés pour estimer la masse musculaire dans le
cadre ambulatoire. Même si ces mesures sont
très simples d’utilisation en pratique clinique
et corrélées positivement avec la masse musculaire, la perte d’élasticité de la peau chez les
personnes âgées ainsi que les modifications
Rev Med Liège 2014; 69 : 5-6 : 251-257
SARCOPÉNIE EN 2014
avec l’âge des dépôts adipeux contribuent à
engendrer un certain nombre d’erreurs dans les
estimations de la masse musculaire des populations âgées. On observe, en effet, des faibles
corrélations entre la mesure de circonférence
du mollet et l’épaisseur du pli cutané par rapport à la mesure de masse musculaire par DXA
(9). De ce fait, dans le cadre du diagnostic de la
sarcopénie, seuls les examens par DXA et par
analyse d’impédance bioélectrique sont recommandés par l’EWGSOP.
LA
FORCE MUSCULAIRE
Il existe également différentes méthodes
pour mesurer la force musculaire. Trois techniques de mesure pourraient potentiellement
être utilisées dans le cadre du diagnostic de la
sarcopénie, à savoir la force de préhension, la
force de flexion ou d’extension du genou et le
débit expiratoire de pointe.
En recherche clinique, c’est généralement la
mesure de la force de préhension qui est utilisée
pour définir la force musculaire. En effet, cette
mesure, démontrant une très bonne reproductibilité inter- et intra-examinateur, semble fortement corrélée avec la puissance musculaire des
membres inférieurs et la force d’extension du
genou (10). Elle est plus facile à mesurer que la
force d’extension qui requiert l’utilisation d’appareils de mesures plus sophistiqués, limitant
ainsi l’utilisation de cette mesure en pratique
clinique. La force de préhension se mesure par
le biais d’un dynamomètre. Les critères de diagnostic de la sarcopénie pour la force musculaire sont définis à 30 kg pour un homme et
20 kg pour une femme (6). Bien que ces critères soient définis, la variabilité des protocoles
de mesure de la force de préhension entraîne
une certaine variabilité dans les résultats, ce
qui rend, par ailleurs, les comparaisons entre
études difficiles. Pour contrer ce problème,
certains auteurs ont tenté de développer une
approche standardisée de mesure de la force de
préhension (11). Ils souhaitent que le résultat
utilisé pour diagnostiquer la sarcopénie soit la
meilleure des 6 mesures de force de préhension prises de manière consécutive, 3 du côté
dominant et 3 du côté non dominant. Dans certaines études, la force musculaire est également
mesurée par le débit expiratoire de pointe. Bien
que cette méthode soit peu coûteuse et simple
à réaliser, elle nécessite une population ne présentant pas de troubles pulmonaires. De plus,
peu de recherches cliniques ont été réalisées
pour confirmer la validité de cette mesure par
rapport à des mesures gold standard. De ce fait,
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dans le cadre du diagnostic de la sarcopénie,
l’EWGSOP recommande actuellement l’utilisation de la force de préhension pour mesurer
la force musculaire.
LA
PERFORMANCE PHYSIQUE
Ici encore, on note différents tests pour
mesurer la performance physique. Les plus
couramment utilisés sont la mesure de la
vitesse de marche, le test du «Short Physical
Performance Battery (SPPB)», le test du «Get
Up and Go» et le «Stair Climb Power Test». On
note toutefois que la mesure de la vitesse de
marche et le test du SPPB sont les deux tests
recommandés par l’EWGSOP. Le Short Physical Performance Battery est un test composite
mesurant à la fois la vitesse de marche, l’équilibre et la capacité à se relever 5 fois d’une
chaise. Il présente une bonne corrélation par
rapport à un test de marche de 400 mètres. De
plus, un groupe d’experts a recommandé son
utilisation dans les études cliniques chez des
personnes âgées fragiles (12). Ce test est, par
ailleurs, recommandé par d’autres groupes de
recherche sur la sarcopénie (5). La vitesse de
marche, bien qu’elle ne soit qu’une des composantes du Short Physical Performance Battery,
est également une mesure largement utilisée
pour apprécier la performance physique. Le
seuil utilisé dans le diagnostic de la sarcopénie,
sur recommandation de l’EWGSOP, est de 8
points ou moins pour le test du SPPB et de 0,8
mètre/seconde ou moins pour un test de marche
sur 4 mètres (6).
P R É VA L E N C E
DE LA SARCOPÉNIE
La prévalence mesurée de la sarcopénie peut
varier considérablement selon l’âge, le sexe et
la provenance de la population étudiée. Plusieurs études ont montré que la prévalence de
la sarcopénie au sein d’une cohorte peut varier
de 7 à 56 % selon le type de population étudiée.
D’une manière générale, on observe une plus
grande prévalence de la sarcopénie chez les
hommes, chez les sujets plus âgés ou, encore,
chez les sujets résidant en maison de repos. Il
semblerait également que la prévalence de la
sarcopénie soit plus faible chez les populations
présentant une couleur de peau foncée.
Une des conséquences de l’absence de définition universellement reconnue de la sarcopénie est la difficulté à comparer les données de
prévalence de la sarcopénie issues d’études différentes. En effet, la prévalence est également
fortement dépendante de la définition de dia253
C. BEAUDART ET COLL.
gnostic utilisée. En 2013, Batsis et al. (13) ont
mesuré la prévalence de la sarcopénie au sein
d’un échantillon de 4.984 sujets âgés de plus
de 60 ans et ont trouvé une prévalence pouvant
varier de 7% à 94% selon la définition utilisée.
Il en ressort, d’une manière assez logique, que
les définitions n’intégrant que la variable masse
musculaire présentent une prévalence mesurée
supérieure aux définitions intégrant, en plus
de la masse musculaire, la force et la fonction
musculaires. Une seconde étude, réalisée en
2013 (14) a également voulu mesurer le degré
de concordance entre différentes définitions,
ainsi que différents seuils de diagnostic. Ainsi,
on retrouve une prévalence, chez les hommes,
variant de 0 à 20,8% pour les moins de 60 ans,
de 0% à 31,2% pour les sujets âgés de 60-69 ans
et de 0% à 45,2% pour les plus de 70 ans. Chez
les femmes, la prévalence varie de 0 à 15,6%
pour les plus jeunes, de 0% à 21,8% pour les
femmes âgées de 60 à 69 ans et, enfin, de 0 à
25,8 % pour les plus de 69 ans. La prévalence
de la sarcopénie semble donc fortement dépendante des définitions utilisées pour le diagnostic. On note également qu’un seul individu a
été diagnostiqué sarcopénique selon l’ensemble
des définitions utilisées, ce qui témoigne d’une
discordance de diagnostic importante entre ces
définitions.
C O N S É QU E N C E S
La sarcopénie a également un impact médicoéconomique important. En effet, on note une
augmentation du nombre de jours d’hospitalisation, du nombre d’institutionnalisations, ainsi
que de la durée d’hospitalisation chez les sujets
fragiles ou atteints de sarcopénie. Ces différents
coûts de santé, couplés aux coûts occasionnés
par la perte d’autonomie du sujet sarcopénique,
entraîneraient une dépense de santé annuelle
pour la sarcopénie estimée à 18,5 milliards de
dollars aux Etats-Unis (18). Aucune estimation
économique européenne fiable n’a encore été
réalisée.
TRAITEMENTS
DE LA SARCOPÉNIE
L’intérêt croissant de la sarcopénie en
recherche clinique s’explique par ses conséquences néfastes sur, entre autres, l’autonomie,
la fatigue, le statut fonctionnel, les chutes et la
mortalité, faisant de la sarcopénie un véritable
problème de santé publique.
Plusieurs études observationnelles et prospectives ont, à ce jour, démontré chez les sujets
atteints de sarcopénie, une diminution des performances physiques, des limitations fonctionnelles, des troubles de la mobilité et, parfois, une
forte invalidité. Par conséquent, ces personnes
semblent moins autonomes dans la réalisation
des activités de la vie quotidienne. En lien avec
ce statut fonctionnel, plusieurs études mettent
également en évidence que la sarcopénie doit
être considérée comme un facteur de risque
de chutes. Une grande étude prospective (15)
démontre, en effet, une augmentation du risque
de chute accidentelle chez les sujets sarcopéniques en comparaison aux sujets non sarcopéniques avec un HR = 3,23 (IC 95% 1,25 - 8,29).
En plus de ces conséquences fonctionnelles,
les sujets atteints de sarcopénie démontreraient
254
également des symptômes de dépression plus
importants, un moins bon statut nutritionnel,
une fatigue plus importante, ou encore, une
moins bonne qualité de vie (16). Plusieurs
études longitudinales ont, par ailleurs, confirmé
une association entre faible masse musculaire
et mortalité accrue. Cette relation est confirmée dans la sarcopénie. Ainsi, Landi et al. (17)
montrent un plus grand risque de décès chez les
sujets sarcopéniques en comparaison aux nonsarcopéniques, même après ajustement pour
plusieurs facteurs confondants tels que l’âge,
le sexe, le niveau d’éducation, les activités de
la vie courante, le BMI ou encore les comorbidités.
La sarcopénie est un phénomène multifactoriel complexe pouvant potentiellement être
traité par diverses stratégies thérapeutiques. A
ce jour, très peu d’études ont évalué les effets
de traitements sur cet état. Toutefois, différentes
approches thérapeutiques ont prouvé leur efficacité sur la force et la masse musculaires
auprès de personnes issues de la population
générale et pourraient donc être potentiellement intéressantes chez les patients atteints de
sarcopénie.
Plusieurs études suggèrent que l’inactivité
physique serait une des principales étiologies
de la perte de force et de masse musculaires. On
pourrait donc supposer qu’une pratique d’activité physique régulière, ou encore une marche
régulière, pourrait avoir un effet protecteur visà-vis de la sarcopénie (19). En 2009, une métaanalyse incluant 6.700 sujets âgés et publiée
dans Cochrane (20) montre que des exercices de
contre-résistance réalisés à raison de 2 à 3 fois
par semaine, même de faible intensité, amélioreraient significativement la force musculaire
et les performances physiques, deux composantes de la sarcopénie. En 2010, une seconde
Rev Med Liège 2014; 69 : 5-6 : 251-257
SARCOPÉNIE EN 2014
méta-analyse, réalisée cette fois sur 1.079 sujets
(21), montre un effet significatif des exercices
de résistance sur la force musculaire. Les résultats sont cependant particulièrement observés à
une haute intensité d’effort. Les bénéfices des
exercices de résistance sont également observés
sur la masse musculaire puisqu’une méta-analyse, parue en 2010, montre un gain significatif
de masse musculaire suite à des exercices de
résistance, particulièrement lorsque ces exercices sont réalisés à haute intensité (22). On
note toutefois que ces exercices physiques de
haute intensité ne sont pas toujours adaptés à
une population de sujets âgés. Ainsi, d’autres
stratégies thérapeutiques ont été investiguées.
Au cours des dernières années, la vibrotonie
corporelle totale a connu un intérêt croissant
en recherche clinique. En effet, ce type de thérapeutique dite passive réduirait le risque de
chutes et les troubles de la mobilité des personnes âgées (23). Investiguée dans le domaine
de la sarcopénie, la vibrotonie corporelle totale
semblerait améliorer la masse musculaire et
la force musculaire et pourrait ainsi avoir un
effet sur la sarcopénie. Peu d’études se sont
toutefois intéressées à cette thérapeutique
dans le domaine musculaire et les résultats
de ces interventions restent discutés (24, 25).
D’autres études de qualité seraient donc nécessaires pour confirmer cet effet. En 2010, «The
Society for sarcopenia, cachexia and washing
disease» a réuni un groupe d’experts et élaboré
des recommandations pour la prévention de
la sarcopénie (26). Ces experts conseillent de
combiner une intervention d’activité physique
à une prise en charge nutritionnelle. Plusieurs
chercheurs se sont ainsi intéressés au rôle
des protéines dans cet état clinique. La majorité des études suggère qu’un apport suffisant
de protéines ou d’acides aminés augmente la
synthèse protéique des muscles squelettiques,
aussi bien chez les sujets jeunes que chez les
personnes âgées. Aujourd’hui, les besoins en
protéines des personnes âgées fragiles sont
encore mal connus. Toutefois, les changements
métaboliques observés dans leurs muscles suggèrent un besoin en protéines plus important
pour les sujets de plus de 65 ans que pour les
sujets plus jeunes. Il semble donc raisonnable
de préconiser un apport protéique de 1 à 1,2g/
kg de poids corporel, par jour, pour une personne âgée (27). Ainsi une supplémentation en
protéines, couplée à l’exercice physique augmenterait la masse musculaire. Une seconde
étude de cohorte montre une perte de masse
musculaire moins importante chez les sujets
consommant plus de protéines par rapport aux
Rev Med Liège 2014; 69 : 5-6 : 251-257
sujets en consommant moins (28). A ce jour,
la seule étude disponible ne semble toutefois
pas montrer d’effet bénéfique d’une supplémentation en protéines chez les sujets atteints
de sarcopénie. On note également, que, idéalement, cette supplémentation protéique doit
être combinée à une prise en charge physique.
Malgré l’organisation de campagnes de promotion de l’activité physique (29), les exercices
ne sont cependant pas toujours acceptés par
les sujets âgés. Ainsi, outre ces thérapeutiques
non pharmacologiques, de nombreuses options
pharmacologiques ont également été étudiées.
Une récente revue de la littérature (30) indique,
pour seuls traitements potentiels de la sarcopénie, la testostérone et la vitamine D. Plusieurs
études épidémiologiques soutiennent, en effet,
le lien entre la diminution des taux sériques de
testostérone au cours du temps et la diminution
de masse et de force musculaires. En 2006, une
méta-analyse montre une action modérée, mais
significative d’un traitement par testostérone
sur la force musculaire. La testostérone semblerait également augmenter la masse musculaire
du sujet âgé (31). Cette thérapeutique potentiellement intéressante pour la sarcopénie présente
le désavantage de ne pouvoir être administrée qu’à une population de sujets masculins.
Depuis peu, plusieurs chercheurs se sont également intéressés aux effets d’une supplémentation en vitamine D sur la force et la masse
musculaires. En effet, plusieurs associations
transversales semblent démontrer un lien entre
le taux sérique en vitamine D et la fonction
musculaire. Nous avons récemment réalisé une
méta-analyse visant à évaluer les effets d’une
supplémentation en vitamine D sur la force et
la masse musculaires. Les résultats démontrent
une amélioration faible, mais significative de
la force musculaire suite à une supplémentation en vitamine D. Toutefois, nous n’avons
observé aucun effet sur la masse musculaire.
A notre connaissance, aucune étude randomisée-contrôlée n’a encore évalué les effets d’une
supplémentation en vitamine D sur la sarcopénie. D’autres options pharmacologiques sont
également étudiées telles que l’hormone de
croissance (IGF-1), la déhydroépiandrostérone
(DHEA) ou encore les modulateurs sélectifs
des récepteurs aux androgènes (SARMs), ou la
leptine. Les effets de ces thérapeutiques restent
toutefois variables selon les études. Certaines
thérapeutiques non pharmacologiques et pharmacologiques, ayant montré des effets positifs
et prometteurs sur la masse et la force musculaires mériteraient, dès lors, d’être testées dans
des essais plus élaborés.
255
C. BEAUDART ET COLL.
CONCLUSION
La sarcopénie est un phénomène complexe,
multifactoriel, dont les conséquences en termes
de santé publique peuvent être considérables.
Bien qu’il n’existe actuellement pas de consensus universel sur une définition de la sarcopénie, la recherche à ce niveau est en progrès
puisqu’un consensus européen a dorénavant
été établi. Ce dernier permet actuellement
d’uniformiser le diagnostic opérationnel de la
sarcopénie en se basant sur une mesure de la
masse musculaire, de la force musculaire ainsi
que de la performance physique. Une meilleure
connaissaion de la sarcopénie pourrait avoir un
impact significatif sur la mise en place de stratégies thérapeutiques pertinentes et ainsi, sur
l’amélioration de la santé et de la qualité de vie
des sujets atteints. Actuellement, il semblerait
que les exercices de résistance, à une intensité
relativement lente, soient la meilleure indication
thérapeutique. On note toutefois que ces exercices ne sont pas toujours adaptés, ni acceptés,
par la population des sujets âgés. Dans le cadre
de la sarcopénie, il est donc important d’adopter
une stratégie de prise en charge globale, multifactorielle. Au vu des causes et conséquences
multiples de la sarcopénie, il est nécessaire de
trouver une réponse thérapeutique dans laquelle
gériatres, kinésithérapeutes, ergothérapeutes,
psychologues, nutritionnistes, ou encore médecins traitants auraient tous un rôle clé à jouer.
La supplémentation en protéines et en vitamine
D pourrait également s’avérer intéressantes.
Des études interventionnelles de qualité sont
pourtant indispensables pour évaluer les effets
de ces thérapeutiques sur la sarcopénie.
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Les demandes de tirés à part sont à adresser au
Dr C. Beaudart, Département des Sciences de la
Santé Publique, Université de Liège, Belgique.
Email :
[email protected]
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