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Jean-Pierre Perreault

Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Compte rendu Mathieu Albert ETC, n° 15, 1991, p. 73-75. Pour citer ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/35973ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 15 janvier 2013 04:40 « Jean-Pierre Perreault »

Compte rendu « Jean-Pierre Perreault » Mathieu Albert ETC, n° 15, 1991, p. 73-75. Pour citer ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/35973ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Document téléchargé le 15 janvier 2013 04:40 SPECTACLES JEAN-PIERRE PERREAULT D epuis la création de sa première pièce en 1972, Les Bessons, Jean-Pierre Perreault n'a jamais été guidé par un autre phare que celui d'une interrogation des potentialités contenues à l'intérieur de l'espace scénique. Interrogation de la danse, bien sûr, dans la spécificité constitutive de ses éléments (dynamiques, rythmiques, géométriques et syntaxiques), mais aussi des diverses composantes qui lui sont connexes, et dont la présence fixe la nature de l'environnement qui lui sert de support : la lumière, la scénographie, les costumes, la musique, le lieu où prend place la représentation (en intérieur ou en extérieur). Chez Jean-Pierre Perreault, la chorégraphie ne répond nullement à la définition univoque de la seule organisation des corps dans l'espace, mais à celle, beaucoup plus riche, de la résolution d'un problème d'ordre formel. La danse qu'il crée, ou plutôt les lieux qu'il invente, ne sont ni soumis à l'exigeance prioritaire de l'expressivité (l'intention dramatique) ni à celle de la mathématique chorégraphique. Les œuvres auxquelles il donne forme sont plutôt le résultat d'une volonté d'intégration des multiples matériaux qu'il sollicite pour faire partie de la matière de ses productions. Perreault conçoit la création comme un effort de synthèse, une démarche dont l'aboutissement ultime consiste non seulement à accomplir le triomphe des corps sur la scène, mais aussi à réaliser leur insertion à l'intérieur d'un univers scénique dans lequel ils ne sont plus les dépositaires de la souveraineté, mais où, désormais, ils se solidarisent à l'ensemble des éléments avec lesquels ils coexistent. La danse est destituée de son statut privilégié. Sa position, amputée de son caractère prédominant, correspond à celle d'un partenaire engagé dans une démarche dont elle n'est plus qu'un des multiples fragments. Au niveau de ses grands principesdirecteurs, le langage développé par le chorégraphe trouve son origine dans le vocabulaire que Jeanne Renaud, la fondatrice du Groupe de la Place Royale (GPR), utilisait au cours des années soixante. En bref: prédilection en faveur du formalisme ; refus des procédures théâtrales (tant g narratives que dramatiques) ; valorisation de | toutes les disciplines impliquées dans la construction du spectacle ; souci d'osmose, ou de complémentarité, entre chacun des éléments qui entrent dans le tissus de l'œuvre. Jean-Pierre Perreault (qui a dansé au GPR de 1967 à 1977, et qui en a dirrigé les activités avec Peter Boneham à compter de 1971 jusqu'en 1980) a repris à son compte les valeurs fondamentales qui animaient le travail de Jeanne Renaud. Il en a poursuivi, développé, et réinventé pour lui-même les différentes assises esthétiques qui en déterminaient le caractère visuel et sonore. Pour les fins de cet article, nous nous arrêterons essentiellement sur les pièces qui appartiennent à la troisième période du chorégraphe, c'est-à-dire celles qui sont comprises dans l'intervalle qui sépare Refrains : an Opera, qu'il a réalisé à Vancouver au printemps 1981, et îles, sa toute dernière chorégraphie, dont la création a eu lieu au Théâtre Maisonneuve en mars 1991A Deux motifs nous incitent à nous arrêter sur cette étape de la trajectoire de Perreault. Premièrement, parce que la presque totalité de ses œuvres au nombre de quinze qui en forment la trame entretiennent des liens intimes les unes avec les autres (les analogies sont nombreuses) ; et deuxièmement, parce que c'est au cours de cette période que l'ensemble des données qu'il a accumulées précédemment (de façon éparse) s'ordonnent selon un système relationel qui leur donne tout leur sens. C'est là, à partir de Refrains, et ensuite à partir de ]oe, qu'il réalise en 1983, que Perreault opère le renouvellement de son langage chotégraphique et que, simultanément, il révise les modalités qui régissaient son processus de composition. Deux changements majeurs qui surviennent de façon concomitante, et qui exerceront une influence déterminante sur l'ensemble de sa production ultérieure (Stella en 1985, Nuit en 1986, Eldorado en 1987, Les lieux-dits en 1988, Iles en 1991, etc.) Tout d'abord, disons immédiatement en ce qui concerne Joe, contrairement au discours qui s'est développé autour de l'œuvre, que celle-ci n'occupe nullement la position qu'on a bien voulu lui attribuer au sein du corpus des pièces de Perreault. Ce n'est pas dans Joe, pat exemple, que le chorégraphe expérimente pour la première fois le mouvement de masse, mais bien dans Refrains, une chorégraphie dans laquelle un bataillon de trente-cinq danseurs se déplaçait dans l'espace selon une succession de figutes géométriques2. Ce n'est pas dans Joe non plus que Perreault conçoit initialement l'idée d'unifier la musique à la danse, mais bien dans Danse pour sept voix qu'il réalise en 1976 en collaboration avec Petet Boneham ; une pièce où les interprètes cumulent les fonctions de danseurs et d'instrument vocal. Enfin, ce n'est pas dans Joe, à nouveau, qu'il faut chercher l'origine de sa préoccupation en faveur de la sculpture de l'espace, mais plutôt dans Dernière paille, qu'il a créé en 1977. Une chorégraphie dans laquelle la surface du plateau est altérée par la présence de trois monticules ; un trio de fotmes pyramidales sur lesquels les danseurs viennent accomplir quelques-uns des segments de la chorégraphie. ]oe n'est donc pas le moment inaugutal d'un nouveau vocabulaite chez le chorégraphe, mais plutôt le lieu où se concrétisent et se réunissent, selon les règles d'une nouvelle cohésion, un ensemble d'unités expérimentales dont il avait déjà fait usage auparavant (essentiellement au cours de sa deuxième période). En contrepartie, c'est bien dans cette pièce, ainsi que dans Refrains, qu'il réalise deux ans auparavant, qu'il faut voir l'apparition d'un nouveau langage gestuel, ainsi qu'une nouvelle forme de participation du corps à l'ensemble architectural formé par l'imbrication des diverses composantes du spectacle. C'est là aussi qu'il faut déceler la genèse d'un mode d'écriture chorégraphique engagé dans les procédures de son renouvellement, ainsi qu'une façon nouvelle de concevoir l'œuvre dans sa globalité. À partir du début des années quatre-vingt, Perreault cesse graduellement de se percevoir comme un chorégraphe au sens coutumier du terme (celui qui génère la danse), et développe une attitude devant la création qui rejoint les problématiques propres à l'univers des arts visuels. Ce n'est plus des corps en mouvement qu'il fait circuler sur la scène, mais plutôt une matière sculpturale douée de mobilité, et dont la texture et la vélocité des phrasés sont désormais indissociables de l'environnement qui les complète et qui leur donne sens. La danse cesse d'exister comme entité autonome et singulière pour s'enraciner dans une présence fondée sur un rapport d'interaction. Intetaction avec l'espace sculpté par la lumière et les formes diverses qui sont fixées au sol ; intetaction avec la musique dont elle devient la principale génératrice (par le martèlement des pas au sol), et interaction avec elle-même (si nous pouvons nous exptimer ainsi), au sens où les danseurs, dans les relations spatiales et temporelles qu'ils entretiennent les uns avec les auttes, créent successivement des moments de tension et d'apaisement. Il n'y a nul souci de dtamaticité ni volonté consciente de convoquer la métaphore, mais un travail sur la diversité des matétiaux, sur leur masse, leur volume, leur configuration, ainsi que sut les divers modes relationnels qui peuvent s'établir entre eux. La pratique du dessin, dont l'apparition est corollaire à la transformation du vocabulaire chez le chorégraphe, scelle sa nouvelle conception du spectacle, et inaugure en même temps un procédé de composition qui, pour lui, est entièrement neuf. A partir de ]oe, et de façon plus systématique à partir de Nuit qu'il réalise en 1986, Jean-Pierre Perreault trouve dans le dessin un espace de réflexion propice à la gestation de ses œuvres. C'est là, dans cette praxis antérieure à la danse, antétieure également au travail qu'il effectue en studio auprès de ses interprètes, O Jean-Pierre Perreault, Les lieux-dits, 1988. Fusain, graphite et pastel ; 34,5 cm x 28 cm. qu'il conçoit le lieu dans lequel le spectacle prendra place. Il en définit la couleur et l'esprit, en fixe les jeux de perspectives (Les Lieux-dits et Iks), en élabore le système de relation qui régira l'organisation des éléments dont il sollicite la présence. Le dessin lui ouvre la porte sur un univers dégagé des contingences de la matérialité et lui permet d'incuber son œuvre dans l'espace ouvert, et plus facilement maniable, du concept. L'apparition de cette nouvelle pratique sera déterminante. À partir de ce moment, les pièces qu'il crée émergent à la manière d'une globalité, d'un tout homogène à l'intérieur duquel chacune des composantes ne peut trouver la pleine mesure de son efficacité que dans la présence simultanée de toutes les autres. La musique, par exemple, ne peut exister que parce que la danse en assure la diffusion ; la chorégraphie ne peut acquérir la pleine dimension de son relief que dans la mesure où elle s'intègre à un environnement spécialement conçu à son intention ; tandis que la sculpture du lieu ne réussit qu'à trouver son sens que par la présence vivante des danseurs qui en occupent l'espace. Jean-Pierre Perreault n'a jamais conçu le spectacle chorégraphique autrement qu'à l'image d'une osmose entre les divers éléments impliqués dans sa construction (les œuvres multimédia de sa première période le prouvent amplement), mais c'est ici, dans sa troisième période, dans le renouvellement de son vocabulaire et des matériaux qu'il utilise (ainsi dans l'apparition du dessin comme exercice préparatoire) que son langage atteint le plus haut degré de singularité. C'est là, dans ses éléments réunis, que Perreault inaugute une voie qui, désormais, le distingue de tous les autres. Dans une étude que nous avons réalisée précédemment, nous avons scindé lo trajectoire du chorégraphe en trois périodes successives afin de mettre en relief les préoccupations diverses qui en caractérisent la progression. À titre d'information, mentionnons simplement ici que la première période s'étend de 1972, avec LesBessons, jusqu'à 1975 avec Monument; la seconde, de 1976 avec 100 000 Signes, jusqu'en 1980 avec Dix minutes ; et la troisième, de 1981 avec Refrains : an Opem, jus-qu'à aujourd'hui, avec sa dernière création, Iles. À titre de comparaison, la première version de Joe, en 1983, ne comptait que vingt-deux danseurs. MATHIEU ALBERT