COnTEXTES
Revue de sociologie de la littérature
Varia
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
Denis Saint-Amand and Léa Tilkens
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ISSN: 1783-094X
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Denis Saint-Amand and Léa Tilkens, « Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique », COnTEXTES
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Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
Ce qu’Éric Chevillard fait à la
critique académique
Denis Saint-Amand and Léa Tilkens
1
Dynamique, multiple et toujours en cours d’élaboration1, l’œuvre d’Éric Chevillard,
publiée en majeure partie aux éditions de Minuit et chez Fata Morgana, suscite depuis
plusieurs années un discours critique de plus en plus nourri, ce qui se manifeste à travers
l’augmentation des articles scientifiques, mémoires et thèses lui étant consacrés.
Longtemps discret, sinon tout à fait absent des espaces médiatiques assurant la visibilité
de l’écrivain, l’auteur se montre plus disert depuis une quinzaine d’années, accordant des
entretiens dans lesquels il expose les rouages et les enjeux de son travail, chroniquant les
publications de ses pairs dans Le Monde des Livres (sans rechigner à railler celles qu’il juge
creuses et dispensables) et tenant, depuis 2007, le blog L’Autofictif, alimenté
quotidiennement de billets rappelant les Nouvelles en trois lignes de Fénéon et dans
lesquels une large part est accordée à une réflexion sur le milieu littéraire, ses acteurs et
ses fonctions. L’œuvre elle-même se distingue par sa forte teneur réflexive et son
énonciation ironique, voire potache : de la confection d’une pseudo-édition savante des
inédits d’un écrivain mort par l’un de ses amis ne parvenant pas à dissimuler son mépris
du défunt (L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster, 1999) jusqu’à l’éreintement du critique
responsable de tous les maux du monde (Démolir Nisard, 2006) en passant par le portrait
de l’écrivain voyageur se complaisant dans les stéréotypes sur l’Afrique (Oreille rouge,
2005) et l’autoportrait dédoublé permettant le développement d’une poétique de la
digression (autour de la détestation du gratin de chou-fleur ― L’Auteur et moi, 2012), les
textes de Chevillard mettent volontiers l’institution littéraire en scène, dans ses
fondements et ses à-côtés, et s’amusent de ses tics, de ses poses et de ses travers.
2
Parmi les travaux récents consacrés à l’auteur, nous voudrions revenir ici sur les livres
Pour Éric Chevillard, publié en 2014 aux éditions de Minuit (désormais PEC, suivi du numéro
de page), et Éric Chevillard dans tous ses états, sorti en 2015 chez Classiques Garnier
(désormais ECE, suivi du numéro de page). Ces deux volumes collectifs sont bien distincts
sur le plan de la structure et de l’origine, mais le recoupement de leurs logiques et de
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1
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
leurs effets nous semble révélateur d’une posture critique qui mérite qu’on s’y attarde. Le
premier ouvrage contient quatre contributions signées par Bruno Blanckeman, Thiphaine
Samoyault, Dominique Viart et Pierre Bayard. Le second, codirigé par Olivier BessardBanquy et Pierre Jourde, rassemble les actes du colloque « Éric Chevillard », organisé en
mars 2013 à l’Université Stendhal-Grenoble 3. Les deux maîtres d’œuvre sont non
seulement des spécialistes de la littérature contemporaine ― et, en particulier, du travail
de Chevillard, qu’ils connaissent excellemment ―, mais ils sont également devenus des
proches de l’auteur. Une telle disposition ne les empêche pas de livrer à son propos des
études aussi solides qu’admirables2, mais infléchit les modulations polyphoniques qui se
déploient au cœur de ce collectif : il comporte, en sus de l’introduction, un texte signé par
Chevillard lui-même, une intervention de l’écrivain-traducteur Claro et dix-sept articles
interrogeant l’œuvre de l’écrivain sous toutes ses coutures, depuis la posture énonciative
qui la soutient jusqu’à la stylistique de la phrase, du bestiaire qu’elle abrite aux
reconfigurations génériques qu’elle permet. Si les auteurs se penchent avant tout sur les
textes publiés chez Minuit (laissant de côté, pour l’heure, les œuvres hébergées par les
éditions Fata Morgana), différents articles étudient des dimensions a priori périphériques
mais fondamentales, telles que le projet L’Autofictif, le feuilleton critique du Monde 3 et la
réception de Chevillard dans la presse.
1. Entre réparation et célébration
3
Disons-le d’emblée : outre l’intérêt des lectures qu’ils réunissent, ces deux volumes ont
ceci de fascinant qu’ils fonctionnent comme des prises de position en faveur d’un auteur
dont ils contribuent à asseoir la légitimité à défaut de pouvoir lui garantir le succès
auprès d’un large public. La reconnaissance d’un auteur, on le sait, est une question très
relative : à envisager les formes, motifs et principes de la consécration à l’œuvre au sein
du champ littéraire4, on peut distinguer à grands traits différentes tendances plus ou
moins antagonistes procédant de la distinction bourdieusienne entre une sphère de
grande production et une sphère de production restreinte. On se souvient que Bourdieu
opposait une logique de publication privilégiant le profit économique à court terme,
fondée sur la volonté de séduire un vaste public et de s’assurer une importante visibilité
dans l’espace social, à une littérature élitaire, favorisant l’accroissement du capital
symbolique à l’aspect financier et misant davantage sur la reconnaissance des pairs à
travers une série d’instances propres au milieu et garantissant son autonomie (prix,
discours d’escorte encomiastiques, cooptations dans certaines institutions dévolues au
littéraire ― groupes, jurys, académies ―, etc.). Puissant et séduisant, permettant
d’objectiver des tendances générales, ce modèle doit toutefois être nuancé dès lors qu’on
se penche sur les dynamiques du champ contemporain : s’il est bien sûr possible
d’opposer sur à peu près tous les plans une cohorte d’auteurs comme Marc Levy,
Guillaume Musso, Éric-Emmanuel Schmitt et Alexandre Jardin (engagés dans une
production sentimentale et fidélisant un large lectorat) aux poètes quasi-anonymes de
petites maisons d’édition spécialisées et à très faible tirage, il existe au moins une zone
d’entre-deux aux contours plus flous, au sein de laquelle se situe Éric Chevillard.
4
Cette position peut être précisée : ni tête de gondole ni inconnu au bataillon littéraire,
l’auteur jouit de la légitimité octroyée par les éditions de Minuit autant qu’il contribue à
la réputation de la maison, où il est entré en 1987 avec Mourir m’enrhume et dont il est l’un
des collaborateurs les plus féconds (19 publications à ce jour). Le développement d’une
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2
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
œuvre véritable, conséquente et cohérente, au sein d’une maison prestigieuse peut suffire
à justifier l’intérêt de la critique pour Chevillard. Mais, à prendre en considération les
mécanismes consécratoires du champ littéraire, la position de l’auteur au sein des
« Jeunes Minuit » est particulière : s’il est prolifique, Chevillard vend peu et,
contrairement à des Jean Echenoz, Jean-Philippe Toussaint ou Laurent Mauvignier,
auxquels il est associé dans le catalogue, il n’a jamais obtenu de prix littéraire important.
Dans les billets de L’Autofictif, l’auteur ne manque d’ailleurs pas une occasion d’ironiser
sur le sujet5. Avec lucidité. On sait désormais, grâce à différents travaux6, comment ces
prix, en fait d’instances indépendantes censées consacrer les écrivains selon les valeurs
propres au champ, sont avant tout des catalyseurs de ventes réservés aux grandes
maisons d’édition et distribués par des jurys plus motivés par des enjeux réticulaires que
par des soucis esthétiques. Pour le dire vite, remporter le Goncourt, le Médicis ou le
Fémina, ce n’est pas tant être reconnu par les siens qu’être pressenti pour faire consensus
auprès d’un lectorat moyen et accroître les chiffres de son éditeur. Et Chevillard, qui en
est parfaitement conscient, ne correspond pas à ce profil : ses productions rompent de
façon trop nette avec l’horizon d’attente d’un public habitué à retrouver dans les textes
primés des réalisations conformes à une représentation traditionnelle du roman.
5
Mais les prix littéraires, même au sein de cet espace intermédiaire entre la sphère de
grande production et la sphère de production restreinte, ne constituent pas la seule voie
de consécration. L’article d’Ekaterina Koulechova, placé à la fin du volume dirigé par
Jourde et Bessard-Banquy, est à ce titre révélateur. Se penchant sur la réception de
Chevillard à l’aune du discours de journalistes littéraires et de membres de différents
jurys, l’auteure met en lumière l’ostracisme dont est victime un écrivain tenu pour trop
exigeant, hermétique et ironique par ceux qui assurent la visibilité médiatique. Fondée
sur une démarche pertinente et donnant à lire un répertoire convaincant de
condamnations symboliques visant Chevillard, l’enquête de Koulechova retient aussi
l’intérêt pour la posture critique qui y est adoptée, laquelle est également endossée par
d’autres contributeurs des deux volumes ici étudiés : l’article prend en effet, malgré lui,
des allures de défense d’un écrivain qui ne serait pas considéré à sa juste valeur et de
procès d’une institution littéraire aveugle à son talent. De cette façon, entre un éloge du
risque littéraire et une saillie sur les « lectrices de Bridget Jones » (désignation
caricaturale d’un groupe tenu pour forcément incapable de comprendre Chevillard),
l’auteure relaie les propos de Bernard Pivot selon lequel « le Goncourt semble
“impossible” » parce que « “les gens ne comprendraient pas” », avant d’indiquer que le
Renaudot paraît lui aussi hors d’atteinte dans la mesure où « il compte depuis 2011 parmi
ses membres un certain Frédéric Beigbeder qui ne voue pas un culte aux œuvres d’Éric
Chevillard. » (ECE, p. 246) Bien mené, le travail d’objectivation de la mise à l’écart est
toutefois émaillé de commentaires partisans, quand l’auteure écrit que « Le Grand Prix de
l’Académie française […] n’a pas vocation à récompenser l’inventivité ou la créativité » (
Ibid.) ou qu’elle intervient dans la querelle : « En traitant Chevillard de “grand écrivain
gâché”, Beigbeder avoue sans le dire qu’il est lui-même un petit auteur parvenu. » (ECE, p.
253). L’approche de la réception se trouve en cela contaminée par un propos moins
scientifique, fonctionnant comme une manière de « réparation » vis-à-vis de ce qui est
perçu comme une injustice : s’il n’est pas un auteur populaire, il faut au moins que
Chevillard devienne un classique. Et dans ce processus, le milieu académique a un rôle à
jouer.
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3
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
6
Concrétisée par des marqueurs de natures différentes, cette logique de réparation
s’articule à une dynamique célébrative qui s’observe au fil des deux ouvrages. Elle se
manifeste sans détour dès le titre du volume publié chez Minuit : Pour Éric Chevillard. Ce
qui se joue, dans la préposition nodale, est de l’ordre de l’adhésion, et, au sein du
catalogue, la formule ne peut manquer d’évoquer le Pour un nouveau roman de RobbeGrillet (1963). Polysémique, ce pour peut signifier la destination, à la manière d’un datif
d’avantage (ce livre a été écrit pour Chevillard, il lui est adressé) et, en ce sens, possède la
valeur d’une offrande, d’un cadeau qui laisse présager un propos plus élogieux que
critique (sans manquer, dans le même temps, d’évoquer le genre des mélanges offerts en
fin de carrière académique et qui participent d’un entre-soi complice). Mais pour a
également valeur d’engagement : marquant moins la destination que la préférence (« en
faveur de »), il sous-entend un contre, auquel il s’oppose, et implique qu’il est nécessaire
de défendre Chevillard, de se tenir contre ceux qui l’attaquent ou qui ne le reconnaissent
pas. En plus d’une dédicace, le titre confère à l’ensemble qu’il chapeaute des allures de
manifeste ; déployé, il affirme en substance : « C’est pour Éric Chevillard que nous avons
écrit cela, parce qu’il le mérite et que nous souhaitons qu’il sache que nous sommes de
son côté. »
7
L’adhésion est précisément motivée par la résistance de l’auteur à ce qui est perçu comme
une littérature convenue, tout en trames rassurantes et procédés routiniers : Chevillard,
au long des deux volumes, est tenu pour un écrivain « insaisissable », « inclassable », qui
ne cesse de se dérober, et c’est cette distinction, parce qu’elle confine à l’anomie, qui en
fait à la fois un sujet peu susceptible d’être prisé par le lectorat moyen et un objet
d’élection pour la critique académique. Tiphaine Samoyault, dans un essai élégant, va
jusqu’à indiquer qu’il « rend bête » (PEC, p. 43), au sens où son écriture, se jouant des rôles
habituels et des traditions, décontenance à un point tel qu’elle peut frustrer le lecteur et
l’enfermer dans sa propre incompétence7. La formule, au vrai, est une antiphrase
procédant d’une fausse modestie : l’auteure, malgré les difficultés posées par l’œuvre,
comprend très bien Chevillard et, à cause de ces difficultés, en est très heureuse. Le
« plaisir de la lecture » procède ici d’une compétence spécifique en matière de lisibilité :
se distinguant par sa richesse lexicale et encyclopédique, ses détournements génériques,
ruptures de ton, jeux spéculaires et métaleptiques, son adresse syntaxique (à un moment
où la tendance dominante dans le roman français est à la phrase courte, quasi-nominale,
au présent de l’indicatif), l’œuvre de Chevillard est exigeante. Et parce que cette finesse
est toujours mise au service de l’humour, le lecteur qui comprend est doublement réjoui,
parce qu’il devine qu’il intègre une communauté interprétative restreinte : Chevillard ne
rend pas bête, il fait au contraire se sentir malin ; même si son propos est potache, léger ou
délirant, il dépasse, sur le plan stylistique et sur celui de l’imaginaire, la blague commune.
En ne se rendant pas accessible à chaque lecteur, il développe au fil de ses livres une
poétique singulière fonctionnant comme ce que les anglophones appellent une inside joke 8
, qui unit autant qu’elle exclut. Et dans le cas où le lecteur sent qu’il comprend le jeu et
compte parmi les complices, il peut être tenté par l’idée d’y prendre une part active.
2. De l’adhésion au mimétisme
8
À y regarder de plus près, la dynamique célébrative inhérente à nos deux ouvrages, ellemême corrélative de la logique de réparation qui les anime, oriente le paradigme critique
sur lequel ils se fondent et la tonalité sur laquelle ils s’accordent. On constate en effet, de
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4
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
manière générale, que la disposition favorable des différents chercheurs à l’« objet »
Chevillard les conduit à prendre des libertés avec les formes académiques pour
développer au fil des articles un discours en affinité avec l’écrivain et, comme par
conséquent, très imprégné par celui-ci. Bruno Blanckeman en prend conscience quand il
évoque ce principe de cohésion au détour d’une éloquente citation de L’Auteur et moi : « –
les professeurs font souvent corps (et âme) avec leur objet d’étude, les spécialistes avec
leur spécialité et les biographes avec leur héros, si bien que l’on ne moleste pas le cochon
sans offenser le charcutier, lequel pourtant le débite en tranches fines tous les jours que
Dieu fait […]9 ». Au sein des deux recueils, le sentiment de complicité vis-à-vis d’Éric
Chevillard conduit parfois les critiques à un mimétisme formel assumé.
9
À cet égard, il est sans doute révélateur qu’après une introduction signée par ses deux
directeurs, le volume publié chez Garnier s’ouvre sur une intervention d’Éric Chevillard
lui-même, intitulée « Le colloque pour tous ». L’écrivain y vante les vertus de la formule
académique pour revendiquer, sur un ton ironiquement hyperbolique, la nécessité de
faire bénéficier chacun de ses bienfaits : « Et alors, quand tous les habitants de ce monde
auront fait l’objet d’un colloque, les ténèbres se dissiperont, l’oblique rayon de soleil
traversera le cristal de nos crânes pour caresser le galbe de ce globe comme au premier
jour et réchauffer nos amours. » (ECE, p. 16.) Si cette originale entrée en matière est
significative, c’est, d’une part, qu’elle octroie à Chevillard une part active à la réalisation
d’un ouvrage dont il est le sujet et, d’autre part, qu’elle atteste sa participation au
colloque qui en est l’origine : cette double présence infléchit autant la sympathie
manifeste de l’ensemble des articles que l’aspect de franche camaraderie qui règne au
sein du volume. D’emblée, ce dernier est orienté par un texte liminaire où l’auteur, par
une description performative des contributeurs qui se penchent sur son cas10, donne le
ton : il sera celui de la légèreté, voire de l’humour ; de la bienveillance, voire de la
connivence.
10
L’intervention de Claro, titrée « Chevillard, un traître parmi les traîtres », prolonge le jeu
consistant à déjouer l’académisme. Prenant la peine de rappeler le contraste entre
l’absence de consécration officielle et commerciale d’un côté et la reconnaissance dont
l’écrivain jouit parmi ses pairs et les universitaires de l’autre, l’auteur du Clavier cannibale
pointe avec ironie l’enjeu réparateur de la critique académique réunie pour l’occasion11.
En outre, parce qu’il présente, de façon humoristique, son discours comme un leurre
visant à tromper un écrivain qui ne cesse, en « auteur girouette » (ECE, p. 22), de déjouer
sa propre réception, il interroge par la bande une facilité qui consiste à renoncer à
qualifier l’œuvre de Chevillard autrement que par son insaisissabilité, l’auteur se plaisant
à se dérober à chaque tentative d’enfermement12. Enfin, l’article vaut aussi pour le jeu
qu’il engage en clin d’œil, en se donnant à lire comme une actualisation de
l’herméneutique méprisante de Marc-Antoine Marson, où Claro campe un double du
personnage imaginé par Chevillard, lequel devient lui-même un autre Thomas Pilaster à
tourmenter. Cette microfiction critique tient de l’hommage d’un auteur qui, en plus
d’être un ami d’Éric Chevillard, partage certains traits littéraires avec ce dernier (de la
poétique de la digression à la spécularité, en passant par un sens aigu de l’ironie), mais
elle n’en participe pas moins à colorer chaleureusement un volume qui, s’il expose une
mosaïque de thématiques et de contributeurs, est porté par une uniforme générosité à
l’égard de celui qui y est observé. Un principe similaire s’observe dans le volume Pour Éric
Chevillard, où l’essai conclusif de Pierre Bayard se donne également à lire comme un clin
d’œil de pair, l’instigateur de la « fiction théorique » trouvant en Chevillard un adjuvant à
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5
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
sa propre démarche de déplacement des cadres et voyant dans son sens de la
« comparaison éloignante » (originale, parfois incongrue, déjouant le sens commun) une
invitation potentielle à repenser la littérature comparée, en l’envisageant comme une
discipline dépassant le seul dialogue entre productions littéraires d’horizons variés pour
confronter des disciplines et des objets de natures a priori inconciliables13.
11
Dans l’un et l’autre recueil, l’éloge à Éric Chevillard est sensible à travers des marqueurs
de subjectivité de formes bien distinctes. Ceux-ci sont parfois explicites, qui permettent à
plusieurs contributeurs de saluer l’auteur. Certains déclarent de cette façon leurs affinités
électives (« Et Chevillard de proposer ce qui n’est peut-être pas la meilleure définition de
la littérature, en tout cas ma préférée […]» ECE, p. 218), tandis que d’autres revendiquent
leur « plaisir de le lire » (ECE, p. 137) ou confessent « [leur] plus grand et enfantin plaisir »
à se laisser prendre au jeu auquel invitent ses écrits (ECE, p. 144). Témoignant d’un effet
de lecture animant une dynamique critique tenant du contre-don, ces formules
témoignent d’un « plaisir du texte » dont on sait, depuis au moins les travaux de Roland
Barthes, qu’il est difficile à saisir et à objectiver, mais que le cas Chevillard pourrait
permettre d’explorer à nouveaux frais14. Ailleurs, ces élans enthousiastes prennent la
forme de l’adresse cordiale à Chevillard, tantôt évoqué comme « ce lecteur qui nous est
cher » (ECE, p. 225), tantôt remercié pour ses apports en matière de voyages imaginaires 15
ou de découvertes littéraires16.
12
Plus saisissant encore, l’adhésion à Chevillard influence à des degrés divers la forme des
analyses qui lui sont consacrées. Si la formule des actes de colloque peut garder trace de
l’oralité de certaines interventions, le ton est, de façon générale, volontiers léger et badin
dans les deux volumes17. Certains contributeurs en viennent même à développer une
remarquable tendance au mimétisme, à travers la reprise de différents procédés
d’écriture rappelant le style et l’humour de l’auteur. Le bestiaire constitué dans l’œuvre
offre à cet égard une manne de calembours inspirés par une singulière connivence : le
plaisir de la paronomase conduit de cette façon à indiquer que « sans souci de nous
ménager, [Chevillard] aménage une véritable ménagerie » (ECE, p. 51). Plus loin, l’auteur
de Du hérisson est présenté comme un romancier qui ne « doit pas manquer de piquant »,
lui qui « me[t] un hérisson dans son écriture » (ECE, p. 59) – au point de se demander si
« serait misanthrope cet animal mis en tropes qu’est l’écrivain ? » (ECE, p. 51). Ailleurs, le
même est désigné comme un « oiseau de Minuit » (ECE, p. 51) pour lequel il n’existerait
pourtant « rien de pire que de passer pour un bernard-l’ermite lové dans la coquille » de
ladite maison d’édition (ECE, p. 60). Dans une optique similaire, le milieu des lettres est
décrit au moyen de la métaphore animalière fondée sur l’analogie, reprise à Chevillard18,
entre le champ littéraire et une « jungle » : dans ce monde sauvage, les critiques « veulent
se faire la peau du tigre » que représente l’auteur, lui qui « impose sa griffe » et
« distribue des coups (de griffes, bien sûr) », pour « hériss[er] les gens du milieu », bien
loin d’être un « félin qui bénéficierait d’une chasse gardée », à la différence de nombre de
ses pairs qui, « domestiqu[és] » quant à eux, sont réduits à d’inoffensifs « chats » dont « la
littérature ne mord plus », alors que notre écrivain, lui, « joue avec les attentes de son
lecteur comme le chat avec la souris » (ECE, p. 58-61). Le nom même de Chevillard est
motif à l’effort calembouresque, qui permet d’évoquer sa position d’écrivain en marge :
« Chevillé à ce parasite de Nisard, Chevillard n’a d’autre issue que de parasiter et la forme
littéraire dominante et le milieu littéraire même. » (ECE, p. 61) Quelquefois placés en
cascade, les procédés ludiques peuvent aussi surgir là où on ne les attend plus : dans une
brillante lecture du procédé de l’énumération, Gaspard Turin interrompt une remarque
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6
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
sur l’effet d’aplatissement à l’œuvre dans Du hérisson par une note de bas de page 19, dont
l’incongruité interpelle d’autant plus qu’elle est située au cœur d’un article très
technique : « Aplatir un hérisson, voilà qui n’est guère aimable, bien que très commun
malheureusement, en particulier sur les autoroutes. » (ECE, p. 162.) La poétique
humoristico-digressive de Chevillard suscite elle aussi des vocations, plusieurs auteurs
s’enhardissant à proposer des blagues qui tombent délibérément à plat (ainsi, à propos du
protagoniste d’Oreille rouge, on peut lire que son prénom, Jean-Léon, est « presque aussi
improbable que celui de Tintin qui en son temps alla non au Mali mais, comme tout le
monde le sait, au Congo » ― ECE, p. 63) ou des vannes d’initié mêlant les registres, à
l’image de la très hara-kiresque formule de Bruno Blanckeman : « On a beaucoup
commenté, sans toutefois parvenir à en élucider le fin mot, ce fait divers de la fin des
années 1960, bal tragique à Saint-Germain : la mort de l’auteur. » (PEC, p. 22.) Volontiers
encomiastiques, les commentaires donnent parfois à observer comment la critique,
portée à un tel degré d’adhésion à son objet, se mue en véritable complice de celui-ci,
cherchant à l’intégrer, comme par décalquage, dans le discours analytique qu’elle
esquisse à son sujet.
3. L’espace des possibles
13
Les mécanismes d’adhésion et de mimétisme observés plus haut n’empêchent pas que les
deux volumes proposent des analyses de haute volée : qu’il s’agisse des jeux intertextuels
et génériques qu’elle engage avec le conte ou l’aphorisme, de la posture du grognon ou de
l’homme de mauvaise foi qui s’y trouve exposée, de la stylistique de la phrase et de la
poétique de la virulence, les différents travaux se saisissent de prises solides pour livrer
une explication de pans cruciaux de l’œuvre de Chevillard. La façon dont cette œuvre,
l’autocommentaire qui l’escorte et la position occupée par son auteur au sein du champ
littéraire infléchissent les conditions de production et les modalités d’énonciation du
discours critique n’en est pas moins singulière et nous semblait mériter une attention
spécifique20. Reste que les conditions de travail de l’herméneute ne sont pas simples.
14
Comme l’indique Dominique Viart dès l’incipit de son article, « L’œuvre d’Éric Chevillard
réjouit le lecteur, mais désespère le critique. » (PEC, p. 61). Nous l’avons déjà laissé
entendre : pour les raisons, évoquées plus haut, qui la rendent complexe, l’œuvre déroute
et déjoue par avance tout cadrage trop systématique. Si elle n’échappe pour autant pas à
la description ― ni totalement à la réinscription dans un cadre générique connu21 ― il est
tentant de se débarrasser de cette difficulté en optant à son sujet pour l’étiquette
« insaisissable » et acter de ce fait sa marginalité. Viart met fort justement en évidence
cette tendance et relève lui aussi l’influence mimétique provoquée par le « tourbillon »
d’une œuvre qui semble fermer la porte à l’herméneute22. Il faut convenir aussi que
Chevillard lui-même, dans sa légitime traque au cliché, se positionne fréquemment contre
l’instance critique, dont il méprise la cuistrerie (on songe en premier lieu à la figure
infâme de Désiré Nisard, mais le motif se déploie de façon multiple à travers des piques
franches et des allégories23), et, en particulier, contre ceux qui l’affublent d’un prêt-àporter convenu et réducteur (le procédé s’observe notamment dans les billets de
L’Autofictif, par le biais de formules comme : « Avec un art et une science que je ne savais
pas posséder et qui lui donnent en fin de compte raison, je viens de réduire la tête d’un
critique littéraire qui me traitait de minimaliste »24). Énoncé au second degré, ce propos
disqualifiant n’en produit pas moins un effet de quasi-terreur, en ce qu’il peut conduire
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7
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
l’herméneute à une certaine insécurité linguistique (ou notionnelle). De ce point de vue,
Chevillard rend effectivement son lecteur « bête », au sens où l’entend Tiphaine
Samoyault, dans la mesure où il le place en situation de doute : plutôt que de risquer
d’être un jour le bouffon dont se rit L’Autofictif, il peut être prudent de laisser tomber les
lieux communs du « minimalisme » et de « l’exercice de style » pour se ranger derrière les
formules pratiques de « l’insaisissable » et de « l’inclassable ».
15
Plus encore, Chevillard est difficile à étudier parce qu’il donne parfois l’impression
d’avoir tout dit à son propre sujet25. Le commentaire qu’il livre de sa pratique d’écrivain, à
l’occasion d’interviews ou dans les pages de son journal26, se distingue à un point tel par
sa finesse, son aboutissement et sa lucidité qu’il semble empêcher tout discours exogène
de dévoiler quoi que ce soit. Plus qu’esquissée, cette auto-analyse est souvent mobilisée
comme une béquille par l’analyste, qui s’y appuie pour développer des observations
rejoignant celles livrées par l’auteur : cette nouvelle forme d’adhésion tend alors à
réduire le critique en glosateur d’un propos réflexif préexistant auquel il s’assujettit sans
chercher à le questionner, quand il s’agirait plus justement de le démonter afin d’en
interroger les enjeux et mécanismes en tant que discours d’escorte lui-même construit.
Proposant un florilège de ces commentaires, l’article « L’auteur en entretien » (ECE,
p. 227, suiv.), s’il peut par son titre laisser entrevoir une explication des rouages et des
finalités qui sous-tendent le propos réflexif de Chevillard, se donne de cette façon à lire
comme un prolongement de ce dernier plutôt que comme son analyse.
16
Du reste, cette mainmise sur le discours explicatif peut, nous semble-t-il, être relativisée
et devenir l’une des zones que la critique se doit précisément d’investir. Lors de
l’entretien avec Mathieu Larnaudie dans le cadre du projet collectif sur les Devenirs du
roman, Chevillard déclare : « Il est temps que je précise tout de même que je vous parle de
mes livres avec une science un peu fallacieuse. La théorie s’énonce après coup. C’est elle,
la vraie fiction.27 » Au moment d’envisager les moyens d’appréhender une œuvre malgré
le fait que celle-ci paraît cadenassée par un propos réflexif solide et cohérent articulé à
une posture d’écrivain affichée et acceptée comme inclassable et insaisissable, cette
précision nous semble porteuse. En invitant à la méfiance à propos d’une « science un peu
fallacieuse », Chevillard admet que sa tentative de contrôle est vaine et que, loin de
verrouiller la fiction, elle ne fait que redoubler celle-ci. Partant, elle incite en creux à dire
autre chose, voire rend cette incitation nécessaire. Rappelant que sa « théorie » est
élaborée a posteriori, l’auteur ouvre ici une brèche pour la critique, encline à expliquer les
mécanismes et procédés de la fiction telle qu’il la déploie dans la partie romanesque de sa
production mais ne se risquant que fort timidement au même exercice vis-à-vis de la
fiction qu’il reconnaît construire quand il est amené à commenter sa production tenue
pour fictionnelle. On sait que Chevillard défend l’idée que la fiction n’est pas imitation d’un
réel tenu pour stable et réinscriptible dans le texte, ni même redoublement de celui-ci,
mais bien plus qu’elle participe à la construction du réel, qu’elle s’y articule 28. Aussi,
insistant sur le fait que « la théorie […], c’est elle, la vraie fiction », il souligne, d’une part,
que tout ce discours que l’on pourrait penser périphérique fait en réalité partie
intégrante de l’œuvre (et qu’il est donc à questionner au même titre que les romans,
journaux et autres récits) ; d’autre part, qu’il contribue dans le même temps à construire
une certaine réalité de l’œuvre sans être autre chose, finalement, qu’une partie de celle-ci
(et que c’est là toute la nécessité de son questionnement). L’herméneute ainsi averti n’estil pas de la sorte appelé à sonder le propos théorico-réflexif de l’écrivain sur son travail
exactement de la même manière qu’il s’évertue à un examen rigoureux de la fiction mise
COnTEXTES , Varia
8
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
en place à travers ses récits, c’est-à-dire en cherchant à déceler ses rouages, ses
mécanismes et ses effets ? Par conséquent, si Dominique Viart affirme qu’Éric Chevillard
livre une œuvre avec laquelle il est « impossible d’entrer en débat – d’ailleurs que
soutient-elle, si ce n’est à entrer dans sa fiction ? » (PEC, p. 62), cette facette
métadiscursive ne serait-elle pas celle-là-même dans laquelle, parce qu’elle se prononce
sur l’œuvre dans son ensemble, le critique se doit de rentrer pour la démonter de
l’intérieur, afin de ne plus se limiter à la considérer toujours depuis l’extérieur, comme
un bloc sur lequel s’adosser ? Analyser le fonctionnement interne d’un propos théorique
et les enjeux de ce dernier pour qu’il devienne un objet à interroger et non un instrument
dont se servir, n’est-ce pas là une piste ouverte par Chevillard lorsqu’il admet la
dimension fictionnelle et trompeuse de sa théorie ? Fiction traîtresse, en trompe-l’œil,
comme les toiles hyperréalistes de « ces peintres qui voudraient nous convaincre que
leurs tableaux ne sont pas faits de pigments et de gestes méticuleux » (pour reprendre les
termes de Chevillard dans le même entretien), mais dont il revient dès lors au critique
d’art d’étudier et de mettre au jour la technique. Il est sans doute ironique de fonder cette
invitation à prendre les propos réflexifs pour fiction sur un extrait de discours réflexif qui
peut dès lors s’envisager comme une actualisation du paradoxe du menteur, mais la
perspective qui s’y trouve engagée nous paraît d’autant mieux correspondre aux logiques
d’une œuvre littéraire qui, se construisant par feintes et par leurres, présente un défi qui
n’en est que plus stimulant.
NOTES
1. Au moment où nous achevions cet article, Défense de Prosper Brouillon paraissait aux éditions
Noir sur Blanc : entre le genre de l’essai et celui du tombeau (que Chevillard a déjà convoqué au
second degré à propos d’Alexandre Jardin), cet ouvrage développe l’éloge ironique d’un écrivain
imaginaire. L’œuvre de ce dernier est composée de fragments empruntés à des auteurs – bien
réels ceux-là – que Chevillard avait fustigés par le passé dans sa chronique du Monde, la satire du
champ littéraire contemporain ourdie par l’écrivain trouvant ici à se réinventer par la fiction.
2. En plus de nombreux articles, citons simplement ici Le Roman ludique : Jean Echenoz, Jean-Philippe
Toussaint, Chevillard de Bessard-Banquy (PU Septentrion, 2003), Empailler le toréador. L’incongru
dans la littérature française de Charles Nodier à Éric Chevillard de Jourde (José Corti, 1999) et, de ce
dernier également, le chapitre « L’œuvre anthume d’Éric Chevillard » dans La Littérature sans
estomac (Pocket, « Agora », 2003, p. 337-383).
3. Feuilleton qui s’interrompt à l’occasion de la rentrée littéraire 2017, comme l’indique un billet
de L’Autofictif daté du 14 juillet de cette année : « J’ai décidé de ne pas reprendre le feuilleton du
Monde des Livres à la rentrée. Après six années vouées à la lecture intensive et quasi exclusive des
parutions nouvelles, mes alexandrins commençaient à boiter. Ma bibliothèque prenait la
poussière. J’y retourne. »
4. Voir les deux dossiers de la revue COnTEXTES dédiés à la problématique : Approches de la
consécration en littérature, n° 7, 2010, URL : http://contextes.revues.org/4609 et De l’émergence à la
canonisation, n° 17, 2016, URL : http://contextes.revues.org/6189.
5. À l’automne 2007, après la parution de Sans l’orang-outan, Chevillard développe un petit
feuilleton autour de la perspective du prix Goncourt, en feignant d’adopter la posture de
COnTEXTES , Varia
9
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
l’écrivain sûr d’être consacré (malgré le fait que le livre ne figure pas dans la sélection du jury) et
ne le souhaitant pas. On trouve de cette façon, à la date du 24 septembre : « Certaine rumeur me
donne favori pour le Goncourt. Certes, Sans l’orang-outan ne figure pas sur la liste des livres
sélectionnés. Mais il s’agirait d’une ruse, d’une carte secrète que les jurés gardent dans leur
manche afin de déjouer les pronostics et créer l’événement. On me l’a assuré : c’est chose
faite. » Deux jours plus tard : « Ça m’embête bien, cette histoire de Goncourt. J’appelle un à un les
membres du jury pour les dissuader de m’attribuer leur prix. À chaque fois, le ton monte. Vous
l’aurez ! Puis on me raccroche au nez. Françoise Chandernagor notamment sera difficile à
décourager qui, me dit-on, s’affiche partout sans orang-outan. » Le 3 octobre : « Ah ils sont forts !
Comme ils sont fourbes ! Toujours cette stratégie tortueuse, on trompe son monde avec des
leurres, des effets d’annonce, tandis que dans l’ombre se poursuivent les manœuvres sournoises.
Sans l’orang-outan ne figure pas non plus dans la deuxième sélection du Goncourt, comment ne
pas y lire l’aveu tacite que tout est joué ? Leur prix va m’échoir. Jamais je ne me relèverai de cette
humiliation. » Le 11 octobre : « Ça confine au harcèlement désormais. La sonnerie du téléphone
me réveille en pleine nuit. Vous l’aurez ! me crie l’homme dans l’oreille et il raccroche. Or j’ai
parfaitement reconnu la voix de François Nourissier. » Le 29 octobre : « Troisième et dernière
sélection du Goncourt avant l’attribution du prix. Encore une fois le jury affecte d’ignorer Sans
l’orang-outan qu’il a pourtant depuis longtemps résolu de couronner malgré mes protestations
d’innocence. Comment le milieu littéraire va-t-il réagir à l’annonce officielle du lauréat ? La
petite plaisanterie de ces vieux crabes pourrait être mal reçue. Quant à moi, je me préparais déjà
à l’exil quand la voix de François Nourissier une nouvelle fois me grinça dans l’oreille : où que tu
ailles, on te retrouvera… ». Le 6 novembre enfin, alors que l’académie Goncourt a décidé de
remettre le prix à Alabama Song de Gilles Leroy : « Il aura donc fallu que je les menace de
sanglantes représailles et de veiller moi-même désormais leur lente agonie ; puis encore que je
leur laisse entendre en jouant avec un couteau que je connaissais les noms et les adresses des
écoles fréquentées par leurs arrière-petits-enfants : les jurés Goncourt ont finalement renoncé à
m’attribuer leur prix et reporté leur vote au hasard sur un pauvre zigue qui traînait dans le coin.
Je lui présente toutes mes excuses, mais chacun pour soi dans la jungle des Lettres. »
6. Voir notamment
BESSARD -BANQUY
(Olivier), L’Industrie des Lettres, Paris, Pocket, « Agora », 2012
et DUCAS (Sylvie), La Littérature à quel(s) prix ?, Paris, La Découverte, 2013.
7. « Avec Éric Chevillard, c’est pareil, on se sent bête. On ne sais [sic] pas si on est le lecteur ou si
on joue son rôle. On ne peut faire confiance à personne. L’auteur n’est pas l’auteur ou alors c’est
un autre et le narrateur peut être le lecteur ou bien l’auteur ou bien son biographe ou tout autre
chose encore. […] Comme on ne sait pas vraiment qui est qui, qu’on n’a pas assez appris à
retarder autant l’arrivée de la vérité (laquelle ?), on ne sait pas non plus où l’on est, victime à
tout moment de l’illusion ou des pièges de la distanciation. » (PEC, p. 40)
8. L’inside joke doit être distinguée de la private joke. Cette dernière se fonde sur des allusions liées
à du vécu privé, connu par les membres d’un groupe, à de micro-faits, des détails, des petites
réalités passées auxquelles il faut avoir participé entre privilégiés, dont il faut avoir connaissance
et qui, relevant d’un cadre privé, ne participent pas de la grande histoire. À l’inside joke
correspondent notamment l’humour juif, l’humour des informaticiens et celui des physiciens, qui
impliquent une initiation à un domaine spécifique et reposent sur la maîtrise d’un code possédé
par les membres d’une communauté définie (c’est-à-dire des connaissances encyclopédiques,
techniques ou liées à un contexte d’époque).
9. CHEVILLARD (Éric), L’Auteur et moi, Paris, Minuit, 2012, p. 12, cité dans PEC, p. 28.
10. « Non point pourtant le sévère jury des examens universitaires ou des cours d’assises, ni
davantage le tribunal implacable du Jugement dernier, non, une assemblée bien disposée envers
lui, désireuse de faire apparaître le meilleur de ses réalisations et négligeant tous les travers de
son être […] Mieux, ces personnages délicats s’efforceraient de justifier toutes ses tares, de
réhabiliter ses faits et gestes [...] » (ECE, p. 15)
COnTEXTES , Varia
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Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
11. « – maintenant que la postérité a définitivement tranché en faveur d’Éric Chevillard et établi,
après force colloques, tables rondes et carrées, numéros spécieux et autres célébrations, sa
prédominance dans le champ littéraire en ce début de vingt-et-unième siècle ; / – maintenant
que les dernières réticences à l’égard de son œuvre ont été, magistralement et sans la moindre
discussion possible, non seulement balayées mais reléguées dans un oubli permanent ; / –
maintenant que toutes les chapelles ont surmonté leurs divergences et leurs inimitiés pour
s’accorder, dans un sentiment aussi harmonieux que bienveillant, sur l’excellence de sa
production, l’indépassable qualité de son style et l’indéniable pertinence de ses thèmes de
prédilection ; / - bref, maintenant que cette gloire absolue que confère l’unanime assentiments
des pairs, plus méritée encore que les vains lauriers décernés de façon éparse par la critique
versatile, maintenant que cette gloire, donc, nimbe urbi et orbi notre pourtant si solitaire auteur,
il ne reste plus à ce dernier qu’à vaillamment rebrousser chemin et revenir sur les pas de ses
textes […] » (ECE, p. 18)
12. « Je pense avoir démontré, si besoin était, que commenter l’œuvre de Chevillard est
impossible, puisque, telle l’amibe qui modifie son comportement et ses pas de danse dès qu’un
savant ose braquer sur elle son microscope ou sa hargne, Chevillard n’a de cesse de repeindre,
retailler, regraver, resculpter, rebâtir, redessiner, réformer, renommer, et restaurer son œuvre,
dans le seul but, ne nous leurrons pas, de nous rendre chèvre, taupe, iguane, méduse, etc. En
conclusion, je signalerai que je tiens à la disposition d’Éric Chevillard le texte alternatif de cette
conférence, autrement dit une version en tous points opposée à celle que j’ai eu l’honneur de
prononcer devant vous, et qui, bien sûr, n’était qu’un leurre destiné à obliger notre auteur
girouette à changer non seulement de fusil mais d’épaule, d’oreille, de nez, de cœur et même de
lecteur. » (ECE, p. 22)
13. « On voit comment une extension chevillardesque de la littérature comparée, fondée sur la
promotion de la comparaison éloignante, pourrait ouvrir de nouveaux champs de recherche et ne
manquerait pas de révolutionner cette discipline. La confrontation avec d’autres disciplines
artistiques ou sportives, mais aussi avec les animaux, les plantes ou les objets permet d’imaginer
un nombre incalculable de nouvelles thèses et de nouveaux chantiers, confrontant les tragiques
grecs aux Who, Proust à Gambetta ou les personnages de Nabokov à des papillons. L’université,
en vérité, serait bien inspirée de lire et d’enseigner Éric Chevillard. » (PEC, p. 117-118). Sans
verser nous-mêmes dans un comparatisme outrancier et en gardant à l’esprit que le jeu de
l’analogie vaut aussi pour les différences qu’il permet d’observer, nous serions tentés d’avancer
que le geste encomiastique de Bayard n’est pas innocent dans la mesure où l’auteur de Comment
parler des livres que l’on n’a pas lus ? est sans doute au domaine académique ce que Chevillard est au
champ littéraire : un acteur évoluant dans un milieu qui ne lui convient guère et dont il tente de
remettre les habitudes en question en proposant une alternative sur un mode a priori ironique
qui ne s’en avère pas moins féconde. On trouve également là deux « dériseurs sensés », pour
reprendre le mot de Nodier, aussi réfractaires à l’écrasement de leur œuvre par la réception
critique que convaincus par l’enjeu du « plaisir du texte », ce qui n’est pas sans orienter la façon
dont leurs publications sont discutées (il n’est pas innocent que la logique de composition et
d’énonciation des deux volumes ici commentés se retrouve dans l’ouvrage Pour une critique décalée
paru en 2010 chez Cécile Defaut autour des travaux de Pierre Bayard et auquel contribuent
critiques littéraires, écrivains et universitaires). Sur sa réception et la notion de plaisir, voir
notamment l’entretien accordé par Bayard à Vacarme : « L’idée est de produire des textes qui
soient des objets de réflexion, non des objets d’affirmation. […] J’espère donc que mes livres
fournissent au lecteur des moyens de réfléchir ; mais ils affirment peu de choses — sinon,
évidemment, l’idée de la mobilité de l’objet littéraire. / [Q] : Cela ne revient-il pas à faire de la
théorie qu’on ne puisse pas discuter ? / Le résultat est assez infalsifiable, oui. Mais c’est un
problème pour vous, pas pour moi ! / [Q] Donc : parlons de vos livres sans en débattre ? / Hormis
le dispositif général qui peut produire de multiples théorisations, un grand nombre des
COnTEXTES , Varia
11
Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
propositions que j’avance peut malgré tout ouvrir à la discussion. […] Mais par ailleurs, je n’écris
pas des livres uniquement pour donner à réfléchir : j’écris aussi et surtout pour donner du plaisir.
Je me pense d’abord comme un écrivain. » (« L’ouvroir de théorie potentielle. Entretien avec
Pierre Bayard », dans Vacarme, n° 58, [en ligne], janvier 2012, URL : http://www.vacarme.org/
article2109.html.)
14. Une telle réflexion a déjà été ouverte par Olivier Bessard-Banquy, dans le cinquième chapitre
de son livre Le Roman ludique, intitulé « Au plaisir du texte » (op. cit., p. 133-160).
15. En conclusion d’une lecture d’Oreille Rouge : « Aussi puis-je dire : je n’ai rien vu du Mali.
Pourtant, j’ai bien voyagé ; j’ai dérivé dans une magnifique montgolfière lestée, non plus
simplement comme en 1783, par un coq, un mouton et un canard, mais par toute une ménagerie
à la fois saugrenue et familière. Merci, Éric Chevillard, pour ces 159 pages en ballon. » (ECE, p. 72)
16. Au sujet de la découverte de Frederick Exley par l’une des contributrices : « Merci à Éric
Chevillard sans qui j’aurais continué à ignorer ce merveilleux auteur. » (ECE, p. 225)
17. Par exemple : « Mais revenons à nos moutons » (ECE, p. 126) ; « Mais après tout, qu’y a-t-il à
lui pardonner quand il [Chevillard] dégomme tant d’auteurs médiocres ? » (ECE, p. 216) ;
« Quelques mots donc d’abord sur les têtes de Turcs » (Idem) ; « On ne va pas en dresser la liste,
qui serait longuette […] » (Idem).
18. Voir notre note 5.
19. Zone péritextuelle dont Laurent Demanze analyse excellemment l’exploitation dans L’Œuvre
posthume de Thomas Pilaster, et que Chevillard investit volontiers, notamment dans L’Auteur et
moi, où il utilise l’espace infrapaginal pour déployer une deuxième fiction, parallèle à celle qui
s’énonce dans le corps du texte.
20. Comme l’indique Pierre Jourde à l’entrée « Critique » de sa Géographie intérieure : « On dit que
la critique est subjective, et qu’il faut assumer pleinement cette subjectivité. C’est vrai, le critique
travaille sans filet, il n’a plus à sa disposition les lois des genres et les règles du bon goût, comme
au XVIIe siècle. Mais la subjectivité doit elle aussi apprendre à ne pas considérer comme l’unique
instance. Ce n’est pas le seul bon plaisir qui peut fonder une critique. De même qu’Umberto Eco
est passé de L’Œuvre ouverte aux Limites de l’interprétation, la subjectivité critique doit se fixer des
limites. Elle ne peut être qu’une subjectivité qui se surveille ».
21. Dominique Viart s’y essaie avec assez de bonheur : « Divers genres romanesques sont alors
explorés : roman d’aventures (défaillant : Les Absences du capitaine Cook), récit de voyage (mal
consenti mais largement surexploité : Oreille rouge), conte (reformulé : Le Vaillant petit tailleur),
mythologie ou légende (calamiteuses : Choir), édition critique (suspecte : L’Œuvre posthume de
Thomas Pilaster), biographie (impossible : Dino Egger), autobiographie (empêchée : Du hérisson),
journal (en triptyques et haïkus : L’Autofictif), portraits moralistes (à la manière des Caractères de
La Bruyère : Faldoni)… » (PEC, p. 70). Pierre Jourde avait ouvert la voie en montrant comment
l’ensemble pouvait s’envisager à l’aune d’une poétique de la description : « Ces textes, plus
descriptifs que narratifs, semblent aborder des sujets très différents : Mourir m’enrhume (1987),
l’agonie d’un vieillard ; Le Démarcheur (1988), le travail d’un rédacteur d’épitaphes ; Palafox (1990),
la chasse d’un animal improbable susceptible d’être n’importe quel animal ; Le Caoutchouc
décidément (1992), le projet d’un inventeur fou qui veut refaire le monde en supprimant toute
habitude, redite ou loi ; Préhistoire (1994), les occupations du gardien d’une grotte ; Au plafond, la
vie quotidienne d’un groupe d’individus occupant, tête en bas, le plafond d’un appartement
bourgeois ; L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster (1999), la publication des textes inédits d’un
écrivain par un critique vindicatif. La Nébuleuse du crabe (1993) et Un fantôme (1995), textes
résolument fragmentaires, donnent des aperçus sur le personnage saugrenu et protéiforme de
Crab. Les Absences du Capitaine Cook (2001) est impossible à décrire. On y suit un personnage appelé
“notre homme” dans une suite ininterrompue de coq-à-l’âne. » (La Littérature sans estomac, op.cit.,
p. 337-338). Dans un cas comme dans l’autre, bien sûr, les critiques montrent que les genres ou
registres convoqués sont altérés par un texte qui se plaît à les convoquer pour mieux les fuir.
COnTEXTES , Varia
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Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
22. « Aussi la critique se trouve-t-elle réduite à la dire “inclassable”, “indécidable” (la critique est
volontiers taxinomique… – mais n’énonce ici que son impuissance). Elle en célèbre l’ironie, en
décrit les procédés, jeux de mots, parabases ou métalepses, cédant parfois à la tentation de les
imiter, comme absorbée, sinon fascinée elle-même par son tourbillon – contre lequel il paraît
vain de lutter. Car c’est une œuvre avec laquelle on ne peut entrer en débat – d’ailleurs que
soutient-elle, au juste ? – sauf à s’installer dans sa fiction. » (PEC, p. 62.)
23. Ainsi de ce portrait du lynx dans lequel se lit bien plus qu’une considération éthologique :
« Dans l’orbite du lynx au moins tout est clair, les amateurs de réalité sont servis. C’est le jour qui
leur convient. Volontiers ils viennent se baigner dans cette lumière, en petite tenue. Ils préfèrent
affirmer qu’ils sont là incognito, pour voir, pour tenter de comprendre, pour élucider, mais ils
attirent sur eux toute la lumière, ils l’absorbent, impossible d’échapper au spectacle qu’ils
offrent, aussi loin que s’étend le champ de vision du lynx, il n’y a place que pour eux, en réalité.
On se lasse vite. L’arbre qui confisque la foudre connaît un instant éblouissant de gloire, puis tout
un printemps d’insuccès avec ses gazouillis d’œufs durs et l’ombre déchiquetée de ses branches
où les serpents seuls trouveraient un peu de fraîcheur s’ils en devenaient avides soudain, mais
pas de chance, c’est vers la pierre plate et brûlante qu’ils rampent, où fondre le glaçon de leur
sang. » (CHEVILLARD (Éric), Les Absences du Capitaine Cook, Paris, Minuit, « Double », 2015, p. 17-18.)
24.
CHEVILLARD
(Éric), L’Autofictif, Paris, L’arbre vengeur, 2012, p.64. Dans la même édition du
journal, relevons encore : « Le prochain qui prétend que mes livres sont des exercices de style, je
jure que je lui montre sur-le-champ quel raffiné barbare je suis spontanément. » (p. 40) ; « Il y
aurait trop d’animaux dans mes livres. Eh oui, nous vivons pour quelque temps encore dans un
monde où doit être pris en considération le risque de se faire mordre. » (p. 51) ; « Vous êtes bien
prolifique, me dit-on quelquefois. Ah, tiens ? Serait-il donc possible de ne pas être en effet tout le
temps et à jet continu soi-même ? » (p. 84).
25. Ce qui, une fois encore, n’est pas sans incidences sur la posture critique de ceux qui l’étudient
ou l’interviewent. Ainsi, en préambule d’un entretien que lui accorde Chevillard, Florine Leplâtre
fait montre de prudence en optant pour une « précaution oratoire inaugurale » inspirée par un
extrait réflexif de L’œuvre posthume de Thomas Pilaster : « tout est dit dans vos livres, et j’ai bien
noté la question narquoise de Pilaster à ses hypothétiques futurs intervieweurs : “Pourquoi un
écrivain serait-il plus intéressant hors de ses livres qu’un confiseur hors de sa confiserie ?”.
Néanmoins, la dimension critique et métalinguistique de vos textes, et l’ironie permanente qui
les anime, nous amènent à vous demander malgré tout de parler en dehors de votre confiserie. »
(« Douze questions à Éric Chevillard », [slnd], URL : http://www.eric-chevillard.net/
e_inventaireinvention.php.)
26. Voir notamment « Vous devriez raconter une histoire que tout le monde connaît déjà », dans
Pages des libraires, n° 85, 2003 ; « Des crabes, des anges et des monstres », entretien avec Mathieu
Larnaudie, dans Devenirs du roman, Paris, Inculte, 2007 ; « Des leurres ou des hommes de paille »,
dans Roman 20-50, n° 46, 2008.
27. Entretien d’Éric Chevillard avec Mathieu Larnaudie, « Des crabes, des anges et des monstres »,
op.cit., p. 104.
28. Dans le domaine critique, un point de vue voisin est notamment partagé par la Sociocritique
telle qu’envisagée par Pierre Popovic : « Une longue filiation philosophique, qui se désigne
parfois elle-même comme “philosophie réaliste” et qui désidéalise en quelque sorte Platon,
affirme que le sens commun montre non seulement que le monde existe en dehors de notre
appréhension, mais qu’il est directement intelligible et habité par une dimension esthétique que
le langage et l’art peuvent traduire. Roger Pouivet (2006) est l’actuel défenseur de cette
philosophie héritée du thomisme. Nous ne sommes pas philosophes, mais le serions-nous que
nous nous situerions à l’opposé de cette position conservatrice. Nous serions beaucoup plus
proches de Richard Rorty dont The Linguistic Turn (1967) soutient la thèse que nous n’avons aucun
accès direct à la réalité en sorte que c’est le langage qui rend possible la pensée et la
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Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique
connaissance de cette réalité, lequel langage varie selon les situations et les locuteurs. »
(« Repenser le réalisme », dans Cahiers de sociocritique, coll. « Chantiers », n° 1, [En ligne], 2015,
URL : http://www.symposiumsociocritique.ca/publications/).
INDEX
Mots-clés: Chevillard (Éric), Critique, Ironie, Réception, Réflexivité critique
AUTHORS
DENIS SAINT-AMAND
CRSH – Université de Sherbrooke
LÉA TILKENS
Université de Liège
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