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Ciel variable
Art, photo, médias, culture
Of Walking: A Photography and Thirdspace Paradigm
Of Walking : un paradigme de la photographie et du tiers
espace
Philippe Guillaume
Number 98, Fall 2014
URI: https://id.erudit.org/iderudit/72981ac
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Les Productions Ciel variable
ISSN
1711-7682 (print)
1923-8932 (digital)
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Guillaume, P. (2014). Of Walking: A Photography and Thirdspace Paradigm / Of
Walking : un paradigme de la photographie et du tiers espace. Ciel variable,
(98), 64–70.
Tous droits réservés © Les Productions Ciel variable, 2014
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Of Walking:
A Photography and Thirdspace Paradigm
PHILIPPE GUILLAUME
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Karen Irvine, curator and museum associate director at the
Museum of Contemporary Photography in Chicago, recounted
that it was after seeing Sohei Nishino’s work in Korea in 2010
and reading Rebecca Solnit that she had the idea for the Of
Walking exhibition.1 Nishino is one of eight international contemporary artists whose works were in the show. The photographs,
videos, electronic panels, and objects in Of Walking elicit the
concept of a theoretical space that enriches the artworks on
display beyond their formal attributes. Edward Soja calls this
space – which is neither uniquely central nor only marginal,
but both – Thirdspace.2
It is in Solnit’s book Wanderlust: A History of Walking – which,
upon its publication in 2000 created a significant and expansive
interest for walking – that the dialectic premise for Irvine’s project may be found. Solnit’s book is, indeed, an unavoidable reference in any serious discussion of the subject. Her study examines
peripatetic history from different perspectives and exposes the
agency of the elementary act of walking as a cogent operation
of social and cultural development. She discusses artists whose
work is linked with photography and have all been active in the
second half of the twentieth century. Vito Acconci, Sophie Calle,
and Hamish Fulton are some of these artists, also known for
Sohei Nishino, Diorama Map Tokyo, 2004,
140 x 140 cm, courtesy of / permission de Michael
Hoppen Contemporary
Jim Campbell, Fundamental Interval
Commuters, 2010, custom electronics /
électronique sur mesure, 1,728 LEDs / DEL ,
mounted duratrans / duratrans monté,
diffusion screen / projection, treated Plexiglas /
plexiglas traité, 84 x 112 x 6 cm ; Motion and
Rest 2, 2002, custom electronics / électronique
sur mesure, 768 LEDs / DEL , 74 x 26 cm
Of Walking :
un paradigme
de la photographie
et du tiers espace
Karen Irvine, conservatrice et directrice associée du Museum
of Contemporary Photography (MoCP) de Chicago, raconte que
c’est après avoir vu le travail de Sohei Nishino en Corée, en 2010,
et lu les écrits de Rebecca Solnit que l’idée de monter l’exposition Of Walking lui est venue 1. Nishino est l’un des huit artistes
contemporains de renommée internationale dont les œuvres figuraient dans cette exposition. Les photographies, vidéos, panneaux
électroniques et objets présentés dans le cadre de Of Walking font
émerger le concept d’un espace théorique qui enrichit les œuvres
exposées au-delà de leurs attributs formels. Edward Soja nomme
cet espace – qui est non pas uniquement central, ni exclusivement
marginal, mais les deux à la fois – le « tiers espace 2 ».
C’est dans l’ouvrage de Solnit L’art de marcher, qui, dès sa
publication en 2000, suscita un intérêt marqué et généralisé pour
la marche à pied, que se trouvent les prémisses dialectiques du
projet d’Irvine. Le texte de Solnit est effectivement une référence
incontournable dans toute discussion sur ce sujet. Son étude
examine l’histoire de la marche selon différentes perspectives,
et montre à quel point l’agentivité de cet acte élémentaire est un
facteur de développement social et culturel. Elle traite d’artistes
dont le travail a un lien avec la photographie et qui ont tous été
actifs au cours de la seconde moitié du XXe siècle, notamment
Vito Acconci, Sophie Calle et Hamish Fulton, lesquels sont également connus pour l’agentivité conceptuelle de leur démarche.
Ils se rattachent d’ailleurs à une mouvance artistique dont parle
Solnit : « Dans les années soixante […], la marche vit s’ouvrir
un domaine entièrement nouveau pour elle, celui de l’art 3. »
Cependant, le lien entre la photographie et la marche précède
l’apparition de la déambulation dans le monde de l’art.
La marche implique une action. Pendant la majeure partie
des cinquante dernières années, cette action a été reconnue
comme un médium artistique intimement lié à la photographie.
Ce lien est enrichi par diverses composantes dialectiques,
matérielles et pratiques. Individuellement, la marche et la
photographie proposent des possibilités formelles et mentales
de synergie avec l’espace qui sont créatives ou pratiques, et
souvent les deux à la fois. Le fait d’envisager conjointement ces
deux médiums permet de développer un cadre d’interprétation
distinctif pour aborder les œuvres présentées dans Of Walking.
Le rôle fondamental de l’essai de Solnit dans la genèse de
l’exposition est résumé par un passage de L’art de marcher, qui
sert d’introduction au texte didactique d’Irvine. La citation fait
également écho au caractère inclusif qui est symptomatique
d’un tiers espace : « Ce mouvement et les vues qu’il découvre
favorisent semble-t-il l’apparition d’objets qui occupent l’esprit,
et c’est par là que la marche est une activité ambiguë et infiniment fertile : elle est en même temps un moyen et une fin, un
voyage et une destination4. »
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the conceptual agency in their work. As Solnit observes, they
are part of a “new realm of walking opened up in the 1960s,
walking as art.” 3 Meanwhile, the link between photography and
walking predates the induction of ambulation into the art world.
The word “walking” evokes an action. This action has, for
the better part of the last fifty years, been an acknowledged
medium in art with a rooted connection with photography. It is a
connection enriched by diverse dialectic, material, and practical
components. Individually, walking and photography propose
respective formal and mental possibilities of synergy with space
that are creative, practical, and often both. When we examine
these two media in combination, we can develop a distinctive
mindset for interpreting the works in Of Walking.
The seminal role of Solnit’s book in the genesis of this show
is condensed in a passage from Wanderlust, which Irvine chose as
the introduction for the exhibition’s didactic text. The quotation
also echoes an inclusiveness that is symptomatic of a Thirdspace:
“It is movement as well as the sights going by that seems to
make things happen in the mind, and this is what makes walking
ambiguous and endlessly fertile: it is both means and end, travel
and destination.” 4
Walking and photography are closely linked in street photography, a genre that – along with different types of documentary photographic approaches – is central in the walking-andphotography binary. As Irvine observed, “You can look and just
about the whole history of photography has been about walking.” 5 However, the contemporary artists whom she chose for
this exhibition present works in which ambulation is present
as a significant methodological or conceptual element rather
than as a historical trope. In other words, the hybrid selection
of works reflects a focus on images and projects that may be
imagined as situated along the edges of a classic reading of the
La marche et la photographie sont étroitement liées dans
la photographie de rue, un genre qui – avec différents types
d’approches photographiques documentaires – est au cœur du
système binaire marche-et-photographie. Comme le remarque
Irvine : « En réalité, presque toute l’histoire de la photographie
est associée à la marche5. » Cependant, les artistes contemporains qu’elle a choisis pour cette exposition élaborent des œuvres
où la déambulation représente un élément méthodologique ou
conceptuel important, plutôt qu’un trope historique. Autrement
dit, la sélection hybride des œuvres privilégie des images et
des projets qu’on pourrait situer en périphérie de l’association
marche-et-photographie plutôt qu’en son centre. En même
temps, ils ne sont jamais complètement séparés du noyau historique de ce paradigme. Non seulement le fait de regarder les
œuvres dans une telle perspective permet-il de faire ressortir
la richesse de la combinaison marche-et-photographie au-delà
de ses composantes dénotatives, mais cela met également en
lumière la proposition théorique du tiers espace comme outil
d’analyse pertinent.
Le géographe et urbaniste américain Edward Soja conçoit
le tiers espace comme une façon d’amener l’analyse spatiale
au-delà de l’opposition binaire classique entre lieux réels et imaginaires. C’est un point de jonction hybride où le lieu et l’espace
sont « ouverts et inclusifs plutôt que restreints par des protocoles
autoritaires 6 ». Les notions d’espace premier et d’espace second
Paulien Oltheten, Sock Istanbul, 2006-2013, New York;
Proximics (Ants), 2013, Fort Davis, c-prints / épreuves
chromogéniques, variable sizes / formats variés
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walking-and-photography association rather than at the centre.
Simultaneously, they are never completely separated from
the historical core of the walking-and-photography paradigm.
Although looking at these works from such a perspective further
reveals the richness of the walking-and-photography combination beyond its denotative components, it also brings to light the
theoretical proposition of Thirdspace as a cogent tool of analysis.
The American geographer and urban planner Edward Soja
conceives Thirdspace as a way of engaging spatial analysis
beyond the usual binary of real versus imagined places. It is
a hybrid point of juncture in which place and space are “open
and inclusive rather than bound by authoritative protocols.” 6
The notions of Firstspace and Secondspace are important in
understanding this theory: the former is an “everyday reality,”
such as a place that is home, which collapses into the latter, a
conceived space or the home as “imagined.” An example could
be a photograph of a city. As Firstspace, it is a space within its
representation of a place within a photograph; as Secondspace,
the same place is imagined, outside of its traditional representations by society.7 Soja’s Thirdspace is distinct from Firstspace
and Secondspace because it encompasses them; as he explains,
“Everything comes together in Thirdspace: subjectivity and
objectivity, the abstract and the concrete, the real and the
imagined, the knowable and the unimaginable, the repetitive
and the differential, structure and agency, mind and body,
consciousness and unconsciousness, the disciplined and the
transdisciplinary, everyday life and unending history.”8
Of Walking featured works by six individual artists and one
duo. The curator also took the opportunity to show a separate
sampling of photographs from the museum’s own collection.
These street and documentary pictures by photographers
established in the canon of photographic history, such as Robert
Frank, Dorothea Lange, and Garry Winogrand, were not part
of the exhibition but presented as an addendum. Showing
these images in this periphery inverts their traditional position
as central in the photography-and-walking combination by
placing them in the margin of the actual exhibition.
The two artists whose work was displayed in the main gallery
propose radically different dialectics and applications of walkingand-art creation: forms contrasted with ideas. The Japanese artist Sohei Nishino (b. 1982), as mentioned above, was an early
inspiration for the show. Sohei walks in cities such as Tokyo,
London, and Kyoto, to name only the places in the photographs
on display, taking thousands of pictures that become the raw
material from which he creates large photographic works called
Diorama Maps (2003–ongoing). His images are “constructed”
from memory and single small-format photographs that show
various perspectives and mirror his impressionistic involvement
with these places. His composite maps articulate abstract-like
representations. While connoting the street photographer’s
meander through the city, Sohei’s maps also introduce another
way of looking at the production of social space. His project
integrates both Firstspace [Tokyo, for example] and Secondspace perspectives [his composite photographic representation
of Tokyo] while at the same time “opening up the scope and
complexity of the geographical or spatial imagination” 9 as
Thirdspace.
sont importantes pour comprendre cette théorie : la première
notion est une « réalité quotidienne » comme l’espace de la
maison, qui se fond dans la seconde – l’espace perçu ou le chezsoi « imaginé ». Prenons pour exemple la photographie d’une ville.
Comme espace premier, c’est un espace délimité par la représentation d’un lieu dans le cadre d’une photographie ; comme espace
second, le même lieu est imaginé, en-dehors de ses représentations traditionnelles par la société 7. Le tiers espace de Soja se
distingue de l’espace premier et de l’espace second parce qu’il
les englobe tous deux. Soja explique : « Tout se fond dans le tiers
espace : le subjectif et l’objectif, l’abstrait et le concret, le réel
L’exposition du Museum of Contemporary
Photography créait un espace permettant
à ces artistes de communiquer, marcher,
créer et observer, tout en permettant au public
de comprendre certains des liens significatifs
qui existent entre la marche et la photographie.
et l’imaginaire, le connaissable et l’inimaginable, le répétitif et
le différentiel, la structure et l’agentivité, l’esprit et le corps, la
conscience et l’inconscience, la discipline et le transdisciplinaire,
la vie quotidienne et l’histoire sans fin8. »
Of Walking présentait des œuvres de six artistes et d’un duo. La
conservatrice a également profité de cette occasion pour montrer
un échantillon de la collection du musée. Ces photographies de
rue et documentaires, réalisées par des photographes appartenant
au canon de l’histoire du médium, dont Robert Frank, Dorothea
Lange et Garry Winogrand, ne faisaient pas partie de l’exposition,
mais se trouvaient présentées en périphérie. Le fait de les placer
en marge de l’exposition inversait leur position traditionnelle
centrale dans la combinaison marche-et-photographie.
Les deux artistes exposés dans la salle principale proposaient
des dialectiques et des applications radicalement différentes de
l’art-et-marche comme création, ce qui provoquait un contraste
entre les formes et les idées. L’artiste japonais Sohei Nishino (né
en 1982) a en partie inspiré cette exposition, comme on l’a dit plus
haut. Sohei parcourt à pied des villes comme Tokyo, Londres et
Kyoto, pour ne citer que les lieux représentés dans cette exposition,
en prenant des milliers de photos qui deviennent le matériau brut
à partir duquel il crée d’immenses œuvres photographiques nommées Diorama Maps (2003-en cours). Ses images, « construites »
de mémoire à partir de petites photographies individuelles prises
selon différentes perspectives, reflètent sa relation impressionniste
avec les lieux concernés. Ses cartes composites fonctionnent
comme des représentations semi-abstraites : tout en évoquant les
déambulations du photographe de rue à travers la ville, les cartes
de Sohei introduisent également une autre manière de considérer
la production de l’espace social. Son projet intègre à la fois les
perspectives de l’espace premier (Tokyo, par exemple) et de l’espace second (ses représentations composites de Tokyo) tout en
« ouvrant la portée et la complexité de l’imagination géographique
ou spatiale 9 » comme tiers espace.
Dans la même salle que les trois grandes compositions photographiques en noir et blanc réalisées par Sohei se trouvait une
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Sharing this gallery with Sohei’s three large black-and-white
photographs was a selection of ten pieces that included images,
photographs, texts, images with text, and paintings by the British
photographer and land artist Hamish Fulton (b. 1946). Although
a very different motivation from Sohei’s inspires his walks, Fulton
is the quintessential walking artist. For the pioneer in the art
form, the actual walk is the artwork. Some of his walks are journeys that last several weeks and cover hundreds of kilometres.
As important as his meandering is that he not disturb the landscape, from which the only material traces that he occasionally
brings back are souvenir photographs. He often combines these
with descriptive captions to create documents that signify, as he
states, “a passive protest against urban societies that alienate
people from the world of nature.” 10 Here, Thirdspace emerges
as an exploration in which the city is relegated to the margin
by Fulton’s walks, which explore new dimensions of spatiality.
This perspective resonates when we see examples of his
documentation in the same room as Sohei’s striking, stylish
conceptual city maps.
Liene Bosquê (b. 1980) and Nicole Seisler (b. 1982), of Brazilian
and American/Dutch origin, respectively, work together with yet
another conceptual mindset. The duo organize walks in cities
with participants who are asked to create imprints from the
urban landscape in wet porcelain blocks. The resulting objects,
each with its unique impressions, denote the indexical nature
of analogue photography and are material traces of each participant’s distinctive psychological contact with the places through
which they have walked. Bosquê and Seisler’s enterprise presents
a characteristic of Thirdspace in signifying “all three spatialities
– perceived, conceived, and lived – with no one inherently
privileged a priori.” 11 Their work was presented with a selection
Of Walking offered a critical space of interplay
between, art, peripatetic mobility, memory,
social politics, chance, and photographic history.
of photographs related to walking chosen by the artists from
a corpus of images in the museum’s permanent collection.
Paulien Oltheten (b. 1982) is a Dutch artist whose images
are infused with a distinctive relational quality. Her photographs
and videos echo the passing of time and chance encounters, and
document people walking or occupying public spaces. Her project
in the exhibition is from a work in progress in which photographs
such as Proximics (ants) (2013) affirm her acute and patient eye.
In another section of the work is Oltheten’s video of a man
engaged in walking weirdly on the sidewalk in downtown New
York. She had noticed the man by chance and was able to communicate with him by letter; she asked him to re-enact his distinctive walk for the video. The peculiar component in this scene
evokes Bruce Nauman’s radical experimentation with walking
in his late-1960s video works.12 This historical resonance is
supplemented with a Thirdspace that is revealed by Oltheten
and the walker’s transformation of hegemonic downtown space
into a space of unconventional artistic experimentation.
The Singaporean artist Simryn Gill (b. 1959), who lives in
Australia, walked around Marrickville, a suburban neighbourhood
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sélection de dix œuvres (images, photographies, textes, images
accompagnées de textes et peintures) réalisées par le photographe et artiste du land art Hamish Fulton (né en 1946). Bien
qu’il soit inspiré par des motivations très différentes de celles
de Sohei, Fulton est néanmoins l’artiste marcheur par excellence,
pionnier de cette forme de création où la marche elle-même constitue l’œuvre d’art. Certains de ses parcours sont des voyages
de plusieurs semaines qui couvrent des centaines de kilomètres.
Il est essentiel pour lui de ne déranger en rien le paysage, dont
il ne rapporte, comme seules traces matérielles, que d’occasionnelles photos-souvenirs. Il les associe souvent à des légendes
explicatives, pour créer des documents qui deviennent, selon
sa formulation, « une protestation passive contre les sociétés
urbaines qui aliènent les gens du monde de la nature 10 ». Ici,
le tiers espace émerge d’une exploration où la ville se retrouve
reléguée à un statut marginal par les randonnées de Fulton, et où
la spatialité s’ouvre à de nouvelles dimensions. Cette perspective
acquiert une résonance particulière lorsque des exemples de
sa documentation sont présentés dans la même pièce que les
impressionnantes cartes conceptuelles de Sohei, au style affirmé.
Liene Bosquê (née en 1980) et Nicole Seisler (née en 1982),
respectivement d’origine brésilienne et américano-néerlandaise,
travaillent ensemble sur des projets également conceptuels. Le
duo organise des promenades dans les villes, avec des participants
auxquels on demande de prendre des empreintes du paysage
urbain dans des blocs de porcelaine humide. Les objets qui en
résultent, chacun porteur d’une trace unique, dénotent la nature
indicielle de la photographie analogue, et constituent des traces
matérielles du contact psychologique particulier de chaque participant avec les lieux parcourus. L’entreprise de Bosquê et Seisler présente une caractéristique du tiers espace en incarnant « les trois
spatialités réunies – perçues, conçues, et vécues – nulle n’étant
implicitement privilégiée à priori 11 ». Leur travail était exposé avec
une sélection de photographies reliées à la marche, choisies par
les artistes dans le corpus de la collection permanente du musée.
Paulien Oltheten (née en 1982) est une artiste néerlandaise
dont les images sont empreintes d’une qualité relationnelle particulière. Ses photographies et vidéos évoquent le passage du
temps et les rencontres fortuites, et documentent des gens qui
marchent ou qui occupent des espaces publics. Le projet qu’elle
présentait dans cette exposition provient d’un travail en cours,
où des photographies comme Proximics (ants) (2013) confirment
l’acuité et la patience de son regard. Une autre section de l’œuvre
montre une vidéo d’un homme en train de marcher bizarrement
sur le trottoir dans le centre-ville de New York. Elle avait remarqué l’homme par hasard et a réussi à communiquer avec lui par
lettre ; elle lui a demandé de marcher de la même façon devant
sa caméra pour réaliser la vidéo. L’aspect étrange de cette scène
rappelle l’expérimentation radicale de Bruce Nauman avec la
marche dans ses œuvres vidéo de la fin des années 1960 12.
Cette résonance historique vient s’accorder au tiers espace révélé
par Oltheten et son marcheur, qui transforment l’espace hégémonique du centre-ville en espace d’expérimentation artistique non
conventionnelle.
L’artiste singapourienne installée en Australie Simryn Gill
(née en 1959) a exploré à pied pendant un mois les rues de
Marrickville, en banlieue de Sydney, photographiant chaque
Garry Winogrand, Untitled, 1981,
from the / du portfolio Women Are Beautiful
Dorothea Lange, On the Street Relationships,
1951 (OMCA)
near Sydney, for a month, taking daily snapshots of mundane
objects and scenes. The Thirdspace notion of “[rethinking] marginality in her personal act of displacement” 13 resounds in Gill’s
impressive grouping of photographs showing highly personal
views of the area. Every day, she went out to walk with a new
roll from a film batch with an expiry date of May 2006. The
scenography for May 2006 shows over eight hundred gelatinesilver prints as thirty vertical groups of photos, each column
equalling one day’s walk and one roll of film. As Irvine noted,
during these walks Gill remained open to chance and “the
process of discovery that happens when you’re walking through
a place, making place come alive through ambulation.”14
In a passageway, leading from the gallery’s main floor to
proceed to the upper floor were a series of pigment prints from
the project Thrice Upon a Time (2012) by the Australian photographer Odette England (b. 1975). Twenty years after her parents
lost their dairy farm due to a sharp drop in the price of milk,
England returned to the home of her youth to photograph places
with mnemonic meaning selected from childhood photographs
of her taken by her parents. In 2010, England again returned
to the farm with her parents and asked them to tread the old
family grounds with large colour negatives of the photographs
she had taken tied under their feet. The soiled, scrapped, and
torn images on display emerge as poetic shards of personal loss.
As Thirdspace, in England’s photographs the home is disrupted
from binary classification and becomes a place where it is possible to reconceptualize the very idea of space and memory.
Of Walking concluded with a pair of electronic tableaus
by the American artist Jim Campbell (b. 1956). Composed of
white light-emitting diodes, each tableau shows the silhouette
of a physically impaired person in constant motion. Campbell’s
post-photographic work is inspired by the history of the
photographic medium, notably the stop-motion photographs
developed during the nineteenth century by photographer and
scientist Eadweard Muybridge. Motion and Rest (2002) depicts
a solitary disabled figure appearing to engage the electronic
space that the artist created with hundreds of tiny LED lights.
jour, sur son chemin, des objets et des scènes ordinaires. Ses
fascinantes séries de clichés très personnels rendent tangible
l’idée de « [repenser] la marginalité dans son acte personnel de
déplacement 13 » qui est reliée au tiers espace. Chaque jour, elle
emportait un nouveau rouleau de pellicule provenant d’un lot
dont la date de péremption était mai 2006. La scénographie
de May 2006 présentait plus de huit cents tirages argentiques
regroupés en trente colonnes d’images, dont chacune représentait
une journée de marche et un rouleau de pellicule. Au cours de
ces promenades, comme le note Irvine, Gill demeurait réceptive
au hasard et au « processus de découverte qui survient lorsqu’on
marche quelque part : les endroits traversés prennent vie avec
nos déambulations 14 ».
En quittant la salle principale pour accéder à l’étage supérieur,
on découvrait dans un couloir une série de tirages numériques à
pigments extraits du projet Thrice Upon a Time (2012), réalisé par
la photographe australienne Odette England (née en 1975). Vingt
ans après que ses parents eurent perdu leur ferme laitière à cause
d’une chute brutale des prix du lait, England est retournée sur les
lieux de son enfance pour photographier des endroits chargés de
mémoire choisis parmi ceux où ses parents avaient pris des photographies d’elle lorsqu’elle était enfant. Puis, en 2010, England y est
revenue avec ses parents, auxquels elle a demandé de parcourir
l’ancienne terre familiale avec, fixés sous leurs semelles, des négatifs couleur grand format des photographies qu’elle avait réalisées
précédemment. Ces images salies, éraflées, déchirées, qui étaient
présentées lors de l’exposition, apparaissaient comme autant de
débris poétiques d’une perte personnelle. Le foyer familial, lieu
d’une rupture entre l’espace réel et l’espace ressenti, transcende
ici cette binarité pour devenir un tiers espace où il est possible de
reconceptualiser l’idée même de l’espace et de la mémoire.
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Walking, memory, and science converge as a Thirdspace in
which there is no geographical junction but a technological
spatiality, as a space of difference and of resistance to dominant
ambulatory and photographic practices.
The exhibition at the Museum of Contemporary Photography
was a space for these artists to communicate, walk, create, and
observe, and for the public to understand some of the significant
links between walking and photography. Of Walking offered a
critical space of interplay among art, peripatetic mobility, memory, social politics, chance, and photographic history. Admittedly,
Soja’s Thirdspace is a complicated concept, and its application
here barely begins to scratch the surface of its rich analytical
possibilities. In this exhibition, elements came together and
walking and art were combined to rethink real and imagined
places, recombinational strategies, and the endless possibilities
associated with walking. As Thirdspace, the works revealed
how the everyday practices of walking and photography can be
combined as active agents to study and imagine, synchronously,
from the margins and the core, the spaces around us.
—
—
1 Karen Irvine and I met at the Museum of Contemporary Photography on
December 18, 2013, to discuss the exhibition; I thank her for generously making
time for our conversation. 2 Edward Soja designates Thirdspace as a proper
name; although different scholars use other forms of spelling I will conform to
his orthography. 3 Rebecca Solnit, Wanderlust: A History of Walking (New York:
Penguin Books, 2000), 267. 4 Ibid., 6. 5 Interview with Karen Irvine.
6 Edward Soja, Thirdspace: Journeys to Los Angeles and Other Real-and-Imagined Places
(Malden: Blackwell, 1996), 162. 7 Soja’s Thirdspace is more detailed and inclusive
than other proposals on the theme, such as those introduced by post-colonial and
post-structuralist theorist Homi K. Bhabha, Edward Said, and author and social
and feminist activist bell hooks. 8 Soja, Thirdspace, 56–57. 9 Edward Soja,
Postmetropolis (Malden: Blackwell, 2000), 11. 10 “Hamish Fulton,” British Council
Visual Arts, http://collection.britishcouncil.org/collection/artist/5/18781, accessed 17 May
20114. 11 Soja, Thirdspace, 68. 12 Nauman’s 1968 video Slow Angle Walk (Becket
Walk) is an example. 13 Soja, Thirdspace, 135. 14 Interview with Karen Irvine.
—
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Philippe Guillaume is a peripatetic artist, photographer, and
author based in Montreal, Canada. He holds a master’s degree
in photography and art history from Concordia University’s
Special Individualized Program. He is a member of the Canadian
Photography History Research Group based in the Department
of Art History at Concordia University.
—
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Of Walking se concluait sur deux tableaux électroniques de
l’artiste américain Jim Campbell (né en 1956). Composé de diodes
électroluminescentes (DEL) blanches, chaque tableau montre la
silhouette, toujours en mouvement, d’une personne affectée par
un handicap physique. Le travail post-photographique de Campbell
est inspiré par l’histoire de la photographie, notamment la décomposition photographique du mouvement développée au XIXe siècle
par le photographe et scientifique Eadweard Muybridge. Motion
and Rest (2002) montre la silhouette solitaire d’un personnage
handicapé qui semble progresser au travers de l’espace électronique créé par les centaines de minuscules lumières. La marche,
la mémoire et la science se rejoignent dans un tiers espace où les
points de repère géographiques ont disparu au profit d’une spatialité technologique : un espace différent, un lieu de résistance
aux pratiques ambulatoires et photographiques dominantes.
L’exposition du Museum of Contemporary Photography créait
un espace permettant à ces artistes de communiquer, marcher,
créer et observer, tout en permettant au public de comprendre
certains des liens significatifs qui existent entre la marche et
la photographie. Of Walking offrait un espace critique d’échange
entre l’art, la mobilité péripatéticienne, la mémoire, les politiques
sociales, le hasard et l’histoire de la photographie. Le tiers espace
de Soja est reconnu pour sa complexité conceptuelle, et son
application recèle une telle richesse analytique que cet article
en effleure à peine la surface. L’exposition a mis en présence
plusieurs éléments ; cette combinaison de la marche et de l’art
permet de repenser les lieux réels et imaginés, suggère des stratégies pour de nouvelles combinaisons, et révèle les possibilités
infinies de la marche. Dans le cadre du tiers espace, ces œuvres
nous montrent comment les pratiques quotidiennes de la marche
et de la photographie peuvent se combiner en tant qu’agents
actifs nous permettant d’étudier et d’imaginer, synchroniquement,
en partant à la fois de la marge et du noyau central, les espaces
qui nous entourent. Traduit par Emmanuelle Bouet
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1 J’ai rencontré Karen Irvine au MoCP le 18 décembre 2013 pour discuter de
cette exposition ; je la remercie de m’avoir généreusement accordé cette entrevue.
2 Edward Soja désigne le tiers espace comme un nom propre, Thirdspace (voir la
version anglaise de cet article). 3 Rebecca Solnit, L’art de marcher, Arles, Éditions
Actes Sud, coll. Babel, 2002, p. 342. 4 Ibid., p. 14. 5 Entrevue avec Karen Irvine.
[Notre traduction.] 6 Edward Soja, Thirdspace: Journeys to Los Angeles and Other
Real-and-Imagined Places, Malden, Blackwell, 1996, p. 162. [Notre traduction.]
7 Le tiers espace selon Soja est plus approfondi et inclusif que d’autres propositions
sur ce thème, comme celles introduites par le théoricien post-colonialiste et
post-structuraliste Homi K. Bhabha, par Edward Said ou par l’auteure et activiste
féministe et sociale bell hooks. 8 Soja, Thirdspace, p. 56-57. [Notre traduction.]
9 Edward Soja, Postmetropolis, Malden, Blackwell, 2000, p. 11. [Notre traduction.]
10 « Hamish Fulton », British Council: Visual Arts, en ligne : http://collection.british
council.org/collection/artist/5/18781, consulté le 17 mai 2014. [Notre traduction.]
11 Soja, Thirdspace, p. 68. [Notre traduction.] 12 La vidéo de Nauman réalisée en
1968 Slow Angle Walk (Becket Walk) en est un exemple. 13 Soja, Thirdspace, p. 135.
[Notre traduction.] 14 Entrevue avec Karen Irvine. [Notre traduction.]
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Philippe Guillaume est un artiste, photographe et auteur péripatéticien
installé à Montréal. Il est titulaire d’une maîtrise interdisciplinaire
en histoire de l’art et de la photographie obtenue dans le cadre d’un
programme indivuel spécialisé de l’Université Concordia. Il est membre
du groupe de recherche sur l’histoire de la photographie canadienne
(Canadian Photography History Research Group) lié au Département
d’histoire de l’art de l’Université Concordia.
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CIEL VARIABLE N° 98