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Of Walking: A Photography and Thirdspace Paradigm

2014, Ciel variable : Art, photo, médias, culture

Document generated on 01/04/2024 6:05 a.m. Ciel variable Art, photo, médias, culture Of Walking: A Photography and Thirdspace Paradigm Of Walking : un paradigme de la photographie et du tiers espace Philippe Guillaume Number 98, Fall 2014 URI: https://id.erudit.org/iderudit/72981ac See table of contents Publisher(s) Les Productions Ciel variable ISSN 1711-7682 (print) 1923-8932 (digital) Explore this journal Cite this article Guillaume, P. (2014). Of Walking: A Photography and Thirdspace Paradigm / Of Walking : un paradigme de la photographie et du tiers espace. Ciel variable, (98), 64–70. Tous droits réservés © Les Productions Ciel variable, 2014 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Of Walking: A Photography and Thirdspace Paradigm PHILIPPE GUILLAUME 64 CIEL VARIABLE N° 98 Karen Irvine, curator and museum associate director at the Museum of Contemporary Photography in Chicago, recounted that it was after seeing Sohei Nishino’s work in Korea in 2010 and reading Rebecca Solnit that she had the idea for the Of Walking exhibition.1 Nishino is one of eight international contemporary artists whose works were in the show. The photographs, videos, electronic panels, and objects in Of Walking elicit the concept of a theoretical space that enriches the artworks on display beyond their formal attributes. Edward Soja calls this space – which is neither uniquely central nor only marginal, but both – Thirdspace.2 It is in Solnit’s book Wanderlust: A History of Walking – which, upon its publication in 2000 created a significant and expansive interest for walking – that the dialectic premise for Irvine’s project may be found. Solnit’s book is, indeed, an unavoidable reference in any serious discussion of the subject. Her study examines peripatetic history from different perspectives and exposes the agency of the elementary act of walking as a cogent operation of social and cultural development. She discusses artists whose work is linked with photography and have all been active in the second half of the twentieth century. Vito Acconci, Sophie Calle, and Hamish Fulton are some of these artists, also known for Sohei Nishino, Diorama Map Tokyo, 2004, 140 x 140 cm, courtesy of / permission de Michael Hoppen Contemporary Jim Campbell, Fundamental Interval Commuters, 2010, custom electronics / électronique sur mesure, 1,728 LEDs / DEL , mounted duratrans / duratrans monté, diffusion screen / projection, treated Plexiglas / plexiglas traité, 84 x 112 x 6 cm ; Motion and Rest 2, 2002, custom electronics / électronique sur mesure, 768 LEDs / DEL , 74 x 26 cm Of Walking : un paradigme de la photographie et du tiers espace Karen Irvine, conservatrice et directrice associée du Museum of Contemporary Photography (MoCP) de Chicago, raconte que c’est après avoir vu le travail de Sohei Nishino en Corée, en 2010, et lu les écrits de Rebecca Solnit que l’idée de monter l’exposition Of Walking lui est venue 1. Nishino est l’un des huit artistes contemporains de renommée internationale dont les œuvres figuraient dans cette exposition. Les photographies, vidéos, panneaux électroniques et objets présentés dans le cadre de Of Walking font émerger le concept d’un espace théorique qui enrichit les œuvres exposées au-delà de leurs attributs formels. Edward Soja nomme cet espace – qui est non pas uniquement central, ni exclusivement marginal, mais les deux à la fois – le « tiers espace 2 ». C’est dans l’ouvrage de Solnit L’art de marcher, qui, dès sa publication en 2000, suscita un intérêt marqué et généralisé pour la marche à pied, que se trouvent les prémisses dialectiques du projet d’Irvine. Le texte de Solnit est effectivement une référence incontournable dans toute discussion sur ce sujet. Son étude examine l’histoire de la marche selon différentes perspectives, et montre à quel point l’agentivité de cet acte élémentaire est un facteur de développement social et culturel. Elle traite d’artistes dont le travail a un lien avec la photographie et qui ont tous été actifs au cours de la seconde moitié du XXe siècle, notamment Vito Acconci, Sophie Calle et Hamish Fulton, lesquels sont également connus pour l’agentivité conceptuelle de leur démarche. Ils se rattachent d’ailleurs à une mouvance artistique dont parle Solnit : « Dans les années soixante […], la marche vit s’ouvrir un domaine entièrement nouveau pour elle, celui de l’art 3. » Cependant, le lien entre la photographie et la marche précède l’apparition de la déambulation dans le monde de l’art. La marche implique une action. Pendant la majeure partie des cinquante dernières années, cette action a été reconnue comme un médium artistique intimement lié à la photographie. Ce lien est enrichi par diverses composantes dialectiques, matérielles et pratiques. Individuellement, la marche et la photographie proposent des possibilités formelles et mentales de synergie avec l’espace qui sont créatives ou pratiques, et souvent les deux à la fois. Le fait d’envisager conjointement ces deux médiums permet de développer un cadre d’interprétation distinctif pour aborder les œuvres présentées dans Of Walking. Le rôle fondamental de l’essai de Solnit dans la genèse de l’exposition est résumé par un passage de L’art de marcher, qui sert d’introduction au texte didactique d’Irvine. La citation fait également écho au caractère inclusif qui est symptomatique d’un tiers espace : « Ce mouvement et les vues qu’il découvre favorisent semble-t-il l’apparition d’objets qui occupent l’esprit, et c’est par là que la marche est une activité ambiguë et infiniment fertile : elle est en même temps un moyen et une fin, un voyage et une destination4. » CIEL VARIABLE N° 98 65 the conceptual agency in their work. As Solnit observes, they are part of a “new realm of walking opened up in the 1960s, walking as art.” 3 Meanwhile, the link between photography and walking predates the induction of ambulation into the art world. The word “walking” evokes an action. This action has, for the better part of the last fifty years, been an acknowledged medium in art with a rooted connection with photography. It is a connection enriched by diverse dialectic, material, and practical components. Individually, walking and photography propose respective formal and mental possibilities of synergy with space that are creative, practical, and often both. When we examine these two media in combination, we can develop a distinctive mindset for interpreting the works in Of Walking. The seminal role of Solnit’s book in the genesis of this show is condensed in a passage from Wanderlust, which Irvine chose as the introduction for the exhibition’s didactic text. The quotation also echoes an inclusiveness that is symptomatic of a Thirdspace: “It is movement as well as the sights going by that seems to make things happen in the mind, and this is what makes walking ambiguous and endlessly fertile: it is both means and end, travel and destination.” 4 Walking and photography are closely linked in street photography, a genre that – along with different types of documentary photographic approaches – is central in the walking-andphotography binary. As Irvine observed, “You can look and just about the whole history of photography has been about walking.” 5 However, the contemporary artists whom she chose for this exhibition present works in which ambulation is present as a significant methodological or conceptual element rather than as a historical trope. In other words, the hybrid selection of works reflects a focus on images and projects that may be imagined as situated along the edges of a classic reading of the La marche et la photographie sont étroitement liées dans la photographie de rue, un genre qui – avec différents types d’approches photographiques documentaires – est au cœur du système binaire marche-et-photographie. Comme le remarque Irvine : « En réalité, presque toute l’histoire de la photographie est associée à la marche5. » Cependant, les artistes contemporains qu’elle a choisis pour cette exposition élaborent des œuvres où la déambulation représente un élément méthodologique ou conceptuel important, plutôt qu’un trope historique. Autrement dit, la sélection hybride des œuvres privilégie des images et des projets qu’on pourrait situer en périphérie de l’association marche-et-photographie plutôt qu’en son centre. En même temps, ils ne sont jamais complètement séparés du noyau historique de ce paradigme. Non seulement le fait de regarder les œuvres dans une telle perspective permet-il de faire ressortir la richesse de la combinaison marche-et-photographie au-delà de ses composantes dénotatives, mais cela met également en lumière la proposition théorique du tiers espace comme outil d’analyse pertinent. Le géographe et urbaniste américain Edward Soja conçoit le tiers espace comme une façon d’amener l’analyse spatiale au-delà de l’opposition binaire classique entre lieux réels et imaginaires. C’est un point de jonction hybride où le lieu et l’espace sont « ouverts et inclusifs plutôt que restreints par des protocoles autoritaires 6 ». Les notions d’espace premier et d’espace second Paulien Oltheten, Sock Istanbul, 2006-2013, New York; Proximics (Ants), 2013, Fort Davis, c-prints / épreuves chromogéniques, variable sizes / formats variés 66 CIEL VARIABLE N° 98 walking-and-photography association rather than at the centre. Simultaneously, they are never completely separated from the historical core of the walking-and-photography paradigm. Although looking at these works from such a perspective further reveals the richness of the walking-and-photography combination beyond its denotative components, it also brings to light the theoretical proposition of Thirdspace as a cogent tool of analysis. The American geographer and urban planner Edward Soja conceives Thirdspace as a way of engaging spatial analysis beyond the usual binary of real versus imagined places. It is a hybrid point of juncture in which place and space are “open and inclusive rather than bound by authoritative protocols.” 6 The notions of Firstspace and Secondspace are important in understanding this theory: the former is an “everyday reality,” such as a place that is home, which collapses into the latter, a conceived space or the home as “imagined.” An example could be a photograph of a city. As Firstspace, it is a space within its representation of a place within a photograph; as Secondspace, the same place is imagined, outside of its traditional representations by society.7 Soja’s Thirdspace is distinct from Firstspace and Secondspace because it encompasses them; as he explains, “Everything comes together in Thirdspace: subjectivity and objectivity, the abstract and the concrete, the real and the imagined, the knowable and the unimaginable, the repetitive and the differential, structure and agency, mind and body, consciousness and unconsciousness, the disciplined and the transdisciplinary, everyday life and unending history.”8 Of Walking featured works by six individual artists and one duo. The curator also took the opportunity to show a separate sampling of photographs from the museum’s own collection. These street and documentary pictures by photographers established in the canon of photographic history, such as Robert Frank, Dorothea Lange, and Garry Winogrand, were not part of the exhibition but presented as an addendum. Showing these images in this periphery inverts their traditional position as central in the photography-and-walking combination by placing them in the margin of the actual exhibition. The two artists whose work was displayed in the main gallery propose radically different dialectics and applications of walkingand-art creation: forms contrasted with ideas. The Japanese artist Sohei Nishino (b. 1982), as mentioned above, was an early inspiration for the show. Sohei walks in cities such as Tokyo, London, and Kyoto, to name only the places in the photographs on display, taking thousands of pictures that become the raw material from which he creates large photographic works called Diorama Maps (2003–ongoing). His images are “constructed” from memory and single small-format photographs that show various perspectives and mirror his impressionistic involvement with these places. His composite maps articulate abstract-like representations. While connoting the street photographer’s meander through the city, Sohei’s maps also introduce another way of looking at the production of social space. His project integrates both Firstspace [Tokyo, for example] and Secondspace perspectives [his composite photographic representation of Tokyo] while at the same time “opening up the scope and complexity of the geographical or spatial imagination” 9 as Thirdspace. sont importantes pour comprendre cette théorie : la première notion est une « réalité quotidienne » comme l’espace de la maison, qui se fond dans la seconde – l’espace perçu ou le chezsoi « imaginé ». Prenons pour exemple la photographie d’une ville. Comme espace premier, c’est un espace délimité par la représentation d’un lieu dans le cadre d’une photographie ; comme espace second, le même lieu est imaginé, en-dehors de ses représentations traditionnelles par la société 7. Le tiers espace de Soja se distingue de l’espace premier et de l’espace second parce qu’il les englobe tous deux. Soja explique : « Tout se fond dans le tiers espace : le subjectif et l’objectif, l’abstrait et le concret, le réel L’exposition du Museum of Contemporary Photography créait un espace permettant à ces artistes de communiquer, marcher, créer et observer, tout en permettant au public de comprendre certains des liens significatifs qui existent entre la marche et la photographie. et l’imaginaire, le connaissable et l’inimaginable, le répétitif et le différentiel, la structure et l’agentivité, l’esprit et le corps, la conscience et l’inconscience, la discipline et le transdisciplinaire, la vie quotidienne et l’histoire sans fin8. » Of Walking présentait des œuvres de six artistes et d’un duo. La conservatrice a également profité de cette occasion pour montrer un échantillon de la collection du musée. Ces photographies de rue et documentaires, réalisées par des photographes appartenant au canon de l’histoire du médium, dont Robert Frank, Dorothea Lange et Garry Winogrand, ne faisaient pas partie de l’exposition, mais se trouvaient présentées en périphérie. Le fait de les placer en marge de l’exposition inversait leur position traditionnelle centrale dans la combinaison marche-et-photographie. Les deux artistes exposés dans la salle principale proposaient des dialectiques et des applications radicalement différentes de l’art-et-marche comme création, ce qui provoquait un contraste entre les formes et les idées. L’artiste japonais Sohei Nishino (né en 1982) a en partie inspiré cette exposition, comme on l’a dit plus haut. Sohei parcourt à pied des villes comme Tokyo, Londres et Kyoto, pour ne citer que les lieux représentés dans cette exposition, en prenant des milliers de photos qui deviennent le matériau brut à partir duquel il crée d’immenses œuvres photographiques nommées Diorama Maps (2003-en cours). Ses images, « construites » de mémoire à partir de petites photographies individuelles prises selon différentes perspectives, reflètent sa relation impressionniste avec les lieux concernés. Ses cartes composites fonctionnent comme des représentations semi-abstraites : tout en évoquant les déambulations du photographe de rue à travers la ville, les cartes de Sohei introduisent également une autre manière de considérer la production de l’espace social. Son projet intègre à la fois les perspectives de l’espace premier (Tokyo, par exemple) et de l’espace second (ses représentations composites de Tokyo) tout en « ouvrant la portée et la complexité de l’imagination géographique ou spatiale 9 » comme tiers espace. Dans la même salle que les trois grandes compositions photographiques en noir et blanc réalisées par Sohei se trouvait une CIEL VARIABLE N° 98 67 Sharing this gallery with Sohei’s three large black-and-white photographs was a selection of ten pieces that included images, photographs, texts, images with text, and paintings by the British photographer and land artist Hamish Fulton (b. 1946). Although a very different motivation from Sohei’s inspires his walks, Fulton is the quintessential walking artist. For the pioneer in the art form, the actual walk is the artwork. Some of his walks are journeys that last several weeks and cover hundreds of kilometres. As important as his meandering is that he not disturb the landscape, from which the only material traces that he occasionally brings back are souvenir photographs. He often combines these with descriptive captions to create documents that signify, as he states, “a passive protest against urban societies that alienate people from the world of nature.” 10 Here, Thirdspace emerges as an exploration in which the city is relegated to the margin by Fulton’s walks, which explore new dimensions of spatiality. This perspective resonates when we see examples of his documentation in the same room as Sohei’s striking, stylish conceptual city maps. Liene Bosquê (b. 1980) and Nicole Seisler (b. 1982), of Brazilian and American/Dutch origin, respectively, work together with yet another conceptual mindset. The duo organize walks in cities with participants who are asked to create imprints from the urban landscape in wet porcelain blocks. The resulting objects, each with its unique impressions, denote the indexical nature of analogue photography and are material traces of each participant’s distinctive psychological contact with the places through which they have walked. Bosquê and Seisler’s enterprise presents a characteristic of Thirdspace in signifying “all three spatialities – perceived, conceived, and lived – with no one inherently privileged a priori.” 11 Their work was presented with a selection Of Walking offered a critical space of interplay between, art, peripatetic mobility, memory, social politics, chance, and photographic history. of photographs related to walking chosen by the artists from a corpus of images in the museum’s permanent collection. Paulien Oltheten (b. 1982) is a Dutch artist whose images are infused with a distinctive relational quality. Her photographs and videos echo the passing of time and chance encounters, and document people walking or occupying public spaces. Her project in the exhibition is from a work in progress in which photographs such as Proximics (ants) (2013) affirm her acute and patient eye. In another section of the work is Oltheten’s video of a man engaged in walking weirdly on the sidewalk in downtown New York. She had noticed the man by chance and was able to communicate with him by letter; she asked him to re-enact his distinctive walk for the video. The peculiar component in this scene evokes Bruce Nauman’s radical experimentation with walking in his late-1960s video works.12 This historical resonance is supplemented with a Thirdspace that is revealed by Oltheten and the walker’s transformation of hegemonic downtown space into a space of unconventional artistic experimentation. The Singaporean artist Simryn Gill (b. 1959), who lives in Australia, walked around Marrickville, a suburban neighbourhood 68 CIEL VARIABLE N° 98 sélection de dix œuvres (images, photographies, textes, images accompagnées de textes et peintures) réalisées par le photographe et artiste du land art Hamish Fulton (né en 1946). Bien qu’il soit inspiré par des motivations très différentes de celles de Sohei, Fulton est néanmoins l’artiste marcheur par excellence, pionnier de cette forme de création où la marche elle-même constitue l’œuvre d’art. Certains de ses parcours sont des voyages de plusieurs semaines qui couvrent des centaines de kilomètres. Il est essentiel pour lui de ne déranger en rien le paysage, dont il ne rapporte, comme seules traces matérielles, que d’occasionnelles photos-souvenirs. Il les associe souvent à des légendes explicatives, pour créer des documents qui deviennent, selon sa formulation, « une protestation passive contre les sociétés urbaines qui aliènent les gens du monde de la nature 10 ». Ici, le tiers espace émerge d’une exploration où la ville se retrouve reléguée à un statut marginal par les randonnées de Fulton, et où la spatialité s’ouvre à de nouvelles dimensions. Cette perspective acquiert une résonance particulière lorsque des exemples de sa documentation sont présentés dans la même pièce que les impressionnantes cartes conceptuelles de Sohei, au style affirmé. Liene Bosquê (née en 1980) et Nicole Seisler (née en 1982), respectivement d’origine brésilienne et américano-néerlandaise, travaillent ensemble sur des projets également conceptuels. Le duo organise des promenades dans les villes, avec des participants auxquels on demande de prendre des empreintes du paysage urbain dans des blocs de porcelaine humide. Les objets qui en résultent, chacun porteur d’une trace unique, dénotent la nature indicielle de la photographie analogue, et constituent des traces matérielles du contact psychologique particulier de chaque participant avec les lieux parcourus. L’entreprise de Bosquê et Seisler présente une caractéristique du tiers espace en incarnant « les trois spatialités réunies – perçues, conçues, et vécues – nulle n’étant implicitement privilégiée à priori 11 ». Leur travail était exposé avec une sélection de photographies reliées à la marche, choisies par les artistes dans le corpus de la collection permanente du musée. Paulien Oltheten (née en 1982) est une artiste néerlandaise dont les images sont empreintes d’une qualité relationnelle particulière. Ses photographies et vidéos évoquent le passage du temps et les rencontres fortuites, et documentent des gens qui marchent ou qui occupent des espaces publics. Le projet qu’elle présentait dans cette exposition provient d’un travail en cours, où des photographies comme Proximics (ants) (2013) confirment l’acuité et la patience de son regard. Une autre section de l’œuvre montre une vidéo d’un homme en train de marcher bizarrement sur le trottoir dans le centre-ville de New York. Elle avait remarqué l’homme par hasard et a réussi à communiquer avec lui par lettre ; elle lui a demandé de marcher de la même façon devant sa caméra pour réaliser la vidéo. L’aspect étrange de cette scène rappelle l’expérimentation radicale de Bruce Nauman avec la marche dans ses œuvres vidéo de la fin des années 1960 12. Cette résonance historique vient s’accorder au tiers espace révélé par Oltheten et son marcheur, qui transforment l’espace hégémonique du centre-ville en espace d’expérimentation artistique non conventionnelle. L’artiste singapourienne installée en Australie Simryn Gill (née en 1959) a exploré à pied pendant un mois les rues de Marrickville, en banlieue de Sydney, photographiant chaque Garry Winogrand, Untitled, 1981, from the / du portfolio Women Are Beautiful Dorothea Lange, On the Street Relationships, 1951 (OMCA) near Sydney, for a month, taking daily snapshots of mundane objects and scenes. The Thirdspace notion of “[rethinking] marginality in her personal act of displacement” 13 resounds in Gill’s impressive grouping of photographs showing highly personal views of the area. Every day, she went out to walk with a new roll from a film batch with an expiry date of May 2006. The scenography for May 2006 shows over eight hundred gelatinesilver prints as thirty vertical groups of photos, each column equalling one day’s walk and one roll of film. As Irvine noted, during these walks Gill remained open to chance and “the process of discovery that happens when you’re walking through a place, making place come alive through ambulation.”14 In a passageway, leading from the gallery’s main floor to proceed to the upper floor were a series of pigment prints from the project Thrice Upon a Time (2012) by the Australian photographer Odette England (b. 1975). Twenty years after her parents lost their dairy farm due to a sharp drop in the price of milk, England returned to the home of her youth to photograph places with mnemonic meaning selected from childhood photographs of her taken by her parents. In 2010, England again returned to the farm with her parents and asked them to tread the old family grounds with large colour negatives of the photographs she had taken tied under their feet. The soiled, scrapped, and torn images on display emerge as poetic shards of personal loss. As Thirdspace, in England’s photographs the home is disrupted from binary classification and becomes a place where it is possible to reconceptualize the very idea of space and memory. Of Walking concluded with a pair of electronic tableaus by the American artist Jim Campbell (b. 1956). Composed of white light-emitting diodes, each tableau shows the silhouette of a physically impaired person in constant motion. Campbell’s post-photographic work is inspired by the history of the photographic medium, notably the stop-motion photographs developed during the nineteenth century by photographer and scientist Eadweard Muybridge. Motion and Rest (2002) depicts a solitary disabled figure appearing to engage the electronic space that the artist created with hundreds of tiny LED lights. jour, sur son chemin, des objets et des scènes ordinaires. Ses fascinantes séries de clichés très personnels rendent tangible l’idée de « [repenser] la marginalité dans son acte personnel de déplacement 13 » qui est reliée au tiers espace. Chaque jour, elle emportait un nouveau rouleau de pellicule provenant d’un lot dont la date de péremption était mai 2006. La scénographie de May 2006 présentait plus de huit cents tirages argentiques regroupés en trente colonnes d’images, dont chacune représentait une journée de marche et un rouleau de pellicule. Au cours de ces promenades, comme le note Irvine, Gill demeurait réceptive au hasard et au « processus de découverte qui survient lorsqu’on marche quelque part : les endroits traversés prennent vie avec nos déambulations 14 ». En quittant la salle principale pour accéder à l’étage supérieur, on découvrait dans un couloir une série de tirages numériques à pigments extraits du projet Thrice Upon a Time (2012), réalisé par la photographe australienne Odette England (née en 1975). Vingt ans après que ses parents eurent perdu leur ferme laitière à cause d’une chute brutale des prix du lait, England est retournée sur les lieux de son enfance pour photographier des endroits chargés de mémoire choisis parmi ceux où ses parents avaient pris des photographies d’elle lorsqu’elle était enfant. Puis, en 2010, England y est revenue avec ses parents, auxquels elle a demandé de parcourir l’ancienne terre familiale avec, fixés sous leurs semelles, des négatifs couleur grand format des photographies qu’elle avait réalisées précédemment. Ces images salies, éraflées, déchirées, qui étaient présentées lors de l’exposition, apparaissaient comme autant de débris poétiques d’une perte personnelle. Le foyer familial, lieu d’une rupture entre l’espace réel et l’espace ressenti, transcende ici cette binarité pour devenir un tiers espace où il est possible de reconceptualiser l’idée même de l’espace et de la mémoire. CIEL VARIABLE N° 98 69 Walking, memory, and science converge as a Thirdspace in which there is no geographical junction but a technological spatiality, as a space of difference and of resistance to dominant ambulatory and photographic practices. The exhibition at the Museum of Contemporary Photography was a space for these artists to communicate, walk, create, and observe, and for the public to understand some of the significant links between walking and photography. Of Walking offered a critical space of interplay among art, peripatetic mobility, memory, social politics, chance, and photographic history. Admittedly, Soja’s Thirdspace is a complicated concept, and its application here barely begins to scratch the surface of its rich analytical possibilities. In this exhibition, elements came together and walking and art were combined to rethink real and imagined places, recombinational strategies, and the endless possibilities associated with walking. As Thirdspace, the works revealed how the everyday practices of walking and photography can be combined as active agents to study and imagine, synchronously, from the margins and the core, the spaces around us. — — 1 Karen Irvine and I met at the Museum of Contemporary Photography on December 18, 2013, to discuss the exhibition; I thank her for generously making time for our conversation. 2 Edward Soja designates Thirdspace as a proper name; although different scholars use other forms of spelling I will conform to his orthography. 3 Rebecca Solnit, Wanderlust: A History of Walking (New York: Penguin Books, 2000), 267. 4 Ibid., 6. 5 Interview with Karen Irvine. 6 Edward Soja, Thirdspace: Journeys to Los Angeles and Other Real-and-Imagined Places (Malden: Blackwell, 1996), 162. 7 Soja’s Thirdspace is more detailed and inclusive than other proposals on the theme, such as those introduced by post-colonial and post-structuralist theorist Homi K. Bhabha, Edward Said, and author and social and feminist activist bell hooks. 8 Soja, Thirdspace, 56–57. 9 Edward Soja, Postmetropolis (Malden: Blackwell, 2000), 11. 10 “Hamish Fulton,” British Council Visual Arts, http://collection.britishcouncil.org/collection/artist/5/18781, accessed 17 May 20114. 11 Soja, Thirdspace, 68. 12 Nauman’s 1968 video Slow Angle Walk (Becket Walk) is an example. 13 Soja, Thirdspace, 135. 14 Interview with Karen Irvine. — — Philippe Guillaume is a peripatetic artist, photographer, and author based in Montreal, Canada. He holds a master’s degree in photography and art history from Concordia University’s Special Individualized Program. He is a member of the Canadian Photography History Research Group based in the Department of Art History at Concordia University. — — Of Walking se concluait sur deux tableaux électroniques de l’artiste américain Jim Campbell (né en 1956). Composé de diodes électroluminescentes (DEL) blanches, chaque tableau montre la silhouette, toujours en mouvement, d’une personne affectée par un handicap physique. Le travail post-photographique de Campbell est inspiré par l’histoire de la photographie, notamment la décomposition photographique du mouvement développée au XIXe siècle par le photographe et scientifique Eadweard Muybridge. Motion and Rest (2002) montre la silhouette solitaire d’un personnage handicapé qui semble progresser au travers de l’espace électronique créé par les centaines de minuscules lumières. La marche, la mémoire et la science se rejoignent dans un tiers espace où les points de repère géographiques ont disparu au profit d’une spatialité technologique : un espace différent, un lieu de résistance aux pratiques ambulatoires et photographiques dominantes. L’exposition du Museum of Contemporary Photography créait un espace permettant à ces artistes de communiquer, marcher, créer et observer, tout en permettant au public de comprendre certains des liens significatifs qui existent entre la marche et la photographie. Of Walking offrait un espace critique d’échange entre l’art, la mobilité péripatéticienne, la mémoire, les politiques sociales, le hasard et l’histoire de la photographie. Le tiers espace de Soja est reconnu pour sa complexité conceptuelle, et son application recèle une telle richesse analytique que cet article en effleure à peine la surface. L’exposition a mis en présence plusieurs éléments ; cette combinaison de la marche et de l’art permet de repenser les lieux réels et imaginés, suggère des stratégies pour de nouvelles combinaisons, et révèle les possibilités infinies de la marche. Dans le cadre du tiers espace, ces œuvres nous montrent comment les pratiques quotidiennes de la marche et de la photographie peuvent se combiner en tant qu’agents actifs nous permettant d’étudier et d’imaginer, synchroniquement, en partant à la fois de la marge et du noyau central, les espaces qui nous entourent. Traduit par Emmanuelle Bouet — — 1 J’ai rencontré Karen Irvine au MoCP le 18 décembre 2013 pour discuter de cette exposition ; je la remercie de m’avoir généreusement accordé cette entrevue. 2 Edward Soja désigne le tiers espace comme un nom propre, Thirdspace (voir la version anglaise de cet article). 3 Rebecca Solnit, L’art de marcher, Arles, Éditions Actes Sud, coll. Babel, 2002, p. 342. 4 Ibid., p. 14. 5 Entrevue avec Karen Irvine. [Notre traduction.] 6 Edward Soja, Thirdspace: Journeys to Los Angeles and Other Real-and-Imagined Places, Malden, Blackwell, 1996, p. 162. [Notre traduction.] 7 Le tiers espace selon Soja est plus approfondi et inclusif que d’autres propositions sur ce thème, comme celles introduites par le théoricien post-colonialiste et post-structuraliste Homi K. Bhabha, par Edward Said ou par l’auteure et activiste féministe et sociale bell hooks. 8 Soja, Thirdspace, p. 56-57. [Notre traduction.] 9 Edward Soja, Postmetropolis, Malden, Blackwell, 2000, p. 11. [Notre traduction.] 10 « Hamish Fulton », British Council: Visual Arts, en ligne : http://collection.british council.org/collection/artist/5/18781, consulté le 17 mai 2014. [Notre traduction.] 11 Soja, Thirdspace, p. 68. [Notre traduction.] 12 La vidéo de Nauman réalisée en 1968 Slow Angle Walk (Becket Walk) en est un exemple. 13 Soja, Thirdspace, p. 135. [Notre traduction.] 14 Entrevue avec Karen Irvine. [Notre traduction.] — — Philippe Guillaume est un artiste, photographe et auteur péripatéticien installé à Montréal. Il est titulaire d’une maîtrise interdisciplinaire en histoire de l’art et de la photographie obtenue dans le cadre d’un programme indivuel spécialisé de l’Université Concordia. Il est membre du groupe de recherche sur l’histoire de la photographie canadienne (Canadian Photography History Research Group) lié au Département d’histoire de l’art de l’Université Concordia. — — 70 CIEL VARIABLE N° 98