UNE GAUCHE
EN DÉSORDRE
DE MARCHE
Pascal Delwit
À l’horizon 2019, le rapport
de l’électorat de gauche au
gouvernement des droites
sera un élément clé du vote.
Pour les verts, le PTB et les
partis socialistes, les choix qui
seront posés dans la séquence
qui s’ouvre seront lourds
de conséquences. Pour eux
d’abord, mais surtout pour les
catégories qu’ils souhaitent ou
déclarent défendre.
Pascal Delwit est professeur de
science politique à l’Université libre
de Bruxelles (Centre d’étude de la vie
politique – Cevipol).
POLITIQUE 103 | MARS 2018
T
enter de se projeter en 2018, voire en 2019,
dans l’analyse d’une famille politique – sinon d’un système politique – est périlleux,
voire dépourvu de sens. Au moment où
ces lignes sont écrites, il demeure onze mois jusqu’à
la tenue des élections communales (et provinciales
en Wallonie et en Flandre) et seize mois avant que
n’intervienne le scrutin fédéral, régional et européen. Nombre d’événements peuvent se produire
qui modiieront la perception et, potentiellement,
le vote de composantes importantes du corps électoral. Par ailleurs, il n’est guère simple d’anticiper ce
que sera l’agenda principal de la nouvelle « mère
des élections ». Qui plus est, la manière dont les formations politiques s’y présenteront sera, pour une
partie plus ou moins importante, afectée par leurs
résultats électoraux au scrutin communal et par les
performances politiques à l’issue de cette élection,
quand bien même – nous l’observerons – la considération et le jugement sur la performance politique
ne sont-ils pas les mêmes chez tous les acteurs politiques.
Ces premières précautions étant prises, que nous
révèle la situation actuelle des partis de gauche en
Belgique et quelle(s) anticipation(s) pourrions-nous
tenter ? Ces questions seront au cœur de cette contribution, non sans décliner auparavant un nouveau registre préalable de précautions. Qu’il nous soit permis d’en mentionner deux, importantes.
La première précaution réfère à la notion même de
gauche. Dans l’histoire et dans la période actuelle, les
notions de gauche et de droite ont évolué. Il s’impose
donc de retenir qu’il s’agit d’une qualification mouvante et dynamique (tout comme celle de droite) et
qui recouvre, dans l’histoire et aujourd’hui, des réalités parfois très distinctes. Le concept est l’objet
d’une dure lutte dans plusieurs systèmes politiques.
21
UNE GAUCHE EN DÉSORDRE DE MARCHE Pascal Delwit
En Belgique, le Parti du travail (PTB-PVDA) se revendique ainsi de la « gauche authentique » ou de la « vraie
gauche » face, suppose-t-on, à une « gauche inauthentique » ou une « fausse gauche ». Parfois, ce combat concerne un même spectre. Dans le champ des
gauches radicales, la lutte fait rage et elle est implacable. En Grèce, le pire ennemi de Syriza est le parti
communiste grec (KKE). En France, les députés de la
France insoumise et ceux du Parti communiste (PCF)
ne siègent pas dans le même groupe. Au Portugal, les
édiles du Parti communiste portugais (PCP) ont refusé de rencontrer celles et ceux du Bloc de gauche (BE)
pour conclure l’accord politique menant à l’établissement d’un gouvernement socialiste minoritaire (en
2015). Par ailleurs, occasionnellement, sont intégrés
dans « la » gauche des partis qui, stricto sensu, ne
s’en revendiquent pas et n’y appartiennent peut-être
pas. Il n’y a pas de caractère d’évidence à intégrer les
partis verts européens dans le camp de gauche sur
un plan socio-économique. Si Écolo et Groen se déclarent partis progressistes, ils ne se vivent pas comme
des partis de gauche, contrairement, par exemple,
au PS, au SP.A et au PTB-PVDA. Récemment, d’ailleurs, Kristof Calvo a exemplifié son modèle de coalition à travers la situation à Malines, où domine une
alliance entre Groen et… le CD&V, l’Open-VLD et la
N-VA, trois formations loin des oripeaux de la gauche,
donc. Quant à la présidente Meyrem Almaci, elle estime que Groen est plus proche de l’Open-VLD de
Bart Somers à Malines que du PTB-PVDA1.
Ajoutons que la notion de gauche ne se rapporte
pas qu’à l’aune du seul clivage socio-économique. Il
est possible de décliner une traduction du clivage
gauche-droite sur le plan philosophique, sur la question du rapport à l’autre ou sur les questions de société.
La deuxième précaution concerne l’évaluation
ou l’appréciation. Au-delà du nominalisme, ou de
ce que le parti dit de lui-même, comment déterminer qu’un parti est à gauche ? Traditionnellement,
deux grandes voies sont empruntées : l’approche
discursive d'une part, l’étude et l’évaluation des politiques publiques d'autre part. Dans le cas qui nous
1
22
Knack, 11 octobre 2017.
AU-DELÀ DU
NOMINALISME, OU DE
CE QUE LE PARTI DIT DE
LUI-MÊME, COMMENT
DÉTERMINER QU’UN PARTI
EST À GAUCHE ?
occupe, la démarche
est
complexe.
D’abord parce qu’en
Belgique, on ne saurait isoler l’analyse
des politiques publiques de celle des
différents
acteurs
présents dans la coalition. Ensuite parce que, parmi
les trois familles-partis appréhendées, l’une – le PTBPVDA – n’a jamais exercé le pouvoir et ne souhaite
certainement pas le faire. Cette réserve est importante car, dans toute analyse du fait partisan, l’étude
du positionnement – singulièrement en matière discursive – est presque systématiquement approchée
à la lumière du statut du parti : dans la majorité ou
dans l’opposition. Et le changement de statut peut
entraîner des bouleversements brusques. À Chypre,
les communistes de l’Akel réclamaient la révolution
socialiste, avant que leur leader Demetris Christofias
ne remporte les élections présidentielles en 2008 et
ne mène des politiques publiques dont on peine à
deviner qu’elles furent l’œuvre d’un parti de gauche
(radicale). Et depuis 2013, le crédo marxiste et léniniste de l’Akel a repris vigueur, suite à la sanction électorale encourue par le parti.
Une famille
socialiste dans
la tourmente
«I
l faut sauver le PS. » Question : « On en
est là ? » Réponse : « Oui2. » C’est en ces
termes que Philippe Moureaux commentait, au printemps 2017, la situation
politique, singulièrement celle du parti socialiste.
Encore ce propos date-t-il d’avant les événements
du Samusocial, la démission d’Yvan Mayeur de
son poste de bourgmestre de Bruxelles-ville et son
2
Le Soir, 8 février 2017.
départ du PS. Certes, l’histoire du socialisme belge
n’a jamais été un long leuve tranquille3, mais l’état
contemporain du PS est alarmant.
Le parti socialiste est tétanisé. Ce qui se profile pour
les socialistes francophones est un changement possible de statut dans le système politique belge et francophone. De 1950 à 1965, les socialistes ont accompli une performance électorale oscillant entre 40 et
45 % des voix en Wallonie (tableau 1). Suite au scru3
P. Delwit, « Le parti socialiste (PS) », in P. Delwit, J.-B.
Pilet, E. van Haute (éd.), Les partis politiques en Belgique,
Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2011, p. 107128.
Tableau 1
Performances des partis de gauche/progressistes aux
élections législatives en Wallonie (en pourcentages des
suffrages wallons)
PS
Écolo
PC
PTB
Total
gauche
37,39
21,47
58,86
1949
37,82
12,58
50,40
1950
46,00
7,80
53,80
1946
1954
49,27
6,67
55,94
1958
47,78
4,47
52,25
1961
46,42
6,35
52,77
1965
35,20
9,53
44,73
1968
34,51
6,90
41,41
1971
34,43
5,82
40,25
1974
36,82
5,52
42,34
1977
37,25
5,39
42,64
1978
36,71
5,82
42,53
1981
36,21
5,88
4,24
46,33
1985
39,45
6,23
2,50
48,18
1,60
1987
43,94
6,46
1991
39,16
13,54
52,00
0,48
53,18
1995
33,70
10,32
0,70
44,72
1999
29,19
18,30
0,46
47,95
tin de rupture4 intervenu en 1965, un nouvel étiage
s’était établi : 36-37 % des voix. Celui-ci fut maintenu de manière relativement stable aux élections de
1968, 1971, 1974, 1977, 1978 et 1981. Par la suite,
l’étiage moyen n’a pas vraiment changé, mais les
performances furent beaucoup plus instables, faites
de hauts – comme aux élections de 1987, 2003 ou
2010, par exemple – ou de bas – comme aux scrutins
de 1999 et 2007, où
le PS plongea sous
la barre des 30 %. En
DE PREMIÈRE FORCE
2007, fait exceptionPOLITIQUE WALLONNE,
nel, le PS fut même
LES SOCIALISTES
devancé par le MR en
POURRAIENT ÊTRE
Wallonie.
RAMENÉS À UNE PORTION
Eu égard à la dynaBIEN PLUS CONGRUE.
mique à l’œuvre depuis les élections fédérales de 2014 et au
déclin saisissant de la social-démocratie européenne
durant ce dernier lustre5, la question du rôle du parti socialiste est désormais posée. De première force
politique wallonne (quasi) incontestable, les socialistes pourraient être ramenés à une portion électorale bien plus congrue et à un rôle politique nouveau,
dans le sous-système politique wallon et francophone et à l’échelle fédérale. Nous le savons : même
s’ils sont bien exécutés, ce qui n’est pas toujours le cas,
les sondages ne sont pas prédictifs d’un résultat électoral. À tout le moins, moins de quinze jours à trois semaines avant le scrutin. Il n’empêche : en dynamique,
ils permettent d’approcher une certaine réalité. Qui
plus est, ils produisent des effets. En dynamique, l’état
du PS est très dégradé (tableau 2).
Comment le parti socialiste a-t-il pu en arriver à l’hypothèse, voire au questionnement existentiel, que
sous-entend Philippe Moureaux ? On constate un
certain paradoxe lorsque l’on essaie de reconstituer
le cheminement. À beaucoup d’égards, les éléments
de contexte étaient connus de longue date. Aux élections fédérales anticipées de 2010, le parti socialiste
2003
36,39
7,45
0,64
44,48
2007
29,48
12,75
0,72
42,95
4
2010
37,69
12,30
1,94
51,93
2014
31,97
8,22
5,49
45,68
5
P. Delwit, « Social-démocratie en Europe. Se réinventer
ou disparaître », The Progressive Post, été 2017, p. 21-23.
POLITIQUE 103 | MARS 2018
NDLR : entre socialistes francophones et flamands.
23
UNE GAUCHE EN DÉSORDRE DE MARCHE Pascal Delwit
obtient un résultat notable : il enlève 37,7 % des suffrages wallons et remporte 26 sièges à la Chambre.
Mais cette performance s’inscrit dans un horizon nettement moins enchanteur. Son partenaire néerlandophone, le SP.A, a encore reculé. La N-VA déboule
dans le système politique et la crise financière de
2008 se transforme
en crise économique
et sociale d’ampleur.
TOUTE L’ÉNERGIE
La contrainte interne
DU PARTI SOCIALISTE
et externe est excepA ÉTÉ MISE
tionnelle. De fait, la
AU SERVICE DE
situation le sera. AuLA « RÉUSSITE » DE
jourd’hui, de nombreuses personnes
CET EXÉCUTIF.
oublient qu’il a fallu
542 jours pour qu’un
gouvernement fédéral voie le jour et que celui-ci a
nécessité le concours de huit formations politiques
pour atteindre un accord – le CDH, le CD&V, Écolo,
Groen, l’Open-VLD, le MR, le PS et le SP. A – et de six
pour former une majorité. Fait exceptionnel dans la
vie politique belge, un socialiste accède alors à la
tête du gouvernement. Fait encore plus exceptionnel, il est wallon. Avant Elio Di Rupo, il n’y a guère eu
qu’Edmond Leburton (en 1973-1974). Mais à la différence d’Edmond Leburton, Elio Di Rupo présidera le
conseil des ministres jusqu’au terme de la législature.
Dans ce contexte, notons brièvement trois éléments.
1. Le Parti socialiste a eu un double prix à payer.
D’abord, un coût classique : prendre part à l’exercice
des responsabilités, c’est faire valoir certaines priorités
et devoir subir certaines priorités de ses partenaires.
On le sait, le parti socialiste a notamment dû accepter la limitation dans le temps des allocations d’insertion à l’emploi, mesure qui lui a été vertement reprochée. Ensuite, une charge spécifique était liée au
poids du Parti socialiste dans l’attelage. En situation
d’acteur et d’arbitre, le parti du Premier ministre a
toujours une position complexe.
2. Dans un contexte économiquement morose en
Europe, la coalition gouvernementale associant libéraux, sociaux-chrétiens et socialistes a décroché des
résultats d’ensemble meilleurs que la moyenne européenne.
24
3. Toute l’énergie du Parti socialiste a été mise au
service de la « réussite » de cet exécutif. Les cabinets
ministériels, l’Institut Émile Vandervelde, les fédérations, les parlementaires… ont été complètement
mobilisés pour un résultat que l’on peut apprécier de
deux façons au moins. À l’aune d’ambitions énoncées
publiquement ou dans un programme électoral, les
réalisations, vues d’un point de vue de gauche, sont
modestes. Par comparaison avec des situations observées ailleurs en Europe, le bilan – toujours examiné d’un point de vue de gauche – est très honorable.
Tellement honorable, dans une certaine mesure, que
parmi les chrétiens-démocrates flamands, les conservateurs n’ont pas souhaité relancer la même coalition
après les élections.
Au lendemain des élections du 25 mai 2014, le Parti socialiste découvre ainsi la nouvelle situation dans
Tableau 2
Évolution des intentions de vote en Wallonie, en
pourcentage (« baromètres » La Libre Belgique-RTBF et Le
Soir-RTL)
PS
Écolo
PTB
septembre 2014
31,0
8,5
8,1
décembre 2014
31,0
8,1
7,6
janvier 2015
27,5
8,4
7,3
mars 2015
28,7
8,3
8,3
avril 2015
25,8
9,1
8,5
mai 2015
29,7
8,9
9,0
septembre 2015
29,7
9,7
9,7
octobre 2015
26,0
9,0
8,5
décembre 2015
27,2
9,5
10,3
janver 2016
26,7
9,2
8,8
avril 2016
26,4
11,1
10,4
mai 2016
25,8
10,1
13,5
septembre 2016
25,6
9,2
14,6
septembre 2016
24,7
10,1
13,5
décembre 2016
25,4
9,2
18,4
janvier 2017
23,6
11,2
16,3
mars 2017
20,3
11,2
20,5
septembre 2017
20,7
12,7
17,5
octobre 2017
21,5
18,5
14,8
laquelle il œuvrera. En Wallonie, il a engrangé 32 %
des suffrages et, de la sorte, sauvé la mise, en regard de certaines enquêtes inquiétantes (tableau 2).
Pourtant, il a perdu 5,5 points de pourcent et deux
sièges, dans le Hainaut et à Liège. En parallèle, le PTB
a réussi son pari d’entrer dans les parlements : au fédéral et dans les parlements bruxellois et wallon. La
concurrence à la gauche du spectre politique prend
une nouvelle tournure.
UN PARTI PARALYSÉ
Les jours suivants, le PS doit prendre acte du silence
assourdissant du CD&V ; en d’autres termes, de son
renvoi dans l’opposition à l’échelle fédérale. Les socialistes francophones doivent donc gérer deux grands
La Belle Époque ?
LA TRÈS LONGUE
PRÉSENCE AU POUVOIR A
ÔTÉ AU PARTI L’ESSENTIEL
DE SA CAPACITÉ
CRÉATRICE ET DE SON
DYNAMISME MILITANT.
changements : le retour sur la scène parlementaire d’élus de
la gauche radicale,
29 ans après la perte
des derniers sièges
communistes, et le
renvoi dans l’opposition, après 26 ans de présence
ininterrompue au pouvoir fédéral.
Ces deux défis externes auraient dû conduire le parti à un repositionnement et à une reformulation en
conséquence, d’autant plus que – et le mouvement
s’est amplifié – la famille socialiste encourait un questionnement identitaire profond6. Pour l’essentiel,
pourtant, le Parti socialiste a surtout bougé et fonctionné à la lumière de critères et de contraintes internes, ignorant dans une large mesure les défis qui
se posaient à lui. La construction du dispositif, dans
la nouvelle configuration, en apporta l’illustration :
trop de ministres, un personnel politique peu tourné
vers l’action partisane extra-institutionnelle, une opposition incarnée essentiellement par des personnalités de pouvoir – Elio Di Rupo et Laurette Onkelinx –
et, au final, peu de satisfaits : Rudi Demotte ramené
au « simple » rôle de ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Paul Magnette intronisé ministre-président de la Région wallonne sans l’avoir
vraiment voulu, Jean-Claude Marcourt (qui l’aurait
voulu) toujours « simple » ministre wallon de l’Économie et ministre communautaire de l’Enseignement
supérieur, Laurette Onkelinx (qui aspirait à la présidence) cheffe de groupe à la Chambre…
Néanmoins, ce n’est pas là le plus important. La très
longue présence au pouvoir a ôté au parti l’essentiel
de sa facette partisane, de sa capacité créatrice et de
son dynamisme militant, alors même qu’en Belgique,
comme partout ailleurs, les grandes organisations
d’encadrement social et politique s’affaissent7. Qui
F. Escalona, La social-démocratie : entre crises et
6
mutations, Paris, Fondation Jean Jaurès, 2011.
7
P. Delwit, “Still in Decline? Party Membership in Europe”,
in E. van Haute (éd.), Party Membership in Europe: Exploration
into the anthills of party politics, Bruxelles, Éditions de
l’Université de Bruxelles, 2011, p. 25-42.
POLITIQUE 103 | MARS 2018
25
UNE GAUCHE EN DÉSORDRE DE MARCHE Pascal Delwit
plus est, cette longue présence au pouvoir a orienté les relations avec les structures du pilier (syndicat,
mutualité, etc.) autour de questions fonctionnelles
et à la seule échelle des élites. Dans un contexte européen périlleux pour la gauche8 et dans la nouvelle
configuration issue du scrutin de 2014, le PS n’a pas
réussi à intégrer ces modifications et ne s’est pas
donné les moyens de se reformuler – sinon de se refonder – intellectuellement, culturellement et organisationnellement. En foi de quoi, les socialistes francophones sont apparus avant tout réactifs et peu
proactifs. Depuis 2014, quel que soit l’échelon envisagé, le PS a subi les événements plutôt que de les
provoquer ou de les anticiper. En juin 2017, le coup
de Benoit Lutgen a, de manière emblématique, surpris tout le monde dans les rangs socialistes.
Aussi, depuis 2014, les orientations politiques, stratégiques ou communicationnelles ne sont-elles pas
simples à suivre. À une phase d’opposition dure a succédé une phase de calme relatif. De même la ligne de
conduite à l’endroit du PTB a-t-elle beaucoup oscillé dans le temps et ne s’est-elle jamais donnée à voir
comme cohérente dans l’expression publique. C’est
dans ces conditions que, selon une métaphore journalistique bien connue, le président est « sur la sellette » depuis trois ans. Le choix d’Elio Di Rupo de rester président n’a pas été compris par la plupart des
journalistes et de nombreux acteurs internes. Cette
mise en cause, mal anticipée, a conduit Elio Di Rupo
à adopter une conduite encore plus fondée sur des
critères de gestion interne, mésestimant davantage
les défis externes. L’éclatement du dossier PublifinNethys a été un révélateur cruel. La question du Samusocial a approfondi le fossé et le débat sur les
cumuls s’est transformé en une déchirure, presque
publique, entre Paul Magnette et Elio Di Rupo.
Les « inquiétudes » quant au mode de fonction–
nement et à la circulation de l’argent autour de Publifin-Nethys – et d’autres – existaient depuis longtemps. Mais, eu égard à l’importance de l’entreprise
8
G. Moschonas, « La panne des voies réformistes en
Europe. La social-démocratie à l’épreuve de la gouvernance
européenne », in D. Cohen, A. Bergougnioux (éd.), Le
Socialisme à l’épreuve du capitalisme, Paris, Fayard, 2012.
26
et du secteur, à celle des personnalités concernées, à
celle de la fédération de Liège dans le parti, au choix
du futur président mais aussi aux statuts du parti,
l’immobilisme a prévalu. Tant à l’échelle de la fédération de Liège qu’à celle de la présidence du parti, la
gestion du dossier a été, au mieux tâtonnante, au pire
calamiteuse. Au final, le PS a dû accepter une commission d’enquête et exclure deux des cinq principaux
dirigeants de la fédération liégeoise, André Gilles
et Stéphane Moreau. Ce dossier, qui ne concernait
pas que le Parti socialiste, tant s’en faut,
le frappe toutefois au
LE CHOIX D’ELIO
premier chef. Le Parti
DI RUPO DE RESTER
socialiste semble inPRÉSIDENT N’A PAS
capable de conjurer
ÉTÉ COMPRIS
ses démons depuis
PAR DE NOMBREUX
trente ans et paraît
ACTEURS INTERNES.
voguer d’affaire en
affaire, à intervalles
réguliers. Six mois
plus tard, les mêmes observations peuvent être faites
sur le Samusocial. Nombre de questions étaient soulevées sur l’action d’Yvan Mayeur et de Pascale Peraïta. La présidente de la fédération bruxelloise du PS,
Laurette Onkelinx, ne l’ignorait pas. Pourtant, dans
ce cas aussi, c’est le dos au mur et avec un registre
discursif calamiteux qu’Onkelinx a dû se résigner au
départ de Mayeur du Samusocial, puis du poste de
bourgmestre. L’éviction de la majorité en Wallonie
et la discussion mal menée et mal tranchée sur la
question du cumul ont atteint un parti désemparé.
Même s’il faut rester prudent quant aux jugements
définitifs, on risque peu à dire que le Parti socialiste
est aujourd’hui au pied du mur. Dans la situation
belge et au regard de l’ébranlement saisissant de la
famille socialiste, la patience et l’espoir d’un « retournement » apparaissent plus que jamais comme des
ajustements peu fondés.
Pourtant, il y a peu de chances que la conduite
des affaires aux différents échelons soit bouleversée.
Compte tenu des affaires Publifin-Nethys et du Samusocial, le calendrier du Chantier des idées a été revu et
allongé. À la rentrée parlementaire, Elio Di Rupo a publié un ouvrage reprenant un certain nombre de ses
thématiques9 et le Parti socialiste a, lui-même, sorti
un document de quelque 800 pages pour opérer une
synthèse lors de la phase de clôture des travaux en
novembre 201710. 170 mesures ont été adoptées aux
assises du 26 novembre 2017. Initiative intéressante,
génératrice de débats stimulants, elle n’a cependant
pas été appropriée par le parti, ses fédérations et ses
cadres. Elle pourrait néanmoins déboucher sur des
9
E. Di Rupo, Nouvelles conquêtes, Liège, Luc Pire, 2017.
10 Parti socialiste, Le rapport complet du chantier des idées,
Bruxelles, 2017.
Tableau 3
Performances des partis de gauche/progressistes aux
élections législatives en Flandre (en pourcentages des
suffrages flamands)
(Jusqu’en 1991, non compris les cantons de Hal-Vilvorde.)
SP.A Groen
PVDA PC(KP)
Total
gauche
1946
27,47
5,21
32,68
1949
24,48
3,47
27,95
1950
25,97
2,44
28,41
1954
28,62
1,49
30,11
1958
27,68
0,04
27,72
1961
29,71
0,63
30,34
1965
24,65
0,11
24,76
1968
26,26
1,38
27,64
1971
24,85
0,65
25,50
1974
22,68
1,60
24,28
1977
22,98
1,24
24,22
1978
21,43
1,80
23,23
1981
21,11
3,95
1,29
26,35
1985
24,06
6,25
0,48
30,79
1987
24,56
7,46
0,40
32,42
1991
19,86
7,95
0,50
28,31
1995
20,71
7,19
0,57
28,47
1999
15,71
11,28
0,58
27,57
2003
24,33
3,99
0,56
28,88
2007
16,34
6,29
0,93
23,56
2010
15,30
7,07
1,38
23,75
2014
14,04
8,60
2,84
25,48
POLITIQUE 103 | MARS 2018
LE SCRUTIN COMMUNAL
EST CAPITAL
POUR LE PS, DONT
UN DES LEVIERS
HISTORIQUES EST
L’IMPLANTATION LOCALE.
axes de programme
revus pour les élections régionales et
fédérales de 2019,
notamment quant
à des questions
comme le temps de
travail – semaine de
quatre jours –, la sécurité sociale approfondie – individualisation des droits sociaux –, une refonte de la
fiscalité – globalisation des revenus – ou les rapports
des êtres humains avec leur environnement.
En attendant, la préoccupation principale est de
« sauver les meubles » aux élections communales.
Comme pour le CVP auparavant et le CD&V aujourd’hui, ce scrutin est capital pour le PS, dont un
des leviers historiques est l’implantation locale. Face
à la percée du PTB dans les sondages, les socialistes
espèrent pouvoir résister sur ce terrain et faire de leur
performance un levier de retournement de conjoncture en vue des élections régionales, fédérales et européennes qui interviendront dans la foulée. Ce scrutin pourrait aussi servir de « juge de paix » dans la
guerre larvée que se livrent plus que jamais les principaux dirigeants du PS ou certaines fédérations. Plus
largement, on observera dans quelle mesure le PS est
capable de résister dans les zones de force du PTB.
On mentionnera tout particulièrement Charleroi, La
Louvière, Mons, Liège, Seraing, Herstal, Grâce-Hollogne, Flémalle, Saint-Nicolas. À Bruxelles, on y ajoutera Molenbeek, Schaerbeek, Anderlecht, Bruxelles
et Saint-Gilles.
DES SOCIALISTES FLAMANDS AU SUPPLICE
Du point de vue socialiste, le regard sur la configuration en Flandre apparaît encore moins prometteur.
Si l’on excepte une courte séquence traduite électoralement lors des élections législatives de 2003 (tableau 3), les socialistes flamands sont en déclin affirmé depuis vingt ans. Et on peine à comprendre la
logique qui a prévalu dans les choix et les orientations de ce qu’est devenu le SP.A. Après avoir brillé
un bref temps autour de Steve Stevaert, Freya Van
den Bossche, Johan Vande Lanotte ou Frank Vandenbroucke, le SP.A n’est jamais parvenu à imprimer une
27
UNE GAUCHE EN DÉSORDRE DE MARCHE Pascal Delwit
ligne – que ce soit en théorie ou dans les politiques
publiques – qui permette de comprendre ses objectifs primaires. Inexistant dans la lutte que se sont
menée Guy Verhofstadt et Yves Leterme aux élections de 2007, le parti est passé de 23 à 14 sièges.
Dans la continuité de la fin des années 1990, les socialistes flamands ont changé à maintes reprises de
président. Ainsi après Louis Tobback, Fred Erdman,
Patrick Janssens, Steve Stevaert et Johan Vande Lanotte, Caroline Gennez, peu expérimentée, fut promue sans jamais pouvoir apporter une nouvelle ossature politique, programmatique et organisationnelle
au parti. Comme il se doit, elle encourut une défaite
au scrutin fédéral de 2010 et dut céder la présidence
au fils de Louis Tobback, Bruno. Très affaibli et à la recherche d’un positionnement dans un paysage politique et social marqué à droite en Flandre, Bruno Tobback et le SP. A n’ont pas su, ou pas voulu, trouver la
parade. Au contraire, le parti a encouru plusieurs défaites symboliques et matérielles. La plus importante
est indubitablement la perte du mayorat à Anvers en
2012. Alors que les socialistes flamands occupaient le
poste depuis la fusion des communes (1983), la liste
conduite par Patrick Janssens a mordu la poussière
face à la N-VA et à son président Bart De Wever. Depuis, la descente aux enfers s’est poursuivie pour les
socialistes de la métropole. Récemment, ils ont accepté de former un cartel avec Groen tout en concédant la tête de liste à l’ancien président de Groen,
Wouter Van Besien. Ce désastre anversois ne fut pourtant que la face la plus visible d’un scrutin municipal
calamiteux, à peine compensé par la conquête du
mayorat à Bruges.
Lors de la dernière législature, le SP. A ne fut pas véritablement capable de marquer de son empreinte
l’une ou l’autre politique publique, ni au gouvernement flamand ni à l’échelle fédérale. Seule l’action
du secrétaire d’État à la Lutte contre la fraude John
Crombez a semblé démarquer le parti. Par ailleurs,
le choix de Bruno Tobback de se tenir le plus éloigné
possible du PS, dans un contexte radicalement anti-PS entretenu par la N-VA, a été contre-productif.
Sans réelle surprise, le scrutin législatif de 2014 a
confirmé l’état préoccupant des socialistes flamands.
Le SP. A s’est fixé au plus mauvais résultat de son his-
28
toire. Certes, les socialistes flamands ont pu conserver – de justesse – leurs treize élus fédéraux, mais il
ne s’agissait que d’une maigre consolation, tant les
enseignements du
scrutin étaient alarmants. Le SP.A n’a
CE DÉSASTRE
franchi le seuil des
ANVERSOIS NE FUT
30 % que dans une
POURTANT QUE LA FACE
seule commune, à
LA PLUS VISIBLE D’UN
Bredene, et celui des
SCRUTIN MUNICIPAL
20 % dans à peine
CALAMITEUX.
29 localités, Bredene
compris. A contrario,
le parti n’avait pas atteint 10 % des suffrages dans pas moins de 99 communes flamandes. Dans trois d’entre elles, il ne franchit même pas le seuil de 5 % des voix : Merchtem,
Baarle-Hertog et Schilde. À gauche, il a été devancé
par Groen dans 52 communes.
Bref, en dépit de l’adoption d’un nouveau programme fondamental imprimant un tournant à
gauche, Het Vlaanderen van Morgen, le SP.A se donnait à voir en 2014 comme un parti à bout de souffle,
sans idées, sans flamme, sans attrait. Pour tout dire,
une énigme. Défaite après défaite, le parti ne semblait tirer aucune leçon de son estompement du paysage politique flamand, en dépit du roulement extrêmement important de ses présidents.
Au lendemain du scrutin de 2014, le parti a ouvert une nouvelle séquence autour du choix d’un
président. Celle-ci a été marquée par deux caractéristiques : sa longueur et une compétition surprise.
Alors que la majorité des dirigeants envisageaient la
candidature unique de John Crombez, Bruno Tobback a surpris se déclarant candidat à sa succession.
Plus d’un an après le triple scrutin de 2014, le SP.A se
dotait d’un nouveau président, John Crombez triomphant de Bruno Tobback.
SAUVER LES MEUBLES…
Depuis cette accession au siège présidentiel, le
SP.A et Crombez ont soufflé le chaud et le froid. L’ancien secrétaire d’État a imprimé, au fond et dans la
forme, un tournant à gauche à la formation socialiste flamande. Il a su, occasionnellement, frapper les
imaginations. Par exemple, en mettant Bart De Wever en difficulté dans un débat consacré aux thématiques socio-économiques. Pour autant, le SP.A fait
toujours face à de très sérieux défis. Organisationnellement, le parti paraît particulièrement faible après
quinze années de déshérence dans ce domaine. On
n’observe pas de nouvelle dynamique d’attractivité
dans certains milieux. Dans certains espaces, le SP.A
fait même peine à voir quand il est encore là. Même
dans leurs zones de succès historique, la présence et
la visibilité des socialistes flamands sont limitées, à
l’image de la configuration anversoise. Dans une société travaillée depuis 25 ans par la droite radicale
flamande – l’extrême droite du Vlaams Belang et la
N-VA –, le parti est confronté à un paysage culturel et
journalistique façonné par les thèmes et les visions
Tableau 4
Évolution des intentions de vote en Flandre, en
pourcentages (« baromètres » La Libre Belgique-RTBF
et Le Soir-RTL)
SP.A
Groen
PVDA
septembre 2014
15,0
9,6
3,1
décembre 2014
15,2
10,2
4,0
janvirer 2015
14,7
10,2
3,6
mars 2015
16,4
9,6
3,4
avril 2015
15,6
10,7
3,2
mai 2015
15,6
10,0
3,3
septembre 2015
16,2
10,1
3,8
octobre 2015
14,5
9,0
4,1
décembre 2015
14,1
11,6
3,6
janvier 2016
15,2
10,3
3,7
avril 2016
14,4
10,2
3,8
mai 2016
15,6
11,1
4,8
septembre 2016
14,9
10,0
5,1
septembre 2016
13,7
10,7
3,9
décembre 2016
13,2
12,7
4,2
janvier 2017
13,2
12,2
5,4
mars 2017
12,9
11,5
5,5
septembre 2017
12,2
13,4
5,0
octobre 2017
11,0
13,9
5,1
POLITIQUE 103 | MARS 2018
portés par ces deux
partis. Le simple fait
que plusieurs médias aient pu sérieusement croire et annoncer que Di Rupo
présentait des mesures
« communistes » dans son dernier ouvrage en porte témoignage. On peut certes le
voir comme l’aveu d’une inculture stupéfiante, mais
aussi comme l’aboutissement d’un travail de longue
haleine mené par les forces de droite. L’action du
SP.A, et plus largement de la gauche flamande, n’en
est que plus difficile.
Enfin, le SP.A n’a pas été épargné par certaines affaires. La première, rocambolesque, a conduit, pour
une sombre histoire de cartons d’invitation, à la démission d’Hilde Claes de son poste de bourgmestre
de Hasselt au profit de la chrétienne-démocrate Nadja Vananroye. À Gand, c’est le très populaire bourgmestre Daniël Termont qui a été mis sur la sellette
dans le cadre de la faillite de la banque Optima.
C’est donc peu dire que le SP.A est à la recherche
d’un nouveau souffle et d’une nouvelle capacité de
peser sur le cours des choses à l’échelle régionale
et fédérale. Dans l’immédiat, il lui faudra sauver les
meubles aux élections communales, où ses positions
ont déjà été passablement écornées en 2012. Les
regards seront d’abord fixés sur Gand, Ostende et
Bruges, de même que sur une possible reconquête
du mayorat à Hasselt. Mais au-delà de ces points d’attention, sa performance d’ensemble sera déterminante dans sa capacité à refonder une organisation
digne de ce nom, à se décliner comme un partenaire
éventuel un an plus tard avec lequel langue devrait
être reprise, notamment dans le chef du CD&V. Selon les enquêtes d’opinion, nous sommes loin de tout
cela (tableau 4). Mais ces enquêtes n’anticipent pas
des mouvements souterrains et nous sommes encore loin des scrutins communal et provincial. Il ne
faut pas exclure, non plus, un mouvement plus prononcé que ce qu’elles révèlent à ce stade : un SP. A
à un étiage de 10 %, devancé par Groen et talonné
par le PVDA.
MÊME DANS LEURS
ZONES DE SUCCÈS
HISTORIQUE, LA PRÉSENCE
ET LA VISIBILITÉ DES
SOCIALISTES FLAMANDS
SONT LIMITÉES.
29
UNE GAUCHE EN DÉSORDRE DE MARCHE Pascal Delwit
la dynamique
du PTB-PVDA
C
ompte tenu de la situation de la famille
socialiste en Belgique, comment saisir le
mouvement annoncé en faveur du PTB ?
Et que nous révèle l’évolution dudit parti ?
Bien que non prédictives, les intentions de vote
sont importantes dès lors qu’elles modifient les
comportements. Mais en données électorales, il s’imposera de vérifier si les scrutins traduiront ces annonces. Le PTB a d’ailleurs déjà connu des désillusions en la matière : à la veille du scrutin fédéral de
mai 2014, il était annoncé à 10 voire 11 % en Wallonie, pour ne finalement décrocher que la moitié des
suffrages promis.
Il n’empêche, le parti est en dynamique ascendante et bénéfice de nouveaux moyens, vu qu’il
émarge désormais au financement public. Récemment, sa dotation a d’ailleurs été augmentée, dès
lors que les voix glanées par le PVDA en Flandre ont
été comptabilisées pour le calcul du montant du
financement public auquel il a droit.
La dynamique au profit du PTB dans l’espace francophone – et, dans une moindre mesure, du PVDA
en Flandre – se nourrit d’éléments extérieurs et internes. En interne, l’alchimie prônée et mise en œuvre
par le congrès de 2008 se poursuit11. Le PTB se dévoile publiquement comme un parti sympathique,
a priori simple à comprendre, présent sur les terrains
sociaux et communaux pour décrocher, si possible,
des « petites victoires » et, par ailleurs sinon surtout,
une couverture médiatique. Ce dynamisme s’agence
à une présence et une action au long cours dans différents espaces.
Il y a d’abord le monde du travail, la « classe des
travailleurs » selon la terminologie adoptée dans les
textes du congrès de 2015 (qui a tenu ses assises…
sept ans après l’avant-dernier12). Le Parti du travail est
depuis longtemps présent aux portes des entreprises
de moyen et de grand format et peut faire valoir une
11 Nous renvoyons à notre analyse : P. Delwit, PTB.
Nouvelle gauche, vieilles recettes, Bruxelles, Luc Pire, 2014.
12 PTB, Élargir, unir, approfondir. Congrès de la solidarité,
2015.
30
LE PARTI DU TRAVAIL
EST DEPUIS LONGTEMPS
PRÉSENT AUX PORTES
DES ENTREPRISES
DE MOYEN ET DE
GRAND FORMAT.
présence dans plusieurs manufactures
des bassins industriels liégeois et hennuyer. S’y ajoute une
infiltration orchestrée de plusieurs sections syndicales de la FGTB et de la CSC, en particulier
dans certains secteurs des services publics, comme
les TEC ou la SNCB. Depuis la mise en place du gouvernement Michel, le parti a été très présent dans les
mouvements sociaux qui ont jalonné la législature,
au point d’ailleurs d’irriter certains dirigeants syndiLe Vooruit de Gand, symbole de l'âge d'or du socialisme
en Flandre
caux, pas toujours heureux de l’extrême visibilité du
parti dans les manifestations de masse. Au point aussi d’être pointé du doigt dans certains mouvements à
répétition dans les transports publics. Les grèves à la
SNCB ou aux TEC ont frappé les imaginations, suscité
l’ire et bien souvent
l’incompréhension.
Si le PTB n’a pas été,
PENDANT LONGTEMPS,
à proprement parler,
LE PARTI S’EST SURTOUT
l’initiateur de toutes
INCARNÉ DANS LA FIGURE
les grèves dans la péDE RAOUL HEDEBOUW,
riode, il est vrai que
COMMUNICANT IDÉAL DE
sa présence dans
CETTE PHASE.
les centrales concernées et incriminées
(de la CGSP et de la
CSC) est forte. Et cela a pesé de manière importante
dans nombre de décisions. Le secrétaire permanent
de de la Régionale de Bruxelles la CGSP-Cheminots,
Philippe Dubois, a d’ailleurs exigé la fin de « l’ingérence » du PTB dans sa centrale13.
Le deuxième espace, ce sont les maisons médicales de Médecine pour le peuple qui, en Flandre – à
Anvers, Zelzate ou Genk, notamment –, à Bruxelles –
Schaerbeek et Molenbeek – et en Wallonie – Mons, La
Louvière, Charleroi, Seraing et Herstal –, font rayonner le parti dans leur territoire d’implantation. Les
élections communales de 2006 et 2012 l’avaient illustré, celles de 2014 l’ont confirmé. Le levier « maisons médicales » est très important dans la dynamique du parti, à tel point que le parti a été épinglé
par certains médias relativement à leur usage à des
fins politiques.
Au-delà des maisons médicales, le PTB a sélectionné un certain nombre de communes où il mène systématiquement des actions sur des sujets concrets :
parkings locaux, poubelles à puce, caméras dans les
délibérations des conseils communaux… L’ambition
du parti est de conscientiser – la démarche politique
la plus importante – pour amener « la population » à
concevoir qu’une autre politique est possible. Dans
13
Le Soir, 2 juin 2017.
POLITIQUE 103 | MARS 2018
cette voie, le PTB n’hésite pas à se rendre auprès de
segments de la population délaissés par les autres
partis et par les structures des piliers socialiste et
chrétien : les habitants des HLM, des quartiers les
plus déshérités…
Enfin, bien sûr, il y a le volet communicationnel, à
travers les médias classiques et les réseaux sociaux.
Dans ce dernier registre, le PTB est très présent. Mais
dans le premier registre aussi. Pendant longtemps,
le parti s’est surtout incarné dans la figure de Raoul
Hedebouw, communicant idéal de cette phase. La
formule est apparue tellement gagnante que le parti a confié à Raoul Hedebouw la tâche de faire jouer
son « effet » en Flandre pour essayer d’apporter un
siège à Peter Mertens, le président, dans la circonscription d’Anvers. Pour un parti avant tout flamand
dans son fonctionnement et dans ses cadres, c’est
un aveu de faiblesse saisissant. Mais ce faisant, aucune personnalité néerlandophone ne risque de
faire de l’ombre au terne Peter Mertens. Finalement
conscient qu’il épuisait Hedebouw, le parti a aussi désigné un nouveau porte-parole dans le spectre francophone, le « Carolorégien » Germain Mugemangango, un membre du parti de très longue date, comme
tous les cadres au demeurant.
Plus largement, le parti a essayé de diversifier ses incarnations, en envoyant plus régulièrement au front
médiatique des visages moins ou peu connus du
grand public : le député hennuyer Marco Van Hees,
la médecin Sofie Merckx de Charleroi, ou encore le
deuxième homme fort du parti, le vice-président David Pestieau.
Relevons aussi la démarche extrêmement fréquente des « cartes blanches ». Celles-ci sont le fait
régulier de responsables du parti, comme Peter
Mertens dans Le Vif-L’Express ou Knack, mais également de responsables des organisations périphériques du parti, dont les médias ignorent le plus souvent les liens avec le PTB : Intal, Médecine pour le
Tiers-Monde, Médecine pour le peuple, Progressive
Lawyers Network, Comac… Relevons aussi un grand
nombre de « cartes blanches » de militants du parti
sous le couvert de leur structure professionnelle. Face
31
UNE GAUCHE EN DÉSORDRE DE MARCHE Pascal Delwit
à un PS et un SP.A aux aguets, le PTB fait feu de tout
bois. Pourtant, sa spectaculaire percée dans les sondages crée aussi des problèmes.
PARLEMENT ET MOUVEMENT SOCIAL
La première difficulté tient au fait que, désormais, le
PTB éprouve un nouveau regard de nombre de journalistes et de médias. Ces derniers vont désormais
au-delà de la pointe de l’iceberg dans leur approche.
La totale évanescence de l’activité de la plupart de ses
parlementaires est maintenant épinglée, tout particulièrement au Parlement wallon. En la matière, la
réponse des dirigeants est lénifiante : les parlementaires apprennent le
métier. On ne s’appesantira pas sur
LE PTB MOBILISE
l’image renvoyée par
SA PRÉSENCE DANS
cette communicaLES PARLEMENTS
tion. Trois ans après
POUR FAIRE ENTENDRE
leur entrée dans les
MÉDIATIQUEMENT
enceintes parlementaires, les députés
SA VOIX.
du PTB ne sauraientils toujours pas soumettre un amendement ou une proposition de loi ?
On ne s’appesantira pas plus sur l’image que cela
renvoie du parti : 47 ans après la création d’Amada14
et 37 ans après celle du PTB-PVDA, cette formation
serait incapable de faire porter une proposition de
loi par ses parlementaires ? En vérité, cette éva–nescence du travail parlementaire des députés du PTB
renvoie à un constat simple : le parlementarisme n’a
pas d’intérêt pour le parti. « Ce n’est pas là que cela se
passe », répètent à l’envi cadres et mandataires du
parti qui préfèrent « une autre manière d’aborder le
travail parlementaire15 ».
Pour le PTB, la présence à la Chambre est utile d’un
double point de vue. Le premier, fondamental, est
qu’elle permet l’accès au financement public. Le second est l’utilisation des parlements comme caisses
14 NDLR : organisation maoïste au sein de laquelle les
fondateurs du PTB-PVDA ont fait leurs débuts politiques.
15
32
La Libre Belgique, 24 février 2016.
de résonance. Le PTB mobilise sa présence dans les
parlements pour faire entendre médiatiquement sa
voix. À cette fin, c’est bien souvent les aspects les plus
visibles, mais pas nécessairement les plus fondamentaux, qui sont privilégiés : les sessions plénières et la
volonté de créer des commissions d’enquête et d’en
faire partie. Les deux doivent amener un maximum
de visibilité. Certes, le Parti du travail a tout sauf le
monopole de cette focalisation sur ces dimensions
les plus visibles. En revanche, il est un des seuls à délaisser quasi complètement le travail au jour le jour
dans le Parlement. Cela n’a pas d’intérêt à ses yeux.
C’est d’ailleurs sans surprise. Cela ramène à la relation
ambivalente du PTB à la démocratie représentative,
à l’idée que seule compte « le mouvement social » et
que c’est par le mouvement social que s’orchestrent
d’abord la résistance puis le basculement.
La deuxième difficulté, c’est qu’être très tôt au pinacle des sondages ne peut conduire, au mieux, qu’à
un maintien et, plus probablement, à un tassement,
ce qui, en effets indirects des sondages, n’est pas
simple à gérer en dynamique.
Enfin, le parti est désormais bien plus souvent interpellé sur la traduction politique d’une éventuelle
victoire électorale. En interne, l’inquiétude est d’ailleurs grande quant à ces performances dans les sondages : si, par extraordinaire, le PTB décrochait bien
24 % des suffrages en Wallonie, comment justifier de
rester au balcon ?
C’est en effet peu dire que la question de la traduction d’une éventuelle victoire électorale a mis
en difficulté la communication du parti. En la matière, les dirigeants du PTB pataugent et ont du mal
à expliquer et s’expliquer. Dans l’absolu, pourtant, les
choses étaient assez claires : le parti ne souhaite pas
exercer les responsabilités. Aucune idée en ce sens ne
s’était exprimée dans les thèses du dernier congrès.
Bien au contraire, le parti insistait sur le fait qu’« il ne
s’agit pas d’un petit détail à changer par-ci par-là » mais
bien qu’il s’agit de faire advenir « une tout autre société16 » [c’est moi qui souligne], ce qui impose, entre
16 PTB, Élargir, unir, approfondir. Congrès de la solidarité,
2015, p. 172.
autres, une sortie des traités européens. Mais l’énonciation de ce point de vue mettait mal à l’aise le parti. De manière assez classique, l’ambition a d’abord
été de botter en touche. La question ne se poserait
pas avant quinze à vingt ans, a énoncé Raoul Hedebouw17. Mais ce propos a semé la confusion et amplifié le questionnement plutôt que de l’éteindre. Aussi
a-t-il été condamné. C’était « une boutade », a essayé
de faire croire le vice-président du parti, David Pestieau18. Dans un deuxième temps, le PTB a approché
différemment la question. Il n’était pas officiellement
17
L’Écho, 24 décembre 2016.
18
La Table ronde – Radio Campus, 13 juillet 2017.
Le PTB fait campagne sur des sujets concrets et vise
« de petites victoires »
LE PTB EST DÉSORMAIS
BIEN PLUS SOUVENT
INTERPELLÉ SUR LA
TRADUCTION POLITIQUE
D’UNE ÉVENTUELLE
VICTOIRE ÉLECTORALE.
question de refuser
une participation au
pouvoir, mais celleci ne pourrait intervenir que moyennant un jeu strict
de conditions plus ou moins énumérées, mais renvoyant à un constat simple : il n’en est pas question.
À n’en pas douter, il s’agit là d’un talon d’Achille du
parti, car cette thématique renvoie à ce qu’est réellement le PTB et qui a, au demeurant, amené nombre
de démissions – peu visibles mais assez nombreuses
– de citoyens de gauche qui ont approché la cuisine.
Récemment, le parti a voulu clarifier sa position. Le
vice-président et le président sont tous deux sortis
du bois, relayés ensuite par l’une ou l’autre personnalité. En juillet 2017, David Pestieau expliquait nettement les choses. Il ne saurait être question de participer au pouvoir aux plans régional et fédéral19. À
la rentrée, le président du parti a embrayé : « Sur le
pouvoir régional et fédéral en 2019, nous ne participerons pas, pour deux raisons. À savoir qu’il n’y a pas de
volonté de mettre en place un gouvernement qui voudrait la confrontation totale avec les institutions européennes et qui ferait de la désobéissance civile à l’égard
de l’Europe. Pour garantir cette désobéissance civile, il
faut aussi que le gouvernement soit prêt à mobiliser la
population. […] L’autre raison, c’est que nous voulons
grandir à notre rythme20. »
LA QUESTION DU POUVOIR
Dans la foulée, Hugues Le Paige, dans son blog
sur le site de Politique, a relayé ce point de vue sous
la forme d’une évidence. Mais l’évidence était loin
d’être incontestable. L’interview de Peter Mertens à
La Libre Belgique a suscité des interrogations, aussi le président a-t-il énoncé son propos moins rudement dans Le Soir. Celui-ci, ambivalent, a été mal
interprété – notamment dans le titre de l’interview –
par beaucoup21. Aussi, une rectification à la rectifica-
POLITIQUE 103 | MARS 2018
19
Ibidem.
20
La Libre Belgique, 23-24 septembre 2017.
21
Le Soir, 8 novembre 2017.
33
UNE GAUCHE EN DÉSORDRE DE MARCHE Pascal Delwit
tion est-elle intervenue dans Solidaire. En bref : oui,
mais non : « Nous ne sommes pas d’avis que les gens
doivent juste déléguer leur voix une fois tous les 5 ans
à une caste de politiciens professionnels et se taire ensuite. Cette idée fortement ancrée est propagée d’en
haut, c’est ce qui est appelé “la primauté du politique”.
[…] Il est absurde de parler d’une participation gouvernementale sans qu’on ait construit un contre-pouvoir. […] Nous ne voulons pas seulement abroger les
mesures d’austérité les plus graves, nous voulons aussi
obtenir une tout autre politique. […] Dans l’interview, je
n’ai pas dit que le PTB était ouvert à une coalition rougeverte. J’ai même dit le contraire : on ne voit actuellement
pas comment il serait possible d’entrer dans un gouvernement en 201922. »
Cette position soulève quatre questions majeures.
D’abord, l’absence totale d’explications sur la manière dont les traités européens pourraient être défaits si les partis qui s’y opposent restent dans l’opposition. Sous cet angle, l’approche de Mélenchon et de
22 « Le PTB participera-t-il au pouvoir en 2019 ? »,
Solidaire, 14 novembre 2017.
Une réaction
Cité par Pascal Delwit à plusieurs reprises dans son article,
Hugues Le Paige a souhaité apporter ces précisions.
Les questions que pose Pascal Delwit sur la relation du
PTB au pouvoir sont « naturellement » importantes.
Je n’en disconviendrai pas un instant. C’est plutôt
le mode sur lequel ces questions sont posées qui
m’interroge. D’autant que sans malices, j’en suis
certain, Pascal Delwit m’accorde une place dans ce
débat qui me semble disproportionnée. Il me cite,
en effet, quasiment au même titre que les dirigeants
d’un parti dont je ne suis et ne serai jamais membre
mais dont je suis, il est vrai, un sympathisant déclaré
– j’ai appelé à voter PTB en 2014 et le referai lors
des prochains scrutins – mais dont je ne partage pas
toutes les orientations, tant s’en faut.
Sur un ton quelque peu polémique, Pascal Delwit
affirme que « je relaie » l’argumentation de la
direction du PTB sur la question de la (non-)
participation au pouvoir. Si l'auteur est tellement
attentif à mes publications, il ne doit pas ignorer
que j’ai abordé cette problématique dès le 25 mars
dernier1. Sans attendre les mots d’ordre du comité
central, j’évoquais la question du pouvoir telle qu’elle
est posée au PTB et j’écrivais notamment : « La
croissance exponentielle en nombre de membres (de
2500 à 10 000 en moins de 10 ans) et l’augmentation
potentielle en nombre d’électeurs modifient à la fois la
stratégie et la nature d’un parti […]. L’élargissement
1 Le Blog-Notes du 25 mars 2017 : « PTB : L’épreuve des
urnes, la question du pouvoir ».
34
de la base sociale du parti qui n’est plus seulement
celui de militants formés et convaincus complexifie
inévitablement la vision globale de la société. Elle exige
aussi un effort considérable de pédagogie notamment
auprès de tous ceux qui s’étaient réfugiés dans
l’abstention par dégout et rejet de la politique […]. Le
nombre et la composition des futures listes électorales
ne seront pas un exercice simple. Un parti en croissance
aussi rapide ne peut se permettre de se vider de ses
cadres pour fournir des candidats. »
Ceci pour répondre à l’argumentation de Delwit selon
laquelle le PTB a eu 40 ans pour se préparer puisqu’il
est l’héritier d’Amada fondé en 1979 ! Feindre
d’ignorer qu’il s’agit aujourd’hui d’un parti d’une
nature différente frise la mauvaise foi.
L’autre point en débat est celui de la participation
du PTB à des majorités communales dont j’ai
effectivement écrit « qu’elle serait naturellement
d’un autre ordre », en ce qui concerne les
contraintes européennes. Delwit s’indigne de mon
« naturellement » et conteste l’affirmation. Un
chercheur aussi averti tant sur le plan national
qu’européen sait pourtant qu’effectivement sur
des matières (communales) limitées, des marges
de manœuvre existent et que les contraintes
européennes ne sont de ce point de vue pas identiques
au plan fédéral ou régional.
Je borne ma réponse à ces deux points où je suis mis
en cause. n
la France insoumise diffère de celle du PTB, alors que
ce dernier essaie néanmoins de mobiliser Mélenchon
dans la phase contemporaine, après Syriza ou, de manière comique, Jeremy Corbyn. Elle est encore plus
différente de celle de partis comme Syriza, Podemos
et le Bloc de gauche portugais, qui appartiennent à
une tout autre sensibilité que le PTB dans le spectre
des gauches radicales23.
QUEL EST LE SENS DE
Ensuite, on s’étonDÉCLINER UN CATALOGUE
nera des dévelopDE MESURES À PRENDRE,
pements de Peter
Mertens sur certains
DÈS LORS QUE L’ON
éléments du registre
N’ASPIRE PAS À ESSAYER
explicatif. « Le parDE LES METTRE EN
ti doit grandir à son
ŒUVRE ?
rythme », énonce le
président du PTB. Or,
nous l’avons dit, le PTB a vu le jour en 1979 et il est
la continuation d’Amada, puis d’Amada-TPO, porté
sur les fonts baptismaux en 1970. Difficile, dans ces
conditions, de comprendre le récit sur le rythme, d’autant qu’il renvoie à un angle mort de l’argumentaire :
l’impact du choix du PTB sur le sort des catégories
que souhaite défendre le parti, la « classe des travailleurs » ou le « peuple des 99 % » selon les textes.
Troisièmement, le PTB-PVDA n’explicite pas un positionnement qui n’est guère simple à comprendre.
Gouverner de manière alternative dans le cadre
des traités européens serait impossible à l’échelle
régionale ou fédérale, mais le parti se dit ouvert à
prendre ses responsabilités au plan… local. Comme
si un niveau de pouvoir échappait au droit européen et aux politiques publiques et monétaires européennes. La chose est d’autant plus surprenante
que la commune que mentionnent au premier chef
les responsables du parti est, ni plus ni moins, la
plus grande du pays : Anvers. « Nous avons dit qu’à
Anvers, nous étions prêts à monter dans une majorité
avec Groen et le SP.A pour mettre en place une alternative à De Wever », affirme Peter Mertens. Et dans l’es23 Sur les sensibilités et les courants des gauches
radicales européennes, je renvoie à mon ouvrage : P. Delwit,
Les gauches radicales en Europe. XIXe-XXIe siècles, Bruxelles,
Éditions de l’Université de Bruxelles, 2016.
POLITIQUE 103 | MARS 2018
pace wallon, l’espoir est caressé pour des entités de
gros calibre aussi : Seraing, Herstal, sinon Mons. Pourquoi les autorités publiques communales échapperaient-elles à la logique de « l’enserrement austéritaire » des traités européens ? Nul ne le saura. C’est
normal, c’est évident, « naturel » selon les termes
d’Hugues Le Paige. Donc, sans besoin d’expliquer :
« Le parti de la gauche radicale a sans doute raison sur
le fond comme sur la nécessité d’annoncer la couleur
sans détour, mais il devra faire preuve d’une grande capacité pédagogique auprès de ses électeurs potentiels.
En admettant même que les urnes confirment tout ou
partie (le plus vraisemblable) des intentions de vote, le
rapport de forces ne permettra pas au PTB d’imposer ses
conditions politiques minimales (le refus des politiques
européennes) et une participation dans l’état actuel de
son développement aurait pour effet de l’asphyxier. La
question de la participation à des majorités communales en 2018 sera naturellement [c’est moi qui souligne] d’un autre ordre24. »
Enfin, l’intérêt du programme électoral est remis
cause. Quel est le sens de décliner, comme le PTBPVDA le fait désormais, un catalogue de mesures à
prendre, dès lors que l’on n’aspire pas à essayer de
les mettre en œuvre ?
Reste donc à savoir si ce positionnement sera tenable dans la campagne de 2019, qui pourrait avoir
certaines allures référendaires : pour ou contre un
gouvernement Michel 2 ?
Écolo-Groen :
des destins enfin
convergents ?
J
usqu’il y a peu, les verts francophones
étaient à peine audibles. Depuis la défaite
de 2014 (tableau 2), Écolo s’est doté d’une
nouvelle équipe, mais une équipe dont
l’axe stratégique et programmatique restait diicile24 H. Le Paige, « Paysage après la bataille », blog sur le site
de Politique, 27 septembre 2017.
35
UNE GAUCHE EN DÉSORDRE DE MARCHE Pascal Delwit
ment palpable. À proprement parler, cette observation n’est pas particulièrement originale. Les travaux
dédiés aux partis verts révèlent une forme d’impuissance politique et d’impasse stratégique des verts
européens depuis plusieurs années25. Les échecs
récents d’Europe-Écologie-Les Verts aux législatives
françaises, ou des
verts
autrichiens,
en sont de nouÉCOLO S’EST TOUJOURS
veaux témoignages.
POSITIONNÉ EN POINTE
Les partis verts qui
SUR LA TRANSPARENCE
échappent à ce juDES PROCESSUS
gement se donnent
DÉCISIONNELS, SUR LES
souvent
à
voir
comme des partis
RÈGLES DE NON-CUMUL …
libéraux-libertaires
assumant
pleinement une posture universaliste et libertaire face à un
pôle ethnocentrique et autoritaire, le plus souvent
incarné par un parti d’extrême droite. La campagne
de Jesse Klaver (GroenLinks) face à Geert Wilders
aux Pays-Bas et la igure de Kristof Calvo pour Groen
en Flandre en sont sans doute des illustrations. Depuis plusieurs années, Groen a repris du galon, mais
sur un plan qui ne touche que peu aux thématiques
socio-économiques. Il n’est d’ailleurs pas sûr que
Calvo et d’autres cadres de Groen soient aisément
classables à gauche sur ce clivage.
Ces évolutions attestent souvent d’un recentrage
libéral sur les questions socio-économiques, au profit d’un positionnement plus net sur le « rapport à
l’autre ». Dans le spectre francophone, la saillance
sur ce clivage est beaucoup moins forte. Non que
la population y soit tendanciellement moins ethnocentrique, mais son agencement avec la question nationale est impossible. À la lumière de cet
élément, Écolo ne sait pas embrasser aisément le
même type de positionnement, quand bien même
il s’y prête « par défaut », par exemple à l’endroit de
Theo Francken.
Il n’empêche, le parti est tiraillé entre un double
choix : entre un positionnement plus à gauche et
25 E. van Haute (éd.), Green Parties in Europe, Londres,
Routledge, 2016.
36
un positionnement plus centriste sur les questions
socio-économiques, entre un positionnement plus
centripète et un positionnement plus centrifuge par
rapport au pouvoir et aux alliances possibles. Dans
un paysage politique francophone qui se fragmente,
ces questions sont centrales. Or elles ne sont pas tranchées à Écolo, ce qui ne satisfait personne. Le 19 juin
2017, le coup de Benoit Lutgen a placé Écolo face à
des choix complexes. Le côté peu professionnel de
l’initiative du président du CDH et ses incohérences
programmatiques ont facilité la réponse de la direction d’Écolo. Mais les interrogations subsistent plus
que jamais.
En attendant, la lumière est avant tout pointée
sur l’action parlementaire du parti. Au Parlement fédéral, Jean-Marc Nollet, Benoit Hellings et Georges
Gilkinet sont en pointe. À la Région wallonne ou à
Bruxelles, on épinglera Stéphane Hazée et Alain Maron. On notera aussi la visibilité du député Philippe
Lamberts au Parlement européen. Leur activité parlementaire vise régulièrement la déstabilisation de certains ministres – Jacqueline Galant, Marie-Christine
Marghem ou Didier Reynders – ou responsables politiques – Yvan Mayeur, Pascale Peraïta. Elle est donc
très médiatisée.
L’éclatement du dossier Publifin-Nethys, puis celui
de l’affaire du Samusocial, avaient rouvert un espace
à Écolo. Le parti s’est toujours positionné en pointe
sur la transparence des processus décisionnels, sur
les règles de non-cumul ou de conflits d’intérêts.
Dans ces circonstances, il a pu retrouver une parole
bien plus audible. Néanmoins, pour Écolo, l’ouverture pourrait n’être que passagère, et cela pour deux
raisons. D’abord, il n’est pas sûr que ces thématiques
soient encore à l’agenda des élections communales
et provinciales d’octobre 2018 et/ou des scrutins régionaux, législatif et européen du printemps 2019.
Ensuite, le parti a lui-même été rattrapé par l’un ou
l’autre cas, singulièrement celui de sa cheffe de file
liégeoise, qui a depuis lors démissionné du conseil
communal, Bénédicte Heindrichs. Cette dernière a
bénéficié d’un jeton forfaitaire pour sa participation
au bureau exécutif de l’intercommunale CILE alors
même qu’en 2016, sa présence y a été rare. La question du positionnement reste donc ouverte à l’ho-
rizon de la tenue
DANS LA PERSPECTIVE
de toutes les élecDU PTB, UN RETOUR À
tions possibles dans
L’ALLIANCE PS-MR À
la séquence octobre
LA RÉGION WALLONNE
2018-mai 2019.
SERAIT LA MEILLEURE DES
Pour son parteNOUVELLES.
naire
néerlandophone, les choses se
présentent en partie
différemment. Ayant largement des électorats mutuellement exclusifs avec le Vlaams Belang et la N-VA,
Groen peut apparaître comme leur premier opposant. Pour autant, le schéma n’est pas si simple. Malgré l’état du SP.A, John Crombez se présente comme
le premier opposant sur le plan socio-économique.
En outre, N-VA et Groen ont donné à voir un pas de
deux étrange. Les verts néerlandophones ont accepté d’entrer dans la majorité du district26 de Deurne,
à Anvers, retirant de la sorte une épine du pied de
Bart De Wever. Certes, les districts anversois sont peu
connus et peu compris. L’impact concret est donc limité. Il n’empêche, la portée symbolique de la démarche n’a échappé à aucun observateur. Dans un
contexte fluide, les deux partis n’ont fermé aucune
porte pour l’avenir.
À l'horizon 2019
«L
e PS, Écolo et le PTB doivent former
une majorité à la Région wallonne »,
serine dorénavant la FGTB wallonne.
Ce propos a de quoi surprendre à de
nombreux points de vue. Premièrement, il ignore
l’enchevêtrement des niveaux de pouvoir en Belgique. Comment penser à un seul niveau institutionnel sans envisager les autres, voire, dans le cas
régional, les efets sur la Région de Bruxelles et la Région lamande, auxquelles on ajoutera la Fédération
Wallonie-Bruxelles ? Deuxièmement, la polarisation
26 NDLR : la ville d’Anvers est divisée en 9 districts ayant
chacun un conseil élu, compétent pour certaines matières
locales. C’est le seul cas de ce type en Belgique.
POLITIQUE 103 | MARS 2018
de la campagne que cet appel suppose n’est peutêtre pas à même d’aider les partis de gauche ou,
pour le dire pudiquement, de mettre en diiculté les
partis de centre-droit. Enin, c’est ignorer l’intense
compétition à gauche : le PTB ne veut pas collaborer avec la famille socialiste, il veut se substituer à
elle. Diicile donc d’en faire un partenaire pour cette
dernière, tout comme d’ailleurs pour Écolo. Pour les
socialistes, au contraire, l’observation présentée est
simple : plus le score du PTB sera élevé, plus probable sera la reconduction d’un gouvernement des
droites au niveau fédéral.
Certes, les choses ne sont pas aussi limpides, dès
lors que les exécutifs régionaux devront aussi être
formés. Mais dans la mesure où le PTB souhaite se
substituer au PS à gauche, les appels à l’union des
gauches n’apparaissent que comme de vaines incantations, qui peuvent même s’avérer contre-productives au demeurant. Dans la perspective du PTB, un
retour à l’alliance PS-MR à la Région wallonne serait
la meilleure des nouvelles.
Comme dans d’autres pays européens, la famille
socialiste est aujourd’hui sévèrement bousculée en
Belgique. Confrontés à leurs errements, le PS et le
SP.A doivent faire face à l’exacerbation politique et
sociale d’une partie de la société. En Europe, cette
exacerbation profite tantôt à l’extrême droite, tantôt à la gauche radicale. Pour le PTB, la question est
de savoir si la ligne de crête sur laquelle il se trouve
sera solide dans le temps : engranger dans l’opposition et rester au balcon en attendant la « révolution ».
À bien des égards, il faut pourtant se garder de tirer des conclusions hâtives. Quoiqu’en sérieuse difficulté, le PS, contrairement à nombre de ses alter
ego, bénéficie encore d’un ancrage consistant dans
les milieux populaires et les classes moyennes salariées. La fluidité de l’électorat est très forte et les prochaines échéances sont encore lointaines. À l’horizon 2019, le rapport de l’électorat de gauche au
gouvernement des droites sera un élément clé du
vote. Pour les verts, le PTB et les partis socialistes, les
choix qui seront posés dans la séquence qui s’ouvre
seront lourds de conséquences. Pour eux d’abord,
mais surtout pour les catégories qu’ils souhaitent ou
déclarent défendre. n
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