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Partie 2. Catalogue des sites étudiés

2006, L’architecture de la Gaule romaine — Les fortifications militaires

Éditions de la Maison des sciences de l’homme L’architecture de la Gaule romaine — Les fortifications militaires Michel Reddé, Raymond Brulet, Rudolf Fellmann, Jan-Kees Haalebos †, Siegmar Von Schnurbein et Pierre Aupert (dir.) DOI : 10.4000/books.editionsmsh.22093 Éditeur : Éditions de la Maison des sciences de l’homme Lieu d’édition : Paris Année d’édition : 2006 Date de mise en ligne : 9 novembre 2021 Collection : Documents d’archéologie française EAN électronique : 9782735126484 https://books.openedition.org Édition imprimée EAN (Édition imprimée) : 9782735111190 Nombre de pages : 471 Référence électronique REDDÉ, Michel (dir.) ; et al. L’architecture de la Gaule romaine — Les fortifications militaires. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2006 (généré le 29 janvier 2022). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionsmsh/22093>. ISBN : 9782735126484. DOI : https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.22093. Légende de couverture Deux légionnaires au combat Crédits de couverture Landesmuseum Mainz Ce document a été généré automatiquement le 29 janvier 2022. Il est issu d’une numérisation par reconnaissance optique de caractères. © Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2006 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540 1 RÉSUMÉS Soixante-dix ans après le tome 1 du Manuel d’archéologie galloromaine d’Albert Grenier, Michel Reddé, Raymond Brulet, Rudolf Fellmann, Jan Kees Haalebos et Siegmar von Schnurbein proposent une nouvelle synthèse sur l’architecture militaire romaine dans les provinces des Gaules et des Germanies. La première partie analyse les différents types de constructions et de techniques observées dans les camps militaires, en replaçant l’évolution de cette architecture dans son contexte historique, de la conquête de la Gaule au milieu du Ve s. ap. J.-C. La seconde partie est un catalogue qui, sans prétendre à l’exhaustivité, présente les sites incontournables et d’autres moins connus, notamment en France. Chaque notice, bien documentée et toujours illustrée, est assortie d’une bibliographie. Cet ouvrage est le fruit d’une collaboration internationale à laquelle plus de cinquante auteurs ont été associés. Il s’adresse à des étudiants et à des chercheurs non spécialisés, qui y trouveront des informations commodes, à jour, rassemblées pour la première fois. This work is the outcome of international cooperation involving J over fifty authors. It is aimed at an audience of undergraduates and non-specialist researchers, who will find it useful for the conveniently packaged, up-to-date information gathered together for the first time Seventy years after the publication of Volume 1 of Albert Grenier’s Manuel d’archéologie galloromaine, Michel Reddc, Raymond Brulet, Rudolf Fellmann, Jan Kces Haalebos and 5iegmar von Schnurbein have prepared a new overview of Roman military architecture in the provinces of Gaul and Germania. The first part analyzes the different types of construction techniques observed in military camps, placing the development of this architecture within its historical context, from the conquest of Gaul to the middle of the fifth century AD. The second part is a catalogue which, while making no claim to be exhaustive, presents all the key sites alongside other lesser-known ones, especially in France. Each well- documented and systematically wellillustrated notice is augmented by a bibliography. MICHEL REDDÉ (DIR.) École pratique des Hautes Études (Paris IV) RAYMOND BRULET (DIR.) Université catholique de Louvain, Belgique RUDOLF FELLMANN (DIR.) Université de Berne, Institut für Archäologie, Suisse JAN-KEES HAALEBOS † (DIR.) Université Radboud, Nimègue, Pays-Bas 2 SIEGMAR VON SCHNURBEIN (DIR.) Römisch-Germanische Kommission des Deutschen Archäologischen Instituts, Francfortsur-le-Main, Allemagne PIERRE AUPERT (DIR.) Directeur de recherche au CNRS (Institut de recherche sur l’architecture antique) 3 SOMMAIRE Les auteurs Partie 1. Le cadre historique et l’évolution architecturale Avant-propos Pierre Aupert Introduction Michel Reddé Les sources Michel Reddé Les sources littéraires Les documents inscrits Les fouilles Chapitre 1. L’évolution du dispositif militaire romain en Gaule de la conquête aux grandes invasions Michel Reddé, Siegmar von Schnurbein, Rudolf Fellmann, Dietwulf Baatz, Raymond Brulet et Jürgen Oldenstein Repères chronologiques 1.1 L’occupation militaire de la Gaule avant l’offensive en Germanie 1.2 De la conquête augustéenne à la fin du règne de Tibère 1.3 L’époque de Claude et de Néron 1.4 Des Flaviens aux Sévères 1.5 Du milieu du IIIe s. à Dioclétien 1.6 De Dioclétien à Valentinien Ier 1.7 De Valentinien Ier à la fin de l’Empire romain occidental 1.8 L’organisation territoriale de la défense des Gaules pendant l’Antiquité tardive Chapitre 2. L’architecture militaire romaine en Gaule sous le Haut-Empire Siegmar von Schnurbein, Dietwulf Baatz, Rudolf Fellmann, Johann-Sebastian Kühlborn, Michel Reddé, Christiane Ebeling, Eveline Grönke, Egon Schallmayer et C. Sébastian Sommer Chapitre 3. L’architecture militaire romaine en Gaule pendant l’Antiquité tardive Raymond Brulet 3.1 De nouveaux concepts 3.2 Architecture de bois et de terre 3.3 L’architecture des remparts en pierre 3.4 Les bâtiments internes Partie 2. Catalogue des sites étudiés Michel Reddé, Raymond Brulet, Rudolf Fellmann, Jan-Kees Haalebos, Siegmar von Schnurbein, Dietwulf Baatz, Arjen Bosman, Anne Cahen-Delhaye, Christophe Chabrié, Wolfgang Czysz, Michel Daynès, Yann Deberge, Peter Fasold, Hans Fehr, Gerhard Fingerlin, Thomas Fischer, Matthieu Fuchs, Jean Galbois, Jean-François Garnier, Michael Gechter, Alain Gelot, Bastien Gissinger, Vincent Guichard, Norbert Hanel, Roger Hanoune, Hansgerd Hellenkemper, Ruart Siegfried Hulst, Alain Jacques, Klaus Kortüm, Gertrud Kuhnle, Johann-Sebastian Kühlborn, Loïc Langouet, Frédéric Latron, Frédéric Lemaire, Claire Massart, Jozef Remi Mertens, MJ.G. Th. Montforts, Hans Ulrich Nuber, Jürgen Oldenstein, Titus A.S.M. Panhuysen, Michel Petit, Martin Pietsch, Gilles Prilaux, Marianus Polak, Christoph Reichmann, Egon Schallmayer, Claude Seillier, C. Sébastian Sommer, Bernd Steidl, Matthieu Thivet, Hugo Thoen, Pierre Tronche, Stéphane Venault, Jan Adrian Waasdorp, MarieDominique Waton et Marion Witteyer 4 Cahier d’illustration Abréviations Bibliographie générale Résumé/Zusammenfassung/Abstract Crédits des illustrations 5 Les auteurs 1 Michel Reddé École pratique des Hautes Études (Paris IV) 2 Raymond Brulet Université catholique de Louvain, Belgique 3 Rudolf Fellmann Université de Berne, Institut für Archäologie, Suisse 4 Jan-Kees Haalebos Université Radboud, Nimègue, Pays-Bas 5 Siegmar von Schnurbein Römisch-Germanische Kommission des Deutschen Archäologischen Instituts, Francfort-sur-le-Main, Allemagne 6 Dietwulf Baatz Saalburg Museum, Bad Homburg v.d. H. Allemagne 7 Arjen Bosman Université de Gand, Belgique 8 Anne Cahen-Delhaye Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, Belgique 9 Christophe Chabrié Atelier aquitain de restauration et d’étude du patrimoine archéologique (Aarepa), Villeneuve-sur-Lot, France 10 Wolfgang Czysz Bayerisches Landesamt für Denkmalpflege, Thierhaupten, Allemagne 11 Michel Daynès Atelier aquitain de restauration et d’étude du patrimoine archéologique (Aarepa), Villeneuve-sur-Lot, France 12 Yann Deberge Association pour la recherche sur l’âge du Fer en Auvergne, Mirefleurs, France 13 Christiane Ebeling Berlin, Allemagne 14 Peter Fasold Musée archéologique de Francfort, Allemagne 15 Hans Fehr Landesamt für Denkmalpflege, Coblence, Allemagne 16 Gerhard Fingerlin Landesdenkmalamt Baden-Württemberg, Freiburg im Breisgau, Allemagne 17 Thomas Fischer Université de Cologne, Archäologisches Institut, Allemagne 18 Matthieu Fuchs Centre départemental d’archéologie du Bas-Rhin, Strabourg, France 19 Jean Galbois Association des naturalistes de la vallée du Loing et du massif de Fontainebleau, France 20 Jean-François Garnier Atelier aquitain de restauration et d’étude du patrimoine archéologique (Aarepa), Villeneuve-sur-Lot, France 6 21 Michael Gechter Rheinisches Amt für Bodendenkmalpflege, Außenstelle Overath, Allemagne 22 Alain Gelot Ministère de la Culture, service régional de l’Archéologie de ChampagneArdenne, Châlons-en-Champagne 23 Bastien Gissinger Conservation des Musées et de l’Archéologie, Conseil général de l’Aisne 24 Eveline Grönke Hofheim, Allemagne 25 Vincent Guichard Centre archéologique européen de Bibracte, Glux-en-Glenne, France 26 Norbert Hanel Université de Cologne, Archäologisches Institut, Allemagne 27 Roger Hanoune Université de Lille III, UMR 8142 du CNRS, France 28 Hansgerd Hellenkemper Rômisch-Germanisches Museum, Cologne, Allemagne 29 Ruart Siegfried Hulst Hoevelaken, Pays-Bas 30 Alain Jacques Service archéologique de la ville d’Arras, France 31 Klaus Kortüm Landesamt für Denkmalpflege Baden-Württemberg, Stuttgart, Allemagne 32 Gertrud Kuhnle Inrap Grand-Est, France 33 Johann-Sebastian Kühlborn Westfälisches Museum für Archäologie, Münster, Allemagne 34 Loïc Langouet Université de Rennes I, Rennes, France 35 Frédéric Latron Inrap Grand-Est, France 36 Frédéric Lemaire Inrap Nord-Picardie, France 37 Claire Massart Musées royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles, Belgique 38 Jozef Remi Mertens Université catholique de Louvain, Belgique 39 MJ. G. Th. Montforts Utrecht, Pays-Bas 40 Hans Ulrich Nuber Université de Fribourg, Provinzialrömische Archäologie, Allemagne 41 Jürgen Oldenstein Université de Mayence, Institut für Vor-und Frühgeschichte, Allemagne 42 Titus A.S.M. Panhuysen Service archéologique de la ville de Maastricht, Pays-Bas 43 Michel Petit Etréchy, France 44 Martin Pietsch Bayerisches Landesamt für Denkmalpflege, Munich, Allemagne 45 Gilles Prilaux Inrap Grand-Est, France 46 Marianus Polak Université Radboud, Nimègue, Pays-Bas 47 Christoph Reichmann Landschaftsmuseum des Niederrheins, Krefeld, Allemagne 48 Egon Schallmayer Landesamt für Denkmalpflege Hessen, Wiesbaden-Biebrich, Allemagne 49 Claude Seillier Saint-Martin-lès-Boulogne, France 50 C. Sébastian Sommer Bayerisches Landesamt für Denkmalpflege, Munich, Allemagne 51 Bernd Steidl Muséum für Vor- und Frühgeschichte, Archäologische Staatssammlung, Munich, Allemagne 7 52 Matthieu Thivet Doctorant, Université de Franche-Comté, Besançon, France 53 Hugo Thoen Université de Gand, département Histoire ancienne et archéologie, Belgique 54 Pierre Tronche Université de Brest, France 55 Stéphane Venault Inrap Grand Est, France 56 Jan Adrian Waasdorp Faculté d’archéologie de La Haye, Pays-Bas 57 Marie-Dominique Waton Ministère de la Culture, service régional de l’Archéologie d’Alsace, Strasbourg, France 58 Marion Witteyer Landesamt für Denkmalpflege, Mayence, Allemagne 8 Partie 1. Le cadre historique et l’évolution architecturale 9 Avant-propos Pierre Aupert À la mémoire de Jan-Kees Haalebos 1 Le domaine de l’architecture antique souffre, en France, d’un déficit d’enseignement dans les grandes chaires : les disparitions de Pierre de la Coste Messelière, de Roland Martin et de René Ginouvès ont laissé, au Collège de France, aux Hautes Etudes et dans les universités parisiennes, un vide qui n’est que partiellement comblé. Le Dictionnaire méthodique d’architecture grecque et romaine de R. Martin et R. Ginouvès, les manuels de Marie-Christine Hellmann, pour le domaine grec, et de Pierre Gros et de Jean-Pierre Adam pour le monde romain compensent cette lacune, mais ne remplacent pas le contact entre maître et élève. Le domaine de l’architecture gallo-romaine n’est pas en meilleure posture, auquel un livre de référence fait défaut. 2 Le Manuel d’Albert Grenier est en effet déjà ancien : le tome le plus récent date de 1960. Il mélange en outre corpus et commentaire suivant un classement le plus souvent régional. Ces deux particularités conjuguées empêchent la constitution de typologies diachroniques. Il ne répond donc plus aux exigences de la recherche contemporaine et ne constitue plus qu’une référence obligée, car unique. L’ouvrage de Pierre Gros, La France gallo-romaine (Paris, 1991), propose quant à lui une approche générale, à bien des égards suggestive et enrichissante, mais qui n’aborde pas tous les aspects de l’architecture, ni ne rentre dans les détails. 3 Or des études thématiques récentes ont renouvelé notre approche de nombreux sujets, pendant que les nouvelles publications, le développement spectaculaire des fouilles – notamment de sauvetage– ont notablement enrichi les séries déjà connues, révélé des types de bâtiments inédits et, enfin, apporté de nouvelles datations : l’heure paraît donc venue de mesurer l’ampleur de ce renouvellement et d’en tirer les enseignements. 4 Ce sont ces différentes constatations qui ont engendré le projet de poursuivre l’œuvre d’Albert Grenier. 5 L’objectif de ce travail est donc de mettre à jour nos connaissances en matière d’architecture de la Gaule d’époque impériale, en établissant un inventaire des monuments ordonné par types, puis d’élaborer des synthèses pertinentes sur chacun de 10 ces types et sur les sujets connexes. Il est, enfin, de mettre l’ensemble à la disposition d’un public averti, à travers une série de publications scientifiques abondamment illustrées, où l’accent sera porté sur la place particulière de cette architecture au sein du monde romain. 6 Cette nouvelle recherche est une œuvre collective, pour laquelle il est fait appel aux spécialistes les mieux informés de chaque édifice en ce qui concerne l’inventaire, et de chaque type et de leurs composants pour la partie synthétique. On pourrait faire, du projet global, l’esquisse suivante : la construction et les témoignages antiques ; ordonnance et décor ; architecture militaire ; les édifices religieux et leur scénographie ; édifices civils ; monuments du décor et de la commémoration ; édifices de loisir et de santé (spectacle, hygiène, santé, culture) ; édifices utilitaires ; aménagements de la ville et du territoire (commerce, artisanat, infrastructures de circulation des hommes, infrastructures de circulation de l’eau, santé) ; habitat ; architecture funéraire. L’ensemble n’est ni normatif, ni limitatif : le traitement de chaque sujet dépend évidemment du ou des auteurs. Seuls demeurent figés la séparation entre catalogue et synthèse et, dans le catalogue, l’ordre de présentation de chaque notice. 7 Ces notices seront nécessairement inégales, non seulement parce qu’un édifice connu seulement par la photographie aérienne ne peut faire l’objet d’une description aussi complète que celle d’un édifice entièrement dégagé, mais aussi parce que les bâtiments de cette dernière catégorie peuvent avoir fait l’objet ou non d’études précises : les thermes d’Evreux ou de Barzan, les uns remblayés après publication et les autres visitables, mais extrêmement ruinés, sont mieux connus que ceux de Cluny, qui accueillent pourtant, sous leurs voûtes encore préservées, des milliers de visiteurs chaque année. Ces notices seront inégales aussi, dans la mesure où il est aisé d’y rendre compte exhaustivement d’une petite ou simple construction, une maison ou une pile funéraire, par exemple, mais où, en revanche, il faut résumer ou faire des choix, lorsque l’on y traite d’un monument important et complexe, comme un amphithéâtre. 8 Notre ambition est en tout cas que chacun y trouve tout ce qu’il y a à savoir dans tel ou tel domaine ou sur tel ou tel édifice, qu’il soit professeur, étudiant, archéologue de terrain, érudit local ou amateur éclairé, et que, si telle notice le laisse sur sa faim, il y trouve au moins cité l’ouvrage auquel il pourra avoir recours pour parfaire son information. 9 L’illustration se veut, autant que faire se peut, uniformisée, mais les sources sont disparates et l’on devra parfois se contenter de reproduire les plans à une échelle commune, sans toujours pouvoir les redessiner. Quant aux photographies, elles privilégient les vues d’ensemble les plus instructives et les détails les plus éclairants. 10 L’aire géographique est celle de la Gaule dans son extension maximale, c’est-à-dire qu’elle concerne la France, la Suisse, la Belgique, la Hollande et l’Allemagne de l’ouest du Rhin, mais sans que l’on s’interdise de passer au-delà en fonction des variations du limes. L’Angleterre, bien que présentant des formes architecturales le plus souvent communes à cet ensemble, ne peut toutefois être prise en considération que dans les études comparatives. 11 L’œuvre, à mesure de son déroulement, ne manquera pas de surprendre le lecteur. À chaque fois, en effet, que l’on se penche avec attention sur un type d’édifice – y compris les camps, qui font l’objet de ce volume et pour lesquels on s’attendrait à ce que leur nature militaire y fasse régner une large uniformisation –, on constate à la fois une 11 grande variété et, souvent, une grande originalité. En effet, le monde gréco-romain a certes fourni des modèles, que chaque cité ou bourgade s’est appropriés pour manifester son insertion dans l’ordre politique de l’Empire. Mais il est rare qu’elle ne les ait pas interprétés et qu’elle n’y ait pas introduit les marques de sa propre culture architecturale. Le phénomène est sensible y compris, voire même surtout, dans le domaine religieux que l’on pourrait croire le plus figé. C’est du reste le propre de la création architecturale que de refléter, non seulement les goûts et la formation du maître d’œuvre, mais aussi les aspirations sociales et les attachements politiques du maître d’ouvrage, qui l’ancrent dans la cité. Le mélange de fascination pour le nouveau monde, auquel le territoire s’ouvrait brusquement, et d’ancrage dans ses traditions les plus anciennes comme dans son quotidien a ainsi produit des ouvrages inédits, qui ont en outre parfois laissé des traces dans l’architecture des âges ultérieurs. 12 Si la monumentalité n’est que rarement la caractéristique des ouvrages militaires qui font l’objet de ce volume, ils n’en constituent pas moins un reflet fidèle des développements et des vicissitudes de la politique de l’Empire. À ce titre, leurs systèmes défensifs, voire obsidionaux, c’est-à-dire en quelque sorte ceux de l’offensive, aussi bien que leur politique d’implantation, ont suscité la réflexion des historiens et des stratèges jusqu’à nos jours. On saura donc particulièrement gré aux auteurs conduits par Michel Reddé d’avoir à la fois étudié le détail des dispositifs et rendu compte des grandes évolutions. Qu’ils aient eux-mêmes assumé la rédaction des notices a constitué une lourde tâche, mais leur a permis, à la fois de ne pas dépendre d’une multiplicité de collaborateurs, de gagner, donc, en rapidité et en uniformité et de maîtriser l’ensemble d’un dossier de première main. AUTEUR PIERRE AUPERT Directeur de recherche au CNRS (Institut de recherche sur l’architecture antique) 12 Introduction Michel Reddé 1 C’est en 1931 qu’est paru le premier tome du Manuel d’archéologie gallo-romaine d’Albert Grenier, consacré aux travaux militaires. Près de trois quarts de siècle plus tard, cette somme n’a pas été remplacée et il n’existe aujourd’hui, en langue française, aucun ouvrage de synthèse mettant à la disposition du public scientifique l’état actuel de la recherche. La question reste donc assez largement méconnue, tant parce que les frontières modernes ont coupé la Gaule intérieure de ses marches germaniques que parce que l’obstacle linguistique et la carence des bibliothèques réservent à un tout petit nombre de spécialistes, en France du moins, la connaissance de la Limesforschung. 2 L’objet de cet ouvrage est donc clairement de livrer aux collègues non spécialistes et aux étudiants une synthèse érudite résumant l’essentiel de ce qu’il faut actuellement savoir sur les frontières militaires de la Gaule romaine et leurs fortifications. Sur ce point, la perspective qui était encore celle d’A. Grenier a été totalement modifiée : la Gaule, telle qu’on la concevait dans les années 30, était en effet largement réduite au pays civil, parfois même à la France moderne. Nous avons voulu au contraire, dans ce livre, éviter de couper les provinces réputées inermes de leur zone bordière et englober les deux Germanies dans notre réflexion. Limiter l’étude au Rhin n’aurait en effet pas eu de sens puisque le fleuve a été franchi très tôt, et que la Germanie supérieure s’est étendue sur les deux rives, parfois loin à l’intérieur de la France actuelle, en même temps que sur une partie de la Suisse. C’est la raison pour laquelle nous avons respecté le cadre administratif antique, le seul qui ait à nos yeux un sens, et dont l’extension géographique concerne six pays modernes, ce qui explique le choix des principaux responsables de cet ouvrage. Nous avons en même temps décidé, chaque fois que c’était possible, de demander aux fouilleurs eux-mêmes de rédiger la notice des sites dont ils avaient la charge, à seule fin de fournir l’ultime état, parfois encore inédit, de la documentation. 3 Le livre comprend une synthèse archéologique, traitée par grands thèmes, et un catalogue des fortifications concernées par le sujet. Nous y avons ajouté une vaste introduction consacrée à l’évolution du dispositif militaire romain dans les Gaules et les Germanies, dont seule la bonne connaissance historique permet de comprendre les raisons des mutations techniques décrites par l’archéologie. Le choix des sites retenus 13 dans le catalogue a été effectué en raison de l’intérêt qu’offrait chacun d’eux pour l’étude architecturale, sans souci d’exhaustivité, ce qui eût été hors de propos et eût inutilement alourdi ce livre, d’autant que nombre d’ouvrages militaires restent au total fort mal connus. Le lecteur pourra en effet assez rapidement s’en rendre compte : malgré plus d’un siècle de recherches souvent intensives, peu de camps romains ont été exhaustivement fouillés, ce qui fait que nombre de bâtiments spécialisés (scholae, hôpitaux, ateliers, latrines, fours notamment) nous échappent encore. En est responsable la problématique de la fouille, souvent limitée à l’étude des remparts et de certains types de bâtiments “nobles” (principia, thermes), aux techniques employées, qui se résument parfois à de simples sondages stratigraphiques, faute de temps, d’argent ou d’intérêt. On comprendra, dans ces conditions, que nous ayons dû parfois, pour combler ces lacunes de la recherche sur la zone étudiée, faire appel à des connaissances mieux établies en Bretagne ou en Rétie. 4 Cet ouvrage, en revanche, ne comprend pas de synthèse générale sur les techniques employées à l’occasion de l’édification d’un camp romain, sauf lorsqu’elles sont spécifiques. Les procédés de construction mis en œuvre par l’armée ne sont pas en effet propres au milieu militaire, et on pourrait les rencontrer aussi bien dans des contextes civils, qu’il s’agisse d’architectures de terre et de bois ou d’architectures de pierre. Nous renvoyons donc aux ouvrages généraux en usage (Lasfargues 1985 ; Adam 1984 ; Ginouvès & Martin 1985 ; Ginouvès 1992, 1998 ; Chazelle-Gazzal 1997), nous contentant de signaler, lorsque c’est nécessaire, les spécificités techniques propres à tel ou tel bâtiment militaire. 5 Du point de vue chronologique, ce volume englobe la période qui s’étend de la conquête de la Narbonnaise à l’effondrement définitif des frontières, au début du Ve s. La principale difficulté a été d’effectuer un choix pertinent parmi les fortifications de l’Antiquité tardive, extrêmement nombreuses. Comme l’avait fait avant nous A. Grenier, nous avons donc réservé les enceintes urbaines pour une autre étude, qui a été confiée à d’autres spécialistes : parti pris qui résulte à la fois d’un compromis éditorial et d’une réalité historique floue, car si nous savons clairement distinguer un vrai camp militaire comme celui d’Altrip d’une véritable enceinte urbaine comme celle de Bordeaux, la présence de troupes qui tiennent garnison dans les villes du IVe s., comme nous en trouvons le témoignage archéologique à Arras, ne permet pas toujours de tracer des frontières bien claires entre le militaire et le civil. Il reste que l’étude des enceintes urbaines tardives pose des problèmes archéologiques, topographiques, et historiques spécifiques, qu’il n’était pas question d’aborder dans le cadre limité de cet ouvrage. Nous espérons toutefois que ce livre, tel qu’il se présente, comblera un vide, non seulement dans la bibliographie de langue française, mais aussi dans la littérature en langue étrangère. Il permettra de montrer combien l’histoire de la Gaule latine a été liée aux nécessités de sa défense, à l’influence politique, économique, sociale de ses lointaines marches germaniques, au sein d’un monde où l’armée constituait à la fois le premier facteur de romanisation et le principal agent du pouvoir. 6 Au moment où il paraît ce livre a déjà une longue histoire. Commencé en 1994, il a été accepté par le comité national des Documents d’archéologie française en novembre 2002. Pour l’essentiel, et sauf mises à jour ponctuelles, les textes ont été revus et corrigés par les auteurs au printemps 2004. Les notices des sites étudiés portent la date de leur dernière mise à jour. Je remercie la Maison des sciences de 14 l’homme et les Editions Ausonius (Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3) d’avoir permis ensemble la publication de ce livre. AUTEUR MICHEL REDDÉ École pratique des Hautes Études (Paris IV) 15 Les sources Michel Reddé 1 Nos connaissances sur l’histoire et l’archéologie militaires de la Gaule et des Germanies reposent sur un corpus de sources variées, mais hétérogènes et lacunaires, inégalement réparties dans le temps ; en dehors de témoignages qui ont une valeur générale, il existe une documentation propre à cette région de l’Empire, et c’est pourquoi il nous paraît nécessaire de dire d’abord quelques mots de cette question. Les sources littéraires 2 On sollicite souvent le texte célèbre dans lequel Polybe, au livre VI, chapitre 6 de son Histoire, décrit les institutions militaires des Romains, notamment l’édification et la disposition du camp de marche. Ce texte présente, incontestablement, une grande valeur aux yeux des Modernes, parce qu’il constitue le premier énoncé clair de pratiques déjà solidement établies, dont de nombreuses autres sources postérieures attestent la continuité. On ne doit pas pour autant oublier qu’il se réfère à l’armée républicaine, vers le milieu du IIes. av. J.-C., et que l’institution a, par la suite, sensiblement évolué. A preuve d’ailleurs l’autre grand texte régulièrement sollicité, celui du Pseudo-Hygin (Des fortifications du camp) : cet ouvrage, peut-être écrit sous Trajan –mais une rédaction vers le milieu du IIe s. est possible– décrit en effet, lui aussi, un camp de marche installé, lors d’une campagne danubienne, par une armée dont la composition diffère très sensiblement de celle de Polybe (Lenoir 1979). Si la filiation des pratiques est évidente, les différences d’un texte à l’autre ne le sont pas moins. Au demeurant, on ne doit pas non plus considérer que le traité d’Hygin constitue un modèle intangible du camp romain. Malgré sa valeur générale, il a été trop souvent sollicité hors de propos et il est de fait impossible d’en retrouver le schéma dans les camps permanents du Principat. Quant au célèbre texte de Végèce, l’Epitomè rei militaris (Stelten 1990 ; Miltner 1993), il présente différents défauts : écrit sans doute vers la fin du IVe s., il est l’œuvre d’un compilateur “antiquaire” qui ne décrit pas l’armée de son temps mais une armée ancienne, depuis longtemps disparue, qui n’est pourtant plus celle du Haut Empire. L’usage du texte en est rendu délicat, même pour des commentateurs avertis. 16 3 Ces deux derniers ouvrages, généraux et théoriques, inscrits dans un contexte historique bien particulier, ne doivent donc pas être surévalués. Toute la “littérature militaire” pourrait évidemment être mentionnée ici dans la mesure où il s’agit de sources à valeur générale (Giuffrè 1974). Mais elle serait de peu d’intérêt direct pour notre propos. On peut, en revanche, la compléter par les nombreuses et précieuses informations que nous livre César au fil de son œuvre. S’agissant de la région qui nous intéresse ici, Florus pour la période augustéenne, Tacite pour l’époque julio-claudienne et flavienne, Dion Cassius (avec des lacunes) jusqu’au règne des Sévères, Zosime après cette date, l’Histoire Auguste pour les IIe et IIIe s., Ammien Marcelin pour le milieu du IVe s., fournissent les informations essentielles mais non pas uniques. On trouvera une liste exhaustive et complète de ces sources de l’histoire de France dans l’ouvrage classique de P.-M. Duval (Duval 1971). 4 Pour notre propos, la Notifia Dignitatum est fondamentale : il s’agit d’un document administratif, écrit vers 380-390 mais mis à jour jusque vers 420-425, et qui compile l’ensemble des charges civiles et militaires de l’Empire, avec une partie orientale et une partie occidentale. Nous disposons ainsi d’un tableau officiel des unités, des districts frontaliers, des garnisons. Le texte est toutefois d’un maniement difficile, dans la mesure où il garde la trace des différentes réorganisations effectuées depuis Dioclétien, ce qui a souvent conduit les chercheurs à vouloir restituer, à partir d’un texte écrit vers la fin du IVe s., l’état des forces militaires à la fin du siècle précédent : exercice délicat, surtout pour la région qui nous intéresse, et dont témoigne une bibliographie surabondante (Hoffmann 1969-1970). En outre, des feuillets essentiels, relatifs à la frontière rhénane en aval de Strasbourg, ont disparu dans la tradition manuscrite. Les documents inscrits 5 À la différence de ce qui se passe pour l’armée romaine d’Orient, les sources papyrologiques sont inexistantes dans le nord-ouest de l’Empire. Dans de trop rares cas, elles sont suppléées par la découverte de tablettes de bois enduites de cire, et parfois traversée par le stylet du scribe au point que l’instrument a laissé ses traces dans le bois. Il n’existe malheureusement, à l’heure actuelle, qu’un ensemble important, pour la région qui nous intéresse, celui de Vindonissa (Speidel 1996). 6 C’est donc sur les autres sources qu’il faut le plus souvent s’appuyer pour écrire l’histoire militaire des Gaules. Les inscriptions sont assez nombreuses dans cette région de l’Empire mais, comme d’habitude, inégalement réparties dans le temps : rares à l’époque augustéenne, elles se font plus nombreuses par la suite mais redeviennent de plus en plus sporadiques après l’époque sévérienne. Les renseignements qu’elles fournissent sont nombreux mais inégaux selon qu’il s’agit d’inscriptions officielles, placées au-dessus de l’entrée d’un camp à l’occasion de sa construction, voire dans un bâtiment public (les principia le plus souvent), ou au contraire de monuments privés, funéraires ou votifs, situés en général hors du camp. On n’oubliera pas que ces derniers, surtout s’ils sont isolés, n’impliquent pas nécessairement la présence d’une garnison, car un soldat a pu venir mourir loin de ses cantonnements habituels. 7 Les régions où la pierre est rare (le Rhin inférieur notamment) sont évidemment défavorisées par rapport aux autres et la qualité variable de la conservation des sites, leur devenir après la période romaine, les remplois dans les remparts urbains de 17 l’Antiquité tardive expliquent l’inégalité de la documentation épigraphique lapidaire qui nous est parvenue. 8 Particulièrement riche est en revanche le corpus des tuiles estampillées, qui apparaissent vers le milieu du Ier s. de n.è. avec les premiers bâtiments militaires en pierre ; ces matériaux, produits dans les ateliers centraux des tuileries légionnaires, étaient, pour une partie des fournées, marqués à l’aide d’un cachet au timbre de l’unité : leur présence en grand nombre sur un site est révélatrice de l’identité et de la chronologie de sa garnison, leur répartition géographique significative de la sphère d’action de la troupe en question. Mais l’interprétation de ces documents n’est pas toujours simple : la découverte d’un exemplaire unique ne constitue pas forcément un indice probant de la présence d’un corps militaire car les tuiles voyagent, parfois très loin de leur lieu de production, s’achètent et se revendent, se remploient à plusieurs reprises, y compris dans l’habitat privé. L’armée construit au demeurant des édifices à usage civil (thermes, bâtiments publics), dans des agglomérations parfois éloignées de ses cantonnements, mais en utilisant des tuiles produites dans ses propres ateliers. On trouve ainsi des tuiles de la VIIIe légion, cantonnée à Strasbourg, jusque sur le Rhin inférieur (Reddé 1995c). Seule une observation attentive du contexte, lors de la fouille, permet éventuellement de comprendre le sens de leur présence sur un site. En outre, aucune unité légionnaire des Germanies n’a vu la publication exhaustive de ce type de matériel, de sorte que les recueils bien illustrés sont rares. La reproduction graphique des écritures, l’analyse physico-chimique des pâtes, qui peut indiquer l’origine des matériaux et la localisation des tuileries, devraient pourtant être systématiquement effectuées à l’occasion d’une découverte, tant les informations qu’on peut tirer de ce type de matériau sont importantes (Goguey & Reddé 1995). 9 Un mot doit être dit du rôle que jouent les diplômes militaires dans l’histoire des garnisons provinciales : ces documents officiels, délivrés depuis Claude à toutes les unités, légionnaires exceptés, sont la copie individuelle, sur diplôme de bronze, d’un acte juridique qui accorde à un groupe de soldats libérés différents avantages, en fonction de leur situation civique et de l’arme à laquelle ils appartiennent (flottes, corps auxiliaires, garnison de Rome). En déclinant les unités concernées, ils permettent de connaître, à un moment donné, la composition d’une armée (Mann 1983 ; Eck & Wolff 1986). Par rapport à d’autres régions, les Gaules et les Germanies ne sont toutefois pas des provinces particulièrement bien pourvues en ce domaine. Les fouilles 10 Les recherches archéologiques consacrées à l’étude des fortifications militaires de la Gaule et des Germanies romaines sont assurément fort anciennes et remontent, là comme ailleurs, à la tradition humaniste de la Renaissance puis à celle des antiquaires des XVIIIe et XIXe s. On en trouvera un excellent et copieux exposé dans le tome I du Manuel d’A. Grenier (p. 17-89). Nous ne referons pas ici cet historique, qui pourrait être fort long, mais nous souhaiterions souligner certains points essentiels pour l’histoire de la discipline. 11 L’état actuel de la recherche est en effet fort différent d’un pays à l’autre, et il est toujours fonction à la fois des traditions nationales et des structures mises en place. En Allemagne, où le nombre des fortifications militaires léguées par Rome est considérable, la recherche s’est très tôt focalisée sur ce thème, grâce à des initiatives 18 locales ou régionales d’abord, avec l’appui impérial après l’unification du Reich, en 1871. On trouvera plus loin un résumé de ce que furent les travaux de la Reichslimeskommission et on peut affirmer sans crainte que, la Grande-Bretagne exceptée, l’Allemagne compte aujourd’hui le plus grand nombre de sites militaires fouillés (plus de 200). Aux Pays-Bas ou en Suisse, la situation est assez comparable, nonobstant la taille plus réduite de ces deux états. En France ou en Belgique, pays de l’"arrière”, éloignés du limes, l’intérêt pour les frontières romaines est évidemment moindre, la tradition historiographique différente, et c’est assez récemment seulement que les (relativement) rares vestiges connus ont commencé à y être étudiés. 12 L’état actuel de la recherche n’est pourtant pas aussi favorable qu’on pourrait le penser. Si, pour nombre de non-spécialistes, la standardisation de l’architecture militaire du Principat laisse supposer une monotone répétition des mêmes formes et des mêmes installations, rendant superflue et ennuyeuse toute nouvelle fouille, la réalité est tout autre. D’abord parce que, à quelques rares exceptions près, il n’existe presque pas de fortification militaire exhaustivement fouillée : en est souvent responsable la taille de ces édifices, dont les plus grands dépassent les quarante hectares. L’histoire de la recherche, souvent ancienne, explique que nos connaissances soient parfois fort incertaines, même sur les sites apparemment les mieux connus, comme Neuss, d’autant que les publications, là comme ailleurs, n’ont pas toujours suivi... En outre, la tradition a voulu qu’on s’intéressât presque toujours aux remparts, aux portes, aux principia, aux thermes, beaucoup plus qu’aux baraquements, aux ateliers, aux écuries, aux latrines. Aujourd’hui, l’archéologie préventive apporte de nombreux éléments nouveaux mais souvent limités dans l’espace, faute de temps et de moyens, de sorte que le puzzle est rarement complet. 13 L’histoire de la discipline explique aussi les distorsions dont elle souffre : la fouille traditionnelle par tranchées, longtemps pratiquée, n’a pas toujours permis de dresser des plans fiables, la plupart du temps extrapolés à partir de sondages limités ; en outre, l’intérêt pour l’époque “florissante” du Principat n’a guère favorisé la connaissance des niveaux les plus récents, trop vite dégagés, et, jusqu’à une époque récente, les fortifications de l’Antiquité tardive ont été peu étudiées. C’est aussi depuis peu de temps qu’on s’intéresse à l’environnement civil des sites (en dehors d’exceptions précoces comme la Saalburg), depuis moins longtemps encore que l’intervention des naturalistes permet de mieux prendre en compte le milieu dans lequel ces fortifications militaires se sont installées, l’impact écologique de l’armée, l’évolution de la romanisation. D’une manière générale, le regard historique que les spécialistes portent aujourd’hui aux frontières romaines, aux interactions entre militaires, civils et “barbares” est en train de se modifier radicalement, rendant nécessaires de nouvelles approches et de nouveaux programmes. 14 Une étude sur l’architecture militaire des Gaules romaines suppose donc que soient collationnées des informations parfois hétéroclites, lacunaires et partielles, extraites de sites très différents et très inégalement connus. Il n’existe en effet aucun modèle archéologique tout fait, indéfiniment transposable, contrairement à ce que l’on croit souvent, malgré l’existence de règles générales que nous nous efforcerons de décliner dans cet ouvrage. L’évolution même de l’architecture militaire au cours des cinq siècles de cette histoire que nous entreprenons de raconter contredit de toute manière l’idée d’un canon immuable. 19 AUTEUR MICHEL REDDÉ École pratique des Hautes Études (Paris IV) 20 Chapitre 1. L’évolution du dispositif militaire romain en Gaule de la conquête aux grandes invasions Michel Reddé, Siegmar von Schnurbein, Rudolf Fellmann, Dietwulf Baatz, Raymond Brulet et Jürgen Oldenstein Repères chronologiques AVANT JÉSUS-CHRIST 125 Début de la conquête romaine dans le midi de la Gaule 113-102 Invasion des timbres et des Teutons 58-51 Guerre des Gaules 45-43 Fondation des colonies de Nyon, Lyon et de la colonia Raurica (future Augst) 17 ou 16 Défaite de Lollius 16-13 Conquête des Alpes 12 Début de l’offensive de Drusus en Germanie APRÈS JÉSUS-CHRIST 9 Défaite de Varus. Abandon des possessions romaines sur la rive droite du Rhin 21 14 Mort d’Auguste. Révolte des légions de Germanie. Avènement de Tibère. Campagnes de Germanicus en Germanie jusqu’en 16 21 Révolte de Florus et Sacrovir en Gaule 37 Avènement de Caligula 39 Campagnes de Caligula sur le Rhin 41 Avènement de Claude. Réorganisation des troupes sur le limes rhénan 43 Expédition de Claude en Bretagne 47 Campagnes de Corbulon en Germanie du Nord 50 Fondation de la colonia Claudia Ara Agrippinensium (Cologne) 54 Avènement de Néron 68 Révolte de Vindex en Gaule. Assassinat de Néron. Avènement de Galba 69 Avènement d’Othon. Révolte de Vitellius et de l’armée de Germanie. Troubles graves dans la Gaule du Nord-Est. Révolte des auxiliaires bataves, des Trévires, des Lingons. Avènement de Vespasien. Bataille de Crémone 70 Campagnes de pacification en Gaule du Nord-Est. Reconstruction générale des camps du Rhin. Réorganisation des garnisons 72 ?-74 Campagnes de Cn. Pinarius Cornélius Clemens. Conquête des Champs Décumates 79 Avènement de Titus 81 Avènement de Domitien 83-84 Campagnes contre les Chattes vers 85-86 ? Création des deux provinces de Germanie 88-89 Révolte de Saturninus en Germanie supérieure. Reprise en main de Domitien, réorganisation du dispositif militaire à partir de 90 Débuts de la construction du limes de Germanie supérieure 96 Avènement de Nerva 98 Avènement de Trajan. Réorganisation du dispositif militaire en Germanie Création de la colonia Ulpia Traiana (Xanten). Politique de municipalisation des à partir de 101 anciens territoires militaires de la rive droite, en Germanie supérieure. Construction et achèvement du limes 121 Avènement d’Hadrien. Voyage de l’empereur en Gaule. Transformations du limes 22 138 Avènement d’Antonin vers le milieu Nouvelles modifications du limes. Abandon progressif du limes de l’Odenwald et du du IIe s. Neckar, et déplacement vers l’est 161 Avènement de Marc-Aurèle et de Lucius Verus 180 Commode seul empereur 185 Troubles en Gaule. Révolte de Maternus sous Commode ? 193-194 Nouveau renforcement du limes ? Règnes de Pertinax, puis Didius lulianus, puis Pescennius Niger. Avènement de Septime Sévère 197 Bataille de Lyon. Victoire de Sévère contre Clodius Albinus 211 Caracalla seul empereur 213 Premières campagnes contre les Alamans 217 Avènement de Macrin 218 Avènement d’Élagabal 222 Avènement de Sévère Alexandre 233 Guerre contre les Alamans 235 Assassinat de Sévère Alexandre par les soldats à Mayence. Avènement de Maximin. Guerre contre les Alamans 238 Règnes de Gordien I et II, de Pupien et Balbin 238-244 Règne de Gordien III 244-249 Règne de Philippe l’Arabe 249-251 Règne de Trajan Dèce 251-253 Règnes de Trébonien Galle, Volusien puis Hostilien 253 Avènement de Valérien. Premières attaques des Francs en Germanie et des Alamans en Rétie 256 Victoires en Germanie, guerre contre les Alamans. Début des incursions des Frisons, Saxons et Francs sur les côtes de la Gaule 259-261 Incursions des Alamans. Abandon progressif des Champs Décumates 23 260 Valérien prisonnier des Parthes. Gallien seul empereur. Usurpation de Postume, début de l’Empire gaulois 268 Avènement de Claude II 269 Assassinat de Postume. Victoire de Claude II contre les Alamans sur le lac de Garde 270 Avènement d’Aurélien. Guerre contre les Alamans en Italie 271 Tétricus empereur en Gaule 274 Fin de l’Empire gaulois 275-276 Règne de Tacite. Grande invasion des Alamans en Gaule 276-282 Règne de Probus 282-284 Règnes de Carus, puis de Carin, puis de Numérien 284 Avènement de Dioclétien 285 Maximien nommé César 286-296 Usurpation de Carausius puis d’Allectus, dans le nord de la Gaule et en Bretagne 293 Instauration de la Tétrarchie 296 Reconquête de la Bretagne par le César Constance Chlore 305 Deuxième Tétrarchie. Avènement de Constance Chlore 307 Avènement de Constantin 311 Victoire de Constantin sur Maxence 324 Victoire de Constantin sur Licinius 337 Avènement de Constantin II, Constance II et Constant 341-343 Guerres de Constant contre les Francs et les Alamans 350-353 Usurpation de Magnence 351 Bataille de Mursa 352 Invasions des Alamans en Gaule 354-356 Campagne de Constance en Gaule. Révolte de Silvanus (355). Nouvelles invasions 355-361 Campagnes de Julien en Gaule. Proclamation de Julien à Lutèce (360) 364 Avènement de Valentinien Ier. Partage de l’Empire avec Valens 24 365 Invasion des Alamans 368 Prise de Mayence par les Alamans. Guerres jusqu’en 370 à partir de 370 Invasions franques et saxonnes 375 Avènement de Gratien et Valentinien II. Nouvelles invasions alémaniques 383-386 Usurpation de Maxime. Incursions franques 388 Pillage de Cologne par les Francs et les Saxons 393 Avènement d’Honorius 401-402 Une grande partie de l’armée de campagne, sous les ordres de Stilichon, quitte la Gaule du Nord 406-407 Grande invasion de Germains et d’Alains. Effondrement des défenses romaines sur le Rhin 1.1 L’occupation militaire de la Gaule avant l’offensive en Germanie 1 MICHEL REDDÉ 2 (Les sites faisant l’objet d’une notice en seconde partie apparaissent en gras dans le texte de la première partie) 3 Connus surtout par les textes, les événements militaires qui ont marqué la conquête de la Gaule transalpine n’ont laissé que peu de traces archéologiques. On sait d’ailleurs aujourd’hui que, contrairement au récit bien ordonné de l’historiographie traditionnelle, qui concevait la mainmise de Rome sur le midi de la Gaule comme une irruption brutale, en 125 av. J.-C., à la suite d’une requête de Marseille aux prises avec ses voisins indigènes, la pénétration italienne remonte en réalité au lendemain de la seconde guerre punique. Elle fut lente, progressive, économique et culturelle autant que militaire, et les campagnes menées par Rome de 125 à 118 constituent finalement moins un point de départ qu’un aboutissement (Ebel 1976 ; Goudineau 1978 ; Roman & Roman 1997). 4 L’archéologie révèle çà et là des traces d’une destruction violente, marquée par la présence d’armes romaines, notamment des traits d’artillerie, sur différents oppida du Midi, dans des couches datées du dernier quart du IIe s. : c’est le cas à Buffe-Arnaud, Entremont, Saint-Biaise, Baou de Saint-Marcel, Ollioules (Bérato et al. 1996 ; Garcia & Bernard 1995 ; Feugère 1994 ; Chabot & Feugère 1993). Ces armes constituent les seuls témoins des combats qui opposèrent l’armée romaine aux peuples gaulois lors de la phase militaire de la conquête. Des cantonnements légionnaires, aucune trace n’a été retrouvée, mais l’on sait qu’Aix-en-Provence, fondée par C. Sextius Calvinus en 124, fut l’une des bases de l’armée romaine (Tite-Live, Epit. 61), ainsi sans doute que Toulouse (Dion Cassius XXVII, 90). 25 5 La soixantaine d’années qui séparent la fondation provinciale (118) de la conquête césarienne connut d’assez nombreux événements militaires : on doit citer en premier lieu l’invasion des Cimbres et des Teutons (113-102), d’abord vainqueurs à Orange (105), mais finalement battus près d’Aix par Marius (102) qui creusa pour la circonstance un canal entre Fos et la mer, afin de ravitailler ses troupes (Plutarque, Marius 15) ; ensuite la révolte des Tectosages pendant ces années de troubles, puis celle des Salyens en 90 (Tite-Live, Ep. 73). Lors de la sécession de Sertorius, les Aquitains, les Arécomiques, les Voconces et les Allobroges prirent parti pour le rebelle ; il était à craindre alors qu’une insurrection générale n’éclatât. L’arrivée de Pompée changea le cours des choses et le jeune chef livra une série de batailles sanglantes (Cicéron, De imp. Cn. Pompei XI, 30), qui rendirent la Gaule au Sénat en 77 (Salluste, Hist. II, 98, 9). Ses victoires furent immortalisées par le trophée qu’il éleva au Perthus et qui vient d’être récemment identifié (Castellvi et al. 1995). Fonteius, qui lui succéda avec la brutalité que l’on sait, eut sans doute à achever la répression contre les Voconces et contre les Volques (Cicéron, Pro Fonteio 5, 10 et 2, 4). La dureté de la domination romaine provoqua de nouveau une révolte chez les Allobroges en 66 (Cicéron, Att. 1, 1, 2 ; 1, 13, 2) puis en 62-61 (Dion Cassius XXXVII, 47-48), soit trois ans seulement avant le début du proconsulat de César. Mais, sur tous ces épisodes militaires, l’archéologie reste encore aujourd’hui singulièrement muette. Notre connaissance sur les pratiques militaires romaines au dernier siècle de la République reste donc fondée essentiellement sur les textes, particulièrement le livre VI de Polybe, ainsi que sur l’exemple exceptionnel, mais largement sous-étudié, des retranchements de Scipion devant Numance (133 av. J.-C.). 6 La situation change avec la guerre des Gaules, même si le lieu où se déroula, en 58, le premier épisode du conflit –la bataille avec les Helvètes– n’a pu être localisé avec certitude à Montmort, au pied du Mont Beuvray, pas plus d’ailleurs que celui du combat contre Arioviste, quelque part dans le sud de l’Alsace. En revanche, l’histoire militaire de la seconde campagne (57) est désormais bien illustrée archéologiquement. César se trouvait en Cisalpine, ayant laissé Labienus et ses troupes hiberner chez les Séquanes, quand il apprit que tous les Belges, à l’exception des Rèmes, se coalisaient contre lui. Le proconsul lève alors de nouvelles troupes, marche contre ses adversaires et établit son camp au nord de l’Aisne, au lieu-dit Mauchamp, près de Berry-au-Bac, tandis que ses alliés éduens font diversion en attaquant les Bellovaques. Pendant ce temps, les Belges livrent un furieux assaut contre l’oppidum rème de Bibrax, situé à huit milles du camp romain. César y dépêche aussitôt des frondeurs baléares, des Numides et des archers crétois au secours de ses alliés rèmes. La découverte d’une monnaie d’Ebusus (Ibiza, Baléares) sur le site du Vieux Laon vient de permettre à B. Lambot, à la suite d’une démonstration brillante, de confirmer l’identification de cet oppidum avec le site de l’antique Bibrax (Lambot & Casagrande 1997). Devant ce renfort inattendu, les Belges coalisés lèvent le siège de Bibrax et se retournent contre les légions. La bataille se déroule alors devant Mauchamp, où César, appuyé à la rivière, résiste aux assauts de ses adversaires, qui sont finalement contraints de faire retraite (BG II, 8-1 1). Le camp mis au jour par les fouilles de Napoléon III avait été sérieusement contesté, en raison de la présence de clavicidae dont la chronologie était, jusqu’à une époque récente, considérée comme postérieure aux Flaviens (Lenoir 1977). L’existence, désormais bien attestée, de tels systèmes défensifs à Alésia vient contredire cette chronologie basse (Reddé 1995b) et faire du camp de Mauchamp le premier site militaire romain identifié en France. 26 7 L’archéologie ne nous apprend plus grand-chose entre cet épisode et les grands événements de l’année 52, de sorte que nous devons nous contenter de suivre le récit césarien : ainsi est-on encore tout à fait incapable, malgré des efforts aussi anciens qu’innombrables, de localiser avec précision le lieu du combat naval contre les Vénères, en 56, les champs de bataille de 55 en Germanie, ceux de 54 en Bretagne ou les hiberna de cette même année, au cœur de la Belgique. En 53, César continue de ravager les territoires des Belges et mène une seconde expédition de l’autre côté du Rhin, chez les Ubiens. 8 Les épisodes de l’année 52 constituent en revanche une aubaine pour l’historien, dans la mesure où ils fournissent un éclairage exceptionnel et pratiquement unique sur les pratiques de la castramétation et de la poliorcétique romaines au milieu du Ier s. av. n.è. Malgré les incertitudes qui ont parfois pesé –injustement– sur la rigueur des fouilles du second Empire, première entreprise archéologique de grande ampleur menée en France, les recherches les plus récentes montrent qu’il n’y a plus aucune raison de douter de l’identification ni de Gergovie ni d’ Alésia. La localisation d’Uxellodunum, dernière place forte de la résistance gauloise, en 51 av. J.-C., et que Napoléon III avait proposé de reconnaître au Puy d’Issolud (commune de Vayrac, Lot), semble désormais confirmée par des fouilles récentes (Girault 2001). En revanche, on abordera avec quelque réserve le dossier de Nointel (Oise), réputé constituer la base des opérations romaines contre les Bellovaques en 51 (BG VIII, 6). S’il est vrai que la montagne de Nointel et Catenoy, devant Clermont (Oise), contient de nombreux retranchements, sur une superficie de plus de 35 km2, la publication très sommaire qui en a été faite (Matherat 1943) ne permet pas de discriminer avec précision ce qui peut être romain de ce qui est probablement celtique, et la question mériterait assurément d’être reprise grâce à de nouvelles fouilles. Un cas très particulier, mais aussi très incertain, car sa chronologie précise n’est pas solidement établie, est offert désormais par le camp de Melun, sans doute une base logistique, située au bord de la Seine, et qu’on serait évidemment tenté de rattacher à la campagne de Labienus en 52 (BG VII, 58). Une datation sensiblement plus tardive, jusqu’au règne d’Auguste, est toutefois possible. 9 Le coup d’éclairage fort vif que constituent les ensembles militaires césariens ne dure pas. Sitôt achevée la guerre des Gaules, on retombe peu ou prou dans l’ignorance sur le cantonnement des légions. Certes, Hirtius (BG VIII, 54) nous apprend que le proconsul laissa derrière lui huit légions, quatre chez les Belges et quatre chez les Éduens (fig. 1). Mais cette situation n’a sans doute pas duré très longtemps, César, pour se lancer à l’assaut du pouvoir, ayant besoin du formidable instrument guerrier tout dévoué à sa personne qu’il avait forgé pendant la guerre des Gaules. Si des garnisons romaines ont assurément subsisté dans les années qui suivirent le passage du Rubicon, on ignore tout de leur localisation et de leur force. La situation, au demeurant, a pu changer avec le temps, les peuples gaulois, d’abord exsangues, n’ayant pas tous accepté sans révoltes une domination certes encore peu organisée administrativement, mais sans doute déjà lourde en raison du poids des impôts et des levées d’hommes nécessaires aux compétiteurs de l’Empire. Les différentes sources de l’annalistique romaine se font l’écho de ces soubresauts, pas toujours aisés à réprimer, et qui semblent se multiplier dans les années vingt, notamment sur les marches belges et germaniques : en 46, D. lunius Brutus Albinus est aux prises avec les Bellovaques (Tite-Live, Epit. 114 ; Appien II, 48). En 44-43, L. Munatius Plancus mena trois puis cinq légions contre les Rètes (CIL 1 2, p. 50 ; Cicéron, ad Fam. 8 et 10). Les années 39-37 voient le premier séjour d’Agrippa en 27 Gaule, une expédition contre les Aquitains et une nouvelle traversée du Rhin, avec le déplacement des Ubiens sur la rive gauche du fleuve (Strabon IV, 6, 11 ; Appien V, 75 et 92 ; Dion Cassius XLVIII, 49). Peut-être est-ce aussi alors que commença la construction du fameux réseau routier dit “d’Agrippa” (Strabon IV, 6, 11). En 30, C. Carrinas triumphauit ex Gallis, c’est-à-dire des Morins et des Suèves (CIL 1 2, p. 76 ; Dion Cassius LI, 21). L’année suivante, c’est le tour de M. Nonius Gallus de lutter contre les Trévires et diverses tribus germaniques (Dessau 895 ; Dion Cassius LI, 20). En 28 commencent les campagnes de M. Valerius Messala contre les Aquitains et les peuples du nord-ouest espagnol (CIL 1 2 p. 50, 77 ; Appien IV, 38). En 25, nouvelle expédition contre des Germains qui ne sont pas autrement précisés par Dion Cassius (LIII, 26). Enfin, après le second séjour d’Agrippa (19-17), c’est la fameuse clades Lolliana qui voit le légat Lollius vaincu en 17-16 avec ses légions dans une guerre outre Rhin par les Sicambres, les Usipètes et les Tenctères (Suétone, Auguste 23 ; Velleius Paterculus II, 97 ; Dion Cassius LIV, 20), prélude à la présence personnelle d’Auguste en Gaule, à la véritable structuration administrative de ce pays et à l’offensive de Drusus en 12. On n’oubliera pas non plus de mentionner, bien que les Alpes n’aient pas alors fait partie des Gaules, stricto sensu, les opérations contre les peuples montagnards restés libres et qui menaçaient les communications avec l’Italie. Ceux-ci furent réduits entre 16 et 13 grâce à une série de campagnes célébrées en 7-6 par l’érection du trophée de La Turbie, au-dessus de Monaco (Barruol 1975). On doit enfin rappeler, bien qu’il s’agisse d’un événement militaire relatif aux guerres civiles de Rome, le siège de Marseille par les troupes césariennes, en 49 av. J.-C., car cet événement, qui vit la ruine de la puissance phocéenne, eut des répercussions importantes sur la géographie politique et économique du midi de la Gaule. Si les fouilles de la Bourse ont mis au jour le rempart que durent affronter les soldats de Trebonius, c’est sur l’un des oppida de la région, à La Cloche, que les traces des combats sont les plus évidentes. Toute la région fut sans doute touchée durement par ces événements (Chabot & Feugère 1993). FIG. 1 L’implantation des légions en Gaule (d’après Metzler 1995, fig. 295). Cette carte reste largement hypothétique, faute d’information archéologique précise. Elle repose exclusivement sur des données textuelles. Les localisations sont donc indicatives et doivent être entendues au sens large. 10 Pendant toutes ces années qui précèdent l’offensive romaine en Germanie, où se trouvaient les légions ? La question a longtemps paru résolue depuis un article brillant d’E. Ritterling, écrit en 1906, et repris plus récemment par E.M. Wightman (Ritterling 1906 ; Wightman 1974). Le savant allemand avait en effet attiré l’attention sur la présence, le long des axes routiers, de sigillée italienne dans laquelle il voyait un produit de consommation typiquement militaire. Partant du texte célèbre dans lequel Strabon (IV, 6, 11) décrit le réseau d’Agrippa, E. Ritterling localisait l’armée des Gaules près des grands nœuds de communication, définis comme zones d’importance 28 stratégique : le pays lingon, celui des Rèmes, celui des Santons, la ville de Néris, dans l’Allier. C’est là qu’auraient été hébergées les six légions de la garnison des Gaules –trois pour la Narbonnaise et l’Aquitaine, trois pour la Lyonnaise et la Belgique. L’hypothèse a longtemps paru vraisemblable, car c’est dans ces régions que sont situés les rares vestiges militaires connus à l’intérieur du territoire français : Mirebeau, Arlaines, Aulnay-de-Saintonge, Néris, où des tuiles de la VIIIe légion laissaient supposer la présence d’un camp, Eysses (Lot-et-Garonne), où trois inscriptions funéraires (CIL XIII, 922-924) attestent la présence, au moins temporaire, de soldats de la cohors la Alpinorum et d’une cohors Classica. E.M. Wightman a largement repris à son compte ce schéma, se contentant d’y ajouter le témoignage des monnaies indigènes frappées sous Auguste, et considérées par elle comme un signe vraisemblable d’occupation militaire. 11 Cette belle construction, déjà critiquée par A. Grenier dans son Manuel, ne résiste plus à l’examen des faits archéologiques depuis que l’on a fouillé les différents sites militaires sur lesquels reposait partiellement le raisonnement d’E. Ritterling : Aulnay-deSaintonge et Arlaines ne semblent pas antérieurs aux années vingt ap. J.-C., Mirebeau est construit après la révolte de 68-70. Mais on vient de trouver dans cette commune un nouveau camp césaro-augustéen, à un autre emplacement que celui de la forteresse flavienne. Quant à Néris, il s’agit probablement d’une forgerie d’antiquaire. Le site d’Eysses a livré d’incontestables militaria, mais dans un contexte chronologique qu’on est tenté de dater des années 65-72. Nous sommes donc incapables de dresser une carte de l’occupation militaire romaine en Gaule avant le début de l’offensive de Drusus en Germanie et même de préciser l’importance du dispositif mis en place. L’archéologie révèle heureusement, depuis quelques années, quelques traces sporadiques du passage des armées (fig. 2). FIG. 2 Carte des sites militaires antérieurs à la conquête de la Germanie et archéologiquement connus ou repérés : 1 Liercourt-Hérondelle ; 2 La Chaussée‑Tirancourt ; 3 Vendeuil-Caply/Le Catelet ; 4 Folleville/ Le Blanc Mont ; 5 Arras/ La Corette ; 6 Melun ? 7 Faux-Vésigneul ; 8 Neuville-sur-Vanne ? 9 Estissac ? 10 Mirebeau ; 11 Petange/Titelberg ; 12 Trèves/Petrisberg ; 13 Bâle/cathédrale. dessin M. Reddé. 12 La création des trois colonies de Nyon (colonia Iulia Equestris), sur le lac de Genève (45 av. J.-C.), Augst (colonia Raurica), près de Bâle (44 av. J.-C.), et Lyon (43 av. J.-C.) répond peut-être à un schéma stratégique dessiné par César, qui avait nécessairement perçu l’importance de ces nœuds routiers pour la poursuite de la conquête. Ces colonies, 29 bastions avancés de la romanité dans la Gaule du Nord, ont en outre servi de bassin de recrutement aux corps auxiliaires de l’époque augustéenne (Kraft 1957). Bien qu’on n’ait pas aujourd’hui de traces d’une présence militaire assurée antérieure à la fondation coloniale, selon un modèle classique bien observé par les archéologues britanniques (Webster 1988), une telle hypothèse a pu recevoir quelque crédit de la présence, au centre de la ville antique de Lyon, de fossés qu’on croyait datés du milieu du Ier s. av. n.è. Actuellement, cette hypothèse ne semble plus crédible et on suppose plus volontiers un enclos laténien antérieur à la conquête (Goudineau 1989 ; Metzler 1995, 605 ; Maza 2003). De même, à Valence, deux systèmes de fossés militaires, orientés l’un selon le cadastre B, l’autre selon le cadastre A, ont été mis en évidence. Leur datation semble s’inscrire entre le milieu et la fin du Ier s. av. J.-C. (Allimant 1993). 13 En Picardie, les prospections aériennes de R. Agache ont révélé une série de sites fortifiés dont la date est malheureusement souvent incertaine, faute de fouilles. C’est vrai en particulier de la colline de Vendeuil-Caply (Oise), où a été découvert un véritable camp d’une douzaine d’hectares, avec un double fossé et une porte à titulum. R. Agache attribuait cette fortification aux légions de Crassus, pendant la campagne de 54, mais cette hypothèse n’a jamais été vérifiée (Agache 1978). À Folleville (Somme) apparaît un quadrilatère légèrement irrégulier (430 x 425 x 380 x 325 m) aux angles légèrement arrondis, avec une porte à titulum, là aussi non daté. On est sur un terrain beaucoup moins assuré avec le site des Câtelis, à Liercourt-Érondelle (Somme) ; la prospection aérienne a révélé un ensemble polygonal de 650 x 430 m, au pied du rempart de l’oppidum, où R. Agache a proposé de reconnaître un camp d’auxiliaires de la campagne de 54, les légions ayant elles-mêmes leurs cantonnements à l’intérieur de l’oppidum. Ces hypothèses sont mal assurées, mais les fouilles récentes de La ChausséeTirancourt, où a été mise au jour une fortification celtique réoccupée et réaménagée temporairement par des auxiliaires romains, sans doute dans les années 40-25 av. n.è., montrent que les cantonnements romains de cette époque ne répondent pas nécessairement à l’image canonique qu’on en a trop souvent. 14 Le même cas d’une garnison romaine sur un oppidum indigène peut être observé au Titelberg, chez les Trévires, où la présence de légionnaires dans la troisième décennie avant notre ère est assurée par la découverte de matériel militaire caractéristique (Metzler 1995). On est tenté de relier ce fait à l’épisode de la révolte trévire de 30-29, pour une fois bien attestée archéologiquement, puisqu’on a découvert sur le Petrisberg, à Trêves, la présence d’un matériel militaire romain associé à des monnaies de Carrinas, proconsul de Gaule en 30, et à des bois que la dendrochronologie permet de relier très précisément à cette révolte. La reprise récente des fouilles sur le Petrisberg tend à confirmer les premières découvertes de 1938 (Löhr 2003). Toutefois, au Titelberg, le stationnement des troupes romaines semble avoir largement dépassé la phase immédiate de répression de la révolte. J. Metzler y voit la marque d’une politique qui aurait cherché à contrôler les oppida indigènes du nord et du nord-est de la Gaule, tout particulièrement le long des axes majeurs du réseau routier d’Agrippa (Metzler 1995). Cette hypothèse est tout à fait séduisante, mais demanderait à être strictement contrôlée par des fouilles nombreuses, car le matériel sur laquelle elle repose reste pour l’instant très sporadique. De ce point de vue, l’examen attentif des couches profondes de sites comme Metz ou Reims devrait fournir des renseignements précieux. De même doit-on se poser la question de l’origine militaire de fritures villes “neuves” comme Amiens, carroyée selon un module basé sur le pes Drusianus (Bayard 30 & Massy 1983), ou Arras, à la sortie de laquelle on a récemment mis au jour un petit poste fortifié (Arras/La Corette). Il ne s’agit pour l’instant que d’hypothèses de travail, qui devront être confirmées par des fouilles nouvelles. On ne connaît donc guère aujourd’hui la position des légions à l’intérieur de la Gaule dans les années qui précèdent la conquête de Drusus. Vraisemblablement n’y a-t-il alors aucune garnison sur le Rhin supérieur, à l’exception notable de Bâle, où les fouilles sous la cathédrale ont révélé une présence militaire qu’A. Furger-Gunti date de 15 av. n.è., ce qui est déjà l’horizon de Dangstetten (Furger-Gunti 1979). 15 Enfin, en Champagne, le camp de Faux-Vésigneul, récemment découvert par photographie aérienne pourrait être césarien ou, au plus tard, proto-augustéen. Pour Estissac et Neuville, on ne sait encore rien de précis. Reste enfin la très curieuse base logistique de Melun, qu’on aimerait rattacher aux campagnes de Labienus en 52 av. J.C., mais aucune preuve ne permet pour l’instant d’étayer cette hypothèse. 16 En marge de cette histoire écrite en pointillé, il convient aussi de rappeler la présence, en Gaule, de la flotte romaine à Fréjus, constituée dès le lendemain d’Actium avec les bateaux et les équipages d’Antoine (Tacite, Annales IV, 5). Des fouilles de sauvetage, malheureusement encore inédites, y ont révélé ce qui semble être une partie des casernements des marins (Goudineau 1982). 17 Au moment où Drusus franchit le Rhin pour entreprendre la conquête de la Germanie, l’instrument militaire dont il dispose a été profondément restructuré par Auguste (Le Bohec 1989). Quoiqu’héritière directe de l’exercitus républicain, de ses traditions, de ses pratiques, l’armée impériale a perdu son caractère civique traditionnel, déjà mis à mal par les guerres civiles : elle est désormais composée de volontaires qui s’engagent pour vingt ans dans les légions. Ces soldats sont des citoyens, Italiens dans leur très grande majorité, mais on verra progressivement, dès le milieu du Ier s., entrer des provinciaux qui, avec le temps, deviendront majoritaires (Forni 1974 ; Mann 1983). À côté de ces unités, qui constituent le cœur traditionnel de la puissance militaire romaine, et dont chacune comprend environ 5 000/6 000 hommes, d’assez nombreux corps auxiliaires viennent appuyer et assister les légions, qu’ils accompagnent dans cette première phase de la conquête. Plus réduits en taille –environ 500 hommes au début de l’Empire–, ces auxilia comprennent des fantassins (cohortes) et des cavaliers (ailes), recrutés le plus souvent parmi les pérégrins, c’est-à-dire les provinciaux non citoyens. À l’époque augustéenne, nombreux sont les Gaulois, particulièrement ceux de la Narbonnaise (Tassaux & Tassaux 1996), qui s’engagent pour vingt-cinq ans, avec l’espoir d’obtenir la citoyenneté, pour eux et leurs enfants, à l’issue de leur service. Dans bien des cas, à cette époque, les unités de cavalerie, dont plusieurs sont recrutées dans le nord de la Gaule, restent sous commandement de leurs chefs traditionnels, parfois dans le cadre de traités d’alliance avec Rome (Roymans 1996). C’est la raison pour laquelle, à l’époque augusto-tibérienne en particulier, on retrouve, notamment chez les Trévires ou chez les Bituriges, de nombreuses tombes d’officiers indigènes, richement ornées d’armes romaines (Feugère 1996). La marine, restructurée par Agrippa et Auguste, constitue l’un des vecteurs majeurs de la conquête de la Germanie, puisque le Rhin, mais aussi ses affluents droits et la mer du Nord, offrent autant de voies d’eau importantes pour le transport des troupes, l’acheminement du matériel et la pénétration stratégique à l’intérieur du territoire germanique (Reddé 1986). 31 1.2 De la conquête augustéenne à la fin du règne de Tibère 18 SIEGMAR VON SCHNURBEIN 19 La documentation écrite relate de manière très irrégulière les entreprises militaires en Gaule et en Germanie sous Auguste et Tibère, c’est-à-dire entre 16 av. J.-C. (clades Lolliana) et la mort de Tibère, en 37 ap. J.-C. Si nous disposons de bonnes informations jusqu’à la mort de Drusus, en 9 av. J.-C., des lacunes sensibles apparaissent ensuite jusqu’à la défaite de Varus, en 9 ap. J.-C., puis, de nouveau, après la fin des guerres germaniques, à partir de 16 ap. J.-C., jusqu’à la mort de Tibère. De plus, à cette époque, les inscriptions gravées ou les estampilles sur tuiles n’étaient pas chose courante, et la mode des stèles funéraires ne se répandit que peu à peu chez les soldats. Dans ces conditions, on est très loin de pouvoir étudier le développement de l’histoire militaire et de l’organisation des troupes avec autant de détail que pour la période suivante. On a longtemps considéré que la défaite de Lollius face aux Sicambres, en 16 av. J.-C., expliquait aussi bien le déplacement progressif des légions depuis la Gaule intérieure vers les rives du Rhin que les campagnes menées en Germanie jusqu’à l’Elbe, à partir de 12 av. J.-C. On voulait au demeurant y voir une grande planification stratégique portant sur de vastes territoires (Mommsen 1904 ; Wells 1972). Mais c’est une autre conception qui s’impose aujourd’hui : les opérations militaires ne furent pas le fruit d’une stratégie planifiée, mais d’un processus incontrôlé dont le premier objectif avait été de garantir la possession de la Gaule (Timpe 1975 ; Lehmann 1989). 20 Les troupes stationnées dans les trois Gaules et en Germanie ont d’abord été, jusqu’au règne de Tibère, sous commandement commun d’un legatus Augusti propraetore. C’est seulement quand était présent un membre de la famille impériale, Agrippa en 19 av. J.C., Drusus de 13 à 9, Tibère de 8 à 7 av. J.-C., puis de 4 à 6 ap. J.-C. et de nouveau de 10 à 12, Germanicus entre 13 et 16, que ces hauts personnages prenaient le pas sur les légats avec le titre de proconsul. Les Gaules et la Germanie étaient ainsi unifiées sous un commandement général, avec une administration commune. Toutefois, dès le règne d’Auguste, les districts militaires commencent à être distingués : au moment de la catastrophe de 9 ap. J.-C. sont évoqués des inferiora hiberna où, pour protéger la frontière du Rhin, L. Asprenas conduit deux des légions qui n’ont pas pris part à la désastreuse expédition de Varus (Velleius Paterculus II, 120, 3). On admet généralement que ces unités ont été déplacées de Mayence, qui sera plus tard la capitale et la principale garnison de Germanie supérieure, et envoyées dans la région de Cologne et de Xanten (Vetera). La division entre Germanie supérieure et Germanie inférieure semble donc effective bien avant la création provinciale officielle qui n’interviendra que sous Domitien. 21 À bien considérer le spectre du matériel céramique, la plus ancienne base militaire de Rome se situait sur le Rhin, près de Novaesium (Neuss) [fig. 3]. Pour des motifs historiques, on fait remonter son début aux années 16-15 av. J.-C. Nimègue/Hunerberg est sans doute aussi ancien. Dans le bassin du Rhin supérieur, Dangstetten est généralement mis en relation avec la conquête des Alpes et, très récemment, on s’est demandé s’il s’agissait là d’une base destinée à préparer l’offensive ou si, au contraire, conformément à l’interprétation traditionnelle, l’installation militaire romaine dans 32 cette région avait suivi l’occupation du massif alpin (Roth-Rubi 2001, avec les réserves de Fischer 2005). FIG. 3 Carte des sites militaires de l’époque augusto-tibérienne mentionnés dans le texte : 1 Velsen ; 2 Bunnik/Vechten ; 3 Arnhem/Meinerswijk ; 4 Nijmegen ; 5 Kalkar/Altkalkar ; 6 Xanten ; 7 Holsterhausen ; 8 Haltern ; 9 Oberaden, Beckinghausen ; 10 Anreppen ; 11 Moers/Asberg ; 12 Neuss ; 13 Köln/Alteburg ; 14 Bonn ; 15 Andernach ; 16 Urmitz ; 17 Koblenz ; 18 Bingen ; 19 Mainz, Mainz/ Weisenau ; 20 Höchst ; 21 Friedberg ; 22 Rödgen ; 23 Lahnau/Waldgirmes, Dorlar ; 24 Marktbreit ; 25 Worms ; 26 Speyer ; 27 Strasbourg ; 28 Oedenburg ; 29 Bâle ; 30 Augst ; 31 Windisch ; 32 Dangstetten ; 33 Zurzach ; 34 Aulnay-de-Saintonge/Le Rocherou ; 35 Ressons-le-Long/Arlaines 36 Hedemünden. dessin M. Reddé. 22 Du point de vue stratégique, Novaesium constitue l’extrémité de la route menant de la Gaule centrale au Rhin inférieur en passant par la Moselle. Sa conception repose certainement sur les plans d’Agrippa (Strabon IV, 6, 11). Nimègue, située sur un bras latéral du Rhin (le Waal), constitue l’extrémité du parcours menant de la Gaule à la zone du Rhin inférieur, le long de la Meuse. Jusqu’au début des campagnes menées sur la rive droite, à partir de 12 av. J.-C. (Dion Cassius LIV, 32), on édifia d’autres points d’appui le long du Rhin. La sigillée, notamment, atteste la présence de ce type d’installation à Nimègue, Xanten, Moers/Asberg, Bonn et Mayence, mais aussi à Bâle et Windisch. Il faut toujours se rappeler, néanmoins, que ces datations sont établies avec une incertitude de quelques années. Par leur taille, ce sont Nimègue, Vetera et Mayence qui se détachent ; ceci indique que de grandes concentrations de troupes ont certainement stationné ici dans les années qui précédèrent 9 av. J.-C., date à laquelle elles progressèrent sous la direction de Drusus le long de la côte de la mer du Nord, mais aussi, par l’intérieur des terres, vers la Weser, puis vers l’Elbe. Entre le Rhin et l’Ijsselmeer, Drusus a en outre fait creuser un canal pour sa flotte ; celui-ci fut de nouveau emprunté en 16 ap. J.-C., par Germanicus (Tacite, Annales II, 8). D’une manière générale, on soulignera l’importance prise par la marine dans cette première phase de 33 la présence romaine en Germanie, où la voie d’eau servait à transporter hommes et ravitaillement, mais aussi ses dangers, puisque, à plusieurs reprises, les expéditions navales en mer du Nord tournèrent au désastre. 23 Alors qu’on ne connaît pas la structure interne de ces camps installés sous Drusus le long de la rive gauche du Rhin, hormis à Nimègue (Hunerberg et Kops Plateau), les camps érigés sur la rive droite, Oberaden et Rödgen, présentent des plans distincts de bâtiments en bois parfois monumentaux, inspirés des bâtiments de pierre méditerranéens ; dans le camp de Dangstetten, sur le Rhin supérieur, qui date de la même époque et où certains détachements de la XIXe légion ont été stationnés, les structures sont préservées d’une manière moins claire. La fondation du camp d’Oberaden (fig. 4) est datée, par dendrochronologie, à l’automne de l’an 11 av. J.-C., et c’est pourquoi on peut y reconnaître le point d’appui érigé, à ce moment précis, par Drusus au confluent de la Lippe et de l’Elison (Dion Cassius LIV, 33, 4) ; en revanche, le castellum construit à la même époque par Drusus, “proche du Rhin, dans le territoire des Chattes”, n’a pas encore été découvert. Par ailleurs, on ne connaît pas encore les camps d’étape de l’armée de Drusus, dont on peut supposer qu’ils s’étendaient jusqu’à l’Elbe, ni le praesidium in monte Tauno que celle-ci avait aménagé (Tacite, Annales I, 56, 1). On a pourtant découvert récemment une station de cette période à Hedemünden (fig. 3 n° 36 ; Grote 2005). Alors qu’Oberaden était une étape importante pour les troupes, Rödgen, avec ses trois gigantesques horrea, peut être considéré comme une base logistique. Les trois camps de l’époque de Drusus édifiés sur la rive droite du Rhin, Oberaden, Rödgen et Dangstetten, ont été évacués peu après sa mort (9 av. J.-C.). Selon Florus (II, 30, 26), Drusus aurait édifié des points d’appui (praesidia atque custodias) le long de la Meuse, de la Weser et de l’Elbe. Sur la Meuse et la Moselle, cela survint peutêtre dès les préparatifs des campagnes en Germanie, puisque des places fortes comme Nimègue et Neuss devaient être approvisionnées depuis la Gaule. Le plus ancien pont sur la Moselle, à Trêves, a de fait été construit dès 18-17 av. J.-G. (Hollstein 1980). L’allusion de Florus aux grands fleuves montre quel rôle majeur ceux-ci jouaient comme délimitations géographiques et voies de transport. Lorsque les troupes furent transférées le long du Rhin, on aménagea peu à peu d’autres routes – par exemple celle qui menait d’Amiens ou de Boulogne vers le Rhin, en passant par Bavay, Liberchies et Tongres. On a retrouvé sur ces sites du matériel augustéen. Tongres était alors manifestement un carrefour particulièrement important. Si l’on en croit des études récentes, ce n’était cependant pas un point d’appui militaire, mais un lieu construit par l’armée et servant d’abord des objectifs militaires (Vanderhoeven 1996). On a fait des constatations analogues lors des fouilles de Waldgirmes et l’on rend certainement mieux compte de la situation générale si l’on ne tente pas, pour cette époque, en Gaule du Nord et en Germanie, de séparer systématiquement militaires et points d’appui civils. C’est seulement lorsque l’armée permanente de Rome fut définitivement établie, après Auguste, que cette dissociation fut opérée de manière systématique et que l’on créa, surtout dans les régions occidentales de l’Empire, des camps militaires spécifiques et durables. Dans les premiers temps, il n’existait pas encore de surveillance dense et linéaire des frontières, comme le furent plus tard les limites. On trouvait plutôt, assez souvent, de grandes concentrations de légions et de corps auxiliaires. 34 FIG. 4 Carte des sites militaires de la Lippe. dessin J.-S. Kühlborn. 24 Tibère a manifestement réorganisé entièrement l’armée de Germanie après l’évacuation d’Oberaden, Rödgen et Dangstetten ; mais on ne sait toujours pas où les troupes ont été transférées. Un lingot de plomb de la légion XIX, à Haltern, pourrait être un indice du fait que certaines parties de la légion venaient de Dangstetten ; la date précise n’est pas connue. A partir de 8 av. J.-C., on manque d’informations écrites sur la suite de l’évolution militaire. Domitius Ahenobarbus a de nouveau atteint l’Elbe, à une date située entre 6 av. J.-C. et 1 ap. J.-C., et y a érigé un autel (Dion Cassius LV, 10a ; Tacite, Annales IV, 44, 2). En l’an 1 ap. J.-C., quelque part en Germanie, un immensum bellum faisait rage (Velleius Paterculus II, 104, 2) ; seul Tibère, rappelé au pouvoir, put mettre un terme à ce conflit par une victoire obtenue en l’an 4-5 ap. J.-C. (Velleius Paterculus II, 106, 1). Tibère laissa son armée passer en Germanie l’hiver 4-5 ap. J.-C. (Velleius Paterculus II, 105, 3) avant de marcher de nouveau jusqu’à l’Elbe. Beaucoup d’éléments laissent penser que le camp d’Anreppen a été installé dans ce contexte. Mais on continue de manquer, à l’est et au nord, d’indications concrètes sur les camps de marche de l’armée. 25 L’étape suivante de la conquête de la Germanie débuta en 6 ap. J.-C., avec la tentative de vaincre le royaume des Marcomans de Marbod, dans la Bohème actuelle (Velleius Paterculus II, 109, 5). On attribue aux préparatifs de cette entreprise la création du grand camp près de Marktbreit, sur le Main, bien que l’on n’y ait découvert que très peu d’objets permettant une datation. La campagne a cependant dû être interrompue peu après son début, à la suite de l’insurrection en Pannonie (6-9) [Velleius Paterculus II, 110, 1-2]. Pendant ces années, P. Quinctilius Varus séjourna en Germanie, jusqu’à l’an 9, où il fut battu avec trois légions (XVII, XVIII, XIX) et de nombreux corps auxiliaires, au Saltus Teutoburgiensis, par les Germains d’Arminius (Hermann). Les découvertes effectuées près de Kalkriese, le point le plus septentrional du Wiehengebirg, où l’on a retrouvé sur environ 10 km de longueur, au pied de la montagne, un grand nombre d’objets romains de l’époque augustéenne dispersés dans le sol, incitent fortement à situer ici le champ de bataille (Schlüter & Wiegels 1999). Les camps mentionnés à propos de la bataille (Tacite, Annales I, 61,2 ; Dion Cassius LVI, 21) n’ont pas encore été découverts. Il ne fait aucun doute qu’à l’époque des campagnes d’Auguste, et spécialement de celles de Tibère, dans les années 4-6 ap. J.-C., on a installé dans le bassin de la Weser et de l’Elbe de nombreux camps de marche et aussi, peut- 35 être, quelques camps occupés un peu plus longtemps. Mais nous ne les connaissons pas encore. 26 Haltern, sur la Lippe, avec ses installations complexes, tient une place essentielle dans la recherche, pour la période qui a suivi la mort de Drusus ; particulièrement importants sont les bâtiments en bordure de la rivière (installations portuaires), le “camp principal” (Hauptlager), une nécropole et un camp d’étape polygonal. Alors que la fondation de ces installations, qui furent parfois érigées en plusieurs phases, fait l’objet d’un débat, les uns la situant au plus tôt entre 7 et 5 av. J.-C. (Schnurbein 1981), les autres au tournant de notre ère (lors de l’immensum bellum ? [Kühlborn 1995]), il ne fait guère de doute qu’elle s’est achevée en 9 ap. J.‑C. A la même époque, on trouvait le grand point d’appui d’Anreppen, vraisemblablement aménagé par Tibère lors de son séjour en 4-5 ap. J.-C. On connaît d’autres points d’appui sur la rive droite du Rhin dans les environs de Mayence, mais on ne sait rien de précis sur leur caractère et leur structure : Wiesbaden (utilisation des sources thermales ?), Höchst et Bad Nauheim (Schönberger 1985). La seule exception est Lahnau/Waldgirmes, fondé dès 4 ou 3 av. J.-C. (fouilles 2005). Le poste n’était visiblement pas conçu comme un camp militaire : c’était avant tout un centre civil, qui ne rappelle les installations militaires que par son double fossé et son mur en bois et en terre (Becker 1999 ; Schnurbein 2003). 27 Le long de la rive gauche du Rhin, on a trouvé des objets plus ou moins nombreux de l’“horizon de Haltern” à Bunnik/Vechten, Nimègue, Vetera, Moers/Asberg, Neuss, Cologne, Bonn, Andernach, Mayence, Worms, Speyer, Strasbourg, Bâle et Augst, si bien que l’on a pu reconstituer partout, ici, des points d’appui militaires. Mais ceux-ci ne sont attestés ou du moins vraisemblables que pour Nimègue, Vetera, Neuss, Cologne (Tacite, Annales I, 37, pour l’an 14 ap. J.-C.), Bonn, Mayence, Strasbourg et Bâle, car les objets que l’on y trouve ne suffisent pas ; seul Nimègue offre des structures de bâtiments interprétables sur le Hunerberg et le Kops Plateau. 28 Le repli complet de l’armée romaine sur la ligne du Rhin après la défaite de Varus peut être inféré de Dion Cassius (XXII, 2a). Le site d’Aliso souvent recherché (Velleius Paterculus II, 120, 4 ; Zonaras X, 37 ; Dion Cassius LVI, 22, 2a), le seul censé avoir résisté un certain temps encore et qui aurait été de nouveau occupé par des troupes romaines en 15-16 ap. J.-C., n’a pas encore été localisé (Schnurbein 1981). 29 À l’exception de Velsen 1, aucun camp militaire n’a pu être attribué aux “campagnes de représailles” lancées par Tibère dès 10 ap. J.-C. et aux grandes opérations de Germanicus sur la rive droite du Rhin, dans les années 14-16. Les pontes longi de Domitius Ahenobarbus (Tacite, Annales I, 63, 3), les munitiones et aggeres (Tacite, Annales II, 7) que Tacite mentionne à propos des menées de Germanicus en Germanie, ainsi que le castellum (...) in monte Tauno que Germanicus a fait édifier sur les restes du praesidium aménagé par Drusus (Tacite, Annales I, 56, 1) ne sont pas localisés. Friedberg (Hesse) et Bentumersiel, près de l’embouchure de l’Ems dans la mer du Nord, sont, à ce jour, les seuls lieux où l’on ait recensé de la céramique datant du début du règne de Tibère. Les bâtiments de bois monumentaux (principia, praetorium, bâtiments d’habitation) de Novaesium (Neuss) jouent ici un rôle particulièrement important. La recherche les situait jusqu’à une date récente à l’été 14 ap. J.-C., au moment où, après la mort d’Auguste, quatre légions (I, V, XX et XXI) s’étaient provisoirement regroupées en camp d’été quelque part sur le territoire des Ubiens (Tacite, Annales XXXI, 3). Une révision a montré que cette assignation ne pouvait être étayée archéologiquement par des objets datables ; elle demeure donc hypothétique. 36 30 Sous Tibère, la chaîne des points d’appui situés le long du Rhin devient plus dense. Elle commence avec l’installation portuaire de Velsen 1, près de l’embouchure du Vieux Rhin, dans la mer du Nord. En remontant le fleuve, on trouve Arnhem/Meinerswijk, Nimègue/Traianusplein et Kops Plateau, Kalkar/Altkalkar, Vetera, Moers/Asberg, Neuss, Cologne, qui offre aussi un camp pour la flotte (Cologne/ Alteburg), Bonn, Andernach, Urmitz, Coblence, Bingen, Mayence, Worms, Speyer, Strasbourg, Biesheim/Oedenburg, Augst et Zurzach, ainsi que le grand camp de Vindonissa (Schônberger 1985), situé au sud du Rhin supérieur. Certaines de ces places ne sont chronologiquement attestées que par des objets qui y ont été découverts, sans qu’on ait pu prouver l’existence d’un camp ou d’un fortin. L’articulation chronologique fine des étapes de la construction de cette frontière le long du Rhin est, elle aussi, impossible. On a par exemple proposé de dater la fondation de ce qu’on appelle le “camp de terre” de Hofheim (Hofheim I) non pas de 39-40 ap. J.-C., mais dès les années vingt (Pferdehirt 1986). 31 Dans la Gaule intérieure, c’est le camp d’Aulnay, près de Saintes, qui attire l’attention. Les monnaies et la céramique le font remonter à la deuxième ou à la troisième décennie après J.-C., raison pour laquelle on suppose qu’il a été construit dans le contexte de l’insurrection de Sacrovir, en 21. Comme la garnison de la capitale provinciale, Lugdunum, n’était pas en mesure de réprimer seule cette révolte suscitée par la pression fiscale, des légions venues de Germanie durent intervenir (Tacite, Annales III, 40 sq.). Le camp d’Arlaines, situé au nord de la Gaule, joua vraisemblablement un rôle, lui aussi, dans cet épisode. 32 La réorganisation augustéenne de l’armée et l’installation des unités dans des cantonnements durables impliquent des structures en conséquence. Celles-ci suivent la disposition traditionnelle des camps de marche, mais supposent une architecture nouvelle. On observe, en particulier, que les logements des officiers supérieurs adoptent le plan des maisons privées méditerranéennes, alors que les principia s’inspirent de celui des fora. Cette conception unitaire et standardisée des bâtiments militaires explique que les troupes aient pu, sans difficulté, être transférées d’un poste dans un autre. 33 À l’époque d’Auguste et de Tibère, on ne peut pas encore observer la répartition, typique par la suite, des sites militaires en camps de légions et castella auxiliaires : ces derniers étaient apparemment toujours stationnés en même temps que des légions ou leurs vexillations. À côté de très grands camps, comme Nimègue/Hunerberg (42 ha), Oberaden (56 ha), Mayence (36 ha) et Marktbreit (37 ha), qui accueillaient le personnel d’au moins deux légions avec, sans doute, des corps auxiliaires, les camps principaux de Haltern (16,7 puis 18 ha) et de Dangstetten (14 ha) offraient trop peu de place pour une légion entière ; on a en outre trouvé dans ces deux derniers camps des objets qui attestent la présence de troupes auxiliaires. Les sites de Haltern et de Dangstetten prouvent ainsi que la légion concernée, en l’espèce la XIX e, de manière certaine à Dangstetten, vraisemblable à Haltern, n’y était pas stationnée au complet, mais qu’une assez grande vexillation occupait un autre site. Cela explique que l’on hésite à donner le nom de camp auxiliaire à de petits fortins, comme Nimègue/ Traianusplein (2 ha) et Moers/Asberg (1,6-1,8 ha). L’installation singulière que l’on trouve sur le Kops Plateau paraît de toute façon constituer un cas particulier, avec son très grand bâtiment d’habitation (praetorium ?). 37 34 Tous les bâtiments des camps, à l’époque d’Auguste et de Tibère, en Gaule et en Germanie, sont réalisés en colombages de bois et pisé. Les toits étaient recouverts de bardeaux ou de paille. Le long du Rhin, à cette époque, on trouve les premiers exemples d’architecture en pierre, aux environs de Mayence avec le cénotaphe de Drusus et l’arc de triomphe de Mayence/Kastel (Frenz 1991) et à Cologne avec ce que l’on a appelé la tour du port, dont les fondations de bois sont datées, par dendrochronologie, de l’an 4 de n.è. (Hollstein 1980). Le forum aux fondations en pierre que l’on vient de découvrir à Lahnau/Waldgirmes (Becker & Köhler 2001 ; Schnurbein 2003) a sans doute été édifié vers le changement d’ère ; il est donc antérieur à 9 av. J.-C. Il indique peut-être qu’à cette époque on construisait volontairement les bâtiments militaires en bois, sans chercher à leur garantir une longue existence, parce que la situation militaire globale le long de la frontière septentrionale, sur le Rhin et le Danube, exigeait beaucoup de souplesse. Mais il faut aussi garder à l’esprit le fait que l’armée permanente du temps de paix ne s’est développée progressivement que sous Auguste et Tibère. En raison de sa grande flexibilité et d’une standardisation qui n’était pas encore arrivée à son terme, on ne cesse de relever, au début de l’époque impériale, des différences sensibles dans la conception du plan des camps et des bâtiments réservés aux grands officiers. 1.3 L’époque de Claude et de Néron 35 RUDOLF FELLMANN 36 Outre un petit nombre d’informations qui peuvent être puisées dans les Annales de Tacite, ce sont surtout des témoignages épigraphiques et archéologiques qui nous renseignent sur la période considérée ici (fig. 5). 38 FIG. 5 Carte des sites militaires de l’époque de Claude et de Néron, mentionnés dans le texte : 1 Velsen ; 2 Valkenburg aan de Rijn ; 3 Alphen aan den Rijn/ Zwammerdam ; 4 Utrecht ; 5 Bunnik/ Vechten ; 6 Arnhem/ Meinerswijk ; 7 Cuijk ; 8 Altkalkar ; 9 Xanten ; 10 Moers/Asberg ; 11 Neuss ; 12 Köln/ Alteburg ; 13 Bonn ; 14 Andernach ; 15 Urmitz ; 16 Koblenz ; 17 Bingen ; 18 Mainz, Mainz/Weisenau ; 19 Wiesbaden ; 20 Hofheim ; 21 Worms ; 22 Rheingönheim ; 23 Speyer ; 24 Strasbourg ; 25 Sasbach ; 26 Riegel ; 27 Biesheim, Kunheim/Oedenburg ; 28 Kembs ; 29 Augst ; 30 Windisch ; 31 Ressons-leLong/Arlaines. dessin M. Reddé. 37 Après les campagnes de Corbulon, qui avaient permis de pacifier les Frisons (Tacite, Annales XI, 19) et au cours desquelles le général romain, comme Drusus avant lui, creusa un canal (fossa Corbulonis) pour relier le Rhin à la Meuse et éviter les incertitudes de l’océan (Tacite, Annales XI, 20), Claude décida en 47 ap. J.-C. le repli sur la rive droite, et fit du Rhin, en Germanie inférieure, la frontière définitive de l’Empire (Schönberger 1985, 246). Le camp de Cologne fut abandonné au profit de Bonn et de Neuss et l’empereur fonda à sa place la colonia Claudia Ara Agrippinensium, en 50 (Tacite, Annales XII, 27). En avant de Mayence, on construisit sur la rive droite le castellum de Hofheim (Ritterling 1913) et l’on s’efforça manifestement, au cours des années et des décennies suivantes, de relier étroitement les positions tenues le long du Rhin moyen et supérieur avec celles qui se trouvaient le long du Danube (Schonberger 1985 ; Asskamp 1989 ; 1990). 38 Pour les territoires situés le long du Rhin, depuis l’embouchure du Main vers le sud, et notamment pour la zone rhénane qui se trouve à l’ouest de la Forêt Noire, la période de Claude et de Néron, jusqu’à la mort de celui-ci, “l’année des quatre empereurs” qui la suivit, puis la prise du pouvoir par la dynastie flavienne, virent le début de la mainmise romaine sur les territoires situés au-delà du Rhin. Tibère avait ordonné de replier les troupes sur la ligne du fleuve (Tacite, Annales II, 26). Mais au cours des dernières années de son règne, et surtout sous ses successeurs –Caligula de 37 à 41 ap. J.-C., puis Claude 39 de 41 à 54 ap. J.-C., et enfin Néron de 54 à 68 ap. J.-C.–, on commença peu à peu à prendre pied sur la rive droite du Rhin, qui, dans ce secteur, avait toujours été considérée comme relevant de la sphère d’influence romaine. La construction des fortins le long du Danube ne fut cependant achevée qu’autour de 50 ap. J.-C. Elle dura ainsi entre 20 et 30 ans. Cela peut tenir, entre autres, au fait que les soldats de la legio XIII, stationnés dans le camp de Vindonissa (et peut-être aussi, partiellement, à Augsburg) avaient certes une responsabilité décisive dans les constructions de ce secteur, mais participaient aussi à des opérations lointaines – insurrection de Sacrovir en 21 ap. J.-C., campagnes de Caligula sur le Rhin moyen entre 39 et 41 ap. J.-C. (Kemkes 1998). 39 Le couronnement de l’empereur Claude entraîna en tout cas une modification profonde dans la disposition des troupes. Les travaux préparatoires de la campagne que Claude prévoyait de mener contre les Bretons (à partir de 43 ap. J.-C.) débouchèrent sur des restructurations des légions et des corps auxiliaires, qui eurent des conséquences pour les armées de Germanie (Bogaers & Rüger 1974 ; Horn 1987). En 45-46, la legio XIII fut transférée à Poetovio (PettaufPtuj], Slovénie). Elle fut remplacée à Vindonissa par la legio XXI Rapax, qui vint s’y installer depuis la Germanie inférieure –son quartier général se situait jusqu’alors à Vetera. Après, éventuellement, un court séjour à Argentorate (Strasbourg), en remplacement de la legio II Augusta qui avait été transférée en Bretagne, elle arriva à Vindonissa, où plusieurs inscriptions sur des bâtiments attestent sa présence en 47 ap. J.-C. (CIL XIII, 5200 ; 5237 ; 11514). La nouvelle légion paraît avoir ensuite déployé une activité édilitaire intense. C’est à cette époque, en effet, que débuta la reconstruction en pierre du camp. On rénova successivement non seulement l’enceinte du camp, avec ses portes, mais aussi les bâtiments intérieurs : principia, praetorium, valetudinarium, thermes du camp, maisons des tribuns et casernes (Hartmann 1986). 40 L’activité de la legio XXI peut être étudiée non seulement à l’aide des inscriptions qui étaient posées sur les bâtiments, mais aussi par le fait que cette nouvelle troupe, à la différence de la legio XIII Gemina, recouvrait ses édifices avec des tuiles. Beaucoup de celles-ci sont estampillées au timbre de la légion. Les tuiles portant le sceau de la legio XXI apparaissent dans un territoire qui dépasse largement celui du camp (Fellmann 1992, fig. 22). On peut supposer que les points où ont été découvertes les tuiles estampillées, en Suisse occidentale ou dans la plaine du Rhin supérieur, témoignent de la présence de postes militaires qui dépendaient de Vindonissa (Gonzenbach 1963 ; Fellmann 1992 ; Asskamp 1989 ; Wiegels 1983). La mainmise sur la rive droite du Rhin trouve aussi sa traduction dans l’ouverture d’une route nouvelle et supplémentaire. Celle-ci partait du caput coloniae Augustae Rauricae, passait sur la rive droite, contournait le coude de Bâle et se dirigeait ensuite vers le nord. Elle est jalonnée d’un grand nombre de sites où la présence militaire est manifeste (Martin 1981 ; Asskamp 1989). La route tracée à l’est du Rhin présentait aussi, accessoirement, l’avantage d’éviter la traversée de la Birs, un fleuve jurassien, à l’époque non domestiqué, et du Birsig, dont le débit irrégulier n’était pas moins gênant. Le vicus de Weil am Rhein, qui se situait lui aussi le long de cet axe routier de la rive droite du Rhin, prit également son essor à l’époque de Claude, comme l’indiquent les tombes du cimetière local (Fingerlin 1986). 41 Le rattachement de l’axe routier situé sur la rive droite du Rhin à la route qui, par la trouée de Belfort, partait de Cambes (Kembs) en direction d’ Epomanduodurum 40 (Mandeure) et suivait le Doubs jusqu’à Vesontio (Besançon), fut obtenu par un pont jeté sur le Rhin à la hauteur de Kembs. Ses piliers ont été découverts lors de la construction du Grand canal d’Alsace. La superstructure de ce pont pourrait avoir eu un caractère monumental, comme le prouvent les éléments de construction rassemblés ultérieurement. On y trouve par exemple une pierre de taille équarrie d’où sort une demi-colonne. Nous ne connaissons malheureusement pas avec précision la chronologie du pont de Cambes, mais la situation stratégique, qui évoluait lentement, impose presque de dater sa première installation vers le milieu du Ier s. ap. J.-C. (Hatt 1951). Dans le périmètre du futur vicus, on a retrouvé les fragments détruits de la pierre tombale (inédite) d’un cavalier ; bien qu’on ne puisse en apporter la preuve détaillée, on pourrait la mettre en rapport avec les activités d’unités de cavalerie comme celle dont on parle à propos du castellum de la future ville basse du caput coloniae Augustae Rauricae, vraisemblablement occupée jusqu’au milieu du Ier s. ap. J.– C. En tout cas, cette découverte laisse présager du rôle militaire que jouait Cambes. 42 Depuis le début de la période de Claude, le rôle du site d’Oedenburg, près de Biesheim (Argentovaria ?) s’accroît considérablement (Reddé et al. 2005). Nous savons aujourd’hui, par les fouilles, que le castellum situé à l’est du “canal d’alimentation” date essentiellement de la période de Tibère à Néron – avec, éventuellement, une survie jusqu’au début de la période flavienne. Une route partant du camp, et l’orientation de celui-ci, indiquent manifestement un passage du Rhin près de Sasbach, où l’on a pu aussi recenser des installations funéraires de l’époque de Claude mais où, jusqu’ici, on n’a pu reconnaître le plan complet d’un poste militaire (Filtzinger et al. 1986 ; Asskamp 1989). Il ne fait guère de doute que les installations analogues de Riegel (Asskamp 1989) s’inscrivent dans cette conception d’ensemble, et qu’il s’agissait d’une ligne passant par la Forêt Noire, soit par le Dreisamtal, soit par le Wagensteigtal ou même par le Glottertal, en direction de Brigobannis (Hüfingen), et qui se dirigeait vers le Danube supérieur (Fingerlin 1995). Oedenburg a très certainement servi de camp de base pour des entreprises visant à établir, via la Forêt Noire, une liaison avec le haut Danube et les fortins qui s’y trouvaient. L’importance du site apparaît ainsi une nouvelle fois avec une singulière évidence. 43 Dans ce contexte, retenons encore le fait qu’après le milieu du Ier s. ap. J.‑C., le camp légionnaire d’Argentorate n’était plus occupé de manière permanente. Il est certes possible que des détachements de la XXIe légion se soient arrêtés à Strasbourg, mais jusqu’à la période flavienne tardive –c’est-à-dire à peu près en 85 ap. J.-C., voire ultérieurement–, date à laquelle revint la legio VIII, jusque-là stationnée à Mirebeausur-Bèze, dans la région de Dijon, la place resta à peu près sans garnison (Goguey & Reddé 1995 ; Reddé 1998). Ce fait montre lui aussi la signification stratégique de la place d’Oedenburg, où les installations militaires avaient vraisemblablement repris les fonctions du camp inoccupé de Strasbourg. 1.4 Des Flaviens aux Sévères 44 DIETWULF BAATZ 41 1.4.1 L’époque flavienne 45 Les Histoires de Tacite ne fournissent de source écrite détaillée que pour le début de l’époque flavienne ; cette source s’interrompt à la fin de l’insurrection des Bataves, en 70 ap. J.-C. Dans d’autres textes antiques, la frontière sur le Rhin n’est présentée qu’occasionnellement et avec concision. Nos connaissances reposent ainsi, dans une large mesure, sur des fouilles archéologiques et sur les objets qu’on y a découverts, mais aussi sur les témoignages épigraphiques. 46 Au cours de la guerre civile qui éclata après l’assassinat de Néron, en juin 1968, les unités les plus aguerries de l’armée du Rhin furent emmenées en Italie sous la direction de Vitellius. Lorsque Vespasien fut proclamé empereur, en juillet 1969, à Alexandrie, la guerre civile atteignit son apogée. Le reste de l’armée du Rhin, déstabilisé, n’était pas en mesure de mater les insurrections des Bataves, des Lingons et des Trévires. La frontière militaire s’effondra totalement. Le camp légionnaire de Vetera fut assiégé et détruit par les Bataves au printemps 70. Aucun camp militaire situé au nord de Mayence ne fut épargné (Tacite, Histoires IV, 61, 3). À Neuss, le reste de la legio XVI Gallica se rendit aux Gaulois en rébellion et prêta serment à un imperium Galliarum (Tacite, Histoires V, 59, 2). Mais, en Orient, Vespasien put rapidement s’imposer comme empereur et fit marcher des troupes vers la Gaule ; sous le commandement de Q. Petilius Cerialis, celles-ci soumirent les Trévires et les Bataves ; sous celui d’Ap. Annius Gallus, les Lingons. 47 Les combats contre les provinciaux insurgés, mais aussi les incursions des Germains de la rive droite, avaient provoqué d’énormes dégâts matériels sur la frontière romaine. L’impression d’absence de commandement et les défaites de l’armée du Rhin avaient dû produire un effet encore plus dévastateur sur les Gaulois et les Germains. Le nouveau gouvernement s’employa donc énergiquement à réparer les dégâts causés aux bâtiments militaires et à édifier de nouveaux camps. On renforça l’armée frontalière, les troupes peu fiables furent dissoutes ou remplacées ; de nombreuses unités nouvelles arrivèrent le long du fleuve. Puis Rome passa à l’offensive sur le Rhin supérieur, même si ses objectifs étaient limités. 48 Camp légionnaire le plus septentrional en Germanie inférieure, Nimègue (Batavodurum), au pays des Bataves, fut de nouveau pourvu d’une légion, après une longue interruption (fig. 6) ; il s’agissait de la legio II Adiutrix, que l’on venait de créer (vers 70-71). Elle fut remplacée, dès 71 environ, par la legio X Gemina. Manifestement, le rôle de la garnison était de restaurer avec force le pouvoir romain dans cette région. Sur le Hunerberg, la légion édifia une nouvelle fortification en bois, à l’endroit où s’était dressé, des décennies plus tôt, le camp augustéen. Le camp qui accueillait deux légions sur le Fürstenberg, près de Xanten (Vetera I), ne fut pas reconstruit après sa destruction complète ; on édifia à environ deux kilomètres au nord-est un nouveau camp (Vetera II) destiné à accueillir une seule légion, la legio XXII Primigenia. À l’époque postromaine, le Rhin a emporté le camp de Vetera II, si bien que les études archéologiques sont devenues impossibles. On ne connaît sa situation que par des dragages opérés çà et là dans le gravier fluvial. À Neuss (Novaesium), le camp de la légion avait déjà été au moins partiellement rebâti en pierre sous Néron (phase ancienne de la construction en pierre). Il avait été incendié pendant l’insurrection, de sorte que la legio VI Victrix dut le reconstruire. Une partie des bâtiments fut alors sensiblement modifiée (phase récente de la construction de pierre). L’enceinte fortifiée 42 et les bâtiments intérieurs du camp légionnaire de Bonn (Bonna) étaient exclusivement composés de bois jusqu’à l’insurrection batave. Dans le camp détruit par l’incendie, on installa, vers 71, la legio XXI Rapax. Elle commença immédiatement à le reconstruire en pierre. Vers 83, la légion fut détachée pour participer à la guerre des Chattes, sous la direction de Domitien, et remplacée par la legio I Minervia, qui demeura pour longtemps à Bonn. FIG. 6 Carte des sites militaires de l’époque flavienne précoce mentionnés dans le texte : 1 Valkenburg aan de Rijn ; 2 Alphen aan den Rijn/Zwammerdam ; 3 Utrecht ; 4 Bunnik/Vechten ; 5 Arnhem/ Meinerswijk ; 6 Cuijk ; 7 Nijmegen ; 8 Kalkar/Altkalkar ; 9 Xanten ; 10 Moers/Asberg ; 11 Krefeld/Gellep ; 12 Neuss ; 13 Köln/Alteburg ; 14 Bonn ; 15 Mainz, Mainz/Weisenau ? ; 16 Wiesbaden ; 17 Hofheim ; 18 Höchst/ Nied ; 19 Frankfurt am Main/Heddernheim ; 20 Okarben ; 21 Friedberg ; 22 Gross-Gerau ; 23 Rheingönheim ; 24 Speyer ; 25 Ladenburg ; 26 Heidelberg ; 27 Mirebeau-sur-Bèze ; 28 Ressons-leLong/Arlaines ; 29 Rammersweier ; 30 Zunsweier ; 31 Riegel ; 32 Sulz am Neckar ; 33 Rottweil ; 34 Hüfingen ; 35 Windisch ; 36 Zurzach. dessin M. Reddé. 49 Comme les légions, les corps auxiliaires furent réorganisés sur le Rhin inférieur. Certaines des anciennes unités avaient disparu pendant l’insurrection. D’autres étaient passées à l’ennemi. Leurs camps étaient en grande partie détruits. On installa alors en grand nombre de nouvelles unités auxiliaires le long du Rhin inférieur et l’on reconstruisit les castella détruits. Le fortin en bois de Valkenburg (période 3), qui avait été incendié fut remplacé sur le même lieu par le castellum 4, lui aussi en bois. On édifia aussi pour les auxiliaires des cantonnements nouveaux. Un fort de ce type a été étudié à Krefeld/Gellep (Gelduba). C’était un fortin de bois, édifié par l’ala Sulpicia c. R., levée en Espagne. On y a trouvé à proximité des sépultures de chevaux, ensevelis pêle-mêle, qui pourraient remonter à la bataille de Gelduba évoquée par Tacite à l’automne 69 (Tacite, Histoires IV, 33). La base de la classis Germanica à Cologne/Alteburg était, au début de l’époque impériale, un bâtiment de bois. Il fut reconstruit en pierre à l’époque flavienne. La flotte du Rhin était une composante importante dans la défense des 43 frontières. Outre la surveillance et la défense du Rhin, sa mission était de transporter des troupes et des vivres. Elle transportait aussi des matériaux de construction provenant des carrières et des tuileries de l’armée. Parmi les carrières exploitées à l’époque, on trouvait le tuf du Brohltal, où de nombreuses unités des armées de Germanie supérieure et inférieure ont laissé leurs inscriptions (Cüppers 1990, 354, 431-432). L’époque flavienne constitua ainsi l’apogée de l’extraction ; cette grande période se poursuivit jusque dans le courant du IIe s. 50 Dans le secteur militaire de la Germanie supérieure, Mayence (Mogontiacum) demeura un camp pour deux légions. La legio I Adiutrix et la legio XIIII Gemina Martia Victrix furent les deux nouvelles unités à occuper cette fortification de bois qui existait depuis l’époque d’Auguste. La XIIIIe légion, une unité ancienne et méritoire, en occupa la partie droite, plus élégante. L’enceinte, et sans doute aussi certaines parties des bâtiments intérieurs, furent reconstruites en pierre sous Vespasien. On a utilisé par la suite un certain nombre de blocs de construction de cette époque, parfois ornés de basreliefs, dans le mur de la ville de Mayence, édifié à la fin de l’époque romaine ; ils portent les marques de carrière de la legio I Adiutrix (Büsing 1982). Mais leur mise en relation avec des édifices bien précis est difficile et contestée (Hesberg 1999b). À l’époque flavienne, les légions ont aussi édifié de grands ouvrages d’art en dehors du camp ; parmi ceux-ci, l’aqueduc et le pont à piles de pierre jouèrent un rôle particulièrement important. La construction du pont par la XIIII e légion a débuté immédiatement après l’insurrection batave ; elle manifeste la volonté de Rome d’intervenir de nouveau au-delà du Rhin. Comme pour les Bataves, on imposa aux Lingons de l’est de la Gaule une troupe d’occupation, la legio VIII Augusta, afin d’éviter d’autres troubles dans cette zone. La légion édifia à Mirebeau, au nord-est de Dijon, un camp, d’abord en bois et en pierres sèches ; au bout d’un certain temps, le fort fut pourvu d’un mur de défense massif, en pierre (Goguey & Reddé 1995). Le camp légionnaire de Vindonissa, qui existait depuis l’époque de Tibère, était le plus méridional du district militaire de Germanie supérieure. Son réaménagement en pierre avait déjà été achevé du temps de Néron. Il n’avait pas subi de dommages pendant la guerre civile. Là encore, on changea la garnison. À partir de 70, la présence dans le camp de la legio XI Claudia est attestée. Celle-ci se contenta de modifier quelques bâtiments à l’intérieur du camp. 51 Sous Vespasien, l’armée de Germanie supérieure franchit le Rhin et prit possession de toute la moitié orientale de la vallée du Rhin supérieur. Au nord, on rénova les castella détruits de la tête de pont située devant Mayence, qui existait déjà avant 69 : les forts de Wïesbaden, Hofheim am Taunus et sans doute aussi celui de Wiesbaden/Kastel. L’occupation dépassa l’ancienne tête de pont et engloba la Vétéravie. Pour consolider ce secteur, on construisit des fortins pour les corps auxiliaires, d’abord en bois, à Francfort sur le Main/ Heddernheim, Okarben et Friedberg. La Vétéravie était une région convoitée, et pas seulement pour la fertilité de ses sols. Du temps d’Auguste, elle avait aussi servi de champ de manœuvre romain contre la Germanie libre. La dépression de la Hesse, qui s’étend au nord-est de la Vétéravie, était le chemin naturel pour les entreprises militaires via le bassin de Kassel, en direction de la Thuringe et de l’Elbe moyenne. 52 Au sud, le cours du Neckar supérieur constitua un deuxième pôle d’occupation au début de l’époque flavienne. À Rottweil (Arae Flaviae), on construisit sur le Niklausfeld un grand castellum d’environ 16 ha, où stationna sans doute quelque temps un assez grand 44 détachement de la legio XI Claudia de Vindonissa. Dans le même temps, le territoire du haut Neckar fut occupé de manière homogène par d’autres fortins. La forte présence de l’armée romaine dans cet espace s’oppose singulièrement à la densité de la population, que les chercheurs considèrent aujourd’hui comme peu élevée. L’occupation du Neckar supérieur était due à l’importance de la liaison routière entre le sud de la Germanie supérieure et la Rétie, ouverte sous le légat Cn. Pinarius Cornelius Clemens, vers 74 ap. J.-C. (milliaire d’Offenburg : iter derectum ab Argentorate in Raetiam). Partant de Strasbourg, cet axe menait au Danube supérieur en passant par Rottweil, où l’on rénova le camp claudien de Hüfingen. Cette route jouait un rôle stratégique : lien entre les provinces du Rhin et celles du Danube, elle permettait un déplacement très rapide des troupes dans le cas où l’une des régions frontalières était mise en danger. La réussite de son initiative valut au légat les insignes triomphaux (CIL XI, 5271 : ob res in Germania prospere gestas). On débat encore pour savoir si cet honneur était aussi censé récompenser des succès militaires (Schönberger 1985, 362-363). 53 Lorsque Domitien arriva aux affaires, en 81, il n’avait pas le prestige de la victoire dont avaient joui son père et son frère. La gloire qu’apportent les succès militaires pouvait contribuer à consolider son pouvoir. Il tenta donc de résoudre une question en suspens depuis des décennies : quelles formes devait-on donner aux relations entre l’Empire et les Germains, sur la frontière du Rhin ? Tibère avait mis un terme, en l’an 16, aux guerres germaniques de l’époque d’Auguste, mais sans résultat concluant. La situation n’avait pas beaucoup changé au cours des décennies suivantes. Vespasien avait tout de même fait occuper et sécuriser, au cours des dernières années, une bande de territoire qui pouvait à présent servir de tremplin à une action militaire. Prétextant un census en Gaule, Domitien ordonna des mouvements de troupes, concentra ses armées sur le Rhin et lança subitement la guerre contre les Chattes, tribu traditionnellement hostile aux Romains (Frontin, Strategemata I, 1, 8). L’empereur dirigea personnellement en 83-84 la guerre depuis Mayence (Strobel 1987). On fit venir à cette fin des renforts légionnaires et des unités auxiliaires d’autres provinces, entre autres la legio XXI Rapax, qui arriva de Germanie inférieure. Le territoire central des Chattes était certes éloigné du Rhin –il se situait aux environs de Kassel et de Fritzlar– mais son influence s’étendait jusque dans la zone directement dominée par les Romains, près de Mayence, et les incursions de la tribu germanique avaient à plusieurs reprises atteint le territoire romain pendant le Ier s. 54 Les Chattes ne se risquèrent pas à affronter l’armée romaine dans une bataille décisive, car les forces romaines arrivèrent avec une supériorité considérable en hommes et en matériel. Les troupes romaines ont vraisemblablement avancé en profondeur dans le berceau de la tribu des Chattes et ont commencé à saccager leurs villages ; mais les Germains s’étaient retirés dans des forêts difficilement accessibles. À ce jour, toutefois, on n’a pu apporter aucune preuve archéologique de cette campagne –par exemple l’existence de camps d’étape. Comme l’a raconté un contemporain, l’armée romaine a retourné la situation en sa faveur en creusant des trouées dans la forêt. Depuis ces ouvertures, il lui a été possible de passer les zones boisées au peigne fin et d’en faire sortir les ennemis (Frontin, Strategemata I, 3, 10). Au bout du compte, les Chattes durent baisser les armes et accepter des négociations. Leur soumission s’est vraisemblablement déroulée sous la forme juridique d’un foedus avec Rome. Domitien présenta la victoire sur les Chattes comme un succès important. Dès l’été 83, il se fit acclamer par ses troupes en tant qu’imperator, prit le surnom honorifique de Germanicus et célébra un triomphe à Rome. Un critique de cette époque nota cependant que l’on 45 avait plus célébré la victoire qu’on ne l’avait remportée (Tacite, Germanie 37, 5). L’année suivante, l’empereur confia au légat de Germanie supérieure le soin de mener les derniers combats du conflit. Dans le même temps, il décida la fondation de deux nouvelles provinces à partir des deux districts rhénans qui existaient jusqu’alors (84-85). Il leur donna le nom de Germania inferior et Germania superior- capitales : Cologne et Mayence. La propagande impériale put présenter la création de provinces “germaniques” comme une solution du problème. Dans la région du Neckar supérieur, qui avait été occupée dans la période préflavienne, l’empereur fonda, sans doute à la même époque, le municipium Arae Flaviae à Rottweil (Sommer 1997). Il pérennisa ainsi le nom de la dynastie flavienne et renoua avec la tradition des grands fondateurs de cités de l’Antiquité. Dans le castellum situé face à Mayence, l’empereur chargea la XIIIF légion d’édifier un gigantesque arc de triomphe dont l’inscription et les reliefs célébraient ses victoires. L’arc se dressait à l’entrée des territoires conquis à l’est du Rhin, qui constituaient la zone frontalière de la nouvelle province de Germania superior (Bellen 1989 ; Lebek 1989 ; autre datation de l’arc par Frenz 1989). 55 Par manque de matériel, on ignore si le grand camp militaire de Hanau/Kesselstadt (14 ha) a lui aussi été créé sous Domitien. De dimensions analogues au castellum I de Rottweil, il ne pouvait pas accueillir une légion entière, mais sans doute une grande vexillation légionnaire ou plusieurs unités de troupes auxiliaires. Le fort n’a pas été achevé : il y manque les bâtiments intérieurs et les fouilles ont seulement permis de repérer le mur défensif en pierre. La construction du camp suppose un plan considérable qui, pour des raisons inconnues, n’a pas été mis en œuvre (Schönberger 1985, 375, 464, n° D 58). 56 L’un des éléments juridiques de la création de la province était la nécessité de fixer sans ambiguïté les limites territoriales de son administration et d’en marquer les frontières à l’extérieur. Cela explique pourquoi on peut penser que le bornage des frontières a débuté en Germanie supérieure peu après l’acte de fondation (Strobel 1987, 445-449). Pour des motifs de sécurité, il s’avéra en outre nécessaire d’assurer une surveillance militaire de cette zone. On ouvrit donc une trouée dans les forêts, on y installa un chemin le long de la frontière et des tours en bois. Dans le jargon militaire, on donna à cette trouée le nom de limes (Tacite, Germanie 29, 3). Les premiers abris destinés à loger les troupes auxiliaires arrivées sur les lieux peuvent avoir été de petits bâtiments fortifiés provisoires, comme le retranchement A de la Saalburg (Schallmayer 1997, 106-108). Comme on pouvait surtout s’attendre à des attaques germaniques dans le nord de la Province, la ligne frontière protégée militairement se situa sans doute d’abord en marge du bassin de Neuwied, dans le Taunus, et à la lisière de la Vétéravie. 57 L’aménagement des deux provinces germaniques venait juste de commencer lorsque les Daces firent irruption, en l’an 85, dans la province de Mésie, sur le Danube inférieur. Cela engendra une situation catastrophique pour l’Empire. Les ennemis l’emportèrent sur les légions de la province, dont le gouverneur fut tué. Pour sauver la Mésie, il fallut détacher des troupes de la frontière rhénane, dont la legio I Adiutrix de Mayence. Les expéditions punitives qui furent immédiatement mises en œuvre sous la direction du préfet du prétoire, Cornélius Fuscus, connurent d’abord le succès, mais s’achevèrent par la défaite totale de Rome (86). Un tournant historique se produisit alors. Jusqu’ici, la frontière rhénane avait été particulièrement importante pour la stratégie militaire de l’Empire ; désormais, la frontière danubienne devenait le secteur militaire essentiel. 46 58 En l’an 88, quatre légions étaient toujours stationnées dans la province de Germanie supérieure : la legio XIIII Gemina et la legio XXI Rapax à Mayence, la legio VIII Augusta à Mirebeau et la legio XI Claudia à Vindonissa. Cette puissance considérable incita, durant l’hiver 88-89 ap. J.-C., le gouverneur de Germanie supérieure, L. Antonius Saturninus, à mener un coup d’état contre l’empereur. L’insurrection, à laquelle participèrent aussi certaines fractions des Chattes, fut très rapidement réprimée par le légat de Germanie inférieure, A. Buccius Lappius Maximus (Suétone, Domitien 6 ; Plutarque, Aem. 25, 6). Cela valut aux unités de l’armée de Germanie inférieure le surnom de pia fidelis Domitiana. Dans le territoire romain à l’est du Rhin, devant Mayence, les Chattes ont vraisemblablement détruit des bâtiments militaires. Les couches d’incendie observées dans quelques castella de cette région sont associées, pour certaines, à cet événement ; pour d’autres, on estime qu’elles ont été provoquées quelques années plus tard (Okarben : Schönberger 1980, 36 ; Hofheim : Seitz 1999 ; Strobel 1987, 450-452). Après 90, tous les fortins de bois édifiés sous Vespasien sur la rive droite du Rhin ont sans doute eux aussi été reconstruits en pierre. 59 L’expérience de l’insurrection de Saturninus incita à modifier la répartition des troupes. À l’avenir, aucun gouverneur ne devrait plus disposer en un seul lieu d’une concentration d’hommes en armes susceptible de présenter un danger ; on supprima les camps accueillant deux légions (Suétone, Dom. 7). La crise du Danube inférieur était elle aussi loin d’être achevée. L’une des deux légions de Mayence qui avait participé à l’insurrection, la legio XXI Rapax, fut ainsi transférée sur la section menacée de la frontière du Danube. À partir d’environ 90, la legio XIIII Gemina demeura donc l’unique légion stationnée à Mayence. Peu après, elle fut cependant elle aussi déplacée sur le front du Danube. C’est la legio XXII Primigenia pia fidelis qui vint la remplacer depuis le camp de Vetera II, en Germanie inférieure. Le grand camp de Mayence, prévu pour deux légions, ne fut pas réduit, mais son organisation fut considérablement revue. Des nouveaux bâtiments intérieurs édifiés à l’époque, on ne connaît que les grands thermes du camp. La legio VIII Augusta fut transférée vers 85-90 de Mirebeau à Strasbourg. Au bout de vingt années de présence, tout de même, dans le territoire des Lingons, elle avait rempli sa mission : cette nation était romanisée et elle était assez sûrement intégrée dans l’Empire pour que l’on n’ait plus à redouter de troubles. Dans un premier temps, la legio XI Claudia resta stationnée à Vindonissa. Au total, vers 90, la province de Germanie supérieure disposait de trois légions à Mayence, Strasbourg et Windisch. 60 En Germanie inférieure, quatre légions étaient encore en garnison autour de 90. Un peu plus tard, nous l’avons dit, le détachement de la legio XXII Primigenia pia fidelis en Germanie supérieure réduisit ce nombre à trois. La legio VI Victrix s’installa dans le camp de Vetera II Elle provenait du camp de Neuss, qui fut abandonné à cette époque. En même temps que les légions, les corps auxiliaires des deux provinces furent eux aussi envoyés sur le Danube. 61 L’insurrection de Saturninus n’a retardé l’aménagement de la province de Germanie supérieure que pour une brève période. Les fortins des grandes unités régulières des corps auxiliaires –les ailes et les cohortes– avaient, dans un premier temps, été érigés au milieu des secteurs nouvellement acquis. Ils constituaient une réserve stratégique pour défendre la province. Ils étaient en outre chargés d’imposer l’administration romaine à la population locale. Pour protéger les zones frontières exposées, on poursuivit, dans les années quatre-vingt-dix, la construction du limes. Pour assurer la surveillance de la zone forestière –Westerwald, Taunus et Odenwald–, on utilisa de 47 petites troupes auxiliaires non régulières, des numeri d’environ cent cinquante à deux cents hommes, constituées spécialement à cette fin. Le secteur particulièrement menacé qui longeait la Vétéravie fut pourvu, outre ces petites unités, de quelques cohortes ou ailes régulières d’auxiliaires qui avaient été détachées de l’intérieur du pays. Elles construisirent, sans doute vers 90, les castella de Butzbach, Arnsburg et Echzell. C’est probablement à cette époque que le limes fluvial du Neckar a été installé et que l’on a opéré la jonction entre le Neckar supérieur et la ligne des Alpes souabes. En 98, en tout cas, on avait achevé des tronçons considérables du limes et l’on avait fait avancer des unités d’auxiliaires jusqu’à la frontière. C’est l’époque où Tacite écrivait la Germanie. Les territoires conquis au-delà du Rhin avaient été intégrés à la province par la construction du limes et des forts avancés : limite acto promotisque praesidiis sinus imperii et pars provinciae habentur, “Puis on a mis en place un limes, porté plus loin nos postes militaires, et cette région est maintenant au sein de l’Empire, une partie de la province” (Tacite, Germanie 29, 4). Ces mots ne signifient pas que, vers 98, l’aménagement du limes était déjà totalement achevé (fig. 7). Beaucoup de tronçons de la frontière n’étaient que faiblement occupés par de petites unités et le tronçon le moins dangereux, dans l’Odenwald à peu près dépourvu d’habitants, pourrait avoir été réalisé un peu plus tard, au début du règne de Trajan. 1.4.2 De Trajan à Antonin le Pieux 62 Au début de son règne, l’empereur Trajan commença à préparer la guerre contre les Daces (101-102 et 105-106). Vers 101, pour renforcer l’armée romaine sur le Danube inférieur, l’empereur retira la legio XI Claudia de Vindonissa. Elle ne revint plus, si bien qu’à partir de cette époque, seules deux légions stationnèrent encore dans cette province, la legio XXII Primigenia pia fidelis à Mayence et la legio VIII Augusta à Strasbourg (fig. 7). La legio X Gemina, cantonnée à Nimègue, fut déplacée vers 104 de la Germanie inférieure vers la Pannonie, sur le Danube, et plus précisément à Aquincum (Budapest). Plus tard, et pour peu de temps, le camp de Nimègue fut occupé par des vexillations de la légion ; sous Hadrien, il hébergea un temps la legio IX Hispana. Après les guerres daciques de Trajan, seules deux légions furent stationnées en permanence en Germanie inférieure : la legio I Minervia à Bonn et la legio VI Victrix à Vetera II. 48 FIG. 7 Carte des sites militaires vers 100 (seuls sont numérotés les sites mentionnés dans le texte) : 1 Valkenburg aan de Rijn ; 2 Alphen aan den Rijn/Zwammerdam ; 3 Utrecht ; 4 Bunnik/Vechten ; 5 Nijmegen ; 6 Arnhem/Meinerswijk ; 7 Xanten (Vetera II) ; 8 Krefeld/Gellep ; 9 Neuss ; 10 Dormagen ; 11 Köln/Alteburg ; 12 Bonn ; 13 Zugmantel ; 14 Wiesbaden ; 15 Mainz ; 16 Hofheim ; 17 La Saalburg ; 18 Butzbach ; 19 Inheiden ; 20 Echzell ; 21 Altenstadt ; 22 Hanau/Kesselstadt ; 23 Stockstadt am Main ; 24 Gross-Gerau ; 25 Ladenburg ; 26 Heidelberg ; 27 Wörth ; 28 Lützelbach ; 29 Hesselbach ; 30 Oberscheidental ; 31 Neckarburken ; 32 Bad Wimpfen ; 33 Heilbronn/Böckingen ; 34 Walheim ; 35 Bad Cannstatt ; 36 Strasbourg ; 37 Rottweil ; 38 Windisch. dessin M. Reddé. 63 Pendant son règne, Trajan s’efforça de consolider la structure des deux provinces frontières en fondant des villes et des civitates. En Germanie inférieure, il constitua la colonia Ulpia Traiana (près de Xanten), en Germanie supérieure, la civitas Ulpia Sueborum Nicrensium, dont le chef-lieu était Lopodunum (Ladenburg). La civitas Mattiacorum, cheflieu Aquae Mattiacorum ( Wiesbaden) et la civitas Taunensium, chef-lieu Nida (Heddernheim), remontent sans doute à la même phase de fondation. Les chercheurs considèrent en général que l’empereur a effectué ces créations au début de son règne, avant les guerres daces, alors qu’il séjournait encore dans les provinces germaniques et qu’il s’efforçait sans aucun doute d’accroître son prestige auprès du public. Des observations archéologiques récentes font penser que les édifices urbains ont été construits un peu plus tard et que les créations de villes ont été également plus tardives (Precht 1999 ; Sommer 1999a ; 1999b). Mais cette conclusion ne paraît pas inéluctable : la construction des bâtiments urbains s’est forcément étalée pendant de nombreuses années après l’acte de fondation. 64 La création des civitates trajaniennes en Germanie supérieure libéra des corps auxiliaires stationnés sur leurs territoires depuis le début du règne des Flaviens. Ils furent partiellement transférés sur le front du Danube –ce fut par exemple le cas de l’ala I Canninefatium, de Ladenburg. D’autres unités furent déplacées jusqu’au limes. Le bassin de Neuwied fut ainsi pourvu d’une plus forte garnison ; le limes oriental de la 49 Vétéravie fut pourvu de cohortes. D’autres auxilia s’installèrent sur la ligne du Main et du Neckar. En 105 au plus tard apparut la ligne de l’Odenwald, avec ses petits fortins de numeri. L’aménagement de la frontière de Germanie supérieure, entamé sous Domitien, fut ainsi achevé sous Trajan. II est cependant difficile de suivre le détail de ce processus et de le dater plus précisément. On n’a pas conservé d’inscriptions lapidaires datant de la phase initiale du limes, parce que les camps auxiliaires ont d’abord été construits en bois. Sur ce point aussi, la recherche en est arrivée à des stades différents : de nombreux castella ont déjà fait l’objet de fouilles, organisées par la Reichslimeskommission parfois depuis plus de cent ans. Celles-ci ont livré un nombre d’objets souvent réduit, pour lesquels on ne dispose pas d’information stratigraphique. Or, même des quantités importantes de céramiques et d’autres petits objets ne peuvent guère être datées aujourd’hui avec une précision supérieure à une décennie. Les possibilités et les limites de la datation initiale des fortins du limes de Germanie supérieure constituent ainsi un sujet de débats (Schönberger 1985, 385, 387 ; Strobel 1987, 445-449 ; Kortüm 1998 ; 1999). 65 La frontière n’était pas marquée partout par un chemin surveillé par des tours de garde ou bien par un limes fluvial. Seule la jonction de la ligne du Neckar et du limes des Alpes souabes était matérialisée par une route jalonnée de fortins. Dans cette région, il faut mentionner la singulière barrière du Lautertal, près de Dettingen unter Teck (Filzinger et al. 1986, 268-270 ; Baatz 2000, 212-214). L’une des particularités du limes de Germanie supérieure est le stationnement, plusieurs fois observé, de deux unités différentes dans une même garnison. Ou bien les deux unités se trouvaient à proximité dans deux forts séparés (par ex. Neckarburken, Miltenberg, Ohringen et Welzheim), ou bien elles étaient ensemble dans un castellum unique, ce que l’on peut supposer dans le cas des fortins de la Saalburg, Echzell et Niederbieber. Il existait vraisemblablement d’autres “doubles fortins” de ce type qui, en l’état actuel de la recherche, n’ont pas encore pu être identifiés. Des deux unités, de dimensions généralement différentes, la petite pourrait avoir constitué l’équipe de garde employée directement sur le limes et la grande avoir servi de réserve, utilisée de manière flexible et susceptible, le cas échéant, d’être détachée dans d’autres provinces (Baatz 1997). 66 La protection qu’offrait le limes contre les attaques germaniques augmenta la sécurité de la frontière. Les nouvelles civitates en profitèrent ; sur leurs territoires se constituèrent des exploitations agricoles reprenant le modèle romain. Les besoins des armées frontalières en produits agricoles incitèrent aussi à créer ce type d’exploitations. Une prospérité modérée s’instaura ainsi dans la zone frontalière, où la paix régna pendant des décennies. On peut donc dire que le limes a été une réussite. 67 L’empereur Hadrien a visité en personne la Gaule et les provinces rhénanes (121-122 ap. J.-C.) ; il a inspecté les troupes et remédié aux situations anormales (SHA Hadr. 10, 2-11, 1). Il a, à cette occasion, ordonné des modifications dans la répartition des troupes. Il aurait aussi rénové, abandonné ou déplacé des fortins (Dion Cassius LXIX, 9) mais on n’en a conservé que peu de traces archéologiques (Schönberger 1985, 393). Le transfert de la legio VI Victrix de Vetera II, en Germanie inférieure, vers la Bretagne fait sans doute partie des cas attestés. C’est la legio XXX Ulpia Victrix, nouvellement levée, qui s’installa à Vetera et y demeura en garnison jusqu’à l’abandon du camp, vers la fin du IIIe s. La deuxième légion de Germanie inférieure, la legio I Minervia, demeura à Bonn. 68 Jusqu’à l’époque d’Hadrien, le limes de Germanie supérieure n’était pas équipé d’obstacles d’approche ; il n’était constitué que d’un chemin de ronde surveillé. Peut- 50 être Hadrien a-t-il ordonné, pendant sa visite, la construction de la palissade du limes qui devait compliquer sa traversée et, comme une clôture, séparer la province romaine des terres germaniques (SHA Hadr. 12, 6). Les mesures prises par Hadrien ne constituent pas une modification essentielle du concept de limes tel qu’il existait depuis Trajan. 69 En revanche, une assez grande modification eut lieu au milieu du IIe s. sur le limes de Germanie supérieure (fig. 8). Sous le règne d’Antonin le Pieux, beaucoup des castella de bois furent sans doute reconstruits en pierre. Les tours de guet en bois qui jalonnaient le limes furent remplacées par des tours de pierre. Les inscriptions trouvées dans les bâtiments du limes de l’Odenwald datent cette transformation des années 145 et 146. Les troubles survenus au milieu du siècle en Germanie libre ont pu être considérés comme des signes avant-coureurs du sérieux conflit avec les Marcomans. Ils pourraient avoir été à l’origine de la décision prise vers 159 d’abandonner le limes de l’Odenwald et du Neckar, et de transférer les corps auxiliaires sur une nouvelle ligne avancée. Mais il s’agissait peut-être seulement d’intégrer dans la province le territoire situé à l’est du Neckar, depuis longtemps sous influence romaine. L’inscription la plus tardive de l’ancienne ligne du limes remonte à 158 (Schallmayer 1984a ; 1984b). Le témoignage épigraphique le plus ancien du limes extérieur est une inscription sur l’édifice de la cohors I Germanorum de Jagsthausen, qui a été gravée avant la fin du règne d’Antonin le Pieux et que l’on date de l’an 161 (CIL XIII, 6561). On peut donc calculer que cette avancée des troupes s’est faite entre 158 et 161. On a une datation encore plus précise avec le début de la construction à Osterbucken, que la dendrochronologie situe en 159 ; cette année-là, les corps auxiliaires jadis situés à Neckarburcken ont commencé à construire dans leur nouveau site (Schallmayer & Preuss 1994 ; Speidel 1986). Le destin des castella de l’ancienne ligne est objet de débats : ont-ils été remis à des civils ? Y a-ton encore entretenu des postes ou des dépôts militaires ? (Schallmayer 1984a ; Schönberger 1985, 395). La nouvelle ligne frontière débutait à Miltenberg, au bord du Main, et allait jusqu’à Lorch, au bord de la Rems. Entre Walldürn et Welzheim, la ligne avait été tirée droite, avec une grande précision sur 80 km, et sans tenir compte du terrain, une performance considérable dans le domaine de l’arpentage. A peu près à la même époque, on édifia des fortins supplémentaires au nord de la province, sur quelques tronçons du limes, afin d’améliorer la surveillance de la frontière, entre autres les castella pour numeri du Feldberg et de Heftrich, dans le Taunus. Dans le même temps, le limes rétique fut prolongé vers l’ouest. La ligne frontière de Germanie supérieure et la ligne rétique se rencontrèrent alors près de Lorch, au bord de la Rems, si bien que la ligne du limes entre le Rhin et le Danube était désormais complètement refermée. 51 FIG. 8 Carte des sites militaires vers 160 (seuls sont numérotés les sites mentionnés dans le texte) : 1 Valkenburg aan de Rijn ; 2 Alphen aan den Rijn/Zwammerdam ; 3 Utrecht ; 4 Bunnik/Vechten ; 5 Arnhem/Meinerswijk ; 6 Xanten (Vetera II) ; 7 Krefeld/Gellep ; 8 Neuss ; 9 Dormagen ; 10 Kôln/ Alteburg ; 11 Bonn ; 12 Niederbieber ; 13 Zugmantel ; 14 Mainz ; 15 La Saalburg ; 16 Butzbach ; 17 Inheiden ; 18 Echzell ; 19 Altenstadt ; 20 Stockstadt am Main ; 21 Wôrth ; 22 Miltenberg ; 23 Walldürn ; 24 Neckarburken ; 25 Osterburken ; 26 Jagsthausen ; 27 Öhringen ; 28 Welzheim ; 29 Lorch ; 30 Strasbourg. dessin M. Reddé 1.4.3 De Marc-Aurèle à Commode 70 Peu après l’entrée en fonctions de Marc-Aurèle, des tensions apparurent en Germanie libre. À la même époque, les Parthes envahirent l’Arménie et battirent l’armée romaine. Rome réagit en lançant une contre-attaque dirigée par le co-empereur Lucius Verus (162). Les Chattes utilisèrent la situation pour lancer une incursion dans la province de Germanie supérieure (162). Selon la tradition assez maigre et parfois peu fiable de cette époque, le gouverneur C. Aufidius Victorinus parvint à repousser les Chattes (SHA Marcus Antoninus 8, 7). Le futur empereur Didius Julianus aurait, comme légat de la XXIIe légion, repoussé une deuxième attaque des Chattes en Germanie supérieure, peutêtre vers 168-170, et en tout cas avant 172 (SHA Didius Julianus 1, 8). Dans quelques forts et colonies civiles de Germanie supérieure, on a en outre trouvé des couches d’incendie qui remontent à la deuxième moitié du IIe s. Mais on n’a pu ni opérer de datations plus précises, ni établir un lien entre ces traces et un contexte de destruction déterminé. À peine la guerre des Parthes s’était-elle achevée (166) que l’Empire s’engageait dans un nouveau conflit particulièrement dur dans les provinces danubiennes. Les Marcomans et leurs alliés s’étaient mis en mouvement contre les provinces romaines parce que celles-ci se trouvaient sous la menace de peuples qui descendaient du nord. L’armée romaine fut battue, les Germains entrèrent dans les 52 provinces et avancèrent même jusqu’en Grèce et en Italie. L’Empire traversa une crise encore aggravée par l’épidémie de peste. Il fallut deux longues guerres (167-175 et 177-180) pour que Marc-Aurèle parvînt à stabiliser la frontière du Danube. Pendant la première guerre contre les Marcomans, la partie orientale de la Rétie fut mise à mal. Mais les provinces voisines, Norique, Pannonie et territoires du Danube inférieur, subirent des ravages beaucoup plus sérieux. La frontière du Rhin demeura cependant épargnée par les guerres des Marcomans (Fischer 1994). 71 Un peu plus tard, vers 185, sous le règne de Commode, des troubles éclatèrent en Gaule et dans les provinces du Rhin (bellum desertorum et insurrection de Maternus). Les récits antiques qui nous sont parvenus sont incomplets et imprécis, de telle sorte qu’il est pratiquement impossible d’établir le cours des événements (Hérodien 1,10 ; SHA Commodus 16, 2 ; SHA Pescennius 3, 3) [Alföldy 1971]. Au bout du compte, les troubles sont nés d’une crise de la discipline militaire, conséquence, sans doute, des guerres contre les Marcomans. Une troupe de déserteurs menés par un certain Maternus parcourut la Gaule en pillant et en incendiant tout sur son passage. La legio VIII Augusta se distingua particulièrement lors des représailles ordonnées par l’empereur. Elle repoussa avec succès le siège que lui imposaient les insurgés, et vainquit les déserteurs (CIL XI, 6053). Cela lui valut le surnom honorifique de pia fidelis Constans Commoda. Par la suite, le calme régna assez longtemps sur la frontière du Rhin. 72 Sous le règne de Commode, on répara les fortifications le long du limes. À l’époque des guerres des Marcomans, il n’avait sans doute guère été possible de mettre en œuvre les mesures de construction nécessaires ; il fallait donc rattraper le temps perdu. On reconstruisit le grand castellum de Niederbieber, au nord du limes de Germanie supérieure, tout comme le fort de cohorte de Holzhausen an der Haide, un édifice de moindre taille. Comparé aux fortins de pierre construits dans la première moitié du IIe s., le castellum de Niederbieber fait preuve d’une plus grande modernité. Son enceinte est pourvue de tours qui décrivent de grandes saillies ; entre le mur fortifié et les fossés défensifs se trouve une berme d’une largeur jusqu’alors inusitée. Les deux éléments traduisent un changement de tactique de défense et montrent déjà des caractéristiques défensives de l’Antiquité tardive. Peut-être la pression exercée par les Germains sur la frontière de la province a-t-elle provoqué, sous le règne de Commode, l’installation de la levée de terre et du fossé (Pfahlgraben). Mais la datation de ces obstacles n’est nullement garantie. Ils pourraient aussi avoir été aménagés au début du III e s., peutêtre après la guerre préventive menée par Caracalla contre les Germains en 213. 1.4.4 De Septime Sévère à Sévère Alexandre 73 Après la bataille de Lyon, le 19 février 197, où il défit son rival Clodius Albinus, Septime Sévère put définitivement imposer son pouvoir sur les provinces du nord-ouest. Cet épisode avait été précédé par des combats de l’armée provinciale des deux Germanies contre Albinus. La XXIIe légion défendit à cette occasion avec succès la ville de Trêves, assiégée par les troupes d’Albinus. Sur le limes, tout resta calme. 74 Au début du IIIe s., la legio XXII Primigenia accomplit de grands travaux de construction sur lesquels on ne dispose que de données indirectes. Entre 206 et 214 travaillèrent sur le Main inférieur les équipes de bûcherons de la XXIIe légion (agentes in lignariis), comme l’attestent les inscriptions trouvées à Stockstadt am Main, Obernburg et Trennfurt (Speidel 1983). Le bois était vraisemblablement acheminé par flottage sur le Main. À 53 peu près à la même époque, les “vexillations de travail” de la XXII e légion œuvraient dans la carrière de pierre du Kriemhildenstuhl, près de Bad Dürkheim, où elles ont taillé une quantité considérable de grès coloré (Cüppers 1990, 313-315). Seul un heureux hasard a permis à la postérité de connaître ces deux projets ; il est arrivé à d’autres époques que les légions fussent employées pour ce genre de travaux. 75 C’est à une date tardive que les Alamans sont mentionnés dans la littérature antique. Ils sont nommés dans les extraits de Xiphilin (XIe s.), dans Dion Cassius, pour la campagne de Caracalla, en 213 (Dion Cassius, Epit. 78, 13, 4 ; 14). Il est cependant possible que le nom des Alamans ait été intégré après coup au texte de Xiphilin. Mais les sources archéologiques laissent penser que les bandes de guerriers qui se nommaient “Alamans” sont apparues aux environs de 200 ap. J.-C. dans la sphère des Germains de l’Elbe (Schach-Dörges 1997, 79-81). Apparemment, ils menaçaient les provinces de Germanie supérieure et de Rétie, car la guerre menée par l’empereur Caracalla en 213 doit être interprétée comme une mesure préventive. En août de cette même année, l’armée impériale traversa la frontière de Rétie pour intervenir contre les Germains (Acta Arvalium en date du 15 août ; CIL VI, 2086), assurant ainsi la paix aux provinces romaines pour les vingt années suivantes. L’empereur célébra la victoire sur les Germains et prit le surnom de Germanicus Maximus. Sous le règne de Caracalla, il n’y eut ni combats, ni destruction sur le limes. C’est peut-être à cette époque qu’ont été construits le mur en terre et le fossé du limes de Germanie supérieure et le rempart en pierre qui marque la frontière de la Rétie. 76 Sous le règne d’Elagabal et de Sévère Alexandre, le calme régna dans un premier temps sur le limes. En 224 débuta en Orient la montée de la dynastie des Sassanides, qui voulait rétablir l’éclat de l’ancien empire perse. Un conflit éclata avec Rome. Après une incursion dévastatrice des Perses dans les provinces de Mésopotamie et de Syrie (230), Sévère Alexandre passa à la contre-attaque. Il rassembla en Syrie un grand corps expéditionnaire, pour lequel on détacha aussi des troupes venues des provinces du Rhin et du Danube (231). L’année suivante débuta l’attaque romaine contre le centre de l’empire persan (232). Lorsque les Germains comprirent que les armées provinciales du Rhin et du Danube étaient affaiblies, ils attaquèrent les provinces insuffisamment protégées (233). Les Alamans pillèrent et ravagèrent une bonne partie du territoire provincial de la Germanie supérieure et de la Rétie ; ils réduisirent aussi en ruines de nombreux fortins du limes (Nuber 1997 ; Fischer 1999a). Les soldats détachés de la frontière du Rhin et du Danube pour participer à la guerre des Parthes obtinrent la suspension des combats à l’est et le retour vers Mayence afin de protéger leur patrie (Hérodien 6, 7). Sévère Alexandre fut assassiné en 235 ap. J.-C. par ses troupes mécontentes. La même année, le nouvel empereur Maximin le Thrace lança la campagne prévue contre les Alamans. Une fois encore, il rétablit quelque temps la sécurité de la zone frontalière et fit reconstruire les forts détruits sur le limes. 1.5 Du milieu du IIIe s. à Dioclétien 77 RAYMOND BRULET 78 Si le IIIe s. est généralement perçu comme un siècle de crise (Carrié & Rousselle 1999), ses quarante dernières années voient celle-ci portée à son paroxysme, en particulier en Gaule. Au sein de cette période assez courte, mais fertile en événements, on assiste tour à tour à la mise à mort de l’ancien régime, avec son cortège de troubles politiques, aux 54 premiers assauts barbares contre l’Empire, porteurs de conséquences indélébiles, et à la mise en place d’un programme de redressement durable qui fait basculer Rome dans une nouvelle période historique : l’Antiquité tardive. Cette période charnière nous est contée par les auteurs anciens sous le seul aspect de l’histoire événementielle (Histoire Auguste, Zosime, Zonaras, et abrégés d’Aurélius Victor, Eutrope et Festus). 79 Les trésors monétaires et les monnaies de site, par leur abondance particulière, offrent une aide appréciable pour évaluer l’impact des premières invasions barbares et pour affiner la chronologie de certains faits ignorés par les textes. On vit dans un pluralisme monétaire (Callu 1969) avec un volume de frappes qui connaît une inflation vertigineuse et une croissance du nombre d’ateliers jusqu’à Aurélien et Dioclétien (Estiot 1996). 80 L’archéologie, à l’inverse, fournit peu d’indications fiables, parce que les précisions chronologiques manquent souvent. Toutefois, c’est à cette période que l’on attribue volontiers, sans que l’on dispose toujours de preuves bien étayées, plusieurs programmes de constructions militaires et des abandons massifs de sites civils, en particulier dans le monde rural. Dans le secteur urbain, c’est l’âge de l’élévation des premières enceintes à périmètre réduit, qui fait suite au déclin des villes, bien observé après les Sévères. Cette période s’étend du règne de Gallien (253-268) à celui de Dioclétien (284-305). En toile de fond des événements tragiques qui vont secouer l’Empire, on note une crise économique et démographique sans précédent, et de graves déficiences des structures de l’état, avec un partage incessant du pouvoir. 81 Le premier acte de cette séquence historique est constitué par le désengagement du limes germanique et des territoires situés au-delà du Rhin et du Danube, qui représentaient un programme faisant la fierté de Rome depuis la période flavienne. Ce renoncement brutal, très évocateur du mouvement de repli enclenché, intervient entre 253 et 260. Le territoire des Champs Décumates est abandonné aux Alamans. La date exacte est disputée, mais l’abandon militaire est bien réel (Koethe 1942 ; Nuber 1990 ; Strobel 1999). 82 Le second acte, plus grave encore, est constitué par une série d’invasions qui, en 253, 259-261, 269-271 et en 275-276, vont marquer l’intérieur des terres gauloises. Les premières incursions barbares se situent en 253 et 259-261, dans le nord de la Gaule et sur les frontières. Elles sont principalement dues aux Francs qui parviennent à traverser la Gaule de part en part et vont assiéger Tarragone en Espagne. Les trésors monétaires permettent d’ailleurs de décomposer cette invasion en plusieurs incursions distinctes. A la fin de 261, les Alamans pénètrent dans la vallée du Rhin moyen. 83 En 275-276, la même situation se reproduit un peu plus gravement. La Gaule septentrionale n’est pas seule visée ; les pillards s’avancent entre Seine et Loire, sur le Rhône supérieur, dans les régions voisines de l’Atlantique, peut-être jusqu’aux Pyrénées. Toutefois, comme on l’a observé en Narbonnaise, les dégâts causés par ces invasions n’ont pas la même ampleur partout (Christol 1996). Les menaces affectent aussi les côtes de la Manche. Depuis 254-256, les régions littorales sont sujettes aux attaques des Frisons, des Francs et des Saxons. 84 Un rétablissement provisoire de la situation est dû à Gallien (253-268) qui s’attaque aux Francs et aux Alamans le long de la frontière rhénane. Dans ce contexte, l’empereur est surtout connu pour ses réformes militaires novatrices. Il crée notamment des corps de cavalerie mobile. À partir de 259, cette cavalerie est basée à Milan, de façon à prévenir l’Italie de toute conquête par Postume et à contenir les Alamans. Les prélèvements 55 temporaires qui sont faits au détriment des armées provinciales pour constituer cette cavalerie aboutissent finalement à une situation permanente (Southern et al. 1996). On considère parfois Gallien comme le précurseur de l’armée mobile de l’Antiquité tardive mais le fait est discuté (Carrié & Rousselle 1999, Le Bohec 2004). L’empereur met aussi sur pied une garde personnelle composée d’un détachement d’officiers d’élite, les protectores. D’abord distinction honorifique réservée aux officiers supérieurs, ce titre de protector va rapidement évincer et remplacer celui de centurion, dont la mention deviendra de plus en plus rare, voire inexistante au début du IVe s., sans disparaître totalement. 85 La réponse à la grande invasion de 275 se fait davantage attendre. Le biographe de Probus parle des Gaules comme tombées au pouvoir des Germains. Les empereurs légitimes comme Gallien (253-268), Claude II (268-270), Aurélien (270-275) et Probus (276-282), qui durent affronter ces événements dramatiques, ont œuvré de leur mieux, mais on sait qu’ils eurent aussi maille à partir avec une série de soulèvements locaux qui s’apparentaient à de véritables sécessions. 86 C’est le troisième acte de cette période qui est marqué du sceau du séparatisme. Un empire “gaulois” (260-274) se crée sous l’impulsion de Postume, Victorinus et Tétricus. Un peu plus tard se dessine le même réflexe, dans le nord-ouest de la Gaule, avec la constitution d’un territoire indépendant, sous la férule de Carausius puis d’Allectus (286-296). Ces réflexes d’autodéfense ne visent pas à proprement parler l’exercice d’un pouvoir à Rome (Drinkwater 1987) et ils seront très salutaires pour la Gaule. La sécession gauloise fournit aussi l’occasion d’une montée en puissance de certaines villes du nord : Postume, le premier, installe sa résidence à Cologne. Trèves est ensuite choisie par ses successeurs, en attendant qu’elle ne devienne le siège du diocèse de l’Ouest, qui englobe les Gaules, l’Espagne et la Bretagne. 87 Le chef des armées rhénanes, Postume, se fait proclamer empereur à Cologne vers 260 par ses soldats, inaugurant la sécession gauloise. Il est aux commandes de la région pour une dizaine d’années. Le fait qu’il porte par deux fois le titre de Restitutor Galliarum donne la preuve de son action bénéfique pour la Gaule et pour la région frontalière du Rhin. Ses successeurs n’auront pas le même enthousiasme, à l’image de Tétricus, battu à Châlons-sur-Marne par Aurélien qui met fin, en 274, à l’indépendance du pouvoir gaulois. 88 Sur la façade maritime, la situation est également troublée par les tribus franques et saxonnes qui infestent la mer, causant de grands dommages sur les côtes de Bretagne et de Gaule (Aurelius Victor). Carausius, commandant militaire de la Bretagne, usurpe lui aussi le pouvoir en 286. Grâce à des forces navales bien entraînées, il contrôle l’île et une partie du rivage continental, avec Boulogne et Rouen. L’aventure isolationniste n’a qu’un temps, mais elle montre bien, à l’image de l’“Empire gaulois” précédemment réduit, que la dislocation du pouvoir central menace toujours. En 291, Carausius est maître des ports et des voies maritimes de la mer du Nord ; il fait alliance avec les tribus des côtes bataves et frisonnes. C’est Constance Chlore qui mettra fin à l’aventure britannique en 296. 89 Vers 280, l’Empire se compose d’environ cinquante provinces, impériales ou sénatoriales. Leurs gouverneurs gardent la haute main sur l’administration politique, judiciaire et militaire, mais les guerres tendent à effacer lentement la distinction entre les provinces sénatoriales désarmées et les provinces impériales armées. Dans ces dernières, les gouverneurs sénatoriaux perdent tout pouvoir militaire et les légions 56 sont désormais commandées par des préfets (chevaliers), suppléants des légats. En revanche, dans les provinces équestres, le praeses conserve toutes ses responsabilités politiques et militaires. 90 La politique de Rome dans les zones frontalières connaît alors un changement fondamental, que certains auteurs modernes qualifient de modification stratégique : devant l’insuccès permanent des troupes basées sur les bordures de l’Empire, le centre de gravité de la défense se déplace vers l’intérieur des terres. Il ne convient pas de réfuter ici les vues stratégiques éventuelles que peut avoir le haut commandement, à supposer qu’il ait opté consciemment en faveur d’une révision d’une ancienne stratégie passive de verrouillage des frontières (Luttwak 1976 ; Whittaker 1989). Dans tous les cas, on voit apparaître sur le terrain, durant les règnes des “empereurs gaulois”, des programmes de constructions militaires destinées à protéger un certain nombre de routes militaires, pénétrantes et non plus seulement rocades du limes. Toutes les routes ne sont pas fortifiées de la sorte, mais la dispersion de troupes à l’intérieur du territoire paraît être une mesure nouvelle, qui accompagnera d’ailleurs les premiers efforts de défense urbaine. 91 On attribue généralement à Aurélien l’élévation des premiers remparts urbains de l’Antiquité tardive qui se multiplieront durant le IVe s., mais il semble que Probus ait eu sa part dans ces opérations. A. Grenier avait eu l’attention attirée par l’importance de ces murailles. Dans quelques cas, il n’est guère aisé de trancher sur leur fonction : castellum ou ville ? Aujourd’hui, on doit bien constater que beaucoup d’enceintes sont postérieures au IIIe s. 92 Un acte supplémentaire se joue dans le sillage des invasions barbares : il s’agit de l’installation plus ou moins définitive de peuplades étrangères au sein de l’Empire et de la nécessaire politique d’ouverture et de traités d’alliance qui voient le jour. On distingue globalement des accords visant à établir des barbares sur les terres romaines et l’introduction de ceux-ci dans les corps d’armée. Dès la fin du IIIe s., il est déjà question de campagnes labourées par les barbares. En 288, Maximien établit des Francs et des prisonniers d’origine germanique en colonies de Laeti. On sait explicitement que les tribus germaniques alliées de Carausius, après soumission, furent transférées en Gaule pour repeupler les campagnes désertes des Ambiens, des Bellovaques, des Tricasses et des Lingons (Pan. Lat. IV, 8, 9 ; VII, 6) : c’est le début d’une politique qui sera maintes fois reprise durant le IVe s. 93 Finalement, à partir de 282, se dessinent les premiers éléments du redressement tant attendu. À la mort de Probus, cette année-là, on considère la Gaule comme délivrée du péril germanique. 1.6 De Dioclétien à Valentinien Ier 94 RAYMOND BRULET 95 La fermeté des empereurs Dioclétien (284-305) et Constantin (307-337), la longueur de leur règne et leur implication dans un programme de réformes systématiques inaugurent une période de renaissance de l’Empire romain qui en a changé définitivement l’aspect. Les empereurs renforcent en effet le pouvoir de l’administration mais séparent les compétences civiles et militaires. Ils multiplient les effectifs de l’armée, restaurent la défense des frontières et développent une nouvelle 57 stratégie, fondée sur la protection de l’intérieur du territoire (Stein 1949-1959 ; Carrié & Rousselle 1999). 1.6.1 Les événements 96 La réforme militaire la plus importante est celle qui consiste à mettre sur pied une armée de campagne autonome, capable de remplir des missions adaptées aux circonstances (Southern et al. 1996). Très mobile, elle peut se déplacer à la demande sur tous les fronts et appuyer une armée frontalière qui perd de son influence. Cette période de restauration ne prendra fin que vers le milieu du IVe s. En 351, les Francs et les Alamans mettent à profit de nouvelles dissensions politiques pour franchir la frontière. La bataille de Mursa oppose Constance II (337-361) à l’usurpateur Magnence (350-353), qui a entraîné avec lui une grande partie de la force stratégique mobile. Celle-ci est engloutie dans le combat et la Gaule, qui doit faire face à une nouvelle situation de péril, ne pourra jamais reconstituer ses corps armés d’élite. Par la suite, les menaces barbares redeviennent effectives et les règnes des empereurs, généralement assez courts, sont consacrés au redressement incessant de la situation militaire. Un chef de l’envergure de Julien (360-363) s’épuisera à guerroyer sur les frontières en engrangeant quelques succès passagers sans grand avenir. 97 Les sources littéraires pour cette période sont de bonne qualité. On citera en premier lieu Ammien Marcellin, qui avait fait partie de l’entourage de Julien en Gaule, et qui est un témoin de premier ordre pour l’histoire militaire du milieu du IVe s. Son récit s’arrête en 378, avec la bataille d’Andrinople, où périssent Valens et l’armée d’Orient. D’autres auteurs plus tardifs, comme Zosime, sont précieux pour l’étude du IVe s. dans son ensemble. Mais c’est un autre type de document qui nous aide à comprendre un peu l’organisation administrative et militaire du Bas-Empire. Il s’agit de la Notifia Dignitatum, un almanach officiel qui, pour l’essentiel, donne l’état de l’Empire sous le règne d’Honorius (395-423). Il dresse un tableau très documenté, de manière distincte pour les deux parties de l’Empire (fig. 9). Ainsi parle-t-on d’une Notifia Dignitatum Orientis et d’une Notitia Dignitatum Occidentis. Tel qu’il se présente, ce document constitue un tableau officiel des grands dignitaires, des unités militaires et des emplacements où celles-ci étaient stationnées. Le texte, sans cesse mis à jour et remanié entre les années 380 et 420, n’offre pas une homogénéité parfaite (Clemente 1968). 58 FIG. 9 Vignette de la Notifia Dignitatum représentant les fortifications du duché de Mainz Wamser 2000, 211. 1.6.2 Les réformes administratives et territoriales 98 À partir de Dioclétien (284-305), quelques grandes lignes de force marquent la politique des princes de l’Antiquité tardive (Seston 1946). Dioclétien crée la Tétrarchie, mais ce système de gouvernement ne lui survit guère. Du point de vue administratif on voit apparaître, à partir de 297, une nouvelle logique dans l’organisation territoriale : on divise les anciennes provinces, jugées trop grandes et difficiles à défendre, au point de doubler quasiment leur nombre. Dans le même temps, on regroupe les nouvelles entités dans de grands ensembles régionaux (diocèses), sous l’autorité d’un vice-préfet du prétoire (vicaire), alors chevalier. Le Laterculus Veronensis, datable de 311, nous en donne la liste. Pour les Gaules, il y en a désormais deux. Le diocèse des Gaules proprement dit, qui a son siège à Trêves, est composé de huit provinces (Germanie I et II, Belgique I et II, Lyonnaise I et II, Séquanie, Alpes Grées et Pennines) ; le diocèse de Viennoise, avec son chef-lieu à Vienne, compte sept provinces (Viennoise, Narbonnaise I et II, Alpes maritimes, Aquitaine I et II, Novempopulanie) [fig. 10]. Ce mouvement de morcellement territorial se poursuivra ultérieurement. Vers 398, le Laterculus de Polemius Silvius compte au total dix-sept provinces en Gaule (Viennoise, Narbonnaise I et II, Aquitaine I et II, Novempopulanie, Alpes maritimes, Belgique I et II, Germanie I et II, Lyonnaise I, II et III, Maxima des Séquanes, Alpes Grées). La Notitia Dignitatum, vers 428, énumère, sous l’autorité du “vicaire des sept provinces”, la Viennoise, la Lyonnaise I, II, III et la Lyonnaise Sénonie, la Germanie I et II, la Belgique I et II, les Alpes maritimes, Pennines et Grées, la Maxima des Séquanes, l’Aquitaine I et II, la Novempopulanie, la Narbonnaise I et II (fig. 11). 59 FIG. 10 Carte des provinces de Gaule en 311 ; les limites des provinces sont approximatives. dessin M. Reddé d’après le Laterculus Veronensis. FIG. 11 Carte des provinces de Gaule au début du Ve s. ; les limites des provinces sont approximatives. dessin M. Reddé d’après la Notitia Dignitatum. 60 99 Sous Dioclétien, seule la préfecture du prétoire garde des attributions civiles et militaires. Le gouverneur de province n’a en revanche plus rien à voir avec l’armée. L’autorité militaire se trouve donc entre les mains d’un dux régional. C’est Dioclétien qui met en place ces districts frontaliers, une mesure qui a des origines antérieures à son règne, mais qu’il systématise. On évitera, à ce propos, de parler de “duchés”, terme en soi anachronique et impropre. Ces commandements territoriaux sont formés empiriquement au cours des guerres des Tétrarques, et le cordon linéaire du limes s’épaissit peu à peu en une large bande de territoire provincial militarisé. Ainsi la province de Maxima Sequanorum, réunissant le sud de la Germanie I à la cité des Helvètes et des Rauraques, sert-elle à défendre le Rhin supérieur, du lac de Constance à Horbourg. Il en va de même des Germanies I et II, dans lesquelles on trouve des légions, à Strasbourg, Mayence, Bonn, Xanten, avec, la plupart du temps, des corps de troupes connus antérieurement, même s’ils ont sensiblement fondu ; on y adjoint deux nouvelles légions à Deutz et chez les Tungrecani. Puis vient la Belgique I, avec Trèves comme capitale. Parce que les côtes de l’Atlantique et de la mer du Nord méritent une attention militaire qu’elles n’avaient guère suscitée par le passé, certaines zones littorales sont également aménagées en districts militaires (Brulet 1989) : la Belgique II ; l’Armorique, qui survivra dans la Notitia Dignitatum ; le tractus Armoricanus et Nervicanus, qui ne contrôle pas les Nerviens, mais des garnisons côtières ; enfin le tractus des deux Aquitaines et des trois Lyonnaises. 100 Sous Constantin, les anciens préfets du prétoire, désormais sénateurs, sont écartés de la cour, perdent toute compétence militaire et deviennent les chefs civils de grandes circonscriptions régionales. 101 En ôtant à la préfecture du prétoire son caractère militaire, Constantin crée une nouvelle catégorie suprême de généraux, les magistri militum et les comités. Sous son règne, il y aura deux maîtres de milices, le magister peditum, à la tête de toute l’infanterie, et le magister equitum, à la tête de toute la cavalerie. L’empereur reste le chef direct des ducs frontaliers jusqu’en 360, date à laquelle ceux-ci sont subordonnés aux magistri peditum et equitum. 1.6.3 La nouvelle organisation militaire 102 On dit de Dioclétien qu’il aurait doublé l’effectif total de l’armée. Mais nous savons qu’une partie des nouvelles légions était issue d’anciennes vexillations devenues autonomes. Ces nouveaux contingents sont beaucoup plus faibles qu’une ancienne légion. La plupart restent échelonnés sur les frontières et cèdent en cas de besoin des détachements pour servir au loin. À partir de 297, Dioclétien forme avec les meilleures troupes une armée de campagne, le comitatus, qui escorte les Augustes et les Césars. En temps de paix, ces unités tiennent garnison à l’intérieur de l’empire. Le comitatus comprend des vexillations de cavaliers et de fantassins ainsi que des petites unités d’environ 500 hommes, anciens numeri de Germains et de Celtes. 103 La légion ne compte probablement plus que 1 000 hommes, commandés par un tribun. Le titre de centurion est remplacé par celui de protector. Les réformes militaires les plus fondamentales sont révélées par une constitution datée du 17 juin 325 (C. Th. VII, 20, 4), qui énumère trois classes de soldats : les comitatenses, les ripenses et les ailes et cohortes. Pour mettre sur pied son armée de comitatenses, que la guerre civile engagée contre Maxence lui fournit l’occasion de développer (Van Berchem 1952), Constantin enlève 61 aux frontières rhénanes et danubiennes une partie des meilleures troupes. Les ripenses sont moins mobiles ; ce terme apparaît pour la première fois dans la constitution de 325 et désigne des forces affectées à la défense d’une rive. Plus tard, on les appellera limitanei, terme plus adéquat pour d’autres régions de l’Empire. 104 Après Constantin, on supprime la compétence de chaque maître de milice à une seule arme. On trouve ainsi, dans chaque cour, deux magistri militum praesentales. Une autre réforme d’importance capitale marque cette période : les troupes sont dédoublées en seniores et iuniores, dans le cadre d’un partage opéré en 364 et qui met en place deux armées indépendantes, l’une en Occident, l’autre en Orient. Le partage porte sur le tiers des comitatenses et se fait en scindant les meilleures unités : seniores affectés à Valentinien Ier, iuniores à Valens (Hoffmann 1969-1970). 105 En matière de stratégie militaire, la mobilité devient un concept fondamental durable. À la politique purement passive d’installation et de protection des frontières succède désormais une défense active en profondeur, car on s’aperçoit bien vite que protéger exclusivement la ligne frontalière de l’Empire ne suffit plus (Brulet 1996). Cette vision stratégique est peut-être une vue de l’esprit émanant de concepts modernes, mais la décentralisation généralisée et la création de zones militaires nous font mieux comprendre qu’il s’agit là d’une volonté politique très évidente. Quoi qu’il en soit, le territoire entier se couvre de fortifications, échelonnées le long des axes de communication les plus importants (Brulet 1990a). On voit aussi la Gaule tout entière enfermer une grande partie de ses villes dans des enceintes défensives, même si certaines cités semblent ne pas prendre cette mesure. Contrairement à ce que l’on croit trop souvent, la construction des remparts urbains s’étend de la fin du IIIe s. à la dynastie Valentinienne, voire au-delà, jusqu’au début du Ve s. pour l’Aquitaine (Maurin 1992). Cette chronologie longue montre que les efforts faits en la matière ne s’ancrent pas exclusivement dans les périodes d’invasion et ne répondent pas exclusivement à des préoccupations défensives, mais s’inscrivent bien souvent dans une politique nouvelle d’urbanisme. 106 La politique militaire adoptée pour la défense du cordon frontalier connaît d’importantes fluctuations, au gré des initiatives impériales (Luttwak 1976 ; Whittaker 1989). La politique de la Tétrarchie consiste à défendre en premier lieu la frontière septentrionale et orientale de la Gaule, désormais renforcée et solidement appuyée sur une zone arrière fortement militarisée. Constantin, en revanche, en créant les corps de réserve des comitatenses prélevés sur les troupes de frontière, qu’il affaiblit de ce fait, s’inscrit dans une logique qui s’apparente mieux à celle du temps. Son règne voit fleurir des castella et des forts d’arrêt implantés loin à l’intérieur du territoire. Vers le milieu du IVe s., on peut aussi déceler l’émergence d’une seconde génération de fortifications urbaines. 107 La constitution des corps d’armée révèle aussi ce souci de mobilité. Dans l’armée romaine du IVe s., l’infanterie conserve encore une partie de sa prépondérance tactique, mais les choses changent graduellement. Très lentement, on va découvrir le rôle nouveau de la cavalerie dans les combats. La cavalerie de chaque légion finit par constituer une unité séparée, une vexillation. On fait de plus en plus appel à des corps de spécialistes d’origine étrangère. Ainsi en est-il des cavaliers maures et dalmates, et des catafractaires, les célèbres unités cuirassées à cheval, qui emportent de plus en plus la décision dans les combats. 62 108 L’armée romaine de l’Antiquité tardive connaît un certain nombre de transformations qui sont liées au mode de recrutement des soldats et à la nouvelle stratégie adoptée. La qualité du recrutement baisse parce qu’il se pratique par l’intermédiaire des propriétaires fonciers, contraints de faire enrôler l’un de leurs dépendants ou de payer un dédommagement en son lieu et place. Ce fait atteint la qualité de l’armée elle-même, où l’on a tendance à placer les sujets les moins valides. Les guerres de la seconde moitié du IIIe s. ont produit des prisonniers ou entraîné l’installation de groupes d’immigrés germaniques avec lesquels le pouvoir romain est prêt à s’entendre (Demougeot 1988). 109 Enfin, on trouve encore des corps de troupes atypiques et des milices étrangères dans l’ensemble du territoire gaulois. Ils dépendent du haut commandement. Ce sont des garnisons placées en des points assez éloignés de la zone frontalière, comme à Marseille ou à Bayonne, et ce commandement concerne également les flottilles fluviales de la Gaule. En matière de milices étrangères, on connaît bien les unités de Lètes et de Sarmates installées parfois profondément à l’intérieur du pays. 110 La Gaule se germanise peu à peu et le phénomène va en s’amplifiant à mesure que le siècle avance (Böhme 1974 ; Goffart 1980). L’attraction des barbares gagne donc l’armée et on voit que, depuis Constantin, on accorde une grande confiance aux troupes étrangères (Vallet & Kazanski 1993). L’Empire attire aussi les populations barbares, à la recherche de nouvelles terres désertées par Rome qui assouplit progressivement sa politique d’immigration. On verra par exemple sous Valens, en 376, des barbares autorisés à s’installer dans l’Empire. Les raisons d’une profonde germanisation de la Gaule sont nombreuses et les modalités de l’insertion des barbares ne le sont pas moins. 1.7 De Valentinien Ier à la fin de l’Empire romain occidental 111 JÜRGEN OLDENSTEIN 112 Après les incursions dévastatrices des Germains, qui eurent lieu en 352 ap. J.-C. dans le contexte des affrontements entre Constance II et l’usurpateur Magnence, la protection de la frontière romaine entre Mayence et Strasbourg paraît avoir été presque complètement anéantie (Stein 1928a, 1928b ; Jones 1964 ; Martin 1987 ; Demandt 1989 ; Petrikovits 1978 ; Hoffmann 1969-1970 ; Bernhard 1981a, 1990 ; Gilles 1985 ; Kunow 1987). 113 Les couches d’incendie qui, dans le secteur rhénan, peuvent être attribuées en toute certitude à cette invasion des Alamans sont tout à fait éloquentes et illustrent le destin spécifique de la population locale concernée. Elles complètent, par l’archéologie, l’image qui nous a été transmise par la représentation parfois très détaillée que nous a donnée Ammien Marcellin, souvent témoin des affrontements militaires. Un fait montre la puissance de l’incursion des Alamans et la défaite que cette invasion germanique a infligée au gouvernement central romain : après avoir détruit le dispositif de protection de la frontière le long du Rhin, les Alamans commencèrent à créer des zones de colonisation sur le territoire de l’Empire romain. 114 Julien, nommé César en Gaule par Constantin II, commença, à partir de 355 ap. J.-C., à repousser les Germains hors de leurs nouvelles zones de colonisation. Après la bataille de Strasbourg, le gouvernement central redevint peu à peu maître de la situation le long du Rhin et Julien entreprit de restaurer les diocèses du nord de la Gaule. Nous ne 63 savons pas avec précision dans quelle mesure Julien, pendant cette phase de restauration, avait déjà commencé à compléter et reconstruire le limes le long de la frontière rhénane. À en croire les sources écrites, il fonda sa stratégie militaire contre les Germains sur des expéditions punitives en territoire ennemi. A cette occasion, les vieux fortins furent rénovés afin de servir de base pour les renforts. 115 Toutes les campagnes de Julien sur la rive droite du Rhin furent très bien préparées d’un point de vue logistique. Ammien (XVIII, 2, 4) évoque l’installation de bases –castra Herculis (Draton) et Bingium (Bingen)– de livraisons de céréales en provenance d’Angleterre et d’autres mesures analogues. Celles-ci mirent le César en mesure d’agir très efficacement contre les Germains. 116 Nous ignorons dans quelle mesure les fortifications du Rhin avaient déjà été rétablies à cette époque. Il est actuellement très difficile de déterminer par l’archéologie si des installations militaires romaines durables ont déjà été créées ou achevées sous Julien dans le secteur du Rhin. En Germanie première, on mentionne pour l’année 359 l’achèvement des fortifications d’Andernach et de Bingen, que l’on utilisait comme bases de ravitaillement. 117 En 361, la paix était rétablie sur le Rhin. Entre-temps, les troupes gauloises avaient proclamé Julien empereur à Paris. Après les sévères combats en Gaule, ses soldats ne voulurent plus qu’on les transférât sur le front persan, où se déroulaient de rudes combats et où Constance II avait dû concéder devant Amida une défaite importante, et surtout des pertes considérables. Pour ramener les effectifs de l’armée orientale à un niveau inquiétant pour l’adversaire perse, l’empereur demanda à son cousin des régiments d’élite gaulois. L’armée occidentale refusa et éleva Julien au titre d’Auguste. Il fallut attendre 361 pour que Julien se dirigeât vers l’Orient afin d’imposer par la force des armes ses prétentions au trône face à Constance II Si la guerre civile fut évitée, c’est uniquement parce que Constance mourut le 3 novembre de l’an 361. 118 Julien ne revint plus en Occident comme empereur : il dut faire face à de violents combats sur le front perse et mourut le 26 juin 363 d’une blessure qu’il avait subie lors d’une des nombreuses confrontations avec les Sassanides. La pression militaire que Julien avait exercée sur les Germains de la rive droite du Rhin, ses expéditions punitives en territoire germanique et les traités positifs (pour Rome) qui avaient pu être conclus dans ces conditions avec les Germains valurent quelques années paisibles aux provinces rhénanes. Même l’absence de l’empereur ne déclencha pas d’incursions germaniques sur le territoire romain. 119 Le successeur de Julien, Valentinien Ier, adopta lui aussi cette attitude offensive à l’égard des Germains. Après le bref intermède de celui qui resta dans l’histoire sous le surnom d’“Empereur d’un hiver”, Jovien, mort le 17 février 364, Valentinien I eravait été nommé Auguste le 26 février 364. Il nomma son frère Valens corégent. Ce dernier gouverna depuis Constantinople dans la partie orientale de l’empire, tandis que Valentinien Ier résidait d’abord à Milan, ultérieurement à Paris puis, pour l’essentiel, à Trêves. Seules l’armée et l’administration, mais pas l’Empire romain, furent réparties entre les deux frères par un acte officiel conclu en juin 364 à Naissus (Niš, Serbie). 120 La mort de Julien avait incité les Alamans, une fois de plus, à opérer une incursion en Gaule. Cela ne les empêcha pas de faire allégeance au nouvel empereur Valentinien I er, en 365, à Milan, pour qu’il leur offre des présents. Les dons de Valentinien I er furent trop chiches, et les Alamans entrèrent de nouveau sur le territoire romain. Les troupes romaines envoyées pour les combattre furent anéanties. En 368, vraisemblablement 64 pour Pâques, le prince alaman Rando ht son entrée à Mayence et, sans se heurter à une résistance notable, captura une grande partie des habitants de la ville. Les combats avec les Alamans durèrent jusqu’en 370. Cette année-là, le maître des milices Théodose réussit cependant à infliger une défaite décisive aux armées alamaniques réunies en Rétie. En 374, une paix fut conclue avec les Alamans. 121 Au début des années soixante-dix, Valentinien Ier dut aussi affronter les Francs et des pirates saxons sur le Rhin inférieur ; mais Rome sortit victorieuse de ces combats. En Angleterre, c’est le comes Théodose qui combattait avec succès, depuis 368, en faveur de Valentinien Ier, et le diocèse de Bretagne fut pacifié dans les années soixante-dix. 122 Ammien rapporte que Valentinien Ier a répondu aux attaques barbares en consolidant de nouveau les frontières. Selon lui, un grand nombre de castella auraient été reconstruits sous son règne (XXVIII, 2) : “Cependant Valentinien I er, concevant de vastes et utiles projets, bouleversait par de grands travaux tout le cours du Rhin, depuis l’extrémité de la Rétie jusqu’au détroit océanique, élevant à bonne hauteur des camps et des redoutes, ainsi que des tours dressées à intervalles rapprochés, en des emplacements faciles à défendre et bien situés, sur toute la longueur des Gaules ; quelquefois même il plaçait des constructions au-delà du fleuve, en mordant un peu sur les terres barbares”. Ce passage permet de conclure à l’existence d’un grand programme de fortifications mené par l’empereur. Lorsqu’on recherche les nombreux fortins neufs qui auraient été édifiés sous Valentinien Ier, il faut cependant constater que le concept de “nouveau bâtiment” n’est pas totalement exact. Il y a eu beaucoup moins de véritables nouveaux édifices sous Valentinien I er que de restaurations de castella préexistants (Lander 1984, 276 sq.). 123 Julien et surtout Valentinien Ier avaient tiré les leçons des catastrophes. Entre 357 et 370, on renforça nettement la frontière du Rhin. Dans les villes rhénanes, entre Andernach et Strasbourg, on plaça en garnison des unités frontalières et l’on dota ces zones d’habitation de murailles neuves ou renforcées. Dans l’arrière-pays, on créa des camps pour les unités d’élite (le comitatus) auxquelles revenait la mission de bloquer définitivement les Germains qui auraient passé la frontière et se trouveraient dans la zone frontalière directe (Fischer 2000, ill. p. 209). 124 Lors de la construction de ce système défensif, rien ne fut laissé au hasard. Pour être à l’abri des surprises, on érigea sur la rive droite du Rhin des débarcadères fortifiés. Les troupes qui y stationnaient avaient pour mission de mener une activité de renseignement dans les profondeurs de la Germanie. On était ainsi protégé contre les attaques surprises et l’on pouvait se préparer à temps pour les combats en cas d’approche de grosses unités ennemies. La flotte fluviale représente un autre maillon de cette chaîne. Depuis la rive gauche du Rhin, qui était sûre, elle pouvait approvisionner des garnisons assiégées ou même, dans le pire des cas, les évacuer à l’abri des murailles portuaires. 125 Le nouveau système de défense était composé de quatre éléments. Sur la rive droite du Rhin, ce sont les garnisons des forts qui servaient d’éclaireurs. En cas de mouvements importants des troupes ennemies, celles-ci prévenaient la flotte fluviale, et les unités frontalières pouvaient immédiatement prendre position. Dans le même temps, on prévenait les unités d’élite très mobiles qui opéraient dans l’arrière-pays. Celles-ci pouvaient alors se diriger vers les secteurs particulièrement exposés et soutenir les unités frontalières dans leur combat défensif. Ce nouveau concept de défense peut être étudié en toute certitude pour les provinces de Germanie première et de Maxima 65 Sequanorum, alors qu’en Germanie seconde on n’a pas, jusqu’ici, trouvé de burgi sur la rive droite du Rhin. Ou bien on n’en avait pas érigé, ou bien on a renoncé, dans cette province, à ce type de fortifications. Le nouveau concept de défense, à la frontière de la Gaule du Nord, s’avéra très sûr après son achèvement définitif, car les sources ne donnent plus aucune indication d’invasions germaniques de grande ampleur. 126 Il faut attendre l’usurpation de Maxime (Magnus Clemens Maximus, 383-388) et la situation de guerre civile qu’elle entraîna pour que les Francs fissent de nouveau irruption en Gaule, s’y livrant à des pillages. En 383, Maxime, à l’origine usurpateur en Angleterre, marcha contre Gratien en Gaule intérieure. Les deux armées se rencontrèrent près de Paris (Stein 1928b, 310 sq. ; Jones 1964, 162 sq. ; Demandt 1989, 129 sq.). Quelques décisions dirigées, notamment, contre l’aristocratie païenne avaient nui à la popularité de Gratien au cours des dernières années de son règne. Maxime, en revanche, paraissait tout à fait convenir aux soldats. On peut difficilement expliquer autrement que la bataille de Paris n’ait pas eu lieu. Près de 300 cavaliers de l’armée de Gratien se mirent aux ordres de Maxime. Gratien lui-même fut assassiné à Lyon par le magister militum de Maxime, Adragathe. 127 Alors que le souverain légitime, Valentinien II, tenait sa cour à Milan avec l’aide de sa mère Justina, Maxime résidait à Trêves. Par peur d’une incursion de Maxime en Italie, on chargea le maître des milices Bauto de verrouiller les cols des Alpes. Par la force des choses, les rapports entre Valentinien II et Maxime n’étaient pas excellents. Valentinien II appela cependant Maxime à l’aide, en 386-387, afin de repousser les Sarmates sur le Danube. Maxime utilisa à ses propres fins cet appel au secours et franchit personnellement les Alpes avec une armée. Valentinien I er alla se réfugier à Thessalonique. Quelques unités du comitatus venues de Gaule du Nord participèrent sans doute aussi à cette campagne. 128 Le règne de Maxime en Occident s’acheva tragiquement en 388. Maxime avait armé ses troupes contre Théodose et était déjà entré en Illyricum lorsque Théodose, après d’assez longs préparatifs, quitta Thessalonique en direction de l’ouest. Son armée était presque exclusivement composée d’unités de Huns et de Goths. Deux batailles s’achevèrent sur de lourdes pertes pour Maxime, dans le secteur de l’Illyrie, près de Siscia, et près de Poetovio. Après la bataille de Poetovio, l’armée de Maxime se rallia dans son ensemble à Théodose. Maxime se rendit ou fut capturé près d’Aquilée. Lui-même et son fils Flavius Victor furent décapités, vraisemblablement dès le mois d’août 388 ap. J.-C. (Pacatus, Panegyrict II). Après les remous de la guerre civile, la situation s’apaisa cependant en bonne partie le long du Rhin. Même le retrait d’assez grands contingents de l’armée de campagne hors de la Gaule du Nord sous Stilichon, en 401-402 (Claudien, De bello gothico, 416-417 ; Zosime VI 2, 2), pour protéger l’Italie ne provoqua pas d’attaque germanique directe. Cela ne changea que cinq ans plus tard, dans des conditions dramatiques. 129 A la fin de l’année 406 et au début de 407 eut lieu dans le secteur du Haut-Rhin, entre Andernach et Strasbourg, un événement capital pour l’histoire de l’Europe centrale et occidentale (Bury 1958 [1923], 185 sq. ; Stein 1928b, 381 sq. ; Nesselhauf 1938, 72 sq. ; Hoffmann 1973 ; Ewig 1979, 271 sq. ; Demandt 1989, 137-138). Dans la nuit du nouvel an, une grande division composée de Germains et d’Alains franchit le Rhin en direction de Mayence. Selon la correspondance de saint Jérôme (Jérôme, Ep. 123 ; Zosime VI, 3, 1), la ville fut détruite à cette occasion et Worms assiégée un certain temps, pour être prise ensuite, exactement comme Speyer. L’ensemble de la défense du limes au sud de Mayence s’était effondré, si l’on en croit le récit de Jérôme. 66 130 Comme de grandes parties de l’armée de campagne avaient été retirées par Stilichon dès 401-402 pour protéger l’Italie, les fédérés francs avaient tenté d’empêcher l’invasion. Ils manquèrent y parvenir, d’autant plus qu’à cette date les Alains dirigés par Goar avaient déjà changé de camp. Ceux qui étaient sous la conduite de Respendial restèrent quant à eux dans l’alliance germanique. Seule leur intervention permit que les combats s’achèvent au profit des alliés suèves et vandales. Lorsque la frontière entre le Main et Strasbourg eut été enfoncée et qu’il fut devenu impossible de bâtir une seconde ligne de défense faute de troupes de campagne, les envahisseurs parvinrent à pénétrer en profondeur dans les diocèses gaulois. Le pouvoir du gouvernement central romain paraît avoir été totalement aboli pour quelque temps au sein de la préfecture des Gaules, si bien qu’en Occident, on ne trouva pas de meilleure solution que de nommer un imperator “indigène” que l’on jugeait capable de restaurer le pouvoir romain en Gaule. Après deux premiers échecs, on le trouva en 407 en la personne d’un Britannique portant le nom prometteur de Constantinus qui, après l’usurpation, se fit appeler Claudius Flavius Constantinus et que l’on connaît sous le nom de Constantin III (Demougeot 1988, 85 sq.) 131 Selon les indications fournies par Zosime, Constantin III parvint même à restaurer de nouveau la frontière du Rhin. Cela ne semble pas lui avoir été exagérément difficile, car, si l’on en croit les sources, la Gaule intérieure paraissait beaucoup plus intéressante aux Germains qui voulaient envahir le pays que la province rhénane, laquelle n’était pas aussi riche. Les Vandales et les Suèves n’ont pas séjourné trop longtemps dans le secteur du Rhin, ils ont assez rapidement avancé dans le centre de la Gaule, puis vers l’Espagne. Contrairement à la Germanie première, la Germanie seconde paraît avoir été peu touchée par l’incursion germanique et alanique (Fischer 1999b ; 2000). 132 On raconte généralement que, dans le sillage des Vandales, les Burgondes et les Alamans arrivèrent aussi sur la rive gauche du Rhin (Wackwitz 1964, n. 1, 47, n. 268-270). Contrairement aux Vandales et aux Alains, qui s’intéressaient à l’intérieur de la Gaule, Burgondes et Alamans auraient limité leurs ambitions à la province rhénane. Mais en examinant plus précisément les sources, on est frappé par le fait que seuls les Alamans sont cités à propos de traités d’alliance (Grégoire de Tours, Hist. Franc. 2, 9 ; Sozomène 9, 13, 2). Pour le reste, nous n’entendons parler que de manière très générale de traités incertains que Constantin III aurait conclus avec les Barbares (Orose VII, 40, 2 ; Zosime VI, 3, 3). Anticipant les Nouvelles de 411 et 413 qui affirment que les Burgondes se trouvaient en assez grand nombre dans le secteur du Rhin et qu’on leur avait attribué –sans précision de lieu– des zones de colonisation, on considère que des Burgondes devaient se trouver parmi les barbares avec lesquels Constantin III aurait conclu en 407 d’hypothétiques traités. Dans les sources, il n’en est pas encore question pour l’année 407. 133 Alors que le général occidental Constantius, le futur empereur Constance III, associé aux Wisigoths, assiégeait et battait en 411 l’usurpateur Constantin III en Arles (Sozomène 9, 12), les Alains, sous la direction de Goar, et les Burgondes, sous celle de Gundicarius, aidèrent un Gallo-Romain répondant au nom de Jovinus à accéder au trône impérial. Le lieu où cela se produisit nous est transmis par Olympiodore (Frg. 17). Selon ce dernier, l’usurpation de Jovinus eut lieu dans un lieu nommé Mundiacum, dans la province de Germanie seconde. La plupart des chercheurs estiment que les indications de lieu trouvées chez Olympiodore devraient être corrigées en Moguntiacum et Germania prima (Stroheker 1965, 740, n. 1 ; Wackwitz 1964, 54 sq. ; Demandt 1989, 148, notamment 67 n. 50), considérant que les localités transmises sont le fruit de simples erreurs de copie. Contre cette hypothèse, J.R. Dietrich a émis la thèse selon laquelle les indications de lieu chez Olympiodore étaient tout à fait exactes et que, pour cette raison, il ne fallait pas chercher le royaume des Burgondes sur la partie septentrionale du Rhin supérieur, mais le long du Rhin inférieur (Dietrich 1923). Il fut suivi entre autres par Stein (1928b) et par Petrikovits (1978, 275, 288-289). 134 En 413, les Burgondes fédérés sont installés le long du Rhin, vraisemblablement entre Mayence et Strasbourg : Burgundiones partem Galliae propincpuam Rheno optinuerunt (Prosper 1250 ad a. 413 ; Oldenstein 1995). Dans le même temps, Constance parvint à l’emporter sur Jovinus. L’année 413 permit aussi au gouvernement central de reprendre le pouvoir en Gaule. Toutes les traces de l’invasion germanique de 406-407 et des insurrections des Bagaudes en Armorique n’étaient pas effacées, mais l’action du maître des milices Constance permit une lente consolidation de la situation dans les diocèses des Gaules. Après 418, la situation dans les provinces rhénanes paraît avoir été de nouveau totalement sécurisée. Même l’administration fonctionnait de nouveau, comme on peut le déduire de la Notitia Dignitatum (Oldenstein 1994 ; Kaiser 1998). 135 Pour protéger les provinces rhénanes, le dux de Mayence ne fut vraisemblablement réinstallé qu’après 407, tandis que les troupes des généraux assuraient la défense de la Germanie seconde. À Strasbourg résidait un cornes, mais la Notitia ne donne pas d’indications très claires sur les troupes à sa disposition. Malgré tout, on peut considérer aujourd’hui avec une relative certitude que toute la frontière romaine du nord-ouest, jusqu’au Noricum ripense, fut occupée pendant la première moitié du Ve s. et qu’elle fut prolongée dans certains cas. Dans le secteur de Mayence, on peut même reconstituer le système défensif de Valentinien Ier, quoique sous une forme modifiée. Les burgi de la rive droite du Rhin étaient eux aussi occupés à cette époque, tout comme les forts du limes. La flotte rhénane fonctionnait certainement encore, si l’on se fie à l’existence des burgi de la rive droite. Les unités de l’armée de campagne retirées en 401-402 furent remplacées par des fédérés burgondes entre Andernach et Seltz. 136 Malgré les insuffisances de la tradition historique, on peut aujourd’hui considérer, pour ce qui concerne les provinces rhénanes, que la frontière du Rhin a été tenue jusqu’au milieu du Ve s. et même parfois au-delà. L’un des principaux garants de la cause romaine fut Aetius, maître des milices d’Occident et Patrice. Au cours de grandes batailles défensives, mais aussi de négociations difficiles avec les Germains, il se révéla en règle générale le plus fort, en dépit de la pression germanique. En 428, il empêche une grande colonisation sur le Rhin inférieur ; en 430-431, il vainc des Jutes qui avaient fait irruption dans la Rétie II et des habitants insurgés du Norique. En 436-437, avec l’aide de régiments huns, il anéantit 20 000 fédérés burgondes qui avaient fait une incursion en Gaule depuis le Rhin, en pillant les villages. En 443, il déplace les restes des fédérés burgondes dans la Sapaudia, au bord du lac de Genève. Dans la cinquième décennie du Ve s., Aetius se tourna contre le roi franc salien Chlogio, qui tentait, depuis la Toxandrie, d’étendre vers la Somme les zones de colonisation qui lui avaient été attribuées (Oldenstein 1994). 137 En 451, Aetius tenta, essentiellement avec l’aide des Wisigoths, de stopper l’avance d’Attila aux champs Catalauniques (Champagne) [lordanes, Getica 194 sq.]. Aetius remporta la victoire de justesse et, malgré ce succès, l’an 451 marque le début de la fin de l’Empire romain d’Occident. Des jaloux, à la cour de Valentinien III, reprochaient à Aetius sa position influente et l’empereur méfiant autorisa en 454 l’assassinat par 68 surprise de son général. Selon Procope (Bell. Vand. I, 4, 28), Valentinien I er, “en assassinant Aetius, s’était coupé la main droite avec la gauche”. En 455, l’empereur inconstant fut assassiné par la clientèle du Patrice. La même année, Francs et Alamans franchirent le Rhin et firent irruption sur le territoire de l’empire. Peu de temps après, nous apprenons la prise des villes de Cologne et de Trêves. Il ne restait plus que vingt ans avant la disparition définitive de l’empire occidental, en 476 ap. J.-C. Aegidius et son fils Syagrius purent encore tenir quelque temps certaines parties de la Gaule, et Childeric, le père de Clovis, qui fut enterré en grande pompe à Tournai en 482, portait outre son bracelet à épi d’or, signe de la noblesse germanique, une fibule d’or en arbalète, insigne de la haute dignité d’officier romain. Depuis le début du Ve s., les Germains avaient beaucoup contribué à garantir la domination de Rome en Gaule et sur la frontière rhénane. Avec la mort d’Aetius, on tourna lentement la page et les tribus germaniques s’installèrent peu à peu dans les territoires où elles s’étaient acclimatées au fil du temps (Schmidts 2000). 138 La chute de l’Empire d’Occident dans les provinces romaines du Rhin a laissé des traces archéologiques bien identifiables. Des fouilles à Maastricht et Nimègue (Haalebos & Willems 2000, 80 sq.), à Krefeld/Gellep (Reichmann 1998), à Haus Bürgel (Fischer 1999b), à Alzey (Oldenstein 1986) ont montré que, jusqu’au milieu du Ve s., ces places ont été occupées par des troupes romaines ; ensuite, l’influence germanique y est de plus en plus sensible. On constate des processus analogues à la même époque en Angleterre, en Rétie et au Norique (Mackensen 2000). Le milieu du Ve s. est sans doute le moment où toutes les provinces romaines du nord-ouest commencent à se détacher définitivement de l’ensemble formé par l’imperium romanum. 1.8 L’organisation territoriale de la défense des Gaules pendant l’Antiquité tardive 139 RAYMOND BRULET 1.8.1 La frontière rhénane 1.8.1.1 L’armée du Rhin 140 On estime que la première réaction militaire qui a pu suivre la chute du limes germanique sous Valérien date de la fin du IIIe s., comme en portent témoignage les estampilles d’un numerus Ursariensium, notamment à Qualburg (Petrikovits 1974b). Gallien a sans doute imaginé le retrait de la frontière sur le Rhin. C’est souvent Probus qui est considéré comme le redresseur du glacis militaire ; une inscription d’Augsburg le nomme d’ailleurs Restitutor provinciae. Il intervient déjà dans le renforcement de la bande de terre qui sépare le lac de Constance et le Danube (Fellmann 1992). À Oberwinterthur et à Stein am Rhein, les enceintes ont livré des inscriptions de 294 et 285-305 (CIL XIII, 5249 et 5256). Vers l’est, entre Rhin, Hier et Danube, les traces d’une première initiative émanant de Postume s’observent à Isny et à Kellmünz. 141 L’organisation de la nouvelle frontière ne fut toutefois pas aussi rapide partout, et les résultats tangibles ne peuvent s’observer nettement qu’avec l’arrivée au pouvoir de Dioclétien. Le César Constance Chlore joua un rôle déterminant dans la reconstruction des systèmes de défense. En outre, on observe un certain nombre de facteurs qui 69 modifient de fond en comble l’état ancien. En premier lieu, on ne sait pas très bien si le cours inférieur du Rhin constituait encore la frontière de l’Empire. Les inondations qui ont affecté le delta fluvial, la rareté des témoins archéologiques du IVe s. et l’importance prise par le Waal et Nimègue, aux Pays-Bas, ont fait douter que les garnisons aient pu être installées le long du Vieux Rhin. En second lieu, la stratégie militaire de l’Antiquité tardive, si tant est qu’on en reconnaisse l’existence, modifie le cours des choses : le cordon de forts frontaliers est désormais épaulé par des réseaux de fortifications à l’intérieur du territoire, assez loin au cœur de celui-ci, le long des routes, des rivières et dans les campagnes (Brulet 1990a ; 1995). En troisième lieu, avec la multiplication des unités militaires dans l’hinterland, les contingents basés sur la frontière changent de taille, ce qui a aussi une répercussion sur les dimensions des forteresses concernées, qui n’ont plus rien à voir avec celles des camps légionnaires du Principat. Les documents historiques témoignent, à leur façon, de ce phénomène : on assiste, au fil du IVe s., à une perte de la valeur des unités frontalières de ripenses ou de limitanei au profit de l’armée de mouvement, les comitatenses (Nicasie 1998), même si cette évolution est surtout perceptible au début du Ve s. 142 La frontière se présente donc comme une barrière fluviale sur tout le trajet qui concerne la Gaule (fig. 12, 13). Au-delà, elle rejoint le Danube par la Rétie où un dispositif nouveau, le Donau-Iller-Rhein Limes, intègre un tronçon de frontière terrestre. Il s’agit d’appuyer un dispositif de forts et de tours de garde contre l’Hier mais sur un parcours réduit ; la bordure de l’Empire renoue alors avec des limites non fluviales qui font l’objet d’une mise en défense particulièrement soignée (Garbsch 1970 ; Mackensen 1999 ; 2000). Cette frontière a des points communs, dans son mode d’organisation, avec le limes de la Grande Séquanie (fig. 14), plutôt qu’avec celui des deux provinces de Germanie. 143 Une première question concerne la frontière septentrionale de la Germanie II Entre le Brittenburg, à l’embouchure du Rhin, et Qualburg, les sites militaires s’échelonnent mais peu d’entre eux révèlent les traces d’une occupation intense. Les plus significatifs, comme Valkenburg, Maurik, Rhenen et Arnhem/Meinerswijk, permettent toutefois d’identifier des éléments d’établissements militaires (Willems 1986). 144 Si le Rhin correspond plus que jamais à une frontière matérielle, tout indique que les mesures militaires propres au Bas-Empire prennent cette fois en compte l’intérieur du territoire, où des initiatives très nombreuses voient le jour. Elles concernent l’érection, dans l’hinterland, de fortifications qui peuvent s’intégrer dans l’effort général de défense. Sur l’interprétation et le sens que l’on peut donner en termes de géopolitique à ces initiatives, la question a été plusieurs fois posée. Pour certains auteurs, la volonté d’une défense en profondeur est délibérée (Luttwak 1976). D’autres combattent l’idée même de stratégie, parce qu’ils pensent que ce sont les facteurs économiques et les circonstances qui décident (Whittaker 1994), ou parce que la ligne de démarcation est plus ou moins accidentelle (Isaac 1990). 145 Quoi qu’il en soit, les éléments matériels d’une défense en profondeur existent bel et bien : la bipartition entre armée de frontière et armée de mouvement fonde une action qui repose sur une conception nouvelle de la défense. Par ailleurs, le poids de la protection de la Gaule ne repose plus exclusivement sur des corps de troupes basés aux frontières, mais sur un ensemble de mesures prises le long des réseaux de communication, dans les milieux urbains et ruraux, en arrière des frontières. En ce qui concerne la frontière elle-même, on notera qu’elle s’appuie contre un obstacle naturel, 70 ce qui n’a rien d’anormal dans l’Empire ; les forts qui y sont conçus sont créés pour la défense et non pour le casernement, ce qui suppose déjà l’adoption d’un point de vue nouveau (Nicasie 1997). 146 En Germanie II, durant la première moitié du IVe s., les légions anciennes casernées à Xanten (XXX Ulpia) et à Bonn (I Minervia) y sont toujours attestées. Elles constituent sans doute le noyau attribué au commandant territorial, mais on leur adjoint deux nouvelles unités : les Divitenses à Deutz, en face de Cologne et les Tungrecani (Hoffmann 1969). On sait que le castellum de Krefeld/Gellep a pu jouer un rôle déterminant sous Valentinien Ier et Théodose. Malheureusement, nous ne disposons pas de l’information de la Notifia Dignitatum. Le feuillet du manuscrit qui concerne cette province a pu être égaré ; certains érudits pensent que cette partie de la frontière était abandonnée au moment de la rédaction de la Notitia, à cause d’une perte acceptée ou délibérée des territoires passés en des mains germaniques. L’archéologie nous révèle néanmoins l’existence de forts plus petits et de tours comme celle d’Asberg. 147 En Germanie I se trouvent casernées les légions VIII Augusta à Strasbourg et XXII Primigenia à Mayence. Mais on y a reconnu aussi des camps célèbres comme ceux des Martenses à Altrip, des Menapii à Rheinzabern, des Balistarii de Boppard, des Defensores de Coblence, les forts d’Alzey et de Bad Kreuznach, des ports militaires. Les routes offrent aussi des structures fortifiées, notamment entre Seltz, Brumath, Tabernae (Saverne) et TarquimpoL 148 Pour la fin de l’époque romaine, la Notitia distingue deux secteurs dans cette province. Le premier suit la frontière d’Andernach à l’extrémité nord-est de la frontière de Germanie II, jusqu’à Seltz, cette zone étant placée sous les ordres du dux Moguntiacensis. On y enregistre onze forteresses : Andernach, Coblence, Bopppard, Bingen, Mayence, Worms, Altrip, Spire, Germerschein, Rheinzabern et Seltz. Ces casernements sont occupés par des milites, à l’exception de Worms où l’on trouve une légion. Le second secteur, placé sous l’autorité du comes Argentoratensis, est un tractus cité sans l’appui du moindre corps de troupes. Il est sûr que dans cette zone prenaient place un certain nombre de forteresses, à Strasbourg par exemple. Le comte de Strasbourg disposait sans doute du commandement suprême sur ce secteur, en plus de l’autorité qu’il a dû exercer sur la VIIIe légion. La Sequania, au IVe s., englobe l’ensemble du territoire des Helvètes. Un nouveau contingent est levé, la légion I Martia, pour protéger la province, comme l’indique la répartition des tuiles estampillées ; mais le centre du dispositif est le castrum Rauracense (Fellmann 1992 ; 2004). Le site est intéressant parce qu’il nous montre une évolution en plusieurs étapes durant le IVe s., tout comme celui de Breisach. Plus tard, d’après la Notitia, la Séquanie dispose uniquement des milites Latavienses, ce qui est peu. Mais une correction naturelle peut être faite à la lecture de la Notitia provinciarum qui indique des castra à Windisch, Yverdon, Argent <ov> aria (Oedenburg ?), Kaiseraugst et un port, Portus Abucini. Tout le secteur militaire de la Séquanie s’illustre par une mise en défense élaborée qui allie fortifications aux frontières, avec une chaîne impressionnante de tours, et défense en profondeur efficace. Les nouvelles découvertes d’Oedenburg montrent l’importance de ce site stratégique, à peu de distance de la frontière de Germanie I, en Séquanie (Nuber 2001 ; Nuber & Reddé 2002 ; Reddé 2005). 149 Le Rhin dispose aussi de bâtiments de guerre fluviaux, et plusieurs ports ont été découverts (Höckmann 1986). C’est la rive droite du Rhin qui est privilégiée pour accueillir ces points de mouillage, ainsi que l’embouchure des rivières (Fischer 2000). 71 On sait par ailleurs, par les sources (Notitia Dignitatum 33), qu’une flotte lacustre était attachée au lac de Constance, tandis que la flotte rhénane existait encore bel et bien sous Constantin et sous Julien. 1.8.1.2 Dispositifs rhénans et fortifications 150 En comparant la situation sur les divers secteurs du limes rhénan, on voit se dégager des différences d’aménagement dans les dispositifs. Il faut tenir compte néanmoins de la phase chronologique dans laquelle ils prennent place de manière parfois différenciée. 151 Le secteur septentrional est pauvre en aménagements militaires : en Germanie II, en aval de Xanten, le dispositif s’appuie surtout sur des camps placés au bord du fleuve, mais les informations manquent pour qu’on puisse affirmer qu’il était complété, de manière systématique, par un cordon de tours de défense (fig. 12). L’intérieur des terres est particulièrement bien défendu par des fortifications routières et de hauteur, ou renforcé par des forts le long de la Meuse. En Germanie I, on retrouve une situation similaire le long du Rhin car les tours de garde font défaut ; les sites militaires sont plutôt des camps de grandes dimensions et des ports fortifiés (fig. 13). Les routes de l’intérieur disposent même de casernements imposants, comme ceux de Bad Kreuznach et d’Alzey. En Séquanie, en revanche, si le modèle exposé plus haut reste d’actualité, on y ajoute, à l’époque de Valentinien Ier, un dispositif dense de tours, qui matérialise un renforcement des zones frontières, sans compter le rôle qui a pu être celui de la flotte du lac de Constance (fig. 14). Nonobstant la puissance de ce dispositif, l’intérieur du territoire est doté de fortifications dont la typologie et la date sont très variées. Revenons, point par point, sur ces différents secteurs. 72 FIG. 12 Carte de l’organisation militaire de la Germanie II et de la Belgique II au Bas‑Empire. Capitales de cités : 1 Köln ; 2 Tongeren ; 3 Vermand ; 4 Arras ; 5 Cambrai ; 6 Tournai ; 7 Amiens ; 8 Thérouanne ; 9 Boulogne-sur-Mer ; 10 Trêves. Villes et agglomérations fortifiées : 11 Andernach ; 12 Bitburg ; 13 Jünkerath ; 14 Zulpich ; 15 Aachen ; 16 Jülich ; 17 Heerlen ; 18 Maastricht ; 19 Nijmegen ; 20 Bavay ; 21 Famars ; 22 Cassel ; 23 Noyon. Forts : 24 Brittenburg ? 25 Valkenburg aan de Rijn ; 26 Woerden ? 27 Vleuten-De Meern ? 28 Utrecht ; 29 Maurik ; 30 Rhenen ? 31 Driel ? 32 Meinerswijk ? 33 Huissen ? 34 Rossum ; 35 Ewijk ? 36 Kessel ? 37 Cuijk ; 38 Qualburg ; 39 Kalkar/Altkalkar ; 40 Xanten ; 41 Calo ; 42 Krefeld/Gellep ; 43 Neuss ; 44 Dormagen ; 45 Deutz ; 46 Bonn ; 47 Remagen ; 48 Oostvoorne ; 49 Westerschouwen ; 50 Domburg ; 51 Aardenburg ; 52 Bruges ; 53 Oudenburg ; 54 Marquise ; 55 Étaples ; 56 Le Crotoy ; 57 Cap Hornu. Forteresses : 58 Heumensoord ; 59 Monheim, Haus Bürgel ; 60 Lottum ? 61 Blerick ? 62 Heel ? 63 Stokkem ? 64 Brühl/Villenhaus ; 65 Hüchelhoven ; 66 Lich/Steinstrass ; 67 Oreye ? Bergilers ; 68 Braives/Le Châtillon ; 69 Taviers ; 70 Cortil-Noirmont ; 71 Liberchies I ; 71 Liberchies II ; 72 Morlanwelz I ; 73 Givry ; 74 Bermerain ? 75 Courtrai. Tours : 76 Asperden ; 77 Moers/Asberg ; 78 Hulsberg/Goudsberg ; 79 Braives/Le Châtillon ; 80 CortilNoirmont ; 81 Morlanwelz II. Fortifications de rivière : 82 Rheinbrohl ; 83 Engers. dessin R. Brulet. 73 FIG. 13 Carte de l’organisation militaire de la Germanie I et de la Belgique I au Bas-Empire Capitales de cité : 1 Trier ; 2 Metz ; 3 Toul ; 4 Verdun ; 5 Mainz ; 6 Worms ; 7 Spire ; 8 Strasbourg. Villes et agglomérations fortifiées : 9 Arlon ; 10 Bitburg ; 11 Neumagen ; 12 Andernach ; 13 Koblenz ; 14 Boppard ; 15 Saarbrücken ; 16 Tarquimpol ; 17 Sarrebourg ; 18 Saverne ; 19 Brumath. Forts : 20 Remagen ; 21 Oberwesel ; 22 Bingen ; 23 Altrip ; 24 Biesheim, Kunheim/Oedenburg ; 25 Alzey ; 26 Bad Kreuznach ; 27 Pachten ; 28 Horbourg. Forteresses : 29 Germersheim ; 30 Rheinzabern ; 31 Seltz ; 32 Ehl ; 33 Sponeck ; 34 Echternach. Fortifications de rivière : 35 Rheinbrohl ; 36 Engers ; 37 Niederlahnstein ; 38 Wiesbaden/ Biebrick ; 39 Zullestein ; 40 Mannheim/ Neckarau ; 41 Ladenburg. dessin R. Brulet. FIG. 14 Carte de l’organisation militaire de la Grande Séquanie au Bas-Empire (Drack 1993, 4-5). 74 152 En Germanie II, le dispositif rhénan est très mal connu dans sa section septentrionale. Depuis l’embouchure du fleuve jusqu’à hauteur de Xanten, les données sont éparses et peu fiables. On connaît les débats qui se sont ouverts à propos de la datation du Brittenburg et de la localisation des castra Herculis. Les divers points répertoriés sur cette ligne, comme ceux de Arnhem/Meinerswijk et de Qualburg, ne permettent pas, malgré leur intérêt, d’affirmer l’existence d’une présence militaire continue, car nous disposons de peu de restes matériels de forts. Aux Pays-Bas, il existe aussi, un peu en arrière du Rhin, un appareil militaire le long de l’axe mosan, et on a voulu y voir une ligne d’arrêt fortifiée. Au cours des campagnes de Julien, les sources littéraires font allusion à des tours (Ammien XVIII, 2, 4). 153 Plus au sud, on observe de manière plus claire l’existence de casernements militaires qui se présentent sous la forme de grands camps au plan régulier. On retiendra surtout ceux de Tricesima ( Xanten), Gelduba (Krefeld/Gellep), Divitia (Deutz) et Bonn, Hans Bürgel étant plus petit. Il peut y avoir continuité par rapport à des localisations militaires antérieures, mais on innove aussi : à Xanten où le centre de l’ancienne colonie sert de point d’ancrage au fort, à Cologne/ Deutz où l’unité est casernée, rive droite, en tête de pont, à partir de Constantin (CIL XIII, 8502). 154 Pour l’essentiel, les troupes ont séjourné là de manière assez continue au cours de la période constantinienne. Une rupture d’occupation, marquée par une couche d’incendie, qui se retrouve d’ailleurs aussi dans les autres provinces frontalières de la Gaule et en Rétie, est perceptible vers 355. Le destin des différents camps est alors distinct. Le rôle de Valentinien Ier est matérialisé par des constructions bien clairement identifiées, tandis qu’un fort comme celui de Krefeld/ Gellep, avec son plan inhabituel à cour intérieure, atteste une continuité d’occupation très tardive, au Ve s. (Reichmann 1987). Sur la frontière, on ne connaît qu’une seule tour, celle d’Asberg. 155 L’effort de défense est en revanche particulièrement évident si l’on considère la situation en arrière de la frontière. On observe une forte protection des moyens de communication, proches du Rhin, avec des camps comme à Cuijk, des burgi en bois comme à Heumensoord, des tours, comme à Asperden, d’époque Valentinienne. L’effort se prolonge de manière systématique plus loin à l’intérieur des terres, avec un système de petits forts ou de tours, comme celui qui jalonne la route Cologne-Bavay ou d’autres pénétrantes, avec les forteresses rurales et, enfin, avec l’appoint des villes emmuraillées (Mertens 1980 ; Brulet 1995a). 156 En Germanie I, la frontière dispose de ses propres fortifications, comme celles d’Andernach, Coblence, Boppard, Mayence, Altrip, Strasbourg, tandis que de nouvelles découvertes ont été réalisées à Worms et à Spire ; les “nouveaux” murs de Bingen sont signalés par Ausone (Johnson 1983a). Mais il faut ici distinguer ce qui est casernement militaire propre et murailles urbaines. Altrip représente clairement une fortification militaire, au vu de ses baraquements internes. Beaucoup d’autres sites comme celui de Boppard ne révèlent aucune structure de casernement intérieur, alors même qu’ils peuvent être considérés comme point de ralliement d’unités militaires. On sait qu’ils sont appelés à se transformer, à un moment malaisé à déterminer, en petite ville. Boppard et Deutz sont dans ce cas. À Deutz, on observe, après le milieu du Ve s., une démilitarisation (Caroll-Spillecke 1993 ; 1997). 157 Altrip est célèbre par son plan particulier pentagonal et son horizon chronologique qui le place parmi les initiatives Valentiniennes. Son environnement aussi est 75 remarquable : on voyait en face une île dotée d’un petit poste, et la rive orientale du Rhin était également munie d’un burgus, à Mannheim/Neckarau, le tout étant complété et verrouillé par le port de Ladenburg. Le cas de Dormagen est intéressant dans la mesure où, au sein d’un camp ancien plus vaste, on suit la réduction de l’espace militaire avec l’implantation d’un castellum nouveau (Gechter 2001). La défense est complétée par des ports militaires sur la rive droite du fleuve : Rheinbrohl, Engers, Niederlahnstein, Zullestein, Mannheim/ Neckarau, Ladenburg. Toutes ces constructions montrent l’importance des travaux de fortification conduits spécifiquement dans cette zone, sous la dynastie Valentinienne. Les routes proches du limes sont néanmoins dotées de fortes garnisons : Bad Kreuznach à la période constantinienne et Alzey après 350. On mentionnera aussi Brumath, Saverne, Ehl, Horbourg, Larga. Mais le territoire de cette province est assez exigu et, dans la mesure où la province de Belgique en est proche, le système de défense des routes se prolonge vers l’ouest, avec des enceintes de type urbain. Alzey a une histoire particulière ; sa chronologie est d’autant plus intéressante que des sites de la fin des IVe et Ve s., contemporains de la fin de la présence romaine en Gaule, demeurent rares, puisqu’un horizon des années 437-443 y est attesté (Oldenstein 1993). 158 En Séquanie, la frontière rhénane débute avec le fort de Ilzach et se prolonge jusqu’à Eschenz, sur le lac de Constance. On peut mentionner, le long de cette limite, les sites d’Oedenburg, Bâle, Kaiseraugst, Frick et Zurzach. Un peu en retrait se trouve notamment le castrum de Vitudurum (Fellmann 1992). 159 Cette province est surtout connue pour avoir fourni beaucoup de traces de tours de guet. Celles qui sont érigées le long du Rhin dateraient de l’époque de Constantin. Elles ont été reconstruites en maçonnerie sous Julien et Valentinien I er. Les postes sont très rapprochés les uns des autres et forment un dispositif puissant dont l’importance est attestée par des inscriptions (CIL XIII, 11537, 11538) et par Ammien (XXVIII, 2). Cet auteur n’hésite pas à écrire que Valentinien Ier a fortifié toute la Rétie jusqu’à la mer du Nord par une grande série de turres. Avec ses 52 tours carrées, connues entre Bâle et le lac de Constance, ce dispositif a dû faire la fierté de l’armée. Les tours sont entourées par un fossé, et des poutres de bois croisées entrent dans la technique de construction des murs (Stehlin & Gonzenbach 1957 ; Stather 1997 ; Hedinger 2000). Les mêmes principes d’aménagement se retrouvent vers l’est, en Rétie I et II, le long de la route de Bregenz à Augsbourg (Mackensen 1999). 160 En outre, la région est dotée de forts de typologie et de fonctions très variées. Les petits burgi installés en tête de pont sur la rive droite du fleuve sont particulièrement nombreux : Bâle offre de l’autre côté du Rhin un petit fort, le Robur d’Ammien (374) [XXX, 3, 1]. La grande enceinte de Kaiseraugst dispose aussi de sa tête de pont. D’une manière générale, entre ce site et le lac de Constance, les passages du fleuve sont systématiquement défendus, notamment à Zurzach et à Burg, près de Stein am Rhein (Suisse). Plans rhomboïdes et rectangulaires avec abside se rencontrent. 161 À l’intérieur du territoire apparaît une série de fortifications qui ont des plans de même gabarit : des enceintes en demi-cercle, comme Solothurn, des quadriburgia, comme Irgenhausen. Toutes ces initiatives ne datent pas nécessairement de la période Valentinienne, comme l’atteste par exemple une inscription de Dioclétien à Oberwinterthur (CIL XIII, 5249). De nombreux sites de hauteur complètent le dispositif : on connaît de longue date le site célèbre du Wittnauer Horn, représentatif du genre, aux côtés des non moins célèbres montagnes du Lorenzberg et du Moosberg, en Rétie. 76 162 Les secteurs dont il a été question offrent des particularités et des caractères généraux. Le point commun essentiel réside dans l’existence d’un programme de constructions et de restaurations entre la période de Dioclétien et celle de Valentinien I er. Le mode d’aménagement diverge, en revanche, selon les frontières. Au nord, on préfère un dispositif qui s’appuie sur des camps ; au sud, il repose sur des camps et un cordon de tours de garde. Mais cette dernière initiative résulte davantage de réalisations Valentiniennes. L’immédiat hinterland du limes est traité de manière différenciée. Il est plus puissamment armé au nord qu’au sud par la mise en œuvre combinée de forts routiers et de forteresses de hauteur. Songeons aussi à l’existence des murailles urbaines, dont on ne connaît malheureusement guère l’impact sur la politique militaire. La date d’abandon du dispositif défensif est aussi variable. Il a lieu au milieu du Ve s., mais dépend souvent de la manière dont ont réagi et se sont intégrées les populations germaniques. 1.8.2 La frontière maritime 163 La Notitia Dignitatum et les découvertes archéologiques sur la côte anglaise ont contribué à révéler une organisation militaire tardive spécifique, adaptée à la défense concomitante des deux rivages de la mer du Nord. La situation continentale est plus faiblement documentée et le système semble moins solidement articulé (fig. 15, 16). FIG. 15 Carte de l’organisation militaire des défenses côtières du Bas-Empire sur le continent, placées sous les ordres du duc du tractus Armoricanus et Nervicanus : 1 Nantes ; 2 Vannes ; 3 Brest ; 4 Alet ; 5 Avranches ; 6 Coûtantes ; 7 Cherbourg ; 8 Alderney ; 9 Rouen. d’après Brulet 1989, 48, fig. 10. 77 FIG. 16 Carte simplifiée de l’organisation militaire des défenses côtières du Bas-Empire sur le continent en Belgique II : 1 Boulogne ; 2 Aardenburg ; 3 Brittenburg ; 4 Bruges ; 5 Oudenbourg ; 6 Marquise ; 7 Étaples ; 8 Le Crotoy ; 9 Cap Hornu. d’après Brulet 1989, 60, fig. 17. 164 Au Bas-Empire, mais peut-être dès la fin du IIe s., le front de mer est soumis à la pression de plus en plus forte des Francs et des Saxons. Il ne fait pas de doute que la défense des côtes a donné lieu à des initiatives diverses prises entre la fin du IIe s. et le second quart du Ve s. La flotte de Bretagne répondra de temps à autre à pareilles sollicitations, jusqu’à sa disparition (Cleere 1977 ; Seillier 1996a). 165 Le nom donné à l’organisation militaire tardive du litus Saxonicum provient de la réponse militaire qui est faite aux activités de piraterie des Saxons le long des côtes ; ceux-ci faisaient preuve d’une mobilité dangereuse et attaquaient même l’intérieur des terres, en remontant les estuaires (Johnson 1976 ; 1983a ; 1991). Cette appellation est révélée par la Notifia Dignitatum qui, de manière détaillée, passe en revue les commandements et les postes des troupes romaines stationnées dans (’Empire. L’un des chapitres est dévolu à la Bretagne, qui possède un cornes litoris Saxonici per Britannias, en charge des forteresses localisées sur les côtes sud et est de la Grande-Bretagne (Mann 1989a). Deux autres listes visent le continent, où l’on enregistre deux commandements territoriaux distincts, l’un attaché à la province de Belgique II, l’autre au tractus Armoricanus et Nervicanus, sous l’obédience de deux ducs. La zone placée sous le commandement du duc de Belgique II ne pose guère de problème de reconnaissance. En revanche, le tractus Armoricanus et Nervicanus s’étend sur cinq provinces gauloises et sa dénomination elle-même ne paraît pas bien correspondre à cette mention. 166 Si précieuse soit-elle, la Notitia Dignitatum publie un état extrêmement tardif de l’organisation militaire en question, et diverses bizarreries dans le texte lui-même font penser qu’il s’apparente à une compilation de synthèse peu réelle (Hodgson 1991). Dans 78 tous les cas, l’énumération de la Notitia ne donne pas les clés pour comprendre l’évolution du système, ni depuis ses origines, ni dans ses étapes de remaniement. 167 En premier lieu, on fera remarquer que la liste des fortifications reprises dans les divers secteurs du litus Saxonicum apparaît comme incomplète au regard du nombre de forteresses tardives reconnues par l’archéologie. En Angleterre, la Notitia mentionne neuf forts, alors que l’on connaît davantage de postes côtiers fortifiés au Bas-Empire. D’autres sites, que l’on attendrait dans cette liste, peuvent manquer. Ainsi en est-il du cas célèbre de Boulogne, dont le port militaire n’est pas repris dans la Notitia Dignitatum, alors même que l’importance de cette ville ne s’est démentie à aucun moment de l’Antiquité tardive et que son aller ego, Douvres, qui a aussi abrité la flotte de Bretagne, se trouve sur la liste. 168 Il faut tenir compte aussi des situations particulières. Dans le nord de la Gaule, les territoires subissent une importante transgression marine qui redessine la géographie physique de la côte et celle du delta des fleuves, faisant de cette région une terre inhospitalière peu utile à défendre de manière systématique. Le panégyriste de Constance Chlore parle, en 297, d’une région arrosée par l’Escaut et enserrée par les bras du Rhin, si profondément trempée par les eaux qu’elle cède à la pression et que la terre semble flotter (Pan. Lat. IV, 8, 1-3). De cette façon, des sites comme Aardenburg ont pu être abandonnés, tandis que la localisation des forteresses citées par la Notitia Dignitatum peut s’avérer délicate en Belgique II 169 Si l’on en juge par la datation des sites anglais, dont on suppose qu’ils appartenaient à ce système, le modèle proposé ne forme pas un tout cohérent et laisse percevoir des mutations. On n’oubliera pas que la Notitia nous fournit un état considéré comme très tardif. On se rappellera, à titre d’exemple, la citation d’Ammien Marcellin à propos de Nectaridus, tué à la fin des années 360 et porteur, à ce moment, du titre de cornes maritimi tractus (Ammien XXVII, 8, 1). S’agit-il d’une fonction et d’une dénomination synonymes de celles du comte du litus Saxonicum, ou trouve-ton là le témoignage de l’existence d’un dispositif militaire antérieur (Welsby 1982) ? 170 Sur le continent aussi le dispositif a pu connaître des changements profonds. Dans la Notitia, le titre de dux tractus Armoricani et Nervicani trahit une certaine confusion géographique ou renvoie à une période du IVe s., quand plusieurs secteurs étaient alors regroupés. À un commandement unifié succède peut-être un commandement divisé, mais l’espace territorial de la Belgica II ne correspond pas à celui des Nerviens, ni même à la zone dans laquelle ont été construits les forts d’arrêt de la voie Bavay-Cologne (Brulet 1990a ; 1991 ; 1996). Quant à l’origine du dispositif du litus Saxonicum, on la recherche souvent dans la politique personnelle mise sur pied par les usurpateurs de la fin du IIIe s. Carausius a pu être le précurseur direct du responsable militaire de ce dispositif. A cette époque, les sites de Boulogne et de Douvres ont joué un rôle historique non négligeable parce que les points d’appui principaux de Carausius et d’Allectus furent des ports militaires. Ceci pose autrement la question du développement et de la disparition des grandes flottes, comme la classis Britannica. 171 Enfin, même en dehors de l’existence d’un système maritime organisé de la même manière qu’au Bas-Empire, on voit que certaines forteresses peuvent avoir été fondées dès le IIe s. Oudenburg par exemple, présente des antécédents bien plus anciens que la fin du IIIe s. Reculver et Brancaster sont, en Angleterre, des forts typiques d’une période 79 antérieure au IVe s. ; on retiendra notamment l’inscription de Reculver qui date sa construction du début du IIIe s. (Johnson 1976). 172 La date précise de la mise sur pied de ce système dénommé litus Saxonicum n’est donc pas connue. On a proposé de le faire remonter à la période d’Aurélien et de Probus (270-285) ; on considère aussi que les forteresses ont pu naître parfois de manière impromptue avant d’être intégrées dans le système (Johnson 1983a). Sur le continent, le nombre important d’agglomérations civiles qui font partie du litus Saxonicum impose que l’origine de celui-ci ne soit pas antérieure à la construction des remparts urbains et à la mise à disposition de ces villes d’un contingent militaire. 173 Avant le Bas-Empire, la force côtière principale est constituée par la classis Britannica, basée à Douvres et à Boulogne ; elle peut aussi intervenir dans d’autres lieux, ce qui en fait, jusqu’au début du IIIe s., le garant de la sécurité en mer du Nord. Une inscription montre que cette flotte existe toujours sous Philippe l’Arabe (CIL XII, 686). À l’époque de la Notitia, Douvres a reconstruit son camp et n’abrite plus des marins mais des milites Tungrecani. La seule flotte attestée comme faisant partie du dispositif tardif est la classis Sambrica, basée sur le continent en un lieu inconnu. Elle est citée dans la Notitia sous l’obédience du dux de Belgique II Des estampilles montrent qu’elle a pu opérer à Étaples, à l’embouchure de la Somme. Comme autre témoignage de la mutation fréquente des contingents, on relèvera le cas de la classis Anderetianorum, basée à Paris d’après la Notitia, mais peut-être basée antérieurement à Pevensey, où l’on retrouve au début du Ve s. un numerus Anderetianorum (Welsby 1982). 174 L’examen attentif des données reprises ci-dessus, à savoir la disparition de la flotte de Bretagne, son remplacement par de nouvelles petites flottes, l’installation de militaires non marins sur les côtes, montre à l’évidence un changement de stratégie (Reddé 1986). La flotte de Bretagne, probablement emportée par les tourments politiques de l’époque qui clôt l’épisode de Carausius et d’Allectus, est remplacée par des forces multi-armes – fantassins, cavaliers, marins. L’exemple de la Grande-Bretagne montre d’ailleurs des sites associés, l’un fonctionnant comme un port, l’autre placé sur le rivage. Les temps ont changé et l’on n’ose plus confier la défense de la côte à une seule flotte, dont les ambitions peuvent se révéler périlleuses pour le pouvoir central. 175 Sur la côte anglaise, il n’y a guère de difficultés à identifier la plupart des sites militaires repris dans la Notitia, mais ce n’est pas l’objet de cet ouvrage. Les forts énumérés dans ce document n’ont pas une origine concomitante, les contingents cités peuvent arriver à des dates différentes, ce qui se traduit par des configurations architecturales distinctes. Le rivage anglais, au Ve s., est occupé par des numeri (quatre fois), des equites (deux fois), des milites, une cohorte et une légion. Aucune de ces appellations d’unités ne peut être mise en rapport avec un fort dont la spécificité de plan aiderait à établir un lien entre type de troupes et type de casernement. Enfin, à ne considérer que la seule liste des forts fournie par la Notitia Dignitatum comme représentant le système dans son ensemble, on écarte d’office des postes militaires qui ont joué un rôle essentiel dans la défense des côtes, comme Cardiff, localisé sur la côte ouest, et les tours de la côte du Yorkshire. Une inscription trouvée sur le site de l’une d’entre elles commémore la construction d’une tour mais parle aussi d’un camp (Wilson 1991). 80 176 Sur le continent, on suivra l’état actuel de nos connaissances dans les deux aires géographiques distinctes retenues par la Notitia. L’autorité du dux de Belgique II s’étend aux unités suivantes : • les equites Dalmatae à (abl.) Marcis, sur le litus Saxonicum ; • la classis Sambrica à (abl.) Quartensi sive Hornensi, sous les ordres d’un préfet ; • les milites nerviens, à (abl.) Portu Aepatiaci, commandés par un tribun. 177 Le lien qu’entretenaient ces garnisons avec la mer paraît évident (Brulet 1989). On ne peut déduire d’informations importantes du fait que l’unité des cavaliers dalmates se trouvait casernée sur le litus, parce que ce même type de renvoi à ce secteur figure en tête de la liste, derrière le premier site qui concerne le dispositif du tractus Armoricanus et Nervicanus. En revanche, pour la seconde unité, il est question d’une flotte et, pour la troisième, d’un port, ce qui rend très claire la dépendance avec la mer de ces contingents. L’oubli de Boulogne dans le système n’en est que plus étrange ; ce port continue de jouer un rôle important puisqu’il servira de point de débarquement à l’armée de Bretagne à l’époque de son abandon, au début du Ve s. 178 La localisation des trois sites mendonnés par la Notitia n’a pas encore été établie (fig. 15, 16). Aux nombreuses hypothèses essentiellement basées sur des rapprochements toponymiques, dont A. Grenier avait déjà donné la liste, s’en sont ajoutées d’autres depuis 1931, qui n’offrent pas plus d’assurance. Du reste, pour la classis Sambrica située à (abl.) Quartensi sive Hornensi, rien n’interdit de penser que cette double citation puisse correspondre à deux ports de mouillage plutôt qu’à un seul site à deux dénominations. En ce qui concerne (abl.) Marcis, les noms de Marck, Marquise et Mardyck ont souvent été cités, mais la transgression dunquerkienne élimine déjà certains prétendants. La mauvaise traduction de Sambrica en “de Sambre” a entraîné bien des hypothèses erronées poulle second site. La Somme (Samara) est plus probable. Du même coup, on pense au Cap Hornu, à Saint-Valéry ou au Crotoy, à l’embouchure de ce fleuve ; mais l’estuaire de la Canche, avec ses sites d’Étaples et de Quentovic, a révélé des occupations tardo-romaines ou du haut Moyen Age, surtout Étaples, où l’on a retrouvé des estampilles de la flotte. La recherche archéologique récente a apporté peu d’indices nouveaux (Brulet 1991 ; 1993). 179 En revanche, la découverte à Oudenburg d’un fort au plan typique de l’Antiquité tardive relance la localisation du troisième site des milites nerviens, (abl.) Portu Aepatiaci. La dernière fortification est grande et atteint une superficie de 2,4 ha. Son plan carré l’apparente aux forts du même type construits au IVe s. sur le rivage anglais du litus Saxonicum. Les tours sont circulaires aux angles et octogonales à l’emplacement des quatre portes. La nécropole de 216 sépultures à inhumation qui accompagnait le fort est particulièrement intéressante. Elle date de la seconde moitié du IVe s. et a livré des tombes à riche mobilier. On doit noter l’ancienneté du site militaire d’Oudenburg, puisque trois périodes de constructions y ont été observées. Les premières montrent bien que le système du litus Saxonicum, pour Oudenburg, n’est pas une formule toute nouvelle (Mertens 1962a ; 1980 ; 1987a). 180 Si Boulogne n’est pas mentionné dans les sources littéraires, le site vient d’être documenté par les découvertes archéologiques. Avec son tronçon d’enceinte du BasEmpire dans la ville basse et sa courtine dotée de tours semi-circulaires dans la ville haute (Belot & Canut 1993 ; 1996), il ne fait pas de doute qu’il fut occupé, au moins partiellement, par un contingent. La nature même de celui-ci est inconnue : marins, fantassins, cavaliers ? La restitution d’une caserne est proposée pour le Bas-Empire 81 (Seillier 1996b). On peut supposer que le port abrita des vaisseaux de guerre, même si ceux-ci ne relèvent plus de la classis Britannica. 181 L’autorité du dux du tractus armoricain s’étend aux unités suivantes : 182 – la cohorte I Nova Armoricana, à (abl.) Grannona, commandée par un tribun ; 183 – neuf sites occupés par des milites et commandés par un préfet : (abl.) Blabia, (abl.) Venetis, (abl.) Osismiis, (abl.) Manatias, (abl.) Aleto, (abl.) Constantin, (abl.) Rotomago, (abl.) Abrincatis, (abl.) Grannono. 184 La plupart des sites fortifiés de la Notitia ont été identifiés, mais parmi eux, tous n’ont pas encore été reconnus de manière satisfaisante. Certains s’apparentent davantage à des villes (Alet) ou même à des chefs-lieux de cité (Vannes, Nantes, Coutances [?], Rouen, Avranches) et ne présentent pas la même apparence de forteresses autonomes, comme c’est le cas sur les sites septentrionaux ou de Grande-Bretagne. Contrairement à ce que pensait A. Grenier, (abl.) Osismis ne correspond pas au chef-lieu de cité Carhaix, non emmuraillé au Bas-Empire, mais plus probablement à la fortification de Brest. On peut douter de l’identification de (abl.) Constantin avec Coutances, vu le manque de découvertes tardo-romaines à cet endroit. 185 On a du mal à reconnaître et à identifier le premier et le dernier site de la liste de la Notitia : (abl.) Grannona et (abl.) Grannono, qui sont peut-être les mêmes. C’est à la suite de comparaisons avec les sites fossoyés de Vains et du camp de César de Coutances que l’on a rapproché le camp de Carteret, un éperon barré, des fortifications précitées pour y localiser (abl.) Grannono. D’autres identifications plus anciennes continuent d’être étudiées : celles de Granville, (abl.) Grannono, et de Port-en-Bessin dans le Calvados et du Havre, (abl.) Grannona ; celle de Benouville, près de Caen, où Le Câtillon, à l’embouchure de l’Orne, a révélé des substructions romaines et une fibule saxonne du Ve s. ; mais elles n’ont reçu aucune confirmation (Brulet 1991). Une nouvelle proposition plus solide pour (abl.) Grannono est celle de Cherbourg où les traces des fortifications de la fin du IVe s. ont été reconnues. Dans le cadre de cette hypothèse, (abl.) Grannona serait alors le petit fort de l’île d’Alderney, le rapprochement des deux noms indiquant leur proximité géographique et la faible superficie d’Alderney convenant à l’accueil d’une simple cohorte. 186 À défaut d’identification plus définitive de certains sites, les forts purement militaires sont donc rares sur le front de mer du tractus. Brest entre dans cette catégorie. Toute la question revient donc à évaluer l’importance, le rôle et l’emplacement des casernements militaires à l’intérieur des villes, mais cette information est extrêmement peu accessible aujourd’hui. Alet constitue un cas d’exception qui nous aide à défricher le dossier du rapport entre civils et militaires. 1.8.3 Les fortifications routières et de l’intérieur 187 Nous n’avons pas une connaissance suffisante des interactions entre les fortifications officielles qui jalonnent les réseaux de communication, à l’intérieur de la Gaule, et les forts disposés sur le cordon frontalier, d’autant plus que les initiatives édilitaires ne répondent pas nécessairement à des plans d’ensemble et que leur chronologie n’est pas unique. Tous les sites fortifiés du Bas-Empire répertoriés à l’intérieur de la Gaule ne naissent pas automatiquement de l’intervention militaire, et ce constat trouble gravement l’enquête. Les chercheurs en sont donc souvent réduits à travailler à partir 82 d’une distinction simple et commode entre forts de frontière, cités urbaines ayant pu ou non abriter des contingents, forts de l’intérieur, fortifications rurales et refuges (Petrikovits 1971). L’identification d’unités militaires sur ces sites est rare, en dehors des casernements frontaliers et de quelques centres urbains. Elle est souvent peu fondée lorsque l’on fait appel aux milices germaniques, citées dans les textes anciens, dont on abuse. Elle est rarissime pour les fortifications de l’intérieur du territoire. Cette distinction peu subtile ne vise qu’à classer des structures de nature à première vue distincte, mais ne permet pas d’apercevoir la réalité d’une politique ou d’une action militaire. 188 Si l’on excepte les grandes villes emmuraillées ou celles qui jouent un rôle administratif prépondérant, il en subsiste encore un certain nombre, d’importance moyenne, réparties dans toute la Gaule, sur la fonction desquelles on s’interroge. Peu d’éléments nous permettent de trancher en faveur d’un rôle civil ou militaire qui aurait entraîné leur survie après les temps troublés du IIIe s., époque où elles n’étaient encore que des agglomérations secondaires. Même dans l’hinterland du limes, ces agglomérations secondaires nouvellement emmuraillées peuvent poser un problème d’appartenance, surtout si le plan circonscrit par leurs remparts s’apparente à celui d’une forteresse militaire. 189 Une certaine confusion sur l’origine et les caractéristiques civiles et militaires de ces sites a été entretenue par la recherche ancienne. Comme l’avaient déjà observé A. Blanchet puis A. Grenier, certaines grandes villes offrent un plan quadrangulaire qui les rapproche de la forme du camp, alors que beaucoup d’autres présentent un plan circulaire ou centré qui s’accroche à la topographie locale. Par ailleurs, le passage fameux de Zosime (II, 34) qui attribue à Constantin la responsabilité d’avoir réparti l’armée dans les villes plutôt que sur les frontières a été utilisé pour expliquer le rôle militaire des enceintes urbaines. Sans compter qu’il faut héberger la nouvelle armée de mouvement qui n’est plus nécessairement casernée ni toujours au même endroit, ni sur les frontières. C’est dans cette perspective qu’est né le concept de “défense en profondeur” ou de “défense du territoire” (Musset 1965), relayé par E.N. Luttwak dans une thèse qui proposait l’existence d’une stratégie impériale de défense au Bas-Empire (Luttwak 1976). 190 Une défense du territoire existe de fait si on la considère comme globale, c’est-à-dire si elle résulte d’un effort dans tous les secteurs pour sécuriser le pays. Un dispositif veillant à installer en Gaule des relais militaires pour protéger le territoire de manière systématique est chose impensable. En réalité, les quelques initiatives qui nous sont révélées ici ou là n’ont qu’un temps de vie limité et ne se retrouvent, à proprement parler, que dans des zones proches du limes. L’intérieur de la Gaule, si l’on excepte les villes emmuraillées et les refuges de hauteur, ne montre pas de tels dispositifs militaires sophistiqués. 191 Il faut aussi bien apprécier le rôle des unités et des milices réparties à l’intérieur du territoire. On a opposé inutilement rôle de police et rôle militaire, les routes pouvant soit être protégées en raison des mansiones qui s’y trouvent et du trafic qu’elles enregistrent, soit receler un système purement défensif, caractérisé par une chaîne de burgi, à l’image de ce que l’on trouve le long des frontières (Johnson 1983a ; 1983b). Mais la distinction entre les forces de police et les forces militaires n’est pas réelle, puisque les deux fonctions sont remplies par des soldats (Southern et al. 1996). En revanche, on ne peut ignorer que les forts routiers pouvaient aussi remplir des 83 fonctions de nécessité –service de la poste, stockage de denrées alimentaires transitant par cette route– au sein d’un système sécurisé. Enfin, on doit aussi mentionner les fonctionnaires, anciens bénéficiaires, qui le deviennent à part entière au IVe s., alors qu’auparavant ils étaient des militaires spécialisés dans des fonctions d’administration et de gestion (Nelis-Clément 2000). 192 Les rocades parallèles au limes, quand elles existent, sont normalement dotées de fortifications qui renforcent l’effort de défense régionale. Les données archéologiques sont néanmoins souvent insuffisantes pour y reconnaître un dispositif organisé, d’autant plus que les datations des forts peuvent diverger, alors même qu’un système ne se reconnaît qu’à travers la perception d’un grand nombre de cas contemporains. En revanche, l’organisation de défenses le long des pénétrantes est plus clairement attestée. Ces routes partent de la frontière et s’infiltrent transversalement, très profondément, dans le territoire romain, constituant ainsi une faiblesse structurelle. Certaines ont donc été dotées de véritables dispositifs défensifs. Dans le nord de la Gaule, on citera la route nord-sud sur la rive gauche de la Meuse, et la chaussée romaine de Cologne à Bavay, parfaitement documentée. Le petit tronçon qui unit la Meuse (à Cuijk) au Waal (à Nimègue) est aussi protégé par le petit fort de Heumensoord. Le poste routier de Villenhaus, sur la route de Cologne à Zulpich, demeure encore un cas isolé le long de cette route. 193 Le dispositif le plus connu se trouve le long de la chaussée Cologne-Bavay (Brulet étal. 1995). Il a révélé un tel potentiel qu’on a voulu un moment considérer, à tort, cette route comme un limes, dénommé limes Belgicus (Vannérus 1943), à l’image de certains autres dispositifs de frontière non linéaire qui existent dans d’autres régions orientales ou africaines de l’Empire (fig. 12). L’archéologie a révélé une dizaine de fortifications implantées sur cette voie, notamment Hüchelhoven/Heidenburg, Lich/Steinstrass, Hulsberg, Braives, Taviers, Cortil-Noirmont et Liberchies en Germanie II, puis Morlanwelz et Givry en Belgique II (Brulet et al. 1995). Il s’agit d’un véritable dispositif militaire, mis en place le long de cette route dès la seconde moitié du IIIe s., et comprenant burgi, tours de garde et castella. Il était naturellement complété par les agglomérations fortifiées de Jülich, Heerlen, Maastricht, Tongres et Bavay. L’implantation de ces fortins s’effectue selon un plan préconçu, à intervalles réguliers, tous les 16 à 17 km. Cette mise en défense de la chaussée ne tient aucun compte des entités administratives existantes telles que les cités ou les provinces : les fortifications de la route s’échelonnent en territoire nervien comme en pays tongre ou agrippinien (Cologne). Bavay peut constituer la limite de ce dispositif, en terre nervienne, d’autant plus que des casernements y ont été retrouvés. Mais certains chercheurs ont émis l’hypothèse que le système de défense se poursuivait en direction de Boulogne, selon un axe est-ouest. Cette supposition repose sur l’existence de milites Turnacenses et Cortoriacenses ayant vraisemblablement tenu garnison à Tournai et à Courtrai. Il ne s’agirait plus alors seulement de la mise en défense d’une rocade mais de l’ensemble de l’axe reliant limes rhénan et limes maritime. Néanmoins, les découvertes archéologiques font défaut sur le tracé de la route Bavay-Boulogne. Devant le silence des sources archéologiques, on peut se demander s’il ne faut pas tout simplement chercher un prolongement à ce dispositif selon un axe nord-sud, vers Amiens par exemple, confortant la primauté de l’existence d’une pénétrante fortifiée. Au-delà de Bavay, le premier site concerné, celui de Bermerain, peut receler un fort routier. Dans cette perspective, la découverte récente d’un burgus de la fin du IIIe siècle, à Revelles, 84 conforte l’idée que le prolongement de cette route venant de Cologne et se dirigeant vers le sud-ouest, a bien été le théâtre d’une mise en défense. De surcroît, le site est localisé au sud et à 14 km d’Amiens, sur la route vers Rouen, montrant que le dispositif militaire se poursuit loin des frontières, à l’intérieur du territoire. Quoi qu’il en soit, la voie Cologne-Bavay a servi de point d’appui à un dispositif de contrôle qui fait partie intégrante des défenses frontalières, mais elle n’a jamais servi de limes à proprement parler (Mertens 1986). 194 Le fait de considérer ces forts comme faisant partie d’un réel dispositif militaire est conforté par la cohérence chronologique des installations. Deux périodes principales caractérisent le fonctionnement de cet appareil militaire. Peu après le milieu du IIIe s., entre 260 et 275, la route est dotée d’une série de burgi fossoyés et palissadés. Ce programme de construction doit être attribué à Gallien ou aux empereurs gaulois, peutêtre à Probus ou Aurélien, dans le cadre de leurs efforts de mise en défense de l’hinterland. Le fort de Liberchies I paraît exister au plus tard en 270 ; il témoigne de remaniements nombreux et a pu être occupé jusqu’au début du IVe s. On pourrait donc proposer de dater le dispositif des années 260-270 pour sa construction, et des premières années du IVe s. pour son abandon. 195 Le système se compose de postes routiers et de forts routiers. À la première catégorie appartiennent les fortifications de Hüchelhoven, de Morlanwelz I et Brühl/ Villenhaus, sur la voie Cologne-Trèves, de même que le poste de Heumensoord, entre Cuijk et Nimègue. Elles ont en commun un plan carré de petites dimensions, une superficie interne de 6 à 7 ares, un fossé d’une dizaine de mètres de largeur, une enceinte élevée selon la même technique et des baraquements adossés au rempart. À la seconde catégorie ressortissent les fortifications de Braives, Taviers et Liberchies I et Revelles, de la première génération. Elles ont en commun un plan carré et offrent des structures défensives similaires, en bois et en terre. La fortification est entourée par un fossé de 5 m de largeur, à pointe trapézoïdale. Un mur de terre enferme la fortification. Il est armé de gros poteaux verticaux. 196 Le hiatus qui a été observé dans l’occupation de ces places fortes, au début du IVe s., s’explique vraisemblablement par la politique militaire suivie par Dioclétien, qui abandonne le système de protection des axes routiers à l’intérieur du pays. Constantin, qui remet cette stratégie à l’honneur, doit être considéré comme le restaurateur des fortifications de la route Cologne-Bavay. Le nouvel appareil militaire qu’il met en place comprend deux castella, ceux de Maastricht et de Liberchies II, et une série de tours de garde : Hulsberg, Braives, Cortil-Noirmont, Morlanwelz II et Givry. Les castella de Deutz, Maastricht et Liberchies II sont situés à peu près à égale distance. Les tours ont une mission de contrôle ; elles servent aussi de base à la défense de la route et à la protection du ravitaillement. 197 Maastricht offre un plan quadrangulaire de 2 ha environ, entouré par une enceinte munie de dix tours circulaires. L’une d’entre elles a été bâtie sur pilotis, abattus en 333. Les portes qui ouvrent sur la voie Cologne-Bavay sont flanquées de bastions rectangulaires. L’intérieur du fort contient probablement un horreum. Les séquences chronologiques des IVe, Ve et VIe s., retrouvées au cours des fouilles, sont particulièrement intéressantes et montrent la continuité de l’occupation. 198 Le castellum de Liberchies II a été bâti sur une légère éminence en tenant compte d’une zone très humide qui cernait l’élévation de terrain sur un tiers de son périmètre, offrant une protection naturelle au site. Le projet initial fut sans doute très ambitieux. 85 L’existence d’un petit fossé palissadé de 4 m d’ouverture, vers le nord-ouest du site, et les baraquements révèlent peut-être une première phase d’occupation militaire du lieu, au début du IVe s. A ce moment, la fortification dut offrir une superficie irrégulière de 1,50 ha. La même surface est conservée lors de l’édification du castellum en pierre. Elle fut mise à profit pour la construction d’un certain nombre d’annexes au fort. Le castellum lui-même répond à un plan très courant, soit un rectangle rhombiforme de 56,50 x 45,00 m. Le contingent des Geminiacenses a probablement pris ses quartiers dans le castellum de Liberchies II, à l’époque constantinienne (Mertens & Brulet 1974). 199 Les sites de Hulsberg, Braives, Cortil-Noirmont et Morlanwelz II ont été le siège de tours de garde en pierres qui remontent au IVe s. ; elles relèvent du type que l’on rencontre couramment ailleurs sur le Rhin et le Danube, à Asperden et Moers/Asberg. Les fortifications se caractérisent par des tours carrées ou plus souvent rectangulaires avec piliers de soutènement internes, enfermées par un enclos fossoyé entourant une superficie réduite. L’environnement de la tour de Braives ménage de la place libre à d’autres bâtiments, notamment pour une réserve à blé (Brulet et al. 1993). 200 Ce dispositif de l’époque constantinienne fonctionne durant toute la première moitié du IVe s. et tombe en désuétude aux périodes Valentinienne et théodosienne parce que les princes se préoccupent davantage de la défense des frontières. La rupture du système est perceptible dans presque toutes les installations routières en raison de la carence de matériel archéologique postérieur au milieu du IVe s. ; c’est particulièrement net à Braives, où une couche d’incendie recouvre la tour de garde, qui ne sera jamais reconstruite. Certains forts, comme Liberchies II, connaissent encore une occupation à la période théodosienne, ce qui rend caduque la datation traditionnelle de l’abandon du limes Belgicus sous Gratien. En Germanie I (fig. 13), la route Mayence-Trèves peut être considérée comme une pénétrante de première importance, mais seul le fort de Bad Kreuznach s’illustre pour la défendre, comme d’ailleurs la route de Worms à Saarbrücken, avec le petit fort d’Eisenberg (Bernhard 1981b). On mentionnera aussi les voies de Strasbourg à Sarrebourg, avec Saverne, et la voie stratégique est-ouest des Champs Décumates vers les Vosges, avec Horbourg. Les données chronologiques et le nombre de forts ne plaident pas actuellement en faveur d’un dispositif bien organisé. Plus à l’intérieur du territoire gaulois, en Belgique I, les forts de Senon et de SaintLaurent-sur-Othain ne paraissent liés qu’à une voie d’importance secondaire. 201 La situation paraît mieux organisée en Grande Séquanie avec la grand-route qui relie Zurzach, sur la frontière, à Lyon. Les postes fortifiés qui y ont été implantés, entre Zurzach et Yverdon, ne manquent pas. Ils traduisent des initiatives tant constantinienne (Brugg/Altenburg) que Valentinienne (Yverdon). Néanmoins, les fortifications répondent à des critères typologiques très divers qui ne facilitent pas l’appréhension d’un système global – plans rhomboïdes et plans en demi-cercles. En Suisse, la route de Constance à Oberwinthertur, Windisch et Brugg s’inscrit dans le même modèle, comme en Rétie la route de Bregenz à Augsburg. 202 Ailleurs en Gaule, les postes routiers ou ceux qui défendent des moyens de communication fluviaux ne manquent pas, mais leur distribution et l’impossibilité de les asseoir dans un système logique n’autorisent pas à les considérer comme dépendant de dispositifs organisés. En outre, beaucoup d’entre eux ont pu être impliqués dans des missions de logistique générale, comme la poste ou l’entrepôt de denrées alimentaires. A. Grenier hésitait déjà à leur assigner une fonction et une dénomination précises. Ainsi qualifie-t-il Tournus et Anse-sur-Saône de castella, ce qui les éloignerait d’un rôle civil. 86 Les sites bien connus de Jublains, Le Rubricaire et Larçay étaient considérés par A. Grenier comme de “petits castella" ou de “grands burgi", ce qui ne veut strictement rien dire. En revanche, les sites de Larga et de Senon, par exemple, développent un plan qui évoque une forteresse routière. Il faut bien avouer que nous éprouvons quelques difficultés à comprendre le rôle de ces petites fortifications, qui ne sont d’ailleurs pas très nombreuses, sans compter que chaque rempart de type urbain pouvait cumuler les fonctions de logistique, de casernement et de défense militaire de l’intérieur du territoire. 203 Le cas de Jublains est très représentatif de la variété chronologique, typologique et fonctionnelle de ce genre de structure routière (Napoli 2003). Le centre est occupé par un bâtiment civil du Haut-Empire, dont la fonction n’est pas claire, mais dont le plan laisse supposer une préoccupation logistique. L’importance du service offert a entraîné la pérennité du site au Bas-Empire. On le voit tour à tour muni d’un retranchement en terre puis d’une enceinte en pierres puissante. Le fort de Jublains témoigne à sa façon d’une protection en profondeur qui vise plus la logistique que l’installation d’une unité militaire le long des routes de l’intérieur. 1.8.4 Fortifications de hauteur et de plaine, initiatives publiques et privées 204 Le milieu rural est désormais concerné directement par sa propre défense. Si le monde urbain réagit aux difficultés de la fin du IIIe s. en s’entourant de remparts de protection, on voit éclore dans les campagnes une série de fortifications caractéristiques de l’Antiquité tardive. 205 Toutes les composantes de la population sont concernées par le problème. L’armée ne peut négliger la défense des campagnes, d’autant qu’elle doit intervenir dans la protection des produits agricoles qui peuvent lui être destinés. Dans le cadre de la nouvelle stratégie, les forteresses en question peuvent servir à doubler celles des frontières ; la dispersion des fortifications rurales s’exécute prioritairement dans l’arrière-pays du limes. En outre, tôt ou tard, il faut prendre en compte l’installation des unités auxiliaires d’origine barbare, mais ce n’est pas le lieu de discuter ici leurs modalités d’installation (Anderson 1995). 206 Si certaines fortifications sont manifestement construites dès la période de l’“Empire gaulois”, d’autres plus tardives n’apparaissent pas avant la fin du IVe s., mais sont promises à un développement plus substantiel durant le haut Moyen Age ; se pose donc le problème de leur origine, peut-être ancrée dans des initiatives de groupuscules germaniques plus ou moins autonomes, ce qui ne leur interdit pas de servir le pouvoir militaire romain. Enfin, les propriétaires privés ou publics doivent aussi prendre des mesures de protection des domaines ruraux, et beaucoup de fortifications trouvent leur justification en ce sens, les résidences du type “villa fortifiée” étant fort rares en Gaule. On doit y ajouter les forteresses-refuges. 207 Ces observations posent de nombreuses questions. Celle de la chronologie n’est pas la moindre puisque, traditionnellement, les possibilités de dater l’occupation de ces structures rurales ne sont pas illimitées. Celle de la fonction réelle et de la nature de l’occupation de ces sites n’est pas moins problématique. 87 208 De temps en temps, les textes apportent un témoignage précieux. Sidoine Appolinaire évoque des sites fortifiés servant de refuge à la population (Epis. V, 14,1). Ausone met l’accent sur les villas qui sont dotées de tours (Mosella 327). À Sisteron, une inscription témoigne de la mise à disposition de la communauté d’un site fortifié privé (CIL XII, 1524 ; Johnson 1983a ; 1983b). En Espagne, la déficience de l’administration militaire a entraîné les propriétaires à organiser de véritables troupes de paysans pour lutter contre le banditisme, à tel point que Théodose II, en 409, a été contraint de prendre une ordonnance supprimant les chefs de la défense rurale pour restituer la surveillance des campagnes aux propriétaires eux-mêmes (C. Th., 12, 14, 1). 209 D’une manière générale, les textes évoquent plutôt des situations tardives dans le courant du Ve s. et les préoccupations de mise en défense des domaines privés. Les initiatives de l’armée ne sont pas clairement attestées. Seule la question de groupes de Gentiles, Lètes, Sarmates et Fédérés, installés à l’intérieur de l’Empire et responsables de la tenue de ces forteresses rurales, retient l’attention. L’occupation souvent tardive de ces sites, la présence d’objets de type germanique et de nécropoles associées ont incité les chercheurs à les assimiler à des implantations de Lètes ou de Fédérés. Mais cette assimilation un peu rapide n’a pas de fondement très clair. Au contraire, lorsque l’on dépouille la liste des préfectures des Lètes, Gentiles et Sarmates proposée par la Notifia Dignitatum, on s’aperçoit qu’elles sont normalement liées à des centres urbains. 210 Sur le terrain, on ne distingue pas aisément les sites occupés par un contingent militaire, ceux qui sont aux mains de milices d’origine germanique et ceux qui ont des fonctions plus spécifiques de protection de la population civile et des récoltes. Quelques sites fortifiés, assez rares au demeurant, sont jouxtés par des nécropoles offrant un caractère plus ou moins militaire. Celles-là au moins réduisent notre méconnaissance sur le rôle de ces places fortes, mais pour toutes les autres, les questions de chronologie et d’utilisation restent fréquemment ouvertes. 211 La plupart des forteresses rurales qui nous sont connues s’inscrivent dans la catégorie des fortifications de hauteur. Ce phénomène des Höhensiedlungen est largement répandu dans les territoires situés en retrait de la ligne frontalière. On en a repéré de fortes concentrations dans le nord, entre les Ardennes et le Hunsrück Eifel, en Germanie I, dans le Jura, en Séquanie (Johnson 1983a) et naturellement dans d’autres régions frontalières. Leur présence en Germanie libre est intéressante, parce qu’elle nous permet de nous faire une idée plus précise sur les sites de hauteur occupés par des populations germaniques de pure souche. Le territoire des Alamans en comprend environ une cinquantaine pour le sud-ouest de l’Allemagne aux IVe et Ve s. (Steuer 1990a ; 2003). 212 Il ne s’agit pas toujours de fortifications mais d’habitats de hauteur dans lesquels on trouvera des activités artisanales. Le rôle proprement militaire qui a pu être dévolu à ces sites s’estompe d’ailleurs à mesure que l’on entre dans le Ve siècle. Dans les régions proches du Rhin, ils peuvent devenir des lieux de résidence et de pouvoir de la nouvelle aristocratie rurale. 213 En outre, loin des frontières, à l’intérieur du territoire romain, les habitats perchés assez répandus participent à un phénomène différent ; il s’agit de sites non militarisés occupés du Bas-Empire au haut Moyen Age de manière continue ou temporaire par la population civile. Ils présentent une problématique intéressante, quoique peu examinée. Il n’est plus question ici de considérer que ces sites de hauteur ont un rapport quelconque avec l’armée ; ce sont des habitats civils qui illustrent les mutations 88 des habitudes de vie, à la charnière de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge (Schneider 2001). 214 Au sud-ouest de Cologne, on a décelé un phénomène particulier : cette zone de plaine, plus proche du limes, était jalonnée d’établissements agricoles pourvus de petites fortifications. 215 Quant à la mise en défense des villas, phénomène très rare en Gaule, elle s’inscrit le plus souvent dans le cadre d’initiatives privées qui échappent à notre enquête. Il y a bien des exceptions, comme dans la vallée de la Moselle, mais les édifices n’ont rien de commun avec un établissement purement rural (Van Ossel 1992). Par ailleurs, une structure en forme de tour dispose quelquefois d’un renforcement ou d’une protection (Bechert 1978). 1.8.4.1 Les fortifications de hauteur 216 Les fortifications de hauteur bâties en Gaule durant le Bas-Empire, et principalement dans des zones proches de la frontière, reflètent des initiatives dont la signification multiple est malaisée à appréhender (fig. 12, 13). Le dénominateur commun de ces sites est constitué par leur emplacement sur une colline. On observe des plans en éperon barré ou des buttes rocheuses dont les défenses naturelles ont été améliorées. Les sites en question sont rarement neufs. Il arrive bien souvent que l’on assiste à la reprise en main d’une hauteur fortifiée à l’âge du fer, dont les retranchements sont reconstruits (Uslar 1964). Leur configuration même dépend de la topographie locale, si bien qu’aucune observation planologique ne permet de déterminer la fonction exacte de ceux-ci, ni surtout le caractère de leurs occupants. 217 Des propositions de classement à caractère un peu théorique existent, comme pour les hillforts ou hill-top settlements, où l’on tente de les faire entrer dans des types liés à une fonction politique et sociale, religieuse et économique (Burrow 1981). On a également fait une distinction entre les forteresses situées sur des hauteurs proches d’axes routiers, de type militaire ou paramilitaire, et celles qui sont implantées sur des collines éloignées des routes, souvent des refuges, aux mains de propriétaires privés (Wightman 1971 ; 1985). 218 La seule discrimination possible repose sur le volume du matériel archéologique retrouvé. Il est parfois abondant et fait pencher en faveur d’une présence massive, permanente ou temporaire, de type militaire. Dans d’autres cas, il est rare ou absent ; on penche alors en faveur de l’utilisation de ces sites comme refuges. Cette identification est parfois corroborée par l’observation d’éléments d’architecture plus anciens : on connaît des sites fortifiés d’époque protohistorique dont les défenses ont été réaménagées durant l’Antiquité tardive et qui ont pu servir occasionnellement de retraite. Ces sites ne participent pas à l’effort stratégique de la défense du territoire, mais s’inscrivent dans un contexte d’insécurité générale (Mertens 1986 ; Brulet 1990a). 219 Les sites de hauteur réellement occupés, soit parce qu’ils ont des traces de bâtiments, du matériel archéologique ou parce qu’ils sont associés à une nécropole très proche, méritent leur qualification de Höhensiedlungen ou d’“habitat perché” parce que, dans l’acception du terme, l’habitat est pris en compte autant que l’aspect défensif. A. Grenier, évoquant ceux de Cora (Yonne) et du Héraple (Lorraine), parlait de “castra campagnards”. 89 220 À l’inverse, certains sites de hauteur ne présentent aucun matériel archéologique datable et, dans la mesure où ils ont pu être utilisés à l’époque romaine tardive, leur fonction renvoie clairement à une mission de refuge, servant aux populations rurales et au bétail, lorsque se présente une menace, que ce soit celle des années 260, 355 ou celles du Ve s. Les structures de défense qui les dotent peuvent dater d’une période antérieure ou avoir été adaptées. Les choses se compliquent un peu lorsque les matériaux employés dans les murs de barrage ou d’enceinte font appel à des éléments d’époque romaine. La tendance est alors de dater ces sites du IVe s., même s’ils ne révèlent aucun mobilier. La recherche récente montre, notamment à Buzenol et à Jemelle (Belgique), que bien des enceintes de ce type ont pu être élevées plus tardivement, notamment durant le haut Moyen Age. 221 Les fortifications de hauteur sont naturellement liées à l’existence de reliefs topographiques adéquats. Il n’empêche qu’elles apparaissent principalement dans des zones proches du limes plutôt qu’à l’intérieur du territoire gaulois. 222 La première zone concernée par ce phénomène est celle de l’Hunsrück Eifel, dans la région trévire, dont les sites se répartissent en Belgique I et en Germanie II On en dénombre trente-sept ; la vallée de la Moselle en est couverte, mais la moitié de ces sites se trouve dans l’Eifel. Certains autres sites offrent un caractère religieux (Gilles 1985). Ils peuvent avoir de 0,1 à 1,2 ha ; les fortifications de petite superficie y dominent largement. À titre d’exemple, on citera Entersburg, proche de la route Trèves-Andernach qui pouvait être surveillée, et le phasage du site en trois périodes antérieures au milieu du IVe s. Le fort de hauteur de l’Alteburg à Zell, sur la moyenne Moselle, constitue aussi un bon exemple de site ayant livré des monnaies et de la céramique (Gilles 1973). 223 Plus à l’intérieur du territoire, en Belgique II, la vallée de la Meuse et ses affluents réunissent un très grand nombre de possibilités topographiques pour l’aménagement de sites similaires. On y rencontre des fortifications propres comme à Eprave, Dourbes, Furfooz, Pry, Vireux-Molhain. A plusieurs reprises, on enregistre, en concordance avec les fortifications, une concentration sensible de sites d’habitat ou de nécropoles de l’Antiquité tardive (Brulet 1995). 224 Le plan de la fortification rurale est étroitement lié à la configuration naturelle du terrain utilisé. Le plus souvent, il s’agit d’éperons barrés, comme à Furfooz ; on trouve des buttes isolées comme à Dourbes, des éperons barrés inversés, des fortifications de bord de plateau, comme à Eprave. Les sites offrent des superficies échelonnées entre 0,35 et 2 ha. Bon nombre d’entre eux, malgré la superficie réduite qui les caractérise, ont livré un échantillonnage considérable d’objets, de la céramique et des monnaies (Mertens & Remy 1973 ; Brulet 1978). D’autres forteresses nous offrent des objets en quantité réduite ; le numéraire, en particulier, y fait défaut. Une troisième catégorie de sites fortifiés se caractérise par la carence totale de matériel archéologique (Brulet 1990a). 225 D’une manière générale, le matériel recensé dans les fortins ruraux de la première catégorie nous fait supputer une continuité d’occupation assez remarquable. Les séries monétaires présentent une courbe de fréquence que l’on peut rapprocher de celle de quelques sites militaires routiers. C’est un argument supplémentaire pour identifier les occupants de ces places fortes comme des soldats. 90 226 L’importance du matériel permet aussi de discriminer les périodes d’utilisation. Il y a des disparités dans la durée d’occupation : certains sites sont plus marqués à la fin du IIIe s. et peu utilisés par la suite, d’autres ne paraissent efficients qu’à partir de la période Valentinienne. Bien souvent, une césure au milieu du IVe s. est apparente et reliée à l’observation de traces d’incendie (Brulet 1990b). Les fortifications des deux autres catégories jouent le rôle évident de refuge temporaire. Leur caractère d’abri occasionnel ne fait aucun doute : le petit nombre ou l’absence de trouvailles met en relief l’aspect passager de l’occupation de ces sites. 227 Enfin, pour certaines fortifications, comme celles d’Éprave, Furfooz, Pry, VireuxMolhain, nous disposons aussi d’une information indirecte très importante qui nous vient des nécropoles qui les entourent. Elles nous aident à reconnaître le caractère de leurs occupants, grâce au mobilier germanique qui y figure. Elles nous font voir que l’occupation des sites s’est prolongée durant tout le Ve s., voire jusqu’à la période mérovingienne. Elles constituent le moyen de vérifier la continuité entre le Bas-Empire et le haut Moyen Age. 228 En Germanie I et en Séquanie, les sites de hauteur, tout en étant moins nombreux, offrent une belle similitude. Au centre de la Germanie I, on trouve quelques forteresses de grandes dimensions, comme celles d’Annweiler et du Heidesburg à WaldfischbachBurgalben, un plateau allongé qui a été occupé dès la période de 260-275 et jusqu’au milieu du IVe s., si l’on en croit le matériel archéologique volumineux qui y a été récolté. Cette date d’abandon correspond à une destruction (Roller 1971). Par sa configuration et son mobilier, ce dernier site a beaucoup de points communs avec le camp de La Bure à Saint-Dié, au sud des Vosges, en Belgique I (Tronquart 1986). C’est dans les Vosges aussi que se situe la forteresse bien connue du Mont Sainte-Odile. 229 Dans le Palatinat, et plus proches du limes, se placent des plateaux fortifiés comme ceux de Limburg à Bad Dürkheim, qui dispose d’une petite nécropole associée (Bernhard 1981b), de Kreimbach (Bernhard 1999) et du Grossen Berg à Kindsbach, où, notamment d’après les trouvailles funéraires, il est question d’une adoption par la population de coutumes alémaniques plutôt que d’immigrés germaniques. Les perturbations historiques du milieu du IVe s. sont ici aussi enregistrées (Bernhard 1990). 230 Le Wittnauer Horn, près de la frontière du Rhin, à l’est de Bâle, est un éperon barré modèle (Bersu 1945). Il est souvent comparé à des sites plus lointains en Bavière qui sont plus que célèbres : le Lorenzberg (Werner 1969) et le Moosberg (Garbsch 1966). Le premier offre deux occupations séparées par les événements des années 350-352, avec, au début, l’utilisation du bois, remplacé par la pierre. Il est doté d’une garnison militaire révélée par un petit cimetière des années 370. Il offre plus d’un parallèle avec le site de Furfooz, en Germanie II À l’inverse, le Moosberg a une histoire différente. 231 Pour une meilleure mise en situation de ces forts ruraux, il est intéressant de faire appel aux sites du même type répartis en Germanie libre, comme ceux du Glauberg, du Runde Berg près d’Urach, du Zähringer Burgberg à Frciburg im Breisgau et de Gelbe Bürg à Dittenheim, où une continuité d’occupation du IVe au Ve s. est apparente et où les productions, notamment artisanales, enrichissent l’habitat (Werner 1965 ; Steuer 1990a ; 1990b ; 2003). 232 Les sites de hauteur en question, tout en reflétant les mouvements d’une histoire régionale, montrent des points communs : beaucoup d’entre eux témoignent d’une occupation des années 260 à 350 et ont été abandonnés en laissant des traces 91 d’incendie, marque indélébile des règnes de Magnence et Décence, pendant lesquels ont été subis les assauts francs et alamans. D’autres débutent après cette période tragique ou se renouvellent. Les refuges demeurent le plus souvent indatables. 1.8.4.2 Fortifications de plaine 233 Quelques découvertes récentes fournissent une réponse à la question de la protection des établissements ruraux et des récoltes. Dans la région de Zülpich, au sud-ouest de Cologne, on enregistre un grand nombre de petites fortifications en terre et en bois liées à des installations agricoles. Leur morphologie s’apparente à celle des petits forts routiers, mais leur lien avec une villa romaine indique bien qu’elles ont surtout servi de refuge. Les structures fortifiées ont quelques points en commun. Ce sont de petites surfaces presque carrées, de 20 à 30 ares de superficie, entourées par un ou deux fossés et par une palissade. Même si le plan rappelle celui des forts routiers, ces fortifications sont beaucoup moins grandes et le dispositif défensif beaucoup plus léger. 234 Il arrive, comme à Froitzheim (Barfield 1968) et à Rheinbach/Flerzheim (Gechter 1980a), que s’y ajoute un bâtiment central qui peut être probablement identifié à une tour-silo. Dans ce cas, la discussion à propos de la validation de ce genre de structure fortifiée trouve son épilogue, d’autant qu’elles sont éloignées des routes (Bechert 1978 ; Van Ossel 1992). Quelques-unes montrent bien la connexion avec une villa rurale. Dans deux cas, on a pu voir que les petites fortifications ont été élevées à la limite de l’enceinte de la villa, voire même à cheval sur celle-ci. 235 Dans cette région de Zülpich, les sites répertoriés, parfois sans fouilles et par vues aériennes, sont nombreux : Weisweiler, Pülheim, Weiler, Fresheim, Barr, Vernich, Rôvenich, Lommersum, Palmersheim, Satzvey, Oberdrees Titz/ Rödingen (Heimberg 1977). Ils existent dès la fin du IIIe s., mais aussi au IVe s. Le cas de Froitzheim est révélateur par son évolution chronologique, puisque l’une des structures fossoyées ne possède pas de tours ; l’abandon a lieu entre la fin du IIIe s. et la période Valentinienne, alors que le site de Weisweiler ne date que du IVe s. En l’absence de tours, ces structures ne peuvent pas être interprétées autrement que comme des points de refuge pour le domaine agricole proche, mais leurs aménagements intérieurs sont peu explorés. 236 La question de la militarisation des domaines agricoles est plus complexe, à l’image de certaines initiatives enregistrées dans le Palatinat. C’est naturellement celle du Langmauer, entre Bitburg et Trêves, qui reflète le mieux un projet d’obédience impériale. À côté de cela, il existe quelques témoignages de mise en défense de parties d’habitat rural, dont l’initiative n’émane probablement en rien du monde militaire. La sécurité des campagnes n’est pas ici visée mais simplement la sécurisation et la protection de quelques habitats et des récoltes ; la décision dépend du propriétaire, et la nécessité devient patente à l’un ou l’autre moment du Bas-Empire. Un bel exemple nous est fourni par la villa de Mageroy en Belgique, avec une tour fortifiée du IVe s. 1.8.5 Les fortifications urbaines 237 La ville gallo-romaine de l’Antiquité tardive change de physionomie. Deux traits essentiels matérialisent très concrètement ce changement : on assiste à une réduction parfois considérable de l’espace urbain occupé, on voit les villes se protéger par des 92 remparts puissants. Ces deux traits se regroupent au sein d’une mutation que l’on a coutume de dénommer “passage de la ville ouverte à la ville fermée”. 238 Mais la recherche en cours ne se satisfait plus désormais de l’appréhension de ces seuls éléments. Bien d’autres aspects retiennent aujourd’hui l’attention, comme l’évolution du canevas urbanistique, le déplacement des centres urbains, le devenir des monuments publics, la transformation de l’habitat, la naissance ou la récupération de quartiers suburbains, la présence militaire. Pour intéressants qu’ils soient, ces dossiers ne peuvent être abordés dans le cadre d’une enquête liée à l’architecture militaire et force est de mettre ici l’accent à nouveau sur les deux éléments majeurs qui sont liés à la ville fortifiée tardo-romaine. 239 Le phénomène de contraction de la ville a longtemps été rapproché de celui de l’élévation de l’enceinte tardive que l’on plaçait volontiers à l’époque des invasions germaniques des années 260 ou 275 ou que l’on assignait à la Tétrarchie (Rebuffat 1985 ; Johnson 1983a). On observe aujourd’hui que les restrictions spatiales à l’occupation urbaine n’apparaissent pas d’un coup, mais qu’elles s’étalent sur une longue durée dans le courant du IIIe s. On observe aussi que les motifs qui ont entraîné une rétractation sont divers et variés. Il peut s’agir d’incendies qui touchent les villes à des moments divers de leur histoire, comme à Limoges, Rouen, Arles –entre la fin du IIe s. et le règne de Gordien–, de l’abandon de certains quartiers, que ce soit dans le nord, à Amiens (Bayard & Massy 1984) ou dans le sud, en Arles (Heijmans 1996) et à Aix-en-Provence (Nin 1996), de la restructuration indépendante d’une crise, de la valorisation de la ville au plan militaire. 240 D’autre part, la chronologie de l’édification des enceintes urbaines s’est élargie au fil des recherches. Le modèle de Rome, qui s’enferme dans des murailles protectrices sous le règne d’Aurélien, est souvent évoqué, et les villes gauloises suivent le même chemin, selon des cadences différenciées. Beaucoup d’initiatives similaires touchant à l’élévation de remparts sont prises dès la fin du IIIe s., mais elles demeurent très malaisées à dater parce que les repères chronologiques sont indisponibles ou limités à quelques blocs inscrits récupérés dans les fondations. Les trouvailles récentes montrent que les réalisations propres au IVe s. ne sont pas rares. Quelques villes secondaires ont pu attendre le début du Ve s. pour se protéger par une enceinte. La dendrochronologie intervient encore un peu timidement pour montrer que des initiatives constructives peuvent être attribuées aux règnes de Constantin et Valentinien Ier. En d’autres termes, il faut combattre la simplification qui a conduit les chercheurs à concentrer sur deux décennies, celles des Tétrarques, une oeuvre qui s’est étendue sur deux siècles (Reddé 1995a). 241 La règle, en tout cas, est quasi immuable au IVe s. L’agglomération civile qui n’est pas entourée par une enceinte ne peut mériter le nom de ville ou de castrum. Dans cette perspective, les enceintes sont d’ailleurs liées principalement aux capitales de cités (fig. 17). Dans le nord de la Gaule, les bourgades secondaires, les anciens vici à plan ouvert, disparaissent en très grand nombre au Bas-Empire ou ne remplissent plus le même rôle que précédemment. On s’interroge sur le statut endossé par les entités qui dérogent à cette règle, comme Nimègue, entourée par un simple retranchement, et le viens thermal de Heerlen (Coriovallum), qui n’est défendu que par un fossé. Pareils sites, encore occupés au Bas-Empire, ont à tout le moins disposé d’une protection limitée. Dans le sud de la Gaule, les agglomérations secondaires peuvent survivre sans l’adjonction d’une enceinte. 93 FIG. 17 Carte des enceintes urbaines de Gaule. d’après R. Brulet. 242 En Aquitaine, la Notitia Galliarum énumère vingt-six cités. L’archéologie nous fournit le témoignage de l’existence de trois enceintes urbaines seulement qui ne sont pas liées à des capitales de cités (Maurin 1992). La fortification urbaine est plus largement utilisée entre Loire et Rhin. Néanmoins, les villes secondaires qui en sont pourvues demeurent en nombre limité : deux ou trois tout au plus par civitas. Elles sont à peine plus nombreuses dans les provinces frontalières où leur rôle militaro-civil est difficile à apprécier. 243 De fait, parmi ces petites villes qui disposent d’une enceinte sans avoir revêtu le titre de capitale, quelques-unes posent un problème d’interprétation. Des éléments du plan et leurs dimensions peuvent nous faire hésiter parfois sur leur appartenance au monde civil plutôt que militaire. La petitesse de la superficie enclose, soit généralement 2 ha, les fait souvent considérer comme des castella. Leur plan peut différer considérablement. Dans la partie orientale de la province de Germanie II, comme à Jülich et à Jünkerath, et dans la région trévire, comme à Bitburg et Arlon, l’enceinte offre un tracé circulaire tandis que vers l’ouest, le quadrilatère est plus en usage, comme à Maastricht et à Famars. Pachten offre un plan quadrangulaire type de fortification militaire. 244 Le développement de Maastricht constitue un phénomène tardif ; il n’est donc pas exclu que l’enceinte établie à la période constantinienne corresponde à un projet militaire. A Jülich, un triens mérovingien porte la légende IVLICO CASTIL, montrant que le caractère de fortification prévaut encore au début du haut Moyen Âge. Ce qui paraît certain, en revanche, c’est que dès le Ve s., ces agglomérations fortifiées serviront de point de départ à la naissance de villes beaucoup plus importantes, comme le 94 montre par exemple la grande nécropole de Jülich. L’existence de casernements dans l’espace interne, comme à Deutz et à Altrip, conduit souvent à voir dans ces sites des forteresses exclusivement militaires. Mais devant l’étroitesse de certains sites, on a du mal à les considérer comme d’origine civile, sauf à imaginer qu’ils auraient été construits par l’armée, dont les baraquements n’auraient pas survécu, avant de céder la place à des occupations civiles. Il faut bien avouer qu’aucun argument ne permet de trancher. 245 Les villes mènent donc leur existence propre au Bas-Empire, sur un modèle qui n’a plus rien de commun avec celui des siècles précédents. Elles ne nous intéressent d’ailleurs ici que dans la mesure où elles peuvent avoir à faire avec l’armée, d’une manière ou d’une autre. À y regarder de plus près, beaucoup de questions se posent encore aujourd’hui sur les liens qu’ont pu entretenir ville et armée. On peut tenter de les aborder sous divers aspects. 246 L’idée la plus communément admise tient au rôle que l’armée a pu tenir lors de l’élévation de certaines murailles urbaines. L’enceinte civile entretient, dans son mode de construction, des liens ou des similarités évidentes avec celle des camps militaires. Les principes généraux de l’architecture défensive du temps sont appliqués : muraille épaisse avec cordons de tuiles, fondations dans lesquelles peuvent s’amasser des blocs de remploi, tours rapprochées en saillie sur le rempart pour veiller au flanquement de la courtine, large fossé extérieur. Sur cette base architecturale seule, il est impossible de déterminer si l’armée a contribué elle-même, ou par le biais de ses seuls architectes, à l’élévation des murailles urbaines. Citons le cas des villes de Soissons, Beauvais et Senlis, en Gaule Belgique, dont les similitudes montrent une initiative étatique (Johnson 1973). Pour les enceintes d’Aquitaine, une différenciation technique en deux catégories a été proposée : on distingue celles qui ont des fondations exécutées à l’aide de blocs architectoniques anciens recyclés, et celles où pareils blocs ne sont pas utilisés de manière systématique. On aboutit à des murailles très épaisses (4 m) dans le premier cas et étroites dans le second (2,50 m) [Maurin 1992]. D’une manière générale, la forme du rempart urbain n’apporte guère d’aide : A. Grenier avait déjà fait la différence, à la suite d’A. Blanchet, entre villes fortes de forme circulaire et villes fortes rectangulaires, sans que cette distinction débouche sur une quelconque interprétation utile. 247 L’occupation des villes ou de parties de villes par un contingent militaire est attestée par de nombreuses sources, mais celles qui relèvent de la découverte archéologique demeurent encore peu nombreuses. Zosime explique ainsi, par exemple, que l’essentiel de la politique militaire de Constantin a consisté à disperser l’armée dans les cités, qui n’avaient pas besoin de protection, leur imposant ainsi le désordre que provoque la soldatesque (Zosime II, 34). 248 Par ailleurs, l’existence même de l’armée de mouvement, qui ne disposait pas nécessairement de bases permanentes, suppose l’utilisation fréquente des villes comme cantonnement. Les unités mobiles de palatini et de comitatenses sont normalement accueillies dans les cités (Jones 1964) et quelques contingents militaires mentionnés par la Notitia Dignitatum sont basés en zone urbaine, à l’inverse de la Grande-Bretagne où la chose est plus rare (Welsby 1982). Quelques inscriptions, à Bordeaux, à Amiens, nous ont laissé le témoignage de la présence de soldats. Strasbourg constitue un cas d’étude particulièrement intéressant. Sachant qu’il abrite un corps de troupe de premier plan, A. Grenier envisageait déjà une certaine concurrence topographique entre 95 établissement civil et militaire, mais l’archéologie ne départage pas bien les structures fonctionnelles. 249 Le rôle défensif joué par les villes est inclus dans différents programmes militaires de Dioclétien à Théodose. La construction des remparts doit être autorisée, et Valentinien Ier considère qu’il doit retourner une part du revenu des cités pour que celle-ci soit utilisée à la construction des défenses. Les troupes d’origine étrangère des Lètes, Gentiles et Sarmates ont la plupart du temps leurs préfectures dans les villes. C’est le cas à Chartres, Bayeux, Coutances, Rennes, Famars, Arras, Noyon, Reims, Amiens, Senlis et Clermont-Ferrand, où un lien naturel est prévu entre centre urbain et armée. 250 Enfin, la ville a pu ressentir le besoin de recourir à un contingent pour assurer sa défense. Plusieurs numeri portent le nom d’un lieu d’origine qui est urbain. Même si leur lieu de garnison repris dans l’énumération de la Notitia Dignitatum n’a plus rien à voir avec cette origine, on peut imaginer que, recrutée sur place, l’unité a d’abord poursuivi des objectifs de défense urbaine. Dans quelques cas, en revanche, ce n’est manifestement pas la ville qui accueille la garnison : on observe l’existence d’un fort situé en tête de pont, comme à Cologne/Deutz, Mayence et Kaiseraugst. 251 Les villes endossent aussi un rôle bien attesté par la Notitia Dignitatum : celui de fabriques d’armes de guerre. Ces manufactures ont pu être mises en place dès la fin du IIIe s., dans le cadre d’une redistribution des activités stratégiques. Même si les ateliers en question se répartissent dans tout l’Empire, on observe une certaine centralisation des productions, en même temps qu’une spécialisation dans la fabrication des équipements. Ainsi en va-t-il peut-être des boucliers qui ne sont pas nécessairement fabriqués au même endroit que les épées, les cuirasses, les lances, les arcs et les flèches (Feugère 1993). La Gaule compte six ateliers, tous situés au nord de Lyon : Trèves, Soissons, Reims, Autun et Mâcon (Notitia Dignitatum Occ. XI). On y ajoutera les gynécées, comme ceux d’Arles, Lyon, Reims ou Tournai (Notitia Dignitatum Occ. XI, 2). 252 L’hypothèse d’une présence militaire dans les villes de l’Antiquité tardive repose parfois sur des indices indirects et incertains : ainsi, en Grande-Bretagne, on a suggéré d’identifier certains bâtiments de l’ insula VII de Catterick comme récupérés au profit de principia et praetorium. Ailleurs, comme à Aldborough ou Wroxeter, c’est le matériel archéologique découvert qui incline à y voir une occupation temporaire de l’armée de mouvement sous Valentinien Ier, sans compter que des greniers protégés doivent exister pour abriter l’annone militaire (Welsby 1982). En Gaule, la présence de troupes auxiliaires, attestée par l’archéologie, peut être validée sur la base de la découverte d’objets de parure ou de mobilier dans les sépultures de la seconde moitié du IVe et du Ve s. Les exemples représentatifs de la culture germanique sont trop nombreux pour être évoqués ici. Les cas de provenance plus éloignée sont moins nombreux, comme celui des sépultures de Goths récemment mises au jour à Angers. 253 Les structures en rapport avec des casernements demeurent plus que rares. À Arras, dans l’angle du castrum, des indications montrent clairement la présence de baraquements militaires, ce qui implique que l’armée était donc bien logée dans les murs, mais la chronologie fine des occupations successives à cet endroit n’est pas très claire. On notera aussi la présence de baraques à Bavay : à l’emplacement de la terrasse de la basilique et du cardo du Haut-Empire ont été entrevues, sur toute la largeur de la chaussée, les sablières basses d’un bâtiment, cloisonné en huit pièces identiques. La 96 datation indique la fin du IVe s., l’édifice étant aménagé bien plus tard que l’enceinte tardive, et à l’intérieur de celle-ci (Loridant et al. 2001). AUTEURS MICHEL REDDÉ École pratique des Hautes Études (Paris IV) SIEGMAR VON SCHNURBEIN Römisch-Germanische Kommission des Deutschen Archäologischen Instituts, Francfort-sur-leMain, Allemagne RUDOLF FELLMANN Université de Berne, Institut für Archäologie, Suisse DIETWULF BAATZ Saalburg Museum, Bad Homburg v.d. H. Allemagne RAYMOND BRULET Université catholique de Louvain, Belgique JÜRGEN OLDENSTEIN Université de Mayence, Institut für Vor-und Frühgeschichte, Allemagne 97 Chapitre 2. L’architecture militaire romaine en Gaule sous le HautEmpire Siegmar von Schnurbein, Dietwulf Baatz, Rudolf Fellmann, JohannSebastian Kühlborn, Michel Reddé, Christiane Ebeling, Eveline Grönke, Egon Schallmayer et C. Sébastian Sommer 2.1 Formes, taille, terminologie, configuration générale 1 SIEGMAR VON SCHNURBEIN 2.1.1 Terminologie 2 Dans les sources antiques, on utilise en règle générale le terme de castra, pour désigner les camps militaires (ps.-Hygin, De munitionibus castrorum). On prendra garde au fait que castra est le pluriel de castrum, qui ne désigne normalement pas un camp militaire (sauf cas exceptionnel, par ex. Cornelius Nepos, Alc. 9, 3), mais une ville, la plupart du temps dans une expression toponymique (castrum Novum, castrum Iulium, castrum Album...). De ce fait, castra désigne, selon le contexte, un ou plusieurs camps militaires. On rencontre aussi, plus rarement, le diminutif castellum (plur. castela) (Le Bohec 1989, 164-166). On trouve un passage fameux à ce propos chez César (BG VII, 69, 7) : castra apportunis locis erant posita (...) ibique castella XXIII facta, “On avait disposé des camps aux endroits appropriés (...) et on avait aussi construit en bonne place vingt-trois fortins”. Végèce donne une définition très claire du mot (III, 8, 22) : Nam a castris diminutivo vocabulo sunt nuncupata castella, “Car le mot castella est un diminutif de castra." Dans la littérature spécialisée moderne, des termes différents se sont imposés selon les pays et les langues. On donne aux camps légionnaires le nom de fortress en anglais, de Lager en allemand. En anglais, on appelle les garnisons auxiliaires fort ou, pour les petites installations, fortlet ou mile-castle, sur le mur d’Hadrien. En allemand, on emploie le terme de Kastell ou Kleinkastell. Le mot camp est utilisé en anglais pour désigner les camps d’étape 98 (Webster 1969, 166). En français et en espagnol, on utilise en règle générale le terme de “camp” ou de campamento pour désigner toutes les garnisons de légions et de corps auxiliaires. En français, on rencontre aussi “fort” et “fortin”, mais les concepts ne sont pas utilisés de manière aussi systématique qu’en anglais ou en allemand. 3 Plus rarement apparaît dans les sources littéraires latines le concept de praesidium (BG VI, 42, 1 ; VIII, 54, 3 ; Tacite, Annales I, 56, 1 ; Agricola 20, 3). Selon le contexte, on le traduit en allemand par le mot Stützpunkt (“point d’appui”), le terme offrant manifestement une signification plus large, comme le montre la formulation praesidiis castellisque chez Tacite (Agricola 20, 3). L’usage courant devait être toutefois beaucoup plus précis, au moins en Orient, puisque nous savons que praesidium (ou son équivalent grec) désigne systématiquement un petit fortin dans la langue des ostraca du désert oriental d’Egypte (Cuvigny 2003). Tour se dit turris ou burgus, en grec pyrgos. Dans la latinité tardive, toutefois, burgus peut désigner un petit castellum (Végèce IV, 10) ; le terme de quadriburgus est en revanche une invention moderne d’archéologue qu’il faut éviter, mais quadriburgium apparaît dans les toponymes (Baatz 1994). On rencontre encore assez fréquemment munimentum, vocable plutôt littéraire qui désigne toute sorte de retranchement et, dans les inscriptions, particulièrement sur le Danube ou en Afrique à partir de la fin du IIe s., le mot centenarium, dont on considère qu’il désigne un fortin capable d’abriter une centaine d’hommes. 2.1.2 Le choix de l’emplacement 4 Les besoins vitaux des soldats étant identiques à ceux de l’ensemble de l’humanité, les mêmes conditions s’appliquent en principe aux camps militaires et aux autres grands sites d’habitation ; on se contente de les compléter par des exigences militaires spécifiques (Webster 1969, 172-173 ; Johnson 1987, 41-58 ; Le Bohec 1989, 166-173). Il fallait donc assurer l’approvisionnement en eau potable et en vivres (Polybe VI, 27, 3). L’emplacement devait par ailleurs être à la fois facile à atteindre et facile à protéger. Ce dernier point suppose une position surélevée sur le terrain, afin de surveiller correctement les alentours, de pouvoir recevoir et transmettre des signaux optiques. De nombreux emplacements avaient été si bien choisis par l’armée romaine, du point de vue de la géographie de l’habitat, que l’on vit se développer autour des camps de grands vici, municipia ou même coloniae, d’où sont nées ultérieurement des villes qui prospèrent encore de nos jours (Nimègue, Cologne, Bonn, Mayence, Strasbourg, Ladenburg, Osterburken, Neckarburken, etc.). Végèce (I, 22) précise les exigences fondamentales pour un grand camp d’étape : “Le camp doit être établi en un lieu sûr, notamment lorsque l’ennemi est proche. Il ne doit pas manquer de bois, il doit être aussi possible de réquisitionner des vivres et d’aller chercher de l’eau. Si le camp est destiné à un long séjour, le lieu doit être sain : on ne doit pas trouver à proximité une colline ou une montagne susceptible de constituer une menace si l’ennemi venait à l’occuper. Il faut aussi veiller à ce qu’un cours d’eau, par exemple, n’inonde pas le camp, mettant l’armée en danger” (Johnson 1987, 49-50). Polybe (VI, 42) avait déjà souligné la position singulière des camps construits par les Romains : “Chaque fois qu’ils construisent un camp (...) les Romains (...) s’imposent le pénible travail du retranchement, et peuvent dès lors respecter sur n’importe quel terrain la même forme de camp, connue de tous”. Si le terrain où l’on devait dresser le camp n’était pas suffisamment plat, on le nivelait (Josèphe, BJ III, 5, 1). 99 5 On choisissait l’emplacement en fonction de ce que l’on considérait comme la mission militaire principale : sur une hauteur stratégique dominante (Vetera I), en s’appuyant du mieux possible sur un fleuve navigable (Novaesium), dans le réseau des routes interrégionales (Mirebeau), près de la frontière, en un lieu permettant de bonnes liaisons optiques (Feldberg) ou sur un col (la Saalburg). Bien entendu, lors du choix, on tentait de respecter le plus grand nombre possible de ces critères. Le camp légionnaire de Mayence en est un bon exemple : situé en haut d’une colline, avec à ses pieds une situation portuaire favorable au bord du Rhin et un emplacement susceptible de recevoir un pont. 6 En Occident, sous le Principat, la situation est donc différente de celle qu’on rencontre en Orient, où les villes abritent très souvent des troupes ; elle est aussi différente de celle qu’on rencontre pendant l’Antiquité tardive, où les centres urbains sont fortifiés et peuvent accueillir une garnison. 2.1.3 Les formes 7 Malgré les différentes missions tactiques et les situations topographiques qui en résultent, les formes des camps militaires rappellent le schéma orthogonal uniforme que les Grecs avaient déjà mis au point pour leurs colonies à l’époque classique (Baatz 1984, 315-316 ; Petrikovits 1975, 139-140). Elles sont parfois à peu près carrées (Bonn, Saint-Bertrand-de-Comminges, Maldegem, Wiesbaden), mais le plus souvent rectangulaires ; ps.-Hygin (21) recommande ainsi un rapport 1/L de 2/3. Les résultats des fouilles ne concordent pas avec l’indication de Végèce (I, 23) qui parle, outre des camps carrés traditionnels, de camps triangulaires ou en demi-cercle. César mentionne même des camps en demi-lune, lunata, castra (Bell. Afr. 80), ce qui, jusqu’ici, n’a pu être confirmé par les fouilles archéologiques. Ici et là on trouve des rectangles dont la proportion est presque de deux pour un (Arlaines, Utrecht [période I], Osterburken). Ces rectangles sont très souvent marqués par une légère irrégularité : les fronts ne sont pas exactement parallèles, ils ont des angles biaisés ou ne mesurent pas la même longueur. On n’a pas pu trouver d’éléments logiques expliquant ces différences, liées par exemple à la forme du terrain. Pour certaines d’entre elles, comme l’angle rentrant dans le camp augustéen de Dangstetten, ou le redan sur la façade orientale du camp flavien de Nimègue, on voit bien que l’on a tenu compte des formes naturelles du terrain. On peut encore “expliquer” l’irrégularité de Dangstetten par le fait que le camp date d’une période précoce où les normes n’étaient pas encore fermement définies ; ce n’est certainement pas vrai, en revanche, pour le camp de la legio X Gemina à Nimègue : ce camp flavien se trouvait à l’angle nord-est du grand camp augustéen, dont l’intérieur était parfaitement plan ; pour des motifs inconnus, on a justement réutilisé cette façade du camp primitif, la seule à avoir, pour des raisons topographiques, un redan. On ne discerne pas de motif rationnel à ce phénomène. On trouve un cas similaire à Carnuntum (Petrikovits 1975), où les façades en ligne brisée, notamment sur le côté ouest, ne peuvent pas être expliquées par la seule topographie (Kandler & Vetters 1986, 214). 8 Les formes de camp polygonales –on en rencontre rarement, et la plupart semblent remonter aux premiers temps de l’Empire– peuvent être liées à la topographie (Oberaden), mais on en a aussi construit sur des surfaces où l’on aurait pu, sans grande difficulté, édifier des formes orthogonales (Rödgen, Haltern : Ostlager, Cologne/ 100 Alteburg, Nimègue/Traianusplein, Marktbreit, Windisch). La forme indéfinie du fortin de terre de Hoflieim est totalement arbitraire. Celle d’ Anreppen, elle aussi indéfinie, est en revanche clairement liée à la situation insulaire, entre la Lippe et le Stemmekebach ; cela ne suffit cependant pas à expliquer le redan du front nord. On ne connaît de formes polygonales ou amorphes que jusqu’à l’époque claudienne. Des formes de camp apparemment inhabituelles se trouvent en Gaule, dans les ouvrages de siège d’Alésia qui, dans le cadre d’une situation militaire particulière, ont été édifiés sur les positions le mieux à même de servir les objectifs tactiques sur le terrain (Reddé & Schnurbein 2001). On a une situation spécifique totalement différente avec les castella qui permettaient de protéger les ports fluviaux. Leurs formes de base permettent parfois de discerner des rectangles allongés dont la longueur demeure ouverte du côté de la rive (Haltern/Hofestatt [période 4], Velsen). Osterburken constitue un cas particulier et unique : il est situé dans une vallée, à un endroit tactiquement inadapté. Seule la construction du fort annexe sur le coteau abrupt a permis, depuis le point très élevé qu’il occupe, au moins quinze mètres au-dessus du camp, d’assurer la liaison optique avec le limes. 9 Pour résumer, on peut décrire l’évolution suivante : à l’époque républicaine, on connaissait déjà la forme rectangulaire rigoureuse, comme le montre le camp de Cáceres el Viejo, construit vers 90 av. J.-C. (Ulbert 1984). De nouvelles fouilles devraient déterminer dans quelle mesure l’aménagement intérieur de Cáceres correspond à des missions purement militaires. Pour les autres camps républicains d’Espagne (Pamment Salvatore 1996 ; Luik 1997) et pour ceux de César en Gaule, notamment Alésia, on ne peut pas appliquer les critères de l’époque impériale, parce qu’ils n’ont absolument pas été conçus pour former des cantonnements durables. Dans la mesure où des camps sont attestés à cette époque, ils ont été construits lors de sièges ; leurs missions principales étaient par conséquent totalement spécifiques. Il faut attendre la création de l’armée permanente, sous Auguste, pour que se constituent peu à peu les normes que nous avons brièvement caractérisées ci-dessus. Mais à cette époque, nous rencontrons encore très fréquemment des formes non canoniques. Cette évolution prend fin avec Claude. Pour les forts édifiés à partir de Trajan sur le limes, on ne trouve pratiquement plus que des formes rigoureusement orthogonales. Il faut attendre la fin de l’Antiquité pour voir apparaître des formes qui en divergent nettement (Altrip). 10 La conception standardisée des castra et castella romains du Ier au IIIe s. correspond parfaitement à la grande mobilité de l’armée et surtout à ses charges. On ne s’est pas contenté de déplacer les officiers au cours de leur carrière, d’une frontière ou d’un fort à l’autre : au Ier s. et jusqu’à une période avancée du IIe s., on a aussi déplacé des unités entières dans des camps et des fortins construits par d’autres troupes. Si cette conception de base standardisée et les normes qui l’accompagnaient n’avaient pas existé, il aurait été nécessaire de transformer totalement le camp ou le fortin à chaque changement de troupe. L’organisation homogène de l’armée et de ses divisions, la conception uniforme des garnisons étaient donc une condition essentielle de cette mobilité de l’armée romaine souvent admirée et qui permettait d’échanger des troupes entre les frontières de l’Angleterre et de l’Euphrate, entre la Germanie et la Dacie, et de remplir les missions militaires dès l’arrivée sur un nouveau site. 101 2.1.4 Taille des unités et dimensions des camps 11 La dimension des camps légionnaires et auxiliaires dépend naturellement de la taille des troupes qu’il fallait abriter. Sachant qu’une légion comptait environ 5 000/6 000 hommes, et une unité auxiliaire 500 à 1 000 hommes –chiffres indiqués par les sources littéraires et les inscriptions– on devrait aboutir à des superficies standardisées ; on constate pourtant des variations importantes. Le schéma du tableau I vaut pour le IIe s. de n.è. ; il s’est progressivement imposé après la mise sur pied d’une armée permanente sous Auguste Johnson 1987, 42 ; Le Bohec 1989, 170-172). Les numeri ne sont devenus autonomes que dans le courant de la première moitié du IIe s. (Reuter 1999, 361 sq.). Assez souvent, des unités de nature différente ont pu être cantonnées ensemble ; on trouve aussi des détachements provisoires de légions (vexillatio). C’est la raison pour laquelle on rencontre des superficies qui s’écartent de la “norme” décrite dans le tableau I. Un bon exemple en est fourni par le camp légionnaire de Bonn (26,9 ha) où, à côté de la legio I Minervia, ont été casernés des auxiliaires. Dans les grands camps de Dangstetten (14 ha) et de Haltern : camp principal (18 ha) n’était cantonnée qu’une partie de la légion qui y avait ses quartiers, alors qu’on y rencontre en même temps des auxiliaires. Le castellum de Niderbieber est en revanche étonnamment grand (5,2 ha), car il abritait deux numeri particulièrement importants. Si l’on n’y avait découvert des inscriptions, on aurait volontiers considéré Niederbieber comme un camp d’aile, en raison de sa taille. Dans le castellum d’Echzell, qui a les mêmes dimensions, étaient abritées à la fois une aile et une cohorte quingénaires (500 hommes), ce qui est tout à fait inhabituel. A elle seule, la superficie d’un camp ne peut donc fournir qu’un indice de la taille d’une garnison. Pour connaître la nature de l’unité, et, éventuellement, les combinaisons d’unités, les fouilles sont indispensables. La découverte sur place d’inscriptions ou de tuiles estampillées peut en effet donner des indications décisives. Mais les inscriptions peuvent n’indiquer que le passage temporaire de soldats, comme c’est le cas du commando de la XXIIe légion, envoyé effectuer des travaux à Osterburken ; à l’inverse, rappelons que les tuileries fournissent aussi des unités qui n’ont pas de telles installations à leur disposition. Légion Env. 5000-6000 h. en 10 cohortes. Les cohortes 2 à 10 comptent 480 h. chacune ; la cohorte 1 peut être double + étatmajor et environ 120 cavaliers. Superficie nécessaire : 20-22 ha. Unité de cavalerie à 500 h. (quingenaria) ou à 1000 h. (milliaria), divisée en 16 turmes Ala (quingenaria) d’environ 30 h. ou 24 turmes (milliaria) avec un plus grand nombre d’h. Superficie nécessaire : 3-3,5 ha/6 ha. Unité d’infanterie à 500 h. (quingenaria) Cohors ou à 1 000 h. (milliaria), divisée en 5 ou 10 centuries. Superficie nécessaire : 2-2,2 ha/4 ha. 102 Cohors equitata Numerus En sus de l’infanterie, 120 cavaliers (quingenaria) ou 240 (milliaria). Superficie nécessaire : 2,2-2,5 ha/4-4,5 ha. Le plus souvent 2 centuries de 80 h., parfois nettement plus. Superficie nécessaire : 0,6 ha pour 2 centuries. TABL. I Les différents types d’unités et la superficie de leurs cantonnements. 2.1.5 La disposition interne 12 Nous l’avons dit plus haut, dans les camps et les castella, la construction était articulée selon un principe d’orthogonalité (fig. 18, 19). Les préceptes fondamentaux figurent essentiellement dans ps.-Hygin, De munitionibus castrorum. Des rues perpendiculaires traversent l’espace intérieur. Les bandes ainsi créées s’appellent strigae ou, plus rarement, scamna. Ces deux mots appartiennent au vocabulaire des arpenteurs et désignent, le premier une bande de terrain deux fois plus longue que large, le second une bande de terrain deux fois plus large que longue. Dans la langue militaire d’Hygin, le terme de scamnum est employé pour désigner l’emplacement où campent les tribuns et les légats (Lenoir 1979). On érigeait selon un schéma fixe les bâtiments de différentes fonctions dans les espaces ainsi créés. Ce système correspondait à l’image idéale d’une ville gréco-romaine, comme le montre clairement une formulation de Josèphe (BJ III, 5, 2) : “La vue qui s’offre à nous laisse penser qu’une ville est sortie du néant, avec une agora, un quartier pour les artisans et des tribunaux pour les officiers”. 103 FIG. 18 Schéma théorique de la division du sol dans un camp romain. dessin M. Reddé. FIG. 19 Maquette du camp du Koenenlager de Neuss. 13 L’arpentage du camp commençait au point qui en constituerait ultérieurement le centre. Là où devaient se croiser les deux rues principales, la via principalis et la viapraetoria, on commençait, avec l’aide de la groma, l’instrument d’arpentage, à fixer les axes des rues et, depuis celles-ci, à repérer les rues secondaires et la place des différents bâtiments. La via principalis traverse tout le camp et le divise en deux grandes moitiés inégales, la partie arrière, plus grande, étant à son tour séparée par la via quintana, parallèle à la précédente. En allant vers l’enceinte, la via principalis débouche respectivement, toujours vu depuis le centre, sur la porta principalis dextra ou sinistra. Il 104 arrive souvent –contrairement à ce qui se passe dans le système hippodaméen– que les rues ouvertes en travers de la via principalis et de la via decumana ne parcourent pas tout le camp. En règle générale, cela vaut pour l’axe central transverse, composé de la via praetoria et de la via decumana, qui est le plus souvent coupé par les bâtiments centraux. La partie avancée de cet axe transverse, la via praetoria, mène, depuis la via principalis, à la porta praetoria. En principe, via principalis et via praetoria sont beaucoup plus larges que toutes les autres rues. Devant la façade arrière des bâtiments centraux courait la via quintana. En son milieu, et dans l’axe de la via praetoria, débutait la via decumana qui menait, à l’arrière du camp, à la porta decumana. Les noms des autres rues et ruelles qui desservaient les différents scamna et strigae ne sont pas mentionnés dans les sources antiques ; on ignore donc si elles possédaient des noms déterminés. Dans le ps.-Hygin, on les appelle viae vicinariae. On donnait le nom de via sagularis à la rue qui passait dans l’intervalle (intervallum) situé derrière le mur et qui reliait les portes. 14 D’une manière générale, les camps et les fortins étaient donc divisés en deux parties par la via principalis. La partie antérieure, à travers laquelle courait la via praetoria, portait le nom de praetentura. Elle était en général bien plus étroite que l’autre partie. Les deux parties étaient subdivisées par les autres rues étroites. Ces sections portaient le nom de scamna ; en conséquence, on donne au secteur courant le long de la via principalis, dans lequel se trouvaient les maisons des tribuns lorsqu’il s’agissait de camps de légion, le nom de scamnum tribunorum. Dans les camps de légion, si l’on se réfère à Hygin, on donne le nom de latera praetorii aux aires situées de part et d’autre des principia et du praetorium, délimitées par la via decumana. Derrière se trouvait la partie du camp baptisée retentura. 15 Les casernes se trouvaient en partie dans la praetentura, mais la majorité était dans la retentura. Les autres bâtiments, comme les horrea, le valetudinarium ou les fabricae, n’avaient manifestement pas de place fixe. On peut simplement affirmer qu’en règle générale, les horrea se situaient à proximité d’une porte. Les thermes étaient rarement construits à l’intérieur du camp ou du fortin. En revanche, les fabricae paraissent avoir fonctionné régulièrement, au moins en partie, dans l’enceinte des camps et des castella ; seuls les ateliers de potiers –encore installés à l’intérieur à l’époque augustéenne– ont été construits ultérieurement, à partir de Claude, en marge des canabae et des vici. Au sein d’une légion, la construction du camp relevait de la compétence du praefectus castrorum. Dans les unités auxiliaires, on ne connaît pas de service spécifiquement chargé de cette mission. Les artisans étaient nombreux dans les légions, et l’on en trouvait pour la quasi-totalité des travaux à réaliser, de telle sorte qu’une légion pouvait quasiment être organisée en autarcie, comme une ville (Petrikovits 1974a). 2.1.6 Les camps de forme irrégulière 16 Malgré les prescriptions claires du système orthogonal, on trouve, nous l’avons dit cidessus, des divergences parfois étonnantes à l’époque d’Auguste et jusqu’à celle de Claude ; la topographie du terrain n’y apporte qu’une explication partielle. 17 Oberaden, Marktbreit, Haltern, Windisch et Hofheim en sont les exemples les plus frappants. À Oberaden, les axes des trois rues centrales ne sont pas reliés dans un rapport orthogonal, et les deux portes principales ne se situent pas dans l’axe de la via principalis. Par ailleurs, contre toutes les règles, la via principalis court entre principia et praetorium. Il s’agit d’un cas unique. À Marktbreit, la via principalis n’a pu être tracée en 105 droite ligne à travers le camp, car un bâtiment s’élève dans le secteur correspondant de la partie ouest. La via decumana dévie manifestement de 20° par rapport à l’angle droit (Schnurbcin 2000, 30-31). 18 Le camp principal de Haltern (“Hauptlager”) est un cas particulier parce que le rempart prétorien et le rempart décumane constituent les deux longs côtés d’un polygone à peu près rectangle, et les axes du camp sont othogonaux. La situation de la porta decumana, extrêmement décentrée, s’explique par le fait que la porte se dressait sur le point le plus élevé du terrain ; cette position est explicitement recommandée par ps.-Hygin (56) : in qua positioneporta decumana eminentissimo loco constituitur, ut regiones castris subiaceant. La disposition orthogonale du camp rendait indispensable l’ouverture de deux rues vers la façade arrière, depuis la via principalis, mais la via decumana ne menait pas directement à la porta decumana ; cela aurait créé des parcelles trop petites pour les cohortes. 19 À Windisch, la situation est particulièrement obscure parce qu’on ne peut distinguer avec certitude les différentes phases de construction. On peine à donner un nom aux portes parce que le réseau des rues diverge de presque toutes les règles. Principia et praetorium ne se situent pas non plus au centre, mais en position excentrée. 20 À Hofheim, daté de Claude, le fameux fortin de terre est certainement le cas le plus étrange : la forme indéfinie, la large bande de glacis entre le fossé extérieur et le double fossé, le type de construction des tours ouest et nord, les rues en ligne brisée et l’articulation intérieure : on ne trouve pratiquement pas un seul détail qui ne diverge du schéma normal. Il n’existe pourtant aucune espèce de contrainte topographique susceptible d’en être la cause et, du reste, le fortin de pierre plus récent qui a été construit à partir de l’époque flavienne, juste derrière le fort en terre, ne montre pas de divergence avec le schéma standard. 21 Si l’on observe les nombreux autres camps et castella qui ont pu à ce jour être étudiés aux frontières de l’Empire romain, on les trouve en Angleterre, le long du Rhin, sur le limes de Germanie supérieure et de Rétie, le long du Danube et en Dacie (Johnson 1987 ; Baatz 2000 ; Kandler & Vetters 1986 ; Gudea 1997). Presque tous datent donc de la période qui débute avec Claude, et la majeure partie appartient au IIe s. ap. J.-C. Nous retrouvons partout des plans horizontaux fondés sur le rectangle. La phase où l’on expérimenta différentes formes et conceptions s’est donc manifestement achevée avec Claude. Le seul à sortir de ce cadre normalisé est le castellum de Bewcastle, érigé à l’époque de Sévère au nord du mur d’Hadrien. Cette situation stratégique particulière a incité, en l’occurrence, à adapter la forme au terrain, pour utiliser les avantages tactiques de ce dernier (Johnson 1987, 316-317, ill. 217). Il apparaît ainsi comme un précurseur des fortins de la fin de l’Antiquité. 2.2 Les matériaux de construction 22 DIETWULF BAATZ 23 Pour une large part, les matériaux de construction destinés aux bâtiments militaires étaient fournis par l’armée elle-même. Les troupes disposaient de carrières, de tuileries, de fours à chaux et pratiquaient leurs coupes de bois. On rencontre dans les légions de nombreux ouvriers spécialisés (immunes) dans les différentes spécialités requises, ainsi que des cadres (optio, mugis ter, urchitectus) affectés aux fabricae. Même les 106 auxiliaires comptaient des techniciens dans leurs rangs. Pour les chantiers et l’approvisionnement en matériel en dehors des lieux de garnison, on envoyait des détachements (vexillationes), formés pour la circonstance. Nous avons de leur travail de nombreux témoignages épigraphiques. 2.2.1 Les carrières 24 L’extraction de pierre doit être supposée, dans quelques cas, dès l’époque augustéenne –c’est le cas pour les carrières de tuf de l’Eifel oriental. La production massive n’a commencé toutefois qu’au milieu du Ier s. ap. J.-C., d’abord à l’usage des bâtiments internes de quelques camps légionnaires. À partir de cette époque, les légions ont ouvert de plus grandes carrières sur la frontière rhénane, en fonction de leurs besoins. Les auxiliaires en revanche n’ont commencé à construire en pierre qu’à partir de la fin du Ier s. Eux aussi ont exploité des carrières quand des matériaux de construction adéquats étaient disponibles près de leur lieu de garnison. 25 Le transport terrestre de la pierre à l’aide de chariots était lourd à mettre en œuvre et coûteux. On a donc toujours cherché, quand c’était possible, à utiliser les matériaux locaux point trop éloignés du chantier de construction. Quand l’armée était cantonnée dans une région de moyenne montagne, c’était la règle. C’est la raison pour laquelle on rencontre sur le limes germano-rétique de nombreuses petites carrières, exploitées pour une courte période. On observe très souvent, dans les camps légionnaires et les castella auxiliaires de cette frontière, l’emploi de pierre extraite localement. Dans quelques cas, les carrières sont situées à courte distance au-delà du limes quand le matériau utilisable n’était disponible qu’à cet endroit (Marköbel : ORL B, II, 2, 21). Dans de nombreux secteurs du limes de Rétie, on peut encore voir les cavités résultant de l’extraction dans le calcaire jurassique qui a servi pour la construction du mur rétique. Elles sont situées juste en arrière de celui-ci (par ex. tour 15/43 : ORL A, VII, Str. 15, p. 20). 26 Dans le cas où, dans les environs d’un chantier, on ne disposait pas de matériaux appropriés, il fallait transporter ceux-ci sur une longue distance. C’est surtout vrai des édifices militaires dans les régions basses de Germanie inférieure, pauvres en pierre. On devait alors faire venir les matériaux de très loin, depuis les zones de moyenne montagne. On a évidemment, autant qu’il était possible, utilisé alors la voie d’eau, plus commode que la voie terrestre pour le transport de pondéreux. On disposait pour cela du Rhin et de ses affluents et c’était une des tâches de la flotte (classis Germanica) que d’assurer cette logistique à l’aide de barges spéciales (Bockius et al. 2001, 110-132). Sa base était située à Cologne/ Marienberg (Alteburg), à la jonction de la moyenne montagne et du plat pays. 27 Certains bâtiments ou certaines architectures militaires devaient recevoir un décor ornemental ou sculpté, souvent ostentatoire, notamment les portes ou les principia. On avait besoin pour cela de pierre de qualité, fine, comme le calcaire jurassique de Lorraine à Mayence (Stribrny 1987), le tuf de l’Eifel pour les tours des portes de Niederbieber (ORL B, I, no la, p. 15). On allait alors chercher ces matériaux à plus longue distance quand on ne disposait sur place que de pierre plus commune, moins adaptée. Les fondations, les blocages, les appareils secondaires utilisaient en revanche les ressources locales, quand c’était possible : ainsi, à Mayence, le calcaire tertiaire des carrières voisines, à Niederbieber la Grauwacke et le schiste du Devon. 107 28 Nombre de carrières romaines ont été rouvertes et réexploitées au Moyen Age et à l’époque moderne, de sorte que les niveaux romains ont disparu. D’autres sont recouvertes d’éboulis et de végétation et il est difficile de les identifier. L’exploitation romaine n’est identifiable que dans de rares cas, grâce aux inscriptions, aux traces de taille, aux analyses géologiques. Nous en donnons ici une liste abrégée. 29 • Königswinter/sur le Drachenfels (district de Rhein-Sieg-Kreis, D) 30 Les carrières de l’armée de Germanie inférieure sont situées sur la rive orientale du Rhin, avec un port de déchargement de la classis Germanica. Le matériau est un trachyte tertiaire –une roche volcanique. Sont conservés des fronts de taille et un graffite rupestre (Horn 1987, 523-527). Cette pierre a été notamment utilisée dans le camp légionnaire de Bonn. Une inscription votive d’un détachement de la classis Germanica, trouvée à Bonn, datée de 160, est elle-même en trachyte (Horn 1987, 379) ; elle indique que la flotte a transporté de la pierre pour la construction du forum de la colonia Ulpia Traiana (Xanten). 31 • Wachtberg/Berkum (district de Rhein-Sieg-Kreis, D) 32 Le matériau (trachyte) de ces carrières de l’armée de Germanie inférieure a été utilisé notamment dans le camp légionnaire de Bonn. 33 • Entre le Laacher See et Andernach (vallée du Brohl et de la Pellenz, dans l’Eifel oriental, D) 34 Ces bancs de tuf sont situés en Germanie supérieure ; les inscriptions montrent toutefois que les carrières sont exploitées par des détachements de l’armée de Germanie inférieure (légions et auxiliaires) et par la flotte. Les soldats ont essentiellement laissé des épitaphes votives à Hercules Saxanus. On a surtout exploité le tuf volcanique du Laacher See (10900 av. J.-C.). L’utilisation de tuf dans la construction était familière aux Romains d’Italie centrale et méridionale, sans parler des habitants de Rome même (Vitruve II, 7). Le tuf présente l’avantage d’être facile à travailler à l’herminette et on pouvait en fournir rapidement une grande quantité. Le banc de roche est apparent dans toute la vallée du Brohl et a d’abord été exploité en carrières à ciel ouvert ; les bancs ont été reconnus dès l’époque augustéenne, et exploités en petite quantité, notamment pour le “monument des Ubiens”, à Cologne. Pendant l’époque romaine a été ouverte, dans la vallée de la Pellenz (districts de Kruft, Kretz et Plaidt), une zone d’extraction de plusieurs kilomètres carrés. Le tuf est disponible à cet endroit sur de grandes surfaces et en bancs épais, faciles à exploiter, mais souvent sous une couche de pierre ponce. Il a donc fallu assez souvent l’extraire en galeries de mines, que l’on peut visiter aujourd’hui car elles sont consolidées (galerie de Meurin, dans le district de Plaidt). Le matériau a été utilisé dans la construction militaire romaine du milieu du Ier s. jusque dans la première moitié du IIe s., notamment pour le camp légionnaire de Neuss/Grimlinghausen. En outre, l’exploitation a été effectuée pour les besoins civils en quantité significative et jusqu’à la fin de l’Antiquité (Berg & Wegner 1995 ; Schaaff 2000, 17-30). Dans le vicus voisin d’ Antunnacum (Andernach) existait sur le Rhin un port pour le transport de ces matériaux, essentiellement vers l’aval à destination de la Germanie inférieure, dépourvue de pierre (Schäfer 2000, 83-109 ; Cüppers 1990, 304-306). 35 • Norroy-lès-Pont-à-Mousson (Lorraine, F) 36 Ces carrières des armées de Germanie supérieure et inférieure ont été ouvertes au Ier s. (inscription de la legio XIIII Gemina de Mayence). Elles se situent dans la haute vallée de 108 la Moselle qui coupe ici les chaînons jurassiques. Le fleuve autorisait le transport de la pierre grâce à des barges. Le matériau est un calcaire tertiaire, compact, adapté à un travail fin et de qualité. Il convient par conséquent aux monuments funéraires et votifs, au décor architectural des bâtiments militaires qui ont une fonction ostentatoire (Stribrny 1987, 6-9). 37 • Mayence/Weisenau et Wiesbaden/Amôneburg (district de Kreisfreie Stadt, D) 38 Ces carrières des légions de Mayence, identifiées au vu d’analyses pétrographiques, ont été ouvertes au Ier s. Il s’agit d’un calcaire tertiaire, peu compact, poreux, qui n’est propre qu’à des tailles simples, mais a été utilisé en grande quantité comme matériau de construction. Les traces des carrières antiques ont été déttuites par l’ouverture de carrières modernes extensives (Stribrny 1987, 90). 39 • Sur le Felsberg, près de Lautertal/Reichenbach (district de Bergstrasse, D) 40 Cette carrière tardo-antique utilisée pour les grandes constructions de Trêves, dans la première moitié du IVe s., est située à l’est de la frontière romaine tardive et n’a pu être exploitée qu’avec l’aide de l’armée. Elle est intéressante en raison des traces de taille qui sont bien conservées, notamment celles de scies. On y extrayait le granit (Divisch et al. 1985 ; Baatz & Herrmann 1989, 270-273). 41 • Le Kriemhildenstuhl (district de Bad Dürkheim, D) 42 Cette carrière (fig. 20-22) a livré des inscriptions de la XXII e légion de Mayence, autour de 200 ap. J.-C. On y a exploité un grès bigarré clair (pâle) pour un grand bâtiment de fonction inconnue à Mayence. La carrière, totalement remblayée, a été intégralement fouillée au XXe s. et est remarquable en raison de ses tailles bien conservées, de ses inscriptions, de ses graffites rupestres. Les inscriptions livrent aussi quelque information sur l’organisation des carrières. Dans les parages apparaissent aussi des restes de carrières des légions de Germanie supérieure, au Schlammberg, près de Bad Dürkheim, et dans la vallée du Kallstädter au sud de Leistadt. Depuis le milieu du Ier s., on exploitait là aussi un grès bigarré clair (Röder 1969 ; Cüppers 1990, 313-315). 109 FIG. 20 Le Kriemhildenstuhl à Bad Dürkheim. Carrière de grès bigarré utilisée par la legio XXII Primigenia pia fidelis après son dégagement par les fouilles (Sprater 1935, 32) dessin A. Teuffel. FIG. 21 Le Kriemhildenstuhl à Bad Dürkheim. Front de taille avec traces d’enlèvement des blocs. cliché D. Baatz. 110 FIG. 22 Le Kriemhildenstuhl à Bad Dürkheim. Inscriptions de la XXIIe légion : a Le (gio)/le (gio) XXII A(ntoniniana) ; b Gettonius./Ursus, Dossu(s)/le (gionis) XXII P(rimigeniae) P(iae) F(idelis). clichés D. Baatz. 43 • Reinhardsmunster, au sud de Saverne (Alsace, F) 44 Il s’agit de la carrière de la VIIIe légion de Strasbourg. Elle a livré des traces de taille et des inscriptions au nom de l’officina leg (ionis) VIII Aug (ustae). La carrière était donc appelée officina. On y exploitait un grès bigarré rouge (fig. 23). Dans les parages existent probablement d’autres carrières de la même pierre (Forrer 1918). 111 FIG. 23 Reinhardsmunster, au sud de Saverne (Alsace). Carrière de grès bigarré de la legio VIII Augusta avec l’inscription Officina leg (ionis) VIII Aug (ustae). [Forrer 1918, 49, fig. 9], 2.2.2 Les tuileries 45 FIG. 24, 25 46 La production militaire de tuiles a commencé vers le milieu du Ier s. ap. J.‑C., à l’époque des premières grandes constructions en pierre des légions, et elle a duré jusque dans l’Antiquité tardive. À partir de l’époque flavienne, les troupes auxiliaires ont elles aussi produit des tuiles. Mesuré à l’aune des constructions militaires en pierre, l’utilisation de la tuile est restée réduite et limitée essentiellement à deux domaines : la couverture des toits et la construction des hypocaustes. Toutefois, même les toits de tuiles sont rares dans les camps militaires et ne constituent qu’une faible partie des couvertures. On utilisait principalement des matériaux organiques –planches de bois et bardeaux ou paille. On utilisait fréquemment des types de tuiles particuliers pour la construction des installations thermales chauffées, quoique les briques murales fussent rarement employées en élévation. Dans les constructions militaires de l’Empire précoce ou au IIe s., l’utilisation de chaînages de briques dans les murs n’était pas usuelle et n’est attestée qu’à l’époque tardive, par ex. à Cologne/Deutz. On rencontre parfois des briques trapézoïdales pour la construction d’arcs. On connaît un certain nombre de types et de formats spéciaux pour différents usages spécifiques (Le Ny 1988 ; Brodribb 1987). 112 FIG. 24 Tuilerie des milites portisienses à Rheinzabern (Cüppers 1990, 538). FIG. 25 Tuilerie de la legio XX Valeria Victrix à Holt (pays de Galles) : 1 baraquement de la vexillation de travail ; 2 thermes ; 3 maison du commandant (?) ; 4 ateliers ; 5 bâtiment avec hypocauste et fours isolés ; 6 fours de tuiliers et de potiers. La Dee (au nord-est de la tuilerie) permettait le transport des tuiles jusqu’à Chester et vers d’autres installations militaires (Nash-Williams 1969, fig. 16). 47 Comme une grande partie des tuiles militaires était estampillée au nom d’une unité, ces matériaux constituent une source importante pour notre connaissance de la répartition des troupes dans le temps et dans l’espace. Toutefois, on prendra garde au fait que le lieu de découverte d’une telle tuile n’est pas nécessairement identique avec le cantonnement de l’unité mentionnée, car de nombreuses tuiles militaires n’ont pas été produites exclusivement en prévision d’une construction militaire sur le lieu de 113 garnison d’une troupe déterminée (CIL XIII, 6 ; Rüger 1968, 60-72). Cela vaut particulièrement pour les tuileries légionnaires (figlinae, tegulariae) qui travaillaient le plus souvent au profit d’une région plus vaste que leur cantonnement proprement dit. On les a donc installées là où l’on trouvait une argile appropriée et où les possibilités de transport par voie d’eau étaient assurées. C’est pourquoi toutes les tuileries légionnaires sont situées sur le Rhin ou sur l’un de ses affluents. 48 Les fouilles permettent de bien comprendre la construction des fours (Berger 1969 ; Le Ny 1988). Comme l’on montré des découvertes récentes, le four, généralement de forme rectangulaire, mais aussi parfois circulaire, était installé le plus souvent dans un atelier en bois (par ex. Cüppers 1990, 535, fig. 459, 538, fig. 462). En dehors du four, la figlina comprenait aussi des baraquements pour les ouvriers, des aires de séchage pour les tuiles crues, des fosses pour le stockage du matériau de base. Le plan de la tuilerie légionnaire de la légion XX Valeria Victrix à Holt (pays de Galles) en fournit un bon exemple (Nash-Williams 1969). 49 La production de tuiles était limitée à la belle saison, sans quoi les produits crus n’auraient pu sécher ; cette raison justifie à elle seule une production intermittente. Celle-ci était en outre fortement dépendante d’une demande variable et n’était mise en œuvre qu’une fois le projet de construction achevé. Les légions eurent ainsi besoin d’une production massive après la révolte batave, au début de l’époque flavienne, comme on peut le constater en observant l’abondance des tuileries proches des cantonnements en Germanie inférieure. Il y avait en outre une entreprise dans laquelle des vexillations de plusieurs légions de Germanie inférieure étaient impliquées, la tegularia transrhenana (Rüger 1968, 60-66). Comme pour les carrières du Drachenfels, celle-ci a dû se situer sur la rive orientale du Rhin, mais elle n’a pu être localisée. 50 Les tuileries légionnaires de Rheinzabern ont assuré les besoins de l’armée de Germanie supérieure du milieu du Ier s. ap. J.-C. au début de la période flavienne (Cüppers 1990, 533-539). Lorsque les dommages créés par la révolte batave eurent été réparés, la production fut mise en sommeil. Sous Domitien, après la guerre chatte, la protection militaire de la zone du limes entraîna un nouveau besoin de tuiles ; on construisit pour cela une nouvelle tuilerie au confluent du Main et de la Nidda, à Francfort/Nied (Baatz & Herrmann 1989, 303 sq.), plus proche des lieux de consommation que la vieille fabrique de Rheinzabern. La tuilerie de Nied a continué de produire, avec des interruptions, jusqu’à son abandon au milieu du IIe s. Sous Commode, une tuilerie de la cohors IIII Vindelicorum à Gross Krotzenburg a livré à plusieurs reprises de grosses fournées pour la réparation et la construction de nouveaux bâtiments militaires, quelquefois très éloignés (ORL B, II, 2, no 23, p. 14-16). Enfin, signalons que de nombreux petits ateliers auxiliaires ont produit pendant un temps bref des tuiles destinées à un petit nombre de bâtiments, voire même à un seul. 51 Au IVe s. encore existait sur la frontière rhénane une production de tuiles militaires. On connaît ainsi des estampilles de la legio I Martin à Kaiseraugst (Tomasevic-Buck 1982 ; Berger 1969). À Rheinzabern, dans la seconde moitié du IVe s., soit après une très longue pause, une nouvelle tuilerie fut construite, cette fois-ci par des unités de limitanei tardives (Menapii, Martenses, Acinenses, Cornacenses, Portisienses) [Cüppers 1990, 537 sq., fig. 461-462]. 114 2.2.3 Les fours à chaux 52 Pour de grands projets, par exemple un camp légionnaire, il était nécessaire de disposer de fours à chaux de grande capacité. Ces installations étaient situées à proximité des gisements naturels où l’on transportait le combustible (bois). Il est certain que tout le long de la frontière rhénane ont existé plusieurs grands complexes de chaufours appartenant à l’armée mais, jusqu’ici, seul l’un d’entre eux a été découvert. On connaît en effet à Bad Münstereifel/ Iversheim (fig. 26) une officine comprenant six fours, utilisée par des unités de l’armée de Germanie inférieure, notamment des vexillations – legio XXX Ulpia Victrix et autres. On y brûlait la dolomie du moyen Devon. À Iversheim, des inscriptions nomment le chaufournier (calcaritis), le contremaître (magister calcarium), et un architectus discens, entre le milieu du IIe et le milieu du IIIe s. (Horn 1987, 338-342). L’officine n’a certainement pas travaillé en continu, mais en fonction de la commande. Pour des projets de moindre taille –les petits camps auxiliaires du limes– existaient des installations plus réduites. On en connaît une, par exemple, immédiatement près du rempart sud de Neckarburken ouest. Elle fut utilisée pour la construction du camp et on y brûlait du calcaire coquillier (Schallmayer 1991). Avant son utilisation dans la construction, la chaux vive devait être éteinte avec de l’eau. On effectuait cette opération dans des puisards boisés directement sur le chantier. On en trouve systématiquement dans les fouilles, comme c’est le cas à Walldürn. FIG. 26 Four à chaux de la legio XXX Ulpia Victrix à Bad Münstereifel/lversheim (Horn 1987, 339). 2.2.4 L’approvisionnement en bois 53 Le besoin en bois de construction était énorme. Pour l’édification d’un camp légionnaire en terre et en bois, 15 000 à 20 000 stères de bois étaient nécessaires, si l’on en croit les calculs effectués à Inchtuthil (Shirley 1996). De nombreuses recherches archéobotaniques montrent que, sur le Rhin, on préférait de loin le chêne ; on utilisait rarement le sapin et le pin. On avait aussi besoin en permanence de bois de chauffage pour les thermes, pour la préparation des repas, pour des usages industriels. On se servait alors d’autres essences, par exemple le hêtre. On comprend dès lors pourquoi, dans les parages d’un camp romain, le bon bois de construction faisait défaut après quelques années, même dans des zones forestières –par exemple à Welzheim (KörberGrohne et al. 1983, 57, 72). L’apparition d’une situation de pénurie montre que le bois de construction était d’abord coupé, aussi loin que possible, dans les environs. Cette 115 réflexion vaut pour les camps construits en zone forestière. Pour les chantiers de plaine, le bois devait de toute façon être importé. Dans le cas de grands projets –par exemple les camps légionnaires–, le besoin était si considérable que les environs ne pouvaient en aucun cas suffire. Il fallait donc transporter le bois depuis des forêts lointaines, si possible par voie d’eau. Le Rhin et ses affluents traversent des régions boisées étendues en moyenne montagne. Il fallait le plus souvent effectuer le transport par flottage, dont on a trouvé la trace archéologique dans le lit du Rhin à Strasbourg/ Koenigshoffen, Mayence, Zwammerdam (Ellmers 1995). Des vexillations militaires étaient envoyées en forêt pour couper du bois. On connaît ainsi, grâce à des inscriptions du cours inférieur du Main (Stockstadt, Obernburg, Trennfurt), quatre commandos de la XXIIe légion de Mayence. Ceux-ci étaient en activité dans les années 206-214 et sont connus sous le nom de vexillatio legionis XXII PPF agentium in lignariis. Ils étaient commandés par un centurion légionnaire ou un optio (fig. 27) [Speidel 1983]. Les inscriptions attestent en même temps du fait que les forêts du Main inférieur fournissaient du bois à usage militaire au début du IIIe s. Les recherches dendrochronologiques montrent que c’est aussi dans le bassin du Main que l’on venait couper du bois pour la construction de la colonia Ulpia Traiana (Xanten) au début du IIe s., par l’intermédiaire déjà de vexillations de la XXII e légion (Schmidt 1987). Là aussi, on doit admettre un flottage sur une longue distance (fig. 28a). La découverte de chaînes de flottage dans un dépôt de Heilbronn/Böckingen montre que, sur le Neckar aussi, on flottait le bois (fig. 28b). Les chaînes de fer servaient à l’arrimage du train de flottage (Schönberger 1967). FIG. 27 Inscription votive de Trennfurt (212 ap. J.-C.) : "À Jupiter très bon, très grand, à Sylvain Sauveur, à Diane Auguste, la vexillation des soldats de la légion XXII Primigenia Antoninienne, pieuse, fidèle, envoyés pour couper du bois sous la direction de Mamertinus lustus, optio, a dédié cette inscription, sous le consulat des deux Asper" (CIL XIII, 6618). 116 FIG. 28 Témoins de la pratique du flottage sur le Main et le Neckar : a radeau de poutres équarries trouvé à Strasbourg/ Königshoffen et servant au transport de blocs de pierre (Ellmers 1995, 235) ; b chaîne de flottage trouvée dans un dépôt d’objets ferreux à Heilbronn/ Böckingen (Schönberger 1967, 149, fig. 8, 1-2). 2.3 L’architecture défensive sous le Principat 54 DIETWULF BAATZ 55 Polybe (VI, 27-32) décrit de manière exemplaire, vers le milieu du IIe s. av. J.-C., les camps de marche de la République romaine. Ceux-ci étaient planifiés avec précision suivant un schéma urbain adapté aux besoins de l’armée mais réduit au maximum. Lorsqu’on entrait dans un camp, préparé au préalable, on avait l’impression “qu’une armée entrait dans sa propre ville” (Polybe VI, 41, 10). L’auteur grec jugeait particulièrement remarquable le fait que le camp de marche romain ait toujours été protégé par une enceinte fortifiée alors qu’il n’était construit que pour la nuit (Polybe VI, 42). Un observateur du début de l’époque impériale eut lui aussi, en voyant un camp d’étape, l’impression de se trouver face à une ville fortifiée (Josèphe, BJ III, 5, 2). Très tôt, les camps de siège fortifiés et édifiés pour durer un certain temps ont été construits sur le modèle des camps de marche. 56 Sous la République tardive, les armées romaines sont souvent restées engagées des années durant, parce qu’elles devaient combattre dans des provinces éloignées. Pour passer l’hiver, il leur fallait alors des abris solides et protégés contre les intempéries (hiberna). Le développement de ces camps reposait sur la longue tradition des camps de marche et des camps de siège. 57 Auguste créa l’armée permanente du Principat. Il attribua des cantonnements fixes dans les provinces aux légions et aux corps auxiliaires. Les troupes devaient désormais édifier dans leurs garnisons des abris consolidés et destinés à durer. Cela accéléra fortement le développement de camps militaires durables. 117 58 Pour les remparts, sur la frontière rhénane, le bois fut dans un premier temps le principal matériau de construction –en règle générale, on utilisait du chêne. Combiné avec la terre extraite des fossés, il permettait la construction rapide d’enceintes en bois et en terre. On utilisait en outre des mottes de gazon ou la pierre sèche, là où l’on disposait du matériau pour le faire. La maçonnerie au mortier demeura exceptionnelle pendant des décennies. On la rencontre dans le “monument des Ubiens”, à Cologne, datant de l’an 4 ap. J.-C., sans doute une tour défensive qui protégeait l’ancien port du Rhin (Horn 1987, 462-463). 59 C’est après le milieu du Ier s. ap. J.-C. que l’on commença à construire les remparts en mortier et en pierres, d’abord dans le camp légionnaire de Neuss/Grimlinghausen (vers 55 ou seulement après 70 ?). Au début de l’époque flavienne, d’autres camps légionnaires de la frontière rhénane reçurent un rempart de pierre (Mayence, Bonn). A la même époque, d’autres camps légionnaires avaient encore des enceintes de bois (Mirebeau, Nimègue). Le premier mur maçonné du camp légionnaire de Vindonissa est sans doute lui aussi né à l’époque flavienne ; à Mirebeau, il fallut sans doute attendre le règne de Domitien. En revanche, les castella auxiliaires sont restés des bâtiments exclusivement en bois depuis l’époque flavienne tardive. C’est seulement à partir de Trajan qu’on a pourvu d’enceintes de pierre les premiers castella auxiliaires. Depuis le milieu du IIe s., les remparts maçonnés étaient la règle dans tous les camps de légion et dans la quasi-totalité des castella auxiliaires, et les enceintes en bois se firent rares. On connaît par exemple ce genre de cas exceptionnels sur le Rhin inférieur, où les forts d’Utrecht, de Zwammerdam et de Valkenburg ne furent pas pourvus d’un mur en pierres avant la fin du IIe s. 60 L’introduction de la maçonnerie donna aux remparts une meilleure tenue dans le temps et diminua les risques d’incendie. Mais leur force tactique demeura pratiquement identique, parce qu’on n’avait pratiquement pas transformé les dimensions ni les éléments de la technique défensive. On n’observe d’évolution de la fortification que dans le cas du castellum de Niederbieber, érigé à la fin du IIe s. Ses tours, qui forment une grande saillie hors de la courtine, et la présence d’une large berme annoncent les caractéristiques défensives de la fin de l’époque romaine. Le mur offrait aux défenseurs l’avantage d’une position élevée et à couvert. Mais une différence essentielle séparait les remparts militaires du début et du milieu de la période impériale et la plupart des enceintes urbaines de l’Antiquité. Les murs des villes devaient être construits avec une solidité suffisante pour pouvoir résister à un siège formel. Il faut pour cela que les murs, là au moins où ils peuvent être attaqués, aient une hauteur suffisante pour que la pose d’échelles et de grappins soit risquée et qu’un assaut puisse être facilement repoussé. La hauteur minimale d’un mur de ce type était d’environ six mètres jusqu’au chemin de ronde. Les murs fortifiés de l’armée à l’époque du Principat étaient en revanche beaucoup plus bas et moins épais. À cette époque, l’armée romaine prenait généralement le dessus en rase campagne, elle avait l’habitude de la guerre de mouvement et n’avait guère à redouter un véritable siège de ses cantonnements. Les constructions défensives des camps devaient uniquement protéger la troupe contre une attaque surprise jusqu’au moment où celle-ci pourrait se trouver en formation d’attaque. Si le camp était encerclé, sa garnison faisait une sortie et parvenait souvent, de la sorte, à battre l’adversaire. Les camps légionnaires et les castella auxiliaires du début et du milieu de l’époque impériale étaient uniquement des 118 casernes fortifiées ; ce n’étaient pas des citadelles destinées à soutenir un siège (Baatz 1963-1964). 2.3.1 Les remparts 2.3.1.1 Les murs en terre et en bois 61 De nombreux remparts de la frontière rhénane étaient construits, depuis le début de l’époque impériale, en bois et en terre (fig. 29). Ils présentaient des murailles verticales, ce que permettait l’utilisation du bois. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, rien –ou peu de choses– n’a été conservé de l’élévation de ces murs. Les parties conservées des remparts du fort de Valkenburg, qui se classent dans différentes variantes de ce type d’architecture, constituent une exception. Dans le castellum de cohorte d’Urspring, en Rétie, on a découvert à l’arrière du rempart en pierre l’empreinte du mur de bois et de terre précédent, avec les détails de la construction. Le mur de pierres avait été disposé devant l’ancien mur de bois en ruines, et avait d’une certaine manière conservé comme un moulage la trace de sa façade (Fabricius 1904, 4-8, pl. 3, 3). Les remparts de bois avaient souvent, comme à Urspring et à Valkenburg 2 et 3, un front vertical coffré avec des planches, et le plus souvent aussi une face arrière identique (Valkenburg 2). Le coffrage de bois était maintenu par des poutres verticales enfoncées dans des trous de poteau. La distance entre ces poteaux était le plus souvent de 1,20 à 1,50 m, la largeur du mur de 3 à 6 m. Pour que les murs aient des façades verticales, les soldats disposaient des planches horizontales derrière la rangée de poteaux de chaque façade, puis remplissaient le tout de terre puisée dans les fossés. Dans ce remplissage, ils disposaient des poutres transversales horizontales reliées aux poteaux des façades avant et arrière, afin de contenir la pression de la terre (fig. 30, 31). On obtenait ainsi des caissons de bois qui donnait une grande solidité au rempart en bois et en terre. Il arrivait que l’on réparât un mur de ce type lorsqu’il menaçait de s’effondrer en disposant des étais sur sa façade ou sur sa face intérieure –façade avant : Neuss E, mais aussi Cologne/ Alteburg (fig. 32) [Hanel 1999, 590-595] ; façade arrière : Valkenburg 2. 119 FIG. 29 Coupe de différents types de remparts en gazon, terre et bois : a mur en mottes de gazon à front vertical, avec renfort de bois ; b mur en mottes de gazon sur les deux faces, avec fruit ; c mur en mottes de gazon sur la face extérieure, avec fruit ; d mur en terre et en bois, à parement de bois sur la face externe ; e mur en terre et en bois à double parement de bois (Johnson 1987, fig. 36). FIG. 30 Palissade du camp augustéen d’Oberaden : a poteaux équarris (cliché S. von Schnurbein) ; b poteaux avec leur entretoise basse. cliché J.-S. Kühlborn. 120 FIG. 31 Valkenburg : a le rempart de Valkenburg 2, avec ses caissons de bois ; b le rempart de Valkenburg 1, dont des rondins forment le soubassement. FIG. 32 Réparation du rempart de Cologne/Alteburg (reconstitution extraite de Hanel 1999, fig. 28). 62 Dans une variante du mur en bois et en terre, on trouvait aussi, derrière le coffrage de bois, des mottes de gazon empilées (Valkenburg 3) ; dans une autre, on installait entre les poutres verticales des mottes qui formaient alors la face antérieure (Rottweil III). 121 Le cœur de ces remparts était composé lui aussi de la terre extraite des fossés. Certains murs de bois et de terre n’étaient pourvus d’un coffrage de bois vertical que sur le côté extérieur ; vers l’intérieur du fortin, ils formaient un talus en pente (Echzell, Hesselbach : mur d’enceinte A). 63 Les poteaux des murs en bois et en terre dépassaient le chemin de ronde et portaient des parapets et des créneaux. Ils étaient en outre enfoncés dans la terre sur une certaine profondeur, soit individuellement dans des trous de poteau, soit en tranchée continue. La longueur totale d’un poteau était donc constituée de trois mesures : la hauteur des parapets avec les créneaux, la hauteur du chemin de ronde et la profondeur de l’enfouissage dans la terre. Si, par hypothèse, on évalue le parapet avec créneaux à 1,80 m, la hauteur du chemin de ronde à 3 m et la profondeur des fosses à poteaux à 1,20 m, il fallait déjà utiliser comme poteaux des poutres de 6 m de long. Comme il est difficile de se procurer de plus grandes poutres en grandes quantités, on pourra supposer que le chemin de ronde se trouvait sans doute la plupart du temps entre 3 et 4 m de hauteur. Le bois de construction était autant que possible abattu aux alentours et utilisé immédiatement après la coupe. Les besoins en bois de construction pour un camp militaire à enceinte de bois et bâtiments intérieurs dans le même matériau étaient tout à fait considérables (Schnurbein 1982b, 15 ; Shirley 1996). 2.3.1.2 Autres constructions de murs sans liaison de mortier Murs en mottes de gazon 64 L’utilisation de mottes de gazon permettait une construction sans poteaux (fig. 33). Cela étant dit, ce type de rempart devait, pour des raisons statiques, être édifié avec un fruit en façade, ce qui représentait un certain inconvénient par rapport à des murs en bois et en terre (fig. 34). Ce type d’architecture avait déjà fait ses preuves à la fin de la République (Alésia). D’un point de vue archéologique, on la rencontre surtout en Grande-Bretagne. Seuls le parapet et les créneaux étaient en bois. Par ailleurs, le chemin de ronde était pavé de rondins, comme on peut le voir sur les représentations de la colonne Trajane (fig. 35). Pour un meilleur drainage du coeur du mur, les murs ont souvent été édifiés sur une strate de rondins (fig. 31b). Cette sorte de rempart ne pouvait être construite que là où l’on disposait de mottes d’herbe, c’est-à-dire dans les zones de pâturage. A ce jour, on a rarement observé de murs en mottes de gazon sur la frontière rhénane (Altenstadt 4, Hofheim : phase de bois du fortin de pierre), ce qui n’est peut-être qu’une conséquence des mauvaises conditions de conservation. Si l’on voulait obtenir des façades verticales sur un mur en mottes d’herbe, il fallait en outre insérer des bois horizontaux dans le cœur des murs. On connaît une variante de construction de ce type à Valkenburg 1 (fig. 33) ou à Strasbourg (fig. 34, planches H. T. VII-VIII). 122 FIG. 33 Vue de face du rempart de mottes de gazon de Valkenburg 1, période 1. FIG. 34 Le rempart en mottes de gazon de Strasbourg/Le Grenier d’Abondance : a vue en coupe (remarquer le fruit des mottes sur les fronts avant et arrière du rempart) ; b, c l’armature en bois. clichés F. Schneikert, Inrap. 123 FIG. 35 Scènes XI (a) et XII (b) de la colonne Trajane montrant l’édification d’un rempart en mottes de gazon (Settis et al. 1988). cliché Eugenio Monti. Courtines en pierres sèches 65 Les remparts en pierre sans liant de mortier ont souvent été érigés dans les zones arides de la Méditerranée, dans les camps de marche et les camps de siège, lorsqu’on trouvait aux environs la matière première adaptée (par ex. circumvallatio de Numance et de Masada). Si l’on voulait obtenir, avec ce type de construction, une meilleure solidité et des hauteurs plus élevées, il fallait en outre utiliser du bois. L’une de ces constructions romaines ressemble au murus Gallicus celte, dont la solidité impressionna César (BG VII, 23, 5). Les façades arrière et avant étaient construites à sec, avec des poutres horizontales perpendiculaires à l’orientation du mur et disposées en quinconce, comme dans le cas des murs gaulois (fig. 36). L’espace entre les deux coffrages de murs était rempli avec la terre sortie du fossé. La différence avec le murus Gallicus tient au fait que l’on ne trouve pas de grandes chevilles de fer dans le cœur des murs, qu’une façade arrière verticale se dressait à l’arrière en lieu et place d’un talus de terre et que l’on plantait des poteaux verticaux pour les tours et les portes (la Saalburg : premier mur du fort, vers 135 ap. J.-C. [Baatz 1994, 59-64]). On trouve un type de construction analogue dans les radiers des tours de garde en bois, sur le limes de l’Odenwald et du Taunus, ainsi qu’à Mirebeau. La technique des murs n’a sans doute pas été empruntée aux Celtes. Elle pourrait remonter aux modèles hellénistiques. 124 FIG. 36 Reconstitution du rempart en pierres sèches de la Saalburg (Baatz 1994, 60). 66 On connaît une autre variante des remparts en pierres sèches dans les fortins de numerus sur le limes de l’Odenwald (Hesselbach : enceinte B, Würzberg). Il s’agit d’un simple rempart construit avec deux parements à sec datant de la première moitié du IIe s. Le mur a été dressé sans charpente interne de bois ; le rempart ne doit donc pas avoir été haut. On avait seulement disposé des rondins dans le remplissage de terre situé entre les deux parois du mur afin de réduire la pression du remplissage sur les parois extérieures. Ce mur en pierres sèches possède une certaine analogie avec des murs en mottes de gazon, mais les pierres remplacent les mottes, technique déjà expérimentée à Alésia sur les plateaux. La façade arrière du mur de défense était en escalier. La largeur totale atteignait environ 6 m. 2.3.1.3 Remparts en pierre liés au mortier 67 Dans les murs maçonnés, le parement avant et arrière est toujours proprement construit en pierres de taille alors que le cœur des murs est constitué de blocs bruts d’extraction, noyés dans un blocage de mortier. La face antérieure est plus souvent revêtue de pierres de taille que la face arrière. Souvent, les murs sont décorés de modénatures au-dessus des fondations, sous forme de chanfreins, le nu du mur étant alors en retrait ; à hauteur du chemin de ronde apparaît une corniche profilée, en surplomb. Les remparts maçonnés, dont les parements étaient composés de petits blocs, recevaient un crépi. Ils portaient un badigeon blanc (fig. 37) dans lequel on gravait une découpe de pierres en trompe-l’œil, que l’on soulignait à la peinture rouge (Johnson 1987, 86 ; Wenzel 2000, 30, fig. 12). 125 FIG. 37 Reconstitution de l’enduit mural du rempart de la Saalburg cliché M. Reddé. Remparts maçonnés à deux parements 68 À l’époque flavienne, l’enceinte du camp légionnaire de Vindonissa a été construite sous la forme maçonnée à deux parements, avec un remplissage de terre entre les deux parois (fig. 38). La largeur totale s’élevait à environ 3,00 ou 3,50 m. Ce mode de construction singulier peut être considéré comme une application à la construction au mortier de la construction en mottes de gazon ou en mur en pierres sèches. 126 FIG. 38 Le rempart de Vindonissa (Windisch) : plan des deux états (bois et pierre) [Drack & Fellmann 1988, 39], Remparts maçonnés avec talus de terre 69 La quasi-totalité des murs d’enceinte en pierre des camps militaires sous le Principat relève de ce type de construction (fig. 39a). La terre extraite des fossés défensifs était utilisée pour élever un remblai de terre derrière le mur. Celui-ci portait aussi le chemin de ronde et formait une pente vers l’intérieur du camp (fig. 40). Le mode de construction remonte à une tradition italienne des enceintes urbaines –les murs de la ville de Pompéi, ou ce que l’on a appelé le mur Servien de Rome, dans le deuxième quart du IVe s. av. J.-C., en sont des exemples. Le talus de terre n’était pas renforcé intérieurement par une charpente de bois ; il exerçait donc une pression sur le mur au mortier. C’est la raison pour laquelle le mur, dont l’épaisseur était limitée –le plus souvent il ne dépasse pas 0,90 à 1,50 m de large– ne pouvait pas être particulièrement élevé sous peine de devenir instable. La hauteur jusqu’au chemin de ronde peut parfois être estimée grâce aux restes tombés dans le fossé – à 3,50 m par exemple à Valkenburg (période 6), ou à 4 m entre la base et le chemin de ronde à Worth (fig. 41). 127 FIG. 39 Coupes schématiques montrant : a un rempart de pierre contreforté par un talus de terre ; b un rempart de pierre avec un chemin de ronde en bois sur poteaux porteurs. dessin D. Baatz. FIG. 40 Talus de terre derrière le rempart reconstitué de la Saalburg. cliché M. Reddé. 128 FIG. 41 Wôrth : restitution de la hauteur du chemin de ronde (à gauche), à partir des vestiges du mur effondré (à droite) [ORL 36, fig. 1-2]. Remparts sans talus de terre 70 Dans certains camps militaires, il n’existait pas de talus derrière le mur (fig. 39b) ; c’était assez fréquemment le cas dans les petits fortins. Le chemin de ronde en bois était en revanche porté par une série de poteaux qui se dressaient dans la largeur du chemin, derrière le mur, à l’intérieur du camp : le fortin du numerus de Welzheim est, avec reconstruction partielle (fig. 42) en est un exemple. Dans d’autres cas, on a relevé derrière la muraille l’existence de piliers en pierre sur lesquels reposait le chemin de ronde – ainsi au camp légionnaire de Nimègue et dans les forts auxiliaires de Dormagen et de Bad Cannstatt. L’absence de talus de terre faisait gagner de la place à l’intérieur du camp. 129 FIG. 42 Rempart de Welzheim. cliché M. Reddé. 2.3.1.4 Parapets et créneaux 71 Les remparts étaient pourvus de parapets et de créneaux. La largeur de l’ouverture entre les créneaux dépendait du type de défense. Si l’on en croit les bas-reliefs antiques représentant des combats sur les murailles, et d’après les sources écrites, on défendait le plus souvent les murs par jets de javelots et de pierres (Baatz 1994, 86-87). Ce type de combats exige des ouvertures larges (fig. 43). Dans les exemples conservés, la largeur des embrasures se situait donc entre 1,20 et 2,40 m ; au camp prétorien de Rome, elle était même de 2,90 m (Johnson 1987, 86). Au début et au milieu de l’ère impériale, seules quelques unités étaient équipées d’une arme à longue distance comme l’arc, qui pouvait être utilisé à partir d’une archère étroite. La largeur des créneaux, dans les murs en bois et en terre, dépend généralement de la distance latérale entre les poteaux de façade. 130 FIG. 43 Parapet et merlons de la Saalburg (reconstitution). On observera la largeur des embrasures. cliché M. Reddé. 2.3.2 Portes et tours 2.3.2.1 Portes et tours de courtines en bois 72 Les portes en bois et les tours sur la courtine sont déjà attestées dans les bâtiments militaires de la fin de la République et l’on en a aussi des traces archéologiques (Numance, Alésia). Pour les camps permanents du début de la période impériale, on n’utilisait de toute façon que des édifices en bois. Dans leur planification, les architectes militaires romains s’inspirèrent de certaines portes urbaines de la République romaine. Mais les mesures et le matériau étaient adaptés aux besoins spécifiques des camps militaires. Dès l’époque d’Auguste, on connaît un certain nombre de portes en bois. Caractéristique est le fait que les murs en bois et en terre forment, des deux côtés du passage, un coude à angle droit vers l’intérieur, ce qui repousse vers l’arrière le portail proprement dit. Les tours latérales pouvaient avoir, en plan, une forme en L (type V de Manning et Scott 1979 : fig. 44), comme c’est le cas à Oberaden, Rödgen, Haltern (fig. 45, 1-3), Marktbreit (fig. 46) et Beckinghausen. Si l’ennemi voulait prendre d’assaut l’entrée, il était exposé, le long du passage, aux tirs des défenseurs installés de chaque côté. Le type de construction était relativement coûteux mais la construction était très sûre. Parmi les modèles, on trouvait les portes des villes italiennes, par exemple celles de Stabies ou de Nola à Pompéi. 131 FIG. 44 Typologie des portes en bois (Manning & Scott 1979, fig. 1). 132 FIG. 45 Exemples de portes en bois : 1 Oberaden, porte sud ; 2 Rödgen, porte est ; 3 Haltern, porte orientale la plus récente ; 4 Nimègue 1, porte sud-est ; 5 Vindonissa, porte nord (phase de bois) ; 6 Vetera (camp néronien), porte sud ; 7 Künzing 2, porte orientale ; 8 Echzell (phase de bois), porte occidentale (1-4 : période augustéenne ; 5 : période tibérienne précoce ; 6 : vers 60 ; 7 : vers 120 ; 8 : période flavienne tardive). dessin D. Baatz. FIG. 46 Reconstitution de la porte sud du camp augustéen de Marktbreit (Wamser 1991, 117, fig. 4) dessin M. Pietsch. 133 73 À partir du milieu du Ier s., les formes se simplifièrent (fig. 47). Le vantail fut avancé et on réduisit les dimensions architecturales (Manning et Scott 1979 : types III et IV). Les tours de flanquement n’offraient pas de saillie par rapport à la façade du mur d’enceinte. La mutation vers des portes aux –fortifications plus faibles est vraisemblablement liée à la pacification de la frontière du Rhin au Ier s. Pour les portes des petits camps auxiliaires, le vantail pouvait même se situer dans l’alignement de l’enceinte (Manning et Scott 1979 : types I et II). On observe déjà cette forme très simple dans les petits camps de l’époque d’Auguste (porte ouest de Rödgen et de Haltern/ Hofestatt). Les murs d’enceinte des camps permanents étaient pourvus, à intervalles réguliers, de tours en bois. Celles-ci avaient le plus souvent des bases carrées, chacune étant pourvue d’un poteau à chaque angle. Comme les tours des portes, elles ne faisaient pas saillie par rapport à la courtine –on en trouve des exemples à Velsen ou dans le fort de pierre de Hofheim, période en bois. Les tours situées dans les parties courbes du camp étaient souvent édifiées sur un plan trapézoïdal, et pouvaient avoir cinq, voire six poteaux porteurs. FIG. 47 Porte sud du camp tardo-flavien de Rottweil III. Essais de reconstitution (Planck 1975, 60). dessin D. Planck. 74 Les tours des portes et des courtines en bois étaient-elles constituées d’une plate-forme défendue par des créneaux ou protégées par un toit ? La question fait l’objet d’un débat sans fin. Comme on ne peut pas y répondre au moyen des fouilles archéologiques, on s’est référé aux bas-reliefs de la colonne Trajane, sur lesquels on représente des tours de bois sous forme de bâtis ouverts portant une plate-forme défensive. Des tours de ce type existaient sans doute aussi sur la frontière du Rhin, mais vraisemblablement dans des camps militaires dressés pour une courte durée. Les bas-reliefs de la colonne Trajane pourraient représenter essentiellement des camps de ce type. Pour les enceintes en bois qui devaient être utilisées plus longtemps, la présence de toits, sous 134 nos climats, paraît plus probable. Pour éviter les risques d’incendie, on les aura sans doute recouverts avec des bardeaux plutôt qu’avec de la paille. 2.3.2.2 Portails et tours de courtine en pierre 75 Dans les camps destinés à accueillir une légion, la construction de murs fortifiés en pierre a peut-être débuté à l’époque de Néron (Neuss/Grimlinghausen). Elle s’est développée après l’écrasement de l’insurrection des Bataves, en 70 ap. J.-C. (Bonn, Mayence, Windisch ?). Sous Domitien, les camps de Nimègue et de Mirebeau ont eux aussi été pourvus de murailles en pierre. Avec la nouvelle enceinte de pierre des camps légionnaires sont aussi apparues des portes de pierre. Pour autant que l’état de conservation des bâtiments permette de le discerner, on a mis en œuvre ici des projets très différents (fig. 48). Dans un groupe de portes, on constate un nouveau retour aux formes de construction urbaines ; cela vaut particulièrement pour la porte principale (portapraetoria) de plusieurs camps légionnaires. Servaient désormais de modèle les portes de prestige des enceintes urbaines de l’époque julio-claudienne (par ex. Aoste, Turin). L’architecture de ces portes urbaines massives allait bien au-delà des nécessités de la tactique défensive : avec leurs façades ornées de corniches et d’éléments décoratifs, elles offraient une vision imposante et transmettaient une impression de richesse et de force. Les architectes militaires simplifièrent ces formes de bâtiment, diminuèrent leurs dimensions et ne reprirent pas non plus tous les éléments défensifs ; la cour intérieure, qui se fermait à l’aide de herses, cessa d’être en usage. Pourtant, les nouvelles portes des camps légionnaires, avec leurs puissantes tours latérales en saillie et l’ornementation architecturale de la façade, offraient une vision impressionnante qui se distinguait beaucoup des édifices en bois précédents. Pour les édifices militaires, une nouvelle fonction entrait ici en jeu : la représentation du pouvoir romain par l’architecture défensive. 135 FIG. 48 Portes en pierre de camps légionnaires : 1 Vindonissa, porte nord ; 2 Vindonissa, porte ouest (datation et plan incertains) ; 3 Neuss, porte sud-ouest ; 4 Nimègue (phase en pierre), porte sud-est ; 5 Mirebeau ; 6 Regensburg, porte nord. dessin D. Baatz. 76 La porta praetoria du camp légionnaire de Neuss (porte nord) eut ainsi, dans sa première phase de construction, deux tours de flanc rondes ou polygonales décrivant une forte saillie. Les passages eux-mêmes se trouvaient dans un bloc central en arc de cercle, en retrait vers l’arrière. La porte monumentale ouest du camp légionnaire de Vindonissa avait été construite d’une manière très similaire. Toutes deux avaient leur pendant dans les portes urbaines de Fréjus au début de la période impériale (Schultze 1909, 291-293). On ignore si la porta praetoria du camp légionnaire de Mayence (début de l’époque flavienne) était construite selon un schéma analogue (Büsing 1982 ; Hesberg 1999b). Un autre type de porte était pourvu de deux tours latérales saillantes en U et d’une aile centrale rectiligne pourvue de deux passages en portail, comme à Mirebeau (fig. 48, 49 et 377). La porta praetoria du camp légionnaire de Ratisbonne, encore visible aujourd’hui, est l’héritière tardive de ce type de bâtiments militaires (inscription de 179 ap. J.-C.). Elle rappelle les portes urbaines, comme les édifices du début de l’Empire que nous avons mentionnés en Italie du Nord et qui ont trouvé leur contrepoint tardif avec la porta nigra de Trêves. 136 FIG. 49 Mirebeau. Reconstitution de la porte orientale du camp flavien (Goguey & Reddé 1995, fig. 20). dessin J.-P. Adam. 77 D’autres portes de pierre des camps légionnaire ont été dessinées en respectant le modèle simple des bâtiments de bois qui les avaient précédés. La porte nord et la porte sud du camp de Vindonissa constituent des exemples intéressants (fig. 38). Ici, les anciens poteaux de bois sont restés en place dans les nouvelles fondations de pierre. Ainsi, même le plan en L des tours latérales, que l’on n’utilisait déjà plus nulle part à cette époque, a été repris dans les constructions en pierre (Manning et Scott 1979 : type V.3). Dans plusieurs camps légionnaires, on a observé des portes flanquées de simples tours rectangulaires non saillantes. Elles constituaient une transposition en pierre des édifices en bois (Manning et Scott 1979 : types III et IV). C’était par exemple le cas à Bonn. D’autres tours de portail rectangulaires saillaient plus ou moins devant la courtine, ce qui n’était pas courant jusqu’alors pour les tours de bois (Nimègue). À Neuss/Grimlinghausen, les portes aux formes complexes que l’on a construites à l’origine ont été remplacées par des édifices plus simples, avec des tours rectangulaires légèrement saillantes. L’avancée des tours, au début, n’était cependant pas censée servir à la défense. Elle était uniquement destinée à mettre en valeur l’architecture du portail. La tendance déjà mentionnée à la construction de prestige s’exprimait donc déjà dans les portes simples. Elle pouvait être complétée par des corniches et d’autres ornements architecturaux, si bien que l’architecture de la porte se distinguait clairement de la courtine et soulignait l’accès au camp. 78 Depuis environ 90 ap. J.-C., on trouve aussi dans les fortins auxiliaires des enceintes en pierre inspirées du modèle des camps légionnaires (par ex. Wiesbaden, Hofheim : fort de pierre, Heddernheim, Okarben, Sulz, Schramberg/ Waldmössingen). Les portails étaient en règle générale construits selon le modèle des formes simples utilisées pour les camps légionnaires, avec des dimensions réduites en conséquence (fig. 50-52). Les 137 camps d’auxiliaires recevaient donc ainsi le plus souvent des tours de porte rectangulaires ; celles-ci pouvaient se rattacher à la courtine ou se trouver en surplomb au-dessus d’elle. De temps en temps, on a relevé des tours saillant largement avec une façade en arc de cercle ; elles correspondent, dans des proportions réduites, à la porte orientale de Mirebeau (Utrecht : castellum). Lorsqu’on a pu se procurer le matériau en pierre approprié, on a aussi décoré, avec des corniches complexes par exemple, les portes des camps auxiliaires (Ladenburg : fortin de pierre). Manifestement, le désir de prestige formel existait aussi chez les troupes auxiliaires. FIG. 50 Portes en pierre de castella auxiliaires : 1 Wiesbaden, porte ouest ; 2 Ladenburg, porte ouest ; 3 Echzell, porte nord-est ; 4 Hanau/Kesselstadt, porte nord-ouest ; 5 Hesselbach, porte nord-ouest ; 6 Osterburken, camp annexe, porte sud-est ; 7 Niederbieber, porte sud ; 8 Valkenburg 6, porte sud-est (1-2 : vers 100 ; 3 : 1re moitié du IIe s. ; 4 : flavien ? ; 5 : vers 145 ; 6-8 : fin du IIe s). dessin D. Baatz, 138 FIG. 51 Reconstitutions de la porte nord-est du castellum de numerus à Hesselbach (Odenwald), phase de pierre, vers 145 (Baatz 1973b, fig. 9). dessins D. Baatz. FIG. 52 Reconstitutions des portes de la Saalburg : a porte prétorienne ; b porta principalis. clichés M. Reddé. 139 79 Les tours de courtine en pierre (tours intermédiaires) des camps militaires étaient des édifices simples à plan rectangulaire emprunté à leurs antécédents en bois. Les tours d’angle pouvaient elles aussi être rectangulaires, mais elles étaient souvent en trapèze ou s’adaptaient aux arrondis de la muraille. Au sommet, elles pouvaient porter un toit en bâtière ou une plate-forme défensive crénelée. Mais le toit était sans doute plus fréquent sous nos climats ; il a parfois été attesté par la découverte de tuiles. Le plus souvent, les tours étaient reliées à la courtine ; une légère saillie des tours intermédiaires et d’angle a été observée dans certains camps militaires. Elle est trop faible pour permettre de tirer sur la courtine depuis une fenêtre de tir latérale ou une archère de la tour. On a déjà souligné la position spécifique qu’occupe le fort de Niederbieber dans l’évolution de l’architecture défensive. Les tours intermédiaires et les tours d’angle de relativement petites dimensions y avançaient loin devant la courtine et permettaient de tirer sur les flancs. 2.3.3 Les fossés 80 Devant le mur défensif, on disposait régulièrement des fossés pour gêner l’approche (fig. 53). Le plus souvent, ils présentaient un profil transversal en V (ps.-Hygin 49 : fossa fastigata, “fossés pointus”). De temps en temps, on a observé un fossé à profil transversal asymétrique, dans lequel le bord de fossé externe était creusé avec une pente plus raide que le bord interne. Ce type de fossé portait dans l’Antiquité le nom de fossa punica (ps.-Hygin 49). Citons pour exemple les forts de Hesselbach, Riegel, Valkenburg, Würzberg et Niederbieber. Le fossé défensif ne pouvait cependant prendre une forme précise que lorsque le sol était suffisamment stable. Dans les sols de sable ou de gravier, on constate souvent des différences considérables avec la forme idéale. Il est rare que l’on trouve dans les camps militaires romains un fossé à coupe transversale trapézoïdale (fossés en fond de cuve d’Alésia). L’accès aux portes se faisait par des interruptions du fossé avec des ponts de terre, mais aussi parfois par des ponts de bois qui franchissaient le fossé. Entre le rempart et le bord intérieur interne du fossé se trouvait souvent une berme, c’est-à-dire une bande étroite de sol, nivelé. Pour des raisons de statique, il était indispensable pour éviter que les fondations du mur ne s’affaissent ou ne glissent dans le fossé. La largeur de la berme variait considérablement, le plus souvent entre 0,50 et 2,00 m. La largeur de berme observée lors des fouilles n’est souvent pas la largeur d’origine : elle a pu être transformée par l’érosion ou des modifications des édifices. La berme située devant la muraille du fort auxiliaire tardif de Niederbieber était d’une taille inhabituelle (5,50-6,50 m) ; nous avons déjà souligné la place particulière qu’occupent les fortifications de ce castellum. 140 FIG. 53 Fossés reconstitués de la Saalburg. cliché M. Reddé. 81 Souvent, on considérait qu’un unique fossé défensif était un obstacle suffisant (par ex. Oberaden, Neuss/Grimlinghausen, Rottweil III, Mirebeau, Osterburken, Niederbieber), mais on trouve souvent un double fossé (par ex. Rödgen, Marktbreit, Haltern : camp principal, Vetera : camp néronien, Hofheim : castellum de pierre, la Saalburg). 82 Les systèmes à trois fossés ou plus, que l’on rencontre souvent en Angleterre, ont rarement été observés sur la frontière rhénane. On connaît toutefois un système de trois fossés contigus à Becklinghausen, Velsen 2 et Valkenburg 1-3 ; un système à quatre fossés au castellum de Rottweil V ; plusieurs fossés protégeaient aussi le fort de Hüfingen au milieu du Ier s. Parfois, devant les fossés situés juste devant la muraille, on creusait encore un second fossé isolé à quelque distance vers l’avant (par ex. Hofheim : camp de terre, Vindonissa : camp légionnaire avant 70 ap. J.-G.). 83 Le titulum et la clavicula étaient de courts segments de fossés qui servaient surtout de protection supplémentaire aux portes des camps de marche et de siège (Reddé 1995b). Le titulum était un fragment de fossé court et rectiligne, éventuellement pourvu d’un mur, qui courait devant la porte, perpendiculairement au chemin d’accès, et empêchait ainsi une attaque frontale contre le portail (ps.-Hygin 50). Une clavicula était construite en prolongeant en arc le fossé et le mur dans le secteur du portail, vers l’intérieur ou vers l’extérieur (ps.-Hygin 55). Là encore, cela empêchait une attaque frontale contre la porte. Par ailleurs, on forçait l’ennemi, s’il attaquait le portail, à présenter à la muraille son flanc droit, découvert. Dans les camps permanents, clavicula et titulum étaient moins courants ; mais il est arrivé qu’on en creuse après coup dans les situations d’urgence (la Saalburg, devant les portes latérales). 84 Une attaque contre l’enceinte était normalement menée en masse compacte, sous une épaisse couverture de boucliers. L’utilité tactique du fossé consistait à disloquer l’ordre des assaillants et leur couverture, ce qui se produisait obligatoirement lorsque les 141 agresseurs franchissaient l’arête extérieure du ou des fossés. C’est la raison pour laquelle celle-ci était disposée à la distance à laquelle les armes de tir des défenseurs étaient le plus efficaces. Selon le type d’armes à distance utilisées par ces derniers, l’arête externe du fossé était plus proche ou plus éloignée des murs défensifs. Les armes les plus fréquentes étaient des javelots ou des pierres pour lesquels la distance la plus efficace se situait entre 15 et 25 m (Baatz 1994, 86-90). Si une unité était équipée d’arcs ou de frondes, cette distance augmentait, et il devenait judicieux de construire plusieurs fossés ou un fossé avancé. Cela vaut aussi pour l’utilisation de catapultes. Mais ce sont surtout les légions, plus rarement les corps auxiliaires, qui étaient ainsi équipées. Les fossés avaient en outre pour fonction de compliquer l’approche de machines d’assaut et la pose d’échelles contre la muraille. 2.3.4 Obstacles avancés 85 Les obstacles avancés, que l’on a rarement étudiés, méritent un intérêt particulier. Ils étaient sans doute fréquents, mais on ne les a souvent pas reconnus, faute d’une étude suffisante des zones concernées. La description de ce type d’obstacles à propos d’Alésia, en 52 av. J.-C. (César, BG VII, 73) constitue une source écrite particulièrement importante. Les études archéologiques menées sur ce site ont permis d’élucider de nombreux détails et de compléter la description de César (Reddé & Schnurbein 2001). Il existait différentes espèces d’obstacles avancés : réseaux d’épineux ou de branchages entremêlés, parfois combinés à des bois taillés en pointe (les cippi de César) ; trous de loup munis de bois épointés (lilia) ou chausse-trappes (stimuli, tribuli) en bois ou en fer. 86 Hormis à Alésia, des lilia ont été découverts lors de fouilles en Angleterre, devant Bar Hill (milieu du IIe s.). En Germanie supérieure, on a découvert ce type de trous de loup sur le glacis devant la muraille de la ville de Nida (Wenzel 2000, n. 22-27 ; 1 re moitié du IIIe s.). Ils y constituaient une bande d’environ 20 m de large qui commençait 15m environ avant le mur de la ville. Ce qui est remarquable, c’est que ces obstacles ont été utilisés pendant des siècles. 87 On a supposé l’existence de réseaux de branchages implantés dans des fossés étroits sur le glacis de l’enceinte du camp légionnaire néronien de Vetera (Hanel 1995, 307). Il est aussi possible que l’on ait installé des réseaux de branches ou des bois taillés en pointe dans le fossé (Hofheim : camp de terre) ou sur la crête entre deux fossés contigus (Altenstadt : période 5), mais la preuve en est rare et parfois incertaine. Hors de la Germanie, des fouilles récentes au pied des murs d’Hadrien ont montré l’existence d’obstacles d’approche comparables à ceux d’Alésia (Bidwell 2005). 2.4 Principia et praetorium 88 RUDOLF FELLMANN 2.4.1 L’histoire de la recherche 89 La question de savoir si, dans l’Antiquité, le bâtiment d’état-major des camps et castella permanents portait le nom de praetorium ou de principia peut être considérée aujourd’hui comme résolue. Il convient essentiellement de distinguer, d’une part, les camps de marche de l’armée en campagne –tels qu’ils ont été, à plusieurs reprises, 142 érigés à l’époque républicaine– ainsi que les camps de siège, et d’autre part, les camps permanents situés sur les frontières militaires de l’Empire romain, ou en arrière de celles-ci. 90 Dès 1887, A. von Domaszewski observait que toutes les descriptions de camps que nous a transmises l’Antiquité, qu’elles datent du IIe s. av. J.-C. (Polybe) ou du IIe s. ap. J.-C. (ps.Hygin), ne concernaient que des camps de marche : “Utiliser les données des descriptions littéraires pour expliquer les découvertes archéologiques des camps permanents romains, est une erreur courante. On est allé jusqu’à retrouver Hygin dans chaque camp du limes" (Domaszewski 1887). Dans le camp de marche proprement dit, le terme de praetorium désignait sans doute la “tente du commandant”, située au centre du camp. Le commandant logeait réellement à cet endroit. Mais au praetorium appartenaient également l’endroit où l’on prenait les augures (augurium), ainsi que le podium des allocutions (tribunal). Le nom de la place où se situaient ces installations n’est malheureusement pas tout à fait sûr : forum, principia ? (Domaszewski 1887). Le passage en question est corrompu dans le seul manuscrit qui nous soit parvenu. Certains indices nous donnent également à penser que les enseignes étaient posées à cet endroit. Pour les contemporains, la comparaison entre cette place située devant la tente du commandant avec une place de marché (forum) s’imposait déjà : “un peu en dehors de la tente du commandant, on montre un espace comme une place de marché, appelé gnoma (probablement erroné pour groma) ; on y amène les ambassades et les messagers ; à cet endroit se déroule toute l’activité” (Suida lexicon 1, 531). En 1899, A. von Domaszewski signalait que praetorium n’était pas le terme approprié pour désigner le bâtiment d’état-major des camps et castella permanents ; il proposait plutôt la dénomination deprincipia : “Généralement, on désigne ce bâtiment central des camps permanents du nom de praetorium, parce qu’il se trouve exactement à l’endroit du praetorium des camps provisoires. Mais aucune preuve n’a pu confirmer cette dénomination. En revanche, les dernières fouilles de Lambèse montrent encore clairement que cette dénomination doit être fausse. Ces bâtiments centraux manquent de pièces que l’on pourrait interpréter comme logement de fonction du commandant”. Pour A. von Domaszewski, l’inscription du camp de Lanchester était décisive ; elle indique qu’il a fallu, sous Gordien, au moment de la réoccupation du camp, abandonné depuis 196 ap. J.-C., reconstruire les principia et les dépôts d’armes (armamentaria) : Imp (erator) Caesar M(arcus) Antonius/ Gord (ianus) p (ius) f (elix) Aug (ustus)/ principia et armamentaria conlapsa restitu/it (CIL VII, 446 = Dessau 2621 = RIB 1092). Les armamentaria peuvent être une partie des principia, comme nous le verrons plus loin. Suivant les usages de la langue latine, le texte de l’inscription peut également être traduit par “les principia et leurs dépôts d’armes” (Collingwood & Richmond 1971, fig. 73c). Comme A. von Domaszewski l’a bien vu, la dénomination principia semble avoir été appliquée au bâtiment central des camps et castella permanents, dans un contexte qui nécessitait désormais des installations fixes. 91 En 1900, Th. Mommsen constatait lui aussi “que le terme de praetorium signifiait, au moins depuis le début de l’époque impériale et en négligeant le contexte militaire, tout logement situé en dehors de la ville et réservé en particulier au magistrat”. Puisque les bâtiments centraux des camps et castella permanents ne comprenaient pas de pièces d’habitation –depuis le milieu du Ier s. av. J.-C., et au moins jusqu’au IIIe–, ils ne pouvaient pas porter le nom de praetorium. L’utilisation du terme principia pour désigner le bâtiment central a été confirmée en 1903 par l’inscription du camp de 143 Rough Castle, sur le mur d’Antonin. Cette inscription date probablement de 142-143 ap. J.-C., car c’est à ce moment-là que fut construit le mur en gazon d’Antonin (murus caespiticius). Elle nous donne sans doute la date d’installation du camp dans son ensemble, avec son bâtiment central (Dessau 9176 = RIB 2145 ; Reuter 1995 : [Imp (eratori) Ca]esari Tito/[Aelio] Hadriano/[Anto]nino Aug (usto)/ [Pio] p (atri) p (atriae) coh (ors) VI/ [Ner]viorum pri[nci]pia fecit). En 1905, dans la publication du camp d’Urspring, sur le limes germano-rétique, E. Fabricius approuvait entièrement les thèses d’A. von Domaszewski et de Th. Mommsen (Fabricius 1904). En cette même année, L. Jacobi allait dans le bon sens avec sa publication du camp du Feldberg (Taunus), mais n’osait pas désigner le bâtiment central comme principia, ce qui aurait été logique (Jacobi 1905). 92 Il s’ensuivit une période d’interprétations erronées qui masquait la réponse –pourtant déjà connue– à cette question controversée. Ainsi, en 1909, F. Koepp mit au jour le bâtiment central du camp de Haltern. Convaincu que celui-ci comprenait des pièces d’habitation –on ne pouvait pas savoir à l’époque que la maison d’habitation du commandant se trouvait derrière ce bâtiment central– il l’appela praetorium. A ce propos, il remarquait, avec pertinence, “qu’il ne serait pas surprenant que l’un des camps permanents les plus anciens eût plus de ressemblances avec les camps de marche qu’avec les camps permanents postérieurs, mais surtout avec les petits exemplaires du limes”. Au fond, F. Koepp avait bien compris le problème que posaient les camps de la période augustéenne, mais, à défaut d’informations archéologiques supplémentaires, il ne pouvait tirer toutes les conséquences de ses remarques (Koepp 1909, 81 sq.). En 1911, dans un puits du camp d’Ohringen, on découvrit des fragments d’une inscription (CIL XIII, 11759) qui évoquait une fontaine dédiée aux nymphes (nymphaeum). Par erreur, on pensait que le lieu de découverte se trouvait à l’intérieur du bâtiment central et on en concluait que ce dernier était le praetorium mentionné par l’inscription. Cette interprétation erronée provoqua un changement d’opinion. En 1912, E. Ritterling évoquait, en présentant le bâtiment central du camp de Niederbieber, “le bâtiment central, généralement désigné comme praetorium et nommé par erreur principia” (Ritterling 1912, 266). 93 Dans la publication de 1913 du bâtiment central de Hofheim (Taunus), E. Ritterling utilisait en effet le terme de praetorium ; pourtant, précisément dans le camp de Hofheim, on avait découvert et identifié la maison d’habitation du commandant située à côté du bâtiment central (Ritterling 1913). En 1922, S.N. Miller constatait brièvement, dans la publication du camp de Balmuidy (mur d’Antonin), que l’inscription fragmentaire découverte en 1911 dans le puits d’Ohringen semblait une preuve convaincante de l’emploi de praetorium pour désigner le bâtiment central (Miller 1922). De la même façon, en 1922 toujours, T. May concluait dans le même sens : puisque le mot de principia était un pluriel (ce qui est exact), il devait désigner plusieurs bâtiments. Sur la base de cet argument, T. May pensait être en mesure de réinterpréter l’inscription de Rough Castle que nous avons citée (May 1922 ; Fellmann 1958). Revenant sur ses remarques de 1909, F. Koepp hésitait, en 1924, en raison de la découverte de la maison d’habitation du commandant à Haltern, et des deux grands palais des légats mis au jour dans le double camp légionnaire de Vetera. Il affirmait désormais que praetorium était utilisé pour désigner à la fois la maison d’habitation du commandant et le bâtiment central (Koepp 1924, 15-20). L’inscription découverte en 1919 dans le camp de Birdoswald, sur le mur d’Hadrien, énumérait praetorium, principia et balneum [Taylor & Colingwood 1929, 214 = RIB 1912, daté entre 297 et 305 : praetor (ium) quod erat humo co (o) pertum et in labe (m) conl (apsum) et princ (ipia) et bal 144 (neum) rest (ituit), “Il a reconstruit le praetorium qui était recouvert de terre et effondré, les principia et le balnéaire”]. De ce fait, R.G. Collingwood puis E. Birley concluaient qu’il fallait distinguer entre principia (bâtiment central) et praetorium (maison d’habitation du commandant) [Taylor & Collingwood 1929 ; Birley & Richmond 1930], Néanmoins, en 1930, H. Lehner remarquait, à l’occasion de la publication du double camp légionnaire de castra Vetera, “qu’il voulait rendre au bâtiment central son nom, puisqu’il considérait le praetorium comme la partie la plus noble des principia”. Il se servait de toutes les citations concernant les camps provisoires pour argumenter sa thèse (Lehner 1930). Publiant les principia du camp tardo-romain de Palmyre (Syrie), H. Lehner est resté sur cette conviction erronée (Lehner 1932). 94 Dans sa thèse de 1936, intitulée Recherches sur le praetorium, H. Lorenz affirme sans critique, et sans évoquer la discussion scientifique, que le terme de praetorium est la seule dénomination correcte du bâtiment central (Lorenz 1938), position que W. Schleiermacher a refusée sans hésitation dans son compte rendu (Schleiermacher 1938). Dans l’avant-dernier tome de l’ORL, paru en 1937, E. Fabricius constatait à nouveau que le bâtiment central devait être nommé principia. Mais, dans tous les autres volumes de cette œuvre monumentale, on évitait tout terme désignant le bâtiment central, ou bien on utilisait le terme erroné de praetorium. Pourtant, D. Atkinson (1942) et W. Schleiermacher (1949) constataient que le bâtiment central des camps et castella permanents ne pouvait avoir porté le nom de praetorium. 95 A. Grenier, dans son Manuel d’archéologie (1958, 350), s’exprime d’une façon ambiguë. D’un côté, il voit lui aussi une interdépendance entre le forum et les principia, en supposant une racine hellénistique commune. En même temps, il continue à employer le terme de praetorium. En 1954 encore, F. Lammert, dans son article Praetorium de la Real-encyklopädie, reprenait les erreurs anciennes. Parmi les mots-clés traités dans ce volume, le terme de principia n’a même pas été retenu ! On le trouve finalement dans le supplément 9 (Schleiermacher 1962). Toutefois, en 1958, à l’occasion de la publication des principia du camp légionnaire de Vindonissa, la question de la dénomination correcte du bâtiment central fut de nouveau posée et l’utilisation du terme de principia confirmée (Fellmann 1958). En définitive, cette opinion a prévalu, mis à part quelques exceptions. Elle fut confirmée par la découverte d’une inscription dans le camp de Regulbium (Reculver), situé sur la côte anglaise de la Manche : Aedem p[rinci] piorum/ cu[m b] asilica/ su[b A. T] riario Rufino/ co (n) s (ulare)/ [Fort]unatus...“Fortunatus [a construit ou a restauré] le temple des principia avec sa basilique, sous le commandement d’A. Triarius Rufinus, consulaire” (Johnson 1976). 96 Récemment, M. Reuter (1995) a repris les réflexions de Fabricius évoquées plus haut. À première vue, sa thèse est séduisante, mais il convient de rappeler plusieurs arguments importants contre elle. Ainsi, son interprétation des plans de bâtiments d’état-major des camps auxiliaires, à savoir la présence d’une aile destinée à l’administration, qui serait identifiable par l’architecture et se trouverait sur l’arrière du bâtiment, est erronée ; à la place des “séparations” se trouvaient en réalité des portes avec des seuils. Dans les quatre exemples évoqués, la prétendue cross-hall (basilica) ainsi que, dans les exemples B (Chester) et C (la Saalburg), les tribunalia qu’il faut y reconnaître, auraient appartenu à “l’aile administrative située sur l’aile arrière, séparée dans le dispositif architectural”. Suivant l’hypothèse de M. Reuter, il faudrait revoir en particulier l’interprétation de presque vingt camps auxiliaires et des principia des camps légionnaires de Vetera, Novaesium, Carnuntum et Lambèse –dans ce dernier camp, il 145 s’agit des scholae des officiers–, où les pièces officielles se trouvent sur les deux côtés étroits du cross-hall (basilica), qu’elles encadrent en quelque sorte (Johnson 1987 ; Fellmann 1958). Si M. Reuter remarque enfin que toutes les inscriptions relatives au bâtiment central étaient toujours situées –quand leur emplacement a pu être mis en évidence– au-dessus de la porte de l’aedes principiorum et non sur la porte d’entrée du bâtiment d’état-major, en face de la via praetoria, il convient de souligner que l’entrée de l’aedes principiorum correspond probablement à l’endroit le plus prestigieux, tandis que la porte d’entrée du bâtiment d’état-major, en face de la via praetoria, était vraisemblablement décorée d’un cadran solaire (Johnson 1987 ; CIL XIII, 8824 : camp de Remagen). On peut invoquer, comme dernier argument contre la thèse de M. Reuter, que l’on aurait de grandes difficultés à donner un nom aux bâtiments d’état-major des camps et castella de l’Antiquité tardive, où les pièces d’office situées à gauche et à droite de l’aedes principiorum manquent souvent, comme c’est le cas, par exemple, dans les principia de latrus (Krivina, Mésie II). On doit, à ce propos, prendre en considération la remarque de Tertullien (De corona 12) : ecce annua votorum nuncupatio quid videtur, prima in principiis, secunda in capitoliis. “Eh bien ! Que te semble de la profession annuelle des vœux, la première dans les principia, la seconde dans les capitoles ?” 97 La notion de praetorium a été réétudiée avec pertinence par R. Egger. En se fondant sur un graffito d’un éclat de terra nigra de Mayence, il étudie et explique de nouveau les différentes significations du mot, ce qui lui permet de dégager les multiples catégories qui attestent clairement l’utilisation du terme dans le domaine militaire et dans le domaine civil. Parfois, les deux emplois se mélangent ; mais, quelle que soit l’époque, il est clair que le praetorium désigne un bâtiment habité (Egger 1966). De leur côté, A. et M. Levi ont soumis les vignettes de la Tabula Peutingeriana à une analyse minutieuse. Ils soulignent le fait que le terme de praetorium se trouve aussi sur les vignettes caractérisant un bâtiment pourvu de trois ailes construites autour d’une cour, le quatrième côté, vers l’avant, étant refermé par un mur. D’ordinaire, ce type de bâtiments semble réservé aux stations thermales (Levi & Levi 1967 ; Tabula Peutingeriana, segm. 1 par ex. : Praetorium Agrippinae [Valkenburg]). Particulièrement remarquable est, dans le segment 5, secteur 1, le bâtiment avec le plan des lieux dits aquae, qui est désigné comme adpraetorium. En 1975, étudiant la typologie des gites romains, H. Bender a traité le problème en détail et fait un exposé sur les différents types de gites civils et semi-civils (Bender 1975). La même année, H. von Petrikovits étudiait les praetoria des camps de légion et en faisait ressortir les caractéristiques (Petrikovits 1975). Plus récemment, en travaillant sur le livre d’A. Johnson, D. Baatz a résumé avec une grande clarté tout ce qui concerne la genèse du nom et la fonction du praetorium comme logement du commandant dans les camps fixes et les fortins (Johnson 1987). En 1992, R. Zucca a présenté l’inscription du praetorium de Muru de Bangius (Sardaigne) ainsi que le plan du bâtiment qui lui correspondait et des thermes attenants. Il traite en détail le concept depraetorium, mais tombe de nouveau, en partie, dans cette vieille ornière qui consiste à amalgamer les termes de praetorium et de principia. Ignorant le travail de recherche accompli jusqu’alors, il commet une fois de plus l’erreur de présenter comme des parallèles au praetorium de Muru de Bangius, qu’une inscription désigne comme tel, les bâtiments de principia des camps de légion et de fortins, considérés à tort comme des praetoria. En appendice de son essai, il recense toutes les inscriptions où l’on retrouve le terme de praetorium (Zucca 1992, 595-636, n. 55-56). 146 98 Nous devons donc distinguer les deux interprétations du mot praetorium, avec un sens militaire qui en fait le domicile du commandant des camps et forts militaires, et un sens civil, celui de résidence et de pied-à-terre des gouverneurs de province, des fonctionnaires en voyage, des hauts fonctionnaires. Ce dernier sens ne nous concerne pas ici, dans le cadre de cet ouvrage. 2.4.2 Les différents éléments des bâtiments d’état-major 2.4.2.1 Remarques générales 99 À partir du milieu du Ier s. ap. J.-C., après une phase de tâtonnements, un schéma architectural plus ou moins définitif des bâtiments d’état-major semble avoir été constitué, en relation avec les fora civils. À partir de ce moment, on peut parler d’une certaine standardisation. Les exceptions que l’on rencontre, par exemple, dans le camp légionnaire de Vindonissa, peuvent généralement s’expliquer par l’histoire spécifique de la construction des différents camps ou castella, bien que celle-ci ne soit pas toujours connue dans tous ses détails. 100 Des relations architecturales étroites s’étaient naturellement établies entre les bâtiments d’état-major des castella auxiliaires et ceux des camps légionnaires qui abritaient une légion avec ses cohortes auxiliaires ou même, cas extrême, deux légions (par ex. camp de Vetera). Les principia des castella auxiliaires présentent en quelque sorte des formes architecturales plus simples que les principia des grands camps, caractérisés par une architecture complexe. Néanmoins, les premiers comprennent tous les éléments importants de construction appartenant au type de base, une fois celui-ci créé ; ils comportent même parfois des éléments qui n’existaient pas dans les bâtiments d’état-major des camps légionnaires (hall d’entrée), ou qui y sont représentés différemment. 2.4.2.2 La grande cour (forum ?) 101 Le centre de pratiquement tous les principia des deux premiers siècles après JésusChrist est occupé par une cour plus ou moins grande (fig. 54-56 ; 61-75). Seuls les camps plus tardifs (deuxième moitié des IIIe et IVe s.) peuvent ne pas en avoir. A considérer les textes littéraires et les inscriptions, on ne sait pas bien si cette cour portait, dans le langage utilisé par l’armée romaine, le nom de forum ; les inscriptions Dessau 2083 et 2085, parlant toutes les deux de evocatio in foro, pourraient confirmer l’hypothèse que la cour des principia était identique au forum, mentionné de temps à autre, où se déroulaient des actes militaires importants (à ce propos, Ephem. epigr. V, 149). Parfois, un puits se trouvait dans un angle de la cour ; souvent, au centre, était placé un autel, généralement consacré à une divinité, personnification de la disciplina militaire à laquelle était parfois associée la personne de l’empereur. L’armée lui devait fidélité et loyauté (Sarnowski 1989, 118, n. 43 = Ephem. epigr. IX, 1380 ; Daniels 1978 ; Simpson & Brassinton 1980 ; d’autres autels sont énumérés par Petrikovits 1975). 147 FIG. 54 Maquette du camp de Neuss montrant le complexe central des bâtiments de commandement : principia au premier plan et praetorium au second. FIG. 55 Coupe théorique longitudinale des principia (Johnson 1987, fig. 78). 148 FIG. 56 Cour des principia reconstitués de la Saalburg. Un puits est visible dans l’angle. cliché M. Reddé. 102 Ces autels mettent en évidence le caractère religieux des principia, dans lesquels on peut reconnaître l’endroit où se cristallise la religion du camp (religio castrensis : Tertullien, Apol. 16). Cette vénération religieuse a été transposée finalement sur l’ensemble du bâtiment et l’on parle ainsi des “saints principia (Novella Theodosi 1, 6), expression comparable à celle du “saint palais” (sacrum palatium). La cour est entourée, généralement sur trois côtés –parfois quatre–, de portiques couverts de toits à un versant, qui s’appuient sur les façades des bâtiments périmétraux, ou bien de toits en bâtière comme pour ces derniers. Ainsi, la cour était souvent entourée de caniveaux dans lesquels l’eau de pluie s’accumulait et s’évacuait vers l’extérieur. 2.4.2.3 Les armamentaria 103 Des deux côtés de la cour –à gauche et à droite, depuis la porte d’entrée– se trouvaient généralement des séries de pièces dont les portes s’ouvraient sur les portiques, et, de là, sur la cour (fig. 55). Il s’agissait de magasins et de dépôts d’armes. Leur nom antique d’armamentaria nous est parvenu ( CIL VII, 446 ; Johnson 1987). Leur utilisation est confirmée par la découverte d’armes et de fragments de supports dans certains camps et castella tels que Lambèse, Vefera, Niederbieber et Künzing (Domaszewski 1899 ; Petrikovits 1975 ; Johnson 1987). Ces armamentaria sont absents dans quelques camps, ou bien ils ne se trouvent que d’un seul côté de la cour, par exemple à Housesteads et Hesselbach (Fellmann 1983). 2.4.2.4 Hall transversal (basilica) 104 Le côté opposé à l’entrée de la cour est généralement fermé par un grand hall transversal (cross-hall) [fig. 60]. Son nom antique, connu par l’inscription de Regulbium (Reculver) était basilica (Fellmann 1983). Dans les principia des camps légionnaires, il s’agit en règle générale d’un hall à trois nefs dont celle du centre est surélevée. Dans les 149 principia auxiliaires, le hall transversal est souvent construit d’une manière plus simple, c’est-à-dire à deux nefs. La troisième nef y est remplacée par la rangée de pièces contiguë, qui ferme aussi sur l’arrière les basiliques à trois nefs. La basilique est absente dans les principia de certains castella, où elle est souvent remplacée par un long portique placé devant la rangée de pièces arrière : ainsi en va-t-il à Gemellae (fig. 70) [Trousset 1977] et à Niederbieber (Ritterling 1937). De même, les principia datant de la première et de la deuxième phase de construction du camp de Quintana (Künzing) [fig. 75] font partie de ce type de construction. C’est seulement à partir de la phase 3 de construction que le portique correspondant est remplacé par une basilique (Schönberger 1975). 105 A l’extrémité de l’un des deux côtés étroits du hall transversal se trouve généralement une sorte de podium (suggestus, tribunal) accessible par un escalier d’où le commandant pouvait haranguer les troupes. Parfois les tribunalia ou suggestus sont doubles, à savoir un sur chacune des deux extrémités –étroites– de la basilique. Un cas particulièrement frappant apparaît dans la basilique des principia de Doura (fig. 71) [Hopkins & Rowell 1934], FIG. 71 Les principia de Doura Europos (Hopkins & Rowell 1934, pl. 3). 2.4.2.5 Le sanctuaire (ou chapelle) du camp 106 Une rangée de pièces ouvrant sur la basilique, voire directement sur la cour, clôturait l’arrière du bâtiment des principia. Il s’agit en règle générale d’un nombre impair de pièces disposées symétriquement de part et d’autre d’une pièce centrale. Cette dernière correspond au sanctuaire (ou chapelle) du camp. L’inscription de Regulbium nous a transmis l’un des noms antiques possibles de cette pièce centrale (aedes principiorum). À cet endroit étaient entreposés les enseignes et –dans le cas d’un camp légionnaire– l’aigle de la légion, qui faisaient l’objet d’un culte (fig. 57). Elle était surveillée jour et nuit par une garde. Avec le temps, le sanctuaire du camp devint également un haut lieu 150 du culte impérial, qui prenait de plus en plus d’importance (Davies 1968). C’est pourquoi on trouve aussi, pour le désigner, le terme de capitolium (Alföldy 1986 ; 1989). L’autel des principia du castellum de Bremenium (High Rochester : mur d’Hadrien) est dédié G(enio) D(omini) (n) ostri et signorum, et permet d’observer cette évolution religieuse en montrant qu’il s’agissait à la fois d’un culte des signa et d’un culte impérial (Daniels 1978). Plus tard, d’autres divinités telles Hercule et Fortune furent également vénérées dans le sanctuaire du camp en tant que dii militares. FIG. 57 Reconstitution de l’aedes principiorum à la Saalburg. 107 T. Sarnowski (1989) a rassemblé les inscriptions des statues impériales provenant des différents principia et conclu que ces statues n’étaient pas placées à l’intérieur de l’aedes principiorum mais devant, c’est-à-dire dans la basilique et dans la cour (Reuter 1995). A ce propos, il convient néanmoins de souligner qu’il faudrait, pour mieux saisir ce problème, tenir compte, en dehors des inscriptions, des découvertes archéologiques – fragments de statues, etc.– faites dans de nombreux principia (Stoll 1992 ; 2001). 108 Le sanctuaire du camp se distinguait des pièces avoisinantes par son architecture particulière. Il était souvent surélevé par-rapport à ces dernières, et voûté. Ainsi, il était le point de convergence des regards, d’autant qu’il était situé dans l’axe central des principia. Plusieurs représentations figuratives permettent de reconstituer approximativement son aspect extérieur. Ainsi, deux reliefs situés sur des autels dédiés à la Fortune du castellum de Risingham (Angleterre septentrionale) représentent, selon toute probabilité, la vue sur la rangée des pièces arrières des principia et sur le sanctuaire du camp, situé au milieu de cette enfilade (fig. 58a). Une autre représentation de l’aedes principiorum se trouve sur l’autel de la Disciplina découvert dans le petit camp de Birrens (fig. 58b). Ce sanctuaire est voûté et on reconnaît une porte (à grille ?) qui permettait de fermer cet endroit sacré (Fellmann 1983). En outre, pour souligner architecturalement l’importance du sanctuaire du camp, cette pièce présentait parfois une saillie par rapport aux autres pièces de la rangée arrière des principia, avec éventuellement une abside (fig. 74). Il s’agit probablement du résultat d’une évolution architecturale qui s’est affirmée au cours du temps. En ce qui concerne 151 les principia de Gemellae (fig. 70) et de Lambèse (fig. 72), les absides datent de l’époque des Sévères (Trousser 1977). FIG. 58 a Autels des thermes de Risingham (Fellmann 1983, fig. 18) ; b autel de Birrens (Fellmann 1983, fig. 17). La partie supérieure montre une représentation de l’aedes principiorum. 2.4.2.6 L’aerarium (le trésor du camp) 109 Au sein du sanctuaire du camp se trouvait également le trésor, aerarium. Nous savons qu’une partie de la solde des troupes était retenue comme une sorte d’épargne obligatoire et déposée ad signa (“auprès des enseignes”). Cet argent était sous la gestion du signifer (“porte-enseignes”) ; pour accomplir cette tâche, cet homme devait savoir lire et écrire (être un homo litteratus) et avoir certaines connaissances dans le domaine de la comptabilité. On sait depuis un certain temps que les pièces souterraines et semisouterraines découvertes sous quelques chapelles des enseignes doivent être interprétées comme aerarium (fig. 59). Elles étaient accessibles par l’aedes principiorum ou par l’une des pièces avoisinantes. L’habitude de concevoir des aeraria souterrains date probablement de la fin du Ier s. ap. J.-C. (Davies 1968 ; Johnson 1987). 152 FIG. 59 Reconstitution d’une arca sous la chapelle aux enseignes (Johnson 1987, fig. 86). 2.4.2.7 Les pièces voisines de l’aedes principiorum 110 Les pièces situées sur les côtés gauche et droit de la chapelle étaient utilisées pour des tâches administratives. Nous savons, par différentes inscriptions, que le bureau du corniculaire (cornicularius) du commandant pouvait se trouver à cet endroit, ainsi que des salles de réunion (scholae) pour certains types de fonctionnaires. En outre, se trouvaient dans ces pièces les archives (tabularium) et le bureau du signifer, qui, comme nous l’avons expliqué plus haut, était responsable de la comptabilité et de la trésorerie de l’argent déposé sous la protection des enseignes (adsigna). Ces scholae sont attestées pour plusieurs principia par les inscriptions, notamment à Niederbieber (CIL XIII, 7752). Certains documents indiquent, pour une époque tardive, que les bureaux du signifer situés sur l’un des côtés de l’aedes principiorum (Niederbieber : CIL XIII, 7753) étaient équipés d’un système de chauffage du sol et étaient parfois agrandis par d’autres pièces. A cette époque commence donc une phase pendant laquelle les principia servaient au moins en partie de logement (au signifer ?). 111 Les archives (tabularium) se trouvaient de préférence dans l’une des pièces situées aux extrémités de la rangée de salles sur l’arrière-côté des principia. Dans le cas des principia de Niederbieber et de Douta Europos, ainsi que pour le camp légionnaire de Lambèse, l’utilisation de ces pièces est attestée par des inscriptions –à Doura (Hopkins & Rowell 1934, 201-234), les pièces 3, 8 et 9 forment une unité et abritaient le tabularium, comme l’atteste l’inscription no 500 (222-223 ap. J.-C.) ; pour Lambèse, cf. Fellmann 1983, fig. 41. Dans les pièces d’angle situées sur le côté gauche du couloir D de Niederbieber se trouvait le tabularium legionis (Ritterling 1937). Dans la pièce d’angle située à droite se trouvait le tabularium, attesté par la dédicace au génie de cette salle (CIL XIII, 7752). Furent également découvertes des appliques, charnières et serrures appartenant à des armoires conservant les documents. Quant aux bâtiments d’étatmajor des petits camps situés sur le mur d’Hadrien, il semble être devenu la règle de 153 placer le bureau du signifer à gauche de la chapelle aux enseignes et les archives, ainsi que la chancellerie (tabularium), à sa droite. 2.4.2.8 Hall d’entrée des principia (groma) et vestibule des camps auxiliaires 112 Puisque le centre virtuel du camp était situé directement devant l’entrée principale des principia, endroit d’où l’arpentage du terrain du camp était effectué (locus gromae), cette notion de groma était vraisemblablement transposée sur l’ensemble qui couvrait, comme une sorte de porte monumentale, le carrefour de la via praetoria avec la via principalis (ps.‑Hygin 12 : In introitu praetorii partis mediae ad viamprincipalem gromae locus appellatur, “A l’entrée du prétoire et au milieu de celle-ci, près de la voie principale se trouve le point appelé groma" ; et Hyginus Gromaticus, De limitibus 144 : Sic in castris groma ponitur in tetrantem, qua velut ad forum conveniatur, “C’est ainsi que, dans les camps aussi, la groma est placée au carrefour où convergent les voies, comme au forum”). 113 Les halls monumentaux de ce type peuvent avoir quatre portes (quadrifons) ; ils se trouvent entre autres dans les bâtiments d’état-major des camps légionnaires de Lambèse (fig. 72) [Rakob & Storz 1974 ; Kolbe 1974], Lauriacum (fig. 73) [Groller 1909 ; Petrikovits 1975], Aquincum (Szirmaí 1976) et Novae (Sarnowski 1995). De même, le bâtiment d’état-major du camp de Doura (fig. 71) avait un hall d’entrée semblable (Fellmann 1983 ; Hopkins & Rowell 1934). C’est aussi le cas des principia de la XI e légion de Vindonissa, construits au milieu des années 70 ap. J.-C. (fig. 68). Cependant, ce hall ne couvre pas la via principalis, probablement en raison du plan irrégulier du camp. La voie est en effet située sur l’axe virtuel droit de l’arpentage qui traverse les deux portes situées sur les côtés du camp (Fellmann 1983). Une notice dans une sorte de registre de garde, conservé sur un papyrus de Doura, montre que la garde qui surveillait l’accès aux principia avec leur sanctuaire était postée à l’abri de ce hall. Dans beaucoup de castella du limes germano-rétique, ainsi que dans certains castella de Bretagne, ce hall prend une forme allongée (fig. 60). La construction s’étend sur une partie de la via principalis et la recouvre en grande partie, souvent de manière à dépasser de chaque côté les rangées constituées par les bâtiments des principia. Dans beaucoup de bâtiments d’état-major des castella auxiliaires (cette forme ne se trouve pas dans les bâtiments d’état-major des camps légionnaires), ce hall d’entrée était probablement surélevé d’une façon considérable par rapport aux autres éléments du complexe (à l’exception de la basilique, quand elle existe). Il convient alors de parler plutôt d’un véritable vestibule. Prenons comme modèle le camp de l’ala II Flavia d’Aalen (fig. 74) : la viapraetoria débouchait sur la façade de ce vestibule, pourvue sans doute d’une porte monumentale. Ces halls avaient probablement la fonction de place de rassemblement protégée contre le vent et la pluie, mais ils servaient aussi pour l’exercice ou comme hippodrome. Dans le bâtiment d’état-major du camp d’Aalen, des restes de grands poteaux en chêne furent mis au jour. La dendrochronologie a permis une datation de ce vestibule autour de 170 ± 10 ap. J.-C. (Becker 1981 ; Planck 1988). 154 FIG. 60 Hall d’entrée des principia reconstitués de la Saalburg : a vue latérale, depuis l’extérieur ; on remarquera la saillie de la halle par rapport au flanc du bâtiment ; b vue intérieure. clichés M. Reddé. 2.4.3 Évolution du bâtiment d’état-major 2.4.3.1 Du camp provisoire et de siège au camp permanent 114 Du milieu du Ier s. ap. J.-C. jusqu’au début de l’Antiquité tardive, on observe toujours, dans les camps et les castella auxiliaires situés sur la frontière ou en arrière de celle-ci, des bâtiments d’état-major construits selon le schéma canonique que l’on vient de décrire, avec cour (forum), hall transversal (basilica) et rangée de pièces sur l’arrière et, au milieu de celle-ci, l’aedes principiorum, où sont déposées les enseignes (signa). Une rapide comparaison avec les situations rencontrées dans les camps de marche met en évidence à quel point les bâtiments des deux types de camp se sont développés d’une manière différente (Josèphe, B J III, 5 ; Polybe VI, 31, 1 ; Fellmann 1958). Alors que les camps de siège de Masada (Fellmann 1983 ; Schulten 1933) reprennent une disposition interne ancienne et traditionnelle avec l’organisation correspondante des parties centrales, nous trouvons, dans les camps légionnaires et dans les castella de la même époque, un bâtiment d’état-major (principia) formant une unité architecturale marquée par l’empreinte de l’architecture civile et prenant pour exemple les places centrales (fora). Dans ce nouveau bâtiment central d’état-major se réunissent presque tous les éléments qui, dans les camps provisoires et de siège, se regroupent autour des principia –probablement la partie centrale de la via principalis. Ainsi, le nouveau bâtiment d’étatmajor porte à juste titre, comme nous l’avons déjà montré, le nom de principia ; l’utilisation du mot au pluriel devient compréhensible. Malheureusement, la mauvaise habitude d’utiliser ce terme au singulier (“une” principia’) est très répandue et constitue 155 une indéniable faute de latin. Pour les camps permanents de l’époque impériale, le terme désigne évidemment un ensemble de différentes constructions : forum, basilica, armamentaria, aedes principiorum, etc. Cependant, le commandant du camp ou du castellum ne logeait plus dans ce nouveau bâtiment. Son praetorium, qui à l’origine était proche des parties religieuses et administratives, regroupées autour des principia des camps de marche, n’a pourtant pas perdu le contact avec son contexte originel. Dans le cas idéal, le praetorium du commandant était placé derrière les principia et perpétuait ainsi l’ancienne unité avec ces derniers. Sinon, il se trouvait à côté desprincipia, comme c’est en règle générale le cas pour de nombreux castella situés sur les frontières ; pour s’en convaincre, un regard sur les plans des castella situés sur les différents limites suffit (Johnson 1987 ; Gudea 1997). 115 Il est évident que cette différence entre les bâtiments centraux des camps de marche et de siège d’un côté, ceux des camps permanents de l’autre –que l’on rencontre encore dans le cas des camps de Masada, autour de 70 ap. J.-C.–, correspond à l’aboutissement d’une évolution progressive pendant laquelle le logement du commandant a été séparé des bâtiments centraux, et à une nouvelle organisation ainsi qu’à un regroupement des autres éléments autour des principia. Il importe de retracer désormais cette évolution. 2.4.3.2 Les principia dans les camps et castella de la première moitié du Ier s. ap. J.-C. 116 Il convient d’étudier dans un premier temps le cas des camps de l’époque augustéenne situés sur le front rhénan et sur les axes de pénétration romaine en territoire germanique. Analysons pour cela les résultats des fouilles dans les camps d’Oberaden (fig. 61), Haltern (fig. 62) [Pietsch 1993 ; Kühlborn 1991, 1995] et Marktbreit (fig. 63). FIG. 61 Les principia d’Oberaden. dessin J.-S. Kühlborn. 156 FIG. 62 Les principia et le praetorium de Haltern (Kühlborn 1991, fig. 4). FIG. 63 Les principia de Marktbreit (Pietsch 1993, fig. 1). 117 On constate que tous ces camps révèlent généralement deux bâtiments qui sont en relation entre eux par un lien axial. Celui qui se trouve “au premier plan” –c’est-à-dire 157 le plus proche de la porta praetoria– et qui se distingue par une grande cour entourée de portiques et d’une rangée de pièces sur le côté arrière peut éventuellement déjà être désigné comme principia, tandis que l’autre, situé au “second plan”, pourrait, selon toute vraisemblance, correspondre au praetorium. Un passage vers le praetorium, situé à l’endroit où se trouvera plus tard aedes, au centre de la rangée de pièces situées sur le côté arrière des principia, constitue un élément caractéristique de cette disposition. Il faut alors chercher l’aedes, suivant la tradition des camps de marche, dans le contexte du praetorium. Les principia du camp C de Novaesium (fig. 64) [Pietsch 1993 ; Müller 1984, fig. 47], ainsi que ceux d’Aulnay-de-Saintonge révèlent le même plan. Dans ce dernier cas, on constate la liaison des principia avec le praetorium, situé en arrière de ceux-ci (Tassaux et al. 1983 ; Tassaux & Tronche 1990). FIG. 64 Les principia de Novaesium (Neuss) [Pietsch 1993, fig. 3, 5], 118 Partant de cette phase de transition que nous pouvons saisir dans les premiers camps permanents, le type des principia s’est développé progressivement au cours de la première moitié du Ier s. ap. J.-C. sous l’influence de l’architecture civile des fora ; nous retrouvons de grandes variations de ce type de construction dans les camps et castella construits pendant la période suivante. 119 Dans ce processus, un rôle clé revient au site augustéen de Lahnau/Waldgirmes. Nous le considérons comme un véritable “habitat défensif’, peut-être même une colonia nova. Au centre –c’est-à-dire à l’emplacement des principia– de cet habitat dont l’aspect extérieur rappelle un camp fortifié, se trouve un bâtiment qui, d’après son plan, doit être un forum, mais qui révèle en même temps des ressemblances surprenantes avec un plan de principia. Ainsi, nous pouvons déterminer le plan d’un forum de l’époque augustéenne qui pourrait avoir servi de modèle pour la future architecture des principia des camps et castella auxiliaires du limes (Becker 1999). Le type “principia” de la 158 construction du forum civique courant en Bretagne prouve que l’interaction continue entre les principia des camps légionnaires et castella et les fora civils (Euzennat & Hallier 1986). 120 L’une des étapes vers cette forme définitive des bâtiments d’état-major apparaît dans les principia de la XXI e légion de Vindonissa, érigés en 47 ap. J.-C. (fig. 65). La basilique, ainsi que la rangée de pièces de part et d’autre de l’aedes, sont déjà présentes. Une installation ressemblant à une cave, située dans la basilique directement devant l’aedes, pourrait correspondre à l’aerarium. La cour n’a pas encore de portique et s’ouvre par deux amorces de bâtiments latéraux qui font saillie (Fellmann 1983). Dans la deuxième moitié du Ier s. ap. J.-C., l’évolution vers la forme définitive du bâtiment d’état-major prenait probablement fin. FIG. 65 Les principia et le praetorium de la XXIe légion à Vindonissa (Windisch) [d’après Fellmann 1983, fig. 35 ; plan complété d’après les nouvelles fouilles de J. Trumm], 2.4.3.3 Les principia à partir du milieu du Ier s. ap. J.‑C. 121 Un certain nombre de principia construits au cours de la deuxième moitié du Ier s. ap. J.C. en apportent la preuve. Les principia du camp légionnaire de Mirebeau, situé près de Dijon, révèlent déjà un plan presque classique. Ils sont datés de l’époque flavienne (Reddé 1995a). En outre, on peut signaler les principia du camp de Noviomagus (Nimègue) [Bloemers s.d.], ceux du Koenenlager de Novaesium (fig. 67) [Koenen et al. 1904 ; Fellmann 1983], ceux du double camp légionnaire de Vetera II près de Xanten (fig. 66) [Lehner 1930 ; Fellmann 1983] ainsi que ceux du camp d’Inchtuthill (Écosse) qui existe seulement pendant une courte période, de 83 à 86 ap. J.-C. (fig. 69) [Pitts & St. Joseph 1985 ; Fellmann 1983]. Même les principia de la XI e légion de Vindonissa, qui divergent pourtant légèrement de la norme à cause de l’histoire complexe du camp, 159 peuvent être intégrés dans les plans courants de la deuxième moitié du Ier s. ap. J.‑C. (fig. 68). Bien évidemment, le plan du bâtiment d’état-major ne resta pas inchangé au cours du temps. Ainsi, la construction d’absides, sur l’arrière de l’aedes, et celle d’autres pièces de la même rangée sont caractéristiques. Ce type d’architecture se retrouve souvent, surajouté, dans des bâtiments d’état-major construits pendant le IIe s. et la première moitié du IIIe. Citons à cet égard les principia du camp de Gemellae, construits vers 131-132 ap. J.-C. (fig. 70) ou ceux du camp légionnaire de Lambèse (fig. 72) [Rakob & Storz 1974]. FIG. 66 Les principia du double camp de Vetera (Xanten) [Fellmann 1983, fig. 37], 160 FIG. 67 Les principia du Koenenlager de Novaesium (Neuss) [Fellmann 1958, fig. 61], FIG. 68 Les principia et le praetorium de la XIe légion à Vindonissa (Windisch) [Fellmann 1983, fig. 36]. 161 FIG. 69 Les principia d’Inchtuthill (Fellmann 1983, fig. 38). FIG. 70 Les principia de Gemellae (Trousset 1977, fig. 2). 162 FIG. 72 Les principia de Lambèse (Fellmann 1983, fig. 41). 122 Pour certains camps, l’analyse des différentes phases de construction permet de modéliser le changement et l’évolution que l’on vient d’évoquer. Ainsi, l’histoire du camp de Quintana (Künzing, Bavière) peut servir d’exemple, parce qu’elle donne une chronologie continue de la construction du camp, en 90 ap. J.-C., jusqu’à sa destruction en 242-244 ap. J.-C. (fig. 75) [Schönberger 1975]. Pour la période 1 du camp (de 90 à 120 ap. J.-C.?), le plan est entièrement canonique. Pendant la période 2 (de 120 environ à 135 ap. J.-C.), l’aedes est agrandie. Désormais, elle dépasse de la façade arrière du bâtiment. Pendant la période 3 (de 150-160 environ à 200 ap. J.-C.), les principia sont reconstruits. Désormais, ils sont plus étroits et font ressortir davantage le sanctuaire du camp, qui dépasse largement de la façade arrière du bâtiment. Vaedes était probablement surélevée et avait une cave. La dernière phase (de 200 environ à 242-244 ap. J.-C.) est caractérisée par une modification importante. Les salles principales de la rangée de pièces situées sur le côté arrière sont reconstruites en grand appareil. La chapelle aux enseignes reçoit une abside avec des contreforts, ainsi qu’une cave massive pour Vaerarium. Les deux pièces situées sur les extrémités de la rangée, probablement le tabularium et le bureau du signifer, responsable du trésor, sont reconstruites et désormais chauffées par un système d’hypocauste et de tubuli. Les pièces correspondantes du camp d’Aalen sont équipées de la même façon ; dans la dernière phase de construction, on reconnaît ainsi la même préférence architecturale et technique pour les pièces situées en arrière de la cour et ses ailes (fig. 74) [Planck 1988], La période 4 du bâtiment d’état-major de Künzing représente un état de construction que nous pouvons retrouver dans les principia d’autres camps et castella de la première moitié du IIIe s. ap. J.-C., comme par exemple à Niederbieber et Kapersburg (Fellmann 1983). 163 FIG. 73 Les principia de Lauriacum (Enns) [RLÖ, 13, 1919, pl. 1], FIG. 74 Les principia d’Aalen, fort de l’ala II Flavia (Planck 1988, fig. 29). 164 FIG. 75 Les principia de Quintana (Künzing) [Fellmann 1983, fig. 32], 123 L’ajout d’absides, notamment derrière l’aedes principiorum, mais aussi derrière d’autres pièces de la rangée postérieure des principia, doit être considéré comme une évolution caractéristique de l’époque tardive, comme nous l’avons déjà dit auparavant (fig. 76). Nous y reconnaissons les débuts d’une évolution vers une monumentalisation des principia, qu’il faudrait interpréter en corrélation avec l’importance accrue de l’armée romaine pendant les années de crise du milieu et de la deuxième moitié du IIIe s. ap. J.-C. 165 FIG. 76 Les principia de Kaiseraugst : plan du bâtiment aux absidioles. dessin M. Reddé. 124 Pour les quartiers privés des commandants de corps (fig. 77, 78), R. Förtsch a prouvé, de manière tout à fait lumineuse, que l’on peut établir des parallèles entre les praetoria relativement précoces que nous avons cités et les villas édifiées dans les centres urbains helléniques et romains (Fôrtsch 1996). Plus tard, à partir du milieu du Ier s. ap. J.-C., on constate une certaine standardisation. À partir de cette période, les maisons de commandants (praetoria) sont des bâtiments conçus autour d’une cour intérieure, mais qui disposent de certaines libertés d’aménagement, comme il convient du reste pour un bâtiment destiné à l’usage privé. 166 FIG. 77 Praetoria de Bretagne et de Germanie (Johnson 1987, fig. 101). FIG. 78 Le praetorium d’Oberaden (Kühlborn 1995, 109). 125 A. Johnson a étudié ce type de bâtiments pour les praetoria dans les forts d’Angleterre et des deux provinces germaniques. Pour les castella auxiliaires, on le retrouve à partir de l’époque claudienne, c’est-à-dire du milieu du Ier s. ap. J.-C. On a manifestement continué à l’utiliser jusqu’au IVe s. ap. J.-C. (Johnson 1987). 126 Les édifices des camps de légion sont un peu plus luxueux. Cela tient au fait que les légats de la légion, jusqu’au milieu du IIIe s. ap. J.-C., étaient à quelques exceptions près 167 de rang sénatorial. Il s’agit par conséquent de bâtiments inspirés des maisons méditerranéennes à péristyle, comportant souvent deux cours à péristyle et parfois aussi un jardin ayant la forme d’un hippodrome (Petrikovits 1975). On en connaît aussi un autre, sous une forme un peu réduite, dans le praetorium du camp de légion de Vindonissa (Meyer-Freuler 1989). 2.5 Les quartiers des tribuns 127 JOHANN-SEBASTIAN KÜHLBORN 128 On n’a pas encore mené d’études détaillées sur l’histoire de l’évolution des quartiers des tribuns dans les premiers camps du Principal (Petrikovits 1975, 64-67). Cette lacune paraît d’autant plus paradoxale que l’on ne connaît pas les logements des officiers romains après le Ier s. de n.è. Pour identifier ces bâtiments, il faut se fonder sur leur situation et sur leur principe architectural. Les sources écrites antiques n’existent que pour les camps d’étape temporaires et non pour les camps militaires permanents. Selon le texte du ps.-Hygin (15), qui remonte au plus tôt à la fin du Ier s., le scamnum tribunorum se trouvait en dessous de la via principale, c’est-à-dire dans la praetentura (fig. 18). Cette localisation est la plus fréquente –on la retrouve entre autres à Inchtuthil, Caerleon, Nimègue, Novaesium, Camuntum ou Lambèse. Mais, à Vetera, une partie des maisons de tribuns se trouve dans la bande centrale située sur le côté des principia et du praetorium (Lehner 1930 ; Oelmann 1934). Cela semble aussi valoir pour Haltern, si l’identification des six maisons dans les latera dextra est correcte. 129 Les tribuns occupaient un rang à part dans la hiérarchie du corps des officiers. Le tribunus laticlavius, qui appartenait à l’ordre sénatorial, était l’officier le plus élevé en grade et le délégué du legatus legionis. Suivaient dans la hiérarchie le praefectus castrorum et les cinq tribuni angusticlavi (Le Bohec 1989), de rang équestre. Le contexte social de ce groupe de personnes suppose certaines normes de logement dans un camp permanent (castra stativa, castra hiberna). Mais les sources littéraires ne permettent pas de dire à quoi cette norme devait ressembler. 130 On ne peut pas recenser avec certitude les quartiers des tribuns dans les camps militaires de bois et de terre du début du Principal. Dans le camp principal, augustéen, de Haltern, on trouve dans les latera dextra, délimités par la via decumana ainsi que par les principia et le praetorium, un complexe de bâtiments de conception homogène qui s’étend sur deux insulae. Il est composé d’un total de six maisons relativement petites, regroupées dans deux ensembles de trois unités d’habitation chacune. Les maisons 7a-c (fig. 79) occupent une surface au sol d’environ 35 x 15 m ; les maisons 7d-f sont de dimensions à peine supérieures. La façade d’entrée est orientée sur la rue étroite qui court entre principia et praetorium. Bien qu’aucune n’ait fait l’objet de fouilles complètes, on peut constater que leur plan repose sur la combinaison des types “à atrium" et “à péristyle”. Entre deux tabernae se trouvent les fauces. Suivent (atrium et le tablinum avec les alae ou cubicula latéraux. Derrière apparaît une cour à péristyle avec une autre série de pièces juxtaposées. Il ne fait aucun doute que ces bâtiments étaient utilisés à des fins d’habitation. Le nombre de six maisons plaide pour leur identification comme maisons de tribuns, de même que leur construction, homogène pour l’essentiel, et leur situation prééminente dans deux insulae centrales qui, par leur taille, correspondent aux insulae du praetorium et des principia. Les incertitudes ne doivent pas être passées sous silence (Rudnick 2000 ; Schnurbein 1982a) ; elles résultent de la faible 168 taille des bâtiments et du fait que la construction au sud de la via principalis a été insuffisamment étudiée. D’autres bâtiments sont considérés comme des logements d’officiers : les maisons 7g-h à l’ouest de la via decumana, la maison à péristyle 5 à l’ouest de la viapraetoria, le complexe 3, à l’est du praetorium, le bâtiment allongé 6, à l’est de la via quintana et la maison 7i dans l’annexe orientale du camp. FIG. 79 Maison de tribun à Haltern (plan J-S. Kühlborn). 131 La situation dans le camp d’Oberaden, qui remonte à l’époque de Drusus, n’est pas plus claire. On n’a aucune idée des bâtiments situés à proximité du praetorium, et pas davantage des abords des principia. Les plans des bâtiments des deux côtés des principia permettent uniquement de discerner quelques maisons à atrium, petites et simples. Au sud des principia, toutefois, on trouve quelques habitations qui pouvaient tout à fait répondre à des exigences sociales élevées (fig. 80). Dans différents secteurs, on a créé, des deux côtés de la via praetoria et par extensions successives de ce qui était vraisemblablement, dans un premier temps, deux maisons à atrium séparées, quatre ensembles de bâtiments qui combinaient atrium et péristyle. Ce processus apparaît clairement dans la maison située au sud-est des principia (fig. 80, 1). Dans un premier temps, on a construit un grand atrium de 23,50 x 22,00 m, puis on y a ajouté une grande cour à péristyle de 25,00 x 24,00 m, et dans le même temps, en décalant légèrement l’orientation de l’enfilade de bâtiments située à l’ouest, on a ajouté quelques pièces, vers l’ouest, à la maison d’origine. Au bout du compte, le bâtiment atteignait des dimensions maximales de 47,50 x 27,00 m. S’y rattache, à l’ouest, un bâtiment analogue (fig. 80, 2), avec une partie d’habitation et une cour à péristyle attenante, toutes deux de dimensions un peu plus réduites. À l’ouest de la via praetoria, on trouve également deux maisons avec une cour péristyle. Ici aussi on observe dans la maison de droite la trace de cet ajout ultérieur de la cour péristyle. Grosso modo, le concept de ces quatre bâtiments d’Oberaden est tout à fait comparable aux maisons 7a-f de Haltern. Mais 169 contrairement à Haltern, il n’existait pas de projet homogène lorsqu’on a commencé à construire. FIG. 80 Maisons de tribuns à Oberaden (plan J-S. Kühlborn). 132 En revanche, le complexe de bâtiments situés plus au sud, à l’ouest de la via praetoria, est d’une tout autre structure et résulte d’un plan homogène (fig. 80,5). L’édifice se situe dans la tradition des maisons de ville italiennes ; il est composé d’une grande partie d’habitation, avec un péristyle sur le côté. Le bâtiment d’habitation proprement dit mesurait environ 39 x 29 m. Derrière l’entrée, encadrée par les tabernae, on trouve un atrium à peu près carré, avec un impluvium entouré d’un coffrage de bois. La disposition des pièces d’un côté et de l’autre de l’atrium est irrégulière. Dans l’aile nord, on trouve d’abord de très petites salles qui servaient peut-être de salles de service. On observe une organisation de l’espace inhabituelle dans le secteur nord-ouest, autour d’un grand hall à deux nefs de 12 x 9 m, avec des podiums latéraux. La partie sud de l’édifice présente une structure topographique totalement différente. Les salles de l’aile sud se situent le long d’un grand corridor courant sur le côté sud de l’atrium. Les côtés étroits d’une pièce particulièrement vaste au milieu de l’aile sud étaient orientés d’une part vers l’atrium, d’autre part vers le péristyle. Cette salle peut vraisemblablement être identifiée comme le triclinium. A l’extrémité de l’aile sud, le couloir oblique à angle droit permet l’accès à un grand péristyle de 36,00 x 17,50 m, que l’on peut considérer d’un point de vue typologique comme un péristyle de jardin. Un autre élément plaide aussi en faveur de cette interprétation : l’exèdre située à l’ouest, devant laquelle un entrecolonnement élargi offre une large vue sur l’ensemble du jardin. Comme dans les quatre maisons situées au nord, on avait installé une fontaine à proximité du péristyle. L’ensemble du corps de bâtiment occupe une surface de plus de 1 800 m 2. Au-delà du fait que ce type de bâtiment monumental ne peut avoir servi de quartiers qu’à une personne de haut rang, il paraît impossible, en l’état actuel de nos connaissances sur 170 l’aménagement intérieur d’Obcraden, d’attribuer ces locaux à un grade déterminé. On pourrait envisager le legatus legionis, le tribunus laticlavius, le praefectus castrorum, moins probablement les tribuni angusticlavi. 133 L’intégration d’un grand péristyle au sein d’un bâtiment d’habitation est fréquente dans les camps postérieurs. Les maisons de tribuns dont on a retrouvé des plans à peu près complets apparaissent dans le camp néronien de Vetera et dans le camp flavien d’Inchtuthil en Grande-Bretagne. A Vetera, destiné à accueillir deux légions, on ne connaît pour l’essentiel que les maisons de tribun en pierre de la moitié ouest du camp : deux d’entre elles sont situées immédiatement à côté de la via principalis, une à proximité, et trois derrière le “palais des légats” (Petrikovits 1975, pl. 5a ; Gechter 1974). La répartition inhabituelle de ces maisons est sans doute due à la division du camp en deux moitiés. A l’ouest, on trouvait la V e légion ; à l’est, la XVe. Les trois maisons situées derrière le palais du légat, K, J, M (fig. 81a), sont d’un type à peu près analogue (Mylius 1929). Ce sont des maisons approximativement carrées, à deux étages, d’une surface de 41 x 39 m. Derrière elles se trouvait certainement un espace libre entouré par un mur, ou plutôt un jardin. Les fondations trouvées près des extrémités nord des maisons K et J plaident en ce sens. Le long de la partie antérieure du bâtiment court un portique de rue. Derrière le hall d’entrée apparaît la cour à péristyle central, caractéristique. Cette cour intérieure de 19 m de large pour 22 ou 24 m de long est entourée sur trois côtés par des ailes de même largeur ; la rangée de pièces située au nord est en revanche plus étroite. Dans l’axe du hall d’entrée sud, on trouve au nord, dans la série de pièces situées à l’arrière, une grande salle centrale. Celle-ci, que l’on peut appeler triclinium, s’élève au-dessus de la suite d’édifices nord et utilise ainsi volontairement l’atmosphère du jardin voisin pour développer la sensation de l’espace. H. Mylius a analysé les fonctions assignées aux pièces (Mylius 1929). Selon lui, les salles de service se trouvent dans la moitié avant des bâtiments, les zones d’habitation proprement dites dans la partie arrière. On ne trouve pas la moindre trace d’installations de chauffage dans ces maisons. H. Mylius en conclut que ces pièces d’habitation étaient utilisées exclusivement en été. Au total, les trois maisons de tribun de Vetera constituent un exemple d’architecture de très bon niveau dans laquelle, bien entendu, on a respecté les proportions courantes dans l’architecture italienne des villas. 171 FIG. 81 Maisons de tribuns : a Vetera (Lehner 1930, pl. 3-4, fig. 43) ; b maison I d’Inchtuthil (Pitts & St. Joseph 1985, fig. 29) ; c maison II d’Inchtuthil (Pitts & St. Joseph 1985, fig. 31). 134 Les quatre maisons flaviennes d’Inchtuthil offrent un plan beaucoup plus simple (Pitts & St. Joseph 1985). Ces maisons en bois se trouvent dans le scamnum tribunorum, juste en dessous des tabernae situées le long de la via principalis. Dans ce scamnum, il y a suffisamment de place pour accueillir trois autres maisons du même type. L’entrée se situe au sud. Le schéma fondamental des maisons I, III et IV est très ressemblant : une cour intérieure à péristyle est entourée de tous les côtés par une enfilade de pièces (fig. 81b). Celles de l’aile nord ont une profondeur nettement supérieure ; c’est sans doute ici que se trouvait le triclinium. Ni celui-ci ni l’entrée située au sud ne sont orientés dans l’axe des bâtiments. Le long de l’aile orientale, on trouve un corridor avec une autre série de pièces. Dans ce secteur clairement séparé de la partie centrale de la maison, on aura sans doute installé les bureaux de l’administration. Alors que ces trois édifices largement uniformes pourraient être des maisons de tribuns, on a des difficultés considérables pour interpréter la maison II (fig. 81c). Ces problèmes sont dus au plan qui présente de fortes variations par rapport aux autres. À l’ouest, on n’a pas de série de pièces attenantes à la cour à péristyle, et la moitié est du bâtiment présente une gestion de l’espace totalement différente. Au lieu des bureaux administratifs, on trouve ici une autre cour intérieure entourée de portiques, et pourvue d’un grand bassin. Au nord et au sud apparaissent des salles aux dimensions différentes. La divergence évidente par rapport aux maisons I, III et IV n’exclut pas une autre destination. Comme il y avait dans le scamnum tribunorum suffisamment de place pour trois autres maisons de tribuns, on peut tout à fait imaginer une autre assignation, par exemple pour le praefectus castrorum (Pitts & St. Joseph 1985, 140-141). La maison III avec ses 50,30 x 28,95 m est nettement plus grande que les autres, qui présentent toutes les mêmes dimensions (42,06 x 28,95 m). Il est possible que nous ayons là le quartier du laticlave (Pitts & St. Joseph 1985, 138). 172 135 L’étude de ces quelques maisons, dont on connaît assez bien le plan et qui sont destinées aux officiers supérieurs, montre que, pour l’essentiel, on utilisait dans l’architecture militaire au début du Principat des formes de maison connues dans l’architecture italienne. La taille varie considérablement. Les petites maisons à péristyle de Haltern (env. 525 m 2) sont parmi les plus réduites ; les grandes maisons de Vetera (env. 1 600 m2) sont parmi les plus vastes. On ne distingue pas dans les plans de différences majeures selon qu’il s’agit d’architectures de bois ou de pierre. La position des quartiers des tribuns au sein du camp peut varier. Normalement, le scamnum tribunorum se situe à côté de la via principalis. Lorsqu’il existe une autre situation, elle est le plus souvent liée aux particularités locales. 136 Les édifices situés au sud des principia du camp d’Oberaden (11-8 av. J.‑C.) sont des restes de maisons à atrium dont l’aménagement pouvait être simple, mais aussi luxueux. Ces maisons n’avaient pas de grande cour à péristyle à l’intérieur du bâtiment d’habitation ; en revanche, elles disposaient d’une cour ou d’un jardin à péristyle rajouté après coup. On ne trouve de cour intérieure péristyle que dans le cas du praetorium. Le camp principal de Haltern offre, avec les maisons 7a-f, un autre type : l’intégration d’un péristyle interne placé entre les salles de la zone d’entrée et les pièces d’habitation situées à l’arrière. Les maisons à péristyle K, J et M de Vetera ont une forme clairement structurée et un caractère prestigieux ; ces maisons avec jardin attenant s’inspirent de l’architecture italienne. L’utilisation de l’espace paraît beaucoup plus retenue dans les maisons de tribuns d’Inchtuthil. On y chercherait en vain une orientation axiale correspondant à l’axe nord-sud, bien marqué à Vetera. L’adoption de modèles méditerranéens à atrium ou péristyle et le choix des différents éléments montrent que les titulaires de hautes charges ne renonçaient pas à un minimum de coutumes italiennes, même dans un camp militaire. Il n’existe aucune connaissance claire sur l’équipement intérieur des maisons : on n’en a gardé le plus souvent que le plan des fondations, mais il ne reste rien des portes et fenêtres, de la distribution des cloisons ni des ornements des bâtiments. Si l’on tente une interprétation fonctionnelle des différentes salles, on se heurte également à leur mauvais état de conservation. Il est surtout très rare que l’on puisse déterminer aussi distinctement qu’à Inchtuthil les salles de service, sans doute disposées dans la partie avant de la maison. 2.6 Les casernements 137 MICHEL REDDÉ 138 La disposition des casernements dans un camp fixe, sous l’Empire, emprunte une partie de ses conceptions à l’organisation d’un camp de marche, telle que nous la décrivent, chacun pour son époque, Polybe (VI, 27-31) et ps.-Hygin : il s’agit en effet de placer les unités de base que sont les centuries de manière à permettre des circulations efficaces et rapides à l’intérieur du camp et de les regrouper avec les autres centuries qui appartiennent à la même cohorte. Le système suppose donc une bonne division de l’espace et une bonne organisation des voies. Sachant d’autre part que les officiers de troupe ne sauraient être séparés de leurs hommes, il convient de disposer leur cantonnement près de celui des soldats ; en outre, on doit se souvenir que, depuis l’époque républicaine, les centuries sont normalement groupées par deux en manipules. Enfin, il faut tenir compte du fait que les hommes de troupe gardent avec eux leur équipement et leur armement, dont ils sont propriétaires et dont ils peuvent 173 avoir besoin à tout moment : pas question, par conséquent, de le ranger chaque soir dans un magasin central. 139 Ces principes expliquent l’organisation de base d’un camp romain, qu’il soit fixe ou temporaire : chaque manipule occupe normalement une bande de terrain (striga), dans laquelle se logent deux centuries en vis-à-vis, avec une ruelle médiane (fig. 18). Les cantonnements –qu’il s’agisse de tentes ou de baraquements– sont disposés les uns à côté des autres de manière à ouvrir sur cette ruelle, les quartiers de chaque officier étant situés à l’extrémité de chaque rangée. Les tentes de toile qui, avec leurs cordes, ressemblent à un papillon, portent le nom évocateur de papilio, qui s’est transmis aux logements en dur, encore que le langage militaire emploie plus volontiers le mot de contubernium, dont les soldats ont fait contubernalis, que l’on retrouve dans les inscriptions et qui désigne le “copain de piaule”. Dans une centurie de quatre-vingts hommes –effectif normal sous l’Empire–, on compte en général une dizaine de chambrées, soit huit hommes par contubernium. Les armes –et les bagages– sont placées devant chaque logement, en faisceau s’il s’agit de tentes, dans une sorte d’auvent s’il s’agit de baraquements permanents, d’où leur nom d’arma. Le centurion –sans doute avec les sous-officiers– occupe une tente ou une baraque plus grande à l’extrémité de la rangée (fig. 82). En théorie, si l’on en croit Hygin, chaque type d’unité reçoit un espace différent selon sa nature : un légionnaire disposerait ainsi de plus de place qu’un auxiliaire, mais la réalité archéologique est souvent bien différente, comme on va le voir. FIG. 82 Schéma théorique d’un bloc de casernement (Johnson 1987, fig. 127). 140 Ce schéma général explique l’architecture des baraquements qui ressemblent à de grands hangars allongés, divisés en pièces doubles –antichambre et chambre–, ouvrant toutes dans le même sens et souvent précédées par un portique, comme celles qui ont été reconstituées à la Saalburg (fig. 83). On observera que, mis à part les voies, les bâtiments communs à l’ensemble de l’unité ou les logements d’officiers, l’essentiel de l’espace est réservé aux cantonnements de la troupe et qu’il ne reste donc pas d’espace disponible dans le camp. Les différents plans qui nous sont parvenus montrent toutefois des dispositions et des techniques architecturales très variables selon l’époque et la nature de la troupe. 174 FIG. 83 Casernements reconstitués à la Saalburg : a au premier plan, le quartier du centurion ; b ruelle entre deux blocs ouverts par des portiques donnant sur les chambrées ; c baraque vue de l’extérieur. clichés M. Reddé. 141 On commence ainsi à savoir distinguer, dans les castella auxiliaires, les casernements des fantassins et ceux des cavaliers. Le réexamen de plans anciens, à la lueur de fouilles nouvelles sur le mur d’Hadrien, permet aussi de mieux comprendre une partie des “anomalies” architecturales observées jusqu’à présent (Hodgson & Bidwell 2004). 2.6.1 Les casernements des camps de la conquête 142 Des camps temporaires ou des camps de marche, rien ne nous est parvenu si ce n’est de manière exceptionnelle ; ainsi ce fragment de tente en cuir retrouvé à Alésia dans un des fossés du camp A, et qui correspond à ce que nous savons des autres tentes militaires romaines (Van Driel-Murray 2001) ; plus fréquentes sont en revanche les “sardines” métalliques découvertes dans d’assez nombreux sites militaires, alors que les piquets de bois sont évidemment rarissimes. L’absence de dispositif intérieur visible ou repérable dans un camp militaire romain ne doit toutefois pas faire automatiquement conclure au fouilleur qu’il se trouve face à un camp temporaire “de marche” : il peut s’agir tout autant d’un camp d’exercice (campus) ou d’un “exercice de camp”, c’est-à-dire d’une construction sans autre fonction que de maintenir l’entraînement des troupes, comme nous en connaissons de multiples exemples, surtout en Grande-Bretagne, à Llandrindod Common notamment. 143 Si l’on excepte les exemples espagnols d’époque républicaine, qui montrent pourtant une disposition des casernements qui annonce celle de l’Empire, notamment à Renieblas, les camps de la conquête augustéenne en Germanie (Nimègue, Dangstetten, Oberaden, Rödgen, Anreppen) ont livré des dispositifs singuliers (fig. 84) : on y 175 observe en effet des baraques isolées en bois, groupées par paires, à l’extrémité de rangées où l’on ne reconnaît pas de constructions mais des files plus ou moins régulières de dépotoirs. Quelques rares alignements de poteaux, parfois incomplets, des drains longitudinaux ou transverses, viennent compléter l’ensemble. Cette disposition singulière a reçu une tentative d’explication de la part de J.‑M. Morel (1991), qui suggère l’existence concomitante de baraques en bois pour les centurions et de tentes pour les hommes, à une époque où les cantonnements n’étaient pas encore considérés comme permanents. Considérant la présence, universellement attestée dans les camps ultérieurs, de dépotoirs entre les rangées de casernements, les espaces libres devraient être considérés comme ceux des tentes. Allant plus loin, l’auteur évoque un texte d’Hirtius (BG VIII, 5) qui suggère que les tentes pouvaient être protégées en hiver par des abris de bois (<tecta> coniectis celeriter stramentis tentiorum integendorum gratia erant inaedificata, “sous des toits édifiés avec des moyens de fortune au-dessus des tentes pour protéger celles-ci”). Bien que la pratique de l’hivernage sous tente soit exceptionnelle (Baatz 1985), cette hypothèse pourtant séduisante n’a pas reçu une approbation unanime. FIG. 84 Plans comparés de différents casernements légionnaires d’époque augustéenne. 2.6.2 Les casernements permanents 144 Pour l’essentiel, et jusqu’à une date très tardive, les baraquements ont été construits en structures de bois, avec des variations techniques qui alternent la construction sur poteaux et sur sablières basses (fig. 84, 85), voire qui mêlent les deux. On trouve dès le milieu du Ier s. des soubassements en pierre, mais toujours avec des élévations de bois ou de colombages et ce n’est probablement qu’à partir du IIe s. que cette technique s’est 176 généralisée (Davison 1989) sans que l’usage exclusif du bois ait peut-être jamais cessé (Hodgson & Bidwell 2004). FIG. 85 Baraquements de Valkenburg : a plan du 1er état ; b vue de la fouille ; à gauche la chambrée (papilio), à droite l’antichambre (arma) ; entre les deux, emplacement du foyer ; c technique de construction des murs (Johnson 1987, 119, fig. 75). 177 FIG. 86 Camp légionnaire de Vindonissa. Fouille d’une caserne avec le logement du centurion au premier plan et les baraques des soldats en arrière plan. 145 Peu de baraquements bien conservés ont été fouillés intégralement et de manière moderne. Il est difficile dans ces conditions de décider de l’existence d’un vide sanitaire isolant, voire simplement de la nature réelle du sol : on rencontre aussi bien du sable que de la terre battue, mais aussi des sols en parquet ou en dur, parfois des dalles de pierre ; est-on certain, dans les premiers cas, que l’on n’avait pas affaire à un vide sanitaire ? Des éléments de fenêtre ont été assez souvent retrouvés, avec des petits carreaux de quartz sertis dans des grillages de fer. Les toits pouvaient être en bois –le plus souvent–, mais aussi en tuiles. On observe assez régulièrement au sol la trace d’un foyer dans la chambrée et les fouilles de Heidenheim (Rétie) ont permis de reconstituer la présence de cheminées avec, de part et d’autre, des étagères de bois (fig. 87). Les murs étaient normalement chaulés, comme l’attestent les nombreux restes d’enduit blanc retrouvés çà ou là. 178 FIG. 87 Reconstitution d’une chambrée (Johnson 1987, fig. 31). dessin D. Baatz. 146 Pour le couchage, des lits gigognes ou superposés probablement, car la place était faible pour huit hommes (fig. 88) : en effet, même si l’espace dans les camps permanents était plus grand que dans les tentes, auxquelles ps.-Hygin accorde environ 10 x 10 pieds (soit 9 m2), il restait étroit, notamment dans les camps précoces, et ce n’est qu’assez progressivement qu’il a été moins chichement accordé, atteignant –en moyenne– 21 à 25 m2 par chambrée ; c’est loin d’être luxueux, d’autant qu’il fallait encore la place de circuler, de mettre une table, des étagères, et que les soldats préparaient là leur cuisine, à l’exception du pain. Toutefois, on connaît trop mal encore l’agencement interne des pièces pour être certain que l’usage du lit gigogne était généralisé (Hodgson & Bidwell 2004). Dans un certain nombre de cas, des caves ont été retrouvées sous les baraques, notamment à Welzheim où elles contenaient sans doute différents ustensiles et les provisions des hommes. À cela il fallait évidemment ajouter la place réservée dans l’antichambre pour les bagages et les armes, soit environ moitié moins que l’espace de la chambrée proprement dite. Il s’agit là de proportions moyennes qui peuvent subir des écarts importants. À Lorch, toutefois, sur le limes extérieur, l’antichambre semble avoir été à un moment donné pourvue d’un foyer (fig. 90), ce qui témoigne du fait que l’espace n’était plus occupé comme magasin (Stork 1988). On constate presque toujours, dans la ruelle qui sépare les blocs de centurie, voire sous l’antichambre, la présence de petits dépotoirs alimentaires, qui montrent que la discipline pouvait être moins stricte qu’on ne l’imagine souvent... 179 FIG. 88 Reconstitution d’une chambrée à la Saalburg. 147 On a parfois voulu estimer la nature d’une troupe d’après le plan de ses baraquements (Breeze & Dobson 1974) : c’est sans doute une gageure car on constate assez souvent la présence de pièces surnuméraires à l’opposé du logement de l’officier –voir par exemple les cas de Vetera, de Nimègue ou de Hofheim. Rangements spécifiques pour les bagages ? Centuries plus nombreuses ? Logements pour les petits gradés ? Etables ? On ne le sait pas vraiment. Seule la première cohorte, double, et la plus prestigieuse, semble avoir bénéficié de conditions de vie plus favorables, avec un espace plus important (fig. 89). On constate au demeurant d’assez fréquents remaniements dans ces édifices, comme c’est le cas à Vindonissa ou à Valkenburg, où les différents états des baraquements semblent prouver des réorganisations dans le corps de troupe. Il est évident que les légionnaires étaient mieux dotés que les auxiliaires et que les hommes des numeri –tels les Bretons de Hesselbach– bénéficiaient d’une place encore plus réduite : une comparaison de différents plans, mis à la même échelle, permet de s’en convaincre aisément (fig. 90). Les quelques cantonnements de cavaliers qui ont pu être identifiés montrent une bipartition différente de celle des fantassins, les chevaux étant installés en façade, sur la ruelle, tandis que les hommes occupaient la chambre arrière (cf. ci-dessous le chapitre 2.12. et fig. 114). Seuls les valets (calones) occupaient probablement l’espace sous le toit (Hodgson & Bidwell 2004). On soulignera les particularités, très exceptionnelles, des baraquements de la flotte à Cologne/Alteburg (fig. 90), où les antichambres sont divisées de manière différente des contubernia, ce qui laisse supposer une entrée commune à deux chambrées et un véritable magasin fermé pour chacune d’elles. 180 FIG. 89 Casernements de la 1re cohorte de Nimègue (Petrikovits 1975, fig. 3). FIG. 90 Plans comparés de différents casernements légionnaires et auxiliaires des Ier et IIe s. 148 Seuls les centurions semblent avoir disposé d’une place et d’un confort plus importants, si l’on en croit le plan et la décoration de leurs quartiers, plus semblables à une 181 véritable demeure individuelle, avec plusieurs pièces et probablement des cours intérieures (Hoffmann 1995). Encore faut-il se souvenir qu’ils hébergeaient probablement une partie au moins de leurs principaux subordonnés, peut-être aussi leurs serviteurs. Leurs commodités étaient aussi plus grandes : hypocaustes, latrines, canal d’évacuation des eaux usées –comme à Walheim–, mais aussi décoration parfois quasi luxueuse, comme celle que nous révèlent les peintures d’Echzell, surprenantes dans un tel milieu (pl. H.T. I-II). 2.7 Les entrepôts 149 MICHEL REDDÉ 150 Sous l’Empire, l’importance des besoins alimentaires de l’armée romaine était considérable : contrairement à une opinion reçue, la frugalité n’était la règle que lors des campagnes. Il faut résolument abandonner l’idée du rude légionnaire faisant son ordinaire d’un brouet Spartiate qui le tiendrait à l’écart des tentations émollientes de la vie urbaine et exacerberait sa vigueur combative. Le renouvellement des techniques archéologiques a largement montré, ces dernières années, l’importance de la consommation de viande, en particulier du porc, dans l’alimentation du soldat, au moins en Occident. De même, on soulignera la fréquence des produits importés du monde méditerranéen, voire oriental, dans les contextes militaires dès l’époque de la conquête : huile, vin etgarum bien sûr, mais aussi olives, figues, raisins, coriandre, poivre et autres épices. Les salaisons ou les conserves de poisson sont bien attestées, ainsi que les huîtres, abondantes sur la plupart des sites militaires. Enfin, on ne manquait évidemment pas de consommer légumes et fruits produits localement, comme le montrent, de plus en plus fréquemment, les études des macrorestes végétaux issus des dépotoirs militaires. La base de l’alimentation restait évidemment le blé – beaucoup plus que l’orge–, nécessaire à la fabrication du pain, cuit dans des fours collectifs, ou à la préparation dans les chambrées de bouillies agrémentées de légumes. On estime ainsi à environ 300-350 kg la ration annuelle de blé d’un légionnaire, soit une nécessité de 1 500 à 1 750 t par an pour une légion entière. Sans entrer ici dans le détail de l’organisation logistique (Davies 1989 ; Remesal 1986a ; 1986b ; Roth 1999) ni de l’alimentation proprement dite (Junkelmann 1997), on soulignera la qualité du niveau de vie des soldats, souvent supérieur à celui des civils, et les besoins de stockage qu’entraînait cette consommation, d’autant que, si l’on en croit Tacite (Agricola XXII, 2-3), chaque fort avait une capacité de ravitaillement pour une année entière, affirmation probablement exagérée pour les besoins du panégyrique qu’il dresse à son beau-père, mais qui témoigne d’une certaine réalité. 151 Deux grands types de greniers apparaissent dans les forts militaires : 152 – type 1 : les constructions sont constituées d’un seul bloc, généralement rectangulaire, et installées sur des fondations qui permettent la création d’un vide sanitaire, avec une ventilation par-dessous (fig. 92-93) ; 153 – type 2 : les entrepôts sont centrés autour d’une cour ou éventuellement disposés de part et d’autre d’un couloir central si la place est plus limitée, et construits de plainpied (fig. 95-96). Quoique les Modernes appellent généralement horreum le premier type pour le distinguer du second, auquel on réserve plus volontiers le nom de “magasin” dans les publications spécialisées, il est certain que le vocable latin s’applique aux deux 182 types de bâtiment, si l’on en croit les dénominations du plan de marbre sévérien de Rome ou la réalité archéologique d’Ostie (Rickman 1971). D’une manière générale, on doit considérer que le second type n’offre pas de véritable spécificité architecturale par rapport aux modèles civils connus dans la capitale de l’Empire ou son port, encore que l’on rencontre, dans ce dernier lieu, des magasins à cour mais à plancher surélevé, ce qui ne semble pas être le cas dans les camps militaires. En revanche, le premier type semble plus spécifique aux besoins de l’armée, notamment dans l’Europe du Nord, où il fallait lutter contre une forte humidité. On le rencontre toutefois déjà à Numance, dans le camp d’EI Castillejo. L’un et l’autre type architectural peuvent être édifiés tantôt en bois ou tantôt en pierre, selon l’époque (Manning 1975 ; Gentry 1976 ; Petrikovits 1975 ; Johnson 1987). 154 Les entrepôts sont le plus souvent situés dans la praetentura, à proximité des portes ou le long des grandes voies, notamment la via sagularis, ce qui s’explique par la nécessité de transporter facilement des matériaux pondéreux. C’est du moins l’impression que l’on retire de l’examen des sites où les recherches archéologiques ont livré ce type de bâtiment, mais on sait combien rares sont les camps fouillés exhaustivement, ce qui fait que l’on ne connaît pas l’emplacement de tous les horrea. On se référera tout particulièrement, de ce point de vue, aux exemples d’Anreppen, de Nimègue, de Neuss, de Bonn, de Windisch, d’Oedenburg, de Hofheim, de la Saalburg; il existe toutefois des variantes : à Niederbieber ou à Wiesbaden, les horrea sont situés dans la retentura, sur le côté des principia, mais ouvrent sur la via principalis, ce qui ménage un accès facile ; à Okarben, ils sont installés derrière les principia, mais à l’extrémité de la via decumana. A Aulnay, en revanche, ils semblent installés le long de la via quintana. À Anreppen, les fouilles récentes ont révélé l’existence de cinq grands entrepôts regroupés au nord-est du camp, près de la porte orientale, et séparés du reste des bâtiments par un fossé et une palissade (Kühlborn 2005) (fig. 91). Il faut souligner que même de très petits fortins, comme Hesselbach, sont pourvus d’entrepôts, et que de grands camps légionnaires comme Mirebeau peuvent disposer aussi d’entrepôts externes. S’agissant des horrea du premier type, on observera parfois leur doublement (ainsi à Bonn, à Neuss ou à la Saalburg) ou leur proximité avec un magasin à cour du deuxième type (ainsi à Dangstetten, Neuss, Oedenburg). Les horrea du premier type (fig. 92) sont des bâtiments rectangulaires d’une taille variable, qui est fonction de la nature et de l’importance du corps de troupe : de 17 à 24 m de long pour 8 à 9 m de large en moyenne, mais avec des écarts sensibles puisque l’horreum A de Rödgen mesure 47 x 30 m, ceux de Niederbieber 53 x 16 m, l’horreum sud d’ Anreppen 68 x 56 m, tandis que celui d’Oedenburg mesure entre 9 et 12 m de long pour 4 m de large. Lorsqu’ils sont construits en bois, ils reposent sur une forêt de poteaux serrés, soit individualisés soit implantés en tranchées, sans que les fouilles aient toujours pu ou su identifier l’emplacement même des bois et distinguer les tranchées de fondation des traces de tirants destinés à lier les piliers porteurs par la base. La distance entre ces poteaux est normalement de 5 pieds (environ 1,50 m), avec une disposition qui est le plus souvent parallèle au grand axe, mais qui peut parfois être perpendiculaire (la Saalburg, Oedenburg, Hofheim). C’est sur cette forêt de pieux –généralement circulaires– que reposait, à moins d’un mètre de hauteur, le plancher du grenier. À Oedenburg, les fouilles ont observé des fondations plus puissantes aux angles et au milieu des grands côtés. L’entrée se faisait certainement sur l’un des petits côtés, par l’intermédiaire d’une rampe, sans que le dispositif de celle-ci ait pu être systématiquement observé, notamment dans les provinces germaniques ; des portiques 183 d’accès ont toutefois été observés à Bonn ou à Hofheim. Pour l’élévation, on reconstitue généralement des parois en bois avec sans doute des fenêtres à claire-voie (fig. 93) et un toit en faîtière, probablement en matériau léger –bois. On ignore en revanche généralement tout d’un éventuel cloisonnement interne. L’essentiel du dispositif architectural reposait sur une bonne ventilation, destinée à éviter l’humidité. FIG. 91 Les horrea près de la porte orientale d’Anreppen (Kühlborn 2005, 125). FIG. 92 Horrea du type "sur poteaux porteurs" (type I). 184 FIG. 93 L’horreum en bois : a reconstitution du Lunt (Baginton, West Midlands, Angleterre) [cliché M. Reddé] ; b coupe théorique d’après les vestiges de Rödgen (Schönberger & Simon 1976, fig. 8). 155 C’est un dispositif très proche qui est assez souvent reproduit dans les constructions en pierre (Neuss, Bonn, Nimègue, Windisch, Niederbieber, la Saalburg) [fig. 92, 94], Dans le cas de Niederbieber, les poteaux porteurs sont restés en bois, tandis que les murs latéraux étaient construits en dur. Il est possible que les sols, dans ces cas-là aussi, aient été constitués par un plancher, encore que l’on suppose généralement l’existence de dalles de pierre ; l’existence de divisions intérieures en bois est possible mais mal documentée. On observe toutefois, le plus souvent, un renforcement des parois latérales par des piliers de contrefort, signe possible d’élévations plus grandes –à deux étages ?– et d’une couverture de tuiles. Qu’ils soient en bois ou en pierre, il paraît clair que ces greniers avaient pour fonction de stocker des céréales, en vrac ou plus probablement en sacs, ce qui explique à la fois la nécessité d’une bonne ventilation et de supports solides, compte tenu du poids que représentaient les grains. 185 FIG. 94 L’horreum en pierre : a coupe théorique (Gentry 1976, fig. 1) ; b reconstitution (Johnson 1987, fig. 114). 156 Il n’en va sans doute pas de même des magasins du type “à cour” où l’on pouvait entreposer des produits tout différents, sans doute non périssables (fig. 95) : on a ainsi retrouvé à Camuntum des boulets, à Lambèse des balles de fronde (Petrikovits 1975, 82, n. 100). On entrait classiquement dans une cour qui distribuait, le plus souvent par l’intermédiaire d’un portique, l’espace périphérique divisé en petites pièces rectangulaires. Le même dispositif se retrouve dans des constructions en bois (Oedenburg, Walheim II : bâtiment F) ou en pierre (Nimègue, Neuss, Windisch, Bonn, Rottweil III), avec parfois des redondances architecturales en différents points du camp, notamment à Neuss et Windisch. 186 FIG. 95 Magasins à cour centrale (type II). 157 Quelques cas particuliers doivent être notés : à Rödgen, à Anreppen, à Walheim, l’importance et le nombre des entrepôts par rapport à la taille générale du camp font de ces camps des cas d’exception, tout comme à South Shields, vers l’extrémité orientale du mur d’Hadrien, où le nombre des greniers a été multiplié à l’époque de l’expédition britannique de Septime Sévère. On est donc là probablement face à des bases arrière destinées au ravitaillement de troupes en campagne, non à des entrepôts classiques. 158 D’un point de vue architectural, des exceptions existent aux deux grands types définis ci-dessus (fig. 96) : c’est le cas à Dangstetten, où l’espace n’est pas distribué par une cour centrale mais apparemment par un couloir médian ; à Walheim II, les bâtiments H et G sont considérés comme des horrea, et ils offrent bien une forme rectangulaire, mais sans présenter le dispositif caractéristique des supports de plancher ; à Wiesbaden, le bâtiment A comprend un hypocauste destiné au séchage des grains et doit être compris comme un bâtiment de stockage, lui aussi distribué par un couloir médian. À Rottweil III également, les pièces situées à l’extrémité comprennent des hypocaustes, dont on ne sait s’ils étaient destinés à chauffer un local administratif ou à sécher les céréales. À Hesselbach, le bâtiment 7, dans la partie droite de la praetentura, correspond lui aussi probablement à un petit horreum à couloir central, bien que l’interprétation reste incertaine. 187 FIG. 96 Autres types de magasins. 159 On citera enfin le cas, extrêmement curieux, des bâtiments récemment mis au jour à Melun, dans ce qui pourrait être aussi une base de ravitaillement tardo-républicaine située sur la Seine (fig. 97) : on y reconnaît en effet de grands bâtiments allongés, d’un type inconnu, ouverts sur la rue par l’intermédiaire d’un portique, avec des divisions internes montrant des rangées de pièces parallèles séparées par des cloisons et un toit en faîtière soutenu par des piliers médians. L’interprétation de ces constructions de bois comme horrea est incertaine, mais nous n’en voyons guère d’autre possible. FIG. 97 Melun, hôtel du département de Seine-et-Marne : structures de magasins ? dessin J. Galbois. 188 2.8 Fabricae et autres installations de production 160 MICHEL REDDÉ 161 Le soldat romain n’est pas seulement un combattant ; l’armée se doit en effet de préserver son autonomie en matière d’équipements, particulièrement en campagne où il ne peut être question de dépendre totalement de lignes de ravitaillement étirées et aléatoires. C’est pourquoi il est nécessaire de disposer, même dans un camp de marche (ps.-Hygin 4 ; Josèphe, BJ III, 83), d’au moins un atelier fabrica) pour produire et réparer l’armement et l’équipement militaire, les véhicules, les matériaux de construction, assurer certaines productions nécessaires au ravitaillement de la troupe. Ces tâches peuvent au demeurant être effectuées, hors contexte opérationnel, au profit de l’administration impériale ou de la population civile. On rencontre ainsi, au sein d’une unité légionnaire, de nombreux techniciens (fabri), très divers, généralement exempts de corvées (immunes), à l’origine sous les ordres d’un officier équestre, le praefectus fabrum (Sander 1962 ; Dobson 1966). Végèce (II, 11) et le Digeste (L, 6, 16) en donnent une liste surabondante où l’on rencontre aussi bien des armuriers de spécialités diverses que des maçons, des charpentiers, des verriers, des forgerons, des tanneurs, des cordonniers, des bouchers... (Johnson 1987). Des techniciens existaient aussi, mais moins nombreux et sans doute moins variés, au sein des corps auxiliaires. De fait, les grands ateliers se rencontrent essentiellement dans les camps légionnaires, qui servaient probablement de centres spécialisés régionaux, ou dans certains castella auxiliaires qui jouaient un rôle identique. Ailleurs, on se contentait de petites installations de réparation à l’intérieur des fortins, en faisant appel aux fabricae légionnaires pour le gros des besoins (Bishop 1985b). C’est ainsi que l’on a cru pouvoir identifier de petits ateliers à l’extrémité des baraques de Valkenburg. On n’oubliera pas, en outre, que nombre d’activités industrielles, notamment les plus polluantes, étaient effectuées dans les vici militaires, hors les murs des camps. 2.8.1 Fabricae 162 Différentes fabricae ont été identifiées à l’intérieur des camps légionnaires, le plus souvent en raison des scories, des battitures ou des outils qui y ont été découverts et non en raison de la spécificité de leur plan qui ne répond guère à un modèle (fig. 98). 189 FIG. 98 Plans comparés de différentes fabricae. 163 Les premières remontent à l’époque de la conquête et sont implantées dans des camps en terre et en bois (Dangstetten, Haltern), d’autres sont connues à l’époque julioclaudienne (Vetera) ou sont postérieures (Nimègue, Vindonissa, Bonn, Neuss). Plusieurs camps auxiliaires ont en outre révélé des complexes assez importants dès l’époque julio-claudienne (Hofheim) ou plus tard (Wiesbaden : fig. 99b). Mais l’absence de fouilles systématiques sur la plupart des camps du limes ne permet pas de connaître la nature des installations industrielles de chaque camp, quand bien même celles-ci existaient. 190 FIG. 99 Plans de fabricae (Schönberger 1979, fig. 2) : a Valkenburg ; b Wiesbaden. 164 Nos connaissances ont d’ailleurs peu progressé depuis les deux synthèses effectuées par H. von Petrikovits et A. Johnson, dont nous nous contenterons de reprendre les principales conclusions (Petrikovits 1975 ; Johnson 1987). Au demeurant, les fabricae les mieux connues sont situées hors de notre zone d’étude, à Inchtuthill, fort de la conquête d’Agricola, dont l’atelier a livré environ un million de clous neufs de différentes tailles, soit à peu près douze tonnes de métal (Pitts & St. Joseph 1985), ou à Oberstimm, fort auxiliaire du limes de Rétie (Schönberger 1978). 165 Si l’on croit le passage déjà cité du ps.-Hygin, la fabrica du camp de marche devait être installée loin de l’hôpital, pour préserver la tranquillité des malades. En fait, dans les camps que nous connaissons, les fabricae peuvent être situées aussi bien à l’intérieur même du camp (Dangstetten, Haltern, Vetera, Hofheim) que contre le rempart même (Neuss, Bonn, Nimègue). À Vhidonissa, les deux fabricae qui ont été reconnues sont implantées à l’intérieur du camp, mais en bordure de l’intervallum. On n’oubliera pas, enfin, que les voies des camps, notamment les grands axes, peuvent être bordées de tabernae, dont certaines avaient probablement des fonctions industrielles. 166 On distingue aisément plusieurs types d’ateliers (fig. 98) : une forme très simple –un rectangle de 6,50 x 4,00 m, avec un foyer et un portique sur deux côtés– apparaît ainsi à Dangstetten ; mais il s’agit là d’un camp très précoce, installé sans doute pour une brève période. Les fabricae installées au revers du rempart, le long de l’ intervallum, présentent par nécessité, compte tenu de la place disponible, un plan allongé à plusieurs nefs parallèles (Nimègue), avec éventuellement une aile perpendiculaire à chaque extrémité (Bonn, Neuss 1). Un type particulier apparaît à Vindonissa 1 où l’on observe, du côté oriental, un bâtiment rectangulaire (40 x 30 m) à corridor central donnant de part et d’autre sur une halle avec piliers médians. Dans ce dernier cas, 191 toutefois, l’identification comme atelier n’est pas démontrée par le matériel archéologique. La forme la plus développée se rencontre à Vetera, Haltern, Neuss 2, Vindonissa 2 (arsenal) et Hofheim, où l’on rencontre un bâtiment très complexe, qualifié par H. von Petrikovits de Basartyp, organisé autour d’une cour intérieure, avec un grand nombre de divisions internes qui doivent correspondre à autant d’ateliers distincts. Les dimensions sont considérables à Vetera (125,40 x 95,40 m), malheureusement fouillé trop tôt pour avoir été convenablement observé dans le détail. Il ne semble pas, en revanche, que l’on rencontre en Germanie le type “en U”, connu à Inchtuthill et à Lambèse, et où l’on reconnaît une série de galeries longitudinales organisées autour d’une cour centrale (Petrikovits 1975). 167 Deux cas importants, au moins, sont controversés : à Valkenburg (fig. 99a), dans l’angle sud-est du camp, apparaît un grand bâtiment de la période 1 centré autour d’une cour qui contient un réservoir d’eau ; il en va de même à Wiesbaden, (fig. 99b) au flanc nord des principia. C’est essentiellement la fouille d’Oberstimm en Rétie (fig. 100a), où apparaît un plan très voisin, et où H. Schönberger (1978) a reconnu à juste titre une fabrica, qui a conduit cet auteur à proposer une interprétation identique pour Valkenburg (1979) et même pour une phase tardive de Wiesbaden, rejoignant ainsi l’interprétation ancienne d’E. Ritterling (ORL B, II, 3, no 31). FIG. 100 La fabrica d’Oberstimm (Schönberger 1978, 16, 19, 23) : a plan ; b reconstitution du réservoir en bois ; c reconstitution de la chambre de fumage. 168 La fouille d’Oberstimm a en effet révélé, à côté d’un praetorium localisé derrière les principia, et organisé autour d’une cour intérieure à péristyle, une incontestable fabrica dans la retentura, à l’angle sud-ouest du castellum. Cet atelier, qui appartient à l’époque claudienne (phase 1b), est bien identifié grâce au matériel et aux installations qui y ont été découverts. Il est organisé autour d’une cour à péristyle au centre de laquelle on reconnaît un réservoir assez profond avec un coffrage de bois, lui-même alimenté par 192 une conduite également en bois, qui amenait l’eau puisée à l’aide d’une roue depuis l’extérieur du fortin (fig. 100b). Un puits est en outre visible dans la pièce 1. La pièce 2 abritait un four, la pièce 4 une chambre de fumage pour les salaisons (4,40 x 3,00 m), profondément enterrée dans le sol, construite en briques crues, progressivement cuites par le foyer situé au centre (fig. 100c). 169 Selon H. Schönberger, c’est la présence d’une vaste citerne profondément enterrée au centre de la cour qui distingue ce bâtiment du praetorium, où un réservoir d’eau n’est pas nécessaire. Par voie de conséquence, la même caractéristique, rencontrée à Valkenburg, devrait conduire à identifier le “praetorium” comme une véritable fabrica (Schönberger 1979), mais cette opinion n’est pas unanimement partagée. De même, le praetorium de Wiesbaden qui présente un vaste réservoir au centre de sa cour, selon un plan très proche de celui d’Oberstimm, aurait, selon H. Schönberger, été transformé dans un second temps en atelier. 2.8.2 Autres installations de production 170 Il ne semble pas que l’on ait trouvé, à l’intérieur même des camps, des ateliers de potier. Ceux-ci sont en revanche très nombreux à l’extérieur, dans les vici, dès l’époque de la conquête –par exemple à Haltern. On rencontre en revanche de nombreux fours à pain, installés sur le revers du rempart, le long de l’intervallum. C’est la Saalburg qui en a fourni le plus grand nombre, environ une cinquantaine, de forme approximativement circulaire (diam. entre 1,50 et 2,00 m), surmontée d’une coupole (fig. 101, 102). La maçonnerie était en argile cuite sur une fondation de pierres et était protégée par de petits auvents de bois dont les poteaux porteurs ont laissé des traces dans le sol. Une reconstitution expérimentale (fig. 101b) a permis d’en tester l’usage et la productivité, qui se monte à une soixantaine de pains par fournée, suffisamment sans doute pour nourrir journellement une centurie d’un seul coup (Junkelmann 1997, 134-136). À Strasbourg, les fouilles récentes du Grenier d’Abondance ont révélé l’existence d’une batterie de dix fours (diam. 1,20-1,70 m) disposés en U autour d’un accès unique sur la via sagularis et protégés eux aussi par un abri sur poteaux couvrant l’ensemble. Un autre bon exemple de boulangerie militaire est connu à Stockstadt am Main, en Germanie supérieure, où les fouilles dans la retentura, mais près de la via sagularis, ont mis au jour un petit complexe associant deux fours en tuiles, là aussi couverts par un auvent, et un bâtiment en pierre qui comprenait deux moulins à grains et un puits à une de ses extrémités, ainsi que d’autres pièces de service (fig. 103). 193 FIG. 101 Fours de la Saalburg : a vestiges mis au jour (cliché Saalburg-Museum, Bad Homburg) ; b reconstitution. cliché M. Reddé. FIG. 102 Profil théorique des fours et des auvents adossés au rempart de la Saalburg (Junkelmann 1997, fig. 71). 194 FIG. 103 Boulangerie de Stockstadt am Main (Johnson 1987, fig. 148). 171 Il n’existe apparemment, en dehors de ces fours qui étaient peut-être affectés centurie par centurie, aucune installation collective pour les repas de la troupe –cuisines, réfectoires–, la nourriture étant préparée dans chaque chambrée par les hommes euxmêmes, qui disposaient d’un petit foyer dans leur contubemium et broyaient très souvent leur grain à l’aide de meules individuelles, dont de nombreux exemplaires ont été retrouvés (Junkelmann 1997). Cette pratique de la préparation culinaire “par chambrée” explique au demeurant l’abondance des reliefs culinaires et des petites fosses-dépotoirs découvertes dans les ruelles séparant les rangées de baraques, voire sous les casernements eux-mêmes. 2.9 Valetudinarium 172 MICHEL REDDÉ 173 Le métier des armes suppose la possibilité de blessures ; la vie dans les camps, où les gradés ne sont pas tendres et où le centurion “cogne” volontiers, une hygiène relative – mais qui est celle de ce temps–, une diète souvent déséquilibrée –même si elle est meilleure que celle des civils– ont en outre leurs rigueurs, qui conduisent à de fréquentes pathologies, et nous savons par la documentation papyrologique que le nombre des soldats indisponibles pour raison sanitaire était comparable, dans l’Antiquité, à celui des troupes coloniales modernes : dans les O. Bu Njem, tous les rapports journaliers comptabilisent un nombre de malades qui s’élève en moyenne à 5,3 %, avec des pics à 12 %, et des saisons intermédiaires particulièrement néfastes : automne et printemps ; en dehors de quelques cas chroniques, le roulement de l’effectif montre l’existence d’indispositions légères qui justifient des hospitalisations temporaires (Marichal 1992) ; ailleurs, notamment au Mans Claudianus, où les conditions de vie étaient plus rudes, ces séjours sanitaires pouvaient être beaucoup plus longs et atteindre parfois plusieurs mois ; un ostracon de Vindolanda (Bowman & Thomas 1994, no 154), dans le nord de la Bretagne, distingue les aegri (quinze malades) des volnerati 195 (six blessés) et des lippientes (dix qui souffrent d’une inflammation oculaire), soit trente et un au total, pour une population valide de deux cent quarante-cinq hommes (12,6 %). La présence d’un hôpital militaire (valetudinarium) dans chaque camp, sous la direction d’un optio valetudinarii, était donc nécessaire : elle est bien attestée, même dans les camps de marche puisque le ps.-Hygin (4) situe ce bâtiment non loin de la porte prétorienne, sur la via sagularis. Elle suppose naturellement la présence d’un corps médical spécialisé, assez souvent d’origine grecque ou orientale (Davies 1989) ; on connaît ainsi différents medici, tant auprès des corps auxiliaires que des légions, des capsarii –sans doute des infirmiers, qui tirent leur nom de la boîte (capsa) contenant les pansements– des chirurgi et des oculistes. 174 D’un strict point de vue archéologique, seuls certains camps légionnaires ont révélé des installations que l’on peut considérer avec certitude comme des hôpitaux (fig. 104) : il s’agit toujours de grands bâtiments rectangulaires centrés autour d’une cour, avec un couloir médian dans chaque aile pour distribuer, de chaque côté, des rangées de chambres, disposition qui ressemble étrangement à celle d’aujourd’hui. Les premiers exemples connus (Haltern, Vindonissa 1, Vetera 1) sont en bois, les suivants en pierre. Les dimensions générales varient sensiblement –de 48 x 45 m pour Vindonissa à 75 x 58 m pour Bonn–, et l’emplacement n’est pas fixe : contrairement à la disposition que décrit le ps.-Hygin, et à l’exception de Haltern, les valetudinaria sont le plus souvent implantés dans la retentura, mais sont situés sur la via principalis, près d’une porte (Vetera), sur la via quintana (Neuss), dans les latera praetorii (Bonn), au croisement de la via decumana et de la via quintana (Vindonissa). Les chambrées disposaient d’environ 4 à 5 m de long pour 3 m de large, ce qui permettait sans doute d’installer au moins trois malades (Petrikovits 1975). On observera, notamment à Neuss, la présence de petits couloirs perpendiculaires au grand corridor longitudinal et donnant accès chaque fois à deux paires de pièces. On reconstitue en général une prise de lumière et d’air par le haut des corridors centraux. Dans plusieurs hôpitaux (Vindonissa 2, Vetera 2, sans doute aussi Neuss) existait un grand hall sur l’une des ailes. A Vetera 2 (fig. 104, 105), celui-ci est divisé en trois nefs par des piliers et conduit, à chaque extrémité, à des pièces spécialisées –bains et toilette d’un côté, cuisine de l’autre. On croit reconnaître les salles d’opération dans les deux pièces situées entre ce hall et la cour. 196 FIG. 104 Différents hôpitaux légionnaires connus en Germanie. FIG. 105 Maquette de l’hôpital de Vetera (Rheinisches Landesmuseum, Bonn). 175 L’identification de ces différents bâtiments comme valetudinaria militaires était jusqu’à présent assurée par la comparaison architecturale entre les édifices retrouvés et celui de Neuss, où la découverte d’instruments médicaux et chirurgicaux témoignait de la fonction des lieux. Mais il faut bien avouer que la fouille souvent ancienne des constructions concernées ne permettait pas, jusqu’à présent, de connaître en détail leur architecture et leur fonctionnement. Il n’en est plus de même aujourd’hui grâce à la fouille du valetudinarium de Novae, en Mésie, qui a permis de préciser la fonction d’un 197 grand nombre de pièces (fig. 106) et d’intéressants détails architecturaux, comme la présence d’un sol de sable, d’enduits hydrauliques peints en rouge sur les murs, de fenêtres dans les plus grandes pièces, de probables salles d’opération, de latrines (Dyczek 1997). On estime ici à environ deux cent vingt le nombre de lits disponibles. Au milieu de la cour a été retrouvé un sanctuaire d’Esculape (Dyczek 1999). FIG. 106 Valetudinarium de Novae : a la cour ; b une chambre. reconstitutions P. Dyczek. 176 La situation est beaucoup moins claire pour les camps auxiliaires où de semblables bâtiments n’ont pas été réellement observés, notamment dans les provinces germaniques. Si nous sommes certains de la présence d’hôpitaux –en témoigne notamment l’ostracon de Vindolanda 154– et de l’existence d’un corps médical, attesté par de nombreuses inscriptions, des édifices identiques à ceux des camps légionnaires font pour l’instant défaut. On a tenté de reconnaître des valetudinaria dans des bâtiments allongés à couloir médian ou à cour centrale (fig. 107), mais A. Johnson a fait remarquer, à juste titre, que de tels édifices pourraient être aussi bien des greniers ou des fabricae (Johnson 1987). C’est ainsi que le bâtiment 17 de Hofheim (phase II), à côté des principia, est désormais considéré comme un magasin et non plus comme un hôpital. 198 FIG. 107 Hôpitaux auxiliaires ? (Johnson 1987, fig. 121). 2.10 Les thermes 177 MICHEL REDDÉ 178 La pratique du bain fait partie des habitudes fortement ancrées dans la mentalité romaine, y compris chez les militaires, même lorsqu’il s’agit d’auxiliaires cantonnés dans un milieu géographique à priori peu favorable à l’usage thermal : dans le désert oriental d’Egypte, où l’eau constitue une denrée rare et précieuse, les petits praesidia tenus par l’armée comprennent des balnéaires, si l’on en croit l’exemple des fortins de Maximianon (Al-Zarqa) et de Didymoi (Khasm el-Menih) [Cuvigny 2003]. Il en va de même au Mons Claudianus, en pleine montagne, où les thermes du fort n’étaient sans doute pas réservés à la garnison, mais utilisés aussi par l’abondante population ouvrière des carrières qui vivait là, mêlée aux soldats (Peacock & Maxfield 1997). À Bu Ngem, dans le désert de Tripolitaine, les ostraca attestent à plusieurs reprises de l’existence de corvées ad balneum, ad aqua balnei, ad ligna balnei (sic) [Marichal 1992]. On comprendra donc aisément que, dans des conditions géographiques beaucoup plus favorables, les camps et castella des provinces gauloises et germaniques aient révélé très fréquemment des ensembles thermaux, même si une publication d’ensemble sur cette question fait toujours défaut et si les spécificités de ces édifices n’ont été observées que par un très petit nombre de spécialistes. Notre propos n’est pas de traiter ici en détail la question des bains gallo-romains mais de rappeler quelques particularités des thermes militaires. 179 Observons tout d’abord, malgré ce qui vient d’être dit, que les camps précoces, sans doute parce qu’ils étaient construits en bois, éminemment inflammable, ne révèlent presque jamais de balnéaire dans l’enceinte même de la fortification. Ainsi, en Germanie inférieure, le premier exemplaire actuellement connu est réservé à l’hôpital de Neuss et n’est pas antérieur au règne de Néron. En Germanie supérieure toutefois, le grand ensemble thermal de Vindonissa est considéré comme claudien. Il est possible en revanche que de petites installations privées, utilisant des vasques transportables de bois ou de métal, aient existé dès l’époque augustéenne, sans doute à l’usage des officiers, notamment à Rödgen (Schönberger & Simon 1976 ; Hanel 2000). C’est donc sans doute à l’extérieur des camps qu’il faudrait chercher les thermes de cette période, 199 près des portes, selon un schéma bien attesté dans les vici militaires de Germanie supérieure à partir de la fin du Ier s. (Sommer 1988a) : on trouvera de telles installations à Oedenburg pour la période julio-claudienne, ou à Krefeld/Gellep pour l’époque flavienne précoce (Reichmann 1988). Il est vrai que les exemples attestés sont pour l’instant peu nombreux dans la mesure où les vici militaires julio-claudiens sont très mal connus et peu fouillés. 180 Il existe peut-être quelques exceptions notables : les fouilles anciennes (1933-1935) de C. Simonett à Vindonissa ont en effet révélé, sous les principia ultérieurs, deux petites installations balnéaires successives, conservées en fondation, mais où n’existent pas d’hypocaustes (Simonett et al. 1934 ; Simonett 1936 ; Hagendorn et al. 2003) [fig. 108a]. On reconnaît en effet, dans le premier état, un foyer, un bassin en plomb –des restes de cuvelage et de rivets ont été observés– avec une évacuation d’eau où ont été mises au jour des gemmes qui, en elles-mêmes, peuvent constituer un bon témoignage de la fonction thermale de l’installation, et enfin un bâtiment tripartite, séparé du bassin mais très certainement en relation directe avec lui, bien que l’absence de niveaux de circulation conservés ne permette pas de conclusions définitives sur le plan. Ce premier état, daté au plus tôt vers 25, est fondé sur des sablières basses ; son élévation est à colombages. Un second état comprend des murs maçonnés et un petit sol de mortier de chaux. Le plan a subi un changement d’orientation entre les deux phases, mais le dispositif d’ensemble n’a guère varié dans ses grandes lignes. La présence de fondations ligneuses, même partiellement noyées dans la terre, surprend, mais peut s’expliquer si l’on considère que l’on chauffait l’eau à part et qu’on la vidait dans le bassin soit par portage, soit directement, à l’aide d’une canalisation qui n’a pas été retrouvée. Les risques d’incendie étaient donc limités. Les dimensions de ces installations ne permettent pas de penser que nous avons ici affaire à des thermes privés destinés au légat légionnaire, mais à un complexe collectif. P. Bidwell a suggéré l’existence de balnéaires de même nature à Anreppen et Marktbreit (fig. 108b, c). 200 FIG. 108 a Thermes précoces de Vindonissa (Hagendorn et al. 2003, fig. 94, 102) ; b thermes de Marktbreit (Bidwell 2002, fig. 4) ; c thermes d’Anreppen (Bidwell 2002, fig. 5). 181 C’est donc surtout à partir du moment où les installations militaires ont été reconstruites en pierre –soit à partir des années soixante-dix, exception faite peut-être de Neuss– que l’on connaît des thermes à l’intérieur des camps légionnaires. Encore faut-il souligner que les balnéaires constituent bien souvent une construction chronologiquement secondaire, comme c’est le cas apparemment à Neuss (Hanel 2000). L’emplacement privilégié semble être la praetentura, notamment à Neuss, à Bonn, à Mirebeau, peut-être à Mayence, sans que cela exclue la présence d’un second ensemble thermal dans les latera praetorii, à gauche des principia ( Neuss), ou à l’extérieur du camp, près de la porte prétorienne (Mirebeau). De tels ensembles occupaient une grande surface : 85 x 75 m (6 375 m2) à Neuss, dans le Koenenlager, soit 2,8 % de la superficie totale (Hanel 2000). En revanche, et en raison même de la taille des balnéaires, les castella auxiliaires de Germanie accueillent rarement des thermes à l’intérieur de l’enceinte, à l’exception d’éventuelles installations annexes de petite taille, à l’usage des officiers. Ces bains sont presque systématiquement installés à l’extérieur, dans le vicus, mais non loin des portes, avec une préférence pour la praetoria (fig. 109). Il existe toutefois quelques rares exceptions, notamment à Arlaines, où un ensemble thermal probablement flavien est situé à l’intérieur du camp, près de la porta principalis sinistra, dans le camp de la flotte de Cologne/Alteburg, selon une interprétation récente mais sans datation certaine (Hanel 2000). De tels exemples semblent toutefois se multiplier avec le temps, puisque l’on connaît des thermes intérieurs à Niederbieber, construits sous Commode derrière les principia, ou dans certains camps de Bretagne à l’époque antonine (Balmuildy) ou sévérienne (Bewcastle) [Johnson 1987]. D’un point de vue typologique, on rencontre essentiellement des thermes à plan linéaire (en allemand : Reihentyp), les plus nombreux, ou à plan 201 orthogonal (en allemand : Blocktyp). Le plan symétrique des thermes de la XXI e légion, à Windisch, semble particulier mais s’apparente en réalité au plan linéaire, car il n’atteint pas le développement des thermes postérieurs doubles, comme ceux de Lambèse. Il n’est au demeurant pas toujours aisé de distinguer ces différents types de plans, souvent altérés par les reconstructions successives. Il nous paraît plus important de souligner la présence sur le limes de Germanie, mais aussi en Bretagne (Castell Collen) ou en Rétie (Theilenhofen), d’apodyteria (vestiaires) en bois, identifiables par la présence de trous de poteau qui forment une sortent de halle devant le frigidarium. Selon les dimensions de cette entrée, qui peut former une cour intérieure à portique, on peut parler d’apodyterium ou de basilica, sans doute avec fonction de palestre. De tels aménagements ont été reconnus notamment à la Saalburg et à Walldürn (Baatz 1973a ; 1978) [fig. 110]. FIG. 109 Emplacement des thermes à la sortie des camps auxiliaires de Germanie supérieure : a camps de cohortes et d’ailes ; b forts de numéros et autres petits fortins (Sommer 1988, fig. 18). 202 FIG. 110 Les thermes de Walldürn : a phase 1 ; b phase 2, 1er état ; c phase 2, 2e état (Baatz 1978, fig. 22). A apodyterium, F frigidarium, P piscine, T tepidarium, C caldarium, S sudatorium. 2.11 Les latrines 182 CHRISTIANE EBELING 183 Dans toutes les fortifications utilisées par l’armée romaine à des fins militaires, on trouve la trace de toilettes, qu’il s’agisse de camps de légion, de forts auxiliaires, de petits fortins, de tours, de camps d’entraînement ou d’étape, ou de postes ayant une fonction particulière. En règle générale, les latrines peuvent être classées selon certains schémas, tant par leur construction que par leur localisation, mais leur installation était très variable et respectait les impératifs locaux. 184 En ce qui concerne la situation dans le camp, on peut citer six localisations principales : la présence de latrines dans l’intervallum, les bains et les baraques est bien attestée ; en revanche, d’autres fouilles devraient être effectuées pour que l’on ait une connaissance suffisante des latrines dans les valetudinaria, les praetoria, les maisons des officiers et les principia. Il faudrait aussi accorder une plus grande attention à des édifices comme les fabricae ou les tours, dans lesquels on peut dans plusieurs cas trouver des indices de la présence de lieux d’aisances, mais en nombre trop réduit pour que nous puissions parler de localisations principales. 185 S’agissant de la construction, il faut opérer une distinction entre trois types de toilettes : les latrines avec arrivée et écoulement d’eau (type I), les latrines avec arrivée ou écoulement (type II) et les latrines sans arrivée ni écoulement des eaux (type III). Les urinoirs et les pots de chambre constituent deux groupes particuliers dont il ne 203 faudrait pas sous-estimer l’importance, mais dont nous ne pouvons tenir compte ici pour des raisons de place. 186 Les latrines dotées d’un système d’arrivée et d’écoulement des eaux (type I) utilisaient, pour le nettoyage, une eau provenant de réservoirs ou de citernes, de canaux courant le long des rues du camp ou sous celles-ci, ou des thermes (fig. 111a). Dans la plupart des cas, l’eau était dirigée à une extrémité dans le canal de pierre qui traversait les toilettes, emportait les matières fécales et quittait les toilettes à l’autre extrémité du canal. À l’intérieur de la pièce, on peut, dans quelques cas, reconstituer la disposition des sièges, qui étaient sans doute le plus souvent en bois (fig. 111b). Pour le sol, on utilisait de grandes plaques de pierre ou du bois. La rigole creusée au sol, devant la rangée de sièges, ne paraît pas avoir été un élément permanent des règles de construction. On trouve des exemples d’auges en pierre, et on peut penser que des baquets ou des seaux de bois étaient utilisés. On doit supposer que les murs des latrines étaient crépis à l’intérieur ; parfois, ils semblent aussi avoir été ornés de motifs simples. Les latrines dotées d’arrivée ou d’écoulement des eaux (type II) sont en majorité des constructions de fosses de forme et de taille différentes ; il faut ici faire une distinction entre les fosses de latrines d’un côté, et les fosses d’aisances de l’autre. Dans une fosse dotée d’une arrivée d’eau, on trouve soit une fosse de latrines ayant la fonction de fosse d’aisances, le courant venant alors d’une source d’eau, soit une fosse d’aisances avec un accès d’eau provenant d’une fosse de latrines. Une fosse avec évacuation est toujours une fosse de latrines, l’écoulement pouvant mener vers la fosse d’aisances ou dans un canal qui mène les matières fécales hors du camp, par le biais d’un canal dans la route ou directement. Le mauvais état de conservation des structures complique ou interdit souvent leur identification. Les tentatives menées pour reconstituer l’intérieur des salles et les élévations, à l’aide de petits fossés, fosses et trous de poteau, ne peuvent, par la force des choses, déboucher que sur des propositions plus ou moins fondées. Parmi les latrines dépourvues d’arrivée d’eau ou d’écoulement (type III), on trouve des fosses et des baquets de types et de dimensions variées (fig. 112). Les réflexions sur l’intérieur et les élévations de ces toilettes sèches ne peuvent, elles aussi, avoir qu’un caractère spéculatif, ce qui n’amoindrit nullement la valeur des reconstitutions sous forme de maquettes. Ces trois types de toilettes pouvaient constituer un édifice indépendant ou être inclus dans un autre bâtiment. 204 FIG. 111 Bearsden. Latrine de type I : a plan de la latrine dans son contexte thermal (Breeze 1984, 51, fig. 23b) ; b reconstitution (Breeze 1984, 57, fig. 27). reconstitution D. Breeze ; dessin M.J. Moore. FIG. 112 Usk. Latrine de type III : a relevé et plan d’interprétation des vestiges (Manning 1981, 150, fig. 56) ; b reconstitutions (Manning 1981, 151, fig. 57, 152, fig. 58). dessin D. Breeze. 205 187 Le rapport entre la construction et l’emplacement des latrines au sein du camp n’est pas soumis à des règles rigides. Certaines spécificités apparaissent toutefois. La plupart des toilettes du type I se trouvent, pour des raisons évidentes, dans le secteur de l’intervallum et dans les thermes des forts. Mais, alors que dans les bains on choisissait presque exclusivement des toilettes lavées à l’eau, on trouve aussi dans l’intervallum des aménagements du type II et III. Par leur taille, les toilettes de l’intervallum arrivent en général en première position, celles des thermes en deuxième. En revanche, la forme de construction choisie n’implique pas de dimensions particulières ; on le voit à l’exemple des fosses du type III, qui peuvent équiper aussi bien de grandes latrines collectives que des petites toilettes individuelles. Dans les valetudinaria, on semble avoir préféré les latrines de type I à toute autre construction, mais les fouilles ne suffisent pas pour tirer des conclusions définitives. Dans les principia non plus, on n’a pas de situation univoque. Dans les praetoria et autres maisons d’officiers, on peut, plus que dans les principia, s’attendre sans doute à trouver des toilettes, et on y a aussi découvert toutes les formes de constructions. Un nombre considérable de latrines se trouvait dans les baraques, avant tout dans les bâtiments des centurions. Mais on en a également trouvé dans les contubernia, le secteur des vérandas et au voisinage direct des casernes ; les constructions du type II et III sont dominantes. 188 Même pour les toilettes avec passage d’eau –ce qui n’implique d’ailleurs pas une circulation permanente de l’eau–, le nettoyage des latrines n’était sans doute pas une tâche particulièrement appréciée. On ne pourra pas dire en toute certitude si M. Longinus A[...], pour lequel un plan de service datant de la fin du règne de Domitien au sein de la legio III Cyrenaica (P. Gen. Lat. 1 recto V) porte entre autres la mention “stercus...”, était véritablement chargé de nettoyer les latrines –comme on le suppose généralement– et non, peut-être, seulement de sortir le fumier des écuries. 189 Il n’existe pas de synthèse sur la question, en dehors du mémoire, inédit, de l’auteur de ces lignes (1990). On trouvera ci-dessous une liste sélective de sites, avec la bibliographie correspondante. Sites germaniques 190 • Degerfeld (D) Latrine indépendante du type II dans l’intervallum ; fosse avec arrivée d’eau (Jorns & Meier-Arendt 1967, 27). 191 • Oberaden (D) Trois latrines indépendantes dans l’intervallum ; détermination du type incertaine (Kühlborn 1992, 76-78). 192 • Valkenburg (NL) Latrines du type II et III dans les bâtiments de centurions des baraques (Glasbergen & Groenman-van Waateringe 1974, 9, fig- 3). Autres sites 193 • Bar Bill (GB) (MacDonald & Park 1906, 48, 50 ; Keppie et al. 1978-1982, 62). 206 194 • Bearsden (GB) Latrine indépendante du type I dans l’intervallum (Breeze 1984, 55-58). 195 • Caerleon (GB) Latrine indépendante du type I dans l’intervallum (Boon 1972, 39-40 ; Nash-Williams 1931, 133-135). 196 • Castlecary (GB) Latrine indépendante du type I dans l’intervallum (Christison et al. 1903, 318-324). 197 • Chesterholm (GB) Latrine indépendante du type I dans l’intervallum (Bidwell 1985, 50-52). 198 • Dover (GB) Latrine indépendante du type I dans l’intervallum (Philp 1981, 68, 87-89). 199 • Exeter (G B) Urinoir à amphores dans la cour située dans l’angle sud-est des thermes (Bidwell 1979, 37, 64). 200 • Hod Hill (GB) Bâtiment indépendant près de la porte sud avec des pièces pour les ablutions et des latrines du type II, avec des tinettes sous les sièges (Richmond 1968, 67, 86, 87). 201 • Housesteads (GB) Latrine indépendante du type I dans l’intervallum (Bosanquet 1904, 249-252 ; Simpson 1976, 133-143 ; Smith 1976, 143-146 ; Mann 1989b, 1-4). 202 • Künzing (D) Latrine indépendante du type II dans l’intervallum (Schönberger 1975, 26, 27). 203 • Nanstallon (GB) Latrine indépendante du type I (fosse avec trop-plein) dans l’espace à l’est du praetorium (Fox & Ravenhill 1972, 77, 78). 204 • Newstead (G B) Latrine du type I près des thermes (Curle 1911, 99, 100). 205 • South Shields (GB) Latrine indépendante du type I dans l’intervallum (Miket [1983], 23, 25, 30, 31, 159, 160, 162). 206 • Strageath (GB) Urinoir à amphores avec écoulement dans Y intervallum (Frere & Wilkes 1989, 80). 207 207 • Usk (GB) Quatre baraques indépendantes avec toilettes du type III, à différents endroits du camp (Manning 1981, 125-127, 137, 146, 149-152, 159, 163-165, 190-193). 2.12 Les écuries 208 EVELINE GRONKE 209 Jusqu’à présent, il était impossible d’identifier avec certitude les écuries militaires puisque les preuves épigraphiques sur ce sujet font défaut aussi bien que les informations des auteurs antiques (Davison 1989 ; Sommer 1995a). Malgré cette difficulté, les résultats des fouilles archéologiques permettent de faire la distinction entre deux types d’écuries utilisées selon toute probabilité dans les camps permanents de l’époque impériale romaine (Grönke 1997). Seules des inscriptions relatives à ces bâtiments, qui donneraient une certitude sur leur utilisation en tant qu’écurie, permettraient d’écarter un dernier doute. Tous les camps possédaient probablement des stalles qui abritaient des animaux de selle, de trait et de bât, ainsi que de boucherie. Bien évidemment, dans les camps d’ailes ainsi que dans les camps d’unités équestres, il faut s’attendre à des écuries, bien qu’il ne soit pas exclu que les installations aient pu abriter aussi des animaux de bât, à savoir des mules et des bœufs (Davies 1989). 2.12.1 Les camps de marche 210 Nous n’avons jusqu’à présent aucune preuve archéologique concernant les écuries dans les camps provisoires. Les auteurs antiques donnent quelques renseignements concernant l’abri des animaux de selle, de trait et de bât à l’époque républicaine et impériale. Quand la situation militaire le permettait, les animaux restaient sur les pâturages à l’extérieur des camps, où ils étaient surveillés par des soldats ou des palefreniers (César, BG VI, 36 ; Végèce III, 8). S’il fallait –en cas de guerre ou pendant la nuit– les amener à l’intérieur du camp (Tacite, Annales I, 66), les animaux de bât des centuries restaient entre les places d’armes devant les tentes et la rue avoisinante (ps.Hygin 1). La largeur de cette bande de terrain à la disposition des animaux mesurait d’après Hygin 9 pieds romains (env. 2,70 m) ; la longueur se calcule en fonction du nombre des tentes de la centurie ; elle faisait ainsi 120 pieds (env. 36 m). Pour attribuer à chaque animal l’espace individuel nécessaire et éviter ainsi les bagarres, seuls deux animaux pouvaient rester devant une tente de 10 pieds (env. 3 m) de largeur. La longueur de chaque place mesurait 2,70 m, ce qui correspond aux dimensions recommandées aujourd’hui (fig. 113a). 211 Les animaux étaient attachés (Tacite, Annales I, 66) et probablement disposés la tête vers les tentes afin que les soldats soient dérangés le moins possible par les excréments. Dans le cas où la troupe disposait de chameaux, Hygin (De mun. castr., 29) attribue à chacun une place de 5 pieds (env. 1,50 m) de largeur. Les stalles se trouvaient à des endroits différents : les animaux de selle des soldats à l’intérieur de la praetentura ; les animaux de bât à l’intérieur du quaestorium. Malheureusement, Hygin ne donne pas d’informations concernant les abris des chevaux de selle des ailes, des unités mixtes – dont faisaient partie des cavaliers– et des légions. On peut néanmoins supposer que ces animaux étaient abrités à proximité des cavaliers, en fonction de leur tâche, comme les animaux de bât et les chameaux. 208 2.12.2 Les camps permanents 212 L’un des deux types d’écuries construites par les soldats romains se compose probablement de boxes disposés l’un à côté de l’autre et accessibles individuellement de l’extérieur (fig. 113b) ; quant à l’autre type, il s’agit d’écuries composées de deux rangs séparés au milieu par un couloir (fig. 113c). Les écuries du premier type peuvent être combinées avec des logements de troupes. Cependant, il convient d’examiner d’un œil critique toutes les découvertes à ce sujet puisque l’hébergement d’un grand nombre de chevaux dans une écurie fermée nécessite le respect d’une série de dimensions minimales quant à la largeur, la longueur, ainsi que la hauteur du bâtiment, car c’est seulement à cette condition que la santé physique et psychique des chevaux, ainsi que leur capacité de travail peuvent être conservées (Dixon & Southern 1992). Si l’on tient compte des exigences retenues par les manuels antiques pour la garde des chevaux, rien ne permet de dire que les écuries des camps permanents romains ne correspondaient pas aux conditions reconnues aujourd’hui comme nécessaires pour héberger sans danger des animaux, en réduisant le travail pour leur entretien. La taille des chevaux romains correspondait à celle des chevaux de petite taille d’aujourd’hui avec une hauteur au garot d’environ 1,40 m ou légèrement supérieure. FIG. 113 a Disposition idéale des chevaux dans un camp de marche selon Hygin ; b disposition idéale des boxes, avec entrée par l’extérieur ; c types d’écuries à une et deux rangées. dessin E. Grönke. 213 On exige aujourd’hui (Schiele 1976), pour ces chevaux de petite taille, une longueur minimale du box ou de l’écurie de 2,60 m, sans compter la largeur du couloir, de 2,50 à 3,00 m s’il s’agit d’une écurie à une seule rangée. Pour les écuries à deux rangées, le couloir doit être large de 3,00 à 3,50 m pour pouvoir guider deux chevaux l’un à côté de 209 l’autre sans aucun danger. Pour les écuries à une seule rangée, une entrée unique sur le côté étroit du bâtiment est suffisante, tandis que les écuries à deux rangées devaient avoir une entrée sur chaque petit côté. Les boxes des chevaux de petite taille nécessitent une surface minimale de 7 m2 ; si les animaux sont attachés, la largeur minimale du box doit atteindre 1,50 m. 214 Pour les chevaux de petite taille, la hauteur intérieure de l’écurie doit être de 2,80 à 3,50 m. Une hauteur suffisante, ainsi qu’une bonne aération assurée par des grandes portes, des fenêtres ou des ouvertures dans le toit sont indispensables pour une atmosphère saine à l’intérieur de l’écurie. Sinon, les gaz nocifs tels que l’ammoniaque, l’acide sulfhydrique et le gaz carbonique attaquent les organes respiratoires des chevaux d’une façon incurable et rendent ainsi les animaux inutilisables (Hyland 1990 ; Junkelmann 1990 ; 1991). C’est pour cette raison que Végèce (Dig. art. mulomed. I, 56, 2-10) conseille d’éviter un trop grand réchauffement des écuries pendant l’hiver car plusieurs sortes de maladies naissent des émanations chaudes des chevaux eux-mêmes. Columelle (De re rust. I, 6, 6) prescrit de concevoir la disposition des écuries de telle façon que l’humidité qui s’est formée à l’intérieur puisse s’évacuer le plus vite possible. Les matériaux adaptés à la construction sont le bois, le torchis et la paille, parce qu’ils isolent bien, gardent la chaleur et, surtout, laissent passer la vapeur. Pour évacuer le purin, on peut imaginer des rigoles tout au long des boxes ou des stalles, qu’il faut nettoyer quotidiennement pour assurer une bonne évacuation. On peut également supposer des écuries sans évacuation du purin car une couche relativement épaisse de paille peut absorber l’urine. Le sol doit être légèrement élevé, sec, non glissant, imperméable et facile à nettoyer –ce que Xénophon (De equ. 4, 3) avait déjà recommandé. Végèce préfère un plancher de chêne dur pour les écuries (fig. 114). FIG. 114 Reconstruction d’une écurie (Kemkes & Scheuerbrandt 1999, 85). 215 Selon les efforts qu’il produit, un cheval de petite taille consomme entre vingt-cinq et quarante litres d’eau par jour, en plusieurs prises pendant la journée. Des puits et des bassins situés à proximité de l’écurie et où les chevaux pouvaient s’abreuver allégeaient ainsi le travail. 210 216 Pour soigner, brider et seller les chevaux, monter sur l’animal ou en descendre, un assez grand espace à l’extérieur de l’écurie doit être à la disposition des hommes. Cette place doit être suffisamment grande pour que l’on puisse garder plusieurs chevaux l’un à côté de l’autre tout en respectant la distance minimale entre les individus –c’est-àdire une longueur de cheval– et, en même temps, faire passer d’autres animaux à côté de ce groupe sans aucun danger. En outre, il faut disposer de suffisamment de place pour un tas de fumier à l’extérieur de l’écurie. 217 À la fouille, les écuries composées de boxes accessibles depuis l’extérieur se révèlent par la présence de petits fossés perpendiculaires à l’axe des bâtiments rectangulaires, en bois ou à colombage, qui les abritent. Les fosses étroites et peu profondes que l’on trouve dans chaque pièce et qui occupent toujours presque toute la longueur de celleci, permettent d’interpréter ces pièces comme boxes d’écurie et peuvent être considérées comme un élément caractéristique. Les colorations des remblais de ces fosses, pauvres en matériel archéologique dans la majorité des cas et souvent, comme leur sol environnant, mêlées de calcaire, sont dues à l’humidité qui a été retenue pendant une assez longue période. Dans certaines fouilles archéologiques, on peut observer des taux parfois élevés de phosphate et d’azote, causés probablement par les excréments d’animaux. En 1977, on découvrit pour la première fois dans la partie méridionale et septentrionale de la retentura du camp d’aile de Dormagen (Germanie inférieure) des fosses de ce type dans quatre bâtiments. Dans la partie nord d’une baraque de 8,50 m de largeur, on mit au jour, entre deux sablières, des fosses de 0,60 à 0,90 m de long, profondes au maximum de 0,60 m, qui pouvaient être interprétées comme fosses à purin. Au-dessus de l’une d’elles apparaissaient des restes de planches. Le sol environnant avait une couleur gris-vert, parfois sur une profondeur de 0,50 m. Les analyses chimiques du contenu, entremêlé de calcaire, ainsi que la détermination botanique des restes de céréales permettent de conclure que ces bâtiments abritaient probablement des animaux. Dans la partie sud de la baraque, on découvrit des foyers. Le plan du bâtiment mis au jour correspond donc probablement à une utilisation mixte d’écurie et de baraque de troupes. Au nord, un deuxième bâtiment peut également être interprété comme baraque mixte utilisée comme écurie et logement en raison de la présence de fosses similaires et d’un foyer. La troisième baraque, d’une largeur de 5,80 m, est séparée en son milieu par un mur qui détermine deux pièces de 2,40 m et 3,20 m où se trouvaient également des fosses allongées, entremêlées de calcaire. On suppose que ce bâtiment ne fut utilisé qu’en tant qu’écurie. Un quatrième bâtiment, caractérisé par des fosses d’une largeur de 0,60 à 0,80 m, profondes de 0,50 à 1,00 m, ainsi que par la couleur verte du sol environnant jusqu’à un mètre autour des fosses, peut également être interprété comme une écurie. Les foyers découverts permettent de supposer une utilisation mixte en tant qu’écurie et logement des soldats. Malheureusement, les examens pédologiques n’ont été effectués que pour la première baraque. Si ces interprétations sont correctes, les animaux étaient abrités à l’intérieur des quatre bâtiments dans des boxes disposés l’un à côté de l’autre et accessibles depuis les rues qui longeaient le bâtiment. Les boxes mesuraient environ 4,00 m de long pour 3,40 à 4,00 m de large. Les écuries se trouvaient sur la via sagularis et sur les ruelles du camp ; ainsi, tous les boxes étaient facilement accessibles et la place devant ces boxes suffisait pour soigner et seller les animaux. 218 Dans le camp d’aile de Ladenburg (Germanie supérieure), on a pu observer des baraques similaires avec des puisards qui ont été interprétés, sur la foi des exemples de 211 Dormagen, comme des écuries. Dans les pièces (4,00 x 3,70 m), on découvrit des fosses d’une largeur de 0,30 à 0,50 m et d’une profondeur maximale de 0,50 m. Les remblais, de couleur verte, se composaient surtout de calcaire, de quelques déchets et de morceaux de charbon de bois. La coloration verte s’étendait sur le sol environnant et atteignait une profondeur de 0,50 m, avec une croûte superficielle dure. Dans l’une des baraques, un foyer se trouvait derrière chacune des pièces à fosses. À l’extrémité d’une baraque de la praetentura, une coupe permit de faire une découverte semblable ; en outre, on mit au jour les traces d’une couverture carbonisée, constituée de planches disposées perpendiculairement. Le taux de phosphate ne fut mesuré que dans trois fosses. Le contenu de l’une d’elles a révélé un taux faible, alors que le sol dans la zone environnante verte et celui sous le petit fossé révélaient en revanche un taux très élevé. Dans une autre baraque, les fosses ainsi que les zones vertes et le reste des pièces ont donné les taux les plus élevés. Le fouilleur suppose une utilisation mixte en tant qu’écuries et baraques de troupes (fig. 114). 219 Dans le camp légionnaire d’Usk (Bretagne), dans le castellum précoce d’Augsburg (Rétie), et dans le fort auxiliaire de Carnuntum, en Pannonie (période en terre et en bois) ont été découvertes des fosses allongées de 0,20 à 1,30 m de large pour 0,70 m de profondeur à l’intérieur des baraques. Leur interprétation repose, là aussi, sur leur couleur et la texture de leur remplissage. L’analyse du taux de phosphate n’a été pratiquée qu’à Usk. 220 Les installations, décrites comme “fossés de drainage, rigoles à purin, puisards d’écurie, à fumier ou à urine” posent certains problèmes : l’atmosphère de l’écurie devait être viciée par les gaz nocifs émanant des fossés ou puisards. Sans aucun doute, les fosses de ces écuries étaient recouvertes de planchers très robustes, en raison du poids des chevaux, et donc peu perméables. Pour éviter que les sols ne glissent ou ne pourrissent, ils devaient être recouverts d’une couche épaisse de litière, afin que seule une petite quantité de purin puisse s’écouler dans les fosses situées au-dessous. Celles-ci avaient donc pour fonction d’éliminer l’humidité restante sous le plancher en bois, et non de recevoir une grande quantité de purin. Cette conclusion est confirmée par la faible profondeur des fosses. Les écuries à un ou deux rangs de stalles disposées le long d’un couloir sont caractérisées par de longs bâtiments rectangulaires sans division visible, ou avec des divisions longitudinales ; on retient également comme caractéristique de ce type de bâtiment les fondations, puissantes pour des baraques, ce qui indique une hauteur importante. 221 Les plans de trois baraques de bois, disposées parallèlement les unes aux autres, ont été relevés dans la partie méridionale de la retentura du camp de Maldegem/Vake (Belgique). La baraque du milieu se compose de deux parties d’une largeur de 6,50 m chacune. Au milieu de l’aile sud de cette baraque, une série de poteaux particulièrement puissants (diam. 0,40-0,60 m) disposés le long de la construction, a été mise au jour. Cette série de poteaux indique une hauteur élevée du bâtiment, où le fouilleur pense reconnaître une écurie. La largeur permettrait une disposition des animaux sur une rangée, le long d’un couloir large de 3 m. 222 Au sud du camp situé sur le Kops Plateau, à Nimègue, on a relevé le plan de deux bâtiments composés d’un couloir central encadré de chaque côté d’une série de pièces étroites. La découverte d’un grand nombre de fragments de harnais de chevaux ainsi que de quelques fosses où étaient enterrés des chevaux fait supposer qu’il s’agit de deux écuries, avec une disposition des animaux sur deux rangées le long d’un couloir. 212 À Niederbieber (Germanie inférieure), deux bâtiments avec des fondations de murs en pierres sèches ont été interprétés comme des écuries sans aménagements intérieurs, par opposition avec d’autres baraques qui, elles, doivent être considérées comme des logements de troupes en raison de leurs sablières et de leurs foyers disposés régulièrement. Le bâtiment le plus grand, situé à l’intérieur de la partie occidentale de la praetentura, avec une largeur de 9 m et une longueur de 70 m, disposait d’une large porte de 7 m donnant sur la via praetoria. Au sud se trouvait une fosse de 5,00 x 2,50 m interprétée comme dépôt de fumier. Dans ce contexte, la découverte la plus intéressante a été un bassin semi-circulaire en pierre, d’un diamètre de 7,10 m, situé entre l’écurie et la tour occidentale de la porta praetoria. Ce bassin, interprété comme abreuvoir, fermait la via sagularis en direction de la porta praetoria. La voie périphérique du camp revêtait ainsi l’aspect d’une place entre l’écurie et la fortification extérieure. Le deuxième bâtiment, mesurant 30,00 x 8,35 m, se trouvait à environ 9 m au sud de la via principalis et avait un accès sur la voie périphérique du camp, derrière la porte orientale. Les deux entrées, situées sur la façade occidentale et orientale du bâtiment, avaient une largeur de 7 m. Au sud de cette construction se trouvait une fosse, interprétée également comme dépôt de fumier. La largeur des deux écuries était –si l’on prend en compte les exigences d’aujourd’hui– suffisante pour une disposition des animaux sur deux rangs le long d’un couloir central. 223 Dans la partie occidentale de la retentura de la Saalburg (Germanie supérieure), on a découvert des poteaux de bois d’un diamètre supérieur à 0,30 m, calés par des pierres et enfoncés dans des fosses de plus de 1 m de profondeur. Ils marquent ainsi le plan d’un bâtiment à colombages de 48,60 x 9,50 m, situé sur la voie périphérique du camp et la via decumana. Les dimensions particulièrement importantes des poteaux de bois sont l’indice d’une hauteur correspondante du bâtiment et fournissent un bon argument pour interpréter celui-ci comme une écurie à deux rangées de stalles. L’espace non construit de 6 m de largeur situé au nord du bâtiment et s’étendant jusqu’à la via sagularis pourrait avoir servi d’endroit pour seller les animaux. 224 Dans la partie occidentale de la retentura de la période 2 du camp de numerus de Hesselbach (Germanie supérieure) ont été mis au jour les sablières de deux bâtiments de 14,30 x 5,30 m et de 14,60 x 4,00 m. Le fouilleur suppose qu’il s’agissait d’écuries en raison de leur emplacement sur la via principalis et sur la voie périphérique du camp, avec un accès direct à deux portes, à cause aussi de l’espace non construit situé le long de chaque côté des bâtiments, et surtout de la proximité immédiate d’un grand bassin. Supposant une disposition des animaux sur un rang, avec une largeur des boxes de 1,50 m, l’archéologue voit dans le bâtiment le plus large une écurie, tandis qu’il admet pour le bâtiment plus étroit une utilisation comme étable pour les animaux de bât. Au nord, à une distance d’environ 2 m, on a relevé, sur la via sagularis, le plan d’une construction de 8 m de long et 2,80 m de large qui peut être interprétée comme une remise. 225 D’autres exemples d’écuries disposées le long d’un couloir ont été observés à Oberstimm, à Künzing et dans le camp d’aile de Biricianae (Weissenburg). On y a reconnu les substructions de baraques en bois ou colombages, larges de 8,50 à 10,50 m. À Oberstimm et Künzing, elles offraient une division longitudinale tripartite, avec un couloir médian large de 3,60 m, plus large que les rangées de boxes disposées de part et d’autre et dont la largeur variait entre 2,50 et 2,80 m. À Weissenburg, la présence de deux grandes surfaces cimentées parallèles, sans autre construction entre les baraques, 213 plaide pour une interprétation comme écuries, d’autant que toutes les autres installations nécessaires à un camp sont connues. À Ilkley (Bretagne) ont été observés deux petits canaux qui traversent longitudinalement les deux moitiés, larges de 7 m, d’un même bâtiment ; on peut les interpréter comme des drains à purin. La présence d’une auge en pierre confirme l’idée d’une écurie. Les rigoles séparent, dans chacune des deux écuries, une série de stalles, larges d’environ 3,50 m, d’un couloir de 2 m. On peut ainsi supposer une disposition des animaux sur une seule rangée. 226 Se pose alors la question de savoir combien de chevaux pouvaient être abrités dans les écuries des camps romains. Les fouilleurs supposent que les boxes accessibles de l’extérieur abritaient deux à trois chevaux par box. Si l’on suppose trois chevaux par box, l’espace individuel réservé à chaque animal serait insuffisant et les chevaux devraient être attachés pour éviter qu’ils ne se mordent. La ventilation, toujours insuffisante, en comparaison avec les écuries où l’on dispose les animaux le long d’un couloir, constitue un autre problème. Comme chaque animal contribue par l’émanation de gaz nocifs à la dégradation de l’atmosphère à l’intérieur de l’écurie, il convient de supposer que deux chevaux et non trois étaient abrités dans chaque box. 227 La disposition intérieure des écuries à couloir n’est généralement pas connue. Il convient donc de partir de la disposition la plus simple qui consiste à attacher les animaux les uns à côté des autres et, pour la largeur de chaque place, du besoin théorique de l’animal. Pour les écuries modernes, on demande en ce qui concerne les chevaux de petite taille une largeur minimale de 1,50 m pour chaque stalle. En revanche, on suppose pour beaucoup d’écuries romaines des largeurs nettement moins importantes. Ces calculs reposent sur l’hypothèse que tous les chevaux d’une unité militaire étaient abrités à l’intérieur du camp. Mais un manque de mobilité peut être à l’origine de lésions irréversibles des jambes. En outre, les animaux ne s’allongent plus pour se reposer. Si la distance entre les animaux est trop restreinte, les chevaux devenus agressifs envers leurs congénères et envers les hommes peuvent représenter un véritable danger. Comme les animaux, choisis et formés avec soin pour le service dans l’armée, conditionnaient la disponibilité, la capacité et la survie des troupes équestres, on peut supposer que la cavalerie romaine se préoccupait d’un hébergement et d’un entretien convenables de ses animaux. Le nombre de chevaux d’une unité romaine ne peut être qu’estimé en raison de l’incertitude concernant le nombre de jeunes chevaux et d’animaux de bât. Si l’on estime pour une aile un nombre minimal de sept cents chevaux, ceux-ci ne peuvent être tous abrités à l’intérieur d’un camp comme celui de Weissenburg, même en supposant la disposition la plus serrée et en imaginant tous les espaces encore libres occupés par des écuries. À Strageath (Bretagne) qui abritait une cohors equitata, l’existence d’aucune écurie n’a pu être prouvée malgré une fouille exhaustive. On doit ainsi supposer que la majorité des animaux passaient leur temps libre sur des pâturages à proximité des camps. Tacite (Annales XIII, 55) indique du reste que le grand et le petit bétail étaient conduits par les soldats aux pâturages. 228 Parmi les chevaux abrités à l’intérieur des camps dans les écuries se trouvaient probablement des animaux pour des missions imprévues. Pour des missions planifiées à l’avance, on amenait probablement dès la veille les chevaux nécessaires dans les écuries. Les chevaux malades qui ne devaient pas trop bouger et qui nécessitaient des soins particuliers étaient sans doute également abrités dans les écuries. C’était sans doute aussi le cas des animaux les plus précieux, comme ceux des officiers, qui passaient certainement la nuit à l’écurie. 214 2.13 Canabae et vici militaires 229 C. SEBASTIAN SOMMER 230 On ne peut concevoir l’armée romaine sans ses vivandiers (lixae, mercatores scorta vates denique sacrificosque, à la différence des calones, c’est-à-dire de la domesticité régulière). Leur existence est attestée depuis l’époque républicaine (Watson 1969). Alors que P. Cornélius Scipio Aemilianus et Q. Caecus Metellus Numidicus considèrent encore que leur présence nuisait à la discipline et à la morale (en 134 et 108 av. J.-C. : Appien, Iber. 85 ; Val. Max. II, 7, 1 ; Salluste, Bell. Jug. 44, 5 ; Tite-Live, Per. LII), ils sont de mieux en mieux acceptés au fil du temps et constituent, aux Ier et IIe s. ap. J.-C. –même si cela ne ressort guère des sources littéraires mais peut être déduit de l’observation archéologique et de la documentation papyrologique (Bowman & Thomas 1994 ; Cuvigny 2003)– une partie intégrante de tout site occupé par les troupes. En conséquence, on les considérera aussi et surtout, dans les premiers temps, comme des “profiteurs de guerre”. Avec l’introduction du métier de soldat professionnel, d’une armée permanente et de longs temps de service, une relation forte s’établit pourtant entre les soldats et les vivandiers. Ils n’exercent pas seulement des fonctions importantes dans le domaine “humain”, mais aussi dans l’approvisionnement des troupes. Bien que l’on manque de preuves directes, il devient de plus en plus clair qu’une grande partie des demandes supplémentaires de vivres, d’armes et de satisfaction des besoins personnels passait par les vici militaires et les canabae –mieux : une fraction en provenait directement. Le contexte de cette évolution était d’une part l’argent mis à disposition –solde et moyens officiels–, le désir qu’avaient les individus de le dépenser et le besoin de contacts humains, d’autre part le principe de l’offre et de la demande. Dans un premier temps, on observa avec méfiance les relations personnelles qui se développaient peu à peu, car elles entravaient la mobilité de l’armée. Il existait donc, pour les soldats, une interdiction de se marier (Dion Cassius LX, 24 ; BGUX, 114 et 140) ; cette mesure fut assouplie sous Hadrien, qui permit l’héritage des enfants illégitimes (BGUI, 140 ; V, 1210, 98-100). Les fouilles montrent que la réalité était différente et que les officiels en tenaient compte (Van Driel-Murray 1998 ; Speidel 1998). Mais cela ressort aussi, par exemple, du texte d’un tiers environ des diplômes militaires avant le milieu du IIe s. ap. J.-C. On y lit en effet que les droits civiques n’était pas seulement accordés aux auxiliaires qui s’apprêtaient à quitter l’armée, mais aussi à leur famille : conubium cum uxoribus, quas tunc habuissent cum est civitas iis data aut, si qui caelibes essent, cum iis, quas postea duxissent, “(qu’ils reçoivent) le droit d’" intermariage " avec les épouses qui étaient les leurs au moment où le droit de cité leur a été donné ou, s’ils étaient célibataires, avec celles qu’ils ont épousées par la suite” (par ex. Roxan RMD 2-9). 231 La situation se stabilisait lorsque les troupes érigeaient des camps en dur et que les vivandiers voyaient se dessiner une certaine permanence des sites. Cela valait dès lors la peine de faire d’assez grands investissements, sous forme de maisons solides et d’installations artisanales. En toute logique, à partir de la période d’Auguste au plus tard, il est plus facile de situer, grâce à l’archéologie, l’habitat des vivandiers. 232 Le fait que les vivandiers suivaient une troupe, vraisemblablement leur troupe, même dans les situations de guerre, s’exprime d’une part dans la littérature –citons l’exemple des commerçants qui stationnent devant un camp d’hiver de César (BG VI, 36-37) ou 215 celui “de nombreuses femmes, enfants et esclaves” qui suivaient les troupes de Varus et trouvèrent la mort en 9 ap. J.-C. en même temps que les soldats (Dion Cassius LVI, 22, 2). Mais c’est aussi ce que révèlent les fouilles de tombes. Rappelons ici, outre les zones de colonisation dans les provinces germaniques dont il est question dans cet ouvrage, les canabae situés devant les camps E et F, à côté de Masada, à l’époque des guerres juives. 233 Nous y avons déjà fait allusion, en Occident, le lien étroit entre la troupe et les vivandiers peut être démontré surtout par l’archéologie. Un élément joue ici un rôle important : la constatation du fait que canabae et vici militaires apparaissent presque en même temps que la construction du fort dont ils dépendent. Autre fait significatif, les zones d’habitat ne connaissent qu’un développement limité et leurs dimensions sont fixées d’emblée, au moins pour ce qui concerne la longueur des parcelles bâties. À cela s’ajoute le fait que, dans les secteurs les plus reculés au moins, l’installation civile disparaît lorsque les troupes se retirent, ou encore que les phases, dans l’évolution de l’habitat, se déroulent dans une certaine mesure parallèlement aux phases de la vie interne du fort, rythmée par les relèves de troupes. En Angleterre, peut-être aussi dans le nord de la Germanie inférieure (Alphen) et parfois en d’autres lieux (Zunsweier), des parties essentielles des vici militaires paraissent avoir été intégrées aux annexes des camps. Tout cela témoigne d’une grande affinité entre une unité et ses soldats d’une part, les vivandiers de l’autre : au bout du compte, ceux-ci suivaient les déplacements des soldats d’un site à un autre. Le terme anglais de campfollower décrit parfaitement le comportement et la fonction des personnes évoquées ici (Sommer 1984). Lorsque l’on s’interroge sur l’origine des vivandiers d’un quartier déterminé, il faut donc aussi se référer au dernier site occupé par la troupe, aux sites antérieurs le cas échéant, et au secteur de recrutement des soldats en général, ou au lieu de recrutement individuel de tel ou tel soldat en particulier. 234 Il est aujourd’hui certain que pratiquement chaque unité était accompagnée par des vivandiers. On trouve des zones d’habitat à côté de toute la gamme des castella romains, aussi bien des très petits fortins (par ex. Freiberg, au nord de Schirenhof, avec ses 0,3 ha de surface, ou Feldberg) que des grands camps auxiliaires et légionnaires. Leur taille dépend dans une certaine mesure de celle des forts ou, plus précisément, de l’importance de leur garnison, mais aussi de leur puissance financière –en toute logique, les vici militaires situés près des camps d’ailes semblent être plus grands que ceux qui abritaient de simples cohortes. 235 Alors que le terme de canabae apparaît exclusivement à propos des zones d’habitation qui jouxtent les camps légionnaires, c’est l’expression de “vicus militaire” qui est utilisée par les modernes pour désigner l’habitat proche des camps auxiliaires. Mais les uns et les autres ne se distinguent pas fondamentalement dans leur fonction (Sommer 1998a). On peut cependant se demander s’il existe des différences de détail dans la mesure où les canabae, en raison de leur taille, d’un nombre sans doute suffisant de citoyens romains, du fait que le pouvoir y exerçait une influence directe, due au rang du commandant, mais aussi à cause de réalités financières certainement différentes, remplissaient des fonctions plus larges et avaient par conséquent des formes de construction plus nombreuses. Alors que les canabae legionis n’ont été traitées jusqu’ici de manière intensive ni dans le détail ni en tant que groupe d’habitat, nous ne parlerons ici que des vici militaires. Nous partons cependant du principe que les traits essentiels sont aussi transposables aux canabae. 216 236 Manifestement, les vici sont orientés vers les castella (Sommer 1988). Ils semblent que leur plan de situation ait été prévu en même temps que le fortin et que les autres bâtiments militaires des environs. Le choix du site du castellum et son organisation étaient sans aucun doute déterminés par les exigences militaires et les données topographiques. La route d’accès au camp découle elle aussi de son intégration dans l’environnement local et, là encore, des données topographiques. En tenant compte de ces composantes, on planifiait la situation, la forme et la taille du vicus. Celles-ci apparaissent, par exemple, quand on considère la disposition des cimetières, communs au fort et au vicus, situés à une distance suffisante du fortin ; très significatif est aussi l’emplacement d’éléments essentiels du vicus par rapport au castellum –cela apparaît très clairement dans l’aménagement du site de Ladenburg– ; on observe en même temps que, d’ordinaire, les vici se situent surtout le long des routes menant aux portae principales ; on ne trouve de quartiers importants devant la porta praetoria que dans les cas où les thermes du castellum étaient eux aussi édifiés à cet endroit (Mirebeau). 237 Dans le cas des vici de Germanie supérieure, mais aussi des autres provinces du nordouest, pour la Rétie, la Germanie inférieure et l’Angleterre, on peut distinguer actuellement trois plans types, conformément à ce qui vient d’être dit (Sommer 1999a). 1. Le plan “à rue” : le vicus ou ses parties principales sont situés le long des routes de sortie du camp, par ex. Bad Wimpfen, Heldenbergen, Inheiden (fig. 115a), Ladenburg, Zugmantel. 2. Le plan tangentiel : le vicus se situe le long d’un grand axe routier passant à côté du camp ; une bretelle établit la jonction avec celui-ci ; en règle générale, pareille disposition découle d’une situation topographique particulière du camp, le plus souvent sur un éperon rocheux, par ex. Sulz (fig. 115b). 3. Le plan annulaire : le vicus se situe sur la face arrière du camp, le long d’une route en anneau qui contourne celui-ci à quelque distance, par ex. Niederbieber (fig. 116). 217 FIG. 115 a Vue aérienne d’Inheiden : restes du vicus de part et d’autre de la route menant au camp (type 1, "à rue") [cliché O. Braasch] ; b plan du camp et du vicus de Sulz (type 2, "tangentiel") [Sommer 1999b, fig. 2]. FIG. 116 Reconstitution du vicus de Niederbieber (type 3, "annulaire") [Cüppers 1990, fig. 48], 218 238 Il ne fait aucun doute que la forme “à rue” est le schéma le plus souvent rencontré pour les vici des provinces du nord-ouest. Le fait remarquable est qu’en général, les premières maisons s’y trouvent de l’autre côté des fossés du fort. En revanche, dans un vicus tangentiel, les bâtiments, pour des raisons topographiques, respectent le plus souvent une certaine distance avec le castellum. À la différence de ces deux premières catégories, les édifices d’un vicus de type “annulaire” pur respectent toujours une distance considérable avec les fossés –jusqu’à 100 m. Il ne s’agit pourtant pas d’un glacis, au sens où ce mot suppose un espace laissé libre pour des raisons défensives, mais d’un espace libre servant de terrain de manœuvre pour des chevaux, et qui était intégré d’emblée aux plans du castellum et de son environnement. Cette affirmation résulte de deux constatations : les vici du type “annulaire” se rencontrent exclusivement près des forts occupés par des cavaliers (alae et cohortes equitatae) et certaines parties du vicus peuvent aussi atteindre les fossés (Niederbieber, au sudouest). 239 Il est cependant rare que l’on rencontre ces types sous leur forme pure. L’extension du type 2 “tangentiel” par le biais d’une zone d’habitat qui, par son implantation le long de la route menant à la porte la plus proche du camp répond au type 1 “à rue” (par ex. Butzbach : fig. 117) est fréquente, tout comme, pour les zones d’habitat ancien, la jonction de deux ou trois quartiers “rues” (type 1) par un segment annulaire de type 3 (par ex. la Saalburg, Stockstadt am Main, Zugmantel). De la même manière, dans les zones d’habitat annulaire, on observe des extensions le long des routes venant de l’extérieur (type 2) : par ex. Niederbieber ; il arrive aussi que le type “annulaire” s’applique uniquement à deux ou trois côtés du fort. Au-delà des éléments formels liés au type, on retrouve une grande place dans de nombreux vici, peut-être même dans tous, au moins pour le type “à rue” (la Saalburg, Zugmantel, Ladenburg, Heddernheim [fig. 118 : Forum] et, comme on l’a découvert depuis peu, Rottweil III, devant la porta praetorid). Des places de marché apparaissent régulièrement devant la porte principale du camp, souvent orientées vers les thermes, et constituent, du point de vue topographique et fonctionnel, le maillon reliant le camp et le vicus. De grands édifices –temples ou bâtiments de surveillance du marché–, la présence de maisons avec leurs façades ouvertes, normalement accompagnées de portiques, orientées vers la place, et une planification claire permettent de penser qu’il s’agissait de places centrales de marché destinées aux habitants des vici, aux soldats et aux officiers. 219 FIG. 117 Plan schématique du vicus de Butzbach (Baatz & Herrmann 1982, fig. 173). FIG. 118 Plan de Nida (Heddernheim) [Wenzel 2000. pl. h.t.]. 240 En matière d’architecture, on ne peut distinguer vici militaires et vici purement civils (Sommer 1994). La forme dominante des édifices, dans les deux cas, est ce que l’on appelle la “maison longitudinale” (allemand : Streifenhaus, anglais : striphouse) [fig. 119]. Sa forme est pour l’essentiel celle d’un long rectangle, ouvert sur la rue ou séparé de celle-ci par une barrière légère, couvert d’un toit allongé, avec une distribution intérieure aisée à modifier (Kaiser & Sommer 1994, 306, 392). Le long des routes principales au moins, on trouve régulièrement des portiques reliés à la maison. Cette 220 forme de construction favorise une utilisation multifonctionnelle et modulable, à la fois pour les pièces d’habitation –au milieu de la maison et dans un premier étage éventuel–, pour le commerce et les services (sur rue) et pour l’artisanat (sur cour) : en particulier à Bad Wimpfen, Walheim, Heldenbergen et Ladenburg. Des particularités régionales sont perceptibles mais pas encore suffisamment étudiées, comme par exemple la présence de caves situées sous la façade ou le portique dans le nord de la Germanie supérieure (Sommer 1999b). Au fil du temps, les choses semblent avoir évolué, en l’espèce, de bâtiments de taille relativement petite (Asperg) vers des bâtiments toujours plus allongés, pouvant atteindre 25 m et plus (par ex. Butzbach, Heldenbergen, Ladenburg, Zugmantel, la Saalburg). On doit noter la densité de l’urbanisme, parfois même avec des murs mitoyens (par ex. Heldenbergen, Ladenburg, Zugmantel). La largeur des bâtiments dépend de la taille des parcelles. Celles-ci s’allongeaient le plus souvent vers l’arrière ; on y créait des espaces réservés aux activités artisanales, notamment dans le domaine de la poterie, de l’alimentation et de l’hygiène –puits et latrines–, et sans doute des enclos pour le petit élevage et la culture maraîchère (par ex. Bad Wimpfen, Heldenbergen, Ladenburg, la Saalburg). On ne trouvait que dans les zones d’habitat très denses des parcelles très réduites vers l’arrière (par ex. Stockstadt am Main, Butzbach). FIG. 119 Plans de "maisons longitudinales" (Kaiser & Sommer 1994, fig. 263). Ladenburg/Kellerei : a côté ouest, phase 2b ; b côté ouest, phase 3b ; c bâtiment C4 ; d bâtiments F et G4 ; e Bregenz ; f Walheim, bâtiment 10 ; g Wimpfen ; h Zugmantel ; i Zugmantel ; j Heldenbergen, maisons C-E. 241 Sur les grands sites, on rencontre toujours des bâtiments aux plans plus complexes et des bâtiments spéciaux (Neckarburken, la Saalburg, Oedenburg). Les surfaces étudiées sont cependant, à ce jour, beaucoup trop petites pour que l’on puisse appréhender tous les aspects de ce problème. De la même manière, le rapport entre les zones privées et les bâtiments ou terrains publics ou semi-publics, comme les temples, les mithraea, etc., est encore peu clair aujourd’hui (par ex. la Saalburg, Stockstadt). Au total, les vici donnent l’image de quartiers denses orientés vers leur camp, avec des façades de maison alignées, au moins le long des routes principales. Peu importe ici de 221 savoir s’il s’agissait de bâtiments en bois ou à colombages, comme c’était régulièrement le cas au début de la création d’un quartier d’habitation, ou bien d’édifices en pierre. 242 La densité de l’urbanisme rendait indispensable le respect de règles lors de l’aménagement. Différentes inscriptions indiquent qu’il existait des associations et vraisemblablement une administration interne (yeterani consistentes, vicani consistentes, éventuellement magistri, curam agente ou autres). L’armée exerçait sans doute aussi une certaine influence sur les questions essentielles. Les résultats des fouilles –notamment l’absence d’uniformité, les largeurs différentes des parcelles et les spécificités de la construction des bâtiments et de leurs détails– plaident cependant contre l’idée que l’armée ait pu se charger de l’organisation des lieux. En tout cas, à Ladenburg par exemple, on peut conclure à l’existence d’une frontière bien délimitée entre l’espace public et l’espace privé, sur la ligne située entre le portique et le bâtiment proprement dit, et l’on peut conclure qu’il existait des règles d’emprise sur une limite de parcelle déterminée –seules les limites de parcelles situées vers les voies cardinales paraissent avoir été soumises à l’emprise du riverain. Par ailleurs, il est vraisemblable que l’on ne pratiquait pas l’arpentage in fronte, mais in agro, ce qui rend probable l’existence d’une sorte de cadastre assurant la continuité des parcelles, même de formes irrégulières, à travers les phases d’occupation successives, souvent ponctuées par de grands incendies. 243 Pour conclure, il faut rappeler que beaucoup des vici ont, après le retrait de l’armée, connu une évolution qui en a fait des centres purement civils. Mis à part un recul partiel de l’habitat, dû au départ d’une partie de la population en même temps que de l’armée, les structures des anciens vici et le découpage en parcelles ont souvent été repris pratiquement à l’identique et prolongés (Bad Wimpfen, Heddernheim, Heldenbergen, Ladenburg, Walheim). 2.14 Camps d’étape et camps d’entraînement 244 SIEGMAR VON SCHNURBEIN 245 Avant que ne se mette en place, sous Auguste, l’armée romaine permanente, la règle, sous la République, était d’installer, pendant les campagnes militaires, des camps dont la vie était parfois très brève, parfois plus longue (Fischer 1914) ; Polybe en donne au IIe siècle av. J.-C. une description classique (VI, 27-42). Il s agit d’un camp pour deux légions et leurs alliés (socii), au IIe s. av. J.-C., une époque où les camps durables n’existaient pas, faute d’armée permanente (fig. 120). J. Pamment Salvatore (1996, 5-20) a dressé un bilan des différentes interprétations du texte de Polybe. Dans le De Bello Gallico de César, on mentionne très fréquemment ce type de fortifications (BG I, 21, 1 ; 28, 1 ; V, 49, 7) ; on parle également souvent des camps que Varus a fait dresser avant et pendant la bataille dans la forêt de Teutoburg (Dion Cassius LVI, 21 ; Tacite, Annales I, 61, 2) et de ceux que Germanicus a fait construire (Tacite, Annales I, 50, 1-2 ; 51, 4 ; 63, 5.7 ; 67, 1). Les principales sources pour l’époque impériale sont ps.-Hygin, Liber de munitionibus castromm, et Végèce (notamment III, 8). Le texte d’Hygin permet de dessiner le schéma de base d’un grand camp d’étape (fig. 121). Mais il est inhabituel dans la mesure où il est calculé pour les tentes de trois légions, quatre cohortes prétoriennes et un nombre indéterminé de corps auxiliaires, et constitue donc un cas exceptionnel. Les termes techniques et le principe fondamental ont en revanche une portée générale, et une bonne partie des notions peuvent être transposées aux camps fixes et construits en dur. A la différence de ceux-ci, les camps d’étape d’Hygin n’ont 222 pas de principia : ceux-ci sont remplacés par un quaestorium, dont les fonctions administratives sont celles que remplissent les principia des camps fixes. FIG. 120 Le camp de marche selon Polybe. Il s’inscrit dans un carré de 600 m de côté (Johnson 1987, fig. 15). FIG. 121 Le camp de marche selon Hygin 737 (Lenoir 1979, pl. h.t.). dessin G. Monthel. 223 246 Chez ps.-Hygin (48) et chez d’autres, on trouve le terme de munitio aestivalium pour le camp d’été ; on rencontre aussi fréquemment le terme d’aestiva castra (par ex. Tacite, Annales I, 16, 2 ; ps.-Hygin 45). Les deux termes désignent des camps bâtis et occupés pour une courte période. On les appelait “camps d’été” parce que, dans l’Antiquité, on ne faisait la guerre en hiver que dans des cas exceptionnels. Les lieux où la troupe séjournait en hiver s’appelaient par conséquent hiberna castra ou encore hibemacula (Baatz 1985). Les camps d’étape, que les troupes en déplacement construisaient d’abord pour le court terme, devaient être réaménagés et renforcés lorsque la situation militaire changeait. Ils pouvaient ainsi se transformer en un camp occupé pour une longue période (castra stativa) [Tite-Live XXXIII 36, 7 ; XXXVII 33, 6 ; César, BG III, 37, 1]. À l’inverse, la situation militaire pouvait exiger qu’un camp d’abord prévu pour fonctionner à long terme fût évacué avant l’heure (BG III, 1-6). Dans les camps édifiés pour une brève période, on dressait uniquement l’enceinte fortifiée et les troupes étaient logées dans des tentes. D’un point de vue archéologique, il est donc pratiquement impossible d’établir dans quelle situation tactique effective a été construit un camp de ce type. La recherche donne par conséquent le nom de “camp d’étape” à tous les camps dans lesquels on ne trouve pas trace de bâtiments intérieurs, et dont l’enceinte n’était pas construite sous forme de murs en bois et en terre pourvus de portails. Seules la largeur et la profondeur du fossé du camp permettent, lorsque c’est possible, d’émettre des hypothèses sur la durée de vie de ces camps : une nuit, quelques jours, peut-être même quelques semaines. Les mesures du fossé dépendaient beaucoup, bien sûr, de la nature du sol. Mais comme nous savons, grâce par exemple aux indications de César, à quelle vitesse extraordinaire une troupe bien entraînée pouvait creuser des fossés larges et profonds ou édifier de hauts remparts, ce type d’estimation devient problématique (BG II, 5 : mur de 12 pieds de haut, fossé de 15 pieds de large ; VIII, 9 : mur de 12 pieds de haut, deux fossés de 15 pieds de large). Végèce (III, 8) cite, à propos d’un camp d’étape installé pour une nuit, un fossé de 5 pieds de large et de 3 pieds de profondeur, avec un rempart de terre accumulée, dressé à l’arrière du fossé. Ps.-Hygin (49) explique très clairement que la sécurité d’un camp d’étape (camp d’été) pouvait être assurée par un fossé, un mur, une palissade, des armes ou une digue, en fonction de la nature du terrain et du matériau dont on disposait. Végèce (III, 8) rapporte les mêmes faits. Du point de vue archéologique, on ne peut prouver l’existence d’un camp de ce type que dans la mesure où un fossé assez profond a été creusé ou si l’on a conservé un mur ou une digue. Du point de vue de la technique de construction, ce type de fossés, naturellement, ne se distingue pas de ceux des camps permanents. Lorsque le sol s’y prêtait, les fossés pouvaient avoir des pentes beaucoup plus abruptes qu’à l’ordinaire, ce dont on a des témoignages avec le Feldlager de Haltern et le camp d’étape de Dorlar (Schnurbein & Köhler 1994) [fig. 122], 224 FIG. 122 Fossés du camp de marche de Dorlar (Schnurbein & Köhler 1994,197, fig. 3). 247 Seules certaines circonstances permettent de faire la différence entre les camps d’étape et les camps dits “d’entraînement”, que les armées permanentes semblent avoir construits pendant les manœuvres. Végèce (I, 25-27) mentionne ce type de manœuvres (ambulatio), censées se dérouler trois fois par mois et au cours desquelles on s’exerçait aussi et spécialement à la construction de camps. Appien (Iber. 86) mentionne des faits analogues, et l’on connaît la fameuse inscription de Lambèse dans laquelle Hadrien, dans sa critique des manœuvres, fait l’éloge du camp d’entraînement construit par la troupe (Dessau 2487). On peut identifier les camps d’entraînement en tant que tels uniquement dans les cas où, par exemple aux environs d’un grand site militaire, on trouve dans un secteur étroitement délimité une quantité de fossés régulièrement disposés. On a découvert des lieux de manœuvre de ce type dans différents sites, à proximité de Vetera (fig. 123) [Horn 1987, 332-334] et de Bonn (Horn 1987, 606-607). L’exemple le plus connu est celui des environs de Llandrindod, au pays de Galles, où l’on a découvert toute une série de camps en miniature mesurant seulement entre 14 x 14 m et 35 x 32 m. Ils prouvent que l’on s’est spécifiquement entraîné à la construction de claviculae et de titula (Nash-Williams 1969, 126 sq.) ; il s’agit ici du terrain d’entraînement des troupes du castellum auxiliaire de Castell Collen, situé à proximité. 225 FIG. 123 Traces des camps d’exercice d’Alpen/Veen, au sud-est du camp légionnaire de Vetera (d’après Horn 1987, fig. 280). 248 Il devait donc exister un grand nombre de camps d’étape en Gaule et en Germanie, jusqu’à l’Elbe, depuis les guerres de César. En revanche, très peu ont été confirmés à ce jour par les fouilles. Grâce à l’archéologie aérienne, on n’a cessé de découvrir ces dernières années des fossés carrés ou rectangulaires (par ex. Neujahrsgruss 1998, 81-82). Tant qu’ils ne sont pas datés en toute certitude par des fouilles, on ignore si l’on peut les attribuer à l’armée romaine. En revanche, on a découvert en Angleterre, en Autriche et en Slovaquie, ces dernières décennies, un nombre particulièrement important de traces de camps romains par observation aérienne (Welfare & Swan 1995 ; Tejral 1999). Exemples de camps de marche • Bad Nauheim, 14 ha, datation ? (Kull 2003, 277-279). • Dorlar, 21 ha, augustéen (Schnurbein & Kôhler 1994, 193-203). • Ermelo, 8,6 ha, 2e moitié du IIe s. ap. J.-C. • Francfort/Heddernheim, différentes dimensions, Flaviens-Trajan. • Estissac, 13,4 ha, datation ? • Haltern – Feldlager, 36 ha, augustéen (Schnurbein 1974, 39-41 ; Kühlborn 1995, 86). – Ostlager, au moins 20 ha, augustéen (Kühlborn 1999, 6-12). • Heldenbergen I, au moins 8,5 ha, domitianique. • Holsterhausen, dix camps ?, augustéen (Ebel-Zepezaner 2003). • Kneblinghausen, 7,5 ou 10 ha, peut-être augustéen. Depuis longtemps, on débat de la chronologie de ce site, occupé très peu de temps. On l’a daté de l’époque flavienne en raison 226 de sa clavicule, mais la découverte récente de clavicules à Alésia peut suggérer désormais une datation augustéenne (Kühlborn 1997, 102-104). • Marktbreit/älteres Lager, env. 9 ha, augustéen Pietsch et al. 1991,263-324. • Neuville-sur-Vannes, 12 ha, datation ? • Petange/Le Titelberg ? 12 ha, interprétation incertaine, augustéen précoce (Metzler et al. 2000, 438, fig. 7). • Waldgirmes, 2,9 ha, augustéen (Becker & Rasbach 2003, 156). • Wederath, 2,2 ha, 1re moitié du Ier s. ap. J.-C. (Oldenstein 2000, 23-28). 2.15 Les ouvrages linéaires 249 MICHEL REDDÉ, 250 avec la contribution d’EGON SCHALLMAYER 251 L’armée romaine a mis en œuvre, au cours du temps, un certain nombre d’ouvrages linéaires conçus comme des barrières destinées à contrôler ou interdire tout passage. Les circonstances et les objectifs pouvaient être fort divers selon qu’il s’agissait de fortifications de campagne, comme on en rencontre lors de la bataille de l’Aisne à Mauchamp, de siège, comme à Alésia, de protection locale pour barrer une vallée, comme la Sibyllenspur, ou de frontière, comme le limes lui-même (Napoli 1997a). Malgré ces différences de fonction, leur nature même et leur mise en œuvre architecturale rapprochent ces différents types de travaux et justifient qu’on les traite dans un chapitre commun. Ils ne sont au demeurant pas propres à ce secteur de l’Empire et doivent être considérés à la lumière de comparaisons élargies à d’autres secteurs géographiques. 2.15.1 Les fortifications de campagne 252 Nous appelons ainsi les retranchements réalisés par un officier à l’occasion d’une bataille particulière, de manière à interdire un mouvement de l’ennemi et à protéger ses propres troupes, voire à favoriser les déplacements de ses unités en les mettant à l’abri d’une attaque inopinée. Pendant la guerre des Gaules, ce type d’ouvrage est attesté à plusieurs reprises : à Mauchamp, lors de la bataille de l’Aisne, en 57, “César fit creuser en protection, des deux côtés de la colline, un fossé transversal (transversam fossam) d’environ quatre cents pas, et, à l’extrémité des fossés, il établit des redoutes (castella), où il plaça des pièces d’artillerie afin que, la ligne de bataille une fois constituée, les ennemis, auxquels le nombre donnait un tel avantage, ne puissent pas envelopper les siens par les versants au cours du combat” (BG II, 8). Les ouvrages césariens ont été repérés archéologiquement lors des fouilles du second Empire et confirmés par la photographie aérienne. Des fouilles modernes seraient toutefois nécessaires à Mauchamp. 253 Lors de l’épisode de Gergovie, César construisit un système de protection linéaire destiné à relier le grand camp au petit camp d’assaut pour sécuriser les mouvements de ses troupes : fossamque duplicem duodenum pedum a maioribus castris ad minora perduxit, ut tuto ab repentino hostium incursu etiam singuli commeare passent. “Il relia le petit camp au grand camp par un double fossé de douze pieds de large, afin que même des hommes isolés pussent aller de l’un à l’autre à l’abri des surprises de l’ennemi” (BG VII, 36). On considère d’ordinaire que ce type de défense porte le nom de brachium –mais César lui- 227 même n’utilise jamais ce mot technique– et qu’il se distingue d’une fortification classique en ce sens que le fossé est situé du côté interne, ami, alors que la levée de terre, éventuellement surmontée d’une palissade, est rejetée du côté externe, ennemi (Matherat 1941 ; Rebuffat 1981). 11 s’agit donc d’une sorte de tranchée protégée. Les fouilles de Napoléon III sont réputées avoir repéré ce dispositif, mais les recherches plus récentes n’ont pu observer qu’un seul fossé. Bien que mis en œuvre à l’occasion d’un siège, cet ouvrage linéaire n’est pas à proprement parler destiné à l’investissement de la place ; il est bien, en ce sens, une fortification de campagne. 254 On est sur un terrain moins ferme avec les ouvrages de Nointel, dans l’Oise, fouillés avant la seconde guerre mondiale par G. Matherat, dans la mesure où la publication en a été très insuffisante et où l’interprétation des vestiges est fort discutable (Matherat 1936 ; 1937 ; 1943). En 51, lors de la seconde campagne contre les Bellovaques, César établit un camp sur une hauteur que G. Matherat a voulu reconnaître aux environs de Nointel. Le plan, très général, montre le “camp de César” au Bois des Côtes, avec une ligne défensive continue, bordant à l’ouest des marais qui séparent les Romains de la position des Bellovaques (fig. 124). Une série de camps jalonnerait cette fortification dont aucun rapport de fouilles digne de ce nom ne rend réellement compte, l’auteur se contentant d’une description théorique où se mêlent des observations archéologiques non localisées et une réflexion sur les textes antiques. La question devrait être entièrement reprise sur le terrain. FIG. 124 Les "retranchements de César" à Nointel (d’après Matherat 1943, fig. 1). 2.15.2 Les fortifications de siège 255 Les fortifications de siège, pour l’époque antique, sont souvent mieux connues par les textes que par l’archéologie ; éphémères par nature, elles ont généralement laissé assez peu de traces, à l’exception de grands sites comme Numance, Masada ou Alésia. Ce 228 dernier site est aujourd’hui le mieux connu, en raison des fouilles intensives qui y ont été menées, tant sous le second Empire que dans les années 1991-1997. Sans revenir sur la description des ouvrages césariens que l’on trouvera ci-dessous, il convient de la replacer ici dans son contexte général. 256 Il existe deux manières de prendre une ville : l’assaut de vive force ou le siège. Devant Avaricum, c’est la première manière qui est employée car le terrain, dit César (BG VII, 17), interdisait de construire une “circonvallation”, terme technique qui désigne la ligne d’investissement, contrairement à l’usage erroné qu’en a fait Napoléon III pour nommer la fortification extérieure destinée à protéger César de l’armée de secours gauloise (Reddé & Schnurbein 2001, I, 492). Ainsi, devant Bourges, où une zone de marécages interdit l’investissement, il faut se résoudre à l’assaut, et le proconsul fait édifier un agger, c’est-à-dire ici une terrasse boisée dont le front avance progressivement vers le rempart, à hauteur de celui-ci, grâce à la protection qu’offrent aux soldats des vineae, mantelets de bois, sans doute en forme de galerie mobile, installés sur le terrassement. On construit ensuite des tours, qui seront roulées au moment de l’assaut sur la plate-forme ainsi constituée (BG VII, 17). Le scénario est classique et se rencontre à plusieurs reprises dans les ouvrages de poliorcétique antique (Schulten 1927 ; Garlan 1974). On citera un autre cas, en Gaule même, pendant la guerre civile cette fois-ci : le siège de Marseille, qui obéit aux mêmes règles, et pour lequel César emploie les mêmes expressions (BG II, 2, 2). La différence entre les deux épisodes tient au fait que les Marseillais connaissent bien eux-mêmes les techniques de poliorcétique et répliquent infiniment mieux que les Gaulois. Les Césariens sont ainsi obligés de construire des galeries solidement blindées pour s’approcher des remparts, et surtout de dresser des tours d’approche beaucoup plus fortes, avec des plates-formes couvertes de briques et de mortier, des matelas pour amortir les projectiles et des mantelets de nattes pendant tout autour de la tour (BG II, 2, 8-9). Mais, dans tout cela, il n’est rien que la science hellénistique n’ait déjà inventé. C’est encore une technique du même genre qui est employée lors du siège d’Uxellodunum, cette fois-ci pour empêcher les assiégés de s’approvisionner en eau (BG VIII, 41). 257 L’alternative, quand on le peut, est de bloquer la place par un ouvrage continu, interdisant toute sortie des assiégés. Là aussi, le schéma alisien répond à une technique bien éprouvée, déjà mentionnée dans les textes hellénistiques mais dont le meilleur exemple antérieur est celui de Numance. Comme Scipion en effet, et conformément à un usage bien établi, César dispose ses camps en couronne autour de la ville assiégée, les deux camps principaux (B et C) étant placés en vis à vis, de part et d’autre. Comme Scipion, il relie ensuite ses propres défenses par une fortification continue, composée d’un rempart jalonné de tours et protégé par des fossés. Le reste est affaire de détail : la nature des matériaux employés, la distance entre les tours, le nombre des fossés, le type des pièges qui protègent les glacis. 258 D’une manière générale, on observera que les systèmes défensifs d’Alésia ne diffèrent en rien de ceux que l’on peut connaître ailleurs ; tant les obstacles en élévation – remparts, tours– que les obstacles en creux –fossés– sont conformes à ce que l’on attend (Reddé & Schnurbein 2001). 11 en va de même des pièges, qui répondent à des techniques connues dès l’époque hellénistique : les cippi, déjà décrits par Polybe (XVIII, 18, 5-18), mais aussi les chausse-trappes, les paliures ou les tribuli (épines métalliques) préconisés par Philon de Byzance sur les glacis armés (A, 70-74), près de deux siècles avant la guerre des Gaules. Des lilia, identiques à ceux d’Alésia, se retrouvent à Rough 229 Castle, sur le mur d’Antonin. D’autres apparaissent désormais à divers endroits au pied du mur d’Hadrien (Bidwell 2005). Si, dans l’ensemble, ces pièges sont mal connus sur le limes de Germanie, c’est souvent qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une recherche intensive. Le schéma tactique d’Alésia se retrouvera d’ailleurs ultérieurement, lors du siège de Pérouse par les troupes d’Octavien, en 36 av. J.-C., ou devant Masada. La grande différence réside plutôt dans la présence, à Alésia, d’une seconde ligne tournée vers l’extérieur, de même nature que la première, car César était lui-même menacé sur ses arrières. D’un strict point de vue architectural, cette ligne s’insère parfaitement dans les canons classiques et ne diffère de la précédente que par des détails. Constituant avec la ligne intérieure un étroit couloir fortifié qui reliait entre eux les postes romains (camps et castella), elle rappelle, en ce sens, le dispositif des longs murs entre Athènes et le Pirée, mais avec un objectif totalement différent. 2.15.3 Les barrières linéaires locales 259 L’existence de barrières fortifiées pour interdire l’invasion d’un territoire n’est pas, quoi que l’on en pense parfois, l’invention tardive d’un Empire sur la défensive. On la trouve en effet en Gaule dès le début de la guerre puisque César édifia sur une longueur de dix-neuf milles, entre le lac Léman et le Jura, un mur (murus) de seize pieds de hauteur, précédé d’un fossé, pour barrer la route des Helvètes (BGI, 8). Cet ouvrage était, comme il se doit, muni de praesidia et de castella, destinés à abriter les troupes, à surveiller et alerter, intervenir au besoin. Il remplit d’ailleurs fort bien sa fonction, puisqu’il détourna les envahisseurs vers le pays des Séquanes. De même, en 69, les Trévires construisirent autour de leur territoire un système défensif (loricam vallumque), c’est-à-dire en fait un rempart formé d’une palissade surmontée d’un garde-corps composé sans doute d’un clayonnage, pour protéger leur territoire contre les Germains, lors de la révolte batave (Tacite, Histoires IV, 37). Aucune de ces deux fortifications temporaires n’a été retrouvée. Il n’en va pas de même de la barrière découverte dans le Lautertal, entre Owen et Dettingen unter Teck (district d’Esslingen) et connue sous le nom de Sibyllenspur, par référence à une vieille légende germanique (fig. 125). Sur environ 600 m de long, dans la vallée de la Lauter, apparaît bien visible sur les photographies aériennes un double fossé séparé par une berme de 6 m. En 1982, une petite fouille a montré que le fossé 1, en V, avait une ouverture de 3,60 m pour une profondeur de 1,50 m, tandis que le second, vers l’intérieur, offrait encore une largeur de 2,80 m, pour une profondeur de 1,20 m. A 1,50 m derrière le fossé 2 apparaît une troisième trace rectiligne (1. 0,70 m ; prof. 1,10 m) qui servait de fondation à une palissade bloquée par un talus arrière (fig. 126b). Le matériel céramique retrouvé indique une datation vers la fin du Ier s. et au début du IIe. Près de Dettingen unter Teck, une petite enceinte quadrangulaire d’environ 60 x 60 m, aux angles arrondis, avec une porte vers l’est, a révélé un fossé en V large de 2,00 à 2,20 m, profond de 0,70 m, suivi vers l’intérieur d’une palissade de bois (fig. 126a). La surface interne du poste est estimée à 0,2 ha. Cette barrière locale reliait donc probablement la ligne des postes militaires du Neckar et celle des Alpes souabes, en fermant une vallée qui constituait un point de passage facile vers le sud (fig. 127), bien avant la construction du limes de l’Odenwald (Planck 1982 ; 1986 ; 1987). 230 FIG. 125 Le limes du Lautertal, ou Sibyllenspur. FIG. 126 La Sibyllenspur à Dettingen unter Teck (Planck 1987, fig. 7, 11) : a plan général du système défensif d’après les fouilles de 1982 et la photographie aérienne ; b plan et coupe de l’ouvrage linéaire. 231 FIG. 127 Reconstitution de la Sibyllenspur (RLD 1992, fig. 43). 2.15.4 Le limes 260 Les archéologues et les historiens ont pris l’habitude de désigner par ce terme le système de fortifications qui protègent les marches de l’Empire, ainsi que son organisation administrative. Or rien n’est plus inexact et les textes anciens n’autorisent pas un tel emploi, comme l’a bien montré B. Isaac dans un article fondamental auquel il convient de se référer (Isaac 1988). 261 Le mot limes appartient originellement au vocabulaire des arpenteurs (agrimensores) et désigne un chemin bordier. Par extension, les écrivains du Ier s. de n.è., notamment Tacite (Histoires I, 50 ; Annales II, 7 ; Germanie 29, 4) ou Frontin (Stratagemata I, 3, 10), l’emploient pour évoquer les voies de pénétration tracées par les Romains en territoire germanique. C’est secondairement que le terme finit par désigner la frontière de l’Empire ; chez Tacite (Agricola, 41) d’abord lorsque, évoquant les campagnes d’Agricola, l’auteur écrit : ... nec jam de limite imperii et ripa, sed de hiberniis legionum etpossessione dubitatum, “... et maintenant ce n’est plus la frontière de l’Empire et la rive d’un fleuve, mais les quartiers d’hiver des légions et nos possessions qui sont mis en cause’’. L’Itinéraire Antonin emploie des expressions comme A limite, id est a vallo (Cuntz : 71, 464) à propos du mur d’Hadrien, ou comme limitem Tripolitanum pour désigner la route du désert entre Tacape et Leptis Magna (Cuntz : 10, 73). Nous sommes alors au début du IIIe s. et l’usage continue de s’étendre avec des expressions qui désignent un secteur géographique frontalier, notamment en Afrique (CIL VIII, 22765 : ex limite Tripolitand). Dans l’Antiquité tardive, le mot continue d’évoluer et prend souvent le sens de zone frontalière, avec son organisation particulière, bien plus proche désormais du sens que lui donnent les Modernes (CIL III, 12483 par ex.) ; il s’agit alors d’un concept administratif, beaucoup plus que d’un système de défense au sens strict. D’une manière générale, l’usage antique n’emploie pas le terme limes pour désigner une frontière fluviale –on utilise alors plus volontiers le mot ripa, encore que celui-ci finisse aussi par 232 prendre un sens dérivé, douanier ou administratif– ni même, stricto sensu, une chaîne de forts. 262 Le limes de Germanie supérieure désigne donc la frontière terrestre, installée en plusieurs étapes, à partir de la période tardo-flavienne, sur la rive droite du Rhin. Son tracé commence à environ 25 km au nord de Coblence, en face du confluent de la Vinxtbach (rive gauche) qui constitue la frontière entre les deux Germanies. On notera au passage que le toponyme Vinxt est issu d’un mot latin qui désigne la frontière (finis). Le limes englobe ensuite le bassin de Neuwied, puis les hauteurs du Taunus, grimpant sur les pentes du Feldberg (770 m) au nord du Main, en un parcours sinueux, de direction générale ouest-est, avant de redescendre plein sud et de traverser le fleuve à Gross Krotzenburg. Le Main sert alors de frontière jusqu’à Wörth, où commence ce que l’on appelle le limes de l’Odenwald, de tracé nord-sud, qui rejoint le Neckar à Bad Wimpfen, où le fleuve, à son tour, sert de frontière. De là, une série de forts, sans défense linéaire continue, à l’exception peut-être du tronçon du Lautertal, rejoint la zone du Danube. Ce n’est que sous Antonin que fut tracé un second limes, plus à l’est, partant lui aussi du Main, à Miltenberg et descendant parallèlement au précédent (fig. 128), jusqu’à Lorch, où il forme un grand coude presque à angle droit vers l’est, afin de rejoindre le limes de Rétie qui commence à cet endroit. FIG. 128 Fortifications militaires du limes de Germanie supérieure et de Rétie depuis l’époque de Domitien (RLD 1992, fig. 21). 263 La fouille de cet ensemble gigantesque, avec les forts associés, constitue sans aucun doute la plus grande entreprise collective jamais organisée dans le domaine de l’archéologie, réunissant les plus grands noms de la science allemande, au premier rang desquels il faut citer Th. Mommsen, inspirateur et président de la commission spécialement créée à cette occasion en 1890 (la Reichslimeskommission), et financée – très généreusement, à hauteur de 200 000 marks de l’époque !–, sur des crédits du Reich, événement extraordinaire dans un pays unifié depuis peu et où les états régionaux conservaient toute leur compétence, particulièrement en matière culturelle. Ces moyens devaient pourtant très vite se révéler insuffisants. 233 264 La fortification, longue de 550 km (Germanie supérieure et Rétie) fut divisée en quinze secteurs géographiques (Strecken), dont les neuf premiers intéressent ici notre propos (fig. 129). Chaque secteur avait à sa tête un commissaire et l’ensemble des travaux était coordonné par la Reichslimeskommission. Malgré la retraite relative puis la mort de Th. Mommsen, suivie d’une interruption relative en 1901-1903, malgré des difficultés financières de plus en plus grandes, malgré la guerre, la crise économique puis les réticences du régime national-socialiste, les travaux se poursuivirent jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, sous la direction effective d’Ernst Fabricius, et avec l’appui de la Römisch-Germanische Kommission de Francfort (RGK), fondée en 1902. Les recherches au sol furent très limitées entre les deux guerres, mais l’ensemble publié (1894-1937) est considérable –cinquante-six tomes, connus sous le nom d’ORL (Der Obergermanisch-rätische Limes des Römerreiches)– divisé en deux séries : A pour les secteurs du limes proprement dit, B pour les forts. Furent ainsi identifiés plus de quatre-vingt-dix forts et environ mille tours de guet. Les travaux, plus limités, ont repris après la seconde guerre mondiale, sous l’égide de la RGK, du musée de la Saalburg et des services archéologiques des Lânder ; ils sont aujourd’hui publiés dans la série des Limesforschungen (vingt-cinq tomes parus à ce jour). Le meilleur guide du limes est celui de D. Baatz (2e éd., 2000). Le musée d’Aalen, en Rétie, est spécialement dédié à la frontière romaine, et plusieurs parcs archéologiques, notamment en BadeWurtemberg, permettent aujourd’hui au touriste, spécialisé ou non, de visiter des reconstitutions en pierre ou en bois d’excellente facture, suivant en cela l’exemple ancien donné, dès la fin du siècle dernier, par la reconstruction spectaculaire du fort de la Saalburg, au nord de Francfort. FIG. 129 Les secteurs du limes d’après l’ORL (Baatz 2000, fig. 52). 265 Le limes de Germanie supérieure n’est pas, dès l’origine, une fortification linéaire au sens strict du terme et D. Baatz en a rappelé les étapes de construction (fig. 130). 234 FIG. 130 Les différentes étapes de la construction du limes : a en Germanie supérieure ; b en Rétie (Baatz 2000, fig. 32 et 36). 266 • Phase 1 267 Vers 90, les troupes romaines occupent les hauteurs du Westerwald, du Taunus et de l’Odenwald, en installant d’abord de petits postes (par ex. les Schanzen de la Saalburg), puis les premiers forts (Butzbach, Echzell). Vers la fin de la décennie, soit à l’avènement de Trajan, une grande partie des unités est désormais installée sur des positions définitives qui constituent la nouvelle frontière. Cette chronologie repose essentiellement sur l’analyse du matériel des fortins. C’est sans doute à cette phase de mise en place que fait allusion le passage suivant de Tacite (Germanie XXIX, 4) : mox limite acte promotisque praesidiis sinus imperii et pars provinciae habentur, “bientôt une route-frontière est tracée, les postes avancés, et cette région entre au sein de l’Empire, devient une partie de la province” ; mais le processus continuera sans doute d’être mis en place dans les premières années du IIe s. Le limes est alors matérialisé par un simple chemin de terre, jalonné de tours en bois. Contrairement à ce qui se passe sur le mur d’Hadrien, où celles-ci sont régulièrement espacées, l’intervalle varie ici entre 200 et 1 000 m. Toutes ces tours n’ont pas été retrouvées et beaucoup ont été interpolées sur les cartes du limes. Des recherches très récentes (Kortüm 1998 ; Sommer 2002) tendent toutefois à rajeunir cette chronologie pour le secteur du Neckar, qui pourrait n’avoir été occupé que vers la fin du règne de Trajan. 268 • Phase 2 269 C’est sous Hadrien qu’est construite, devant le fossé, c’est-à-dire du côté ennemi, une palissade de bois. Cette chronologie reposait essentiellement, jusqu’à maintenant, sur un passage de l’Histoire Auguste (Hadr. 12, 6), qui ne se réfère pas explicitement à la Germanie, mais signale que, là où les Romains et les Barbares n’étaient pas séparés par 235 des fleuves, Hadrien construisit un mur, formé par une barrière de pieux reliés entre eux : Stipitibus magnis in modum muralis saeptis funditus jactis atque conexis barbaros separauit. “Il marqua la séparation d’avec les Barbares par une sorte de palissade formée de grands pieux profondément enfoncés et reliés entre eux”. On a évidemment rapproché –sans doute trop facilement– ce texte de la construction du mur d’Hadrien en Bretagne, et estimé que la mesure avait été étendue jusqu’en Afrique du Nord, sans doute bien à tort, au point d’y voir une nouvelle politique, résolument défensive, opposée à celle de Trajan. La datation hadrianique a été récemment confirmée par un sondage qui a permis de mettre au jour plusieurs pieux de la palissade, abattus durant l’hiver 119-120 (Bender & Schroth 2003 ; Schallmayer 2003, 14-16). 270 • Phase 3 271 Vers le milieu du IIe s., les tours en bois sont remplacées, pas nécessairement au même endroit, par des tours en pierre. Cette chronologie est fondée sur une série d’inscriptions de l’Odenwald, qui attribuent la construction de plusieurs tours à Antonin en 145 (CIL XIII, 6511,6514, 6518). C’est dans les années 160 que le limes “intérieur”, c’est-à-dire celui du Neckar, est progressivement remplacé par la nouvelle ligne Miltenberg-Lorch, environ 25 à 30 km plus à l’est. Cette chronologie est bien étayée par des arguments épigraphiques (Alföldy 1983 ; Speidel 1986). Des indices archéologiques récents pourraient toutefois montrer que le début de ce déplacement est antérieur au règne d’Antonin (Sommer 2002). La construction de la nouvelle palissade ne semble toutefois pas antérieure aux années 164-165, si l’on en croit les datations dendrochronologiques obtenues sur les secteurs Schwäbisch Gmünd/ Schirenhof et Rainau/ Buch-Schwabsberg, dans la zone de frontière avec la Rétie (Beck & Planck 1987, 107). 272 • Phase 4 273 Vers la fin du IIe s. ou au début du IIIe s., peut-être après la fin des guerres marcomaniques, on substitua à la palissade un fossé suivi d’une levée de terre, souvent encore visibles dans le paysage moderne et connus depuis le Moyen Age sous le nom de Pfahlgraben (fig. 131). Les recherches récentes (Schallmayer 2003, 16-19) montrent donc qu’il faut modifier substantiellement l’image traditionnelle du limes de Germanie supérieure dans sa phase finale (fig. 132a) et lui en substituer une nouvelle (fig. 132b). En Germanie supérieure, on ne constate pas de reconstruction générale en pierre de la palissade, à la fin de la phase 3, contrairement à ce que l’on observe en Rétie. 236 FIG. 131 Le Pfahlgraben : a vue aérienne près de Haghof ; b restes au sol, près de la Saalburg. FIG. 132 La dernière phase du limes de Germanie supérieure : a reconstitution traditionnelle ; b nouvelle proposition de E. Schallmayer. 237 274 Telles sont les grandes phases d’évolution du limes de Germanie supérieure. Dans le détail, les recherches anciennes ou plus récentes montrent d’importantes variations locales. 275 La présence de la palissade de poteaux est quasi générale dans tout le secteur au nord du Main et dans l’Odenwald. La palissade était fondée dans un fossé en long, à profil en V, large de 0,20 à 0,40 m à la base, de 1,00 à 1,30 m au sommet, de profondeur variable (fig. 133a) selon l’état de conservation du terrain (de 1,00 à 1,50 m). Les pierres de calage sont visibles de place en place, tous les 1,50 m environ (ORL A, II, Str. 3, pl. 11, fig. 2. A, V, p. 16-17). Parfois les poteaux sont quasiment jointifs, comme le montre une photographie prise sur le limes rétique en 1894 (fig. 133b). Dans le secteur 4 (Taunus oriental et Vétéravie occidentale), une première palissade de claies appartenant probablement à la phase 1 du limes a été observée à certains endroits, sur l’avant du système, tantôt très proche (de 2 à 5 m), tantôt éloignée (50 m). Elle se traduit archéologiquement par un petit fossé large de 0,30 m à la base, avec des alvéoles charbonneuses tous les 0,65 à 0,80 m –parfois davantage– et des pierres de calage (ORL A, II, Str. 4-5, pl. 5, fig. 1b, 3b, 4b). Ce type d’obstacle fait penser à certains des systèmes observés à Alésia, notamment dans la plaine des Laumes, où ils ont été identifiés comme des cippi. Là où le rocher affleure trop près du sol, notamment dans le secteur 3, un mur de pierres sèches, large à la base de 2,00 à 2,50 m, remplace le Pfahlgraben lors de la phase 4. FIG. 133 La palissade : a fondations de poteaux entre les postes de garde 66 et 67 dans le Taunus (ORL A, II, Str. 3, pl. 11, fig. 2) ; b près de Mônchsroth (Rétie), poteaux mis au jour par Wilhelm Kohl en 1894. 276 Dans le secteur 10 (Odenwald), entre le fortin de Zwing et le poste de garde 10/34, un mur de pierre, large de 0,60 à 1,00 m environ, remplace la palissade de la phase 2 sur 112m de long (fig. 134). Des couvrements semi-cylindriques ont été retrouvés à cet endroit (ORL A, V, Str. 10, pl. 8, fig. 4). Dans ce secteur, en raison du 238 déplacement vers l’est du limes, sous Antonin, la phase 4 (levée de terre et fossé) n’existe pas. FIG. 134 Mur en pierres sèches remplaçant la palissade près du poste 10/34 et couvrements (ORL A, 5, Str. 10, pl. 8, fig. 4. 277 Le limes extérieur, situé de 20 à 25 km à l’est du précédent, et construit, on l’a dit, sous Antonin, présente des caractères quelque peu différents du précédent, avec un parcours plus rectiligne, notamment entre Walldürn et Welzheim où, sur 80 km de distance, il franchit tous les obstacles en ligne droite. Les deux premières phases chronologiques font évidemment défaut et la construction a commencé directement avec la phase 3 : palissade de poteaux de chêne (diam. 20-25 cm) fondés dans une tranchée tous les 20 cm et reliés entre eux à la base par une traverse, et tours de pierre. Des traces de tours de bois ont été retrouvées mais sont sans doute attribuables à une phase temporaire de construction. Vers la fin du IIe s. sont édifiés la levée de terre et le fossé (phase 4) mais leur tracé n’a pas été complété partout, notamment au nord, sans doute pour des raisons locales. 278 Une fortification de pierre, identique à celle du limes rétique, relie sur 17 km de long les tours entre le nord d’Osterburken et Jagsthausen. Il s’agit d’un ouvrage qui double le Pfahlgraben de la phase 3, à une quinzaine de mètres en arrière, peut-être dans un secteur plus menacé au début du IIIe s. (fig. 135). Le mur, faiblement fondé, est étroit (de 1,20 à 1,25 m) et s’interrompt tout près des tours. Différents passages ont été aménagés tout au long des différents secteurs du limes, mais sans qu’une exploration systématique ait été entreprise : on connaît ainsi deux passages dans la palissade du Taunus (fig. 136a), un autre dans l’Odenwald (ORL A, I, Str. 1, p. 41 ; A, V, Str. 10, p. 16), six dans l’ouvrage en terre (ORL A, 1, Str. 1, p. 31 ; A, II, Str. 3, p. 35-36) et deux brèches sont attestées dans le mur en pierre du limes extérieur (Beck & Planck 1987). On ne connaît nulle part, sur la frontière de Germanie, de porte identique à celle de Dalkingen, en Rétie (Planck 1977 ; Beck & Planck 1987). Tout le parcours du limes est jalonné de tours ; celles-ci, à la différence de ce qui se passe sur le mur d’Hadrien, ne sont pas installées sur l’ouvrage linéaire lui-même, mais en arrière, à des distances variables : souvent plus de 40 m dans le Taunus et la Vétéravie, de 10 à 50 m dans l’Odenwald ou sur le limes extérieur. Les écarts sont liés au terrain et peuvent varier sensiblement : de 500 à 700 m dans le Taunus, davantage parfois (jusqu’à 900 m) pour les tours en pierre ; tous les 800 m environ dans l’Odenwald, beaucoup moins (400 m) sur le limes extérieur. Sur ce dernier, les tours en bois, on l’a vu, sont quasiment absentes. 239 FIG. 135 Mur de pierre et passage au nord de Jagsthausen (RLD 1992, fig. 65). 279 Les traces qui subsistent aujourd’hui apparaissent sous la forme d’une petite levée de terre, entourée d’un fossé, le plus souvent de forme ronde, mais parfois aussi carré, qui servait autant au drainage des eaux qu’à la protection, et l’on ne sait si existaient des palissades périphériques. La plupart des tours sont de plan rectangulaire, proche du carré, avec des dimensions moyennes de 4,80 x 4,50 m ; ne subsistent, en général, que les trous de poteau, de section carrée (fig. 136b). Sur les secteurs 3 et 10, différentes traces de la construction inférieure ont été conservées : on peut observer en effet un noyau central de terre, parementé de pierres sèches à l’extérieur, la solidité du tout étant assurée par des lits successifs de poutres orthogonales. Cet ensemble formait un socle plein auquel on n’avait pas accès : la porte unique se trouvait en effet au premier étage et on y parvenait grâce à une échelle mobile. La partie supérieure était sans doute en bois et comprenait deux étages, l’un pour l’habitat, immédiatement au-dessus du socle, l’autre pour la surveillance à travers des fenêtres (fig. 137a). L’ensemble était généralement couvert d’un toit en matériaux périssables –bois sans doute. On ignore si une galerie périphérique courait autour de la tour, à hauteur du second étage, comme c’est le cas ultérieurement des tours en pierre, et comme c’est le cas des tours figurées sur la colonne Trajane (fig. 138). On peut observer quelques variantes à cette description générale : par exemple la présence de tours plus petites (2,80 x 2,60 m), entourées de deux fossés dans le secteur 3, ou au contraire plus grandes (6 x 5 m) dans l’Odenwald. De tels édifices, pour lesquels le latin emploie les mots turris ou burgus, n’abritaient que quelques hommes (quatre ou cinq). Les tours en pierre, qui remplacent les constructions en bois vers le milieu du IIe s., présentent une forme, des dimensions et des fonctions identiques (fig. 137b, c, 139). Elles ont le plus souvent été construites à côté des anciennes tours en bois et sont parfois groupées par paires, ce qui laisse supposer, dans certains cas, des états chronologiques différents qui n’ont pas toujours 240 été bien observés (ORL A, Str. 10, p. 17-20, 42-44 ; Baatz 1973a ; 1973b ; Schallmayer 1984a). Les pierres de fondation sont assez sommairement épannelées ; dans l’Odenwald, elles forment un socle, chanfreiné ou mouluré, en légère saillie (10-20 cm) ; l’élévation était recouverte d’un enduit blanc à joints rouges (fig. 137c), comme les murs des camps. D’une manière générale, le socle est aveugle et la porte est située en élévation, mais quelques accès au niveau du sol sont attestés. On reconstitue en revanche le plus souvent l’existence d’une resserre pour les provisions au rez-dechaussée. FIG. 136 a Poste de garde 1/18 Auf der Wurzel : restes de deux tours de pierre et d’une tour de bois près d’un passage à travers le limes ; la tour de bois, la plus ancienne, et dont seul subsiste le fossé, a été remplacée sur place par une tour de pierre, avant qu’une seconde tour de pierre ne soit érigée (ORL A, l, Str. 1, pl. 6, fig. 3) ; b tour en bois 2/27 dans le Taunus (ORL A, I, Str. 2, pl. 7, fig. 2e). FIG. 137 Plan et reconstitution de quelques tours du limes : a la tour en bois 10/26, dans l’Odenwald (Baatz 2000, 43, fig. 25 et 26) ; b une tour en pierre du Str. 10 dans l’Odenwald (Baatz 2000, fig. 94) ; c la tour en pierre 1/68 à Hillscheid (Schmidt 2000, fig. 171). 241 FIG. 138 Colonne Trajane : au milieu de la scène inférieure apparaît une tour de guet en bois avec une torche servant aux signaux (Settis et al. 1988) (cliché Eugenio Monti). FIG. 139 Coupe reconstituée d’une tour en pierre du limes (Baatz 2000, fig. 29). 280 Dans l’Odenwald particulièrement, des éléments d’architecture assez nombreux ont pu être retrouvés (fig. 140) : frontons semi-circulaires de portes, parfois dédicacés (CIL XIII, 6514 ; ORL A, V, Str. 10, pl. 8, fig. 2d-e), blocs d’encastrement de fenêtres (ORL A, V, Str. 10, pl. 16, fig. 14), modillons (15 x 13 cm ; ORL A, V, Str. 10, pl. 10, fig. Ih), qui supportaient sans doute des planchers internes, moulures de décor (ORL A, V, Str. 10, 242 pl. 6, fig. 2), blocs de corniche (ORL A, V, Str. 10, pl. 10, fig. 2c ; pl. 12, fig. 1b), balustres de fenêtres (ORL A, V, Str. 10, pl. 8, fig. 2g-h et pl. 15, fig. 2h-k). Comme nous l’avons déjà dit, une galerie latérale courait sans doute au niveau du premier étage. Le toit était en matériaux périssables (bois), parfois en briques. Plusieurs reconstitutions, pas toujours parfaitement cohérentes entre elles, ont été proposées. FIG. 140 Quelques éléments d’architecture des tours de l’Odenwald (dessins Römisch-Germanische Kommission des Deutschen Archäologischen Instituts, Francfort) : a WP 36 Am Fischerpfad ; b WP 29 Im unteren Seeschlag ; c WP 33 Kahler Buckel ; d WP 37 In der Schneidershecke ; e WP 42 Im Säubaumacker (ORL A, V/, Str. 10, pl. 6, 8, 10, 15, 16). 2.15.5 Cas particuliers 2.15.5.1 Le poste de garde 10/37 In der Schneidershecke 281 EGON SCHALLMAYER 282 Le poste de garde se situe à environ 2 km au nord-ouest de Schlossau, à quelques mètres à l’est de la route nationale. Il est constitué du tertre d’une tour en bois et des fondations de deux tours en pierres A et B (fig. 141). Les trois édifices sont alignés les uns par rapport aux autres à intervalles de 25 et 35 m suivant une direction nordouest/ sud-est. La tour en pierre B présente un plan carré de 6,60 m de côté. Elle montre à l’extérieur un socle de trois assises dont le sommet est chanfreiné grâce à un bandeau de 0,15 à 0,17 m de haut. Au-dessus, le mur, lisse, se poursuivait encore sur quatre assises de 0,55 m. Dans la mesure où des éléments de bandeau de 0,12 m de hauteur ont été encore trouvés à l’occasion des fouilles, on a reconstitué, lors des travaux de conservation du site, une deuxième zone, à l’aide d’un bandeau chanfreiné, à 1,09 m au-dessus du soubassement inférieur. Du côté nord, orienté en direction du limes, se trouve une construction dont deux murets de 2,40 m de longueur et de 0,50 m 243 de largeur, séparés par un intervalle de 1,10 m, arrivent au milieu du mur de la tour. Les murets ne sont pas reliés à la tour, ils constituent un rajout ultérieur. Un bloc de bandeau, haut de 0,12 à 0,13 m, présente une entaille au ciseau dans laquelle une autre pierre a été introduite horizontalement. La construction a donc été insérée dans la maçonnerie du bâtiment principal, à hauteur de ce bandeau. Il s’agit de la partie inférieure d’un escalier placé devant les portes de la tour, à peu près à hauteur d’homme (fig. 142). La base de la marche la plus basse était formée de trois pierres de taille équarries. On peut calculer l’existence de dix marches et une hauteur totale de 1,70 m pour l’escalier. Si la pierre façonnée du bandeau est en relation avec l’escalier, ce dernier devait être placé sur la tour à peu près au niveau de la hauteur reconstituée. Une plaque de grès de 1,30 m de longueur, de 0,58 m de largeur et de 0,25 m de hauteur devrait de même appartenir à l’escalier. Un autel votif dédié à Jupiter provient également du sous-œuvre en dur de l’escalier ; il présente une inscription selon laquelle une section de la 1re cohorte Sequanorum et Rauracorum sous le commandement du centurion Antonius Natalis de la XXIIe légion a construit une tour de garde –désignée dans le texte comme burgus. D’autres fragments d’architecture témoignent d’une ornementation assez luxueuse de l’édifice. Il y avait ainsi des voussoirs en V de 0,42 m de largeur et de 0,43 m de profondeur dont la forme laisse supposer une longueur d’arc d’au moins 3 m. Une niche voûtée devait en conséquence exister à l’intérieur de la tour, apparemment contre le mur sud-ouest, en face de l’entrée. Les statues en grès rouge de Mars (fig. 143, figure principale au centre), de la Victoire et du Salut, découvertes dans les décombres de la tour, devaient être dressées à l’intérieur de la niche. L’angle d’une plaque exécutée également en grès, de 0,84 m de longueur, 0,72 m de largeur et 0,19 m d’épaisseur, montre sur le bord du grand et du petit côté contigus une gorge large et profonde de 0,03 m en moyenne, et un tore d’une largeur de 0,08 à 0,10 m. D’autres blocs de grès moulurés ont encore été trouvés à proximité. Des fragments de mortier de stuc, avec des enduits peints de couleur rouge, jaune et verte attestent d’une riche décoration de l’intérieur de la tour. De nombreux débris indiquent la présence d’un toit en tuiles. On en a déduit l’existence d’un sanctuaire construit sous la forme d’une tour. FIG. 141 Le poste de garde In der Schneidershecke (ORL A, V, Str. 10, WP 10/37). 244 FIG. 142 Reconstitution de la tour de garde 10/37 In der Schneidershecke (Schallmayer 1984a, 104). FIG. 143 Moulage des statues de la tour de garde 10/37 In der Schneidershecke exposé à Walheim (cliché M. Reddé). 283 Une étude plus récente de l’ensemble du mobilier de cette tour de garde 10/37 a élucidé la chronologie de l’édifice. La tour en bois a été ainsi érigée autour de 100 ap. J.-C. Vers 145-146 ap. J.-C. on construisit la tour en pierre A, devant laquelle l’autel votif fut installé ; on éleva enfin vers la fin du IIe s. ap. J.-C. la tour en pierre B que l’on décora comme sanctuaire (ORL A, Str. 10, p. 80-92 ; Baatz 1973b ; Oldenstein 1979-1980 ; Schallmayer 1984a). 245 2.15.5.2 La tour hexagonale (WP 9/51) des environs de Gleichen 284 EGON SCHALLMAYER 285 À environ 1,5 km au nord-est du petit village de Gleichen se trouve, sur le bord septentrional du plateau de Beckem, une tour spectaculaire. Il s’agit de l’unique tour en pierre hexagonale du limes extérieur de Germanie supérieure (fig. 144). Elle présente des côtés d’environ 2,80 m à l’extérieur et de 1,70 à 1,80 m à l’intérieur. La tour avait des murs de 1,00 m d’épaisseur, avec un soubassement saillant d’environ 0,50 m vers l’extérieur. Toute la moitié nord de la tour a disparu, les vestiges subsistants montrent cependant, jusqu’à une hauteur de 1,40 m, des moellons de grès soigneusement taillés servant de revêtement extérieur à l’ouvrage maçonné. Les pierres sont travaillées de façon grossière sur le côté extérieur, afin d’offrir vraisemblablement une meilleure prise au crépi. FIG. 144 La tour des environs de Gleichen (Beck & Planck 1980, 69, fig. 50). 286 D’après les fouilles effectuées en 1893, une entrée faisant saillie sur 1,50 m devait se situer sur le côté nord de la tour et un foyer devait se trouver à l’intérieur. L’origine romaine de ce dernier –dans la mesure où il aurait occupé plus d’un tiers de l’espace intérieur– est mise en doute. La tour était entourée de tous côtés par un fossé en V, distant de 2,20 m, large de 0,70 m et d’une profondeur qui atteint 0,40 m. 287 La forme inhabituelle de la tour et l’épaisseur de ses murs prouvent que l’édifice était particulièrement haut. Il a servi visiblement de point de repère principal dans le tracé du limes. La tour se situe effectivement sur un point topographique dominant. À partir de là, on pouvait avoir une vue d’ensemble vers le nord à travers la plaine d’Ohringen jusqu’au poste de garde 8/1 à 45 km et jusqu’au petit fortin de Hönehaus, situé peu avant Walldürn. 11 était ainsi possible d’installer un point topographique secondaire 246 sur les hauteurs de Hergenstadt peu avant Osterburken, sur une ligne reliant les deux points, afin de permettre le tracé rectiligne du limes. Vers le sud, la vue atteint 4 km à peine, jusqu’aux postes de garde 9/60 et 9/62. À partir de la tour, on pouvait embrasser du regard la zone en direction du nord-est et de l’est, jusqu’aux pieds de la rupture de pente vers la plaine d’Ohringen. 288 En sus de sa fonction de repère, la tour hexagonale de Gleichen a assurément eu un rôle important dans la transmission de signaux lumineux (ORL A, Str. 9 p. 154-157 ; Beck & Planck 1987). 2.15.5.3 Les fortins 289 MICHEL REDDÉ 290 Les forts disposés tout au long du limes sont irrégulièrement espacés –de moins de 4 à plus de 17 km– et toujours situés en arrière de la barrière –de 20 à 2 500 m–, à la différence de ce que l’on observe sur le mur d’Hadrien. Ils sont implantés le plus souvent en fonction des nécessités du terrain, gardant ici un col, là une vallée. Ils n’observent pas non plus un schéma architectural uniforme et on peut, grossièrement, les diviser en deux types, dont nous avons donné dans le catalogue plusieurs exemples : les camps destinés à abriter une unité quingénaire (Bad Cannstatt, Bad Wimpfen, Feldberg, Neckarburken, Osterburken, Öhringen, la Saalburg, Stockstadt am Main, Sulz, Walheim, Welzheim, Zugmantel) et les fortins, beaucoup plus petits, destinés à abriter un élément d’un numerus et particulièrement nombreux dans la partie nord de l’Odenwald (Altenstadt, Haselburg, Hesselbach, Neuwirtshaus, Rötelsee, Rüsselsheim, cette liste n’étant évidemment pas limitative). 291 Tel qu’il se présente, le limes de Germanie supérieure montre une conception beaucoup moins unitaire et systématique que le mur d’Hadrien ; il est le fruit de remaniements successifs et doit être considéré comme un obstacle d’approche, destiné à contrôler les mouvements de population, ceux aussi des marchandises, beaucoup plus qu’une barrière militaire à l’abri de laquelle on pouvait résister à des attaques massives. On a d’ailleurs beaucoup insisté, ces dernières années, sur la fonction d’observation, de signalisation et d’alerte qu’il revêtait, d’une manière au demeurant un peu théorique, à notre sens (Wool liscrofr 1997 ; Woolliscroft & Hoffmann 1991 ; Baatz 2003). 292 Il ne sut pas véritablement résister aux attaques en force des Alamans, lorsqu’elles se produisirent, et l’état-major romain préféra l’abandonner et se retirer sur le Rhin, vers 260, selon un processus peut-être plus lent et progressif que l’on ne le croit généralement. En témoigne sans doute la très importante inscription d’Augsburg récemment découverte (Bakker 1993 ; Nuber 1990 ; Kuhnen 1992 ; Schallmayer 1996 ; Sommer 2002 ; Jac & Scholz 2002). 247 AUTEURS SIEGMAR VON SCHNURBEIN Römisch-Germanische Kommission des Deutschen Archäologischen Instituts, Francfort-sur-leMain, Allemagne DIETWULF BAATZ Saalburg Museum, Bad Homburg v.d. H. Allemagne RUDOLF FELLMANN Université de Berne, Institut für Archäologie, Suisse JOHANN-SEBASTIAN KÜHLBORN Westfälisches Museum für Archäologie, Münster, Allemagne MICHEL REDDÉ École pratique des Hautes Études (Paris IV) CHRISTIANE EBELING Berlin, Allemagne EVELINE GRÖNKE Hofheim, Allemagne EGON SCHALLMAYER Landesamt für Denkmalpflege Hessen, Wiesbaden-Biebrich, Allemagne C. SÉBASTIAN SOMMER Bayerisches Landesamt für Denkmalpflege, Munich, Allemagne 248 Chapitre 3. L’architecture militaire romaine en Gaule pendant l’Antiquité tardive Raymond Brulet 3.1 De nouveaux concepts 3.1.1 Terminologie 1 On définit fréquemment les ouvrages militaires en s’appuyant sur les termes techniques latins ou grecs, mais la signification de ceux-ci est souvent imprécise ou équivoque. En outre, dans les textes du Bas-Empire, les mentions de casernements militaires ne sont qu’assez rarement accompagnées d’une terminologie claire. Le nom des unités ne vient guère à notre secours, dans la mesure où l’on ne sait plus, à cette époque, ce qui caractérise effectivement les différents corps de troupe. 2 Certains chercheurs nomment au contraire les ouvrages militaires par référence à une typologie fonctionnelle qu’ils créent eux-mêmes. D’autres critères peuvent aussi intervenir, comme la surface occupée et la localisation au sein d’un système défensif. Dans tous les cas, deux paramètres viennent brouiller la question : le fait que le camp n’abrite plus nécessairement toute la troupe qu’on lui attribue, parce que ses unités peuvent être réparties dans nombre d’installations secondaires ; le fait aussi que, tout au long du Bas-Empire, un même camp a pu varier du tout au tout dans son mode d’occupation, ce qui est fréquemment le cas à partir du début du Ve s. 3.1.1.1 La terminologie antique 3 Une grande variété de termes apparaît dans les sources écrites anciennes : on trouve ainsi castrum/castra, castellum, centenarium, praesidium, burgus, turris. L’examen des sources est plus significatif lorsque l’on compare celles qui ont trait à l’Orient et celles qui ont trait à l’Occident, même si des connotations sectorielles différentes sont 249 évidentes. La distinction entre ces termes est illustrée par des auteurs anciens, comme Ammien Marcellin pour la période Valentinienne : l’auteur indique ainsi la politique suivie en vue de la construction de castra et de castella le long du Rhin et du Danube (XXX, 7, 6) ou mentionne explicitement castra, castella et turres (XXVIII, 2, 1). Zosime distingue, pour l’époque de Dioclétien, les phrouria et les pyrgoi (II, 34). 4 Sous le Haut-Empire, on utilise le pluriel (castra) pour dénommer un camp, alors que le singulier (castrum) est de rigueur pour désigner une ville de l’Antiquité tardive. Mais cette distinction commode ne peut être envisagée sans nuances. Dans les inscriptions, castrum ne signifie pas nécessairement “camp légionnaire” mais peut indiquer le cantonnement d’un numerus (Jouffroy 1997). On voit couramment, au début du BasEmpire, la ville accompagnée d’un camp militaire bâti à ses côtés, à l’image du camp de Palmyre signalé par une inscription (CIL III, 133). Le castrum peut aussi abriter de manière concomitante une population civile et un contingent militaire. Que penser, par conséquent, de l’enceinte irrégulière de Worms qui abrite une légion, la II Flavia, d’après la Notifia Dignitatum ? En Séquanie, la Notitia Provinciarum et Civitatum Galliae mentionne à quatre occasions l’existence d’un caput civitatis et de castra (Windisch, Yverdon, Horbourg et Kaiseraugst), comme si elle opposait les termes. L’ambiguïté est plus grande encore lorsqu’il est permis de constater ou de supposer qu’un castrum, édifié à des fins exclusivement militaires, élargit rapidement ses fonctionnalités ou montre l’invasion de l’espace intra muros par des structures civiles et économiques. Ainsi en va-t-il, peut-être, du castrum Rauracense à Kaiseraugst ou de celui de Boppard (avec un corps de milites Balistarii, d’après la Notitia Dignitatum). 5 Enfin, le terme de castra n’a pas toujours de sens militaire, même si on ne lui trouve pas une dénomination fonctionnelle plus claire. C’est le cas en Orient pour Qasr Bshir (castra) qui est plus précisément un praetorium fortifié d’après une inscription du début du Bas-Empire (CIL III, 14149). 6 Le terme de castellum est clairement employé dès le Haut-Empire comme diminutif pour désigner un petit camp (Tacite, Agricola XIV, 3 ; XVI, 1 ; XX, 3 ; XXV, 3). Au Bas-Empire, il est toujours lié à une fonction militaire (Végèce III, 8, 20 ; Ammien XVIII, 7, 6), mais il est tellement répandu dans les textes anciens qu’il est dangereux de le considérer d’office sous cet angle, sans compter qu’on peut le trouver aussi appliqué à des agglomérations dotées d’un statut particulier (Jouffroy 1997). 7 Le terme de centenarium est attesté par des inscriptions. Il s’agit de camps de petites dimensions et tardifs. La plus ancienne mention remonte à l’année 246 et signale la restauration de l’établissement correspondant (Le Bohec 1989). Les termes de burgus et de turris sont très fréquemment utilisés l’un pour l’autre par les auteurs anciens. Cette situation provient du rapport qu’entretiennent en latin le mot burgus et en grec le mot pyrgos. Végèce donne la clé de la première appellation : castellum parvulum, quem burgum vacant (Végèce IV, 10). En fait, depuis le IIe s., le burgus désigne la structure militaire la plus petite, initialement en relation avec la défense des routes. 8 Si le burgus peut désigner une structure un peu plus complexe qu’une tour, les tours peuvent aussi être qualifiées de burgus. On voit même, le long de la route BavayCologne, de petits forts qui, primitivement, n’ont pas les tours qui leur sont ajoutées par la suite. Il est intéressant de voir qu’un adjectif peut être adjoint au terme pour préciser quelque peu sa fonction, comme le burgus speculatorius (Afrique) ou le burgus cui nomen Commercium (Pannonie). Le burgus peut protéger les routes (CIL VIII, 2495 : burgum speculatorium inter duas vias), mais aussi servir de gîte d’étape. 250 9 On ne peut guère accorder de l’importance au terme quadriburgium, qui relève d’une typologie archéologique moderne, même s’il existe en grec de manière peu usuelle (Procope, De Aed. IV, 1, 8) ou en latin, où il apparaît comme un toponyme (Reddé 1995a). La dénomination est imagée et désigne un fort à quatre tours d’angle carrées et saillantes, que l’on a pris l’habitude d’attribuer à la période de la Tétrarchie, mais des exemples postérieurs et antérieurs à cette époque existent si l’on élargit le dossier à l’ensemble de l’Empire (Lander 1980 ; 1984 ; Reddé 1995a). 3.1.1.2 La terminologie moderne 10 Les auteurs qui se sont penchés sur la question de la dénomination et du classement des fortifications du Bas-Empire ont procédé de manières diverses, en s’appuyant sur l’un ou l’autre point de vue. Un éclairage combiné de l’état de la recherche portant aussi bien sur l’Occident que sur l’Orient est ici nécessaire. 11 Quelques-uns privilégient une approche régionale et chronologique (Poidebard 1934 ; Johnson 1983a). D’autres dégagent des typologies (Lander 1984) ou préfèrent classer les fortifications par fonction, la terminologie sériant alors les forts d’après leur rôle supposé (Petrikovits 1971 ; Brulet 1990a ; Elton 1996 ; Southern et al. 1996). B. Isaac traite aussi du problème des fonctions (Isaac 1990). On peut également tenir compte de la taille du fort qui intervient en complément de la fonction supposée pour mieux cerner la nature du site (Elton 1996 ; Kennedy & Riley 1990). 12 La classification d’A. Poidebard, pour la Syrie, distingue les forts en types et sous-types rattachés à trois périodes chronologiques : avant, pendant, après le règne de Dioclétien. Elle s’appuie sur le répertoire architectonique. S. Johnson distingue les fortifications urbaines, les forts, les burgi, les stations fluviales, les forts routiers, les stations de signalisation et les sites de hauteur. H. von Petrikovits distingue les villes, les fortifications militaires, les fortifications civiles, les forts frontaliers, les postes et forts routiers, les refuges, les stations fluviales et les stations de signalisation côtières. P. Southern et K.R. Dixon proposent de retenir le classement suivant : camp de marche, fort et forteresse, quadriburgium, fort du litus Saxonicum, poste routier, fortification de rivière et tour de guet. 13 H. Elton, en revanche, fait la différence entre fortifications militaires, fortifications urbaines et refuges ; il discrimine les fortifications militaires en quatre catégories : les forts de garnison, les forts de détachements, les tours de guet et les ports fluviaux fortifiés. Une classification pour la frontière orientale a été proposée par D. Kennedy et J. Riley, avec l’idée de comparer surfaces et fonctions : il est question de camps temporaires et d’ouvrages de siège, de villes fortifiées, de forteresses légionnaires, de forts, grands ou petits, de tours isolées. 3.1.2 Typologie 3.1.2.1 Superficie 14 La question controversée des effectifs dans les unités militaires au IVe s., en baisse par rapport à celle du Haut-Empire, n’est pas sans influence sur la superficie des camps édifiés à l’époque romaine tardive. 15 Deux éléments de réflexion interviennent ici. Pour bien évaluer l’importance d’un contingent, il faudrait savoir, comme le fait remarquer M. Reddé (1995a), si les 251 casernements placés contre les courtines peuvent accueillir un étage, ce qui peut changer du simple au double le nombre de militaires hébergés. À l’inverse, les mêmes troupes n’ont pas été systématiquement logées dans les mêmes camps : les forts secondaires de détachement, les postes routiers et les tours de guet ont dû participer à l’accueil de petits contingents relevant de l’autorité centrale des fortifications militaires de base. Il ne serait donc pas invraisemblable d’imaginer que le casernement prévu pour une légion n’y abrite en fait qu’une partie de la troupe. Il s’avère enfin indispensable de bien appréhender la différence qu’il peut y avoir entre période de construction et période de réaménagement d’un fort. Durant le IVe s., le rôle affecté à un site construit au début du siècle a pu être profondément modifié par la suite. 16 Les forts de grande superficie sont beaucoup moins nombreux que sous le Haut-Empire, et leur étendue ne rivalise d’ailleurs plus avec celle des camps de cette période. En outre, on voit fleurir en grand nombre des forts de petite taille, sans qu’il s’agisse là d’une réelle innovation. En termes de surface, trois modules principaux interviennent en Gaule et sur les frontières, pour les forts, les forteresses et les installations plus petites, qui développent un plan quadrangulaire. Les superficies que l’on va décrire comprennent l’enceinte, mais excluent les fossés extérieurs. 17 Le premier module évolue autour de 2 ha. Les forts offrent un plan plus ou moins carré. On s’appuiera, pour les définir, sur la probabilité qu’ils correspondent à l’hébergement d’une unité complète de mille hommes, soit la légion du Bas-Empire. Sur le Rhin, le fort de Deutz est d’ailleurs appelé castrum Divitensium dans une inscription. Avec ses 1,81 ha, il peut correspondre à cette référence numérique de mille hommes, même si l’on estime, en supposant une utilisation raisonnée des baraquements, qu’il ne pouvait loger qu’un nombre beaucoup plus réduit de soldats et de cavaliers (Caroll-Spillecke 1997). De même, dans le cadre du litus Saxonicum, le fort de la légion II Augusta, de Richborough, aves ses 2,4 ha, peut également servir de référence en termes de superficie. On écartera en revanche les fortifications de Xanten (Tricesimae), Boppard et Kaiseraugst, qui, beaucoup plus grands, posent des problèmes spécifiques d’interprétation. 18 De fait, bon nombre de fortifications à l’intérieur du territoire, comme Pachten (1,9 ha), Famars (1,8 ha) et Yverdon (1,8 ha) s’inscrivent dans des surfaces semblables, comme d’ailleurs celles du litus Saxonicum, avec Oudenburg (2,4 ha) sur le continent, et les autres forts en Grande-Bretagne, également d’un gabarit légèrement supérieur à celui de Deutz. En Germanie II, les forts bâtis le long des routes s’inscrivent enfin dans une superficie un peu plus grande, mais semblable : Alzey (2,6 ha), Horbourg (2,7 ha) et Bad Kreuznach (2,8 ha). 19 Le second module évolue entre une surface réduite de 25 à 40 ares, avec des chiffres qui sont généralement plus proches de 25 ares. On prendra comme référence, sur le Rhin, la forteresse de Donnagen, dont on connaît bien le plan réduit au Bas-Empire (25 ares), Zurzach, Sidelen (25 ares) en Séquanie, et, à l’intérieur du territoire, sur le réseau routier, Liberchies II (25 ares), ou, plus loin en Gaule intérieure, Larçay. La forteresse rhénane de Haus Bürgel est en revanche un peu plus grande (40 ares). Il faut aussi rattacher à ce module la série des forteresses en bois et en terre de la fin du III e s., connues le long de la route de Bavay à Cologne : Liberchies I, Taviers et Braives (24 à 37 ares). 20 Le troisième module comprend toutes les initiatives diverses qui sont souvent dénommées postes routiers, burgi, tours de garde, et dont la surface évolue autour d’une dizaine d’ares. Les tours défensives comme celles que l’on retrouve le long du Rhin, et 252 surtout sur la frontière du Donau-Iller-Rhein – Limes ont une superficie forcément réduite (2 ares hors fossés). En revanche, on doit mentionner les postes routiers en bois, comme ceux de Brühl/Villenhaus, Hüchelhoven ou Morlanwelz (6 à 8 ares), par opposition aux tours de garde complexes avec enceinte, comme Asperden sur le Rhin, et celles de la côte du Yorkshire (plus de 10 ares). 21 Les structures à plan non régulier –trapèze, circulaires, semi-circulaires– offrent une telle diversité qu’elles ne peuvent valablement faire l’objet d’un classement par superficie, d’autant que leur fonction militaire est rarement établie. 3.1.2.2 Morphologie 22 Une place à part doit être faite aux fortifications en terre et en bois, qui illustrent deux types d’initiatives particulières : les petits forts routiers préconstantiniens et les fortifications rurales. 23 Un changement largement suivi est l’adoption plus générale du plan carré ou assimilé, à l’inverse du plan rectangulaire utilisé pour les camps du Haut-Empire. Néanmoins, à côté de celui-ci, fort répandu, le Bas-Empire offre une infinité de plans à géométrie diversifiée. Le plan rhomboïdal n’est qu’une variante du plan carré mais les formes trapézoïdales, circulaires et semi-circulaires sont innombrables. Les plans circulaires renvoient plus souvent à des entités urbaines ceintes de murailles, mais, là aussi, on note des exceptions. 24 On reconnaît une tendance générale dans la physionomie générale des enceintes. Les camps du Haut-Empire relevaient plus d’une réponse militaire “agressive”, alors que ceux du Bas-Empire, avec leurs systèmes de protection puissants, se cantonnent mieux dans un rôle de type défensif. Les enceintes en pierre changent de nature, en même temps qu’elles s’épaississent considérablement ; un nouveau programme caractérise les moyens de défense : tours saillantes, carrées, rondes, polygonales, en forme de fer à cheval, avec une diversification d’association des modèles. 25 La structure des camps est modifiée. Mais la taille de l’édifice détermine l’architecture interne, si bien que seules les grandes forteresses souffrent de changements profonds ; le problème de la localisation des principia intervient ici de manière essentielle. On a proposé de retenir six cas de figure : • un schéma classique, celui du Principal, qui peut encore s’appliquer à des forts nouvellement créés, comme celui de Lejjun (Arabie) ; • le schéma à casernements périphériques, comme ceux d’Altrip et Alzey ; • le schéma à deux rues axiales, sans principia placés à leur intersection, comme beaucoup de forts du litus Saxonicum ; • plus trois autres schémas attestés dans des régions éloignées de la Gaule (Fellmann 1976 ; 1979). 26 M. Reddé a bien résumé les apports et les faiblesses de cette modélisation (Reddé 1995a). 3.1.3 Classement 27 Un regard combiné sur la superficie, la morphologie et la fonction supposée des fortifications autorise à proposer un classement typologique pour un certain nombre d’entre elles. 253 28 Si l’on tient compte de la révision de la datation du camp d’Ermelo, aucun camp de marche du Bas-Empire n’a pu être identifié en Gaule. Pour les fortifications les plus importantes, on distinguera les forts et les forteresses. Pour les fortifications de dimensions réduites, on retiendra la distinction entre burgi avec tour, tours individuelles, fortifications de rivière, et dépôts fortifiés. 3.1.3.1 Les forts 29 Trois forts échappent à la norme habituelle situant les grands camps dans une superficie d’environ 2 ha. Il s’agit des fortifications, ou castra, de Tricesimae à Xanten (16 ha), Boppard (4,7 ha) et du castrum Rauracense, à Kaiseraugst (3,5 ha) [fig. 145]. Les structures qu’ils renferment ne correspondent pas à des casernes. S’agit-il de villes ou de sites militaires ? On peut à tout le moins imaginer une occupation mixte (Lenz 1999 ; Bridger & Gilles 1998). Le cas de Kaiseraugst illustre à lui seul la problématique évoquée plus haut, en même temps que l’évolution possible d’un camp. Outre l’existence d’une enceinte civile réduite à Augst, indépendante du castrum Rauracense, cette dernière fortification élevée vers 300 a été précédée, à la fin du IIIe s., par un camp plus petit, de 100 m de côté, matérialisé par un fossé retrouvé récemment (Schwarz 1998). FIG. 145 Castra urbains : 1 Tricesimae à Xanten (Bechert & Willems 1995, fig. 52) ; 2 Boppard (Johnson 1983a, fig. 57) ; 3 castrum Rauracense à Kaiseraugst (d’après Schwarz 1998, fig. 1). 30 La norme peut être établie à partir des camps où la présence d’une unité complète – légion ou corps plus petit– est attestée par les textes comme à Deutz et Richborough par exemple ; la surface tourne alors autour de 2 ha : c’est le cas de Deutz, Pachten (?), Yverdon, Alzey, Bad Kreuznach, Horbourg, Oudenburg et de la plupart des sites du litus Saxonicum en Angleterre, comme Portchester (fig. 146, 7). 254 FIG. 146 Plans de quelques forts aux normes de la "légion" du Bas-Empire : 1 Deutz (Bogaers & Rügers 1974, 164, fig. 64) ; 2 Pachten (?) [Johnson 1983a, 156, fig. 60] ; 3 Yverdon (Fellmann 1992, 322, fig. 4) ; 4 Alzey (Oldenstein 1993, 131, fig. 3) ; 5 Bad Kreuznach (Johnson 1983a, 149, fig. 57) ; 6 Horbourg (Johnson 1983a, 160, fig. 63) ; 7 Portchester (Maxfield 1989, 161, fig. 58) ; 8 Richborough (Maxfield 1989, 144, fig. 48) ; 9 Oudenburg (Brulet 1990a, 121, fig. 29). 31 Deux sites tardifs, ceux de Krefeld/Gellep et d’Oedenburg (fig. 147), avec une surface un peu moins importante, offrent des caractères généraux similaires. Les bâtiments se développent en galerie autour de l’enceinte à tours saillantes, soit arrondies soit quadrangulaires. La cour intérieure est très grande. L’interprétation architecturale penche en faveur d’une fonction politique doublant le rôle militaire. Relevons à ce propos le cas d’Oedenburg, sans doute un palais fortifié (Nuber & Reddé 2002). 255 FIG. 147 Plans de forts tardifs : 1 Krefeld/Gellep (Reichmann 1998, 31, fig. 7) ; 2 Oedenburg (dessin Université de Freiburg im Breisgau). 3.1.3.2 Les forteresses 32 Parmi les forteresses de dimensions réduites (autour de 25 ares), on mentionnera les pseudo-quadriburgia, un modèle rare en Gaule mais que l’on retrouve à la limite de la Séquanie, à Irgenhausen, et en Rétie, à Schaan et Innsbruck/Wilten (fig. 148). Les forteresses de ce format, au plan carré d’environ 50 m de côté, ou au plan rhomboïdal, se retrouvent sur l’ensemble du territoire concerné (fig. 149). Sur le Rhin, Haus Bürgel et Zurzach se distinguent par un plan carré ou rhomboïdal. À l’intérieur du territoire, on prendra en exemple Liberchies II et Larçay. Des réinstallations au sein de forts plus grands, dans des proportions identiques de surface, ont été observées sur les frontières, comme à Dormagen et à Eining. 256 FIG. 148 Plans de forteresses, du type "quadriburgium" : 1 Irgenhausen (Fellmann 1992, 323, fig. 9) ; 2 Schaan (Mackensen 1999, 234, fig. 7, 24) ; 3 Innsbruck/Wilten (Mackensen 1999, 237, fig. 7, 26). FIG. 149 Plans de forteresses : 1 Haus Bürgel (Fischer 1999b, 340, fig. 1) ; 2 Zurzach (Fellmann 1992, 322, fig. 1) ; 3 Liberchies II (Bruleteta/. 1995, 46, fig. 31, d’après Mertens & Brulet 1974) ; 4 Larçay (Wood 1998, fig. 1) ; 5 Dormagen (Gechter 2001, 39, fig. 8) ; 6 Eining (Mackensen 1999, 235, fig. 7, 25). 257 3.1.3.3 Les forteresses et les postes routiers 33 À la fin du IIIe s. naît une architecture de bois et de terre adaptée à l’élévation de petites forteresses de plus de 25 ares, entourées par des retranchements. On citera les exemples de Liberchies I, Taviers, Braives, Revelles et Jublains (fig. 150). FIG. 150 Plans de forteresses routières en terre et en bois (dessins R. Brulet) : 1 Liberchies I (Brulet 1995, 110, fig. 106, 4) ; 2 Taviers I ; 3 Braives I ; 4 Jublains I. 34 Lors de cette même phase de construction primitive, que l’on situe généralement sous l’Empire “gaulois”, se placent aussi quelques postes élevés en matériaux périssables et liés au réseau routier, comme Morlanwelz I, Hüchelhoven, Briihl/Villenhaus, Heumensoord, de dimensions très modestes (fig. 151). Le mur de terre est matérialisé par une fosse continue ou par deux rangées de poteaux. L’agger de Jublains enserre un édifice antérieur monumental, celui de Heumensoord une bâtisse en bois qui s’apparente aux tours en bois primitives sur le limes du Donau-Iller-Rhein ; d’autres sites sont munis de baraques appuyées contre le rempart. 258 FIG. 151 Plans de postes routiers en terre et en bois : 1 Morlanwelz I (Brulet 1995, 110, fig. 106, 1) ; 2 Hüchelhoven (Brulet 1995, 110, fig. 106, 3) ; 3 Brühl/Villenhaus (Brulet 1995, 110, fig. 106, 2) ; 4 Heumensoord (Bogaers & Rüger 1974, 83, fig. 25. 3.1.3.4 Les burgi avec tour 35 Le long des voies, les forteresses routières anciennes en bois et en terre peuvent voir, à partir du règne de Constantin, leur centre réaménagé et doté d’une tour en pierre de vaste dimension. Pareille initiative est constantinienne. Elle est avérée surtout le long de la voie Bavay-Cologne, à Cortil-Noirmont, Taviers II et Braives II (fig. 152). Des fossés protecteurs sont recreusés pour disposer et protéger un espace de 80 ares, fossé compris. Le recours à une tour de garde, insérée dans une fortification plus élaborée, pouvant comprendre une petite enceinte supplémentaire avec des bastions et un fossé défensif, se rencontre dans différents secteurs géographiques, sur la côte du Yorkshire ou à l’intérieur du territoire, comme à Asperden. Ce type de burgus semble dater de la fin du IVe s. (fig. 153, 1-4). 259 FIG. 152 Plans de burgi avec tour, le long de la voie Bavay-Cologne (dessins R. Brulet) : 1 Cortil-Noirmont (Brulet et al. 1995, 51, fig. 36) ; 2 Taviers II ; 3 Braives II. FIG. 153 Burgi avec tour. En Rhénanie : 1 Asperden (Bogaers & Rüger 1974, 100, fig. 33 ; sur la côte du Yorkshire : 2 Goldsborough (Wilson 1991, 143, fig. 23, 2) ; 3 Scarborough (Wilson 1991, 143, fig. 23, 2) ; 4 Filey (reconstitution) [Ottaway 1997, 141, fig. 1, 61]. Tours de garde individuelles du limes : 5 Moers/ Asberg (Bechert & Willems 1995, 49, fig. 48) ; 6 Muttenz/ Pferrichgraben (Fellmann 1992, 337, fig. 295, 3) ; 7 Rheinau/Kôpferplatz (Fellmann 1992, 337, fig. 295, 4) ; 8 Schlatt (reconstitution) [Hedinger 2000, 105, fig. 2] ; 9 Finningen (Mackensen 1999, 233, fig. 7, 22). Tours routières (Brulet 1995, 114, fig. 113) : 10 Morlanwelz II ; 11 Hulsberg/Goudsberg. 3.1.3.5 Les tours 36 Les tours de garde individuelles entrent également dans le paysage, surtout le long des frontières fluviales. Les exemples connus, comme celui de Moers/Asberg, demeurent rares en Germanie II. Insérées dans un dispositif frontalier, comme en Séquanie et le long de la frontière du Donau-Iller-Rhein (Garbsch 1970), elles constituent un ensemble 260 cohérent de mise en surveillance et de défense de la frontière, qui remonte à la période Valentinienne (fig. 153, 5-11). Entre Bâle et le lac de Constance, on connaît de la sorte une chaîne de cinquante-deux tours, le long du Rhin. Elles sont très rapprochées les unes des autres et viennent parfois reprendre une position déjà occupée par des tours en bois de l’époque constantinienne. Les tours sont carrées, de 17,50 m de côté, et trouvent place au milieu d’un petit retranchement qui les protège au sein d’un espace de 4 ares (Stehlin & Gonzenbach 1957 ; Stather 1997 ; Hedinger 2000). Un modèle identique a été construit le long du réseau routier de l’intérieur, comme à Morlanwelz II et Hulsberg/Goudsberg, pour remplacer les postes routiers en bois de la fin du IIIe s. 3.1.3.6 Les fortifications de rivière 37 Elles sont fréquemment bâties sur la rive droite du fleuve, en territoire ennemi ; on trouve de nombreux exemples de ces constructions, tant sur le Danube que sur le Rhin, à Rheinbrohl, Engers, Niederlahnstein, Zullestein, Mannheim/Neckarau et Ladenburg. Ce sont des fortifications portuaires, orientées vers le fleuve, dotées d’une tour centrale massive et d’une enceinte à quatre tours d’angle (Höckmann 1986). Du côté de la rivière, l’enceinte est interrompue, mais ses angles plongent dans l’eau pour assurer une meilleure sécurité à l’appontage (fig. 154). Quelques fortifications, placées en tête de pont sur la rive droite du Rhin, illustrent aussi une présence militaire : c’est le cas à Bâle, Kloten et Kaiseraugst. Il s’agit de burgi carrés, de 20 à 40 m de côté, disposant de tours circulaires (fig. 155). Le site de Zurzach a des tours carrées. D’autres exemples sont connus, par exemple sur la Meuse, à Maastricht/Wijk. FIG. 154 Fortifications de rivière : 1 Engers (Johnson 1983a, 141, fig. 54) ; 2 Zullestein (Baatz & Hermann 1989, 505, fig. 484) ; 3 Ladenburg (reconstitution Heukemes 1981 puis Bechert 1982, 259, fig. 360). 261 FIG. 155 Fortification en tête de pont de Bâle (Hedinger 1998, 117, fig. 7). 3.1.3.7 Les dépôts fortifiés 38 Depuis l’identification du site sévérien de Harlach (Bavière), considéré comme un burgus par A. Grenier, et la découverte du bâtiment monumental de Jublains (Mayenne), la problématique des établissements fortifiés non militaires ou à fonction économique a été soulevée à de nombreuses reprises. De nombreuses activités liées à la route ont été proposées pour tenter d’expliquer le rôle de ces sites dont le caractère militaire conventionnel n’est pas patent. Quelques structures intermédiaires, de petites dimensions, mais rares, en rapport avec la conservation et la protection des biens, ont été enregistrées (fig. 156). Les sites d’Eisenberg et de Bad Dürkheim/Ungstein, avec leurs bâtiments rectangulaires très fermés, renvoient à cette problématique. Cette interprétation est avancée pour les sites d’Aegerten, Mumpf, Sisseln, notamment sur la base de la présence d’une cave dans l’une de ces constructions. Ils présentent un plan très différent : un vaste hangar rectangulaire, prolongé par deux tours semi-circulaires. 262 FIG. 156 Dépôts fortifiés : 1 Eisenberg (Cüppers 1990, 360, fig. 253, selon Bernhard 1981b) ; 2 Bad Dürkheim/ Ungstein (Cüppers 1990, 320, fig. 202, selon Bernhard 1981b) ; 3 Sisseln (Johnson 1983a, 164, fig. 65) ; 4 Mumpf (Drack & Fellmann 1988, fig. 441) ; 5 Mumpf (reconstitution) [Drack & Fellmann 1988, fig. 442], 3.1.3.8 Les fortifications rurales et les refuges 39 On observe, dans les campagnes de la Gaule du Nord, des initiatives particulières visant à protéger le patrimoine des établissements agricoles. Ces nouvelles enceintes remplacent en quelque sorte les villas fortifiées, qui brillent par leur absence en Gaule. Ces petites fortifications, souvent adossées à un établissement agricole, de 20 à 30 ares de superficie, sont entourées par un fossé et sont palissadées dans la plaine de Cologne : il arrive qu’elles soient dotées d’une tour centrale, comme à Froitzheim et à Rheinbach/ Flerzheim (fig. 157, 1-3). Toutes ces initiatives ne sont pas chronologiquement homogènes puisqu’à Froitzheim, on a pu établir plusieurs périodes distinctes d’aménagement. 263 FIG. 157 Fortifications rurales de plaine. Avec tour : 1 Froitzheim (restitution) [Barfield et al. 1968, 27, fig. 11], 2 Rheinbach/Flerzheim (Gechter 1986, 18) ; sans tour : 3 Rövenich (Heimberg 1977, 582, fig. 11). Fortifications rurales de hauteur, quelques sites de référence. Avec barrage : 4 Furfooz (Brulet 1995, 118, fig. 118), 5 Breisach (Johnson 1983a, 160, fig. 63) ; avec enceinte partielle : 6 Éprave (Mertens & Remy 1973, 52, fig. 30), 7 Moosberg (Garbsch 1966, annexe 2) ; avec enceinte ceinturant le plateau : 8 Bettmauer bei Isny (Mackensen 1999, 206, fig. 7, 4). 40 Les sites de hauteur fortifiés émaillent les zones de plateaux. Leur configuration dépend de la topographie locale, et leurs formes et dimensions ne sont guère comparables. Leur seul point commun se rattache à l’existence d’un retranchement et d’une enceinte cernant le site partiellement, parfois seulement du côté du plateau, ou formant un barrage (fig. 157, 4-8). 3.2 Architecture de bois et de terre 41 Dans la plupart des camps militaires du Haut-Empire, on adopte la pierre, au IIe ou au IIIe s., pour l’élévation des murailles. Le recours à l’agger, à la palissade ou au rempart de bois disparaît. Le bois et la terre font leur réapparition au Bas-Empire, dans des circonstances particulières, dans des régions déterminées et pour des durées limitées. Dès la période constantinienne, la pierre redevient le matériau le plus courant. 42 Pour l’essentiel, les initiatives du Bas-Empire où le bois et la terre interviennent à nouveau dans les courtines concernent les petites forteresses routières de la fin du IIIe s. et les fortifications rurales. Il est assez rare que l’on observe l’utilisation du bois dans les forts de grande dimension. C’est pourtant le cas à Oudenburg, sur le litus Saxonicum, à Cuijk, sur la Meuse, et à Liberchies II, poste routier. Le second fort d’Oudenburg est daté de la fin du IIIe s. Il dispose d’un retranchement fait de briques de tourbe, disposées en couches horizontales. Il est taluté vers l’intérieur et s’appuie probablement contre 264 une rangée de poteaux. Le premier établissement de Cuijk, du début du IVe s., est entouré par un mur de terre dans lequel sont insérés des poteaux sur trois rangées. La courtine est large de 4 à 5 m et maintenue par des planches. La forteresse de Liberchies II, avant la construction du castellum en pierre, a connu une étape de construction plus ancienne, d’une superficie de 2 ha, avec palissade et fossé de petit gabarit. Les initiatives datées de l’Empire gaulois débouchent sur la construction de petites forteresses routières d’un modèle similaire et de postes routiers. Elles s’inspirent un peu, pour autant que les fouilles à l’intérieur des sites aient été suffisantes, des Erdkastell du Haut-Empire, petits camps de numeri, où l’on voit s’ordonner des baraques en bois en forme de U, longeant la courtine et ouverts sur une cour centrale. 43 On peut établir une distinction grossière dans l’architecture de ces fortifications sur la base de l’étude du mode de construction des remparts. Mais le fait que ces sites aient souvent été réutilisés, agrandis et transformés au IVe s., notamment par le creusement d’un fossé plus large, ne facilite pas la reconnaissance précise de la phase primaire, dans toutes ses composantes. Un autre élément interfère aussi dans cette reconnaissance : c’est la présence de baraquements en bois, érigés dès l’origine, ou dans une phase postérieure, contre la muraille. Leur architecture est liée au rempart ou se confond avec celui-ci. 44 Le modèle de retranchement le plus simple est constitué par l’exemple de Jublains (fig. 158). Le mur de terre n’a pas été construit dans un coffrage de bois. Il s’étale donc aujourd’hui sur une largeur démesurée de 8 m. Il paraît vraisemblable qu’il ait porté à son sommet une palissade de bois. Le second modèle est constitué par un mur de terre, élevé à l’intérieur d’un coffrage de bois sur les deux faces. On en retrouve des exemples à Liberchies I, Braives, Revelles et Taviers, dans des forteresses routières. Les pièces de bois ont 0,35 m à 0,40 m de côté ou de diamètre. Elles sont placées tous les deux mètres. L’écartement des deux rangées, qui correspond à l’épaisseur du retranchement, est de 2 m. Des planches horizontales reliaient les poutres verticales placées dans des trous profonds, de 0,80 m de diamètre. Le troisième modèle est constitué par une seule construction en bois, des poteaux non plantés mais insérés dans une excavation continue de 0,50 m de largeur, faisant le tour de la fortification. Ce modèle est courant dans les petits postes routiers comme ceux de Brühl/Villenhaus, Morlanwelz I, Heumensoord. Le mur de terre semble avoir été appuyé contre cette construction verticale en bois, mais sur la face extérieure de celui-ci, comme semble le révéler le tracé de la porte. FIG. 158 Modèles des remparts en terre et en bois des forteresses et postes routiers (dessin R. Brulet) : 1 Jublains ; 2 Taviers ; 3 Brühl/ Villenhaus ; 4 Rövenich ; 5 Froitzheim. 265 FIG. 159 Exemples de portes et de ponts dans les remparts de terre et de bois (dessin R. Brulet) : 1 Liberchies I ; 2 Braives ; 3 Morlanwelz I ; 4 Heumensoord ; 5 Rövenich ; 6 Brühl/Villenhaus ; 7 Froitzheim. 45 Le quatrième modèle apparaît dans les forteresses routières comme Hüchelhoven et les fortifications rurales de plaine comme Rövenich et Titz/Rödingen. Il s’agit d’une seule rangée de gros poteaux plantés, à distance variable, dans des trous de 0,60 à 0,70 m de diamètre. À Hüchelhoven, on trouve à l’intérieur du site, mais à peu de distance du rempart, d’autres petits poteaux que l’on doit mettre en rapport avec des baraquements plutôt qu’avec la courtine elle-même. On peut donc en déduire qu’un agger léger se trouvait appuyé contre l’enceinte en bois, vers l’intérieur. 46 Le cinquième modèle montre, par exemple à Froitzheim, période II, que le site est délimité par une palissade continue au sol. Il n’y avait probablement pas d’agger. 47 L’architecture défensive de ces forteresses ne se modifie pas lors de la phase ultérieure, à l’époque constantinienne, où elles voient une construction en pierre –une tour de garde– établie au centre du site. Les éléments défensifs, fossés et murs de terre et de bois sont simplement reconstruits. 48 Les portes ouvertes dans les enceintes que l’on vient de citer ont été étudiées à diverses occasions (fig. 159). La plupart du temps, une seule porte s’ouvre sur le milieu d’une face de la fortification, en principe du côté de la route, s’il s’agit d’un site routier. Il existe des exceptions, par exemple dans la forteresse routière de Liberchies I, bâtie à cheval sur la chaussée romaine, qui dispose donc de deux accès, et à Morlanwelz I, où la porte se situe dans un angle. 49 Les remparts coffrés par deux murs de bois ont des portes plus monumentales, comme à Liberchies I et Braives. A Jublains, l’accès a été maçonné par la suite pour consolider l’agger. À Liberchies I, la porte ouest est faite de deux alignements de trois poutres carrées, de 0,40 à 0,50 m de côté, placées à une distance de 1,50 à 1,80 m et délimitant un couloir de 3,45 m. À Braives, le couloir a 7 m de longueur pour 2,50 à 3,60 m de largeur, et est encadré par des poteaux posés sur de grosses pierres. À Heumensoord, on voit bien le rempart de bois qui se prolonge vers l’extérieur pour encadrer la porte. 50 La présence d’un pont ou l’interruption du fossé pour ménager un passage au sol s’observent à peu près à égalité. Une interruption de fossé est avérée à Brühl/ Villenhaus, Cortil-Noirmont, Froitzheim (sur une face) ; on rencontre un pont à Hüchelhoven, Taviers, Froitzheim (sur une autre face) et Rövenich, ainsi qu’à Liberchies I où l’on observe une réduction de la largeur du fossé pour l’établissement d’un pont plus petit. 51 Les fossés défensifs méritent peu de commentaires. Dans la phase chronologique de la fin du IIIe s., ils sont peu profonds et peu larges (6 m). Ils sont recreusés au IVe s., avec des dimensions importantes pouvant aller jusqu’à 4,50 m de profondeur et 12 m de largeur ; bien souvent, les fossés sont alors éloignés du pied du rempart. 266 52 La question de la présence d’une tour de garde primitive en bois au centre de ces forteresses, ou postes routiers, n’a guère été résolue, compte tenu des modifications intervenues au IVe s. à cet emplacement. Pour les tours, le long du limes, on convient néanmoins qu’elles ont existé en Séquanie à la période constantinienne, préalablement au programme de Valentinien Ier d’ériger une chaîne de tours en pierre, dans la maçonnerie desquelles les poutres en bois sont aussi utilisées. Le recours à l’utilisation du bois est à nouveau bien attesté dans les fortifications rurales de hauteur, qui couvrent une longue période depuis la fin du IIIe jusqu’au Ve s. Les plans de ces fortifications sont par nature extrêmement divers. Souvent, les matériaux de construction sont mixtes : bois pour encadrer des tronçons de retranchements, et pierres pour le parement de murs en terre. Les exemples abondent, mais n’entrent dans aucune série typologique particulière. 3.3 L’architecture des remparts en pierre 53 L’initiative de la construction des remparts en pierre concerne tant le secteur civil que le secteur militaire ; elle s’étend, chronologiquement, entre la fin du IIIe et le début du Ve s. Les enceintes urbaines partagent avec les remparts des camps une technique de construction similaire, si bien que les informations abondantes obtenues pour les premières peuvent servir à l’illustration des seconds ; on ne doit pas oublier toutefois que les forts militaires sont davantage représentés par des sites plus réduits et de forme plus régulière que les villes. Pour la Gaule, la documentation disponible est beaucoup plus large dans la sphère des cités. Malheureusement, il n’est pas question ici d’y recourir de manière approfondie. 54 Dans tous les cas, le rempart du Bas-Empire rompt avec le passé. La muraille, très haute, est devenue très épaisse et atteint 3 m de largeur en moyenne ; elle est dotée de tours qui font saillie sur le rempart. Celles-ci sont placées à bonne distance et autorisent le flanquement de la courtine, car la portée utile des flèches se situe autour de 30 m. Le nouveau dessin des tours privilégie la forme du cercle (Johnson 1983a). Végèce indique que l’usage des tours rectangulaires ne peut être recommandé parce que, en cas d’assaut, elles causent des victimes (Végèce IV, 6). La distance entre les tours n’est pas vraiment homogène. Mais elle peut être moindre dans les sites militaires que dans les contextes urbains. Elle évolue entre une vingtaine (Kaiseraugst, Deutz, Famars) et une quarantaine de mètres (Pachten, Alzey, Bad Kreuznach, Yverdon). On tombe en dessous de 20 m pour les forteresses de petites dimensions qui disposent de tours intermédiaires (Haus Bürgel, Larçay). Certains forts ne disposent que de tours d’angles ou de tours de portes (Oudenburg, Liberchies II). 55 Dans le rempart, on distinguera successivement la fondation, le mur de courtine, les tours d’angle, les tours intermédiaires, les portes et les poternes. 3.3.1 La fondation 56 La fondation n’est pas souvent très profonde, mais elle est massive, à la mesure de l’épaisseur du mur en élévation auquel elle doit fournir une assise exceptionnelle. La fondation de la muraille peut être plus puissante sous le rempart que sous les tours. On 267 remarquera enfin que la muraille peut connaître un rétrécissement à une certaine hauteur au-dessus de la base. 57 Le noyau de la fondation est fréquemment constitué de blocs de récupération, pratique célèbre qu’A. Grenier avait résumée en ces termes : “la base des murailles du BasEmpire est faite d’un entassement à sec de matériaux de remploi, blocs d’architecture, colonnes sciées dans leur longueur et disposées dans le sens de l’épaisseur des murs, fragments plus ou moins volumineux de bas-reliefs et d’inscriptions très souvent funéraires, voire morceaux de statues”. En Aquitaine, les enceintes urbaines relèvent de deux catégories techniques et sont plus ou moins épaisses selon l’importance de ces blocs dans les fondations (Maurin 1992). Dans les fortifications militaires, les blocs de remploi ne sont pas les seuls à avoir joué un rôle. S’y ajoutent des pierres fraîchement taillées, notamment de tuf, dans la région rhénane. 58 En général, la fondation est matérialisée par une tranchée creusée sur une largeur équivalente à celle-ci, comblée de matériaux. La technique peut diverger. Il existe des cas où cette tranchée de fondation est remplie de couches de cailloux ou de dalles sur lesquelles on dispose la première assise de blocs monumentaux. Ceux-ci peuvent être assemblés à sec ou non. Dans d’autres cas, la tranchée de fondations est occupée par plusieurs couches de béton damé, coulées le plus souvent sur des pilotis. Les blocs de taille et les pierres de remploi de la fondation sont alors placés sur ces niveaux bétonnés. Le petit fort de Haus Bürgel illustre le premier cas : la stabilité du sous-sol n’a pas nécessité le recours aux pieux de bois, la tranchée est comblée de moellons posés à sec sur lesquels on a étalé une couche de chaux d’égalisation pour recevoir quatre assises de tufs liés au mortier, sur une hauteur de 0,50 m. Le fort d’Altrip illustre le second cas : plusieurs couches de béton damé recouvrent les pilotis de fondation. Par-dessus s’étalent les blocs de base, assemblés au mortier. Les pilotis interviennent assez fréquemment dans la première mise en œuvre des fondations des forts, ce qui permet parfois de proposer des datations dendrochronologiques : Maastricht (333), Yverdon (325-326), Aegerten (368 et 369), Altrip, Dormagen, Mouzon, Strasbourg. Le cas de Maastricht est représentatif de la technique utilisée : quatre rangées de poteaux, enchâssés dans le sol et entourés de cailloux, marquent le sous-sol de la courtine et d’une tour, du côté du fleuve (fig. 160). Le recours à cette technique est bien illustré aussi dès la période d’Allectus à Londres (Williams 1991). 268 FIG. 160 Techniques de fondation des murailles : 1 mur d’enceinte de Maastricht (dessin T. Panhuysen, service archéologique de le ville de Maastricht) ; 2 édifice public de Londres de la période d’Allectus (William 1991, 135, fig. 22, 5) ; 3 Aegerten (pilotis) [Bâcher & Suter 1989, 125, fig. 3]. 3.3.2 La courtine 59 Les murailles du Bas-Empire, tant dans le secteur civil que militaire, sont célèbres pour l’alternance, dans leurs parements, d’assises de petits moellons cubiques et de tuiles. On parle de rangs ou de cordons selon que l’on observe un ou plusieurs lits de briques, qui sont en fait des tuiles intervenant pour régler l’assise à distance régulière. En élévation, le petit appareil est courant pour le parement, le blocage trahit une construction qui a pu être faite par lits successifs, parfois entre deux parois coffrées. Les traces de boulins pour échafaudage ne sont pas rares. La détermination exacte de l’épaisseur de l’élévation peut être délicate. Des retraits successifs dans la maçonnerie, matérialisés par des chanfreins, sont couramment pratiqués. Le mur connaît une première réduction dès la fondation, souvent beaucoup plus large. Par la suite, la muraille peut encore offrir d’autres retraits. Finalement, au niveau du chemin de ronde, le mur, rarement conservé aujourd’hui, se réduit encore en épaisseur. 60 À Deutz, la muraille offre à la base une épaisseur de 4,35 m qui doit se rétrécir à 3,30 m à son sommet ; à Alzey, les dimensions passent de 3,00 à 2,40 m ; à Horbourg, de 3,30 à 2,30 m. Comme le montre clairement le cas de Kellmünz, la muraille peut être plus épaisse sur une face du castellum que sur les autres. La restitution de la hauteur est malaisée. On peut se référer aux cas conservés les plus hauts, comme Pevensey, sur le litus Saxonicum, ou Zeiselmauer (Ubl 1977), qui culminent aujourd’hui à 9 m (fig. 161). L’élévation de ces courtines ne devait donc pas être éloignée de celle qui était pratiquée dans les remparts urbains, soit 8 à 10 m. Le chemin de ronde est réservé dans l’épaisseur du mur. Lorsque celui-ci n’est plus assez large, il est possible que le chemin 269 de ronde ait été aménagé sur des lambourdes insérées dans la paroi. Richborough peut être un cas de ce type. Les quelques indications dans ce sens, en milieu urbain, sont problématiques. À Famars, des poteaux verticaux doublaient vers l’intérieur une muraille peu épaisse. Dans d’autres sites, notamment les fortifications de hauteur, le mur de barrage, trop étroit, a pu servir de point d’appui à une levée de terre, talutée contre lui, sur la face interne. FIG. 161 La tour de Zeiselmauer (Pannonie). cliché R. Brulet. 61 Il faut enfin tenir compte du dossier très important des murailles doubles. Dans certains cas, la muraille du Bas-Empire est matérialisée par un mur ancien, doublé par un mur de construction plus récente. C’est l’addition des deux initiatives qui constitue la défense tardive. À Strasbourg, un mur à tours semi-circulaires saillantes chemise l’enceinte ancienne à chaînages de briques avec estampilles de la VIII e légion (Gissinger 2002). Mais cette situation particulière peut aussi être le fruit d’une évolution architecturale entièrement datée de l’Antiquité tardive. Les cas de Bavay et de Famars sont les plus représentatifs : une enceinte assez étroite, datant probablement de la période de transition vers le Bas-Empire, est vite jugée insuffisante et doublée par un mur supplémentaire, alors que les bastions se développent aussi sur un diamètre élargi. Assez rarement, un poutrage interne à la base du mur a pu être utilisé pour renforcer celui-ci (fig. 162). C’est le cas à Strasbourg où des poutres équarries, placées à angle droit sur deux lits superposés, à un mètre de distance l’une de l’autre, ont été reconnues dans une tour semi-circulaire et le mur de courtine associé. Sur le litus Saxonicum, beaucoup de forts attestent la présence de pièces de bois assemblées de manière compliquée, dans les tours de Pevensey, Richborough, Portchester (Williams 1991). 270 FIG. 162 Utilisation de la technique du poutrage dans les fondations et dans les murs des forts et des tours de garde Valentiniennes du litus Saxonicum (Williams 1991, 139, fig. 22, 9) : 1 Londres ; 2 Portchester, 3 Pevensey ; 4 Aegerten (Bâcher & Suter 1989, 129, fig. 9), 5 Möhlin-Fahrgraben (Fellmann 1992, 337, fig. 295, 2). 3.3.3 Les tours 62 Les tours sont saillantes sur le rempart. Les tours d’angle connaissent souvent un développement plus accentué que les tours intermédiaires de la muraille. Dans les petites forteresses, les tours intermédiaires peuvent être en nombre réduit, voire inexistantes. 63 En Gaule, le plan est peu diversifié. Un premier modèle, qui a toutes les chances d’être ancien, offre un dessin polygonal. Mais les cas sont très limités par comparaison avec les configurations de même forme, très fréquentes sur le litus Saxonicum, sur le Danube, ou en Orient. On trouve essentiellement, par la suite, des tours carrées, semi-circulaires ou circulaires. On dispose de quelques exemples, comme à Deutz, où la projection interne de la tour ne présente pas le même dessin que la projection externe. Les archéologues sont souvent confrontés à la découverte de bases massives de tours, de plan semi-circulaire ou quadrangulaire. II faut bien voir que ces tours “pleines” ne le sont effectivement que jusqu’à une certaine hauteur, à partir de laquelle elles sont creuses et s’intégrent à la courtine. Ailleurs, on a observé que des massifs quadrangulaires constituaient l’assise de tours circulaires ou semi-circulaires, comme à Alzey, et polygonales comme à Kaiseraugst. 64 Les tours dominent la courtine. Par référence aux cas mieux connus en milieu urbain, on peut estimer que les tours de fortifications militaires pouvaient atteindre une hauteur de 15 à 20 m. Elles sont dotées de fenêtres vers l’extérieur et de portes ouvertes 271 sur la courtine. Au sommet, on restitue soit des toitures, soit des terrasses, ces dernières facilitant l’installation de machines de tirs (Lander 1984). 3.3.4 Les tours d’angle 65 FIG. 163 66 Les tours d’angle de plan polygonal demeurent exceptionnelles dans le paysage de la Gaule du Bas-Empire. On n’en compte que trois cas. Les exemples de Kaiseraugst et de Burg, près de Stein am Rhein, s’inscrivent dans un contexte régional et sont datés du début du Bas-Empire. Le castrum d’Augst n’offre pas de certitude quant à la physionomie exacte des tours, surtout celles de la courtine, puisque la base de celles-ci est quadrangulaire. Le dessin des tours du fort Valentinien d’Altrip est assez peu classique : il s’agit d’un polygone écrasé ou étiré, dont la forme est directement liée au plan trapézoïdal, rare, de ce castellum. FIG. 163 Tours d’angle (dessin R. Brulet). Plan polygonal : 1, 2 Altrip, 3 Burg (Stein am Rhein) ; plan carré : 4 Schaan ; plan circulaire : 5 Alzey, 6 Deutz, 7 Yverdon. 67 L’attestation de tours d’angle quadrangulaires est également très limitée. On les rencontre soit en Rétie (Isny/Vemania), soit dans le prototype des pseudo-quadriburgia (Innsbruck/ Wilten, Irgenhausen, Schaan), ou même ailleurs (Pachten, forteresse de Larga, Le Rubricaire). Le cas de Dormagen, avec ses tours carrées placées à l’intérieur de l’enceinte, demeure exceptionnel : on a affaire à une transformation d’un site du Haut-Empire. 68 Le plan le plus couramment utilisé est le cercle, selon le modèle du fort de Deutz. On le trouve maintes fois, à Oudenburg, Xanten, Boppard, Alzey, Bad Kreuznach, Yverdon, Famars, Liberchies II, Haus Biirgel, Asperden. La tour d’angle déborde de 272 trois quarts sur le mur d’enceinte. À l’intérieur du fort, l’angle avec le mur de courtine peut être droit ou légèrement concave, comme si l’arrondi de la tour était interrompu (Alzey, Asperden, Oudenburg, Xanten). Mais l’arrondi peut achever sa courbe complète à l’intérieur du fort (Liberchies II, Famars, Maastricht, Yverdon). Le diamètre de ces tours circulaires d’angle est important ; il évolue entre 6 et 9 m. 3.3.5 Les tours intermédiaires 69 FIG. 164, 165 70 Lorsque les tours intermédiaires de la courtine sont construites, c’est-à-dire dans les forts d’une certaine dimension, elles répondent à une variété limitée de plans. 71 Outre la présence, assez rare, de la forme polygonale (Zurich, Stein am Rhein/Burg et Kaiseraugst), on rencontre un peu plus fréquemment le plan quadrangulaire, avec saillie sur le rempart (“quadriburgia” d’Innsbruck/Wilten, Irgenhausen, Schaan ; Pachten, Breisach, Moosberg). Dans les “quadriburgia”et à Zurich, on voit même quelques-unes de ces tours servir de porte d’accès au fort. La reprise de castella anciens, comme à Dormagen et Eining, débouche sur des plans hybrides. Le cas de Zurich est aussi particulier, avec ses tours d’angle et de courtine, où alternent les plans carrés et polygonaux. FIG. 164 Tours de courtine (dessin R. Brulet). Plan polygonal : 1 Burg (Stein am Rhein) ; plan carré : 2 Schaan ; plan semi-circulaire simple : 3 Alzey ; plan semi-circulaire avec saillie rectangulaire à l’intérieur du fort : 4 Yverdon ; plan circulaire : 5 Deutz, 6 Maastricht. 72 La forme du cercle, pour moitié en saillie vers l’extérieur et pour moitié en saillie vers l’intérieur, est rare dans les fortifications militaires, alors même qu’elle est généralisée dans les remparts urbains. On citera le cas de Zurzach. On lui préfère généralement la demi-tour, placée en excroissance de la muraille. Ce type offre le modèle le plus 273 répandu. À Deutz, la tour intermédiaire forme une excroissance marquée. Quelques cas ont été relevés dans lesquels le bastion semi-circulaire externe développe une légère saillie, généralement rectangulaire, vers l’intérieur du fort, débordant de l’alignement de la muraille, comme à Alzey, Horbourg, Yverdon. On dispose de plusieurs exemples où l’on voit que la surépaisseur, donnée à un moment postérieur à la première construction de la courtine, entraîne un redéveloppement des tours semi-circulaires, comme à Bavay et à Famars (fig. 165). FIG. 165 Exemples de surépaississement de tours de courtine (dessin R. Brulet) : 1 Bavay ; 2 Famars. 3.3.6 Les portes 73 FIG. 166 74 Les portes des casernements militaires sont moins monumentales que sous le HautEmpire et que dans les villes. Elles sont dotées d’un seul couloir de passage et non plus de deux, comme autrefois. Larga et Horbourg paraissent faire exception. Les portes sont encadrées par deux tours carrées ou ménagées au centre d’une tour carrée à bastions quadrangulaires, ou encadrées par des tours semi-circulaires et polygonales. 75 La porte munie de tours polygonales, comme celle d’Oudenbourg ou de Burg, près de Stein am Rhein, datée de 294 par une inscription, reste rarissime. Le modèle le plus répandu est le plus simple et il apparaît dans les villes comme dans le secteur militaire. Il s’agit de deux puissants bastions rectangulaires, construits sur une base de gros blocs, dépassant l’alignement de la courtine aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, et déterminant un accès très étroit à la forteresse (3,50 m). On le connaît sous le nom de “type Andernach”, et on le rencontre à Altrip, Alzey, Bad Kreuznach, Maastricht, Breisach, de la Tétrarchie jusqu’à la période Valentinienne. Un modèle réduit de ce 274 type est représenté par des massifs quadrangulaires similaires, dont la projection en saillie n’est visible que vers l’extérieur (Larga, Moosberg). FIG. 166 Portes. Plan polygonal : 1 Oudenburg, 2 Stein am Rhein/Burg ; plan de type “Andernach" : 3 Alzey, 4 Altrip ; plan carré avec bastions en saillie vers l’extérieur : 5 Larga ; plan à tour porte : 6 Irgenhausen, 7 Schaan ; plan semi-circulaire à base plate : 8 Deutz. dessin R. Brulet. 76 La porte aménagée au milieu d’une tour carrée est assez rare. On voit cette situation dans les “quadriburgia” et au Wittnauer Horn. Les portes encadrées par des tours semicirculaires sont peu fréquentes. On observe le cas à Deutz et Yverdon, avec le prolongement, en saillie plate vers l’intérieur, de la tour semi-circulaire. Quelques exemples sont attestés en milieu rural (Cora). 3.3.8 Les poternes 77 Beaucoup de forts disposent de poternes. On ne les a pas toujours retrouvées dans la mesure où nous ne connaissons que rarement l’intégralité des remparts. Ces poternes peuvent être situées du côté d’un fleuve ou d’une rivière, comme à Boppard. Elles n’ont que 1,00 ou 1,50 m de largeur et coïncident avec une simple ouverture dans la muraille. Parfois, on rencontre un bastion qui les protège à droite ou à gauche. 3.3.9 Les fossés 78 Les fossés défensifs constituent le premier obstacle. Au IVe s., ils sont généralement très larges et très profonds (10 x 3 m en moyenne). Ces fossés se trouvent à une distance de 8 à 15 m du pied du rempart (Elton 1996). La profondeur est aussi une question d’appréciation à partir d’un niveau d’occupation du site qui n’est pas toujours établi. 275 79 Le fossé a des pentes peu raides, la pointe est parfois marquée par une encoche. Lorsqu’on en rencontre plusieurs, l’un d’eux est plus étroit, mais la profondeur ne varie guère. On connaît des situations semblables dans les forts de l’armée régulière : à Deutz, les fossés ont respectivement 12 et 14 m de largeur. La forteresse plus petite de Haus Bürgel offre un fossé de 6,70 m et un autre de 10,50 m de largeur. Les doubles fossés sont présents dans les autres secteurs, à Breisach par exemple. Dans les fortifications de hauteur, ils n’ont d’utilité que sur la face opposée. Quelques cas de tracés plus compliqués sont avérés, par exemple à Krefeld/Gellep où se dessinent un fossé polygonal supplémentaire et différents obstacles. 3.3.10 Tours de garde 80 L’architecture des tours est par essence extrêmement simple. Qu’elles se trouvent sur la frontière ou le long d’une route, elles sont normalement entourées par un fossé défensif. On trouve un modèle bien conservé, qui permet de restituer la physionomie de ces tours dans le site de Zeiselmauer, sur le Danube (Ubl 1977). Cette construction mesure 21 x 20 m, avec des murs de 2 m d’épaisseur ; au centre, elle présente quatre piliers de soutènement des étages (fig. 161). L’élévation dans la muraille est marquée sur la face interne par des retraits dans la maçonnerie, où s’accrochent les planchers. 81 Le plan de ces tours est carré ou rectangulaire. Il existe plusieurs formats : les plus grandes peuvent dépasser 20 m de côté. Les plus petites, quadrangulaires, ont de 10 à 15 m de côté ; on les rencontre le long des routes. Les murs ont une épaisseur qui varie entre 1 et 2 m. Au sol, au milieu de l’édifice, on trouve quatre ou six bases maçonnées, qui servent de fondations à des madriers verticaux pour supporter les planchers de l’étage. En Séquanie, où elles existent en très grand nombre, les tours de garde de la frontière rhénane d’époque Valentinienne offrent un témoignage répétitif de ce genre de construction. Les tours sont carrées et de modèle réduit, puisque le côté ne dépasse guère 10 m de côté. On y observe une particularité technique, constituée par un réseau de poutres en bois qui traversent l’épaisseur des murailles. Un fossé isole la tour. 3.3.11 Burgi avec tour 82 Les tours intégrées dans un dispositif plus développé, comme les burgi ou les ports militaires fluviaux, disposent d’un accompagnement défensif plus sophistiqué. Les tours carrées sont entourées par une enceinte basse aux angles légèrement arrondis, à bastions circulaires ou semi-circulaires. 83 Sur le Rhin, le site d’Asperden peut servir de modèle. La tour est carrée (15,60 m) avec quatre piliers centraux de soutènement. À une distance de 11 m, on trouve une enceinte périphérique de 40 m de côté, avec un mur peu épais, flanqué de quatre tours d’angle et de deux tours intermédiaires de plan circulaire ou semi-circulaire de 4,25 m de diamètre. Deux fossés d’époque différente entourent le site. 84 Les fortifications de rivière comprennent un bâtiment rectangulaire puissant, construit à peu de distance du cours d’eau, auquel est accolée une petite enceinte cernant l’espace du débarcadère. Le bâtiment est construit à cheval sur l’enceinte. Il dispose en principe d’une porte vers le débarcadère, d’une autre vers la terre, et de bases de piliers au centre pour porter les étages intermédiaires. L’enceinte se prolonge dans l’eau du 276 fleuve. Elle est munie aux angles de tours carrées ou circulaires. Du côté de la terre, le site est aussi protégé par un fossé. 85 La hauteur de la tour reste discutée. A Zullestein, la reconstruction proposée du bâtiment est assez basse. À Ladenburg, on restitue une tour culminant à 18 m de haut. La tour rectangulaire (21,30 x 15,10 m) de Zullestein a des murs de 2 m d’épaisseur. Un fossé d’isolation de 5 m de largeur, recreusé et palissadé, y a été retrouvé. La cour du débarcadère était pavée. À Ladenburg, la tour est carrée, d’environ 13 m de côté, avec des murs de 3 à 4 m d’épaisseur. Un fossé de 5,60 m de large et de 3,50 m environ de profondeur entoure aussi le site. À Engers, les bastions d’angle sont circulaires. 3.4 Les bâtiments internes 86 L’espace intérieur des forteresses du Bas-Empire offre des configurations diverses et possède une structuration spécifique dans laquelle la physionomie des bâtiments peut jouer un grand rôle. Par rapport au Principal, la nature des aménagements internes change radicalement, mais notre connaissance de la question en Gaule est relativement limitée. Pour l’essentiel, on est dans l’obligation de se référer toujours aux mêmes exemples, peu nombreux. 87 Une distinction immédiate doit être faite entre les camps anciens, réoccupés au BasEmpire, et les constructions neuves. Le fort d’Altrip donne une image entièrement nouvelle de l’architecture intérieure pendant cette époque tardive. À l’inverse, lorsque le fort du Bas-Empire est le résultat d’une transformation d’un camp du Principat, les innovations s’observent plus malaisément, car elles sont introduites par paliers chronologiques successifs, depuis le début du IIIe s. 88 Cette lente transformation commence à être bien perçue dans le nord de l’Angleterre ou dans quelques sites du litus Saxonicum (Welsby 1982). Pour l’essentiel, les bâtiments affectés par ces innovations sont les principia, les entrepôts, les casernements et les thermes, ces derniers se localisant d’ailleurs parfois à l’extérieur de l’enceinte, lorsqu’elle est très réduite. Peu de bâtisses internes répondant à d’autres fonctions, comme la fabrica de Bonn, peuvent actuellement être connues par la recherche archéologique (Petrikovits 1975 ; Gechter 1980b). À Alzey, on voit aussi apparaître quelques très petits bâtiments quadrangulaires en pierre, interprétés comme ateliers. Leur implantation ne semble pas répondre à un plan organisé. 3.4.1 Configuration et structuration 89 Un premier cas, bien illustré par les forteresses du litus Saxonicum, montre un espace interne du fort très peu construit. Les édifices en pierre sont rares et de petites dimensions. Or les fouilles n’ont pas permis de retrouver des traces d’habitat significatives en bois. Cette situation s’explique mal. A-t-on affaire à des surfaces occupées par des tentes, ou les fouilles ont-elles été trop partielles ? Les fouilles de Burgh Castle sont, en ce sens, assez décevantes. Elles montrent des traces de bâtiments très légers, installés près des murailles, à l’époque de Constantin (Johnson 1980). S’il s’agit bien de baraques en bois, elles devaient exister en nombre restreint et dégager des superficies considérables non construites. 277 90 Le second modèle montre une occupation de type traditionnel, avec baraques et logements qui couvrent une grande surface, suivant en cela le schéma des camps du Haut-Empire. Le fort constantinien de Deutz illustre ce type de situation nouvelle. 91 Le troisième cas est représentatif d’une innovation attribuée à l’Antiquité tardive : le fort s’ordonne autour d’une cour centrale dégagée, les bâtiments étant rejetés contre les murailles. Beaucoup d’explications ont été avancées pour justifier ce changement de structure : protection contre l’artillerie ennemie, économie de moyens, cour utilisée comme refuge pour la population civile, réduction des effectifs militaires à loger, qui ne nécessite plus l’occupation de toute la surface interne par des casernes (Lander 1980 ; Reddé 1995a). C’est le modèle du “quadriburgium” –terme contestable, on l’a dit– qui correspond le mieux à cette nouvelle configuration. Alzey, qui apparemment occupe une trop grande surface, ne répond que partiellement à cette catégorie. 92 Le quatrième cas rassemble des traces hétérogènes, très denses, de bâtiments divers. On semble respecter l’utilisation de la via sagularis, mais la densité et l’hétérogénéité des structures montrent plutôt qu’elles sont le résultat d’une situation tardive. Les caractères militaire et civil continuent longtemps de s’y affronter, d’autant que les casernes manquent généralement, comme on le voit à Kaiseraugst, Maastricht, Yverdon, Burg près de Stein am Rhein. 93 La structuration générale du camp peut se faire sur la base du réseau viaire interne et de l’emplacement du bâtiment le plus important, à savoir les principia. M. Reddé a très justement montré que les schémas structuraux imaginés à propos des forts tardifs ne s’appliquaient qu’aux camps de grande dimension (Reddé 1995a). En outre, lesprincipia sont rarement avérés en Gaule, si bien que l’on peut difficilement les prendre en compte quand on veut apprécier globalement la disposition des bâtiments internes. On pourra retenir néanmoins que quelques forts entrent dans cette modélisation générale (Fellmann 1976 ; 1979). 94 Deutz pourrait illustrer la structuration générale d’un camp classique, hérité du Principat. Mais il faut néanmoins retrancher du modèle la problématique des principia et la double circulation interne, qui ne s’organise plus que selon un axe est-ouest. Il est vrai que nous nous situons déjà à la période constantinienne. Pour les sites neufs, c’est Richborough qui correspond le mieux au schéma classique. Portchester a été mentionné comme relevant d’un autre type, avec ses deux voies centrales et ses quatre portes. M. Reddé pense à juste titre que trop d’éléments archéologiques demeurent actuellement incertains pour corroborer cette idée. De toute manière, la tendance va à la diminution des portes, qui ne sont plus généralement que deux, ouvertes sur l’axe principal, et non plus quatre. 95 Finalement, c’est le schéma à casernements périphériques qui est le mieux représenté. Il s’applique en Gaule à des forts tardifs mais, s’il est répandu, c’est aussi parce qu’il convient à nombre de forteresses de petite superficie : Alzey et Altrip, pour les camps d’une certaine importance, Irgenhausen, Eining, Liberchies II, avec cour intérieure modeste, pour les forteresses (Reddé 1995a). Cette situation se retrouve aussi dans quelques postes routiers, mais le modèle est ici hérité du Principat et n’est pas spécifique du Bas-Empire. 278 3.4.2 Les principia 96 L’un des bâtiments les plus importants du camp romain classique, les principia, connaît une destinée incertaine durant l’époque romaine tardive et l’on n’arrive pas, s’agissant du IVe s., à dégager des normes aussi radicales que précédemment quand on veut évaluer la construction, voire la survie de cet édifice. Les considérations d’ordre général sur l’évolution typologique de ces bâtiments trouvent parfois peu d’écho concret dans les fortifications tardives de la frontière rhénane, en raison d’une documentation archéologique médiocre. 97 Deux situations doivent être mises en parallèle. Lorsque nous avons affaire à un site militaire du Principal, il n’est pas rare que des traces d’occupation, voire de réaménagement du bâtiment de commandement, soient relevées. Lorsque nous nous trouvons en présence d’une fortification neuve, ce type d’édifice perd de son importance, ce qui se traduit par une emprise réduite, un plan peu conventionnel, ou une localisation décentralisée. L’existence des principia est plus problématique encore dans les petites forteresses avec casernements périphériques. 98 À Valkenburg, dans les principia classiques du Haut-Empire, ont été retrouvées quelques pièces de bois datées des années 346 et 354 environ, mais le caractère militaire du site, au IVe s., n’est pas assuré (Groenman-van Waateringe 1986). Dans les forts du mur d’Hadrien, les cas de South Shields et de Housesteads notamment montrent la survivance du plan classique et son adaptation, fréquente au IIIe s. et durant le IVe s. (fig. 167, 1,3). 279 FIG. 167 Principia. Plans traditionnels du IIIe s. : 1 South Shields (Welsby 1982, fig. 32, 2), 2 Reculver (Welsby 1982, fig. 33, 2) ; plans traditionnels de la fin du IVe s. : 3 Housesteads (Welsby 1982, fig. 37, 1), 4 Alet (Langouët 1987, 105, fig. 60) ; plans évolués ou incomplets du IVe s. : 5 Richborough (Welsby 1982, fig. 34, 2) ; 6 Lympne (Welsby 1982, fig. 34, 1) ; 7 Alzey, phase 1 (367-407 ap. J.-C.) [Oldenstein 1995, 88] ; 8 Alzey, phase II (407-443 ? ap. J.-C.) [Oldenstein 1995, 88], dessins R. Brulet. 99 Dans les sites du litus Saxonicum, les édifices en pierre sont particulièrement peu nombreux et, lorsqu’il en existe un, il est souvent considéré comme des principia au format très réduit. Le fort de Richborough peut faire exception (fig. 167, 5). On y trouve, en bonne place au centre du site, un vaste édifice quadrangulaire dont le développement rappelle un peu celui d’Alet. À Lympne, on découvre une bâtisse rectangulaire étroite sommée par une abside au milieu du grand côté ; cette construction a l’avantage d’être localisée dans l’axe de la porte. La situation a toutefois bien changé par rapport aux sites un peu plus anciens comme Brandcaster et Reculver (fig. 167, 2), qui font partie du même dispositif mais qui sont construits un siècle plus tôt. 100 Sur le continent, le site d’Alet possède des principia de date relativement récente (365-370) ; ils se développent selon le schéma le plus classique, mais dans un milieu urbain, avec une vaste cour d’au moins 1 200 m2, galerie-couloir et grands locaux. 101 Pour le contexte militaire strict, il faut en premier lieu mentionner le castellum constantinien de Deutz. Dans le cadre d’un aménagement traditionnel comme celui-là, où l’espace est très contingenté par les baraques, l’identification des principia n’est pas résolue. On a proposé de reconnaître, au centre du site, les quatre bâtisses à portiques comme le siège du commandement (Precht 1987). Des parallèles de ce genre font défaut, et il faut dire que si les édifices en question ne manquent pas de confort, ils manquent de monumentalité. Dans les sites à casernements périphériques et cour intérieure, comme à Altrip, il paraît bien vain de rechercher ce type de construction. 280 102 Le castellum d’Alzey offre une image mixte, qui complique encore un peu la réflexion (fig. 167, 7). Le camp possède des casernements périphériques, mais il est tellement grand que ceux-ci n’occupent pas nécessairement toute la longueur des courtines. Dès lors, une partie du quart nord-est du fort, où l’on ne trouve pas les baraques appuyées contre le mur, a sans doute été réservée aux principia, décentralisés et pas vraiment d’équerre avec la courtine. Dans la phase primitive de l’occupation, au dernier tiers du IVe s., il ne s’agissait somme toute que d’un édifice très réduit, avec deux murs de refend au centre. Avec son plan basilical établi à la période suivante, dans la première moitié du Ve s., le bâtiment gagne en importance. Il est finalement remplacé par une église. Dans les forteresses plus petites, comme à Eining et à Isny (fig. 168), on trouve un petit bâtiment central, avec subdivisions, pour lequel se pose alors le problème d’identification comme principia cum praetorio (Mackensen 1994). Beaucoup d’autres forteresses disposent aussi de petits édifices aux soubassements de pierre qui pourraient prétendre à cette double fonction. Sans totalement disparaître, les principia perdent, au IVe s., de l’espace et de la monumentalité ; dans les sites nouvellement construits, ils ne sont plus installés à un emplacement privilégié. FIG. 168 Exemples de petits édifices centraux dans les forteresses (principia cum praetorio ?) : 1 Eining (Mackensen 1999, 216, fig.7, 12) ; 2 Isny (Mackensen 1999, 206, fig.7, 4). 3.4.3 Les casernements 103 Durant l’époque romaine tardive, on assiste à une confrontation entre deux types de casernements, dont la morphologie dépend de la structuration générale du fort : des casernes traditionnelles implantées dans l’espace interne du fort, et des casernements appuyés contre le rempart (fig. 169, 170). Les baraquements de la première catégorie peuvent avoir des dimensions assez grandes, comme à Deutz, ou des dimensions plus réduites comme dans les forts du mur d’Hadrien, où la tendance au rapetissement intervient dès le courant du IIIe s. En revanche, les casernes de la seconde catégorie dépendent entièrement, pour leur développement, de la surface laissée libre contre l’enceinte, et du dégagement imposé par les dimensions de la cour centrale, qui n’est pas d’égale importance dans les forts et les forteresses. Le cas de Deutz sert de référence pour la période constantinienne. On trouve douze baraques de 11,50 m de large et de 57,40 m de long, avec un espace interne de 580 m 2. Les quatre édifices 281 centraux ont la même largeur mais une longueur plus courte de 54,20 m (550 m 2). Les bâtiments connaissent des subdivisions internes en bois et torchis, que l’on ne peut malheureusement estimer avec précision. Aucune identification d’écuries n’est possible, malgré le nombre de petits objets découverts qui attestent la présence de cavaliers (Carrol-Spillecke 1 997). FIG. 169 Casernements dans le périmètre des forts : 1 Deutz (Caroll-Spillecke 1997, 144, fig. 1, 63, d’après Precht) ; 2 Housesteads (Daniels 1980, 174) ; 3 South Shields : a fin du IIIe s., b milieu du IVe s. (Bidwell 1991, 14, fig. 3, 5) ; 4 Bavay (Loridant et al. 2001, 36) ; 5 Arras (dessin A. Jacques, service archéologique municipal d’Arras) ; 6 Kellmünz (Mackensen 1999, 211, fig. 7, 8). dessins R. Brulet, sauf no 5. 282 FIG. 170 Casernements contre les courtines () : 1 Altrip (Schnurbein 1991b, 209, fig. 35, 1) ; 2 Alzey (Oldenstein 1993, 131, fig. 3) ; 3 Eining (Mackensen 1999, 216, fig. 7, 12) ; 4 Bürgle (Mackensen 1999, 213, fig. 7, 10). dessins R. Brulet. 104 Le renouvellement de nos connaissances sur les casernements du Bas-Empire nous est venu du nord de l’Angleterre, où l’évolution de ceux-ci a été suivie dans des camps du Principat jusqu’à la fin de la présence militaire romaine dans l’île (Bruler 2004 ; Hodgson & Bidwell 2004). L’observation de baraques, de format réduit, dénommées chalets, à Wallsend et sur le mur d’Hadrien, a d’abord conduit à l’hypothèse de leur utilisation par les soldats et par leur famille (Daniels 1980). Par la suite, cette vue a été corrigée dans la mesure où leur apparition remonte à une période antérieure à la réorganisation de l’armée par Dioclétien ; on dispose d’un modèle à peu près similaire à South Shields, pour la fin du IIIe s. et le milieu du IVe s. Le bloc de casernes voit sa surface réduite (39,50 x 6,50 m), avec un nombre moins grand de contubemia. Les cinq baraques sont munies de divisions internes et jouxtées par d’autres locaux, notamment des ateliers (Bidwell 1991). On peut raisonnablement mettre en rapport ces modifications avec la diminution de la taille des unités. On passerait ainsi de huit à six hommes par chambre (Hodgson 1999), en prenant comme ratio 2 m 2 par homme (papilio) ou 1 m 2 par homme (arma) [Mackensen 1987]. Quoi qu’il en soit, les blocs de casernes ont moins de contubemia au Bas-Empire. La véritable rupture entre l’occupation de ce type de bâtiment par des militaires puis par un autre groupe social semble se situer autour de 370 ap. J.-C., à Vindolanda et à South Shields (Hodgson & Bidwell 2004). Quelques informations supplémentaires sont apportées par des sites civils, Bavay et Arras, où ont été logés des contingents militaires. À Bavay, une rangée d’au moins huit chambres a été retrouvée aux abords de la basilique du forum. Le bloc a été implanté tardivement sur le cardo, à la fin du IVe ou au début du Ve 283 s., à une époque où cet axe viaire, désaffecté, intégrait l’extension de la fortification. Les baraques sont bâties sur sablières basses avec pans de bois. La longueur des pièces varie entre 4,80 et 6,05 m, la largeur entre 2,90 et 3,00 m (Loridant et al. 2001). En revanche, le témoignage fourni par Arras est quelque peu confus. Le long de l’enceinte, mais non contre elle, on trouve, à l’aube du Ve s., deux casernes constituées par des bâtiments rectangulaires de 43,00 x 6,50 m, scindés en deux parties inégales par une cloison centrale. Les chambres sont au nombre de huit. Juste à côté, on a mis au jour une écurie de 31,00 x 5,20 m. À Boulogne, une partie des casernes a été rebâtie au IVe siècle, avec cloisonnement intérieur en torchis mais le plan est incomplet. Elles sont occupées au moins jusqu’à Gratien (Seillier 1996b). 105 Le plan à casernements périphériques constitue à lui seul un dossier particulièrement intéressant. On sait que cette configuration existe auparavant dans les petits camps auxiliaires du Principat, et qu’au Bas-Empire elle est plus souvent liée aux forteresses de petites dimensions, même si Alzey et Altrip représentent des exceptions à la règle énoncée ci-dessus. Le plan à casernements périphériques se retrouve le plus fréquemment dans les “quadriburgia”. Il est aussi représenté dans les petites forteresses, comme à Liberchies II, et dans les sites célèbres de Eining, Kellmünz et Bürgle, proches du Danube. 106 À Altrip, les bâtiments périphériques sont systématiquement organisés le long des courtines et très larges (35 à 40 m2). La largeur des pièces oscille entre 4,00 et 7,50 m pour une profondeur de 8,50 ou 10,50 m. Les bâtiments ont été très probablement construits avec un étage, mais la reconnaissance précise des blocs de casernes est ici particulièrement malaisée, certaines grandes salles échappant certainement à cette fonction. À Alzey, seules les faces ouest, sud et sud-est sont pourvues de casernes de 8 m de longueur par 4,70 m de largeur. Les forteresses de Eining, Kellmünz et Bürgle apportent un certain nombre d’informations. À Eining, quatre baraques de cinq ou six conturbemia ont été identifiées. Elles ont probalement un étage (Mackensen 1994). Avec leur superficie de 17 à 20 m2, elles sont semblables à celles de South Shields. Bürgle dispose d’un plan ramassé dans lequel s’alignent des chambres en bois, mais comme leurs dimensions ne sont pas identiques, l’identification de leur usage est malaisée. Le fort de Kellmünz s’illustre par une caserne en bois non attenante au rempart, de 26 m de long et de 6,80 m de large, comprenant cinq contubemia d’environ 22 à 24 m 2 de surface, prolongés par un local plus grand réservé aux officiers. 107 Pour la fin de l’époque romaine, et plus particulièrement au Ve s., on dispose avec Alzey d’un témoin privilégié qui permet d’illustrer une évolution marquante dans l’occupation de ces forts, vers 440 ap. J.-C. Au lieu d’être construits contre la muraille, les nouveaux bâtiments sont élevés dans la cour, dans le désordre le plus complet. Ils n’occupent qu’une petite partie de l’espace disponible, témoignant d’un habitat réduit. La technique de construction a changé : ce sont des bâtisses en pans de bois, allongées, précédées de portiques (fig. 171). 284 FIG. 171 Casernements tardifs ou baraques (milieu du Ve s.) : Alzey, phase III (Oldenstein 1995, 88). 108 Les fortifications de hauteur sont également dotées de bâtiments en bois qui peuvent s’apparenter partiellement à des casernes, même s’il est difficile de les identifier comme telles. Les sites concernés ne manquent pas, comme la colline de Carschlingg, à Castiel, ou le Moosberg. On y reconnaît des bâtisses en bois alignées sur un axe ou adossées au rempart. Nous entrons dans une logique d’organisation qui est moins systématique. Le fait qu’une architecture similaire soit présente dans les sites de hauteur, à l’extérieur de l’Empire, comme au Runde Berg (Urach), montre que l’aspect civil s’y surajoute. 3.4.4 Les entrepôts 109 L’horreum conserve au Bas-Empire son importance logistique dans l’organisation militaire, mais cette fonction se double d’un intérêt stratégique, avec la nécessité soit d’une protection renforcée des zones de stockage, soit de l’étude d’un acheminement et d’une distribution des denrées qui se modifient fréquemment à cette époque. La formule est bien résumée, pour le nord de la Gaule, par la citation de saint Jérôme : non castella sed horrea Belgis. Les villes remparées sont le lieu tout désigné pour accueillir des entrepôts, que l’on retrouve aussi dans les fortifications militaires (fig. 172). 285 FIG. 172 Entrepôts intérieurs aux forteresses : 1 Maastricht (dessin T. Panhuysen, service archéologique de la ville de Maastricht), 2 Innsbruck/Wilten (Mackensen 1994, 508, fig. 15), 3 Schaan (Mackensen 1994, 510, fig. 17) ; entrepôts extérieurs : 4 Eining (Mackensen 1994, 488, fig. 7), 5 Goldberg (Mackensen 1994, 506, fig. 13) ; entrepôts de fortifications de hauteur : 6 Lorenzberg bei Epfach (Mackensen 1994, 507, fig. 14, selon Werner 1969). 110 Valkenburg offre un bon témoignage archéologique d’un approvisionnement en blé venant d’Angleterre, avant d’être redistribué par voie fluviale. L’horreum en bois du camp ancien semble avoir été refait vers 316 et 365. Dans les villes, ces entrepôts sont fréquemment attestés, mais leur fonction militaire ne peut être démontrée : c’est le cas à Kaiseraugst, à Yverdon et surtout à Maastricht, où l’édifice s’étend sur trois nefs de 5 m de largeur (32,42 x 16,82 m). 111 Les fortifications militaires peuvent comprendre au moins un horreum, comme c’est le cas à Cuijk. Elles peuvent être encombrées de nombreux entrepôts, fait maintes fois attesté dans le nord de l’Angleterre depuis le IIIe s., ou, au contraire, être la principale raison d’être de leur présence (Innsbruck). Ce dernier cas est caractéristique : la forteresse abrite deux entrepôts à trois nefs (de 62 x 17 m) découpées par deux rangées de quatorze piliers, situés à 4 m d’intervalle. La question de l’antériorité des horrea par rapport à l’enceinte du castellum est posée (Mackensen 1994). À l’inverse, le cas de Schaan correspond mieux à un horreum construit contre la courtine sud du fort, lorsque celui-ci existait. Un autre schéma existe, à Eining et au Goldberg, avec des horrea édifiés à l’extérieur de l’enceinte et contre celle-ci. Les quadriburgia ont une forme qui permet d’accueillir commodément ce genre de bâtiment. On connaît aussi l’existence de deux petits horrea, de dimensions modestes, à Alzey, dans la cour du fort, mais l’identification n’est pas assurée. Enfin, le monde des fortifications de hauteur n’est pas toujours en reste, comme le prouve l’entrepôt du Lorenzberg, près d’Epfach, de facture moins régulière (Mackensen 1994). Beaucoup de ces initiatives remontent à la période Valentinienne. 286 3.4.5 Les thermes 112 Les thermes offrent une fonctionnalité qui demeure importante, au moins dans la première moitié du IVe s. 113 Les camps de grande dimension ont leurs thermes à l’intérieur du périmètre fortifié. Il faut néanmoins les considérer avec quelque réserve à partir du moment où ils figurent dans des complexes qui seront amenés à se développer dans une orbite plus urbaine que militaire. Les thermes de Boppard, de Bad Kreuznach et surtout de Kaiseraugst sont de bons exemples de cette problématique. L’état dans lequel on les a reconnus est le résultat de nombreuses transformations qui conduisent ces bâtiments, au Ve s. et plus tard, vers une destinée différente, parfois chrétienne. Ailleurs, à Famars et à Heerlen, les thermes monumentaux de l’époque du Principat semblent avoir été considérés comme suffisamment importants pour devenir l’objectif à protéger par une enceinte ou un retranchement. Mais ici, les thermes seront vite délaissés. 114 La forteresse de Boppard offre un bon exemple de thermes monumentaux d’époque romaine tardive, édifiés à l’intérieur du camp. Dans la maçonnerie figurent des tuiles estampillées de la XXIIe légion qui accréditent une construction d’origine militaire et une datation antérieure au milieu du IVe s., ce qui est d’ailleurs confirmé par des monnaies de Constantin II retrouvées sous le sol (Eiden 1974). 115 La forme habituelle dans laquelle apparaissent les bains d’origine militaire est souvent réduite. Il s’agit alors de petits thermes ne reprenant que l’essentiel des besoins, un caldarium et un frigidarium de surface réduite. La référence en la matière est constituée par le fort de Richborough. Sur le continent, ils peuvent se localiser à l’intérieur des murs, comme à Haus Bürgel, contre le rempart, ou à l’extérieur de la courtine, comme à Zurzach, Liberchies II et à Furfooz. Les éléments chronologiques recueillis montrent plusieurs fois que les thermes tombent en désuétude après le milieu du IVe s. AUTEUR RAYMOND BRULET Université catholique de Louvain, Belgique 287 Partie 2. Catalogue des sites étudiés Michel Reddé, Raymond Brulet, Rudolf Fellmann, Jan-Kees Haalebos, Siegmar von Schnurbein, Dietwulf Baatz, Arjen Bosman, Anne CahenDelhaye, Christophe Chabrié, Wolfgang Czysz, Michel Daynès, Yann Deberge, Peter Fasold, Hans Fehr, Gerhard Fingerlin, Thomas Fischer, Matthieu Fuchs, Jean Galbois, Jean-François Garnier, Michael Gechter, Alain Gelot, Bastien Gissinger, Vincent Guichard, Norbert Hanel, Roger Hanoune, Hansgerd Hellenkemper, Ruart Siegfried Hulst, Alain Jacques, Klaus Kortüm, Gertrud Kuhnle, Johann-Sebastian Kühlborn, Loïc Langouet, Frédéric Latron, Frédéric Lemaire, Claire Massart, Jozef Remi Mertens, MJ.G. Th. Montforts, Hans Ulrich Nuber, Jürgen Oldenstein, Titus A.S.M. Panhuysen, Michel Petit, Martin Pietsch, Gilles Prilaux, Marianus Polak, Christoph Reichmann, Egon Schallmayer, Claude Seillier, C. Sébastian Sommer, Bernd Steidl, Matthieu Thivet, Hugo Thoen, Pierre Tronche, Stéphane Venault, Jan Adrian Waasdorp, Marie-Dominique Waton et Marion Witteyer 1 Avertissement La date de rédaction ou de mise à jour de chaque notice par les auteurs est indiquée entre crochets droits [ ] après l’appel ". BIBLIOGRAPHIE ". AEGERTEN Berne, Suisse 2 R. FELLMANN 3 Il s’agit de deux installations pratiquement identiques (fig. 173), dans le secteur du village d’Aegerten (Aegerten/ Isel et Aegerten / Église de Bürglen – Kirche Bürglen), section de Nidau (alt. 432 m, carte nationale 1 126). 288 FIG. 173 Aegerten. Les deux fortins tardifs (ouest : Isel ; est : Église de Bürglen), de part et d’autre des anciens bras de la Zihl (Bacher et al. 1990, fig. 41). 4 Les deux fortins, jumeaux et contemporains, se situaient à l’origine de chaque côté d’un bras (aujourd’hui asséché) de la Zihl, à 125 m de distance l’un de l’autre. Ils ont dû assurer la sécurité du franchissement du cours d’eau à cet endroit. • Aegerten / Isel : le site a été découvert en 1983-84 lors de la construction de l’adduction d’une station d’épuration des eaux. Des recherches complémentaires ont eu lieu en 1985. • Aegerten / Église de Bürglen : fouille de sauvetage en été 1987 à la suite de l’assainissement de l’église de Bürglen. 5 Les deux dispositifs correspondent tout à fait aux installations connues du limes Valentinien sur le Rhin supérieur de Mumpf et Sisseln (canton d’Argovie). Il s’agit de constructions avec une aile centrale rectangulaire divisée en trois, dotée respectivement sur les deux petits côtés d’une tour semi-circulaire légèrement elliptique et saillante. Les épaisseurs des murs sont de l’ordre de 2,65 m, la longueur des édifices d’environ 60 m, la largeur de la partie centrale d’environ 22 m. 6 Les deux installations reposent sur des fondations de pilotis. Dans le cas du site d’Aegerten, église de Bürglen, les cavités destinées à recevoir la trame des madriers étaient particulièrement bien visibles dans la maçonnerie. 7 Le début de la construction est bien daté grâce à l’étude dendrochronologique des pieux en chêne du système de fondation : • Aegerten/Église de Bürglen : 368 ap. J.-C. • Aegerten/Isel : 369 ap. J.-C. [2004] Bacher et al. 1990 ; Fellmann 1992, 338. 8 BIBLIOGRAPHIE 9 ALÉSIA → ALISE-SAINTE-REINE 10 ALET → SAINT-MALO 289 ALISE-SAINTE-REINE/MONT AUXOIS ALISIA (ALÉSIA) Côte-d’Or, France 11 M. REDDÉ 12 Le site d’Alésia, oppidum des Mandubiens, a été identifié par Napoléon III avec le Mont Auxois, à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Montbard (Côte-d’Or). L’empereur avait décidé d’y pratiquer des fouilles de grande envergure qui se déroulèrent de 1861 à 1865, mettant en évidence l’essentiel du dispositif césarien. Le toponyme moderne (Alise-Sainte-Reine), une longue inscription en langue gauloise attestant que le lieu, dans l’Antiquité, s’appelait ALISIIA (CIL XIII, 2880), des tessères en plomb portant le nom des ALI(SIENSES) sont autant d’indices à l’appui d’une identification souvent contestée, mais que la photographie aérienne et les fouilles récentes ont pleinement confirmée (fig. 174). FIG. 174 Alise-Sainte-Reine/Mont Auxois. Plan général du site. dessin M. Reddé. 13 La topographie du siège autant que le dispositif romain sont décrits par César (BG VII). 14 “69- La place d’Alésia proprement dite était au sommet d’une colline escarpée, en sorte qu’elle apparaissait comme inexpugnable autrement que par un blocus. Le pied de cette colline était baigné de deux côtés par deux cours d’eau. En avant de cette place, une plaine s’étendait sur une longueur d’environ trois mille pas. De tous les autres côtés, des hauteurs peu distantes de la place et de même altitude l’entouraient. Au pied du rempart, la partie de la hauteur qui regardait le soleil levant avait été entièrement occupée par des troupes gauloises, qui avaient établi devant elles un fossé et une barricade de pierres sèches haute de six pieds. Les travaux d’investissement que les Romains entreprenaient se développaient sur un périmètre de dix mille pas. Les camps avaient été installés aux endroits favorables, ainsi que vingt-trois fortins ; dans ces 290 fortins, des postes de garde étaient détachés pendant le jour, pour empêcher une sortie soudaine des assiégés ; pendant la nuit ces mêmes fortins étaient tenus par des veilleurs et de fortes garnisons (...) 72- Renseigné par des déserteurs et des prisonniers, César entreprit différents retranchements que voici. Il traça un fossé de vingt pieds, à parois verticales, en sorte que le fond de ce fossé avait une largeur égale à la distance séparant les deux bords. Il établit tous les autres retranchements à quatre cents pieds en arrière de ce fossé ; voici quel était son dessein : parce qu’il lui avait fallu embrasser un si vaste espace et qu’il était difficile de garnir de soldats toute la ligne d’investissement, il empêcherait ainsi les ennemis d’agir par surprise, soit de nuit dans un assaut massif des retranchements, soit de jour en lançant des traits contre nos hommes affectés aux travaux de fortification. Ayant laissé cet intervalle, il traça deux fossés larges de quinze pieds et de même profondeur ; il remplit le fossé intérieur, dans les secteurs qui étaient en plaine et en contrebas, avec de l’eau dérivée de la rivière. En arrière de ces fossés, il éleva un rempart de terre et de bois haut de douze pieds. Il y ajouta un parapet et des merlons, avec de grandes branches fourchues qui dépassaient à la jonction des panneaux du parapet et du terrassement, pour ralentir l’escalade ennemie, et il ceintura tout l’ouvrage de tours, qui étaient distantes les unes des autres de quatrevingts pieds. 73- Il fallait en même temps chercher des matériaux, assurer les approvisionnements en blé, et travailler à des fortifications si considérables, alors que nos effectifs étaient diminués des troupes qui allaient en corvée assez loin des camps ; et de temps à autre, les Gaulois essayaient d’attaquer nos ouvrages et de faire une sortie très violente hors de la place par plusieurs portes. Aussi César pensa-t-il qu’il fallait encore renforcer ces ouvrages, afin de pouvoir défendre les retranchements avec moins de soldats. On coupa donc des troncs d’arbres ou des branches très robustes dont les extrémités furent écorcées et taillées en pointe ; puis on traçait des fossés continus profonds de cinq pieds. On y enfonçait ces fourches et on les reliait entre elles par le bas, pour qu’il fût impossible de les arracher ; les branches seules dépassaient. Il y en avait cinq rangées, reliées entre elles et entremêlées ; ceux qui pénétraient dans cette zone s’empalaient aux palis très acérés. On les nommait “cippes”. En avant on creusait, en rangées obliques et formant quinconce, des trous profonds de trois pieds, qui se rétrécissaient peu à peu vers le bas. On y enfonçait des pieux lisses gros comme la cuisse, dont le haut avait été taillé en pointe et durci au feu ; ils ne dépassaient le sol que de quatre doigts ; de plus, pour en assurer la solidité et la fixité, on foulait de la terre au fond de chaque trou sur une hauteur d’un pied ; le reste était recouvert de branchages et de broussailles pour dissimuler le piège. On fit huit rangs de ces sortes de défenses, distants les uns des autres de trois pieds. On appelait cela “lis” d’après la ressemblance avec la fleur. En avant, des piquets longs d’un pied auxquels des crochets de fer étaient fixés étaient entièrement enfouis dans la terre ; on en plantait partout, à peu de distance les uns des autres ; on les nommait “aiguillons”. 74- Quand ces travaux furent achevés, César, en suivant un tracé aussi favorable que possible d’après la nature du terrain, fit, sur quatorze mille pas de tour, des fortifications semblables aux premières, mais tournées en sens contraire, face à un ennemi venant de l’extérieur, pour que même des forces nombreuses, s’il lui arrivait de s’éloigner, ne pussent encercler les garnisons des ouvrages ; pour ne pas être contraint de quitter dangereusement le camp, il ordonne à tous de rassembler du fourrage et du blé pour trente jours.. 15 Ce texte présente les travaux césariens comme un système défensif uniforme, appliqué à l’ensemble du dispositif militaire romain. Les fouilles menées de 1991 à 1997, tout en 291 permettant d’identifier chacun des types de structures décrits par César, ont révélé une réalité nettement plus complexe, variable de place en place. Les lignes La contrevallation 16 La ligne intérieure, appelée contrevallation depuis Napoléon III, a été étudiée dans la plaine des Laumes (fig. 175 et 176) et au pied du mont Réa, ainsi que dans la vallée de l’Oze, au nord de l’oppidum. On rencontre plusieurs dispositifs différents (fig. 177). FIG. 175 Alise-Sainte-Reine/Mont Auxois. Fouilles de la contrevallation dans la plaine des Laume (Reddé & Schnurbein 2001, pl. h.t. 11). 292 FIG. 176 Alise-Sainte-Reine/Mont Auxois. Plan des fouilles dans la plaine des Laumes (Reddé & Schnurbein 2001, pl. h.t. 10). FIG. 177 Alise-Sainte-Reine/Mont Auxois. Différents systèmes défensifs romains autour d’Alésia (Reddé & Schnurbein 2001, fig. 296-297). 17 Dans la plaine des Laumes, le système défensif s’étend sur environ 26 m au-delà du rempart ; on reconnaît successivement, de l’extérieur des défenses romaines vers l’intérieur : un fossé dont le fond est le plus souvent plat, mais parfois en V, probablement mis en eau, large, selon les cas, de 5 à 7 m ; un fossé en V, large de 3 à 5 m ; un grand glacis d’environ 14 m, défendu par six lignes de pièges disposés en quinconce, puis par deux lignes continues qui précèdent un troisième fossé large de 2,50 à 4 m. Les pièges en quinconce, disposés selon des intervalles d’environ 1,20 m, 293 se présentent sous la forme de petites poches de graviers, larges et profondes de 20-30 cm, au centre desquelles on reconnaît à plusieurs reprises la trace d’une tige ligneuse (4-5 cm) (fig. 178). Par analogie avec le texte de César, on identifie ces obstacles avec les stimuli, piquets de bois longs d’un pied dans lesquels on enfonçait une pointe de fer. Les deux lignes devant le fossé 3 se présentent tantôt sous la forme de petites poches de gravier, servant de calage à une tige de bois, tantôt sous la forme de tranchées continues. En se référant au texte de César, et par analogie avec d’autres systèmes défensifs mis en évidence devant Alésia (infra), on identifie ces derniers pièges à des cippi. Le troisième type de pièges (lilia) que décrit La Guerre des Gaules n’apparaît pas à cet endroit du dispositif romain. FIG. 178 Alise-Sainte-Reine/Mont Auxois. Stimulus de la contrevallation des Laumes (Reddé & Schnurbein 2001, fig. 173). 18 Le rempart (agger) qui suivait le fossé 3 était constitué de mottes de gazon, dont les fouilles ont retrouvé plusieurs éléments effondrés dans le fossé. La largeur peut être estimée à environ 5 m. Le rempart était jalonné par des tours de bois d’environ 3 x 3 m (fig. 179). Assez fréquemment, les poteaux avant sont moins profondément ancrés que les poteaux arrière ; ils peuvent même être absents dans certains cas. En outre, les poteaux antérieurs sont implantés à 2,5-3 m du bord du fossé 3. Ces deux observations permettent de conclure que le front du rempart était construit avec un fruit d’environ 30°, et que les boisements antérieurs, ancrés dans le cœur même du rempart, n’avaient pas besoin d’être aussi solidement fondés que ceux de l’arrière. L’espace qui sépare les tours est, à cet endroit, d’environ 15 m (soit 50 pieds). À plusieurs reprises, une structure fossoyée dans l’axe des poteaux arrière apparaît au milieu de l’intervalle entre deux tours successives : on doit y reconnaître probablement le départ d’un escalier (ascensus). 294 FIG. 179 Alise-Sainte-Reine/Mont Auxois. Reconstitution de la contrevallation des Laumes. Aquarelle C. et J.-P. Adam. 19 Aucune porte vers l’extérieur n’a été clairement identifiée. Toutefois, l’une des tours (XVI, 3) était suivie vers l’est, à une distance de 5,25 m, de deux autres poteaux. Ceux-ci portaient peut-être une plate-forme, déterminant ainsi l’emplacement possible d’une sortie. Cette interprétation n’est pas toutefois assurée. 20 Au pied du mont Réa, le système est tout différent. Le système défensif ne comporte que deux fossés, séparés l’un de l’autre par un glacis d’environ 7,50 m. Le fossé extérieur à fond plat, large d’environ 4 m, semble avoir été mis en eau. Le glacis était parsemé d’un complexe de petites poches de gravier comportant parfois des traces charbonneuses. Quatre lignes parallèles ont été identifiées. Elles sont semblables à celles qui précèdent le fossé 3 de la contrevallation des Laumes et assimilées aux cippi césariens (fig. 180). Lilia et stimuli font en revanche défaut. Le fossé intérieur, en V, large d’environ 4 m, précède un rempart probablement construit en gazon, bien qu’aucune trace tangible de mottes n’ait été repérée à cet endroit. Les tours semblent identiques à celles de la plaine des Laumes. 295 FIG. 180 Alise-Sainte-Reine/Mont Auxois. Fondation de cippe dans la plaine de Grésigny. photo M. Reddé. 21 Plus à l’ouest, à l’emplacement du pseudo-camp D, le système défensif se modifie. La contrevallation proprement dite n’est pas connue avec précision, mais les fouilles ont révélé la présence d’un fossé en V, large d’environ 4 m, situé très en avant du rempart, et précédé par six lignes parallèles de pièges en forme de tronc de cône, disposés en quinconce sur un espace de 6,20 m. Ces défenses, identifiées comme les lilia de César, n’étaient toutefois pas pourvues au centre d’une tige de bois, comme le décrit le texte de La Guerre des Gaules. À tout le moins aucune trace n’en a-t-elle été retrouvée (fig. 181). FIG. 181 Alise-Sainte-Reine/Mont Auxois. Lilia dans la plaine de Grésigny (Reddé & Schnurbein 2001, fig. 247). 22 Dans la vallée de l’Oze, enfin, le système semble de nouveau différent. On observe en effet, dans l’unique sondage qui a été réalisé, un seul fossé en V, large de 3 m au moins, précédé par trois petits fossés parallèles, en forme de U, identifiés, par analogie avec ceux de la montagne de Bussy (infra), comme des cippi. 296 La circonvallation 23 La ligne de défense édifiée par les Romains pour se protéger des attaques de l’armée gauloise venue secourir Vercingétorix est appelée “circonvallation” depuis Napoléon III. Elle a été explorée à différents endroits par les fouilles modernes. 24 Dans la plaine des Laumes (fig. 176), on observe successivement, de l’extérieur vers l’intérieur : six rangées de défenses qui sont tantôt des trous de loup (lilia), tantôt des stimuli identiques à ceux qu’on a déjà décrits, un fossé à fond de cuve large de 5 à 6 m, probablement mis en eau, un glacis large d’environ 8 m, où les traces d’éventuelles défenses intermédiaires n’étaient que peu ou pas conservées, un second fossé en V large d’environ 4 m précédant un agger probablement en mottes de gazon. Dans l’une des fouilles, la fondation du rempart avait été conservée : il s’agit d’un lit de graviers extraits du sous-sol, assurant à la fois le drainage et la stabilité de l’ensemble. Cette fondation contenait deux traces de boisements parallèles au rempart, à 1,76 m (6 pieds) et 3,55 m (12 pieds) du bord du fossé. Ces sablières basses permettaient probablement d’ancrer une charpente interne au rempart, destinée à porter le parapet, mais servant aussi de gabarit pour la mise en œuvre et de tirants pour consolider la structure du rempart. Les tours, identiques à celles de la contrevallation des Laumes, étaient espacées d’environ 17 m. 25 Sur la montagne de Bussy, la circonvallation ne comprenait en revanche qu’un seul fossé, large d’environ 3,60-4 m, mais très peu creusé, et donc probablement inachevé (fig. 182). L’ensemble était protégé vers l’avant, sur une distance d’environ 7 m, par quatre petites rigoles en forme de U, profondes d’environ 30 cm, larges de 40-50 cm (fig. 183). Ces structures, remplies par un cailloutis compact, ont laissé voir, dans un certain nombre de cas, l’emplacement de boisements, disposés de manière à peu près régulière tous les 15-20 cm, et alternant gros (> 15-20 cm) et petits (< 10 cm) modules. Le fossé de la circonvallation devait donc être protégé par un buisson de branchages que, grâce à la description de César, mais aussi à celles de Polybe (XVIII, 18, 5-18) et de Tite-Live (XXXIII, 5), il est permis d’identifier avec des cippi. Le rempart, à cet endroit, était en pierres. Le parement arrière, constitué de dallettes de pierres posées à sec, en a été retrouvé à 5,60-5,75 m du bord du fossé, donnant ainsi la largeur de l’agger. Deux tours, de même module que celles de la contrevallation des Laumes, ont été retrouvées. L’espacement exact entre deux structures successives n’est pas connu, mais doit se situer entre 35 et 40 m. Une seule porte a été mise en évidence, à la jonction entre le camp C (angle nord-est) et la circonvallation. Il s’agit d’une poterne large de 2-2,5 m, délimitée de chaque côté par un montant de bois. A la jonction du camp B et de la circonvallation en revanche, le passage était seulement protégé par un double système de cippi. 297 FIG. 182 Alise-Sainte-Reine/Mont Auxois. Camp C, montagne de Bussy (Reddé & Schnurbein 2001, pl. h.t. 6). 26 Au pied du mont Réa, la fouille a révélé un dispositif proche de celui que l’on vient de décrire, mais adapté à la géologie locale, de nature alluviale. Le fossé unique, en forme de V, large d’environ 5 m, était précédé de deux lignes de cippi. Les tours étaient espacées de 16 m, les poteaux avant étant implantés à 2,50 m du fossé, les poteaux arrière à 5,50 m, ce qui permet probablement de restituer un rempart en terre et gazon, avec un fruit d’environ 30° sur chaque front. FIG. 183 Alise-Sainte-Reine/Mont Auxois. Rangées de cippes sur la montagne de Bussy. photo M. Reddé. 298 Les camps 27 Les fouilles du XIXe s. avaient mis au jour un certain nombre de structures identifiées comme des camps ou des castella. Les recherches modernes ont validé certaines de ces interprétations, mais en suspectent d’autres. Des camps de plaine situés hors des lignes, deux au moins sont totalement détruits et ne peuvent plus être examinés (G et H), un autre n’a pas fait l’objet de sondages (K), le dernier (I) est constitué de toutes pièces par une série de fossés d’époques très différentes et ne doit pas être pris en considération. Il en va de même du camp D, au pied du Réa, pour lequel Napoléon III a associé d’incontestables structures césariennes et des drains modernes. 28 Les camps de hauteur sont en revanche plus fiables. Photographie aérienne et fouilles modernes concordent ici pour nous permettre d’affirmer que la forme et la superficie des camps sont bien telles que l’archéologie du second Empire nous les a révélées. Placés sur des collines, les camps césariens présentent des formes subcirculaires qui sont étroitement liées aux courbes de niveau. Leur superficie est très faible : les camps B et C, les plus vastes, ne dépassent guère 7 ha, un grand castellum comme celui de Bussy englobe moins de 1,5 ha. Il s’agit évidemment de fortifications de campagne, dans lesquelles l’entassement devait être considérable, mais il est aussi probable que nous sommes loin de connaître tous les camps césariens autour d’Alésia. 29 Installés sur des plateaux pierreux, les remparts utilisent nécessairement le matériau local, directement issu du sol, soit des lauzes calcaires assemblées à sec. Seul le rempart sud du camp A montre une architecture différente, en raison de la géologie (argile à ostrea). On y a en effet repéré un agger bordé par une rangée unique de poteaux, espacés d’environ 2,50 à 3 m, à près de 5 m du fossé. En tout état de cause, l’architecture du camp A ainsi que les matériaux employés étaient différents sur le sommet du plateau et sur ses pentes. Dans tous les cas actuellement connus, le rempart n’était protégé que par un seul fossé en V. Sur la face sud du camp B existaient en outre trois rangées de cippi (deux sur la face nord-est du camp C). 30 Plusieurs portes ont été fouillées. Au nord-est du camp C, le passage, large d’environ 7 m, est délimité de chaque côté par un triple boisement vertical (fig. 182). Au centre, vers l’extérieur, un double montant permettait d’accrocher les deux vantaux. Une rainure peu profonde au sol accueillait peut-être un seuil de bois. Une seule tour, de forme trapézoïdale, gardait directement le passage, au sud-est. Un petit poteau, plus à l’est, servait probablement à ancrer l’escalier, longitudinal au rempart. À l’ouest existait en revanche une sorte de plate-forme. Le passage était protégé par un double dispositif : titulum constitué de deux rangées de cippi à 8 m devant le fossé, clavicula de même structure à l’intérieur de la porte. 31 On trouve un dispositif quelque peu différent sur la porte nord du camp A : à cet endroit, les boisements sont décalés en oblique vers l’intérieur du camp, de manière à créer devant les vantaux un espace qui puisse être attaqué de flanc depuis le rempart ouest. La porte n’est défendue par une tour stricto sensu que du côté oriental, alors qu’on a l’impression, vers l’ouest, d’avoir à faire à un simple épaississement du rempart. Le passage, large d’un peu plus de 4 m, est divisé en deux par un montant central. Il est possible que le vantail ouest ait été condamné dans un second temps, en raison de la présence de deux boisements au milieu de son passage. Une petite clavicula 299 interne ferme le passage au sud. La porte sud du même camp A était en revanche protégée par un imposant titulum. 32 La dernière porte fouillée, sur la face orientale du camp C, a été en partie détruite par une carrière, de sorte que son architecture ne peut être décrite avec précision, mais elle ressemble à la porte nord du camp A. Elle aussi montre la présence d’une clavicula interne. Autres structures 33 Les fouilles de la plaine des Laumes ont en outre mis en évidence la présence d’un système défensif transverse aux lignes, joignant la contrevallation et la circonvallation, et installé postérieurement à celles-ci. Dans les deux cas, il s’agit d’un fossé en V d’environ 4 m d’ouverture au niveau d’arasement, suivi d’un rempart en terre et gazon. Aucune tour n’a été repérée le long de ce rempart. Du côté de la contrevallation, deux portes donnant accès à l’intérieur des lignes ont été repérées. A l’est, il s’agit d’un passage de 7,5 m de large, barré par une chicane constituée de deux rainures parallèles dans lesquelles étaient vraisemblablement implantés des branchages. A l’ouest, on observe en revanche un titulum constitué d’un fossé et sans doute d’une levée de terre, qui viennent buter sur l’arrière de l’agger de la contrevallation. 34 L’ensemble des structures mises au jour devant Alésia montre donc une grande variété architecturale, que ne reflète pas le texte de La Guerre des Gaules ; celui-ci annonce un système homogène, incompatible avec les réalités du terrain, la diversité topographique, la multiplicité des équipes. Les différents types de défenses décrits par César sont toutefois bien présents au pied du mont Auxois et seul leur agencement montre dans le détail une divergence entre le texte littéraire et le terrain. D’une manière générale, la poliorcétique alisienne, apparemment si particulière, s’inscrit clairement dans une tradition hellénistique de multiplication des obstacles d’approche, avec une alternance de fossés et de glacis armés, notamment en plaine où la topographie défavorise la défense. Cette architecture a essentiellement pour vocation d’éloigner au maximum l’attaquant du rempart, en l’empêtrant dans des obstacles multiples au moment où il est assailli de projectiles divers. L’importance des armes de jet (flèches, balles de fronde, traits d’artillerie, javelots), dont de nombreux exemplaires ont été retrouvés devant les remparts, est évidente dans ce type de système défensif. 35 Le devenir des défenses après le siège a fait l’objet d’études particulières : la plupart des fossés fouillés sont érodés, quoique le temps pendant lequel ils ont servi ait été très court et ne permette pas de supposer un curage. Divers indices chronologiques dans les remplissages laissent penser que le comblement total a pris, selon les cas, entre 50-60 ans et plus de 100 ans. Pour l’essentiel, le comblement primitif est lié à l’érosion naturelle (ruissellement, épisodes de crues), qui explique en même temps le surcreusement des parois primitives, parfois incurvées ; vient ensuite une série d’épisodes d’écroulement des superstructures, par loupes successives qui glissent dans le fossé ; le comblement final est lié aux phases de labours gallo-romains et à des remplissages volontaires avec des matériaux de rebut. 36 BIBLIOGRAPHIE [2005] Reddé 1995b ; Reddé & Schnurbein 2001. 300 ALPHEN/ZWAMMERDAM NIGRUM PULLUM Hollande méridionale, Pays-Bas (cartes fig. 5, 6, 7 et 8) 37 J. K. HAALEBOS 38 Entre le castellum de Woerden (Lauri) et celui d’Alphen aan den Rijn (Albanianis), le camp d’auxiliaires situé sur la rive sud d’un bras asséché du Rhin est identifié comme étant Nigrum Pullum (Table de Peutinger, segment II, 2/3). Les distances entre ces fortins sont de cinq et deux leugae (6 et 4,4 km). Le castellum d’Alphen aan den Rijn, en raison de la concordance des noms antique (Albanianis) et moderne (Alphen), sert de point de repère pour la localisation des noms de lieux romains dans ce secteur du limes de Germanie inférieure. L’étroite berge constructible du Rhin était à cet endroit très basse et limitée au sud par une zone marécageuse. Des découvertes romaines sont mentionnées dès le XVIe s. et le toponyme De Hoge Burcht (Le Château Haut) suggère l’existence ancienne de ruines à cet endroit. Des fouilles n’ont cependant été effectuées que très tard (1968-1971) : elles se sont d’abord intéressées à la zone du fort et à la topographie générale, avant d’être consacrées essentiellement aux bateaux et canots échoués dans le Rhin devant le camp. L’aire du camp et les fossés de l’enceinte ont été fouillés de manière quasi exhaustive. Les recherches concernant l’aménagement intérieur ont en revanche été décevantes car le terrain avait été visiblement profondément décaissé. 39 On distingue trois périodes dans l’histoire du camp. Période I (de 47 à 69 ap. J.-C.) : Zwammerdam I 40 L’établissement le plus ancien a été détruit par le feu, vraisemblablement lors de la révolte des Bataves en 69 ap. J.-C. La céramique et les monnaies mises au jour démontrent qu’il a été fondé peu avant le milieu du Ier s. dans le cadre de la construction du limes de Germanie inférieure sous Corbulon. Aucune trace du dispositif de fortification n’a pourtant été retrouvée et les fondations de bâtiments ne permettent pas de restituer un plan bien clair de cette phase d’occupation. Les découvertes de fragments d’armes et d’équipement militaire prouvent la présence de soldats, peut-être de légionnaires. Les graffitis sur céramique de cette première période sont tous d’origine latine. On peut donc supposer que Zwammerdam I a été un poste militaire non fortifié. Période II (de 70/80 jusque vers 180 ap. J.-C.) : Zwammerdam II 41 Quelques années après le soulèvement des Bataves a sans doute été construit un castellum en bois et terre (134,40 x 76,40 m) qui a subsisté jusqu’aux environs de 180 ap. J.-C (fig. 184). 301 FIG. 184 Alphen/Zwammerdam. Camp de terre et de bois de la période II. dessin R.P. Reijnen 42 Le rempart avait une largeur de 3 m à 3,50 m et était composé de deux petits fossés de fondation dans lesquels on a pu souvent observer des traces de poteaux à intervalle régulier de 1 m. 43 Ce sont les portae principales qui étaient les mieux conservées. La porta praetoria était en revanche presque complètement détruite et il manquait manifestement une porta decumana (comme à Valkenburg I). C’est la porte orientale, d’environ 6 x 10 m, flanquée de deux tours rectangulaires, qui révèle le mieux le plan des portes. À l’intérieur du passage d’accès, la passerelle était soutenue par trois petits poteaux. Les tours étaient constituées chacune de deux rangées de gros boisements. 44 En avant du rempart, sur trois côtés, couraient deux fossés d’enceinte. Du côté de la porte prétorienne, le fossé extérieur était remplacé par le fleuve. Les fossés n’étaient pas interrompus devant les portes. Des traces de l’aménagement intérieur ont été retrouvées uniquement dans la retentura et ne peuvent pratiquement pas être interprétées. Deux puits ont été fouillés dans la praetentura. Période III (de 180 jusqu’aux environs de 270 ap. J.-C.) : Zwammerdam III. 45 Le castellum en pierre a été construit vers 180 ap. J.-C. et a duré jusqu’aux environs de 270-275 (fig. 185). La construction se situe dans un contexte de mesures prises après les attaques des Chauques dans les années 70 du IIe s. par le futur empereur Didius Iulianus, alors gouverneur de Germanie inférieure, pour renforcer la frontière. Le mur en pierre (86 x 140,6 m) englobait une superficie de 1,2 ha et était doté de quatre portes. La porta decumana était la mieux conservée. La porta praetoria avait une allure plus monumentale que les autres. Il n’y avait ni tours intermédiaires ni tours d’angle. Le 302 mur d’enceinte reposait, au niveau des fondations, sur un lit de grauwacke schisteux. Le camp était entouré de trois fossés d’enceinte (deux seulement en façade). Le fossé intérieur était à fond plat ; le fossé intermédiaire présentait à un endroit le profil d’une fossa punica. Le fossé extérieur peut avoir inclus une annexe sur le côté oriental. FIG. 185 Alphen/Zwammerdam. Camp de pierre de la période II. dessin R.P. Reijnen. 46 Les grandes voies du camp –la via principalis et la via praetoria– sont reconnaissables aux pilotis de leurs fondations. 47 Parmi les bâtiments intérieurs, seuls d’immenses principia (42 x 27 m) ont été mis au jour (fig. 186). Leur fondation était constituée d’une couche de graviers, qui reposait sur de nombreux pilotis. Le bâtiment était relativement simple. La façade était dotée d’une rangée de colonnes ou de piliers. La grande cour était uniquement entourée d’un portique. Il manquait ici les pièces annexes habituelles. Un puits avec coffrage de bois carré a été découvert dans la cour. La salle transversale (23 x 6,5 m) n’était pas séparée du portique. Sur l’arrière des bâtiments de commandement se trouvait une rangée de cinq pièces, dont celle du milieu –l’aedes– débordait légèrement vers l’extérieur. L’espace entre les principia et la porta decumana était singulièrement réduit. On peut se demander si principia et fortification n’ont pas été construits à des époques différentes. 303 FIG. 186 Alphen/Zwammerdam. Vue des principia du camp de pierre (période II). Au premier plan, la porta decumana. photos F. Gijbels Occupation 48 Les castella relativement petits des périodes II et III surprennent par leur large façade et l’absence de retentura. Cette forme semble caractéristique des castella installés le long du fleuve en Germanie inférieure. Le petit format du camp peut indiquer que la troupe n’était pas au complet et était constituée soit d’une vexillation soit d’un corps de garnison dont on aurait détaché une vexillation. La présence de principia proportionnellement importants rend cette dernière hypothèse la plus vraisemblable. 49 La cohors XV Voluntariorum est attestée par l’épigraphie à Zwammerdam, malheureusement uniquement grâce à un fragment de brique avec le texte COHX[V], Des estampilles semblables ont été découvertes à l’est de Zwammerdam (Bodegraven, Woerden et Vleuten-De Meern). On connaît une inscription et des tuiles de cette unité provenant de Roomburg-Matilo près de Leyde. La question est donc de savoir si cette cohorte était réellement stationnée à Zwammerdam ou bien si elle a seulement livré des briques sur le site. 50 Les armes et les pièces d’équipement militaire, ainsi que les indications des grades – centurions, décurions, optiones, signifer, tesserarii, cornicularius (?), beneficiarii, équités, imaginifer (?)– inscrites sur le mobilier céramique et le métal, prouvent qu’il s’agissait d’un détachement d’auxiliaires composé à la fois de cavaliers et de fantassins. On note l’existence de noms celtes et germains pour la période II, de noms thraces pour la période III (Aulupor et Disaca ou Disala). À côté de l’estampille déjà mentionnée plus haut de la XVe cohorte Voluntariorum ont été trouvées de nombreuses autres marques de la I e légion Minervia Pia Fidelis, de la Xe légion Gemina, de la XXIIe Primigenia, de la XXXe Ulpia Victrix, de la XXXe Antoniniana, de l’exercitus Germanicus inferior (et de ses vexillarii) ainsi que différentes marques en forme de monogramme (TRA) ou de signe cruciforme. Vicus et quais 51 Les vestiges de plusieurs bâtiments en bois, en particulier des maisons bâties sur un plan en lanière, caractéristiques des vici d’auxiliaires et des canabae de légion, ont été retrouvés au sud-ouest du camp ; ils avaient été détruits en partie par les fossés d’enceinte de la période III. A l’extérieur de la porta principalis dextra ont été découvertes des fondations en pierre, appartenant visiblement à la période III et interprétées comme les thermes du camp. Ces derniers ont pu être érigés à l’intérieur d’une annexe entourée du fossé extérieur du castellum en pierre. 304 52 Sur la façade du camp, des traces de quais romains ont été mises au jour sur une longueur d’un demi-kilomètre. Ceux-ci montrent que la rive du Rhin antique s’est fortement déplacée vers le nord pendant l’occupation du camp. Lors de la dernière période, six barques et pirogues se sont échouées à cet endroit. 53 BIBLIOGRAPHIE 54 ALTEBURG 55 ALTENBURG [2004] De Weerd 1988 ; Haalebos 1977. → COLOGNE / ALTEBURG → BRUGG ALTENSTADT Hesse, Allemagne (cartes fig. 7 et 8) 56 D. BAATZ 57 Le castellum d’Altenstadt est situé dans la section orientale du limes de la Vétéravie, à environ 17 km au sud-est de Friedberg (Hesse). Le premier ouvrage fortifié (période 1) a vraisemblablement été construit dès la fin du Ier s. ap. J.-C. sous la forme d’un fortin en bois de dimensions très réduites (environ 0,3 ha de superficie), commet le sont les autres petits castella de Vétéravie. Cependant, à l’inverse de la plupart de ces petits forts, celui d’Altenstadt a été agrandi à plusieurs reprises, sans doute pour des raisons locales (fig. 187). La vallée de la Nidder coupe le limes à Altenstadt qui devait être, en tant que point d’attaque possible, surveillé de façon plus intensive. Dans la période 3, sous Trajan, le fortin semble avoir atteint, avec une superficie d’environ 0,9 ha, la taille d’un camp de numerus. L’identité des troupes stationnées n’est connue pour aucune période. Le plan du castellum ultérieur de la période 4, construit autour de 135 ap. J.-C. et fortifié à l’aide d’un mur de mottes de gazon (surface d’environ 1 ha), est particulier, même s’il n’a pas été complètement élucidé (fig. 188 et 189). La construction de l’enceinte du camp en pierre a été réalisée au milieu du IIe s. ap. J.-C. (castellum en pierre de 1,5 ha, période 5). Sa superficie était ainsi plus grande que celle du castellum de Holzhausen sur la Haide, en Germanie supérieure, qui, avec une superficie de 1,4 ha, abritait une cohors peditata. Conformément aux schémas habituels, le plan régulier de l’enceinte du camp en pierre comprenait quatre portes d’accès ainsi que des tours d’angle et des tours intermédiaires non saillantes. Le castellum était orienté vers le sud, donc pas en direction du limes, qui passait du côté est, non loin de là. Devant le mur d’enceinte se situaient initialement deux fossés défensifs, mais le fossé interne fut remblayé autour de 200 ap. J.-C. Seule la présence d’infimes restes des bâtiments intérieurs a pu être constatée. Il s’agissait principalement, toutes périodes confondues, de constructions en poteaux de bois. C’est seulement dans une phase tardive de construction des principia (période 5) qu’a été mise en évidence l’existence d’un soubassement maçonné, supportant vraisemblablement un ouvrage en pans de bois. Un hypocauste en pierre réutilisé apparemment comme élément du praetorium se trouvait dans la praetentura du castellum de la période 5. La pièce chauffée appartenait à l’origine aux anciens thermes du camp (périodes 2 et 3). Une inscription de l’année 242 (CIL XIII, 7424) prouve la présence dans le castellum d’un collegium juventutis Cons[...], dans l’intention probable, en cette période de crise, de renforcer la troupe de garnison. Le castellum semble avoir survécu jusqu’à la fin du limes au milieu du IIIe s. ap. J.-C. Seuls d’infimes vestiges du vicus ont été fouillés. 305 FIG. 187 Altenstadt. Le fortin (Baatz & Herrmann 1982, 227, fig. 152). FIG. 188 Altenstadt. Essai de reconstruction de l’enceinte de la période 4 d’après le modèle de Newstead, G.-B. (Schönberger & Simon 1983, 21, fig. 8, 2). 306 FIG. 189 Altenstadt. Restitution du mur en briques crues de la période 4 (Schöberger & Simon 1983, 28, fig. 13). 58 [2004] Baatz & Herrmann 1982, 227 ; Schönberger & Simon 1983. BIBLIOGRAPHIE ALTRIP ALTA RIPA Rhénanie-Palatinat, Allemagne (carte fig. 13) 59 S. VON SCHNURBEIN 60 Le castellum tardo-antique d’Altrip (fig. 190) se situe au sommet d’une terrasse non inondable qui s’avance largement vers l’est dans la plaine alluviale du Rhin, face au confluent du Neckar. FIG. 190 Altrip. Le camp (Schnurbein & Köhler 1989). 307 61 Il protégeait un ancien passage du Rhin à partir duquel la circulation par bac sur le fleuve était particulièrement facile à organiser grâce à la présence d’une île qui existait encore au XIXe s. Des postes fortifiés correspondants (burgi) sont ainsi attestés sur cette île et sur la rive orientale du Rhin (Mannheim /Neckarau). Sur la rive orientale du Neckar, le burgus de Ladenburg verrouillait le dispositif défensif qui assurait, sur terre et sur eau, la sécurité de la frontière rhénane. Tout le système doit être mis en relation avec les mesures de protection prises par Valentinien en 369 ap. J.-C. et décrites par Ammien. 62 Les fouilles d’Altrip ont été effectuées en 1896-1898, 1926-1927, 1932, 1961 et 1981. Le plan d’ensemble est ainsi bien connu. La forteresse avait la forme d’un trapèze incomplètement symétrique, avec le grand côté tourné vers le Rhin, et s’étendait sur à peu près 0,5 ha. Différents indices laissent penser que la berge du fleuve se situait à 15 m environ du mur oriental, mais le fait n’est pas suffisamment confirmé. Un fossé à fond plat d’environ 9 m de largeur entourait le dispositif au sud, à l’ouest et au nord, apparemment relié au Rhin et rempli d’eau. Un autre fossé plus étroit, large de 2 m, courant sur la berme entre le rempart et le grand fossé, servait sûrement à drainer ce terrain humide. 63 Le mur d’enceinte avait une largeur d’environ 3 m et reposait sur un pilotis compact. Le mur oriental avait une longueur de 141 m, celui du sud de 77 m, le mur ouest de 72 m et celui du nord de 80 m, en comptant les tours d’angle polygonales et saillantes. Les murs reposaient sur plusieurs couches de béton damé qui avaient été coulées sur les pilotis de fondation. Ils étaient constitués de blocs de taille et de nombreuses pierres de remploi, avec un mortier d’excellente qualité. Les portes de 3 m de largeur étaient flanquées de murs de 7 m de long et 3 m d’épaisseur ; elles étaient vraisemblablement surmontées de simples arcs en plein cintre. Vers l’intérieur suivait un défilement de 6 m de large et 7 m de long qui devait également être couvert. C’est ce que laisse supposer le portique périphérique de la cour, dont l’entrecolonnement, au niveau de la porte orientale, est de 3 m plus étroit que le couloir proprement dit. Le passage occidental est renforcé aux angles par des piliers qui indiquent la présence d’une voûte et donc d’une couverture du bastion. La cour intérieure était pavée de pierres ; elle ne semble pas avoir contenu de bâtiments et les quarante salles étaient en fait directement adossées aux murs d’enceinte. Elles avaient une profondeur de 10,5 m au niveau du mur sud, de 8,5 m seulement au niveau des autres murs. La largeur des pièces oscille entre 4 m et 7,5 m. La salle la plus large est la salle 29, sur le côté ouest. Il n’existe aucun indice sur la fonction de ces différentes salles. L’épaisseur de 0,8 à 1 m des murs laisse penser à un système de construction à deux étages, bien qu’aucun escalier n’ait été retrouvé. Les toits étaient couverts de tuiles, les sols le plus souvent de briques. Certaines pièces disposaient d’un chauffage par le sol. Plusieurs murs étaient décorés de peintures. L’approvisionnement en eau était assuré par un puits maçonné. 64 Les travaux de construction furent réalisés sous le commandement des milites Martenses, mentionnés dans la Notifia Dignitatum en tant que troupe d’occupation, et attestés sur des tuiles portant l’estampille MART. D’épaisses couches d’incendie sont vraisemblablement à mettre en relation avec la destruction, rapportée dans les sources, des fortifications de la frontière par les Vandales, les Alains et les Suèves dans la nuit de la Saint-Sylvestre (406-407). Le castellum était cependant encore habité au Ve s. Le plan de l’époque Valentinienne ne connut toutefois aucune modification essentielle jusqu’aux VIIIe-IXe s., époque à laquelle on commença à démolir en partie les murs. 308 65 [2004] Höckmann 1986 ; Schnurbein & Köhler 1989 ; Wieczoreck 1995. BIBLIOGRAPHIE ALZEY ALTEIVM Rhénanie-Palatinat, Allemagne (carte fig. 13) 66 J. OLDENSTEIN 67 Le site d’Alzey se situe au cœur du plateau et des collines de Rheinhessen, sur les hauteurs et dans la vallée de la petite rivière Selz. La vallée de la Selz, encore étroite et relativement encaissée à cet endroit, commence, à partir d’Alzey, à s’élargir vers le nord. La rivière forme alors, jusqu’à son confluent avec le Rhin, entre Mayence et Bingen, une vallée exceptionnellement large. Les collines aux pentes douces, le climat relativement clément et le lœss fertile ont attiré de tout temps les hommes. 68 Vers la fin du Ier s. av. J.-C. apparaît dans la zone du futur castellum une occupation indigène qui perdura sans interruption durant toute l’époque romaine sous le nom de vicus Altiaiensium ; mais celui-ci fut complètement détruit lors des invasions alémaniques en 352. Dans le cadre de la réorganisation des frontières rhénanes, sous Valentinien, un castellum fut érigé entre 367 et 370 sur les décombres incendiés du vicus Altiaiensium, dans le secteur sud-ouest de celui-ci. 69 L’endroit était bien choisi. Le camp est installé sur un éperon barrant au sud le Mehlberg, juste avant l’à-pic en direction de la Selz. Depuis les tours, à environ 12 m de hauteur, on disposait d’une bonne vue, en particulier vers le nord. Il était ainsi possible de surveiller le croisement des voies de communication Mayence-Alzey-Metz et Bingen-Kreuznach-Alzey-Worms dans la vallée. 70 Trois périodes de construction ont pu être observées. Période I (de 367/370 ap. J.-C. à 406/407 ap. J.‑C.?) 71 L’emplacement du castellum (fig. 191,1) a été, avant sa construction, soigneusement choisi et métré à l’intérieur du vicus. On a utilisé, sur le côté nord, pour des raisons stratégiques, une rupture de pente, ce qui explique le léger désaxement du fortin. Le terrain choisi présente une pente relativement forte vers le nord et a été, pour cette raison, aplani avant le début de la construction. 309 FIG. 191 Alzey. Périodes I à III (Oldenstein 1994, 80-81). O Puits ; 1 casernement ; 2 principia ? ; 3 horrea ; 4 gouttière ; 5 plaques de mortier ; 6, 7 maisons à pans de bois ; 8 palais ? ; 9 restes de casernements réutilisés ; 10 restes de bâtiments (pér. II) ; 11 fabrica ; 12 baraquements ; 13 église ; 14 restes de bâtiments (pér. III) ; 15 barrage de la porte ; 16 profil du fossé. 72 Les travaux de nivellement se déroulèrent en trois temps (fig. 192). On commença par collecter les pierres disponibles dans le vicus. On spolia ensuite les fondations des maisons les plus récentes jusqu’au fond des tranchées. On combla enfin avec les décombres inutilisables pour la construction les creux et les caves afin d’aplanir le terrain. En même temps, les déblais provenant du fossé du castellum furent également utilisés pour le nivellement. 310 FIG. 192 Alzey. Coupe du mur et de l’intérieur du fort (Oldenstein 1986, 302, fig. 3). 73 Celui-ci a été réalisé jusqu’au niveau de la limite supérieure des fondations du fortin, creusées dans la couche de remblai. Après avoir monté à sec les fondations jusqu’à ce niveau, on recouvrit la surface d’une couche de mortier, qui servit alors de plate-forme de construction. 74 Pour l’élévation des murs, exclusivement montés en pierres taillées, on utilisa un coffrage de bois, contre lequel les moellons pouvaient être soigneusement maçonnés. Quand la maçonnerie eut atteint une certaine hauteur, on nivela avec une couche de lœss, sur laquelle fut placé un autre radier, celui de la cour des casernes. On déposa alors dans ce radier un fourrage de moellons recouvert de mortier. Puis l’on déposa sur un lit de glaise les véritables dalles du pavement de la cour des casernes. 75 L’espace intérieur du castellum (2,6 ha) forme un carré de 163,50 x 159 m. La largeur des fondations des murs d’enceinte atteignait 3,50 m. Leur profondeur variait de 1,20 à 1,80 m et dépendait de la construction qui était prévue à l’arrière ainsi que de la configuration du terrain. 76 Il en va de même pour la semelle des fondations du mur d’enceinte. Seules les tours disposaient en règle générale de fondations débordantes. Le mur nord en était néanmoins lui aussi doté. L’ensemble du système obéit à un principe mûrement réfléchi : des écarts qui semblent au premier abord irréguliers sont dûs à la configuration du terrain ou bien au plan de construction. 77 L’élévation du mur d’enceinte présente, vers le bas, une largeur de 3 m, réduite à 2,40-2,80 m vers 1,80 m d’élévation. Sur ces courtines s’intercalent dix tours intermédiaires, quatre tours d’angles et deux tours de portes. Ces dernières reposent sur deux radiers rectangulaires, faisant saillie à l’avant et à l’arrière sur à peu près la même longueur (type d’Andernach). Chacun de ces radiers est également doublé en 311 profondeur par un bloc de fondation. Les passages d’accès des portes, pavés et présentant des traces d’ornières, ouvrent sur une ruelle de 3 m à 3,60 m de largeur. On a pu constater l’existence d’un passage surélevé pour les piétons au niveau de la porte orientale, plus large. Cette porte est sans doute, en raison de sa plus grande largeur, la porte principale du camp. Les portes est et ouest sont reliées entre elles par la voie principale du camp. On ne sait rien d’éventuelles autres voies à l’intérieur du costellum. 78 Les tours d’angles, circulaires, débordent des trois quarts sur le mur d’enceinte et reposent sur des fondations carrées, renforcées sur le côté intérieur. Les angles du fortin sont arrondis sur la face interne du mur. Les tours intermédiaires reposent également sur des fondations carrées et débordent de moitié devant la courtine. Elles sont creuses à l’intérieur. 79 Des casernes (1) ont été mises en évidence à l’arrière du rempart, au niveau des fronts ouest, sud et sud-est. Les murs des casernes et ceux de l’enceinte sont, pour des raisons de statique, indépendants, mais se rattachent à la même période. 80 La répartition des chambrées semble avoir été régulière. Leur longueur s’élevait en général à environ 8 m et leur largeur atteint 4,70 m. Les pièces à l’intérieur des tours des portes et la salle d’angle nord-ouest présentent apparemment une disposition et des dimensions différentes. 81 Le mur de façade des casernes a une largeur de 1 m et repose sur des fondations de 1,40 m de largeur, qui présentent une double semelle. Les murs de cloison des chambrées, larges de 0,62 m, ont des fondations de 1 m. 82 Tous les murs observés à l’intérieur du costellum sont construits en moellons. Aucune technique de construction en double coffrage n’a pu être repérée. Les parties frontales des murs étaient visiblement composées de moellons légèrement plus gros qu’à l’intérieur des murs. Les différences de tailles ne sont cependant pas significatives. Les chambrées avaient été dotées d’un sol pavé de plaques de pierre. Les entrées montrent des radiers avec empreintes de madriers. Les seuils des portes étaient par conséquent composés de poutres de bois. 83 Le mur d’enceinte, ainsi vraisemblablement que les casernes, étaient crépis. 84 La moitié nord du mur oriental et la partie est du mur septentrional ne présentent apparemment aucune construction. On a réservé à cet endroit un espace libre pour un édifice de représentation (2), qui, dans cette première phase, contint sans doute les principia. 85 On a pu repérer la présence, devant le bâtiment sud-est des casernes, de vestiges probables de resserres (3), peut-être des horrea. 86 Deux puits fournissaient l’approvisionnement en eau potable. Ils se trouvaient respectivement dans l’angle nord-ouest des casernes et devant l’angle sud-est des principia. Un autre puits, dans l’angle sud-ouest du fortin, a vraisemblablement été utilisé pendant cette première période. La cour des casernes était maintenue au sec par un subtil système de drainage. Un des principaux canaux d’évacuation des eaux usées passait par la tour intermédiaire du front nord et se déversait dans le fossé. Le costellum était entouré par un fossé défensif, à 11 m devant le mur d’enceinte, avec un profil en V. Sa largeur s’élevait à environ 7,80 m, sa profondeur d’origine entre 2,80 et 3,20 m. Il n’est aujourd’hui plus possible de savoir si le fossé était interrompu au niveau des portes. 312 Période 2 (de 406/407 ? à 437/443 ?) 87 Un deuxième castellum (fig. 191, II) fut érigé après l’incendie du camp de Valentinien. La reconstruction s’est concentrée sur l’ancien secteur des casernes. On a ainsi arasé les maçonneries et élevé des bâtiments en pans de bois, particulièrement derrière les tours. 88 La technique des pans de bois est attestée pour une maison à l’arrière de la tour intermédiaire nord-ouest. La construction de ce bâtiment à un étage reposait sur une fondation de moellons, large de 0,60 m. Le toit était soutenu par trois rangées de piliers reposant sur d’épaisses plaques de pierre. Le toit était recouvert d’un matériau organique (bardeaux de bois ou paille). Le sol, composé d’argile battue, a été rénové à plusieurs reprises. Un seul emplacement de foyer, entouré de pierres, y a été reconnu. 89 D’après les anciens rapports de fouilles, il faut s’attendre à trouver des constructions analogues dans le secteur sud de la porte d’enceinte occidentale ainsi que dans les casernes sud et sud-est. Une partie des anciennes chambrées a d’ailleurs continué d’être utilisée pendant la deuxième période. La présence de nouveaux radiers, surmontés de planchers en bois, a pu être attestée dans le secteur de la caserne nordouest. 90 Lesprincipia, reconstruits, présentent un tracé nouveau. Une partie des murs intérieurs était peinte. La construction devait être de type basilical lors de la deuxième période du castellum. Les puits, détruits à la fin de la première période dans l’angle nord-ouest et dans le secteur des principia, furent remis en état après restauration radicale. 91 Le fossé en V fut transformé en fossé à fond plat de 8 m de largeur. Les travaux ont été exécutés de manière très irrégulière. Le fossé à fond plat a pu être repéré devant les fronts ouest, sud et est. Une seule coupe a été malheureusement réalisée devant le mur nord : le profil du fossé était à cet endroit celui d’un fossé en V non modifié. Le fossé à fond plat était particulièrement soigné à proximité des deux portes d’enceinte. Les vestiges de la deuxième période du castellum ont été très endommagés par les constructions de la troisième phase du camp, de telle sorte qu’ils sont les plus difficiles à repérer. Malgré tout, l’existence de vestiges de cette période a pu être attestée avec plus ou moins de certitude dans tous les secteurs de la fouille. Il faut en déduire que l’intérieur du castellum a été totalement rénové lors de sa deuxième phase de construction. 92 A la fin de la deuxième période, le camp a été complètement incendié et les principales fonctions de défense et d’approvisionnement paralysées. Le fossé et les puits encore en activité ont été comblés, les constructions en pans de bois anéanties par le feu. Ceci n’a d’ailleurs pas eu lieu lors de combats pour la prise du fortin, mais une fois la fortification vaincue, ainsi que le prouve l’absence totale de mobilier à l’intérieur de la maison en pans de bois. Il s’agit en fait d’une pratique militaire souvent attestée : lorsqu’ils doivent être abandonnés, les bâtiments du camp sont arasés afin de ne pas être utilisés par l’ennemi. Période 3 (de 437/443 ap. J.-C.? jusqu’au troisième quart du Ve s.) 93 C’est pendant cette troisième phase (fig. 191, III) que l’aménagement intérieur du camp a subi les modifications les plus importantes. Le nouveau noyau de constructions s’est 313 avant tout concentré dans la cour intérieure, mais une utilisation limitée du site a pu être attestée à l’intérieur des casernes. 94 Les vestiges incendiés de la deuxième période du castellum ont été nivelés par ajout d’une couche de lœss. Les pierres de fondation de la cour des casernes ont été en partie réutilisées dans la construction de maisons. La présence, en certains endroits, d’un pavement provisoire a pu être attestée. 95 À l’avant de la caserne nord-ouest se trouvaient les restes de constructions assez denses (12). Il s’agissait en l’occurrence de maisons à pans de bois, de plan allongé, recouvertes de tuiles. On a retrouvé à l’intérieur des pièces des planchers de bois et des peintures murales. Les maisons disposaient de portiques, partiellement disposés en vis-à-vis. On a trouvé, dans le secteur de la caserne nord-ouest, une fabrica (11) dans laquelle étaient transformés la ferraille et le verre. 96 Une église à nef unique (13), ancêtre de l’église antique tardive et médiévale dédiée à saint Georges, avait été construite dans le secteur des principia. On a très vraisemblablement obstrué à la même époque la grande porte d’enceinte orientale. Le fossé a été encore une fois sommairement aménagé. Il était d’ailleurs à cette époque nettement moins profond qu’auparavant. Si l’on en croit les traces de creusement, on a alors extrait à cet endroit le lœss nécessaire aux travaux de nivellement. 97 À la fin de la troisième période, le camp a été incendié et n’a pas été reconstruit. Une occupation germanique continue du site dans le secteur du camp n’a pas eu lieu ; celleci s’est en revanche implantée au début du VIe s., à environ 1 500 m du castellum, dans la vallée de la Selz. 98 L’église de la fin de l’Antiquité a apparemment continué d’être utilisée sous le patronyme de Saint-Georges, servant d’église cémétériale du XVe s. au début du XIXe s. Les murs du castellum étaient encore visibles au XVIIe s. Ils constituaient pendant la guerre de Trente Ans un élément marquant de la silhouette de la ville d’Alzey au-dessus de la vallée de la Selz. 99 BIBLIOGRAPHIE 100 ANREPPEN → DELBRÜCK 101 ARGENTORATE → STRASBOUG 102 ARLAINES → RESSONS-LE-LONG [2004] Anthes 1917 ; Anthes & Unverzagt 1912 ; Baatz 1960 ; Behn 1929-1930 ; Behn 1933 ; Gaillard de Semainville 1995 ; Hunold & Oldenstein à paraître ; Oldenstein 1986 ; Oldenstein 1993 ; Oldenstein 1994 ; Oldenstein 1995 ; Oldenstein à paraître ; Staab 1994 ; Unverzagt 1929 ; Unverzagt 1960 ; Unverzagt 1968 ; Unverzagt & Keller 1972 ; Vallet & Kazanski 1993. ARNHEM/MEINERSWIJK Gueldre, Pays‑Bas (cartes fig. 3, 5, 6, 7 et 8) 103 R. S. HULST 104 Le castellum de Meinerswijk (fig. 193) est situé à une distance de 3,5 km au sud-ouest d’Arnhem, sur la rive sud du Rhin. L’importance archéologique du site a été révélée vers 1955, mais le caractère militaire de ces découvertes n’est apparu qu’en 1979. On a 314 observé à cette occasion une stratigraphie complexe et pu mettre en évidence les différentes phases d’occupation du camp. En 1989, des mesures de résistivité et des forages ont révélé l’organisation générale du site. En 1991 et 1992, enfin, ont été dégagés les principia ainsi que le mur d’enceinte sud avec la porta decumana du castellum en pierre (période 5). Les vestiges ont simplement été dégagés en surface, sans sondage profond. FIG. 193 Arnhem/Meinerswijk. Les principia, période 5 (Hulst 2001). 105 Meinerswijk est parfois assimilé aux castra Herculis (Ammien VIII, 2, 3-6), mais cette identification n’est pas considérée à l’heure actuelle comme complètement sûre. Les castra Herculis se situaient selon la Table de Peutinger (Segment II, 4) sur le Rhin, à une distance de huit lieues (17,6 km) de Noviomagus et de treize lieues (28,6 km) de Carvo (vraisemblablement Kesteren). Ces coordonnées ne correspondent pas seulement à la position de Meinerswijk, mais pourraient être aussi valables pour d’autres sites romains comme Huissen ou Driel. 106 L’épaisseur des couches archéologiques est de 1 à 2 m. Le sol naturel n’a pas été atteint. On distingue six périodes : • période 1 : ca 10 – ca 20 ap. J.-C. ; • période 2 : jusqu’en 69 ap. J.-C. ; • période 3 : 70-125 ; • période 4 : 125-200 ; • période 5 : 200-275 ; • période 6 : 350-425. 107 L’installation militaire la plus ancienne est datée par la présence de céramique arétine tardive et pourrait être mise en relation avec les expéditions de Germanicus dans les années 14-16 ap. J.-C. Le camp de la période 2 a été détruit lors du soulèvement des 315 Bataves et recouvert par une couche d’incendie. Le terrain fut alors aplani pour la construction du troisième camp. La quatrième période se caractérise également par d’importants remblais. Les vestiges du castellum en pierre (période 5) se trouvent pratiquement en surface. Aucun reste de construction datant de l’occupation antique tardive n’a été mis au jour. Les découvertes prouvent seulement que le site était toujours occupé au IVe s., mais elles sont encore insuffisantes pour permettre d’avancer de façon sûre l’hypothèse –déjà émise– selon laquelle Julien aurait, en 359 ap. J.-C., fait rénover le castellum. Périodes 1 à 3 108 Une route en gravier est en fait le seul témoignage connu jusqu’ici des trois périodes les plus anciennes d’occupation. Les traces de constructions manquent. Période 4 109 Deux fossés d’enceinte ont été mis en relation avec cette période, mais ils n’ont peutêtre pas été en usage à la même époque. Il est possible qu’une partie du camp ait été érigée en pierre, en raison de la présence de blocs calcaires à cette phase. Période 5 : le castellum en pierre 110 Le camp a été construit sur le dernier remblaiement de la période 4. Des parties du système de fortification méridionale ont été observées et le plan complet des principia situés à l’arrière a pu être dégagé. Les maçonneries étaient totalement arasées jusqu’au niveau de certaines couches de fondation. La via principalis et les deux rues latérales le long des principia étaient recouvertes de gravier. Il faut remarquer qu’il n’y a pas de retentura, comme dans la plupart des castella des Pays-Bas. Les deux fossés d’enceinte sont d’une profondeur respective de 1,70 et 2 m. En raison de l’érosion, leur largeur originelle et leur profil n’ont pu être déterminés. Le fossé méridional avait vraisemblablement une section en forme de V ainsi qu’un petit fossé rectangulaire de drainage, recouvert de mottes de gazon. Le mur d’enceinte et la porta decumana avaient été construits sans pilotis ou sans autre aménagement préalable du terrain. Les fondations atteignaient 0,60 m sous la surface du sol. Le mur avait une largeur maximale de 0,95 m et était épaulé vers l’intérieur par un talus de terre. La porta decumana et les principia ne sont pas orientés sur le même axe, ce qui constitue une surprise. Ces divergences d’orientation, ainsi que des différences dans le mode de fondation, pourraient prouver que les principia et le rempart n’ont pas été construits en même temps. La porta decumana était constituée de deux tours rectangulaires de 4 m à 4,50 m sur 2,50 à 3 m, particulièrement saillantes vers l’extérieur. Différents indices laissent penser que leurs faces externes, contrairement à ce que montre le plan, étaient semi-circulaires. Le porche d’accès avait une largeur de 3 m. 111 Les principia mesurent 37,90 x 33,75 m. Les murs en tuf ont été construits sur des fondations de 1 m à 1,10 m de profondeur en grès quartzique (grauwacke schisteux). Ces fondations avaient une largeur de 0,70 à 0,80 m au sommet, et 1,05 m à la base. Les moellons de pierre étaient liés au mortier dans la partie supérieure et posés à sec dans la partie inférieure. Les fondations reposaient sur un pilotis de 0,60 m de largeur. Les 316 pieux n’étaient pas taillés en pointe. L’essence n’a été déterminée jusqu’à présent que pour un seul d’entre eux (aulne). Le bâtiment était décoré de peintures murales et comportait les parties habituelles, une cour avec salles latérales, une galerie transversale et une série de pièces à l’arrière. Vaedes ne faisait pas saillie à l’arrière de l’édifice et était flanqué de six pièces de largeurs différentes. Dans la basilique (33,75 x 11,25 m), contre le petit côté occidental, se trouvait un soubassement souligné vers l’avant par deux bases de colonnes et que l’on peut vraisemblablement interpréter comme une tribune d’orateur (suggesttis). La cour était entourée de colonnes sur uniquement trois côtés. Sa galerie d’accès était marquée, de manière très monumentale, par deux piliers largement espacés. Les deux portiques latéraux étaient constitués de cinq colonnes, la partie postérieure étant formée par le mur extérieur de la basilique. Les pièces disposées sur les côtés de la cour (armamentaria ?) ne sont pas subdivisées et ne s’étendent pas jusqu’à la façade des principia. A cet endroit se trouve une pièce étroite qui occupe toute la largeur du bâtiment. On peut supposer que la façade était ornée d’un portique. 112 La troupe n’est pas identifiée. On a découvert différentes estampilles : LEGIM[ – ], LEGIMANT, LEGXXW, LEGXXXANT, EXGERINF, VEXEXGERINF et SVBIVNMACR [COS]. Un bloc de tuf (57 x 14 x 26 cm) portant la mention LEGIMPF ne doit pas être interprété, semble-t-il, comme inscription de construction, mais plutôt comme témoignage du travail de la Ire légion sur les murs d’enceinte (sud). Il faut enfin mentionner, provenant des principia, une plaque en calcaire avec la mention de l’empereur Sévère Alexandre (222-235). 113 BIBLIOGRAPHIE [2004] Hulst 2000-2001 ; Van der Gaauw 1989 ; Willems 1984; Willems 1986, 329-356. ARRAS/BAUDIMONT NEMETACUM Pas‑de‑Calais, France (carte fig. 12) 114 A. JACQUES 115 Les fouilles archéologiques récentes menées à Arras nous permettent de discerner les grandes étapes de l’évolution de Nemetacum, chef-lieu de cité des Atrébates. 116 La cité romaine est localisée dans une zone de confluence délimitée par la rivière Scarpe au nord-est et la vallée du Crinchon au sud. 117 La création de cette ville antique doit être située dans les deux dernières décennies avant notre ère. Les premiers niveaux d’occupation ont livré un mobilier céramique (sigillée aretine, amphores) et métallique (épée, fragment de casque de type Weisenau, des pièces d’équipement appartenant aux fantassins et à la cavalerie) nous autorisant à émettre l’hypothèse d’une présence militaire liée à la fondation de Nemetacum. 118 L’agglomération primitive estimée à une dizaine d’hectares va se développer à partir du croisement de deux axes routiers importants, l’un reliant Amiens à Tournai, le second Cambrai au littoral de la mer du Nord. 119 L’enceinte tardive englobe un espace de 12 ha. Elle est constituée d’une muraille de 2,80 m de large ; le soubassement est réalisé à l’aide de blocs calcaire de réemploi et de grès liés au mortier rose avec chaînage de briques. Les tours carrées de 5,50 m de 317 côté sont disposées à cheval sur la courtine et conçues en même temps que la fondation du rempart. 120 Ce système défensif est complété par des fossés larges de 9 m pour une profondeur de 5 m sur la face nord et est, où ils s’interrompent au niveau de la porte qui présente ici un plan en U, rattachée perpendiculairement à la courtine. Le fossé ouest est plus conséquent, avec une ouverture de 36 m et une profondeur minimale de 6 m. 121 On constate une importante phase de militarisation dans les deux dernières décennies du IVe s., avec notamment la création d’un intervallum réalisé au détriment d’habitations encore utilisées à cette période le long de la muraille. Cette réalisation est d’ailleurs contraire aux nouvelles directives stratégiques mises en œuvre lors de la construction des camps du limes rhénan comme Altrip ou Alzey, qui réalisent leurs casernements contre la face interne du rempart. D’autres structures réalisées dans le même temps, comme un grenier et trois casernes, traduisent un profond changement opéré dans la ville. Le plan des casernes trouve des répliques parfaites dans les camps découverts en Grande-Bretagne ou sur le limes (fig. 194a). II s’agit de bâtiments rectangulaires de 43 m de long sur 6,5 m de large, scindés en deux parties inégales par une cloison centrale dans le sens de la longueur. Le bâtiment A, le mieux conservé, montre une véranda de 1,50 m de large, des chambrées au nombre de huit constituées de l’arma (réserve) et de la papillio (chambre). FIG. 194 Arras/Baudimont. Plan général des casernes : a phase 4a ; b phase 4b. 122 Avant la fin du IVe s., de profondes modifications interviendront dans l’organisation interne de ces bâtiments, et si le mobilier évoque toujours une présence militaire (armes et équipements), il faut noter l’apparition d’éléments féminins (collier, bracelet...) et des traces d’activités telles que la tabletterie, le travail du bronze ou le tissage. Dans les nouvelles constructions, on réalise également un four à pain et des 318 silos (fig. 194b). Ces bâtisses sont longées au sud par un nouveau bâtiment de 31 m de long sur 5,20 m de large ; il montre des aménagements particuliers sous la forme de fosses oblongues creusées en pleine terre. Ce type d’aménagements trouve des correspondances intéressantes dans certains camps de Rhénanie où ils sont interprétés comme des écuries. Nous pouvons sans doute identifier ces nouveaux occupants. La Notifia Dignitatum indique en effet dans cette ville la présence, au début du Ve s., d’un corps de lètes : Praefectus laetorum batavorum nemetacensium, atrehates belgicae secundae (Occ. XLII, 40) ; ce texte nous révèle leur origine géographique, la Batavie et leur cantonnement, Nemetacum. L’occupation militaire romaine des lieux semble cesser vers la fin du deuxième quart du Ve s. 123 [2004] Jacques 1980-1990 ; Jacques 1993 ; Jacques 1994 ; Jacques & Belot 1991 ; Jacques & Tuffreau-Libre 1991 ; Vallet & Kazanski 1993. BIBLIOGRAPHIE ARRAS/LA CORETTE Pas-de-Calais, France (carte fig. 2) 124 A. JACQUES, G. PRILAUX 125 A quelques kilomètres au nord de la ville d’Arras, l’institut national de recherches archéologiques préventives et le service archéologique municipal de la ville d’Arras ont mis au jour, en 2001-2002, un petit fort du début de l’époque romaine, lors d’une fouille préventive portant sur une surface totale de 300 ha (site d’Actiparc : fig. 195). FIG. 195 Arras/La Corette. Plan simplifié du site durant la période césaro-augustéenne (G. Prilaux et A. Jacques). 126 Vers le IIIe s. av. n.è., les hommes ont occupé un vaste replat de 180 ha, aux contours relativement incisés, qui offrait une position naturellement dominante sur le paysage 319 alentour. Depuis la vallée de la Scarpe, au sud, pour progresser vers le nord du pays Atrébate, on pouvait emprunter un petit chemin creux, unique moyen d’accéder au domaine celtique. Le regard du voyageur devait être immédiatement attiré par un lieu de sépulture parfaitement ancré dans le paysage, ainsi que par un riche habitat, ouvert aux quatre points cardinaux, doté d’entrées monumentales au cœur d’un enclos puissamment palissadé. Les maisons étaient imposantes et les activités qui y régnaient bien singulières. Les hommes produisaient en outre du sel par bouillage de saumure, si l’on se réfère à la découverte d’un fourneau à sel de type “belge”. 127 L’installation précoce, dans les années 60-40 av. n.è., d’un poste militaire, de part et d’autre du chemin d’accès au domaine celtique, marque avec force la volonté du conquérant de contrôler les lieux (fig. 196). FIG. 196 Arras/La Corette. Plan général du complexe militaire césaro-augustéen (G. Prilaux et A. Jacques). 128 Le fortin est constitué d’une levée de terre palissadée de 5 m d’épaisseur, doublée d’un fossé ininterrompu de 5 m de large pour une profondeur de 2,80 m. Il occupe une superficie d’environ 80 x 74 m hors tout (de fossé à fossé). Les angles sont arrondis. On note un décrochement au nord-est, destiné à éviter une carrière antérieure. 129 La fouille a permis d’individualiser au moins deux états (fig. 197). 320 FIG. 197 Arras/La Corette. a plan général du fortin ; b plan simplifié de la phase 1 du fort (G. Prilaux et A. Jacques). 130 La première phase se concrétise au sol par deux rangées parallèles de constructions sur pieux et de fosses dépotoirs, disposées perpendiculairement au rempart ouest. Les fosses sont implantées avec un léger décalage par rapport aux structures sur pieux. La porte principale, large de 1,80 m, est placée au centre de la face sud du fortin. Seul ce côté a révélé une tranchée palissadée qui constitue le contrefort de la levée de terre. A proximité de la porte sud, mais en dehors de la fortification, on relève la présence, le long du chemin d’accès, d’importants bâtiments sur poteaux, dont un puissant grenier à trois rangées de trois poteaux. 131 Le type d’organisation spatiale reconnue dans la moitié ouest du fortin pourrait suggérer la présence de baraques en bois et de campements sous tente. Des piquets de tente ont d’ailleurs été mis en évidence dans les fossés d’un enclos augustéen précoce fouillé à proximité du site. Ce premier état est probablement à mettre en relation avec la création du fortin. 132 Lors de la deuxième phase, on construit deux bâtiments de bois de 35 m de long, disposés parallèlement aux côtés est et ouest du fortin. Un puits de 20 m de profondeur et des tours d’angle ont également été retrouvés, mais il est aujourd’hui impossible de les attribuer à l’un des deux états en particulier. 133 Devant le camp, à l’est, on renforce la protection avec la réalisation d’une défense avancée, caractérisée par une palissade solidement ancrée dans le substrat. Celle-ci présente, au niveau du passage, une ouverture en forme d’entonnoir, fermée par une porte de 4,50 m de large. Une tranchée palissadée forme un obstacle d’approche et empêche un accès direct à la porte. 134 L’angle sud-est du dispositif défensif est renforcé par une troisième ligne, formée de deux longues palissades qui englobent les ensembles précédemment décrits. Ces différentes adjonctions confèrent au retranchement une surface totale de 9 800 m 2. Aucune structure bâtie n’a été observée dans ces enclos successifs. Ces défenses échelonnées forment des couloirs en chicane destinés à contrarier les attaques de front et à ralentir la progression de l’assaillant vers la porte. 135 La zone militarisée s’étend bien au-delà du fortin et des défenses avancées. Elle intègre également le dépôt de vivres qui comprend, au sein d’un enclos palissade d’un hectare, 321 plusieurs dizaines de greniers, mais aussi le hameau construit à l’emplacement de l’habitat principal laténien. Ce vicus à vocation artisanale, qui abrite au moins quatre parcelles laniérées et une vaste cour, est placé derrière une palissade quadrangulaire de 240 m de long sur 130 m de large. 136 Une voie de création récente traverse le complexe militaire du nord au sud ; elle est dotée, sur son côté est, d’une palissade destinée à faire converger les passants vers des points de passage obligé. Un petit établissement thermal est construit sur le bord du chemin à mi-distance du fortin et du vicus. L’ensemble des structures qui composent le complexe militaire s’ouvre sur une vaste esplanade de 3 ha. 137 Le mobilier archéologique issu en majorité des différentes structures de l’état 2 révèle une grande quantité d’amphores vinaires italiques (Dr. 1 b) et de céramique à paroi fine (gobelets d’Aco ; Mayet III à lèvre concave). Les monnaies sont attribuées aux Atrébates, aux Nerviens et aux Canti ; on note aussi un dupondius de César et Octave, frappé à Vienne en 36 (RPC 517). L’armement est abondant (nombreuses armes de jet, une bouterolle de fourreau de glaive, une boucle en bronze de cingulum, des fragments de casques, des éléments métalliques destinés à la décoration du harnais). L’étude du mobilier montre une occupation relativement brève des lieux qui s’échelonne des décennies 60-40 av. n.è. jusqu’au début du règne de Tibère. 138 BIBLIOGRAPHIE [2004] Jacques & Letho-Duclos 1984 ; Jacques & Prilaux 2003 ; Prilaux 2000 ASPERDEN Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (carte fig. 12) 139 TH. FISCHER 140 Le burgus est situé au sud de Clèves, près d’Asperden, en bordure de la forêt domaniale, à mi-chemin entre Cuijk (Hollande) avec son pont tardo-antique sur la Meuse, et le fortin probable d’Altkalkar, sur le limes. On suppose pour cette raison l’existence d’une route entre ces sites, avec un système défensif dont fait partie le burgus d’Asperden. Le fort est implanté sur une moraine glaciaire qui domine la rive gauche de la Niers (fig. 198). Des pilotis dans la Niers pourraient appartenir à un pont romain. 322 FIG. 198 Asperden. Plan de localisation du site (Hinz & Hömberg 1968, 169, fig. 1). 141 Le site est connu depuis le Moyen Âge et ses ruines ont servi de carrière. Après des sondages en 1871-1877 qui n’ont pas déterminé le caractère du poste, les premières fouilles véritables eurent lieu en 1964-1965, sous la direction de H. Hinz et I. Hömberg, et permirent d’identifier un fortin de l’Antiquité tardive (fig. 199). FIG. 199 Asperden. Plan général des fouilles (Hinz & Hömberg 1968, 171, fig. 2). 142 On reconnaît deux périodes de construction, mais la phase la plus ancienne, en bois, n’a pu être mise en évidence qu’à l’angle extérieur nord-est du fortin (tour de 4,4 x 3 m). Le centre est occupé par une tour massive dont seules subsistent des tranchées 323 d’épierrement, grâce auxquelles on peut restituer un édifice carré de 15,6 x 15,6 m. La pierre utilisée était le calcaire et le grès, et l’élévation semble avoir été coffrée entre deux parements de blocs de tuf. À l’intérieur de la tour apparaissent les traces de quatre piliers en pierre (2 x 1 m). Les restes d’un cinquième pilier, à l’est, doivent être mis en relation avec un escalier. On ne sait, en revanche, expliquer la présence d’un muret extérieur, à l’angle nord-est de la tour centrale. 143 Tout autour, à 11 m de distance, apparaît une enceinte périphérique d’environ 40 x 40 m, avec un mur de 1,2 à 1,5 m d’épaisseur, flanquée de quatre tours d’angles semi-circulaires et de quatre tours médianes circulaires (diam. 4,25 m) (fig. 200). L’ensemble est entouré de deux fossés en V, larges de 2,5 m, profonds de 1,8 m, attestés seulement en coupe. Le fossé intérieur, distant de 4,8 m du mur ouest, mais de 15,3 m du mur oriental, appartient assurément à la phase constructive en pierre. Le fossé extérieur, qui n’est connu qu’à l’ouest, à 12,3 m devant le rempart, ne peut actuellement être attribué à l’une ou l’autre des deux phases (voire aux deux ?). Au sud, vers la pente conduisant à la Niers, apparaissent un chemin creux (romain ?) et un four tardo-antique qui produisait du verre soufflé. FIG. 200 Asperden. Plan restitué du fortin (dessin R. Brulet). 144 Le matériel appartient dans sa majorité à la phase en pierre. Les monnaies laissent supposer une construction en bois vers la fin du IIIe s. La reconstruction en pierre est en revanche clairement datée de l’époque de Valentinien par la céramique et les monnaies. Pour la fin de l’occupation, on notera que fait défaut la forme Alzey 33, qui constitue un fossile caractéristique du Ve s., et il faut sans doute supposer un abandon autour de 400. Le matériel métallique (bijoux, fibules) montre qu’au moins une partie de la garnison avait une origine germanique. 324 145 [2004] Barfield et al. 1968 ; Bechert & Willems 1995 ; Bogaers & Rüger 1974; Hinz & Hömberg 1968 ; Rüger 1987 ; Völling 1984. BIBLIOGRAPHIE AULNAY/ROCHEROU AUNEDONNACUM Charente-Maritime, France (carte fig. 3) 146 P. TRONCHE 147 Le camp découvert sur photographie aérienne par Jacques Dassié en 1976 (fig. 201 et 202) est situé au lieu-dit Rocherou, face à l’église romane d’Aulnay, à environ 500 m à l’ouest de l’ancienne voie romaine Saintes-Poitiers. La Table de Peutinger et l’ Itinéraire d’Antonin nous ont restitué le nom antique d’Aulnay : Aunedonnacum. La Table de Peutinger indique en outre la position stratégiquement importante de carrefour routier de ce vicus. Deux milliaires découverts à proximité indiquent sans ambiguïté que nous sommes à la frontière de deux grandes cités gauloises : celle des Santons au sud, des Pictons au nord. Les installations militaires occupaient une zone plane argilo-calcaire en légère déclivité vers l’ancien cours de la Brédoire, affluent de la Boutonne. Le camp se présente comme un vaste quadrilatère aux angles arrondis de 292 m de long sur 217,50 m de large soit une superficie globale de 6,35 ha, ce qui indique une garnison tournant autour de mille cinq cents à deux mille cinq cents hommes, sans doute un cantonnement destiné à des vexillations (fig. 203). FIG. 201 Aulnay/Rocherou. Vue aérienne de la partie méridionale du camp. photo J. Dassié. 325 FIG. 202 Aulnay/Rocherou. Les bâtiments centraux. photo J. Dassié. FIG. 203 Aulnay/Rocherou. Plan d’interprétation des photos aériennes. plan M. Fincker. 326 148 Les premiers sondages ont été effectués dès 1976 par D. et F. Tassaux. Des sondages plus extensifs furent entrepris sous la direction de P. Tronche à partir de 1987. D’abord l’horreum (1987-88), puis l’aile est des principia (1989-90-91), enfin la porte nord (1992). 149 Le système défensif était constitué de deux fossés parallèles écartés en moyenne de 1,10m. Leur section était triangulaire, symétrique, avec un profil en V et une gouttière de fond aplanie. Leur largeur évoluait entre 1,80 et 2,20 m pour une profondeur allant de 1,60 à 2,30 m. Les portes de bois assez proches des modèles rhénans contemporains étaient à double battant, en retrait par rapport à la ligne du rempart et flanquées de deux tours en L. L’interruption des fossés au niveau de la porte nord était de 19,50 m. L’ensemble agger/vallum se situait à 2,60 m du fossé interne et occupait une largeur de 3,70 m. Le rempart était très probablement constitué d’un revêtement vertical de bois à la fois vers l’extérieur et l’intérieur du camp, contenant un remplissage de terre et cailloutis extrait du creusement des fossés, comme en témoigne une double rangée de trous de poteau. L’implantation du vallum dans ce dispositif n’a pu être retrouvée avec précision étant donné l’altération du substrat par les engins agricoles. 150 Les infrastructures étaient aménagées dans un substrat calcaire assez dur, sous une mince couche de terre arable. Elles sont celles d’un camp de bois. Les cloisons murales extérieures et intérieures des différents bâtiments étaient établies dans une tranchée de fondation sans aucune interruption pour les seuils. Dans cette dernière ont été implantées des poutres verticales espacées de 1,45 m. Les trous de poteau, bien repérés, étaient d’un module grossièrement carré (46-47 cm pour une profondeur moyenne de 32-35 cm). Chaque angle était conforté par une poutre. Ces poutres maintenaient un clayonnage de branchages entremêlés destiné à recevoir un enduit à la chaux (de 4 à 9 cm d’épaisseur) recouvert d’un autre enduit siliceux de quelques millimètres d’épaisseur, soigneusement lissé. Les toits à double pente étaient soutenus par une rangée axiale de poteaux. Il semblerait que les couvertures des toits aient été faites de matériaux périssables, bien que quelques rares fragments de tuiles aient été retrouvés, surtout dans la partie sud du camp. Drains, canalisations, fosses à rebut, puits et citernes étaient soigneusement creusés dans le calcaire. 151 Les principia ont une dimension de 45 x 38 m. La partie sud a été détruite par l’implantation de la départementale 222 et la partie ouest endommagée par l’exploitation d’une carrière au XIXe s. Aucun portique autour de la cour n’a été repéré par les fouilles. L’aile orientale se présentait comme un quadrilatère de 18,25 x 15,85 m ; dans la partie sud, une pièce s’ouvrait par un auvent vers un puits circulaire de grande circonférence (7,30 m pour une profondeur de 7,60 m). Ce puits, malheureusement soigneusement comblé au moment du départ de la garnison, ne contenait que peu de mobilier. La présence de nombreuses scories métalliques et de rebuts cendreux dans les fosses environnantes fait penser à un atelier de réparation ou à un armamentarium. Au nord, deux grandes pièces orientées perpendiculairement à la cour portaient de nombreuses traces de cloisons internes rendant énigmatique leur destination. Ces pièces sont néanmoins associées à des fosses internes et externes qui recelaient une grande quantité de déchets domestiques. Immédiatement à l’est sont apparues, après un long drain longitudinal, les traces très diaphanes de possibles stalles de cavalerie. En 1982, dans l’une des pièces de la partie nord des principia, avait été découvert un autel anépigraphe, volontairement brisé et désacralisé. Il permet sans doute d’identifier la chapelle aux enseignes, en position centrale dans le camp. 327 152 L’unique horreum du camp a été creusé dans le calcaire. Il est apparu comme une grande fosse longue de 18,15 m et large de 8,15 m, profonde de 1,30 à 1,40 m. Comblé et détruit au moment du départ des soldats, il contenait un important amoncellement de mobilier : céramiques communes, sigillées, amphores, fragments d’armes, ossements... Sur le fond étaient aménagées une cavité circulaire contenant une amphore à huile de type Dressel 20 et dans sa partie est des rainures destinées à recueillir les travées d’un plancher de bois, à fin de vide sanitaire. L’entrepôt comportait sans doute une murette en pierres sèches en guise de solin et un toit à double pente comme l’indiquait la rangée axiale de trous de poteau, espacés de 2,20 m, aménagée au fond. Des petits drains recueillaient les eaux pluviales de la partie sud du toit et les collectaient pour une citerne grossièrement carrée (1,85 x 1,62 m pour une profondeur de 1,65 m) utilisée comme réserve d’eau potable ou plus probablement comme réserve-incendie. 153 Le mobilier recueilli s’inscrit totalement dans la période 20-40 ap. J.-C. L’absence de toute stratigraphie, le comblement instantané de certaines structures, le caractère chronologiquement homogène des structures et du mobilier, postulent pour un temps d’occupation très court. La datation des céramiques sigillées et des parois fines mène à une période allant du règne d’Auguste à celui de Claude. Les céramiques augustéennes précoces font défaut. La circulation monétaire fondée sur la trouvaille de plus de trois cent vingt monnaies retrouvées dans tous les secteurs géographiques et les différentes structures du camp montre une circulation augusto-tibérienne massive (plus de 60 % des monnaies). Les dernières espèces en circulation sont de rares asses de Tibère à l’autel de la Providence dont la frappe commence à Rome autour du début des années 30. Les conditions du versement de la solde et l’impératif de sa régularité interdisent donc de prolonger bien au-delà du début des années 30 le séjour aulnaysien de cette garnison. Le dossier chronologique, malgré une légère distorsion pour la période de l’abandon du camp entre les repères fournis par la datation traditionnelle de certaines céramiques à parois fines et les données ressortant de l’examen de l’ensemble des monnaies, évoque les péripéties et les suites de la répression de la révolte de 21 ap. J.-C. racontée par Tacite (Annales III, 40-46). En effet, la révolte commencée chez les Andes et les Turons ne put être écrasée par les troupes de la cohorte de Lyon et on dut faire appel aux troupes de Germanie. Trois inscriptions, mises au jour au XIXe s. lors de travaux dans et autour de l’église (CIL XIII, 1121, 1122, 1123), mentionnent justement deux légions, la legio II Augusta et la legio XIIII Gemina, cantonnées dans la région rhénane entre l’époque augustéenne et 43 ap. J.-C., avant de participer à la conquête de la Bretagne sous Claude où elles restèrent en garnison. 154 BIBLIOGRAPHIE [2004] Tassaux et al. 1983 ; Tassaux et al. 1984 ; Tronche 1993 ; Tronche 1994 ; Tronche 1996. BAD CANNSTATT Bade-Wurtemberg, Allemagne (carte fig. 7) 155 C. S. SOMMER 156 Le fort (fig. 204) est installé au bord d’un plateau, légèrement incliné au sud-est, qui domine d’environ 25 m la vallée du Neckar. En raison de la rupture de pente devant l’angle sud-est, l’accès à la vallée se fait au sud-ouest par une petite rampe naturelle. Le site est un carrefour de voies antiques, nord-sud (route de la vallée) et est-ouest, à un 328 endroit où le fleuve peut être franchi. Du camp lui-même, on jouit d’une vue exceptionnelle sur toute la vallée du Neckar et vers les Alpes souabes, au sud-est. FIG. 204 Bad Cannstatt. Plan général du fort (Goessler 1921, pl. A). 157 Après la découverte du fort de pierre par E. Kapff en 1894, et les fouilles de la Reichslimeskommission en 1905, des recherches systématiques ont été conduites de 1908 à 1911, avant implantation d’une caserne. La technique de l’époque, par tranchées étroites, n’a malheureusement pas donné d’excellents résultats, comme on le voit notamment à propos du premier camp en terre. De grands décapages sur le vicus, au nord-ouest du camp, furent toutefois effectués et poursuivis dans les années 1920-1930. Des découvertes ponctuelles ont été signalées de façon continue au sud-ouest lors de travaux de construction et de l’aménagement du cimetière. 158 Le premier fort en terre a été construit au moment de l’installation du limes du Neckar, sous Trajan. La date de sa reconstruction en pierre n’est pas claire, mais l’abandon du camp a dû intervenir au moment de l’avancée du limes vers l’est, sous Antonin. Certaines parties du fort semblent avoir alors été réutilisées par les civils. C’est une ala I, peut-être l’ala I Scubulorum, qui tenait garnison à Bad Cannstatt. Le camp en terre (188 x 163 m, soit 3,1 ha) devait être orienté au sud-ouest, si l’on en croit la position de ses portes, identique à celles du camp en pierre. Il était entouré d’un fossé de 6 à 7 m de large pour 2 à 3,3 m de profondeur. Le rempart en terre et bois, large de 3 à 3,5 m, jalonné de poteaux sur sa face antérieure, était sans doute flanqué de tours en bois, dont l’existence n’est pas bien attestée. On ignore tout de la disposition interne. 159 Le camp en pierre (212 x 165 m, soit 3,5 ha) a été construit sans qu’aucun segment de l’enceinte précédente ne soit réutilisé, ce qui est étonnant. Bien que son grand axe soit orienté est-ouest, son plan barlong dispose l’ouverture principale au sud-est vers le Neckar, ce qui ne peut s’expliquer que pour des raisons d’accessibilité au site. Le 329 segment sud du rempart occidental est légèrement dévié, en raison de la proximité de la rampe naturelle dont il a été fait mention. 160 Derrière un fossé en V de 4,5 à 8 m de large pour 1 à 1,5 m de profondeur, parfois double, puis une berme de 1 à 2,5 m, vient un rempart épais à la fondation profonde de 0,9 à 1,4 m, à l’élévation de 0,9 m. La fondation, en blocage, supporte un mur à double parement, en léger retrait. Le côté nord, implanté dans les fossés du camp en terre, est plus profondément fondé. Tous les 5,5 à 6 m apparaissent des piliers de soutènement (long. 1,5 m ; ép. 0,7 m) qui portaient sans doute le chemin de ronde. On remarquera que la via sagularis est distante de 3,5 m du rempart. Les angles nord sont flanqués de tours légèrement trapézoïdales, tandis que les tours intermédiaires entre les portes et les angles sont carrées. La porte prétorienne (larg. 3,4 m), vers le Neckar, comprend curieusement deux passages de 1 et 1,5 m. Les tours (la première mesure 2,9 x 2,6 m et la seconde 3,2 x 2,3 m) sont particulièrement petites. La porte décumane, à l’opposé, montre un passage simple de 3 m de large et des tours de 5,5 x 4,5 m et de 6 x 5,5 m, et semble particulièrement grande. La fondation traverse le passage en sous-sol. Les tours de la porte décumane sont renforcées, à l’extérieur, par deux piliers à l’ouest, et un pilier unique à l’est. On observe une conduite d’eau dans le passage. La porte principale gauche a une largeur de 8 m pour un passage double et des tours de 4,5 à 5 m, légèrement saillantes. La porte principale droite, large de 6 m (pilier central compris), montre un double passage et est flanquée de tours de 5 x 5 m. L’entrée nord semble avoir été bouchée dans un second temps. 161 Les voies internes étaient couvertes de gravier et bordées de pierres dressées de chant. On trouve çà et là des dalles de tuf. La via principalis avait une largeur de 10 à 12 m, la praetoria de 8 m, la decumana 10 m, la sagularis seulement 4 m. 162 Des bâtiments internes, on ne connaît avec quelque détail que les principia (47 x 37 m), sans hall d’exercice. Autour d’une cour centrale pavée de dalles de tuf, les ailes latérales et l’aile arrière nord montrent là aussi un certain nombre d’irrégularités. Au centre, apparaît la chapelle aux enseignes, avec une abside saillant à l’extérieur. 163 Divers bâtiments ont été repérés à l’angle sud-ouest, notamment un bâtiment large de 10 m, avec une cave creusée dans un second temps, et pour cette raison profondément fondée par-dessus les fossés du camp antérieur, dans une couche d’incendie. Son identification initiale comme quartier du commandant est très peu probable. 164 Le vicus s’étend le long de la voie qui conduit à la porte décumane comme à celle qui mène à la porta principalis dextra (route de Pforzheim). Il est vraisemblable que ces voies de circulation étaient reliées entre elles par une chaussée parallèle à l’enceinte, à l’angle nord-ouest. Le complexe de fosses, de puits et de caves en façade des bâtiments, parfois sur l’arrière, est malheureusement difficile à discriminer selon des phases d’occupation claires correspondant aux périodes d’occupation puis d’abandon du camp. On ne sait pas non plus si la production céramique a commencé pendant ou après l’occupation militaire. De même, la datation de quartiers dans la vallée du Neckar et de l’autre côté du fleuve reste incertaine. Une nécropole d’environ trois cents tombes a été découverte à environ 600 m au nord-ouest. 165 BIBLIOGRAPHIE [2004] ORL 8, 59 ; Goessler 1921 ; Goessler & Knorr 1921 ; Joachim & Stork 1996 ; Knorr 1921. 330 BAD HOMBURG VOR DER HÖHE/DIE SAALBURG Hesse, Allemagne (cartes fig. 7 et 8) 166 E. SCHALLMAYER 167 La Saalburg est installée sur un col du Taunus, passage naturel entre le bassin du Rhin et du Main, d’un côté, la région d’Usingen et la haute Hesse d’autre part, à 6 km au nord de Bad Homburg vor der Höhe : emplacement stratégique qu’il fallait contrôler, notamment après l’édification du limes. Nos connaissances sont dues à L. et H. Jacobi, qui ont fouillé le site de la fin du XIXe s. jusque dans les années 1920. On doit distinguer plusieurs systèmes fortifiés successifs (fig. 205) : • les redoutes (Schanzen) ; • le “camp de terre” (Erdkastell) ; • le camp de cohorte. FIG. 205 Bad Homburg vor der Höhe/La Saalburg. Plan général du fort. Les redoutes 168 La plus ancienne (Schanze A) est installée à environ 75 m à l’est du camp principal, aujourd’hui reconstitué (fig. 206 et 207). Il s’agit d’une petite fortification en forme de pentagone irrégulier, avec l’angle nord-est coupé (42 x 38,50 m, soit 1 600 m 2). L’enceinte comprend une palissade extérieure qui précède un fossé de 1,50 à 1,80 m, profond de 0,90 m, lui-même suivi, à environ 2,00-2,50 m de distance, d’un très petit fossé, que l’on peut interpréter soit comme la fondation d’une palissade, soit comme un fossé de drainage. On restitue généralement une levée de terre entre le fossé antérieur et le petit fossé arrière, sans doute avec un front en mottes de gazon. Il est possible – 331 mais non certain– que ce dispositif ait remplacé, presque immédiatement, un premier dispositif provisoire formé par la palissade externe qui n’aurait duré que le temps de la construction. FIG. 206 Bad Homburg vor der Höhe/La Saalburg. La redoute A selon Jacobi (Schallmayer 1997, 106, fig. 102). 332 FIG. 207 Bad Homburg vor der Höhe/La Saalburg. La redoute A : reconstitution (Schallmayer 1997, 107, fig. 103). 169 La porte unique est au sud, mais son plan n’est pas clair. L’intérieur est vide, à l’exception de fours dans l’angle nord-ouest, d’un puits et de diverses canalisations à l’est, ce qui indique une occupation sous tentes, pour une durée courte, par une troupe que l’on peut évaluer à une centurie. Ce campement, en l’absence de matériel stratifié, est généralement mis en relation avec la guerre chatte (83-85). 170 La seconde redoute (Schanze B : fig. 208-210), située à environ 30 m plus au sud, se présente sous la forme d’un carré quasi régulier (47 x 45 m, soit 2 100 m 2), défendu par un mur de terre et gazon, large de 4,50 m, précédé de deux fossés de 2,80 m (prof. 1,20 m). Entre ces deux fossés, une petite tranchée de fondation (0,30 m de profondeur) accueillait un obstacle en élévation (palissade ou claies). La porte, marquée par une interruption des fossés sur 5 m, est orientée au nord. Le plan des poteaux permet de restituer une tour de 2,70 x 2,20 m, avec une protection latérale du passage à travers les fossés. L’intérieur montre des restes de bâtiments en bois, où l’on reconnaît un baraquement en U précédé d’un portique donnant sur une cour intérieure. Entre ces casernements et le rempart subsiste un espace de 3 m (via sagularis). On doit comparer ce plan avec celui des petits fortins de type Neuwirtshaus ou Rötelsee, et restituer des contubernia de 4 x 2,5-3 m. D’autres pièces plus grandes, sur l’aile arrière, peuvent être interprétées comme bureaux ou quartiers du chef de poste. L’ensemble pouvait accueillir une centurie ; l’orientation au nord suppose une relation directe avec la voie du limes. Ceci suppose une chronologie légèrement postérieure à celle de la redoute A, soit au plus tôt la guerre chatte. 333 FIG. 208 Bad Homburg vor der Höhe/La Saalburg. La redoute B : plan des structures et plan d’interprétation (Schallmayer 1997, 109, fig. 106 et 107). FIG. 209 Bad Homburg vor der Höhe/La Saalburg. La redoute B : essai de reconstitution (Schallmayer 1997, 110, fig. 108). 334 FIG. 210 Bad Homburg vor der Höhe/La Saalburg. La redoute B : essai de reconstitution par l’armée allemande avant la première guerre mondiale. Le fortin de terre 171 Le fortin de terre est situé à environ 100 m à l’ouest des redoutes. Il s’agit d’une installation presque carrée aux angles arrondis (84,90 x 79,80 m de rempart à rempart, soit 0,67 ha), défendue par un fossé en V de 5-6 m de large, 2 m de profondeur, de profil “punique” (fig. 211-212). Le fond comprend, çà et là, un drain en bois, avec un large effluent à l’angle nord-est. Après une berme de 0,70 m vient un rempart, assez bien conservé au sud-ouest pour autoriser une reconstitution précise : il s’agit d’un mur de terre et bois, d’une largeur de 3,60 m, qui comprend trois rangées parallèles de poteaux, assez irrégulièrement disposés et peu fondés, avec un parement de bois ou de claies (peut-être même seulement de mottes de gazon), coffrant un bourrage interne de terre. Les tours ont 3 m de côté. 335 FIG. 211 Bad Homburg vor der Höhe/La Saalburg. Fortin en terre et en bois. Plan des structures fouillées et plan d’interprétation (Schallmayer 1997, 112, fig. 110-111). FIG. 212 Bad Homburg vor der Höhe/La Saalburg. Fortin en bois. Essai de restitution (Schallmayer 1997, 114, fig. 113). 172 Le fossé, interrompu au nord sur 5 m, laisse un passage protégé par un titulum, large de 2,60 m à 3 m, long de 11 m à l’ouverture, mais de seulement 9 m en profondeur. Des trous de poteau et des restes de calages au fond du fossé laissent supposer l’existence 336 d’un obstacle supplémentaire en élévation, sans doute une palissade. La porte (larg. 3,60 m), dont les crapaudines carrées (0,14 m) sont encore en place, montre un double accès, avec, dans le passage, un coffrage en bois dont sont conservés trois poteaux. Peut-être existait-il aussi une poterne au sud, comme à Hesselbach et Nersingen, si l’on en croit le rétrécissement du fossé à cet endroit. 173 La via sagularis (larg. 3 m) est limitée par un drain (larg. 0,80 m) qui recueillait aussi les eaux de l’intérieur du camp. La disposition intérieure est très mal connue, en raison des méthodes de fouilles du XIXe s. et ne peut être restituée que par comparaison avec les fortins mieux documentés de l’Odenwald, notamment Hesselbach. 174 On doit noter, à l’extérieur du camp, vers le nord, la présence d’un balnéaire dont l’apodyterium (16x7 m) est construit en bois et colombage, selon un usage militaire fréquent. A cette phase de l’installation militaire est en outre associée la présence d’un premier viens civil, au sud et au sud-est. On observera notamment la présence, à l’est, d’un bâtiment administratif de grandes dimensions (50 x 47,50 m), partiellement chauffé, sans doute destiné au contrôle des marchandises à travers le col de La Saalburg. 175 Le matériel aussi bien que les sources historiques montrent une occupation entre 90-100 et environ 135, sans doute par un numerus breton, comme les autres forts de l’Odenwald. Le camp de cohorte 176 C’est vers 135 qu’est érigé le grand camp de 221 x 147 m (environ 3,25 ha) pour la cohors II Raetorum civium Romanorum equitata. À l’inverse du camp précédent, la porte principale (porta praetoria) est au sud, vers la voie Nida-ïleddernheim (fig. 213). Devant l’enceinte, après une berme d’environ 1 m, est creusé un fossé en V de 8-8,75 m, profond de 3 m, interrompu devant les portes. Les accès latéraux sont en outre protégés par des titula. Le rempart (Holzerdesteinmauer), large de 3,60 m, est construit avec deux parements de pierres sèches (dim. 0,80 m), reliés par un bâti de bois, composé de poutres transverses (0,20 à 0,50 m de section) tous les 1,77 m, comme un munis gallicus. Le mur est assez large pour porter, derrière le parapet, un chemin de ronde auquel on accédait, tant près des portes que des angles ou sur les longs côtés, par une série de vingt-quatre rampes parallèles au rempart, longues de 10 m, larges de 1 m. Les tours étaient en bois, comme le prouvent les vestiges retrouvés dans l’angle nordouest. L’exemple de la porte nord (porta decumana) montre que les passages étaient protégés par des tours de 3 x 3 m. La porte principale, double, est large de 7,5 m, les autres de 3 m. 337 FIG. 213 Bad Homburg vor der Höhe/La Saalburg. Plan du fort auxiliaire selon Jacobi (Schallmayer 1997, 115, fig. 114). 177 La via sagularis, large de 3 m, est bordée par un drain. Derrière l’enceinte, à l’est et à l’ouest, dans la retentura, apparaissent des batteries de fours, ronds ou ovales (diam. 1,5 à 1,8 m), en pierre et argile, couverts en coupole ; on en compte au total une cinquantaine, protégés par des abris en bois, qu’atteste l’existence de trous de poteau. 178 L’intérieur du camp, dans cette phase de la construction, est mal connu. La présence de trous de poteau montre une construction en bois et colombages, sur un plan très voisin de celui que l’on reconnaît dans la période suivante, en pierre. Ainsi sont attestés les principia avec leur hall d’entrée. La chapelle aux enseignes semble construite massivement en pierres liées à sec. La partie sud du grenier en pierre de l’état postérieur semble précédée par un bâtiment de bois (20 x 11 m). Les écarts entre les poteaux, qui servent aussi bien aux élévations qu’à la stabilisation d’un sol mouvant, varient entre 1 et 3 m. Sans doute appartient aussi à cette période le grand bâtiment (47 x 10 m) de l’angle nord-ouest, interprété comme une écurie, mais qui pourrait être aussi un bloc de casernement, ainsi qu’un bâtiment de 52 x 20 m, peut-être une baraque double, dans l’angle sud-ouest. On observe là des constructions en colombages, reconnaissables à la trace de leurs sablières basses ponctuées de poteaux verticaux. 179 À l’extérieur du camp apparaît un bâtiment à péristyle de 34 x 24 m, en bois et colombage, peut-être l’apodyterium du balnéaire, en bordure d’une placette triangulaire devant la porte prétorienne. Les parcelles du vicus s’orientent perperdiculairement à la voie Nida- Heddernheim. 180 Dans une deuxième phase, le camp de cohorte est reconstruit en pierre, sans modification de taille. Devant le fossé existant, à un intervalle de 1 m, est alors creusé un deuxième fossé de 10 m de large, 2,50 à 3 m de profondeur. La courtine est alors 338 reconstruite en pierre, sur une épaisseur de 1,80 à 2,10 m. Lors des fouilles, certains segments atteignaient encore 2,40 m en élévation, mais la hauteur totale devait être de 4,80 m. Entre la fondation et l’élévation apparaît une couche d’isolation, composée de pierres posées de chant, et servant au drainage de la construction. Les murs avaient préservé les traces des échafaudages de construction et étaient enduits de blanc. Les courtines sont couronnées de merlons avec couvrements semi-cylindriques de basalte. Le rythme des merlons a été récemment recalculé à 1,50 m ; les embrasures sont recouvertes d’une plaque de basalte. Le chemin de ronde, large de 3,10 m, était accessible depuis le talus arrière, large de 5 m. La couche inférieure de ce talus montre un mélange provenant de l’extraction des terres du premier fossé, mêlée à du matériel et des restes d’incendie, tandis que la couche supérieure est composée de la terre extraite du second fossé. 181 Le fossé extérieur est interrompu devant la porte principale, au sud, ainsi qu’à l’est, et possède à cet endroit un drain de bois à sa pointe ; le fossé intérieur est interrompu devant la porte occidentale. L’évacuation des eaux se faisait à l’angle nord-ouest. 182 La porte sud est double, avec deux passages de 3,36 m, tandis que les autres portes ne comprennent qu’un unique passage de 3,36 à 3,77 m ; quant à la porte décumane, elle est encore plus étroite (2,80 m). Les tours, en pierre, montrent un plan carré de 3 x 3 m. On restitue généralement un étage. Devant la porte principale apparaît la base d’une statue impériale en basalte, dont les restes ont été retrouvés. De la partie supérieure au-dessus du passage provient aussi vraisemblablement un fragment d’inscription en lettres de bronze doré. 183 La via sagularis avait 3 m de large ; des restes de pavement de la via principalis et de la via praetoria révèlent une largeur avoisinant les 5-6 m. 184 Les principia (58 x 41 m) sont installés au même emplacement que le bâtiment en bois précédent. Au sud, ils s’ouvrent par un grand hall (38,5 x 11,5 m), destiné à l’exercice, et qui couvre la via principalis. Dans l’axe de la via praetoria comme dans celui des portes latérales apparaissent des accès de 4,20 m de large, précédés de porches : celui du sud est large de 5,90 m, profond de 4,70 m, ceux des côtés latéraux sont larges de 4,90 m, profonds de 3,40 m. Pour accéder à la cour intérieure, on passe par l’une des cinq portes, larges de 1,30 à 3,80 m. La cour elle-même est un carré de 21 m de côté, entouré d’un portique large de 3 m, avec un stylobate en maçonnerie. Au milieu du côté oriental apparaît un petit bâtiment carré (5,20 m de côté), avec une petite construction adventice dans l’angle nord-ouest, sans doute un tribunal. Dans la partie sud, on reconnaît deux puits. 185 Les côtés ouest et est sont bordés chacun d’une grande pièce de 24 x 4 m. Il s’agit des armamentaria, subdivisés en quatre à l’ouest, alors que l’aile orientale constitue un vaste hall, avec une porte de 3,5 m de large. L’aile arrière comprend elle aussi un grand hall. De petites pièces latérales chauffées sont sans doute des bureaux. L’aile arrière comprend en outre des scriptoria. Dans l’axe médian apparaît la chapelle aux enseignes, de forme légèrement trapézoïdale (9,5 x 8 à 9 m), avec des murs de 0,88 à 0,95 m d’épaisseur. Le sacellum forme saillie sur l’arrière des principia. La reconstitution actuelle s’appuie sur la présence d’une cave, destinée à conserver la solde, et est donc surélevée de plusieurs degrés. 186 Le praetorium (long. 28 m) est situé dans la praetentura occidentale et comprend une série de pièces de 6 m de large, dont la dernière, à l’ouest, se termine en abside. Le 339 bâtiment, qui succède à un antécédent en bois, a subi des remaniements et pourrait avoir été centré autour d’une cour intérieure avec bassin. 187 En face, de l’autre côté de la rue, apparaît un grand horreum de 24,36 x 20,12 m, sur les restes de magasins antérieurs en bois. Le bâtiment est divisé en deux par un couloir médian (larg. 1 m). Les murs extérieurs sont massifs et l’espace interne est divisé par des refends tous les 1,20-1,50 m, qui supportaient un plancher de bois destiné à supporter des poids importants. Des rampes sont visibles devant les entrées occidentales. 188 Le plan des baraques n’est plus reconnaissable qu’à la présence de drains. 189 Le vicus externe comprend notamment un balnéaire de 43 m de long, avec des salles en enfilade ; plusieurs phases de reconstruction ont été identifiées. Immédiatement au sud-est apparaît un bâtiment à péristyle de 29,50 x 26,35 m, partiellement sur hypocaustes, connu sous le nom de mansio. 190 BIBLIOGRAPHIE [2004] Klee 1995 ; ORL B, 11 , p. 13-19,20-43,45-46,57-64; Jacobi 1913 ; Jacobi 1914-1924 ; Peuser 2001 ; Schallmayer 1997. BAD KREUZNACH Rhénanie-Palatinat, Allemagne (carte fig. 13) 191 R. BRULET 192 Le fort est situé à l’ouest de Mayence, sur la route qui relie cette ville à Metz. Il protégeait également l’un des accès à Trèves. II a été fouillé en 1968 par B. Stümpel. L’enceinte, presque carrée, mesure 170 x 168 m (fig. 214). Les tours épousent la forme d’un U et se répartissent sur la muraille à intervalles réguliers de 40 m. Deux portes, protégées par une paire de bastions rectangulaires, ouvrent les côtés nord et sud en leur centre. Une partie de l’enceinte, située au nord-est et aujourd’hui appelée le Heidenmauer, existe toujours en élévation. 340 FIG. 214 Bad Kreuznach. Plan du castellum. dessin R. Brulet 193 Un ensemble de constructions intérieures a été découvert dans l’angle est du fort. Parmi ces bâtiments, on reconnaît des éléments de thermes. On a découvert les vestiges d’un atrium formé par des pièces de petites tailles reliées à une cour centrale. Il est possible que cette partie du fort ait servi de mansio et qu’elle soit antérieure à la construction des fortifications. Une partie de ces constructions a été incluse dans le système de défense lors de la construction du fort. 194 Si des fouilles ont été réalisées pour dater la construction, ces recherches n’ont pas permis de connaître précisément le niveau de la première occupation de la fortification. En effet, la présence de matériel antérieur introduit une certaine confusion entre les différentes couches d’occupation du site. La période durant laquelle le fort a été construit semble être celle de Constantin. 195 BIBLIOGRAPHIE [2004] Johnson 1983a ; Stümpel 1970 ; Unverzagt 1968. BAD NAUHEIM/RÖDGEN Hesse, Allemagne (carte fig. 3) 196 S. VON SCHNURBEIN 197 Le camp se situe sur une hauteur, au-dessus de la vallée de la Wetter, qui se jette dans la Nidda et se trouve ainsi en relation directe avec le Main et le Rhin. Il est éloigné d’environ 60 km de Mayence. Le site a été découvert par hasard en 1960, lors de travaux de construction, et a été par la suite en grande partie fouillé. 341 198 La surface du camp, en forme d’ellipse irrégulière, est de 3,3 ha (fig. 215). L’enceinte est constituée de deux fossés en V qui atteignent jusqu’à 3 m de profondeur et 5 m de largeur ; les mesures varient cependant fortement, en raison de l’érosion. Le mur en bois et terre de 3 m de large était constitué de pieux implantés isolément. Une seule véritable porte a pu être retrouvée à l’est, en direction du plateau (fig. 216). Elle correspond, avec son double passage rentrant, aux plans habituels (type V de Manning et Scott), mais possède une particularité : les poteaux d’angle orientaux des tours, du côté du passage, et le poteau antérieur de la spina sont doublés par une seconde structure de mêmes dimensions et de même profondeur. Un tel dispositif n’est pas autrement connu et sa fonction n’est pas claire. Le passage présente une largeur de 3 m ; la cour devant l’accès est de même profondeur que le rempart. Le fossé extérieur passait devant la porte et était simplement légèrement resserré. D’autres étranglements ont été constatés au nord et à l’est ; il devait y avoir à ces emplacements, dans l’enceinte en bois et terre, de simples passages supplémentaires, vraisemblablement au niveau du rez-de-chaussée des tours (type I de Manning et Scott). Les passages se reconnaissent, dans certains cas, aux sablières, perpendiculaires au rempart, qui relient un poteau antérieur à un poteau postérieur. On suppose que ces sablières marquent l’emplacement de cloisons de bois qui bloquaient le remblai intérieur du rempart. Les tours (3,5 x 3 m) étaient en général reconnaissables à leurs trous de poteau plus grands et plus profonds ; elles sont disposées tous les 15 à_16 m. Au sud de la porte apparaît aussi une tour ou une plate-forme à six poteaux. Les boisements mêmes n’ont pu être reconnus qu’en de rares cas, ce qui ne fournit guère d’indication sur leurs dimensions. FIG. 215 Bad Nauheim/Rödgen. Plan du camp : 1 principia ; 2 magasins ; 3 casernes (Johnson 1987, fig. 175). 342 FIG. 216 Bad Nauheim/Rödgen. Plan de la porte orientale (Schönberger & Simon 1976, fig. 2). 199 Les bâtiments intérieurs de Rödgen sont construits soit sur des poteaux isolés, soit sur des poteaux alignés et dressés à l’intérieur d’un petit fossé. Les casernes, d’une longueur d’environ 50 m, mises au jour dans les secteurs sud et est du camp, présentent des poteaux isolés. Il devait s’agir de casernes doubles, dotées de grandes pièces de 4 x 4 m et d’antichambres d’environ 2 m de large. Une restitution dans le détail est hasardeuse. Le bâtiment de commandement, placé au centre, se compose de trois parties : au sud de la voie, une grande maison (14,7 x 8,4 m), suivie d’une grande cour péristyle au sol de gravier (22 x 14m) ; vient enfin, au sud, un grand complexe (41 x 19,30 m) composé de pièces de tailles différentes, disposées de manière irrégulière. Bien que l’ensemble ne réponde pas au schéma habituel, on ne saurait hésiter à y reconnaître un bâtiment de commandement. H. Schönberger a supposé que praetorium et principia formeraient encore ici un complexe unitaire. Il n’est pas possible, à partir de la découverte des casernes et de ce bâtiment de commandement, avec son organisation inhabituelle, d’identifier la troupe stationnée dans le fort. Schönberger l’estime à environ mille hommes. 200 La fonction du castellum est caractérisée par la présence de trois immenses borna (fig. 217). Ils ont été décelés à partir de sablières parallèles, larges de 0,25 à 0,50 m et séparées les unes des autres par un écart qui atteignait 1 m. À l’intérieur de ces sablières, et autant que les traces ont pu en être conservées, étaient placés, à intervalles d’environ 0,90 m, des poteaux de 0,15 à 0,25 m de diamètre. Les surfaces déterminées par ces sablières parallèles étaient limitées latéralement par d’autres sablières, d’une largeur de 0,60 m, et plus profondes de 0,30 à 0,40 m que celles de l’intérieur. Les poteaux internes étaient également éloignés les uns des autres de 0,95 m. Le principe de construction est celui d’un bâtiment en forme de plate-forme dont le plancher est surélevé au-dessus du sol, ce qui est caractéristique des bâtiments de stockage. À Rödgen, le magasin A faisait environ 47,2 x 29,5 m, le magasin B environ 33 x 29,5 m, et le magasin C environ 35,5 x 30,7 m. On ignore la nature des denrées conservées dans ces entrepôts (peut-être des céréales). 343 FIG. 217 Bad Nauheim/Rödgen. Coupe restituée des horrea (Schönberger & Simon 1976, fig. 8). 201 On n’a pas, jusqu’à présent, trouvé de puits à Rôdgen. Deux fosses profondes, l’une de plus de 2 m, l’autre de 1,84 m, pourraient être des citernes. Une fosse de 3 x 1,75 m, profonde de 1 m, est interprétée comme latrine. 202 Le camp a été fondé en 10 av. J.-C. et apparemment déjà abandonné vers 8 av. J.-C. ; cette datation est fondée sur l’absence totale de monnaies à l’Autel de Lyon. 203 BIBLIOGRAPHIE [2004] Baatz & Herrmann 1982 ; Schönberger & Simon 1976. BÂLE/PETIT-BÂLE (KLEINBASEL) Bâle‑Ville, Suisse (cartes fig. 2 et 3) 204 R. FELLMANN 205 Le burgus se situe dans la vieille ville médiévale du Petit-Bâle (Kleinbasel), dans le secteur des rues Rheingasse, Utengasse et Revernzgässchen. L’ouvrage fortifié est implanté à quelques mètres au-dessus du niveau normal du Rhin et se trouve, conformément aux têtes de pont de la fin de l’Antiquité, presqu’en face du castellum installé sur le Münsterhügel (cathédrale). On peut émettre l’hypothèse d’une liaison par bac entre les deux points. Le cours du Rhin se trouve aujourd’hui modifié par des aménagements artificiels. En cas de basses eaux, le burgus se trouvait autrefois relativement éloigné du fleuve ; lors de crues extrêmes, il pouvait cependant être atteint par les flots du Rhin. 206 Le burgus a été découvert en 1973 lors de travaux de construction. D’autres parties ont pu être dégagées en 1978. La question de savoir s’il s’agissait d’une tour médiévale (époque des Zähringen) a pu être résolue en 1998 par la découverte de matériel céramique semblant fixer la datation à la fin de l’Antiquité. Le castellum tardif comparable de Kloten (canton de Zurich), dont la datation à l’époque Valentinienne est prouvée par la numismatique, peut en outre servir de parallèle. 207 Il s’agit d’un ouvrage quadrangulaire (fig. 218) avec quatre tours d’angle aux trois quarts circulaires et une tour centrale carrée. Le dispositif mesure 21 x 21 m. L’épaisseur des murs oscille entre 3,92 et 3,97 m, les tours d’angle ont 6 m de diamètre. Caractéristiques sont les traces de poutres entrecroisées. La surface interne est 344 de 13 x 13 m. On a trouvé encore par endroits les restes du toit effondré sous forme de couches d’imbrices. Des édifices semblables montrent le même phénomène (burgus d’Untersaal sur le Donau-Iller-Rhein Limes et burgus de Kloten datable vraisemblablement de l’époque Valentinienne). FIG. 218 Bâle/Petit-Bâle. Le fortin (Moosbrugger 1979, fig. 4). 208 La construction au moyen de trames de madriers semble typique des édifices élevés sous l’empereur Valentinien (voir les burgi du Donau-Iller-Rhein Limes et le burgus d’Aegerten/ église de Bürglein). M. Martin a plaidé récemment, en raison de la découverte de céramique, pour une datation antique tardive du site. Il convient également d’observer que le burgus n’a joué aucun rôle dans la physionomie de la ville lors de la création du quartier du Petit-Bâle fondé vers 1225. Une des ruelles transversales (Revernzgâsslein) le coupe d’ailleurs. Le burgus devait déjà avoir été complètement arasé lors de la fondation de la ville. Il devrait s’agir de l’ouvrage fortifié mentionné par Ammien (XXX, 3, 1), que Valentinien fit construire en 374 “prope Basiliam”. En raison de l’incertitude grammaticale du passage concerné, le nom de Robur cité par l’historien ne peut être attribué de façon définitive au site. 209 BIBLIOGRAPHIE [2004] D'Aujourd'hui 1980 ; Fellmann 1992, 336 ; Martin 1998 ; Moosbrugger 1973 ; Moosbrugger 1978 ; Moosbrugger 1981. BAVAY BAGACUM Nord, France (carte fig. 12) 210 R. HANOUNE 211 La fortification de Bavay comprend deux parties, mais seul le castellum occidental, d’environ 2 ha, est assez bien connu. La muraille a ici épousé la forme du forum (fig. 219), ce qui donne à cet ensemble un plan approximativement rectangulaire, se 345 terminant en triangle à l’ouest ; les dimensions en sont de 216 à 240 m d’ouest en est, de 102 à 110 m du nord au sud. La muraille, régulièrement construite en moellons de calcaire avec arases de brique, est bien conservée (jusqu’à 8 m de hauteur au sud-ouest) sur les flancs sud (en face du musée archéologique) et ouest : elle reste imposante malgré la disparate des restaurations modernes. Si elle est anciennement connue dans le paysage urbain de Bavay (une première description remonte à la fin du XVIIIe s.), son dégagement date surtout du XXe s. (il n’est qu’esquissé sur le flanc nord) et son étude n’est encore que partielle. FIG. 219 Bavay. Plan des fortifications (Brulet & Thollard 1995, 26). T = tour. 212 Il apparaît en effet nettement que la muraille visible n’est que la troisième des défenses qui ont enveloppé le centre monumental de la ville du Haut-Empire. Dans un premier temps, les boutiques, surtout celles qui étaient disposées à l’extérieur du forum, sur le côté sud, ont été barrées par un mur à double parement, large de 1 m, assez mal bâti. 213 Dans un deuxième temps, une première vraie muraille, avec des tours circulaires aux angles (T6 et T10) et plusieurs tours semi-circulaires pleines (tours T4, 8, 11, 14 et 15), cerne complètement le forum. Si de nombreuses irrégularités, qui traduisent des contraintes encore inexpliquées, marquent la construction (les tours des flancs nord et sud ne se répondent pas, la courtine sud n’est pas rectiligne mais présente une avancée arrondie à la hauteur du milieu du forum, ce qu’on ne retrouve pas sur le flanc nord), dans l’ensemble cette muraille à double parement est solide (2-3 m de largeur). Elle se caractérise, malgré des différences dans les maçonneries, par le réemploi dans les assises inférieures de grands blocs de calcaire bleu provenant souvent de tombeaux monumentaux (leur fouille a permis la récupération de sculptures et d’inscriptions). Ces blocs se voient encore sur le flanc oriental du castellum qui se refermait sur le mur de fond de la basilique du forum et où la muraille a été élevée sur la terrasse qui 346 dominait le kardo (les remblais de cette terrasse ont été consolidés par des pieux qui ont été retrouvés sous les maçonneries de la courtine et des tours). 214 Dans une troisième phase, une seconde muraille, celle qui est actuellement visible, a entouré la précédente : de belle construction, sans remplois, elle est plus puissante (jusqu’à 5 m de largeur) et elle comporte au moins une porte monumentale, avec herse, entre deux tours (c’est la reprise de l’entrée sud-est du forum) ; elle présente de nouvelles tours pleines semi-circulaires (TI, 2, 3, 5, 7, 9, 12, 13) ; les tours de la première muraille ont simplement été intégrées dans la nouvelle construction) ; là où la courtine s’appuie sur la précédente, elle ne présente qu’un parement externe et la maçonnerie a, à l’intérieur, moulé les blocs de la fortification de la seconde phase ; là où, au contraire, elle s’en écarte (à partir du milieu du forum, après l’arrondi qui marque la première muraille sur le flanc sud), elle offre un double parement ; enfin, la fortification ne longe plus le côté oriental du forum, mais continue vers l’est comme on le voit bien encore à la hauteur de la tour T1. 215 Ici prend naissance ce qu’on a considéré comme un second castellum, à l’est du premier, d’environ 1,5 ha, mais cet ensemble est extrêmement mal connu et hypothétique (s’il se prolongeait, légèrement en oblique, jusqu’au centre de Bavay, il aurait une centaine de mètres d’ouest en est, mais les observations des pans de murs qu’on pourrait lui rattacher ne sont pas encore très convaincantes). 216 La fortification de Bavay est ainsi claire dans les grandes lignes mais elle donne lieu encore à bien des interrogations qui concernent : • les aménagements défensifs ; ainsi, on ne sait à quelle phase rattacher le creusement d’un grand fossé en V (3 m de largeur sur 8 de profondeur) qui a pris la place du decumanus au sud du forum : il a peut-être complété le bouchage des façades des boutiques ; • les irrégularités de l’implantation qui est assez différente au sud et au nord, qu’il s’agisse des portes, des poternes et des courtines, comme en témoigne une fouille récente (2002) entre les tours T11 et T12 ; • l’occupation militaire qui n’a pas laissé de traces à l’intérieur du castellum occidental (seuls des hypocaustes s’insèrent parmi les constructions publiques du Haut-Empire) : une fouille récente (2000) a montré néanmoins pour la première fois la présence d’un casernement installé sur le kardo à l’est du forum, soit à l’extérieur de la première fortification, peut-être en relation avec le castellum oriental ; • enfin, la datation des phases de construction : si l’ensemble de la fortification s’insère dans la période qui commence à la fin du IIIe s. et qui voit le déplacement du chef-lieu de la cité à Cambrai, tandis que Bavay entre dans le dispositif de protection de la frontière et de la route vers Cologne, la chronologie des différents chantiers ne peut être précisée à l’intérieur du IVe s. 217 BIBLIOGRAPHIE [2004] Boucly 1979 ; Brulet 1990 ; Brulet et al. 1995 ; Brulet & Thollard 1995 ; Hanoune et al. 2000 ; Thollard 1996a ; Thollard 1996b ; Thollard & Denimal 1998 ; Will 1962. 218 BEAUREGARD → ESTISSAC 347 BERGKAMEN/OBERADEN Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (carte fig. 3) 219 J.-S. KÜHLBORN 220 Le camp d’Oberaden se situe sur une légère éminence, à environ 3 km au sud de la Lippe, affluent droit qui se jette dans le Rhin à Xanten (Vetera). Les premières fouilles (1906-1914), sous l’égide de la Rômisch-Germanische Kommission, ont suivi essentiellement le tracé de la fortification et constaté l’emplacement des portes de l’enceinte (A à D) (fig. 220). Il convient de souligner que l’aménagement intérieur du camp, enregistré sur les anciens plans, est aujourd’hui largement caduc. Cela vaut également pour le système de voies dessiné à l’époque de façon schématique. Une seconde campagne se tint en 1936-1937 (Ch. Albrecht) ; en 1962-1963 eurent lieu des opérations de sauvetage ; depuis 1976, les recherches de terrain ont été continues. FIG. 220 Bergkamen/Oberaden. Plan général. dessin J.-S. Kühlborn. 221 Le plan polygonal du camp en bois et terre, d’une superficie totale de 56 ha, était orienté en fonction des contraintes topographiques. Le rentrant du rempart occidental, tel qu’on le voit sur les anciens plans, paraît à l’heure actuelle douteux. La fortification du camp (fig. 221, 222) était composée d’un fossé d’environ 5 m de largeur et 3 m de profondeur, ainsi que d’un mur en bois et terre de 3 m de largeur (fig. 30). Des tours avaient été intégrées dans le mur en bois et terre tous les 25 m environ. Une plateforme, vraisemblablement prévue pour l’installation de pièces d’artillerie, a été érigée sur la face interne du mur, à l’angle nord-ouest du camp (fig. 223). Une imposante porte d’enceinte avec rentrant (type V de Manning et Scott) s’élevait sur chacun des quatre côtés principaux du camp. Un bâtiment de 21,5 x 8,5 m avec entrée sur la via praetoria se 348 trouvait à l’ouest de la porta praetoria (7). On connaît des bâtiments comparables au niveau des portes d’enceinte sud et est du camp d’Anreppen. L’hypothèse d’un logement pour les gardes ou d’un magasin d’armes pourrait ici être également soulevée. Trois bassins en bois de 5 x 12 m ont été trouvés à proximité immédiate de l’enceinte ; il devrait s’agir de latrines pour les troupes (fig. 224-226). FIG. 221 Bergkamen/Oberaden. Le rempart nord-ouest est visible, à droite, sous la forme de ses deux tranchées de fondation de la palissade. Au milieu, restes de la tour 10. À gauche, drain. FIG. 222 Bergkamen/Oberaden La porte nord. dessin J.-S. Kühlborn. 349 FIG. 223 Bergkamen/Oberaden. La porte sud. dessin J.-S. Kuhlborn. FIG. 224 Bergkamen/Oberaden. Latrine. Murs latéraux constitués de clayonnages en bois. 350 FIG. 225 Bergkamen/Oberaden. Puits avec un entourage en forme de caisson en bois. FIG. 226 Bergkamen/Oberaden. Latrine. Détail des clayonnages en bois. 222 Malgré le tracé polygonal du camp, la surface intérieure du castellum était en grande partie subdivisée en insulae rectangulaires. Les bâtiments étaient essentiellement construits en colombages. Le praetorium (1), la via principalis de direction ouest-est, les principia (2) avec des fragments de la construction périphérique (4), ainsi qu’un autre 351 complexe de bâtiments placé au-delà de l’angle sud-est des principia (la maison dite “à atrium”, 3) ont été dégagés depuis 1985 dans le secteur central du camp (fig. 227). FIG. 227 Bergkamen/Oberaden. Plan général des bâtiments centraux. dessin J.-S. Kühlborn. 223 L’emplacement du praetorium, directement au centre du camp, est surprenant. Ce groupe de constructions centrales est composé de trois parties qui s’ajoutent l’une à l’autre : le véritable praetorium, une annexe latérale à l’ouest et une maison de tribun à l’est. La largeur de l’ensemble de la façade méridionale, incluant les bâtiments annexes, s’élève à 71 m. L’entrée principale se trouve sur la via principalis et se remarque sur le plan architectural par un vestibule de 11,5 m de large qui s’avance sur la rue. Vient ensuite un atrium de 28 x 10 m, puis une pièce flanquée sur les côtés de corridors étroits et ouverte en direction de la cour intérieure centrale. De petites cours intérieures, avec pièces adjacentes, donnent sur les deux côtés de l’atrium. À l’ouest et à l’est, des pièces de taille différente entourent la cour centrale (25,5 x 18,5 m). Les salles du nord constituent l’extrémité postérieure du praetorium. Une pièce remarquable par sa taille (11,5 x 7 m), flanquée d’un passage qui conduit à la via quintana, apparaît dans l’axe médian. Parmi les salles occidentales, la pièce d’angle au nord-ouest est chauffée par l’intermédiaire d’un foyer extérieur. Les salles orientales présentent en revanche une tout autre disposition : la répartition en pièces relativement petites, accessibles depuis un corridor extérieur, fait moins penser à des salles d’apparat destinées aux services ou aux bureaux qu’à des pièces de caractère plus privé. Certains traits caractéristiques de l’architecture des villae romaines apparaissent de manière évidente dans l’organisation dupraetorium. La position inhabituelle du praetorium au centre du camp, mais également sa somptueuse conception architecturale, témoignent d’une fonction exceptionnelle. Il est possible que cet édifice ait été destiné à Drusus, alors commandant militaire et administrateur des Gaules. 352 224 Le praetorium a été agrandi à l’ouest au moyen d’une construction de 14 m de largeur à la fonction indéfinie. Une maison de tribuns de 26 x 13,5 m apparaît directement à l’est du praetorium. Praetorium et maison de tribuns sont reliés par des entrées qui se font face, ainsi que des corridors disposés dans le même axe. Pour la personnalité logée ici, l’accès direct aux bâtiments de commandement devait être important. 225 Le déplacement surprenant des principia 103 x 94 m) au sud de la via principalis s’explique en raison de la position du praetorium au point d’intersection septentrional de la via principalis et de la via praetoria. L’entrée principale se situe sur la viapraetoria, non loin de la porte d’enceinte sud. Il n’est plus possible, en raison de destructions modernes, de prouver l’existence d’un vestibule. Une entrée supplémentaire avec un hall d’accès débordant sur la via principalis existe sur le côté postérieur septentrional. La cour intérieure présente des dimensions extérieures de 82,5 x 77 m et des portiques de 5 m de large sur les côtés ouest, sud et est. Les armamentaria latéraux manquent. Le portique est double le long du côté nord. Un petit vestibule conduisant dans la cour des principia apparaît devant l’entrecolonnement médian, légèrement plus large. Les piliers porteurs de la basilica s’intégraient dans le double alignement de colonnes. Les véritables salles de fonction (neuf pièces) suivent à l’arrière dans une aile d’environ 8 à 8,5 m de profondeur. 226 Les principia sont entourés de rues et jouxtés à l’ouest et à l’est par une zone de constructions denses. Les tracés incomplets de maisons individuelles, en partie dotées de cours intérieures, ont pu être repérés ainsi que, plus loin, le portique d’une rue. Une maison de 24 x 22 m, dont les pièces s’ordonnent autour d’un atrium, a ensuite été érigée au sud des principia dont elle est séparée par une rue large de 17 m. Ce bâtiment fit l’objet, pendant la courte période d’occupation du camp, d’un vaste agrandissement, au cours duquel sa façade occidentale fut avancée sur la via praetoria. Une cour péristyle de 25 x 25 m fut ajoutée au sud. Les fouilles actuellement en cours laissent supposer la présence probable d’un bâtiment traité d’une manière semblable sur le côté occidental de la via praetoria. La via praetoria, à l’origine nettement plus large, fut ainsi rétrécie à 12 m par ces deux édifices. 227 Le plan de la maison orientale montre lui aussi des liens avec l’architecture civile urbaine italienne. Le bâtiment était certainement destiné à un officier de haut rang. L’hypothèse d’une maison de légat est séduisante. Il faut cependant attendre le dégagement complet du pendant occidental pour pouvoir confirmer cette interprétation. Si l’on tient compte de la superficie totale du camp et des dimensions gigantesques des principia, il est tout à fait probable que deux légions aient été stationnées simultanément à Oberaden. Si cela est vrai, il faudrait alors également s’attendre à y trouver deux maisons de légat. 228 En dehors de la partie centrale, intensivement construite, seuls les environs de l’angle nord-ouest du camp ont livré de véritables découvertes. Quelques logements pour les troupes, avec les bâtiments correspondants pour les centurions (fig. 228), se situaient à cet endroit, entre la via sagularis et une voie du camp de dimensions plus importantes. Un vif débat, aujourd’hui dépassé, a eu lieu au sujet du type de logement des troupes. Alors que les tranchées de fondation pour les maisons de centurions avaient été dégagées, aucune n’avait été découverte dans le secteur du logement des troupes, ce qui conduisit d’abord à l’hypothèse d’un stationnement des troupes dans des tentes ou d’autres hébergements provisoires (hibernacula). Cependant sont apparus des restes lacunaires d’alignements de poteaux qui, par comparaison avec les fouilles des 353 casernements d’Anreppen, ont pu être interprétés comme vestiges de casernements en dur. La technique de construction, bien connue à Haltern, qui consiste à ouvrir des tranchées continues pour fonder les poteaux de bois a pu être également attestée de manière ponctuelle sur un autre emplacement du camp d’Oberaden. Il existait apparemment à l’époque augustéenne deux techniques différentes de construction des casernements. Un espace libre, à l’intérieur duquel se trouvaient latrines et puits, séparait les maisons des centurions des casernements. FIG. 228 Bergkamen/Oberaden. Plan général des baraquements à l’angle nord-ouest du camp. dessin J.-S. Kühlborn. 229 La fondation d’Oberaden est, grâce à la dendrochronologie, datée de manière absolue de l’année 11 av. J.-C. (Dion Cassius, 54, 33, 4). La fin du camp est placée, en raison des données dendrochronologiques, numismatiques et historiques en 8-7 av. J.–C. Le camp existait donc pendant les campagnes de Drusus en 11-9 av. J.-C. L’identité de la troupe stationnée à Oberaden n’est pas connue. D’après les découvertes d’armes, des troupes auxiliaires étaient également présentes à Oberaden à côté des soldats légionnaires. Plusieurs indices témoignent d’une évacuation méthodique du camp. Il n’y a pas de lien entre l’installation romaine et l’abandon d’une implantation indigène datant de l’âge du Fer, attestée en plusieurs points du camp. 230 Le castellum (2,5 ha) contemporain de Beckinghausen, à 2,5 km à l’ouest du camp d’Oberaden, sur le bord de la Lippe, assurait le ravitaillement du camp d’Oberaden en marchandises transportées par la voie du fleuve. 231 BIBLIOGRAPHIE [2004] Albrecht 1938-1942; Kühlborn 1992; Schnurbein 1981 . 354 BERRY-AU-BAC/MAUCHAMP Aisne, France 232 M. REDDÉ 233 Le camp de Mauchamp, près de Berry-au-Bac, dans la vallée de l’Aisne, a été fouillé en 1861 et 1862 par Napoléon III, qui y voyait le lieu de la bataille de 57 contre les Belges (fig. 229). Aucune fouille n’a eu lieu depuis lors, mais des photographies aériennes récentes viennent compléter et confirmer le dossier archéologique du XIXe s (fig. 230). FIG. 229 Berry-au-Bac/Mauchamp. Plan de situation du camp (Peyre 1979, 194). 355 FIG. 230 Berry-au-Bac/Mauchamp. a rempart du camp ; b angle nord-ouest, avec le départ d’un bracchium ; c porte avec sa clavicula (NB : la ligne brisée est due à une tranchée de la première guerre mondiale. photos B. Lambot 234 En 57, César tente de soumettre l’ensemble des Belges coalisés, sauf les Rèmes, qui se sont déclarés ses alliés. “Quand César vit que les Belges avaient fait leur concentration et marchaient vers lui, quand il sut par ses éclaireurs et par les Rèmes qu’ils n’étaient plus bien loin, il fit rapidement passer son armée au nord de l’Aisne, qui est aux confins du pays rémois, et établit là son camp. Grâce à cette disposition, César fortifiait un des côtés de son camp en l’appuyant à la rivière, il mettait à l’abri de l’ennemi ce qu’il laissait derrière lui, il assurait enfin la sécurité des convois que lui enverraient les Rèmes et les autres cités. Un pont franchissait cette rivière. Il y place un poste, et laisse sur la rive gauche son légat Q. Titurius Sabinus avec six cohortes ; il fait protéger le camp par un retranchement de douze pieds de haut, et par un fossé de dix-huit pieds... Il fit creuser en protection, des deux côtés de la colline, un fossé transversal d’environ quatre cents pas, et, à l’extrémité des fossés, il établit des redoutes, où il plaça des ballistes, afin que, la ligne de bataille une fois constituée, les ennemis, auxquels le nombre donnait un tel avantage, ne puissent pas envelopper les siens par les versants au cours du combat... Il y avait un marécage de faible étendue entre notre armée et celle des ennemis’’ (BG II, 5 et 8). La position de César est donc claire : une colline sur la rive septentrionale de l’Aisne. 235 Napoléon III et Stoffel firent creuser de longues tranchées à partir de la route de crête qui traverse le site. D’abord infructueuses, les recherches finirent par mettre au jour un ensemble de fossés formant un complexe presque carré de 658 x 655 m, aux angles arrondis, avec un pan coupé à l’est d’une superficie d’environ 42 ha (fig. 231). Cinq portes, dont deux à l’ouest, permettent d’y accéder. Ces portes sont défendues par des claviculae internes. Deux grands fossés, longs d’environ 750 m, partent l’un de l’angle 356 nord-ouest du camp vers un petit cours d’eau, la Miette, qu’il rejoint pratiquement ; l’autre part de l’angle sud-est vers l’Aisne, de sorte que la colline de Mauchamp est complètement barrée et qu’une manœuvre de contournement devient impossible. De petits fossés, dont le plan n’est pas clair, barrent transversalement, au nord, l’extrémité du bras septentrional ; ces fossés, peut-être emportés lors d’un changement du cours de l’Aisne, n’ont pas été retrouvés au sud, mais ont été restitués en pointillé sur le plan de Napoléon, qui y voyait la trace de redoutes. Trois questions ont été généralement débattues par les archéologues qui se sont occupés du dossier : • la cohérence du plan publié avec la description du récit césarien ; • la matérialité même des vestiges découverts ; • la chronologie du site. FIG. 231 Berry-au-Bac/Mauchamp. Vestiges romains, d’après l’Atlas de Napoléon III. 236 Sur le premier point, on ne peut que constater une réelle cohérence entre le plan levé par Napoléon et les détails du De Bello Gallico : Ch. Peyre a prouvé de façon convaincante que chacune des indications topographiques données par César correspondait à la réalité du terrain ; mais, même si l’on conteste telle ou telle interprétation du texte latin, on ne peut manquer d’être frappé par la cohérence du récit et des fouilles sur le point principal : l’existence des longs fossés de chaque côté de la colline. Il est vrai que les redoutes romaines n’ont pas été retrouvées, mais ces castella, nécessairement en bois, n’ont dû laisser que des trous de poteau, et on ne savait guère, vers 1860, reconnaître de tels vestiges. 237 On a contesté en outre la crédibilité des fouilles de Stoffel, notamment dans le tracé des défenses des portes et le dessin des claviculae. Les photographies aériennes prises par M. Boureux en 1976 confirment incontestablement la matérialité des vestiges, tandis que celles de B. Lambot, plus récentes, montrent la présence d’une clavicula (fig. 230c), 357 dont les récentes fouilles d’Alésia attestent l’existence dès l’époque césarienne. Lors des mêmes campagnes de reconnaissance aérienne a été mise en évidence la présence, près de la rivière, d’une structure trapézoïdale qui pourrait être un castellum. L’attribution du camp de Mauchamp à l’épisode de la bataille de 57 contre les Belges paraît donc aujourd’hui l’hypothèse la plus solide, d’autant que l’identification de l’oppidum de Bibrax avec le site de Vieux Laon, à 12 km de Mauchamp, a été récemment confirmée par la découverte –exceptionnelle– d’une monnaie baléare attribuée aux frondeurs auxiliaires de César. 238 [2004] Lambot & Casagrande 1997 ; Peyre 1979. BIBLIOGRAPHIE BIBLIS/ZULLESTEIN Hesse, Allemagne (carte fig. 13) 239 D. BAATZ 240 À 1,5 km environ à l’ouest de la centrale nucléaire de Biblis, et à peu près à 500 m du Rhin se trouve, à proximité du confluent actuel de la Weschnitz, le burgus tardif de Zullestein. Les recherches archéologiques menées de 1970 à 1972 ont mis au jour la construction romaine sous les restes de murs carolingiens et de l’époque des Staufer. 241 Il s’agit d’un embarcadère fortifié de la fin de l’Antiquité (fig. 232), dont la construction centrale est une imposante tour rectangulaire de 22,30 x 16,10 m au niveau des fondations et de 21,30 x 15,10 m en élévation. Le mur extérieur présente au rez-dechaussée une largeur de 2 m. L’ouvrage de maçonnerie est réalisé en petit appareil lié avec un mortier de chaux très dur. Deux massifs de fondation en pierre, d’une surface de 1,50 m2 et de 0,65 m de hauteur, ont été aménagés pour la construction des étages intermédiaires et du toit, dans l’axe nord-sud, au-dessus de la cave. Ils sont séparés l’un de l’autre par un écart de 4,20 m et s’élèvent à 5 m de distance du mur du burgus et à 4,50 m du mur occidental. Des restes de crépi sur la partie supérieure des massifs indiquent une élévation en pierre naturelle avec piliers, tout du moins au niveau de la cave. Il est ainsi possible d’admettre la présence de deux supports de 6 à 8 m de haut pour un étage intermédiaire supplémentaire et un toit à deux versants, ce qui laisse supposer l’existence d’un dispositif de tour à trois étages et doté de créneaux, avec un toit en bâtière couvert de tuiles. Des catapultes légères à flèches devaient y être vraisemblablement placées pour la défense. 358 FIG. 232 Biblis/Zullestein. Le débarcadère fortifié (Herrmann 1989, h.t.). dessin W. Jorns. 242 L’entrée du burgus, d’une largeur de 1,80 m, se situe au rez-de-chaussée ; elle donne vers l’ouest dans la cour intérieure, et de là vers le fleuve. Le seuil de la porte n’a pas été conservé, il se trouvait par conséquent plus haut que la limite supérieure de la construction actuelle. La porte était encadrée de deux piliers et munie de deux à trois marches. Le sol de la cave se situait à environ 0,90 m au-dessus des fondations du mur du burgus, épais de 2,60 m qui, à 1,80 m en élévation, n’avait plus que 2 m de largeur. Sous le sol se trouvait une couche de sable jaune, épaisse de 10 à 12 cm, dans laquelle se distinguaient de petites particules circulaires colorées. Il s’agissait des restes de petits poteaux de 15 à 25 cm de longueur et de 7 à 9 cm d’épaisseur qui avaient dû servir à la construction d’un plancher en bois suspendu au-dessus de la couche de sable. Un tel plancher en bois, au niveau de la cave du burgus, pourrait faire présumer le stockage de réserves de nourriture comme dans un grenier à céréales (horreum). En raison de l’état du site, la répartition des pièces à l’intérieur du burgus n’était plus lisible. Le niveau de la cave et les étages supérieurs étaient apparemment accessibles par des escaliers intérieurs. 243 Aux deux petits côtés de la tour étaient reliés les bras latéraux, d’une longueur de 9,80 m qui rejoignaient deux petites tours d’angles carrées (longueurs des côtés : 3,90 m). À partir de là descendaient à angle droit deux murs latéraux, d’une longueur d’au moins 15 m (peut-être 21m) jusqu’à la Weschnitz. La limite ouest n’a pu être observée car les murs ont été emportés par les eaux. On ne peut par conséquent dire de façon sûre si les murs se terminaient ici par de petites tours semblables à celles que l’on connaît dans d’autres burgi (Engers, Mannheim / Neckarau, Nogradveröce, en Hongrie). La cour intérieure, d’une largeur de 42 m était au moins en partie pavée, car un pavement de galets de rivière a pu être repéré à 5 m à l’ouest de l’entrée de la tour. 359 244 L’ensemble du dispositif était entouré, à une distance de 6 m (au nord et à l’est) et d’environ 3 m (au sud), d’un fossé en V de 5 m de largeur. Deux fonds de fossé au nord témoignent d’une restauration du fossé d’enceinte. Une palissade courait encore devant les fossés en V, à une distance d’à peu près 28 m du fortin. 245 D’après le matériel découvert en fouille, le burgus a été construit à l’époque de Valentinien et subsista jusqu’aux environs de 400 ap. J.-C., peut-être en relation avec les carrières de granit du Felsberg dans l’Odenwald, à partir desquelles des colonnes et autres éléments de construction ont vraisemblablement été transportés par voie d’eau sur la Weschnitz, puis sur le Rhin et plus loin encore jusqu’à Trêves. 246 BIBLIOGRAPHIE [2004] Baatz 1989 ; Baatz & Herrmann 1989 ; Herrmann 1989 ; Jorns 1978 ; Schleiermacher 1942. BIESHEIM ET KUNHEIM/OEDENBURG ARGENTOVARIA ? Haut-Rhin, France (cartes fig. 5 et 13) 247 M. REDDÉ 248 Le site archéologique communément appelé Oedenburg s’étend sur deux communes (Biesheim et Kunheim, département du Haut-Rhin), immédiatement au nord de NeufBrisach, en bordure même du Rhin. Les vestiges archéologiques repérés s’étalent sur environ 200 ha (fig. 233). Le relief, globalement plat, est toutefois marqué par une éminence très sensible au lieu-dit Altkirch, et par des paléochenaux en partie asséchés aujourd’hui. Jusqu’à sa canalisation, le fleuve était dans cette région constitué par des bras multiples, assez aisés à traverser, au milieu d’une plaine partiellement marécageuse. Le site est dominé à l’est, sur la rive germanique, par le massif volcanique du Kaiserstuhl. 360 FIG. 233 Biesheim et Kunheim/Oedenburg. Plan des prospections géomagnétiques sur le site (Posselt et Zickgraf). 249 Les premières découvertes remontent à la fin du XVIIIe s. Mais c’est surtout à partir de la construction du canal de dérivation, en 1868, que l’on entend parler du site. Les érudits de l’époque avaient conclu à l’existence d’une villa. Quelques années plus tard, en 1877, A. Cestre, ancien conducteur des travaux du Rhin, relate la découverte de vestiges à l’occasion du creusement d’un fossé parallèle au canal de dérivation. Il publie en outre un plan topographique, aujourd’hui conservé au musée d’Altkirch, et qui a le mérite de montrer la position d’Oedenburg en bordure d’un fleuve encore très largement divagant. Ces trente dernières années ont vu proliférer une multitude de petits sondages qui n’ont pas véritablement éclairé la topographie générale, et de nombreuses prospections de surface qui ont collationné un important matériel archéologique, actuellement au musée de Biesheim. Depuis 1998, un vaste programme de recherches franco-germano-suisse a permis de commencer l’exploration du site. 250 Du point de vue de la géographie politique, Oedenburg appartient au territoire des Rauraques et a très fréquemment été identifié avec Argentovaria, mentionné par Ptolémée (II, 9, 9), l’Itinéraire Antonin (Cüntz éd., 1990, p. 353, 3) et la Table de Peutinger. 251 Le complexe militaire julio-claudien a été identifié grâce aux différentes couvertures aériennes (Braasch, Goguey), qui révèlent l’existence de deux enceintes rectangulaires concentriques A et B (fig. 234). Les fouilles ont montré que A précédait B. De ce fait, l’intérieur de la fortification primitive est largement oblitéré par les reconstructions ultérieures. En outre le canal moderne semble avoir partiellement détruit les structures des deux édifices, ce qui ne permet pas de connaître leur longueur. En l’état actuel de nos connaissances, le camp B mesure environ 200 x 175 m, avec une superficie d’au moins 3,5 ha, le camp A occupe un espace de 160 x 135 m (minimum), soit une surface d’au moins 2,16 ha. La forme générale des deux enceintes semble celle d’un rectangle 361 régulier aux angles arrondis. Seule la disposition interne du camp A commence à être connue. Les photographies aériennes y révèlent en effet un réseau de voies internes parallèles ; ces clichés sont toutefois trop peu explicites pour qu’on puisse identifier les différents bâtiments. Les fouilles ont mis au jour les trois portes conservées, au nordest (fig. 235), au sud-est et au nord-ouest (fig. 236). La position des deux portes simples permet de localiser l’axe de la via principalis. Les principia, en cours de fouille, doivent être localisés au nord-est de la via principalis (fig. 234). FIG. 234 Biesheim et Kunheim/Oedenburg. Plan du complexe militaire julio-claudien. dessin M. Reddé. 362 FIG. 235 Biesheim et Kunheim/Oedenburg. Plan du rempart nord-est du petit camp et magasins derrière le rempart. dessin M. Reddé. FIG. 236 Biesheim et Kunheim/Oedenburg. Porte nord-ouest. dessin M. Reddé. 252 L’articulation générale du camp B reste très mal connue. La position de la porte nordest peut être approximativement localisée, grâce à l’axe de la voie intérieure, bordée de casernements (fig. 237). Cette orientation du camp primitif diverge quelque peu, dans 363 cette zone, d’avec celle des structures du camp postérieur. En revanche, dans les parages de la porte nord-ouest, cette différence d’axe semble nettement moins sensible. FIG. 237 Biesheim et Kunheim/Oedenburg. Casernement dans le "grand camp". dessin M. Reddé 253 Les photographies aériennes ne révèlent clairement qu’un seul fossé autour du camp B. L’unique fouille menée, au nord-est, sur ce système défensif n’a pas permis de déterminer la nature du rempart, dont les boisements n’ont pu être reconnus, à l’exception possible d’une tour. À sa place a été observé un deuxième fossé intérieur, dont on ne saurait affirmer qu’il a fonctionné en même temps que l’autre. La seule structure bien identifiée, pour l’instant, est un groupe de deux casernements séparés par une ruelle. Il s’agit très clairement de constructions sur sablières basses de bois, dans lesquelles on distingue un double système d’antichambres (environ 3 x 2 m) ouvrant sur la rue, suivies, à l’intérieur, d’une série de chambrées (environ 4x3 m). Une telle disposition, caractéristique des baraquements militaires, révèle en outre, à l’extrémité de chaque bloc, vers le rempart, une structure plus grande, avec des subdivisions internes, où l’on reconnaît aisément le logement du centurion. La longueur des baraques, coupées, au sud, par le fossé du “petit camp”, n’est pas connue. Une série de dépotoirs, de latrines, de silos et de puits est venue parasiter l’ordonnancement initial de cet ensemble. D’autres casernements ont été observés près de la porte nord-ouest, mais leur fouille est restée incomplète. 254 Le camp A a révélé la présence de deux fossés contemporains. Le rempart, large d’un peu plus de 4 m sur le front nord-est (fig. 235), ne dépasse guère 2,75 m près de la porte nord-ouest. Dans les deux cas, il s’agit d’un rempart en terre sous coffrage de bois. Ce dernier repose sur des poutres longitudinales basses, apparemment sans tirants transversaux au niveau du sol. La porte nord-ouest, large de 3 m environ, est flanquée 364 de deux tours carrées d’environ 3 x 3 m, à quatre poteaux. La porte nord-est présentait une largeur d’environ 4 à 4,5 m. On ne connaît pas les tours intermédiaires. 255 À l’intérieur ont été fouillés deux bâtiments, dans les parages de la porte nord-est, immédiatement derrière la via sagularis : un petit horreum de 12 x 4 m environ, ancré sur quatre paires de puissants poteaux, avec des tirants transverses dans lesquels s’implantent des boisements verticaux de section circulaire, très serrés ; un magasin à cour centrale, d’environ 25 x 20 m, dont seule la partie septentrionale a pu être fouillée. Il s’agit d’une construction sur sablières basses de bois, avec un portique sur les grands côtés de la cour (fig. 235). 256 Le camp B semble avoir été fondé dans les années 20 après J.-C., au plus tard. La date de construction du “petit” n’est pas connue ; l’occupation dure jusqu’à la fin de l’époque julio-claudienne, voire légèrement au-delà. 257 Immédiatement au sud-est du camp s’étend un vicus civil, quasi contemporain de l’installation militaire, mais qui a perduré bien au delà. Les prospections géophysiques, les photographies aériennes et les premiers sondages permettent désormais d’appréhender partiellement son plan, largement dépendant des chenaux qui parcouraient le site. Différentes tuiles estampillées des VIII e et XI e légions montrent la double influence des bases principales de Strasbourg et de Windisch à Oedenburg, sans que ceci soit pour l’instant relié à une présence militaire effective. Vers le sud apparaît une zone de temples indigènes. 258 L’occupation de l’Antiquité tardive est concentrée autour des buttes d’Altkirch et de Westergass. Les fouilles récentes ont mis en évidence sur cette dernière un grand monument civil à cour interne et pavillons d’angle, ouverts à l’ouest qui est un praetorium routier. Les fouilles ont aussi révélé, sur la butte d’Altkirch, la présence d’une forteresse tardive de 125,77 x 92,95 m, avec de gros murs épais de 3 m, centrée sur une cour interne avec des bâtiments accolés au rempart (fig. 238). La particularité de cet édifice est constituée par ses bastions d’angle, à double saillant (un sur chaque face), qui apparente l’édifice au palatiolum de Trèves-Pfalzel. Deux portes, l’une au nord, l’autre au sud, sont percées dans l’un des bastions médians. Deux autres bastions intermédiaires ont été reconnus à l’est et à l’ouest. Au nord et au sud a été reconnu un fossé à fond plat, large de 6 à 8 cm, profond de 2 à 3 m. La technique de construction, sur micropieux de bois (fig. 239), semble caractéristique de l’époque de Valentinien. La présence de bâtiments au centre de l’espace reste pour l’instant hypothétique. Une église altomédiévale s’est installée dans l’angle sud-est. 365 FIG. 238 Biesheim et Kunheim/Oedenburg. Le palais-forteresse de Valentinien, a état de la fouille en 2003 ; b reconstitution. dessins S. Feldhusen et S. Berg. FIG. 239 Biesheim et Kunheim/Oedenburg. a traces des pieux de bois fondant le rempart du palais-forteresse de Valentinien ; b négatifs des poutres coulées dans le radier de béton des fondations. photos G. Seitz. 366 [2004] Nuber & Reddé 2002 ; Reddé et al. 2005. 259 BIBLIOGRAPHIE 260 BLANC MONT (LE) → FOLLEVILLE BONN BONNA Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (cartes fig. 3, 5, 6, 7, 8 et 12) 261 M. GECHTER 262 Bonna semble avoir été une création ubienne sur une presqu’île située au débouché de l’étroite vallée du Rhin moyen vers la plaine de Cologne (fig. 240). Les Ubiens se sont vraisemblablement installés à cet endroit peu après les campagnes de César. Des troupes romaines furent ensuite cantonnées sur ce site indigène en 12 av. J.-C. Mais il n’y eut à Bonn aucune troupe pendant l’offensive en Germanie. C’est seulement après la défaite de Varus qu’un camp permanent polygonal fut érigé sur le site indigène primitif pour deux corps auxiliaires, l’ala Frontoniana et la cohors la Thracum, qui stationnèrent jusqu’à l’époque claudienne. Au sud du camp auxiliaire se trouvait à la même époque un poste dans lequel servaient, entre autres, des légionnaires de la XXI e légion de Xanten. Les troupes d’occupation de Bonn ont été également renouvelées lors des campagnes de Bretagne. Un camp de légionnaires fut alors construit. Il abrita la I e légion, l’ala Pomponiani et la cohors Va Asturum. FIG. 240 Bonn. Le site au IIe s. p. C. plan M. Gechter 367 263 Le camp légionnaire de Bonn est, avec 27 ha, le plus grand que l’on connaisse pour une légion unique. L’état en bois, reconstruit dans les années 52-54 ap. J.-C., est, en revanche, à peine observable. Lors du soulèvement des Bataves, au printemps 70, les troupes en garnison y mirent le feu. A l’automne de la même année arriva à Bonn la XXIe légion qui reconstruisit le camp jusqu’en 75 ap. J.-C. Ce camp avait la même taille que la construction précédente. Une aile et une cohorte supplémentaires semblent à nouveau y avoir été stationnées (fig. 241). FIG. 241 Bonn. Le camp légionnaire : première phase en pierre, après 71 p. C. plan M. Gechter. 264 Le camp de Bonn a un plan pratiquement quadrangulaire de 520 x 518 m (mesures intérieures) et une surface interne de 26,9 ha. Le mur présentait une largeur de 1,5 m et le chemin de ronde courait au-dessus d’un talus de terre. Un fossé au moins existait devant le mur d’enceinte. Jusqu’à présent, aucune tour n’est connue. Les portes offraient les doubles passages habituels à cette époque, avec deux tours latérales. 265 L’intérieur est divisé en six scamna. Au sein d’un système 4 x 2 x 4, les cohortes légionnaires sont réparties dans le premier, le quatrième et le sixième scamnum. Dans le premier scamnum se trouvaient la quatrième, la seconde, la troisième et la cinquième cohorte ainsi que, de chaque côté de la via praetoria, des greniers à céréales, des entrepôts et un édifice à vocation économique de type bazar. Dans le deuxième scamnum étaient placés les thermes, une fabrica, des tabernae, à l’intérieur desquelles se trouvaient des fours de fusion pour le verre et les métaux ou alliages lourds non ferreux. De plus, un bâtiment de dimensions plus importantes s’élevait à cet endroit ; il peut être vraisemblablement identifié, comme dans le cas de Neuss, avec le logement d’un préfet d’aile. On pourrait alors encore admettre, à l’intérieur de ce scamnum, l’existence de logements pour une aile ainsi que des écuries. Seules de vagues traces de 368 bâtiments d’habitation relativement grands ont été repérées dans le troisième scamnum. Il doit s’agir des logements des tribuns militaires et du préfet du camp. La schola de la première cohorte devait sans doute s’élever également à cet endroit. Les tabernae se trouvaient en façade de la via principalis. 266 Dans le quatrième scamnum se situent les quartiers de la première et de la sixième cohorte, ainsi que le praetorium, les principia et l’hôpital militaire. Les tabernae ont été construites devant, directement sur la via principalis. À l’intérieur du cinquième scamnum se trouvent les logements d’une cohorte d’auxiliaires, des casernements d’immunes, l’hôpital qui s’étend sur deux scamna, et un bâtiment à vocation économique du type à cour. Des tabernae existaient également le long de la via decumana. 267 Dans le sixième et dernier scamnum se trouvent les logements des septième, neuvième, dixième et huitième cohortes ainsi qu’un bâtiment à vocation économique du type à cour. 268 Deux constructions interprétées comme latrines ont été attestées dans le secteur de l’agger. Un bassin se trouvait dans l’angle nord-ouest du camp. 269 L’alimentation en eau était assurée au Ier s. au moyen de puits, au canalisation venant des contreforts des collines avoisinantes. 270 Le camp perdura jusqu’en 353 ap. J.-C. avec en tout quatre phases en pierre, mais seul l’intérieur fut modifié. La réorganisation de l’espace intérieur à partir du milieu du IIIe s. ap. J.-C. –et en particulier sous Dioclétien et Constantin– relève pour l’instant uniquement de l’hypothèse ; elle ne toucha cependant pas la fortification. Après le départ de la XXIe légion à Mayence, en 83 ap. J.–C., la la Minervia s’installa à Bonn, où elle est attestée jusqu’en 295 ap. J.-C., mais sa présence est vraisemblable jusqu’en 353 ap. J.-C. À partir de cette époque, l’aqueduc fut abandonné, l’eau étant désormais fournie par des puits nouvellement creusés. À l’intérieur du camp, des nivellements sont attestés dans le secteur nord-ouest de la retentura. La présence de l’armée a sans doute été réduite à l’angle nord-est, la population civile subsistante s’est installée dans l’autre secteur et il restait éventuellement de la place pour un stationnement temporaire de troupes de campagne. Une église dédiée à saint Pierre fut alors élevée à l’intérieur d’une ancienne caserne double, dans l’angle sud-ouest du camp. C’est seulement lors de la deuxième attaque des Francs, en 353 ap. J.-C., que le camp fut détruit et la garnison anéantie. Sous l’empereur Julien, le castellum fut de nouveau reconstruit sur le même plan (fig. 242). Le mur d’enceinte, avec 1,5 m d’épaisseur, était relativement étroit, le chemin de ronde reposait sur des contreforts qui faisaient saillie tous les 3 m vers l’intérieur. Des tours internes, sur lesquelles étaient placées des balistes, s’élevaient désormais tous les 50 m. Un système de fossé double courait devant le mur d’enceinte. Une nouvelle caserne fut construite dans le secteur nord-est. Les trois quarts au moins de l’espace intérieur étaient désormais libres et offraient de la place pour un aménagement civil ou pour d’autres stationnements temporaires de troupes. L’église subsista. L’occupation militaire du castellum est attestée encore dans le premier tiers du Ve s. ; il n’y a plus ensuite de matériel datable. IIe s. par une 369 FIG. 242 Bonn. Le camp à l’époque de Julien. plan M. Gechter. 271 [2004] Gechter 1987 ; Gechter 1995b. BIBLIOGRAPHIE BOPPARD BODOBRICA Rhénanie-Palatinat, Allemagne (carte fig. 13) 272 H. FEHR 273 Le castellum tardif de Boppard (fig. 243) se situe juste au bord du Rhin, à 82 km au nordouest de Mayence et 25 km au sud de Coblence, sur un terrain en pente faible. 55 m séparent encore le front nord du camp de la rive du fleuve. À environ 250 m de la courtine sud du castellum, le terrain monte de façon abrupte jusqu’à la terrasse intermédiaire de la vallée du Rhin moyen. Le terrain choisi pour l’emplacement du camp est pratiquement plat dans le sens de la longueur du fortin, alors qu’il présente perpendiculairement une dénivellation d’environ 2 m en direction du fleuve. Un vicus des Ier-IIIe s., sans doute abandonné à l’époque de la construction du castellum, se situe également sur un cône d’alluvions à 900 m en aval. 370 FIG. 243 Boppard. Le castellum au IVe s. 274 Un relevé précis des restes des constructions a été réalisé par G. Stein dans les années 1959-1962. En 1963-1966, H. Eiden put, pour la première fois, mener à bien des fouilles extensives à l’intérieur du fortin ; elles dégagèrent non seulement les vastes thermes situés à proximité et à l’intérieur de Saint-Sévère, mais mirent également en évidence le réaménagement de ces derniers en une église paléochrétienne avec ambon et piscine. Les thermes fouillés constituèrent la première preuve de l’aménagement intérieur du castellum, dont aucun autre édifice, en raison du tissu dense de constructions du Moyen Âge et de l’époque moderne, n’avait été jusqu’à cette date mis en évidence. De 1975 à 1979, l’angle sud-ouest du castellum fut complètement arasé avec trois tours sur une longueur d’environ 125 m. En 1979, le montant sud de la porte ouest a pu être dégagé et analysé. A l’occasion de travaux de construction en 1989, puis en 1990-1993, des fouilles préventives prouvèrent la présence de halles, longues et étroites, pouvant être interprétées comme des baraquements. 275 Le castellum est de plan rectangulaire, avec un grand côté de 308 m, parallèle au Rhin, et des petits côtés est et ouest de 154 m de longueur (fig. 244). L’enceinte, constituée d’un mur de 8,5 m de hauteur, englobe une superficie de 4,7 ha. La courtine a une épaisseur, côté terre, de 3 m, qui se réduit le long du Rhin à 2 m, dans la mesure où le fleuve garantissait une protection supplémentaire. Vingt-huit tours semi-circulaires, pour certaines d’entre elles encore presque entièrement conservées dans leur élévation, étaient disposées à des intervalles à peu près réguliers de 27 m. Elles font une saillie de 2 m à angle droit par rapport à la courtine, puis dessinent un demi-cercle. Nous n’avons pas découvert jusqu’à présent de fossé devant le rempart. 371 FIG. 244 Boppard. Angle sud-est du rempart. photo M. Reddé. 276 Pour ériger la courtine, a été creusé un fossé de fondation large de 3,5 m, avec, de chaque côté, un espace de circulation large de 0,7 m et profond de 1,7 à 1,8 m. Si l’on ajoute le déblai des vingt-huit tours, ce sont en tout 10 000 m 3 de terre qui ont été remués, ce qui correspond à une prestation de travail d’environ 3 350 journées. À l’intérieur du fossé de fondation avait été aménagée, sur le fond, une couche de dalles de grauwacke d’une épaisseur de 0,75 m ; dans les zones où il fallait compter avec un fort degré d’humidité du sol, elle remplissait également l’espace de circulation. Audessus se trouvent les fondations, maçonnées sur 1 m de hauteur, parementées avec des moellons disposés par assises sur un cœur en opus caementicium. La partie interne des fondations est constituée de moellons de plus grandes dimensions (0,4 x 0,3 m), posés sans régularité. Sur le rocher se trouve un chanfrein du soubassement constitué de trois assises de pierres de taille, où alternent les couches de pierres claires et foncées qui constituent un élément de décoration manifeste. La présence d’un crépi n’a été attestée, par ailleurs, à aucun endroit de l’élévation. 277 Les faces interne et externe de la courtine sont composées d’une maçonnerie de pierres de taille simplement épannelées, disposées en assises régulières jointoyées au mortier. Entre les deux revêtements se trouve l’opus caementicium auquel a été adjoint du tuf, donnant une texture de mur exceptionnellement dure et résistante. À Boppard, la courtine est en certains endroits conservée jusqu’à une hauteur de 8,5 m, et nous supposons que le mur était, à l’origine, à peine plus haut. La présence de créneaux ou d’indices d’un chemin de ronde en bois n’a pas été attestée. De même les traces des accès au sommet des murs manquent. Une montée au-dessus d’un vallum interne ou sur les toits des baraquements construits le long du rempart exclut la présence d’une large via sagularis, aussi bien pour la face sud que pour la face ouest du castellum. 278 Les tours, saillantes, présentent des fondations nettement moins profondes que celles de la courtine et une épaisseur plus réduite de près d’un mètre (2,1 m). Elles reposent sur un radier d’opus caementicium, débordant d’environ 0,3 m, épais de 0,2 à 0,3 m, 372 composé de cailloux et en moindre quantité d’éclats de tuiles. Le parement du soubassement est formé de blocs de calcaire équarris pouvant aller jusqu’à 1 m de long, très soigneusement travaillés, chanfreinés vers l’extérieur. Une maçonnerie identique à celle de la courtine s’élève au-dessus du soubassement. Les tours ont une hauteur égale à celle du mur d’enceinte et présentent à l’intérieur deux étages d’un diamètre interne de 3,6 m. Elles sont accessibles uniquement depuis le chemin de ronde. Le niveau intermédiaire est composé d’une coupole surbaissée en blocage avec, au centre, une ouverture de la taille d’un homme permettant d’accéder au rez-de-chaussée au moyen d’une échelle. Dans la mesure où la garnison du castellum était constituée de milites ballistarii (artilleurs), l’existence sur les tours de pièces d’artillerie à torsion est vraisemblable. 279 Des portes sont supposées au milieu des côtés est et ouest du camp que devait traverser la route Mayence-Cologne. Il s’agit de portes bastions flanquées de tours. Le passage a une largeur de 7 m et une profondeur de 9 m ; il pourrait avoir été divisé en deux par un pilier central. A proximité de la tour 21, sur le côté nord, une poterne menait à la rive du Rhin alors qu’aucun passage ne semble avoir existé sur le côté méridional. Dans la topographie urbaine actuelle, la voirie tardo-antique est encore nettement reconnaissable dans l’Oberstrasse (est-ouest) ainsi que dans la Kirchgasse et la Krongasse (nord-sud). 280 Les fondations de la courtine sont interrompues par une canalisation d’eau à proximité immédiate de la partie orientale de la tour 9. Cette canalisation a une largeur interne de 1 m et une hauteur de 1,38 m. Elle est recouverte par une voûte surbaissée. La base et les parois de ce canal étaient revêtues de plaques de tuf ; les rangées inférieures, posées de biais, formaient une large rigole pour l’écoulement de l’eau. Il est vraisemblable que le canal était couvert sur le glacis de l’enceinte ; du côté de la ville, il devait de toute façon être muni d’une couverture dans la mesure où la clef de sa voûte était située à un niveau un peu plus profond que la partie du soubassement interne du mur. Il devait s’agir de l’adduction principale en eau douce du castellum ; de ce passage, le canal atteignait en ligne droite les thermes du camp. 281 L’aménagement intérieur du fortin est jusqu’à présent assez mal connu, car le secteur a été le théâtre permanent d’une construction intensive dès la fin de l’époque romaine. Est toutefois attestée, derrière le rempart nord du castellum, la présence de trois halles à double nef (11 x 5 m). Les longs côtés étaient alignés contre la face occidentale de la forteresse. Il en va de même derrière le rempart sud dans le secteur des tours 8 et 9. Il s’agit là sans doute de baraquements. Il apparaît très clairement qu’entre les bâtiments intérieurs et le côté interne du mur d’enceinte du castellum, une bande de terrain d’une largeur régulière avait été laissée vide de toute construction, afin que l’on puisse atteindre le plus rapidement possible les points en danger (via sagularis). Dans l’état actuel de nos connaissances, l’intérieur du camp semble avoir été moins régulièrement bâti que les castella des Ier-IIIe s. ap. J.-C. 282 L’édifice thermal (50 x 35 m) a été édifié du côté du Rhin, le long du mur d’enceinte, vers l’intérieur, entre les tours 20 et 21. Le bâtiment, en grauwacke schisteux, présentait sur sa face extérieure un crépi brun rouge ; ses fenêtres étaient munies de vitres et le toit doté de l’habituelle couverture en tuiles. La façade de l’édifice était orientée vers le sud, en direction du soleil. Édifice le plus grand à l’intérieur du castellum, les thermes, en raison de leur construction massive, ont été encore partiellement utilisés, même après l’abandon du fortin. Une salle de réunion a d’abord 373 été construite à l’intérieur du balnéaire, puis peu de temps après agrandie et convertie en une église paléochrétienne avec un ambon de 6 m de longueur dans la nef centrale. La cuve à demi enterrée devant le massif occidental prouve sans équivoque la fonction baptismale de cette église. 283 De nombreuses monnaies, dont l’une trouvée au fond de la tranchée de fondation de la porte occidentale du camp, permettent de dater les débuts de la construction dans les premières décennies du IVe s. ap. J.-C. L. Bakker propose également une datation dans la première moitié du IVe s. au vu du mobilier céramique. Quatre monnaies de Constantin II relevées sous le sol du vestiaire des thermes situent la construction de cet édifice autour de 341 ap. J.-C. au plus tôt. Les briques estampillées de la XXII e légion limitent la période de construction jusqu’aux années 352-355. L’aménagement intérieur –en particulier la réalisation d’un vaste complexe thermal– peut parfaitement avoir eu lieu après la construction du rempart. Dans l’état actuel de nos connaissances, une érection du castellum Bodobrica sous Julien (352-355) est peu vraisemblable. La série monétaire se termine avec Honorius (395-425). 284 La Notifia Dignitatum (Occ. XLI, 23) nous apprend que des milites ballistarii, corps d’artillerie, étaient stationnés dans le castellum. Celui-ci fut, pendant plus d’un demisiècle, sous administration militaire et occupé par des troupes, jusqu’à ce que, au début du Ve s. ap. J.-C. après l’abandon des frontières romaines et le retrait des troupes, des structures civiles s’établissent à l’intérieur du camp. 285 BIBLIOGRAPHIE [2004] Eiden 1979 ; Eiden 1982 ; Fehr 1979 ; Fehr 1997 ; Stein 1966 BOULOGNE-SUR-MER GESORIACUM Pas-de-Calais, France (cartes fig. 12 et 16) 286 CL SEILLIER 287 Etablie à Gesoriacum (Boulogne-sur-Mer), la base continentale de la classis Britannica est dominée par un camp édifié au sommet de l’ancienne falaise, le Sautoir, qui surplombe l’estuaire de la Liane (fig. 245). Trois des faces de l’enceinte sont connues, ce qui permet d’attribuer à la fortification, dont l’axe porte prétorienne/porte décumane est très exactement orienté sud-ouest/ nord-est, une superficie de 12 ha environ (approximativement 395 x 302-303 m). La zone portuaire s’étend au sud-ouest entre le camp et la rivière. Au sud-est, l’axe principal de l’agglomération civile prolonge la voie qui mène vers Amiens et Lyon. Un autre axe important conduit vers le Rhin par Bavay, Tongres et Cologne. 374 FIG. 245 Boulogne-sur-Mer. Plan de la cité sous le Haut-Empire, Ier-IIIe s. dessin Cl. Seillier 288 Dès le XVIIIe s., des témoignages épigraphiques attestent la présence à Boulogne de la classis Britannica. Au siècle suivant, la découverte de nombreuses tuiles estampillées a permis de localiser la zone portuaire d’époque romaine. Mais l’existence d’un camp militaire qui correspond à Factuelle ville haute, délimitée par l’enceinte médiévale, n’a été révélée que par les fouilles qui ont débuté en 1967, sous la direction de Cl. Seillier. Elles ont surtout porté sur l’exploration des casernements de la moitié nord de la retentura, ainsi que sur la courtine nord-ouest et ses abords. A ces deux fouilles extensives s’ajoutent des sauvetages ponctuels lors de l’ouverture de chantiers de construction (fig. 246). 375 FIG. 246 Boulogne-sur-Mer. Le camp de la dassis Britannica. Plan général et plan des fouilles sur le rempart occidental (d’après Cl. Seillier). 289 Le rempart, large de 1,80 m, subsiste sur une hauteur maximale de 2,90 m dans les deux secteurs fouillés. Il repose sur une fondation de pierres brutes par l’intermédiaire d’une semelle formée de deux niveaux de dalles liées à la chaux et recouvertes d’une couche de mortier. Des tours internes rectangulaires, dont deux ont été dégagées, renforcent la courtine, constituée d’un blocage de pierres et de mortier entre deux parements en moellons calcaires de petit appareil. Un intervallum de 5,50 m sépare le rempart de la via sagularis, large de 4 m et dallée de pierres plates, qui a été retrouvée sur trois des côtés du camp. Aux quatre portes du Haut-Empire ont succédé celles des enceintes de la fin du IIIe s. et du XIIIe s. Vers l’extérieur a été reconnue l’amorce d’un fossé. La permanence des deux grands axes formés par la voie prétorienne et la voie principale permet de localiser les principia à l’emplacement occupé par le premier château comtal, puis par l’hôtel de ville, mais aucune fouille n’est possible dans ce secteur. Au nord-ouest des principia, le long de la via sagularis, un grand bâtiment avec mosaïque et hypocauste a été très partiellement dégagé. 290 Les casernements de la moitié nord de la retentura ont été en partie fouillés. Les blocs s’alignent sur deux rangées, séparées par un passage dallé de 2,60 m de large. Ceux de la première rangée mesurent 48,70 m de longueur, alors que ceux de la seconde passent de 46,70 à 51,20 m lors d’une réfection. Les murs de pisé de ces constructions s’élèvent sur un soubassement en moellons liés à l’argile. La couverture est en tuiles. Chaque bâtiment, large de 8,10 m, comporte dix chambres au sol cimenté, précédées chacune d’une antichambre en terre battue qui ouvre sur la galerie de façade. À l’extrémité est édifié un logement d’officier qui comporte une pièce avec hypocauste. 291 Au sud-ouest, en contrebas du camp, un assemblage d’énormes pierres brutes, dans lequel les érudits du XIXe s. ont reconnu un quai, a été retrouvé à l’emplacement 376 présumé du rivage antique. Plus au nord et parallèlement à cet ouvrage, un tronçon de mur comportant une tour interne approximativement carrée a été dégagé en 1993, dans les terrains Belvalette-Landrot. Ce fragment de courtine pourrait être la grande base d’une enceinte de la zone portuaire de forme trapézoïdale, dont les côtés seraient constitués par les murailles qui descendent le Sautoir depuis les angles ouest et sud du camp. Le premier de ces murs n’est pas daté, le second comporterait “des tours carrées”, selon les auteurs du XVIIIe s. En avant de la courtine, le service archéologique municipal a dégagé des bâtiments identifiés comme vestiges d’un entrepôt édifié au second siècle et d’une cale à bateau, découvertes qui confirment la localisation du port romain dans l’anse de Bréquerecque. L’ensemble des installations militaires occupe un espace d’au moins 25 ha, depuis l’estuaire de la Liane jusqu’au plateau de la Ville Haute. Au nord et à l’ouest n’apparaît qu’une occupation de faible densité. 292 Le camp en dur recouvre des vestiges d’aménagements antérieurs qui ont livré de la céramique de la seconde moitié du Ier s. L’occupation du camp en dur est attestée dès les années 110-120 et sa reconstruction peut être datée de la fin du second siècle. Après l’abandon d’une partie des casernes de la retentura, une destruction par incendie survient probablement lors des troubles qui suivent la mort de Postume, la série monétaire trouvée lors des fouilles se terminant par un antoninien de Claude II, frappé en 268-269. 293 BIBLIOGRAPHIE [2004] Seillier 1994, 216-222, 230-239 ; Seillier 1996a ; Seillier à paraître. BRAIVES/LE CHÂTILLON PERNICIACUM ? Liège, Belgique (carte fig. 12) 294 R. BRULET 295 La localisation de la fortification, en 1963, a été réalisée par le Service national des fouilles, sur base de l’enquête toponymique de J. Vannérus, au lieu-dit Le Châtillon, au nord de la voie Bavay-Cologne. Elle se trouve localisée dans le centre de l’agglomération du Haut-Empire de Perniciacum (?). Des prospections géophysiques menées en 1972 ont permis de déterminer le périmètre de la fortification qui a fait l’objet de fouilles importantes entre 1973 et 1980, puis en 1987 (fig. 247). 377 FIG. 247 Braives/Le Châtillon. Plan du fort. dessin R. Brulet 296 La première fortification offre une superficie de 37 ares ; la seconde, de 81 ares. La voie du Haut-Empire a été coupée par le creusement des fossés défensifs. 297 Au centre de la fortification, on trouve une tour de garde en pierres de 13,70 x 16,50 m hors-œuvre, avec des murs de 1,20 m d’épaisseur renforcés, à l’extérieur, d’un blocage de 1,20 m de largeur (fig. 248). La tour est marquée par des piliers de soutien internes. Une couche d’incendie recouvrait les vestiges de la tour. On signale un édifice à demi enterré, avec traces de plancher et poteaux verticaux, voisin de la tour, sans doute un horreum. 378 FIG. 248 Braives/Le Châtillon. Plan de la tour. dessin R. Brulet 298 Le système défensif comprend de deux à trois fossés chronologiquement distincts, deux remparts et une porte. Une série de trous de poteau a été retrouvée sur les quatre flancs et aux angles nord-ouest et nord-est du fort. Ils déterminent l’existence de deux remparts. 299 Le premier rempart est à mettre en connexion avec le fossé I. Il court à environ 2,50 à 3 m de celui-ci. Les poteaux sont placés à environ 2 m les uns des autres. 300 La localisation de trous de poteau à l’extérieur du premier fossé permet de reconnaître l’existence d’un second rempart, lié au fossé II. Il est déterminé par une double rangée de poteaux, dont la rangée intérieure a parfois été placée dans le remblai du premier fossé. 301 Une porte s’ouvrait dans le rempart de terre, dans l’axe de la tour de garde. Elle se présente sous la forme d’un couloir d’au moins 7 m de longueur et de 2,50 à 3,60 m de largeur, matérialisé par des blocs de pierre à surface plate, servant de points d’appui à des poteaux verticaux. Sept coupes complètes et quinze coupes partielles ont permis de reconnaître le tracé des fossés. 302 Deux excavations ont pu être nettement discernées sur les flancs nord, est et ouest. Le premier fossé, situé vers l’intérieur du fortin, est large de 6 m ; il offre une pointe aplatie, de 0,40 à 0,50 m de largeur, à profil trapézoïdal, et comblée de strates colluvionnaires bien marquées. Le remblai de ce premier fossé a été entamé par le creusement de la seconde excavation située vers l’extérieur. Au nord et à l’est de l’ouvrage, ce fossé, large d’environ 14 m, présente deux pentes très longues, taillées dans l’argile et une encoche centrale rectangulaire, à fond plat, de 0,60 m de profondeur. Le flanc occidental se trouvait protégé par un fossé supplémentaire dont la 379 présence a été remarquée entre les aménagements défensifs décrits plus haut. Ce fossé offre une orientation légèrement décalée par rapport aux deux autres. 303 Deux états de la fortification se dessinent nettement. 304 Au cours de la première période, elle est entourée par le premier fossé et dispose d’un rempart de terre et de bois. La surface intérieure du fort n’excède pas 37 ares. 305 On peut rattacher à l’état final de la fortification le second fossé et un nouveau rempart, de même que la tour de garde. La dernière fortification dispose d’une surface plus importante, de 81 ares. 306 Quelques données témoignent de modifications, notamment la reconstruction de la tour de garde et de la porte sud. 307 Une cave du vicus, abandonnée au moment de l’érection du fort, a livré une monnaie d’Alexandre Sévère (222-235). L’aménagement du premier fort intervient normalement au cours du dernier quart du IIIe s. La tour de garde a été incendiée puis abandonnée après 347-348. 308 BIBLIOGRAPHIE [2004] Bogaers & Rüger 1974 ; Brulet & Cordy 1993 ; Brulet et al. 1995 ; Mertens & Léva 1966. BREST Finistère, France (carte fig. 15) 309 L. LANGOUËT 310 Le château médiéval de Brest, abritant aujourd’hui la préfecture maritime, a succédé à un castellum gallo-romain (fig. 249). Il est implanté sur un éperon littoral, relié au continent par un isthme large d’environ 180 m qui surplombe au sud les eaux de la rade de Brest, et à l’ouest la rivière Penfeld. L’estuaire de cette dernière fournit un très bon abri pour les navires. 380 FIG. 249 Brest. Plan du château actuel et, en pointillés, plan supposé du castellum gallo-romain (d’après Kemévez 1997). 311 L’origine romaine du château, évoquée depuis le XVIe s., a été confirmée par divers érudits du XIXe s., en particulier Bachelot de la Pylaie et Bizeul, qui ont donné des descriptions des maçonneries alors visibles. Un plan de la fin du XVIe s. fournit des indications précieuses sur la localisation de tours rondes qui garnissaient alors le rempart. En 1636, Dubuisson-Aubenay remarqua des “tours à l’antique” qui figurent sur le plan qu’il avait alors relevé. 312 La Notitia Dignitatum indique que, vers la fin du VIe s., un préfet des légionnaires Mauri Osismiaci, constitués de fantassins et de cavaliers, séjournait à Osismis, dans le cadre du système défensif des côtes, le tractus Armoricanus. Aujourd’hui, tous les chercheurs s’accordent pour identifier le castellum d’Osismis au château de Brest. 313 La partie la mieux conservée de la forteresse gallo-romaine forme la base de la façade, côté ville, de part et d’autre des deux grosses tours qui flanquent le portail. Sur une longueur de 66 m, la courtine sud est constituée, à sa partie inférieure, par des assises alternées de briques et de pierres en petit appareil ; les cordons de briques à double épaisseur sont séparés par six ou sept rangs de petites pierres cubiques. Les parties apparentes subsistent sur une hauteur de 2 à 3 m dans sa partie sud et de 7 à 8 m dans sa partie nord. La muraille reposait directement sur le rocher. La destruction des tours gallo-romaines de façade, à droite du portail, doit dater de l’époque de Richelieu ; en revanche, les tours à gauche du portail furent détruites entre 1685 et 1689. Leurs arrachements se distinguent par des maçonneries de rattrapage. On en décèle trois de chaque côté du portail, avec une distance de 21 m d’axe en axe. 314 Les fouilles ont permis des observations intéressantes. Les tours cylindriques de la façade nord avaient un diamètre extérieur de 6,2 m et étaient engagées d’un quart dans 381 la muraille ; leur mur avait une épaisseur de 1,8 m. Au pied de la tour centrale de la courtine sud existait une poterne de 1,4 m de large, aménagée dans le rempart ayant, à cet endroit, une épaisseur voisine de 4 m. D’après des observations directes, d’autres parties de la muraille romaine sont cachées ; en particulier les deux grosses tours d’angle, la tour Madeleine et le donjon englobent indiscutablement des tours romaines, de même que les tours flanquant le portail. Ainsi, la façade nord comportait dix tours sur une longueur de 189 m. 315 La fortification ne se limitait pas à cette seule muraille. Par un texte, on sait qu’en 1385, “un grand orage fit tomber à la mer quatre tours et une partie des murailles”. Il ne peut s’agir que de la muraille sud, là où le plan de Tassin (1631) indique la présence d’une tour ronde isolée. En répartissant régulièrement ces quatre tours tombées à la mer entre la tour Madeleine et l’emplacement de la tour isolée du plan de Tassin, on aboutit à une interdistance de 23 m d’axe en axe, valeur très proche de la valeur constatée pour la façade nord. L’existence de ces deux murailles formant un angle aigu suffit à prouver l’existence d’une enceinte fermée. J.-M. Ropars a proposé un plan trapézoïdal du castellum qui semble logique. Les trois côtés les moins longs auraient eu la même longueur, 116 m, et le périmètre aurait été d’environ 540 m. 316 BIBLIOGRAPHIE 317 BRÉVIAIRE → NEUVILLE-SUR-VANNE [2004] Galliou 1989 ; Kernévez 1997 ; Langouët 2002 ; Ropars 1979 ; Sanquer 1972a ; Sanquer 1976 ; Tassin 1634. BRUGG/ALTENBURG Argovie, Suisse 318 R. FELLMANN 319 Le castellum (fig. 250) se situe à environ 2 km en amont de la ville médiévale de Brugg, dans un méandre accentué de l’Aare, à environ 2 km à l’ouest de Vindonissa. Il protégeait visiblement un gué qui était franchissable à cet endroit par basses eaux. Le castellum protégeait ainsi le flanc de l’agglomération tardive de Vindonissa. 382 FIG. 250 Brugg/Altenburg. Le fortin (Fellmann 1992, fig. 286, 2). 320 Un château fort médiéval s’est élevé dans les murs de la fortification tardo-antique. Une partie du mur nord-ouest a été détruite lors de la construction d’un canal en 1894, ainsi qu’une section du mur sud-ouest en 1920. Les premières recherches ont été effectuées en 1920, les secondes en 1934. La porte d’enceinte sud-est et les deux fossés en V courant en avant du mur d’enceinte ont été découverts à cette occasion. 321 Le nom antique de la forteresse n’est pas connu. Ce castellum en forme de cloche, très proche dans son tracé de ceux de Olten et de Soleure, présente une superficie intérieure d’à peine 28 000 m2. Les murs ont une épaisseur allant jusqu’à 5 m et sont encore, par endroits, conservés en élévation sur une hauteur de 7,50 m. Sept ou huit tours renforçaient l’enceinte. L’existence de la porte d’accès sud-est est attestée, ainsi que celle de deux fossés en V qui entouraient le fortin en dessinant un arc. D’après le matériel découvert en très infime quantité, le poste pourrait avoir été érigé à la fin du IIIe s. ou au début du IVe s. ap. J.-C. 322 BIBLIOGRAPHIE [2004] Drack & Fellmann 1988,374-375 ; Drack 1991,91 ; Fellmann 1992, 314, 322, fig . 286, 2 ; Hartmann 1986, 124. BRÜHL/VILLENHAUS Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (carte fig. 12) 323 R. BRULET 383 324 Le site de Brühl est situé sur la route Cologne-Zülpich-Trèves, au point le plus haut d’une terrasse surélevée du Rhin. Les vestiges antiques ont disparu depuis 1923, suite à l’exploitation de la lignite. Le plan du petit fort est carré (fig. 251). Les découvertes concernent deux périodes principales. FIG. 251 Brühl/Villenhaus. Plan du fort (Brulet 1995a, 110). Période I 325 Un fossé continu de 5 m de large et de 2,50 m de profondeur a été mis au jour, mais aucune trace de portes n’a été mise en évidence. Derrière ce fossé, on observe un rempart de 0,80 m de large. Période II 326 Un fossé de 10 m de large et de 3,30 m de profondeur entoure la fortification. La surface intérieure est de 26 x 26 m. Un mur en terre et en bois de 0,50 m de large la protège, avec des poteaux placés à 2,80 m d’intervalle. Derrière le mur se trouve un autre fossé palissadé de 0,50 m de large. L’entrée se fait au nord-ouest vers la chaussée. L’accès est rendu possible grâce à un remblai de 2,90 m de large. 327 Grâce au matériel numismatique, on a pu dater la période I à partir de 268 ap. J.-C. La période II s’inscrit dans la fin du IIIe s. ou plus tard, mais aucune monnaie du IVe s. n’a été découverte. 328 BIBLIOGRAPHIE [2004] Bogaers & Rüger 1974, 180-182 ; Brulet 1995a ; Hagen 1931 . 384 BUNNIK/VECHTEN FECTIO Utrecht, Pays-Bas (cartes fig. 3. 5, 6, 7 et 8) 329 M. POLAK 330 L’implantation militaire romaine à Vechten se trouve à environ 2,5 km au sud-est de la ville d’Utrecht. Les installations défensives consécutives se situent sur la rive sud d’un ancien lit du Rhin, juste en amont de la bifurcation de la Vecht qui offre une voie de pénétration vers la Germania Magna. Le nom antique du lieu était Fectio, ainsi que l’a prouvé une inscription découverte sur le site (CIL XIII, 8815). Ce nom de lieu dérive sans aucun doute de celui de la rivière. Fectio peut être assimilé au Fictione de la Cosmographie de Ravenne (IV, 24), de même qu’au Fletione mentionné par la Table de Peutinger (Segment II, 3). 331 Dès le XVIe s., le site était connu pour la richesse de ses antiquités romaines. Les premières fouilles datent des années 1829-1834 et 1892-1894 et ont fourni peu d’éléments d’information. Une partie du site a disparu à l’occasion de travaux de construction pendant les années 1867 à 1870, sans aucune documentation. La plupart des informations sur les fortifications romaines proviennent des fouilles réalisées entre 1914 et 1947. Ces recherches n’ont été publiées que sous la forme de prérapports sommaires dans lesquels manquent les détails indispensables à une véritable compréhension du site. Depuis 1970, des fouilles ont été réalisées uniquement dans l’ancien lit du Rhin et sur le site de l’implantation civile. Il est possible de distinguer, dans l’état actuel des recherches, six phases successives de construction. Les camps Période 1 a (de 4/5 à 30/50 ap. J.-C.?) 332 Seule la façade orientale du plus ancien camp connu jusqu’à présent a été dégagée (fig. 252). Les dispositifs de défense étaient composés d’un unique fossé et d’un talus en bois et terre doté de tours. Le reste du fossé avait une largeur maximale de 3 m et une profondeur de 0,80 m. En raison de l’inclinaison du talus (de 25° à 30°) et de la distance entre l’axe du fossé et le talus, la largeur d’origine peut être évaluée à 7 m au maximum et la profondeur à 1,60 m. 385 FIG. 252 Bunnik/Vechten. Les camps en bois et terre des périodes 1 et 2. dessin R.P. Reijnen 333 Seuls les restes des fondations les plus profondes du talus étaient encore conservés. Le coffrage était soutenu par des poteaux en bois rectangulaires, enterrés dans le sol avec un écart intermédiaire moyen de 1,20 m. Les vestiges de la partie inférieure enterrée du coffrage n’ont été retrouvés qu’en de rares endroits. L’écart entre la façade du talus et sa partie postérieure varie entre 3,20 et 3,60 m. 334 La partie inférieure des fondations constitue également le seul vestige encore en place de l’unique tour dégagée. Cette tour était constituée de quatre poteaux d’angle qui formaient un rectangle d’environ 3,20 x 2,80 m. Sur le côté postérieur du talus défensif, la tour débordait légèrement dans l’intervallum. 335 D’après le plan des fouilles exécutées dans les années 1946 à 1947, une partie de l’aménagement intérieur semble bien avoir été également mise au jour ; un bâtiment apparemment allongé avec cour intérieure en faisait partie. L’examen des dessins de fouilles a permis de constater que le bâtiment avait été reconstitué à partir de traces qui, pour partie, n’avaient pas de relation entre elles. De nombreux vestiges de constructions plus anciennes, orientées différemment, se superposent au bâtiment. 336 Une comparaison entre le matériel le plus ancien de Vechten et celui d’autres camps augustéens a montré que l’installation la plus ancienne avait dû être établie dans les premières années du Ier s. ap. J.-C. Il est ainsi tentant de relier la construction avec (expédition de Tibère dans les années 4-5. Il n’est pas possible de déterminer la durée d’utilisation du camp ; des traces de réparations au niveau du coffrage du talus ainsi qu’au niveau des fondations de la tour laissent supposer que l’installation a été utilisée pendant un certain temps. 386 337 Il est possible que la partie septentrionale du camp ait été emportée par les eaux du Rhin. D’après les dernières recherches, l’implantation semble avoir subi de fortes inondations autour du milieu du Ier s. ap. J.-C. L’érosion ainsi provoquée pourrait cependant n’avoir eu lieu que lors de la période suivante. 338 Une assiette en céramique sigillée des années 25 à 50 ap. J.-C. provient du remplissage du fossé défensif. Dans la mesure où l’exemplaire est pratiquement complet, il ne peut pas avoir été enseveli après une très longue période. On peut en conséquence admettre que le dispositif de fortification n’a pas subsisté au-delà du deuxième quart du Ier s. ap. J.-C. Période 1b-d (de 30 à 50/70 ap. J.-C.?) 339 Les restes de trois dispositifs plus récents (fig. 252) ont été retrouvés à environ 40 m au sud des vestiges du camp de la période la. Il s’agit de trois fossés en V qui suivent plus ou moins une orientation est-ouest, et éloignés d’à peu près 4 m les uns des autres. Deux tranchées de fondations d’un rempart se situaient sur le côté sud de chacun des fossés. La largeur de la levée de terre s’élevait à 2,40-3 m. 340 Il semble au premier abord que l’on soit ici en présence des façades septentrionales de trois castella successifs, composés chacun d’un talus avec coffrage de bois et d’un fossé défensif placé en avant. Un examen plus précis des dessins de fouilles réalisés en 1946-1947 a cependant montré que les fondations du talus nord se situaient exactement dans le fossé septentrional. Il a en outre été découvert, au nord de ces fossés, de nombreuses tranchées de fondations qui ne peuvent pas être attribuées aux castella des périodes 2 et 3. Il est donc possible que les fossés défensifs ne correspondaient pas à la façade septentrionale de trois castella, mais formaient plutôt la limite méridionale de quatre camps. Si cette hypothèse se révèle exacte, il faut s’attendre à trouver un quatrième fossé défensif sur le côté sud et encore un quatrième rempart sur le côté nord. 341 Le fossé nord avait une largeur d’au moins 6 m et une profondeur de 1,40 m. La partie du fossé intermédiaire présentait encore une largeur de 4,40 m et une profondeur de 1,20 m ; un creusement sur sa face sud pourrait attester que le fossé avait été nettoyé ou bien à nouveau recreusé. Le fossé méridional avait une largeur de 3,80 m et une profondeur de 1,20 m. Il montre en coupe une forme si irrégulière qu’il est peut-être possible de distinguer trois phases. Les trois fossés avaient tous été creusés jusqu’à une profondeur identique ; leur stratigraphie n’a livré aucun indice quant à la succession chronologique des camps de la période Ib-d. 342 Les bases des fossés se trouvaient à environ 1 m au-dessus de la partie inférieure du fossé de la période la. Il est peut-être possible d’en conclure que le terrain a subi un remblai important après l’inondation supposée. Il convient également de noter, dans ce contexte, que le sol –dans la partie du terrain où les traces des castella de la période 1 bd avaient été retrouvées– avait été renforcé par de nombreux pieux. Le changement d’orientation des vestiges des périodes Ib-d par rapport à la période la pourrait avoir été provoqué par une modification du cours du Rhin. 343 Une différence de niveau de 20 cm a pu être chaque fois observée entre les parties inférieures des coffrages des remparts. Cette différence laisse supposer que le dispositif placé le plus au sud est le plus ancien et que le plus septentrional est le plus récent. La 387 partie inférieure du talus en terre et bois se situait à environ 1 m au-dessus du niveau de fondation du dispositif défensif de la période la. 344 Le mobilier pouvant être attribué à ces castella est issu uniquement des fossés défensifs. Il est daté en grande partie du Ier s. et même, pour l’essentiel, de l’époque préflavienne. La seule exception est une assiette en céramique sigillée du centre ou de l’est de la Gaule, découverte apparemment dans le remplissage du fossé médian. On aimerait croire, sans cette dernière découverte, que les castella datent tous de l’époque préflavienne. Période 2 (de 70 à 200 ap. J.-C.?) 345 Il y a peu, il était encore généralement admis qu’un castellum avait été érigé à Vechten après le soulèvement des Bataves des années 69‑70 ap. J.‑C., avec pratiquement le même plan que le castellum en pierre plus tardif de la période 3. Des vestiges du rempart en terre et bois de ce castellum auraient été retrouvés sur le côté est ainsi que, ponctuellement, de petites sections du fossé d’enceinte sur les autres côtés du camp. 346 D’après les documents de fouilles, il apparaît cependant que le rempart oriental (fig. 252) n’a pu être élevé qu’au IIe s. car, sous ses vestiges, se trouvait un puits renfermant de la céramique sigillée du centre et de l’est de la Gaule. 347 Les vestiges les plus nets d’un fossé d’enceinte ont été mis au jour entre le mur de défense et le fossé de la période 3 sur le côté septentrional du camp. On a pu observer, en trois endroits, un fossé en V qui ne suivait pas strictement le fossé d’enceinte de la période 3. Il correspond cependant au rempart oriental qui peut être attribué à la période 2. 348 La présence d’un fond de fossé sous celui du castellum en pierre (période 3) a été attestée en deux points, également sur le côté sud du camp. Ce dernier fossé ne présentait pas la même orientation que le fossé septentrional. Si les deux fossés sont contemporains, alors le plan du camp doit être asymétrique. 349 Le fossé ouest pourrait avoir le même tracé que lors de la période 3. Les rapports de fouilles ne livrent aucune information sur sa coupe transversale. 350 Les données fiables concernant le castellum en bois et terre précédant le castellum en pierre de la période 3 sont en réalité rares. Ces dernières peuvent cependant faire l’objet d’une meilleure interprétation qu’auparavant, si l’on tient compte du bâtiment situé à l’ouest, à proximité des principia de la période 3. Il s’agit d’un édifice de plus de 40 x 30 m. La partie septentrionale est composée d’une cour carrée de 18 x 18 m entourée sur trois côtés par des salles de près de 4 m de largeur. Leur nombre variait de quatre sur les côtés ouest et est jusqu’à au moins cinq sur le côté nord. La longueur s’élevait à 3, voire 12 m. L’aile sud était constituée d’une salle rectangulaire (28 x 8 m) accompagnée sur le côté méridional par cinq pièces d’environ 5 x 5 m. Aucun mur n’a été conservé en élévation. Les murs devaient être en grande partie ou même entièrement construits à colombage ; les fondations, moins massives que celles des principia de la période 3, étaient composées d’une alternance de couches de gravier et d’argile. 351 Le bâtiment évoqué plus haut a été qualifié, dans le rapport des fouilles des années 1920-1927, de logement du commandant (praetorium) de la période 3, ce qui semble peu vraisemblable. Il présente en revanche au niveau du plan de grandes 388 similitudes avec le bâtiment de commandement et ne se différencie en fait des principia du castellum en pierre que par une rangée de pièces sur la façade. La grande salle dans la partie méridionale peut être facilement identifiée à la basilica d’un édifice de commandement et constitue ainsi un corps étranger dans un praetorium. La situation correspondait également mal à celle de la maison du commandant, qui se trouve habituellement à droite des principia. 352 Les deux édifices ont visiblement été érigés à l’aide de différents types de tuiles. Parmi les déblais du prétendu praetorium, des tuiles ont été mises au jour portant l’estampille de la cohors I Flavia (Hispanorum equitata Pia Fidelis), dont on admet aujourd’hui la présence à Vechten pendant un certain temps, sous le règne des Flaviens ou bien celui de Trajan. Ont été également découvertes, provenant des principia, des estampilles de la legio I Minervia Antoniniana qui, en raison du nom employé, doivent être datées des empereurs Caracalla (196- 217) et Élagabal (218-222). L’écart chronologique entre les deux bâtiments paraît ainsi important. Il faut vraisemblablement admettre, en raison des arguments mentionnés plus haut et de la situation du prétendu praetorium, qu’il s’agit en réalité, dans le cas de ce bâtiment, des principia de la période 2. La situation exclut l’attribution du bâtiment à une période plus ancienne. 353 Le plan du camp correspondant à ce bâtiment principal n’est pas encore clairement défini. Si la limite orientale était constituée par le mur en terre et bois découvert à proximité du mur d’enceinte du castellum en pierre (période 3) et que les principia, comme c’est la règle, se situaient au centre du camp, la via principalis devait alors avoir une longueur d’environ 250 m. Le côté occidental pourrait ainsi se trouver dans une parcelle à l’intérieur de laquelle avait été mis au jour, en 1920-1922, un inextricable méli-mélo de fossés et de tranchées, attribués sans véritables raisons à la période la plus ancienne. 354 Le camp ainsi reconstitué de la période 2 a dû être érigé sous le règne de Trajan, d’après les estampilles et la céramique découverte dans le puits sous le rempart. La présence de la cohors I Flavia ne peut cependant pas être datée de façon précise, mais cette unité d’auxiliaires n’a sans doute pas été la seule troupe d’occupation. Le camp, avec une surface admise de 250 x 150 m soit 3,75 ha, était bien trop grand pour une cohors equitata. 355 La construction du castellum de la période 2 dans les premières années du IIe s. coïncide mal avec l’éventualité d’une attribution générale des camps de la période Ib-d à la période préflavienne. Si cette datation est exacte, il manque jusqu’à présent les traces d’une installation fortifiée flavienne. La durée d’utilisation du castellum de la période 2 n’est pas déterminée. Le seul point de repère est la date supposée de construction du castellum en pierre évoquée ci-après. Période 3 (de 200 à 275 ap. J.-C.) 356 Le plan du castellum en pierre (fig. 253) avait déjà pu être déterminé dans les années 1920-1927 au moyen de coupes relativement réduites opérées en des points judicieux. Un imponant segment du mur d’enceinte oriental a été ensuite dégagé en 1946-1947. Les données des deux fouilles n’ont pas pu jusqu’à présent être croisées de manière satisfaisante. Le plan présenté ici est un compromis : une césure a été réservée au point de liaison, afin d’attirer l’attention sur la difficulté des prises de mesures. 389 FIG. 253 Bunnik/Vechten. Le camp en pierre de la période 3. dessin R.P. Reijnen. 357 Le camp était entouré par un seul fossé à fond plat. La partie du fossé encore conservée sur le côté oriental avait encore une largeur de 5,20 m et une profondeur de 1,20 m. La profondeur originelle ne pouvait plus être déterminée. Le milieu du fossé se trouvait à plus de 6 m du bord inférieur du mur. On peut ainsi admettre de façon certaine qu’une berme existait entre le mur et le fossé. 358 Le fossé était interrompu par des portes ; dans le cas seulement de la porte occidentale, l’interruption n’a pas pu être entièrement appréhendée. Un phénomène remarquable, jusqu’ici inexpliqué, a été observé au niveau de la porte orientale. Le fossé venant du nord était d’environ 5,50 m plus court que le fossé sud et se terminait par conséquent avant la tour de la porte d’enceinte. 359 Dans la plupart des endroits, seule la tranchée de fondation du mur d’enceinte en pierre de tuf a été trouvée, montrant que les fondations avaient eu une largeur d’environ 1,20 m. Ces dernières étaient constituées de blocs noyés dans l’argile et semblent toujours avoir reposé sur un système de pilotis. Plusieurs centaines de pieux de cette sorte, d’une longueur supérieure à 1 m, ont été découvertes sous le mur oriental. Il y avait en moyenne douze pieux par mètre carré. Leur présence a pu également être attestée sous le mur nord et ouest, aux endroits où l’on a fouillé en profondeur. 360 Le camp était doté de quatre portes d’enceinte, dont seule la porte orientale a presque entièrement été fouillée ; ses fondations étaient identiques à celles du mur, à la seule différence que le nombre de pieux était plus important (vingt par mètre carré). Les deux tours rectangulaires (6,20 x 5 m) se situaient à proximité d’un passage large de 7 m. Un pilier médian de 1,60 m de largeur séparait cet espace en deux moitiés 390 inégales de respectivement 2,80 et 2,40 m de largeur. L’édifice de la porte avait par conséquent une largeur totale d’environ 17 m. Les tours débordaient côté extérieur d’environ 0,50 m, et côté intérieur d’environ 4,40 m. 361 Un bloc complet de la fondation, d’environ 12 x 6 m, a été trouvé à l’emplacement présumé de la porta decumana. Cette dernière porte devait donc être plus petite que les portae principales. 362 En raison de la mort prématurée du fouilleur, les vestiges des deux autres portes sont difficilement compréhensibles. On a seulement découvert, à l’emplacement de la porta praetoria, un entassement compact de pilotis qui pourraient bien avoir appartenu à l’édifice d’une porte d’enceinte. 363 Des tours ont été observées aux angles de la façade orientale du camp. Celles-ci avaient une largeur de 6 m et une profondeur –en calculant depuis la face interne du mur– de 4,50 m. Les fouilles ont été trop réduites pour permettre de savoir si le mur postérieur était droit ou courbe. Les pilotis étaient implantés sous les tours d’une manière aussi compacte que sous le portail oriental. 364 Les restes des fondations d’une tour intermédiaire ont été retrouvés sur la face interne du mur d’enceinte, à égale distance environ entre la porte orientale et l’angle sud-est du camp. La tour avait une largeur de 4,80 m et faisait une saillie de 3,60 m vers l’intérieur. Sur l’emplacement correspondant, du côté occidental du camp, des fondations fortement enterrées ont été découvertes, appartenant aussi sans aucun doute à une tour intermédiaire. Il faut s’attendre à trouver des tours semblables sur les autres côtés du castellum. Le mur d’enceinte a pu donc être ainsi renforcé au moyen de quatre tours d’angle et de six tours intermédiaires. 365 Seuls, parmi les bâtiments intérieurs, les principia sont connus dans leurs grandes lignes. Il s’agit en l’occurrence d’un édifice pratiquement carré de 36 x 35 m. L’aedes fait en outre une saillie de près de 4 m. Les fondations reposaient sur des pilotis et étaient constituées d’une alternance de couches d’argile dure et de cailloux. Au niveau de l’aedes, quelques pierres de tuf de l’élévation du mur ont pu être repérées. Dans la mesure où le mur de cette pièce ne présentait pas de fondations différentes à celle du reste de l’édifice, on peut admettre que les principia ont été entièrement construits en pierre. 366 L’édifice était divisé en deux parties de dimensions pratiquement identiques. La partie antérieure était formée par une cour (21 x 17 m), limitée sur les côtés latéraux par des pièces longues et étroites (17 x 4 m) dans lesquelles des salles de taille plus petite avaient parfois été encore différenciées. Il n’est pas possible de déterminer la forme de l’entrée des principia. Un portail monumental, pratiquement au centre du mur postérieur de la cour, donnait accès à la basilique. Le portail était flanqué de deux piédestaux dont l’un avait été coupé. Les dimensions de la salle transversale étaient de 32 x 9,50 m. 367 L’aedes (8 x 4,50 m) situé derrière la basilique disposait vraisemblablement d’une cave. C’est ce que pourraient prouver deux petits murs transversaux qui délimitaient, à 3 m à l’arrière de la face antérieure du sanctuaire, un espace pratiquement carré. Quatre à six pièces se situaient à côté de l’aedes. Pour des raisons de symétrie, les fouilleurs ont préféré le chiffre le plus élevé, mais n’ont pas pu fonder leur hypothèse sur les découvertes effectuées lors des fouilles. La largeur des pièces varie entre 3 et 9 m en fonction du nombre présumé de salles reconstituées. 391 368 Un lacis de tranchées de fondations a été trouvé à droite des principia, interprété par les fouilleurs comme des restes de baraques en bois. Seuls ont été reproduits ici les vestiges attribués à la période 3. Même si l’hypothèse des baraquements est probable, d’autres possibilités sont envisageables. On trouve ainsi souvent à cet emplacement le logement du commandant, des horrea, une fabrica ou bien le valetudinarium. 369 Les estampilles de la legio I Minervia Antoniniana, trouvées entre les décombres des principia, ont déjà été mentionnées plus haut. Cette découverte prouve que le bâtiment de commandement a été construit ou rénové au début du IIIe s. ap. J.-C., ce qui ne signifie pas pour autant que le castellum en pierre ait été érigé seulement à cette époque. L’absence d’estampilles avec le nom du consulaire Didius lulianus rend peu vraisemblable une construction avant la moitié des années 80 du IIe s. D’après les monnaies découvertes, le camp aurait été abandonné autour de 275. Autour du camp 370 Les traces d’une implantation civile ont été mises au jour à l’ouest et à l’est du camp. Cependant, la structure de cette implantation a été jusqu’ici à peine reconnaissable. L’absence de restes d’occupation sur le côté méridional du castellum est sans doute due à la largeur réduite de la bande de terre le long de la rive. D’après des indices découverts dans la partie est du vicus, le terrain a été la victime, autour du milieu du Ier s. ap. J.-C., d’inondations du Rhin. L’implantation à cette époque était encore peu dense mais occupait déjà un vaste espace. Un tonneau, utilisé comme revêtement pour un puits et portant la marque pyrogravée de l’empereur Caligula, a été découvert à environ 500 m à l’est du castellum en pierre. L’implantation s’étendait enfin sur ce côté jusqu’à un ancien bras du Rhin, à une distance d’environ 800 m du camp. 371 Un système de pilotis a été dégagé directement à l’extérieur de la porte d’enceinte orientale. Il a vraisemblablement servi de fondation à une construction en pierre. L’hypothèse de la présence de thermes à cet endroit est tentante. L’édifice avait une orientation différente de celle du castellum. 372 Une nécropole a dû exister sur le côté oriental du camp. Quelques stèles funéraires, de nombreux squelettes calcinés ainsi que des récipients intacts en céramique ont été récoltés à cet endroit lors de travaux de construction dans les années 1867-1870. Environ cent squelettes auraient été également découverts. Des sépultures isolées ont été par ailleurs repérées dans une large zone au sud de l’aire d’occupation. 373 Un ancien méandre du Rhin, situé sur le côté nord du camp, a été vraisemblablement coupé dans le courant du Ier s. et s’est ensuite peu à peu asséché. Des batardeaux ont été découverts en divers endroits le long de la rive. Ils étaient sans cesse déplacés vers le nord afin de garder accessible le chenal du fleuve en voie de disparition. Le lit était sans doute complètement envasé à la fin du IIe s. Une grande partie d’un bateau, construit selon les techniques méditerranéennes et ayant dû servir au transport des troupes, a été dégagée en 1892 en face de l’angle nord-est du castellum en pierre. L’analyse 14C a permis une datation à l’époque préflavienne. 374 L’identité de la garnison, présente avant le soulèvement des Bataves, est inconnue. Un triérarque, C. Iulius Bio, est bien attesté lors de cette période ancienne (CIL XIII, 12086a). Des briques estampillées témoignent de la présence de la cohors II Brittonum ou Britannorum (milliaria equitata) et de la cohors I Flavia (Hispanorum equitata Pia Fidelis) comme troupes d’occupation à l’époque flavio-trajane. La tombe de Valens, Bititralis 392 filius (CIL XIII, 8818), vétéran de l’ala I Thracum, laisse supposer, avec de nombreux graffitis de turmes, le stationnement de cette division de cavalerie à l’intérieur du castellum en pierre. On a découvert des estampilles de la legio I Minervia et de la I Minervia Antoniniana, de la VAlaudae, de la X Gemina, de la XV Primigenia, de la XXII Primigenia et de la XII Primigenia Pia Fidelis Domitiana, de la XXX, de la XXX[I], de l’Exercitus Germanicus Inferior et de ses vexillarii, de la vexillatio Britannica et de la Tegularia Transrhenana (avec mention de la I Minervia, de la X Gemina et d’une cohorte Breucorum) ainsi qu’un X, et un X doté d’une troisième barre verticale. [2004] Hessing et al. 1997 ; Polak & Wynia 1991. 375 BIBLIOGRAPHIE 376 CASTRUM RAURACENCE → KAISERAUGST 377 CATELET (LE) → VENDEUIL-CAPLY 378 CHÂTEAU-RENAUD → VIRTON 379 CHATILLON (LE) → BRAIVES CHAUSSÉE-TIRANCOURT (LA) Somme, France (carte fig. 2) 380 M. REDDÉ 381 L’oppidum celtique (35 ha) de La Chaussée-Tirancourt, dans la vallée de la Somme, à une dizaine de kilomètres à l’ouest d’Amiens, constitue un bel exemple d’éperon barré par un rempart massif, traditionnellement considéré comme appartenant au type Fécamp (fig. 254). Les recherches menées de 1983 à 1989 par J.-L. Brunaux ont toutefois révélé la présence de deux phases successives. Si le premier état, constitué des matériaux extraits du fossé, sans armature interne de bois, correspond bien à la définition du type Fécamp, le second état comprend un système de poutraison particulier : en façade, des poteaux verticaux doubles qui supportent des boisements longitudinaux et transversaux, ces derniers étant flottants sur l’arrière. La face externe, parementée par des pierres assemblées à sec, est elle-même défendue par un fossé. 393 FIG. 254 La Chaussée-Tirancourt. Plan général du site (Agache 1978, 228, fig. 8). 382 La porte, large de 5 à 6 m, profonde d’environ 17 m, est constituée par un rentrant du rempart, de chaque côté du passage. Deux phases constructives correspondent aux deux phases du rempart (fig. 255-257). Dans le premier état, le parement externe en pierre était consolidé par une poutraison verticale et longitudinale. Le passage comprenait alors trois rangées de six poteaux qui déterminaient un double corridor interne. Selon les fouilleurs, une tour centrale dominait l’ensemble. Dans le second état, la porte elle-même a été reculée jusqu’à l’arrière du passage, déterminant ainsi un long couloir dominé de part et d’autre par le rempart. La présence d’armes et d’équipement celtique parmi le matériel récolté n’étonne pas ; en revanche, quelques éléments militaires typiquement romains, notamment des clous de (aligae, une garde de gladius laissent penser à la présence de soldats appartenant à l’armée romaine, ce que confirme la récolte monétaire, composée à 35 % d’oboles de Marseille, inattendues à cet endroit, tandis que les monnaies celtiques ne comprennent qu’une petite part d’émissions belges. Au total, les monnaies de Celtique et de Narbonnaise représentent 69,40 % du lot, proportion incongrue en Belgique, qui ne peut s’expliquer que par une présence militaire. Toutes sont postérieures à la guerre des Gaules, ce que confirme le matériel céramique importé, datable de la décennie 30-20. Il est donc vraisemblable que la fortification soit romaine, peut-être attribuable à des auxiliaires, sans que sa construction puisse être reliée avec certitude à une campagne précise. Le type de la porte et celui du rempart, inédits, méritent d’être considérés dans l’histoire de l’architecture militaire romaine. 394 FIG. 255 La Chaussée-Tirancourt. Porte : a état 1 ; b état 2 (Brunaux et al. 1990, 12, fig. 10 ; 14, fig. 14). FIG. 256 La Chaussée-Tirancourt. Restitution de la porte : a état 1 ; b état 2 (Brunaux et al. 1990, 13, fig. 12 et 13). 395 FIG. 257 La Chaussée-Tirancourt. Le rempart, état 2 (Brunaux et al. 1990). 383 BIBLIOGRAPHIE [2004] Agache1978; Brunaux et al. 1990 ; Delestrée 1997. COLOGNE/ALTEBURG Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (cartes fig. 3, 5, 6, 7 et 8) 384 TH. FISCHER 385 Dans le quartier de Marienburg, à Cologne, au lieu-dit Alteburg, existait un grand camp militaire de 7 ha qui, au vu de sa superficie, devait abriter plus de mille hommes, si on le compare aux camps auxiliaires et à leur garnison. On peut considérer ce camp de Cologne / Alteburg, depuis le milieu du Ier s. au plus tard, comme le camp de base de la classis Germanica, en raison des timbres sur tuiles et des inscriptions de marins orientaux qu’on y rencontre. Son emplacement a été choisi avec discernement, tout comme celui de la C(olonia) C(laudia) A(ra) A(grippinensium) : le camp de la flotte est installé à 3 km au sud de la colonie, sur une terrasse non inondable d’environ 16 ha, et l’on a respecté à cet endroit la forme trapézoïdale du terrain. 386 Les fouilles ont commencé dans le dernier tiers du XIXe s., au moment où l’on documentait et collationnait les vestiges archéologiques à l’occasion des premiers grands travaux d’urbanisme (fig. 258 et 259). De grands plans de fouilles furent réalisés par F. Fremersdorf en 1927-1928, mais cette documentation, ainsi que le matériel, ont été largement détruits pendant la seconde guerre mondiale. Il a donc été longtemps impossible de connaître en détail le camp de la flotte, car les publications sont restées limitées et très insuffisantes si l’on considère l’importance du site. On ne disposait notamment que d’un plan général assez sommaire, sur lequel figurent différentes phases constructives indifférenciées : on y observe une enceinte ancienne en bois et 396 une autre, plus récente, en pierre. On connaît avec certitude deux portes, l’une au sudouest, peut-être la porta praetoria, et une autre au nord. Les bâtiments au nord forment un complexe inextricable de diverses phases de constructions en pierre, ce qui exclut toute interprétation cohérente. Au sud, en revanche, F. Fremersdorf avait pu montrer l’existence de plusieurs phases de casernements, qui ont été explicitées par N. Hanel en 1998. Un ensemble de bâtiments situés dans la partie orientale du camp, mais rapidement documentés à l’occasion d’un sauvetage au XIXe s., doit correspondre à un balnéaire. Le vicus n’a fait l’objet que de sondages préliminaires, mais N. Hanel a publié en 1998 des maisons en lanière et une mansio. Les nécropoles, elles aussi sommairement connues, semblent s’étendre le long de la route du limes qui passe à l’ouest du site. FIG. 258 Cologne/Alteburg. Plan de localisation des fouilles récentes (Fischer 2001, 551). 397 FIG. 259 Cologne/Alteburg. Plan du camp de la flotte. 387 Au vu des anciennes fouilles, on distinguait deux phases principales, l’une en bois, antérieure à l’époque flavienne, une autre en pierre, à partir de la fin de l’époque flavienne, tandis que le matériel, pour la partie qui a échappé aux destructions de la seconde guerre mondiale, n’est pas étudié, à l’exception des inscriptions et des monnaies. Les fouilles de 1995-1996 388 Des fouilles de grande envergure (fig. 258), menées par le Römisch-Germanisches Museum de Cologne et l’université ont touché l’intérieur du camp ; la construction d’un parking souterrain a conduit à la fouille d’une surface de 1000 m 2 dans la partie orientale du camp. 389 Les recherches montrent l’existence d’au moins huit phases : quatre périodes de constructions en bois (1-4), quatre périodes de constructions en pierre (5-8). Pour la première période, l’appartenance du camp à une vexillation légionnaire paraît constituer la meilleure hypothèse de travail, et c’est seulement à partir de la phase 2 que l’utilisation comme camp de la flotte semble probable. 390 Dans l’emprise des fouilles de 1995-1996 n’apparaît aucune trace à l’est, le long du Rhin, d’une enceinte de terre et de bois, connue sur les trois autres faces, ce dont semblaient déjà témoigner les anciens plans. Au nord-est, la courtine continue tout droit vers le fleuve, sans faire retour vers le sud, comme le fera ultérieurement la muraille de pierre. Il existait ici une terrasse naturelle, qui finissait en pente vers le Rhin, mais la ligne de rivage ne se laisse pas déterminer. 398 391 Le port était probablement installé tout de suite à l’est du camp et sans doute englobé dans l’enceinte. La fortification de l’Alteburg était donc probablement ouverte du côté du Rhin, avant l’édification du rempart en pierre (fig. 259). C’est au plus tard en 100 que la courtine en pierre, précédée d’un fossé, a été érigée à l’est. Ce fossé en V, large d’au moins 5,6 m et conservé sur une hauteur de 2,7 m, a pu être mis en évidence dans la fouille du parking. La trace d’autres fossés ou d’autres couches d’occupation plus anciens n’a pas été mise en évidence et le fond du fossé ne contient que du matériel de la fin du IIe s. ou du IIIe s. Par-dessus cette couche de matériel apparaissent des déblais (pierre et mortier) provenant de la destruction du rempart, mêlés avec de la céramique du IIIe s. Cette observation concorde avec l’opinion généralement admise que le camp d’Alteburg a été définitivement abandonné dans le dernier tiers du IIIe s. De l’enceinte même ne subsiste qu’une tranchée d’épierrement, remplie de fragments de pierre et de mortier. 392 Le matériel le plus ancien, à l’intérieur du camp, est constitué par de la céramique de l’âge du Fer, sous les niveaux romains. Viennent ensuite trois phases de constructions en bois, de l’époque tibérienne à l’époque flavienne précoce (1-3), mais ce n’est qu’à partir de Claude (période 2) qu’apparaissent de véritables casernes, la période 1 n’étant perceptible qu’à travers des traces de constructions légères, sans doute provisoires, et qui se croisent en tous sens. Les casernes flaviennes précoces (période 3) ont été soigneusement démontées et l’on a, sur ce niveau, nivelé le sol avec un demi-mètre de terre (période 4). Vient ensuite, à la fin de l’époque flavienne, une chaussée empierrée avec des fragments de tuf, de tuiles cassées et du gravier, bordée de part et d’autre par des fondations en pierres de casernes, où l’on distingue plusieurs phases (période 5). Ces fondations contiennent de nombreux remplois provenant de monuments impériaux précoces, souvent de bonne qualité puisqu’on y trouve des chapiteaux corinthiens en calcaire tendre. Les phases les plus récentes des IIe et IIIe s. (périodes 6-8) manquent complètement, car elles ont été nivelées par l’érosion ou les constructions modernes. La fouille de 1998 393 En 1998 (fig. 258), une nouvelle fouille de sauvetage à l’intérieur du camp de la flotte a permis de poursuivre les recherches. La surface examinée, à la suite de la construction d’un nouveau parking, a été de 20 x 70 m, soit 1 400 m2. Son implantation, pratiquement parallèle à la direction des casernes superposées, était de surcroît très favorable. A son extrémité occidentale, elle touche la via sagularis mais à l’est, aucun bâtiment n’a pu être dégagé dans sa totalité. 394 La fouille a montré l’existence de six périodes constructives, dont les phases les plus anciennes exigent encore une étude. Elles vont du règne de Tibère au IIIe s., et montrent, par comparaison avec la fouille des années 1995-1996, une périodisation comparable pour l’essentiel, jusqu’à l’époque flavienne précoce, mais différente à partir de la fin du Ier s. 395 La période 1 commence, comme dans les fouilles de 1995-1996, à la fin de la période augustéenne ou au début du règne de Tibère. Le limon naturel n’a pas conservé la trace de casernes permanentes, mais celles de constructions légères, provisoires, de directions diverses, qui indiquent une phase d’installation plutôt qu’une vraie construction. Cette période se termine sous Claude. Les périodes 2 et 3, à la différence 399 des fouilles de 1995-1996, sont mal conservées dans la mesure où la partie occidentale du camp, au relief plus marqué, a été plus profondément surcreusée et progressivement aplanie. À l’est, au contraire, on nivelait par apport de matériaux, lorsqu’on édifiait une nouvelle construction. Lors de ces deux phases –et à la différence de la période 1–, on construisit en pans de bois sur sablières basses. La phase 2 appartient à l’époque claudio-néronienne, la phase 3 à l’époque flavienne précoce. La phase 4, plus récente, semble à première vue appartenir au début du second siècle, soit au règne de Trajan. A cet endroit, la fouille a mis au jour deux casernes, orientées est-ouest (fig. 260). Devant ces deux blocs d’habitation, séparés par une ruelle large de 4 m, empierrée avec des matériaux de rebut, court une véranda, large de 2 m environ. Les deux bâtiments sont construits selon un plan de base jusqu’ici inconnu dans les camps militaires romains : en façade, trois petits espaces de 9,5 m 2 précèdent chaque fois deux pièces arrière de 17 m2. Les foyers dans les grandes pièces et dans les petites pièces latérales étaient en revanche bien conservés, la pièce médiane de façade devant sans doute être considérée comme un corridor qui desservait les quatre autres espaces. L’édifice ne révèle aucune tête de centurie du côté de la via sagularis, mais une organisation différente. Si l’on compare un tel module de cinq pièces, avec ses 62,5 m 2, aux contubemia (papilio et arma) des camps légionnaires et auxiliaires, on pourrait aisément loger là deux contubemia de 31 m2. FIG. 260 Cologne/Alteburg. Plan d’un bloc de casernement du camp de la flotte (Fischer 2001, 556). 396 Les deux casernes de la période 4 sont détruites au début du second siècle par un incendie local. La couche d’incendie n’a pas été enlevée mais aplanie sur place, de sorte qu’une mince couche cendreuse sépare la phase ancienne de la phase récente. Elle contient beaucoup de matériel, ce qui suppose une extension rapide de l’incendie dans des casernes totalement occupées. La construction est en pan de bois avec des clayonnages sur sablières basses. Les pièces étaient enduites et peintes (champs blancs, avec des filets rouges encadrant des candélabres). Le manque complet de tuiles laisse penser à des toits en matériaux organiques (paille, roseaux, bardeaux). 397 Le petit matériel comprend une abondante céramique, notamment des vases brûlés. Au sein de la sigillée domine le matériel sud-gaulois tardif ; remarquable est l’abondance des encriers en sigillée sud-gauloise lisse, normalement beaucoup plus rares. On notera la présence d’une installation de cuisine complète, avec foyer, moulin, grands plats, cruche et autres vases. Le matériel métallique comprenait, à côté des fibules et des monnaies, de grandes armes et des outils : trois poignards, deux boucliers, plusieurs haches, des pelles à feu et différents ustensiles difficiles à identifier avant restauration. 400 De la vaisselle de bronze a été mise au jour, fournissant, avec le reste de ce matériel brûlé au moment de l’incendie, un instantané de l’équipement utilisé dans ce bâtiment. Plusieurs centaines de boulets de tuf, grossièrement travaillés, proviennent de cette couche d’incendie, et caractérisent cet ensemble de l’Alteburg. Leur découverte dans la couche d’incendie, et non ailleurs, notamment sur les sols, montre qu’ils devaient être conservés sur les terrasses, au-dessus des pièces d’habitation. 398 La fouille de 1998 révèle aussi, pour les phases en pierre (périodes 5-6), un plan des casernes conforme à ce qu’on connaît ailleurs dans les camps légionnaires ou auxiliaires, c’est-à-dire la suite arma-papilio traditionnelle. Les constructions de la période 5 connurent un destin différent, vers le milieu du second siècle : seul le bâtiment au nord de la ruelle semble avoir brûlé, tandis que l’autre était épargné. Le début de la période 6 appartient déjà au IIIe s. Il sera sans doute possible, avec une étude plus fine des plans, de distinguer des étapes intermédiaires. Un camp de vexillation ? 399 Les vestiges de la période 1, mis au jour lors des fouilles de 1995- 1996, et confirmés par celles de 1998, ne doivent sans doute pas être mis en relation avec les vestiges d’un camp de la flotte. On pourrait y voir plus sûrement les restes des quartiers d’hiver de la Ie et de la XXe légion, conformément au témoignage de Tacite pour l’année 14. Toutefois, la taille réduite du camp exclut que l’on soit en présence, à Alteburg, d’un cantonnement pour une légion entière, encore moins d’un double camp légionnaire, et il vaut mieux songer à une vexillation. En comparaison des constructions en pierre postérieures, la nature fugitive de ces vestiges de la période la plus ancienne et leurs orientations multiples laissent penser à des occupations courtes, dans un camp qui n’était pas en permanence habité. On songe en revanche à des garnisons temporaires, périodiques, avec des phases d’interruption : quartiers d’hiver pour des troupes qui se trouvent ailleurs pendant l’été, probablement en campagne. L’occupation à partir de la période 2, c’est-à-dire à partir de Claude, présente un caractère tout différent : sur l’Alteburg existe désormais un camp permanent, qui sera toujours reconstruit selon un schéma immuable. C’est seulement à partir de cette époque que l’on doit mettre ces vestiges en relation avec les témoignages concrets (inscriptions et timbres sur tuiles) de la classis Germanica. 400 Le matériel issu des fouilles récentes laisse supposer un abandon du camp vers la fin du IIIe s. La série monétaire des fouilles de 1995-1996 s’interrompt avec des imitations de Tétricus I ou II (270-273). On ne connaît pas non plus de matériel du IVe s. On observera que la fonction du camp n’était pas seulement celle d’un casernement et d’un quartier général : l’étude du matériel montre une abondante production sur place (équipement militaire, mortier, produits semi-finis ou finis). Remarquable est, de ce point de vue, la découverte de grands pesons qui témoignent de l’activité de tissage du camp, normale si l’on considère qu’il s’agit d’un arsenal de la flotte. 401 BIBLIOGRAPHIE [2004] Bechert & Willems 1995, 34-36 ; Carroll 2002 ; Carroll & Fischer 1999 ; Carroll-Spillecke 1999; Fischer 2001 ; Fischer 2002 ; Fischer 2005; Fischer & Hanel 2003 ; Hanel 1998a ; Hanel 1998b ; Hanel 2002 ; Oschmann 1987. 401 COLOGNE/ DEUTZ DIVITIA Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (carte fig. 12) 402 H. HELLENKEMPER 403 L’expérience fournie par l’effondrement du limes rhénan après 275 et les nombreuses campagnes contre les Francs conduisirent Constantin à mettre en œuvre un nouveau programme de fortifications militaires (Cologne/Deutz, Haus Bürgcl, Xanten) sur le Rhin inférieur. La plus grande et la plus imposante de ces constructions est celle du pont et du fort de Cologne (fig. 261), ce dernier étant implanté sur la rive droite du Rhin, dans l’axe du decumanus maximus de la colonia Agrippina. La décision politicomilitaire de Constantin fut sans doute prise peu avant 310, si l’on en croit le Panégyriste inconnu (VI [VII] 13,1 sq.) qui signale à cette date le début de la construction du pont et du castellum. Les travaux sur les deux complexes eurent sans doute lieu en même temps, sous la maîtrise d’œuvre d’une vexillation (?) de la XXIIe légion, stationnée à Mayence, selon le témoignage d’une inscription (CIL XIII, 8502) transmise par Rupert von Deutz. D’autres timbres attestent la participation de la legio VIII Augusta C(onstantiniana) V(ictrix) de Strasbourg, de la legio XXX de Xanten et de manufactures privées. FIG. 261 Cologne/Deutz. Plan du fort. 404 Implantée selon un carré de 500 x 500 pieds, soit une distance de 148,15 m hors tout, de courtine à courtine, ou 141,35 m à l’intérieur, ce qui offre une surface d’environ 1,81 ha, la forteresse est dotée de dix-huit tours rondes, avec un rempart large de 4,35 m à la base et 3,30 m au niveau du chemin de ronde. La construction est réalisée en opus caementicium entre deux parements de blocs de tuf fraîchement taillés, avec des lits horizontaux de tuiles (un à trois rangs). Dans les fondations apparaissent de nombreux 402 remplois de monuments votifs, cultuels ou funéraires provenant des cimetières de la colonia Agrippina et peut-être du camp de la flotte, désormais abandonné, de Cologne/ Alteburg. Les moellons fraîchement taillés semblent provenir du Brohltal. 405 Différents travaux médiévaux de démantèlement ont affecté la construction, mais les vestiges archéologiques étaient encore préservés jusqu’aux premiers lits de l’élévation, aux XIXe et XXe s. Les recherches scientifiques ont commencé il y a cent vingt ans et ont été poursuivies de manière périodique jusqu’à nos jours. 406 Le plan, parfaitement orthogonal, montre à chaque extrémité de l’axe est-ouest deux portes, larges de 3,90 m au point de passage, et flanquées de deux tours saillantes. La hauteur de la courtine, comme celle de la muraille urbaine de la colonia Agrippina ( Ier s. ap. J.-C.), atteignait 7-8 m, sans compter le parapet et le crénelage. On accédait au chemin de ronde par des escaliers de bois, installés dans les tours, sans doute hautes de trois étages si l’on en croit des représentations rardo-antiques et une émission monétaire de Constantin. Les tours étaient couvertes d’une toiture, avec tuiles d’ardoise. 407 Une berme de 18 m sépare la muraille de deux fossés secs, larges de 12 à 14 m, en forme de V évasé selon une pente de 30°, sur les trois côtés qui ne bordent pas le fleuve. Dans l’axe de la porte orientale, le fossé extérieur conserve les traces de poteaux qui témoignent de la présence d’un pont. Du côté du fleuve, la berme et la rampe de terre permettant l’accès au pont ont été nivelées par les crues. 408 Les constructions internes (surtout évidentes à l’est) sont régulièrement divisées et comprennent seize casernes orientées nord-sud, de 57,4 m de longueur, 11,5 m de large hors tout (10 m à l’intérieur), soit deux fois huit blocs de part et d’autre de la via praetoria est-ouest. Au centre, quatre des casernes s’ouvrent sur un portique. 409 Les murs extérieurs des casernements, implantés dans le sol à une profondeur de 1 m, sont larges de 1,10 m en fondation, mais de 0,6 m en élévation, et sont construits en tuffeaux. Leur dimension autorisait sans doute la présence d’une mezzanine, mais celleci n’est pas assurée. Ces murs, qui n’ont connu qu’une phase de construction, ont à plusieurs reprises été spoliés pendant la période médiévale, ce qui est également le cas des pavements (en terre battue ou en mortier). Les cloisons intérieures, plus étroites, étaient en pans de bois. On connaît çà et là des traces de foyers et de canalisations. Les toits à un seul pan sur des fermes de bois étaient couverts de tegulae et d’imbrices. On n’a pas d’indice clair de l’aménagement interne ni de la présence de bains. 410 La voie prétorienne disposait d’un espace de 5 m de large (de pignon à pignon), les ruelles entre les baraques présentaient une largeur de 3,9 m, la via sagularis 7,5 m. À chaque fois, au milieu de la chaussée, apparaît une canalisation boisée couverte et destinée à l’évacuation des eaux. Les voies sont recouvertes de gravier. 411 Il n’existe aucun indice de constructions adossées au rempart. 412 Le fortin et le pont constituent un ensemble cohérent, l’un protégeant l’autre. Le castellum de Deutz constitue ainsi un modèle de l’architecture militaire constantinienne. On doit se demander, par comparaison avec l’architecture militaire du Principat, si le commandement militaire résidait à Deutz, où l’on ne connaît ni principia ni praetorium, ou dans la colonie, elle-même fortifiée et où sont attestés aussi, dans l’Antiquité tardive, des détachements navals. L’achèvement de la construction du pont fut réalisé sans doute en 315, si l’on en croit l’émission d’un double solidus de Trêves ; celui-ci porte sur le revers un fortin, un pont, et une statue impériale qui pourrait 403 témoigner de la présence du prince. La garnison fut constituée par un détachement de la XXIIe légion de Mayence, le numerus Divitensium, composé de neuf cents à mille hommes, ce qui constitue l’effectif moyen d’une légion au IVe s. 413 La catastrophe de l’automne et de l’hiver 355 –la prise et la destruction de la colonia Agrippina– ne se laisse pas appréhender archéologiquement à Deutz, car les sols et les casernes ont été très ruinés par les constructions postérieures. La garnison doit avoir abandonné le fort à cette occasion. Avec la campagne de Julien César en 356 et la reprise de Cologne, Divitia redevient poste militaire. La troupe est toujours l’unité des Divitienses, au témoignage du moins de l’épitaphe funéraire du protector Viatorinus, tué en opérations par un Franc in barbarico iuxta Divitia (CIL XIII, 8274). L’inscription, datée des années 350/406-407 avait été posée par le commandant de la troupe, vicarius Divitesium. Le cimetière ne semble pas être à Deutz, mais au nord-ouest de la colonia Agrippina, dans les environs de Saint-Géréon, où ont été découvertes différentes tombes militaires tardives. 414 Une garnison régulière semble avoir occupé Deutz jusqu’au retrait général de 407. On ne saurait dire avec certitude si, vers la fin du IVe s., les soldats vivaient avec leurs familles, ce que la découverte de bijoux laisse supposer. Le camp, intact, tomba entre les mains des Francs, comme le montrent la céramique et les restes de parure. Le pont perd alors sa fonction, faute d’entretien ; les bâtiments s’écroulent et sont réutilisés comme matériau de construction. 415 BIBLIOGRAPHIE 416 CORETTE (LA) → ARRAS [2004] Alföldi 1991 ; Carroll-Spillecke 1993 ; Grünewald 1989 ; Kraus 1925 ; Precht 1972-1973 ; Schmitz 1995, 643-776 (voir Grabinschrift des Viatorinus, p. 687-690; Das konstantinische Kastell in Deutz und die Divitienses, p.754-761). CUIJK CEUCLUM Limbourg, Pays-Bas (cartes fig. 5, 6 et 12) 417 J. K. HAALEBOS 418 Le fortin (fig. 262) est installé sur une terrasse sableuse de la Meuse, au croisement de la route Tongres-Nimègue et d’une voie secondaire qui mène à Xanten en suivant la Niers. Le nom antique est Ceuclum dans la Table de Peutinger (var. Cudiacum, Ceudiacum ou Ceucium). Selon ce même document, trois lieues (en réalité six) séparent le site de Nimègue et vingt-deux lieues de Blariacum (Venlo-Blerick). Le poste doit son importance au pont sur la Meuse, construit en pierre au IVe s., et fouillé ces dernières années. 404 FIG. 262 Cuijk. Plan du fort. dessin R.P. Reijnen. 419 Depuis le XVIIIe s., le site a livré diverses trouvailles et des restes du pont. De grandes fouilles ont eu lieu en 1937-1938, 1948 et 1964-1966. On connaît trois niveaux successifs : • un camp militaire supposé et daté du milieu et de la fin du Ier s. ; • un vicus civil, avec au moins deux fana à circulation périphérique, qui remplace le camp vers 100 ; • une nouvelle forteresse en terre et en bois, construite dans les premières années du IVe s., puis refaite en pierre dans la seconde moitié de ce même siècle. 420 Les deux fortins tardifs ont dû avoir une forme trapézoïdale et étaient entourés sur trois côtés de deux fossés de 2 m de large, séparés par une berme de 10 m. Du côté de la Meuse, non sondé, le fleuve peut avoir emporté les vestiges. 421 Du fortin le plus ancien, on ne connaît que le mur en terre et en bois, construit de manière particulière : large de 4 à 5 m, celui-ci est composé de trois rangées de gros poteaux, implantés sur une profondeur de 1,5 m. Le bourrage de terre, encore visible sur presque 1 m de hauteur, était coffré entre des murs de gazon, avec des boisements transverses à différents niveaux. On ne connaît pourtant guère de fortin en terre et en bois avec des remparts de cette taille au IVe s. 422 Du fortin en pierre (110 x 95 m), on connaît plusieurs éléments. Le rempart, large de 1,5 à 1,9 m, a été complètement dégagé sur le front sud, mais seulement sondé à l’ouest et au nord. Il est flanqué de tours semi-circulaires, dont le seul exemplaire intégralement conservé mesure environ 6 m de diamètre. De l’intérieur, on ne connaît qu’un bâtiment, implanté obliquement par rapport au rempart. Il s’agit d’un horreum de 26 x 14,5 m, divisé en trois nefs par deux rangées de piliers. Ce bâtiment trouve un parallèle étroit dans le camp Valentinien de Tokod (Hongrie). 423 Les deux fortins tardo-antiques successifs sont attribués par le fouilleur, le premier à Constantin, le second à Valentinien, au vu du spectre monétaire, mais on pourrait aussi penser, dans le deuxième cas, à l’activité de Julien César sur la Meuse, dans les 405 années 357-358, ou au contraire préférer l’époque constantinienne tardive, comme c’est le cas pour Maastricht. Les pilotis du pont montrent une activité dans les années 334-357, 368- 369 et 387-398. Les bois les plus anciens de la fortification en bordure de rivière datent des années 320 et 342. 424 [2004] Bogaers 1971 ; Goudswaard 1995; Goudswaard et al. 2000-2001 ; Mioulet & Barten 1994; Van Enckevort & Thijssen 1998 ; Enckevort & Thijssen 2002 ; Verwers 1990b. BIBLIOGRAPHIE DANGSTETTEN Bade-Wurtemberg, Allemagne (carte fig. 3) 425 G. FINGERLIN 426 Le camp de Dangstetten, sur le Rhin supérieur, a été découvert en 1967 dans l’aire d’extraction d’une gravière, après que de grandes parties de ce site, à l’ouest (retentura), eurent été complètement détruites et les zones contiguës, dans le secteur des bâtiments centraux en particulier, considérablement endommagées par un décapage mécanique atteignant 1,80 m d’épaisseur. Les fouilles, qui ont duré plus de deux décennies, avec des interruptions, ont toutefois permis d’examiner presque totalement la surface encore existante, aujourd’hui détruite jusqu’à la limite nord-ouest du camp. Elles ont en même temps apporté des renseignements importants sur la structure du plan et la technique de construction. Elles ont enfin fourni un abondant mobilier, unique en son genre pour le sud-ouest de l’Allemagne. Il convient de mentionner notamment trois témoignages épigraphiques de la XIXe légion, qui en 9 ap. J.-C. faisait partie de l’armée de Varus et sombra avec lui dans la “forêt de Teutobourg” (aujourd’hui localisée à Kalkriese près d’Osnabrück). 427 L’emplacement, sur la rive droite du Rhin supérieur, était particulièrement bien choisi pour une troupe opérant en direction du nord, vers la région du Danube supérieur. Le camp se situait à proximité du fleuve, franchi à cet endroit par une ancienne voie de circulation par laquelle on atteignait, depuis la Suisse moyenne, la région de Baar (sources du Danube) puis la vallée du Neckar. Entre le coude du Rhin à Bâle et l’extrémité occidentale du lac de Constance, cette voie était la seule route naturelle d’axe nord-sud aménagée à l’époque romaine comme axe principal le long duquel se trouvaient, entre autres, Vindonissa, Brigobannis (Hüfingen) et Arae Flaviae (Rottweil). Un ravitaillement par la voie d’eau du Rhin depuis la Gaule (Augusta Raurica) était en outre possible. 428 Le camp utilise sur le plan topographique une haute terrasse, qui s’interrompt vers le sud et l’ouest de façon abrupte par une rupture de niveau de plusieurs mètres. Cette position n’a pas de valeur défensive en soi, mais elle contrôle toute la région entre le fleuve (Zurzach / Rheinheim) et le col (Küssaberg) qui, au nord, conduit vers la vallée du Klettgau. 429 La forme du camp est à peu près celle d’un large rectangle, avec des angles “rentrants” au sud-est, imparfaitement arrondis au nord-est et au nord-ouest (fig. 263). Son tracé n’est d’ailleurs pas complètement assuré en raison de la destruction de sa partie occidentale. Au sud, l’enceinte semble s’être développée le long de la pente. Il n’est cependant plus possible, en raison de la forte érosion, de retrouver sa trace. La 406 superficie interne du camp (14 à 15 ha), ne peut donc être chiffrée de manière exacte (environ 410 x 350 m). FIG. 263 Dangstetten. Plan général : 1 principia ; 2 fabricae ; 3 horreum ; 4 casernements ; 5 grand bâtiment de fonction indéterminée ; 6 caserne de cavalerie. 430 L’enceinte est constituée d’un mur en terre et bois doté de tours en bois placées tous les 40 m. Deux portes (porta praetoria à l’est (fig. 264) et porta principalis sinistra au nord) ont pu être dégagées (type V.3 de Manning et Scott), le double fossé en V étant chaque fois interrompu devant le passage. La répartition interne des bâtiments s’ordonne en fonction du tracé des voies, reconnaissables à leur unique ou double fossé d’écoulement. Il convient de remarquer que la via praetoria ne conduit pas directement à la porta praetoria. Il n’existe pourtant aucun indice d’une reconstruction pouvant justifier une telle exception à la norme. Les seules modifications de l’espace intérieur que l’on peur constater proviennent du remplacement des rangées de tentes originelles par des construc tiens en bois. On observe ainsi des recoupements isolés de fossés par des tranchées de fondations plus récentes et au sud-est un bâtiment en bois qui ne correspond pas au schéma d’origine. 407 FIG. 264 Dangstetten. Plan de la porte prétorienne, à l’est. 431 Les rues divisent la superficie du camp selon un système d’axes parallèles ou perpendiculaires au mur oriental. Dans la bande orientale de la praetentura se trouvent les baraquements, également encore des rangées de tentes avec, aux extrémités, des constructions en bois (dans le secteur méridional). Dans une deuxième bande plus à l’ouest, des traces d’un grand bâtiment en bois ont été découvertes, montrant une rangée de pièces de 16 m de profondeur (trois sont attestées), à laquelle avait été adjointe perpendiculairement une aile de 8 m de largeur présentant une division semblable. On a pu ainsi reconstituer symétriquement un bâtiment rectangulaire d’environ 60 m de largeur sur une longueur maximale de 80 m, entourant une cour intérieure. Il ne peut s’agir ici que des principia avec leur cour (fig. 265). FIG. 265 Dangstetten. Les principia. Plan des structures fouillées et proposition de reconstitution. 408 432 Au nord des principia ne sont conservés que les vestiges difficilement interprétables d’un complexe de dimensions apparemment semblables, sans doute une des installations centrales du camp, mais dont il est impossible de définir la fonction. 433 Immédiatement au nord apparaît l’extrémité d’un autre baraquement, de même orientation, mais plus grand que les logements de troupes déjà cités. Cet édifice peut être interprété comme une caserne de cavalerie d’après ses dimensions, mais surtout grâce au matériel qu’on y a découvert. 434 Au sud des principia se situent les fabricae (fig. 266), un secteur avec de nombreuses traces d’activités artisanales (poterie, travail du fer et du bronze). Une salle de 16 x 10 m avec, sur le petit côté sud, un four utilisable depuis l’extérieur (chauffage, aire de séchage ?) appartient à cette zone. Ce bâtiment était doté, sur deux côtés, d’entrées couvertes. FIG. 266 Dangstetten. L’horreum et une partie des fabricae. 435 Au sud, séparé des fabricae par une palissade ou par une paroi de bois, apparaît un horreum (fig. 266) de plan à peu près carré (32 x 31 m) ; il jouxte, à l’est, une construction plus réduite, de fonction indéfinie, peut-être analogue. Ce sont les rangées de gros poteaux, parfois doubles, ainsi que le plan très caractéristique des petites fondations parallèles de courts boisements portant un plancher surélevé, pour des charges lourdes, qui permettent l’identification du grand horreum. 436 Dans la troisième bande, à l’ouest de la via principales, sont apparues, dans la partie sudouest, des structures qui laissent conclure à la présence de baraquements, de même orientation que dans la praetentura, peut-être encore sous la forme de rangées de tentes. Au nord, par-delà le secteur central, détruit, une nouvelle orientation des bâtiments a pu être constatée dans ce qui pourrait être un baraquement. Ces bâtiments ont ici une direction à peu près ouest-est, même si cette dernière n’est pas tout à fait 409 parallèle au tracé du mur d’enceinte nord. On ne peut d’ailleurs exclure la présence d’un autre type de construction organisée autour d’une cour intérieure (par exemple un valetudinarium). 437 Des parcelles occidentales du camp, rien n’a été conservé. Il est ainsi impossible de savoir si une division symétrique de la praetentura a été faite grâce à une autre voie nord-sud. Cela semble cependant largement vraisemblable si l’on considère l’aménagement intérieur, par ailleurs très régulier, du camp. 438 L’occupation de Dangstetten par des détachements de la XIXe légion est prouvée grâce aux témoignages épigraphiques déjà cités. L’espace disponible (14 à 15 ha) ne suffit en aucun cas pour une légion entière, même si l’on suppose que l’effectif était un peu plus faible qu’il n’est de règle. Il fallait en effet non seulement loger les cavaliers légionnaires, mais également les troupes auxiliaires dont la présence est attestée par la découverte de nombreux éléments d’équipement militaire caractéristiques. Il s’agissait en premier lieu d’un contingent non négligeable de cavaliers gaulois, sans doute une troupe recrutée pour cette entreprise et menée par ses propres chefs. Il existe par ailleurs des indices de la présence d’archers orientaux, peut-être de fantassins, dans la mesure où leurs traces ont été trouvées dans un secteur du camp autre que celui des cavaliers romains et gaulois. Les traces sont trop faibles pour déduire la présence d’une troupe d’auxiliaires germaniques. 439 La chronologie du site de Dangstetten peut être établie au moyen d’indices historiques et numismatiques. Le contexte très vraisemblable de la campagne des Alpes sous Drusus et Tibère porte à placer la fondation du camp en 15 av. J.-C. Cette date très précoce est confirmée par le matériel, notamment la quantité considérable d’arétine avec une proportion élevée de formes précoces. Une fondation légèrement plus récente (12-11 av. J.‑C.), semblable à la situation d’Oberaden, dans le cadre des préparatifs pour les campagnes germaniques de Drusus ne doit pourtant pas être exclue définitivement. 440 La série monétaire, dans laquelle manquent les émissions de l’autel de Lyon, est déterminante pour l’établissement de la chronologie de la fin d’occupation du site. Le camp était donc déjà abandonné avant que ces monnaies, massivement utilisées pour le paiement de la solde, n’atteignent l’armée stationnée sur le Rhin. Il faut donc avancer les années 9 ou 8 av. J.‑C., au cours desquelles, après la mort de Drusus, on a réexaminé la stratégie contre les Germains et abandonné de nombreux points d’appui militaires. 441 BIBLIOGRAPHIE [2004] Fingerlin 1970-1971 ; Fingerlin 1977 ; Fingerlin 1986b ; Fingerlin 1986c ; Fingerlin 1998 ; Fingerlin 1999 ; Roth-Rubi 2001 ; Roth-Rubi 2002 ; Wiegels1989. DELBRÜCK/ANREPPEN Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (carte fig. 3) 442 J.-S. KÜHLBORN 443 Le camp romain d’Anreppen, découvert dans le courant de l’année 1967 au sud de Delbrück, se situe sur un terrain plat, directement sur la rive méridionale actuelle de la Lippe (Lupia). Certaines parties du camp à l’ouest et au nord-est ont disparu dans les méandres de la rivière. Les fouilles ont débuté en 1968 (fig. 267). 410 FIG. 267 Delbrück/Anreppen. Plan général du camp. dessin J.-S. Kühlborn. 444 Le tracé du camp correspond à celui d’un ovale allongé et irrégulier. La superficie totale s’élevait à environ 23 ha et était ainsi d’à peu près 5 ha plus grande que celle du camp principal de Haltern. La raison et la fonction du rentrant semi-circulaire sur la face nord du camp sont incertaines. Cet aménagement a parfois été interprété comme l’indice de la présence d’un port fluvial, hypothèse que le fouilleur, A. Doms, a définitivement écartée. Tous les bâtiments étaient en bois ou en colombages. L’enceinte était constituée d’un mur en bois et terre, large d’environ 3 m et d’un fossé en V d’une largeur maximale de 6,6 m et d’une profondeur atteignant 2,3 m. La fortification était renforcée le long du front méridional du camp par un fossé supplémentaire, plus petit (larg. 3 m ; prof. 1,6 m). À partir de 1988, les fouilles se sont concentrées sur l’intérieur du camp. Depuis cette date ont été examinés le praetorium avec les cours et les résidences avoisinantes, un édifice à vocation économique (fabrica), un grand horreum, les logements des troupes le long de la via sagularis méridionale, divers tronçons de voie, des sections de la ligne de fortification et la porte d’enceinte méridionale (porta principalis dextra). 445 Le praetorium (1), sans aucun doute l’un des édifices les plus majestueux du camp, se trouve à l’ouest des principia, non encore fouillés. Il était situé au centre d’une insula de 141 x 71 m. Il est possible de reconstituer avec certitude les dimensions totales du praetorium, même si certaines parties n’ont pas pu être entièrement fouillées. La longueur de la façade s’élevait à environ 47,5 m, l’édifice s’étendait en profondeur sur à peu près 71 m, ce qui équivalait approximativement à une surface construite au sol de 3375 m2. Les correspondances étroites de plan avec le praetorium plus ancien d’Oberaden sont évidentes. L’accès, un portail d’une largeur de 6,7 m encadré de deux colonnes, se situait à l’est. L’atrium couvert qui vient ensuite, d’à peu près 11 m de largeur et 18 m de longueur, était soutenu par quatre paires de colonnes. Derrière se trouvait une pièce (triclinium) visiblement fermée vers la cour ; de chaque côté, un couloir étroit donnait accès au péristyle. Des salles de formes différentes se situaient des deux côtés de cette rangée de pièces. Enfin venait la cour (26 x 25 m), bordée de portiques d’environ 3,5 m de largeur. La disposition des pièces a pu être reconstituée dans son intégralité sur le côté méridional, mais seulement partiellement sur le côté opposé. Les salles placées à l’arrière n’ont été jusqu’à présent observées que dans 411 l’angle sud-ouest. Le praetorium d’Anreppen est d’une conception exceptionnellement grande et luxueuse et les correspondances avec les villas italiques sont évidentes. Il est tout à fait permis de supposer qu’un tel praetorium, vu sa construction particulièrement somptueuse, était conçu pour servir de logement adapté au rang élevé du gouverneur et commandant des troupes opérant en Germanie. Connaître l’emplacement du praetorium permet en partie de déduire l’organisation du camp. La voie placée en arrière doit correspondre à la via quintana. La façade d’entrée du praetorium se situait sur une voie, par comparaison étroite, d’environ 8,5 à 9 m de largeur, d’axe nord-sud. Les principia devaient être placés sur le côté oriental de la rue en vis-à-vis. L’ensemble du camp était ainsi non pas orienté en direction de la Lippe mais vers l’est. La via principalis et la porte d’enceinte orientale se situaient dans la prolongation de l’axe ouest-est. 446 Le praetorium était flanqué sur les deux côtés par deux maisons très allongées. L’édifice nord (2), de 71 m de longueur et 15 m de largeur vraisemblablement, était séparé du praetorium par une grande cour. La maison sud (3), de 71 x 30,5 m, n’était pas elle non plus en contact direct avec le praetorium. Entre les deux se trouvait une cour allongée, sur le côté nord de laquelle courait une rangée de colonnes. Cette cour flanquée de colonnes sur le grand côté nord rappelle dans son tracé un gymnase grec. La répartition spatiale de ces constructions entourant le praetorium suggère de façon très probable l’existence de maisons d’habitation de grand standing, destinées à des officiers supérieurs. 447 Au nord de l’insula du praetorium se situait un complexe de bâtiments (7) de 26,5 x 23,5 m, réaménagé au moins une fois. Ce complexe était précédé d’une cour de 21,5 x 16m avec portiques de 3 à 3,5 m de large et entrée principale au sud (fig. 267). Une entrée latérale se trouvait sur la via quintana. Un four avec des parois en pierres sèches était placé dans le secteur de l’angle nord-ouest du complexe. La chaufferie a été rénovée à deux reprises au moins. Au moins deux des quatres salles étaient dotées, d’après les trous de poteau observés, de planchers ventilés par-dessous. On peut supposer l’existence d’un chauffage par le sol en relation avec la chaufferie. La seule découverte analogue jusqu’à présent est celle d’un bâtiment du camp, pratiquement contemporain, de Marktbreit, interprété par les fouilleurs comme une fabrica avec aire de séchage intégrée pour les céréales. Le bâtiment d’Anreppen montre cependant une particularité. L’eau coulait en abondance dans l’édifice, de sorte qu’elle devait être drainée au moyen d’un canal d’évacuation. À côté de l’interprétation comme fabrica se présente donc une possibilité d’utilisation tout à fait différente, celle de thermes. La cour d’entrée pourrait ainsi correspondre à la palestre. 448 Le rapport entre les découvertes d’outils et de scories faites à proximité et le complexe de bâtiments reste cependant sans explication évidente. 449 Les logements de plusieurs centuries se situaient entre la voie limitant au sud l’insula du praetorium et la via sagularis. Les baraques de huit centuries ont été jusqu’à présent observées. Sept centuries se trouvaient entre la via quintana et la via principalis, une centurie supplémentaire est attestée à l’ouest de la via quintana. Comme dans le cas d’Oberaden, les maisons des centurions, de taille variable, sont séparées des logements des troupes par une zone étroite non construite. Dans cette bande laissée libre se trouvaient plusieurs puits et latrines. Alors que, dans le cas des maisons des centurions, des petites tranchées continues avaient été creusées pour recevoir les poteaux porteurs et le clayonnage des murs, les baraquements des troupes d’une longueur 412 d’environ 30 m étaient simplement reconnaissables aux rangées de trous de poteaux individuels. 450 Parmi les portes du camp (type V de Manning et Scott), seules la porte d’enceinte sud (fig. 268) et partiellement celle de l’est nous sont connues. Les deux fossés en V se terminaient, à la hauteur de la porte méridionale, la porta principalis dextra, laissant ainsi libre un pont de terre d’environ 9,5 m de large. FIG. 268 Delbrück/Anreppen. Porte sud (Kühlborn 1995, 135). 451 L’ébrasement de la porte, d’une longueur de 7,5 m, convergeait vers l’intérieur, et constituait un bastion en forme de cour de 7,5 x 4 m. La fermeture de la porte offrait ainsi suffisamment d’espace pour un passage d’accès double. Au-dessus, une construction en forme de pont devait avoir relié les tours latérales de la porte à la hauteur du chemin de garde. Ce ne sont pas des trous isolés qui ont été creusés pour accueillir les poteaux de soutien du dispositif de la porte, mais des tranchées continues. De petites interruptions dans les tranchées de poteaux à côté de la paroi interne du mur en terre et bois pourraient être interprétées comme entrées latérales de plain-pied des tours. Un bâtiment en forme de T (8) d’une longueur de 23,5 m s’élevait à l’est de la porta principalis. L’accès à cette construction se situe à l’ouest et avait ainsi visiblement un lien direct avec la porte d’accès sud du camp. On connaît un bâtiment semblable à proximité de la porte sud du camp d’Oberaden. La fonction de cet édifice est incertaine. Il est possible d’imaginer par exemple un logement pour les gardes de la porte ou un magasin d’armes. On observe un bâtiment semblable (8’) à l’intérieur du camp, le long de la courtine orientale. La relation avec la porte d’accès orientale du camp est ici également indéniable. Seuls quelques poteaux de la partie interne de la porta praetoria ont été conservés. 413 452 Un horreum (6) exceptionnellement vaste est visible le long de la via principalis, au voisinage immédiat de la porte d’enceinte méridionale (fig. 269a). Cette construction importante a été en grande partie détruite par un cimetière moderne. Dans l’état actuel des fouilles, l’édifice présente une superficie d’environ 68 x 56 m. Un accès de 9,5 m au centre de la façade méridionale de l’édifice ainsi que deux autres au nord ont été jusqu’à présent attestés. On a seulement trouvé à l’intérieur de l’édifice les traces des piliers porteurs qui portaient le plancher suspendu et donc aéré par-dessous. Un groupe de cinq greniers (11) a été mis au jour le long de la viapraetoria près de la porte orientale du camp. Ils étaient séparés du reste du camp par une palissade (fig. 269b). Ces greniers étaient fondés sur des sablières basses et des poteaux porteurs. Le plus vaste, à l’ouest, avait une dimension de 20,5 x 37,25 m. Les quatre (ou peut-être cinq) autres, à l’est, étaient séparés du premier par une ruelle. Leur longueur atteint 36,5 m, pour une largeur qui oscille entre 13,5 et 6,5 m. Il est clair que cette capacité exceptionnelle de stockage fait d’Anreppen une base logistique qui a dû jouer un rôle majeur lors des offensives vers l’intérieur de la Germanie. FIG. 269 Delbrück/Anreppen. a l’horreum sud ; b les greniers près de la porte orientale du camp. dessin J.-S. Kühlborn. 453 Une datation absolue pour la fondation du camp, en 5 après J.–C., est fournie par la détermination dendrochronologique des bois d’un puits et d’une latrine. La fin de l’occupation est plus discutée (vers 9 après J.-C.?). 454 BIBLIOGRAPHIE 455 DEUTZ →COLOGNE/DEUTZ [2005] Beek 1970 ; Doms 1970 ; Doms 1971 ; Doms 1983 ; Fbrtsch 1995 ; Kühlborn 1991 ; Kühlborn 1995 ; Morel 1991b ; Schnurbein 1981 . 414 DIEULOUARD/SCARPONNE SCARPONNA Meurthe-et-Moselle, France 456 R. BRULET 457 Le site de Scarponne est localisé dans la vallée de la Moselle, à hauteur de Dieulouard, à l’emplacement de l’ancien vicus de Scarponna. Le vicus se trouve le long de la voie Langres-Trèves. Le fort n’occupait pas l’île comme actuellement, il barrait l’accès à l’agglomération et contrôlait la route et la vallée (fig. 270). Le vicus se répartissait le long de la chaussée romaine. Ses limites sont difficiles à évaluer. Plusieurs vestiges de bâtiments non identifiés, quelques vestiges d’habitations ainsi qu’une nécropole de l’époque romaine font partie de cette agglomération secondaire. Ce site a été terriblement bouleversé par les différents travaux qui se sont succédé depuis le milieu du XIXe s. Au milieu du XXe s., on voyait toujours les fondations du rempart septentrional sur la presque totalité de ses 107 m. La façade orientale a aujourd’hui entièrement disparu. La partie méridionale est toujours visible sur une trentaine de mètres. FIG. 270 Dieulouard/Scarponne. Localisation du castellum (Massy 1998, 141, fig. 3). 458 Les premières mentions de découvertes archéologiques à Scarponne ont eu lieu au début du XVIIIe s. Entre 1834 et la fin du XXe s., aucune fouille archéologique n’a été menée sur le site. Des découvertes fortuites ont été signalées dans les revues “savantes” locales, en particulier Le Journal de la Société d’archéologie de la Lorraine. Diverses tentatives pour dresser un plan du castellum ont été faites, dans lesquelles M. Toussaint se démarque incontestablement par la qualité de son travail. En 1963, P.-Y. Deseigne, avec le concours du Touring-Club de France, ouvre des sondages le long de la courtine ouest de la fortification. 415 459 Le rempart du castellum a été décrit à différentes reprises. La description de 1902 par le comte J. Beaupré semble la plus satisfaisante : la face nord, qui mesure 107 m, n’est pas rigoureusement droite mais est composée de deux segments de murs articulés au niveau d’une tour. Le côté sud mesurerait 70 m, le côté ouest 93 m, la face est 77 m. Des tours de 4 m de diamètre sont disposées aux angles. Des tours construites au milieu des courtines ouest et est défendent ces faces du fort où pénètre la voie romaine. Le mur ouest était fondé sur un niveau d’argile à faible profondeur, tandis que la partie supérieure était construite en petit appareil. Ce mur est constitué de remplois de stèles funéraires et d’éléments d’architecture disposés en parement sur un seul lit, le noyau de la fondation est constitué de mortier. La largeur du rempart à cet endroit est de 2,50 m environ. Le tracé de la courtine ouest et les différents tracés des courtines nord et sud dessinent un castellum en forme de parallélogramme, circonscrivant un espace d’environ 1 ha. 460 Le remploi systématique des monuments funéraires des IIe et IIIe s. situe cette construction au Bas-Empire. Deux monnaies en bronze de Valentinien II (371-392) etd’Arcadius (377-408) ne peuvent fournir un terminus post quem certain à la construction de la muraille étant donné la mauvaise connaissance de leur contexte de découverte. La seule information qui permette de fixer un terminus ante quem de l’édification du fort est fournie par Ammien Marcellin. Son récit de la victoire de Jovin en 366 sur les Alamans mentionne Scarponne mais ne signale pas l’existence d’une place forte qui aurait pu jouer un rôle militaire à cette occasion. En revanche, Paul le Diacre mentionne qu’en 451, une fortification est assiégée par les Huns. 461 BIBLIOGRAPHIE [2004] Massy 1998 DILLINGEN/PACHTEN Sarre, Allemagne (carte fig. 13) 462 R. BRULET 463 Le fort est situé au sud de Trêves, sur la route qui relie Metz à Mayence, en passant par Bingen, non loin d’un pont sur la Sarre. Il occupe l’emplacement de la zone occidentale du vicus détruit en 275-276 ap. J.-C. 464 La fortification (fig. 271) offre une enceinte rectangulaire maçonnée, et mesure environ 152 x 133 m, entourant une superficie de 1,9 ha. Elle est munie de seize tours approximativement carrées, de 7 m, projetées vers l’extérieur et vers l’intérieur du fort. Les tours d’angle sont davantage proéminentes. L’enceinte comporte deux portes flanquées de tours carrées. La muraille, épaisse de 2,50 m, a un noyau central et un parement en petit appareil, posés sur des blocs de remploi. 465 La fortification de Pachten a sans doute été construite sous Constantin. Le mobilier date l’abandon du castellum au début du Ve s. ap. J.-C. 416 FIG. 271 Dillingen/Pachten. Plan de la fortification (Cüppers et al. 1983, 332). [2004] Johnson 1983a ; Petrikovits 1971 ; Schindler 1963. 466 BIBLIOGRAPHIE 467 DIVITIA →COLOGNE/DEUTZ DORMAGEN Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (cartes fig. 7, 8 et 12) 468 M. GECHTER 469 La preuve la plus ancienne de la présence de l’armée romaine à Dormagen est fournie par une briqueterie de la Ie légion. Celle-ci se situait au sud du futur camp de cavalerie, le long de la route du limes en direction de Cologne. Sept fours ont pu jusqu’à présent être attestés. On a aussi retrouvé des traces qui peuvent être interprétées comme celles d’une aire de séchage. Le camp de la vexillation de la légion affectée au travail dans la briqueterie semble être, d’après les vestiges plus anciens de tombes et de constructions, situé sous le camp tardif de cavalerie. La briqueterie a été en activité dans les années 30 et au début des années 40 du Ier s. ap. J.-C. 470 A l’époque de Domirien, le camp de cavalerie de Dormagen a été érigé près d’un ancien bras du Rhin (fig. 272). Ce fut d’abord un ouvrage en bois, remplacé, au milieu du IIe s. ap. J.-C., par un camp en pierre de dimensions analogues. Seuls des vestiges infimes de l’enceinte du camp en bois nous sont parvenus. La présence d’écuries bipartites de 60 m de longueur et de 10 m de largeur est attestée à l’intérieur. 417 FIG. 272 Dormagen. Plan de localisation du camp. dessin M. Gechter. 471 Le costellum en pierre présentait une superficie de 3,16 ha avec des dimensions intérieures de 199 x 159 m (fig. 273). Le mur d’enceinte, épais de 1,5 m, était protégé par un double fossé. Comme il est usuel au milieu du IIe s. sur le Rhin inférieur, le chemin de ronde de la fortification avait été placé sur des corbeaux. Les principia (45 x 43 m) s’ouvraient sur un hall couvrant la via principalis. Des deux côtés de la cour s’étendaient deux rangées de pièces, avec, au fond, une basilique fermant le dernier côté. Les écuries se trouvaient à l’intérieur de la retentura à droite et à gauche, ainsi que derrière les principia (fig. 274-276). Elles étaient composées de box pour les chevaux et d’un corridor de circulation. Au moins à l’une des extrémités se trouvaient les logements destinés au personnel. Les écuries n’étaient pas recouvertes de tuiles, mais vraisemblablement de paille. Deux casernes doubles se trouvaient dans la partie gauche de la retentura. Elles avaient une longueur comparable à celle des écuries. Les logements des décurions possédaient tous un chauffage par le sol et une surface au sol de 16 x 11 m soit 176 m 2. Il n’y avait à l’intérieur de ces casernes doubles que respectivement quatre chambrées par turme. Elles étaient construites en dur et dotées d’un toit en tuiles. Des casernes s’élevaient à nouveau entre la via praetoria et la via principales, dans la partie droite de la retentura. Une rangée de tabemae se situait dans la partie gauche de la praetentura le long de la via principalis. Derrière, le praetorium du préfet se trouvait directement sur la via praetoria. En direction de la porta principalis sinistra s’élevait un atelier en colombages, doté de trois fours à moufles. La présence d’un bâtiment de stockage a pu également être mise en évidence dans cette partie de la praetentura. 418 FIG. 273 Dormagen. Le camp : phase en pierre du Haut-Empire. dessin M. Gechter. FIG. 274 Dormagen. Plan des casernements et des écuries. dessin M. Gechter. 419 FIG. 275 Dormagen. Écuries : a période ancienne ; b période récente. dessin M. Gechter. FIG. 276 Dormagen. Reconstitution des écuries selon M. Gechter. dessin R. Anczok 472 L’ala Noricorum, en garnison à Dormagen depuis les années 80, quitta vraisemblablement le camp en 161 ap. J.-C. et prit part à la guerre des Parthes de Lucius Verus en tant que troupe auxiliaire de la legio la Minervia. Elle ne réintégra pas son ancien camp qui brûla quelques années plus tard. 473 Le camp ne fut réoccupé que sous l’empire gaulois, sans doute par les habitants du viens qui, devant le danger des Francs, s’étaient réfugiés à l’intérieur des murs, encore en élévation. Au début du IVe s., un petit castellum de 52 x 48 m (dimensions intérieures) fut ensuite construit au nord-est du site (fig. 277). Ses murs étaient reliés à l’ancienne enceinte subsistante. Les murs et les fossés devaient être encore intacts. 420 FIG. 277 Dormagen. Le petit fortin du IVe siècle dans l’angle nord-est de l’ancienne fortification. dessin M. Gechter 474 La nouvelle construction présentait un mur de 3 m d’épaisseur sur des fondations en pilotis. Un fossé peu profond avait été creusé devant le nouveau mur dans l’ancien secteur interne du camp. Il n’est pas possible de préciser si ce petit castellum abritait des détachements de l’armée de campagne ou des troupes affectées à la zone de frontière. Le grand espace intérieur de l’ancien camp de cavalerie pourrait cependant avoir été utilisé pour accueillir des comitatenses. La série monétaire s’interrompt ici vers la fin du IVe s. 475 BIBLIOGRAPHIE [2004] Gechter 1994 ; Gechter 1995a ; Müller 1979 ; Müller 1987 DOURBES/LA ROCHE À LOMME Namur, Belgique 476 R. BRULET 477 Au lieu-dit La Roche à Lomme, sur un promontoire isolé dominant le confluent de l’Eau blanche et de l’Eau noire, se développe une forteresse située à peu de distance de la voie romaine venant de Saint-Quentin. La Roche à Lomme a été étudiée à deux reprises par la Société archéologique de Namur en 1877 et en 1904. Par la suite, de nombreux chercheurs privés et des collectionneurs se sont intéressés au site et ont récolté des monnaies et de la céramique qu’il livrait en abondance. On peut évaluer le nombre des monnaies connues et répertoriées à environ cinq mille pièces. Des investigations plus systématiques ont été entreprises en 1972 et en 1973. 421 478 Le promontoire de La Roche à Lomme est protégé de manière naturelle par de fortes déclivités sur les faces nord, est et ouest. Il comprend un plateau ovale d’une superficie de 17,5 ares et une terrasse très allongée en contrebas (fig. 278). Le système défensif s’articule autour de trois éléments distincts : une porte donnant accès à la terrasse, une porte et un rempart de terre défendant le plateau et une tour rectangulaire médiévale située sur le point culminant du site (fig. 279). La première porte est matérialisée par un double alignement de trous de pieux distants de 3 à 4 m. La deuxième comporte un passage ménagé dans un étranglement rocheux ; elle a connu plusieurs aménagements et a été renforcée par la construction d’un mur soutenant une levée d’argile. FIG. 278 Dourbes/La Roche à Lomme. Vue aérienne du site (Brulet 1974, 7). 422 FIG. 279 Dourbes/La Roche à Lomme. Plan de la fortification rurale (Brulet 1974, 52). 479 Le monnayage romain s’avère très abondant pendant les périodes de 260 à 275, 330 à 346 et 388 à 402. On signale des monnaies du Ve s. : Constantin III, imitations d’Honorius, silique de Jovin, vers 410. Le site a d’ailleurs été réoccupé aux époques mérovingienne et carolingienne. La terre sigillée ornée à la molette est très abondante ; on y trouve aussi de la céramique de l’Eifel et de fabrication germanique, ainsi que des équipements militaires. La chronologie du site s’étend donc de la deuxième moitié du IIIe s. au Ve s. 480 La deuxième porte présente trois phases d’aménagement. Le premier stade correspond à un aménagement du passage avec trous de pieux et l’édification d’une butte de terre pour barrer l’accès au promontoire. Le deuxième stade voit le renforcement de la levée de terre et l’érection d’un mur de terrassement et d’un bastion rectangulaire. Le troisième voit la construction d’un mur qui barre le passage et signifie l’abandon de cette porte. La première et la deuxième phases sont datées d’avant le milieu du IVe s. 481 [2004] Annales de la Société archéologique Namur 1877, 14, 213-214 ; Annales de la Société archéologique de Namur 1911, 30, 185; Brulet 1974; Namurcum 1939, 16, 49-53 ; Robert 1969. BIBLIOGRAPHIE DÜREN/FROITZHEIM Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne 482 TH. FISCHER 423 483 La villa rustica et les trois burgi de Froitzheim se situent entre Erft et Rur, au sud-est de Düren, au sein des fertiles terres de lœss entre Cologne et Aix-la-Chapelle. Cette région, de par sa fonction de grenier à blé de la Germanie inférieure, présentait, sous l’empire romain, une implantation serrée de villae rusticae. 484 Le bâtiment principal de la villa construit en pierre (site A) s’étend sur un petit promontoire de l’Eifel, limité au nord par un ruisseau (fig. 280). Le terrain s’incline légèrement en direction du sud et de l’est. Les trois burgi (sites B-D) se situent à l’ouest de la petite éminence, à moins de 150 m environ de distance des ruines du bâtiment principal. FIG. 280 Düren/Froitzheim. Plan des structures A-D d’après les photographies aériennes et les prospections géomagnétiques (Barfield et al. 1968, 9, fig. 1). 485 En 1909, une campagne de prospection, dont les minutes ont depuis longtemps disparu, eut lieu dans le secteur de la villa (site A) ; des ramassages occasionnels de matériel en surface furent ensuite réalisés. C’est seulement en 1962 que les sites A-D ont été repérés sur photographies aériennes par I. Scolar qui effectua ultérieurement la prospection magnétométrique des sites C-D. Dans les années 1963 et 1964, le Landesmuseum de Bonn, sous la direction de L.H. Barfield, organisa dans le secteur du burgus (site B) des fouilles qui permirent de connaître la plus grande partie du site (fig. 281). 424 FIG. 281 Düren/Froitzheim. Burgus B, structures fouillées (toutes périodes confondues). dessin R. Brulet. 486 Cinq périodes de construction ont pu être distinguées lors des fouilles du burgus (site B). La période 1 (fin du IIe s.-début du IIIe s.) était représentée uniquement par une section de fossé rectiligne (fossé de limite ou de route). Deux fossés formant une enceinte quadrangulaire (fossé ext. : 55 x 53 m, larg. environ 6 m, prof. 1,5 m ; fossé int. : environ 50 x 49 m, larg. 5 m, prof. 1,8 m) correspondent à la période 2 (peu avant 274 ap. J.‑C.). Les deux fossés se rétrécissaient au nord-est, le fossé extérieur montrait des interruptions au nord-ouest et au sud-est. Lors de la période 3 (autour de 274 ap. J.-C.), le fossé interne a été remblayé et remplacé par une fortification en bois. À cette époque eut lieu également la construction en dur d’une tour centrale reposant sur deux piliers d’environ 8 x 8 m en grès et briques (fig. 282). La tour était reliée à un mur qui suivait une direction nord-ouest et sud-est vers l’extérieur du burgus. Une cave et un puits ont également été construits lors de la période 3. La période 4 (peu après 274 ap. J.-C.) est caractérisée par plusieurs phases d’aménagements de bâtiments en bois, qu’il n’est pas possible de distinguer les unes des autres ; cette période se termine par des traces de destruction par le feu. Après un vide d’environ cinquante années, l’occupation du site reprend après le milieu du IVe s. 425 FIG. 282 Düren/Froitzheim. Reconstitution de la structure B (Bechert & Willems 1995, 20, fig. 11). 487 Le site C se situe à environ 80 m au sud du site B et est semblable par sa structure et ses dimensions au burgus (site B) (deux fossés, tour sur deux piliers) ; aucun mobilier ne permet d’avancer une datation. 488 Le site D se situe à environ 30 m à l’est du site C et ses deux fossés englobent une surface rectangulaire d’environ 30 x 45 m. La présence d’une tour n’a pas pu être attestée jusqu’à présent et aucun mobilier ne permet dans ce cas non plus d’avancer une datation. 489 Les trois burgi n’ont sans doute pas été construits en même temps ; il faut plutôt imaginer une succession chronologique, le burgus B pouvant être le plus ancien. Il a été construit pour servir de refuge aux habitants des villae lors des troubles sous l’empire gaulois, dans la seconde moitié du IIIe s. Les tours sur piliers des installations B et C pourraient correspondre à des greniers à blé fortifiés. De nombreuses découvertes d’armes et d’éléments d’équipement militaire soulignent l’existence de combats, qu’il convient peut-être de mettre en relation avec les vestiges d’incendie et de destruction de la fin de la période 4. 490 BIBLIOGRAPHIE [2004] Barfield et al. 1968 ; Heimberg 1981 ; Van Ossel 1992, 195, fig . 7 ; Brulet 1995. ECHTERNACH Luxembourg (carte fig. 13) 491 R. BRULET 492 La forteresse se localise à peu de distance de la Sûre pour surveiller le passage de la voie romaine en direction de Bitburg. Elle est bâtie sur une éminence naturelle, ce qui détermine son plan circulaire. Cette butte constituera le noyau de la cité médiévale d’Echternach. 426 493 La forteresse (fig. 283) offre un diamètre de 53 m ; la muraille circulaire a été édifiée notamment avec des blocs de remploi. Par la suite, elle fut légèrement réduite, le nouveau plan ne présente plus qu’un diamètre de 49 m comportant quatre tours intérieures très proéminentes vers l’intérieur de l’ouvrage, dont une tour-porte et trois poternes. Un puits marque l’intérieur du site. La première forteresse a été édifiée dans le courant de la seconde moitié du IIIe s. Sa reconstruction se situe dans la seconde moitié du IVe s. et il est sûr qu’elle fut utilisée jusqu’au milieu du siècle suivant. FIG. 283 Echternach. Les deux phases de la forteresse (Metzler et al. 1981, 274). 494 [2004] Mettzler et al. 1981. BIBLIOGRAPHIE ECHZELL Hesse, Allemagne (cartes fig. 7 et 8) 495 D. BAATZ 496 Echzell se situe dans la section orientale du limes de la Vétéravie, à environ 12 km au nord-est de Friedberg (Hesse). Dans les dernières années du règne de Domitien fut érigé à cet endroit l’un des plus grands castella du limes de Germanie supérieure, une forteresse en bois de 5,2 ha. Le camp reçut, apparemment sous Hadrien, une enceinte en pierre. Deux routes militaires reliaient le camp d’une part avec le castellum de Friedberg et de l’autre avec le castellum de Arnsburg, à la limite nord de la Vétéravie. Elles permettaient l’intervention rapide des troupes d’Echzell sur chaque site de la région. La section du limes devant le camp était protégée par les vastes zones boisées du Vogelsberg et par conséquent moins menacée. Le castellum était orienté est/sud-est en direction de la vallée marécageuse de Horloff, qui forme ici la limite orientale de la Vétéravie. Le limes passait à une distance de 1,3 km, de l’autre côté de la vallée, qui servait de barrage naturel supplémentaire. 497 Le castellum était suffisamment grand pour une aile milliaire, mais la présence d’une telle troupe sur le limes de Germanie supérieure n’est pas attestée. Deux unités d’auxiliaires ont dû vraisemblablement stationner à Echzell, une aile quingénaire et une cohors quingenariapeditata. Les unités ne sont toutefois pas identifiées. La présence d’une cavalerie est attestée par les fouilles. Parmi les ailes de Germanie supérieure peuvent être envisagées : l’ala Moesica felix torquata, l’ala Ia Flavia Gemina et l’ala Indiana Gallorum ; parmi les cohortes, peut-être la cohors XXXa Voluntariorum civium Romanorum. 427 On peut penser que les unités ont été relevées à une ou plusieurs reprises. Un tel camp trouve des parallèles dans les autres castella de Germanie supérieure qui ont une double garnison, par exemple Niederbieber ou Neckarburken. Le castellum a subi des destructions dans les années 60 ou 70 du IIe s. ap. J.-C. ainsi que lors de l’attaque des Alamans en 233 ap. J.-C., mais il a subsisté jusqu’au milieu du IIIe s. 498 La fortification du second siècle, construite selon le schéma habituel, était dotée de quatre portes ainsi que de tours d’angle et de tours intermédiaires, à peine saillantes (fig. 284). Trois des portes possédaient un passage double, seule la porte à l’arrière était simple. Devant le mur d’enceinte courait un fossé défensif à l’avant duquel fut tracé, vraisemblablement dans la première moitié du IIIe s. ap. J.-C., un autre fossé, plus petit, mais visiblement inachevé. FIG. 284 Echzell. Plan du fortin sous Hadrien (Baatz & Hermann 1989, 261, fig. 189). dessin D. Baatz 499 Les principia étaient initialement en bois. Au cours du temps, l’édifice fut progressivement reconstruit en pierre (fig. 285) ; on commença d’abord par la chapelle aux enseignes. Plus tard, les salles réservées à l’administration à côté de l’aedes ainsi que le hall transversal reçurent des murs en pierre. Les deux ailes latérales de la cour intérieure furent les dernières à être reconstruites en dur, mais il ne s’agissait encore vraisemblablement que de murs de soubassements pour une élévation en colombages. Une citerne se trouvait dans la cour intérieure. Le grand hall d’entrée a été à maintes reprises rénové, mais il resta jusqu’à la fin un édifice en bois. Avec des dimensions de 50 x 100 pieds romains et une travée unique de près de 15 m, il figurait parmi les plus grands du limes de Rétie-Germanie supérieure. Il était pratiquement comparable aux halls d’Unterböbingen et de Theilenhofen, surpassé uniquement par ceux de Butzbach, Aalen et Niederbieber. 428 FIG. 285 Echzell. Les principia au début du IIIe s. dessin D. Baatz FIG. 286 Echzell. Baraquement dans la retentura. Plan complété (Baatz 1965, 143, fig. 2, 8). dessin D. Baatz 500 Le reste des bâtiments intérieurs n’est connu que de façon incomplète. Parmi les logements construits lors de la fondation du castellum, treize baraquements au minimum ont été partiellement dégagés, un quatorzième au moins peut être complété par symétrie (fig. 287). Si l’on compte six baraquements pour une cohorte quingénaire ainsi que huit pour une aile quingénaire (avec respectivement deux tours par baraquement), cela équivaut à quatorze baraquements, ce qui correspondrait à l’hypothèse émise plus haut sur l’occupation du camp. Il convient de souligner la découverte de peintures murales exceptionnelles qui ont dû, à une période tardive de construction, orner le triclinium d’un logement d’officier, à l’extrémité d’un baraquement (fig. 288, pl. H.T. I-II). Elles sont datées du milieu du IIe s. ap. J.-C. 429 FIG. 287 Echzell. Peinture d’un logement d’officier. photo J. Bahlo. FIG. 288 Echzell. Les thermes. A apodyterium ; F frigidarium avec piscine (P) ; T1, T2 tepidarium ; C caldarium ; S1, S2 sudatorium (Baatz & Hermann 1989, 262, fig. 190. dessin D. Baatz 430 PL. I (H.T.) Vue de la peinture des casernements d’Echzell. PL. II (H.T.) Reconstitution de la peinture des casernements d’Echzell. 501 Au sud et à l’est du camp s’est étendu un vaste vicus qui pourrait avoir eu, d’après Kofler, une superficie d’environ 80 ha. À cet endroit, comme c’est souvent le cas sur le limes de Germanie supérieure, se situaient les grands thermes dépendant du camp “à droite de la porta praetoria” (fig. 288). Tout près s’élevait un vaste édifice construit à la même époque, présentant quelques pièces chauffées, connu uniquement à l’état fragmentaire. Il s’agit vraisemblablement d’une mansio. On pouvait encore voir à la fin du XIXe s., à environ 45 m de la porta decumana (vers l’ouest), un monticule arasé de 65 m de diamètre et de 3 à 4 m de hauteur, le Grünberg. Il renfermait des couches de cendres, 431 des débris de construction ainsi qu’un abondant matériel romain, sans doute un dépotoir. 502 [2004] Baatz 1965 ; Baatz 1968 ; Baatz & Herrmann 1989 ; ORL B, 18 ; Schleiermacher 1991 ; Schbnberger 1985 (d. p. 463 ; D 52). 503 ENCRAOUSTOS 504 ENTERSBURG → HONTHEIM BIBLIOGRAPHIE → SAINT-BERTRAND-DE-COMMINGES ÉPRAVE/TIENNE DE LA ROCHE Namur, Belgique 505 R. BRULET 506 Le site est localisé au lieu-dit Tienne de la Roche, sur un éperon enserré par une boucle de la Lomme (fig. 289a). Mentionné dès 1851, le site a fait l’objet de plusieurs campagnes de fouilles de la part de la Société archéologique de Namur, de 1857 à 1891 (Hauzeur-Bequet). En 1958, le Service des fouilles de l’Etat a procédé à l’étude du rempart, des fossés et des portes d’accès au refuge (J. Mertens). FIG. 289 Éprave/Tienne de la Roche, a localisation du site et des grandes nécropoles fouillées autour de la fortification ; b plan de la fortification rurale. dessins R. Brulet 507 La fortification d’Éprave est protégée sur tout le flanc est par l’à-pic surplombant la rivière (fig. 289b). Les défenses proprement dites comprennent un mur d’enceinte et deux fossés. La superficie intérieure du refuge correspond à 37 ares environ. Le mur d’enceinte, long de 136 m, en forme de demi-lune, circonscrit l’éperon sur les faces 432 nord, ouest et sud. Il présente une technique de construction de tradition romaine : large de 1,75 à 1,93 m, il est constitué d’un parement régulier, de quelques arases de tuiles et d’un blocage de couches horizontales de moellons disposés de chant avec mortier rosâtre ou gris. À chacune de ses extrémités, le mur d’enceinte fait un retour vers l’intérieur du refuge et protège les deux accès latéraux au réduit. Au surplus une poterne, large de 1,51 m, s’ouvre au centre du rempart. Le premier fossé, peu profond, suit l’enceinte. Le second, plus large, est situé à une vingtaine de mètres du mur. Des vestiges de constructions en clayonnage, accolées à l’enceinte, ont été relevés au cours des fouilles anciennes. 508 Les travaux de 1958 ont livré un monnayage couvrant essentiellement une période s’échelonnant entre 335 et 402 ; un lot considérable appartient à Magnence et à Décence (350-353), en relation avec une couche d’incendie. L’étude des pièces retrouvées au siècle dernier, tout en confirmant cette forte proportion de monnaies de la période constantinienne et du milieu du IVe s., prouve que le site était également occupé dans le courant de la fin du IIIe s. On signale de la terre sigillée argonnaise, de la céramique de tradition Eifel, des équipements militaires. 509 Eprave constitue aussi l’un des points de référence majeurs pour la connaissance du caractère présenté par ses occupants. En effet, le site se trouve entouré de plusieurs très grandes nécropoles qui ont malheureusement été fouillées sans soin au siècle dernier (fig. 289a). Il s’agit de la nécropole de Devant le Mont, de 178 sépultures à inhumation et de 10 sépultures à incinération, débutant au milieu du Ve s. ; de la nécropole de Derrière le Mont et de Sur le Mont, de la même période ; de la nécropole de Han-sur-Lesse, de 506 sépultures commençant à la fin du IVe s. Ces cimetières demeurent en usage à la période mérovingienne et montrent qu’un site fortifié comme celui d’Eprave a été à l’origine de la fondation d’un établissement humain de grande importance. 510 [2004] Annales de la Société archéologique de Namur 1857-1858, 5, 28-32 ; Annales de la Société archéologique de Namur, 1861-1962, 7, 293-296 ; Annales de la Société archéologique de Namur 1877, 14,214-215; Annales de la Société archéologique de Namur 1881, 15, 309-310 ; Annales de la Société archéologique de Namur 1891,19,435-469; Mertens & Remy 1973. BIBLIOGRAPHIE ERMELO Gueldre, Pays-Bas 511 R. S. HULST 512 Le camp se situe à 4,5 km au sud-est d’Ermelo, à la limite entre la lande et la forêt de Leuvenum, et est, à l’heure actuelle, coupé par une route. Il a été établi dans la zone de transition entre, à l’ouest, la moraine glaciaire, et à l’est la vallée de Leuvenum. La zone était déjà déboisée à l’époque romaine et constituait une liaison naturelle entre le limes du Rhin et le lac Flevo (Ijsselmeer), situé au nord. Le Rhin est éloigné de 36 à 40 km. 513 La première description remonte à l’année 1844. J.H. Holwerda (RMO, Leyde) dirigea en 1922 le premier sondage et interpréta le site comme un camp de marche. Une deuxième fouille fut effectuée en 1987 sous la direction de R.S. Hulst (ROB, Amersfoort), 433 au cours de laquelle on effectua une coupe étroite en travers du camp. Les résultats confirmèrent l’interprétation déjà proposée. 514 Le camp a la forme d’un parallélogramme irrégulier (fig. 290) et présente une superficie de 9,1 ha. Un rempart en terre et un fossé sur le côté extérieur en constituent les restes visibles. La superficie du camp, à l’intérieur du rempart, s’élève à 8,6 ha. Chacun des quatre côtés est interrompu pour un passage, protégé par un rempart de terre et un fossé (titulum). Un fossé médian traverse le camp d’est en ouest, parallèlement aux petits côtés. Il est également interrompu en son milieu et est doté sur la face sud d’un titulum. FIG. 290 Ermelo. Camp de marche. 515 Le rempart est construit en sable et mottes de terre, avec un revêtement de gazon. La largeur à la base était de 3 m. Le fossé avait un profil en V et était doté à sa base d’une rigole de section rectangulaire. La largeur variait entre 1,60 et 2,40 m, la profondeur entre 1,45 et 1,70 m. La berme entre le talus et le fossé d’enceinte avait une largeur de 1 m. Le fossé médian fut à nouveau comblé, très vite après son creusement ; il ne présente en effet aucune trace d’érosion. La forme et les dimensions d’origine ont donc pu être conservées. La forme est la même que celle du fossé extérieur. La largeur est de 2,34 à 2,47 m, la profondeur de 1,61 à 1,74 m. Certaines particularités observées au niveau du fossé médian ont conduit à émettre l’hypothèse selon laquelle quatre hommes étaient employés pour la réalisation du rempart et du fossé sur une longueur de 1,50 à 1,70 m. Ceci signifierait que l’on a utilisé pour la construction de l’ensemble du camp trois mille cinq cents à quatre mille hommes. Un homme tous les 2 m suffisait pour le remblaiement du fossé médian. 434 516 Près du côté oriental, dans l’intervallum, a été découvert un four à pain. Il était constitué d’un foyer circulaire (diam. 1 à 1,20 m) et d’une fosse de travail rectangulaire. Il n’y avait pratiquement pas d’autres traces d’occupation dans le camp. 517 Les tessons d’une assiette en céramique sigillée et de quelques marmites à pâte grossière avec lèvre en forme de cœur datent le camp de la deuxième moitié du IIe s., voire un peu avant. Cette datation est confirmée par différentes datations au 14C dont les valeurs moyennes sont très proches les unes des autres. Le camp n’a donc été utilisé que pendant une période très brève. Il n’existe aucune preuve d’une occupation plus longue ou d’une utilisation répétée du site à diverses époques. Les fossés d’enceinte et le fossé médian sont tous contemporains. 518 En raison de la datation, on peut supposer que le camp de marche a été érigé lors d’une expédition contre les Chauques qui, dans la deuxième moitié du IIe s., constituaient une menace plus ou moins réelle sur la province et fragilisaient par leurs incursions la zone frontière autour de 170 ap. J.-C. 519 BIBLIOGRAPHIE [2004] Holwerda 1923 ; Hulst à paraître ESTISSAC/BEAUREGARD Aube, France (carte fig. 2) 520 M. THIVET 521 L’enceinte de Beauregard (Aube) se situe en sommet de colline, sur la fin du plateau crayeux du Sénonais, à 216 m d’altitude. Elle surplombe la vallée de la Vanne au sud et celle du Bétrot à l’est (fig. 291). FIG. 291 Estissac/Beauregard. Photo aérienne du camp (Groley 1980). photo J. Bienaimé 435 522 Le camp de Beauregard se présente comme un grand quadrilatère de 420 m de long pour 320 m de large (fig. 292). On remarque, sur les photographies aériennes disponibles, deux entrées en chicane, l’une à l’est et l’autre au nord, qui témoignent du caractère défensif et militaire de cette enceinte. Les haies qui en conservaient l’aspect et en soulignaient les éléments remarquables ont été arrachées il y a quelques années, si bien que le camp n’est pour ainsi dire plus discernable. FIG. 292 Estissac/Beauregard. Localisation d’après la carte IGN (1 : 25000) 2717 E. image M. Thivet 523 G. Groley voit dans cette enceinte le dernier camp du général romain Aetius, avant la bataille opposant l’armée romaine aux Huns menés par Attila en 451. Cette hypothèse est à prendre avec la plus grande prudence en l’absence de données archéologiques incontestables (le seul objet découvert sur ce site est une monnaie de l’Antiquité tardive). Il faut d’ailleurs remarquer que cet établissement n’a jamais fait l’objet de recherches de terrain. Ainsi, seule la forme caractéristique et la position de cette enceinte nous permettent de lui attribuer la fonction de camp militaire romain, sans plus de précisions. 524 BIBLIOGRAPHIE 525 EYSSES [2004] Groley 1964 ; Groley 1980 ; Thivet 2002. → VILLENEUVE-SUR-LOT 436 FAMARS FANUM MARTIS Nord, France (carte fig. 12) 526 R. BRULET 527 Les sources historiques mentionnent le site de Fano Martis Belgicae Secundae Praefectus Laetorum Nerviorum (Notifia Dignitatum Occ. XLII) et le Pagum Fanomartensis (diplômes de Humbert de 706, 775, 860, translatio de ca 830). Le castellum se situe au centre du village actuel, au Mont Houy, au croisement de deux routes se dirigeant vers Crespin, Cambrai, Hermoniacum et l’Escaut. Il a fait l’objet de recherches diverses depuis le début du XIXe s., notamment en ce qui concerne les thermes, entre 1823 et 1826 puis en 1908 par M. Hénault. Les travaux les plus significatifs datent de 1917-1918 et ont trait à la fortification (G. Bersu et W. Unverzagt). H. Guillaume explora, en 1957-1958, un tronçon de la muraille d’enceinte, et la direction des Antiquités les abords de l’église paroissiale en 1973 et en 1974, sur la face externe occidentale du castellum. Les travaux de fouilles plus récents concernent essentiellement le vicus du Haut-Empire. 528 Le castellum a la forme d’un quadrilatère irrégulier (fig. 293) mesurant au nord 105 m, au sud 110 m, à l’est 140 m et à l’ouest, 165 m. La face ouest s’incurve assez nettement vers l’extérieur. Son tracé a été conditionné par l’existence du grand établissement thermal. La superficie de la fortification correspond à environ 1,8 ha. FIG. 293 Famars. Plan du castellum (Brulet 1990, 92). 529 Les fortifications comprennent une muraille d’enceinte et trois fossés défensifs. L’enceinte s’élève encore par endroits de 2,50 à 4 m au-dessus du niveau actuel. Elle est 437 flanquée de tours distantes en moyenne de 24 m ; elles sont semi-circulaires ou circulaires aux angles. 530 Sur la face orientale, deux états dans la construction de l’enceinte ont été observés. À un premier état se rattache un mur à mortier blanc, large de 1,20 m, avec chaînage de tuiles. Au second état se rattache un mur large de 2,30 m, adossé au précédent, lié au mortier rouge et sans parement interne. Trois tours ont subi des agrandissements au cours de la seconde étape de construction. Les tours présentent un diamètre d’environ 5,50 à 6 m et la tour d’angle de 8 m. 531 Sur la face occidentale, la muraille offre une épaisseur réduite de 1,80 à 2 m ; son aménagement est fait de petits moellons réguliers avec alternance d’arases de briques et de mortier rose. Une rangée de trous de poteau, à une distance de 2 m de la courtine, destinés à supporter primitivement un chemin de ronde, a été observée par les archéologues allemands. Cinq tours semi-circulaires sont connues. On y voit un seul état dans la construction ; on a assimilé à tort un mur des thermes à celui de la fortification, même si les thermes ont pu être utilisés un temps comme refuge. 532 Un fossé a été repéré sur la face septentrionale. Sur la face ouest, trois fossés chronologiquement distincts ont été recoupés. Le premier se trouve à 10 m de l’enceinte, avec pointe en U, à 3,25 m de profondeur, remblayée naturellement. Le second est creusé à 20 m du mur ; il recoupe le premier fossé (larg. 12 m ; prof. 3,75 m). Le troisième se trouve à 32,50 m (larg. 12 m ; prof. 4 m). Ils ont pu être renforcés de palissades. 533 On distingue à l’intérieur un établissement thermal et une occupation d’époque mérovingienne. L’établissement thermal du Haut-Empire n’a pas été abandonné et nivelé au moment de la construction de l’enceinte, mais a connu un état tardif avec réutilisation partielle, parfois à des fins différentes. 534 À l’extérieur du site se développe une agglomération secondaire très vaste durant le Haut-Empire. On y a notamment retrouvé une cave avec de nombreuses monnaies des Tetrici dans un niveau d’occupation. On signale aussi des monnaies du IVe s. dans l’agglomération ouverte. 535 Trois trésors, enfouis dans une cour au nord-est des thermes, ont servi de base de référence à la chronologie de l’enceinte urbaine. Tant la composition de ces trésors que leur valeur chronologique doivent être contestées. On distingue le trésor A avec les pièces les plus récentes de Constance ; le trésor B (Carin) ; le trésor C (Constantin). Mais leur découverte remonte à 1823-1825. La liaison de ces trésors avec les états architecturaux I et II du castellum doit être abandonnée ; au surplus, ces trouvailles pourraient appartenir à un seul dépôt d’environ trente mille pièces. On signale aussi un trésor de provenance inconnue, enfoui après 268. Les monnaies de site sont assez nombreuses et couvrent tout le IVe s. À l’époque mérovingienne, Famars a dû posséder un atelier monétaire. L’occupation se traduit alors par une église primitive avec caveaux funéraires des VIe et VIIe s. 536 En 2005, suite à un projet d’aménagement d’immeubles, de nouvelles recherches ont permis de préciser le tracé de la courtine du côté nord qui était largement inconnu auparavant et celui des fossés défensifs. 537 BIBLIOGRAPHIE [2005] Beaussart 1980 ; Bersu & Unverzagt 1961 ; Brulet 1990 ; Brulet 1995b ; Leman 1975 ; Gricourt & Laude 1984; Jessu 1961 ; Leman & Beaussart 1978a. 438 FAUX-VÉSIGNEUL Marne, France (carte fig. 2) 538 A. GELOT 539 Le camp de Faux-Vésigneul, au lieu-dit Le Champ Gabriel, est installé sur un coteau nord-est qui s’avançe vers la rivière de la Coole, affluent de la Marne (fig. 294). Il était connu par des photographies aériennes prises par le service régional de l’Archéologie en 1993, 1995 et 1996, mais celles-ci ne permettaient pas de l’authentifier. Les prises de vue effectuées en 2003 par R. Roussinet et celle de l’IGN (1984) apportent les preuves de l’existence d’un grand camp militaire romain qui se reconnaît à différents détails caractéristiques : forme quadrangulaire, angles arrondis et clavicula (fig. 295 et 296). Le site offre l’avantage de pouvoir être daté grâce à la superposition de la voie d’Agrippa (actuelle RD 4) sur l’un de ses angles. FIG. 294 Faux-Vésigneul/Le Champ Gabriel. Plan du camp. dessin A. Gelot 439 FIG. 295 Faux-Vésigneul/Le Champ Gabriel. Le fossé et la porte nord-est. photo R. Roussinet FIG. 296 Faux-Vésigneul/Le Champ Gabriel. Fossé du grand camp. photo A. Gelot 440 540 Le grand camp s’apparente à un carré presque parfait d’environ 610 x 655 m de côté (40 ha), aux angles arrondis. Le fossé du camp oscille entre les courbes de niveaux 150 et 155 m. Le centre culmine à 165 m. L’emplacement offre une vue panoramique sur une distance d’au moins deux kilomètres. Les quatre côtés du camp ont été repérés et quatre portes ont été observées. Trois d’entre elles présentent, du côté interne, une clavicula. L’angle nord-est montre une petite excroissance interne, du côté du rempart, qu’il est difficile d’interpréter. Près de l’angle nord-est, vers l’intérieur, une structure rectangulaire (fosse ?) reste à déterminer. À l’extérieur du camp, un fossé en arc de cercle part depuis l’angle nord-est pour rejoindre l’angle nordouest. L’absence de recoupement avec le fossé du camp et l’interruption supposée au niveau de l’angle nord-est conduisent à associer cette structure à celle de la fortification. 541 Des sondages effectués en 2005 attestent d’un effondrement naturel du rempart dans les fossés ouest, est et sud du grand camp. L’ouverture maximale de ceux-ci a été évaluée à2,72 m pour une profondeur de 1,68 m. Le comblement, qui comprend de nombreux éléments de craie, montre que le rempart était au moins partiellement construit avec ce matériau. Aucune trace de palissade n’a pour l’instant été mise en évidence (fig. 296). 542 Des photographies aériennes prises en 2004 et 2005 ont en outre permis d’observer deux autres enceintes à l’intérieur du grand camp. La première (312 m x 170 m, soit 5,3 ha), appelée “camp interne”, s’appuie sur le fossé sud du grand camp et englobe sa porte sud. Une porte est visible sur chacune des faces est et ouest, dans le tiers septentrionale de la structure, et est protégée par un titulum, visible sur les photographies aériennes. La seconde enceinte, appelée “petit camp” semble s’appuyer sur les côtés est et sud du grand camp, à l’angle sud-est de celui-ci. Ses dimensions exactes ne sont pas encore connues, mais la surface semble inférieure à 5 ha. 543 Les sondages de 2005 sur les fossés du “camp interne” ont révélé des dimensions plus réduites que celles du grand camp (1,80 m x 0,68 m), mais le comblement semble assez proche. Sur le “petit camp”, l’unique sondage réalisé en 2005 a mis en évidence un fossé de faible ouverture (0,43 m x 0,23 m), dont le comblement laisse envisager un aménagement interne (palissade ?). 544 Le site a pour l’instant livré très peu de matériel. On doit toutefois noter la découverte en surface d’un clou de chaussure orné de quatre globules sous la tête, du type C4 d’Alésia (castellum XI, et camp C). 545 Une chronologie assez large du site est assurée par un élément stratigraphique significatif. En effet, la RD 4 coupe le camp dans son angle sud-est. C’est l’ancienne voie d’Agrippa, qui vient de Langres et se dirige sur Reims par Châlons-en-Champagne avant de monter à Boulogne (“troisième voie de l’Océan”). S’il est trop tôt pour qu’on soit assuré de la datation précise de la chaussée dans ce secteur, la date du second gouvernorat d’Agrippa en Gaule (vers 19-18 av. J.-C.) offre un terminus ante quem probable pour le début de la construction du camp. Les fouilles archéologiques sur le tracé de la voie semblent confirmer cette hypothèse. On notera que le casque césarien de Coolus, site éponyme, a été découvert à 18,5 km du camp. Par conséquent, et même en supposant que la voie n’ait pas été mise en chantier dès le début du second gouvernorat d’Agrippa, on estimera vraisemblable que le camp de Faux-Vésigneul était déjà abandonné dans les deux dernières décennies avant notre ère. 441 546 La forme carrée du grand camp évoque celle de Mauchamp à Berry-au-Bac, daté de 57 av. J.-C. La surface de 40 ha de Faux-Vésigneul est aussi proche de celle de Mauchamp (42 ha). La situation du camp, au sud du territoire des Rèmes, à la frontière de la Gaule Belgique et de la Gaule Celtique, rappelle en outre le texte dans lequel César indique clairement son arrivée aux frontières de la Belgique (BG II, 2 et 3). Sans que l’on puisse évidemment assurer que ces faits doivent être mis en relation avec le camp de Faux-Vésigneul, cette campagne de 57 fournit un terminus post quem pour la construction du camp. 547 BIBLIOGRAPHIE 548 FELDBERG → GLASHÜTTEN 549 FENOTTE (LA) → MIREBEAU-SUR-BÈZE 550 FLERZHEIM → RHEINBACH [2005] Gelot en coll. Roussinet 2004. FOLLEVILLE/LE BLANC MONT Somme, France (carte fig. 2) 551 M. REDDÉ 552 Le retranchement quadrangulaire du Blanc Mont, à Folleville (fig. 297), est situé à environ 21 km au sud d’Amiens. Il s’agit d’un quadrilatère légèrement irrégulier, dont les côtés mesurent respectivement 325, 380, 425 et 430 m, aux angles légèrement arrondis ; il est précédé par un double fossé. Deux portes protégées par un titulum sont clairement visibles à l’est et à l’ouest sur les photographies aériennes de R. Agache. Divers terrassements apparaissent aux abords. Les sondages anciens opérés sur les fossés ne permettent pas de proposer une datation précise, malgré la présence d’un tesson d’amphore augustéenne dans le comblement. Il s’agit toutefois vraisemblablement d’un camp datable entre l’époque de César et celle d’Auguste. 442 FIG. 297 Folleville/Le Blanc Mont. Plan du camp d’après la photographie aérienne (Agache 1978, 232, fig. 9). 553 BIBLIOGRAPHIE [2004] Agache 1978. FRANCFORT-SUR-LE-MAIN/HEDDERNHEIM ET PRAUNHEIM NIDA Hesse, Allemagne (carte fig. 6) 554 P. FASOLD 555 Au nord de Francfort, entre les localités de Heddernheim et Praunheim, ont pu être mis en évidence les restes d’au moins dix installations militaires. Le terrain s’incline vers le sud en direction de la Nidda. Pour la construction, on a choisi le point le plus élevé d’une terrasse. Le camp de légionnaires de Mayence, situé à l’ouest, était rapidement accessible en deux jours de marche, ou par voie d’eau sur la Nidda et le Main. La région fertile de la Vétéravie s’étend au nord. 556 Les camps C, D, E et L et l’annexe du camp B avaient déjà été explorés par G. Wolff entre 1901 et 1908 (fig. 298 et 299). Des opérations de construction dans les années 1920 et 1960 conduisirent à la découverte d’autres sections de fossés (camps F, G, H, I, K). Des fouilles méthodiques à l’intérieur du castellum en pierre A avec son précurseur en bois et terre avaient déjà eu lieu à partir de 1896 sous la direction de G. Wolff, puis à nouveau en 1957-1959 et 1963 sous celle de U. Fischer. Les traces archéologiques ont été pour une grande part anéanties lors de la création d’une cité HLM entre 1961 et 1973. La recherche est ainsi réduite, dans une large mesure, à l’interprétation des fouilles anciennes. 443 FIG. 298 Francfort/Heddernheim et Praunheim. Installations militaires flaviennes et trajaniennes. FIG. 299 Francfort/Heddernheim et Praunheim. Plan du fort A et de l’annexe B (Huld‑Zetsche & Rupp 1988). 557 L’absence d’aménagement intérieur et la pauvreté du matériel découvert dans les dispositifs C-L suggèrent qu’il s’agit de camps de marche construits dans un court espace de temps, et qui ne peuvent être exactement datés par la céramique à l’intérieur 444 de la période flavienne. Un ordre relatif a été tout du moins constaté en raison de la superposition de certaines installations. Les camps C, D, F (et G ?), doivent être plus anciens que le castellum A construit à la fin de l’époque de Vespasien. Les camps H, I et K ont dû être établis avant l’édification du réseau routier, à la fin du règne de Domitien. Le camp L constitue l’installation la plus récente, à la fin du Ier s., dans la mesure où il est visiblement orienté en fonction de la voie vers Mayence, déjà tracée à cette époque. On ne peut complètement exclure qu’un des camps puisse être attribué aux campagnes augustéo-tibériennes. Il est vrai que jusqu’à présent, les découvertes de cette période sont pratiquement inexistantes dans la vaste zone entre Heddernheim et Praunheim. 558 D’après les recherches effectuées entre 1901 et 1908, on peut estimer que le camp C avait un plan rectangulaire avec des côtés de 420 x 280 m et une superficie d’environ 11 ha. Le fossé en V avait une largeur de 3,50 m et une profondeur moyenne de 1,80 m (fig. 300a). À 2 m à l’intérieur courait une tranchée avec des poteaux placés tous les 1,60 à 1,70 m. Sur le côté ouest du camp se trouvait une porte fermée par un titulum d’une longueur de 16,50 m (fig. 300b). En travers du camp, à l’intérieur, courait un fossé plus petit qui devait servir à réduire à un triangle la surface prévue originellement, à moins, ce qui est plus vraisemblable, qu’il ne constitue la limite nord du camp D. Son extension a pu être suivie à l’ouest sur près de 500 m et au sud sur environ 130 m. L’enclos polygonal (?) entoure le castellum A et pourrait avoir servi de camp de construction (?). Le camp L a pu également être restitué dans toute son étendue : ses accès au nord et à l’est étaient aussi défendus par des fossés en V. Dans le cas des autres camps E, F, I, K, seules des sections de fossés sont connues, qui ne permettent pas de déduire les dimensions d’origine. Le fossé H a pu toutefois être suivi sur une longueur de 550 m. Le fossé sud, initialement attribué au camp L, doit sûrement être envisagé, en raison de ses dimensions réduites, comme faisant partie d’un autre camp. À l’intérieur de ce onzième camp est attestée la présence de six fours. 445 FIG. 300 Francfort/Heddernheim : a camp C, plan et profil du fossé sud, éch. 1 : 200 (ORL B, 27, III, 4a) ; b camp C, plan de la porte ouest, éch. 1 : 400 (ORL B, 27, III) ; c camp B, plan de la porte (éch. 1 : 400) (Wolff 1915, pl. III). 559 Les plans indiquent, même si toutes les installations n’ont pas été effectuées simultanément, une forte concentration de troupes sur la Nidda, en particulier à l’époque vespasienne. 560 Le camp permanent A (et son annexe B) a été mieux étudié grâce aux fouilles de G. Wolff et de U. Fischer. À la fin de l’époque de Vespasien a été construit un castellum en bois et terre avec des tours en bois et un revêtement de mottes de gazon. L’enceinte englobait un rectangle aux angles arrondis de 282 x 186 m de côté. La construction a subi une modification entre la guerre des Chattes (83-85 ap. J.-C.) et la révolte de Satuminus (89 ap. J.–C.). Après une destruction du camp, les troupes érigèrent encore à l’époque flavienne, sur la même superficie et en conservant le double fossé, un camp en pierre avec trente tours et des portes elles-mêmes flanquées de tours. Les seuls éléments connus de l’aménagement intérieur sont lesprincipia et, au sein de la retentura, les casernements des troupes ainsi qu’une fabrica (?). Le castellum fut abandonné lors du départ des troupes vers les limes sous Trajan (après 103 ap. J.-C.). Vraisemblablement encore sous Domitien, on construisit une annexe sur le côté oriental du camp dont le double fossé enserrait une superficie de 292 x 80 m (camp B). L’accès était possible par une porte en bois à double passage (fig. 300c). À l’intérieur, plusieurs rangées de poteaux indiquent la présence d’un magasin d’au moins 50 x 45 m. Le bâtiment avait manifestement une vocation de ravitaillement. 561 Le début de l’époque flavienne voit le stationnement de l’ala la Flavia Gemina dans le camp de bois et de terre, peut-être de concert avec la cohors XVIIIa Voluntariorum civium Romanorum. C’est après la révolte de Satuminus que la cohors IVa Vindelicorum a été mutée à Heddernheim et le castellum en pierre édifié. 446 562 Vers Mayence, entre la porte d’enceinte du camp et le début de la voie jalonnée de tombes, au niveau de la platea praetoria, une aire de plus de 1 km 2 avait été réservée et métrée pour un village visiblement très étendu, qui n’a été en fait étudié que sur de petites sections. Les tombes des soldats, celles de leurs familles et des civils travaillant pour l’armée s’étendaient le long des axes de circulation les plus importants vers le nord et l’ouest. L’échange des unités stationnées est également visible à partir des modifications à l’intérieur du village. C’est seulement autour de 90 ap. J.-C. qu’a été aménagé le système de voirie, tout au moins dans la partie nord de la zone d’habitation. On observe à cet endroit un programme systématique de constructions sur un parcellaire en lanière. Un établissement de bains, à l’ouest du castellum, a été également remplacé à cette époque par des thermes situés devant la porte d’enceinte sud. 563 La présence assurée d’au moins dix installations militaires souligne bien l’importance stratégique de la place pendant l’occupation de la Vétéravie sous Vespasien, dans les années qui suivent 73 ap. J.-C., et lors des guerres chattes sous Domitien. Une autre unité d’infanterie était stationnée en même temps que l’unité de cavalerie. Après le départ de l’armée sous Trajan et à partir du viens se développa à cet endroit le chef-lieu de la civitas Taunensium nouvellement fondée –Nida– qui administra le territoire jusqu’à l’abandon du limes sur la rive droite du Rhin, en 259-260 ap. J.-C. 564 [2004] Fischer 1973 ; Fischer et al. 1998 ; Huld-Zetsche & Rupp 1988; Huld‑Zetsche 1989 ; HuldZetsche 1994 ; ORL B, Il, 3, Kastell n027. BIBLIOGRAPHIE 565 FRANKFURT AM MAIN → FRANCFORT-SUR-LE-MAIN 566 FROITZHEIM → DÜREN FURFOOZ/HAUTERECENNE Namur, Belgique 567 R. BRULET 568 La forteresse occupe le plateau de Hauterecenne, dominant la Lesse de près de 100 m de hauteur. Le site a été exploré, en 1876-1877, par la Société archéologique de Namur (Bequet) puis, de 1900 à 1905, par E. Rahir et d’une manière plus systématique, en 1932, par J. Breuer. Des recherches complémentaires ont été menées en 1974 sur le site du fortin. A l’extérieur de la forteresse, sur la pente nord du refuge, la Société archéologique de Namur a fouillé un petit établissement de bains, actuellement reconstitué. Dans les ruines de celui-ci, et à proximité immédiate, fut installée une petite nécropole à inhumation tardive, publiée successivement par A. Bequet, J.A.E. Nenquin et A. Dasnoy. 569 L’éperon est orienté nord-est/sud-ouest ; il est bordé de toutes parts par des pentes escarpées. Le plateau très étroit, d’une superficie d’environ 80 ares, a été fortifié à diverses reprises (fig. 301). Les défenses comprennent un mur d’enceinte flanqué de tours et deux murs de barrage précédés de retranchements. Le mur d’enceinte, épais de 0,70 m, se développe sur la face nord-ouest du refuge et ne circonscrit pas tout l’ouvrage. Le côté sud-est, où la falaise est à-pic, n’a pas été protégé. Au nord-est, il est flanqué d’une tour carrée bâtie à l’intérieur du fortin. Du côté des bains, il se trouve également percé par un accès, défendu au moyen d’une ou deux tours quadrangulaires 447 appuyées contre la face extérieure de celui-ci. Le premier mur de barrage est long de 22 m et épais de 1,20 m (fig. 302 et 303). Son noyau est formé de pierres disposées en arête de poisson, et son parement de moellons réguliers. Un accès était ménagé le long du versant septentrional ; la roche y a été polie par un passage répété. Le deuxième mur de barrage est moins soigné. La partie inférieure est romaine. Une porte semble avoir été ménagée vers le centre. À l’époque médiévale, le mur a été rehaussé et muni de contreforts pour la construction d’une courtine. Un peu plus loin en avant, sur l’élargissement du plateau, existaient des retranchements. À l’intérieur du fort, on trouve deux bâtiments quadrangulaires. Le plus important, situé sur le point culminant du site, correspond à un donjon subdivisé en deux parties. L’autre remonte probablement à l’époque romaine. À l’extérieur de la redoute, il faut mentionner les thermes que l’on pourrait dater du début du Bas-Empire romain. FIG. 301 Furfooz/Hauterecenne. Plan de la fortification rurale : 1 fin du IIIe s. et première moitié du IVe s. ; 2 seconde moitié du IVe s. et début du Ve s. (Brulet 1978, 88-89). 448 FIG. 302 Furfooz/Hauterecenne. Plan du premier mur de barrage et de la porte d’entrée (Brulet 1978, 22). FIG. 303 Furfooz/Hauterecenne. Vue sur le premier mur de barrage et sa fondation (Brulet 1978, 25). 570 Outre l’intérêt que présente d’un point de vue chronologique l’établissement d’une nécropole dans les thermes abandonnés, celle-ci nous met en présence d’une petite communauté de caractère germanique, ayant occupé la forteresse de la fin du IVe s. au début du siècle suivant. 449 571 Le monnayage confirme une occupation continue, de la fin du IIIe s. au Ve s. Celle-ci se termine par un petit trésor de solidi de la seconde moitié du Ve s. et par des objets d’époque mérovingienne. 572 Le premier état du site est constitué par les thermes, le mur de barrage I et la porte des bains (fin IIIe s. -350) ; le second état, par le mur de barrage II, la tour et la nécropole des thermes (deuxième moitié du IVe s. et début du Ve s.). 573 BIBLIOGRAPHIE 574 GELLEP → KREFELD 575 GERGOVIE → ROCHE-BLANCHE (LA) [2004] Bequet 1877 ; Brulet 1978 ; Nenquin 1953. GLASHÜTTEN/FELDBERG Hesse, Allemagne 576 D. BAATZ 577 Le castellum appartient au limes du Taunus et se trouve à proximité de la source de la Weil, sur le versant nord-ouest du Feldberg. Il s’agit du fortin le plus élevé du limes de Germanie supérieure (altitude 700 m). Lorsque la ligne du limes apparut autour de 90 ap. J.-C., cette section, isolée dans une zone élevée de moyenne montagne, fut protégée uniquement par des tours en bois. Ce n’est qu’après le milieu du IIe s. que fut érigé le castellum, lors d’une phase de réaménagement de la frontière. La datation par dendrochronologie d’une canalisation en bois “autour de 170 ap. J.-C.” devrait se placer très près de la période de fondation du camp. L’épigraphie (CIL XIII, 7495a) prouve la présence de l’Exploratio Halicanensium comme garnison de ce petit camp de numerus, d’une superficie de 0,7 ha. Des restes du mur d’enceinte et des bâtiments intérieurs en pierre ont été dégagés à l’occasion des fouilles de la Reichslimeskommission, puis conservés. Le castellum compte, pour cette raison, parmi les rares camps dont le tracé de la fortification ainsi que celui de certains bâtiments intérieurs sont encore lisibles à l’heure actuelle (fig. 304). Dans son dernier état de construction, l’enceinte était constituée d’un mur en pierre, derrière lequel avait été élevé un talus de terre (fig. 305). Devant le mur courait un fossé défensif. Les quatre côtés du camp étaient dotés d’une porte, chacune d’entre elles flanquée de deux tours rectangulaires, sans saillie ; les angles du camp étaient protégés par des tours, on ne connaît pas de tours intermédiaires. La porte principale sur le côté nord-ouest est orientée en direction du limes qui passe devant à une distance de 100 m environ. Le Pfahlgraben est encore visible et le point de passage vers le glacis du limes est conservé. Le castellum a certainement été utilisé encore après 235 ap. J.-C. et a dû être délaissé avec l’abandon du limes vers 260 ap. J.-C. 450 FIG. 304 Glashütten/Feldberg. Vue aérienne du castellum depuis le nord-est. photo D. Baatz. FIG. 305 Glashütten/Feldberg. Plan général : M horreum ; B restes d’un bâtiment indéterminé. dessin L. Jacobi. 578 La fouille du camp a été effectuée par la Reichlimeskommission au tournant du siècle. Lors de la fouille des principia, la présence de deux éléments d’édifices en bois a pu, certes, être constatée, mais il n’a pas été possible, en raison des techniques de fouilles de l’époque, de distinguer les différentes phases de construction (fig. 306). Le plan 451 relevé montre un édifice attestant, dans son dernier état, une technique de construction mixte en pierre et bois. Les seules fondations en pierre retrouvées sont celles de la chapelle aux enseignes (aedes) (fig. 306, A) avec abside, et celles d’un petit bâtiment rectangulaire ajouté (S) ; tout le reste était en bois. La pièce S présentait des murs relativement épais (de 0,70 à 0,90 m), mais une surface interne très réduite de 3,70 x 2,50 m. Il s’agissait peut-être d’une chambre forte légèrement enterrée, destinée à abriter les caisses de la garnison. L’espace C était vraisemblablement une cour intérieure, peut-être dotée sur chaque côté d’un portique comme à Hesselbach, mais dont la présence n’a pu être prouvée. H correspondait au hall d’entrée. Les deux rangées de poteaux sur le côté avant de la salle appartiennent apparemment à des phases distinctes de construction. Lesprincipia ont dû être à l’origine construits uniquement en bois, puis reconstruits à plusieurs reprises et n’ont été dotés que dans la dernière période des deux pièces A et S réalisées en dur. FIG. 306 Glashütten/Feldberg. Les principia : A chapelle (aedes) ; S annexe rajoutée ; C cour ; H hall d’entrée. dessin D. Baatz. 579 Le bâtiment massif en pierre (M) (fig. 305) situé dans la praetentura du camp est interprété comme un horreum. Les autres bâtiments intérieurs, mis à part des vestiges très réduits, n’ont pas été retrouvés. Il s’agissait de constructions en bois dont la présence n’a pas pu être décelée en raison des techniques de fouilles de l’époque. De chaque côté des principia, au niveau des points A et B, ont été trouvées de nombreuses dédicaces aux génies des centuries (CIL XIII, 7494-7494a-c). L’Exploratio Halicanensium était par conséquent subdivisée en centuries, dont les casernements –comme dans le cas de Hesselbach– s’élevaient de chaque côté des principia. Il devait y avoir place pour le logement du praepositus de l’unité dans la moitié nord de la praetentura. Des découvertes de brides indiquent qu’il y avait en outre, dans l’Exploratio, une division de cavalerie. On n’a pu déterminer si les cavaliers étaient intégrés aux centuries ou bien s’ils possédaient leurs logements particuliers. 452 580 Des restes du vicus ont été trouvés essentiellement au sud-est du castellum, et en l’occurrence à proximité de la voie antique qui reliait le camp à l intérieur du pays. D’autres vestiges de bâtiments ont été mis au jour au sud-ouest du castellum. Au nordouest, entre le camp et le limes, se situaient les thermes, bien étudiés grâce aux fouilles (plan clair de thermes en enfilade ?) avec à côté des vestiges d’autres constructions appartenant au vicus. Au nord-est du castellum s’étend la zone marécageuse des sources de la Weil ; à partir de là, aucune trace de construction n’a été retrouvée. 581 BIBLIOGRAPHIE 582 GOUDSBERG → HULSBERG 583 HAAG (DEN) → HAYE (LA) [2004] Baatz 1987 ; ORL A, Il, 1 Str. 3, 104-108 ; Hoiistein 1980, 116 ; Jacobi 1930 ; ORL B, X, 9. HALTERN Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (carte fig. 3) 584 J.-S. KÜHLBORN 585 Cette base militaire augustéenne comprend les sites suivants (fig. 307) : le camp principal (Hauptlager), le camp de campagne (Feldlager), le castellum sur l’Annaberg, les castella en bordure de rivière (Uferkastelle), le site Am Wiegel, la nécropole située à l’est de l’Annaberg et un nouveau camp à la limite orientale de la ville de Haltern. Toutes les installations se trouvaient au nord de la Lippe (Lupia), navigable à l’époque romaine. FIG. 307 Haltern. Plan général des structures. dessin J.-S. Kühlborn. Le Feldlager 586 Située sur un terrain légèrement en pente, au nord de la Lippe, l’enceinte du Feldlager était constituée d’un fossé en V d’environ 2,5 m de largeur et 1,5 m de profondeur (fig. 308), avec un rempart en terre vers l’intérieur. La présence de portes a été constatée au 453 nord, à l’est et au sud, en raison d’interruptions du fossé en V. Des traces sûres d’aménagement intérieur manquent ; seuls des fosses dépotoirs et des fours à pain sont connus. Il semble que les troupes stationnées ici temporairement étaient essentiellement logées sous des tentes. FIG. 308 Haltern. Coupe du fossé du Feldlager. Le Hauptlager 587 L’installation la plus importante est celle du Hauptlager (fig. 309). Plusieurs camps temporaires, et notamment le Feldlager, l’avaient précédé au même emplacement. Le camp se distingue des précédents par un aménagement intérieur dense et régulier de bâtiments construits en bois et en colombages (fig. 310). La surface du camp a la forme d’un rectangle irrégulier, dont l’axe majeur est orienté est-ouest. Deux phases de travaux sont connues : la première d’une superficie de 16,7 ha, la deuxième de 18 ha. Le système défensif était composé de deux fossés en V, d’une largeur de 5,5 à 6 m, d’une profondeur pouvant atteindre 3 m et d’un mur en terre et bois large d’environ 3 m (fig. 308). La berme entre le mur en terre et bois et le fossé interne du camp présente une largeur moyenne de 2 m. Trois des dispositifs d’accès, d’à peu près 9 m de large (type V de Manning et Scott) se trouvaient approximativement au centre des côtés du camp. La porte d’accès septentrionale (porta praetoria) a, en revanche, été érigée près de l’angle nord-ouest, sur l’emplacement le plus élevé du camp. 454 FIG. 309 Haltern. Plan du Hauptlager : 1 principiaet annexes 1a et 1b ; 2 praetorium ; 3, 5-7 quartiers d’officiers ; 4 bâtiment de fonction indéterminée ; 8 fabrica ; 9 valetudinarium ; 10 bâtiment de fonction indéterminée ; 11 casernements ; 12 bâtiment de fonction indéterminée ; 13 horreum ; A porta principalis dextra ; B 1/2 porta principalis sinistra ; C porta praetoria ; D porta decumana (Wamser 2000, 30, fig. 22). FIG. 310 Haltern. Traces de sablières dans le Hauptlager. 588 En dépit de l’irrégularité de l’enceinte, les voies et les blocs de bâtiments ont généralement été tracés à angle droit à l’intérieur de celle-ci. La via principalis, d’une largeur d’environ 30 m, relie les portes ouest et est. La via praetoria, large d’à peu près 50 m, conduit directement aux principia depuis la porte méridionale. À cause du 455 décalage de la porte septentrionale vers l’ouest, la via praetoria ne se poursuit pas, comme il est d’usage, derrière le praetorium. À la place, deux voies larges de 20 m conduisent vers le nord, depuis la via principalis, longeant à l’ouest et à l’est les bâtiments principaux du camp. La via quintana, située dans la retentura, suit dans son orientation non pas la via principalis, mais la façade nord du camp. La via sagularis (15 à 18m de large) longe la face interne du rempart. Il existe plusieurs autres voies, moins importantes, ainsi que des ruelles. Les fouilles n’ont fourni aucun indice d’un quelconque empierrage des voies, mais ont plutôt montré la présence de nombreuses fosses dépotoirs creusées sur le tracé des rues. Certains bâtiments, notamment quelques fours de potiers, limitent l’espace de circulation. 589 Au nord de la via principalis s’élèvent les principia (54 x 49 m), au point de jonction des deux voies principales (via praetoria et via principalis). On reconnaît deux phases de construction. L’entrée, placée sur l’axe médian, s’avance dans la via principalis. Á partir de là, on atteint une cour entourée de portiques. Une double rangée de deux fois dix poteaux ferme la cour vers l’arrière. F. Koepp identifiat là un hall transversal couvert. Ensuite vient la rangée arrière des bâtiments, avec a priori quatre salles. Un accès à la via quintana, directement en face de l’entrée du praetorium, existe là où, dans les édifices postérieurs, on trouve généralement la chapelle aux enseignes. Les transformations décisives opérées lors de la deuxième phase de travaux concernent essentiellement l’aile arrière, le hall transversal ainsi que les portiques de la cour. L’aile arrière fut alors redivisée en plusieurs pièces. Le hall transversal fut, d’après F. Koepp, entièrement supprimé. Dans la cour, le portique méridional fut déplacé de 1 m en direction du nord. On érigea au sud du hall transversal, détruit, une nouvelle rangée de douze poteaux. Les dimensions de la cour originelle furent ainsi réduites et une deuxième cour ouverte apparut à la place de l’ancien hall. Cette reconstitution des faits est cependant contestable. À proximité de l’angle sud-ouest, un accès étroit conduit à un édifice de 29 x 15 m de fonction inconnue. Aucune interprétation satisfaisante n’existe également pour l’adjonction orientale de 54 x 14 m. Le praetorium se trouve derrière les principia, dont il est séparé par une ruelle de 4 à 5 m de largeur. Il est essentiellement composé de plusieurs petites maisonnettes, regroupées en partie autour d’un atrium. Les principia et le praetorium sont clairement en relation mutuelle, vu leurs accès en visà-vis. L’hypothèse a été émise par C.M. Wells de l’existence d’un bâtiment de service et de résidence, de dimensions plus importantes et plus représentatif, au sud-ouest des principia, destiné au légat de légion (legatus legionis), tandis que le praetorium était réservé au préfet du camp (praefectus castrorum). 590 Les maisons des tribuns sont situées à proximité immédiate des principia et du praetorium. Ces constructions sont composées d’une cour à colonnades et d’une partie d’habitation d’environ 15 x 15 m. Le grand bâtiment au nord des principia est habituellement interprété comme maison double pour deux tribuns. D’autres constructions, vraisemblablement destinées aux officiers, se trouvent à l’ouest de la via decumana. On admet une utilisation semblable pour le bâtiment allongé situé sur le tracé de la via quintana ainsi que pour les édifices construits dans l’adjonction orientale du camp ; les vestiges épars d’un deuxième bâtiment édifié sur les fossés remblayés de la première période du camp pourraient correspondre à une construction d’un usage analogue. 591 Les baraquements se situent essentiellement le long de l’enceinte. Plusieurs bâtiments de casernes ont été dégagés uniquement dans la partie nord du camp principal. Une 456 construction élargie, destinée au centurion, était placée à l’extrémité des casernes qui atteignaient en tout 70 m de longueur. L’effectif de la troupe stationnée dans le camp principal de Haltern ne peut être évalué de façon sûre, dans la mesure où de grandes parties du camp n’ont pas pu être fouillées avant l’érection de nouvelles constructions modernes. On peut cependant compter, avec une certaine probabilité, sur au moins six à sept cohortes. 592 L’édifice le plus grand du camp est le valetudinarium (environ 80 x 44 m), dans lequel les chambres des malades sont regroupées autour d’une cour intérieure. La destination d’un bâtiment de 52 x 46 m, dont la disposition interne se répartit en plusieurs ailes dotées de petites pièces, est en revanche beaucoup moins sûre. Une citerne de 5 x 5 m de côté et de 2 m de profondeur se trouvait à l’origine au centre de la cour intérieure. A l’occasion de fouilles anciennes dans ce complexe auraient été mis au jour de nombreux outils en fer, ce qui a conduit à voir dans ce bâtiment une fabrica. On pourrait peut-être reconnaître dans les constructions à l’est et au sud les appentis de la fabrica, ainsi que les logements des artisans militaires. En dehors de la fabrica, plusieurs fours de potiers placés dans la via quintana, dans la via decumana et la viapraetoria témoignent de l’activité des artisans de l’armée romaine. 593 Dans l’adjonction orientale, la superficie réduite des fouilles n’a permis de mettre au jour qu’un petit nombre de structures. A côté de deux maisons de tribuns, dont seule l’une a été dégagée en plan, apparaissent les éléments d’un grenier d’environ 30 x 30 m de côté. À l’intérieur se trouvaient des petits fossés parallèles avec des poteaux en place, sur lesquels reposait à l’origine un plancher en bois ventilé par-dessous. La présence d’accès n’est pas attestée. La proximité immédiate de la porte d’enceinte du camp est comparable à la situation de l’horreum d’Anreppen. Les reconstructions des principia et de la porte occidentale ont sans doute été effectuées lors de l’agrandissement du camp. Les modifications observées dans certaines maisons de tribuns devraient en revanche plutôt correspondre aux nouveaux besoins particuliers de chaque officier. On peut remarquer dans l’ensemble que l’érection de bâtiments de service supplémentaires se fit pour les hauts gradés de l’armée romaine. 594 Une zone d’ateliers de poterie, avec au moins dix fours, existe au voisinage immédiat de la porta praetoria, juste à l’extérieur du camp principal (fig. 311). Le nombre de fours devait être à l’origine sensiblement plus élevé, car des secteurs entiers du quartier des potiers ont été détruits à l’époque moderne sans qu’il ait été possible d’effectuer des observations. 457 FIG. 311 Haltern. Four de potier. Les autres installations 595 Le castellum sur l’Annaberg (environ 7 ha) a une forme approximativement triangulaire. D’après les recherches de Schuchhardt, l’enceinte était constituée d’un talus de terre s’appuyant sur une palissade en bois ; devant celui-ci courait un fossé en V (larg. 2,50 m ; prof. 1,65 m). Des tours semblent avoir été érigées sur le tracé de la palissade à des intervalles de 30 m. Deux ponts de terre sur les fronts nord-ouest et est marquent l’emplacement des accès. Aucune construction n’est connue à l’intérieur du camp. Le castellum sur l’Annaberg passe pour être le plus ancien des dispositifs romains jamais installés sur le site de Haltern. 596 Sur la rive nord de la Lippe se situent les castella de rivière (Uferkastelle), ainsi que le lieu-dit Am Wiegel. Pour les castella de rivière fouillés dans les années 1901-1904, quatre phases de construction sont connues (fig. 312). L’existence d’une enceinte orientée vers la Lippe, constituée d’un rempart en bois et en terre ainsi que d’un voire deux fossés, caractérise toutes les périodes de construction. Aucun indice de fortification le long des rives du fleuve n’a été relevé. La fonction de la quatrième et dernière phase de construction peut être appréhendée de manière plus précise. Un bâtiment de 55 x 40 m, interprété à la lumière des dernières recherches comme horreum, a pu être redéfini par analogie avec les hangars à bateau de Velsen 1 (Pays-Bas). Les tranchées de fondation de ce bâtiment de la période 4 doivent être identifiées comme les vestiges de huit cales de construction pour les bateaux. Protégés par une enceinte fortifiée, les castella de rivage doivent être considérés comme une petite base navale sur la Lippe. Comme à Velsen 1, le rivage n’a pas été fortifié, afin de permettre le halage des bateaux hors de l’eau. Mais, à l’inverse de Velsen 1, la présence de quais et de passerelles d’embarquement n’a pas été attestée. 458 FIG. 312 Haltern/Hofestatt : plan d’ensemble (d’après Mitteilungen der Altertumskommission für Westfalen 1, 4, 1905, pl. 4). 597 Plus à l’ouest, sur la parcelle Am Wiegel, se situent les installations antiques fouillées au tournant du siècle par F. Koepp et interprétées alors comme appontement. D’après les résultats des fouilles de l’époque, le site s’étendait, au nord de la Lippe, sur une bande étroite, longue d’environ 300 m, aujourd’hui largement bâtie. Lors des fouilles exécutées dans les années 1899-1900, plusieurs fossés avaient pu être observés, sans que l’on puisse proposer une interprétation judicieuse de leur fonction. Grâce aux dernières fouilles réalisées dans la nécropole située plus à l’ouest, il est clairement prouvé que deux fossés parallèles avaient été tracés dans l’alignement d’une voie d’environ 37 m de large dont l’existence est attestée plus à l’ouest. Les fossés parallèles de l’“embarcadère” doivent donc être interprétés comme des fossés latéraux de voies. 598 On ignore l’emplacement des canabae de Haltern. Les découvertes du Wiegel sont malheureusement trop peu caractéristiques pour pouvoir prouver de façon convaincante l’existence d’un faubourg du camp. On ne peut cependant pas exclure cette possibilité. Ces éléments ne constituent d’ailleurs pas les seules preuves d’activité édilitaire à l’extérieur du camp principal : l’existence d’autres vestiges de bâtiments de l’époque augustéenne, de fosses dépotoirs, de rigoles de drainage et de fours de potiers a pu être attestée au nord et au sud du Hauptlager. La présence non exclusive de sépultures masculines, et en particulier de soldats, dans la nécropole fournit la seule preuve concrète de l’existence d’un faubourg à l’époque augustéenne (fig. 313). 459 FIG. 313 Haltern. Vue aérienne d’un tombeau circulaire. 599 Tout récemment, un nouveau camp a été découvert à l’est de Haltern. Il devrait s’agir d’une installation militaire d’environ 20 à 30 ha. La présence d’un fossé en V, d’environ 3,30 m de largeur et 1,60 m de profondeur, est attestée. Un mur en bois et terre manque. Jusqu’à présent, seules de rares fosses ont été décelées à l’intérieur du camp. Il devrait s’agir ici vraisemblablement d’un camp de marche utilisé de manière très temporaire. Une interprétation comme camp d’exercice est à exclure au vu du mobilier céramique. 600 Il n’est pas possible de déterminer de façon exacte la date d’installation des différents dispositifs militaires romains de Haltern. D’après S. von Schnurbein, le début de l’occupation se situerait au plus tôt entre 7 av. J.‑C. environ et le tournant de notre ère au plus tard. Le camp principal n’a dû être construit qu’à l’époque du changement d’ère si l’on considère essentiellement la différence de mobilier entre Oberaden et Haltern. La fin de l’Haltern antique est généralement mise en relation avec la clades Variana de 9 ap. J.-C. Quelques découvertes de cachettes, ainsi que les squelettes dans le quartier des potiers pourraient plaider pour une fin brutale du site. La véritable justification de la datation finale du camp repose cependant sur l’absence, à Haltern, de monnaies datant des débuts du règne de Tibère. D’après une inscription sur une barre en plomb, la XIXe légion au moins avait temporairement tenu garnison à Haltern. 601 BIBLIOGRAPHIE [2004] Asskamp & Kühlborn 1986 ; Kühlborn 1995 ; Morel 1987 ; Pietsch 1993 ; Rudnick 2001 ; Schnurbein 1974; Schnurbein 1981. 460 HANAU/NEUWIRTSHAUS Hesse, Allemagne (carte fig. 7) 602 W. CZYSZ 603 À 1 km environ à l’est du quartier Wolfgang à Hanau, et à seulement 300 m au nord de la route nationale 8 se situe, à environ 90 m derrière le limes, le petit castellum de Neuwirtshaus qui tire son nom d’un groupe de constructions situées à proximité. Différentes fouilles ont été effectuées au XIXe s. et au début de notre siècle. Le fortin a été fouillé pour la dernière fois en 1977 lors d’un sondage. 604 L’installation (fig. 314 et 315) présente les dimensions –prises chacune depuis les bords extérieurs des fossés– de 62 x 55 m (0,34 ha). L’enceinte enferme un rectangle de 25 x 21 m (525 m2). Le fort était entouré de deux fossés en V de 3 à 4 m de large qui atteignent 1,60 m de profondeur, le fossé interne ayant été rénové lors d’une phase tardive de construction. Un intervalle de 4,80 m de large séparait les fossés. La berme entre le fossé interne et le mur d’enceinte présentait une largeur de 2,40 m. Les fossés passaient devant l’entrée du fort et étaient, à l’époque romaine, franchis au moyen d’un pont. FIG. 314 Hanau/Neuwirtshaus. Plan du fortin (Czysz 1989, 338, fig. 278). 461 FIG. 315 Hanau/Neuwirtshaus. Reconstitution du fortin (Czysz 1989, 339, fig. 279). 605 Le castellum, avec son unique porte d’enceinte, était orienté vers l’est en direction du limes. Lors des fouilles de 1883 ont été découvertes, dans les angles internes de l’enceinte, deux fondations en pierre qui doivent être vraisemblablement mises en relation avec le chemin de ronde ou bien avec une petite plate-forme de tour au-dessus de la porte, large de 2 m. Un étroit massif de pierre longeait l’extrémité du rempart de terre, sans doute pour soutenir le bâti de la porte. 606 La fortification était constituée d’un talus de terre de 3,50 à 4 m de large, qui fut restauré une fois. Sa face extérieure, et sans doute aussi sa face interne étaient composées de mottes de gazon encore très nettement visibles à la fouille. Les terres extraites du fossé ont été entassées derrière le parement. Un bâti de bois, placé directement sur la surface du sol, ainsi que des ancres et des traverses en bois disposées à intervalles plus importants ont servi de stabilisation supplémentaire du talus. 607 A l’intérieur du castellum, un bâtiment en forme de U, en pans de bois, peut être restitué grâce aux trous de poteau relevés. On a retrouvé lors des fouilles des restes calcinés de torchis. Les ailes latérales du bâtiment flanquaient une cour intérieure, s’ouvrant en direction de la porte d’enceinte et entourée d’un portique. Le nombre de pièces intérieures n’est pas connu. Il est vraisemblable que les ailes latérales servaient au logement des hommes alors que les pièces de l’aile intermédiaire étaient destinées au commandant ou réservées aux services du camp. Autour du baraquement, entre le talus et le mur extérieur, courait une rigole dans laquelle s’écoulaient les eaux de pluie venant du toit. On suppose que le toit était recouvert soit de bardeaux soit de chaume. Un fragment de verre prouve l’utilisation de vitres de verre pour les fenêtres. 608 Le petit castellum de Neuwirtshaus n’a été construit qu’à la fin du règne d’Hadrien. Il semble qu’il ait servi à la surveillance d’une grande route de communication, la future route de Birkenhain, qui traverse le limes à 300 m à peine au sud du castellum. Cette puissante fortification avec deux fossés, inhabituelle pour un petit castellum, est liée vraisemblablement à la situation du camp au milieu d’une zone marécageuse. Lors des conditions météorologiques extrêmes, la place ne pouvait être a priori dégagée qu’avec difficulté, ce qui explique le besoin d’une protection particulière. La durée d’existence du petit camp ne peut pas être exactement définie. Les traces d’une destruction massive sont absentes. 609 BIBLIOGRAPHIE Czysz 1989. [2004] 462 610 HASELBURG → WALLDÜRN-RHEINHARDSACHSEN 611 HAUS BÜRGEL → MONHEIM 612 HAUTERECENNE → FURFOOZ HAYE (LA) /OCKENBURGH Hollande méridionale, Pays-Bas 613 J. A. WAASDORP 614 Immédiatement au sud-ouest de La Haye, sur l’emplacement des dunes, près des côtes de la mer du Nord, et à environ 21 km au sud du limes, se trouve le camp romain d’Ockenburgh. Le site a été en partie fouillé par J.H. Holwerda dans les années 1930. Dans les années 1990, il fut de nouveau le sujet de recherches plus étendues par le service archéologique de la municipalité de La Haye. Elles ont révélé, pour la première fois, une construction militaire loin derrière le limes, à l’ouest des Pays-Bas. Ce fort est situé sur une petite hauteur naturelle. 615 Il s’agit d’une structure simple (fig. 316), entourée d’un fossé en V, connu sur trois côtés, ce qui permet seulement de déterminer la largeur du fort (44,2 m). La longueur reste inconnue. Les parois des fossés ont été recouvertes avec des mottes de gazon pour prévenir des écroulements, dûs à l’instabilité des dunes. Le rempart n’est pas documenté. FIG. 316 La Haye/Ockenburgh. Plan du fortin. dessin J.T. de Jong. 616 Les constructions internes sont en bois, mais les recherches de Holwerda n’ont pas bien déterminé le plan d’ensemble. Des traces de baraquements dans la partie sud du fort 463 ont été retrouvées. Ceux-ci étaient souvent construits juste derrière le rempart. L’un des contubemia mesure 3,7 x 3,5 m de large. Leur nombre reste inconnu. 617 La fonction de ce fort n’est pas encore réellement déterminée. Peut-être a-t-il joué un rôle pour la protection du réseau routier ou du littoral, mais il n’a pas eu un long usage. Les découvertes indiquent un temps d’occupation maximum de vingt-cinq ans, entre 150 et 175 ap. J.-C. 618 BIBLIOGRAPHIE 619 HEDDERNHEIM → FRANCFORT-SUR-LE-MAIN [2004] Waasdorp 1999. HEIDENBURG/HÜCHELHOVEN Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (carte fig. 12) 620 R. BRULET 621 Le fort (fig. 317) se trouve en Rhénanie du Nord-Westphalie, à Heidenburg, sur la chaussée romaine Bavay-Cologne. De plan carré, il est délimité par un fossé de 10 m de large. A l’intérieur, on trouve un rempart en bois qui détermine une superficie de 31 x 26 m. Lors de la deuxième période apparaissent des constructions en bois appuyées contre le rempart. Au sud, une entrée de 2 m de large et un pont en bois également de 2 m de large passant au-dessus du fossé ont été repérés. Ce poste routier est typique de la fin du IIIe s. FIG. 317 Heidenburg/ Hüchelhoven. Plan du fort (Brulet 1995a, 110). 464 [2004] Bogaers & Rüger 1974, 157-159. 622 BIBLIOGRAPHIE 623 HELDENBERGEN → NIDDERAU HESSELBACH Hesse, Allemagne (carte fig. 7) 624 D. BAATZ 625 Le petit castellum de Hesselbach (superficie : 0,6 ha) appartient à la chaîne de camps du même type établis sur le limes de l’Odenwald pour des numeri. Il est situé à 490 m d’altitude, à environ 9 km à l’est de Beerfelden sur un plateau de grès bigarré de l’Odenwald, de direction nord-sud. Lors de l’érection du limes, autour de 100 ap. J.-C., il s’est agi dans un premier temps d’une construction réalisée uniquement en bois. Sous Hadrien, le camp reçut une enceinte en pierre non maçonnée (murs à sec) avec des pièces de bois dans son épaisseur. Cette enceinte fut remplacée, dans les années 40 du IIe s., par un mur soigneusement maçonné à l’aide de mortier, derrière lequel avait été élevé un talus de terre (fig. 318 et 319). La porte principale ainsi que les deux portes latérales furent en effet dotées d’arcs en pierre avec corniches et autres éléments de décoration. En dépit de leurs dimensions réduites, les constructions des portes témoignaient de prétentions architecturales qui devaient représenter le pouvoir de l’imperium. La face arrière du camp était simplement dotée d’une poterne. A l’avant du mur d’enceinte se trouvait un simple fossé de défense, qui était interrompu devant les trois portes d’entrée mais continuait devant la porterne. Le castellum n’a pas été incendié ou détruit d’une manière radicale. Il a été abandonné autour de 160 ap. J.-C., lors du déplacement du limes de Germanie supérieure vers l’est. 465 FIG. 318 Hesselbach. Plan général du fortin. 1 principia ; 2 résidence du praepositus ; 3 casernement de cavaliers ? 4 baraque double ; 5 écurie ou magasin (Baatz 1973b). photo D. Baatz. FIG. 319 Hesselbach. Base du rempart près de la tour de la porte nord. Les tours montrent un double chanfrein, le mur d’enceinte, un chanfrein unique. 466 626 Les bâtiments intérieurs sont construits en colombages, et ont été rénovés une fois pendant l’utilisation du castellum. Le nombre et la fonction des édifices sont pour cette raison restés pratiquement inchangés. Le numerus Brittonum, dont on ne connaît guère que le nom, était, suppose-t-on, la troupe en garnison dans le camp. Comme les bâtiments intérieurs sont entièrement connus, on estime l’effectif du numerus de cent cinquante à deux cents hommes. L’unité était vraisemblablement divisée en deux centuries qui devaient être affectées chacune dans une caserne double de chaque côté des principia (bâtiments 4). Le commandant de l’unité (praepositus) était, selon l’usage, un centurion de légion. Son logement devait correspondre au bâtiment 2 de la partie antérieure du castellum. Il convient de souligner l’organisation claire du plan qui, dans le cas de ce modeste fort de frontière, isolé, correspondait aux normes strictes de l’armée romaine. Le fait est particulièrement évident pour lesprincipia (bâtiment 1). L’édifice présentait une largeur qui ne dépassait pas 11,5 m. Il illustre la plus grande réduction possible du type de principia avec hall d’entrée et hall transversal, bien connu dans les camps plus grands de cohortes et d’ailes. 627 Des thermes ont été découverts à proximité de la plupart des camps de numerus du limes de l’Odenwald. On suppose la présence de tels bâtiments également à Hesselbach. Il faut en outre compter avec l’existence d’un petit vicus, dont des traces ont été retrouvées près du camp voisin de Würzberg, plus à l’est. Les vici à proximité des camps dans la zone du limes de l’Odenwald restent cependant pratiquement inexplorés. 628 BIBLIOGRAPHIE [2004] Baatz 1973b. HEUMENSOORD/RAUWSHANS Gueldre, Pays-Bas (carte fig. 12) 629 J. K. HAALEBOS 630 Au bord de la route Nimègue-Cuijk, on rencontre dans la forêt de Heumensoord, au lieu-dit Rauwshans, un burgus tardo-antique en terre et bois (fig. 320), dont les traces sont encore bien visibles dans le paysage et qui a été récemment restauré. Le fortin occupe la position la plus élevée entre Nimègue et Cuijk et autorise une liaison optique entre les deux fortifications tardives. 467 FIG. 320 Heumensoord/Rauwshans. Plan général du fortin (Holwerda 1933). 631 L’établissement a été essentiellement fouillé par J.H. Holwerda en 1932, alors que les vestiges en bois étaient encore visibles dans le sol. Des sondages destinés à préciser la périodisation ont suivi en 1972 et 1973 (J.E. Bogaers et J.K. Haalebos). En 1999, dans le cadre des restaurations projetées, les tranchées effectuées par J.H. Holwerda ont été rouvertes et réétudiées par le bureau archéologique de Nimègue (H.L. Van Enckevort), en même temps qu’on effectuait une coupe dans la voie romaine à l’ouest du burgus. Ces recherches autorisent une correction du plan ancien, sans pourtant que tous les problèmes soient résolus. 632 On peut distinguer trois phases chronologiques. 633 1 – La route constitue assurément le plus ancien élément du site et pourrait avoir été tracée dès l’époque augustéenne. Des tessons, des estampilles sur tuiles et des monnaies attestent la présence d’un petit établissement aux IIe-IIIe s. On pourrait penser à un poste de bénéficiaires, sans certitude. 634 2 et 3 – Le burgus tardif comprend deux périodes, au vu de la fouille des fossés : une fortification initiale d’environ 38 x 38 m a été réduite dans un second temps à 24 x 24 m. Les deux fossés offrent le profil habituel en V et se croisent sur le côté occidental du site. Le fossé externe était particulièrement profond (environ 2 m) ; le fossé interne est le plus récent. 635 Du burgus le plus ancien ne subsistent que deux petites tranchées de fondation, dont l’une a été recoupée par le fossé le plus récent. 636 La seconde fortification est composée d’une enceinte de terre et de bois large de 1,2 à 2 m, de forme quasi carrée, avec une porte à l’ouest et peut-être une grosse tour au milieu. Les poteaux découverts à cet endroit –en noir sur le plan– n’ont pas été arrachés. Contre la face intérieure de l’enceinte apparaissent les traces de 468 constructions légères, notamment le mur de façade, parallèle au rempart, d’un bâtiment adossé. On observe aussi un drain qui traverse le fortin, mais ne peut en être contemporain. 637 Malgré la présence sur le site de fragments de tuf, il n’y a pas d’indices d’une reconstruction en pierre. 638 La garnison de ce poste est inconnue. On a toutefois trouvé des tuiles estampillées antérieurement par la legio X Gemina et peut-être par [M]VAL[SAN] de la [TRANSRHENA]NA. 639 BIBLIOGRAPHIE [2004] Bogaers & Rüger 1974, 81-83 ; Daniëls 1955, 41 et 296-298 ; Holwerda 1933. HOFHEIM AM TAUNUS CRUFTELLA Hesse, Allemagne (cartes fig. 5, 6 et 7) 640 H. U. NUBER 641 Les castella, dont le nom antique (Crol Cruftella) pourrait avoir la même racine que Kriftel (aujourd’hui Schwarzbach), petit ruisseau qui coule non loin de là, constituaient la première étape depuis Mayence (Mogontiacum) vers le nord-est, en direction de la Vétéravie. Après une demi-journée de marche (dix milles romains), on atteignait le gué sur le Schwarzbach par la route militaire longeant le bord du Taunus et utilisée depuis les campagnes augustéennes. La section nord du cours d’eau permet à cet endroit un passage naturel par les montagnes du Taunus vers la vallée de la Lahn. En direction du sud, le bord droit de la vallée du Schwarzbach coupe de façon abrupte le sommet lœssique d’une chaîne de collines plates (150 m d’altitude), qui forment une barrière saillant de 4 km dans la vallée du Main (fig. 321). Sur cet emplacement important du point de vue militaire et pour les communications se sont élevés successivement deux castella (“camp en terre” et “castellum en pierre”) qui furent, pendant des décennies, l’avant-poste le plus oriental de l’Imperium Romanum. 469 FIG. 321 Hofheim am Taunus. Plan général : 1 tombe à incinération ; 2 camp de terre ; 3 tour de guet ; 4 camp en pierre ; 5 thermes ; 6 vicus méridional ; 7 cimetière méridional ; 8 vicus occidental ; 9 cimetière de la Gotenstr. ; 10 vicus septenrional ; 11 vicus de Kriftel ; 12 nécropole de Krifte. 642 La recherche archéologique sur le Hochfeld commence en 1841 avec les fouilles de F.G. Habel dans les parcelles An der Dornheck et An der Hohlmauer, où les agriculteurs amendaient leurs sols par l’épierrage des champs. Les recherches conduisirent à la découverte et à la localisation du castellum en pierre. Lors des fouilles de la Reichslimeskommission à l’intérieur du castellum en pierre et de ses environs, G. Wolff put constater, en 1894, l’existence d’un deuxième camp en terre. Il publia en 1897 le premier résumé complet sur les installations militaires près de Hofheim. De 1902 à 1910, E. Ritterling dégagea de larges parties du camp de terre ; la monographie écrite à la suite de ses fouilles compte aujourd’hui parmi les classiques de la littérature archéologique sur les provinces romaines. C’est seulement de 1955 à 1957 que des fouilles de plus grande ampleur eurent à nouveau lieu sous la direction de H. Schoppa dans le secteur du vicus. De 1969 à 1991, le castellum en pierre et des secteurs proches ont été fouillés sur une grande échelle, avant que des constructions modernes ne soient définitivement élevées. Le camp de terre 643 Le camp de terre (fig. 322), le plus ancien, était orienté en direction du nord-est, vers la plaine et la naissance de la vallée du Schwarzbach. Sur la colline en face, le Kapellenberg, fut érigée à la même époque, à vue, une tour de guet en bois avec palissade et fossé circulaire. Le camp est caractérisé par un plan irrégulier marqué par un fossé interne double en V, et un autre simple à environ 20 m d’intervalle vers l’avant. Ce dernier fossé, qui ne comprend qu’une phase d’utilisation, est large 470 de 3,60 m et profond de 2 m, alors que le fossé interne, rénové au moins une fois depuis la base, présente une largeur totale de 9 m et une profondeur allant jusqu’à 1,80 m. La distance entre les quatre portes d’enceinte du camp s’élève à 160 m ; la superficie du camp est d’environ 1,6 ha. FIG. 322 Hofheim am Taunus. Camp de terre, périodes I et II : 1 porte principale ; 2 porte latérale gauche ; 3 porte arrière ; 4 porte latérale droite ; 5 principia ; 6 praetorium ; 7, 8 magasins ; 9 ateliers ; 10-16 baraquements ; 17 bâtiment en pierre – thermes ? (Baatz & Herrmann 1989, 353). 644 Aucune trace n’a été retrouvée du mur d’enceinte en terre et bois, pourtant probable ; les vestiges de cinq tours en bois dont l’existence est assurée (3 x 3 m de superficie), reposant sur quatre poteaux, attestent la présence de passages. Dans trois cas, des tours flanquaient les routes sortant du camp, recouvertes de gravier ; mais le fait n’a pas été observé pour la tour d’enceinte orientale (porta dextra’, fig. 322, 4). Ici, comme pour la porte sud (porta decumana ; 3), des ponts en bois ont dû enjamber les fossés, alors que ces derniers étaient interrompus au niveau des portes occidentale (porta sinistra ; 2) et septentrionale (porta praetoria ; 1). 645 L’aménagement intérieur paraît très irrégulier. Le cardo comme le decumanus n’ont pas de tracé rectiligne : ils se croisent devant les bâtiments de commandement (principia) au centre du camp. Les principia (5) attestent, comme d’autres installations également, de deux périodes de construction. Le bâtiment le plus récent est doté d’une cour intérieure recouverte de gravier, d’un portique sur trois côtés et d’un point d’eau ; l’arrière est fermé par une rangée de cinq salles. La salle centrale, qui est le sanctuaire du camp (aedes), a été surélevée lors de la deuxième période. Dans la résidence du commandant (praetorium ; 6), quatre rangées de pièces s’organisent autour d’une cour intérieure. Deux bâtiments à vocation d’entrepôt (horrea ; 7-8) sont disposés de part et d’autre de la via praetoria, en direction de la rivière. Les fabricae (9) avaient été installées à l’ouest. Cinq casernes caractéristiques apparaissent à l’ouest de la via decumana. Elles révèlent, 471 comme l’autre secteur de logement (10-14), diverses périodes de constructions, impossibles à différencier les unes des autres. La seule construction en pierre (17) date de la phase d’occupation la plus tardive et devait abriter vraisemblablement des thermes. Divers bassins présentant un coffrage de bois servaient à l’alimentation en eau, dans la mesure où les conditions locales du sol ne permettaient pas la construction d’un puits. 646 L’étude du camp en terre de Hofheim, le premier camp d’auxiliaires jamais fouillé, représentait, pour son époque, une très grande prouesse sur le plan technique et méthodique. Il n’est plus possible, à l’heure actuelle, de répondre de façon satisfaisante à de nombreuses questions, des secteurs non fouillés ayant été entre-temps détruits par de nouvelles constructions. 647 D’après les monnaies et la céramique, la fondation de ce camp, qui donne une image d’ensemble assez archaïque, doit dater de la fin de la période libérienne ou du début du règne de Claude. Des traces étendues d’incendie ainsi que les restes de victimes témoignent d’un assaut du camp et de sa destruction, suivie d’une reconstruction. Cet événement avait été autrefois mis en relation avec une attaque des Chattes, datée, selon la tradition historique, de 50-51 ap. J.-C. On le rapproche aujourd’hui des troubles des années 68-69. Après une brève réoccupation, on a construit le castellum en pierre, dont la sortie occidentale passait au-dessus des fossés, désormais comblés, du camp de terre. 648 Des briques provenant de l’aire du camp portaient l’estampille de la legio IIIIa Macedonica, d’autres, réutilisées, présentaient la marque de la XXII e légion Primigenia. Aucune inscription n’a livré la dénomination exacte de la ou des troupes d’occupation. L’effectif total devait s’élever à cinq cents hommes, l’élément équestre étant très fortement représenté. De nombreux graffitis de noms propres ainsi qu’une imitation d’un denier augustéen (Forrer 244) renvoient à l’Illyrie. Le matériel montre en outre clairement une composante germanique. L’ensemble important découvert en fouille fournit un riche exemple d’équipement et d’armement auxiliaire pour la période qui va de la fin du règne de Tibère au début de celui de Néron. Le castellum en pierre 649 Le castellum en pierre (fig. 323), plus récent, construit à 90 m à l’est du camp en terre, a été tourné de 90°, la muraille prétorienne étant désormais orientée vers la plaine du Main. L’enceinte dessine un rectangle de 158,4 x 135,6 m et inclut une surface de 2,15 ha. Elle est entourée d’un fossé double en V, interrompu devant les portes, d’une largeur totale de près de 18 m, et allant jusqu’à 4,5 m de profondeur. Un fossé en V simple, qui court depuis la porta dextra en direction du sud-est pour suivre à nouveau un tracé perpendiculaire, à droite de la porta praetoria, enferme les thermes. Des passages doubles, chacun d’une largeur de 3 m, sont aménagés dans la porta praetoria et les deux portes latérales. La porta decumana ne possède qu’un simple passage de largeur identique. Des remblais de graviers formaient la chaussée de la via sagularis et des deux voies ornées de portiques qui se croisent à angle droit, les viae praetoria/decumana et probablement la via principalis ; il n’y avait pas de via quintana. La canalisation, en coffrage de bois, était insérée dans la chaussée et permettait l’évacuation des eaux usées par la porta sinistra (fig. 323, 3), en aval. Au même endroit, des latrines étaient également reliées au système d’écoulement des eaux usées. De nombreux collecteurs, entre autres dans les angles du castellum, servaient à l’assainissement. Aucun puits n’a 472 été découvert. On a en revanche mis au jour des tuyaux de canalisation en terre cuite, qui prouvent l’existence d’une alimentation en eau potable à travers la porta decumana depuis les pentes du Taunus, tout proche. FIG. 323 Hofheim am Taunus. Camp en pierre, période I : 1 ancien fossé en V ; 2 porte principale ; 3 porte latérale gauche ; 4 porte latérale droite ; 5 porte arrière ; 6, 8‑10, 12, 13 baraquements ; 7, 11 écuries ; 14 magasins ; 15 praetorium ; 16 principia ; 17 valetudinarium ; 18 ateliers ? 19 magasins ; 20‑23 casernements (Baatz et al. 1989, 354). 650 L’architecture du camp peut être divisée en plusieurs périodes de construction. Trois phases fondamentales (I-III) et une phase de réparation (IIa) ont pu être observées dans l’enceinte. Les bâtiments intérieurs indiquent deux périodes de construction (1-2) avec différentes transformations. La fortification des périodes I-II était constituée d’un mur en mottes de gazon initialement jalonné par une trentaine de tours en bois. Les portes doubles étaient flanquées de tours (3,9 x 3,6 m) reposant sur des poteaux en bois ; deux poteaux constituaient la spina. Les tours d’angle trapézoïdales s’appuyaient également sur six poteaux ; leur partie courbe suivait les angles du mur d’enceinte. Les deux tours encadrant la porte arrière, ainsi que l’ensemble des dix-huit tours intermédiaires (3 x3 m), reposaient sur quatre poteaux. Les tours des portes et les tours d’angle ont été rénovées lors de la deuxième période de construction ; le nombre des tours intermediaires a alors été réduit à dix. Au cours de la période II, le mur de mottes de gazon a dû être, sur certains tronçons, stabilisé par l’adjonction d’un mur de madriers (IIa). Lors de la période III, le mur d’enceinte ainsi que l’ensemble des tours ont été reconstruits en pierre. Les substructions du mur, peu profondes et presque entièrement arasées, avaient une largeur de 1,2 m. La forme et les dimensions des tours n’ont pu être approximativement déterminées qu’à partir de traces observées en plan ; elles sembleraient cependant correspondre en général à celles des tours précédentes. 473 651 Le plan d’ensemble de l’aménagement intérieur pendant la période I a pu être entièrement reconstitué. Dans la retentura et la praeretentura, deux aires de 50 m de large destinées au logement des troupes ont été reconnues. Les bâtiments de commandement et les services communs occupaient les parcelles centrales, d’une profondeur de 28 m. Dans la partie antérieure du camp s’élevaient, deux à deux, huit (6-13) baraques (long. 48 m) (fig. 324, 1) avec les logements des officiers situés vers l’extérieur et dix contubemia doubles. Des portiques ornaient sur trois côtés les façades extérieures le long des rues. A l’arrière du camp avaient été érigées des baraques (22-24) de plus grandes dimensions (long. 52 m) (fig. 324, 2, 3 et 4), correspondant aux logements des troupes placés face à face (25-27) ; il manque cependant les bâtiments de tête, peut-être inclus dans la construction 28. La destination de l’édifice 21, dont un équivalent pourrait avoir existé dans la partie nord, n’est pas déterminée. Des portiques s’élevaient ici seulement le long de la via decumana. FIG. 324 Hofheim am Taunus. Blocs de baraquements (Nuber 1986, 227). 652 Les principia (16) occupaient, au centre du camp, une superficie de 26 x 22 m. Sur la via principales s’ouvrait une cour intérieure entourée de portiques, dont les toits alimentaient en eaux de pluie un bassin peu profond et, par l’intermédiaire d’un tropplein, un réservoir de 6,7 m de profondeur. Au milieu de l’aile arrière se trouvait le sanctuaire du camp, avec une petite cave en sous-sol, dotée d’un coffrage en bois. Le praetorium (15) occupait la plus grande superficie (28 x 26 m). Cette identification ne fait pas de doute en raison de la disposition caractéristique du bâtiment, avec une cour intérieure ouverte, des rangées de pièces sur quatre côtés, dont une plus vaste dans l’angle nord-est montre des latrines vidangeables vers l’extérieur et a livré un intéressant matériel de fouille. Venait ensuite vers le sud un horreum (14) de 28,5 x 7,5 m. 474 653 La destination des bâtiments 19 et 20, dans le secteur arrière, est encore indéterminée. Le complexe 18 a dû servir d’édifice à vocation économique, peut-être d’ateliers (fabrica) ; un bassin central et un four en sont le témoignage. Contrairement à une opinion ancienne, il devrait s’agir, dans le cas du bâtiment 17, d’un grenier à provisions plutôt que du logement d’un officier ou d’un valetudinarium. 654 Un gigantesque incendie a détruit les bâtiments intérieurs de la première période. Alors que les édifices du secteur central du camp n’ont été reconstruits qu’avec des modifications de détail, mais selon une autre technique (murs avec fondations en pierre), les logements des troupes se distinguent par des réaménagements radicaux. Le nombre des édifices allongés du secteur sud-est a été réduit à un bâtiment d’entrepôt, étiré en longueur le long de la via principalis, et à deux baraques de dimensions plus réduites (long. 29 m), qui ne présentent plus désormais que six contubemia. Les contubemia, isolés, offrent cependant plus d’espace : de 27 m 2, ils sont passés à 36 m2. Les bâtiments de tête, destinés aux gradés, ont vu leur surface pratiquement doubler de 100 m2 à 190 m2 ; ils étaient en partie décorés de peintures murales polychromes. Des transformations analogues ont pu également être observées à l’arrière du camp. La reconstruction des logements tenait visiblement compte d’un changement dans la nature des troupes. Des comparaisons avec d’autres plans de camps (par exemple Valkenburg) laissent alors supposer la présence d’une unité de cavalerie (ala) comme troupe en garnison. Une démolition délibérée de l’ensemble du camp eut lieu à la fin de la troisième période. 655 Les tuiles estampillées, utilisées dans le camp nomment les XIIII e, XXIe et XXIIe légions. Le matériel figulin provient des tuileries centrales de Rheinzabern et peut-être de Nied. La structure et la densité de l’aménagement intérieur du castellum, malgré une superficie de 2 ha qui correspond généralement à l’espace nécessité pour le cantonnement d’une cohors quingenaria, indiqueraient plutôt la présence d’une troupe mixte. Le pendentif en plomb d’un scorpionarius nommé lustinus pourrait prouver l’existence de troupes de légion. Des cavaliers étaient en tout cas logés dans le secteur avant du camp, à l’époque de l’incendie. Ils appartenaient assurément à la troupe d’occupation de la deuxième période. Les découvertes récentes de deux stèles funéraires de cavaliers (malheureusement sans inscription conservée) réutilisées dans le secteur urbain vont dans le même sens. 656 Le début de la première période de construction du castellum en pierre est daté par le matériel découvert (monnaies, sigillée) des années 72-74. Hofheim constituait, avec Nida (Heddernheim), Okarben et Friedberg, la première étape sur la voie de pénétration dans la Vétéravie, réoccupée par l’armée romaine sous Vespasien. L’intérieur du camp a dû être reconstruit à la suite d’un incendie après 97 (période II). Lors de l’aménagement de l’enceinte, le nombre des tours intermédiaires a été réduit à dix, et le mur en bois et terre a été renforcé sur certaines sections par une palissade en bois (période IIa). La dernière mesure de construction entreprise sous Trajan concerne l’enceinte : pour la première fois sur la rive droite du Rhin, les castella auxiliaires furent désormais entourés eux aussi de murs et de tours en pierre. Des traces évidentes montrent que le castellum a été abandonné après 106-110, puis détruit. 657 BIBLIOGRAPHIE 658 Camp de pierre - Nuber 1986 ; Nuber 1989 ; ORL B 29, n o 21, 2, 4. [2004] Camp de terre - Nuber 1983 ; Ritterling 1913 ; Seitz 1988, 20-28. 475 HONTHEIM/ENTERSBURG Rhénanie-Palatinat, Allemagne 659 R. BRULET 660 La forteresse de hauteur de Entersburg près de Hontheim, dans le canton de Bernkastel-Witdich, représente le modèle type des forts bâtis sur une éminence rocheuse tels qu’il en existe beaucoup en région trévire et dans l’Unsrück-Eifel (fig. 325). L’éperon triangulaire domine la vallée de l’Ussbach et peut surveiller le passage de la route Trèves-Andernach. La zone la plus élevée de l’éperon, au sud, a été fortifiée au cours du troisième quart du IIIe s., avant l’invasion de 275. Après cette date, le sommet fut à nouveau fortifié par la construction d’un mur à sec entourant une surface de 0,2 ha, sur un plan très irrégulier, adapté à la topographie. Côté nord, la nouvelle enceinte est protégée par des petits fossés taillés dans le roc. On peut finalement situer la construction d’une tour carrée, au deuxième quart du IVe s., sur la pointe nord du site. Cette tour de 10 m de côté avait des murs de 2 m de large. Divers objets témoignent de la présence de militaires sur le site. FIG. 325 Hontheim/Entersburg. Plan de la fortification rurale (d’après Gilles 1985, 129). 661 Trois périodes, marquées par des aménagements distincts, caractérisent l’utilisation de la forteresse. 662 Avant les invasions de 275-276, on trouve des aménagements sur la terrasse principale. À la fin du IIIe s. se rattache la construction d’une enceinte au même endroit, tandis que le IVe s. voit se développer une tour à l’autre extrémité du promontoire. Le site paraît abandonné à la suite des invasions de 353-355 ap. J.-C. 476 663 BIBLIOGRAPHIE [2004] Gilles 1985. HORBOURG-WIHR Haut-Rhin, France (carte fig. 13) 664 M. FUCHS 665 Le camp de Horbourg est situé à hauteur de Colmar (Haut-Rhin) sur la commune de Horbourg-Wihr. Il occupe l’emplacement d’un carrefour stratégique : une voie fluviale nord-sud, l’Ill, doublée d’une voie terrestre est-ouest reliant le Rhin et les Champs Décumates aux cols vosgiens. Un vicus important s’y était développé sur plus de 50 ha entre le Ier et le IIIe s. Le camp tardif occupe le centre de ce vicus antérieur, formant dans la plaine alluviale un îlot surélevé, enserré à l’origine par deux bras de rivière, à l’ouest et à l’est. Aujourd’hui, le bras de rivière oriental a disparu et l’ensemble de la surface du camp est urbanisé, ce qui rend chimérique une étude exhaustive. 666 Les premières mentions de découvertes datent du VXIe s., à l’occasion des travaux d’agrandissement du château comtal qui occupait l’angle nord-est du camp. C’est l’humaniste Beatus Rhenanus qui relate, en 1543, la mise au jour des premiers vestiges antiques et établit leur relation avec le toponyme antique d’Argentovaria ; cette assimilation a marqué le début d’une controverse entre érudits, qui perdure jusqu’à nos jours. Il faut cependant attendre les années 1820 pour que des remarques pertinentes soient proposées au sujet de la datation et de l’organisation probable du camp par Ph.A. de Golbéry, auteur de la première monographie du site. Enfin, de grands travaux de fouilles sont entrepris conjointement par le pasteur local, E.-A. Herrenschneider, et l’architecte des Monuments historiques, C. Winlder, entre 1884-1894. Ces travaux ont permis de dresser un plan précis de l’enceinte, qui sert toujours de référence à l’heure actuelle (fig. 326). Cependant aucune fouille n’a mis en évidence les niveaux d’occupation du camp. En 1971-1972, M. Jehl et Ch. Bonnet ont opéré un sondage sur une portion du rempart oriental. En 1996, un nouveau sondage très réduit (16 m 2) a permis de dégager un tronçon bien conservé des fondations du rempart occidental. La fortification reste donc toujours assez mal connue de nos jours, faute de fouille récente d’envergure. 477 FIG. 326 Horbourg-Wihr. Plan du castellum d’après celui qu’avait établi Winckler en 1894 : dans l’angle nord-est, le château comtal du XVIe s. (dessin Ch. Winckler dans Herrenschneider 1894). Les parties en noir ont été effectivement fouillées par Herrenschneider et Winckler, le reste a été extrapolé. Depuis, seules deux fouilles ont concerné le rempart : 1 sondage de 1972 par C. Bonnet ; 2 sondage de 1996 par M. Fuchs. 667 Le camp de Horbourg est un quadrilatère quasi régulier de 168,50 x 160 m, soit une superficie interne de 2,696 ha. Ces mesures ont été effectuées par l’architecte C. Winkler vers 1885 à partir de sondages ponctuels, mais l’angle nord-est est entièrement extrapolé du fait de sa destruction par l’édification du château. Le rempart devait être complété par un fossé, peut-être observé au XIXe s. mais non décrit dans les publications. Ont été effectivement dégagées : trois tours d’angle, six tours intermédiaires, trois portes. Si la distribution s’avère régulière, on peut compter quatre tours d’angle aux trois quarts rondes, huit tours intermédiaires demi-rondes et quatre portes rectangulaires au milieu de chaque côté. Les tours d’angle ont 6 m de diamètre. Les tours intermédiaires font une saillie de 3 m à l’extérieur et 2 m à l’intérieur, soit 8 m d’épaisseur en tenant compte du mur, pour une longueur de 6 m. 668 Les portes se répartissent en deux groupes. Celles du nord et du sud ont un porche simple offrant un passage de 3,05 m pour une longueur totale d’une douzaine de mètres (fig. 327). Celle de l’ouest et probablement celle de l’est disposaient d’un double passage de dimensions équivalentes. Toutes les quatre semblent équipées d’une triple défense : double porte et herse. 478 FIG. 327 Horbourg-Wihr. Perspective du socle droit de la porte sud (aquarelle de Winckler, collection ARCHIHW). 669 Le rempart n’a pas été observé de manière satisfaisante lors des fouilles anciennes ; aussi devons-nous nous contenter de données fragmentaires recueillies lors d’observations ponctuelles en 1972 et 1996 (fig. 328). Sur le tronçon ouest dégagé en 1996, les fondations sont épaisses, de 3,30 à 3,50 m ; elles consistent en un bain de mortier de chaux mélangé à des moellons en calcaire, le tout coulé dans une tranchée à fond plat profonde de 1,20 à 1,30 m. Il en résulte une semelle de fondation plane sur laquelle était monté le mur. Un tronçon oriental a été dégagé en 1972. Son épaisseur n’a pu être estimée mais la tranchée de fondation était bien plus profonde en cet endroit (au moins 4,50 m). Enfin, on n’a pas de trace d’une semelle de mortier mais de grands monolithes empilés en oblique. 479 FIG. 328 Horbourg-Wihr. Sondage de 1996. photo M. Fuchs. 670 Aucune observation récente n’ayant pu être effectuée sur le mur, nous devons nous fier aux indications anciennes. Il aurait une épaisseur de 3 m à 3,30 m à la base (Billing, en 1782, signale une épaisseur de 2,30 m en élévation). Il était construit en grand appareil à la base, puis en moellons. De nombreuses stèles funéraires et éléments d’architecture civils ont été observés en réemploi. Entre les deux parements, on retrouve le mélange de mortier de chaux et de moellons utilisé dans la fondation. L’assemblage des blocs aurait été réalisé selon la technique de la mortaise en queued’aronde, mais cela reste hypothétique en l’absence d’observation in situ. 671 Les niveaux d’occupation du camp sont en général mal conservés ou n’ont pas été mis en évidence par les fouilles anciennes. Un petit pavement de briques hexagonales recouvrant des dalles en grès a été observé sur les voies au niveau des portes nord et sud. Aucun bâtiment interne n’a été mis en évidence car les excavations ont essentiellement concerné le rempart ; le pseudo praetorium dégagé en 1885 par Herrenschneider et Winkler est en réalité un bâtiment civil bien antérieur, dont le réemploi dans le camp n’est pas évident (orientation divergente) mais dont les fondations ont été reprises à l’époque mérovingienne. 672 Faute de matériel, la datation du camp a longtemps posé problème et la question n’est, à ce jour, pas encore totalement résolue. Le camp a été catalogué parmi les créations Valentiniennes jusqu’au moment où la datation des référents (Alzey, Boppard, Kreuznach ou Yverdon) a été remise en cause. Les dernières investigations de 1996 ont pu mettre en évidence un niveau qui pourrait être celui de la construction du camp et qui est daté du troisième quart du IVe s. par de trop rares fragments de sigillée d’Argonne. À la fin du XIXe s., Herrenschneider découvrit lors de ses fouilles plusieurs marques de la legio la Martia, dont la présence est bien attestée dans la région pour la datation proposée. Des détachements de cette légion sont aussi présents à Eguisheim, à Kaiseraugst et surtout à Biesheim. Cependant, il faut aussi remarquer la présence de deux estampilles de la VIIIe légion conservées au musée d’Unterlinden à Colmar. 480 [2004] Bonnet 1973 ; Fuchs 1995a ; Fuchs 1995b ; Fuchs 1995c ; Golbery 1828 ; Herrenscheider 1894 ; Herrenscheider 1993; Oberlin 1784 ; Schöpflin 1751 ; Winckler 1881-1884. 673 BIBLIOGRAPHIE 674 HÜCHELHOVEN → HEIDENBURG HULSBERG/GOUDSBERG Limbourg, Pays-Bas (carte fig. 12) 675 J. K. HAALEBOS 676 Le long de la Steenstraat est connue une station routière romaine au lieu-dit Goudsberg. Il s’agit d’un poste de surveillance de la grande rocade Cologne-Bavay, par Maastricht et Tongres. Le site a attiré l’attention depuis le XIXe s. et a été fouillé par J.H. Holwerda au début du XXe s. L’enceinte est bien visible dans le paysage. 677 Le petit burgus (fig. 329) comprend une tour rectangulaire (12,2 x 8,8 m), avec quatre poteaux en bois qui portent un étage, entourée d’une enceinte polygonale en terre et d’un fossé en V large de 7 m. Les murs de la tour, épais de 0,9 à 1 m, sont fondés sur une mince couche de gravier et édifiés en pierre locale. Les blocs régulièrement taillés forment le revêtement d’un blocage de mortier, de calcaire et de tuiles. Des fragments de verre autorisent l’hypothèse de fenêtres. FIG. 329 Hulsberg/Goudsberg. Plan du fortin. dessin R. Brulet. 678 La garnison est inconnue. On a découvert là de la céramique de la fin du IIIe s., ainsi que des monnaies de Claude II et de Licinius. Les fouilleurs avancent l’hypothèse d’une construction sous Dioclétien, ce qui n’est pas confirmé. 679 BIBLIOGRAPHIE [2004] Habets 1881, 147 ; Holwerda 1916 ; Holwerda 1925. 481 680 HUNERBERG → NIMÈGUE JUBLAINS NOVIODUNUM Mayenne, France 681 M. REDDÉ 682 À 12 km au sud-est de Mayenne, l’antique Noviodunum, capitale des Diablintes, possède une “forteresse” assez bien conservée en élévation, qui fut dégagée à partir de 1839, puis en 1867-1868. Cet intérêt précoce, qui a eu le mérite de préserver le monument, a eu aussi le désavantage de le transformer en un “monument historique” sévèrement restauré à plusieurs reprises, sans que son observation archéologique ait pu être menée à bien dans des conditions satisfaisantes. Les nouvelles campagnes de sondages, menées depuis 1975 par R. Rebuffat, ont dû, par conséquent, se contenter d’observations incomplètes. 683 Le complexe fortifié est composé de trois grands ensembles (fig. 330) : un bâtiment central de 34 m (E-O) x 37 m (N-S), aux murs épais de 2,15 m, caractérisé par quatre pavillons d’angle (4,80 m2) ; une levée de terre périphérique (vallum), d’environ 60 m de côté ; une grande enceinte trapézoïdale (117 x 105 m) de moellons et de briques (fig. 331). A ces trois éléments essentiels se sont ajoutés deux ensembles thermaux, dans les angles nord et sud du vallum, ainsi que différentes constructions annexes sur les flancs du bâtiment central. Celui-ci est construit en blocage, parementé vers l’extérieur à l’aide de gros blocs de granit, à l’intérieur en petit appareil, pour une largeur totale d’environ 2,15 m (fig. 332 et 333). On y accède par une porte située au sud-est (larg. 1,40 m ; haut. 1,85 m). Celle-ci ouvre sur une galerie, avec en son centre un puits de lumière formant impluvium, dont le sol était dallé de briques (fig. 332). Dans la galerie, des plots de granit fondaient probablement des piliers (de granit ou de bois) qui supportaient le plancher du premier étage. De la galerie, on accédait aux pavillons d’angle par une porte interne voûtée de briques, large de 1 m à l’est et à l’ouest, de 2,10 m au nord et au sud. Dans ces deux derniers cas, les pavillons comportent une poterne en grand appareil (fig. 334 et 335), large de 0,80 à 1 m, avec un dispositif de verrouillage interne à trois barres de bois, piquées dans la paroi et abattues dans une encoche sur le mur opposé. On reconnaît encore un puits et une citerne dans la galerie périphérique. Sur la face sud-ouest, l’adjonction centrale constitue une sorte de chasse d’eau, recueillant l’eau des toitures et l’évacuant par un système de drains au-delà du vallum. Les adjonctions d’angle sont sans doute des silos. Deux citernes en briques flanquent les pavillons est et ouest. 482 FIG. 330 Jublains. Plan général (Rebuffat 1997, 272). FIG. 331 Jublains. La grande enceinte. photo M. Reddé. 483 FIG. 332 Jublains. Plan du bâtiment central (Rebuffat 1997, 275). FIG. 333 Jublains. Bastion du bâtiment central. photo M. Reddé. 484 FIG. 334 Jublains. Le grand appareil du bâtiment central. photo M. Reddé. FIG. 335 Jublains. Poterne du bâtiment central. photo M. Reddé. 684 Le vallum, large d’environ 8 m pour une hauteur d’un peu plus de 1 m, présente aujourd’hui un profil en cône aplati, dû à son érosion, mais sa largeur primitive n’est pas connue. Il était protégé par un fossé large de 9 m, profond de 3, mais apparemment creusé dans un second temps ; on pouvait traverser le vallum grâce à une porte unique 485 maçonnée (blocs de taille, moellons et cordons de briques), de 2,60 m de large, située au nord-est. Il paraît vraisemblable que le vallum ait porté une palissade de bois. 685 L’enceinte extérieure, fondée sur des blocs de remploi, est construite en petit appareil régulier, avec des lits de réglage en briques. Son épaisseur moyenne est d’environ 4,80-4,90 m. Elle est flanquée d’une série de tours saillantes en U sur ses faces nord, sud et ouest, rondes aux angles, ainsi que d’une tour carrée sur la courtine orientale. On y accédait par deux portes au nord et au sud-ouest, qui se présentent comme de simples interruptions du rempart, ce qui laisse penser que celui-ci n’a pas été terminé. Trois poternes d’angle complètent le dispositif. 686 Si la chronologie relative des constructions –bâtiment central, vallum, fossé, enceinte extérieure– est assez bien assurée, la chronologie absolue et la fonction du complexe fortifié sont plus difficiles à cerner. Le principal fossile directeur est constitué par les très abondantes monnaies de Tetricus qui jonchent le fossé et la terre du vallum, fournissant un terminus post quem pour cette partie du monument. Des analyses archéomagnétiques sur les briques de l’enceinte extérieure permettent à R. Rebuffat de proposer une construction en 285 pour cette partie du complexe, hypothèse qui n’est pas à rejeter, mais on sait l’incertitude de ce genre de datation, à supposer d’ailleurs que les briques ne soient pas remployées. Il faut donc considérer cette chronologie avec prudence, sans pour autant la condamner. Quant au bâtiment central, il est nécessairement antérieur, mais l’absence de tout matériel céramique associé à sa construction n’autorise pas un raisonnement assuré ; une autre datation archéomagnétique sur les sols de l’impluvium central permet de proposer la fin du second siècle ou le début du troisième pour son édification. Mais un sol peut naturellement être refait et cette proposition de chronologie, en soi recevable, doit elle aussi être considérée avec prudence. On éliminera volontiers pour ce bâtiment l’hypothèse militaire, malgré les pavillons d’angle et bien que l’édifice soit fortement protégé. Les différentes comparaisons typologiques que l’on peut faire ne conduisent pas en effet dans cette direction. On retiendra plus volontiers celle d’un entrepôt, éventuellement utilisé pour le cursus publicus. 687 BIBLIOGRAPHIE [2004] Napoli 1997b ; Rebuffat 1997. KAISERAUGST CASTRUM RAURACENSE Argovie, Suisse 688 R. FELLMANN 689 Le camp tardo-antique correspond dans l’ensemble au centre du village actuel de Kaiseraugst qui doit son nom à son rattachement précoce à l’empire autrichien. La tête de pont qui lui fait face se situe sur le territoire de Herten (ville de Rheinfelden, circonscription de Lörrach, Allemagne). La forteresse se situe en bordure même du Rhin, endigué à cet endroit depuis 1912. La situation d’origine se trouve ainsi modifiée. Le mur courant le long du fleuve a presque entièrement disparu. Le camp est implanté sur un quartier de la ville basse du caput cokmiae Augustae Rauricae (fig. 336). 486 FIG. 336 Kaiseraugst. Plan général, première période (Fellmann 1992, fig. 42). 690 Les premières recherches détaillées ont eu lieu à partir de 1887- 1891 (Heidenmauer ou “mur des païens”). En 1905-1906, puis en 1968 furent effectuées des fouilles sur la porte occidentale, en 1936-1937 sur le mur oriental, en 1957-1958 sur les tours 4 et 9, en 1959-1964 dans l’horreum et ses environs, en 1960-1964 dans l’église paléochrétienne, en 1975-1976 dans les thermes, et en 1988 dans la zone de l’ancienne auberge Au Lion détruite et celle de la porte méridionale. Le fameux trésor en argent a été découvert en 1961-1962. En 1995, un deuxième lot a été remis aux autorités du castrum d’Argovie. 691 Le camp est mentionné dans la Notitia Galliarum autour de 400 ap. J.-C. en tant que castrum Rauracense. Il a la forme d’un trapèze légèrement irrégulier, allongé, avec un côté oriental brisé. La façade située le long du Rhin mesure 292 m, en incluant les tours d’angle (reconstituées). La longueur du côté sud atteint 267 m, celle du côté ouest 155 m et le mur oriental a 142 m de long. La superficie du camp s’élève à 3,5 ha. Vingt tours en tout peuvent être reconstituées sur les trois fronts du côté de la terre, mais leur forme ne peut être clairement appréhendée. Les tours d’angle semblent avoir été polygonales. Le mur d’enceinte présente une épaisseur de 3,95 m. Il a été construit avec de nombreux remplois à sa base. Devant le mur, à une distance qui atteint parfois 18 m, court un fossé. Les fouilles de 1998 ont prouvé avec certitude que le mur méridional du camp a été implanté sur un portique et plus loin, vers l’ouest, sur une voie du quartier de la ville basse d’Augst. 692 L’existence, dans le quart sud-ouest du camp, de bâtiments légèrement désaxés (entre autres un horreum) vient confirmer cette observation. Les thermes, dans le secteur nord-ouest, pourraient également être plus anciens et avoir été réutilisés. Dans le secteur sud-est ont été repérés des fossés qui semblent passer sous le mur d’enceinte et qui pourraient faire partie d’un système de fortification antérieur. De larges parties du 487 castellum tardo-antique sont recouvertes par des fonds de cabane du haut Moyen Âge, ce qui prouve la continuité d’occupation du site. Lors d’une première phase, le camp semble bien avoir eu quatre portes d’accès (en comptant celle qui donne sur le Rhin). La porte méridionale a été visiblement condamnée pendant la deuxième période. Lors de cette dernière phase, le camp n’était plus desservi que par la voie ouest-est. Un édifice s’élevait à cette époque derrière la porte méridionale, dont une grande abside (présentant deux phases de construction) avait déjà été découverte en 1976. Les fouilles de 1998 ont livré en fait une autre abside formant une salle transversale ou une basilique, ce qui laisse supposer l’existence d’une sorte de principia ou même d’une aula palatina. On connaît une église paléochrétienne avec baptistère dans le secteur nordest, située en partie sous l’église actuelle du village. La datation de l’édifice religieux est contestée. L’hypothèse d’une construction autour de 400 ap. J.-C. est avancée. 693 Seuls des restes très réduits des tours subsistent de la tête de pont sur la rive droite du Rhin. 694 Le castrum Rauracense a dû être construit sous Dioclétien autour de 300 ap. J.-C. d’après les données numismatiques. Les troubles qui suivirent l’usurpation de Magnence provoquèrent une interruption nette (avec destructions) dans l’histoire de la construction du camp (enfouissement du trésor en argent de Kaiseraugst autour de 352 ap. J.-C.). La reconstruction, sous une forme modifiée (en particulier à l’intérieur avec des bâtiments construits, pour certains, entièrement selon la technique de construction en pans de bois entretoisés), a eu lieu au plus tôt sous l’empereur Julien. 695 BIBLIOGRAPHIE 696 KÖLN → COLOGNE 697 KOPS PLATEAU → NIMÈGUE [2004] Berger 1998 ; Cahn & Kaufmann-Heinimann 1984 ; Drack 1988 ; Fellmann 1992, 318 ; Laur-Belart 1934; Laur-Belart 1967 ; Marti 1996 ; Martin 1975 ; Peter 2001 ; Swoboda 1972-1973. KREFELD / GELLEP GELDUBA Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (cartes fig. 6, 7, 8 et 12) 698 CH. REICHMANN 699 Le site romain du castellum de Gelduba est situé entre Novaesium (Neuss) et Asciburgium (Moers-Asberg), sur le limes de Germanie inférieure. Les fortifications s’élevaient à 800 m à l’est de la voie du limes sur un tertre de sable, directement sur la rive gauche du Rhin, ou plutôt sur celle d’un bras du fleuve, à 9 m environ au-dessus du niveau moyen de l’eau (fig. 337). 488 FIG. 337 Krefeld/Gellep. Plan general. dessin Ch. Reichmann. 700 Depuis le XVIe s., le petit village de Gellep avait été identifié comme le Gelduba de Tacite. Dès 1896, A. Oxé entreprenait les premières fouilles scientifiques. Les travaux furent poursuivis par le Rheinisches Provinzialmuseum en 1911, et dans les années 1930 par A. Steeger. L’emplacement exact du castellum n’a toutefois pu être identifié qu’en 1964 par I. Paar et Ch. B. Rüger. Dans la mesure où le site est touché par l’aménagement du port moderne, des fouilles sont effectuées également à l’heure actuelle. 701 L’installation la plus ancienne, au confluent du Linn, sans doute dès l’époque libérienne, n’était pas fortifiée, même si un abondant matériel militaire y a été trouvé. C’est seulement lors de la révolte des Bataves qu’une simple fortification en terre, semicirculaire, semble avoir été érigée. D’autres vastes fossés de retranchement proviennent visiblement de l’armée, forte de plus de dix mille soldats, qui fut cantonnée à Gellep pendant l’hiver 69-70, d’après Tacite. 702 Peu de temps après, sans doute encore au cours de l’année 70, un premier camp permanent d’auxiliaires, occupé par l’ala Sulpicia c (ivium) R(omanorum) (période II), fut érigé au milieu des constructions antérieures. Les dimensions de cette fortification en bois et terre s’élevaient à environ 170 x 140 m. Les casernes étaient toutes aménagées comme des constructions mixtes écurie/ logement, car les foyers se trouvaient tous d’un seul côté, alors que l’autre côté était régulièrement doté de rigoles à purin. 703 L’ala Sulpicia fut, dès le milieu des années 80, remplacée par une nouvelle unité, la cobors IIa Varcianorum equitata c. R. Le nouveau corps ne s’établit pas dans l’ancien camp, mais en construisit un autre, sur les ruines complètement arasées du précédent, de dimensions à peu près identiques (période III). Le mode de construction de l’enceinte fut également à peine modifié. Des variations ont été, en revanche, observées au niveau 489 des casernements. On trouve désormais parmi elles des bâtiments strictement consacrés au logement des hommes et d’autres réservés aux écuries, mais toujours également des bâtiments combinant les deux fonctions. 704 Au début du IIe s., on reconstruisit en pierre la forteresse (période IV) et la ligne de fortification fut, à cette occasion, déplacée de quelques mètres vers l’extérieur. On creusa également un nouveau fossé, plus large, qui fut encore renforcé devant le côté ouest, le plus menacé, par un deuxième fossé. De plus, des tours intermédiaires supplémentaires furent construites dans cette zone, derrière l’enceinte, qui mesurait à la base 1 m de large. Le mur reposait sur une fondation d’argile damée et de cailloux et était contrebuté à l’arrière par une levée de terre de 3 m de large. 705 A l’intérieur du fort, les seules constructions en dur étaient apparemment celles des bâtiments principaux, notamment les principia et un grand entrepôt. En revanche, les casernes restèrent jusqu’au IIIe s. encore des constructions légères à pans de bois. Depuis la fin du IIe s., on n’enfonçait certes plus les poteaux et les sablières basses dans la terre, mais on ne les isolait pas encore durablement au-dessus de la zone d’humidité. Ils étaient simplement placés au ras du sol, dans l’argile et tout au plus isolés du sol par une fine couche d’ardoise. Seuls les ateliers étaient construits avec plus de soin, dans la mesure oit les murs reposèrent d’abord sur des fondations de briques d’argile, puis sur d’étroits soubassements en pierre (période V). 706 Après une destruction, sans doute en 259 et 275, le fort abrita pour quelques années des bâtiments “provisoires”, édifiés selon la technique de construction germanique locale (période VIb). Des entrepôts sur pilotis de grandes tailles ont été découverts, ainsi que des bâtiments mixtes maison/écurie à double nef dotés de petites annexes. 707 C’est apparemment sous le règne de Dioclétien, vers la fin du IIIe s., que commença la construction d’une nouvelle fortification (période VII) (fig. 338a). À cette fin, on érigea en premier lieu, à l’intérieur de l’enceinte antérieure, une construction centrale de dimensions plus réduites (environ 110 x 110 m), avec un mur de plus de 3 m d’épaisseur à la base. L’espace intérieur de ce noyau fortifié était couvert de bâtiments en pans de bois indépendants. Ces derniers, malgré leur technique de construction simple, présentaient –tout du moins dans le secteur fouillé– un équipement relativement luxueux, avec chauffage par le sol et peintures polychromes. 490 FIG. 338 Krefeld/Gellep. Les différentes phases du fort tardif : a phase de Dioclétien ; b phase Valentinienne ; c vers la fin du IVe s. dessin J. Granzow. 708 Au début du IVe s., on construisit en deux étapes, devant l’ouvrage central déjà décrit, des défenses d’approche, notamment une barbacane, équipée d’une série de chicanes, sur un modèle oriental (période VIIb). Les bâtiments finirent par couvrir toute la surface du castellum du Haut-Empire, dont on avait de toute façon conservé les fossés. Il est intéressant de noter que les murs massifs de cette première forteresse tardive ne reposaient pas vraiment sur des fondations, mais étaient érigés sur une mince couche de déblais, pratiquement à ras de terre, qui recouvrait le sous-sol, simplement aplani. Les seules substructions plus profondes étaient constituées par des traverses de bois ou des rondins, ainsi que des blocs de pierres aux angles des murs. La découverte d’une tablette en plomb épigraphe semble prouver, en dehors de la configuration du plan, que la garnison de Gellep était en partie composée de troupes orientales. 709 La construction d’une ligne polygonale de fossés cernant les défenses de la forteresse emmurée à 80-150 m du côté de la terre indique la présence de combats au début des années 40 du IVe s. Le castellum ne paraît pas encore avoir été détruit à cette époque, mais seulement quelques années plus tard, lors des grandes attaques des Germains, qui suivirent l’insurrection de Magnence. La destruction fur si importante que le camp resta pendant plus d’une décennie à l’abandon. C’est ce que semblent en tout cas montrer aussi bien le développement d’une formation rudérale qui a pu être plus précisément étudiée à partir de sédiments du puits, que l’existence d’une lacune dans la série monétaire. De nombreux ossements humains ont enfin été découverts sous les couches de déblais. 710 Le castellum reconstruit seulement après 364, sous Valentinien, n’a repris, à l’exception des fossés, aucun élément du système de fortification, aucun mur du fort précédent (fig. 491 338b). Il s’agit d’une construction complètement nouvelle, de plan rectangulaire et réduit (environ 120 x 90 m, période VIII). Malgré des dimensions bien plus vastes que celles d’un burgus, la nouvelle forteresse ne possédait visiblement pas, dans un premier temps, de tours d’angles saillantes. On trouve à la place, adossées le long du mur intérieur, des casernes, d’une largeur interne d’environ 9 m. Leurs murs intérieurs présentaient, à la différence de ceux d’Alzey ou d’Altrip, à peu près la même épaisseur que les murs extérieurs (de 2 à 2,20 m), ce qui laisse supposer une hauteur correspondante. La découverte d’un escalier dans un épaississement des murs conduit à restituer un édifice de 8,50 m de haut (jusqu’à l’arête du larmier du toit). L’édifice était couronné par une casemate couverte, ainsi que le prouvent les gouttières circulant tout autour. On renonça finalement au dispositif compliqué de la barbacane antérieure pour placer les accès (à nouveau quatre) sur les axes de circulation du camp du Haut-Empire, ce qui laisse penser à un nouveau stationnement de troupes de cavalerie. 711 D’après les nombreuses découvertes de monnaies, la nouvelle forteresse fut encore une fois, vers la fin des années 80 du IVe s., totalement réaménagée et renforcée par des tours semi-circulaires et saillantes (fig. 338c). Seul le fort de Brittenburg, près de Katwijk, dont les murs de fondation, battus par la mer, ne sont d’ailleurs connus que par des gravures du XVIe s. (A. Ortelius), présente un plan sensiblement comparable. Ici, l’espace intérieur, qui pas encore été fouillé à Gellep, est occupé par un bâtiment en pierre de type entrepôt. Alors que le castellum était visiblement doté d’une nouvelle couverture en tuiles, aucune marque de tuiles identifiable de la fin de l’époque romaine n’a été jusqu’à présent découverte. 712 La forteresse dispose à cette époque d’une quantité de défenses avancées, notamment un fossé intermédiaire polygonal supplémentaire inséré sur la berme, ainsi que de différents obstacles en terre de dimensions plus réduites. Une série de pièges de taille humaine et plusieurs barrages artificiels des voies ne semblent pas, en revanche, avoir constitué des protections de longue durée, mais plutôt répondu à une menace limitée dans le temps, datée par les monnaies autour de 400. Au début du Ve s., le fortin paraît avoir fait encore une fois l’objet de modifications. On a visiblement utilisé le fossé intermédiaire polygonal comme tranchée de fondation pour un mur avancé d’une largeur d’environ 80 cm. Ce dernier était doté de tours en bois placées à intervalles réguliers, qui reposaient à l’avant sur le mur et étaient soutenues à l’arrière par deux poteaux profondément enterrés. L’installation d’une guérite en pans de bois, avec en avant un fossé servant d’obstacle (titulum) et en face d’un accès secondaire réalisé dans ce mur, est l’une des dernières constructions attestées dans le camp. Les découvertes montrent que celui-ci a été encore utilisé de façon intensive pendant tout le Ve s. 713 BIBLIOGRAPHIE 714 KUNHEIM → BIESHEIM [2004] Horn 1987 ; Paar & Rüger 1971 ; Pirling 1986 ; Reichmann 1987 ; Reichmann 1998. LADENBURG LOPODUNUM Bade-Wurtemberg, Allemagne (cartes fig. 6, 7 et 13) 715 C. S. SOMMER 492 Les camps du Haut-Empire 716 Les deux camps découverts jusqu’à présent se trouvent à environ 9 km au nord-ouest du point où le Neckar sort de l’Odenwald, au niveau de Heidelberg, sur la rive droite du fleuve, dans le secteur d’un ancien méandre d’un bras asséché du cours d’eau, sous la ville médiévale et moderne de Ladenburg. Ils sont placés au centre du cône d’alluvions fertiles qui recouvre la couche de galets rhénans, sur le lœss alluvionnaire, au-dessus de sable et cailloux du Neckar. 717 Le camp I a été découvert en 1912 ; ce n’est cependant qu’en 1987 qu’on a pu, de façon certaine, déterminer sa taille (environ 3,9 ha). La construction de l’enceinte est connue depuis longtemps grâce aux recherches de B. Heukemes et E. Schallmayer, mais des informations véritables sur l’aménagement intérieur n’ont été livrées qu’à partir de 1984 (fig. 339). Il faut s’attendre dans les prochaines années, au travers de nouvelles opérations archéologiques, à un complément et une correction éventuelle des données actuellement connues. Depuis cent ans, des fouilles sont effectuées dans le secteur du vicus mais elles n’ont pris une grande envergure que depuis 1981. FIG. 339 Ladenburg. Plan du camp I. 1 praetorium ; 2 principia (Sommer 1998b). 718 Alors que le camp I occupe le point le plus élevé de la zone urbaine de Ladenburg, le camp II, vraisemblablement plus ancien, se situait un peu plus au nord-ouest, sans doute plus près du Neckar. Seuls des compléments à la partie orientale de l’enceinte du camp ont été acquis depuis la découverte de ce dernier en 1982. L’existence d’un aménagement en dur de l’intérieur du camp est incertaine ; il est cependant sûr que la majeure partie du camp a été emportée par les eaux du Neckar lors d’un déplacement ultérieur du fleuve. 493 719 Le fossé d’un autre camp (III) a été découvert en 1978 et à nouveau mis au jour en 1985. Il se situe au sud-est, à l’extérieur de toute construction antique, et devrait dater de la fin de la période romaine. Camp II 720 Il est orienté au sud-ouest, vers le Neckar. Sur le côté arrière du camp, un mur de mottes de gazon, large sans doute à sa base d’environ 3,3 m et reposant sur un lit de rondins, court derrière un fossé en V de 5 m de large et 2 m de profondeur, avec une berme d’à peu près 1 m de large. La face arrière a pu éventuellement être étayée par un coffrage en bois. Des tours carrées de 3,3 m de côté, reposant sur quatre poteaux, sont incluses dans le mur. Camp I 721 Il est orienté au sud-ouest, vers le Neckar. La première enceinte du camp (environ 234 x 162 m) est constituée par un mur de gazon d’une largeur légèrement supérieure à 4,2 m, reposant sur un lit de rondins. Elle est défendue, après une berme étroite, par deux fossés en V d’une largeur d’environ 7 m chacun et d’une profondeur de 3 à 3,6 m. Le mur était renforcé, voire maintenu en élévation, par des boisements transverses. L’intérieur du rempart, entre les deux parois de mottes de gazon, était comblé avec la terre provenant de l’extraction des fossés. Les tours, à cheval sur la courtine, présentaient des dimensions extérieures de 3,6 x 3,5 m. Le type de construction des tours de la porte d’enceinte n’est pas clairement défini ; la porta praetoria devait cependant posséder un passage d’accès double entre les tours à quatre poteaux. 722 Lors d’une deuxième phase de construction de l’enceinte, les fossés ont été comblés et remplacés par un nouveau fossé en V évasé, de 9 à 10 m de large et 3 m de profondeur. Un mur en pierre de 2,2 m de large au niveau des fondations et 1,7 à 1,8 m en élévation (hauteur maximum de l’élévation conservée : 1,75 m) fut érigé à la place du talus de gazon, tronqué. Les fondations sont si profondes qu’elles atteignent le niveau inférieur du remplissage de l’ancien fossé interne. Les tours intermédiaires carrées, d’environ 4 m de côté, ont sans doute été érigées en même temps que le mur d’enceinte, tous les 27 m. Elles sont toutes en saillie d’un demi-mètre par rapport à l’alignement du mur. La portapraetoria est la seule porte d’enceinte connue, avec son passage d’accès double d’une largeur totale de 9 m entre deux tours rectangulaires de 4,8 x 4 m, reposant sur un empattement fortement taluté (cf. le castellum en pierre de Heidelberg). Les tours de la porte d’enceinte débordent de plus d’un mètre par rapport à l’alignement du mur extérieur. Le mur en pierre est entièrement construit à l’aide de blocs irréguliers de grès du Neckar. Il présente un crépi sous la forme d’une moulure de mortier de forme trapézoïdale, d’environ 5 cm de largeur et 1 cm d’épaisseur, avec empreinte d’un joint décoratif. 723 Il n’y a pas eu, après l’abandon du camp, de démolition systématique du mur d’enceinte. De vastes secteurs des fossés ont été au contraire peu à peu comblés et les parois externes des murs réutilisées lors de la construction de bâtiments en pierre audessus des anciens fossés. 724 En l’état actuel des fouilles, l’aménagement interne du camp était, à toutes les périodes, constitué de bâtiments en bois dont les poteaux reposaient dans de petites tranchées 494 (fig. 340). Des écarts d’environ 90 cm ont pu souvent être observés entre les poteaux. C’est seulement lors d’une phase tardive de construction des bâtiments de commandement que l’on employa des poteaux porteurs reposant sur des socles rectangulaires en pierre, alors que dans la phase ultime du praetorium, on éleva également certains murs en pierre ou tout du moins des murs reposant sur des fondations en pierre. Les sablières basses manquent généralement dans les constructions en colombage ; les potelets étaient dressés verticalement, de manière régulière, afin d’assurer la rigidité des hourdis. Les murs en torchis de lœss maigre présentaient une épaisseur atteignant 20 cm et étaient recouverts, dans le secteur des baraquements, d’une couche d’enduit de chaux d’un doigt d’épaisseur. Dans d’autres secteurs, vraisemblablement au niveau des têtes de centuries ainsi que des édifices centraux, de nombreux murs étaient crépis et peints en couleur sur un fond blanc. Il convient ici de noter la décoration en trois zones (fig. 341 et pl. H. T. III-IV) d’une halle d’environ 5,4 m de haut appartenant à la dernière phase de construction du praetorium (les murs ont à cet endroit une épaisseur d’environ 26 cm). FIG. 340 Ladenburg. Coupe à travers un mur de baraque avec un trou de poteau (à gauche) et trace charbonneuse du bâti en bois. À l’arrière-plan, le mur de la basilique. 495 FIG. 341 Ladenburg. Peintures du prétoire du camp I (env. 5,5 m de hauteur), fin du Ier s. ap. J.-C. (Sommer 2000a). photo Y. Mühleis. PL. III (H.T.) Peinture du praetorium de Ladenburg photo Y. Mühleis 496 PL. IV (H.T.) Reconstitution de la peinture du praetorium de Ladenburg dessin C. Nübold, Sommer 2000b 725 Le bâtiment de commandement, d’environ 36 x 34 m, ne possède pas d’armamentaria. Les pièces, seulement en partie dégagées, devaient s’ordonner autour d’une cour. Le praetorium, qui présentait lui aussi, à l’origine, une profondeur de 36 m, semble avoir temporairement possédé une cour péristyle dotée peut-être d’un bassin. Les différentes pièces du secteur arrière du praetorium possèdent, dans une phase tardive, un épais sol en ciment raccordé au crépi des murs à colombage par une baguette en quart de rond. 726 Toutes les pièces des casernements (65 x 8,3 m) montrent, lors de la première phase, une rigole à purin (en partie largement comblée de chaux, avec une forte coloration verte). En raison de la présence de foyers dans chacune des pièces arrières, ces bâtiments ont été considérés comme des écuries et doivent, avec leurs huit à dix contubernia, avoir abrité chacun une turme. Ces écuries furent, après un premier incendie, reconstruites exactement sur le même emplacement, mais avec une disposition plus spacieuse. 727 Les voies sont, à toutes les périodes, recouvertes d’une épaisse couche de graviers et pavées partiellement de plaques de grès irrégulières. Il n’y avait pas systématiquement de rigoles d’évacuation des eaux usées. 728 Les deux camps du Haut-Empire doivent être placés dans le contexte de l’occupation de la rive droite du Rhin sous Vespasien. Le rapport avec la grande voie de communication Bâle-Mayence, dont le tracé fut même légèrement modifié lors de la construction du camp I, est évident car cette voie se superpose à la via principalis. Le castellum II ne fut a priori occupé que peu de temps et abandonné plus tard avec l’érection du camp I. L’ala Cannanefatium fut, de façon presque certaine, la première troupe d’occupation du camp I. La disposition des baraquements découverts jusqu’à présent autorise l’hébergement d’une aile milliaire. Jusqu’à trois incendies, apparemment accidentels, ont été repérés 497 dans différentes parties du camp, mais aucune découverte équivalente n’a été faite dans le Vicus, ce qui rend improbable une relation avec des événements historiques. Vers la fin de la période d’occupation, les bâtiments ont été reconstruits d’une manière beaucoup plus spacieuse. Il faut supposer, après la disparition de toute trace de présence d’une cavalerie, que désormais des troupes d’infanterie étaient stationnées dans le camp. Le contexte pourrait être celui des préparatifs des guerres contre les Daces à partir de 97 ap. J.-C. Le retrait des troupes de Ladenburg a dû s’effectuer vraisemblablement après 106, lors de la réorganisation des régions situées sur la rive droite du Rhin et l’érection du limes Odenwald-Neckar-Alb. Le burgus tardif 729 Le burgus tardo-antique, du type “débarcadère” (fig. 342), est situé au milieu des ruines de l’agglomération du Haut-Empire, sur la rive de l’ancien cours du Neckar ; le fleuve s’est en effet déplacé vers l’est depuis une centaine d’années, ce qui a noyé une partie de la ville antique au nord-ouest. FIG. 342 Ladenburg. Plan du burgus et du débarcadère tardif (Heukemes 1981). 730 Le burgus n’a été découvert qu’en 1978, à l’occasion de travaux publics. La céramique et les monnaies autorisent une datation dans le dernier tiers du IVe s. et il est remarquable que la série monétaire se termine avec les émissions de Magnus Maximus. C’est sans difficulté que l’on peut relier l’existence de ce burgus à la mention de Lopodunum par Ausone (Mosella, 423 sq.) : spectavit iunctos natique triumphos / hostibus exactis Nicrum et Lupodunum / et fontem lattis ignotum annalibus Histri. 731 La fouille a révélé un noyau de construction de 13,6-14 x 13,2-13,4 m. Ses murs de 3 à 4,1 m d’épaisseur entourent un massif interne de blocage (7,4 x 4,4 m). Dans son 498 angle sud-ouest apparaît un puits circulaire, contemporain de la construction, profond de 6 m, et de 1,2 m d’ouverture. En raison du caractère massif des murs et de la fonction supposée du burgus, qui était de surveiller le pays jusqu’à Odenwald, B. Heukemes reconstitue un noyau central haut de 18 m (fig. 343). On ne saurait préciser si la couverture était en plomb (des restes de plaques longues de 36 cm ont été trouvées en remploi) ou en tuiles. Le noyau central était encore préservé sur 6,3 m de hauteur et sa façade occidentale peut être observée sous le nouvel hôtel de ville. FIG. 343 Ladenburg. Reconstitution du burgus tardif (Heukemes 1981). 732 Aussi bien au nord, à 10,5 m de distance, qu’à 2,5 m vers l’est, on rencontre un mur d’environ 1,4 m d’épaisseur, parallèle aux côtés du noyau central. Au nord, cette construction était préservée sur 4,3 m de hauteur et on peut vraisemblablement restituer une enceinte carrée de 37 m de côté, entourant le massif central de toutes parts vers la terre ; scs bras se terminaient à l’ouest dans le Neckar, formant ainsi un port. La reconstitution de tours d’angles est problématique : on doit notamment observer qu’un puits antérieur, situé à l’angle nord-est, est chevauché par un segment de mur bien conservé dans le prolongement de l’enceinte extérieure. 733 Entre le noyau central et le rempart nord apparaît un corps de bâtiment, large de 8 m, avec une division tripartite. Contrairement à ce qu’on avait d’abord pensé, il ne s’appuie pas sur les restes de l’enceinte urbaine antérieure, située plus à l’ouest et ennoyée lors du déplacement du Neckar. Ce bâtiment est à son tour coupé par les murs médiévaux, vers l’ouest. Les petites pièces, au sud et au nord, pourraient constituer des accès au noyau central et à un possible chemin de ronde de l’enceinte externe. 734 Tout l’ensemble est entouré d’un fossé en U évasé, large de 5,6 m, profond de 3 à 3,5 m, à une distance de 12,5 m. 735 La position de ce burgus et son type de construction autorisent à y voir une tête de pont avancée sur les territoires de la rive droite du Rhin. Peut-être aussi faut-il songer à une réutilisation des matériaux du chef-lieu de la civitas pour les constructions de la rive gauche. 499 736 [2004] Heukemes 1981 ; Heukemes 1985; Kaiser & Sommer 1994; Sommer 1995b ; Sommer 1998b ; Sommer 2000a ; Sommer 2000b. BIBLIOGRAPHIE LAHNAU/WALDGIRMES Hesse, Allemagne (carte fig. 3) 737 S. VON SCHNURBEIN 738 Le site augustéen de Waldgirmes ne constitue pas une fortification militaire au sens strict ; il s’agit plutôt d’un établissement civil, si l’on identifie correctement sa fonction. Dans la mesure, toutefois, où il a été construit par l’autorité militaire et fortifié comme un poste militaire, il paraît ici nécessaire d’en dire quelques mots. 739 Le site est implanté dans la moyenne vallée de la Lahn, à environ 90 km à l’est du confluent avec le Rhin. C’est là que l’on rejoint le plus aisément Mayence (Mogontiacum), c’est-à-dire que l’on se trouve à un carrefour géographique entre deux voies stratégiques qui mènent chacune du Rhin à la Weser ou à l’Elbe. On est tout près du camp de marche de Dorlar, qui souligne l’importance de cette région. Près d’un siècle plus tard, l’implantation du limes n’a tenu aucun compte de cette situation géographique, ce qui montre combien les préoccupations politiques et stratégiques avaient entre-temps changé. 740 L’enceinte comprend deux fossés et un mur de terre et de bois, avec des tours à quatre et six poteaux, une porte qui a été fouillée (de type IVb de Manning et Scott) et un système de voies orthogonales flanquées de drains, et l’on reconnaît dans cet ensemble un modèle militaire (fig. 344). La superficie est d’environ 7,7 ha (environ 250 x 240 m), avec une forme légèrement trapézoïdale. On remarquera que jusqu’à présent, aucun casernement n’a été retrouvé. Le grand espace au nord du forum (6) n’a pas été construit. Les bâtiments 1-5 et 7-14 sont construits en bois, torchis et colombage, conformément à la pratique des camps augustéens. FIG. 344 Lahnau/Waldgirmes. Plan des fouilles, état 2003 : T1 et T2 fours de potier. 500 741 Le complexe de bâtiments Ia-Ic, partiellement détruit par des installations modernes, ressemble à un ensemble d’habitation de 15,4 x 12 m, avec cour antérieure, découvert à Haltern. Ce type de bâtiment n’est pas spécifiquement militaire. L’ensemble 2 mesure 60 x 12 m et présente des pièces ouvertes sur la rue, avec un portique de façade, ce qui n’est pas pour l’instant attesté dans les camps militaires. Les pièces ouvertes rappellent les tabernae des villes romaines. Le bâtiment 3 est composé de poteaux isolés ; il pourrait s’agir d’un grand horreum de 24 x 12 m. L’édifice 4, dont il reste peu de chose, présente comme l’ensemble 2 un espace ouvert sur la rue. Les bâtiments 7 à 9 ne sont conservés que de manière très partielle en raison de l’érosion. On observe à cet endroit, le long de la rue, la présence d’un portique, comme le long du bâtiment 10, à l’ouest de la rue nord-sud ; dans le bâtiment 2 et derrière le complexe 7-9 apparaît chaque fois un four de potier. Tous ces édifices et l’enceinte ont été incendiés lors de l’abandon du site. Ce n’est en revanche pas le cas du bâtiment 5 qui ressemble, par sa taille et son plan, aux bâtiments la-lc, mais qui possède en outre un portique sur ses façades antérieure et postérieure. Cet édifice n’a pas été incendié, mais systématiquement démonté, pour laisser place au bâtiment du forum 6 (fig. 345). FIG. 345 Lahnau/Waldgirmes. Plan du forum : B1 puits. 742 Ce forum présente une superficie de 2 200 m 2. Ses fondations sont larges de 0,4 à 0,45 m et construites en pierres, partiellement maçonnées au mortier, technique qui n’a jusqu’à présent jamais été observée sur les sites militaires augustéens. Il s’agit d’un bâtiment quasi carré, d’environ 45 x 43 m, avec trois annexes au nord. Trois ailes de 6 m chacune entourent une cour intérieure de 32 x 24 m, fermée au nord par une grande halle de 45 x 12 m, bordée par trois annexes, respectivement de 10 x 10 m au centre, et de 6 m de large sur les côtés, fermées par une abside. 501 743 Sur le socle des murs reposait une construction à colombage. Les galeries occidentale et orientale ont en outre révélé des poteaux, tous les 3,8 m, le long des murs extérieurs qu’ils soutenaient. D’un diamètre de 0,3 à 0,4 m, ils atteignaient 1 m de profondeur sous le socle, maçonné entre les poteaux. Du côté intérieur, on ne rencontre pas ces poteaux. Sous les fondations de pierre apparaissent des sablières basses. La galerie sud est presque entièrement érodée ; il est certain qu’à cet endroit, on n’utilisait pas de poteaux porteurs et que la construction de la galerie devait être différente. Dans l’axe longitudinal de la halle transverse apparaissaient initialement dix poteaux, à des intervalles de 4,5 m, dont quatre étaient implantés dans de grosses fosses qui atteignaient 1,9 m de profondeur. Leur dimension (0,5 x 0,5 m) est inhabituellement grande. On peut en outre restituer trois paires de poteaux sur des socles de pierre, dont les fondations sont encore conservées à l’est. Cette rangée de poteaux portait le toit, couvert de bois ou de paille, car on n’a pas retrouvé de tuiles. 744 Les fonctions des cinq fosses retrouvées dans la cour intérieure ne sont pas claires : elles mesuraient 3,5 x 2 m, avec des parois verticales, un plancher horizontal, pour une profondeur d’environ 1 m. Celle du milieu a été ultérieurement transformée en puits. De même, les deux grosses fosses de 4 x 4 m devant le forum n’ont pas de fonction claire. La forme générale évoque celle de principia, mais il n’existe ni annexe ni abside dans les principia augustéens ; même plus tard, de tels dispositifs n’apparaissent que de manière exceptionnelle. C’est seulement aux IIe et IIIe s. que l’on rencontre des absides dans les halles transverses. De même, le fait que l’on n’ait pas érigé de praetorium derrière le forum, disposé au centre, mais qu’au contraire la place soit restée libre ne plaide pas en faveur d’une identification du bâtiment central avec des principia. Pour autant qu’on le sache, l’érection des principia et du praetorium faisait partie des toutes premières mesures que l’on prenait (cf. Oberaden et Marktbreit). 745 L’absence de bâtiments militaires spécifiques, les portiques le long des rues qui appartiennent à l’architecture civile, les annexes du bâtiment central ne placent pas Waldgirmes dans la série des camps militaires. Le matériel, qui n’est pas non plus caractéristique de ce milieu, souligne au contraire la fonction essentiellement civile de ce site. 746 BIBLIOGRAPHIE [2004] Becker 2000 ; Becker & Rasbach 1998 ; Becker & Rasbach 2003 ; Schnurbein 2003. LANGMAUER Rhénanie-Palatinat, Allemagne 747 R. BRULET 748 Un ouvrage particulier mais de grande envergure, attaché à l’Antiquité tardive, se démarque dans la région trévire, en milieu rural. Il s’agit d’une enceinte dite Langmauer, courant dans la campagne, au nord de Trêves, et enfermant un espace d’environ 220 km2 (fig. 346). 502 FIG. 346 Carte topographique du Langmauer (Gilles 1983, 336). 749 La muraille a une longueur de 72 km. Elle n’est pas toujours en bon état de conservation mais on l’estime épaisse de 0,65 à 0,90 m à l’origine, sur une hauteur probable de 2 m. Elle repose sur des fondations en pierres sèches, voire même sur des blocs issus de monuments. Elle est renforcée de-ci de-là par des contreforts qui se présentent de façon alternée de chaque côté du mur. Ces piliers ont 0,40 m de long et 0,55 m de large. 750 Les inscriptions qui datent cette structure évoquent des soldats de la première légion pour la construction. Sans être de qualité militaire, cette muraille a certes été élevée avec le concours de l’armée parce qu’elle a dû entourer une propriété foncière impériale. 751 La chronologie nous est révélée par deux inscriptions qui signalent la fin de la construction d’une partie de ce mur. Elles datent manifestement de la période Valentinienne. 752 BIBLIOGRAPHIE [2004] Gilles 1983. LARÇAY/LA TOUR Indre-et-Loire, France 753 M. REDDÉ 754 Le castellum de Larçay, au lieu-dit La Tour, est installé sur un escarpement crayeux de la rive gauche du Cher, à une dizaine de kilomètres à l’est de Tours. Différents tronçons de murs, englobés dans les constructions modernes, permettent de reconstituer le plan du 503 fortin (fig. 347). La courtine et les tours subsistent par endroits sur une hauteur de 5 à 6 m. FIG. 347 Larcay/La Tour. Plan du castellum (Wood 1997, fig. 1). 755 L’enceinte forme un trapèze irrégulier de 66-73 x 55-56 m environ, de rempart à rempart, soit environ 0,38 ha. La courtine est flanquée de tours en forme de demicercle, outrepassé aux angles sud-est et sud-ouest ; six d’entre elles sont préservées. Les tours d’angle de la face sud et celles qui flanquent le milieu des faces est et ouest présentent un diamètre de 8-9 m ; la tour d’angle nord-est semble plus petite (6 m). On reconnaît enfin une petite tour en U, sur la face sud, où l’on restitue une porte. Un sondage effectué au flanc de la courtine méridionale semble avoir révélé une tour symétrique. L’angle nord-ouest et la courtine nord sont détruits. Les tours des faces est et ouest ne sont pas liaisonnées avec le rempart. 756 L’enceinte est en petit appareil avec cordons de briques mais, pour l’essentiel, le parement fait aujourd’hui défaut (fig. 348). On a remarqué, au sud-est, que la fondation reposait sur des fûts de colonnes sciés dans le sens de la longueur et posés alternativement sur la face plane et la face concave. Rien ne vient, aujourd’hui, étayer une datation du castellum, si ce n’est la présence de constructions du Haut-Empire sous les niveaux tardifs. L’absence de matériel contemporain de l’occupation du fortin a conduit le dernier fouilleur à considérer, peut-être un peu rapidement, que cette fortification n’a pas vraiment servi. 504 FIG. 348 Larcay. a Vue de la courtine orientale du fort ; b Détail de l’appareil de la tour sud-est. photo G. Reddé. 757 758 bibliographie [2004] Caumont 1856 ; Wood 1985 ; Wood 1988 ; Wood 1997. LIBERCHIES → PONT-À-CELLES LIERCOURT Somme, France (carte fig. 2) 759 M. REDDÉ 760 Au pied de l’oppidum des Catelis, à cheval sur les communes de Liercourt et Erondelle, dans la Somme, les prospections aériennes de R. Agache ont révélé un ensemble polygonal d’environ 650 x 430 m, qui s’appuie sur la levée de terre de l’oppidum (fig. 349). Vers l’est et au sud-est apparaît un double fossé, en forme de V à l’extérieur, à fond plat vers l’intérieur, que R. Agache considère comme un chemin d’accès à l’oppidum. On voit au nord-est un autre fossé double qui n’a pas été fouillé. Divers sondages à l’intérieur du retranchement ont révélé plusieurs fosses ou fossés, sans qu’apparaisse pour l’instant un plan cohérent. Le matériel recueilli est, en majorité, datable de la fin de la période de l’indépendance, mais quelques tessons gallo-romains sont apparus. J.K. Saint-Joseph avait émis l’hypothèse d’un ouvrage de siège, tandis que R. Agache préfère reconnaître, à Liercourt-Érondelle, un camp d’auxiliaires, daté de la campagne de 54 et lié au débarquement de Bretagne, les bateaux ayant pu être construits au bord de la petite rivière toute proche. Les troupes romaines, pour leur part, auraient cantonné sur l’oppidum. On ne saurait toutefois être certain ni de la fonction, ni de la datation exacte de ces vestiges. La forme ne fait pas spécialement 505 penser à un camp romain, même pour l’époque de la conquête, et le profil en V des fossés ne suffit pas à authentifier le caractère militaire du site. Toutefois, le parallèle de La Chaussée-Tirancourt, toute proche, invite à la prudence. FIG. 349 Liercourt. Plan général des structures romaines au pied de l’oppidum des Câtelis (Agache 1978, 221, fig. 7). 761 [2004] Agache 1978,207-244; St. Joseph 1962. BIBLIOGRAPHIE LÜTZELBACH/LÜTZELBACHER BANNHOLZ Hesse, Allemagne (carte fig. 7) 762 E. SCHALLMAYER 763 À environ 2 km à l’est de Lützelbach et à peu près 750 m au sud du camp de numerus du même nom se trouve la tour de garde 10/8 Lützelbacher Bannholz. Le site est composé de trois dispositifs, deux tours en bois A et B et une tour en pierre C (fig. 350). Lors des fouilles réalisées au tournant du siècle dernier, les vestiges d’une clôture qui semblait avoir entouré l’ensemble des tours à un écart variable ont été constatés. Il existait par ailleurs un foyer à environ 25 m à l’est de la tour B, directement derrière la palissade qui, en passant dans une direction nord-sud, coupait à cet endroit le reste de la clôture. Les résultats des fouilles pratiquées à la fin du siècle dernier permettent de reconnaître la succession chronologique des bâtiments. 506 FIG. 350 Lützelbach/Lützelbacher Bannholz. Le dispositif fortifié du poste de garde 10/8 (Schallmayer 1984a, d’après ORL A, Sfr. 10, pl. 3). 764 La tour A (fig. 351) constitue l’édifice le plus ancien. Il s’agit d’une construction en pierres sèches encore en élévation sur trois à quatre assises, de plan pratiquement carré de 5,60 à 5,80 m de côté, avec dans les coins des angles droits rentrants. Ces places laissées libres, ainsi que les fosses de 1,30 m de profondeur se trouvant en dessous, recevaient les poteaux tuteurs pour la construction supérieure de la tour. La maçonnerie en pierres sèches n’a pas pu être saisie dans toute sa largeur ; elle ne présentait cependant aucune cavité. Le rez-de-chaussée de la tour était construit en dur. Des débris calcinés à l’intérieur et à l’extérieur prouvent que la tour avait été érigée selon la technique de construction en pans de bois avec remplissage de torchis et qu’elle a été la proie d’un incendie. La tour est entourée à un intervalle irrégulier de 3 à 4 m d’un fossé en V mesurant jusqu’à 5 m de largeur et 2 m de profondeur. Le diamètre du fossé circulaire s’élève à 16,80 m jusqu’à 17,50 m de base à base et de 24 à 25 m en mesurant depuis les bords extérieurs. Il était très détrempé et présentait, au niveau de sa base, une rigole de 0,20 m de large profondément entaillée, dans laquelle se trouvaient du charbon de bois et de la terre noire. Le fouilleur a cru reconnaître là les restes d’une rangée compacte de poteaux ronds en bois de chêne, d’un diamètre de 0,20 à 0,30 m, ce qui est à exclure. À la tour A appartenait en revanche la clôture entourant à un intervalle irrégulier l’ensemble du site. Cela se voit au fait que la clôture était en contact avec le fossé circulaire de la tour B. Trois entrées pavées conduisaient à l’intérieur de l’aire de 62 m environ de longueur et 55 m de largeur délimitée par la clôture, à l’ouest, au sud-est et au nord. La clôture a servi visiblement de protection supplémentaire à la tour en bois A jusqu’à l’érection de la palissade du limes. 507 FIG. 351 Lützelbach/Lützelbacher Bannholz. Les trois tours successives du poste de garde 10/8 (Schallmayer 1984a, 31, fig. 18-20). 765 La tour B a été construite après la destruction par incendie de la tour A. Ses fondations étaient constituées d’un massif carré de maçonnerie en pierres sèches de 0,80 m d’épaisseur et de 5,10 à 5,30 m de côté. Le revêtement extérieur était composé de moellons de grès taillés soigneusement, tels qu’on peut également les voir sur les tours en pierre. Dans les angles des murs se trouvaient à nouveau des réserves destinées aux poteaux d’angle de 0,30 m de côté, qui s’enfonçaient de 1,30 m dans le sol et étaient calés avec des pierres plates. À l’intérieur de la tour, il y avait une couche de terre glaise battue de 5 cm d’épaisseur. Les cavités destinées aux poteaux de bois n’ont pas été observées, bien que le mur était encore conservé sur une hauteur de trois assises. La tour s’élève dans la partie sud-ouest de la plate-forme délimitée par le fossé, plateforme qui était empierrée jusqu’à l’intérieur du fossé. Le fossé présentait une profondeur semblable à celui de la tour A mais était taluté plus à pic. Il entoure la tour sur un plan annulaire à intervalle irrégulier avec un diamètre de 17 à 18 m en mesurant depuis la base et de 25,50 m de bord à bord. Au fond du fossé ont dû également apparaître les restes de poteaux en bois. 766 La tour C, s’élevant au centre plus à l’est, devant les deux tours en bois plus anciennes, est, elle, une tour en pierre de 5,60 m de longueur et de 5,20 m de largeur qui, par son côté est, était orientée parallèlement au tracé du limes. L’ouvrage était constitué de moellons très soigneusement équarris, formant un appareil compact. À l’intérieur de la tour est apparue une couche d’argile battue de couleur rouge. Le fossé circulaire manque. A environ 7 m à l’est de la tour en pierre passe la voie longeant le limes de direction nord-sud et dotée d’un soubassement de 5,50 m de large. 767 Dans la mesure où une élévation de terrain existe entre le poste de garde 10/8 Lützelbacher Bannholz et la tour suivante 10/9 Breitenbrunner Bannholz, 508 les deux tours devaient être d’au moins 7,60 m de hauteur, en admettant que le contact visuel se faisait aux niveaux supérieurs des édifices. Les tours de guet en bois disposaient d’un soubassement construit en dur, non accessible, sur lequel étaient érigés deux niveaux. La construction en dur du soubassement a été attestée par plusieurs observations faites en fouilles. Le mur en pierres sèches était doté en conséquence de cavités dans lesquelles des poteaux avaient été autrefois introduits horizontalement et en croix. On avait comblé les espaces intermédiaires de la grille avec des pierres, de la terre et du torchis. Une opération de creusement sous la tour, dont l’entrée se trouvait au premier niveau supérieur, n’était ainsi pas possible. Même si aucune cavité destinée aux poteaux n’a pu être constatée au niveau des murs en pierres sèches conservés ici dans une infime partie, la reconstitution d’un rez-dechaussée construit en dur de la manière citée plus haut doit être également envisagée dans le cas du poste de garde 10/8 Lützelbacher Bannholz. Les deux niveaux supérieurs ont pu être érigés selon la technique de la construction en bois et pans de bois, clouée avec des planches et des bardeaux ou revêtue de torchis. Le toit était couvert de bardeaux. Alors que le premier étage était occupé par un dortoir, l’étage supérieur abritait la salle de garde. Là se trouvaient des doubles fenêtres séparées par des montants en bois. 768 Les tours en pierre présentaient trois niveaux dont le rez-de-chaussée, sans doute utilisé comme chambre à provisions, était accessible depuis l’intérieur de l’édifice. L’entrée de la tour elle-même se situait à nouveau au premier étage, où se trouvait le dortoir pour le personnel de garde. Le deuxième étage accueillait aussi la salle de garde, à l’intérieur de laquelle on peut également envisager la reconstitution de doubles fenêtres, séparées par des montants en pierre dont la forme semble bien s’inspirer de celle des montants de fenêtres des tours en bois. Des fragments d’architecture retrouvés à l’occasion des fouilles prouvent que les tours en pierres possédaient souvent un soubassement taluté, que leur façade était rythmée par des bandeaux moulurés et que les baies des portes et des fenêtres étaient surmontées de voûtes à lunettes. En règle générale, les tours en pierre étaient également couvertes de bardeaux. Seules certaines tours qui avaient une fonction particulière possédaient un toit en tuiles. 769 BIBLIOGRAPHIE [2004] Baatz 1973b; ORL A, 10, 17-20,42-44; Schallmayer 1984a. MAASTRICHT Limbourg, Pays-Bas (carte fig. 12) 770 T.A.S. M. PANHUYSEN 771 Le nom de la ville n’est pas connu dans les sources antiques. Tacite (Histoires IV, 66) cite un pons Mosae fluminis qu’il est possible de localiser ici. Ce n’est qu’au VIe s. que la ville est ensuite mentionnée par Grégoire de Tours sous l’appellation urbs Treiectinsis et Triiectens (Hist. Franc. II, 5 et Liber, mirac. VIII, 71). Maastricht appartient à la civitas Tungrorum, dont le chef-lieu, Tongres, se situait à seulement 15 km de distance sur le Geer. Maastricht s’est élevé sur la rive gauche, en partie marécageuse, de la Meuse, à l’endroit où la plus ancienne voie romaine venant du sud et plus tard la grande route militaire Bavai-Tongres-Cologne franchissaient le fleuve, grâce à un pont qui existait 509 depuis la première moitié du Ier s. (date dendrochronologique). Un vicus s’est développé à cet emplacement dès l’époque augustéenne, mais il n’existe alors aucun indice d’une présence militaire. Plusieurs édifices en pierre de relativement grandes dimensions sont connus. Des traces de remploi des anciens monuments (tours, piliers funéraires) semblent prouver que ces derniers ont servi, en toute hâte et sans ordre véritable, à l’érection de dispositifs défensifs au moment des invasions du IIIe s. Le terrain fut complètement aplani au IVe s. et on éleva une forteresse qui fut utilisée de manière intensive jusqu’au Ve s. 772 L’intérêt pour le passé romain de la ville ne date que du XIXe s. La première fouille archéologique fut exécutée en 1840 ; d’autres recherches sur la fortification du IVe s. eurent lieu de 1918 à 1926, sous la direction de W. Goossens. De 1951 à 1974, le Service national de l’archéologie (ROB) a pu organiser de nombreuses fouilles (J.E. Bogaers, puis J.H.F. Bloemers). Depuis 1979, tous les travaux d’urbanisme sont surveillés par la section d’archéologie urbaine de la commune de Maastricht (T.A.S.M. Panhuysen). 773 La forteresse construite sur la rive gauche de la Meuse, au IVe s., est pratiquement rectangulaire (170 x 90 m, soit 1,5 ha) (fig. 352) ; elle est protégée par un mur d’enceinte en petit appareil doté, tous les 40 m, de dix tours circulaires saillant de moitié, ainsi que d’un fossé (ou peut-être deux). La fortification est divisée en deux par la voie militaire Bavai-Cologne et contrôle le pont sur la Meuse. FIG. 352 Maastricht. Plan de la fortification tardive, état des recherches en 2004 (commune de Maastricht. dessin G. Veldman, R.P. Reijnen. 774 La façade occidentale, divisée en quatre sections, montre deux brisures vers le nord et le sud, avant les tours d’angle. On doit s’attendre à trouver la même disposition vers l’angle sud-est, du côté du fleuve, où le mur a dû s’adapter au tracé de la rive. Le sol 510 antique se situe à 3 m au-dessous du niveau des routes contemporaines, ce qui a permis une bonne conservation de la muraille. 775 La maçonnerie, régulière, est composée de deux revêtements en petit appareil pour lesquels on a essentiellement utilisé du grès carbonifère d’Ardenne (fig. 353). Le mur en élévation au-dessus des ressauts a une épaisseur de 1,40 à 1,53 m. En aucun endroit les fondations ne présentent une largeur supérieure à 2,30 m. Sur le côté, en direction des terres, le mur est doté, à environ 60 cm au-dessus de sa base, d’un arrondi composé de trois assises de pierres, formant une saillie de 10 cm. Un ressaut de presque 30 cm de large se trouvait encore sous le niveau du sol antique. FIG. 353 Maastricht. Systèmes d’appareil et de fondations de la forteresse tardive (en haut à gauche et au milieu) et de l’horreum (en haut à droite et en bas) (commune de Maastricht). dessin G. Veldman, R.P. Reijnen. 776 En direction de la ville, on a pu observer partout dans la maçonnerie trois ou quatre ressauts verticaux dont seul le plus élevé était encore visible après l’achèvement de la fortification. Les fondations présentaient une épaisseur maximale de 1 m et étaient constituées essentiellement de morceaux de silex local ainsi que de gravats de construction. Le long de la Meuse et du Geer, le sol avait été renforcé sous le mur, à une altitude de 45 m au-dessus du niveau de la mer, par des pieux en chêne enfoncés dans la terre. 777 Les quatre tours (fig. 354) fouillées présentent des diamètres différents (8-9 m) ; la largeur de leur mur varie entre 1,20 et 1,45 m. La tour située sur le mur oriental de la fortification au niveau de la Houtmaas montre sur le côté du fleuve une poterne légèrement déviée par rapport à l’axe médian de la tour, en direction du sud. La tour – ainsi que les autres éléments contigus au mur d’enceinte– repose sur des pilotis entre lesquels des pierres ont été jetées. La partie inférieure de la tour est composée de lourds blocs de calcaire houiller en opus quadratum. Les ressauts verticaux sont absents. Le reste du mur montre la technique habituelle de construction avec revêtement en 511 petit appareil et alternance d’assises continues doubles de lateres et tegulae. Le mur oriental s’est effondré et présente de nombreuses fissures, car les dépôts fluviaux ainsi que les remblais constituaient le long des rives de la Meuse un sous-sol bien trop mou pour une construction aussi lourde. FIG. 354 Maastricht. Vue en écorché de la construction des tours du Houtmaas, regardant la Meuse (commune de Maastricht). dessin G. Veldman, R.P. Reijnen. 778 La porte d’enceinte occidentale (fig. 355) est composée de deux tours massives rectangulaires (7 x 3,20 m) qui flanquent un passage simple de 3,40 m de largeur. Ces tours débordent de 2 m par rapport à l’alignement du mur, côté intérieur du camp, et de 3,70 m côté extérieur. La partie inférieure de la porte est composée de grandes pierres d’opus quadratum, reliées entre elle par des agrafes de fer, sans mortier. Une mouluration concave en quart de rond court au pied de la tour. Les différents types de pierre employés (calcaire jurassique, calcaire houiller, calcaire crayeux de Maastricht, tuf) et la préexistence de fragments de constructions plus anciennes prouvent que la porte a été construite en grande partie à partir de spolia. 512 FIG. 355 Maastricht. Plan de la porte occidentale de la fortification tardive (commune de Maastricht. dessin G. Veldman, R.P. Reijnen. 779 Un seul fossé d’enceinte a été attesté. Celui-ci présente un versant externe très évasé et un versant interne abrupt doté d’une sorte de replat. La largeur de la berme, sur le côté occidental de la fortification, s’élevait à 6 m. Le fossé avait à cet endroit une largeur d’environ 9 m. Le fond du fossé se situait à 3,80 m sous la base du mur d’enceinte. En 1981-1982, une profondeur réduite (2,60 m) a pu être observée sur le côté méridional dans une zone basse située le long du Geer, suffisante cependant pour pouvoir recevoir l’eau du fleuve. 780 Les coupes réalisées lors des fouilles sur le côté ouest de la fortification (1992) ont montré deux phases d’utilisation du fossé au cours du IV s. Peu après 390, des gravats provenant de réparations sur le mur d’enceinte ont été ensevelis à l’intérieur du talus oriental du fossé, remblayé. Le fossé nouvellement creusé à l’époque était moins large et profond seulement de 3 m. Vers le milieu du Ve s., le fossé fut entièrement comblé à l’angle nord-ouest de l’enceinte. 781 Au sud de la voie principale se situe un bâtiment rectangulaire d’orientation est-ouest que l’on peut identifier comme un horreum. En raison de la stratigraphie et des fortes concordances de technique de construction et d’aspect de la maçonnerie avec celle du mur d’enceinte, cet édifice doit appartenir aux bâtiments de la fortification tardive. Les dimensions extérieures sont de 32,42 x 16,82 m. Le mur en élévation présente une largeur de 76 cm et montre un type de construction pratiquement identique à celui des dispositifs défensifs. On trouve ici également, un demi-mètre au-dessus du ressaut, une assise de moellons en opus spicatum. Cette technique n’a par ailleurs été employée à Maastricht qu’au niveau des fondations. L’emploi de rangées de spolia à l’intérieur et le long de la façade occidentale du bâtiment est tellement remarquable qu’on a cru 513 pouvoir identifier l’édifice à une église. Deux rangées de pierres remployées, disposées à intervalles réguliers (3,06 m de centre à centre), divisent le bâtiment en trois nefs de largeur identique (5 m). On y a vu longtemps des supports de colonnes pour une église. En réalité, l’étude des niveaux archéologiques montre qu’il s’agit des supports d’un plancher suspendu, pour un grenier à céréales. 782 Une construction absidiale située près du mur d’enceinte nord a été dégagée en différents endroits (1953, 1963 et 1993). Il s’agit d’un bâtiment orienté nord-sud, d’une largeur de presque 9 m, composé de deux salles et disposant sur le côté méridional de deux absides. La salle orientale avait une largeur de 3,20 m et présentait à l’origine une longueur de 11 m. La longueur a été portée à 14 m au moyen d’une adjonction. La pièce occidentale avait une longueur unique de 24 m. Les deux absides avaient une profondeur de 1,80 m et se caractérisaient par la qualité particulièrement mauvaise de leur maçonnerie. On y a découvert un hypocauste, dont la partie inférieure suivait l’inclinaison naturelle du terrain. La suspensura se situait en moyenne 1 m plus haut. D’après les découvertes effectuées lors de la fouille de 1993, ce bâtiment a été érigé dans les années 40 du IVe s. ou même plus tard. L’adjonction a été réalisée peu après 380. L’édifice a été complètement détruit autour de 400. 783 Ammien (XVII, 2) mentionne deux forteresses situées sur la Meuse dans les environs de Juliers (Iuliacum) : ... quod Mosa fluvius praeterlambit. On peut en conclure que l’installation de Maastricht avait son équivalent sur la rive orientale, à Wyck, mais sa position exacte et sa nature demeurent inconnues car les découvertes tardo-antiques sont rares à Wyck. On soulignera en revanche l’importance du pont à cet endroit. 784 Il existe une série d’estampilles de briques qui, à l’exception des marques de la classis Germanica et du type VEXEXGER, semblent toutes être issues de briqueteries privées : AAF, CEC, CTEC, LCS, MEF, MFF, MHF et TRPS. 785 Une datation de la fortification sous le règne de Constantin I a pu être proposée grâce aux résultats des examens dendrochronologiques. C’est en effet au printemps 333 qu’ont été coupés les sept pilotis retrouvés sous la tour de la Houtmaas. 786 BIBLIOGRAPHIE 787 MAINZ → MAYENCE [2004] Gauthier et al. 2002 ; Panhuysen 1996 MALDEGEM/VAKE Flandre orientale, Belgique 788 H. THOEN 789 Le castellum de Maldegem/Vake est situé à 6 km au sud du site romain d’Aardenburg (Pays-Bas), non loin de la frontière belgo-hollandaise. Le camp fut édifié sur une crête sablonneuse, en bordure d’une zone humide formant la transition avec la plaine maritime de l’époque. La découverte est due à la prospection aérienne (J. Semey). Le secteur est, soit un tiers de la superficie totale, a été examiné systématiquement entre 1984 et 1992. 790 Occupant une superficie totale de 2,48 ha, le camp montre un plan carré parfait de 157,5 m, soit 500 pieds (pedes monetales) de côté (extérieur), et de 114,5 m, soit 400 pieds de côté à l’intérieur (fig. 356). 514 FIG. 356 Maldegem/Vake : a plan général du fort (Thoen 1996, 257, fig. 4) ; b plan détaillé des baraquements (Thoen 1991, 191, fig. 6) ; c plan détaillé de la porte nord-est (Thoen 1996, 261, fig. 9). 791 Le système défensif, large d’environ 21 m, a connu deux états et montre deux fossés en V, le rempart de terre et enfin l’intervallum avec la via sagularis. Les fossés mesuraient 3 m à 4,40 m de large pour une profondeur de 1,50 à 2 m. La levée de terre, d’une largeur de 6,40 m à la base, d’une largeur (reconstruite) de 2 m en haut et d’une hauteur (reconstituée) de 3 m, était couronnée d’une palissade en bois, intégrée au rempart. De nombreux clous et fragments de fer recueillis dans l’angle nord-est plaident pour la présence de tours en bois aux quatre angles du fortin, également incorporées dans le rempart. 792 Fossés et rempart étaient interrompus juste au milieu, sur les quatre côtés du camp, et cela pour la construction des portes d’entrée. La seule porte fouillée dans le secteur oriental (porta decumana ?) montre un plan carré de 9 m de côté (ou 30 pieds). La porte même, de 3 m de large, était flanquée de deux tours de défense. Un titulum, d’une longueur de 13,80 m, d’une largeur de 4,40 m et d’une profondeur de 2 m, barrait l’accès de la porte, à 8,50 m en avant celle-ci. 793 L’implantation systématique des constructions en bois apparaît nettement dans le secteur sud-est. Dans cette zone, trois baraquements ont été retrouvés, parmi lesquels on compte un bâtiment double (II) et deux bâtiments simples (I et III). Ils sont disposés parallèlement, avec un espacement de 2,50 m. Les bâtiments mesurent 33 x 6,50 m (le double baraquement II étant évidemment deux fois plus large). Les baraquements simples (I et III) sont construits suivant un module à une nef et toit à double pans ; ils peuvent être interprétés comme des casernements. Le bâtiment II présente une construction plus complexe : dans sa partie ouest, il est construit suivant le même module (casernement) ; dans sa partie orientale en revanche, une rangée de lourds poteaux porteurs dénote la fonction particulière de cette aile (écurie ?). Pour la zone fouillée, dix puits à eau ont été localisés, dont quatre ont été entièrement examinés. Ils 515 sont tous du même type : de plan carré, à quatre piliers d’angle et cuvelage en bois d’aulne, cloué. Notons enfin la présence de grès panisélien portant des traces d’usure typiques et témoignant du fait que les chemins du camp étaient carrossables. 794 La force casernée à Maldegem était très probablement une cohors equitata, donc une unité mixte composée de soldats d’infanterie et de cavaliers. Dans l’état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons savoir si le castellum de Maldegem abritait une cohors quingenaria equitata ou une cohors milliaria equitata, quoique théoriquement, la première entre le mieux en ligne de compte. 795 L’examen des structures et notamment des fossés et baraquements ainsi que l’étude du matériel archéologique ont démontré que le camp de Maldegem n’a été occupé que quelques saisons, voire quelques années. Les quelques dizaines de monnaies datent des empereurs Trajan, Hadrien, Antonin le Pieux et Marc-Aurèle. La monnaie la plus récente est un sesterce de Marc-Aurèle, frappé en 170-171 à l’occasion de l’anniversaire de la première décennie de son règne. Elle fut retrouvée à la base du rempart, entre deux mottes de gazon, fournissant ainsi un terminus post quem précieux pour la fortification de Maldegem. 796 Sur base de ces données historiques, la fortification peut être mise en relation avec les incursions de tribus germaniques sous Marc-Aurèle, et notamment les invasions des Chauques dans les années 172-174 de n.è., mentionnées dans la Vita de Didius Julianus, gouverneur résidant en Gaule Belgique à cette époque. 797 BIBLIOGRAPHIE 798 MARIENBURG/ MARIENBERG → COLOGNE/ALTEBURG [1997] Thoen 1988 ; Thoen 1991 ; Thoen 1996; Thoen & Vandermoere 1985 ; Thoen & Vandermoere 1986. MARKTBREIT Bavière, Allemagne (carte fig. 3) 799 M. PIETSCH 800 Marktbreit se situe à 140 km à l’est de la base d’opération de Mayence, au piémont du Steigerwald, dans le “triangle du Main”. Le camp lui-même s’étend sur une colline plane, le Kapellenberg, au-dessus de la pittoresque petite ville de Marktbreit. Placé sur une rivière navigable, le site est relié à une ancienne voie de circulation vers le bassin de la Thuringe, et au-delà de la Bohême, et offre en même temps un large panorama sur la vallée du Main et sur le triangle du Main. Découvert en prospection aérienne en 1985, le site a pu être étudié grâce à une couverture aérienne systématique, une prospection magnétique de grande envergure et des fouilles localisées. 801 Un fossé en V, sans trace de rempart associé, dans l’état actuel des connaissances, traverse le site et appartient sans doute à un camp précédent, occupé vraisemblablement pendant une durée limitée. À cette exception près, le plan de Marktbreit ne montre qu’une seule phase de construction (fig. 357). 516 FIG. 357 Marktbreit. Plan général des structures relevées par une combinaison de photographies aériennes, de prospections géophysiques et de fouilles : 1, 3‑5 fouilles du système défensif ; 2 casernements et magasin ; 6 porte sud ; 7 porte nord ; 9, 13, 15 bâtiments centraux ; 10, 11 baraques de centurions ; 12 emplacement probable de tentes ; 16 principia. 802 Le plan polygonal, typique de l’époque augustéenne, est visiblement orienté en fonction de la topographie : d’un côté, au nord-ouest, le camp atteignait la rupture de pente abrupte en direction du Main ; de l’autre, il devait vraisemblablement inclure le point le plus élevé du terrain à l’est. Avec des dimensions moyennes de 750 x 500 m, soit environ 37 ha, c’est l’un des plus grands camps romains connus. Il ressemble d’une manière particulièrement frappante, par son tracé et ses dimensions, au camp de Mayence. 803 L’enceinte est composée d’un mur en bois et terre d’une largeur moyenne de 3 m, portant vraisemblablement des tours, ainsi que de deux fossés en V allant jusqu’à 3,2 m de profondeur et 6,6 m de largeur. Sur les quatre portes d’enceinte qu’on attendrait, seules la porte sud (porta decumana) et la porte nord (porta principalis dextra) ont pu jusqu’à présent être découvertes et fouillées. Les deux portes sont placées légèrement en retrait au centre des flancs du castellum et sont manifestement orientées vers les bâtiments d’administration centraux, en raison de leurs tours, disposées en oblique. Elles présentent le plan caractéristique des installations augustéennes, avec une façade élargie, des tours en retrait qui forment une sorte de défilement resserré, avec deux passages. La porte d’enceinte du nord-est (fig. 358) est, avec cinq paires de poteaux de chaque côté, légèrement plus grande (24 x 8,5 m) que la porte sud (21,6 x 5,9 m). Le tracé en deux temps de la porte sud (fig. 359) nous donne enfin d’intéressantes informations sur le déroulement de la construction du camp : la première phase de construction s’oriente clairement sur le système de voirie orthogonal du camp et place exactement le point d’intersection de la via principalis et de la via praetoria devant l’entrée des principia. Avec un désaxement de 15°, cette construction de porte était 517 visiblement trop oblique car on construisit un bâtiment intermédiaire qui ne déviait plus que de 5° de la perpendiculaire au mur d’enceinte. FIG. 358 Marktbreit. Reconstitution de la porte sud. FIG. 359 Marktbreit. Porte sud. 804 A l’exception d’une adjonction au sud, les bâtiments centraux fouillés jusqu’à présent s’inscrivent dans quatre insulae de 200 pieds romains et sont entourés de voies d’au moins 9 m de large (fig. 360). Ces bâtiments possèdent des cours intérieures bordées d’une ou de plusieurs ailes de pièces, à la manière méditerranéenne. Comme à Hakern, Neuss et Oberaden, ils dévient de 1 à 2° de l’angle droit. Il s’agit de bâtiments reposant sur des poteaux : l’existence de presque tous les piliers porteurs a pu être attestée à l’intérieur des tranchées avec un rythme de 0,9 m. La découverte, en de multiples 518 endroits, de clayonnages calcinés prouve enfin une construction en colombages pour l’élévation des murs. FIG. 360 Marktbreit. Plan des principia (Pietsch 1993, fig. 1). 805 Au point d’intersection des deux voies principales du camp, dont les axes sont commandés par les portes d’enceinte obliques, apparaît l’entrée des principia qui forme une saillie remarquable sur la via principalis. Si l’on admet une largeur de rue de 20 m, telle qu’elle est préconisée par Hygin, l’emplacement de la groma doit se situer dans le secteur des deux poteaux avant. Le plan est typique des principia augustéens. Il ressemble de manière frappante, par sa forme et ses dimensions, au plan des principia de Haltern, phase 2. Derrière l’entrée, un passage qui conserve la même largeur (5,4 m) dans tout l’axe des principia donne accès à une grande cour péristyle (40 x 31 m), à une salle transversale à deux nefs (I), puis à l’aile postérieure. La pièce située à l’extrémité gauche de la salle transversale avait sans aucun doute une importance particulière : son entrée large et ses profondes fondations permettent de l’identifier au tribunal de la basilica. Une interprétation comme chapelle aux enseignes, qui est le cas des salles similaires de Vetera I, est beaucoup moins vraisemblable à Markbreit. Les fondations rectilignes, régulièrement disposées, de banquettes et d’un podium viennent appuyer cette interprétation. Les seules pièces des principia se situent dans l’aile postérieure, derrière le tribunal. Par leur large ouverture, les quatre pièces intérieures peuvent être identifiées non pas comme salles administratives, mais bien plus comme salles de représentation et salles de culte. À la place du sanctuaire des enseignes apparaît un couloir. Celui-ci se poursuit sous la forme d’un passage couvert au-delà de la via quintana et constitue ainsi une liaison architecturale et fonctionnelle avec les édifices placés à l’arrière. Les salles de service qui manquent dans les principia devraient pouvoir être recherchées dans cette dernière zone. 519 806 Dans les camps de légions, le praetorium se situe la plupart du temps derrière les principia. Malgré un plan très clair, le bâtiment II n’apparaît pas sous une forme identique dans les autres camps augustéens ou impériaux. Certes, le hall d’entrée pratiquement carré, la cour à péristyle et la salle d’apparat, dans l’axe du bâtiment, sont caractéristiques d’une habitation privée. Mais l’édifice apparaît un peu petit pour le domicile de fonction d’un commandant de légion et les quatre rangées de pièces, disposées de manière systématique, ne correspondent pas non plus aux besoins particuliers d’un légat de légion. Peut-être trouvait-on dans cette aile du bâtiment des pièces de service, ou bien une partie de la garde ou encore, comme le dit le Ps.-Hygin, d’autres soldats détachés auprès de l’état-major. On ne peut donc pas attribuer de caractère privé à cette maison. On aimerait également supposer la présence dans cet édifice (praetorium) de la chapelle aux enseignes, qui fait jusqu’à présent défaut, et la reconnaître dans la pièce d’apparat aux fondations profondes située à l’extrémité de l’axe majeur des deux bâtiments, qui s’étend sur plus de 100 m de long. 807 Cette nouvelle interprétation de l’ensemble principia/praetorium s’explique par leur développement depuis les camps de marche républicains, à une époque où les principia n’existaient pas encore en tant qu’édifice propre. Dans le cas de Marktbreit et des autres principia augustéens, nous pouvons saisir le moment où l’édifice des principia est déjà établi mais où les fonctions administratives résident encore en grande partie dans le praetorium. Le véritable bâtiment privé destiné au logement du légat doit se trouver par conséquent à un autre endroit, par exemple dans l’une des grandes constructions d’habitation. Le bâtiment situé immédiatement à l’est (III) ressemble beaucoup par sa disposition au praetorium. On accède à une grande cour après être entré dans un hall d’apparat avec portique à quatre poteaux. La symétrie usuelle dans les constructions romaines n’apparaît pas dans le bâtiment qui vient ensuite vers l’est (IV). La disposition intérieure irrégulière ainsi que l’orientation évidente du bâtiment par rapport à la maison voisine laissent penser à une adjonction à la maison III. Il manque cependant au bâtiment III les pièces d’habitation, une cour à péristyle entourée de portiques et une salle d’apparat à l’extrémité de l’axe médian. Si l’on en croit les écrivains militaires romains, il pourrait s’agir, avec son magasin, ses deux caves et la nouvelle construction (IV) d’une sorte de quaestorium ou bien du bâtiment de fonction du préfet de légion. 808 Les cours à péristyle (V et VI) entourées de séries irrégulières de salles sont caractéristiques de bâtiments d’habitation. Un triclinium et des latrines dans le bâtiment V confortent cette interprétation. Aucune entrée orientée par rapport à un axe n’a pu cependant être repérée dans ces deux bâtiments, construits à proximité immédiate l’un de l’autre. De plus, l’avancée du tribunal des principia à l’intérieur du bâtiment V et l’extrémité orientale peu harmonieuse du bâtiment VI incitent à penser qu’il s’agit ici des parties périphériques d’un grand complexe d’habitation, qui n’est pas rare dans les camps augustéens. 809 Dans l’espace libre de 12 m entre le bâtiment VI et les principia (I) apparaissent trois rangées régulières de cinq gros poteaux, en partie doublés. Le vestige très arasé d’une tranchée de fondation à proximité du mur des principia pourrait laisser croire que la colonnade était entièrement ou en partie entourée. Il pourrait s’agir ici, comme dans le cas analogue de Haltern, d’un bâtiment à vocation d’entrepôt, peut-être un armamentarium. 810 Un bâtiment à fonction économique a pu être dégagé dans le secteur périphérique du camp (fig. 361). Il est composé dans sa partie centrale (25 x 21 m) de deux salles 520 présentant des rangées de poteaux de grandes dimensions et serrés, ainsi que de quatre autres pièces avec sablières et solives transversales permettant l’aération du plancher par le bas. Un four en pierre et tuiles d’argile –la seule construction en pierre du camp jusqu’à présent– fait suite au nord-est. Au moins trois contreforts et des fondations qui atteignent 1,70 m de profondeur laissent croire à un édifice très stable, peut-être même à plusieurs étages. En faisait partie une annexe qui comprenait une cour à portique. Bien que les découvertes à l’appui de cette interprétation fassent défaut, il s’agit vraisemblablement d’un entrepôt avec dispositif de séchage et de chauffage, ainsi peutêtre, dans le cas de l’annexe, que d’installations pour les bêtes de somme de la légion. FIG. 361 Marktbreit. Le magasin et ses dépendances. 811 Dans le même secteur a pu être dégagée l’extrémité, exceptionnellement grande (18,5 x 15,5 m), d’un casernement, avec portique antérieur (fig. 357, 2). Ce secteur est en outre très intéressant dans la mesure où trois phases de construction sont ici documentées : elles montrent une utilisation avant la construction principale, en rapport sans doute avec le petit camp antérieur ; les fondations, solidement établies, du bâtiment de tête passent au-dessus d’un égout ; celui-ci coupe à son tour un four qui appartient à une série de six éléments identiques. 812 Si ce camp de 37 ha hébergeait effectivement une garnison de deux légions, le secteur périphérique doit, comme dans les autres camps de légion, avoir été couvert de baraquements pour les troupes. D’autres traces de ce type de construction sont apparues au magnétomètre à l’ouest de la porte méridionale. On constate à cet endroit la présence de trois bâtiments pratiquement carrés (9 x 9 m) s’encastrant les uns dans les autres. Ils sont disposés en équerre les uns par rapport aux autres de manière, d’une part, à être orientés par rapport aux deux axes principaux du camp, et d’autre part à être accessibles jusqu’à la via sagularis qui limite l’édifice au sud. Les traces de véritables baraques sous forme de tranchées, de rangées de poteaux ou de fosses manquent 521 totalement ; ces fragiles constructions en bois ont vraisemblablement été victimes de l’érosion. 813 Si ces éléments prouvent la possibilité de logement d’au moins une demi-cohorte, les véritables questions concernant l’organisation et l’effectif de la troupe stationnée à Marktbreit ne pourront être abordées qu’après l’exécution de nouvelles fouilles. 814 En dépit d’une étonnante pauvreté de matériel, le camp a pu être daté de l’horizon de Haltern (de 7 av. J.-C., au plus tôt, à 9 ap. J.-C.), en particulier grâce à quelques as de Nîmes et de Lyon, ainsi que d’un sceau d’Ateius. L’extrême rareté du matériel et la nature des découvertes laissent cependant croire que ce camp de 37 ha n’a jamais été occupé au maximum de ses capacités ou pendant une période relativement longue. Sa conception architecturale évoluée et ses traces d’occupation montrent cependant que ce camp avait été conçu comme camp permanent avec une mission politico-militaire précise. Seules des fouilles de grande envergure pourraient préciser jusqu’à quel point cette mission a été menée ou bien si elle a été abandonnée. La présence d’unités légionnaires et de troupes auxiliaires germaniques a pu être attestée grâce au matériel. 815 La situation géographique du camp et les sources historiques ne laissent pas de doute quant à la mission de ce camp de légion : renforcer le pouvoir romain dans une zone, la rive droite du Rhin, où son influence revêt des formes qui nous restent, aujourd’hui encore, inconnues ; surtout, organiser un camp d’étape important, si ce n’est pas le plus important, pour la campagne soigneusement préparée contre les Marcomans de Bohême, en 6 ap. J.-C. Le fait que cette campagne n’ait pas débouché sur une victoire, sur l’occupation et la transformation du territoire en province romaine de Marcomannia, a retiré au camp de Marktbreit une importance temporairement surdimensionnée. On comprend ainsi l’écart entre une installation de grande ampleur et l’absence de traces d’une occupation correspondante. 816 BIBLIOGRAPHIE 817 MAUCHAMP → BERRY-AU-LAC [2004] Pietsch 1993 ; Pietsch 1995 ; Pietsch et al. 1991 . MAYENCE MOGONTIACUM Rhénanie-Palatinat, Allemagne (cartes fig. 3, 5, 6, 7, 8 et 13) 818 M. WITTEYER 819 La place militaire de Mayence, du point de vue géographique, occupe une position centrale, à l’extrémité nord du Rhin supérieur, juste avant le rétrécissement de la vallée dans la “trouée héroïque”, et en face de l’embouchure du Main (fig. 362). On y rencontre plusieurs installations antiques : sur la rive gauche, un camp légionnaire double, placé sur la hauteur au nord-ouest du confluent, ainsi que plusieurs autres camps sur la même terrasse fluviale, à environ 3,5 km en amont, et des ports dans la dépression située au pied du camp légionnaire ; vient enfin une autre installation militaire possible, à 2 km en aval (Dimesser Ort) ; sur la rive droite est implantée la tête de pont de Kastel (costellum Mattiacorum). Aucun de ces complexes antiques, aujourd’hui 522 situés en zone urbaine et largement détruits par les fortifications modernes et leur exploitation comme carrières de pierres, n’a été complètement fouillé. FIG. 362 Mayence. Plan général. dessin M. Witteyer. 820 C’est sous Domitien, vers 85, que les provinces de Germanie inférieure et de Germanie supérieure ont été créées et que Mayence, en sus de sa fonction militaire, a assumé aussi le rôle de capitale administrative. Les voies qui relient entre elles les différentes agglomérations de Mayence forment les principaux axes du réseau viaire. Pour relier Kastel existait tout d’abord un pont de bateaux, sans doute remplacé dès Tibère par un pont permanent. Sur le médaillon de Lyon, daté autour de 300, apparaissent le pont, la tête de pont et Mayence elle-même, désormais figurée comme une ville remparée. L’enceinte urbaine, archéologiquement attestée, comprend deux phases : la première muraille englobait l’ensemble de la zone habitée, depuis la basse plaine jusqu’aux collines, y compris le grand théâtre à la sortie sud de la ville. Les dates dendrochronologiques des pieux de fondation situent la construction vers le milieu du IIIe s. Le tracé de la seconde phase est différent et la zone protégée sensiblement réduite. La nouvelle enceinte traverse désormais le camp légionnaire antérieur, après son abandon dans la seconde moitié du IVe s. Le camp légionnaire 821 Les premières tentatives pour localiser le camp et déterminer son implantation remontent au XVIIIe s. Les plans réalisés à cette occasion révèlent les réflexions topographiques et les conceptions militaires de l’époque. C’est en 1910 que commencèrent les premières fouilles, alors que l’intérieur de la place-forte moderne commençait à être urbanisé. Les premières tranchées, de petite taille, permirent de 523 saisir essentiellement le tracé de l’enceinte antique au sud-ouest et au sud-est, une partie des canabae et de la première muraille urbaine. Aujourd’hui encore, aucune fouille de grande ampleur n’a eu lieu dans le camp, de sorte que sa structure interne reste largement méconnue. Une fouille toute récente (2002-2003) a malgré tout permis de sonder la partie sud-ouest de la retentura et de mettre au jour des casernements (fig. 369). Ce sont les recherches de D. Baatz, en 1957-1958, qui ont permis de déterminer le phasage de la construction. Depuis, les travaux archéologiques ont permis de mettre au jour le tracé nord-ouest et de préciser la chronologie de la fin de l’occupation, pendant l’Antiquité tardive. 822 Le camp, construit pour deux légions, est installé sur un escarpement qui l’entoure sur trois côtés. Sa forme polygonale enserre une superficie d’environ 36 ha et suit les courbes de niveau (fig. 363). La porte prétorienne est orientée au nord-est, vers le Rhin. La fondation remonte au moins à 13-12 av. J.-C., car il s’agit d’une des principales bases de départ pour les campagnes de Drusus. Conséquence de la révolte de Saturninus, le camp, un peu avant le tournant du second siècle, n’abrita plus qu’une seule légion, mais ceci n’entraîna pas la réduction de la surface de la forteresse, qui demeura inchangée jusqu’à sa destruction. L’enceinte resta par conséquent à peu près à la même place. Le seul changement intervint au nord-ouest, lors de la reconstruction en pierre. La première phase en dur était jusqu’ici considérée comme vespasianique, en raison des marques légionnaires inscrites dans la muraille. Des recherches récentes dans les canabae montrent qu’une date plus ancienne est envisageable, car là aussi des constructions en pierre de monuments officiels eurent lieu dans les années 30 du Ier s. La détermination chronologique de la fin du camp repose sur la construction de la seconde enceinte urbaine qui traverse la praetentura (fig. 364) et sur une monnaie découverte sous la couche de démolition du rempart sud. D’une part, des segments de l’enceinte urbaine ainsi que la porte installée au croisement avec l’ancienne voie prétorienne sont construits avec des blocs de remploi provenant de l’ancien camp ; d’autre part, la muraille chevauche des caves appartenant à la période du camp et dont le comblement contient des monnaies de Magnence. Ainsi a-t-on pu croire jusqu’ici que l’abandon devait être mis en relation avec les terribles pertes subies par l’armée de Magnence à la bataille de Mursa (Osjek, Osijek), au cours de laquelle la légion de Mayence fut exterminée. Toutefois, la découverte d’une monnaie de Valentinien, datée des années 367-345, sous la couche de destruction du mur, atteste l’existence du camp dans la seconde moitié du IVe s. 524 FIG. 363 Mayence. Plan de situation du camp légionnaire. FIG. 364 Mayence. Enceinte tardo-antique de la ville et tour-porte. Au centre, dallage de la via praetoria. 823 La première enceinte était constituée d’un mur de terre et de bois, large de 3 m, dont les poteaux, espacés de 1 m, étaient fondés dans un petit fossé. Après diverses 525 réparations, le parement de bois, sur la face intérieure, fut remplacé par un talus en pente, sous Tibère. Les portes et les tours, à l’exception de la tour d’angle sud, fouillée en 1998, restent inconnues. Cette tour, formée de quatre poteaux (3,5 x 2,5 m), était insérée dans le corps du rempart (fig. 365). Sa face externe se trouve directement devant le mur en pierre postérieur. FIG. 365 Mayence. Trous de poteau de la tour d’angle sud de l’enceinte de terre et de bois. À gauche, fondation du pilier de l’enceinte postérieure en pierre. 824 La largeur du rempart en pierre était en moyenne de 1,4 m. Des modifications n’eurent lieu qu’après le milieu du second siècle (rempart 2) et après 200, peut-être même seulement au début du IVe s. (rempart 3). Lors des fouilles de 1910 furent coupées la tour d’angle sud et peut-être aussi la tour de la porte sud-ouest, large de 10 m, et formant un rentrant de 8 m vers l’intérieur. L’emplacement de la porta praetoria semble avoir été découvert en 1842, sans qu’on en sache davantage. Des comparaisons architecturales, notamment avec l’“octogone” de Mayence, ont permis à H. Büsing de proposer une reconstitution de la porte (fig. 366), qui serait dotée d’un double passage, avec des tours de flanquement à plusieurs étages. Sa proposition a toutefois été critiquée. 526 FIG. 366 Mayence. Reconstruction de la porte prétorienne d’après H. Büsing. Le dessin des tours a été modifié. 825 D. Baatz compte sept fossés devant l’enceinte, mais ceux-ci ne peuvent être aisément reliés aux différentes phases constructives. L’enceinte la plus ancienne semble n’avoir eu qu’un seul fossé, large de 6,5 m, devant une berme de 0,9 m. Un fossé en V (fossé 3), comblé au plus tôt sous Tibère, révèle une berme d’environ 6 m. Vers le milieu du Ier s. fut creusé, pour quelques années, un second fossé à 23 m devant le rempart (fossé 4). 826 Au plus tôt sous Vespasien, un second fossé en V (fossé 5), comblé peut-être vers le milieu ou dans la seconde moitié du IIe s., recoupe l’ancien mur de terre et de bois. Il appartient sans doute à la première enceinte de pierre. À la phase suivante (rempart 2), postérieure au milieu du IIe s., appartient le fossé 6. Le fossé le plus récent (7) recoupe celui-ci ; il semble avoir été creusé au plus tôt vers 200 et doit sans doute être mis en relation avec la dernière enceinte (rempart 3). 827 Une tranchée de fouille effectuée en 1998 montre toutefois une autre situation. Le fossé le plus récent semble avoir eu une forme en fond de cuve. La présence, dans les couches inférieures de son comblement, de monnaies de Magnence prouve qu’il était ouvert jusque vers le milieu du IVe s. Les tranchées effectuées par D. Baatz ne révèlent aucun parallèle et les autres fossés mis au jour dans ce sondage ne se laissent pas aisément corréler avec ceux que l’on connaissait déjà. 828 Notre connaissance des aménagements intérieurs se limite à la via sagularis, large de 3 m, implantée à une douzaine de mètres derrière le rempart. Agrandie sous Tibère jusqu’à une largeur de 6,5 m, elle fut rechargée à de nombreuses reprises avec du gravier jusque dans l’Antiquité tardive. Dans l’intervallum apparaissent fosses et foyers jusqu’au pied du talus. Les restes de bâtiments mis au jour par D. Baatz sont trop sporadiques pour que l’on puisse déterminer un plan. Au début ne sont connus que des bâtiments construits exclusivement en bois (fig. 369) ; viennent ensuite des 527 constructions en bois sur des socles de pierre ; à partir de Claude apparaissent des couvertures en tuiles. La reconstruction en pierre des constructions internes est contemporaine de celle de l’enceinte. C’est sans doute aussi au même moment que la via praetoria fut recouverte de grandes dalles de grès. Des principia sont surtout connus quelques beaux blocs ornés (fig. 367). Ce sont les thermes, dégagés entre 1901 et 1903, qui sont les mieux connus, même si le plan mélange des états différents, difficiles à distinguer dans le détail. Le balnéaire le plus ancien, large d’environ 40 m, comprenait un sudatorium, et ne fut construit qu’à partir du moment où le camp n’abritait plus qu’une seule légion. Il fut remplacé, au début du règne d’Hadrien, par un bâtiment neuf de 70 x 50 m, avec les salles disposées en ligne. Les dernières réparations semblent signées par une tuile au timbre de la legio XXII CV. FIG. 367 Mayence. Bases de colonnes provenant des principia et figurant : a un légionnaire au combat ; b un signifer et un légionnaire ; c un légionnaire en armes ; d deux légionnaires au combat. 829 Deux autres bâtiments de la praetentura, mal datés, ont conservé une partie de leurs murs et doivent sans doute être interprétés comme horreum ou fabrica. Cette dernière pourrait avoir remplacé un atelier plus ancien, dans la partie gauche de la praetentura. A 16 m de la via praetoria fonctionnait, à l’époque flavienne, un atelier de potier, fabriquant de la céramique commune. Un de ses fours fut découvert lors de la fouille de l’enceinte urbaine en 1988. Tout près de là apparaissaient des restes de travail du bois et du métal. Le comblement du four, daté de la fin de l’époque flavienne ou du début du règne de Trajan, pourrait indiquer une restructuration de l’espace interne du camp, au moment où celui-ci n’abritait plus qu’une légion. Les fouilles récentes dans la retentura (supra) attestent une restructuration de l’espace intérieur après la révolte de Saturninus (89 apr. J.-C.). Dans la phase primitive d’occupation du camp, existait une grande fabrica, avec de nombreux fours de métallurgistes, abandonnés à la fin du Ier siècle au profit des nouveaux casernements. 528 830 L’alimentation en eau était assurée par un aqueduc, contemporain du camp en pierre, et dont les piliers sont encore conservés en grand nombre sous forme de noyaux de maçonnerie (fig. 368). La source, à 9 km de là, était captée par une conduite souterraine. La différence de niveau (25 m) était compensée par une rangée d’arcatures à deux étages, et la conduite, portée par une rangée de petits piliers, conduisait à un château d’eau, devant l’angle sud-est du camp, d’où sortaient des conduites d’argile cuite. On suppose, sur la base des nombreuses conduites retrouvées dans le camp, que l’alimentation en eau, avant l’époque flavienne, n’était guère différente. FIG. 368 Mayence. Fondation en blocage du canal aérien d’arrivée d’eau à la sortie de l’acqueduc. 529 FIG. 369 Mayence. Casernements doubles dans la retentura, au sud-ouest du camp, fouilles 2002-2003. 831 De nombreuses inscriptions et des mentions historiques fréquentes nomment les légions stationnées dans le camp. Les deux premières unités furent la legio XVI et la legio XIV Gemina. Elles furent, en 43, remplacées par la IV Macedonica et la XXII Primigenia, puis celles-ci laissèrent place, en 70-71, à la I Adiutrix et enfin à la XIV Gemina Martia Victrix. Au plus tard en 86, la XXI e légion remplaça la I Adiutrix. À partir de 97 au plus tard, la XXII Primigenia Pia Fidelis constitua la seule garnison. Le camp de Weisenau 832 L’existence de camps à Weisenau (fig. 370) est attestée par six fossés, découverts à un endroit où la terrasse fluviale forme deux arêtes escarpées vers l’ouest et où la rive, jusqu’ici étroite, s’élargit notablement. Les premiers fossés ont été découverts par Klumbach lors de fouilles menées en 1949-1950 en bordure des carrières de Weisenau et identifiés alors comme l’enceinte nord-sud d’un camp. Au sud apparaît un double fossé (I), dont les extrémités sont espacées de 3,3 m. Un troisième fossé en V chevauche le fossé extérieur précédent, à 4,6 m du fossé intérieur. Fossés interne et externe ont chacun une largeur de 2,8 à 2,6 m. On ne sait pas grand-chose du fossé nord. D’autres obseivations, à l’occasion de travaux d’aménagement, ont permis jusqu’en 1970 d’identifier quatre autres fossés (III-VI), dont seul le fossé III est précisément documenté. 530 FIG. 370 Mayence. Traces d’occupation romaine à Mayence/Weisenau. 833 La chronologie est incertaine. Le fossé I chevauche une tombe à inhumation, datée par ses fibules des deux dernières décennies avant notre ère. Son comblement intervint sans doute dans le courant du Ier s. et Weisenau semble alors avoir été abandonné comme poste militaire. 834 Les restes de l’enceinte n’ont pas été observés et on ne sait rien non plus des aménagements internes. La fonction précise du camp n’est pas déterminée. 835 BIBLIOGRAPHIE 836 MEINERSWIJK → ARNHEM [2004] Baatz 1962 ; Büsing 1982 ; Witteyer 1995 ; Witteyer 1999. MELUN Seine-et-Marne, France (carte fig. 2) 837 J. GALBOIS, M. PETIT, AVEC LA COLLABORATION DE M. REDDÉ 838 À Melun, sur la rive gauche de la Seine, une fouille de sauvetage réalisée en 1991-1992 a mis au jour des vestiges militaires, incomplètement dégagés, mais dont la superficie totale est estimée à une dizaine d’hectares (fig. 371). 531 FIG. 371 Melun. Plan de situation du camp (Galbois 1995, 10). 839 Le camp est bordé à l’ouest par un fossé rectiligne d’au moins 3,50 m d’ouverture, conservé sur une hauteur de 1,20 m, avec un profil en cuvette, et sans remplissage caractéristique. Aucune trace de rempart ou de tours n’est apparue sur l’arrière. Une seconde fouille de sauvetage, réalisée en 1996, a révélé la présence, à 18 m vers l’ouest, d’un fossé en V, sensiblement parallèle au premier, et recreusé au moins une fois, d’une largeur maximale de 2,20 m, avec un colluvionnement depuis l’est (c’est-à-dire depuis un éventuel rempart). Au nord, le long de la Seine, aucun rempart n’a été mis en évidence, mais l’évolution des berges peut être responsable de cette absence. 840 À l’intérieur du camp apparaissent trois ensembles parallèles mais distincts, séparés par trois zones non bâties correspondant sans doute à des voies intérieures (fig. 372). L’ensemble central, le mieux conservé, présente une longueur de 140 m pour une largeur d’environ 34 m. Il est constitué de files alternées de poteaux et de murs palissadés implantés dans des tranchées de fondation. Files de poteaux et murs palissadés déterminent vingt et une unités rectangulaires d’environ 22 x 6 m. Les files centrales et les murs palissadés sont prolongés à chacune de leurs extrémités par deux poteaux individuels, sans doute destinés à porter la charpente d’un double portique. L’ensemble nord-ouest, bien que largement ruiné par des édifices gallo-romains et modernes, était identique. En revanche, le complexe sud-est est constitué de cinq bâtiments rectangulaires de 13-17 x 4 m, caractérisés par des sablières basses (?) ou des murs palissadés, avec une porte, tantôt au nord, tantôt au sud. Quatre zones rubéfiées, correspondant sans doute à des foyers, ont été mises au jour respectivement dans quatre de ces bâtiments. Entre ces édifices, non équidistants entre eux (de 15 à 21 m), apparaissent des files de poteaux perpendiculaires à l’axe des édifices eux-mêmes. 532 FIG. 372 Melun. Structures internes du complexe militaire (Galbois 1995, 14, fig- 1). 841 La datation est difficile à établir en l’absence de matériel associé abondant, en dehors d’un vase de type Besançon et d’une fibule d’Aucissa. Le complexe a été détruit vers 30 par la construction d’une villa. Une datation dans les années 10-20 de n.è. paraît donc vraisemblable, avec une occupation sans doute courte. Cet ensemble –unique– paraît indubitablement militaire et a donné lieu à différentes hypothèses : celle de casernements, celle de hangars à bateaux, celle d’horrea. La première hypothèse, retenue initialement, paraît peu convaincante dans le cas des deux premiers complexes, en raison de leur taille, beaucoup trop considérable pour des baraques, et de la structure même, incompatible avec la notion de contubemium. 842 L’hypothèse de hangars à bateaux comparables à ceux de Haltern/ Hofestaat ou de Velsen 1 serait envisageable si l’on considère la taille des bâtiments, mais la présence de portiques en façade la rend peu crédible, sans l’exclure complètement. D’autre part, les murs palissades ne semblent pas vraiment comparables aux boisements centraux, destinés à porter les coques, qu’on a reconnus sur les sites rhénans. L’hypothèse la plus vraisemblable reste donc celle de grands horrea, installés dans une base de ravitaillement comme à Rödgen. L’ensemble sud-est, de son côté, ne trouve pas non plus de parallèle convaincant. La présence de foyers laisse toutefois penser qu’il s’agit d’unités d’habitation, mais on ne peut apparemment pas parler de baraquements. 843 BIBLIOGRAPHIE [2004] Galbois 1995 ; Hoppan 1996. MIREBEAU-SUR-BÈZE Côte-d’Or, France (cartes fig. 2 et 6) Le camp de la VIIIe légion 844 M. REDDÉ 533 845 Le camp est installé à environ 25 km à l’est de Dijon, sur une terrasse au nord de la Bèze, affluent droit de la Saône, en territoire lingon. Partant de la région au nord de la forteresse, une voie romaine mène tout droit à Langres ; à la sortie orientale de la via principalis, une autre route antique conduit en direction du passage de la Saône, à Pontailler. Le camp (fig. 373), d’une superficie de 22,33 ha (583 x 383 m) est orienté à environ 28° est du nord géographique, la porte prétorienne étant au sud. Des bâtiments civils sont clairement identifiés tout autour de la partie méridionale de la forteresse. Un second camp, plus petit, a été repéré au nord-est. A 1,5 km en direction du nordouest, à la lisière du bourg actuel de Mirebeau, a été fouillé un important sanctuaire celtique. FIG. 373 Mirebeau-sur-Bèze. Plan général des structures. dessin R. Goguey 846 Le site est connu depuis le XVIIIe s., en raison des nombreux débris de construction et du matériel qui jonchent les labours. Ce n’est toutefois qu’en 1964 que la forme générale du camp a pu être repérée d’avion par R. Goguey, qui a depuis lors multiplié les survols et conduit les premières fouilles, de 1968 à 1976. Une seconde série de campagnes a été effectuée de 1985 à 1990 sous la direction de M. Reddé. Le camp est connu en grande partie par les photographies aériennes (fig. 374 et 375, pl. H.T. V-VI). En dehors de quelques sondages ponctuels, les fouilles ont porté sur les portes et les courtines orientale et septentrionale, sur quelques blocs de casernements, sur les principia et sur les thermes extra muros. 534 FIG. 374 Mirebeau-sur-Bèze. Vue aérienne de l’angle sud-est. photo R. Goguey. FIG. 375 Mirebeau-sur-Bèze. Vue aérienne des bâtiments au sud-est du camp. photo R. Goguey. 535 PL. V (H.T.) Vue générale de la retentura du camp de Mirebeau. On reconnaît, à gauche, le plan complet des principia ; dans le tiers supérieur droit apparaît la porte nord, avec ses tours en U. photo R. Goguey, 03/07/1964, inédite PL. VI (H.T.) Vue aérienne de la porte nord du camp de Mirebeau et de ses abords. On reconnaît la porte avec ses tours en fer à cheval et, en arrière du rempart, l’extrémité des baraquements. photo R. Goguey, 20/05/1991, inédite 847 Le rempart, large de 3,60 à 3,70 m, a connu successivement deux états : dans un premier temps a été édifié un mur de pierres sèches et de terre, armé par des poutres internes (Holzerdesteinmauer), flanqué de tours en bois d’environ 4, 80 m de côté ; dans un second temps, un parement de pierres calcaires soigneusement appareillées a été rajouté, tandis que les tours étaient reconstruites en maçonnerie (fig. 376). Les portes de 536 l’état 1, sans doute détruites par les constructions ultérieures, n’ont pas été retrouvées ; celles de l’état 2 sont remarquables en raison de leur forme en fer à cheval, inhabituelle à l’époque flavienne (fig. 377). Celle de l’est a livré suffisamment de blocs d’architectures (fig. 378) pour autoriser une reconstitution de J.-P. Adam (fig. 49). Deux fossés successifs flanquent le rempart au nord et à l’est, alors qu’un seul a été repéré à l’ouest et au sud. FIG. 376 Mirebeau-sur-Bèze. Rempart oriental et tour intermédiaire (Goguey & Reddé 1995, pl. h.t. 4.). FIG. 377 Mirebeau-sur-Bèze. Porte orientale (Goguey & Reddé 1995, fig. 5). 537 848 Les principia présentent la forme d’un carré de 85,40 à 85,60 m de côté. Ils s’ouvrent au sud avec un porche monumental flanqué de part et d’autre par un bassin. La cour centrale, bordée sur trois côtés d’une rangée unique d’armamentaria, donne accès à une basilique à trois nefs, au nord. Celle-ci ouvre à son tour sur la galerie septentrionale, contrefortée à l’extérieur par une série de piliers maçonnés ; au centre s’ouvre la chapelle aux enseignes, de forme carrée (10 x 10 m), où l’on a reconnu une fosse qui recevait probablement l’arca. Aucun état précoce des principia correspondant au premier stade du rempart n’a été retrouvé, mais il convient d’observer que la superficie des fouilles a été limitée. En revanche, une phase tardive a été identifiée : elle montre des réparations dans des constructions déjà en partie ruinées, mais elle n’a pu être datée précisément. 849 Les casernements, très détruits, n’ont été fouillés que partiellement, à l’est des principia. On reconnaît des structures probablement en pisé sur des fondations de pierres sèches, couvertes en tuiles. On peut restituer aux blocs une longueur identique à celle des principia, soit 85,40-85,60 m, avec une série de pièces de 4,50 x 3,50 m, précédées par une antichambre (3,50 x 2,50 m) et un portique en bois sur embases de pierre. 850 Les autres bâtiments ne sont connus que par les photographies aériennes. Des thermes sont identifiables dans la partie orientale de la praetentura (fig. 374). À quelque distance au nord des principia apparaît un bâtiment rectangulaire d’environ 50 x 36 m, dont les pièces sont disposées autour d’une cour péristyle. On peut être tenté d’y reconnaître des magasins à cour centrale. Un autre bâtiment de type voisin, mais de structure moins distincte, a été identifié immédiatement au nord. L’emplacement et la forme du praetorium restent inconnus. 851 Dans l’anse de la Bèze apparaît une série de bâtiments mal identifiés, en dehors d’un ensemble thermal partiellement fouillé par R. Goguey. On hésite sur l’interprétation d’un grand groupe de bâtiments : mansio ou complexe religieux avec un xenodochion (fig. 378) ? Vers l’ouest ont été identifiés un amphithéâtre et un grand bâtiment rectangulaire, probablement une mansio plutôt qu’un macellum. Au nord-est, le camp annexe n’a révélé aucun bâtiment interne, mais un simple fossé. Pour cette raison, l’hypothèse d’un camp d’exercice a été avancée mais n’est pas formellement prouvée (fig. 379). 538 FIG. 378 Mirebeau-sur-Bèze. Bloc d’entablement de la porte orientale. photo M. Reddé. FIG. 379 Mirebeau-sur-Bèze. Plan général des différents camps (S. Venault). 852 Les très nombreuses tuiles au timbre de la VIIIe légion retrouvées à Mirebeau attestent sans ambiguïté possible l’identité de la troupe stationnée à Mirebeau. Ce corps de troupe arrive en Gaule au printemps 70 avec les troupes de Vespasien, et participe à la répression contre les peuples révoltés du nord de la Gaule. Le matériel retrouvé sur le site, quoiqu’assez peu abondant, correspond massivement à la période 70-90, durée vraisemblable de l’occupation de la forteresse. Plus incertain est le rôle des vexillations des légions I-VIII-XI-XIIII-XXI qui ont occupé le camp entre 83 et 85-86. Plus obscur encore est le rôle de Lappius, qui a marqué, phénomène exceptionnel, de nombreuses 539 tuiles à son nom (LEGVIIIAVGLAPPIOLEG), probablement en tant que légat de la province de Germanie supérieure après la révolte de Saturninus. Quoi qu’il en soit, la légion devait quitter Mirebeau pour s’installer à Strasbourg vers 90. Des réoccupations postérieures sporadiques sont attestées. La Fenotte 853 S. VENAULT 854 L’expansion urbaine de la commune de Mirebeau-sur-Bèze et sa menace sur le patrimoine archéologique enfoui sont à l’origine d’une intervention de sauvetage au lieu-dit La Fenotte, réalisée par l’Afan. L’emprise du chantier, qui couvre 8 ha, se situe au sud-ouest du bourg, à proximité d’un sanctuaire celtique auquel ont succédé deux fana gallo-romains. 855 La fouille, à l’ouest et au sud-ouest des sanctuaires, a mis au jour l’angle sud-ouest d’une vaste enceinte formée de plusieurs fossés, au profil en V, larges de 4 à 5 m et profonds d’environ 2 m (fig. 379). Le flanc méridional de l’enceinte est fermé par un axe unique de trois fossés parallèles et juxtaposés, alors que la limite occidentale est close par deux lignes défensives, espacées l’une de l’autre d’environ 40 m, matérialisées chacune par le rapprochement de deux fossés parallèles. La transition entre les deux systèmes de clôture s’opère par un dédoublement du fossé méridional médian. Deux ouvertures, formées par une interruption des fossés, percent chacune une des lignes de protection occidentales, à l’approche de l’angle de l’enceinte. Celle qui est aménagée au travers des deux fossés extérieurs, sur une largeur de 7,5 m, est verrouillée par un petit sillon transversal qui réduit l’entrée à une largeur de 2 m. La seconde ouverture, qui traverse la ligne défensive intérieure, est désaxée par rapport à la première et présente un dispositif plus élaboré, avec la présence d’un court fossé disposé en chicane en avant de l’entrée. L’ultime passage, qui ouvre le fossé interne, est occupé par un sillon de fondation tracé suivant un plan carré, autour et au centre duquel se répartissent des trous de poteau. D’autres assises de superstructures quadrangulaires, composées d’un alignement de trous de poteau, parfois imposants, ont été repérées le long des fossés internes du flanc occidental de l’enceinte. 856 La configuration des fossés et les aménagements qui leur sont associés invitent à identifier cette enceinte comme étant celle d’un camp militaire romain (fig. 380). On reconnaîtra notamment, dans le court fossé qui barre la porte intérieure, le titulum déjà rencontré devant d’autres camps, à Alésia notamment. De même, on serait tenté de lire dans le sillon qui obture la porte extérieure l’existence passée d’une clavicula. D’autre part, les larges trous de poteau, disposés suivant un module quadrangulaire dans l’entrée et le long des fossés, correspondent sans doute aux bases des tours de défense, associées probablement à un agger, aujourd’hui disparu, mais dont l’existence peut être observée dans le comblement dissymétrique de certains fossés. Enfin, un ensemble de sillons découvert au nord du site, dessinant une trame carrée de 3,5 m de côté, pourrait correspondre aux soubassements de casernements. 540 FIG. 380 Mirebeau-sur-Bèze. Plan de la porte du camp de La Fenotte (S. Venault). 857 La pauvreté du matériel recueilli au fond des fossés, qui se résume à des fragments d’amphores et des ossements animaux, ne permet pas de déterminer avec précision la date d’implantation du camp, si ce n’est de la situer dans la seconde moitié du Ier s. av. J.–C. En revanche, le mobilier prélevé dans le comblement superficiel permet de caler sa disparition définitive à la fin du règne d’Auguste, période qui voit la fondation d’une agglomération qui fonctionnera en étroite relation avec les fana. 858 Outre son implantation précoce, ce camp présente l’intérêt d’avoir englobé le sanctuaire celtique, dont l’angle sud-ouest de la palissade de clôture, qui a été dégagé au nord de la fouille, pourrait correspondre à un état daté de La Tène C2-D1. Un petit fossé qui se jette dans l’un des fossés défensifs du camp longe cette palissade, sur l’axe est-ouest, et assure une démarcation avec l’espace cultuel. La conservation du sanctuaire n’a pas dû être sans conséquences sur les dimensions du camp, qui restent toutefois sujettes à caution. En effet, en l’absence de découverte d’un retour d’angle de fossés à l’est, nous nous trouvons démunis pour proposer une restitution valable de l’emprise et, à ce jour, seules les données du paysage se prêtent, non sans problèmes, à l’exercice. Aussi, un des méandres formés par la Bèze aurait pu accueillir l’angle nordest du camp, si l’on convient évidemment que le lit de la rivière n’a pas varié depuis vingt siècles. Le camp ainsi restitué présenterait une superficie de 700 m de long sur 500 m de large, soit une surface de 35 ha. Ces dimensions, certes importantes, pourraient se justifier par le maintien du sanctuaire celtique au sein du camp romain. 859 BIBLIOGRAPHIE [2004] Barral et al. 2002, 23-27 ; Goguey & Reddé, éd. 1995. 541 MONHEIM/HAUS BÜRGEL Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (carte fig. 12) 860 TH. FISCHER 861 Le domaine de Haus Bürgel, où s’élèvent les ruines d’un costellum tardif (fig. 381), est situé sur la rive droite du Rhin, au sud de Düsseldorf et au nord de Monheim, dans une dépression de terrain quasi circulaire (Urdenbacher Kämpe). La situation topographique actuelle du Haus Bürgel, sur la rive droite du Rhin, est fondamentalement différente de celle de la fin de l’Antiquité puisque cette zone était située autrefois sur la rive gauche du Rhin, qui changea de lit en 1374. Le Haus Bürgel s’élève aujourd’hui sur une légère éminence, à peine perceptible, au milieu de la Urdenbacher Kämpe. Aujourd’hui, le site constitue un exemple typique de domaine agricole dans cette région, avec une maison seigneuriale dont les quatre côtés reposent sur des fondations romaines, et même, dans certains cas, sur des pans de murs antiques conservés jusqu’à 5 m de hauteur. Le Haus Bürgel est mentionné pour la première fois en 1019 en tant que castrum in Burgela ; les premières observations du monument romain n’eurent cependant lieu qu’en 1953 avec W. Haberey, qui fit faire des sondages assez réduits sur la face interne du mur méridional. Le Haus Bürgel et ses environs proches sont, grâce à la fondation Rhénanie du Nord-Westphalie, passés récemment dans le domaine public en tant que réserve archéologique, l’intention étant d’y installer une station biologique et un musée de site. Les travaux de restauration offrirent à cette occasion des possibilités de fouilles archéologiques en 1993 tout d’abord (M. Gechter), puis de 1994 à 1996 (Th. Fischer et T. Mickocki). La fortification tardive s’est installée sur un site déjà occupé aux Ier-IIIe s. et qui a notamment livré une nécropole. 542 FIG. 381 Monheim/Haus Bürgel. Plan du fortin (Fischer 1999b, 340). dessin T. Fischer, 340. 862 Avant que les fouilles récentes ne débutent, les recherches de W. Haberey avaient permis de constater la présence sur le site d’un castellum tardo-antique (64 x 64 m), doté de quatre tours d’angle et de huit tours intermédiaires. L’existence de portes à l’est et à l’ouest n’avait été que supposée. La porte occidentale, sans doute la porte principale, était orientée en direction de la route du limes, la porte orientale vers le port supposé. La datation tardo-antique d’une poterne, au milieu du côté sud, a pu être confirmée par les travaux récents. 863 L’existence de la porte orientale, à l’état de fosse de remploi, est attestée. Il s’agissait certainement, à l’origine, d’un ouvrage d’entrée rectangulaire avec passage d’accès. Les vestiges de la tour circulaire à l’angle nord-est ont été inclus au Moyen Age dans une tour de section carrée. Dans la cave, les restes de la tour romaine sont encore conservés et visibles sur une hauteur d’environ 2 m. 864 À l’angle sud-ouest du castellum a été fouillée la tour intermédiaire, en bon état de conservation ; elle est liée au mur d’enceinte, conservé sur 5 m de hauteur dans ce secteur. Sa technique de construction est valable pour toutes les tours du Haus Bürgel : on a creusé dans l’argile naturelle une tranchée de même largeur que la fondation. En raison de la stabilité du sous-sol, on pouvait renoncer à installer un système de pieux sous les fondations. La tranchée a d’abord été comblée de moellons de grauwacke posés à sec. Au-dessus a ensuite été coulée une couche de mortier de chaux pour égaliser le niveau. Au-dessus de cette couche s’élève le blocage du radier de fondation, d’environ 0,50 m d’épaisseur, dont la face extérieure visible consiste en quatre assises de tuffeaux soigneusement équarris, liés au mortier. Le mur de la tour, épais de 1,2 m 543 en élévation, est en retrait d’environ 30 cm par rapport aux fondations. Les courtines ainsi que les tours présentent un bandeau d’une double assise de briques. 865 Sur le côté interne de la courtine occidentale, le massif de fondation en maçonnerie coulée fait une saillie de 0,5 m. Dans la tranchée de fondation du mur, au niveau de l’argile, apparaissent la maçonnerie à sec de grauwacke, d’environ 0,35 m d’épaisseur, puis la fondation à proprement parler, d’à peu près 0,8 m de hauteur, en moellons liés par un abondant mortier à la chaux. Aucune observation sûre ne permet de supposer, sur la face interne du mur, la présence de constructions adossées, selon le modèle d’Alzey. 866 Les fouilles-sur le glacis oriental du castellum ont permis d’observer l’extrémité des fossés. Il s’agit dans les deux cas de fossés en V très marqués, qui furent comblés ensemble au début du Ve s. ap. J.-C., avec les décombres incendiés provenant de l’intérieur du camp. Le fossé extérieur présente une largeur d’à peu près 6,7 m et une profondeur de 1,86 m. Sur les cent quatre-vingts monnaies en bronze qui en proviennent, cinquante ont été jusqu’à présent restaurées et identifiées. Il s’agit majoritairement, à côté de quelques émissions plus anciennes, d’espèces de Valentinien Ier (364-375) à Arcadius (383-408), brûlées à plusieurs reprises. Leur répartition dans le fossé montre que les émissions les plus récentes apparaissent aussi bien dans les couches inférieures que supérieures du remplissage. Elles fournissent ainsi un terminus post quem vers 400 pour le remblaiement du fossé et le matériel associé. Le fossé interne offre une image identique, mais le mobilier n’a cependant pas encore été restauré et identifié. Avec une largeur d’environ 10,50 m et une profondeur de 2,3 m, il était encore plus imposant que le fossé externe. 867 La cour intérieure n’a pas révélé une occupation dense, comme à Deutz. Elle semble exempte de constructions ou bien a fait l’objet d’aménagements irréguliers, à l’exemple de ce qui a pu être observé dans le castellum d’Alzey. 868 A proximité immédiate de la poterne, contre le mur d’enceinte sud du castellum, se trouvaient les vestiges des thermes. Le bâtiment de plan pratiquement carré (environ 9 x 8 m) constituait, avec caldarium, frigidarium et vestibule, la version très réduite d’un établissement de bains romains. Les thermes avaient été visiblement reconvertis, dans une dernière phase d’utilisation, en maison d’habitation. Dans les ruines, au-dessus des éléments de constructions les plus récents, fut dégagée une couche d’incendie qui contenait pour l’essentiel un petit matériel brûlé du début du Ve s., encore en place. À cette époque également fut enseveli dans un égout un trésor monétaire d’environ deux cents monnaies de bronze. La fin de la série monétaire devrait correspondre à la période autour de 400 ap. J.-C., mais l’ensemble n’a pas encore été restauré. On signalera l’abondance du matériel germanique dans les dernières couches d’occupation. Jusqu’à l’époque carolingienne comprise, le castellum resta ensuite inhabité. Ses restes étaient cependant dans un si bon état de conservation qu’ils ont pu, au VIIIe s. au plus tôt, être à nouveau utilisés. 869 BIBLIOGRAPHIE [2004] Bürschel & Gechter 1993 ; Fischer 1998 ; Fischer 1999b ; Haberey 1957 ; Horn 1974 ; Horn, éd. 1987, 568. 544 MORLANWELZ Hainaut, Belgique (carte fig. 12) 870 R. BRULET 871 Deux fortifications ont été construites sur un promontoire situé au nord de la voie Bavay-Cologne et surplombant celle-ci de 4 à 5 m, au lieu-dit Enceinte des Turcs ou Château des Sarrasins. Au XIXe s., les deux fortifications furent respectivement identifiées à une villa romaine et à un tumulus. Les premières recherches remontent à 1878 (Morlanwelz II). Le burgus de Morlanwelz I a été fouillé de manière systématique par J. Breuer en 1930. Morlanwelz I 872 La première fortification correspond à un poste routier carré, fossoyé et palissadé, de petites dimensions (fig. 382) ; il est situé à 60 m de la route et son orientation n’a pas été calquée sur la voie mais vers le nord. La superficie intérieure correspond à un carré de 24 m de côté (superficie totale : 16 ares ; superficie interne : 5,7 ares). Elle a révélé les traces de plusieurs bases de bâtiments en bois qui se trouvaient adossés au rempart. Celui-ci était fait d’une levée de terre appuyée contre une rangée de poteaux prenant place dans une excavation continue de 0,50 m de largeur et de profondeur. Un décrochement, localisé à l’angle sud-est de la fortification, détermine le passage d’entrée. Un fossé l’entoure sur les quatre faces ; la largeur de ce fossé pouvait atteindre 7 m à l’origine et sa profondeur environ 2 m. FIG. 382 Morlanwelz I. Plan du fortin. dessin R. Brulet 545 873 Le site remonte probablement à la seconde moitié du construction a pu être observée. IIIe s. Une seule phase de Morlanwelz II 874 La fortification a été élevée contre la route et orientée comme elle. L’ouvrage correspond à une tour en pierre de 30 m de côté (d’après les fouilles du XIXe s.), avec des murs d’environ 3 m d’épaisseur à la base (fig. 383). Des piliers de soutènement centraux renforçaient la maçonnerie. La fortification paraît avoir été entourée par un fossé, partiellement examiné. FIG. 383 Morlanwelz II. Plan de la tour (Brulet 1995a, 114). 875 La construction de la tour remonte probablement à la première moitié du IVe s. La monnaie la plus récente est de Magnence (350-353). 876 BIBLIOGRAPHIE [2004] Breuer 1928 ; Breuer 1930 ; Brulet 1977 ; Brulet 1986 ; Brulet et al. 1995 ; Peny 1881 ; Peny 1883. NECKARBURKEN Bade-Wurtemberg, Allemagne (cartes fig. 7 et 8) 877 E. SCHALLMAYER 878 Deux castella existent à Neckarburken (fig. 384). À l’est, le castellum de numerus est implanté à 30 m en arrière du limes, tandis que le camp de cohorte est situé 190 m plus à l’ouest. Les recherches effectuées par la Reichslimeskommission sont toujours 546 d’actualité, alors que les fouilles des trois dernières décennies ont avant tout fourni des informations sur les thermes et différentes installations du vicus. FIG. 384 Neckarburken. Camp de cohorte : 1 porte décumane ; 2 porte prétorienne ; 3 principia ; 4 praetentura ; 5, 6 praetorium et thermes ; 7 plate-forme. Camp de numerus : 8, 9 portes ; 10 principia ; 11 bâtiment postérieur ; 12, 13 thermes (Schallmayer 1991, 124, fig. 83). Le camp de cohorte 879 Le camp de cohorte, à l’ouest (fig. 385), mesure 158 x 131,50 m (soit 2,07 ha) ; il s’agissait, dans un premier temps, d’une construction en bois et en terre dont le fossé en V, ainsi que des parties de l’enceinte, ont été dégagés lors des fouilles de 1949. Cette première forteresse était vraisemblablement aussi grande que le castellum en pierre ultérieur. Ce dernier montre, après une berme de 0,90 m et à l’avant du mur défensif, un fossé en V de 5 m de large et profond encore de 1,63 m qui recoupe partiellement l’ancien fossé. 547 FIG. 385 Neckarburken. Plan du camp de cohorte (ORL B, no 53, pl. 2). 880 Le mur d’enceinte du castellum en pierre, construit en moellons de grès, présentait une largeur de 1,40 m, s’élevant à 1,80 m dans les arrondis des angles. Aucune trace du talus en terre n’a été repérée. Un alignement de pierres parallèle au mur d’enceinte montre cependant que le talus devait avoir une largeur de 9 m. 881 Parmi les quatre portes d’enceinte, la porte principale en direction de l’est (portapraetoria) avait une largeur de 8,95 m. Le passage était ainsi deux fois plus large que pour les trois autres portes (3,57 à 4,60 m) et présentait deux accès, séparés sans doute par des piliers médians. Chacune des tours carrées (4,5 x 4,5 m), accessibles depuis l’arrière, formait une saillie sur l’extérieur du rempart (0,35 m à la porta principalis dextra ; 0,56 m à la porta decumana ; 0,75 m à la porta praetoria). On a pu repérer une tour intermédiaire sur les côtés est et ouest. Les constructions découvertes au niveau du mur d’enceinte du front occidental gauche du castellum devaient vraisemblablement correspondre à une autre tour intermédiaire. 882 Le bâtiment de commandement (principia ; 43 x 40 m) est divisé en deux parties. À l’est, de chaque côté de la cour intérieure recouverte de gravier, se trouvent les armamentaria, pièces apparemment non subdivisées de 22 x 7 m, devant lesquelles des murs parallèles indiquent la présence d’un portique entourant la cour. Une salle d’exercice devait se situer au-delà du croisement des viae praetoria et principalis. On a retrouvé à cet endroit des restes de pavement qui permettent de penser que sa largeur atteignait 10 m. Une entrée, large de 3,60 m, conduisait depuis la cour intérieure en direction de la deuxième grande salle du bâtiment de commandement (de 28 x 14 m) placée dans l’aile arrière. On a encore découvert à cette place, lors des fouilles de la Reichslimeskommission, une deuxième cour intérieure. Viennent ensuite les ailes latérales, après une interruption en forme de couloir. La chapelle aux enseignes, dotée 548 à barrière d’une abside, se trouve au centre de l’aile postérieure. Une couche de radier, délimitée par un mur et placée sur l’avant, a sans doute servi de plaque de sol pour un petit vestibule. Toutes les pièces des bâtiments situés autour des cours intérieures étaient construites en pans de bois. 883 Un bâtiment rectangulaire, placé à un faible écart derrière le mur sud-est du castellum, a été interprété comme plate-forme d’artillerie. La maison à plusieurs pièces de 19 x 12 m, située entre la porte d’enceinte sud et les principia, dotée d’une cave et d’un chauffage par le sol, est, avec les petits thermes placés à proximité, généralement considérée comme partie du logement du commandant (praetorium). Ces bâtiments pourraient également n’avoir été construits qu’après l’abandon du castellum. Le camp, occupé au moins pendant la période de construction en dur par la III e cohorte Aquitanorum equitata civium Romanorum, subsista jusqu’au milieu du IIe s. ap. J.-C. Après le retrait de la troupe dans le camp d’Osterburken, plus à l’est, le terrain fut vraisemblablement encore utilisé comme entrepôt pour le ravitaillement militaire sur la ligne extérieure du limes. 884 Les thermes du castellum se situent à environ 40 m à l’est de l’angle nord-est du camp. Il s’agit de thermes en enfilade. Un vestibule à trois nefs, en bois, utilisé comme apodyterium, se trouvait devant la rangée de bassins en pierre. À l’avant de ce vestibule, les trous de poteau avec traces de gros poteaux quadrangulaires de 0,30 m ont été fouillés. Le principal canal d’évacuation des eaux usées passait sous le sol du vestiaire. À l’arrière suivaient les trois salles principales, frigidarium, tepidarium et caldarium, d’une largeur de 8,50 m et de longueurs différentes. Vasques et pièces chaudes, dans lesquelles on a encore découvert des restes d’hypocauste, se trouvaient respectivement de chaque côté. Des praefurnia placés à l’extérieur chauffaient ces parties. L’installation thermale a été visiblement modifiée dans un second temps. À cette occasion, la cuve orientale fut installée plus profondément et dotée d’un nouveau canal d’évacuation vers l’est. Un bassin supplémentaire fut érigé dans l’angle sud-est du frigidarium. Le sudatorium occidental reçut enfin, après agrandissement, un dispositif d’hypocauste maçonné en grès bigarré. Le castellum du numerus 885 Les dimensions du camp de numerus (fig. 386) étaient de 80 x 80 m (soit 0,64 ha). Il se situait à quelques mètres seulement derrière la route du limes. Son plan est un carré irrégulier auquel a été ajoutée plus tard une construction rectangulaire. Le mur d’enceinte originel avait une largeur allant de 0,90 à 1,60 m et est encore conservé par endroits sur 1 m. La profondeur des fondations atteignait 1,50 m. La présence d’un talus en terre n’a pas été attestée ; on a trouvé cependant, derrière l’angle sud-est, un alignement de pierres de 3,95 m de large. Il semble qu’il n’y ait pas eu de fossé sur le côté nord. Peut-être l’Elz, qui coulait plus près du castellum dans l’Antiquité, constituait-elle l’obstacle d’approche indispensable ? Un petit fossé peu profond devait courir sur les autres côtés, à l’avant du mur d’enceinte, à un intervalle de 0,80 à 1,10 m de celui-ci. Un deuxième fossé, de 8 à 13 m de large, est visible après une berme de 3,40 m. L’installation possédait trois portes d’enceinte dotées de tours, dont les passages d’accès présentaient une largeur de 3,45 à 3,80 m. Les tours des portes, larges de 5 m, étaient accessibles par l’arrière. Les nombreuses pierres soigneusement taillées qui y ont été découvertes, montrent que les tours présentaient, dans leurs parties 549 élevées, un décor architectural. Sur la porte d’enceinte occidentale, interprétée autrefois comme porta praetoria, mais récemment identifiée avec la porta principalis sinistra, était gravée l’inscription de construction du numéros Brittonum Elantiensium en l’honneur d’Antonin le Pieux en 145 ap. J.-C. La porte a fait l’objet d’une restauration à l’occasion de laquelle les fragments d’architecture ont été rajoutés sur le sommet du mur. La porte nord, vraisemblablement la porte principale, n’était plus conservée en aussi bon état. La porte d’enceinte méridionale manquait complètement. FIG. 386 Neckarburken. Plan général du fortin de numerus (ORL B, no 53, pl. 2). 886 Un bâtiment rectangulaire de 20 x 16 m, présentant quatre pièces situées sur le côté postérieur occidental, se trouvait au centre du castellum. La deuxième pièce en partant du sud était dotée d’une cave. Le responsable des premières fouilles vit dans ce bâtiment les principia. La construction n’a cependant été vraisemblablement érigée qu’à une époque postérieure au camp et correspondrait alors à une villa rustica élevée sur le site du castellum. L’agrandissement au sud, dont les murs d’enceinte n’étaient plus aussi épais que ceux du castellum d’origine, devait également appartenir à cette villa. On avait vraisemblablement arasé, déjà sous l’Antiquité, le mur sud du castellum afin de pouvoir utiliser librement l’ensemble du site. Le bâtiment central présentait plusieurs phases de construction, dont la plus ancienne pourrait correspondre au bâtiment de commandement du castellum. Dans la cave a été trouvé un fragment de diplôme militaire datant de 134 ap. J.-C. 887 Ce camp possédait lui aussi un balnéaire, partiellement fouillé, et restauré en 158 par le numerus des Brittones Elantienses, avant son transfert, entre 185 et 192, à Osterburken, sur le limes extérieur, dans l’annexe du camp principal. En outre ont été mis en évidence, à l’ouest du camp de cohorte, et sans doute aussi entre les deux castella, les restes d’un vicus militaire. 550 888 [2004] Baatz 1973b ; Filtzinger et al. 1986 ; ORL B, 53 et 53 1, p. 1 sq. ; Schallmayer1984b ; Schallmayer 1991 . BIBLIOGRAPHIE NEUSS NOVAESIUM Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (cartes fig. 3, 5, 6, 7, 8 et 12) 889 N. HANEL 890 De nombreuses installations militaires, dans lesquelles des troupes romaines furent stationnées du début de l’occupation de la Germanie jusqu’au IIIe s. ap. J.-C., sont concentrées au sud-est de l’actuelle ville de Neuss, sur la rive gauche du Rhin, en aval du confluent avec l’Erft (fig. 387). La situation géographique a visiblement été déterminante dans le choix du lieu de stationnement des troupes ; les deux cours d’eau garantissaient la liaison vers l’arrière avec les cantonnements légionnaires, originellement à l’intérieur des Gaules, ainsi qu’avec les centres d’approvisionnement. Les camps furent installés sur une éminence sableuse de la terrasse inférieure du Rhin (environ 38 à 40 m d’altitude), hors de portée des inondations, entourée pratiquement de toutes parts par des obstacles naturels : au nord et au nord-est coulait le Rhin, alors que les côtés est et sud étaient protégés par l’Erft. Le Meertal –une dépression humide– verrouillait la zone à l’ouest. FIG. 387 Neuss. Emplacement général des différents camps. 551 891 Les premières découvertes sont attestées dès le XVIe s., mais les recherches intensives des vestiges archéologiques ont débuté essentiellement au XIXe s. et les premières fouilles eurent lieu en 1839. On doit à C. Koenen (1854-1929) l’identification du camp de légion mentionné dans les Histoires de Tacite sous le nom de Novaesium lors des événements des années 69-70 ap. J.-C. Après un premier sondage en 1887, les longues fouilles de C. Koenen conduisirent, de 1888 à 1900, au dégagement systématique du camp militaire qui conserva par la suite le nom de son inventeur (Koenenlager) et compte parmi les camps légionnaires les plus complètement fouillés de l’empire (fig. 388). Depuis 1955 on a découvert, à l’occasion de vastes opérations de sauvetage, les vestiges de six à sept camps d’époque augusto-tibérienne, dans une zone située à l’ouest du Koenenlager, avec en tout douze à quatorze phases de construction ; le lien entre les tronçons isolés de ces fortifications n’est pas toujours assuré en raison de l’éloignement des secteurs fouillés. Au vu du matériel monétaire et céramique, on situe l’édification du plus ancien des camps (A) de Neuss avant l’offensive de Drusus contre les Germains (12-11 av. J.-C.). À l’inverse des Vetera castra placés au confluent de la Lippe et du camp de Mayence, installé en face du Main, l’un et l’autre bases de départ pour une pénétration vers l’intérieur de la Germanie, les fortifications de Neuss constituaient vraisemblablement des camps de marche dans le cadre d’une situation essentiellement défensive. La multiplicité des camps anciens, avec leurs diverses phases de réaménagement, montre que le site a été occupé par différentes troupes. Faute d’indices, il n’est pas possible de déterminer les unités stationnées ici au début de la période d’occupation. La taille des dispositifs ne peut être qu’estimée dans la mesure où les limites occidentales, et pour une part celles du nord, ne sont pas connues. Alors que le camp le plus ancien (A) était le plus petit dispositif, avec une surface estimée à 13-14 ha, les camps les plus récents (B et F) disposaient d’une surface d’a priori 43 ha et 22-26 ha. La taille indique que l’une de ces enceintes doit être identifiée avec le camp d’été des légions I, V, XX et XXI, mutinées sur le territoire des Ubiens en 14 ap. J.-C. (Tacite, Annales I, 31-37). La découverte de ferrures en bronze appartenant au tribun militaire Plautius Scaeva Vibianus de la Ve légion Alaudae pourrait venir confirmer cette hypothèse. On suppose que la Ie Germanica et la XXe Valeria Victrix étaient, avant le milieu du Ier s. ap. J.-C., stationnées depuis un certain temps à Neuss sans que la chronologie de cette occupation puisse être plus précisément définie. L’épigraphie montre par ailleurs la présence, dans la phase précoce de Novaesium, de deux unités auxiliaires, l’ala Parthorum veterana et la III e cohorte Lusitanorum. La durée de leur stationnement dans l’un des camps de Neuss demeure également indéterminée. 552 FIG. 388 Neuss. Plan général du Koenenlager. 892 Le plan polygonal avec angles rentrants de certains des camps précoces de Neuss est inhabituel dans la fortification militaire romaine et aucune explication plausible n’a été jusqu’à présent avancée. La présence de bâtiments intérieurs n’est archéologiquement attestée que dans les fortifications les plus récentes, c’est-à-dire essentiellement les camps C et F. Dans le camp C (fig. 389) ont été en revanche mis évidence deux grands complexes de bâtiments, interprétés comme des bâtiments centraux par analogie avec des découvertes faites ailleurs (par exemple à Oberaden, Haltern, Marktbreit). Les principia, presque entièrement dégagés, occupent une surface d’environ 6 000 m 2. La cour intérieure est entourée de portiques sur trois côtés ; sur le côté sud se trouvait une basilique à trois nefs, à laquelle succé dait une rangée de pièces. Par l’intermédiaire d’un passage dans l’axe médian des principia, on atteignait un complexe de bâtiments d’au moins 16 800 m2, subdivisé en de nombreux péristyles, cours et longs corridors, mais dont le tracé et la répartition interne ne sont pas complètement déterminés. Il devrait s’agir du praetorium. On a trouvé dans cette zone des vestiges de constructions plus importantes et liées les unes aux autres, qu’on attribue au camp postérieur F (fig. 390). Ces constructions se situent dans l’angle entre le côté oriental, déplacé, et la courtine sud ; elles s’orientent à l’ouest sur une voie de direction sud-ouest/nord-est. Sous ces constructions apparaît un édifice de 93 x 53 m, qui entoure une cour intérieure à portiques de 38 x 29 m ; cet édifice est interprété comme bâtiment à fonction économique (type “à cour”). À côté d’un bâtiment à péristyle, destiné à l’administration ou au logement, s’ajoutent au sud d’autres complexes, également dotés de péristyles, et identifiés comme bâtiments à fonction économique. Au camp D est attribué un entrepôt de plan rectangulaire allongé (long. 24,80 m ; larg. supérieure à 10,80 m) avec dix-neuf solives transversales, dans lequel on reconnaît deux phases d’occupation. Jusqu’à présent nous manquent, dans les camps anciens, des plans de casernes entièrement 553 fouillées, car celles-ci n’ont laissé pratiquement aucune trace dans le sol, en raison sans doute de leurs techniques de construction ou de leur destruction ultérieure par des bâtiments plus récents. La présence d’une section d’enceinte a pu être constatée sur une longueur de 30 m dans l’angle nord-est du camp F. Cette enceinte s’interrompt sur une distance d’environ 10 m, directement devant l’angle du camp, pour constituer visiblement un passage. Le tracé de la fortification, détruit au nord-est par le canal napoléonien, n’a pas pu être suivi. Il s’agit peut-être d’un barrage qui séparait, jusqu’au fleuve, le port romain du camp militaire lui-même. Un autre obstacle, non encore reconnu archéologiquement, devait faire pendant à cette fortification, au nord-ouest. De tels ports protégés sont connus en Germanie inférieure dans le camp de la flotte à Cologne/Marienburg (Alteburg) et dans les points d’appui navals sur le Danube. Au voisinage des camps les plus anciens apparaissent des canabae, dont l’extension et le plan restent mal connus. Les premiers témoins archéologiquement attestés de l’occupation sont des ateliers de potiers, installés en partie à l’intérieur de l’enceinte même du camp. Les tombes de la période ancienne se situaient, d’après l’état de nos connaissances, dans le secteur du Koenenlager postérieur. FIG. 389 Neuss. Bâtiments centraux du camp C. 554 FIG. 390 Neuss. Bâtiments du camp F. 893 D’importants regroupements de troupes, liés à l’occupation de la Bretagne, eurent lieu en 43 ap. J.-C. dans les deux districts militaires de Germanie. Le lieu d’implantation du camp légionnaire Novaesium a été visiblement touché par ces événements : alors que les installations militaires avaient jusqu’alors été érigées au même endroit, un nouveau camp fut construit plusieurs centaines de mètres à l’est, le Koenenlager. À la différence des dispositifs augusto-tibériens, cette fortification présente le plan caractéristique des camps romains –un rectangle allongé aux angles arrondis– inchangé jusqu’à son abandon, malgré la restauration de l’enceinte à trois reprises au moins. Sa longueur s’élève à 570 m et la largeur à 420 m, de sorte que le dispositif occupe une superficie d’environ 24 ha. À l’époque claudio-néronienne, la garnison de Novaesium était tenue par la XVIe Gallica et l’ala Gallorum Picentiana. C’est vraisemblablement sous Claude que le camp légionnaire de Neuss abrita les premiers bâtiments en pierre, ainsi que l’attestent les restes d’une inscription de construction. Nous sommes en revanche très mal informés sur l’aménagement intérieur à l’époque préflavienne car les constructions dégagées lors des fouilles de C. Koenen appartiennent essentiellement aux périodes plus récentes. 894 Les événements survenus à Novaesium lors du soulèvement des Bataves en 69-70 sont rapportés par Tacite ; des tentatives vaines avaient été entreprises depuis ce poste afin de lever le siège de Vetera castra par les troupes de Civilis. Le legatus Augustipro praetore de l’armée de Germanie supérieure, Hordeonius Flaccus, et le légat de la XXII e légion Primigenia, C. Dillius Vocula, furent tués ici par les troupes mutinées. Après que la garnison du camp de Neuss se fut rendue aux troupes révoltées et se fut repliée vers Trèves, Novaesium fut vraisemblablement démoli. La reconstruction eut lieu dès l’année suivante au même emplacement (Tacite, Histoires V, 22, 1). La nouvelle troupe en 555 garnison était désormais la VIe légion Victrix, déplacée depuis la province hispanique de Tarraconnaise, et qui avait participé, sous les ordres de Q. Petillius Cerialis, à l’écrasement de la révolte. Cette légion reconstruisit le camp en grande partie en pierre : le tuf, la grauwacke et le basalte furent les matériaux essentiellement employés. L’espace interne du camp fut divisé par le croisement de deux voies principales (fig. 388). Dans la praetentura, on peut constater la présence, à côté des baraques pour deux cohortes légionnaires, de casernements plus petits pour une troupe auxiliaire ; le bâtiment isolé qu’on y reconnaît était vraisemblablement destiné au logement de leur commandant. Différents horrea et magasins, aux murs extérieurs renforcés par des contreforts, se trouvaient à proximité de la porta praetoria, orientée en direction du Rhin et du port qu’on y suppose ; dans la via sagularis, on reconnaît une fabrica, la façade postérieure contre le mur d’enceinte nord. 895 Des thermes ont été érigés dans la partie droite de la praetentura, le long de la via praetoria. Sur la via principalis, derrière les tabernae, apparaissent des maisons à péristyle d’environ 1 400 m2, destinées aux officiers d’état-major de la légion, ainsi qu’un bâtiment doté d’une cour intérieure allongée, entourée de colonnes, interprétée comme la schola de la 1 re cohorte. Les principia (environ 88 x 81 m) sont situés au centre du camp, dans la retentura ; un deuxième complexe thermal, d’environ 6375 m 2 et de type linéaire, apparaît à l’ouest. L’hôpital militaire d’à peu près 90 x 50 m (valetudinarium) est construit dans le scamnum suivant et le logement du légat de légion d’une superficie de 6800 m2 (praetorium) est placé directement derrière les bâtiments de commandement. Dans la partie postérieure du camp se trouvent d’autres bâtiments à fonction économique, des boutiques et des constructions identifiées comme logements d’immunes. Les baraquements, avec les constructions pour les centurions, forment une couronne le long de la via sagularis’, on compte au total soixante et deux baraques de centuries déduites dans le Koenenlager. 896 À l’extérieur de l’enceinte fortifiée s’étendaient –principalement le long des voies sortant du camp– les canabae legionis avec des maisons allongées bâties sur cave, un horreum, ainsi que des ateliers (potiers, forgerons, briquetiers, etc). On trouve également à cet endroit les nécropoles, essentiellement devant les faces ouest et sud du camp. Une canalisation aérienne en bois, dont le tracé a pu être fouillé sur une longueur de 370 m, transportait l’eau du sud-ouest, sans doute depuis l’Erfi, dans la zone des camps du Haut-Empire et de leurs canabae. L’extrémité de cette canalisation étant inconnue, il n’est pas possible de déterminer quels secteurs du camp étaient ainsi alimentés. Les vestiges de thermes, qui dépendaient vraisemblablement des canabae du Koenenlager et recevaient peut-être l’eau de cette adduction, sont situés à peu près dans l’alignement de la canalisation, au sud du canal napoléonien. En 1925-1926, un complexe de bâtiments d’au moins 125 x 110 m, dont la fonction n’est pas encore définie (thermes, praetorium, mansio), a pu être dégagé entre le Koenenlager (porta principalis dextra) et l’Erfi. 897 La nouvelle stratégie de Trajan, qui déplaça de grands contingents de la frontière du Rhin sur le front du Danube, eut pour conséquence l’abandon de Novaesium. Sans doute vers la fin du Ier s. ap. J.-C. la VIe Victrix quitta la place et prit quartier à Vetera II. Dans le courant du IIe s. apparut, à l’emplacement du camp légionnaire de Novaesium, un camp de troupes auxiliaires (fig. 391) d’environ 3 ha (187 x 165 m), érigé au centre du dispositif abandonné ; ses dimensions ainsi que sa mention sur l’Itinéraire d’Antonin au début du IIIe s., indiquent une unité de cavalerie (ala), dont le nom n’est pas identifié, 556 comme troupe d’occupation. L’enceinte était composée d’un mur en pierre et de deux fossés en V ; l’existence de bâtiments internes n’a pas pu être attestée. La date exacte du retrait des troupes et de l’abandon du camp auxiliaire au IIIe s. ne peut, dans l’état actuel de nos connaissances, être déterminée. Peut-être le remploi d’inscriptions dans les courtines et la présence de tours saillantes indiquent-ils une utilisation militaire au IVe s. FIG. 391 Neuss. Le camp auxiliaire. 898 BIBLIOGRAPHIE [2004] Müller 1975; Petrikovits 1961 ; Rübekeil & Hanel 2002. NEUVILLE-SUR-VANNES/BRÉVIAIRE Aube, France (carte fig. 2) 899 M. THIVET 900 Situé à flanc de coteau, à une altitude de 170 m, cet établissement surplombe la vallée de la Vanne, au sud. Cette enceinte en forme de carte à jouer (forme rectangulaire et angles arrondis) possède des dimensions impressionnantes : 500 m de long par 250 m de large. On peut donc estimer sa superficie à environ 12 ha (fig. 392). 557 FIG. 392 Neuville-sur-Vannes/Bréviaire. Localisation de l’enceinte du camp militaire, sur fond de carte 1/25 000e et orthophotographie IGN du 29/06/00. 901 L’angle sud-est de ce camp a fait l’objet d’un décapage de contrôle lors de travaux autoroutiers (A5). Cette fouille a confirmé la présence d’un fossé correspondant à l’enceinte visible sur les photos aériennes et a accessoirement mis en évidence la présence d’une occupation néolithique à l’extérieur de l’emprise de cette enceinte. 902 La fouille a révélé la présence de deux entrées (ou du moins de deux interruptions de fossé) dans la branche nord-est de l’enceinte. Le fossé s’identifiait au sol par un remplissage bicolore dans le sens de l’axe principal. Sa largeur varie de 1,60 à 3 m. Son profil est principalement composé d’un V au bord évasé, au fond parfois très pointu. 903 Comme pour l’enceinte de Beauregard (Estissac, Aube), seules la forme et la position de cette enceinte permettent de lui attribuer la fonction de camp militaire romain. 904 BIBLIOGRAPHIE [2004] Deffressigne 1992 ; Martin 1992 ; Thivet 2002. NEUWIED/NIEDERBIEBER Rhénanie-Palatinat, Allemagne (carte fig. 8) 905 B. STEIDL 906 Le castellum se situe sur une éminence au confluent entre la Wied et l’Aubach, vers le nord du bassin de Neuwied, à environ 3 km de la rive droite du Rhin. Fortification la plus septentrionale du limes de Germanie supérieure, Niederbieber était particulièrement approprié, en raison de sa position sur le flanc du dispositif militaire, au contrôle de la voie de circulation qui, des moyennes montagnes de l’Eifel et du 558 Westerwald, mène au Rhin, entre les deux provinces de Germanies. Les recherches sur le camp débutèrent à la fin du XVIIIe s. à l’initiative de la princesse de Wied et se poursuivirent jusqu’en 1829. Une deuxième campagne de fouilles eut lieu, avec des interruptions, entre 1894 à 1912 (C. Koenen puis E. Ritterling à partir de 1897). Des fouilles ultérieures, concernant principalement le vicus, furent effectuées sous la direction de H. Eiden et H. Gadenz de 1965 à 1968 et de 1973 à 1974. De petites opérations de sauvetage ont eu lieu récemment à la suite de travaux de construction, sans livrer de données fondamentalement nouvelles. 907 Le camp s’étend sur 265,20 x 198,50 m (5,2 ha) et est, avec une légère déviation, orienté dans le sens nord-sud. Il couvre, en incluant les fossés défensifs, un rectangle de 200 x 150 passus romains (fig. 393). FIG. 393 Neuwied/Niederbieber. Plan général du fort et des restes du vicus (Eiden 1982). 908 Les fortifications montrent une particularité unique sur l’ensemble du limes germanorhétique. Le mur du castellum, de 2,40 m de largeur à sa base et environ 1,50 m en élévation, repose sur des fondations qui descendent à 2,20 m sous le niveau supérieur du sol naturel. Ces fondations dépassent ainsi la profondeur du fossé. Le mur du camp était recouvert d’un crépi blanc avec des joints rouges. Il convient de noter en particulier le saillant des tours, tant aux portes que sur l’enceinte ou aux angles. En outre, les tours de l’enceinte et les tours d’angle sont pleines, tant en élévation qu’au niveau du sol. Toutes les tours portaient des toits recouverts de tuiles. Des pierres de tuf taillées, des fragments de demi-colonnes ainsi que des morceaux d’entablement témoignent de l’ornementation architecturale des portes. Le mur d’enceinte présentait du côté interne une levée de terre d’environ 4 m de large dont la hauteur d’origine doit être évaluée à environ 3 m. Un fossé défensif de 6 à 6,50 m de largeur et 1,50 m de profondeur courait à l’avant du mur, derrière une berme de 5,50 à 6,50 m de largeur, 559 sous la forme d’une fossa punica dont le côté le plus à pic était orienté contre l’ennemi. Le fossé était interrompu devant les portes d’enceinte. 909 Les principia au centre du camp (fig. 394) étaient composés d’une grande salle à l’intersection de la via praetoria et de la via principalis. Une grande cour entourée d’un portique couvert de tuiles suivait plus au nord. La chapelle aux enseignes, au centre de l’aile postérieure, présentait un plan en abside et était décorée de peintures. La plus orientale des pièces réservées à l’administration et aux rassemblements, de chaque côté du sanctuaire, a été identifiée grâce à une inscription comme tabularium. Fait exceptionnel, on a découvert, dans la première salle à l’est du sacellum, à côté d’une statuette avec inscription dédicatoire au génie des vexillarii et imaginiferi, des fragments d’insignes militaires accompagnant un squelette humain. Les pièces barlongues, des deux côtés de la cour des principia, servaient d’armamentaria : on y a découvert en effet des armes et des pièces d’équipement FIG. 394 Neuwied/Niederbieber. Plan général du fort (ORL B, I, 1a, pl. II). 910 Deux horrea rectangulaires (53 x 15 m) avec plancher surélevé se situaient à l’est et à l’ouest des principia, l’horreum oriental ayant été, à une date ultérieure inconnue, transformé en fabrica. Seules les parties en pierre de la maison d’habitation du commandant (praetorium), directement à l’ouest de l’horreum occidental ont pu être appréhendées par les fouilles, ainsi qu’une petite aile réservée aux bains. L’édifice, construit en bois et colombages, devait se poursuivre vers le sud jusqu’à la via principalis. L’existence de certaines surfaces cimentées, de différentes installations de chauffage ainsi que d’une cave a pu être attestée. La construction était dotée de peintures polychromes, de fenêtres munies de vitres et d’un toit recouvert de tuiles. 911 Les thermes du camp se trouvaient, contrairement aux pratiques en vigueur sur le limes germano-rhétique, intra muros, dans la moitié orientale de la retentura. Le plan 560 strictement symétrique occupe un espace de 66,60 x 22,20 m, y compris la grande salle de chauffage au nord, et correspond au type à enfilade, habituel sur le limes. 912 Lors des fouilles, seuls les foyers des contubernia construits en pierre, tuiles et argile ont été reconnus. Leur répartition régulière reproduit la disposition des casernements à l’intérieur de la praetentura et dans la partie orientale de la retentura. Les bâtiments euxmêmes ont été élevés selon la technique de construction en bois et colombage, et dotés, mais uniquement dans les logements d’officiers, de sols cimentés et de salles chauffées. 913 Dans la partie antérieure du camp, les fouilleurs ont interprété comme écuries deux bâtiments d’un même type de construction, mais de plan allongé différent, qui reposent sur des fondations de pierres ramassées sur place. Il s’agit vraisemblablement d’adjonctions. Un bassin de plan absidial, peut-être un abreuvoir, se trouvait au sud du plus grand des deux bâtiments, entre celui-ci et la tour occidentale de la porta praetoria. 914 Depuis E. Ritterling, la construction du castellum de Niederbieber était datée du règne de Commode (après 185). Des recherches plus récentes ont cependant montré que les briques estampillées de la VIIIe légion de Strasbourg, avec l’inscription C(onstans) C(ommoda), et qui étayaient la datation, étaient sans doute remployées. Une statue de Septime Sévère érigée entre novembre et le 9 décembre 193 ou entre le 10 décembre 193 et le 9 décembre 194 pourrait en revanche être mise en relation avec l’inauguration du camp. Il s’agit du témoignage honorifique le plus ancien découvert dans un contexte militaire en faveur de cet empereur ; il se place chronologiquement à une époque où les guerres civiles entre Pescennius Niger, Septime Sévère et Clodius Albinus pour le trône impérial étaient encore loin d’être tranchées en faveur d’un des candidats. Cet état de fait, ainsi que quelques autres points, laissent à penser que l’érection du camp, placée désormais sous Septime Sévère, ne doit pas être interprétée comme mesure de renforcement du système du limes mais replacée dans le contexte des guerres civiles. La situation stratégique favorable, au point de passage naturel le plus important vers la Germanie supérieure, quand on vient du nord, montre bien qu’on s’attendait à un danger dans cette direction où l’on ne peut guère imaginer que la présence de troupes à la solde de Clodius Albinus, à l’époque commandant militaire de la Bretagne. C’est ainsi que l’on peut expliquer les particularités du camp, du point de vue de la technique de construction militaire et de la logistique : les tours saillantes, les fossés placés très en avant, les fondations profondes du mur d’enceinte, les thermes intra muros, le doublement originel de la capacité des entrepôts, le vaste glacis dégagé de toute construction autour du camp montrent en effet que le castellum avait été conçu pour résister à une situation de siège. L’architecture défensive de Niederbieber reflète ainsi une situation politico-militaire d’exception. Des castella sévériens plus récents, érigés à nouveau selon la technique traditionnelle de construction, montrent clairement que Niederbieber ne peut pas, en dépit de nombreuses correspondances, être considéré comme un précurseur direct des ouvrages de fortification de la fin de l’Antiquité. 915 La fin de la forteresse est placée en 260 ap. J.-C. La datation a été fournie par la découverte de trois trésors avec bijoux, récipients en métal et de nombreuses monnaies. Des couches d’incendie et de destruction ont été trouvées dans toutes les parties du camp ainsi que dans le vicus avoisinant, qui couvrait une surface construite d’environ 24 ha. La destruction ainsi que l’abandon du camp et de son vicus ont toujours été mis en rapport avec la prise d’assaut du limes par les Germains. Les découvertes de trésors ont ainsi donné la datation absolue qui a été reproduite sur l’ensemble du limes 561 germano-rhétique. Des études récentes attribuent cependant la destruction du camp à des conflits entre Romains dans le contexte de l’usurpation de Postumus à Cologne en 260 ap. J.-C. 916 BIBLIOGRAPHIE [2004] Eiden 1982, 137-169 ; ORL B, l, 1 a ; Nuber 1990 ; Reuter & Steidl 1997 ; Wegner 1997. 917 NEUWIRTSHAUS → HANAU 918 NIDA → FRANCFORT-SUR-LE-MAIN 919 NIEDERBIEBER → NEUWIED NIDDERAU/HELDENBERGEN Hesse, Allemagne 920 W. CZYSZ 921 La géographie des échanges de la région de la Wetterau est marquée par une ancienne voie de passage, la route Elisabeth qui, depuis la zone d’embouchure du Main, se dirige le long des rivières Nidda et Wetter par une large courbe en direction du nord vers la région de Giessen. Déjà sous le Haut-Empire, cette grande voie servait de ligne de démarcation et de zone de concentration pour diverses opérations ou tentatives d’occupation militaire. Heldenbergen se situe sur un prolongement de cette route qui, dans la région de Francfort, dévie en direction de l’est et, par la vallée de la Nidder, se dirige, en passant au sud du Vogelsberg, vers la Thuringe et l’intérieur des pays germains. La navigabilité de la Nidder a dû également jouer un grand rôle entre le paysage ouvert très anciennement occupé de la Wetterau et la zone de collines du massif du Vogelsberg. 922 L’emplacement du castellum et du site d’occupation a été découvert par Georg Wolff en 1896, à l’occasion de ses recherches sur le limes du Rhin supérieur. Plusieurs campagnes de fouilles concernèrent la mise en évidence des camps en terre 1 (camp polygonal) et III (“petit castellum en terre”) (fig. 395). En 1904, la nécropole, le long de la route d’Okarben, fut en partie explorée. Les premières fouilles de sauvetage eurent lieu en 1973, sous la direction de G. Rupprecht, à l’occasion de travaux de construction sur le secteur romain, à la limite méridionale de Heldenbergen. Elles ont été poursuivies en 1975-1977 et 1978 par W. Czysz. 562 FIG. 395 Nidderau/Heldenbergen : I-II camps de marche, époque de Domitien ; III camp temporaire, époque de Domitien (Czysz 2003, 63, fig. 32). 923 Les critères de géographie militaire ont été déterminants pour le choix du site : en l’espace d’une décennie, trois unités militaires de taille et d’équipement correspondant différents prirent successivement les unes à la suite des autres position sur la Nidder et le passage de la rivière. 924 Pendant l’été 83 ap. J.-C., Domitien dirigea, à partir de Mayence, une campagne contre les Chattes au moyen d’une action militaire considérable. C’est dans ce contexte qu’apparaît le “grand camp” de Heldenbergen I, dont le plan trapézoïdal s’appuie sur la pente de la Nidder. La faible consolidation du talus ainsi que le remplissage du fossé montrent que Heldenbergen I n’a été occupé que peu de temps. Dans la mesure où le type d’utilisation de l’espace intérieur du camp n’est pas connu (tentes, bâtiments spécifiques à usage logistique, emplacement pour le matériel, etc.), aucune donnée ne peut être avancée quant à la taille de l’unité (ou des unités). Il s’agit cependant vraisemblablement d’un commando spécial issu d’une vexillation et non d’une unité constituée. Celle-ci a dû quitter le camp d’été après la campagne de l’année 83 ap. J.-C. et retourner dans ses quartiers d’hiver à Mayence. 925 Heldenbergen II, à l’intérieur du camp de marche I, ne peut également, en raison de la pente inhabituellement abrupte de son fossé en V, avoir été occupé que de manière temporaire comme camp de marche ou camp d’été. Comme, à l’exception d’un bassin dans l’angle sud du camp, l’aménagement intérieur n’est pas connu, les indices de datation du castellum sont rares. Vu l’arrière-plan historique du bellum Germanicum, deux périodes peuvent être envisagées : 926 – après la retraite des troupes dans leurs quartiers d’hiver, en 83, une partie des unités est revenue à nouveau lors de l’été 84 pour occuper les anciennes positions à Heldenbergen I ; 563 927 – on peut aussi penser que le camp II a été érigé lors de l’insurrection du légat de Mayence, L. Antonius Saturninus, en 89 ap. J.-C. 928 De nouvelles mesures de sécurité furent prises dans la Wetterau à la suite de cette expeditio Germanica. Le castellum en terre de Heldenbergen II pourrait s’inscrire dans ce contexte. Sa superficie de 1,1 à 1,6 ha est difficilement comparable avec celle des camps permanents et doit plutôt être considérée comme celle d’un camp de marche. 929 Dans les dernières années du règne de Domitien, de vastes mesures furent prises en vue de la mise en valeur et de la sécurité de la région nouvellement conquise. Heldenbergen III a été construit dans ce cadre. Avec la position sur la Nidder, la fonction défensive se manifeste également au niveau de l’enceinte. Le castellum parvulum est certes, avec une superficie de 0,8 ha, le plus petit en taille, mais il possède un fossé de fortification puissant de 2,5 m, nettoyé à plusieurs reprises. Des traces de poteaux indiquent un aménagement intérieur en bois réalisé en deux phases. Il n’y a pas d’indices quant au type de troupes ou à la garnison du camp. Il est possible d’envisager une vexillation de l’aile stationnée à Okarben ou une unité d’infanterie de la taille d’un numerus. La céramique sigillée fournit une datation pour la fin de l’occupation du camp peu après 100 ap. J.-C., peut-être dans les années autour de 105 ap. J.-C. 930 C’est à l’époque de Domitien qu’apparaît le vicus sous la forme d’un site d’approvisionnement formé seulement de quelques maisons, devant la porta decumana du castellum III (fig. 396). Les premières traces de la présence d’artisans, avant tout de forgerons et de fondeurs de bronze, apparaissent dans ce contexte. Dès cette première génération, le vicus a atteint sa taille définitive. Dès les premières années du règne de Trajan, il occupe déjà une fonction centrale dans la Wetterau orientale, qui profita non seulement de l’aménagement de la frontière et de la construction de nouveaux castella sur le limes, mais également de l’apparition progressive d’implantations rurales. 564 FIG. 396 Nidderau/Heldenbergen. Plan restitué du parcellaire urbain le long de la platea et zone de dispersion du matériel archéologique (Czysz 2003, 71, fig. 36). 931 Les maisons alignées –en grande majorité des constructions en bois– forment un double tracé le long de la voie principale en direction de Marköbel. La présence de bâtiments à usage communautaire, comme par exemple des édifices liés à l’administration, un temple ou des thermes n’est pas attestée. On peut reconstituer, sur une superficie de 2,5 ha, environ quarante-cinq à cinquante maisons privées d’habitation alignées ; cinq maisons en bois situées dans la partie la plus ancienne du village ont fait l’objet, en 1975-1977, de fouilles plus ou moins complètes (fig. 397). FIG. 397 Nidderau/Heldenbergen. Reconstitution des façades (A) et vue de profil (B) des maisons (Czysz 2003, 97, fig. 60). 932 Le vicus a été la victime d’une attaque des Germains dans les années 40 du IIIe s. et a été détruit par le feu. Des fragments de squelettes ainsi que la nature de blessures mortelles dressent un tableau dramatique des combats livrés sur la platea. D’après les pièces d’équipement militaire retrouvées, des unités romaines y ont également pris part. La couche d’incendie est datée, d’après les monnaies (TP 233) et la céramique sigillée, du début des années 40, c’est-à-dire des années de règne de Gordien III. 565 933 BIBLIOGRAPHIE [2004] Czysz 1976 ; Czysz 1980 ; Czysz 2003 ; Rupprecht 1973 ; ORL B II, 3, n o 25. 934 NIGRUM POLLUM → ALPHEN 935 NIJMEGEN → NIMEGUE NIMÈGUE NOVIOMAGUS Gueldre, Pays‑Bas (cartes fig. 3, 6, 7 et 12) 936 J. K. HAALEBOS 937 Des vestiges d’époque romaine s’étendent sur près de 5 km au sud du Waal, sur une moraine exceptionnellement élevée pour les Pays-Bas (jusqu’à 60 m d’altitude). Cette éminence constitue, lorsque l’on vient du sud, la dernière position élevée et hors d’atteinte du fleuve sur la rive gauche du Rhin. L’importance stratégique est encore renforcée par l’intersection à cet endroit de plusieurs grands axes routiers. 938 Le site a porté plusieurs noms : Batavodurum (Ptolémée, Géographie 2, 9, 8 et Tacite, Histoires 20), oppidum Batavorum (Tacite, Histoires V, 19) et Noviomagus (Table de Peutinger, Segment II, 4), plus tard remplacée par Novomansione (C. Th. 1, 6, 6), Noita (Rav. 4, 24), Numaga et Neomagus, à partir duquel les formes modernes Nimwegen et Nijmegen se sont développées. Des inscriptions découvertes à l’extérieur du site de Nimègue mentionnent la civitas Batavorum (CIL XIII, 8771 de Ruimel dans le Brabant-Nord) le vicus (Ulpia) Noviomagus et le municipium Batavorum. Les sutores Noviomagenses sont mentionnés dans une inscription gravée sur une bague découverte voici quelques années. 939 Les deux pasteurs Smetius (père et fils) rassemblèrent au XVIIe s. de grandes collections d’antiquités. Les premières fouilles scientifiques eurent lieu en 1834 dans le secteur de Ulpia Noviomagus (Nimègue Ouest). Depuis 1864 existe une commission municipale pour la conservation des monuments d’histoire et d’art (Commissie ter verzekering eener goede bewaring van Gedenkteekenen van Geschiedenis en Kunst). Les opérations de fouilles dans les premières décennies du XXe s. (nécropole CC, F.M.C. Leydekkers, 1906-1907 ; Kops Plateau et camp légionnaire, J.H. Holwerda, 1915-1921 ; temple de Nimègue Ouest, M.P.M. Daniëls, 1921-1922) restèrent sans suite jusqu’aux années 1950. En 1922, un particulier fonda le musée G.M. Kam afin d’y exposer ses propres découvertes. La collection fut augmentée des collections municipales et des découvertes provenant des fouilles scientifiques. Le musée nouvellement construit (Het Valkhof) dans le centre ville abrite depuis peu la collection exposée au public. 940 Depuis 1957, divers services et instituts opèrent pratiquement sans interruption des fouilles sur le site de Nimègue : le Rijksmuseum van Oudheden te Leiden (H. Brunsting), le Rijksdienst voor het Oudheidkundig Bodemonderzoek te Amersfoort (J.H.F. Bloemers, W.J.H. Willems), le département d’archéologie provinciale romaine de l’Université catholique de Nimègue (J.E. Bogaers, J.K. Haalebos), la section archéologique du service de développement urbain de la commune de Nimègue (J.R.A.M. Thijssen). Les recherches se sont d’abord concentrées sur le camp de la Xe légion Gemina, puis se sont dirigées vers les environs du camp et vers d’autres sites, comme le Kops Plateau, le centre ville et la ville romaine de Nimègue-Ouest. 566 L’expansion urbaine au nord du Waal donnera lieu, dans les années à venir, à des fouilles extensives dans les secteurs ruraux moins romanisés. 941 Les dispositifs militaires du début de l’époque impériale et du Principat se situent avant tout dans la partie orientale de la ville, sur le Hunerberg et le Kops Plateau à l’est. Le centre de l’implantation se déplaça au IVe s. en direction du centre ville actuel, où une fortification fut bâtie sur le Valkhof. Le grand camp sur le Hunerberg Le camp augustéen FORME ET SITUATION DU CAMP 942 Les constructeurs ont essayé, dans la mesure du possible, d’adapter le tracé du camp polygonal (42 ha) au plan du terrain (fig. 398). Le front nord a été déterminé par le versant abrupt. Les deux angles nord de la fortification étaient protégés par deux petites vallées, le Beekmandalseweg à l’est et le Vrouwendal à l’ouest. Les fossés défensifs méridionaux marquent la limite du camp, qui s’incline légèrement vers le sud, et servent de transition avant un versant abrupt qui est aujourd’hui, malgré les constructions modernes, toujours visible dans la topographie urbaine. La légère pente du terrain a également déterminé l’emplacement des dispositifs défensifs occidentaux. FIG. 398 Nimègue. Grand camp augustéen sur le Hunerberg. dessin E.J. Ponten et F.A.Q.M. Vermeer LES DÉFENSES 943 • Les fossés 567 944 H. Brunsting a réalisé devant la porte d’enceinte orientale les premières coupes au travers des deux fossés défensifs du camp le plus ancien. Les tessons découverts dans le remplissage, ainsi que deux sépultures déposées au milieu du Ier s. à l’intérieur du fossé interne, alors remblayé, datent ces deux fossés de l’époque augustéenne. Le fossé externe était interrompu devant la porte et présentait un passage de 12,5 m de large. Aucun indice d’un pont en terre n’a été découvert. Ce dernier pourrait cependant avoir été déblayé lors du creusement du fossé défensif flavien de la période 4, visiblement observé de manière incorrecte. 945 La largeur du fossé interne s’élevait au maximum à 7,50 m, elle semble pourtant, en règle générale, ne pas avoir dépassé 5 m. La profondeur atteignait le plus souvent à peine 2 m. À un seul endroit, où le côté interne du fossé se situait nettement plus haut que le côté extérieur, la profondeur devait être d’environ 3 m. L’inclinaison des versants variait dans les différentes coupes entre 40° et 58°. La berme devait avoir une largeur d’environ 1,80 m (6 pieds). Le fossé externe, de forme légèrement plus évasée, à l’origine, est à peine moins profond. Il a été vraisemblablement remblayé de la même manière. 946 Les fossés défensifs sur le côté occidental du camp ont été fouillés dans les années 1992-1996. Ils semblent être restés longtemps ouverts et avoir servi de canal d’évacuation pour les eaux de pluie. Le fossé externe a été fouillé sur environ 100 m, le fossé interne sur plus du double. Les deux fossés étaient vraisemblablement interrompus, au niveau de la porte occidentale, par un pont en terre de près de 14 m de largeur d’où sortait la via principalis. Sur le côté intérieur du fossé interne se trouvait un fossé étroit qui fermait le passage et rappelle les petites tranchées transverses à l’extrémité des fossés de Haltern devant les portes est et nord. Les deux extrémités des fossés étaient rectilignes. 947 À l’époque flavienne, la zone des fossés fut visiblement utilisée comme dépotoir. Le fossé interne avait une largeur maximale de 6 m et une profondeur de 2,30 m. Les versants de ce fossé en V présentaient une pente de moins de 40°. La présence, jusqu’à une grande profondeur de tessons de céramique flavienne et de fragments de tuiles, prouve que le fossé ne fut aplani qu’à l’époque flavienne. Les remplissages des fossés étaient couverts de couches de détritus et, dans la partie septentrionale, d’une couche d’incendie de l’époque des canabae de la Xe légion. 948 • La porta principalis dextra 949 Fouillée en 1960 par H. Brunsting, celle-ci a la forme d’une pince et est composée de deux tours rectangulaires de chacune huit poteaux, reliées en hauteur par un passage porté par quatre poteaux. En façade, les tours étaient flanquées vers l’extérieur de paires de poteaux qui constituaient la liaison avec le rempart. Un fragment de céramique arétine (service II) a été mis au jour dans l’un des trous de poteau. 950 • La porta principalis sinistra 951 La porte occidentale a été repérée lors de tranchées en 1918 par J.H. Holwerda et entièrement dégagée en 1992-1994. Elle avait la même forme et les mêmes dimensions (25,20 x 9 m) que la porte orientale. Dans chacun des deux passages latéraux ont été découverts des trous de poteau qui pourraient être interprétés comme partie du système de verrouillage et montrent que la porte disposait de deux passages. On a également dégagé, entre les fosses, des gros poteaux de la construction d’origine, des fosses moins profondes, témoins de réparations. Dans l’un des trous de poteau a été 568 découverte la seule monnaie à l’Autel de Lyon qui peut, non sans quelque difficulté, être mise en relation avec le camp de la période 1. 952 • Le rempart défensif et les tours 953 Pratiquement aucune trace du rempart n’a pu être mise au jour. On a simplement observé au nord de la porta principalis sinistra des fondations constituées de branches couchées les unes à côté des autres. Le tracé du rempart n’était ensuite reconnaissable que grâce aux tours. Un écart d’à peine 24 m (soit 80 pieds) séparait ces dernières sur le côté occidental de la fortification. Les tours pratiquement carrées (3,60 x 3 m) étaient composées de quatre poteaux. Les trous avaient 1 m de profondeur et montraient souvent la trace colorée des poteaux, parfois calés par des pierres. L’AMÉNAGEMENT INTÉRIEUR 954 Les vestiges de l’aménagement intérieur sont recouverts par de nombreuses constructions et fosses ultérieures du camp et des canabae flaviens. Il est donc assez difficile de reconstituer l’organisation du camp augustéen. La vue d’ensemble proposée ici de la moitié occidentale offre néanmoins une cohérence satisfaisante. L’exploitation des vestiges manque encore pour la moitié orientale. On peut reconnaître les bâtiments en bois suivants. 955 • Les principia (1) 956 Les fouilles de cet édifice sont trop réduites pour autoriser une interprétation fiable. Les vestiges découverts –une tranchée de fondation et une série correspondante de trous de poteau– laissent penser que l’on a affaire ici à la cour péristyle du bâtiment de commandement. L’absence de pièces latérales sur les côtés de la cour semble être une caractéristique des bâtiments de commandement augustéens. 957 • Un praetorium (2) ? 958 Le plus grand corps de bâtiment découvert jusqu’à présent présente une longueur de près de 60 m soit 200 pieds et est constitué d’une maison pratiquement carrée de 36,50 x 35,50 m avec une cour péristyle adjacente au sud (environ 36,50 x 24 m). Les pièces d’habitation sont disposées autour d’une deuxième cour (environ 14,50 x 12 m) et d’une cour intérieure plus petite (environ 5,50 x 5,50 m). L’entrée principale devait se trouver sur le côté occidental. Le plan est caractérisé non seulement par les deux cours intérieures, mais aussi par les longs corridors qui séparent les différents groupes de pièces les uns des autres. 959 Le bâtiment correspond en dimensions aux logements des tribuns de légions qui, autant qu’on le sache, n’ont jamais dispose de péristyle à proximité de la maison. La division est comparable à celle du praetorium plus petit d’Oberstimm qui abritait, à l’époque claudienne, une unité d’auxiliaires. Le bâtiment de Nimègue semble cependant trop petit pour un praetorium de légion si on le compare aux camps classiques du Principat. Mais ses dimensions (avec le péristyle) sont comparables aux praetoria récemment fouillés d’Oberaden, Anreppen et Marktbreit qui présentent, dans certains détails (par exemple l’entrée du praetorium d’Oberaden), de grandes similitudes avec le bâtiment de Nimègue. 960 Si l’on considère la taille du camp, on est en droit d’attendre à Nimègue la présence de deux commandants de légion et peut-être également d’un commandant suprême, 569 disposant chacun d’un logement. On pourrait ainsi expliquer la position excentrée du praetorium par rapport aux principia. 961 • Les maisons des tribuns (3-6) 962 Quatre maisons carrées ou rectangulaires dont la surface varie 2 2 entre 240 m et 540 m ont été découvertes sur le côté méridional de la viaprincipalis, à l’ouest des principia. Il semble s’agir de maisons d’habitation, peut-être celles des tribuni militum, bien que leurs logements, à une époque postérieure, fussent situés normalement sur la via principalis, dans la praetentura. L’espace laissé libre suffit pour ajouter deux autres maisons à celles qui sont connues à cet endroit et loger ainsi les six tribuns d’une légion. Les maigres vestiges découverts entre les maisons 3 et 4 ne semblent cependant pas conforter cette hypothèse. 963 • Les baraquements (7-17) 964 À l’exception de quelques vestiges épars qu’il est difficile d’interpréter, la plupart des constructions restantes correspondent très vraisemblablement aux logements des troupes. C’est près du rempart occidental que la situation est la plus évidente. On a trouvé à cet endroit les casernes de deux cohortes situées l’une en face de l’autre, avec leurs constructions de tête pratiquement carrées (environ 9 x 9 m) et placées le long d’une voie de 18 m de large. Pour chaque cohorte ont été mis au jour cinq logements de centurions, constitués d’une baraque simple et de deux baraques doubles. La baraque manquante de la sixième centurie doit se situer dans le secteur encore non étudié à l’est de la fouille. Chaque cohorte disposait probablement d’une surface de 64 x 60 m, soit environ 200 x 200 pieds. 965 Diverses maisons possèdent des latrines du côté de la rue. De grands espaces, interprétés comme cours, viennent derrière les logements des officiers. Dans au moins un baraquement, les logements de troupes sont reconnaissables à la tranchée de fondation d’un mur de séparation entre les deux moitiés du bâtiment. 966 Dans la plupart des cas restants, seuls les vestiges des logements d’officiers ont pu être dégagés. La longueur des baraques ne peut être le plus souvent que supposée au vu de la série de fosses qui lui est associée. OCCUPATION ET DATATION 967 Le matériel épigraphique est absent. La taille du camp et les baraquements découverts indiquent la présence de légions. Des pointes de flèches et des balles de fronde, malheureusement trouvées hors contexte stratigraphique, ont pu être utilisées par des soldats auxiliaires, mais cela ne prouve pas la présence de ces troupes. Si l’on en croit sa grande superficie (42 ha), le camp doit être considéré comme un camp permanent qui a joué un rôle pendant une offensive et abrité au moins dix mille hommes. 968 D’après la céramique, le grand camp a dû être occupé à l’époque d’Oberaden ou quelques années plus tôt. Parmi les rares estampilles sur céramique sigillée se trouvent des pièces qui appartiennent à l’horizon le plus ancien de Neuss. La série monétaire est déterminée principalement par des monnaies de Vienne et de Copia ainsi que des as de Nîmes de la première série. Une seule demi-monnaie de l’Autel de Lyon a été découverte, et dans des conditions sujettes à caution. 969 La datation du camp dans la deuxième décennie avant notre ère, sur la foi de ce mobilier, ou plutôt en 12 av. J.-C. lors du premier passage de Drusus sur le Rhin 570 inférieur, dépend de l’interprétation que l’on fait du passage de Dion Cassius (54, 32) qui suggère que cette partie de la frontière a été pour la première fois occupée par Drusus avec des troupes romaines. La mort de Drusus en 9 av. J.-C. a cependant provoqué sans aucun doute l’abandon du camp. 970 Les céramiques sigillées de la fin de l’époque augustéenne dans l’angle nord-est du site pourraient prouver l’existence temporaire d’un petit camp. Des indices supplémentaires manquent aujourd’hui encore et il peut tout aussi bien s’agir, comme dans le cas du Kops Plateau, d’un déplacement de dépotoir. Ces découvertes doivent donc être interprétées avec beaucoup de précaution. Le camp flavien (fig. 399) 971 Après le soulèvement des Bataves, une nouvelle garnison fut stationnée à Nimègue, dont la mission n’était plus de conquérir les Germains mais de surveiller le pays des Bataves. Cela a déclenché visiblement une intense activité de construction, les vestiges archéologiques semblant attester de l’existence de quatre, voire cinq camps, dont la superficie pourrait varier entre 15 et 30 ha. Des camps les plus anciens (périodes 2 et 3), seuls les fossés sont connus. On ne sait pas toujours s’il s’agit de fossés de défense ou bien d’évacuation des eaux. Parmi les dispositifs les plus récents, seul le plan du camp en pierre de la période 5 a été dégagé. Le plan du camp en terre et bois (période 4) est à l’heure actuelle encore très incomplet, dans la mesure où les rapports de fouilles de plusieurs décennies n’ont pas encore été exploités. Seul est ici traité le camp de la période 5. FIG. 399 Nimègue. Le camp flavien de la période 5 sur le Hunerberg, par dessus le camp augustéen. dessin E.J. Ponten et F.A.Q.M. Vermeer 571 FORME ET SITUATION DU CAMP 972 La forteresse (460 x 348 m) a été érigée dans l’angle nord-est du camp augustéen et utilise les mêmes avantages stratégiques que l’installation antérieure, le versant abrupt sur le côté nord et la vallée du Beekmandalseweg sur le côté est. La forme de cette vallée explique le tracé du rempart à proximité de la porte orientale, d’autant plus remarquable que le camp offre par ailleurs un plan pratiquement rectangulaire. Les deux côtés n’ont simplement pas un tracé strictement parallèle. 973 Le camp est orienté le long de la pente abrupte, située du côté ennemi, c’est-à-dire le pays Batave. La porta praetoria se situait par conséquent à un emplacement très défavorable et ne pouvait pratiquement pas être utilisée en raison de la rupture très forte de pente. On a pourtant construit sur la face interne de cette porte trois horrea. Les provisions devaient sans doute être transportées sur un ancien bras du fleuve, aujourd’hui disparu, jusqu’au pied du Hunerberg et de là, en gravissant la pente, jusqu’à l’intérieur du camp. La superficie –un peu plus de 16,5 ha– est plutôt réduite pour une légion complète. LES DÉFENSES 974 Les recherches sur les faces est et ouest nous donnent les meilleures informations sur le fossé. La largeur atteignait moins de 4 m, et ne dépassait 10 m qu’à l’est, où le fossé se terminait dans une vallée creusée sur le bord de la moraine. Les versants étaient en pente beaucoup plus douce que d’habitude. Les bords du fossé, inclinés à 50-60°, étaient revêtus de mottes de gazons. Ces dernières avaient une largeur de 30 cm et une épaisseur entre 6 et 10 cm qui déterminait l’épaisseur du revêtement. La longueur des mottes de gazon est difficile à déterminer ; elle devait varier entre 30 et 50 cm. 975 Le pollen découvert dans le gazon montre que les mottes n’ont pas été découpées dans la plaine alluviale du Waal mais dans le sable du Hunerberg, à proximité du camp. Le terrain semble avoir été, quelques décennies auparavant, complètement déboisé. La végétation s’était apparemment en partie reconstituée et était formée de pousses isolées d’arbres (bouleaux, chênes et noisetiers), mais surtout d’herbes et de genêts. 976 Parmi les quatre portes du camp, la porta praetoria a été observée en coupe et la porta principalis dextra entièrement fouillée. Les vestiges des fondations n’étaient pas très lisibles mais ont autorisé la reconstitution d’un dispositif de porte de 19,50 x 9,25 m, composé de deux tours rectangulaires reliées par deux salles pratiquement carrées. La pièce septentrionale semble avoir disposé d’une porte vers l’extérieur. Le mur de la pièce méridionale manquait du côté du camp. La via principalis débouchait sur cette dernière ouverture. On doit ainsi supposer que la porte n’avait qu’un seul passage. 977 Une fondation massive, d’abord interprétée comme celle d’un mur de protection ou mur-bouclier, se situait en travers de la façade de la porte. On doit plutôt voir dans ces fondations la partie inférieure d’un canal d’évacuation des eaux, desservant la pièce rectangulaire située au sud de la porte (latrines réservées aux troupes ?). 978 Du mur d’enceinte ne subsiste que la tranchée de fondation contenant un remblai de tuf et de mortier ainsi que de la glaise grasse et bleue. Le mur devait avoir une largeur d’environ 1 m et était doté, sur le côté interne, de contreforts placés à peu près à 3 m les uns des autres et soutenant peut-être un chemin de ronde en bois ou en pierre d’une largeur de 1,50 m. Des tours carrées (4,50 x 4,50 m) s’élevaient pratiquement tous 572 les 50 m derrière le mur. La tour d’angle nord-est était plus grande que les autres, sans doute bien plus qu’elle n’apparaît sur les plans publiés. LES BÂTIMENTS INTÉRIEURS 979 • Les principia 980 Le bâtiment de commandement d’environ 87 x 65 m est constitué d’une basilica (environ 47 x 23 m) et d’une grande cour entourée sur trois côtés de pièces de dimensions plus réduites. A l’exception de l’aile qui borde la via principalis, l’édifice est construit suivant un plan parfaitement symétrique. Les façades sont (partiellement ?) agrémentées d’un portique. Dans le secteur oriental, celui-ci est formé de colonnes reposant sur un même stylobate. À l’ouest, la colonnade fait place à de larges et profondes fondations qui devaient porter un mur aveugle. Ce dernier devait être, pour des raisons de symétrie, doté de demi-colonnes. Au centre apparaît une entrée monumentale, caractérisée par des fondations particulièrement massives en mortier. À proximité de l’entrée s’élèvent de lourds socles qui portaient sans doute des statues. Trois estampilles de la Xe légion Gemina ont été découvertes dans les fondations en terre glaise d’une de ces bases. L’une d’entre elles portait l’épithète honorifique de Pia Fidelis (après 88 ou 96 ap. J.-C.). 981 Différentes bases destinées à des statues se trouvaient dans la cour. Une rangée de salles, avec l’aedes au centre, apparaît derrière la basilica. L’ aedes est souligné sur l’arrière par une construction flanquée de deux petites pièces. Il semble qu’une salle étroite, dans la partie arrière de l’aedes, ait été isolée au moyen d’un mur transversal. Il n’y avait pas de cave. La fonction de cette dernière a pu être assumée par les deux petites pièces latérales. 982 Dans la pièce d’angle nord-est, près de la via principalis, se trouvait un radier de glaise et de gravier présentant les traces d’un mur en élévation, qu’il est possible d’interpréter comme sol d’un réservoir d’eau (?). 983 On a découvert en divers endroits, sur le côté extérieur de l’édifice, des fondations d’arcs-boutants ou de demi-colonnes. Des morceaux de calcaire travaillés provenant de colonnes ainsi qu’un bucrâne à l’état fragmentaire sont les seuls vestiges d’une riche décoration. Les briques estampillées portant le nom de la X e légion Gemina Pia Fidelis sans l’attribut Domitiana, ainsi que la marque de la vexillatio Britannica, de la VIIII e légion Hispana et de la XXX e légion Ulpia Victrix peuvent indiquer que, jusqu’à une époque tardive, des travaux furent opérés sur l’édifice. 984 • Le praetorium 985 Le logement du commandant de la légion n’a, jusqu’à présent, pas été retrouvé. Un large espace derrière les principia n’a cependant pas encore été fouillé. L’existence du valitudinarium est probable à l’ouest de cet espace. 986 • Les maisons des officiers équestres 987 Dans l’angle oriental, entre les deux voies principales du camp, se situent trois maisons à peu près carrées, disposant sans doute chacune d’une cour intérieure. D’après leur situation et leur forme, il s’agit vraisemblablement ici de logements destinés à des officiers de grade élevé. Les deux plus petits ont dû appartenir aux tribuni angusticlavii, le plus grand, avec une place laissée libre à l’arrière et un bâtiment annexe (baraquement de troupes ?), peut avoir servi de logement au laticlave ou au praefectus 573 castrorum. Cette dernière maison disposait de deux hypocaustes. La maison la plus orientale possédait, en sus d’un hypocauste, des latrines dans l’angle nord-est, desservies par un canal placé juste à l’arrière du bâtiment. De petits fragments de maçonnerie en tuf ont été observés au niveau de ces deux constructions. La décoration devait être relativement riche. De nombreux fragments de peintures murales ont été découverts. Les briques estampillées mises au jour indiquent une activité de construction à la fin du règne de Domitien et au début de celui d’Hadrien. 988 • Les baraquements des troupes 989 On a mis au jour les casernements pour six cohortes qui, à l’exception de celui de la 1 re, étaient en général rassemblés en groupes de six baraques. Il est possible de distinguer trois catégories de baraquements. 990 Les logements de la 1re cohorte se situent dans la partie droite de la praetentun., presque sur la via principalis, séparés de celle-ci par une rangée de tabemae. Elles se distinguent des autres casernes par les logements plus grands pour les officiers (500 m 2), disposant tous d’une cour intérieure et séparés des véritables logements de troupes. La cohors prima n’était visiblement constituée que de cinq centuries dont la première, commandée par un primipilus, avait le double de l’effectif des autres. La maison du primipilus était presque aussi grande (720 m 2) que la maison des tribuni. Des séries de pièces, interprétées comme réduits, apparaissent entre les casernes de la 1 re cohorte. 991 Les baraques des autres cohortes présentent de nombreuses similitudes. On a employé aussi bien des baraques simples que des baraques doubles. Les 1 re et 6e centuries sont en général logées dans des baraques individuelles, et les quatre du milieu dans des baraques doubles. Dans la partie droite de la retentura, on a construit des baraques individuelles à la place des baraques isolées, séparées par des ruelles étroites. La longueur (66-72 m) ainsi que le nombre des contubernia (8-11) est variable. Les baraques qui ont le moins de contubernia sont dotées, à l’extrémité opposée à la construction de tête, de salles spéciales dont la fonction n’a pas pu être déterminée. Sur ce côté, la voie, normalement bordée de colonnes de bois entre les baraques, le spatium conversantium, se terminait par un mur. Elle prenait ainsi l’aspect d’une cour allongée. Toutes les baraques sont orientées avec leur construction de tête vers l’intervallum. Avec une superficie d’environ 280 m2, les logements de centurions sont nettement plus petits que ceux de la 1re cohorte. Leur entrée se trouvait sur le côté. Ils étaient installés autour d’un espace central, vraisemblablement une cour intérieure, qui était reliée avec l’extérieur par un corridor en forme de L. 992 Des baraquements individuels se trouvent à côté des grands horrea et au sud des principia. Le premier cité est un baraquement de forme habituelle, avec onze contubernia, qui pourrait avoir hébergé des immunes employés dans l’administration des horrea. Dans l’un des arma de ce baraquement, un foyer en briques a été mis au jour sur lequel on a découvert un sceau de la XXXe légion de Xanten. Le bâtiment devait par conséquent être au moins utilisé autour de 120. Les deux baraquements au sud du bâtiment de commandement ont une forme particulière en raison de la disposition alternée des contubernia. Les arma se situent une fois à droite, une fois à gauche. La présence d’un bâtiment de tête n’a pas été observée jusqu’à aujourd’hui. Si l’hypothèse se vérifie que le praetorium doit être recherché derrière les principia, il est vraisemblable que les deux baraquements abritaient une troupe de garde du commandant de légion. Des logements semblables pour une garde du corps ou un état-major se trouvent à proximité de deux logements destinés à des officiers équestres. 574 993 • Les bâtiments à fonction économique 994 Il existe, à côté des maisons d’habitation et des principia, un groupe de constructions spécifiques qui ont eu dans l’ensemble une fonction économique. Il s’agit de deux constructions isolées et de deux secteurs où se concentraient d’une part la conservation des denrées alimentaires, et de l’autre des activités artisanales. Ces ateliers étaient hébergés à l’extérieur de l’alignement des baraquements dans une saillie du camp, au nord de la porta principalis sinistra. Un système de canalisation d’eau était raccordé à partir de cet endroit. 995 Trois horrea de type classique avec murs épais et contreforts se situent près de la porte principale. L’horreum oriental (horreum II), dont le sol était porté par cinq rangées de piliers (2 x 1 m), a été fouillé aux deux tiers (40 x 14 m) et semble avoir présenté sur le côté sud une sorte de plate‑forme de chargement. Les tranchées de fondation étaient exceptionnellement imposantes, avec une profondeur supérieure à 1,40 m. Les deux autres ne sont apparues qu’en coupe. Les estampilles de la Vexillatio Britannica figuraient sur des fragments de tuyaux circulaires de canalisation d’eau, qui pourraient avoir été utilisés pour l’aération de l’horreum à moins qu’ils n’aient été simplement mélangés au mortier. 996 Le grand bâtiment près des principia (78 x 46 m) n’est rien de plus qu’une cour entourée de séries de petites pièces. Les murs, d’une largeur de 1,25 m, étaient particulièrement épais. Aucune preuve convaincante ne permet d’interpréter ce bâtiment comme armamentarium. D’après le type de construction, il pourrait s’agir d’un magasin. 997 L’édifice conservé à l’état incomplet dans l’angle sud-ouest du camp a été interprété, en raison de son plan compliqué, comme bâtiment à fonction économique, du type bazar, Il reste à déterminer s’il s’agit d’un magasin ou d’un atelier. 998 En raison de sa cour intérieure, on a initialement interprété l’édifice situé dans l’angle nord-est du camp comme un diversorium. On s’attendrait plutôt à trouver un édifice de la sorte à l’extérieur du camp. Des découvertes abondantes de scories laissent penser qu’il existait à cet endroit un atelier de travail des métaux. Cette fabrica était reliée, par l’intermédiaire d’une cour non murée, à un deuxième atelier qui semble avoir pris la forme d’une grande salle double, la partie orientale correspondant en fait à un agrandissement ultérieur. Les piliers de soutien sur le côté interne du mur laissent croire à une construction lourde et peut-être haute. H. Brunsting voulait voir dans ce bâtiment un magasin d’artillerie mais envisageait également la possibilité, en raison des nombreuses scories, de l’existence d’une forge. 999 Plus au sud se trouve, entre le puits et la porte d’enceinte orientale, un petit bâtiment en forme d’appentis dont la fonction n’est pas déterminée. 1000 • Alimentation en eau, canaux et latrines 1001 Le camp disposait –autant que nous le sachions– d’un seul puits. Celui-ci était tellement profond que le fond n’a pas pu être atteint. Il semble qu’il y ait eu un coffrage en bois réalisé en deux temps. Le bord supérieur était composé de plusieurs assises de tuf. L’installation était recouverte par un appentis (16 x 15 m). L’eau du puits était versée au moyen de seaux dans un réservoir ou château d’eau voisin, dont subsistait le sol épais en opus signinum portant les empreintes de grandes dalles de tuiles et encadré par des fondations carrées (environ 10 x 9 m). Les tuyaux de la canalisation d’eau étaient pour certains en plomb, pour d’autres en bois. Seuls les anneaux de jonction en fer des derniers ont été conservés. Ces tuyaux ont permis de faire circuler l’eau sous pression, 575 ce qui était indispensable en raison de l’élévation du terrain en direction du nord. La canalisation se ramifiait. Une ramification conduisait le long du côté septentrional des baraquements jusqu’aux grands horrea et jusqu’au canal d’évacuation situé à cet endroit ; l’autre suivait l’intervallum et alimentait le réservoir à proximité des latrines du mur nord. Le camp était entouré d’un canal, partout arasé, ce qui explique que les fouilleurs ont d’abord cru trouver les fondations d’un mur épais, qui devait protéger les bâtiments des tirs de l’ennemi. Le sol en tuiles de ce canal a été découvert en 1974 sur le côté occidental du camp, ce qui a livré la véritable explication. On a ainsi pu constater que les eaux usées étaient canalisées vers l’ouest grâce à une interruption dans le fossé défensif jusqu’à une distance de 300 m au moins à l’extérieur du camp. 1002 C’est au niveau d’un canal latéral dans les canabae occidentales que la structure de ce canal peut être observée de la meilleure façon. La largeur intérieure s’élevait à 90 cm (3 pieds). La face interne du mur encore en élévation sur plus de 1 m était composée de blocs de tuf rectangulaires soigneusement travaillés, dont la face postérieure était souvent taillée en pointe. Les bords supérieurs du mur montraient des élargissements sur lesquels se trouvaient des restes de mortiers. Le sol se situait à 1,60 m sous le niveau de la voie romaine et était entièrement revêtu de tuiles. On a découvert des estampilles de la Xe légion Gemina, entre autres avec l’épithète Pia Fidelis Domitiana, ce qui donne un indice pour la datation du canal (et du camp ?). Sol et mur du canal reposaient sur une couche épaisse de 10 cm de glaise grasse et bleue et de graviers, sur laquelle le mortier avait été coulé. Une monnaie d’Hadrien, entre autres, a été trouvée dans le remplissage. Le canal a-t-il réellement eu un tracé circulaire fermé ? Cela est douteux. Il existait au moins une interruption à l’extrémité orientale de la via principalis. Une deuxième dérivation partait également sur le côté sud de la porte d’enceinte orientale, en direction de l’extérieur. Des sections plus réduites d’un canal semblable ont également été découvertes en différents endroits à l’intérieur du camp : au nord du magasin près des principia, et sur la face postérieure des deux maisons de tribuns. 1003 Des latrines pour les troupes existaient au niveau du mur nord et au sud de la porte d’enceinte orientale. Leur fonction est confirmée par la présence d’un réservoir alimenté par une canalisation d’eau ou bien par un canal d’évacuation. Il s’agit de petites constructions rectangulaires. Deux cohortes devaient se partager les latrines. OCCUPATION ET DATATION 1004 Aucune trace n’a été jusqu’à présent relevée à Nimègue de la IIe légion (Adiutrix) mentionnée dans les Histoires de Tacite (V, 20, 1), à la fin du soulèvement des Bataves à Batavodurum. La X e légion Gemina a vraisemblablement dû être, peu de temps après la fin de la révolte, déplacée de Rindern (Arenacium) vers Nimègue, où son séjour est attesté par de nombreuses inscriptions et briques estampillées. Elle reçut le nom honorifique Pia Fidelis Domitiana après la révolte de Saturninus pendant l’hiver 88-89 ap. J.-C. Elle fut ensuite déplacée sur le Danube autour de 104 ap. J.-C. Les estampilles témoignent également de la présence de la vexillatio Britannica, de la IX e légion Hispana et sans doute d’une partie de la XXXe légion Ulpia Victrix, qui, à partir de 120 ap.J.-C., était stationnée dans le camp voisin de Vetera II (Xanten). Dans le cas d’autres marques, il semble qu’il s’agisse plutôt de matériel (réutilisé) provenant d’autres sites (Xanten et Neuss ?) (TRA [=Tegularia Transrhenana ?], legio V Alaudae, legio VI Victrix, legio XV Primigenia et legio XXII Primigenia) ou de tuiles fabriquées à partir du règne d’Hadrien, dans la briqueterie centrale de l’armée de Germanie inférieure à De Holdeurn. 576 1005 Il est évident que l’activité militaire doit être datée essentiellement de la période flavienne et que le transfert de la Xe légion Gemina vers la zone danubienne autour de 104 ap. J.-C. a constitué une coupure nette dans l’histoire de l’occupation du site. Cependant, la présence d’une (petite ?) implantation jusqu’à l’époque d’Hadrien est probable, en raison non seulement des briques estampillées découvertes, mais également du mobilier céramique et monétaire. 1006 Le camp de légion et les canabae correspondantes occupaient, à l’époque flavienne, une parcelle de 1,5 à 2 km. La superficie habitée peut être évaluée à 100 ha, voire plus. Les maisons des canabae avaient été construites le long du prolongement des voies principales du camp, de façon certaine le long de la prolongation de la via principalis vers l’est et l’ouest. La situation au sud du camp à l’extérieur de la porta decumana reste floue. Un édifice avec cour intérieure que l’on aimerait identifier comme mansio ou praetorium a été dégagé à l’extérieur de la porte d’enceinte occidentale. 1007 De vastes nécropoles se situaient à la périphérie orientale et méridionale de l’implantation et recouvraient partiellement d’anciens vestiges d’occupation. Le Kops Plateau Situation et forme 1008 Le Kops Plateau constitue le point le plus oriental et, 64 m au-dessus du niveau de la mer, le point le plus élevé de la moraine de Nimègue dans le secteur urbain actuel. Il présente les mêmes avantages stratégiques que le Hunerberg, mais la surface d’implantation, limitée par deux vallées, est nettement plus réduite. La fortification romaine occupait uniquement les parties les plus hautes du plateau. Elle est éloignée d’environ 400 m du grand camp. 1009 Le camp (fig. 400), fouillé entre 1986 et 1995 par le Service national de l’archéologie sur près des deux tiers de sa superficie, s’adaptait, avec sa forme triangulaire, à la configuration du terrain. Il a été possible de distinguer trois camps présentant à peu près le même plan, mais de tailles différentes : 3,5 ha, 4,5 ha et 3,75 ha. La présence de quelques annexes a pu être observée avec plus ou moins de certitude à l’extérieur du camp. 577 FIG. 400 Nimègue. Le Kops Plateau au début de l’Empire (de 15 av. J.-C. à 70 ap. J.-C.) : 1 fossé (de 10 av. J.-C. environ à 10 ap. J.-C. environ) ; 2 fossé (de 10 ap. J.-C. environ à 35 ap. J.-C. environ) ; 3 fossé (de 35 ap. J.‑C. environ à 70 ap. J.-C.) ; A praetorium ; B horreum ; C principia ; D écuries au sud du fort. dessin Rob Mols 1010 Deux voies perpendiculaires ont déterminé le tracé du plan. Si les principia sont réellement localisés, la voie traversant le camp suivant un axe sud-ouest/nord-est doit être la via principalis et la deuxième, qui quitte le camp au sud-est, la via praetoria. Il n’existe aucun indice de la présence d’une via decumana ou d’une porte d’enceinte reliée à cette voie. La partie postérieure du camp n’a cependant pas été fouillée. Les dispositifs défensifs 1011 Tous les camps étaient dotés de fossés en V. Deux fossés assuraient la défense du camp le plus ancien lors de toutes ses phases, un seul seulement pour les deux camps postérieurs. Le dispositif le plus récent était par ailleurs encore entouré, au-delà du fossé en V, par deux petits fossés dont la signification n’est pas établie. Les fossés étaient visiblement entretenus de manière régulière, ce qui explique qu’on ait mis au jour un enchevêtrement de fossés correspondant en réalité aux différentes phases d’un seul et unique fossé. C’est seulement lors de la période la plus ancienne que deux fossés défensifs ont été creusés sur le côté nord. À une époque plus tardive, on s’est contenté à cet endroit de la protection offerte par la pente abrupte du terrain. 1012 Le rempart a toujours présenté la même forme lors des différentes périodes et était constitué de deux coffrages de bois dont l’espace intermédiaire était rempli de terre. Les deux tranchées de poteaux ont subsisté. La largeur variait de 3,25 m pour la période la plus ancienne à 3,50 et 3,75 m pour la période 3. On a découvert les vestiges d’au moins une tour (période 2) composée de quatre poteaux, qui faisait une avancée à 578 l’arrière du rempart dans l’intervallum. Les dispositifs des portes d’enceinte étaient si simples qu’ils ont pu être définis comme simple bridge-type gate. L’aménagement intérieur 1013 Les nombreux vestiges n’ont pas encore été exploités de manière suffisante. Leur attribution aux différentes périodes est en particulier toujours problématique. 1014 Seuls d’infimes restes des principia ont été fouillés et indiquent qu’un grand bâtiment d’environ 40 m de largeur s’est élevé au carrefour des voies principales du camp. Il manque encore aujourd’hui les éléments caractéristiques d’un quartier général. Par ailleurs, l’existence de deux latrines riches en mobilier, dans une aile latérale ou à proximité de cet édifice, est plutôt déconcertante. 1015 Le “praetorium" : un gigantesque bâtiment (61 x 33 m) a été mis au jour sur le bord du plateau. Il est composé de deux parties. La question se pose de savoir s’il s’agit là de deux unités indépendantes ou bien d’une seule installation. Une maison avec atrium apparaît à gauche, l’entrée en direction du sud-ouest. Avec une certaine difficulté, il est possible de reconnaître, sur le côté arrière de l’atrium, les deux fauces en plan. Ces derniers ne conduisent pas, comme il est d’usage, à un péristyle placé à l’arrière de la maison, mais à une cour ouverte sur le côté extérieur et à une allée couverte le long de l’intervallum septentrional. On recherche le péristyle attendu ici dans la moitié droite où a été dégagée une cour limitée sur les côtés ouest et est par des séries de bâtiments de longueur différente. La cour peut avoir été ouverte sur le côté nord et encadrée de colonnes sur deux côtés. La cour elle-même était cependant en grande partie enfouie à l’époque moderne. 1016 Des installations particulières existaient dans diverses pièces de la moitié orientale. L’espace nord dans l’aile occidentale présentait un réservoir d’eau entouré de six colonnes ou piliers. La salle médiane de l’aile orientale possédait une cave. Des trous de poteau se trouvaient le long des murs bas. Dans la mesure où l’aile orientale reposait en partie sur des fondations massives, il est tentant de voir dans ces poteaux les soutiens d’un étage supérieur. Les indices à l’appui de cette hypothèse font cependant défaut. 1017 La division des deux rangées de pièces dans la moitié orientale de l’édifice apparaît au premier abord irrégulière. Il est cependant possible, après analyse, de distinguer trois groupes de salles, deux à l’ouest et un à l’est, constitués chacun d’une grande et de deux petites pièces. Cette répartition rappelle les appartements que l’on rencontre dans les mansiones ou praetoria. La cour ouverte sur le côté rue conviendrait par ailleurs bien à cette interprétation. 1018 Le bâtiment correspond sous de nombreux aspects aux praetoria des camps de la Lippe et s’avère proportionnellement beaucoup trop grand par rapport au petit camp du Kops Plateau. On a ainsi émis l’hypothèse selon laquelle l’édifice aurait été prévu en tant que logement pour un commandant de légion, au moins, ou même pour Drusus, commandant en chef de l’armée de Germanie inférieure. Le camp aurait été, par conséquent, une sorte de centre de commandement. Il convient de remarquer, en analysant progressivement le plan triangulaire singulier du camp, que l’emplacement du supposé praetorium dans la partie gauche de la praetentura est inhabituel pour une maison de commandant. Cette position rappelle plus ou moins le grand bâtiment avec cour intérieure de Valkenburg 1, interprété alternativement comme logement du 579 préfet de cohorte, fabrica, praetorium ou mansio. Il semble que l’on soit devant le même choix sur le Kops Plateau. Baraquements et logements d’officiers 1019 À côté des restes de baraquements de troupes en bois et de tentes (piquets de tente en fer), de nombreux logements d’officiers ont été découverts qui se distinguaient parfois par l’existence de caves présentant un système de coffrage de bois. Ecuries 1020 Deux constructions ont été mises au jour au sud du camp qui, du fait de leur plan, laissent penser à des horrea. Elles étaient composées d’un corridor médian avec deux rangées de pièces latérales. Il s’agit cependant très vraisemblablement d’écuries, en raison des nombreuses pièces de harnachement qui y ont été découvertes et de quelques tombes équestres. Bâtiments à vocation économique 1021 Un horreum se situait à l’ouest du praetorium, à une faible distance de la porta principalis sinistra sur le côté nord. 1022 Des fours de potiers ont été découverts en deux endroits. L’un d’eux a été creusé dans le talus du fossé de la période 1b et recoupé par le fossé de la période lc. Ces fours devaient se situer, comme il était d’usage à l’époque préclaudienne, à l’intérieur du camp. On a retrouvé également les traces un peu plus loin d’une forge et d’un atelier de fonte du bronze. Occupation et datation 1023 Le matériel épigraphique relativement riche ainsi que d’autres découvertes nous renseignent quelque peu sur les troupes stationnées sur le Kops Plateau. Il convient de mentionner une grande quantité de céramique arétine (décorée) et avant tout des pièces de harnachement et des casques de parade de cavaliers. La présence de cavaliers sur le site est donc incontestable. Leur rôle semble avoir été si important lors de la période la plus tardive que l’hypothèse du stationnement d’une ala sur le plateau à cette époque apparaît probable. Certains des cavaliers devaient être des cavaliers auxiliaires germains qui ont laissé les traces caractéristiques des cavaliers dans le sol. Aucune inscription ne prouve toutefois le cantonnement de l’ala Batavorum sur le plateau. 1024 Le mobilier découvert appartient en partie à la période antérieure à l’érection du camp principal de Haltern. La céramique montre des similitudes avec le matériel d’Oberaden, mais également d’importantes différences. La série de vases d’Aco est ainsi pratiquement absente. Il ne semble pas impossible que le premier camp ait été érigé peu de temps après la mort de Drusus, dans le cadre de la réorganisation de la défense des frontières. La datation exacte est fortement dépendante de la datation du grand camp sur le Hunerberg, qui représente sans aucun doute un horizon plus ancien si l’on ne prend pas en compte l’indication de Dion Cassius citée plus haut. D’un point de vue militaire, l’édification d’un petit camp à l’extrémité d’une ligne de défense dans la 580 région du Rhin inférieur serait, dans le contexte d’une guerre offensive, difficilement compréhensible. [2004] Bogaers 1967 ; Bogaers & Haalebos 1977 ; Brunsting 1961 ; Brunsting 1977 ; Fbrtsch 1995 ; Haalebos 1991 ; Haalebos 1996 ; Van Enckevort 1995 ; Van Enckevort 1997 ; Van Enckevort & Zee 1996 ; Willems 1981. 1025 BIBLIOGRAPHIE 1026 OBERADEN → 1027 OEDENBURG BERGKAMEN → BIESHEIM OLTEN Soleure, Suisse 1028 R. FELLMANN 1029 Le site du fortin tardif correspond en grande partie à celui de factuelle vieille ville d’Olten, canton de Soleure, Suisse (fig. 401). Le castellum, du IVe s. ap. J.-C., se situe sur la rive gauche de l’Aare dans un coude formé par celui-ci au confluent avec le Dünnern dans un secteur à l’abri des inondations. La voie romaine d’Aventicum à Vindonissa a dû traverser l’Aare à cet endroit (environ à la hauteur du pont en bois médiéval). FIG. 401 Olten. Plan du fortin dans le parcellaire actuel (Schucany 1996, 71, fig. 29). 1030 C’est en 1778 que l’on trouve pour la première fois mention de deux inscriptions insérées dans la maçonnerie de la “Porte du Bas”. Entre 1802 et 1819 ont été découvertes plusieurs sections du mur d’enceinte. En 1863 est effectuée la première documentation sur le mur d’enceinte. En 1902 et 1904, des démolitions importantes eurent lieu dans le secteur du mur d’enceinte au niveau de la “Salle des chevaliers” 581 (Rittersaal). En 1938 et 1962, le mur du castellum est apparu aux n os 30 et 31 de la Hauptgasse, conservé encore sur une hauteur de 6 m, mais il fut ensuite démoli. 1031 Une implantation civile romaine non remparée (vicus), dont le nom antique ne nous est pas connu, s’étendait au sud jusqu’au secteur de factuelle vieille ville, au nord jusqu’à la Frohburgerstrasse et à l’ouest un peu au-delà de l’actuelle Baslerstrasse, jusqu’au quartier Hammer. Au IIe s., l’extension devait être de 500 x 300 m. Les restes de maisons construites en pierre (entre autres avec hypocauste et peintures murales dans la zone de l’actuelle Baslerstrasse) témoignent d’une implantation imposante, dont l’axe ouestest devait être fixé en fonction du pont romain sur l’Aare. Le vicus a dû être détruit dans la deuxième moitié du IIIe s. (un trésor monétaire de mille cent monnaies, réparties entre 193 et 275 ap. J.-C., a été découvert à 1,2 km à l’ouest du castellum tardif). 1032 Une première fortification de la tête de pont occidentale a été réalisée dans l’angle sudest du vicus vers la fin du IIIe s. Celle-ci fut abandonnée, ainsi que son fossé antérieur, dès le premier tiers du IVe s. ap. J.-C. 1033 Un castellum de plus grandes dimensions fut sans doute construit à la suite de ces événements. Ce camp appartient, d’après le tracé du mur d’enceinte, au type des forteresses “en cloche”, qui sont toujours adossées à un cours d’eau. Il est très proche dans sa structure des autres castella sur l’Aare à Salodurum (Soleure) et Brugg / Altenburg. Seuls sont aujourd’hui conservés les tracés nord et ouest du mur. Le flanc sud a dû être balayé par les eaux de l’Aare et de la Dünnern. L’épaisseur du mur est en moyenne de 3,50 m. Il est possible de constater, en de nombreux endroits, la trace caractéristique de la charpente interne de madriers. Aucune réutilisation d’éléments architectoniques ou de stèles funéraires n’a pu être jusqu’à présent relevée dans la maçonnerie. Seize sépultures à inhumation, appartenant à la nécropole antique tardive du castellum, ont été à l’heure actuelle dégagées, à environ 300 m au nord du camp, dans le secteur de la Frohburgerstrasse. [2004] Drack 1991,197-198; Drack & Fellmann 1988461-463 ; Fellmann 1992, 324 ; Schneider 1983 ; Schucany 1996. 1034 BIBLIOGRAPHIE OSTERBURKEN Bade-Wurtemberg, Allemagne (carte fig. 8) 1035 E. SCHALLMAYER 1036 Le site des deux castella s’étend au sud-ouest de la vieille ville d’Osterburken, depuis le fond de la vallée de la Kirnau jusqu’au sommet d’une pente qui s’élève en direction de l’est. Tout à fait singulière est l’adjonction, au flanc du camp de cohorte, du castellum de numéros (fig. 402). Les vestiges des murs de cette annexe sont encore visibles. Deux balnéaires, dont l’un est intégré dans un bâtiment du musée, se situent à environ 300 m au nord-est des murs du castellum. Tous deux sont fondamentaux pour la chronologie de la construction du limes extérieur. 200 m à l’est des installations thermales, dans le secteur d’un actuel pont routier, se trouvait un complexe cultuel où a été découvert un ensemble exceptionnel d’inscriptions dédiées par des bénéficiaires. Les fouilles réalisées depuis le début des années 1970 sont, à côté des recherches archéologiques 582 opérées dans le contexte des activités de la Reichslimeskommission, à la fin du fondamentales pour la connaissance de l’Osterburken romain. XIXe s., FIG. 402 Osterburken. Plan du fortin auxiliaire, à droite, et du fortin de numerus, à gauche (Schallmayer 1992, 121, fig. 81). Le camp de cohorte 1037 Le castellum, érigé vers le milieu du IIe s. ap. J.-C. pour la IIIe cohorte Aquitanorum equitata civium Romanorum, se situait à environ 500 m en arrière du limes. Le plan présente la forme d’un rectangle allongé de 186 x 115 m (2,14 ha). Le mur d’enceinte, renforcé au niveau des angles, arrondis, est bâti en blocs de calcaire. Les parements sont constitués de pierres de taille alors que le cœur est composé d’un blocage de maçonnerie. L’épaisseur du mur atteignait 2,40 m au niveau des fondations et entre 1,44 et 2,40 m en élévation. Le rempart est par endroits encore conservé sur une hauteur de 0,70 m et montre des traces de crépi avec lignes de joints. Devant le rempart se trouve un fossé en V, d’une largeur légèrement supérieure à 7 m et d’une profondeur atteignant 2 m. Ce fossé n’est pas interrompu devant les portes d’enceinte et présente des dimensions plus importantes le long du côté sud du rempart. L’accès vers l’intérieur du camp était possible grâce à des ponts de planches. Entre le bord interne du fossé et le pied du rempart existe une berme de 0,80 m, qui atteignait devant les portes 1,40 à 1,70 m. Derrière le mur d’enceinte, le talus a été mis en évidence sur une largeur de 11 m et une hauteur de 1,50 m au niveau de la porte occidentale. La présence de la via sagularis a pu, en certains endroits, être constatée de 6 à 11m derrière le mur. 1038 Seize tours sont au total connues. Parmi les quatre tours d’angle, celle du sud-est a pu être plus précisément fouillée et a révélé à cette occasion un plan trapézoïdal de 9 x 4,50 m. Des tours intermédiaires sont visibles sur les deux flancs, notamment à 583 l’arrière des portes d’enceinte latérales. Parmi ces dernières, seule une a été à peu près entièrement fouillée. Il s’agit sans doute, sur le front oriental, de renforcements postérieurs à la construction primitive. Les tours des portes sont de dimensions différentes. La porta praetoria double présente un passage large de 8,30 m au milieu duquel se trouve encore le bloc de grès de fondation du pilier central. Les passages sont flanqués de tours carrées de 4 m de côté. Le sol intérieur était composé d’une couche d’argile. Le passage méridional de la porta praetoria a été pavé et détruit à plusieurs reprises. La découverte à cet endroit d’un vestige de mur montre qu’une moitié de la porte a été ultérieurement murée. Il faut donc conclure à l’existence de plusieurs phases de construction dans ce secteur de l’enceinte. Dans le mur nord-est de la tour de la porte méridionale, sur la face intérieure, était incluse dans la maçonnerie une inscription de construction legio XXII /. Prim (i) Mon/tani. Cest donc la XXII e légion qui a bâti le camp. 1039 Le passage unique de la porta decumana présente une largeur d’à peu près 4 m. Les dimensions intérieures des tours de la porte sont de 4,50 x 2,75 m, celles de la porta principalis sinistra de 5 x 5 m avec ici un passage double d’environ 7,5 m de largeur. Là aussi, une moitié de la porte a été ultérieurement murée. La tour occidentale de la porta principalis dextra a pu être dégagée ; elle fait saillie de 0,80 m sur la façade du camp, et ses dimensions intérieures atteignent 5 x 3,45 m. Les tours d’angle ainsi que les tours des portes d’enceinte, à l’exception de celle de la porta praetoria, font saillie par rapport à l’alignement du mur d’enceinte. L’agencement du rempart devait sans doute encore renforcer le caractère imposant du front externe du camp. 1040 Des bâtiments internes du castellum ne sont connus qu’une partie des principia, quelques fragments de murs dans le secteur nord-est du camp et une cave en pierre dans l’angle nord entre la via praetoria et la via principalis dextra. 1041 L’édifice central du camp a pu être repéré, au moins au niveau du tracé, sous la forme d’un complexe de constructions de 45,80 x 38,80 m, même si seules des fondations de murs dans l’angle nord-est, ainsi que la salle à abside au centre du côté occidental, ont pu être mises en évidence. Alors que les premiers vestiges laissent penser à un bâtiment ajouté qui dépassait les limites des principia, l’interprétation de la pièce à abside comme centre cultuel du camp (aedes) est évidente. La construction fait saillie d’environ 1,80 m sur la façade postérieure de l’ensemble de l’édifice et est encore conservée en élévation sur quatre à neuf assises de pierres. Le sol montre une couche d’argile au centre de laquelle on trouve une dépression de 0,60 x 0,45 x 0,40 m, sans doute une cave surbaissée qui devait abriter la caisse des troupes. De l’entrée reste encore l’embrasure du mur et les vestiges d’un seuil de porte en bois. Le niveau de cette dernière pièce se situe à 1 m au-dessus de celui de la fosse centrale. 1042 Les segments de murs découverts non loin de l’angle nord du castellum pourraient appartenir à un magasin (horreurn), dans la mesure où une grande quantité de céréales carbonisées a été retrouvée dans ce secteur. Les différents angles de murs indiquent peut-être les soubassements indispensables aux planchers des horrea, sur lesquels les provisions pouvaient être entreposées à l’abri de l’humidité du sol. 1043 En 1991, une cave carrée de 3,80 m de côté présentant une entrée de 0,80 m de large orientée en direction du nord-est a été dégagée devant l’angle nord-est des principia. Le mur de la cave, bâti en appareil en arête de poisson au niveau des deux assises inférieures, était en calcaire coquillier. Il a été possible de repérer encore en un endroit l’évidement pour la niche d’une fenêtre. On atteignait la cave par des marches d’accès 584 travaillées dans l’argile. Le niveau de sol antique a pu être placé à 0,50 m au-dessus de la surface actuelle en raison des murs existants de la cave. D’après sa position par rapport au système de voirie de la praetentura, la cave a dû faire partie de la tête d’un baraquement. 1044 Un dispositif construit en bois et terre a très certainement précédé le camp en pierre. On a en effet découvert, à l’occasion d’une coupe dans le talus, des couches témoignant d’une occupation humaine jusque sous les fondations de la tour d’angle. On pourrait ainsi se trouver en présence, à Osterburken, d’une découverte analogue à celle qui a été faite sur le site d’Ohringen, plus au sud (Rendel). Lors de chacune des fouilles réalisées à l’intérieur du castellum d’Osterburken, des restes de constructions en pans de bois brûlés ont été mis au jour à côté de nombreuses couches d’incendie riches en mobilier. Ce dernier fait, ainsi que l’existence de portes d’enceinte à demi emmurées, dont les moitiés restantes avaient été visiblement barricadées avec des constructions en bois, et les quelques restes de squelettes humains découverts dans le fossé montrent que le fort a subi une destruction radicale qui doit être mise en rapport avec la chute du limes, après le milieu du IIIe s. ap. J.-C. Le castellum annexe 1045 L’adjonction construite sur le côté droit (flanc sud) du camp de cohorte a permis d’englober dans l’enceinte la hauteur qui la dominait si dangereusement, et créé en même temps un lien visuel avec le limes à l’est. 1046 Ce second camp présente un plan trapézoïdal irrégulier de 195,20 x 134 m dans les diagonales. Le côté ouest mesure 86 m avec une élévation de terrain de 20 m, le côté est 143 m avec 22 m d’élévation et le côté sud 99 m, soit une superficie de 1,4 ha, à peu près plane dans ses parties supérieure et inférieure, alors que la partie centrale montre une pente considérable. Les Romains ont dû visiblement aplanir le terrain avant d’installer les bâtiments internes. 1047 Un fossé en V d’environ 6 m de largeur et 1,70 m de profondeur existe devant le mur d’enceinte, et les indices d’un deuxième fossé pourraient avoir été retrouvés devant le mur sud. Le rempart lui-même présente au niveau des fondations une largeur de 2,40 m et atteint encore 1,60 m en élévation. Derrière le mur sud, de chaque côté d’une porte d’enceinte, le talus supportant le chemin de ronde est conservé sur 7 m de largeur et 1,70 m de hauteur. 1048 Le castellum annexe d’Osterburken possédait trois dispositifs de portes d’enceinte avec passage simple de 3,22 à 3,62 m de largeur. Les murs des tours des portes s’élevaient encore, lors des fouilles, sur dix voire onze à douze assises de pierre (de 1,40 à 1,60 m). Les vestiges d’un bouchage au-dessus d’un seuil, dont les traces de poutres étaient visibles, ont également été mis en évidence au niveau du passage, large ici de 3,90 m. La porte cochère était dotée tout au fond d’une couche de pierres de 0,25 m d’épaisseur, recouverte d’une couche de mortier puis d’argile allant jusqu’à 0,20 m d’épaisseur. 1049 La porte occidentale, comme celle du côté est, ne se trouvait pas exactement au milieu, mais était légèrement décalée vers le sud et éloignée ainsi de la plus forte pente. On a pu également ici, comme dans le cas de la porte orientale de 3,22 m de large, observer la surélévation de la porte cochère, avec des indices de bouchage. 585 1050 Deux tours d’angle et quatre tours intermédiaires étaient encore intégrées dans le mur d’enceinte où ces dernières, à l’exception de celles du côté occidental, présentaient curieusement une profondeur réduite. Elles ont peut-être servi, ainsi que la grande tour intermédiaire de plan rectangulaire sur le côté occidental, de plate-forme pour le lancement de projectiles. 1051 Nous disposons de peu d’informations sur l’aménagement interne du castellum annexe. L’existence d’une voie large de 3,25 à 3,40 m a pu être constatée sur une longueur de 10 m dans la prolongation de la porte orientale, en direction de la porte ouest. Seuls sont apparus dans le secteur du camp des vestiges de fondations très fortement arasées, alors que, derrière la tour intermédiaire du côté sud, une cavité circulaire en forme de fosse de 7 m de diamètre et 1,40 m de profondeur avec revêtement d’argile, a pu être identifiée comme citerne. 1052 Dans le secteur des angles nord-est et sud-est du camp se trouvaient trois inscriptions de construction identiques : leg (io) VIII/ Aug (usta) / p (ia) f (idelis) c (onstans) C(ommoda) / a s (olo) f (ecit) qui, d’après les claveaux de voûte découverts dans le fossé, devaient vraisemblablement être apposées au-dessus des ouvertures des fenêtres. Une autre inscription monumentale, Imp (eratori) C[aes (ari) M(arco) Aur (elio) Commodo/Antonino Aug (usto)] – [...] / leg (io) VIII A(ugusta) p (ia) f (idelis) c (onstans) C(ommoda) / a s (olo) f (ecit), était placée au-dessus de la porte orientale. Elle a été visiblement, en raison des restes d’enduit conservés sur les moulures, recouverte à posteriori d’une couche d’enduit après la damnatio memoriae de Commode. Le surnom Commoda, tiré du gentilice impérial, place les débuts de la construction entre 185 et 192 ap. J.-C. D’après une couche d’incendie, datée d’environ 180, et découverte dans le fossé oriental du camp de cohorte, l’annexe a été visiblement érigée après la destruction (partielle ?) du premier castellum. Le fossé entre les deux camps n’a cependant pas été comblé. En revanche, la porte orientale du castellum de cohorte a été murée et un passage étroit simplement laissé dans la construction, tandis qu’une percée était réalisée dans la tour intermédiaire devant laquelle un avant-corps de 2,40 m de longueur et 1,32 m de largeur avait été placé. Lors des fouilles des années 1991-1992, cette couche d’incendie ainsi qu’une autre datant de la période de la chute du limes, ont été retrouvées. Un trésor monétaire (trois cent vingt-sept deniers, la plupart fleurs de coin) découvert à 9 m à peu près de l’angle nord-est du camp de cohorte, aux environs immédiats du mur de l’annexe et qui doit être daté de 233 ap. J.-C., prouve que le fossé était, jusqu’aux années 30 du IIIe s. ap. J.-C., déjà largement comblé. 1053 La troupe d’occupation du castellum a dû être constituée par les Brittones Elantienses, stationnés dans le castellum correspondant de Neckarburken sur la ligne arrière du limes de l’Odenwald. Ce numéros Brittonum Elantiensium n’a vraisemblablement été déplacé sur la ligne extérieure du limes qu’à l’époque de la construction du castellum annexe. [2004] Gaubatz-Sattler & Seidenspinner 2001 ; Neumaier 1974 ; Neumaier 1986 ; ORL A, 7-9, p. 102-103, 225-238 ; ORL B, 40 ; Reutti 1979 ; Schallmayer 1992 ; Schallmayer 1993. 1054 BIBLIOGRAPHIE 586 OUDENBURG Flandre occidentale, Belgique (carte fig. 12) 1055 J. MERTENS 1056 Oudenburg se trouve actuellement à 9 km de la côte de la mer du Nord, entre Bruges et Ostende, en bordure occidentale d’une dune sablonneuse émergeant de la plaine côtière, inondée lors des transgressions dunkerquiennes du IIIe s. Le toponyme significatif Oudenburg, “Vieux Bourg”, remonte au IXe s. ; les premières trouvailles sont relatées dans la chronique de l’abbaye d’Oudenburg, rédigée entre 1084 et 1087. L’auteur parle de quatre côtés de la forteresse, ce qui pourrait indiquer qu’il s’agit d’une construction de plan rectangulaire, sinon carrée. 1057 Les différentes campagnes de fouilles se sont échelonnées de 1956 à 1977. Les premiers sondages, en 1956 et 1957, permirent de localiser une structure plus ou moins carrée dont furent reconnus le mur occidental, la tour d’angle nord-ouest, ainsi que les murs nord et sud ; l’angle nord-est avait été complètement saccagé par des excavations profondes tandis que l’angle sud-ouest était inaccessible. D’après les traces de démolitions, il est possible d’estimer les dimensions du carré à 160 x 150 m. Les tracés du mur et de la porte occidentale furent localisés en 1960, ainsi que plusieurs nécropoles de 1962 à 1968. En 1970, il fut enfin possible d’entamer les recherches à l’intérieur du castellum. Ces travaux confirment les constatations de l’ancien chroniqueur et permettent de distinguer une succession de trois fortins –Oudenburg I à III– implantés selon un plan identique et se superposant pratiquement l’un à l’autre (fig. 403). FIG. 403 Oudenburg. Coupe des différents systèmes défensifs I à III (Mertens & Van Impe 1971, 15, fig. 4). Oudenburg I 1058 Oudenburg I est implanté sur les restes d’un établissement antérieur qui ne semble pas avoir eu un caractère militaire. L’occupation de cette agglomération semble débuter vers 70 pour se prolonger, à l’emplacement du fortin, jusque loin dans le IIe s. 1059 La première installation militaire n’a pas laissé beaucoup de traces. Le fossé défensif a été repéré sur les flancs ouest et nord ; à l’ouest, il a une largeur de 4,50 m et une 587 profondeur d’à peine 1,40 m ; il a été recoupé par les vestiges ultérieurs ; sur le flanc nord, quelques rares briques de tourbe pourraient provenir d’un rempart. Le plan d’ensemble demeure extrêmement fragmentaire. Nulle trace de portes. L’existence de tours demeure énigmatique, quoiqu’il ne soit pas exclu qu’elles aient été implantées dans le rempart même. L’aménagement à l’intérieur du camp est tout aussi lacunaire : des traces rectilignes peu profondes mais parfaitement parallèles, distantes d’environ 5 et 2,50 m, proviennent probablement de constructions en bois de plan très allongé ; ces traces sont en général remplies d’argile et de sable. Leur orientation diffère cependant légèrement de celles d’Oudenburg II, ce qui semble attester un renouvellement complet de l’organisation à l’intérieur du camp. Le matériel archéologique, dont de très nombreuses monnaies provenant des strates inférieures, date des règnes de Trajan et d’Hadrien. Il n’est pas exclu que ce premier camp soit dû à une réaction romaine aux invasions des Chauques et érigé au cours des années 70 du II e s. Oudenburg II 1060 Pour l’implantation de ce fortin, le niveau fut surélevé de 55 cm, le fossé existant remblayé et remplacé par un nouveau, moins profond et large de 3 m ; il n’est pas impossible que les nombreux chenaux existant dans les parages aient joué un rôle défensif. La levée de terre du rempart consiste désormais en une superposition de briques de tourbe disposées en couches horizontales et liées par de la terre et du sable. En un endroit, ce rempart a une largeur de près de 8 m et une hauteur conservée de 1,20 m ; on a pu constater que le dessus avait été raboté, probablement en vue de la mise en place du rempart d’Oudenburg III. Vers l’intérieur, le rempart a un profil incliné, tandis que la façade externe était probablement renforcée d’une palissade de bois ; il n’en reste malheureusement aucune trace, pas plus que des tours, probablement implantées dans la courtine comme c’est le cas dans le camp voisin de Maldegem. Les traces laissées lors du démantèlement de ce rempart laissent supposer qu’Oudenburg II avait les mêmes dimensions qu’Oudenburg III. 1061 A l’intérieur, les structures présentent un plan allongé d’axe nord-sud et sont parfois accompagnées d’une galerie ; les parois de bois sont montées dans une sablière ; des traces perpendiculaires forment parfois un radier. On a pu constater que certaines structures ont été renouvelées à plusieurs reprises et les planchers renforcés d’argile. Un chemin de gravier longe ces structures. Un seul bâtiment en pierre a pu être partiellement dégagé ; il s’agit d’une structure de plan rectangulaire (18,50 x 13,50 m) ; en une seconde phase, un mur de refend vint diviser l’espace en deux ailes allongées. Ce bâtiment est disposé perpendiculairement aux baraquements. De nombreuses couches d’incendie attestent le caractère très tourmenté de cette période ; la statistique des monnaies récoltées dans les strates d’occupation révèle un premier pic sous MarcAurèle et Antonin puis un second, beaucoup plus important, sous Tetricus. Oudenburg II peut donc être situé dans la seconde moitié du IIIe s. et se prolonge jusque dans les premières décennies du IVe s. Le matériel archéologique récolté au sud du fortin pourrait indiquer l’existence d’une sorte de village dont l’occupation se prolonge jusqu’à la fin du IVe s. 588 Oudenburg III 1062 La dernière phase du fort (fig. 404) est la mieux connue, le mur d’enceinte consistant cette fois en une solide maçonnerie. Le niveau est à nouveau rehaussé d’environ un mètre, ce qui semble indiquer que le danger d’inondation demeure réel, mais aussi que toute l’organisation à l’intérieur du camp a été totalement renouvelée. FIG. 404 Oudenburg III. Plan du castellum (Brulet 1990, 121, fig. 29). 1063 La forteresse est de plan presque carré (163 x 146 m soit 2,37 ha). Sur les versants ouest, sud et est, la muraille est protégée par un fossé au profil en V, dont la largeur peut être évaluée à 20 m et dont la pente s’amorce à 2 m du pied du mur. La face nord n’a pas livré les traces très nettes d’un fossé, du fait probablement que la plage ou un chenal touchait le fortin de ce côté. Le rempart d’Oudenburg II, englobé dans la nouvelle enceinte, en forme le noyau et on a l’impression que les deux camps se superposent exactement. La courtine est surélevée et renforcée d’un apport de sable mêlé de quelques éclats de pierre bleue. La palissade de bois formant l’ancienne façade est remplacée par une solide muraille maçonnée, épaisse de 1,30 m, parementée de petits blocs de calcaire taillés, disposés en assises horizontales et noyés dans un solide mortier de chaux et de briques pilées. La largeur totale du nouveau rempart est de 9 m, sa hauteur peut être estimée à 3 ou 4 m. Plusieurs tours renforcent cette enceinte ; la tour de l’angle nord-ouest a un diamètre de 9 m. La tranchée de fondation ou de démolition ne permet pas de préciser si cette tour était circulaire. L’un des bastions de la porte a un diamètre de 7 m et présente un plan octogonal ; ces tours sont creuses. Les murs sont construits comme ceux de la tour d’angle, assis sur le sol vierge à plus d’un mètre sous le niveau de la forteresse ; leur épaisseur est de 1,55 m et ils comportent, vers l’intérieur, un ressaut de fondation large de près de 20 cm ; le mur d’enceinte se trouve dans l’axe même des bastions de la porte. La largeur du passage (non fouillé) 589 peut être estimée à 6-7 m. La distance entre la tour d’angle et le bastion de la porte est de 76 m. 1064 Le niveau d’Oudenburg III se trouvant à moins de 2 m sous le niveau actuel, seuls les éléments les plus profonds ont laissé une trace sous les tombes du cimetière et de l’église actuelle. Comme il y a très peu de matériaux de démolition –pierres ou mortier– on peut supposer que la plupart des structures étaient en matériaux périssables, ce que semblent confirmer les traces relevées. D’après quelques rares indices, ces structures présentent un plan allongé et sont disposées comme celles d’Oudenburg II ; dans le secteur nord subsistent plusieurs foyers et un puits ; des blocs de torchis provenant des parois des baraques et de l’argile rougie par le feu y ont été récoltés. 1065 Un élément de première importance pour fixer la période d’occupation de ce fortin est la nécropole militaire découverte à quelque 400 m vers l’ouest. Cette nécropole, entièrement fouillée, compte deux cent seize sépultures, en grande majorité d’adultes ; elle se situe entre le milieu du IVe et le tout début du Ve s. Que la nécropole soit celle de militaires et de leurs familles est attestée par les mobiliers accompagnant les défunts. Le fait que, parmi les objets du mobilier, figurent trente-deux fibules cruciformes, bijoux caractéristiques des fonctionnaires et militaires romains, renforce le caractère officiel de cette nécropole. L’absence presque totale d’armes est remarquable. Les fibules à trompette rencontrées dans certaines tombes féminines peuvent être d’origine saxonne. Les nombreuses monnaies récoltées datent pour la plupart de la seconde moitié du IVe s. 1066 Il est probable qu’Oudenburg III ait été une forteresse érigée à l’époque constantinienne et que son occupation se soit prolongée jusque vers 410. Le caractère officiel de la forteresse d’Oudenburg laisse supposer que le site est mentionné parmi les garnisons reprises dans la Notifia Dignitatum. L’identification avec le Portus Aepatiacus reste cependant à prouver. [2004] Hollevoet 1990 ; Mertens 1958 ; Mertens 1977 ; Mertens 1978 ; Mertens 1980; Mertens 1987a ; Mertens 1987b ; Mertens & Van Impe 1971 ; Thoen 1978. 1067 BIBLIOGRAPHIE 1068 PACHTEN → 1069 PETIT-BÂLE DILLIGEN → BÂLE PONT-À-CELLES/LIBERCHIES GEMINIACUM ? Hainaut, Belgique (carte fig. 12) 1070 R. BRULET Liberchies I (Les Bons Villers) 1071 La fortification a été bâtie sur la route romaine, au point le plus élevé du site des Bons Villers, au centre de l’agglomération du Haut-Empire de Geminiacum (?). Le burgus a été découvert en 1957-1958 par la Société archéologique Romana. Depuis lors, il fait régulièrement l’objet de recherches complémentaires. 590 1072 Le fort, de plan rectangulaire, mesure 94 x 80 m hors-tout (fig. 405). L’aire intérieure de la première fortification couvre un espace correspondant à 54 x 44 m (superficie totale : 75,2 ares ; superficie interne : 24 ares). Lavoie romaine Bavay-Cologne traverse l’ouvrage. Le système défensif comprend une zone de fossés large de 13,40 à 14 m où l’on peut discerner plusieurs excavations d’époques différentes. Vers l’intérieur, le fortin était protégé par un rempart de terre et par une palissade, courant au bord même des fossés. Les deux portes ont été étudiées dans le prolongement du rempart. FIG. 405 Pont-à-Celles/Liberchies. Plan du fort de Liberchies I (Brulet 1995a, 110). 1073 Un rempart de terre A (fig. 406) retenu par des poteaux a été mis en évidence à 4 m du premier fossé, vers l’intérieur du fort. Les pièces de bois, carrées, possédaient 0,33 m de côté ; elles avaient été placées à environ 1,70 m les unes des autres et disposées en une seule rangée afin de clôturer le mur de terre et de le maintenir sur sa face extérieure. FIG. 406 Pont-à-Celles/Liberchies. Coupe comparée au plan de fouilles au travers du flanc ouest du fort de Liberchies I : A rempart ; B palissade ; I à III fond des trois fossés (Graff 1991, 35). 591 1074 La porte ouest (fig. 407), dans ce rempart, est faite de deux alignements de trois poutres carrées, de 0,40 à 0,45 m de côté, distantes de 1,50 à 1,80 m. Ces alignements se trouvaient à 3,45 m l’un de l’autre. Pour la porte est, deux poteaux très rapprochés ont été retrouvés. FIG. 407 Pont-à-Celles/Liberchies I. Plan de fouilles partielles de la porte d’entrée occidentale du fort (Graff 1991, 45). 1075 Plusieurs coupes complètes effectuées sur la face ouest et des coupes partielles ont permis de reconnaître le tracé des fossés. On peut distinguer trois ouvrages fossoyés distincts : I à III (fig. 406). 1076 Vers l’intérieur du fortin, on trouve un premier fossé (I), au versant intérieur raide, à pointe plate et trapézoïdale, de 0,20 m de largeur à la base, dont le remblai inférieur est assuré par des sédiments colluvionnaires. Ailleurs, ce fossé se décompose en deux entailles similaires mais non contemporaines. Le second fossé (II) a un fond plat. Il est simple sur la face nord. Sur la face ouest, il présente deux jointes contemporaines (fig. 408). Le fossé en question semble être le seul à avoir été creusé à hauteur des deux portes de la forteresse. Le troisième fossé (III), creusé en dernier lieu, est plus large et plus profond que les autres. Il est à fond arrondi et large de 7,50 m. Il s’interrompt à hauteur des portes de l’ouvrage. 592 FIG. 408 Pont-à-Celles/Liberchies I. Vue sur les deux encoches du fossé II. photo R. Brulet 1077 Une palissade B (fig. 409) a été assise en bordure de la zone des fossés. Elle était composée de pièces de bois, plus exactement de demi-rondins de 0,15 à 0,20 m de diamètre disposés bord à bord, la face plane vers l’extérieur, calés par des pierres et soutenus, vers l’intérieur du fortin, par des pieux fichés obliquement en terre. La palissade a été retrouvée sur les quatre flancs du fort. Vers l’ouest et vers le nord, elle a été implantée dans le fossé I, recreusé à cette occasion. Vers l’est et le sud, elle a été placée dans une encoche étroite, distincte du fossé I. 593 FIG. 409 Pont-à-Celles/Liberchies I. Vue en plan et coupe de la palissade B. photo R. Brulet 1078 L’existence d’une seconde palissade semble pouvoir être attestée au niveau de la pointe du fossé II On y a parfois retrouvé, dans le centre de l’excavation, des pieux fichés à la verticale et distants les uns des autres de 0,15 à 0,18 m. Ces pièces de bois présentaient un diamètre de 0,07 à 0,08 m. 1079 L’édification de la fortification remonte à la deuxième moitié du IIIe s. et son abandon peut être situé au début du IVe s. De nombreuses monnaies de Postume, retrouvées dans le remblai des fossés, semblent attester que la forteresse devait exister avant 275. En revanche, la découverte de nombreuses imitations radiées tardives indique que le site a pu être occupé jusqu’au début du IVe s. 1080 En matière de chronologie relative, les trois excavations qui ont été enregistrées dans les fossés ne sont pas contemporaines : les plus tardives sont les plus profondes et les plus éloignées du centre du burgus. La première palissade a été construite après l’abandon du fossé I ; on peut la mettre sans doute en rapport avec le creusement du fossé II. La seconde palissade pourrait être liée à un ouvrage protégeant le foit, en arrière du fossé III. Liberchies II (Brunehaut) 1081 Le site se trouve localisé sur une petite éminence, au hameau Brunehaut, au nord de la voie romaine ; il est protégé naturellement par un vaste marécage, sur ses flancs nord et ouest. L’environnement du site ne paraît pas occupé de manière significative durant le Haut-Empire. Il se trouve localisé à 1400 m à l’ouest de l’agglomération secondaire des Bons-Villers, et du burgus de Liberchies I, abandonné au moment de l’édification du castellum de Liberchies II. Le castellum a été repéré en 1868. Il a fait l’objet de fouilles 594 systématiques en 1931 (J. Breuer), en 1955 et de 1968 à 1971. En 1983 et 1995 ont eu lieu des recherches complémentaires. 1082 Le site du castellum occupe une superficie de 2 ha environ et comprend des ouvrages différents. On distingue surtout la fortification en pierre de 25,4 ares et une enceinte défensive beaucoup plus vaste. 1083 La fortification emmuraillée, construite à une trentaine de mètres de la route, présente un plan quadrangulaire légèrement rhomboïdal de 45 x 56,50 m (fig. 410). Les murs ont une largeur de 2,80 m ; ils sont renforcés, aux angles, de tours circulaires de 6,50 m de diamètre hors-oeuvre. À l’intérieur du fort, on trouve les traces de plusieurs bâtiments appuyés contre la muraille. FIG. 410 Pont-à-Celles/Liberchies II. Plan du castellum (Mertens & Brulet 1974, h.t.). 1084 Vers le nord et vers l’est, le fortin était protégé par le marécage ; vers le sud et vers l’ouest, par un fossé large de 12 à 15 m. A l’angle nord-ouest du site, le grand fossé paraît s’interrompre sur une distance de quelques dizaines de mètres. Quelque peu en arrière, on enregistre l’existence d’un petit fossé palissadé de 4 m de largeur. 1085 Sur le flanc ouest, le fossé se situe à 74 m des murailles et la pente marécageuse orientale se trouve à une cinquantaine de mètres de celles-ci. Cette situation topographique a été mise à profit pour établir sur la terrasse des bâtiments externes au fort mais liés à lui. Vers l’est, deux bâtiments annexes au castellum, dont un établissement thermal, ont été implantés dans la zone laissée libre entre le marécage et l’enceinte emmuraillée. Vers l’ouest, il s’agit d’un baraquement en bois. 1086 La distance considérable de 74 m, qui sépare la muraille du castellum de la zone du fossé extérieur occidental, pose problème. Trois explications peuvent être avancées. La première envisage que le site ait fait l’objet d’un projet d’aménagement primitif beaucoup plus vaste, de 2 ha de superficie, qui n’ait pas été suivi d’effet. La seconde tente de montrer que le site a primitivement abrité un camp en matériaux périssables de grandes dimensions, avant de se réduire à l’espace du castellum emmuraillé. Une troisième hypothèse, plus pragmatique, vise à démontrer que la configuration du site a 595 été judicieusement mise à profit pour disposer d’un espace protégé, assez vaste, tout en édifiant un fort emmuraillé aux dimensions raisonnables. Dans toutes les hypothèses, une phase de construction primitive est attestée par la présence du petit fossé dont le tracé a été en grande partie repris par la suite lors du creusement du grand fossé. 1087 L’orientation des baraquements occidentaux, conforme à celle du petit fossé, rattache ceux-ci à la première phase. 1088 Dans l’un des bâtiments annexes au castellum, une monnaie de Constantin I (332-333) permet de fixer un terminus post quem à son édification. Le grand fossé défensif, quant à lui, connaît deux étapes dans son utilisation, la seconde postérieure à 341. 1089 La construction du castellum remonte à l’époque constantinienne ; on assiste à un abandon temporaire ou occupation réduite durant le début de la seconde moitié du IVe s. Le site est à nouveau occupé jusque dans le courant du Ve s. Il a pu abriter le contingent des Geminiacenses, mentionné par la Notifia Dignitatum. [2004] Bogaers & Rüger 1974 ; Breuer 1931 ; Brulet et al. 1995 ; Dewert & Severs 1982 ; Graff 1955-1960 ; Graff 1991 ; Lallemand 1974 ; Mertens & Brulet 1974.1990 1090 BIBLIOGRAPHIE 1091 RAUWSHANS → HEUMENSOORD REVELLES/LE TRÉLET Somme, France 1092 F. LEMAIRE 1093 Des fouilles menées en 2002 et 2003 par l’institut national de recherches en archéologie préventive (Inrap) sur l’emprise de l’autoroute A29 ont révélé à Revelles, à 14 km au sud-ouest d’Amiens, en bordure de la voie antique Amiens (Samarobriva) – Rouen (Rotomagus), l’existence d’une station routière construite à l’époque flavienne, puis abandonnée dans les premières décennies du IIe s. Juste au nord de la chaussée, sur une butte naturelle qui domine celle-ci de 4 m, fut ensuite édifié, sous Hadrien ou Antonin, le tombeau monumental d’un grand personnage. Le mausolée proprement dit se présentait sous la forme d’une pile de 5,80 m de côté, au centre d’un enclos rectangulaire d’environ 1400 m2, délimité et protégé par un mur de péribole en grand appareil isodome. L’accès au monument était situé au sud-ouest, dans l’axe du tombeau. Il était précédé par un porche monumental, détaché du péribole, à une distance de 3,55 m de celui-ci. Le mausolée fut à son tour englobé, sans doute sous le règne de Postume, dans un fortin routier, dont seule une partie a pu être fouillée. 1094 Le système défensif (fig. 411 et 412) est caractérisé par un fossé en V, dont la largeur oscillait à l’origine entre 8,20 m et 10,50 m, et la profondeur entre 4 et 6 m. Ce fossé a été creusé autour du péribole du mausolée, transformé de fait en rempart. Sa hauteur restituée était de 7,20 m au minimum. 596 FIG. 411 Revelles/Le Trélet. Plan du burgus ou fort routier, milieu du IIIe s. ap. J.-C. (F. Lemaire) : A titulum, B fossé défensif ; C accès étroit marqué par l’interruption du fossé défensif ; D baraquements militaires : constructions légères à poteaux plantés ; E première hypothèse de restitution : le fossé défensif entoure scrupuleusement le monument ; F seconde hypothèse envisagée à la lecture des photos aériennes : les fossés se poursuivent sur le versant pour délimiter un vaste camp. FIG. 412 Revelles/ Le Trélet. Vue en coupe du fossé défensif. photo F. Lemaire 597 1095 Le fossé s’interrompt sur moins de 1 m au niveau du porche du tombeau, qui devient alors la porte du burgus. Le passage est protégé par un titulum, long de 19 m. A l’intérieur de l’édifice, une soixantaine de trous de poteau, et quelques fosses, ont été découverts. Les trous de poteau et les calages qui les accompagnent forment des alignements parallèles à l’enceinte, qui attestent l’existence de baraquements ou d’aménagements du mur – chemin de ronde ? 1096 Quatre pointes de flèches en fer ont été trouvées, dont une provient du titulum. Sur les 872 monnaies recueillies sur le site, plus des trois-quarts proviennent de contextes liés au burgus. 641 espèces sont à l’effigie des usurpateurs gaulois, Postume, Victorin, Tétricus I et II Les imitations (82 %) sont prépondérantes. 1097 Seul le côté sud du fortin a été reconnu, sur une longueur d’environ 70 m. L’absence de fouilles, au nord de la partie dégagée, ne permet pas de décider si un fossé, symétrique au fossé sud par rapport à l’axe de la porte, a bien été creusé. En ce cas, le burgus présenterait une forme sub-carrée, de 70 x 65 m, ce qui est sans doute l’hypothèse la plus probable. Des photographies aériennes montrent toutefois, au nord de l’édifice, la présence de structures dont la relation avec le fortin du IIIe s. ne sont pas encore élucidées. 1098 INÉDIT [2004] RESSONS-LE-LONG/ARLAINES Aisne, France (cartes fig. 3,5 et 6) 1099 M. REDDÉ 1100 Situé à 11 km à l’ouest de Soissons, sur la route de Compiègne, le camp d’Arlaines est connu depuis le milieu du XIXe s. Son inventeur, l’abbé Pêcheur, y voyait une villa galloromaine, mais l’analyse du plan publié alors, ainsi que la découverte d’une inscription d’un cavalier Voconce (CIL XIII, 3463), permettaient à F. Oelmann, en 1920, d’identifier le site comme celui d’un camp. Les photographies aériennes et quelques sondages modernes de superficie très limitée sont venus confirmer cette hypothèse (fig. 413). 598 FIG. 413 Ressons-Le-Long/Arlaines. a vue aérienne de la retentura du camp ; b vue aérienne du camp, angle sud-ouest. photos B. Lambot 1101 Le camp mesure environ 280 x 175,60 m, soit une superficie de 4,91 ha (fig. 414). L’ensemble des structures actuellement conservées est en petits moellons soigneusement taillés, maçonnés sur des fondations de pierres sèches. Le rempart, sondé près de la porte nord, se présente à cet endroit comme un mur de 1,85 m de large dont les fondations descendent à 1,45 m sous le niveau du sol antique. L’élévation, conservée par endroits sur une ou deux rangées de moellons, est en retrait de 0,15 m. Les tours, de forme rectangulaire (6,20 x 4,40 m), n’offrent aucune saillie à l’extérieur du rempart ; elles sont distantes l’une de l’autre de 7,80 m. Un fossé en V, qui mesurait sans doute 2,50-3 m de large, pour une profondeur de 1,80 m, défendait les abords du rempart à un peu plus de 3 m devant celui-ci. Un fossé en V, probablement un titulum, barrait l’accès de la porte nord, à 10,40 m devant celle-ci. 599 FIG. 414 Ressons-Le-Long/Arlaines. Plan général du camp (Reddé 1985, 75, fig. 24). 1102 Les principia ont une superficie d’environ 1 402,75 m 2 (45,25 x 31 m). Le bâtiment, en pierre lui aussi, s’ouvre à l’est. Les plans anciens localisent près de l’entrée une mosaïque noire et blanche. L’ensemble est centré autour d’une cour non dallée dont le sol est constitué d’une couche de sable damé. Les armamentaria semblent ouvrir vers l’extérieur. Une basilique à nef unique, large de 5,20 m, avec un portique ouvert sur la cour, précède la chapelle aux enseignes, grande pièce de 6,65 x 5,85 m, dont l’entrée est marquée par un seuil de gros blocs ; aucune cave n’a été reconnue sous le sacellum. Les niveaux antérieurs éventuels n’ont pas été observés. 1103 Un ensemble thermal a en outre été sondé au nord des principia, mais n’a pu être entièrement dégagé. Quelques éléments de casernements ont aussi été mis au jour, sans qu’un plan cohérent apparaisse dans l’état actuel des recherches. D’après les relevés du XIXe s., le camp semble avoir des baraquements à huit contubemia. 1104 L’intérêt des sondages modernes a été de révéler la présence de niveaux antérieurs à la phase de construction en dur, notamment dans les tours, les thermes, les baraquements. Une mince couche cendreuse semble présente sur tout le site à la base des édifices en pierre. Des fossés antérieurs au rempart, et situés sous sa fondation, ont été mis en évidence. Le camp d’Arlaines a donc connu plusieurs phases constructives, et une fortification de terre, de gazon et de bois a probablement précédé une reconstruction en dur. De récentes photographies aériennes montrent l’existence, à l’ouest du camp, d’un probable vicus civil. 1105 Les problèmes de chronologie absolue sont difficiles à résoudre dans la mesure où le matériel des sondages modernes est très peu abondant. Le matériel était nettement plus abondant lors des fouilles du XIXe s., mais ni sa publication ni sa conservation n’ont été assurées. Une fondation augustéenne paraît exclue en l’absence de matériel 600 significatif (excepté un unique tesson d’Arétine, sans doute résiduel). Une datation tibérienne est en revanche probable. 1106 L’inscription du cavalier Voconce s’accorde bien avec cette chronologie et permet d’attribuer le camp d’Arlaines à une aile. Mais la superficie (4,91 ha) est très supérieure à la superficie normale des camps d’unité quingénaire, alors qu’elle conviendrait assez bien pour une aile milliaire. Ce type de troupe n’est toutefois pas clairement attesté avant l’époque flavienne, de sorte qu’on doit supposer, sans en avoir pour l’instant de preuve archéologique, que le camp d’Arlaines a été aggrandi à l’occasion de sa reconstruction en dur. C’est seulement à partir du milieu du règne de Domitien, en 89, que l’aile des Voconces arrive en Germanie inférieure. Or, l’abandon du camp d’Arlaines ne semble pas pouvoir être postérieur à cette époque car le matériel flavien tardif paraît absent du site. Le camp d’Arlaines semble donc avoir été fondé sous Tibère ou Claude, reconstruit en dur au début de l’époque flavienne, abandonné sous Vespasien ou Domitien. [2004] Oelmann 1920 ; Reddé 1985 1107 BIBLIOGRAPHIE RHEINBACH/FLERZHEIM Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne 1108 R. BRULET 1109 La forteresse se trouve liée à une villa romaine, sur le versant nord-est de la vallée du Swistbach. 1110 Un tour maçonnée de 8 m de côté (fig. 415) occupe le centre du site fortifié, entouré par deux fossés. Le fossé intérieur, de 5 m de large, a un fond plat au contraire du fossé externe, avec profil en V, de 3 m de large. Une couronne de petits pieux a été détectée autour du bâtiment. 1111 Le site de la villa est occupé au IVe s. 601 FIG. 415 Rheinbach/Flerzheim. Plan de la fortification rurale (Gechter 1986, 18, puis Brulet 1995a, 116). [2004] Brulet 1995a ; Gechter 1986 1112 BIBLIOGRAPHIE 1113 ROCHE Â LOMME (LA) → DOURBES ROCHE-BLANCHE (LA)/GERGOVIE GERGOVIA Puy-de-Dôme, France 1114 V. GUICHARD, Y. DEBERGE 1115 Notre principale source d’information sur le siège infructueux de Gergovia, au printemps de la septième campagne de la guerre des Gaules, est César lui-même (BG VII, 36-53). Il y est question de l’oppidum, situé “sur une montagne fort haute et d’accès partout difficile” (trad. Les Belles Lettres) et de divers détails des fortifications établies à ses alentours par le général romain (fig. 416) : • un “camp principal”, sans doute installé dès l’arrivée des troupes romaines ; • un “petit camp” établi pour deux légions sur “une colline” située “au pied de la montagne” et “très bien fortifiée par la nature et isolée de toutes parts” ; • un “double fossé de douze pieds de large”, établi “afin que même des hommes isolés pussent aller de l’un à l’autre à l’abri des surprises de l’ennemi” (fig. 416 et 417). 602 FIG. 416 La Roche-Blanche/Gergovie. Plan des fortifications césariennes au pied de Gergovie. dessin V. Guichard, Y. Deberge FIG. 417 La Roche-Blanche/Gergovie. Le fossé entre le camp et la colline de La Roche Blanche : a vue en plan ; b vue en coupe. photo V. Guichard, Y. Deberge 1116 Gergovia est identifiée depuis le XVIe s. (sinon plus tôt encore) au vaste plateau volcanique de Merdogne (70 ha ; commune de La Roche-Blanche), à quelques kilomètres au sud de Clermont-Ferrand. De très nombreuses découvertes archéologiques montrent effectivement que ce lieu était le siège d’un oppidum très densément peuplé au Ier s. av. J.-C. et quasi totalement déserté aux alentours du changement d’ère. Les premières 603 recherches méthodiques sur les fortifications césariennes furent l’œuvre du commandant Stoffel, aide de camp de Napoléon III. Ces observations ont ensuite été vérifiées à deux reprises, dans les années 1930 (travaux de M. Gorce), puis en 1994-97 (travaux de V. Guichard et de l’association du site de Gergovie). Ces observations, associées aux découvertes archéologiques sur le plateau lui-même et à la toponymie, ne laissent planer aucun doute quant à la localisation de la Gergovia de César. 1117 Les fouilles de Stoffel, effectuées au cours de l’été 1862, sont réputées avoir fourni le résultat escompté : le repérage des deux camps installés par César et du “fossé double” creusé par le général romain pour joindre les deux fortifications. En témoigne une documentation malheureusement laconique : principalement un plan d’ensemble des fortifications publié quelques années plus tard dans l’Histoire de Jules César, ainsi que des bornes en pierre installées sur le terrain à l’emplacement des fossés de fortification reconnus. En effet, contrairement au cas d’Alésia, le procès verbal de ces fouilles n’est pas conservé et l’on ignore presque tout des moyens engagés dans l’opération. De nouvelles fouilles eurent lieu entre 1936 et 1939. Le compte rendu, cette fois publié avec un grand luxe de détails, confirme, photos à l’appui, l’existence de fossés de profil en V suivant un tracé identique ou peu différent de celui proposé par Stoffel ; il souffre toutefois d’une illustration graphique médiocre, qui ne permet pas de localiser précisément les sondages effectués ; il néglige aussi les objets mobiliers. 1118 Les nouveaux sondages et suivis de travaux effectués entre 1994 et 1997 ont fourni l’opportunité de contrôler le résultat des observations archéologiques anciennes sur l’emplacement présumé des fortifications césariennes, sans jamais les contredire. 1119 Selon Stoffel, le camp principal, d’une superficie de 35 ha, est situé sur un bombement de terrain à 2,5 km à l’est de l’oppidum et séparé de lui par le vallon aujourd’hui marécageux de la Novialle, qui débouche dans l’ancien lac de Sarliève (asséché au XVIIe s.). La topographie peu marquée des lieux lui permet d’adopter une forme géométrique régulière, proche d’un carré, aux angles arrondis. On a pu contrôler la véracité de ces observations sur plusieurs points : tracé de l’angle nord-ouest, du côté ouest et d’une partie du côté est. Ce tracé est matérialisé par un fossé de profil en V très régulier (fig. 417b), dont le remplissage sombre tranche toujours nettement sur le sédiment encaissant (calcaire jaune). L’ouvrage est très arasé et a même complètement disparu sur certains tronçons ; sa profondeur conservée n’excède jamais 0,4 m. L’angle nordouest a livré quelques tessons de céramique de datation conforme aux attentes et un fragment d’orle de bouclier. 1120 Le petit camp, d’une superficie d’environ 5,5 ha, est situé sur la colline de La Roche Blanche, au sud de l’oppidum. Son plan curviligne épouse la topographie ; l’absence du fossé au sud et à l’ouest s’explique par la présence d’une falaise et d’une très forte pente. Ce fossé a été retrouvé et suivi sur 250 m en 1996 sur le front nord-est du camp. La fouille a aussi permis de noter que son tracé avait été reconstitué au XIXe s. au moyen de sondages en tranchées très rapprochés. Malgré des interruptions dues à des aménagements agraires plus récents (terrasses de vignes), le fossé du petit camp est en général bien mieux conservé que celui du grand camp. Sa largeur peut atteindre 3,5 m et sa profondeur 1,8 m. La datation et l’usage des lieux par des militaires romains sont attestés par quelques objets, en particulier quatre panses d’amphores Dressel 1 abandonnées au fond du fossé, deux traits de catapulte en fer et trois boulets taillés dans du basalte ou du granité. Aucun ouvrage annexe (palissade, fondations de 604 tours, etc.) n’a en revanche pu être détecté, mais les fouilles ont, sur ce point, été limitées. 1121 Les deux planches publiées à l’issue des fouilles de 1862 (Histoire de Jules César, pl. 21 et 22) montrent que le tracé de la fortification intermédiaire n’avait pas été suivi sur tout son parcours (une partie est représentée par une ligne pointillée), tandis que les différentes illustrations présentent des incohérences de détail qui suggèrent que l’illustration ne reproduit pas fidèlement les observations de terrain, notamment en ce qui concerne l’existence de deux fossés parallèles. Depuis 1994, le tracé de la fortification a pu être précisé grâce à quatre points d’observation, des pentes de la colline de La Roche-Blanche, à l’ouest, aux abords du camp principal, à l’est. Ce tracé épouse au mieux celui d’une ligne de crête qui, de l’angle sud-ouest du camp principal, se prolonge presque jusqu’à la colline de La Roche-Blanche. On a observé dans tous les cas un fossé unique, souvent fortement tronqué par l’érosion. Le tronçon le mieux conservé permet d’estimer sa largeur d’origine à 3,5 m, pour une profondeur de 1,8 m, avec un profil en V et un remplissage dissymétrique qui suggère un empilement des déblais sur son flanc sud. Aucune des diverses tranchées de sondage perpendiculaires au tracé n’a permis d’apporter des indices en faveur de l’existence à proximité d’un deuxième fossé, parallèle au premier. Par ailleurs, on ignore toujours comment l’ouvrage se raccordait avec les deux camps. [2004] Deberge & Guichard 2000 ; Gorce 1942; Guichard 2001 ; Guichard et al. 1994 ; Napoléon III 1865-1866. 1122 BIBLIOGRAPHIE 1123 ROCHEROU 1124 RÖDGEN → 1125 RÖTELSEE → AULNAY BAD NAUHEIM → WELZEIM ROTTWEIL ARAE FLAVIAE Bade-Wurtemberg, Allemagne (cartes fig. 6 et 7) 1126 C. S. SOMMER 1127 Rottweil est situé à l’intersection de deux grandes voies naturelles du sud-ouest de l’Allemagne. À cet endroit se croisent d’une part un axe ouest-est reliant le Rhin au Danube par les vallées du Kinzig à travers la Forêt Noire et celle du Prim dans les Alpes souabes, et d’autre part un axe sud-nord qui, du Rhin supérieur, passe par les sources du Danube et le bassin supérieur du Neckar pour atteindre le Neckar moyen. Le Neckar est, plus au nord, difficilement franchissable en raison du profil encaissé de sa vallée, de telle sorte que le seul passage réellement possible se situe à la confluence du Prim. 1128 Le site antique se trouve au sud-est de la ville actuelle dans un secteur qui est l’objet, depuis les années soixante, d’opérations d’urbanisme. Il est installé d’une part sur une terrasse argileuse, dans une boucle du Neckar, à l’ouest de la rivière (camps I et II) et de l’autre, sur la rive droite, au niveau d’un promontoire entre le Neckar et le Prim (camps III-V, futur municipium Arae Flaviae) (fig. 418). En dépit de fouilles réalisées depuis 1784, les camps occidentaux n’ont été découverts qu’en 1913, le camp III en 1968 et les camps IV et V après 1974. 605 FIG. 418 Rottweil. Plan général de situation des camps militaires. 1129 Le camp I, d’une superficie d’environ 16,6 ha, a été construit pour une légion lors de l’occupation de la rive droite du Rhin, au début du règne de Vespasien, lorsque fut entreprise la construction d’un iter derectum ab Argentorate in Raetiam (borne milliaire d’Offenburg). L’occupation du camp par la XIe légion est vraisemblable. Plus ou moins au même moment, les camps IV (environ 3 ha) puis V (environ 1,7 ha) ont été construits sur l’autre rive du fleuve pour des auxiliaires. Après le retrait des troupes et l’abandon du camp I, sans doute dans le contexte de la guerre des Chattes sous Domitien, le camp III (3,9 ha) a été installé pour remplacer le camp I et a abrité au moins une légion de cohorte restée à l’arrière. Le municipium Arae Flaviae a peut-être été fondé dans le secteur du castelllum III, à nouveau abandonné, et dans celui de son vicus, lors de l’organisation de la province de Germanie supérieure. Le camp II (environ 5,8 ha) a été érigé à la même époque sur l’autre rive du fleuve en tenant compte du tracé des voies du camp I. Son abandon s’est sans doute effectué lors de l’avancée des troupes sur le Neckar moyen, sous Trajan. À côté de la XIe légion, les estampilles témoignent de l’activité de la cohors III Dalmatarum, de la cohors II Aquitanorum equitata civium Romanorum, de la cohors I Flavia, de la cohors la Biturigum et de la cohors II Hispanorum. Camp I 1130 L’installation d’environ 426 x 390 m, orientée sud-est en direction du Neckar, est entourée d’un fossé en V ; au sud-ouest, vers le plateau, on connaît en revanche deux fossés de même type, d’une largeur qui atteint 7 m et d’une profondeur de 2,5 à 3 m. Des tours en bois d’environ 3,5 m de côté jalonnent un mur de gazon tous les 17,75 m (60 pieds). 606 1131 Le camp, subdivisé selon un rapport largeur/longueur de 1 : 2, montre, dans sa praetentura, quatre blocs de baraquements de 270 x 240 pas (longueur des baraquements, pris isolément : environ 65 m, largeur de la construction à hauteur de la tête de centurie : environ 12 m). Une parcelle pour les tribuns vient ensuite, du côté de la via principalis. Dans la retentura, il y a place pour six autres blocs de cohortes à côté de grands édifices et de thermes. Les poteaux des baraquements et des autres bâtiments étaient, en règle générale, érigés dans des sablières, ceux des murs intérieurs dans des fosses isolées. Dans le secteur postérieur du bâtiment principal, les poteaux de la première phase s’élèvent généralement à l’intérieur de trous isolés. La deuxième phase montre cependant, ici aussi, des tranchées de poteaux à l’intérieur desquelles les boisements, d’environ 28 x 18 cm, sont dressés tous les 1,2 m. La première phase s’est conclue dans de nombreux secteurs par un incendie. 1132 Les thermes se situent dans la moitié sud-ouest du camp, obliquement par rapport au reste du camp et suivant une orientation sud-nord exacte. Ils couvrent, avec leurs différentes annexes et dépendances, une superficie de 44 x 41 m (sans compter une possible palestre en bois). De plan simple, linéaire et symétrique à l’origine, avec laconicum, divers bassins et labra, ils ont été agrandis lors d’une deuxième phase et ensuite réduits à une installation asymétrique avec un laconicum circulaire, sans doute lors de la phase de construction correspondant à celle du camp III, postérieur. Le plan et les dimensions de ces bains sont bien cohérents avec ceux des installations thermales militaires contemporaines. Camp II 1133 Le camp II (262 x 221 m) a été construit sur le camp I, dont il conserve le tracé des voies principales. Il s’agit du seul camp de Rottweil construit en pierre, et d’ailleurs, contrairement à d’an ciennes hypothèses, sans prédécesseur en bois. Le mur en pierre, d’environ 1,9 m de largeur au niveau de sa base, et reposant sur des fondations relativement peu profondes, vient derrière un fossé assez plat d’environ 2 m de profondeur et de 6,5 à 6,8 m de largeur, après une berme d’à peu près un demi-mètre. Des couronnements de merlon, découverts en différents endroits du fossé, prouvent que le mur était doté d’un parapet. Des tours intermédiaires d’environ 4 x 4 m ont dû être construites en même temps que le mur. Les mesures très variables données pour la porte d’enceinte nord ne permettent pas de restituer ses dimensions de façon sûre. 1134 Le camp, orienté en direction du sud-est vers le Neckar, est installé de façon à ce que son côté sud-ouest entoure entièrement les anciens thermes. Il en ressort ainsi une répartition inhabituelle d’un rapport de 1 : 3. La disposition interne du camp est par ailleurs incertaine dans la mesure où les murs supposés romains se distinguent difficilement de ceux du Moyen Age. Camp III 1135 Le camp (213 x 187 m) (fig. 419) est orienté vers le nord-ouest, en direction du Neckar. Un mur en bois et terre, large de 4 m, est bâti derrière un fossé en V de 9 m de large et 2 m de profondeur, avec une berme de 1,5 m de largeur. Les faces interne et externe, construites verticalement en mottes de gazon, sont maintenues en élévation par d’autres assises boisées. La façade est renforcée tous les 3,3 m par des poteaux 607 verticaux. Des rampes d’accès au rempart apparaissent derrière le mur d’enceinte, parallèlement à celui-ci, dans le secteur des portes. FIG. 419 Rottweil III. Plan du fort (Sommer 1997). 1136 Des tours intermédiaires de 3,3 m de côté chevauchent le mur tous les 17,5 m. La porta decumana, large d’environ 3,5 m, avec un passage unique, ainsi que la porta principalis d’à peu près 6 m de large, avec passage double, sont défendues par des tours qui reposent sur six poteaux placés perpendiculairement au mur d’enceinte. Ces tours mesurent environ 6,6 x 3,6 m. 1137 La voie romaine venant de l’ouest et la voie sud-nord correspondent vraisemblablement à la via praetoria et à la via principalis. Les bâtiments édifiés le long de ces voies sont tous construits derrière des portiques. À l’exception du grenier, tous les édifices sont des constructions en colombages dont les poteaux sont généralement installés dans des sablières. Le bâtiment principal (53 x 37 m, portique compris) est constitué d’une cour entourée sur ses quatre côtés par un portique, d’une grande salle, ainsi que d’une aile transversale avec cinq pièces ouvertes sur la salle, au moins au niveau des fondations. Le praetorium situé au nord de cet ensemble présente également un portique sur la via quintana et est subdivisé en deux parties. Alors que le corps de bâtiment occidental, ordonné autour d’un péristyle, est disposé à peu près symétriquement par rapport à un axe nord-sud, la partie orientale montre une structure à subdivisions multiples et complexes. 1138 Le bâtiment situé au sud de l’édifice central, interprété à l’origine comme praetorium, est aujourd’hui identifié davantage à une fabrica. À l’intérieur de ce bâtiment de 33 x 31 m, des séries de pièces de structure différente, mais dans l’ensemble disposées symétriquement selon un axe est-ouest, sont disposées autour d’une cour intérieure partiellement bordée de portiques. 608 1139 La présence d’une construction de 18 x 15 m, avec portique, a pu être récemment attestée dans la partie nord du secteur central. L’absence de subdivision interne et de limites bien nettes font penser à un espace ouvert, par exemple pour les chevaux du praetorium voisin. À l’arrière, des surfaces de plus grandes dimensions semblent être restées libres. 1140 Beaucoup d’éléments incitent à croire que, dans la partie méridionale du secteur central, l’édifice interprété à l’origine comme marché est en réalité l’entrepôt du camp. Sa façade est placée en retrait, ce qui provoque un élargissement de la via principalis, en forme deplatea. L’édifice, de 16,50 m de largeur et 46 m de longueur avec une large entrée médiane et deux parties latérales, composées chacune de dix pièces, est construit en pierre, tout du moins au niveau des fondations. Il convient de noter que les fondations sont constituées de moellons et de couches intercalées de glaise (fortement argileuse). Les élévations sont construites selon une technique de coffrage. 1141 Les huit casernements de la partie postérieure du camp présentent une longueur d’environ 70 m, une largeur de 8,50 m dans la partie réservée à la troupe, de 11 m dans les têtes de centuries (la longueur à cet endroit d’à peu près 17 m). Les baraquements abritent treize contubernia. 1142 Plusieurs canalisations d’eau (la présence de tuyaux en bois avec cerclages de fer a pu être attestée) sont présentes à l’intérieur du camp et ont sans doute été installées avant la construction des bâtiments. L’alimentation en eau devait a priori se faire par la porta principalis sinistra et l’évacuation par la porta decumana. Des raccordements et des installations supplémentaires, entre autres une grande citerne, ont pu être mis au jour également au sud du camp. L’eau a vraisemblablement été conduite sur de longues distances. Camp IV 1143 Le camp (environ 200 x 160 m), peut-être orienté au nord-est ou au nord-ouest, possède sans doute un unique fossé en V sur le versant abrupt du Prim, et deux sur les autres côtés, vers le plateau ; séparés par un glacis d’environ 12 m, ces fossés ont jusqu’à 6 m de large et 3 m de profondeur. L’enceinte est constituée d’un mur de gazon avec des tours intermédiaires rectangulaires placées tous les 30-35 m. Le camp devait posséder au sud-ouest une annexe dont les fossés sont attestés par les mesures géophysiques. Aucune construction interne, à l’exception d’un petit fossé de drainage, n’a pu être reconnue. Camp V 1144 Le camp (150 x 110 m) est orienté au nord-est et englobé dans le périmètre du camp IV. Il y avait un fossé sur le côté du Prim et deux vers le plateau, de taille légèrement inférieure à celle des fossés du camp IV. Le mur, en bois et terre, est construit derrière une berme bien marquée ; il est renforcé à l’avant et à l’arrière par des poteaux (larg. environ 3 à 3,3 m). Des rampes marquées par des poteaux renforcés et parallèles au rempart apparaissent dans le secteur des tours intermédiaires. Là aussi, il s’agit sans doute d’un ajout. La porta decumana, d’environ 4 m de large, est flanquée de deux tours de 3,3 x 3 m. Les bâtiments internes sont en règle générale accompagnés de portiques donnant sur les rues. Les édifices de plus grandes dimensions sont construits en 609 colombages avec poteaux encastrés dans des sablières. Il existe cependant également des “appentis” avec trous de poteau isolés. Un bâtiment central d’environ 32 m de profondeur, semblable à celui du camp III est entouré de plusieurs blocs, longs de 18 m, qui comprennent alternativement un ou deux baraquements de cinq contubemia chacun. [2004] Franke 2003 ; Klee 1986 ; Klee et al. 1988 ; Misiewicz et al. 1993 ; Planck 1975; Rüsch 1981 ; ORL B, 62; Sommer 1992; Sommer 1997 1145 BIBLIOGRAPHIE RÖVENICH Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne 1146 R. BRULET 1147 Le fortin a été découvert par photographie aérienne. Le burgus se trouve à environ 1 km de la chaussée romaine de Zülpich à Trêves. 1148 Le site (fig. 420) est entouré par un fossé de 3,5 à 4 m de largeur. Il cerne, tout compris, une superficie carrée d’environ 44 m de côté. Une palissade court le long du fossé à une distance de 4 m. Les trous de pieux ont de 0,90 à 1,30 m de profondeur et 0,60 à 0,70 m de largeur. La distance entre les pieux est de 2,70 m. La porte est localisée au milieu du flanc nord, prolongée par un pont. 1149 Aucune construction n’a été retrouvée à l’intérieur. 1150 Le site ne présente qu’une seule période. D’après le matériel archéologique, il doit dater de la seconde moitié du IIIe s. FIG. 420 Rövenich. Plan de la fortification rurale (Brulet 1995a, 116). 610 [2004] Brulet 1995a ; Heimberg 1977. 1151 BIBLIOGRAPHIE 1152 RUBRICAIRE (LE) → SAINTES-GEMMES-LE-ROBERT RÜSSELSHEIM Hesse, Allemagne 1153 E. SCHALLMAYER 1154 À environ 2 km à l’est de Rüsselsheim a été fouillée en 1963, à l’occasion d’une construction autoroutière, au lieu-dit Hasslocher Tanne, une des rares tours routières romaines actuellement connues (fig. 421). FIG. 421 Rüsselsheim. Tour routière (Schallmayer 1989, fig. 443). 1155 Un fossé en V, large de 1,20 à 1,80 m et d’une profondeur atteignant 0,80 m, entoure une surface ovale au centre de laquelle les traces de quatre poteaux en bois (0,45 x 0,34 m) ont pu être constatées. Ceux-ci appartiennent sans aucun doute à une tour en bois de 3 x 2,80 m. À l’exception d’un petit foyer à proximité du poteau d’angle nord-est, aucun autre vestige n’a été relevé à l’intérieur de la zone incluse par le fossé. L’entrée se trouve à l’est et devait être protégée par un autre bâtiment. Juste derrière l’extrémité méridionale du fossé, on reconnaît effectivement les vestiges de poutres longues de 2 m et larges de 0,20 m sur 0,40 m, sans doute les sablières d’un petit poste de garde. 1156 D’après le matériel découvert en fouille dans le fossé, la tour pourrait avoir été érigée vers la fin du Ier s. ap. J.-C. Elle ne subsista apparemment pas très longtemps, car aucune découverte datée de la deuxième moitié du IIe s. ap. J.-C. n’a été mise au jour. La tour, si l’on en croit un autel votif dédié aux divinités des carrefours (CIL XIII, 6429a), découvert en 1802 près de Rüsselsheim, s’élevait à proximité du croisement supposé de deux voies romaines de Hofheim à Gross-Gerau et de Rüsselsheim à Seligenstadt. La dune de sable offrait l’emplacement idéal pour un poste chargé de la sécurité et de la surveillance des routes. 611 [2004] Roth 1965-1966 ; Schallmayer 1989 ; ORL A, III/IV, p. 73 1157 BIBLIOGRAPHIE 1158 SAALBURG (DIE) → BAD HOMBURG VOR DER HÖHE SAINT-BERTRAND-DE-COMMINGES / ENCRAOUSTOS Haute-Garonne, France 1159 M. REDDÉ 1160 À l’est de la petite ville antique de Saint-Bertrand-de-Comminges (fig. 422), au pied des Pyrénées, au lieu-dit Encraoustos (“l’enclos”), l’étude des photographies aériennes et les débroussaillements ont permis, en 1989, de mettre en évidence la présence d’un camp militaire romain de 2,85 ha (176 x 162 m) (fig. 423) avec une enceinte de pierres maçonnées, aux angles arrondis, flanquée de tours quadrangulaires internes avec un faible saillant sur l’extérieur de la courtine. Chaque côté présente une porte médiane. Le rempart, large de 1,45 m à sa base, est conservé à certains endroits sur une hauteur de 3,90 m (fig. 424) ; il est fondé sur une couche de galets sans liant, surmontée d’un lit d’éclats calcaires disposés de chant sur deux niveaux et liés au mortier. Le mur luimême comprend deux ressauts qui réduisent son épaisseur vers le sommet (1,25 m à une hauteur de 1,50 m, puis 1,15 m à une hauteur de 1,90 m). Le parement (calcaire et galets) est composé de blocs de moyen appareil (ép. 0,13 m ; long. 0,45 m ; larg. 0,10 m) et semble avoir été crépi. L’enceinte est adossée à une levée de terre interne qui la contrebute et précédée par un fossé large de 4, 50 m, profond de 1, 50 m, à fond plat. Les tours du rempart (fig. 425) (3,50 x 3,50 m hors tout) sont chaînées avec l’enceinte à partir de la onzième assise et leur partie inférieure est comblée avec des gravats noyés dans un mortier. Le saillant extérieur est faible (de 0,75 à 0,80 m). La hauteur du rempart a été estimée à 5,80 m. Au contraire, les tours des portes comprennent une pièce basse, ouverte sur l’intérieur du camp (6,10 x 3,75 m hors tout). Le passage de la porte ouest, large de 3,85 m, long de 6,10 m, comprend un seuil de pierre, à 2 m en retrait derrière la face externe de la tour. Un second état, construit sur un remblai, semble prouver l’existence d’une réutilisation du camp au IVe s. après une période d’abandon. Le fossé est interrompu devant la porte. 1161 L’intérieur du camp n’a fait l’objet que de sondages et reste donc largement inconnu. 612 FIG. 422 Saint-Bertrand-de-Comminges/Encraoustos. Plan de la ville antique (Schaad & Schenk-David 2003, 128). FIG. 423 Saint-Bertrand-de-Comminges/Encraoustos. Plan du camp (Schaad & Soukiassian 1990, 129, fig. 2). 613 FIG. 424 Saint-Bertrand-de-Comminges/Encraoustos. Coupe du rempart du camp (Schaad & Soukiassian 1990). FIG. 425 Saint-Bertrand-de-Comminges/Encraoustos. Angle sud-ouest, tour 1 (sondage 1) : plan et profil (Schaad & Soukiassian 1990). 1162 Que venait faire un tel camp, probablement occupé par une cohorte, compte tenu de sa taille, au pied des Pyrénées ? Il s’agit en effet d’un cas unique qui reste largement inexpliqué. La fondation semble contemporaine du règne de Septime Sévère ou légèrement postérieure, si l’on en croit une trouvaille monétaire dans le premier niveau de la voie, à l’extérieur de la porte ouest. Il est en outre très vraisemblable que la construction du camp ne soit pas postérieure à la fin du IIIe s., si l’on se réfère à la typologie de l’enceinte, encore caractéristique du Haut-Empire. Le second état correspond à une occupation vers la fin du IVe s. 614 1163 Les récents travaux menés sur la ville de Saint-Bertrand-de-Comminges ne semblent pas montrer de niveau général de destruction dans le courant du IIIe s., de troubles qui pourraient justifier la présence d’une unité militaire dans cette région. Les passages pyrénéens pouvaient certes nécessiter la présence d’un poste, mais on voit mal pourquoi cet endroit, qui n’est pas stratégique et situé au pied d’un grand col, aurait été privilégié, à cette époque en particulier. On peut en revanche suggérer que le contrôle des carrières pyrénéennes, notamment celles du marbre de Saint-Béat, nécessitait la présence d’une troupe. [2004] Schaad & Soukiassian 1990 ; Schaad & Schenk-David 2003. 1164 BIBLIOGRAPHIE 1165 SAINT-LAURENT BLANGY → ARRAS/LA CORETTE SAINT-MALO/ALET REGINCA Ille-et-Vilaine, France (carte fig. 15) 1166 L. LANGOUËT 1167 Alet, communément appelé “la cité”, est un imposant promontoire de 14 ha situé à l’embouchure et sur la rive droite de la Rance, à 1 km au sud de Saint-Malo intramuros ; agglomération gauloise désertée vers 25 ap. J.-C., Alet dominait un port qui resta cependant actif durant toute l’époque gallo-romaine. Inclus dans la civitas des Coriosolites, ce site portuaire, dénommé Reginca (nom gaulois de la Rance), était relié à son chef-lieu, Fanum Marris, par une voie romaine mentionnée dans la Table de Peutinger. Vers 275 ap. J.-C., devant le danger maritime qui devait être prédominant dans la région, Alet fut réactivé et une ville nouvelle y fut créée à l’abri d’un rempart de 1 800 m de long, alors que le chef-lieu de la civitas ne fut pas fortifié et entra dans une phase de déclin. Cette fortification urbaine avait le triple avantage d’offrir un refuge aux populations, de verrouiller l’entrée de la Rance, voie de pénétration navigable vers ce chef-lieu, et de contrôler la voie romaine menant à Fanum Martis et à Condate, chef-lieu de la civitas des Riedones. 1168 La Notitia Dignitatum indique que, vers la fin du IVe s., un préfet des légionnaires Martenses, constitués de fantassins et de cavaliers, séjournait à Alet dans le cadre du système défensif des côtes, le tractus Armoricanus. Deux constructions, retrouvées lors de fouilles menées de 1972 à 1981, correspondent à cette présence militaire : des principia et un castellum. 1169 Simultanément à l’arrivée des Martenses, une modification de frontières entre civitates attribua à la civitas des Coriosolites les côtes de l’embouchure du Couesnon à la baie de Saint-Brieuc ; la nouvelle répartition territoriale donna à Alet une place plus centrale sur cette nouvelle façade maritime. Comme pour tous les autres quartiers généraux du tractus Armoricanus, le site offrait aussi la possibilité d’accueillir une flotte susceptible d’embarquer une infanterie pour prendre à revers toute incursion littorale. 1170 Autant l’enceinte gallo-romaine de la ville d’Alet était connue par des textes, des plans ou des gravures depuis le XIIe s., autant les constructions liées à une présence militaire romaine étaient inconnues avant les fouilles récentes. 615 Les principia 1171 En 365-370 ap. J.-C., 2 500 m2 du centre de la ville gallo-romaine, constitué principalement d’habitations, furent rasés pour permettre la construction d’un grand ensemble (fig. 426) comprenant quatre parties distinctes : • une grande salle, orientée est-ouest, large d’environ 10 m et longue d’au moins 35 m, pourvue d’une estrade occidentale de 5 m ; • une autre salle, longeant la salle précédente, large de 4,5 m et longue d’au moins 30 m ; • une grande cour d’au moins 1 200 m2 ; • une galerie-couloir large d’environ 4,5 m entourant la cour sur au moins deux, et probablement trois côtés. FIG. 426 Saint-Malo/Alet. Plan du castellum de Solidor (d’après Langouët, dir. 1996). 1172 La fouille ne permet pas d’avoir le plan complet du bâtiment, le reste se trouvant sous une rue et, au-delà, sous des maisons neuves, mais fournit un terminus post quem de la date de construction en 364 ap. J.-C. La grande salle, avec son estrade empierrée, se présente comme une salle de type basilical. Des renforts maçonnés, répartis régulièrement le long des murs, devaient supporter la charpente, probablement pour soulager les murs de la pression importante d’un toit de tegulae et d’imbrices. En se basant sur la régularité de ces renforts, la longueur de la grande salle a pu être estimée à au moins 41 m et sa superficie à au moins 400 m 2 ; son sol était recouvert de dalles de briques. 1173 La cour intérieure constituait un espace libre de toute construction, avec une légère pente (3 %). La galerie environnante avait un sol d’argile jaune battue. Divers mobiliers étaient répartis le long des murs extérieurs couverts d’enduits peints, en particulier un coffre en bois et une base de pierre ayant dû supporter une statue en marbre dont un petit fragment fut retrouvé. Le mur intérieur supportait une colonnade de briques, recouvertes d’un enduit imitant un marbre noir veiné ; ces colonnes soutenaient la 616 partie basse d’un toit à une pente recouvrant cette galerie. L’entrée de l’ensemble devait se situer dans la façade est, malheureusement inaccessible à la fouille. 1174 Ce bâtiment tardif a les principaux éléments constitutifs de principia militaires. D’après la Notitia Dignitatum, la légion des Martenses était répartie entre Alet et Altrip ; or, ce dernier castellum fut aménagé en 368 ap. J.-C., sous le règne de l’empereur Valentinien Ier. L’implantation des Martenses à Alet a pu se faire à la même époque si l’on en croit le regain d’activité du site à partir de 364 ap. J.-C., attesté par l’analyse statistique des découvertes monétaires sur l’ensemble du site d’Alet. FIG. 427 Saint-Malo/Alet. Plan partiel des principia retrouvés au centre de la ville gallo-romaine d’Alet. Les parties en noir correspondent aux murs mis au jour, les parties en pointillés, aux murs interpolés (d’après Langouët, dir. 1987). Le castellum 1175 Au milieu du IVe s., à la suite d’un envahissement marin lié à une modification topographique, le port d’échouage de Reginca (Alet) se transporta de la face maritime d’un cordon alluvionnaire au pied des remparts d’Alet, à l’abri d’une grande roche, dite “de Solidor” ; jusqu’alors, ce rocher ne présentait qu’une source d’eau douce alimentant une aiguade placée en contrebas. Du fait de son entourage régulier par la mer, ce rocher, situé face à la partie basse des remparts, prit une importance stratégique qui n’échappa pas aux militaires. 1176 Il n’est donc pas étonnant d’y constater l’aménagement d’un castellum du Bas-Empire (fig. 427). Le rocher de Solidor, séparant l’anse du même nom de l’anse Saint-Père, fut ceinturé d’un rempart d’environ 200 m, dont une partie subsiste, au nord-ouest, sous la forme d’un long mur, pourvu de chaînages de briques et large d’environ 1,5 m à sa base ; sa courtine, en mortier de tuileau et large de 90 cm, fut retrouvée intacte lors des 617 fouilles, sous 80 cm de remblai. Cette maçonnerie repose directement sur la roche rendue abrupte à la suite d’une taille et sous des restaurations médiévales. Face à la Rance, une tour ronde, d’un diamètre de 11 m, complétait le système défensif ; elle subsiste en grande partie à la base de la tour occidentale du château médiéval de Solidor sous la forme d’une maçonnerie cylindrique en opus incertum, avec des inclusions de briques et du mortier de tuileau. Les trois renforts appliqués au XIVe s. contre cette tour permirent d’en augmenter l’élévation en pierres de taille. Cette tour romaine était connue au Xe s. sous l’appellation de “tour d’Oreigle”. 1177 À environ 2,3 m sous le niveau actuel du sol bastion, on a découvert les restes d’un bâtiment gallo-romain adossé au rempart sud. Son sol empierré, retrouvé sous une couche de charbons de bois, de tegulae et d’imbrices, avait été aménagé par comblement d’un aqueduc à ciel ouvert conduisant antérieurement l’eau d’une source aménagée à l’aiguade du port. Une datation archéomagnétique a fourni une date de cuisson des tuiles de la toiture entre 370 et 410 ap. J.-C. Or ce bâtiment ne peut être que postérieur au rempart. 1178 Dans les ruines de ce bâtiment étaient conservés une boucle de ceinture en bronze de type militaire et un sauroter, ou talon de lance, en bronze. Les monnaies récupérées sur le sol correspondent à une fréquentation du dernier quart du IVe s. ap. J.-C. [2004] Langouët 1983 ; Langouët 1987 ; Langouët 1996 ; Langouët 2002 . 1179 BIBLIOGRAPHIE SAINTE-GEMMES-LE-ROBERT/LE RUBRICAIRE Mayenne, France 1180 M. REDDÉ 1181 La petite forteresse du Rubricaire (fig. 428), à une dizaine de kilomètres au sud-est de Jublains (Mayenne), est située sur une légère éminence qui lui offre une vue dégagée sur le bassin de Laval, mais est dominée par la crête du mont Rochard. Les premières fouilles exécutées en 1834 furent suivies d’une phase de récupération des matériaux. Les ruines montraient encore, à l’époque, une élévation de 8 m. Un second dégagement eut lieu en 1903, avant que R. Rebuffat et J. Napoli ne reprennent l’étude du monument, à partir de 1975. 618 FIG. 428 Sainte-Gemmes-le-Robert/Le Rubricaire. Plan de la forteresse (Naveau 1992, 111, fig. 238). 1182 La forteresse actuelle se présente comme un quadrilatère d’une quarantaine de mètres de côté, construite en petit appareil sans rang de briques, avec des bastions carrés saillants, si l’on en croit le seul angle bien visible. Le rempart semble large d’environ 2 m. La présence d’un mur intérieur parallèle à la courtine indique vraisemblablement la présence de casernements adossés à celle-ci, ce qui suppose l’existence d’une cour centrale. De petits thermes extérieurs sont reconnaissables au sud-ouest. Le périmètre défensif est recouvert d’un talus médiéval et une motte s’est installée sur l’angle nord-est. Aucune datation précise ne peut être avancée pour ce qui constitue évidemment un petit ouvrage de (’Antiquité tardive. [2004] Napoli 1992 ; Naveau 1992. 1183 BIBLIOGRAPHIE 1184 SCARPONNE → DIEULOUARD SENON Meuse, France 1185 R. BRULET 1186 Le site se trouve à 20 km au nord-est de Verdun, dans le département de la Meuse. Il est aussi connu sous le nom de Bourge de Senon et est situé sur une petite éminence. Cette fortification surveillait la route qui réunissait la voie Verdun-Metz et Reims-Trèves. Senon était un centre routier important, tout comme Etain l’est aujourd’hui. 1187 Dès le XIXe s., les fouilles mettent au jour différentes structures et des monnaies de la période gauloise à Valentinien II Une fortification appelée “le Bourge” est mentionnée 619 et décrite par J. Clercx. Les fouilles effectuées par l’armée allemande en 1917 ont partiellement vérifié ces informations. G. Chenet et M. Toussaint ont ensuite repris l’ensemble de ces travaux sous forme d’articles. Les recherches récentes sont fort limitées : essentiellement un sondage en 1970 par J. Guillaume à l’endroit du fort. 1188 Le viens existait dès le Haut-Empire et s’étendait jusqu’à l’endroit du castellum. Cette agglomération a sans doute été réduite au Bas-Empire au profit du fortin, construit sur un bâtiment privé. Elle se situait plus loin, au nord et à l’est du castellum ; des vestiges de substructions importantes y ont été identifiés. 1189 L’enceinte (fig. 429) délimite un carré de 50 m de côté. La partie nord-ouest était bien conservée, la muraille pouvait par endroits mesurer 2 m de hauteur. Une interruption de la muraille sur 8,25 m du côté nord a été mise au jour. Il s’agit vraisemblablement d’une porte. Dans l’angle nord-ouest, des aménagements sur un espace rectangulaire de 6,85 m (nord-sud) x 6,30 m (est-ouest) ont été repérés. Peut-être s’agissait-il d’une tour. La présence de tours d’angles ou encadrant la porte n’est pas attestée. Les angles sud-ouest et nord-est ont été totalement détruits et n’ont pu être observés. Aucune trace de construction interne ou de fossé n’a été répertoriée. FIG. 429 Senon. Plan du fort (Grenier 1931, 448). 1190 Le mur construit en petit appareil a une épaisseur de 1,20 m. Au sud, il repose sur des fondations réalisées en épais blocs de pierre de remploi. 1191 Les monnaies et la céramique découvertes autour du fortin attestent que le burgus de Senon a été occupé tout au long du Bas-Empire. On peut avancer que la construction du castellum eut lieu après les invasions de 256, datation réalisée grâce aux stèles découvertes dans les substructions. [2004] Feller & Georges-Leroy 1998 ; Grenier 1931. 1192 BIBLIOGRAPHIE 620 SOLEURE SALODURUM Soleure, Suisse 1193 R. FELLMANN 1194 Le castellum tardo-antique correspond dans l’ensemble à l’actuelle vieille ville de Soleure (Suisse, carte nationale, feuille 1127). Il se situe sur la rive gauche de l’Aare et occupe l’emplacement d’un vicus dont l’extension est identique à celle de la vieille ville (environ 500 x 350 m). La voie romaine d’Aventicum à Vindonissa passait à cet endroit sur la rive gauche de l’Aare, afin d’éviter le franchissement de l’Emme qui, venant du sud, se jette dans l’Aare en amont de Soleure. 1195 En 1762-1763, plusieurs inscriptions et deux sarcophages furent découverts lors de la démolition de l’ancienne église Saint-Ours en vue de la construction de la cathédrale actuelle. À partir de 1887, mais essentiellement en 1939, le tracé du mur du castellum a été dégagé et défini en plan (fig. 430). L’angle sud-ouest a été démoli en 1909. De véritables fouilles ont été effectuées en 1946 sur la place du cimetière, en 1963 et 1964 dans la Hauptgasse, en 1960-1962 au niveau de la “tour rouge”, en 1966-67 dans la chapelle Saint-Pierre, en 1964 au no 141 de la Hauptgasse et en 1986 lors de la démolition d’une maison à quelques mètres à l’est de la porte d’enceinte méridionale ; enfin, lors de la destruction de l’ancien cinéma “Élite”, où des sondages en 1985 et une fouille en 1986 avaient été possibles. FIG. 430 Soleure/Löwengasse 15. Plan du castrum (Fundmeldungen und Grabungsberichte 2000 ; Nogara & Schucany 2001, fig. 55). 621 1196 Le nom antique du lieu est connu en tant que Salodurum par la Table de Peutinger et l’Itinéraire d’Antonin d’une part, et confirmé d’autre part par l’épigraphie grâce à deux inscriptions (CIL XIII, 5170 et Ber. RGK, 40, 1959, n o 52). 1197 À la fin de l’Antiquité, le castellum a été construit sur le vicus (détruit ?). Sa superficie interne s’élève à environ 13000 m2. Il appartient typologiquement à la série de forteresses au tracé en forme de cloche et s’apparente ainsi, par sa forme, à ceux d’Olten et de Brugg/Altenburg. Le mur d’enceinte a pu être observé en de nombreux endroits et son tracé clairement défini (fig. 431). Il s’agit d’une construction à double coffrage reposant en certains points sur des pilotis. Le mur présente une épaisseur de 2 à 2,50 m et est, par endroits, encore conservé en élévation sur une hauteur de 9 m. La présence, en certains points, de pierres de remploi en fondation a pu être attestée. Un bâti de bois dans les élévations semble manquer. Les vestiges de tours ont pu être observés sous la forme de renforcements des murs. La position des portes d’accès n’est pas prouvée de façon indubitable en dehors de la porte nord. Ses tours étaient édifiées en blocs de grand appareil. Le passage est mal connu ; il est attesté par un refend large de 6 m, en fondation. Au nord du castellum, deux fossés ont pu être repérés, parallèlement au mur du camp, à 20 m de celui-ci. Le plus ancien de ces fossés, celui de l’intérieur, avait une profondeur de plus de 2 m et une largeur dépassant les 6 m. Le fossé le plus récent avait une profondeur de 2 m et une largeur de 5 m. La présence du mur de fondation du côté de l’Aare a pu être clairement constatée. Ce mur présentait une longueur de 152 m. La distance de celui-ci jusqu’au sommet de l’enceinte du castellum s’élevait à 117 m. FIG. 431 Soleure. Restes de la muraille antique. photo R. Fellmann 1198 Des restes des bâtiments internes du castellum ont pu être observés essentiellement à la limite nord de la place du cimetière. Des nécropoles antiques tardives devraient se trouver dans le secteur de la chapelle Saint-Pierre (memoria en pierre) et autour de la cathédrale Saint-Ours. 622 1199 Les recherches effectuées à l’occasion de la démolition de l’ancien cinéma “Élite” ont fourni des éclaircissements sur la chronologie du castellum. Celui-ci semble avoir été érigé à l’époque de Constantin, après 325 mais avant 350, peut-être même avant 330. [2004] Drack 1948 ; Drack & Fellmann 1988 ; Fellmann 1992, 324 ; Hochstrasser 2001 ; Meisterhans 1890; Nogara & Schucany 2001 ; Spycher 1990; Spycher & Schucany 1997 ; Tatarinoff-Eggenschwiler 1940. 1200 BIBLIOGRAPHIE STOCKSTADT AM MAIN Bavière, Allemagne (cartes fig. 7 et 8) 1201 D. BAATZ 1202 Les castella et le vicus de Stockstadt, à environ 5 km à l’ouest d’Aschaffenburg, constituent les sites les plus extensivement fouillés sur le limes du Main. Les fortifications suivantes ont été identifiées (fig. 432) : • un petit castellum en bois (castellum I ; 0,3 ha), érigé vraisemblablement peu après 90, au nord du camp de cohorte ultérieur ; • un petit castellum en bois [castellum II), construit avant 100, sans doute à peine plus grand que son prédécesseur le castellum I ; • le camp de cohorte de 3,2 ha de superficie pour une cohors quingenaria equitata ; d’abord construit en bois autour de 100 (castellum III) ; • reconstruction en pierre de l’enceinte du castellum III vers le milieu du IIe s (fig. 433). Cette enceinte était dotée de quatre portes, dont seule la porte principale, dirigée vers le Main, possédait un passage d’accès double ; les trois autres portes étaient simples. Un fossé défensif rudimentaire courait devant le mur d’enceinte. Il convient de mentionner la présence d’une cave sous une tour de la porte sud-est. Des tours intermédiaires et des tours d’angle devaient a priori s’élever derrière le mur du castellum. C’est seulement dans la phase tardive de celui-ci qu’ont été érigées des tours d’angle en pierre, faisant largement saillie vers l’extérieur et qui sont attestées au niveau des angles est et nord du camp. Ces tours anticipaient la technique des fortifications tardo-antiques. Sur le limes de Germanie supérieure, de telles tours n’ont été, par ailleurs, observées que dans le castellum de Niederbieber, érigé ultérieurement, vers la fin du second siècle. Le camp de Stockstadt a perduré jusqu’à la fin du limes au milieu du IIIe s. 623 FIG. 432 Stockstadt am Main. Plan général des structures fouillées : camp et vicus (Wamser 1991a, 99, fig. 68). FIG. 433 Stockstadt am Main. Plan du fortin. dessin D. Baatz 624 1203 À l’intérieur du castellum III, les cohortes suivantes ont été successivement stationnées : cohors IIIa Aquitanorum equitata civium Romanorum ; depuis le milieu du IIe s., cohors IIa Hispanorum equitata ; cohors la Aquitanorum veterana equitata depuis la fin du IIe s. ou le début du IIIe s. Dans la mesure où le castellum, avec une superficie de 3,2 ha, apparaît plus que suffisant pour une cohorte quingenaria equitata, on peut supposer la présence d’un numerus d’un effectif d’environ cent cinquante à deux cents hommes comme troupe supplémentaire de garnison ; il n’existe cependant pas de preuve épigraphique à l’appui de cette hypothèse. 1204 En raison des méthodes de fouilles de la fin du siècle dernier et de l’inaccessibilité de certaines parcelles de terrain, les bâtiments intérieurs du castellum ne sont que partiellement connus. Le plan des principia est celui qui apparaît le plus clairement. Il est sans doute quelque peu idéalisé et montre avant tout le dernier état de construction, dans la première moitié du IIIe s. Lors de cette phase de construction, l’édifice présentait essentiellement des fondations en pierre ; néanmoins, le hall d’entrée était encore construit en bois. On a trouvé dans la cour intérieure un puits et une citerne qui ne semblent pas contemporains. Des substructions en pierre surmontées d’un socle profilé, supportant sans doute un autel, ont été mises au jour exactement au centre de la cour (fig. 434). Une disposition analogue a été observée à l’intérieur des principia du castellum de Aalen. Les autres bâtiments intérieurs étaient construits en bois et n’ont pas été fouillés. Dans les dernières phases de construction, les bâtiments en bois ont été dotés de certains éléments construits en dur (notamment des hypocaustes, des caves) et seuls ces derniers ont été reconnus lors des fouilles. Une de ces constructions en dur (bâtiment K) possédait deux fours à pain ainsi que des moulins à céréales et a été identifiée comme une boulangerie. Le bâtiment K était sans doute la tête de centurie d’un baraquement en bois. Il pourrait ressembler aux fabriculae du castellum Valkenburg. Ce baraquement s’est peut-être étendu à côté des principia, depuis le bâtiment K jusqu’à la via principalis, d’une manière à peu près semblable à celle que l’on observe à Valkenburg ou à Echzell. FIG. 434 Stockstadt am Main. Socle dans les principia (ORL B, III, 33, pl. 3, 8a). 1205 Un vaste vicus s’étend le long des voies qui sortent des portes latérales du camp. Les habitations sont le plus souvent des maisons alignées, avec une cave du côté de la rue. Le centre du vicus se trouvait au sud du castellum. On observe à cet endroit des insulae avec rues parallèles et orthogonales. Les thermes du camp sont construits à l’emplacement habituel “à droite de la porte principale du castellum”. Les installations artisanales inflammables (tuilerie, poterie) ont été, comme il est d’usage, rejetées en limite du site. Plusieurs sanctuaires sont également situés dans cette zone : deux mithrea, un sanctuaire à Dolichenus et divers autres (IOM, Fortuna, Nymphéa). Ces sanctuaires, ainsi que l’aire sacrée des bénéficiaires, ont livré une quantité considérable d’inscriptions et de sculptures rarement mises au jour sur les autres sites du limes. La 625 route même du limes, qui suivait le Main, passait –comme dans le cas de Butzbach– devant le castellum. 1206 Un appontement en bois pour les bateaux, devant la façade du camp, souligne l’importance du Main comme voie de transport et devait sans doute servir de base aux bateaux de guerre romains pour surveiller la rivière, qui forme frontière à cet endroit. La statio des bénéficiaires, avec son aire sacrée, se trouve directement à côté du quai. [2004] Baatz 1969 ; Dietz 1991 ; ORL B, III, 33 ; Schbnberger 1985 ; Wamser 1991a. 1207 BIBLIOGRAPHIE STRASBOURG ARGENTORATE Bas-Rhin, France (cartes fig. 3, 5, 7, 8 et 13) 1208 M. REDDÉ, G. KUHNLE, F. LATRON, B. GISSINGER, M.-D. WATON 1209 L’histoire de Strasbourg romaine repose sur une information archéologique ancienne dont la fiabilité est incertaine. R. Forrer avait, au début de ce siècle, collationné l’ensemble du matériel alors disponible et compilé les informations des fouilles antérieures, mais celles-ci n’offrent le plus souvent aucune stratigraphie utilisable ; les recherches archéologiques de l’après-guerre n’ont porté que sur des secteurs toujours limités en superficie. Surtout, la chronologie a le plus souvent été établie grâce à des repères altimétriques constitués par des “couches d’incendies” raccrochées à des événements historiques ; ce système doit être aujourd’hui entièrement passé au crible de la critique dans la mesure où aucune analyse fine et publiée du matériel ne le fonde cas par cas. Depuis le début des années 1970, d’assez nombreuses fouilles de sauvetage, parfois de grande ampleur, ont eu lieu. Elles n’ont malheureusement pas fait l’objet de publications scientifiques exhaustives. 1210 La présence humaine sur le site au moment de l’installation romaine est incertaine ; le matériel “protohistorique” est mélangé à du matériel romain, ce qui n’autorise pas à envisager l’hypothèse d’un habitat de La Tène finale dans le centre ville. Le matériel augustéen est essentiellement concentré au nord-ouest du futur site légionnaire, autour de la place de l’Homme-de-Fer et de la place Kléber (fig. 435), mais malheureusement trop souvent hors contexte. En tout état de cause, il ne semble pas qu’ait jamais été identifié, à quelque endroit que ce soit, l’“horizon d’Oberaden”. En revanche a été découvert, près de la place de l’Homme-de-Fer, un complexe de six fossés parallèles, associés à des séries de “piquets", qui pourraient être des défenses avancées (fig. 436). L’interprétation militaire de ces structures paraît très vraisemblable ; les trois premiers fossés semblent contenir du matériel céramique des années 5-15 ; un puits creusé dans le fossé 3, et daté par dendrochronologie de 15, marque son abandon. 626 FIG. 435 Strasbourg. Proposition de localisation des premiers aménagements romains dans le premier quart du Ier s. ap. J.-C. (Baudoux et al. 2002, fig. 33). FIG. 436 Strasbourg. Fossés sur la place de l’Homme-de-Fer (Baudoux et al. 2002, fig. 335a). 627 1211 On doit dans ces conditions se poser une nouvelle fois la question du castellum Drusianum (Florus II, 30, 26), trop vite relié à la présence de l’ala Petriana, attestée par une inscription du centre ville (CIL XIII, 11605), mais dont rien ne nous dit qu’elle est d’époque augustéenne précoce. Depuis R. Forrer, il a été communément admis que le site autour de la cathédrale constituait le cœur historique de Strasbourg, et que celui-ci ne saurait avoir varié dans le temps et dans l’espace. Les fouilles de la place de l’Homme-de-Fer semblent montrer le contraire et un doute de principe doit s’exercer tant sur l’idée d’une chronologie augustéenne haute (horizon d’Oberaden) que sur la localisation de l’ala Petriana dans la partie occidentale du futur camp de la VIII e légion. 1212 À l’intérieur même de l’enceinte militaire d’Argentorate, les récentes fouilles d’Istra montrent que le centre ville n’est guère occupé avant l’extrême fin de l’époque augustéenne ou le début du règne de Tibère (fig. 437). Vers ce moment, en revanche, est installé un système défensif composé d’un double fossé suivi d’une palissade qui talute un agger fondé sur des boisements transversaux. Dans les années 40, cet ensemble incontestablement militaire subit un remaniement, puis laisse place à un “habitat” (?) en adobe, lui-même scellé par des couches d’inondation observées aussi ailleurs, vers la fin du règne de Claude ou le début du règne de Néron. On peut se demander naturellement si ces traces ténues d’habitat claudien ne peuvent pas correspondre à des baraquements militaires. Le site semble laissé à l’abandon jusque vers la fin du siècle. Ce n’est qu’à partir des années 90 que l’on voit apparaître d’importantes reconstructions, avec l’installation de ce qui semble pouvoir s’interpréter comme un bloc de baraque militaire. FIG. 437 Strasbourg. Fouille d’Istra. L’emplacemem du fossé tibérien (Waton 1988, 286). 1213 L’occupation militaire du centre d’Argentorate à l’époque tibérienne et au début de l’époque claudienne correspond avec le séjour de la IIe Auguste, présente en Germanie 628 supérieure dès 14 (Tacite, Annales I, 37 ; CIL XIII, 5976-8, 11268) et repartie pour prendre part à la conquête de la Bretagne. On ne sait pas bien, en revanche, relier les découvertes d’Istra avec celles d’un système défensif situé plus à l’est, rue SaintMédard, où J.-J. Hatt avait reconnu une double palissade derrière un fossé. Dans la Carte archéologique de la Gaule (Strasbourg, 6772), la surface du camp tibérien est estimée à 6 ha (325 x 185 m : fig. 438). Vers le milieu du Ier siècle est supposée une garnison de la IIIIa Macédonien qui n’a livré en tout et pour tout qu’une tuile estampillée à Koenigshoffen (CIL XIII, 12138) et un casque inscrit à Drusenheim (AE 1933, 259) ? Vers la fin de l’époque julio-claudienne, la XXIe légion, alors stationnée à Vindonissa, a laissé plusieurs témoignages épigraphiques de sa présence. Il est possible que le camp tibérien ait été agrandi vers le sud, pour atteindre 11 ha. Cette reconstitution de la Carte archéologique de la Gaule n’est toutefois pas certaine ; elle repose en effet sur des observations ponctuelles, dispersées dans le temps, et mal datées. FIG. 438 Strasbourg. Proposition de localisation du cam tibérien (Baudoux et al. 2002, 79, fig. 35). 1214 On doit en outre revenir sur la chronologie traditionnelle des deux premières enceintes en pierre de Strasbourg (fig. 440 et 441). Depuis R. Forrer, on sait en effet qu’existent trois défenses successives : une courtine de pierres à tours semi-circulaires saillantes, la plus récente, qui a chemisé une enceinte à chaînages de briques au timbre de la VIII e légion et qui repose elle-même sur une fondation de basalte du Kaiserstuhl. La construction la plus récente est normalement attribuée au Bas-Empire, celle à chaînages de briques à l’édification du camp légionnaire par la VIII e légion, et elle a été datée de Trajan ou d’Hadrien. Le mur de basalte remonterait à l’époque flavienne et ne constituerait, selon J.-J. Hatt, qu’une fondation pour une charpente de bois, soutenant un rempart de terre édifié sous Néron par la XXIe légion. Vers la fin du Ier s., la superficie du camp légionnaire atteint 19,2 ha (525/510 m x 365/330 m). 629 1215 Rien ne permet pourtant de supposer que le rempart de basalte ait été érigé par la XXI e légion, bien qu’une tuile de ce corps de troupe y ait été autrefois découverte en remploi dans la fondation. Le seul fait qu’il s’agisse d’une estampille identique à des exemplaires fabriqués dans la tuilerie de Nied, à partir de 83-84, constitue un indice de datation tardo-flavienne de ce rempart. L’arrivée de la VIIIe légion est désormais datée au plus tôt du milieu des années 80, depuis les fouilles de Mirebeau. La fouille d’Istra montre un réaménagement de grande ampleur vers cette date ou peu après. On peut donc considérer, en l’absence de toute stratigraphie correctement datée, que c’est la VIII e légion qui a édifié le rempart de basalte. FIG. 439 Strasbourg/Le Grenier d’abondance. La succession des remparts ; fouilles dirigée par G. Kuhnle/ Inrap (Kuhnle 2001, pl. 6). PL. VII (H.T.) Vue en coupe du rempart en "mottes de gazon" de Strasbourg/Le Grenier d’Abondance. photo F. Schneikert 630 PL. VIII (H.T.) L’armature en bois du rempart en "mottes de gazon" de Strasbourg/Le Grenier d’Abondance. photo F. Schneikert FIG. 440 Strasbourg. Coupe des remparts du quai Lezay-Marnesia (Hatt 1969, 94, fig. 18). 631 FIG. 441 Strasbourg. Fouilles de la place de Broglie (Gallia, 1976, 392, fig. 14). 1216 Le mur à chaînage de briques (ép. 1,20 m) se présente sous la forme d’un blocage de pierres calcaires mêlées de fragments de basalte et liées par un mortier blanc, avec deux parements en petit appareil, interrompus tous les 0,90 m environ par des chaînages triples de tegulae (fig. 440 et 441). La construction s’est faite dans un coffrage de planches, les chaînages ne traversant pas toute l’épaisseur du blocage. La datation trajano-hadrianique de ce mur paraît sujette à caution. Bien que les estampilles publiées soient en petit nombre, l’une d’entre elles est identique à celle que l’on retrouve dans un sol romain sous l’église Saint-Étienne. Or ce sol contient divers exemplaires tardo-hadrianiques bien connus à La Saalburg. Une fouille de 1941 sous l’ancien Grenier d’Abondance avait fait suggérer à Garscha que la mur à chaînage pourrait dater du IIIe s. ; des observations récentes effectuées au gymnase Sturm ont montré que le mur à chaînage de briques est associé à la via sagularis avait été modifié au IIIe s. La coupe des fouilles de 1941 du Grenier d’Abondance prouve que le mur à chaînage de briques a été implanté dans une levée de terre antérieure, très certainement le talus arrière du rempart précédent, qu’il fallait sans doute réparer ; celles du quai Lezay-Marnesia (fig. 440) montrent d’ailleurs que le mur à chaînages de briques a récupéré en abondance des blocs de basalte du niveau antérieur et que les tours qui le jalonnent sont accolées derrière lui, sans aucune liaison, même si leur fondation descend évidemment jusqu’au niveau des fondations en basalte. Les nouvelles fouilles menées au Grenier d’Abondance par G. Kuhnle ont permis de mettre en évidence la succession complète des systèmes défensifs (fig. 439) : rempart en terre (briques crues ou “mottes de gazon” – fig. 34 et pl. H. T. VII-VIII) armée de rondins transversaux, enceintes successives de pierre. G. Kuhnle a proposé pour cette succession une chronologie différente de celle qui est exposée plus haut et suggère que la courtine de briques crues ait subsisté jusque vers le milieu du II e s. C’est alors 632 seulement qu’aurait été édifiée l’enceinte à chaînages de tuiles, sur une fondation de basalte du Kaiserstuhl. 1217 Le mur du Bas-Empire (fig. 442) était constitué d’un blocage de fragments de grès, provenant de monuments détruits, avec un ciment de chaux et de tuiles concassées. Ce blocage, conservé sur une épaisseur de 1,50 m, était parementé avec un petit appareil très irrégulier, constitué de fragments remployés. Les tours, semi-circulaires (diam. 4,70 m), étaient fondées sur un hérisson irrégulier, profond d’environ 0,90 m. Un fossé en V protégeait la courtine. La datation précise de cet ensemble, attribué au IVe s., est incertaine. FIG. 442 Strasbourg. Plan du camp légionnaire devenu castrum (Gissinger 2002, pl. V). [2004] Baudoux et al. 2002 ; Forrer 1928 ; Gissinger 2002 ; Hatt 1969 ; Hatt 1980-1982 ; Livet 1987 ; Livet & Rapp 1987 ; Reddé 1997 ; Waton 1988 ; Wiegels 1983. 1218 BIBLIOGRAPHIE SULZ AM NECKAR Bade-Wurtemberg, Allemagne (carte fig. 6) 1219 C. S. SOMMER 1220 Le camp est installé au sud du Neckar, sur une croupe naturelle qui domine d’environ 100 m la vallée, bordée à cet endroit de falaises calcaires à pic. Au nord-est, une petite rampe permet l’accès depuis la surface du plateau. Après la découverte du camp, en 1890-1891, eurent lieu en 1895 des fouilles de la Reichslimeskommission et ce n’est qu’en 1995 qu’ont repris des recherches de grande ampleur. Le vicus a en revanche été largement étudié entre 1967 et 1972 (fig. 443). 633 FIG. 443 Sulz am Neckar. Plan général des structures fouillées. A principia ; B‑E casernements ; F horreum. 1221 La porte, sur le long côté sud-est, constitue le point d’aboutissement des voies de Windisch et de Rottweil. Au sein même du vicus vient se greffer la voie de Hasenbühl. Le camp a été construit sous Vespasien, sans doute en même temps que Rottweil, puis abandonné probablement sous Trajan, tandis que le vicus continuait son existence. 1222 Le camp en pierre (150-157 x 112 m, soit 1,75 ha) a été précédé par un fortin de terre, plus petit de 23 m (soit 1,5 ha). Derrière le fossé, large au nord-est de 12 m –il s’agit sans doute d’un fossé double– s’élevait un rempart en mottes de gazon sur lit de rondins. Le fossé a été comblé avant l’érection du rempart de pierre. Là où son tracé a été plus ou moins réutilisé –le fossé du camp en pierre est en effet décalé vers l’extérieur–, on a soigneusement recouvert d’argile le bouchage pour asseoir le nouveau fossé. Remarquable est le fait que, devant le rempart nord-est, le rempart du camp de pierre n’est pas protégé par un fossé. Il est vrai qu’on est ici au bord de la falaise. 1223 Le rempart en pierre (de 1 à 1,35 m) repose sur une fondation large de 1,50 m (fig. 444 et 445). Celle-ci est nettement sur-épaissie vers l’extérieur, sous les tours (3,50 x 4 m), distantes d’environ 15 m l’une de l’autre, ce qui laisse supposer que cellesci saillaient fortement. Du côté du Neckar, à l’angle nord-est, la fondation atteint 2,30 m. Des pierres semi-cylindriques, réutilisées dans le vicus, attestent la forme des merlons. 634 FIG. 444 Sulz am Neckar. Plan du rempart (Sommer 1995a). FIG. 445 Sulz am Neckar. Baraque avec mur tombé au-dessus du fossé de l’état antérieur (Sommer 1995a). 1224 Alors que les portes nord-ouest et nord-est présentent une ouverture unique, large de 2,70 et 3,20 m, la porte sud-est, avec ses 7,80 m de largeur, devait être double. Bien 635 qu’elle soit implantée sur le long côté, la disposition interne des bâtiments révèle un plan barlong et nous sommes sans doute en présence de la porta praetoria ; ceci implique un changement d’orientation, sans doute lors de l’agrandissement du camp. 1225 Les fortes dénivellations intérieures rendaient difficile l’implantation des constructions. On connaît essentiellement les restes en pierres des principia dans la partie occidentale et, à l’angle sud, un possible borreum avec sol carrelé et contreforts externes. Les casernements que l’on connaît dans la partie nord du camp, mais qui sont en partie restitués devaient avoir une soixantaine de mètres de long. Dans la partie agrandie, les casernements sont fondés directement sur le sol naturel. Toutefois, le glissement progressif du remplissage des fossés vers la pente a conduit à un bombement, puis à un écroulement des murs. La garnison était composée d’hommes de la cohors XXIV Voluntariorum civium Romanorum. 1226 Les maisons du vicus sont orientées perpendiculairement à la voie de Rottweil. Il s’agit de bâtiments long d’environ 25 m, en bois, sur sablières basses et poteaux porteurs, fondés en tranchées ou isolés, qui révèlent deux phases constructives. Une partie des maisons possède des caves boisées en façade. Dans la partie nord de la rue, qui s’élargit, sont connus des restes de portique. Après un incendie, peut-être en relation avec le départ de la troupe, eut lieu un nouveau découpage des parcelles, avec léger désaxement. La phase finale voit l’utilisation de la pierre. [2004] ORL B, 61a ; Müller 1974 ; Sommer 1995a. 1227 BIBLIOGRAPHIE TAVIERS Namur, Belgique (carte fig. 12) 1228 R. BRULET 1229 Le site militaire a été bâti dans le site de l’agglomération routière du Haut-Empire, au lieu-dit Terre aux Pierres, au nord de la chaussée romaine. Le site de Taviers a été occasionnellement prospecté en 1848. Les fouilles essentielles remontent aux années 1953 à 1957. Elles sont dues à la Société archéologique de Namur et au Service national des fouilles (J. Breuer et C. Léva). 1230 Le burgus (fig. 446) mesure 86 x 84 m (superficie : 72,2 ares). La voie romaine a été interrompue par le creusement des fossés. La première phase du fortin englobe une superficie utile de 19 ares ; la seconde, de 31 ares. Le système défensif comprend un rempart de terre, une palissade et une zone de fossés. 636 FIG. 446 Taviers. Plan de la fortification dessin R. Brulet d’après Ch. Léva 1231 Un rempart de terre retenu par un double alignement de pieux protégeait le fortin sur les quatre faces. La largeur de ce rempart peut être évaluée à 2 m ; les trous de pieux de 0,80 m de côté ont également été creusés à une distance de 2 m. Ils renfermaient des pièces de bois circulaires de 0,35 m de diamètre, non appointées. Une palissade, à mettre en rapport avec les fossés II et III, a été localisée sur les faces nord, ouest et sud de la fortification. Il s’agit d’un alignement de pieux verticaux, la plupart du temps appointés, et distants les uns des autres d’environ 0,30 m. Cette palissade a été placée dans le comblement du fossé I, du côté nord et ouest de l’ouvrage, tandis que, du côté sud, une rigole distincte a été creusée à cet effet ; elle a été retrouvée entre le rempart de terre et le fossé I. 1232 Le premier fossé (I), large seulement de 5 m, offre une pente raide. Sa présence a été enregistrée sur les faces nord, ouest et sud. Un double fossé (II et III) a été creusé par la suite, selon une orientation légèrement décalée, vers l’extérieur de la fortification. L’ensemble de la zone excavée présente une largeur de 15 m et se décompose en deux encoches parallèles, profondes de plus de 4 m, observées sur les quatre faces de l’ouvrage militaire. Les pentes de ces fossés étaient plantées de fascines à 0,20 ou 0,30 m de distance les unes des autres. 1233 La fortification a été occupée dans la seconde moitié du IIIe s. et cette occupation s’est prolongée jusqu’à la fin du IVe s. ou au début du Ve s. Le creusement des fossés du fortin a condamné un tronçon de la chaussée romaine dans son tracé du Haut-Empire et probablement une cave située au sud-ouest du burgus. Celle-ci, incendiée, a livré sous le toit écroulé des monnaies d’imitation des Tetrici. Au-dessus du remblai de ce cellier, on semble avoir utilisé un chemin de terre comme raccourci, avec ornières bien visibles, pour contourner la fortification. L’ensemble monétaire retrouvé sur la pente du fossé 637 III permet de supposer qu’il est resté en activité jusqu’à Valentinien I er ou Valens au moins (364-378). 1234 On distingue au moins deux périodes : 1235 – 1re période : la fortification est entourée par un fossé (I) de 5 m de largeur et un mur de terre continu. La surface intérieure du fort n’excède pas 19 ares. 1236 – 2e période : le premier fossé I est remblayé et le double fossé II-III aménagé. Le dispositif défensif comprend en outre une palissade. La seconde fortification dispose d’une surface plus importante. L’amoncellement de blocs sculptés au centre du burgus n’exclut pas l’existence d’une tour de garde. [2004] Bogaers & Rüger 1974, 66 ; Léva 1995 ; Namurcum, 26, 1952, p. 23; 30, 1956, p. 13-15; 31,1957, p. 49-53 . 1237 BIBLIOGRAPHIE 1238 TIENNE DE LA ROCHE 1239 TRELET (LE) → → ÉPRAVE REVELLES UTRECHT TRAIECTUM Utrecht, Pays-Bas (cartes fig. 5, 6, 7, 8 et 12) 1240 M.J. G. TH. MONTFORTS 1241 Sur la rive méridionale du Vieux-Rhin (Kromme Rijn), dans le centre de la ville d’Utrecht, se situent, sous la place de la cathédrale, les restes du castellum de Traiectum. Le lieu est mentionné uniquement dans l’Itinéraire d’Antonin (369, 2) qui le situe entre Albanianis (Alphen aan den Rijn) et Mannaricio (Maurik). L’écart avec les deux forts voisins de Vechten (Fectio) et De Meern s’élève à 5 km. Le site avait une importance stratégique particulière en raison de la Vecht qui, à l’époque romaine, formait un bras du Rhin à hauteur de Vechten et constituait avec le lac Flevo une importante voie de circulation vers le nord. La Vecht sépare également la vaste zone de marécages, à l’ouest d’Utrecht, des terrains sablonneux plus élevés à l’est de la ville (Utrechtse Heuvelrug). C’est en 1929 que commença une série de fouilles qui révélèrent l’emplacement et la nature de l’occupation romaine. Les recherches se sont poursuivies, avec quelques brèves interruptions, jusqu’en 1949. Les fouilles avaient essentiellement pour but de déterminer l’étendue du castellum, de distinguer et de dater les différentes phases de construction. Seules des fouilles isolées sur la place de la cathédrale ou dans les environs immédiats eurent encore lieu par la suite (1956, 1975, 1980, 1982, 1987 et 1991). Enfin, en 1993, lors de la fouille d’une église du haut Moyen Age bâtie sur l’emplacement des principia, de nouvelles parties des bâtiments de commandement romains ont été mises au jour. 1242 Seul un dixième du camp, qui occupe une superficie de 1,3 à 1,9 ha, a été fouillé. La couche archéologique renferme les vestiges de cinq camps construits sur le même emplacement et datés entre 47 et 275. Tous présentent, à l’exemple de ceux de Valkenburg, Zwammerdam et Vechten, un plan barlong. Les quatre castella les plus anciens sont construits en bois et en terre. Leurs surfaces s’élevaient à près de 1,3 ha (environ 145 x 88- 89 m). Le plus récent a été bâti en pierre et agrandi au nord sur une 638 bande de 37 m de large. La surface fut ainsi portée à presque 1,9 ha. Dans le sol humide, de nombreuses structures en bois ont été conservées de façon exceptionnelle. 1243 Le camp le plus ancien (période I), édifié sous Claude autour de 47 ap. J.‑C., est défendu par un rempart en mottes de gazon, érigé sur la rive du fleuve, rehaussée ; il a été rénové avant le soulèvement des Bataves (période II). La deuxième forteresse fut détruite par un incendie en 69 ap. J.-C. Un trésor de cinquante monnaies d’or (aurei) a été découvert sous la couche d’incendie. Les frappes les plus récentes remontent à l’année 68. Le fort nouvellement construit après 70 (période III) fut remplacé par un nouveau camp en bois et terre qui subsista jusqu’aux environs de 210. Des marques de tuiles (SVBDIDIOIVLCOS et VE[I]LEX[G]E[R]INF prouvent que des réparations étaient effectuées encore à la fin du IIe s. Le camp en bois et terre (périodes I-IV) 1244 Les dispositifs de défense semblent avoir toujours été constitués d’un talus et de deux fossés placés à l’avant. Ceux de la première période sont les plus évidents (fig. 447). Les fossés en V du camp le plus ancien avaient une largeur de 1,75 et 2,90 m. Les fondations du talus étaient formées d’une série de boisements transverses, d’une longueur de 3 m, placés les uns à côté des autres, sur laquelle étaient empilées les mottes de gazon. A une hauteur de 0,50 m on observe une charpente horizontale formant des caissons de 2,60 x 2 m. Le front du talus était formé de poteaux placés tous les mètres. FIG. 447 Utrecht. Plan du fort, période I. 1245 Sur l’ensemble des quatre portes, la porta principalis dextra et la porta decumana ont été en partie fouillées. Les systèmes de portes étaient toujours très rudimentaires et composés de deux tours rectangulaires de quatre poteaux chacune, complètement inclus dans le talus. Il ne semble pas y avoir eu de porte postérieure dans le castellum le plus ancien. Une tour s’élevait à la place de la porta decumana aux périodes III et IV. Il est vraisemblable qu’un passage existait à cet endroit. La tour était en tout cas traversée par une rigole en bois pour l’évacuation des eaux. À l’ouest de cette porte ont été découverts quatre poteaux appartenant à une autre tour carrée (période IV ; 639 environ 3 x 3 m). L’intervalle (20,40 m bord à bord ou 24 m) autorise la restitution de quatre tours intermédiaires sur la face postérieure du camp. Il est donc possible de tabler sur douze tours intermédiaires et quatre d’angle. Aucune trace de ces dernières n’a cependant été retrouvée jusqu’à présent. 1246 Les voies du camp ont pu être bien étudiées, essentiellement à partir du carrefour de la via principalis et de la via praetoria. Il est apparu qu’elles étaient constituées de madriers et dotées de deux rigoles latérales en bois pour l’évacuation des eaux de pluie. Un caniveau médian a parfois été mis au jour. Les fondations étaient constituées de pilotis. 1247 Parmi les constructions internes, seuls les principia ont été bien fouillés. Leur plan a visiblement peu évolué au cours du temps et semble toujours avoir présenté une aile arrière avec cinq pièces, une basilique et une cour péristyle sans pièces annexes. 1248 D’autres vestiges d’édifices difficiles à reconnaître ont été découverts, uniquement à l’ouest des principia. On serait tenté de les identifier aux casernements qui étaient orientés per scamnum. Malheureusement, seules des parties très réduites furent dégagées. Il faut encore mentionner, provenant du camp le plus ancien, des latrines en bois. Le castellum en pierre (période V) 1249 Le castellum reconstruit en pierre autour de 210 est, en raison d’une extension au nord, nettement plus grand que son prédécesseur (fig. 448). Sur les autres côtés, le mur d’enceinte est construit sur les fossés, remblayés. L’ouvrage, d’une largeur maximale de 3 pieds romains, est par endroits conservé sur une hauteur de plus de 1 m avec une maçonnerie compacte de blocs de tuf et de grès carbonifère liés au mortier blanc. Les fondations de tuf et de schiste sont installées sur pilotis. Le mur est doté sur la face externe d’une moulure ; un contrefort a été découvert sur la face interne. On observe des indices d’un talus de terre d’environ 6 m de large, probablement postérieur. 640 FIG. 448 Utrecht. Plan du fort, période V. 1250 Les deux portes fouillées –la porta principalis dextra et la porta decumana– étaient défendues par des tours semi-circulaires, ce qui constitue un indice de datation relativement tardive. Du côté intérieur de la porta decumana, de lourds blocs de tuf brochés avec des agrafes de fer font office de piédroits. La seule tour d’angle fouillée (environ 5 x 5 m) semble avoir été rajoutée dans un deuxième temps au mur d’enceinte et avoir pris la place de deux contreforts plus anciens. 1251 Les voies principales sont recouvertes d’un pavement de 45 cm d’épaisseur, fait de couches de grès carbonifère et de basalte, de gravillons de grès ou de mortier de trass, ainsi que de débris de tuiles mêlés de gravier. Une rue plus petite était recouverte de graviers. La via praetoria était, selon toute vraisemblance, bordée d’un portique. 1252 Les principia sont les bâtiments du camp qui ont été fouillés de la façon la plus exhaustive. La construction (28 x 23,30 m) se distingue à peine en plan des précédentes réalisées en bois. La position oblique par rapport à la via principialis est surprenante. La façade nord des bâtiments de commandement est décorée d’une manière monumentale ; elle consiste en une série de piliers, reliés entre eux vraisemblablement par des arcs puissants (fig. 449). Des fragments d’un arc identique, qui pourrait avoir appartenu à cette façade, ont été découverts en 1929 dans un puits de la cour péristyle des principia. La portée de l’arc s’élevait entre 3,20 et 3,80 m. 641 FIG. 449 Utrecht, période V. Arc des principia. photo C. Schokken 1253 Les piliers de la cour péristyle (fig. 450) s’élevaient sur de lourds blocs de tuf taillés, fixés entre eux par des agrafes, qui reposaient eux-mêmes sur des fondations de tuf et de gravier soigneusement empilés. Dans l’angle nord-ouest s’élevait le puits carré déjà mentionné ; au centre se trouvait un massif de fondation d’un autel ou d’un monument commémoratif. Divers fragments d’inscriptions ont été découverts. 642 FIG. 450 Utrecht, Période V. Piliers des principia. 1254 On a identifié un massif de fondation en forme de L sur le côté occidental de la basilique comme les vestiges d’une tribune d’orateur (suggestus). Les salles situées près de l’aedes, dans l’aile sud, étaient assez richement décorées. Il y avait un praefiimium et des évidements destinés aux canalisations du chauffage ont été observés au niveau des fondations. Signalons aussi des vestiges de peintures murales et vraisemblablement un fragment de mosaïque dont le lieu exact de découverte à l’intérieur du castellum n’est pas connu. On observe un deuxième massif de fondation dans l’aedes. 1255 À l’ouest des bâtiments de commandement ont été mises au jour les traces de deux casernes. Leur longueur devait s’élever à 59 m. Une construction rectangulaire (6,80 x 5,30 m) située à gauche de la via praetoria a été, sans preuve suffisante, interprétée comme un temple. 1256 Un village s’est développé sur près de 4 ha le long de la via principalis, à l’est et à l’ouest du camp. Aucun plan de construction n’a pu jusqu’à présent être relevé. 1257 Le site a livré des briques estampillées de la legio la Minerva (Antoniniana), de la Via Victrix Pia Fidelis, de la XXXe légion avec peut-être également les surnoms Ulpia Victrix (?) et Pia Fidelis (?), de la XXXIe légion (sic !), de l’armée de Germanie inférieure et de ses vexillaires, des deux consuls Didius Iulianus et lunius Macr[...] et de la II e cohorte Hispanorum peditata Pia Fidelis (COHIIHISPPEDPF). En ce qui concerne ces dernières, il est généralement admis, ainsi que pour les marques des unités d’auxiliaires de Germanie inférieure, qu’elles datent de l’époque flavienne. La mention rare de la cohorte comme unité de fantassins peut s’expliquer par le fait qu’une section de même nom, la cohors IIa Hispanorum equitata, était stationnée à Maurik. Il n’y a aucune preuve qu’à Utrecht, l’unité d’infanterie ibérique ait été remplacée ultérieurement par d’autres troupes. On 643 peut néanmoins se demander si l’agrandissement du camp en pierre (période V) ne pourrait pas être en rapport avec un changement de garnison. [2004] Montforts 1995 ; Montforts 1996 ; Ozinga et al. 1989. 1258 BIBLIOGRAPHIE VALKENBURG AAN DEN RIJN PRAETORIUM AGRIPPINAE Hollande méridionale, Pays-Bas (cartes fig. 5, 6, 7, 8 et 12) 1259 J. K. HAALEBOS Situation et historique de la découverte 1260 À l’intérieur du village de Valkenburg, et au sud-est de celui-ci, s’étend, sur la rive gauche du Vieux-Rhin, une série d’implantations datant de l’époque romaine ainsi que d’autres vestiges. On attend à cet endroit le Pr (a) etorium Agrippin (a) e mentionné dans la Table de Peutinger (Segment II, 2), distant de deux lieues romaines depuis Lugdunum (Katwijk/ Brittenburg) et de trois lieues depuis Matilo (Leiden/Roomburg). Le praetorium doit vraisemblablement son nom à Agrippine l’Aînée, mère de l’empereur Caligula, morte en 33 ap. J.-C. 1261 La configuration du terrain s’est fortement modifiée en raison du déplacement du Rhin qui, à l’époque médiévale, a formé au sud un large méandre, et emporté au nord une grande partie de l’angle gauche de la praetentura du fortin. À l’époque romaine, le tracé de la rive du fleuve était beaucoup plus rectiligne et interrompu par de nombreux petits ruisseaux affluents qui divisaient la partie méridionale du terrain en différentes sections formant des sortes d’îles. 1262 Le sous-sol est composé essentiellement d’argile déposée par la mer (Dunkerque I) et qui recouvre les traces d’occupation de la fin de l’âge du Fer. Les vestiges les plus anciens d’implantation romaine se situent sous le niveau de la nappe phréatique, à 0,60-0,40 m sous le niveau de la mer, ce qui explique l’excellent état de conservation des restes organiques. 1263 Depuis le XVIIe s., des découvertes romaines sont connues sur le site de De Woerd, où la présence d’un castellum a été supposée à l’occasion de fouilles restreintes dans les années 20 du XIXe s. De nouvelles fouilles (1972) n’ont pas pu confirmer cette hypothèse, mais ont mis au jour les vestiges d’un port et d’une implantation très fortement romanisée. 1264 A partir de 1941, les dommages provoqués par la guerre permirent de procéder, dans le village, à des fouilles extensives qui se poursuivirent avec interruptions jusqu’en 1962. Des interventions de plus petite envergure eurent lieu pendant la période 1967-1980. On a pu ainsi constater l’existence de six ou sept castella successifs, dont plus des trois quarts de l’aménagement intérieur ont pu être dégagés. Les fossés d’enceinte ont été fouillés de manière moins exhaustive. 1265 Les environs du fortin ont pendant longtemps à peine retenu l’attention des fouilleurs. Dans les années 1960, le vicus situé au nord a été en grande partie recouvert de 644 constructions sans qu’il fût fait d’observations archéologiques, en dehors d’une petite fouille de sauvetage en 1966. A quelque distance au sud du castellum, le terrain De Woerd a été dégagé sur une grande surface, à l’occasion d’un remembrement. Menacé par la construction d’une route, le Marktveld, où de nombreux vases céramiques complets avaient été mis au jour dans les années 1930, a pu faire l’objet d’examen dans les années 1985-1988. Les nouvelles fouilles ont révélé non seulement la nécropole attendue, mais également des traces de bâtiments militaires, ainsi qu’une implantation civile. Dernièrement, en 1996-1997, entre le Marktveld et le castellum, une section supplémentaire de la route du limes a été découverte, ainsi que des vestiges de maisons qui doivent être vraisemblablement attribués au vicus. Il est donc possible, sur l’ensemble du site de Valkenburg, de distinguer les éléments antiques suivants : (fig. 451) • 1 : le castellum ; • 2-4 : le vicus dépendant du castellum ; • 5, 7 et 8 : le Marktveld, bâtiments militaires du Ier s. ; • 6 : la nécropole sur le Marktveld qui, avec la rigole située à côté, pourrait avoir marqué la limite entre le vicus du castellum et l’implantation sur le Marktveld ; • 9 : Marktveld : fermes tripartites vraisemblablement indigènes des IIe et IIIe s. ap. J.-C. ; • 10, 11 : De Woerd, port et horrea datant du milieu du Ier s. ap. J.-C., ainsi qu’une implantation de la période 150-230/275 avec maisons allongées (tabemae), fréquentes dans les vici militaires et les implantations romaines à proximité des routes. FIG. 451 Valkenburg. Plan de situation des différentes structures. dessin R.P. Reijnen 1266 Les vestiges étaient tous pratiquement orientés en fonction de la route du limes, dégagée ici à plusieurs reprises. La construction de cette route peut être placée dans les 645 années 39 ou 40 ap. J-C., ainsi que l’érection du premier castellum. Il n’existe aucune preuve véritable d’une occupation romaine plus ancienne du site. 1267 Dans les années 123-125 ap. J.-C., la route a été rénovée et légèrement déplacée, mesure rendue nécessaire par les inondations. On aimerait bien attribuer cette décision à l’empereur Hadrien qui visita la Gaule dans les années 122-123 et ordonna la construction de la palissade de Germanie supérieure (SHA, Hadrianus 12). Les dispositifs de défense 1268 Une description complète des systèmes défensifs de tous les castella découverts à Valkenburg nous entraînerait trop loin. Le sol humide des trois plus anciens castella (environ 0,40 m au-dessous à 0,70 m au-dessus du niveau de la mer) a permis une conservation particulièrement bonne des constructions en bois des murs d’enceinte et autorise ainsi une reconstitution plutôt fiable (fig. 452). FIG. 452 Valkenburg. Reconstitution des différents états du rempart (Van Giffen 1948-1953, pl. 7). 1269 La position stratigraphique des différents dispositifs défensifs peut être déterminée par deux coupes schématiques. 1270 – Une coupe nord-sud, réalisée au travers du latus principiorum droit et le long de la porta principalis, au vu des fouilles des années 1941-1943 et 1946-1948. Le tracé de la coupe est parallèle à la viaprincipalis, à une distance de 20 m. À la limite extérieure du camp sont dessinés les fossés d’enceinte, cinq murs en bois et terre reconstruits les uns sur les autres et, vers l’avant, l’enceinte en pierre de la période 6. 1271 – Une coupe ouest-est au travers de la partie postérieure des camps, où le rempart a été, à plusieurs reprises, déplacé vers l’extérieur. À cet endroit, le rempart de la période 1, conservé jusqu’à une hauteur de plus de 1 m, n’était plus recouvert par 646 d’autres dispositifs de défense. Les murs en bois et terre des périodes 2-5 se situaient presque 6 m plus à l’ouest et chevauchaient, presque tous au même endroit, le fossé médian du castellum le plus ancien. Le mur en pierre du dernier fortin a été implanté 2 m plus en avant. La présence de trois fossés d’enceinte semble attestée pour presque tous les camps. Période 1 1272 Le rempart, large de 2,80 m, était composé de deux parements de mottes de gazon (larg. 0,60 m) par dessus des rondins de peuplier argenté (Populus albus) disposés en deux lits (fig. 452). Ceux-ci, plus longs que le rempart, dépassaient de 30-70 cm à l’intérieur de l’intervallum. Un drain a été reconnu à leur extrémité. Sur le côté extérieur, les bois des fondations étaient renforcés par de petits plots horizontaux. Entre les couches de mottes de gazon se trouvaient, sur la façade du rempart, des bâtons épointés de 15 cm de long et 2 cm d’épaisseur, qui servaient visiblement d’élément de fondation aux mottes de gazon. Il n’y avait pas de berme (ou alors une toute petite berme de 50 cm de large). Dans une coupe au moins, le fossé commençait tout de suite au pied du rempart. 1273 L’élévation du rempart a été conservée en excellent état. Après trois couches de mottes de gazon venait une charpente de bois entrecroisés, dont les poutres transversales étaient placées à 1,90 m les unes des autres. Les pièces étaient fixées à mi-bois, avec des clous en fer ou, plus rarement, par des chevilles en bois. Les barres transversales faisaient saillie sur le côté intérieur d’environ 15 cm. Par-dessus venaient encore cinq autres couches de mottes de gazon. La partie conservée du rempart avait donc une hauteur maximale de 1 m. Au sommet de l’élévation a pu être observée une cavité qui n’apparaît pas sur les plans ; elle pourrait éventuellement être interprétée comme vestige d’une petite “sablière” destinée aux poutres de fondation d’un parapet. Cette interprétation reste cependant à confirmer. 1274 Le rempart était doté de trois portes. Il ne semble pas qu’ait existé alors –comme pour les périodes 2 à 5– de porta decumana. À son emplacement s’élevait une tour carrée, flanquée probablement sur le côté méridional d’une autre tour. Ce couple de tours est légèrement décalé par rapport à l’axe médian du camp. Les tours du rempart étaient toutes constituées de quatre poteaux. Des tours de plus grandes dimensions, formées de six poteaux, étaient placées dans les angles, s’adaptant en plan au tracé arrondi du rempart. Période 2 1275 Le rempart du deuxième fortin, large de 2,30 m, était construit d’une manière totalement différente. La façade était composée d’une poutre d’orme de section rectangulaire (20 x 18 cm), enterrée, sur laquelle s’élevaient des poteaux tous les 1,20 m d’axe en axe. Des planches horizontales étaient fixées au moyen de clous en fer sur la face interne de ces poteaux. La poutre de fondation était constituée de pièces de différentes longueurs, assemblées à mi-bois, et reposait sur de courtes pièces transversales saillant vers l’extérieur, afin d’éviter que la façade du rempart ne se renverse ou ne s’enfonce. Les piliers porteurs étaient reliés à la poutre de fondation par une liaison tenon-mortaise. La paroi interne du rempart était construite d’une manière pratiquement identique, mais il manquait ici la poutre de fondation et les poteaux verticaux étaient simplement dressés dans une tranchée. Les deux cloisons de planches 647 étaient maintenues entre elles par des barres de bois et formaient une sorte de coffrage, comblé de sable argileux. Le remplissage ne présentait aucune structure visible. Sur le côté interne du mur d’enceinte, les poteaux de la paroi interne avaient été renforcés par des barres de soutien placées obliquement (avec un angle de 35°) reposant sur une poutre de fondation horizontale. Les deux parties étaient chevillées ensemble et formaient ainsi une sorte de cintre. La poutre de fondation était maintenue en place par un piquet en bois. La berme a pu avoir à cet endroit une largeur légèrement supérieure à 1 m. Période 3 1276 Le rempart, large de 3,60 m, présentait des éléments des deux murs d’enceinte évoqués plus haut. Une poutre de fondation avec trous de poteau (à intervalles de 1,20 m) – appartenant à la face avant– a été retrouvée. Les fondations du rempart étaient constituées par un lit de rondins de peuplier posés les uns à côté des autres, sur une largeur de 3,45 m ; on distingue en réalité deux bandes : à une bande de 2,80 m de large, sur le côté interne, fait suite, vers l’intérieur, une seconde rangée large de 65 cm, dont la signification et la fonction ne sont pas définies. Deux parements de gazon de 60 cm de large ont été érigés sur ce plancher en bois. Ces derniers étaient respectivement composés de deux lits de mottes (30 x 30 x 10 cm). 1277 Lors de fouilles ultérieures, dans la partie droite du camp, il semble que le rempart –et en particulier sa façade– ait été, lors de la période 4, soit après le soulèvement des Bataves, restauré à peu près sous la même forme, la poutre de fondation ayant été remplacée. À cette occasion, on éleva une palissade étroite en bois comme fondation pour le côté externe du rempart. Selon les fouilleurs, le rempart du fortin 3, incendié lors de la révolte des Bataves, ne fut pas nivelé mais servit de base à la nouvelle construction. Périodes 4-6 1278 Les remparts en terre et bois des périodes 4 et 5 présentent trop peu d’éléments nouveaux pour être traités ici. Le mur en pierre du dernier camp (période 6) mérite cependant une courte remarque. Il était érigé au-dessus des anciens fossés défensifs remblayés et s’élevait par conséquent sur un système de pilotis. Dans l’angle sud-est du camp, le mur était partiellement renversé dans les fossés. On a découvert neuf assises de tuf, d’une hauteur de 2 m. La hauteur totale du mur devait s’élever à près de 3,50 m. Les pierres de couronnement mises au jour montrent la présence de merlons de 0,80 à 1,10 m de largeur et de créneaux larges de 0,65 à 0,85 m. Un talus en terre de plus de 4 m de largeur se trouvait sur le côté interne du mur. L’aménagement intérieur Période 1 1279 Le castellum 1 (fig. 453, 1), construit en 39 ou 40 ap. J.-C., avait une superficie d’environ 1,43 ha. Le plan est caractérisé par l’absence de retentura et une disposition barlongue. La IIIe cohorte Gallorum equitata est attestée comme troupe d’occupation. De nombreux éléments des murs des bâtiments intérieurs avaient été conservés sous la nappe phréatique. Il a été possible d’identifier les bâtiments suivants. 648 1280 – 1 : les principia sont constitués d’une construction pratiquement carrée disposée autour d’une cour de 100 pieds de côté avec une adjonction adossée, étroite et rectangulaire, qui fait penser, en raison de sa disposition interne, à une maison d’habitation et est souvent –bien à tort– identifiée comme le logement du commandant du camp. Les deux parties sont séparées par un corridor. Cette division singulière a été maintenue également pour les principia ultérieurs des périodes 2 à 4. L’entrée sur la via principalis était flanquée de deux groupes de petites pièces. Sur le côté arrière de la cour se trouvait une série de salles qui ne s’étendait pas sur toute la largeur du bâtiment. Gaedes, reconnaissable à son lourd seuil de porte, se situait au centre. Une voie reposant sur des fondations en bois traversait la cour entourée de colonnes en bois, en direction du sanctuaire des enseignes. La cour des bâtiments centraux des castella 2-4 était conçue d’une manière plus simple. Lors de la période 5, le quartier général a été pour la première fois construit en pierre et une salle transversale a été érigée entre la cour et l’aedes. 1281 Le bâtiment central a été utilisé non seulement comme centre administratif et religieux mais a abrité également un atelier de cordonnerie (période 1) et un entrepôt à céréales (périodes 2-3). 1282 – 2 à 9 : huit baraquements dans la partie postérieure du camp à côté des principia (latera principiorum). Leur longueur s’élevait à 40 m. Le nombre des contubemia varie vraisemblablement entre six et sept, la rangée plus courte disposant d’une septième salle non divisée. Les baraquements sont érigés, avec leur tête de centurie, sur l’intervallum, dans la partie postérieure du camp. Sur la via principalis, des salles spéciales, de plus petites dimensions, ont été ajoutées. Les têtes de centurie présentent alternativement une disposition très simple (2, 4, 6 et 8) et très complexe. Les maisons les plus complexes possèdent des latrines. FIG. 453 Valkenburg. Plan des périodes 1 à 6 (Groenman-Van Waateringe & Van Beck 1988). 649 1283 Le nombre de baraquements pour les troupes est trop grand pour une cohors quingenaria, ce qui a conduit –en tenant compte des variations observées au niveau des têtes de centurie– à la supposition que seules quatre centurier étaient logées dans les huit baraquements, avec deux baraquements pour chacune. Seules les têtes de centurie complexes avec latrines doivent donc être identifiées comme logements des officiers. Les autres, avec vestiges de noria et portes s’ouvrant largement sur l’ intervallum, pourraient, en raison du mobilier découvert, avoir été des ateliers ajoutés dans un second temps aux baraquements, remplaçant des espaces plus anciens laissés libres et réservés à différents travaux. 1284 Les baraquements composés ainsi de deux bâtiments présentent, avec au moins 68 m, une longueur surprenante pour une unité auxiliaire. Cette longueur dépasse celle que l’on attendrait et correspond aux exemples les plus réduits de casernes dans les camps légionnaires. La distinction entre bâtiments de tête, maisons des centurions et ateliers est certaine, même si la bipartition des baraquements semble difficile à admettre. D’autres hypothèses avancées reposent sur les différences de grade entre centuriones priores et posteriores (D. Baatz) ou bien sur la composition particulièrement inhabituelle de l’unité auxiliaire stationnée à Valkenburg (M. Hassall). 1285 – 10 : un bâtiment de près de 40 m de long avec un corridor central interprété comme hôpital (valetudinarium). La découverte, dans différentes pièces, d’emplacements de foyers exclut la présence d’horrea à cet endroit. 1286 – 11a : un bâtiment plus ou moins carré (29 x 30 m) correspondant par ses dimensions aux principia. Cette construction se différencie de la plupart des autres bâtiments de Valkenburg I par la nature de ses fondations. Les poteaux étaient chevillés aux sablières de fondation. Le plan, avec sa cour intérieure, son bassin et peut-être un oecus sur le côté occidental, rappelle les maisons d’habitation urbaines et les logements de tribuns dans les camps de légions. On ne connaît jusqu’à présent de latrines –comme celles qu’on a découvertes dans l’angle sud du bâtiment– que dans les maisons des centurions et des officiers de rang plus élevé. Différentes salles disposaient de foyers. 1287 La fonction du bâtiment est contestée. H. Schönberger voulait voir dans cette construction une fabrica. D’autres songent à un praetorium, plus précisément à la maison du commandant ou même à une mansio. Un bâtiment avec la division caractéristique pour l’hébergement a cependant été trouvé sur le Marktveld. 1288 – 11b : les trous de poteau situés à l’est de 11a permettent la reconstitution de sept pièces qui présentent peut-être des dimensions identiques (4,30 x 3,30 m), qui semblent avoir appartenu à deux bâtiments différents. Leur fonction n’a pas pu être déterminée. On pourrait imaginer qu’à proximité de leurs appartements, les officiers de grade plus élevé avaient leur propre état-major, hébergé dans des logements particuliers. 1289 – 12 : un bâtiment étroit sur le côté droit de la viapraetoria, dont seuls d’infimes vestiges ont été fouillés. La présence à cet endroit de salles d’entrepôt ou d’écuries serait vraisemblable. 1290 – 13, 14 : deux bâtiments très semblables au niveau du plan, mais présentant un type de construction différent. L’utilisation de manière frappante de gros poteaux pour le bâtiment 14, la présence d’un espace libre à l’est de ce bâtiment ainsi qu’un réservoir d’eau en coffrage de bois sont autant d’arguments en faveur de l’existence d’une écurie. Le bâtiment 13 a dû par conséquent servir de logement aux cavaliers. 650 Périodes 2 à 5 1291 Les camps plus tardifs (fig. 453, 2-5) ne peuvent être ici que brièvement évoqués. On notera que le pseudo-praetorium (11) n’a pas été reconstruit mais remplacé par des structures complexes que l’on est tenté d’identifier à des magasins. La question de la troupe d’occupation est ouverte en raison du nombre variable et de la forme des baraquements. Les quatre baraquements doubles des périodes 2-3 retiennent avant tout l’attention. Ceux-ci offrent en partie des arma et papiliones de taille identique, comme ceux des baraquements auxiliaires dans la praetentura du camp légionnaire de Neuss ; ceux-ci ont été identifiés, sans raison sûre, comme des logements de cavaliers. La période la peut être considérée comme une phase de reconstruction pour les préparatifs du castellum 2. 1292 Le castellum 4, construit à neuf après le soulèvement des Bataves sur les restes du camp antérieur qui avait été incendié, possédait à nouveau des blocs de baraquements isolés, comme les castella ultérieurs 5-6 : six à huit dans la retentura, et deux sur le côté droit de la praetentura. Les baraquements des périodes 5-6 sont orientés avec leurs bâtiments de tête sur la via principalis. Pendant la période 5, le bâtiment central a été construit en pierre et la via praetoria a été élargie de manière à former une place. Périodes 6-7 1293 Le camp 6 (fig. 453, 6) de 1,7 ha érigé à la fin du IIe s. possédait un quartier général construit en pierre. Les autres bâtiments internes étaient en bois. D’après la dernière reconstitution avancée, la via praetoria devait être très large (c’est également le cas pendant la période 5) et présenter la forme d’une grande place. 1294 Les principia offrent un plan classique avec une salle transversale et une aedes rectangulaire faisant saillie vers l’arrière. La cour était dotée de colonnes sur trois côtés. Le socle d’un autel ou d’une statue en tuf se situait sur l’axe principal, non loin de la basilica. Un puits en coffrage de bois se trouvait dans l’angle nord de la cour, sa partie inférieure était composée d’un tonneau de vin en bois de pin (Pinus montana) et présentait une série de chiffres et de lettres. Deux pièces latérales étroites, interprétées comme armamentaria, s’élevaient à côté de la cour. La cour et les armamentaria présentaient un sol de coquillages pilés. 1295 Devant le bâtiment central, une “halle d’exercice”, dotée en façade d’une rangée de colonnes, recouvrait la via principalis. 1296 Une partie des fondations des principia était encore conservée. Deux à trois assises de tuf s’élevaient sur le mur large de 45 cm (1,5 pied). Les blocs étaient taillés en pointe sur leur face postérieure et constituaient le coffrage du blocage de maçonnerie. La base du mur était de chaque côté d’un quart de pied plus large et présentait ainsi une largeur de deux pieds ou 60 cm. Le bloc supérieur de cette base était chanfreiné. Mur et socle reposaient souvent sur une couche de grauwacke de 40 cm d’épaisseur, elle-même placée sur un lit de mortier. Des poutres horizontales ont été posées à l’intérieur du mortier afin de soutenir les fondations en pierre. Le sous-sol était toujours renforcé par des plots de chêne et d’orme. 1297 Plusieurs borrea dans la praetentura s’adaptent difficilement au plan du castellum. Deux prélèvements de bois provenant d’un de ces édifices ont livré comme datations dendrochronologiques les années 316 (± 10) et 365 (± 40). Il est possible d’en déduire une 651 utilisation du castellum au IVe s. (période 7). Les plots des principia indiquent, pour leurs derniers anneaux, les années 264, 265, 346 et 354. La quantité de matériel du IV e s. découvert à Valkenburg est cependant extrêmement réduite et les types de constructions caractéristiques de la fin de (’Antiquité sont absents. Il paraît ainsi difficile de se représenter la taille, la forme du camp et le but de sa réutilisation au IVe s. 1298 Seules des parties de ces borrea ont fait l’objet de fouilles, ce qui ne fournit pas de données suffisantes sur la taille des édifices. La largeur de l’horreum 1 s’élevait à 6,80 m. C’est au niveau de l’horreum 2 que l’on peut le mieux observer le type de la construction. Il semble s’être agi d’un bâtiment à trois nefs présentant, en avancée sur le côté occidental, une plate-forme de chargement. De lourds piliers porteurs rectangulaires ont été utilisés pour la construction. Le plancher flottant reposait sur des poteaux circulaires, placés sur des poutres de fondation. L’écart entre les poteaux s’élevait à 1,30 m. Le plancher n’était pas en relation avec les éléments de construction des murs et les piliers porteurs du toit, ce qui a facilité sa rénovation. Occupation 1299 Les problèmes concernant la troupe stationnée à Valkenburg ont déjà été signalés plus haut. La présence, pour la période 1, d’un soldat de la III e cohorte Gallorum equitata, au nom gaulois de Tigernillus, est prouvée par une adresse sur une tablette de bois. De nombreuses pièces d’équipement militaire proviennent de cavaliers. On admet la présence d’une aile comme troupe de garnison pour le castellum 2-3, mais les témoignages épigraphiques font défaut. Après 70, la garnison a pu être formée de la IIII e cobors Thracum (equitata Pia Fidelis Domitiana), dont deux briques estampillées (Lambrechtsveld, au nord-ouest du camp, et Marktveld) ainsi qu’un fragment d’inscription daté de 116 ou 117 (Marktveld) ont été découverts à l’extérieur du castellum. L’inscription ne peut en réalité que se rapporter à la construction des principia du castellum 5. On a relevé dans le camp plusieurs noms thraces : (Aulu) por, Bisa, Bitus et Tara. Les estampilles suivantes ont par ailleurs été découvertes : legio I Minervia, legio I Minervia Antoniniana, legio XXX, legio XXX Ulpia Victrix, Didius Iulianus Consularis, lunius Macr[...] Consularis, Exercitus Germanicus inferior, Vexillarii Exercitus Germanicus inferioris, avec reproductions d’un taureau (voir CIL XIII, 6, p. 177, type 4), d’une fleur à six pétales et de la combinaison d’un x avec une croix. 1300 Dans les années 70-110/115 fut édifié au Marktveld un petit castellum carré (fig. 454), avec un bâtiment en forme de U que l’on aimerait identifier à deux baraquements de troupe reliés par un bâtiment de commandement. Le camp (44,5 x 38,8 m) était entouré par un fossé défensif d’au moins 1,5 m de largeur, interrompu sur le côté oriental afin de permettre un passage. Seuls quelques trous de poteau appartenant à la porte ont été découverts ; aucune trace n’a été retrouvée jusqu’à présent d’un rempart correspondant. Le castellum était probablement entouré d’un autre dispositif de défense. On a pu observer sur le côté nord une sorte de palissade et au sud un fossé supplémentaire. Les deux vestiges ne présentent cependant pas de tracé parallèle au fossé interne. 652 FIG. 454 Valkenburg. Castellum du Marktveld (Van Dierendonck et al. 1993, 22, fig. 7). 1301 Les deux baraquements avaient une longueur de 21 m, une largeur de 4,8 m et disposaient chacun de cinq contubemia de 4,4 x 3,8 m. Sur les petits côtés des baraquements et au niveau de la plupart des murs intermédiaires se trouvaient de gros poteaux, placés dans des trous isolés, qui devaient porter le toit. On avait creusé de petites tranchées pour l’érection des poteaux des murs. L’aile de liaison entre les deux baraquements était seulement un peu moins large et plus longue de 16 m. La cour formée par les trois corps de bâtiments était pourvue sur deux côtés de colonnes. 1302 Le camp appartient à un groupe de petits castella, comme Rötelsee et Degerfeld, dont la fonction devait être très vraisemblablement celle de surveillance. Le retranchement de Valkenburg a pu être occupé par une centurie et avoir comme mission la protection de la route du limes ou d’un site portuaire. Il n’est pas possible de déterminer si les troupes employées ici correspondaient à un détachement de la cohors IIII Thracum stationnée dans le camp principal de Valkenburg. A côté de l’inscription mentionnée plus haut de la IIIIe cohorte Thracum, il convient de citer, provenant de Marktveld, une estampille de cette même unité (CH) OIIIITR[...] ainsi qu’une série d’autres, parmi lesquelles C(OHXV) (Voluntariorum) et une estampille sur deux lignes, difficile à lire SABfinius ?) VIATOR / CO[...]IFPL. 1303 Une tour carrée (3 x 3 m) munie de quatre poteaux d’angle et d’un support central se trouvait à proximité du petit castellum (fig. 455). Les trous de poteau avaient une profondeur supérieure à 1 m. La tour était entourée d’un fossé (7,50 x 7,50 m). La relation chronologique avec le petit castellum n’est pas évidente. La tour a pu être édifiée à la même époque mais une construction postérieure est cependant probable. D’après les fouilleurs, le site pourrait déjà, aux alentours de 100, avoir perdu sa vocation militaire. 653 FIG. 455 Valkenburg. Tour à proximité du castellum du Marktveld (Van Dierendonck et al. 1993, 23, fig. 8). [2004] Bogaers 1964; Bogaers 1974; Glasbergen 1972 ; Glasbergen & Groenmanvan Waateringe 1974 ; Groenman-van Waateringe 1986 ; Groenman-van Waateringe 1990 ; Groenmanvan Waateringe 1991 ; Groenman-van Waateringe & van Beek 1988 ; Hassal 1983 ; Schönberger 1979 ; van Dierendonck 1997 ; van Dierendonck et al. 1993 ; van Giffen 1944-1948 ; van Giffen 1944 ; van Giffen 1948-1953. 1304 BIBLIOGRAPHIE 1305 VECHTEN → BUNNICK VELSEN CASTELLUM FLEVUM ? Hollande septentrionale, Pays-Bas (cartes fig. 3 et 5) 1306 A.V.A. J. BOSMAN 1307 Loin au nord du futur limes, sur la rive sud du bras le plus septentrional du Rhin, aujourd’hui entièrement asséché (Oer-ÿ) furent érigés, dans la première moitié du Ier s. ap. J.-C., deux camps romains. Le plus ancien, Velsen 1, est daté entre 15 et 30-40 et pourrait être identifié avec le Castellum Flevum cité par Tacite (Annales IV, 72), bien qu’aucune découverte épigraphique ne vienne à l’appui de cette hypothèse. Le deuxième dispositif, plus récent (Velsen 2), a été construit 550 m plus à l’ouest. 1308 Les premières découvertes de matériel ont été faites en 1945 sur l’emplacement de Velsen 2. Lors des travaux de construction du tunnel de Velsen, dans les années 1950, il fut simplement procédé à la collecte du matériel. Les fouilles de 1964 et 1970 montrèrent que la plupart des vestiges avaient été érodés par les 654 inondations datant du Moyen Age. C’est seulement dans les couches humides les plus profondes que des découvertes in situ ont pu être faites. Lors des observations plus récentes de 1982, 1996 et 1997, on a pu constater que des restes des dispositifs défensifs étaient encore conservés sous la forme de l’empreinte d’un rempart et des fonds d’un fossé. Le site a été daté de l’époque claudienne. 1309 Le site de Velsen 1 a été découvert en 1972 et se différencie par son mobilier plus ancien dont la grande majorité date de l’époque libérienne. La construction d’un deuxième tunnel (de Wÿkertunnet), traversant malencontreusement le terrain, donna prétexte à une série de fouilles qui se terminèrent en 1994. On a ainsi dégagé le tracé d’un camp construit en trois phases, avec les installations portuaires correspondantes. Velsen 1 : période 1 1310 Le camp présente un plan polygonal pratiquement trapézoïdal d’une superficie de 1 ha (fig. 456, 1). Les dispositifs défensifs sont constitués d’un fossé et d’un rempart en terre et bois. Le rempart est doté de tours dont l’une est située sur le côté méridional du camp (3 x 3 m). Une seule des portes d’enceinte a été fouillée. Cette porte se situait au milieu du rempart septentrional, à proximité de la grande plate-forme portuaire et donnait accès à la jetée orientale du port. Il ne s’agissait en fait que d’une interruption dans le dispositif défensif. La jetée était en contact direct avec la porte d’enceinte du camp. Cette dernière était constituée de quatre poteaux ayant fait l’objet d’une rénovation. FIG. 456 Velsen 1. Périodes 1 à 3. dessin A.V.A.J. Bosman 655 1311 On peut distinguer trois phases de construction : • période 1 a : installation provisoire ; • période 1b : les dispositifs défensifs ont été érigés ; • période lc : la rive à l’ouest de la plate-forme portuaire a été améliorée ; la berge a été partiellement entamée par le fleuve et dotée de nouveaux poteaux afin d’éviter des dommages supplémentaires. L’érosion était la plus forte au point de contact entre le fossé d’enceinte ouest et le fleuve. La baie formée à cet endroit fut incluse dans le système défensif lors de la période le et utilisée comme petit port. 1312 Seules quelques traces des bâtiments intérieurs ont été retrouvées, la structure interne du camp restant encore mal définie. Deux grands bâtiments avec poteaux ont été interprétés comme hangars à bateaux. La première construction était bâtie sur la rive et a disparu par suite de l’érosion. Elle a été remplacée lors de la période le par un deuxième édifice, élevé plus à l’intérieur des terres, et a perduré lors de la période 2. 1313 A proximité du système défensif sud-est ont été retrouvés cinq poteaux appartenant à une construction de taille plus réduite. Il pourrait s’agir d’une patrie du logement d’un officier qui s’élevait à l’extrémité antérieure d’une rangée de tentes. Des vestiges supplémentaires de ce type de construction manquent cependant pour cette période. 1314 Des puits ont été découverts aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du camp. La zone à l’extérieur du camp a pu être entourée d’un fossé et peut être interprétée comme annexe. La partie occidentale de cette annexe était coupée par un petit ruisseau affluent du fleuve. Quatre (?) rangées de quatre (?) poteaux, identifiés comme soubassement de thermes en bois, ont été trouvés à cet endroit. Velsen 1 : période 2 1315 La forme du dispositif a été complètement modifiée lors de cette période (fig. 478, 2). Les angles sont fortement arrondis et la partie postérieure du camp suit un tracé plus parallèle au fleuve. Le castellum dispose désormais de trois fossés défensifs à la place des deux de la période 1. On peut se demander si ces différences n’attestent pas une interruption dans l’occupation du camp. Ce dernier couvre une superficie d’environ 1 ha. 1316 Le rempart a une largeur de plus de 3 m et est flanqué de sept ou huit tours, à intervalles réguliers. Dans la partie occidentale, le rempart suit en partie le tracé du fleuve. À proximité s’élève une tour qui marque visiblement la fin du rempart. La rive n’est pas protégée, comme lors de la période la plus ancienne, par un dispositif défensif. Sur le côté oriental du camp, le rempart forme un saillant en arc de cercle ; il se termine a priori à cet endroit par une tour plate-forme à six poteaux, plus grande que les autres tours, implantée, de manière surprenante, devant les fossés défensifs, dans le fleuve. Le camp disposait alors, apparemment, d’une seule porte d’enceinte à peu près au milieu du côté occidental. Elle avait deux passages et était formée par l’extrémité incurvée du rempart, renforcé à cet endroit par quatre poteaux. Aucune trace des habituelles tours en bois n’a été retrouvée. Le fossé défensif interne se poursuivait devant la porte d’enceinte. Il devait donc exister à cet endroit un pont en bois. Les deux fossés externes semblent s’être terminés devant la voie et avoir été fermés par un petit fossé incurvé. Les fouilles réalisées à cet endroit ne permettent pas de savoir si ce dernier était relié aux deux autres fossés. Un petit port se situait sur l’autre côté de la 656 rue menant à la porte d’enceinte. Le bord du fossé interne a pu être suivi sur plus de 10 m. 1317 Dans l’ensemble, ce sont les mêmes bâtiments internes que lors de la période 1 qui ont été mis au jour : un bâtiment pour les bateaux et un autre édifice que l’on pourrait considérer comme logement d’officier. 1318 Comme lors de la période la plus ancienne apparaît près du fort une annexe entourée d’un fossé. Aucune trace d’un rempart correspondant n’a été mise au jour. De nombreux puits ont été découverts aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du camp. Plusieurs ont même été trouvés à l’extérieur de l’annexe. Un des puits situé dans l’annexe était particulièrement grand (3 x 3 m) et relié au port au moyen d’un aqueduc dont les poteaux en bois sont conservés dans le sol. Il est tentant de voir dans cette canalisation l’alimentation en eau douce des bateaux. Velsen 1 : période 3 1319 Lors de la dernière période, le castellum a été agrandi par l’adjonction d’un deuxième camp à l’ouest (fig. 456, 3). Les fossés occidentaux de la période 2 ont été à cette occasion aplanis. Le rempart de cette zone ainsi que la porte occidentale ont été néanmoins conservés comme séparation entre les deux moitiés du nouveau camp. L’adjonction est plus ou moins hexagonale et s’étire le long de la rive du fleuve. 1320 Le camp devait être muni d’un rempart en bois et terre dont l’empreinte a pu être observée dans le sol en plusieurs endroits. Le rempart atteint l’angle sud-ouest du camp de la période 2 et est doté de tours rectangulaires (3 x 3 m) placées à intervalles réguliers et complètement incluses dans la construction. Les poteaux des tours ont été enlevés lors de la démolition du camp. Des plaques de fondations en bois sont conservées à l’intérieur de certains de ces trous de poteau. Seuls des vestiges infimes du système de fortification sont encore en place le long du fleuve. On connaît à cet endroit une tour protégée par un petit fossé. 1321 On doit vraisemblablement reconnaître les portes dans les paires de tours saillant sur l’intérieur du rempart. Les deux portes latérales autorisent la reconstitution d’une voie principale, sans doute la via principalis. La porte méridionale est curieusement décalée vers l’ouest. 1322 Deux fossés reliés aux deux fossés externes de la période 2 courent devant le rempart. La partie occidentale des fossés de la période 2, située désormais à l’intérieur des dispositifs défensifs du nouveau camp, fut, comme il a été dit plus haut, aplanie lors de la nouvelle construction. 1323 Peu de bâtiments internes ont été mis au jour. L’annexe de la période 2, les thermes ainsi que l’aqueduc ont vraisemblablement continué à être utilisés. Un nouvel édifice apparaît sous la forme d’une gigantesque grange ; les murs des grands côtés et le toit sont supportés par trois rangées de gros poteaux. Il pourrait également s’agir d’une cale à bateau double. 1324 Environ un millier de piquets de tente en bois ont été découverts dans les fossés défensifs, ce qui indique que la troupe était en grande partie logée sous des tentes lors de la dernière période du camp. 657 1325 Il n’est pas sûr que le camp de la période 3 ait encore disposé d’une annexe entourée d’un fossé défensif. Différents puits sont situés à l’extérieur des dispositifs de défense, dont l’un compte parmi les plus récents de Velsen 1. Le port 1326 La forme de l’installation portuaire est restée plus ou moins identique pendant toute la période d’occupation du camp de Velsen 1. Les modifications correspondent principalement à de légères améliorations. 1327 Lors de la période 1 a, seule une petite estacade est construite sur la partie orientale de la rive. 1328 La grande plate-forme portuaire, avec ses jetées nord et ouest, apparaît lors de la période 1b devant la petite entrée de la jetée orientale. L’agrandissement de la plateforme, dont la façade nord est alors renforcée par de lourds poteaux en chêne, constitue la première des améliorations. L’extrémité courbe de la jetée nord fut par la suite remplacée par un ponton de chargement légèrement plus rectiligne. 1329 Le port a été modifié lors de la période 2. Les jetées sont alors partiellement remplacées par des estacades afin de favoriser le courant et d’éviter l’inondation du bassin portuaire. On avait essayé, avant la construction des ponts, de maintenir l’accès du port par des travaux de dragage. 1330 La jetée occidentale a continué d’être utilisée. Elle est alors constituée de compartiments ou caissons en coffrage de bois remplis de nattes de rotin et de branchage, d’argile et de pierres. À son extrémité nord est construite une estacade, dirigée vers l’est. La jetée nord est complètement remplacée par une estacade, celle de l’est partiellement. Un nouvel appontement de 90 m de long est installé dans l’annexe à l’est du camp. 1331 La rive est alors renforcée, à l’ouest de la plate-forme portuaire, par une rangée de poteaux. Cette fortification est interrompue en deux endroits : devant les hangars à bateaux et au niveau du petit port. 1332 Aucune jetée, aucun pont de la dernière période ne sont attestés. Il convient d’admettre que les installations portuaires de la période 2 ont continué d’être utilisées. Lorsque le camp a été définitivement abandonné et détruit, on a également procédé à la démolition du port. De nombreux poteaux ont été intentionnellement arrachés. Ils ont vraisemblablement été remployés dans la construction du castellum Velsen 2. 1333 On ne connaît pas l’identité des troupes stationnées à Velsen. Les inscriptions gravées sur la céramique et le métal mentionnent apparemment une cohorte (légionnaire ?) et différentes centuries : COH[...], H ADMI et FIRMI. FLAVI. Certains citoyens romains se remarquent parmi les noms : L. COMINIVS et L. APR[ONI] ; il faut également relever la présence de noms germaniques, gaulois et ibériques : BATAVI, CELTI, LVBAECI. On peut en déduire la présence de légionnaires et de soldats auxiliaires. Cette hypothèse est confirmée par les pièces d’équipement militaire et les armes. Des fragments de glaives et de pila, mais aussi des plombs de catapulte, des pointes de flèches et des morceaux d’arcs ont été trouvés. 1334 La découverte d’un sceau de la classis Germanica Pia Fidelis (CGPF) reste inexpliquée. Cette marque date de la période de la crise de l’Empire et ne peut donc pas être en rapport avec les activités de la flotte du début de l’Empire. 658 [2004] Bogaers & Rüger 1974 ; Bosman 1997 ; Morel 1988b. 1335 BIBLIOGRAPHIE VENDEUIL-CAPLY/LE CATELET Oise, France (carte fig. 2) 1336 M. REDDÉ 1337 La colline de Vendeuil-Caply, au toponyme significatif, Le Catelet, constitue un véritable site oppidal, avec des pentes naturelles fortes, à une trentaine de kilomètres au sud d’Amiens (fig. 457). Un système complexe de retranchements y a été découvert, couvrant une douzaine d’hectares. Au nord et à l’est, les défenses sont assurées par un double fossé, avec au nord une porte protégée par un titulum. Divers autres systèmes de terrassements sont visibles aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du camp, notamment des fossés rectilignes, à l’est, qualifiés de bracchia par R. Agache. Ce sont d’étroits fossés, profonds aujourd’hui de 0,30 à 1 m, pour une largeur de 0,50 à 1,80 m, parfois avec un étroit fond plat. FIG. 457 Vendeuil-Caply. Le camp du Catelet (Agathe 1978, 240, fig. 10). 1338 Ces éléments ne paraissent pas suffisants pour attribuer ces vestiges aux hiberna de Crassus en 54, d’autant que le site a été largement réoccupé par la suite : en fait foi la présence d’un théâtre, daté du second siècle, sur les pentes occidentales de la colline. Il n’est même pas certain que tous ces fossés soient contemporains et constituent des ouvrages défensifs, mais la porte défendue par un titulum laisse effectivement penser à un retranchement militaire romain : la position sur une colline, la forme générale du 659 camp, sa superficie rappellent les exemples d’Alésia. Des fouilles extensives seraient toutefois nécessaires pour proposer une datation précise. 1339 BIBLIOGRAPHIE [2004] Agache 1978 1340 VETERA (CASTRA) → XANTEN VILLENEUVE-SUR-LOT/EYSSES EXCISUM Lot-et-Garonne, France 1341 C. CHABRIÉ, M. DAYNÈS, 1342 J.-F. GARNIER 1343 Situé au nord-est du département de Lot-et-Garonne, Eysses est aujourd’hui un faubourg de la commune de Villeneuve-sur-Lot où les fouilles et les observations archéologiques, effectuées depuis les années soixante-dix, ont permis de reconnaître une importante agglomération secondaire de la cité des Nitiobroges (fig. 458 et 459). Site de plaine, Eysses est le lieu d’un carrefour routier majeur, à la croisée de voies protohistoriques. Son nom antique, Excisum, est attesté dans l’Itinéraire d’Antonin et sur la Table de Peutinger comme station routière. FIG. 458 Villeneuve-sur-Lot/Eysses. Plan général des structures archéologiques sur fond de photographie aérienne, vue du sud vers le nord photo IGN 1995, no 57581 660 FIG. 459 Villeneuve-sur-Lot/Eysses. Plan de situation et d’organisation de l’agglomération. dessin C. Chabrié, M. Daynès, J.-F. Garnier 1344 Eysses abritait au Ire s. de n.è. une garnison, dont l’existence est établie par la découverte ancienne de quatre stèles funéraires de soldats. L’étude épigraphique de trois épitaphes confirme la présence à Eysses de la cohors I Alpinorum (CIL XIII, 922) et de la cohors Prima Classica (CIL XIII, 923, CIL XIII, 924). L’étude du mobilier issu de la fouille de l’agglomération antique avait permis, dans le passé, d’identifier ponctuellement divers éléments d’armures ainsi que des pièces de harnachement. En 1998, un sauvetage urgent, réalisé au lieu-dit Cantegrel, a mis au jour un important dépotoir. On y a reconnu un nombre particulièrement élevé de pièces d’équipements à usage militaire (pommeau de glaive en os, cingulum, boucle de ceinturon, pointe de trait, lances et javelines, éléments de casque en bronze, pièces de lorica segmentata) et de harnachement de cheval. Le cadre chronologique fourni par l’étude du verre et du mobilier céramique, riche de plus de vingt-cinq mille tessons, permet de dater de manière relativement assurée la formation du dépotoir dans une fourchette chronologique d’une dizaine d’années à peine, comprise entre 60 et 70 ap. J.-C. Le catalogue numismatique, peu abondant, compte une trentaine de monnaies. Un denier de Vitellius constitue l’ultime monnaie découverte. 1345 Implanté sur une riche terrasse alluviale, le site d’Eysses est peu propice à la prospection aérienne. En l’absence de traces au sol probantes, la localisation du camp militaire n’est pas encore pleinement assurée. Le suivi des travaux d’urbanisation et l’élaboration d’une carte de répartition du mobilier militaire conduisent désormais à localiser le camp au nord-ouest de l’agglomération antique, au lieu-dit Anglade, au sud de Cantegrel. Seules des séries de sondages visant à recouper les fossés permettraient de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. 661 1346 Ces recherches récentes menées à Eysses-Cantagrel nous conduisent à réviser la chronologie traditionnelle de l’occupation militaire du site, généralement rapportée à la révolte de 21, et à proposer, pour la mise en place de la garnison, une datation préflavienne en liaison avec les événements qui ont marqué la fin du règne de Néron (Suétone, Galba IX ; Tacite, Histoires I, LXI-LXII et LXXVI). [2004] Fages & Maurin 1991 ; Garnier et al. 1992 1347 BIBLIOGRAPHIE 1348 VILLENHAUS → BRÜHL 1349 VINDONISSA → WINDISCH VIREUX-MOLHAIN/MONT VIREUX Ardennes, France 1350 R. BRULET 1351 Le Mont Vireux se trouve sur un éperon rocheux verrouillant le confluent du Deluves, du Viroin et de la Meuse (fig. 460). Le promontoire est naturellement défendu par de profondes vallées sur trois faces mais a été entamé par une carrière, vers le sud, sur une superficie d’environ 0,5 ha. Des recherches systématiques y ont été entreprises depuis 1979 par J.‑P. Lémant. FIG. 460 Vireux-Molhain/Mont Vireux. Plan de la fortification de hauteur (Lemant 1985, 37). 1352 Cet éperon triangulaire occupe aujourd’hui encore une surface de 1,08 ha. Il est délimité par une enceinte et un mur de barrage très partiellement conservés. Sous l’enceinte d’époque médiévale figure encore, du côté ouest, un tronçon de l’enceinte du Bas-Empire. 662 1353 Plusieurs terrasses extérieures au tracé de l’enceinte médiévale ont fait l’objet de décapages de grande surface. La terrasse orientale a livré de la sigillée argonnaise et des monnaies des années 250-270. La terrasse nord a révélé deux habitats généralement incendiés. Du premier bâtiment (13 x 6 m) ont été relevés des trous de poteau, des aménagements dans la roche, des foyers, un sol en terre battue et un sol incendié, avec du matériel archéologique du Bas-Empire. A l’intérieur de la fortification, on signale un sol incendié qui a livré un trésor monétaire de cent vingt et une pièces, constitué entre 347-348 et 350. Deux trésors remontent à la période théodosienne. 1354 L’unité militaire locale est bien représentée dans la petite nécropole fouillée à proximité du plateau, qui totalise quarante-sept sépultures tardives à mobilier notamment germanique. 1355 Le site est occupé de la fin du IIIe s. au bas Moyen Age. Un premier état date de la fin du IIIe s. Le second état, de la première moitié du IVe s., se termine par une destruction du site vers 350. Le troisième état s’étend du dernier quart du IVe au milieu du Ve s. 1356 BIBLIOGRAPHIE [2004] Lémant 1985 VIRTON/CHÂTEAU RENAUD Luxembourg, Belgique 1357 A. CAHEN-DELHAYE, CL. MASSART 1358 La fortification romaine de Château Renaud se situe sur une colline (alt. 362 m) au nord de Virton. Le nom du lieu-dit évoque la légende des quatre fils Aymon, très vivace dans les Ardennes. Située à peu près à mi-distance de la chaussée Reims-Trêves et de l’agglomération antique de Virton, la forteresse est placée dans une position stratégique en bordure de diverticules desservant le sud de la Lorraine belge, qui appartient à la cité des Trévires (fig. 461). Une route venant de Virton, en direction de la chaussée Reims-Trèves, passe au sud-est de la colline. Le refuge occupe tout le sommet, une plate-forme ovale de près de 2 ha, dont les axes atteignent 207 et 129 m et qui est isolée sur tous les flancs par des pentes assez abruptes, constituant ainsi un poste d’observation et de défense privilégié. 663 FIG. 461 Virton/Château Renaud. Plan de localisation de la fortification et des vestiges du Bas-Empire en Gaume (Cahen-Delhaye & Massant 1993, 66). 1359 Le site n’a pratiquement pas été utilisé avant le Bas-Empire romain. La première occupation tangible au sommet de la colline se situe dans le courant de la première moitié du IVe s. Des réaménagements et la construction de structures en pierre eurent lieu dans la seconde moitié de ce siècle. Le site ne fut plus occupé après le Ve s. 1360 Après la Seconde guerre mondiale, le site avait fait l’objet de petites fouilles clandestines. Après un premier sondage réalisé en 1962, le Service national des fouilles y entreprit des fouilles plus importantes, qui se déroulèrent de 1977 à 1979, puis en 1981 et 1990. L’exploration de ce site boisé s’est effectuée essentiellement par tranchées. Elle a porté principalement sur le système défensif installé à la périphérie de la colline et sur la localisation de l’habitat à l’intérieur du refuge. Un relevé topographique précis a été dressé par l’institut géographique militaire dans les années 1960 (fig. 462a). 1361 Installées à la périphérie de la colline, les structures défensives comportent une palissade ceinturant les côtés nord, ouest et sud, une puissante muraille protégeant la zone habitée à l’est et un bastion défendant l’entrée du refuge au sud-est. 664 FIG. 462 Virton/Château Renaud, a plan général de la fortification. ; b vue de l’appareil du bastion. a dessin simplifié M. Reddé, d’après Cahen-Delhaye & Massart 1993, 66, b photo Cahen-Delhaye & Massant 1362 La palissade offre un tracé sinueux qui épouse la configuration du terrain à la rupture de pente. Son emplacement est marqué au sol par une rigole simple ou dédoublée (tranchée de fondation). La tranchée, profonde de 1 m à 1,30 m, était jalonnée par les trous des pieux de son armature, plus profondément enfoncés dans le sol et souvent calés avec des pierres. De gros pieux longeaient intérieurement le rempart en bois. Sur le flanc sud, les sondages ont mis en évidence deux rangs de poteaux équarris, de 0,18 à 0,40 m de côté, plantés dans des trous de 0,35 à 0,87 m de diamètre et alignés par paires en deux rangées parallèles, espacées de 1,20 à 1,80 m. Renforçant ou doublant la palissade, ils ont pu également supporter un chemin de ronde. 1363 Succédant vraisemblablement à un premier aménagement en bois, une épaisse muraille, longue de 105 m, protège les flancs les moins escarpés à l’est et au nord-est. Vers le milieu du flanc nord-est de la colline, son extrémité soigneusement parementée est raccordée à la palissade. Cette construction est encore conservée en élévation sur une longueur de 32 m, dans sa partie nord-est. Le mur s’articule en tronçons rectilignes selon trois orientations distinctes qui suivent le contour du bord de la pente. Il offre une épaisseur assez constante de 1,52 à 1,60 m. Réalisé dans un appareil assez régulier de moellons allongés en grès calcarifère, sommairement équarris et assemblés sans liant, le parement s’appuie sur un blocage de pierres disposées en épi par endroits, jetées sans ordre à d’autres et agglomérées dans un mortier grège très sableux. Au moment de l’occupation, le mur était enterré jusqu’à la sixième ou huitième assise intérieure. Il est, en outre, établi sur de solides fondations, ancrées dans une tranchée à parois obliques dont elles occupent toute la largeur du fond. Profondes de 0,80 m et d’une épaisseur moyenne de 1,70 m, atteignant 2 m par endroits, les fondations 665 dépassent sensiblement le parement du mur sur les deux faces. Elles comportent un hérisson de trois assises de pierres plates placées obliquement et liées à l’argile, surmonté d’une assise d’énormes blocs, de grès calcarifère ou de tuf local, posés à joints vifs. De formes et de dimensions très variées, certains blocs sont bruts, d’autres sont des matériaux de récupération et présentent des faces taillées, lisses ou sculptées, parfois munies d’encoches ménagées pour leur premier emploi. Une monnaie de Magnence, datée de 353, trouvée dans le comblement de la tranchée de fondation, constitue un terminus post quem à la construction de la muraille. 1364 À 32 m de l’extrémité septentrionale du rempart, une poterne large de 1,50 m passe par dessus le hérisson de fondation du mur. Le piédroit nord est parfaitement appareillé au niveau des premières assises conservées. 1365 Deux rangs de pieux longeant intérieurement la muraille laissent supposer un aménagement semblable à celui de la palissade, mis en place après la construction du mur, puisque le premier alignement de pieux est implanté dans la tranchée de fondation du mur. 1366 Un chemin d’accès gravit en oblique le flanc oriental de la colline le moins escarpé et aboutit à un puissant bastion en pierre qui commande l’entrée principale de la forteresse. Il s’agit d’une tour quadrangulaire qui occupe l’espace compris entre la muraille et la palissade implantée en contrebas. 1367 Contre le bastion apparaissent deux séries de structures distinctes, la tranchée de la palissade et deux grands trous de poteau. L’accès au refuge était probablement protégé à l’origine par une entrée en chicane formée par la palissade installée en contrebas de l’extrémité de la muraille. Dans un second temps, la palissade semble avoir été partiellement démantelée et, à l’emplacement de la chicane, on édifia une tour accrochée à l’extrémité de la muraille. De ce bastion subsistent trois fondations disposées en U, de 6 m de côté et ménageant un espace intérieur trapézoïdal de 4,50 x 2,75 à 3,20 m. Sur le hérisson de fondation comportant deux assises de moellons allongés mis en oblique étaient posés de gros blocs de pierre de taille dont deux étaient encore en place à l’extrémité occidentale du bâtiment (fig. 462b). Au nord, la fondation se prolonge de 2 m jusqu’à l’enceinte contre laquelle elle s’appuie. Situé en bordure de plateau, le bastion est renforcé au sud par un contrefort long de 2 m. La largeur importante des fondations (de 1,50 à 1,75 m) laisse supposer une superstructure assez haute. L’abrupt de la dénivellation devant la tour rend peu probable l’hypothèse d’une entrée au travers de cette construction. Le passage semble plutôt se situer derrière l’ouvrage et son contrefort, entre deux énormes pieux espacés de quelque 6 m. L’un était encastré dans l’angle méridional même du mur extérieur de la tour tandis que l’autre était planté à l’extrémité de la palissade. 1368 Dans l’angle formé par le mur du bastion et l’enceinte, une fosse quadrangulaire à fond plat contenait deux demi-mâchoires de cheval, témoignant d’une pratique propitiatoire, purification ou protection de l’entrée. Des dépôts apothropaïques sont déjà attestés dans les fortifications de l’âge du Fer, notamment à la “Tranchée des Portes” d’Etalle, à 7 km à l’est de Château Renaud. 1369 Les recherches menées à l’intérieur du refuge ont révélé de nombreux trous de pieu attestant l’existence de baraquements en bois, ainsi que des fosses et des poches irrégulières de remblai. Ces vestiges sont particulièrement concentrés sur la terrasse orientale abritée par la muraille et le bastion. Un peu à l’écart des habitats, des scories 666 et des fragments d’argile, vitrifiée sous l’action d’un feu intense, laissent supposer une petite industrie métallurgique locale. 1370 Les habitants ont assuré leurs besoins en eau par le creusement d’au moins deux puits. A l’extrémité nord-ouest de la colline, le premier puits, cylindrique, de 2 m de diamètre, atteignait une profondeur de 31,60 m. Muraillé à 26 m de profondeur, sa largeur était alors réduite à 1,20 m. Plus central, le second puits, entièrement muraillé, avait un diamètre compris entre 1,90 et 1,50 m et s’enfonçait à 33 m de profondeur. Ces puits ont livré un riche matériel. Deux autels votifs, une figurine en bronze et des fragments d’une statue monumentale en pierre attestent un culte à Mercure. 1371 Le numéraire récolté sur l’ensemble du site, particulièrement abondant –près de mille six cents monnaies– dénote une occupation permanente du site par une communauté économiquement prospère. L’étude de ces monnaies laisse croire que l’occupation aurait commencé vers 330 et qu’elle se serait prolongée assez longtemps au Ve s., à en juger par l’abondance des frappes entre 388 et 402, qui correspond à la date d’arrêt de l’approvisionnement monétaire dans cette région. [2004] Cahen-Delhaye 1978 ; Cahen-Delhaye & Gratia 1980a ; Cahen-Delhaye & Gratia 1980b; Cahen-Delhaye & Gratia 1982 ; Cahen-Delhaye & Massart 1993 ; Lambert 1993 ; Mertens 1962b. 1372 BIBLIOGRAPHIE 1373 WALDGIRMES → LAHNAU WALHEIM Bade-Wurtemberg, Allemagne (carte fig. 7) 1374 K. KORTÜM 1375 Les camps et le vicus de Walheim sont installés dans la vallée profondément encaissée du Neckar moyen, à environ 16 km au sud de Heilbronn-Böckingen et à peu près 11 km au nord de Benningen (fig. 463). Peu après le confluent avec l’Enz, affluent gauche du Neckar, le fleuve forme un large coude vers l’est, qui laisse place à une terrasse alluviale d’environ 1600 x 700 m, dominée à l’est par des falaises d’une centaine de mètres de hauteur. À l’ouest, en revanche, l’accès est rendu aisé grâce à la présence du Baumbach qui se jette ici dans le Neckar. Ce petit cours d’eau était plus large et plus profond dans l’Antiquité, ce qui fait que le fond de vallée était plus ou moins divisé en deux sites distincts. 667 FIG. 463 Walheim. La situation des forts romains dans la vallée du Neckar. 1376 On trouve au sud le camp de cohorte I, découvert à la fin du siècle dernier, et dont les défenses ont été fouillées par la Reichslimeskommission. Des sondages préventifs ont permis de compléter peu à peu nos connaissances, mais une recherche systématique manque, car le camp est implanté sous le centre historique de Walheim. Le camp (156 x 134 m, soit 2,1 ha) est orienté O/NO-E/SE, la porte prétorienne vers le Neckar, situé aujourd’hui à environ 150 m (fig. 464). Des traces claires d’une première enceinte en mottes de gazon (0,30-0,40 m de côté) ont été mises au jour derrière le rempart en pierre nord. L’ensemble a été ensuite intégré comme talus du rempart de pierre, dont le front a remplacé la face externe du mur de terre antérieur. Ce deuxième mur est installé sur une fondation large de 1,40 à 1,50 m, profonde de 0,75 à 1,10 m, légèrement épaissie aux angles et composée de pierres calcaires posées en biais et noyées dans l’argile, sur laquelle sont coulées deux ou trois couches de mortier. Tours d’angle et tours intermédiaires sont attestées. Seule la porte principale gauche (6 x 4,8 m), qui offre un saillant externe de 1,5 m de profondeur, a été dégagée. La largeur du passage semble avoir été de 4 m. Un fossé de 7,50 m de large et 1,50 m de profondeur est signalé par les fouilles du XIXe s., à 1,50 m devant le rempart. On ne connaît pas les bâtiments internes, mais un petit balnéaire extérieur est attesté à environ 50 m de la porte nord. La garnison était sans doute formée par la cohors I Asturum equitata ; le matériel ne permet pas une datation précise, mais on suppose que le camp de bois est contemporain des castella voisins de la ligne du Neckar, édifiée sous Trajan, et que la reconstruction en pierre date des années 140-145, avant l’abandon probable lors du déplacement du limes vers l’est, sous Antonin. Après cette date, le site a été réoccupé par les civils. 668 FIG. 464 Walheim. Camp de cohorte I. 1377 Dans les années 1980, des fouilles extensives ont conduit à la découverte d’un fortin de numerus en terre et bois qui n’a jamais été reconstruit en pierre (camp II). Le poste est implanté sur une petite terrasse en légère pente vers le sud, au nord du Baumbach, à la même altitude que le camp I. L’orientation générale, vers l’est, est légèrement désaxée de 5° par rapport à celle du camp I. 1378 Environ les deux tiers du camp ont été fouillés (fig. 465). La forme très allongée (108 x 64 m, soit 0,70 ha) est légèrement trapézoïdale. Deux phases ont été observées dans le fossé. On reconnaît d’abord un fossé double en W, large de 8 à 9 m, profond de 2,40 m, remplacé ultérieurement, dans sa partie externe, par un fossé en V simple, large de 7 m, profond de 3,20 m. Seule la porte principale droite a été complètement fouillée. Le passage, large de 4 m, est flanqué de deux tours portées par quatre poteaux (3,50 x 3,25 m ; prof, des poteaux 1,50 m). Au milieu court un drain que l’on observe sous toute la via principalis, formée d’un lit massif de graviers et large de 4,50 m. La chaussée et le drain se poursuivent en direction de la porte nord du camp I, au prix d’une légère déviation. L’existence de la via et de la porta praetoria se déduit de la présence d’un autre drain qui se détache du premier, à angle droit vers l’est, au centre du camp, sous la via principalis. On restitue à l’ouest une porte décumane de même type que les accès latéraux, mais légèrement désaxée. L’enceinte était probablement en mottes de gazon, sans que l’on connaisse plusieurs phases de construction. Aux angles, les tours à quatre poteaux présentent une forme trapézoïdale. Une tour intermédiaire de 3,75 x 3,30 m flanque le rempart à mi-chemin entre la porte et l’angle arrière. 669 FIG. 465 Walheim. Camp de numerus II. 1379 L’intérieur du fortin révèle en revanche au moins trois phases. Dans la retentura, le plan primitif montrait cinq bâtiments parallèles, sur poteaux indépendants. Au sud, il s’agit d’un baraquement A, long de 63 m. Les contubernia, larges de 5 m et sans doute au nombre de douze, ne sont pas divisés et aucune trace de portique n’est attestée. La tête de centurie, large de 6,3 m, comprend au sud-est une latrine et une autre pièce surélevée au sol carrelé. 1380 Le long de la voie décumane apparaît un bâtiment B (49,50 x 7,30 m) avec de nombreux cloisonnements internes. Des fosses à purin, dans sa partie médiane, révèlent sa fonction d’étable ; l’extrémité orientale devait servir de grenier. Dans la partie nord de la retentura, les bâtiments C et D sont des casernements identiques au bâtiment A. Les traces parallèles, perpendiculaires à la via principalis entre B et C, sont peut-être celles d’un petit horreum I. Aucun bâtiment central (principia ou prétoire) n’a pu être identifié. On ne peut rien dire non plus du plan de la praetentura primitive. On reconnaît dans cette zone un balnéaire (25 x 5,30 m) qui traverse la via praetoria. Il possède des fondations en pierre, avec un sudatorium circulaire au sud-ouest, mais un apodyterium en bois (2). Un grand bâtiment 1, en pierre, montre deux pièces et un petit vestibule au nord ; il n’est pas exclu que ce bâtiment ait existé dès la première phase. 1381 Les transformations du plan observées dans la praetentura, où l’espace de la via praetoria est recouvert, s’observent aussi dans la retentura, où trois grands bâtiments remplacent ceux de la phase 1. L’édifice F forme un U (54 x 17,30 m) ouvert sur la via principalis. Tandis que les côtés extérieurs montrent une rangée de gros poteaux fondés dans une tranchée à fond plat, les côtés intérieurs sont constitués de poteaux isolés, ce qui indique soit des pièces partiellement ouvertes, soit des cloisons. Le bâtiment lui-même révèle plusieurs phases constructives. 1382 Le bâtiment E (41 x 9,60 m), perpendiculaire à la porte décumane, est subdivisé en grandes halles ou cours intérieures successives. Ses murs sont portés par des poteaux profondément fondés dans des fosses en U, sans que l’on ait pu observer les boisements 670 eux-mêmes. Au sud, le bâtiment G (51,40 x 9 m) est reconnaissable à ses gros poteaux, semblables à ceux des tours et implantés tous les 3,70 m. De l’autre côté de la via principalis apparaît un bâtiment identique H. La disposition des poteaux en fait vraisemblablement une continuation du bâtiment précédent, sur 80 m de longueur. 1383 Les bâtiments G, H et E peuvent avoir existé ensemble, tandis que F appartient à une autre phase, sans que l’on puisse décider précisément de la chronologie relative. E, F, G et H sont sans doute des magasins. On observe au total très peu de fosses dépotoirs et de couches d’occupation. 1384 Le début de l’occupation du site est daté de l’époque de Trajan par le matériel de la latrine dans la baraque A. Il est peu vraisemblable que la phase 1 du camp II soit antérieure au camp de cohorte I ; en témoigne la chaussée qui relie les deux postes, avec son drain. Il faut en outre remarquer que le plan du petit fortin II ne correspond pas au schéma ordinaire d’un camp permanent. On doit plutôt penser que la fonction du fortin II était de servir de base pour la construction du limes, le ravitaillement des troupes et l’organisation territoriale. Il semble que l’on ait gardé ce poste en réserve jusque vers le milieu du second siècle pour satisfaire des besoins ponctuels et variés. C’est alors que les bâtiments encore existants ont été détruits et le fossé le plus récent rempli. Par-dessus s’est installé un habitat civil, avec des maisons “en lanière” sur un parcellaire nord-sud, qui n’avait plus rien à voir avec les structures antérieures. 1385 Tout autour des camps s’est développé un vicus qui a utilisé tout l’espace disponible dans la vallée, soit environ 1 000 x 600 m. Cet espace n’a pourtant jamais été structuré de manière unitaire, mais a dû être utilisé en fonction des besoins et des circonstances. Une grande partie du matériel appartient à la phase postmilitaire. [2004] Kortüm 1999b ; Kortüm & Lauber 1998, 121 sq. ; Kortüm & Lauber 1999 ; Kortüm & Lauber 2004 ; ORL B, 57 ; Mettler & Barthel 1907 ; Planck 1980 ; Planck 1984-1985 ; Planck 1989a ; Planck 1991 . 1386 BIBLIOGRAPHIE WALLDÜRN-REINHARDSACHSEN/ HASELBURG Bade-Wurtemberg, Allemagne (carte fig. 8) 1387 E. SCHALLMAYER 1388 Le petit castellum de Haselburg, près de Walldürn-Reinhardsachsen, se situe au sud de la route Gerolzahn-Reinhardsachsen à environ 60 m derrière le limes, sur un terrain plat, légèrement incliné vers l’est. Traversant le camp par deux portes situées sur les petits côtés, une voie menait à un probable passage dans le limes (fig. 466). 671 FIG. 466 Walldürn-Reinhardsachsen/Haselburg. Plan général du site (Baatz 2000, 223). 1389 Le camp lui-même a la forme d’un rectangle légèrement irrégulier d’environ 41 x 37 m (0,15 ha) aux angles arrondis. Son enceinte était constituée, dans la première phase de construction, d’une simple palissade en bois, dont les pieux, placés à faible écart les uns des autres, étaient implantés dans un petit fossé continu. Ce premier dispositif a brûlé très rapidement, sans doute peu de temps après sa réalisation, autour de 155 ap. J.-C. Le castellum fut ensuite reconstruit et légèrement agrandi vers l’est (53 x 44 m, soit 0,23 ha). Le nouveau dispositif était entouré d’un simple fossé en V de 4,80 m de largeur et de 2,30 m de profondeur. Le rempart était constitué d’un mur de madriers : de puissants poteaux, enfoncés verticalement dans le sol à intervalles de 3 m, associés à des madriers horizontaux posés par couches successives, retenaient la pression du talus (larg. 3 m) constitué par la terre extraite du fossé. Le rempart était longé par la voie circulant autour du camp (via sagularis) d’une largeur de 1,80 m. 1390 Quatre poteaux puissants présentant un coffrage latéral constituent l’aménagement de chacune des deux portes, sans doute à deux battants, au-dessus desquelles devait s’élever une construction en forme de tour. La porte principale orientée vers l’est avait une largeur approximative de 3,60 m, la porte arrière présentait une largeur de 2,50 m. Des égouts traversaient les accès et menaient les eaux usées vers l’extérieur. 1391 L’enceinte de la troisième phase de construction, réalisée autour de 180 ap. J.-C., est encore composée d’un fossé en V de mêmes dimensions, mais le mur de madriers a été remplacé par un mur en pierre, présentant au niveau des fondations une largeur de 1,20 m. Celui-ci suit exactement le même tracé que le dispositif précédent, dont il conserve le talus de terre. 1392 L’intérieur du nouveau camp est divisé en deux moitiés par une rue médiane pavée, au moins à la fin de la période, de dalles de pierres. Un édifice relativement grand s’élève 672 dans la partie méridionale, deux autres bâtiments existent au nord. Le bâtiment sud, en colombages, d’une longueur de 29,30 m, sert au logement des troupes. Il est composé à l’une des extrémités d’une partie plus large divisée en huit pièces, dont l’une est dotée d’une cave. Viennent ensuite quatre pièces doubles qui correspondent aux contubemia avec leur dispositif habituel : antichambre à l’avant pour le dépôt des armes (arma), chambrée à l’arrière (papilio). La présence de traces de poteaux dans le sol prouve l’existence d’un portique sur la rue centrale. Le bâtiment, long de 24,80 m, situé à l’ouest, de l’autre côté de la rue, sous la partie orientale antérieure duquel se trouvait une autre cave, servait également au logement des troupes. Les deux pièces étroites, à l’ouest, ont été ajoutées lors de la deuxième phase de construction. Il s’agit en fait, dans le cas de ces édifices, d’un baraquement de troupe (centuria), coupé en deux en son milieu, et qui avait été placé de chaque côté de la rue du camp. À l’extrémité de la partie méridionale était logé le commandant de l’unité, forte vraisemblablement de soixante à quatre-vingts hommes. L’utilisation du bâtiment corridor, long de 11,60 m et large de 7,50 m, à l’angle nord du castellum, n’est pas déterminée de façon sûre. On a proposé d’y voir un édifice de commandement ou un valetudinarium. 1393 Les édifices décrits ont été érigés lors des phases 1 et 2. L’aménagement intérieur de la troisième période de construction n’est plus observable en raison de l’érosion avancée du sol. On peut cependant supposer, au vu de la superficie intérieure disponible et de la permanence de fonction, l’existence de bâtiments internes à peu près semblables. La présence de deux grands foyers dans l’angle sud-est du castellum doit être remarquée. Des citernes recouvertes de madriers servaient à l’approvisionnement en eau ; l’une se trouvait au milieu du camp, sous la rue, l’autre directement au sud, derrière la porte d’enceinte postérieure. 1394 Le castellum perdura au moins jusqu’à la chute du limes, vraisemblablement encore quelques années après, comme le donne à penser un antoninianus de l’empereur Gallien, frappé à Milan après 264-265 ap. J.-C. [2004] Baatz 2000, 223 ; Nuber 1979 ; Nuber 1993 ; ORL A, 7, 70-73 ; Schallmayer 1995. 1395 BIBLIOGRAPHIE WELZHEIM Bade-Wurtemberg, Allemagne (carte fig. 8) 1396 C. S. SOMMER 1397 Les camps de Welzheim sont situés un peu avant l’extrémité sud du tronçon rectiligne du limes de Germanie supérieure, entre Main et Rems. A la différence de la plupart des secteurs de cette région, le limes, aux environs de Welzheim, est tracé sur plus de 10 km dans un paysage assez plat. C’est peut-être la raison qui a conduit à construire ici deux forts, l’un à l’ouest, à environ 500 m derrière le limes proprement dit, et l’autre à l’est, juste derrière le tracé supposé du limes, qui n’est pas ici documenté sur presque 2 km. Tandis que le camp occidental est installé sur une colline assez plate, légèrement inclinée vers l’est, le camp oriental est construit à l’extrémité d’un petit éperon qui domine le Leinbach, à environ 100 m de là. Les deux fortins sont reliés par une route directe (fig. 467). 673 FIG. 467 Welzheim. Plan de situation des deux forteresses (Van Driel-Murray & Hartmann 1999). 1398 Le site est connu depuis longtemps, mais c’est K. Miller qui découvrit en 1886 le camp occidental, alors que le camp oriental n’est connu que depuis 1894. Son enceinte sudouest a été fouillée de 1976 à 1981, avant une reconstruction grandeur nature de la porte occidentale. Dans les années 1980-1990 ont eu lieu d’autres campagnes sur le fortin ouest et son vicus. En 1979 a été mise au jour une nécropole à incinération (cent soixante et une tombes) entre les deux fortifications, au nord. Le camp occidental 1399 Du camp occidental de 236 x 181 m (4,3 ha), l’un des plus grands du limes de Germanie supérieure, on connaît surtout la courtine et partiellement les principia (4). Le fort est défendu par un fossé de 6 x 2 m, auquel viennent s’ajouter au sud-ouest, à 10-20 m en avant de cette première défense, deux fossés en V (de 4 à 4,5 m sur 1,5 à 2 m). Peut-être existait-il au sud-ouest une place pour le manège des chevaux. Après une large berme de 2 m, le mur lui-même est installé sur une fondation de pierres maçonnées à l’argile (larg. 1,44-2,20 m), tandis que l’élévation est constituée d’un blocage parementé sur chaque face par des moellons bien taillés. Des contreforts perpendiculaires sont visibles çà et là sur la face interne, servant aussi peut-être de drains. On ne connaît pas les tours intermédiaires, tandis que les tours d’angle (4 x 4 m), de forme trapézoïdale à carrée (murs de 0,8-1 m) et liées au rempart, semblent relativement petites. Elles sont munies d’une porte au niveau du sol et saillent de quelques décimètres à l’extérieur. Les portes, à simple ou double passage, devaient avoir des tours de mêmes dimensions. Contrairement à l’opinion qui prévalait jusqu’ici, il est à peu près certain qu’existaient des tours intermédiaires (4,6 x 3,5 m) à environ 35 m des tours d’angle et des portes. Comme celles-ci, elles saillaient légèrement par rapport au front du rempart. Elles 674 étaient liées vers l’intérieur à ce dernier, au moins en fondation, et étaient initialement considérées comme des contreforts. Sur la face intérieure du rempart apparaît un talus large de 5 m qui, au moins à l’angle sud-est, repose sur une charpente de bois, avec des tirants longitudinaux et transversaux intentionnellement carbonisés. Une partie a pu servir de renfort au mur, mais on ne sait s’il s’agit d’une construction contemporaine de la courtine en pierre ou des restes d’un rempart antérieur. C’est en ce sens toutefois que l’on peut interpréter une rangée de poteaux à environ 2 m derrière le rempart, à l’ouest de la porte sud. On pourrait aussi y voir les supports du chemin de ronde, comme c’est aussi le cas dans le camp oriental. 1400 Des bâtiments internes, on ne connaît guère que deux “citernes” profondes de 0,8 m à l’angle sud-est et la chapelle aux enseignes. On y reconnaît une grande halle (68 x 16 m) au-dessus de la via principalis, une cour intérieure de 49 x 35 m, bordée de bâtiments, et vers l’arrière, une salle basilicale de 45 x 15 m, devant une galerie de pièces (prof. 7 m), avec une chapelle aux enseignes de 11 x 8 m, formant une abside saillant sur l’extérieur du bâtiment et dotée d’une cave profonde de 1 m. 1401 Du vicus, on sait peu de chose : on suppose une structure circulaire autour du camp ; à 100 m vers l’est a été mis au jour un balnéaire (44,2 x 16,7 m) de type linéaire ; on connaît des fours de potiers et de tuiliers. Le camp oriental 1402 Le camp oriental (130-136 x 123 m, soit 1,6 ha) est sans doute orienté au sud, en raison de sa disposition interne barlongue (fig. 468 et 469). En témoigne le décalage inattendu des portes orientale et occidentale vers le sud, et le double passage de la porte méridionale, malgré sa faible largeur et l’absence de tours de flanquement. Le camp, au moins à l’ouest, est entouré par deux fossés de 4-4,5 m de large. Après une berme de 1,5 m vient le rempart (de 1 à 1,1 m de large), plusieurs fois rétréci du côté interne. L’évacuation d’une eau abondante est assurée par au moins cinq drains qui traversent le rempart sud dans sa partie occidentale. Là aussi on observe, à 2 m du mur, une série de trous de poteau qui portaient sans doute le chemin de ronde (fig. 469 et 473). Des structures identiques, tous les 3 m, apparaissent derrière le rempart occidental ; on observe toutefois à cet endroit une double rangée de poteaux, dont l’une tout près du mur en pierre. Des traces de talus n’ont pas été repérées et il n’est pas certain que nous soyons là en présence d’un état antérieur. Toutefois, il faut remarquer que les drains ont une longueur de 2.5 m, ce qui renvoie sans doute à l’existence d’un petit rempart de terre. L’accumulation d’eau a conduit à des réparations du rempart et de la tour nord de la porte occidentale, ce que pourrait attester une série de fosses à l’extérieur de la courtine, sur la berme sud-ouest et ouest, comme à Murrhardt. Cette interprétation n’est toutefois pas certaine car ces fosses pourraient aussi être mises en relation avec la phase de construction. 675 FIG. 468 Welzheim. Le camp oriental (Körber-Grohne et al. 1983). FIG. 469 Welzheim est. Angle sud-ouest de l’enceinte (Körber-Grohne et al. 1983). 676 FIG. 470 Welzheim est. Détail du premier système défensif en bois. FIG. 471 Welzheim. Prospection géophysique du camp oriental (Osten 1993). 677 FIG. 472 Welzheim. Vue générale du camp oriental et des reconstitutions. photo O. Braasch FIG. 473 Welzheim. Reconstitution du rempart du camp oriental. photo M.N. Filgis 1403 Le passage, large de 3,6 m, de la porte occidentale (fig. 469 et 473) est flanqué de deux grosses tours de 4 x 3,8 m, légèrement saillantes. La porte orientale devait être identique, mais la fondation, plus large, indique une saillie plus importante. On notera 678 tout particulièrement le plan, remarquable dans un camp de cette taille, des portes nord et sud : le rempart fait un coude de 90° vers l’intérieur, formant des bras de 1,6 à 1,8 m. Cette faible profondeur rend peu vraisemblable un passage au-dessus de la porte, large de 2,5 m au nord et de 3,25 m au sud. Remarquable aussi est la bipartition de la porte sud, ce qui suppose le respect d’une règle générale d’architecture prescrivant que les portes prétoriennes devaient être doubles, au-delà d’une certaine taille du fortin. Les tours d’angle (5 x 5 m) et les tours intermédiaires (4 x 3.5 m) sont solidaires du rempart. 1404 Derrière une via sagularis large de 3 m apparaissent les restes de constructions en bois (fig. 470). Les murs semblent avoir été fondés sur des sablières basses, peu profondes, et les fouilles ont mis au jour des fosses et des caves boisées. La prospection géophysique (fig. 471) montre que la zone fouillée appartient à un bâtiment nord-sud, sans doute une baraque. Des structures analogues, larges de 8 à 10 m, à l’est, mais aussi au nord et au sud du camp, (orientées à cet endroit perpendiculairement) montrent des espaces divisés par des petits canaux, analogues aux sentines des stalles de cavalerie (comme à Ladenburg) et des foyers. En outre sont connus à Welzheim, depuis le siècle dernier, des bâtiments en pierre : un grand bâtiment de 26,6 x 10,3 m, légèrement désaxé, s’inscrit désormais parfaitement dans le plan du fort. La découverte à cet endroit de graines carbonisées invite à l’interpréter comme magasin. Immédiatement à l’est, un grand espace libre d’anomalies magnétiques, par-delà l’axe médian est-ouest du camp, avec un corps de bâtiments au nord et à l’est, pourrait faire penser à des principia. Au sud-est apparaît un bâtiment thermal doté de trois absides (26,15 x 12,05 m) désaxé par rapport aux autres constructions, avec des murs de 0,7 m d’épaisseur et un plan “en enfilade”. Son attribution chronologique est incertaine. La position du puits n o 2 dans la via sagularis, à l’angle sud-ouest du camp, laisse elle aussi penser à d’éventuelles modifications du plan initial. L’état de conservation des trois puits connus à cet endroit est étonnant : non seulement les cuvelages en bois, profonds de 3,5 à 4,4 m, avec des barreaux d’échelle dans l’angle, sont préservés, mais on peut aussi, dans le cas du puits no 2, reconstituer l’élévation (fig. 474). Il s’agissait d’un coffrage de bois de 1,93 x 1,93 m, en poutres de 0,25 x 0,25 m, mortaisées en angle. Le toit était porté par quatre colonnettes fusiformes de bois, à huit pans, hautes de 1,16 m. Le puits a été construit en 165 ou peu après, et contenait trois pila muralia. Les deux autres puits sont datés de la fin du second siècle et ont livré de nombreux macrorestes botaniques ainsi que des chaussures. 679 FIG. 474 Welzheim. Puits reconstitué du camp oriental. photo M.N. Filgis 1405 La construction des deux camps, celui de l’ouest pour une ala I (Scubulorum ?), celui de l’est pour le numerus Brittonum L[...] et exploratores, sous le commandement d’un centurion de la VIIIe légion, doit être mis en relation avec le déplacement du limes vers l’est, au milieu du IIe s. Diverses tentatives d’avancer cette chronologie, au moins pour le fortin oriental, sur la base des plus récentes données numismatiques et céramiques, restent très hypothétiques. Après un incendie dans la seconde moitié du IIe s. et une reconstruction, il est possible que le fortin oriental ait été abandonné dès le début du IIIe s. Le camp occidental semble en revanche avoir été occupé plus longuement. [2004] Körber-Grohne et al. 1983 ; ORL B, 45, 45a ; Osten 1993 ; Planck 1989b ; van Oriel-Murray & Hartmann 1999. 1406 BIBLIOGRAPHIE WELZHEIM/RöTELSEE Bade-Wurtemberg, Allemagne 1407 E. SCHALLMAYER 1408 Le petit fortin de Rötelsee se situe à environ 1,5 km au nord du castellum occidental de Welzheim, à seulement 40 m derrière la ligne du limes. Ce n’est qu’en 1974 qu’il a été entièrement fouillé. 1409 L’installation (fig. 475), de plan pratiquement carré (18,60 x 18,30 m, soit 340 m 2 de surface interne), est orientée vers l’est et entourée d’un fossé large de 2 m, absent devant la porte d’enceinte sur 8 m de longueur. À cet endroit apparaissent deux 680 grandes fosses ovales qui devaient, suppose-t-on, faire partie du système de verrouillage du pont en terre. Une berme de 1,60 m de large sépare le fossé du mur d’enceinte. Le rempart, en calcaire coquillier, et encore conservé çà et là en élévation, a une largeur de 1 m et est arrondi aux angles du fortin. À intervalles réguliers, sur sa face interne, ont pu être attestées des fosses qui avaient accueilli des poteaux soutenant un chemin de ronde en bois. L’accès unique, formé par deux murs rentrant vers l’intérieur, a juste 3 m de large et est drainé par un fossé qui se dirige vers l’est. Une tour était vraisemblablement érigée au-dessus de la porte, qui ouvre sur une cour intérieure. FIG. 475 Welzheim/Rötelsee. Plan du fortin (Planck 1986b, 617, fig. 446). 1410 Directement derrière le mur d’enceinte, on reconnaît à ses sablières le plan d’un bâtiment en U. Il s’agit des vestiges d’un casernement en bois, de 3,60 x 3,30 m, dont les grands côtés s’ouvrent par l’intermédiaire d’un portique sur la cour intérieure pavée. L’aile nord présente trois pièces de tailles différentes, l’aile sud deux pièces de dimensions semblables. En façade se trouve une salle unique dans laquelle a été cloisonnée une pièce plus petite, du côté de la cour intérieure, sur laquelle elle devait vraisemblablement ouvrir. Devant cette pièce est placé un foyer. La cour intérieure est drainée, depuis l’angle sud-est, au moyen d’un canal d’écoulement qui passe sous le mur d’enceinte sud. 1411 Cette installation, érigée, d’après le matériel trouvé en fouille, à la fin du IIe s. ap. J.-C., constitue le plus petit de ces burgi que l’on rencontre à plusieurs reprises, notamment dans la section méridionale du limes de Germanie supérieure. Pas plus de dix à vingt soldats ont dû être stationnés et affectés dans ce petit fortin de Rötelsee, à la surveillance d’une section réduite du limes et d’un probable passage à cet endroit. La 681 position dominante du camp sur le plateau permettait d’avoir un bon coup d’œil sur le glacis du limes et une vue d’ensemble sur la ligne du limes en direction du nord. [2004] ORL A, 9, p. 188 ; Planck 1986b. 1412 BIBLIOGRAPHIE WIESBADEN AQUAE MATTIACAE Hesse, Allemagne (cartes fig. 5, 6, 7 et 13) 1413 H. U. NUBER 1414 Deux importantes voies de communication se croisaient à Wiesbaden : la liaison sudnord qui, venant de Mayence, franchissait le Rhin, puis le Taunus en direction de la Lahn et une route ouest-est qui, longeant le Taunus par Wiesbaden, se dirigeait vers Hofheim et la Vétéravie. Des vestiges de fortifications militaires ont été constatés à deux endroits dans la ville actuelle (fig. 476). Ils se situaient à 6 milles romains au nordouest de la tête de pont Mayence-Kastel (Costellum Mattiacorum) sur la rive droite du Rhin, au pied d’une terrasse du Taunus, le Heidenberg. Dans ce secteur, qui forme une petite dépression marécageuse autour de la Mauritiusplatz, se trouvent les plus anciennes traces d’occupation romaine avec une évidente présence militaire, comme dans la Dotzheimer Strasse, où E. Ritterling supposait l’existence d’une garnison du début de l’époque romaine. Des sections de fossés en V, visiblement restés peu de temps ouverts et datés de la deuxième moitié du Ier s. ap. J.-C. ont été retrouvés –au sud de la zone marécageuse– dans la Friedrichstrasse et la Bahnhofstrasse. Des preuves concrètes d’un camp de troupes sont fournies par le site de Heidenberg, où des sections d’un triple système de fossés en V (A-C) de camps en bois et terre d’époque préflavienne ont pu être attestées. Le costellum en pierre, dispositif militaire le plus récent, a été édifié sur cette position dominante d’où l’on avait une très large vue sur les environs. Plus loin, les sources thermales à la limite septentrionale de l’implantation romaine ont dû être déterminantes dans le choix de l’emplacement du site. Ces sources, que les légions de Mayence utilisaient pour l’alimentation de leurs thermes médicinaux, donnèrent leur nom à l’endroit. 682 FIG. 476 Wiesbaden. Plan de situation du fort (Simon 1989, 486, fig. 462). 1415 L’intérêt pour le passé archéologique du site remonte jusqu’au XVIIIe s. Lors de travaux de voirie en 1832, on identifia pour la première fois les murs du costellum en pierre et on les dégagea jusqu’à l’angle arrondi nord-est. En 1838-1842, des fouilles eurent lieu à l’intérieur du camp ; lors des décennies suivantes, on se limita à des observations de terrain sur les chantiers de construction. À partir de 1895, l’initiative de la Reichslimeskommission permit seulement des sondages plus réduits sur un terrain entre-temps largement bâti. Le fossé en V fut découvert en 1906 dans la Friedrichstrasse. En 1909, E. Ritterling appuya sur cet état des connaissances son interprétation fondamentale et très méritoire qui reposait, dans une large mesure, sur des relevés anciens invérifiables sur le terrain. Toutes les recherches qui ont suivi, ainsi que leurs publications, concernèrent essentiellement l’implantation civile et, au-delà, les questions de chronologie. 1416 La totalité des vestiges conservés des castella en bois et terre se résume à la présence de fossés en V et n’a livré, de surcroît, aucun détail architectonique. Seul le plus ancien fossé du camp (A) sur le Heidenberg –attesté sur plus de 100 m de longueur– possédait une ouverture pour la porte d’enceinte large de 6 m avec, à l’avant, un fossé de titulum qui courait parallèlement à la porte, à une distance de 8,5 m ; E. Ritterling a cherché en vain les vestiges de l’enceinte du camp. Dans la mesure où le système de fossé suivant (B), en raison du matériel découvert, est daté de l’époque préflavienne, le fossé (A) pourrait, en concordance avec le matériel dégagé dans cette zone, appartenir au plus tôt à la période claudienne. 1417 Le castellum en pierre constitue, si l’on excepte les constructions maçonnées tardoantiques du centre ville, le dispositif militaire le plus récent mis au jour de façon à peu près complète sur le Heidenberg et, au-delà, à Wiesbaden. Ce castellum possédait 683 cependant –comme les autres castella de l’époque flavienne sur la rive droite du Rhin– un antécédent en bois. Sur une photographie des années 1904-1905 se distinguent en tout cas deux puissants “trous de poteau dans l’angle du castellum en pierre”, qui correspondent à la tour d’angle d’une période de construction plus ancienne et qui n’avaient visiblement pas été reconnus lors des fouilles de 1860. 1418 Le castellum en pierre (fig. 477), avec sa porta praetoria, s’incline vers l’est, en direction des sources thermales et de la zone d’habitat. Il forme un rectangle légèrement décalé d’environ 157,9 x 143,7 m de longueur et inclut une superficie d’à peine 2,3 ha. Il était entouré d’un fossé double en V ; le fossé interne avait une largeur d’environ 10 m et une profondeur de 3 m, le fossé externe une largeur d’environ 7 m et une profondeur de 2,4 m. Ainsi qu’E. Ritterling l’a constaté, la largeur totale de la protection du glacis de 17,75 m rattache Wiesbaden à une série de forteresses de la Vétéravie datant de l’époque flavienne, notamment Hofheim. À Wiesbaden, les fossés n’ont pas dû être interrompus devant les portes. FIG. 477 Wiesbaden. Plan du fort (ORL B, 31, pl. II). 1419 De nombreux fragments d’architecture provenant de l’élévation du mur d’enceinte se trouvaient dans le fossé interne. Les fondations étaient encore seulement conservées par endroits ; leur largeur s’élevait à 1,9 m. Le mur était édifié en schiste argileux bleuâtre jusqu’à une hauteur d’environ 5,4 m et recouvert jusqu’au sommet par des pierres de crénelage en grès rougeâtre demi-arrondies ou, pour certaines, rectangulaires. 1420 Les portes se situent au centre des côtés et présentaient un passage unique sans pilier central. Les largeurs des voies, recouvertes de gravier, vont de 2,4 à 3,3 m. L’espace, en raison des butées latérales des tours d’entrée, avait été réduit de 6,40 à 5,02 m. La crapaudine en fer pour la porte à deux battants était conservée dans l’angle interne 684 d’une butée. Les tours des ouvrages d’entrée, sans saillie externe, se distinguent particulièrement par l’emploi d’une maçonnerie coûteuse en blocs de calcaire taillés. 1421 Dans les angles arrondis du mur d’enceinte s’élevaient de larges tours trapézoïdales avec des murs intérieurs d’une épaisseur allant de 1 à 1,2 m ; leurs bases incurvées suivaient l’arrondi extérieur (d’environ 12,5 m de rayon) avec un intervalle de 1,5 m. Les seize tours intermédiaires carrées se répartissaient régulièrement le long du mur d’enceinte, deux par deux entre les tours d’angle et les tours d’entrée ; leurs côtés avaient une longueur de 4,7 m. Aucune trace du talus en terre remblayé n’a été retrouvée. Vers l’intérieur venait ensuite la via sagularis, recouverte de gros galets de rivière et d’une largeur de 5,3 m ; sa position par rapport au mur d’enceinte semble avoir été variable. E. Ritterling remarquait déjà que la direction de la voie sur le côté du decumanus ne correspondait sans doute pas à la réalité, mais devait conduire vers le mur extérieur. 1422 La disposition intérieure du camp est reconnaissable grâce aux voies recouvertes de gravier. La praetentura, séparée en son milieu par la viapraetoria large de 5,3 m et deux ruelles de largeur semblable, devait avoir accueilli le logement des soldats ; en raison des méthodes de fouilles de l’époque, son type de construction en bois n’est pas connu. Les restes d’une fondation en maçonnerie de pierres sèches ont pu être distingués seulement au niveau des parcelles situées au centre du camp. Une construction (g) se dessine à l’intérieur de la retentura, très étroite (10 m de profondeur) ; elle ressemble beaucoup à une baraque de troupe mais elle ne remplit pas l’espace disponible avec ses 30 m de longueur et sa fonction n’est pas évidente. S’appuyant sur le fait qu’en dehors de cet endroit, aucune troupe ne se serait installée à l’arrière du camp, E. Ritterling supposait ici la présence de logements qui n’ont pas tous été fouillés et par conséquent identifiés. 1423 La construction des parcelles médianes (laterapraetorii), décomposée en trois secteurs, est, en raison de ses fondations en pierre, bien que peu profondes (partie supérieure en colombages ?), la mieux connue du camp. L’écart respectif entre les bâtiments et le bord des voies prouve que, dans cette zone médiane du camp, les rues étaient bordées de portiques. Le secteur central inclut les principia (B), un rectangle nettement décalé de 31,1 x 26,7 m. Ces derniers présentent encore entièrement la forme ancienne : une cour intérieure entourée sur trois côtés par un portique, avec un puits profond de plus de 13 m et à l’arrière un alignement de cinq pièces d’environ 5 m de profondeur. La pièce la plus grande, au centre (aedes) disposait d’une cave de 1,5 m de côté ; sa profondeur réduite (environ 1,2 m) prouve que le plancher à proprement parler du sanctuaire des enseignes était surélevé. E. Ritterling interprète deux massifs de maçonnerie attestés au centre, devant cette pièce, comme la partie inférieure d’un escalier et les deux autres de plus grandes dimensions, placés latéralement comme socles pour des statues de l’empereur. On ignore ce qui s’élevait au-dessus de l’espace libre que l’on reconnaît à l’arrière des principia. 1424 Le praetorium (C), d’une superficie de 38,2 x 32,4 m, se trouvait à gauche des principia. Quatre blocs de pièces, profonds de 10,25 m et séparés par des couloirs ouvrant à la fois sur l’intérieur et l’extérieur, étaient entourés par un mur de 0,75 m d’épaisseur. L’entrée principale s’ouvrait par un couloir plus large sur la via principalis et aboutissait, après un changement de direction vers la gauche, sur une cour intérieure dotée au centre d’un bassin maçonné d’une profondeur d’environ 2 m. Le sol incliné de ce bassin présentait un trou d’écoulement à partir duquel un canal conduisait l’eau jusqu’au 685 collecteur principal. Une salle était équipée d’un hypocauste en briques ; dans cette aile devaient se trouver pour cette raison les logements du commandant. Dans une pièce située à l’arrière, la position et la nature des constructions indiquent la présence de latrines. Un creuset, des scories et des amalgames de bronze coulé attestent l’existence, à côté d’un foyer placé à même le sol dans la pièce d’angle oriental, d’un atelier de travail du bronze, ce qui avait amené E. Ritterling à interpréter l’ensemble de l’édifice comme une fabrica, d’autant plus qu’il avait déjà cru voir dans le bâtiment A la résidence du commandant. Alors que la construction f, de 19 x 7,4 m, située derrière le praetorium, n’a livré aucun indice quant à sa fonction, le bâtiment e de 9,9 x 7,4 m a pu être identifié, en raison de la construction d’un bassin dotée de trois niches, comme nymphée. Il est ainsi possible d’admettre que l’alimentation en eau potable s’effectuait au moyen d’une canalisation passant par la porta decumana située à l’altitude la plus élevée et était ensuite, depuis le bâtiment e, répartie dans tout le camp. Une autre preuve indirecte est fournie par le canal d’écoulement des eaux usées(x), qui venant de e et alimentait la latrine du bâtiment c, avant de dévier à l’angle nord-ouest du praetorium, pour quitter le camp par la tour d’angle nord-est située à l’altitude la plus basse. 1425 Le complexe de bâtiments, à gauche des principia, se divise en cinq unités (A, a-d). Le bâtiment d, de 32 x 17,8 m, a été interprété par E. Ritterling comme étable avec fosse à fumier placée à l’avant ; le bâtiment c, de 11,6 x 7,4 m, comme grange. Les deux constructions a et b, de dimensions pratiquement identiques (14,8 x 9,6 m), ont été identifiées en raison de leur emplacement et de leur aménagement intérieur comme des greniers. E. Ritterling avait supposé l’existence du logement du commandant avec thermes à l’intérieur du bâtiment A de 22,2 x 14,8 m. Nous savons qu’il s’agit en réalité de fours à sécher les grains, et qu’une cave faisait partie de l’ensemble. Cette construction doit ainsi également être interprétée comme un édifice de stockage. 1426 Il est, à l’heure actuelle, difficile de déterminer avec précision la date de fondation du castellum en pierre, en raison de la quantité réduite de mobilier comparable de façon sûre à l’un des complexes archéologiques du site de Heidenberg. Il s’agit très vraisemblablement d’une installation flavienne, au plus tôt du règne de Vespasien, qui fut reconstruite en pierre sous le règne de Trajan. Son évacuation est placée d’une manière générale autour de 122 ap. J.-C. au plus tard ; il est plus plausible que celle-ci ait eu lieu encore sous Trajan, car à cette date fut fondée la civitas Mattiacorum et la dernière garnison, la cohors IIIa Dalmatarum, est attestée à partir de cette époque à Rückingen. Après le retrait des troupes, le camp a dû être encore utilisé (transformation du praetorium en une fabrica). 1427 À Wiesbaden, toute une série de stèles funéraires de soldats du Ier s. ont été découvertes, réemployées. Il n’est pas possible de savoir s’il s’agit de témoignages de soldats en garnison ou bien de passage en cure. La cohors IIa Raetorum, dont deux inscriptions et un diplôme militaire (plus tardif) nous sont parvenus, pourrait avoir constitué la troupe d’occupation la plus ancienne du camp. La troupe d’occupation suivante fut vraisemblablement la cohors IIIa Dalmatarum, dont nous sont connus vingt exemplaires signés (présentant tous la même estampille) d’une production locale de briques. Le matériel figulin restant, en très grande quantité, provient des briqueteries centrales des légions. [2004] ORL B, 31 ; Schoppa 1974; Simon 1989. 1428 BIBLIOGRAPHIE 686 WLNDISCH VINDONISSA Argovie, Suisse (cartes fig. 3, 5, 6 et 7) 1429 R. FELLMANN 1430 Vindonissa se situe sur un plateau (Breite) entre l’Aare et la Reuss, à environ 1,5 km au sud-est de la ville de Brugg (Argovie). Le terrain s’achève par un éperon à l’est. Légèrement en aval, la Limmat se jette également dans l’Aare, et les trois rivières qui irriguent une grande partie du plateau suisse traversent ensemble la chaîne jurassique qui sépare Vindonissa de la vallée du Rhin, avant de confluer. Le site archéologique correspond en partie au terrain occupé par l’hôpital de Königsfelden. Vindonissa, par sa position, commande pour ainsi dire la “porte des eaux” suisse, mais se trouve en retrait du front rhénan et domine le point de jonction de trois grands cours d’eau du plateau suisse, qui sont autant de voies de circulation. 1431 Les nécropoles s’alignaient le long des voies sortant du camp. Les canabae legionis et le vicus de Vindonissa semblent devoir être placés respectivement à la périphérie occidentale du camp et devant la porte orientale de ce dernier. L’alimentation en eau était certainement assurée par une canalisation provenant du Birrfeld. Il est possible de distinguer deux périodes. La canalisation la plus récente fonctionne encore à l’heure actuelle. 1432 Des découvertes isolées avaient déjà été faites au XIXe s., notamment à l’occasion de la construction du chemin de fer, qui confirmèrent des observations plus anciennes. La recherche au sens propre du terme commença en 1897, avec la fondation de ce qui allait devenir la Gesellschaft Pro Vindonissa. Lors d’une première phase (jusqu’en 1924) furent retrouvées l’enceinte et trois des quatre portes. En 1909, S. Heuberger avait déjà esquissé d’une manière relativement juste le contexte historique ainsi que la séquence des troupes d’occupation. R. Laur-Belart résuma, en 1935, dans le cadre d’une monographie, l’état des connaissances de l’époque. Pendant les années suivantes (1935-1945), sous la direction de Ch. Simonett, de grandes fouilles à l’intérieur de la forteresse montrèrent que l’histoire du camp était en réalité bien plus complexe qu’on ne le pensait. Depuis les fouilles minutieuses de K. Kraft, la date de fondation du camp de la XIIIe légion peut être placée avec vraisemblance autour de 17 ap. J.-C. De 1952 à 1957, R. Fellmann, alors directeur des fouilles et du musée de Vindonissa, prouva que le camp en pierre de la XXIe et de la XI e légion n’était pas, comme il était admis jusqu’alors, orienté vers l’ouest, mais bien plus probablement vers le sud. La situation des maisons de tribuns alors mises au jour en fournit la preuve, montrant que la voie ouest-est du camp devait être la via principalis. Ces résultats ont été confirmés par la découverte et le dégagement partiel des bâtiments de commandement (principia). Il était néanmoins déjà clair, à l’époque, que la forme inhabituelle du camp de légion (un heptagone irrégulier) était due à l’existence de fortifications antérieures. En 1961, E. Ettlinger résuma l’état des connaissances dans un grand article de la Real Encyclopädie. Le palais du légat, ainsi que les bâtiments contigus à la basilique des principia, ont été ensuite dégagés en 1967 et 1968. Dans la mesure où ces zones n’avaient pas été prises en compte lors des fouilles de 1962, il fut possible de mieux définir le plan desprincipia et de dégager les vestiges d’un grand hall, doté d’une vaste abside, qui recouvre la 687 basilique, ce qui supposait une destruction au moins partielle du praetorium (période 8). Ces fouilles ont été malheureusement présentées par la suite de telle manière que la basilique et l’édifice qui lui succède ont été isolés du reste des principia. 1433 Les fouilles des années 1986-1987 ont livré de nouvelles données ; celles-ci prouvent non seulement qu’il n’existe pas seulement un fossé est-ouest (connu depuis déjà longtemps) d’un camp antérieur à l’intérieur de la forteresse légionnaire, mais qu’un autre fossé nord-sud venait buter contre ce premier fossé, semblant ainsi avoir réduit la superficie du camp. On a pu en outre constater l’existence, dans certaines zones, de constructions en bois, d’orientation différente des aménagements postérieurs en pierre ; les vestiges d’une ancienne via principalis semblent conservés ; un nombre incalculable de fossés témoigne, sur la façade occidentale du camp, de stratigraphies relativement complexes ; les principia n’ont pas dû s’élever, à l’origine, sur leur emplacement ultérieur (résultat de la grande fouille de 1996- 1998) ; le camp semble enfin, à une époque qui reste encore à définir, s’être étendu en direction du sud. Jusqu’à présent, il n’a pas été possible d’élucider les stratigraphies complexes du site par des sondages ciblés sur les différents points vitaux du camp (anciennes portes d’enceinte, système de voirie à l’intérieur de l’ancien camp, etc.). Aujourd’hui, une séquence d’au moins douze périodes différentes peut être distinguée. Période 1 Poste militaire augustéen 1434 Il ne subsiste à l’heure actuelle aucun doute quant à l’existence d’un poste militaire augustéen à proximité du fossé (Keltengraben) barrant l’éperon entre la Reuss et l’Aare et qui aurait entouré un oppidum celtique (fig. 478). Tant la céramique découverte que les quelques traces de constructions en témoignent. Il n’est pas encore possible d’avancer une chronologie précise : les vestiges militaires pourraient remonter, au plus tôt, à 15 av. J.-C. (?) mais on constate la présence d’éléments plus anciens, accompagnés d’importations méditerranéennes (dolia ?). 688 FIG. 478 Windisch. Plan schématique des structures antérieures à l’installation du camp de la XIIIe légion (Hagendorn 2003, 110, fig. 69). Période 2 Traces de constructions et installations industrielles d’un avant-poste (militaire ?) 1435 Les vestiges de logements et d’une zone d’ateliers avec fonte du fer et officines de potiers ont été observés dans divers secteurs du camp. Leur datation exacte est encore incertaine, mais ils présentent de toute façon une orientation différente de celles des bâtiments en bois, plus tardifs, du camp légionnaire. Période 3 Premier camp de la XIIIe légion 1436 Un premier camp de la legio XIII Gemina apparaît peu après 14 ap. J.-C. (fig. 479). Il s’appuie distinctement à l’est sur le Keltengraben et est limité au nord et à l’ouest par les “fronts internes du camp”. L’aménagement interne du camp est composé essentiellement de casernements en bois, orientés “de biais” (“schräges Lager”), dans la partie nord du camp, conformément au tracé du Keltengraben. La troupe semble avoir été implantée en plusieurs étapes jusque dans la deuxième moitié de la deuxième décennie ap. J.-C. 689 FIG. 479 Windisch. Plan schématique du "schräges Lager" (camp "de biais") de Vindonissa. En gris, les aires fouillées (Hagendorn 2003, 162, fig. 106). Période 4 Extension vers l’ouest 1437 D’autres troupes sont arrivées vraisemblablement vers le milieu de la troisième décennie de notre ère, ce qui nécessita un agrandissement du camp. En raison des données complexes (présence de plusieurs fossés), la question de l’état du front occidental du camp reste ouverte. On n’a pas trouvé à l’heure actuelle de précédent en bois à la porte d’enceinte occidentale. Période 5 Deuxième camp de la XIIIe légion 1438 Cette extension du camp vers le nord, jusqu’au bord du talus qui descend vers l’Aare (fig. 480), équivaut à une véritable reconstruction. Cette dernière était a priori nécessitée par l’arrivée de nouvelles troupes (cohors XXVI Voluntariorum c. R., cohors VII Raetorum), sans doute entre 30 et 38 ap. J.-C. Il convient de mentionner également l’inscription CIL XIII, 11513, datée des années 30 à 37 ap. J.-C., dans la mesure où elle nomme avec une certaine vraisemblance le gouverneur de la province Cn. Lentulus Gaetulicus. Son lieu de découverte est clairement en liaison avec les principia. Toutes précautions prises, nous devons en conclure qu’à cette époque, le camp de légion de Vindonissa, et en premier lieu ses structures internes et le système de voirie, avaient déjà reçu leur forme définitive. Lesprincipia (construits en pierre et bois) semblent avoir été édifiés dès cette période sur l’emplacement qui devait être le leur ultérieurement. On a attribué les casernements et les autres édifices internes à la phase des bâtiments en bois dits “orthogonaux”. 690 FIG. 480 Windisch. Période 5 (Hartmann 1986, plan 2). Période 6 Le camp de la XXIe légion 1439 La XXIe légion Rapax a été stationnée dans le camp de Vindonissa de 40 à 69-70 ap. J.-C. Elle reconstruisit le camp presque entièrement en pierre, les plans préexistants étant la plupart du temps conservés. Devant la porte d’enceinte septentrionale, le dépotoir (Schutthügel), sur lequel étaient déposées les ordures du camp, s’élargissait toujours davantage. Période 7 Le camp de la XIe légion 1440 Présente à Vindonissa depuis 70, la XI e légion Claudia Pia Fidelis détruisit et reconstruisit partiellement le camp de la XXIe Rapax (fig. 481). Lors d’une première phase, de grandes parties de la légion furent stationnées à Rottweil et ensuite engagées dans la guerre contre les Chattes. Elles semblent s’être pour la plupart repliées sur Vindonissa après 85. Sous la XIe légion, le camp présente la physionomie qu’on lui connaît sur la plupart des plans. Le retrait de la troupe vers la Pannonie a été effectué en 100 ou 101. Cette datation est donnée de manière absolue par les découvertes monétaires faites dans le dépotoir et à l’intérieur du camp. 691 FIG. 481 Windisch. Période 7 (Fellmann 1992, fig. 73). Période 8 Le camp légionnaire dans la première moitié du IIe s. 1441 Lors de cette période, la zone du camp de légion semble être restée sous administration romaine. Les preuves en sont la présence possible d’un détachement de la VIII e légion de Strasbourg (dos d’un bouclier) et les deux fragments d’un diplôme militaire délivré en 121 ou 122. Il semble que l’on ait procédé ensuite à certains travaux de rénovation. La construction d’un grand bâtiment sur les principia doit faire partie de ces opérations. Les tranchées de fondation de cet édifice avaient dû être soigneusement étayées dans la mesure où elles s’enfonçaient profondément dans les couches préexistantes. Sa construction nécessitait par ailleurs la destruction de grandes parties du praetorium. Il pourrait en l’occurrence s’agir d’une de ces opérations de transformation de sites militaires abandonnés en centres civils (cf. Bumum, Lopodunum). La similitude du tracé de l’édifice nouvellement construit avec le forum et la basilica de Ladenburg (Lopodunum) est en tout cas frappante. Période 9 Deuxième moitié du IIe et première moitié du IIIe s. 1442 On a par la suite visiblement abandonné ces projets de rénovation. Les bâtiments du camp de légion encore en place furent détruits autour de 150 (cette date vaut également pour les thermes) et l’aire du camp laissée à la population civile. Celle-ci s’installa le long de l’ancienne via principalis et reconstruisit les bâtiments existants sous la forme d’un vicus rue. À cette occasion, le mur d’enceinte sud du camp gênant ces bâtiments semble avoir été arasé. Les fosses de drainage circulaires réalisées selon la 692 technique de construction en pierres sèches, remplies pour la plupart de céramique des IIe et IIIe s., sont caractéristiques de cette période. Période 10 Tentative d’une nouvelle fortification du camp 1443 L’inscription CIL XIII, 5203 indiquant une reconstruction du mur de Vindonissa manu militari sous Gallien et Salonin a pu, grâce à une analyse méticuleuse, être datée par H. Lieb de l’année 260. Il s’agit d’une importante plaque qui devait occuper un emplacement remarquable (porte d’enceinte occidentale ?). Une carte de répartition des monnaies de Gallien découvertes dans la zone de l’ancien camp de légion montre une concentration au niveau du front sud du camp et des quatre tours d’angle. Au niveau de ces dernières, d’importants travaux de fortification ont également pu être constatés. Un tel accent mis sur les bastions d’angle est caractéristique des camps de légion tardifs (El-Leggun et Udruh par exemple). Le réarmement de Vindonissa pourrait ainsi s’expliquer en tant que mesure préventive de la part de Gallien. Période 11 Le IVe s. 1444 Nous ignorons jusqu’à quelle époque les mesures ordonnées par Gallien furent maintenues. Il est certain qu’un castrum tardo-antique a été érigé au IVe s., qu’il occupa l’éperon entre l’Aare et la Reuss, et se protégea derrière trois fossés ainsi qu’une section de mur réutilisant en son centre un fragment de l’ancienne enceinte du camp. Le gué tout proche sur l’Aare, à Altenburg, fut sécurisé par un castellum en forme de cloche. C’est là que fut découverte l’inscription de Gallien (période 10) sous la forme de plusieurs fragments réutilisés dans la maçonnerie comme spolia. Le castellum tardoantique du IVe s. ap. J.-C., à l’extrémité de l’éperon entre l’Aare et la Reuss, peut être identifié avec le castrum Vindonissense cité par la Notitia Galliarum. [2004] Doppler & Peter 1998 ; Ettlinger 1961, 82 sq. ; Fellmann 1958; Fellmann 1992, 83-113 ; Franke 1997 ; Frei-Stolba 1977 ; Hagendorn 2003 ; Hartmannn & Widmer 1988-1989 ; Hartmannn 1986 ; Lieb 1948‑1949 ; Lüdin & Wiedemer 1967 ; Maier 1987 ; Meyer-Freuler 1989 ; Meyer-Freuler 1996. 1445 BIBLIOGRAPHIE XANTEN VETERA (CASTRA) Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne (cartes fig. 5, 6, 7, 8 et 12) 1446 N. HANEL 1447 Avec les Vetera castra fut installé, non loin du confluent de la Lippe et du Rhin, un des points les plus importants du système militaire défensif de l’empire romain (fig. 482). Des conditions topographiques favorables sont offertes par une moraine de la période glaciaire de la Saale, le Fürstenberg (alt. 75 m), qui permettait une large vue sur le fleuve et le confluent. Selon Tacite, le camp légionnaire se situait à 60 milles de la 693 colonia Claudia Ara Agrippinensium. capitale de la Germanie inférieure ; à environ 2 km au nord-ouest se trouve l’agglomération antérieure à la future colonia Ulpia Traiana. FIG. 482 Xanten. Plan de situation (Petrikovits 1959, 91, fig. 1). 1448 Si les débuts des recherches sur le site peuvent être datés du XVIe s., on doit aux directeurs du Provinzialmuseum de Bonn, H. Lehner et F. Oelmann, l’étude archéologique à grande échelle du camp militaire. Sous leur direction a eu lieu, dans le premier tiers du XXe s., la plus grande fouille réalisée alors en Allemagne ; elle se déroula, avec des interruptions, de 1905 à 1933-34. A l’heure actuelle, aucun vestige n’est plus visible sur le terrain. Dès l’époque romaine, on avait commencé à fouiller et piller les installations militaires de Vetera I, détruites lors du soulèvement des Bataves ; les bâtiments du camp ont été démolis jusqu’au niveau des fondations. Le matériel de construction réutilisable, en particulier des briques estampillées de la V e et de la XV e légion, se retrouve dans les édifices de l’agglomération qui précède la colonia Ulpia Traiana. L’édification de différents complexes successifs sur un emplacement plus ou moins immuable a eu pour conséquence que les camps les plus anciens, à l’empreinte architectonique plus réduite, ont été recouverts, et en grande partie détruits, par les camps plus récents, dotés de fondations ancrées profondément dans le sol. Il est néanmoins possible, grâce aux fouilles et aux photographies aériennes, de restituer les grands traits de l’évolution du site. 1449 Le dispositif le plus ancien, dont l’existence a pu être prouvée archéologiquement sur le Fürstenberg, est le camp B (fig. 483c). Seul un fossé isolé a été dégagé sur une longueur de 100 m ; d’après des découvertes ultérieures, la longueur totale de ce tronçon d’enceinte est probablement de 265 m. Deux fours de potiers, qui pourraient avoir été installés dans l’intervallum, indiquent qu’il s’agit de l’enceinte occidentale. Une interruption du fossé suggère l’existence d’une porte. La concentration de fosses avec du matériel ancien dans le voisinage de cette enceinte, de même que la céramique provenant des deux fours laissent penser qu’on se trouve en présence d’une base de la première phase d’occupation, servant de point de départ aux campagnes menées en Germanie sur la rive droite du Rhin, sous le commandement de Drusus maior. 694 FIG. 483 Xanten. Plan des différents camps de Vetera I (Hanel 1989, 61-65, fig. 1-3). 1450 Un grand camp pour deux légions A/C a succédé au camp B : le front nord a pu être attesté sur une longueur de 510 m ; on a suivi l’angle sud-est, supposé lui appartenir, sur une distance de 420 m. La délimitation des côtés ouest et est reste, en revanche, à fixer. Le matériel de fouille montre que l’enceinte a été réalisée en deux étapes. Sur le côté méridional se situait un passage avec titulum. Les bâtiments intérieurs n’ont pas été observés en fouille ; les photographies aériennes indiquent des casernements immédiatement au sud de la ligne de fortification A. Alors que les débuts du camp A/C se placent à l’époque de la catastrophe de Varus, la fin du camp, datée par une couche d’incendie, se situe dans la troisième ou quatrième décennie du début de notre ère. La datation suggère que la Ve légion Alaudae et la XXI e Rapax, attestées depuis 14 ap. J.-C. comme garnisons, étaient stationnées dans ce camp double. 1451 Le troisième complexe militaire K (fig. 483b) a été mis en évidence lors des fouilles, uniquement au niveau de l’angle sud-ouest. La section d’enceinte occidentale a pu encore être observée sur une longueur de 130 m ou plutôt 260 m, la fortification méridionale sur environ 165 m. Le périmètre exact du camp reste en vérité à définir. Une certaine confusion règne quant à l’affectation des traces d’aménagement intérieur, immédiatement à l’arrière de l’enceinte du camp. Aucun critère de datation absolue n’existe pour le camp K ; on rattache celui-ci de façon vague à la fin de la période tibérienne où, d’une part la fin de l’installation militaire A/C, et d’autre part les événements décisifs dans le contexte de la campagne de Bretagne de Claude en 43 ap. J.C. peuvent être considérés comme des points de repère chronologique. À cette époque, la XXIe légion Rapax quitte Vetera avant d’être remplacée par la XV e légion Primigenia, alors que la Ve légion Alaudae reste sur place. Il faut supposer que la rotation des troupes conduisit à l’abandon du camp K et à l’érection du camp claudien. 1452 C’est relativement tard que l’on a réussi à identifier sur le plan archéologique ce camp de légion double construit sous Claude. Un point de repère important est constitué par le bâtiment L (fig. 483b), reconnu d’après son plan comme valetudinarium C’est la seule construction intérieure (long. 73 m ; larg. environ 58,40 m) qui puisse être attribuée à cette phase d’occupation du camp. Au niveau des fondations, au moins, furent utilisés comme matériau les galets du Rhin. Des indices de l’extension possible du camp au nord et au sud ont été révélés par les photographies aériennes et à l’occasion de fouilles de sauvetage en 1974 ; l’extension en longueur devait s’élever à environ 850 m, la largeur à au moins 580 m. D’après les données de fouilles, un four de potier M, qui servait à la fabrication de céramique usuelle, pourrait être rattaché à cette phase du camp. Une 695 inscription sous forme de poinçon sur un élément de harnachement attestant le nom de Plinius, prouve avec une certaine vraisemblance que le célèbre écrivain C. Plinius Secundus Maior était en exercice, à cette période du camp, en tant que préfet d’aile. 1453 À l’époque de Néron, vers 60, eut lieu la construction en pierre du centre militaire de Vetera (fig. 484). Le camp de légion double, désaxé de 12° à 14° par rapport au camp claudien, est en fait construit dans une large mesure dans la même position. La superficie interne s’élève à 56 ha avec une longueur de 902 m et une largeur de 621 m. Le camp est protégé par un double fossé. L’enceinte et les quatre portes sont construites en bois et terre. Le renforcement de la fortification sous les deux légats Munius Lupercus et Numisius Rufus, brièvement mentionné par Tacite à l’occasion du siège de Civilis, se trouve peut-être confirmé par une découverte, particulièrement dans les fossés d’enceinte internes du camp de la XVe légion : à cet endroit, dans le remblai, fut trouvée une grande quantité de tuiles ainsi que des restes de poutres de bois. On ignore en réalité si le parapet seul ou bien la totalité du rempart était couvert de tuiles. 1454 L’aménagement interne (fig. 484 et 485) est bien connu, essentiellement dans le secteur des latera praetorii, car ces parties du camp ont, pendant plusieurs années, fait l’objet des fouilles les plus intensives ; des zones importantes au niveau de la retentura et de la praetentura, en revanche, n’ont pas encore été vraiment explorées. FIG. 484 Xanten. Le double camp légionnaire de Vetera I (Oelmann 1934, 264, fig. 1). 696 FIG. 485 Xanten/Vetera 1. Photographie aérienne montrant les traces du bâtiment central du camp néronien. photo I. Scollar 1455 Les axes principaux du camp militaire, c’est-à-dire la via principalis, mais aussi d’autres voies dans les latera praetorii, se présentaient sous la forme de rues à colonnades de 8 à 9 m de large. Au nord du point d’intersection de la via principalis et de la via praetoria se situent les principia (fig. 486) qui, avec une longueur de 120 m et une largeur de 94,80 m (400 x 300 pieds), dominent le centre du camp. Autour d’une cour péristyle de 64,80 x 61,80 m se groupent sur trois côtés des rangées de pièces doubles, identifiées comme tabularia et armamentaria. Les fouilles ont révélé l’existence d’environ deux mille quatre cents pointes de flèches et autres pièces de rechange, comme des talons de lance, des viroles de javelots, des clous de boucliers qui, suppose-t-on, ont brûlé dans les dépôts d’armes lors de la destruction du camp de Vetera par les troupes de Civilis. Sur le côté nord de la cour se trouve, placée perpendiculairement, une basilique à trois nefs (larg. 25 m), autour de laquelle est bâtie une série de pièces. Les chapelles aux enseignes (aedes) des deux légions étaient aménagées face à face sur les petits côtés de cette basilique. La division en deux des bâtiments de commandement peut être observée au travers d’un autre phénomène : les briques avec estampilles des légions étaient réparties par troupe dans les deux moitiés desprincipia, de telle façon qu’il est possible de conclure que non seulement la couverture des toits, mais probablement l’ensemble de l’édification des bâtiments avaient été répartis par moitié entre les deux unités. L’utilisation ultérieure des ailes et des chambrées était vraisemblablement séparée de façon stricte entre les troupes suivant l’axe médian de la construction, comme on l’a constaté dans le reste du camp à partir de la diffusion des estampilles : à droite, la moitié occidentale à la Ve légion Alaudae de rang plus élevé ; à gauche, la moitié orientale à la XVe légion Primigenia. Les quelques fragments d’architecture des principia 697 découverts lors des fouilles montrent que le bâtiment de commandement comptait à l’époque parmi les plus luxueuses constructions de la Germanie inférieure. FIG. 486 Xanten. Vetera I : les principia (Lehner 1930, 41, fig. 29). 1456 Directement à l’est et à l’ouest des principia se situaient, dans les rangées médianes, les praetoria de Vetera (fig. 487). Ils servaient de résidence et d’office aux légats de légions. Il s’agit de bâtiments de grande superficie, de type palatial, qui couvrent ensemble environ 1,6 ha de la surface interne du camp. Les entrées des deux complexes sont alignées sur les principia. L’architecture, tournée essentiellement vers l’intérieur, se compose d’un système de trois cours péristyles avec d’autres galeries à colonnes annexes entourées de groupes de pièces. Chaque praetorium était doté d’un hippodrome de 73 à 83 m, c’est-à-dire d’un parc qui pouvait être, en plus, utilisé comme manège. Même si les deuxpraetoria présentent des éléments comparables dans le plan et dans la réalisation, ils ont été développés individuellement. 698 FIG. 487 Xanten. Vetera I : le praetorium (Lehner 1930, 3, fig. 38). 1457 De chaque côté de la via principalis ont été mises au jour au moins cinq maisons (a, b, c, S, L ?), certainement attribuables aux officiers supérieurs des légions (préfets du camp et tribuns laticlaves), sans que les fouilles aient pu cependant prouver de façon concrète l’attribution de ces maisons à un grade particulier dans la hiérarchie militaire. Leurs tailles varient entre 2 410 et 3 208 m2. Les édifices, tous pourvus d’un péristyle et de nombreuses pièces, témoignent d’au moins trois phases de reconstruction qui indiquent peut-être plusieurs renouvellements des officiers résidant dans le camp. 1458 Trois maisons à péristyle J, K, M, dans le scamnum derrière les principia, se distinguent par la similitude de leur conception de construction. Elles ont chacune une superficie d’environ 1 600 m2 (41 x 9 m). Un portique a été aménagé du côté de l’entrée, au sud ; on atteignait, par un hall d’accès situé dans l’axe médian du bâtiment, un péristyle d’où l’on accédait ensuite à une grande pièce centrale qui faisait saillie en forme d’abside sur la façade nord. On considère, à partir du nombre de constructions analogues qui peuvent également être attribuées, dans la moitié gauche du camp, à la XV e légion, que l’on est là devant une partie des résidences des cinq tribuns angusticlaves. 1459 Le bâtiment carré Z, de 83,50 m de côté, a été identifié, en raison de son plan, comme le valetudinarium (fig. 488). Sur trois côtés, autour d’une vaste cour intérieure, sont groupées deux séries de pièces pour les malades et les blessés, séparées l’une de l’autre par un couloir. Une galerie perpendiculaire, avec colonnade circulaire de dix-huit colonnes, domine le côté nord de l’édifice ; on pouvait accéder à cette galerie depuis la viaprincipalis, par une salle centrale. Le fait que l’hôpital militaire, en raison de sa situation, soit attribué à la Ve légion Alaudae laisse supposer l’existence d’un deuxième hôpital pour la XVe légion. L’espace correspondant est en réalité occupé par des 699 constructions d’une autre nature (T, U) ; il faudrait donc, pour le moins, faire des recherches dans un autre secteur de la moitié gauche du camp. FIG. 488 Xanten. Vetera I : le valetudinarium (Oelmann 1931, 223, fig. 2). 1460 Le grand complexe G a été en partie dégagé dans le scamnum derrière les bâtiments de commandement. Avec une extension de 124,50 x 95,40 m, il dépasse légèrement la superficie des principia. La distribution de son architecture, avec différentes cours intérieures, laisse penser à un édifice à vocation économique. 1461 Seuls quelques exemples de logements de troupes des deux légions (O, N, V, W, Y) ont été mis au jour, dans les latera praetorii, la plupart du temps partiellement, lors des fouilles anciennes. Ils étaient situés juste derrière l’intervallum, près de l’enceinte. À côté des baraques individuelles ont pu être également attestées des casernes doubles, avec les constructions caractéristiques à l’une des extrémités pour les centurions. Leur longueur atteignait 82 m. On suppose que les logements des troupes étaient construits en colombages. 1462 Les canabae du camp néronien s’étendaient vers le sud, le sud-est et selon toute vraisemblance également depuis la porta decumana, le long de la voie se dirigeant vers le nord. En raison de l’absence de fouilles à grande échelle, il n’est pas possible de disposer de données supplémentaires sur la nature et la structure du réseau routier. À la lumière des quelques fouilles ponctuelles, il apparaît que camp et canabae étaient séparés par un glacis d’environ 100 m de large. Le seul monument au sol de l’agglomération extérieure encore visible aujourd’hui est un amphithéâtre, qui avait été construit à l’angle sud-est du camp néronien, à environ 65 m de l’enceinte ; il passe actuellement pour être l’amphithéâtre le plus ancien de Germanie inférieure. Sa construction est datée de l’époque néronienne, d’après les quelques tessons de céramique découverts lors des brèves fouilles des années 1908-1909. La cavea ellipsoïde 700 mesurait 98 x 84 m, avec accès sur les côtés ouest et est. Le nombre des spectateurs est estimé à six mille. Outre les spectacles de gladiatores militates, l’amphithéâtre a sans doute également servi de lieu d’entraînement pour les légionnaires. 1463 Une importante nécropole, qui doit être mise en relation avec le double camp de légion et sans doute ses canabae se situe à Birten sur la colline de l’église, à environ 500-600 m au sud-est de la porte méridionale du camp. Soixante sépultures ont pu être fouillées. Une deuxième nécropole est localisée sur le versant nord du Fürstenberg, le long de la voie entre le centre de défense militaire et l’agglomération primitive. 1464 Après la destruction lors du soulèvement des Bataves, le poste de Vetera I ne fut plus utilisé. Un nouveau camp fut érigé, en remplacement de l’ancien camp double, à environ 1,5 km au nord-est ; il a été découvert en 1954 lors de l’exploitation d’une gravière dans l’“île de Bislich”. Vetera II s’élève sur la terrasse inférieure et par conséquent nettement plus près du Rhin que le camp précédent de Vetera I. L’édification d’un nouveau point de défense militaire a eu lieu vraisemblablement au cours de la réorganisation, sous Q. Petillius Cerialis Caesius Rufiis, de la frontière du Rhin au début des années 70. D’après les briques estampillées et les inscriptions, sont attestées successivement jusqu’en 120 la XXIIe légion Primigenia et la VI e légion Victrix. Autour de 120, Vetera II devint le camp de stationnement de la XXX e légion Ulpia Victrix, qui resta sur place jusque vers 275. À partir de cette époque, dans la mesure où aucune découverte plus récente n’est connue dans ce secteur, il semble que le camp de Vetera II n’ait plus été occupé. 1465 En étroite relation avec les camps de légions ont été découverts en grand nombre des camps d’exercice et de marche, au sud de Xanten mais aussi directement sur la rive droite du Rhin, jusqu’à Bislich. Après analyse des photographies aériennes, on a dénombré plus de quatre-vingts de ces camps, dont la superficie interne oscille entre 0,6 et 2,6 ha ; l’existence d’installations plus grandes est possible. Des claviculae ou titula protègent parfois les portes. Les distances qui les séparent des camps permanents varient de 2 à 10 km. Les rares découvertes faites jusqu’à présent correspondent à la période d’occupation de Vetera II. [2004] Hanel 1989 ; Hanel 1995 ; Hinz 1984; Lehner 1930 ; Mylius 1921 ; Oelmann 1931 ; Oelmann 1934 ; Petrikovits 1958 ; Petrikovits 1959 ; Schultze 1921 ; Schultze 1934 ; Scollar & Andrikopoulou-Strack 1984. 1466 BIBLIOGRAPHIE YVERDON-LES-BAINS EBURODUNUM Vaud, Suisse 1467 R. FELLMANN 1468 Eburodunum se situe à la limite supérieure de la voie d’eau, longue d’environ 65 km, constituée du lac de Bienne, de la rivière Zihl et du lac de Neuchâtel. Le castellum se trouve à l’intérieur de la petite ville actuelle d’Yverdon (canton de Vaud, Suisse). La voie Aventicum-Ariolica (Avenches-Pontarlier) traverse le village. Le castellum tardoantique (fig. 489), en cas de hautes eaux, se trouvait directement sur le rivage antique. 701 Il a été édifié dans la partie occidentale d’un vaste vicus qui succédait lui-même à un site d’occupation de La Tène. FIG. 489 Yverdon. Plan de l’enceinte tardive (Fellmann 1992, fig. 286). 1469 Quelques fragments isolés de ruines s’élevaient encore au début du XIXe s. sur plusieurs mètres de haut. En 1903-1906, des fouilles de relativement grande ampleur permirent de dégager différentes sections du mur du castellum ainsi que certaines tours. En 19861989 eurent lieu la fouille et les travaux de conservation de la porte d’enceinte est. En 1906, 1974-75, 1985 et 1986 furent fouillés l’horreum et la porte est. En 1992, une coupe longue de 77 m a pu être faite dans le jardin privé de la famille Piguet, fournissant des indications sur la chronologie d’Eburodunum. La datation du mur du castellum a pu être établie à cette occasion. 1470 Le nom antique d’Eburodunum figure d’une part sur la Table de Peutinger, entre Aventicum (Avenches) et Ariolica (Pontarlier) et est, d’autre part, livré par des inscriptions qui nomment les Vikani Eburodunenses (CIL XIII, 5063 et 5064). La fortification tardo-antique a la forme d’un carré de 130 x 140 m fortement rhomboïde. Le mur du camp a une épaisseur allant de 2,40 à 2,60 m. Le mur sud marque un léger coude vers l’extérieur, afin d’inclure les thermes préexistants. Sont connues quatre tours d’angle et sept tours semi-circulaires sur les longs côtés, placées à cheval sur le mur d’enceinte. À l’ouest et à l’est s’élève une porte d’enceinte flanquée de deux tours semi-circulaires. La porte orientale présente un passage d’une largeur de 3,50 m. Les sondages de 1992 ont également coupé, à 12 m devant le mur d’enceinte, un fossé qui pourrait bien être le fossé du camp. Ce dernier pourrait même avoir été réalisé en deux temps. Dans la mesure toutefois où aucune relation stratigraphique avec le mur du castellum n’a pu être établie, toute déduction définitive est impossible. 702 1471 À l’intérieur du castellum, il convient de mentionner particulièrement, au sud-est de la porte occidentale, un horreum de 10 x 10 m présentant une abside en direction de l’ouest. Il existe en outre un édifice de 12 x 10 m, adossé au mur d’enceinte, au nord de la porte occidentale. 1472 La fouille de 1992 a livré la datation vraisemblablement définitive du castellum dans la mesure où les pilotis du système de fondation, sous le mur du camp, ont pu être datés par dendrochronologie. La construction du castellum est ainsi placée pendant l’automne-hiver 325-326, c’est-à-dire à l’époque constantinienne. 1473 D’après les grandes quantités de céréales brûlées découvertes dans l’horreum et qui ont pu être datées par 14C d’environ 470 ap. J.–C., un incendie a dû avoir lieu à cette époque. II n’est pas encore sûr que cette date corresponde à la destruction du castellum car des monnaies des Ve et VI e s. ainsi que de la céramique sigillée paléochrétienne ont été trouvées dans l’aire du camp. [2004] Abete 1987 ; Curdy et al. 1995 ; Fellmann 1992, 324; Kasser 1978 ; Kasser & Rigoir 2005 ; Roth-Rubi 1980. 1474 BIBLIOGRAPHIE ZUGMANTEL Hesse, Allemagne (cartes fig. 7 et 8) 1475 C. S. SOMMER 1476 Le camp est installé sur le revers du Taunus, au croisement d’une route de crête estouest et d’une voie ancienne qui mène de Wiesbaden au secteur de Limburg (Hühnerstrasse), à 300 m derrière le limes, dont il est séparé par une petite croupe, sur laquelle se trouvait probablement une tour. Depuis le milieu du XIXe s., et surtout de 1901 à la seconde guerre mondiale, des fouilles intensives dans le camp et le vicus ont fait de Zugmantel le site le mieux connu de tout le limes de Germanie supérieureRétie, avec La Saalburg (fig. 490). On y observe une série de camps successifs, tous orientés vers l’est, de sorte que la route de Wiesbaden vient se greffer sur la via principalis au sud. Le vicus s’étend essentiellement au sud et à l’est, mais avec des quartiers plus modestes à l’ouest et au nord. Font aussi partie du site deux petites redoutes circulaires. 703 FIG. 490 Zugmantel. Plan général des structures fouillées (Sommer 1988, h.t.). 1477 L’occupation militaire commence avec un camp de 90 x 76 m (0,7 ha), dont on ne connaît qu’un fossé en V (4,6 à 5 m pour 1,8 à 2,4 m). Celui-ci montre, au nord, sur un assez long segment, des plaques de quartzite qui servent de pavement à la pente extérieure, sur environ 1 m de large. Au vu du matériel, ce premier fort serait légèrement plus tardif que La Saalburg, Butzbach ou les autres castella du limes du Neckar, c’est-à-dire daté de la fin du règne de Trajan. 1478 Au cours de la première moitié du second siècle, le camp est agrandi vers l’ouest ; on observe alors un fossé en V, large de 2,6 à 3,2 m, qui englobe 0,4 ha supplémentaire. Le fossé antérieur qui sépare les deux nouvelles parcelles n’est pas alors comblé. 1479 Sans doute sous Antonin, le vieux fort est abandonné et remplacé par un camp en pierre de 171 x 99 m (fig. 491), avec un fossé large mais assez plat, de 6,6 x 1,5-1,8 m, interrompu devant la porte sud. Les anciens fouilleurs supposaient la présence d’un parapet de bois sur poteaux, à l’extrémité des fossés. Derrière la berme (de 0,75 à 1 m) vient un mur de schiste, bâti à sec. Pour cette raison, les fouilleurs ont supposé que ce mur n’était pas très élevé et ne pouvait subir la pression d’un important talus, mais cette interprétation ne tient plus. De ce mur proviennent probablement deux inscriptions de “pedatur" qui mentionnent l’une des Trévires, l’autre une centurie, sous le commandement commun d’un même centurion de la VIIIe légion. 704 FIG. 491 Zugmantel. Le camp (Sommer 1988, fig. 6). 1480 La porte sud (porta principalis dextra) laisse place à un passage de 3,5 m de large encadré par des tours en bois, probablement à six poteaux (5 x 415 m). On ne sait rien de la porte prétorienne, à l’est, tandis que la porte occidentale, à passage simple (3,4 m), est flanquée de deux tours (10 ? x 3 m). De forts poteaux aux angles laissent présager la présence de tours. On remarquera la présence de gros poteaux implantés parallèlement au mur d’enceinte, à assez grande distance les uns des autres. On pourrait y voir, comme à Welzheim, des supports pour un chemin de ronde. 1481 On ne sait rien de l’agencement intérieur. On doit tout de même observer la présence de très nombreuses caves de tout type ; même si certaines relèvent de la phase constructive suivante, une partie appartient au premier camp. Cela apparaît plus ou moins nettement dans le matériel, mais aussi en raison de la position des structures sous les voies plus tardives. Globalement, il s’agit de fosses de 3,5 m (parfois 6 m) sur 1,4 à 1,25 m, d’une profondeur de 1,5 à 2,5 m, avec des escaliers latéraux internes ou dans le prolongement des murs, souvent avec des parois de bois, des poteaux d’angle ou des sablières basses. Les fouilleurs signalent aussi des colombages. On rencontre enfin des caves en dalles de schiste, parfois enduites. Ces constructions qui, indépendamment de leur petite taille, ressemblent à celles du vicus, sont considérées aujourd’hui comme les caves des casernements, dont on connaît des parallèles à Welzheim, quoiqu’en plus petit nombre. Une partie du fort a dû être incendiée, comme en témoigne une couche d’incendie dans et sur les fossés, ainsi que dans d’autres structures. Le camp n’a pas été nivelé après son abandon et ses murs peuvent encore être observés en élévation, jusqu’à un mètre de hauteur. 1482 C’est sans doute sous Commode que le camp fut refait et agrandi tant au nord qu’au sud, pour atteindre une superficie de 2,1 ha (171 x 124 m). Le grand axe, à cette 705 occasion, fut légèrement déplacé vers le sud. L’inscription CIL XIII, 7612 indique peutêtre des réfections importantes en 233. 1483 Le second camp en pierre est défendu par un mur de mortier, qui atteint 2,2 m en fondation (au sud-ouest) ; le fossé, en V assez évasé (de 4 à 5,6 m sur 1,5 à 2 m), est creusé derrière une berme de 1,85 à 1,9 m. On ne sait si un talus contrefortait le rempart de pierre. Dans les parages des tours, tant aux angles qu’à la porte ou sur les remparts, la fondation était encore épaissie vers l’extérieur, ce qui indique que les tours elles-mêmes devaient saillir. Les portes, très pillées, sont difficiles à décrire. Les mesures approximatives des tours d’angles et des tours intermédiaires (4,5 x 3,2 m) semblent être valables pour la porte occidentale, à passage unique, ou la porte orientale, à passage double, d’environ 6 m de large. En revanche, les deux portes principales, malgré des passages étroits (2 m) semblent présenter des tours de grande taille (de 6 à 8 m sur 5 m). À l’exception de la porte sud, la fondation du rempart traverse les passages. 1484 À l’intérieur, on reconnaît des principia, avec un hall d’exercice en bois (peutêtre 46,7 x 11,1 m), avec de gros poteaux, une cour intérieure entourée de bâtiments (prof. 4,5 m), une basilique et une chapelle aux enseignes contrefortée à l’extérieur. Mis à part le hall d’exercice, le bâtiment mesure 46 x 40,7 m, et est construit sur, des murs extérieurs épais de 0,9 à 1,15 m, tandis que les murs intérieurs mesurent de 0,6 à 0,7 m. En dehors des caves précédemment décrites, on ne connaît pas le plan des autres bâtiments. Les différents drains reconnus sont difficilement attribuables à telle ou telle phase de construction (fig. 492). FIG. 492 Zugmantel. Reconstitution du camp et du vicus (Sommer 1988, 516, fig. 12). 1485 Le camp a sans doute été occupé, dans son état final, par la cohors I Treverorum equitata. 1486 Le long de la voie qui, au sud, vient de Wiesbaden, ou de la route qui sort de la porte orientale du camp, jusqu’au balnéaire installé à 300 m de là s’étend un important vicus, 706 dont l’origine remonte au premier camp. Son centre est une place triangulaire devant la porte orientale. Une voie circulaire au sud-est du camp relie les deux radiales. A 200 m vers le sud apparaît un cimetière. [2004] Baatz 1967 ; Jacobi 1910 ; Jacobi 1934 ; ORL B, 8 ; Schonberger 1951 , Sommer 1988 ; Sommer 1999. 1487 BIBLIOGRAPHIE 1488 ZULLESTEIN → BIBLIS ZURICH TURICUM Zurich, Suisse 1489 R. FELLMANN 1490 Le castellum antique tardif (fig. 493) se situe sur le Lindenhof, au centre de la vieille ville de Zurich, sur la rive gauche de la Limmat. Il s’agit, dans le cas du Lindenhof, d’une colline morainique isolée depuis laquelle un pont sur la Limmat pouvait être contrôlé. FIG. 493 Zurich. Le fort tardif (Fellmann 1992, fig. 286, 5). 1491 En 1727 furent découvertes environ trente monnaies d’Auguste à Valentinien II La stèle funéraire de Lucius Aelius Urbicus (CIL XII, 5244) a été mise au jour en 1747 sur le Lindenhof. Elle fournit une indication sur la statio Turicensis du cordon douanier des Gaules et le nom de lieu correct de Zurich sous l’Antiquité, Turicum. En 1837 eurent lieu des fouilles derrière le mur d’enceinte ; en 1852 fut dégagé le mur sud-est du castellum ; en 1937-1938, une fouille systématique fut entreprise sous la direction d’Emil Vogt et poursuivie, en 1966, sur une grande échelle. 707 1492 Le castellum a la forme d’un pentagone irrégulier, car les murs d’enceinte suivent la configuration du terrain. Le côté oriental a une longueur de 48 m, le côté nord 96 m, le côté ouest 60 m et le côté sud 80 m. Il devait y avoir à l’origine vraisemblablement dix tours. Les deux portes d’enceinte étaient flanquées de tours sur les côtés nord et sud. Très peu d’éléments des bâtiments intérieurs ont pu être repérés. 1493 E. Vogt datait en 1948 le castellum antique tardif sur le Lindenhof de la période Valentinienne. En 1985, J. Schneider proposait la même datation. À l’aide d’arguments décisifs, J. Gifles avance pour le castellum une datation à l’époque de Constantin ou de ses fils. [2004] Fellmann 1992, 324 ; Gilles 1976 ; Schneider 1986 ; Vogt 1948. 1494 BIBLIOGRAPHIE ZURZACH TENEDO Argovie, Suisse (cartes fig. 3 et 6) 1495 R. FELLMANN 1496 Les castella tardifs de Zurzach (Tenedo) se trouvent tous groupés autour de factuelle tête de pont et poste douanier à la frontière de l’ancienne République fédérale d’Allemagne (fig. 494). Ils se situent à l’est de la petite ville moderne de Zurzach, sur le Rhin. La tête de pont fortifiée sous l’église de Rheinheim se trouve sur le territoire de la commune de Küssaburg-Rheinheim, circonscription de Waldshut (Allemagne). FIG. 494 Zurzach. Les fortins tardifs (d’après Fellmann 1992, fig. 286, et Hartmann 1987, fig. 1). 708 1497 Les castella tardifs se divisent en trois grands secteurs : 1498 – le castellum sur le Kirchlibuck (en patois local Chilleückli) ; 1499 – le castellum situé sur la colline directement à l’est (Sidelen) ; 1500 – la tête de pont tardive à Rheinheim (Allemagne). 1501 Une profonde dépression (artificielle ?) entre les collines de Chillebückli et de Sidelen permet l’accès au pont. Les thermes se situent dans la pente, en direction du Sidelen. 1502 La tête de pont de Rheinheim a été découverte en 1670. En 1671, puis en 1903-1904 eurent lieu des sondages sur le Sidelen, enfin en 1905-06 sur le Chillebückli. En 1934, des recherches furent effectuées dans les thermes. En 1961, on dégagea l’église paléochrétienne et le baptistère. En 1987, les pieux des deux ponts sur le Rhin furent soumis à une datation dendrochronologique. Le castellum sur le Chillebückli 1503 Il présente, dans la mesure où l’enceinte suit le bord du terrain, un tracé complètement irrégulier. Les tours sont en partie circulaires, en partie semi-circulaires. Une porte d’enceinte a pu être observée dans un angle saillant du mur, au nord-ouest, entre deux tours. Les murs d’enceinte présentent une épaisseur qui atteint 3,50 m. Parmi les bâtiments internes, il convient de citer l’église paléochrétienne, le baptistère, ainsi qu’un édifice supplémentaire, sans doute à usage religieux, adossé au mur du castellum. Un mur de liaison court vers le Sidelen, qui semble être doté d’un passage pour la voie d’accès au pont. Le castellum sur le Sidelen 1504 Il est placé à environ 40 m au sud-est du Chillebückli. Son plan a la forme d’un carré légèrement désaxé de 48 m, voire 50 m de côté. Des tours circulaires d’à peu près 8 m de diamètre sont situées dans les angles. À partir de la tour d’angle nord-est, un mur court en direction du Rhin et se termine par une tour circulaire. La tête de pont au niveau de l’église de Rheinau 1505 Le fortin présente un plan pratiquement carré (42,50 x 41 m). Ses tours d’angle sont également carrées. L’épaisseur des murs s’élève à 3 m (à seulement 2 m du côté du Rhin). On a pu constater ici également l’ajout d’un mur qui part de la tour sud en direction du Rhin. 1506 Il n’existe pratiquement pas d’éléments de datation pour la construction du castellum sur le Chillebückli (sous Dioclétien ?). Le castellum sur le Sidelen et la tête de pont à peu près semblable sur la rive droite du Rhin devraient appartenir aux ouvrages de Valentinien. Les piliers du pont protégé par les deux castella sont datables par la dendrochronologie de 368 ap. J.-C. [2004] Fellmann 1992, 324 ; Fingerlin 1986d ; Hartmann 1980 ; Hartmann 1987 ; Heierli 1907 ; Laur-Belart 1955. 1507 BIBLIOGRAPHIE 1508 ZWAMMERDAM → ALPHEN 709 AUTEURS MICHEL REDDÉ École pratique des Hautes Études (Paris IV) RAYMOND BRULET Université catholique de Louvain, Belgique RUDOLF FELLMANN Université de Berne, Institut für Archäologie, Suisse JAN-KEES HAALEBOS Université Radboud, Nimègue, Pays-Bas SIEGMAR VON SCHNURBEIN Römisch-Germanische Kommission des Deutschen Archäologischen Instituts, Francfort-sur-leMain, Allemagne DIETWULF BAATZ Saalburg Museum, Bad Homburg v.d. H. Allemagne ARJEN BOSMAN Université de Gand, Belgique ANNE CAHEN-DELHAYE Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, Belgique CHRISTOPHE CHABRIÉ Atelier aquitain de restauration et d’étude du patrimoine archéologique (Aarepa), Villeneuvesur-Lot, France WOLFGANG CZYSZ Bayerisches Landesamt für Denkmalpflege, Thierhaupten, Allemagne MICHEL DAYNÈS Atelier aquitain de restauration et d’étude du patrimoine archéologique (Aarepa), Villeneuvesur-Lot, France YANN DEBERGE Association pour la recherche sur l’âge du Fer en Auvergne, Mirefleurs, France PETER FASOLD Musée archéologique de Francfort, Allemagne HANS FEHR Landesamt für Denkmalpflege, Coblence, Allemagne 710 GERHARD FINGERLIN Landesdenkmalamt Baden-Württemberg, Freiburg im Breisgau, Allemagne THOMAS FISCHER Université de Cologne, Archäologisches Institut, Allemagne MATTHIEU FUCHS Centre départemental d’archéologie du Bas-Rhin, Strabourg, France JEAN GALBOIS Association des naturalistes de la vallée du Loing et du massif de Fontainebleau, France JEAN-FRANÇOIS GARNIER Atelier aquitain de restauration et d’étude du patrimoine archéologique (Aarepa), Villeneuvesur-Lot, France MICHAEL GECHTER Rheinisches Amt für Bodendenkmalpflege, Außenstelle Overath, Allemagne ALAIN GELOT Ministère de la Culture, service régional de l’Archéologie de Champagne-Ardenne, Châlons-enChampagne BASTIEN GISSINGER Conservation des Musées et de l’Archéologie, Conseil général de l’Aisne VINCENT GUICHARD Centre archéologique européen de Bibracte, Glux-en-Glenne, France NORBERT HANEL Université de Cologne, Archäologisches Institut, Allemagne ROGER HANOUNE Université de Lille III, UMR 8142 du CNRS, France HANSGERD HELLENKEMPER Rômisch-Germanisches Museum, Cologne, Allemagne RUART SIEGFRIED HULST Hoevelaken, Pays-Bas ALAIN JACQUES Service archéologique de la ville d’Arras, France KLAUS KORTÜM Landesamt für Denkmalpflege Baden-Württemberg, Stuttgart, Allemagne 711 GERTRUD KUHNLE Inrap Grand-Est, France JOHANN-SEBASTIAN KÜHLBORN Westfälisches Museum für Archäologie, Münster, Allemagne LOÏC LANGOUET Université de Rennes I, Rennes, France FRÉDÉRIC LATRON Inrap Grand-Est, France FRÉDÉRIC LEMAIRE Inrap Nord-Picardie, France CLAIRE MASSART Musées royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles, Belgique JOZEF REMI MERTENS Université catholique de Louvain, Belgique MJ.G. TH. MONTFORTS Utrecht, Pays-Bas HANS ULRICH NUBER Université de Fribourg, Provinzialrömische Archäologie, Allemagne JÜRGEN OLDENSTEIN Université de Mayence, Institut für Vor-und Frühgeschichte, Allemagne TITUS A.S.M. PANHUYSEN Service archéologique de la ville de Maastricht, Pays-Bas MICHEL PETIT Etréchy, France MARTIN PIETSCH Bayerisches Landesamt für Denkmalpflege, Munich, Allemagne GILLES PRILAUX Inrap Grand-Est, France MARIANUS POLAK Université Radboud, Nimègue, Pays-Bas CHRISTOPH REICHMANN Landschaftsmuseum des Niederrheins, Krefeld, Allemagne 712 EGON SCHALLMAYER Landesamt für Denkmalpflege Hessen, Wiesbaden-Biebrich, Allemagne CLAUDE SEILLIER Saint-Martin-lès-Boulogne, France C. SÉBASTIAN SOMMER Bayerisches Landesamt für Denkmalpflege, Munich, Allemagne BERND STEIDL Muséum für Vor- und Frühgeschichte, Archäologische Staatssammlung, Munich, Allemagne MATTHIEU THIVET T Doctorant, Université de Franche-Comté, Besançon, France HUGO THOEN Université de Gand, département Histoire ancienne et archéologie, Belgique PIERRE TRONCHE E Université de Brest, France STÉPHANE VENAULT Inrap Grand Est, France JAN ADRIAN WAASDORP Faculté d’archéologie de La Haye, Pays-Bas MARIE-DOMINIQUE WATON Ministère de la Culture, service régional de l’Archéologie d’Alsace, Strasbourg, France MARION WITTEYER Landesamt für Denkmalpflege, Mayence, Allemagne 713 Cahier d’illustration PL. I (H.T.) Vue de la peinture des casernements d’Echzell. 714 PL. II (H.T.) Reconstitution de la peinture des casernements d’Echzell. PL. III (H.T.) Peinture du praetorium de Ladenburg photo Y. Mühleis 715 PL. IV (H.T.) Reconstitution de la peinture du praetorium de Ladenburg dessin C. Nübold, Sommer 2000b PL. V (H.T.) Vue générale de la retentura du camp de Mirebeau. On reconnaît, à gauche, le plan complet des principia ; dans le tiers supérieur droit apparaît la porte nord, avec ses tours en U. photo R. Goguey, 03/07/1964, inédite 716 PL. VI (H.T.) Vue aérienne de la porte nord du camp de Mirebeau et de ses abords. On reconnaît la porte avec ses tours en fer à cheval et, en arrière du rempart, l’extrémité des baraquements. photo R. Goguey, 20/05/1991, inédite PL. VII (H.T.) Vue en coupe du rempart en "mottes de gazon" de Strasbourg/Le Grenier d’Abondance. photo F. Schneikert 717 PL. VIII (H.T.) L’armature en bois du rempart en "mottes de gazon" de Strasbourg/Le Grenier d’Abondance. photo F. Schneikert 718 Abréviations 1 On a utilisé les abréviations courantes de l’Année philologique et, pour les revues de langue allemande, celles de Germania, Sachkatalog, 72, 1994. 2 AIBL Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 3 AFAM Association française d’archéologie mérovingienne 4 AFEAF Association française pour l’étude de l’âge du Fer 5 Archihw Association d’archéologie et d’histoire de Horbourg-Wihr 6 BAR British Archaeological Reports 7 CBA Council for British Archaeology 8 CeRRA Centre régional d’archéologie d’Alet 9 CIL Corpus inscriptionum Latinarum, consilio et auctoritate Academiae litterarum regiae Borussicae editum, Berlin, 1863- 10 Forsch. u. Ber. Vor- u. Frühgesch. In Baden- Württemberg Forschungen und Berichte zur Vor- und Frühgeschichte in Baden-Württemberg 11 Ges. Pro Vindonissa Gesellschaft Pro Vindonissa 12 ILS (Dessau) Dessau, H. (1892-1916), Inscriptiones latinae selectae, Berlin 13 ORL Der Obergermanisch-Ratische Limes des Römerreiches 14 RGF Rômisch-Germanische Forschungen 719 15 RGK Römisch-Germanische Frankfurt/Main Kommission des Deutschen 16 RGZM Römisch-Germanisches Zentralmuseum Mainz 17 RLO Der Römische Limes in Osterreich 18 ROB Rijksdienst voor het Oudheidkundig Bodenmonderzoek 19 SRA Service régional d’Archéologie Archäologischen Instituts, 720 Bibliographie générale ABETE, E. (1987) : Yverdon-les-Bains, castrum/porte de l’est, Jahrb. SGUF, 70, 192-197. ADAM, J.-P. (1984) : La construction romaine : matériaux et techniques, Paris (Grands manuels Picard ; 3). AGACHE, R. (1978) : La Somme préromaine et romaine d’après les prospections aériennes, Amiens (Mémoires de la SAP ; 24). ALBRECHT, C. (1938-1942) : Das Römerlager in Oberaden und das Uferkastell in Beckinghausen an der Lippe, I-II, Dortmund (Veröffentlichungen aus dem städtischen Muséum für Vor- und Frühgeschichte Dortmund ; 2). ALFÖLDI, M. R. 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L’Africa Romana, Atti del IX Convegno di Studi, Nuoro, 13-15 dicembre, 1991, 9, Sassari, 595-636. 763 Résumé/Zusammenfassung/ Abstract Résumé 1 Cet ouvrage, consacré à l’architecture militaire romaine dans les provinces des Gaules et des Germanies, est le fruit d’une collaboration internationale à laquelle plus d’une cinquantaine d’auteurs ont été associés. L’objectif était de mettre à jour le tome 1 du Manuel d’archéologie gallo-romaine écrit par A. Grenier en 1931, mais aussi de fournir une nouvelle et large synthèse avec des exemples précis, nombreux, bien documentés. La première partie analyse les différents types de constructions et de techniques rencontrées dans les camps militaires, en replaçant l’évolution de l’architecture militaire dans son contexte historique, de la conquête de la Gaule au milieu du VeS. ap. J.-C. ; la seconde propose un catalogue de sites, sans prétendre à l’exhaustivité. Il était en effet impossible –voire inutile pour ce projet– de dresser une liste à jour de tous les camps de Germanie. L’objet de cette étude est en effet l’architecture et non l’histoire militaire, et les quelques exceptions à cette règle ont eu pour seul objet d’attirer l’attention sur des sites encore très peu connus, notamment en France, où les découvertes tendent aujourd’hui à devenir plus nombreuses, après un long sommeil de la recherche. La présence de fortifications militaires, même mal connues, à l’intérieur d’une province civile et désarmée, revêt au demeurant une importance particulière qui ne pouvait être négligée. 2 On ne trouvera pas, dans cet ouvrage, de réflexion d’ensemble sur les fortifications urbaines, qu’elles remontent aux premiers temps du Principat ou qu’elles soient datées de l’Antiquité tardive. Cette étude, à venir, fera l’objet d’un autre volume, confié à d’autres auteurs. Il eût été, en effet, à peu près impossible de traiter cette masse documentaire considérable dans un seul et même livre. La question des enceintes urbaines du Bas-Empire a toutefois été largement abordée dans le cadre plus général de la politique défensive de cette époque troublée. 3 Ce livre s’adresse à la fois à des étudiants et à des chercheurs non spécialisés, qui souhaiteront trouver là des informations commodes, à jour, rassemblées pour la première fois. Il n’existe en effet, à l’heure actuelle, aucun autre ouvrage du même type 764 sur cette question, en quelque langue que ce soit. Dans chaque cas, une bibliographie permet de renvoyer aux études originales, souvent dispersées et difficiles à consulter, notamment en France où la littérature de langue allemande est très mal diffusée. 4 Après réflexion, il a été décidé de ne pas redessiner les plans, sauf exception ou, éventuellement, sur des points de détail, mais de fournir les documents originaux, tels qu’ils ont été publiés. Le livre y perd probablement en homogénéité apparente ; en revanche, il y gagne en authenticité et permet de mesurer l’extrême hétérogénéité de la documentation, les lacunes et les limites de l’information, ce qui constitue toujours un élément important de la réflexion scientifique. Zusammenfassung 5 Die der Architektur des römischen Militärs in den gallischen und germanischen Provinzen gewidmete Veröffentlichung entstand in internationaler Zusammenarbeit, an dersich mehr als fünfzig Autoren beteiligt haben. Ziel war eine Neubearbeitung des 1. Bandes des Manuel d’archeologie gallo-romaine, das A. Grenier 1931 veröffentlicht hat; zugleich sollte eine umfassende Synthèse mit möglichst zahlreichen klaren und gut dokumentierten Beispielen geboten werden. Im ersten Teil werden die verschiedenen Gebäudetypen und Bautechniken der Militäranlagen zusammengestellt und in ihrem historischen Kontext von der Eroberung Galliens bis zur Mitte des 5. Jahrhunderts n. Chr. erläutert, um auf diese Weise die spezifisch militärische Architekturgeschichte zu schildern; Teil 2 enthält den Katalog der Orte, ohne Vollständigkeit anzustreben, denn es wäre weder möglich noch dem Projekt nützlich gewesen, eine vollständige Liste sämtlicher Lager und Kastelle in Germanien zu erstellen. Da das Werk nicht der Geschichte des Römischen Heeres, sondern der der Architektur gilt, haben verschiedene berücksichtigte Beispiele mit eher bescheidenen Baubefunden das Ziel, auf die wenig beachteten Plätze insbesondere in Frankreich aufmerksam zu machen, denn gerade dort mehren sich laufend die Entdeckungen, nachdem in der Forschung lange Stillstand geherrscht hat. Im Inneren einer römischen Provinz, in der kein Militär dauerhaft stationiert war, kommt selbst wenig erforschten Militärstützpunkten eine besondere historische Bedeutung zu, die nicht unbeachtet bleiben darf. 6 Nicht mit aufgenommen worden sind die Ummauerungen der Städte, weder diejenigen der Frühzeit des Prinzipalts, noch diejenigen der Spätantike. Diese Aufgabe wird von anderen Autoren in einem gesonderten Band übernommen, zumal die Menge der zu behandelnden Plätze unseren Rahmen weit überstiegen hätte. Die Fragen der spätantiken Stadtbefestigungen können auch nur in hinreichender Weise behandelt werden, wenn die Verteidigungspolitik in jener turbulenten Zeit gründlich berücksichtigt wird. 7 Das Werk ist in erster Linie für Studenten gedacht und soll Jenen dienen, die als NichtSpezialisten leicht zugängliche Informationen suchen, die erstmals in dieser Form das gegenwârtige Wissen darlegen, gibt es doch seit Grenier’s Werk keine vergleichbare Zusammenstellung. Die ausführliche Bibliographie nennt die Original-Publikationen, die – zumeist in vielen verschiedenen Organen erschienen – schwer zugänglich sind, vor allem in Frankreich, wo die deutschsprachige Literatur nur gering verbreitet ist. 8 Nach gründlicher Abwägung wurde entschieden, soweit irgend möglich, die bereits veröffentlichten Originalpläne beizugeben und nur als Ausnahme Pläne oder Details neu zu zeichnen. Läßt das Werk daher Homogenität vermissen, so gewinnt es dadurch 765 an Authentizität und spiegelt enorme Verschiedenartigkeit der veröffentlichten Dokumentation; da sich dadurch zugleich die Lücken und die Grenzen der verfügbaren Informationen zeigen, ergibt sich eine wesentliche Grundlage für quellenkritische wissenschaftliche Überlegungen. Abstract 9 The present work, devoted to Roman military architecture in the provinces of Gaul and Germania, is the outcome of international coopération involving over fifty authors. The aim was to update Volume 1 of Albert Grenier’s Manuel d’archéologie gallo-romaine originally published in 1931, and to provide a new, wide-ranging overview using numerous accurate, well-documented examples. The first part analyzes the different types of construction and techniques encountered in military camps, placing developments in military architecture in the historic context, from the time of the conquest of Gaul down to the mid fifth century AD. The second comprises a catalogue of sites, with no claim to exhaustiveness. This is because it would have been impossible – unnecessary even in the context of this project – to draw up an updated list of ail the camps in Germania, since the focus in this present study is on architecture ratherthan military history, and the few exceptions to this rule were designed only to direct attention to sites that are still little known, especially in France, where there is a trend to increasing numbers of discoveries following a long period of hibernation in the research field. The presence of military fortifications, even poorly known ones, within a disarmed civil province, nevertheless has a special significance that should not be ignored. Readers will not find a comprehensive discussion of urban fortifications in the présent work, regardless of whether they date back to the early days of the Principate or to late Antiquity. This study, which is forthcoming, will be the subject of a separate volume by a different team of authors. It would hâve been virtually impossible to deal with this considérable mass of documents in a single volume. The question of town walls in the late empire period has nevertheless been addressed in the more general framework of défensive policy during this troubled period. 10 This book is aimed at undergraduates students as well as non-specialist researchers seeking to find conveniently packaged, up-to-date information, gathered together here for the very first time. To date, no other similar work on these questions has been published in any language. In each case, a bibliography has been provided for référencé to the original studies, which are often widely dispersed and difficult to access, especially in France, where the German literature is very poorly distributed. 11 After long reflection it was decided not to redraw the plans, save in exceptional cases, concerning points of detail. The idea was, rather, to supply the original documents as published. The book may have lost something in apparent consistency, but it gains in authenticity and provides a measure of the extremely diverse nature of the documents, and the gaps and limitations concerning the information we do hâve, which always constitutes an important factor in scientific thinking. 766 INDEX Mots-clés : Architecture militaire 767 Crédits des illustrations 1 Chaque illustration de cet ouvrage est accompagnée de la mention de sa source ou du nom de son auteur. Nous mentionnons ici le nom des institutions ou organismes détenteurs des droits de reproduction. 2 Malgré tous nos efforts, nous ne sommes pas toujours parvenus à identifier certains ayant droits. Compte tenu de l’intérêt scientifique des documents, nous avons pris la responsabilité de les publier, réservant en notre comptabilité les droits usuels revenant aux auteurs ou ayant droits encore inconnus.