L’ONU en Somalie : le refus de l’engagement ?
Sonia Le Gouriellec1
La chute de l’Etat somalien en 1991 ouvre une ère de guerre civile et de vaines
tentatives de restauration de la paix. Ainsi, après le départ de Siyad Barre, le pillage des aides
alimentaires s’organise au profit des milices armées. L’ONU se retire du sud le 10 septembre
1991 et la guerre entraina la famine. A la demande de l’ONU, les Etats-Unis décident le 9
décembre 1992 d’une intervention (UNITAF). Ils quittèrent le pays quelques mois plus tard,
avant le retrait des forces d’intervention de l’ONU. L’échec de cette action est complet. Avec
l’ONUSOM II (26 mars 1993 - 2 mars 1995) deux logiques s’affrontent : celle de
l’Organisation des Nations unies qui souhaitent rétablir un gouvernement et aider à la
reconstruction du pays et celle des seigneurs de guerre qui défendent leurs propres intérêts et
s’opposent ainsi à toute action extérieure qui pourrait favoriser le clan ou la milice opposée 2.
L’ONU a rapidement concentré ses efforts sur le processus de paix afin de mettre un terme
aux violences des milices armées. Toutefois, ces efforts restèrent vain, les différentes missions
de paix multidimensionnelles ne permirent pas de pacifier la situation. L’accord d’Addis
Abeba en 1993 fut ainsi le premier d’une série de tentatives visant à instaurer la paix, la
réconciliation et la reconstruction de l’Etat. En février 2007, l’Union africaine (UA) devant le
manque de volonté d’intervention des acteurs internationaux décide de la création d’une
mission en Somalie (African Union Mission in Somalia, AMISOM). Le Conseil de
sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte, autorise également l’UA à établir une
«mission de protection et de formation en Somalie» par la résolution 1744, adoptée le 20
février 2007. L'AMISOM a été créé dans l’idée que la mission n’excéderait pas une période
supérieure à six mois et l'ONU allait rapidement en prendre le relais. Or l’AMISOM est
toujours déployée, le relais onusien se fait toujours attendre. L’objet de cette contribution vise
à expliquer ces hésitations de l’ONU à intervenir en Somalie.
De l’IGASOM à l’AMISOM : quelle intervention en somalie ?
L’AMISOM est mise sur pied dans un contexte qui préfigure ses difficultés initiales. Elle
comble le vide laissé par d’autres acteurs. En effet, après leur débâcle en 1993 et pendant
pratiquement une décennie, les politiciens américains se désintéressent de la Somalie. Les
attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar es Salam en 1998 font
craindre à la communauté internationale l’installation en Somalie d’une base arrière d’Al
Qaïda. Les Etats-Unis aident alors financièrement la création d’une alliance pour la
restauration de la paix et contre le terrorisme réunissant les seigneurs de guerre (ARPCT).
Mais cette approche échoue avec la prise de pouvoir à Mogadiscio en juin 2006 de l’Union
des Tribunaux Islamiques (UTI). Cette absence d’intervention extérieure pousse l’Ethiopie à
intervenir en décembre 2006 et précipite ainsi la création de l’AMISOM.
Ken Menkhaus a parfaitement décrit la tragédie somalienne comme une inévitable
conséquence d’une série de facteurs3. Une tragédie en cinq actes :
1
Sonia Le Gouriellec est doctorante en Science Politique et ATER à l'Université Paris Descartes, membre des
Jeunes Chercheurs de l'IRSEM et lauréate du programme de soutien aux doctorants de l’IHEDN 2011.
2
Pour une présentation des différentes missions de maintien de la paix en Somalie :
http://www.operationspaix.net/AMISOM,3685
3
Ken Menkhaus, “The Crisis in Somalia: Tragedy in Five Acts,” in African Affairs, vol. 100, n° 204, 2007, pp.
357- 390
-
-
-
Tout d’abord, l’établissement d’un gouvernement de coalition très faible, le
Transitional Federal Government (TFG), fin 2004 ;
Suivi de, l’échec du plan, lancé en 2005, pour stabiliser et sécuriser Mogadiscio ;
Le soutien américain aux chefs de guerre locaux contre l’Union des Tribunaux
islamiques, guerre qu’ils perdront. Ironie de l’histoire, au début des années 1990, les
Etats-Unis ont d’abord combattu les factions des seigneurs de guerre, avant de
soutenir leur coalition - l’ARPTC (Alliance for the Restoration of Peace and CounterTerrorism) en février 2006 - contre l’Union des Tribunaux Islamiques4.
La radicalisation de ces Tribunaux. Le soutien de l’Ethiopie au Transitional
Federal Government, présidé par Abdullahi Yusuf, connu pour son anti-islamisme,
ainsi que les rumeurs d’interventions étrangères, n’ont fait que radicaliser les branches
les plus modérés de ces Tribunaux Islamiques ;
Enfin, l’intervention éthiopienne en décembre 2006.
Les acteurs régionaux furent également mobilisés. En effet, depuis une dizaine d’années, le
régionalisme sécuritaire devient une réponse à la régionalisation conflictuelle. Il est promu par
les puissances extérieures qui lui attribuent une fonction régulatrice dans le cadre des
appropriations africaines. Lorsque le Gouvernement Fédéral de Transition est établi en
octobre 2004, la situation sécuritaire en Somalie l’oblige à s’établir à Nairobi et son président
Abdullahi Yusuf Ahmed appelle alors la création d’une mission d’imposition de la paix5. Lors
de la quatrième Session ordinaire de l'Assemblée des chefs d'État et de gouvernement du
sommet de l’Union Africaine, à Abuja en janvier 2005, les chefs d’Etat de l’IGAD décident
alors ‘to provide security to enable the newly established government of Somalia to
relocate back home’6. La mission s’appellera l’ « IGAD Peace Support Mission in
Somalia » (IGASOM). Une force de 10 000 hommes sera envoyée sur le terrain en préalable à
l’envoi d’une opération de l’UA. Le 7 Février 2005, le conseil de paix et de la sécurité de
l'UA autorise l'IGAD à déployer une mission d'appui à la paix en Somalie, en attendant le
déploiement d'une mission de l'UA7. Les ministres de la défense des pays membres de
l'IGAD, se réunissent en Ouganda, et élaborent un plan de déploiement. Dès le
commencement, l'IGASOM se heurte à un certain nombre de difficultés. Tout d'abord, la
charte de l’organisation ne prévoit pas le déploiement d’une mission de ce type car le principe
de non-ingérence prévaut. De plus, le secrétariat de l'IGAD n'avait ni les capacités humaines
ni les capacités financières afin de gérer cette opération, le Conseil de sécurité des Nations
unies ne voulait pas lever l’embargo sur les armes à destination de la Somalie et enfin, un des
Etats membres, l’Érythrée, s'opposait au déploiement. Finalement cette mission ne sera jamais
déployée et la commission de l’UA, dans le même temps, proposait une autre mission,
l’AMISOM. Son mandat, plus large, incluait l'aide à la réinstallation des réfugiés et des
personnes déplacées ainsi que le soutien aux efforts de reconstruction.
Gérard Prunier, “A World of Conflict Since 9/11: The CIA Coup in Somalia,” in Review of African
Political Economy, vol. 33, n° 110, 2006, pp. 737-772; Andrew McGregor, “Warlords or Counter-Terrorists:
U.S. Intervention in Somalia,” in Terrorism Focus, vol. 3, n° 21, 2006.
5
Conseil de Paix et de Sécurité, « Rapport du président de la Commission sur l’appui de l’UA aux institutions
de transition de la Somalie », PSC/PR/2 (XXII), 5 janvier 2005, (en ligne) consulté le 6 novembre 2011,
http://www.africaunion.org/root/AU/AUC/Departments/PSC/ps/PSC_2004_2007/pdfs/2005/2005_22_R1F.pdf
6
Rapport de la 24ème Session du Conseil des Ministres de l’IGAD, Nairobi, Kenya, 17-18 mars 2005, (en ligne)
consulté le 6 novembre 2011, http://www.aigaforum.com/Documents_on_Somalia.pdf
7
Conseil de Paix et de Sécurité, « Communiqué », PSC/PR/Comm. (XXIV), 7 février 2005, (en ligne) consulté
le 6 novembre 2011,
http://www.africa-union.org/root/AU/AUC/Departments/PSC/ps/PSC_2004_2007/pdfs/2005/2005_24_C1F.pdf
4
Création d’une mission transitoire : l’AMISOM
Lorsque l’UTI prend le contrôle d’une grande partie du territoire somalien à l’automne 2006,
le GFT demande l’assistance militaire éthiopienne. Cette présence, bien que décisive pour le
gouvernement somalien, relance aussi l’insurrection. Avant de perdre tout contrôle de la
situation, l’Ethiopie souhaite être relevée par une mission de paix multinationale8.
En décembre 2006, le Conseil de Sécurité adopte la résolution 1725, rappelant son
engagement pour une approche globale, et inclusive du processus politique de transition en
Somalie. Une mission d’évaluation technique est envoyée à Mogadiscio mi-janvier afin de
consulter le gouvernement somalien sur la création d’une future mission de la paix. Le 19
janvier 2007, le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’UA créé l’AMISOM pour une
période initiale de six mois “avec le clair entendement que la mission se transformera par la
suite en une opération des Nations unies pour soutenir la stabilisation à long terme et la
reconstruction post-conflit de la Somalie”9. Le Conseil de sécurité des Nations unies, agissant
en vertu du Chapitre VII de la Charte, autorisait, un mois plus tard, le déploiement de cette
«mission de protection et de formation en Somalie» par la résolution 1744, adoptée le 20
février 200710. La résolution lève également l'embargo sur les armes imposé à la Somalie, au
bénéfice de l’AMISOM et des autorités fédérales de transition. Les résolutions 1744, et 1772
du Conseil de sécurité de l’ONU précisent les différents objectifs de la mission :
-
-
-
-
Favoriser le dialogue et la réconciliation en Somalie en concourant à assurer la liberté
de mouvement, les déplacements en toute sécurité et la protection de tous ceux qui
prennent part au dialogue;
Assurer, le cas échéant, la protection des institutions fédérales de transition afin
qu’elles soient en mesure d’assumer leurs fonctions et veiller à la sécurité des
infrastructures clefs ;
Aider, selon ses moyens et en coordination avec d’autres parties, à la mise en œuvre
du Plan national de sécurité et de stabilisation et en particulier au rétablissement
effectif et à la formation des forces de sécurité somaliennes sans exclusive ;
Contribuer, à la demande et selon ses moyens, à la création des conditions de sécurité
nécessaires à l’acheminement de l’aide humanitaire ;
Protéger son personnel, ainsi que ses locaux, installations et matériel, et assurer la
sécurité et la liberté de mouvement de son personnel.11
A l’origine l’AMISOM devait compter neuf bataillons d’infanterie de chacun 850 hommes
appuyés par des composantes maritimes et aériennes, ainsi qu’une composante civile.
Pleinement déployée la mission devait compter 8 100 personnels répartis en deux secteurs. Le
8
Conseil de Paix et de Sécurité, « Rapport du président de la commission
sur la situation en somalie », PSC/PR/2(LXIX), 19 janvier 2007, (en ligne) consulté le 6 novembre 2011,
http://www.operationspaix.net/DATA/DOCUMENT/939~v~Rapport_du_President_de_la_Commission_sur_la_
situation_en_Somalie_-_PSC_PR_2__LXIX_.pdf
9
Conseil de Paix et de Sécurité, ‘Communiqué’, PSC/PR/Comm. (LXIX), 19 janvier 2007, (en ligne) consulté le
6
novembre
2011,
http://www.operationspaix.net/DATA/DOCUMENT/3203~v~Communique_de_la_69eme_reunion_du_Conseil
_de_Paix_et_de_Securite.pdf
10
Conseil de Sécurité des Nations Unies, Résolution 1744, S /RES/1744 (2007), 21 février 2007, 4p.
11
Ibid.
premier occupé par les troupes ougandaises et recouvrant le port, l’aéroport, la Villa Somalia
et le Kilomètre 4 (K4). Le deuxième secteur tenu par les Burundais couvre l’Université et
l’Académie militaire.
L’Ouganda offrit de déployer 1 600 personnels, le Burundi 1 500-1 600, le Nigéria 850 et le
Ghana 35012. Finalement, seules les troupes ougandaises et burundaises seront déployées.
L’Afrique du Sud participant déjà aux opérations AMIS et MONUC, le Malawi contraint par
des difficultés de politique interne, et le Nigeria craignant des allocations inférieures à celles
des opérations onusiennes13.Le retard dans le déploiement des troupes oblige l’Ethiopie à
maintenir ses troupes jusqu’en janvier 2009. De plus, les pays contributeurs ont besoin d’une
assistance logistique permanente. L’existence de l’AMISOM est alors subordonnée à l’appui
de l’Union européenne (salaires, logement, carburant, etc)14.
Imposer la paix : une mission impossible ?
En Somalie, il n'existe pas de paix à maintenir puisqu'il n'y a même pas d'accord de
paix. La mission n’a pas, par nature, vocation à résoudre le conflit. Initialement elle devait
consolider la victoire militaire éthiopienne de décembre 2006 puis la normalisation issue du
processus de Djibouti (2008). Cependant lors des accords de Djibouti, les islamistes se sont
divisés. D’un côté Cheikh Sharif Cheikh Ahmed (clan Hawiye Abgal) élu président du
Gouvernement d’Union National (GUN) par le Parlement en janvier 2009 qui appartient à
l’aile modérée de l’Alliance pour la Re-libération de la Somalie (ARS) devenue de fait ARSDjibouti. De l’autre côté s’oppose Hassan Daher Aways (clan Hawiye Haber Gedir Ayr)
dirigeant d’Hizbul Islam, le parti de l’Islam fondé en février 2009 en réaction à l’élection de
Cheikh Sharif Cheikh Ahmed. Ce groupe est une coalition de quatre groupes islamistes
opposés au président somalien jugé trop modéré.
Par ailleurs en protégeant le GFT, qui a lui-même échoué à mettre en place un
processus de réconciliation, contre les insurgés islamistes, l’AMISOM manque à son rôle
fondamental de neutralité et d’impartialité. Les dissensions entre ce gouvernement et la
communauté internationale sont significatives à cet égard. En effet, les mandats du Parlement,
tout comme celui du GFT, qui devaient expirer en août 2010, sont prolongés, début 2011, de
trois ans sans débat aussi bien avec les partenaires du gouvernement qu’avec l’ONU15. Or le
GFT a perdu toute légitimité auprès de la population, incapable d’instaurer un minimum de
sécurité. La survie de ce gouvernement ne dépend plus que du soutien de la communauté
internationale. L’AMISOM pâtit alors de ce manque de légitimité. En outre, une particularité
du mandat de l’AMISOM est qu’il prévoit une protection des personnels mais pas des civils et
les actions humanitaires restent minimes. De fait la simple surveillance, l'enregistrement et la
notification des violations graves aux droits de l'homme ne peuvent être mise en œuvre par la
Conseil de Paix et de Sécurité, ‘Rapport du Président de la Commission sur la situation en Somalie »,
PSC/PR/2 (LXXX), 18 juillet 2007, (en ligne) consulté le 6 novembre 2011,
http://www.ausitroom-psd.org/Documents/PSC2007/80th/Report/RapportonSomaliafr.pdf
13
Et pour cause, jusqu’à une modification récente, l’allocation versée par l’ONU était de 1 040$ par mois contre
750$ pour l’UA.
14
European Commission Development and Cooperation - EuropeAid, AMISOM, updated 2 December 2010,
http://ec.europa.eu/europeaid/where/acp/regional-cooperation/peace/peace-support-operations/amisom_en.htm.
15
Ce nouveau gouvernement devait être élu dans le cadre d’une nouvelle constitution. La Commission fédérale
constitutionnelle doit proposer un projet de Constitution déterminant le régime politique (présidentiel ou
parlementaire), le rôle de la Charia, la forme de l’Etat (fédéralisme)…
12
mission. Les violations flagrantes des droits de l'homme ont été commises par toutes les
parties au conflit16.
L’Union Africaine, consciente de ces carences, et face à la pression exercée par les insurgés
sur les forces de l’AMISOM, demande un mandat plus offensif. Le 15 octobre 2010, le CPS
de l’UA appelait à un renforcement des troupes : 20 000 hommes pour la composante
militaire, 1 680 éléments de police, un blocus naval ainsi qu’une zone d’interdiction aérienne
au-dessus de la Somalie. L’UA souhaitait également financer la mission au moyen des
contributions obligatoires, qui seraient mises à disposition de la mission à l’intérieur et à
l’extérieur de la Somalie. Pourtant en janvier 2010, le CPS estime que « le mandat de
l’AMISOM était suffisamment robuste et flexible »17. La résolution 1964 de décembre 2010 a
autorisé l’augmentation des troupes mais uniquement un supplément de 4 000 hommes (soit
12 000 au total).Cette décision n’a pourtant pas empêché l’AMISOM de participer aux
combats qui ont permis de libérer la capitale de la présence des Shabab.
La mission dépend toujours directement des donateurs18. Cette insuffisance et
l’absence de prévisibilité du financement est un facteur dissuasif pour les potentiels
contributeurs de troupes. A cet effet, l’ONU dans la résolution 1964 « engage les donateurs à
coopérer étroitement avec l’Organisation des Nations Unies et l’Union africaine afin que les
fonds et le matériel voulus deviennent disponibles rapidement, notamment en ce qui
concerne la solde à verser aux membres des contingents de l’AMISOM, le soutien logistique
autonome et les dépenses afférentes au matériel appartenant aux contingents, en
particulier le matériel meurtrier ». En effet, l’AMISOM a longtemps été sous équipée, mal
organisée pour faire face à une lutte armée. L’absence de capacité maritime ou aérienne, les
difficultés d’approvisionnement en munitions, en matériel militaire et en pièce de rechange ne
permettait pas à l’AMISOM de mener à bien sa mission. La gestion opérationnelle des troupes
déployées est particulièrement difficile faute de personnel suffisant et qualifié. Mais plus que
le manque de moyen c’est « la capacité de l’UA à absorber ces aides et à les convertir en
actions concrètes19» qui pose problème.
Le relais onusien
La mission, au début envisagée comme une opération transitoire jusqu’au déploiement
d’une force onusienne, n’a vue se réaliser aucune des étapes prévues par le mandat de la
mission. Le passage de l’AMISOM sous la bannière de l’ONU est toujours envisagé et répété
dans tous les communiqués de l’UA. Toutefois aucun échéancier n’est prévu. En effet, ce
déploiement dépendra de la situation en Somalie et des critères suivants: «a) achèvement de
la formation et de l’équipement d’une force de sécurité somalienne soudée, dotée d’une
Human Rights Watch, “Shell-shocked: Civilians under siege in Mogadishu’, 2007, (en ligne) consulté le 15
novembre 2011, http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/somalia0807webwcover.pdf ; Gettleman Jeffrey,
‘Somali battles bring charges of war crimes’, New York Times, 6 avril 2007; Amnesty International,
‘Routinely targeted: Attacks on civilians in Somalia’, 6 mai 2008, (en ligne) consulté le 15 novembre 2011,
http://www.amnesty.org/en/library/info/AFR52/006/2008 ;
17
Conseil de Paix et de Sécurité, « Rapport du Président de la Commission de l’UAsur la situation en Somalie »,
8 janvier 2009, PSC /PR/2(CCXIV).
18
Michel Liégeois, « Les capacités africaines de maintien de la paix : entre volontarisme et dépendance », in
Bulletin du maintien de la paix, n°97, janvier 2010, p.2
19
Ibid.
16
structure de commandement et de contrôle claire et efficace, capable de stabiliser Mogadiscio
dans un premier temps; b) stabilisation de Mogadiscio par les forces du Gouvernement
fédéral de transition; c) création d’alliances entre le Gouvernement fédéral de
transition, des clans, des personnalités religieuses ainsi que des milices de Mogadiscio et
des régions où une mission de maintien de la paix pourrait être déployée, afin de poser les
bases et créer les conditions politiques propices à l’extension au-delà de Mogadiscio
de l’autorité et du contrôle du Gouvernement fédéral de transition; d) consentement
des principaux acteurs, à Mogadiscio et dans les différentes régions du sud et du centre de la
Somalie, au déploiement d’une mission de maintien de la paix des Nations unies; e)
déploiement de l’AMISOM jusqu’à son effectif maximal avant le transfert
de
commandement; et enfin f) mise à disposition en quantité suffisante de contingents et de
moyens militaires par les pays fournisseurs20».
Pour autant il serait inexact de dire que l’ONU se désintéresse de la Somalie. Après l’échec
des interventions dans les années 1990, l’ONU s’est concentrée sur les questions humanitaires
et plusieurs de ses organismes sont présents dans le pays ou à Nairobi : le Programme des
Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Programme Alimentaire Mondial (PAM),
l’Agence des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR), l’Organisation des Nations Unies
pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Bureau de la Coordination des Affaires
Humanitaires (OCHA), etc. Un Bureau politique des Nations Unies pour la Somalie (UNPOS)
dirigée par le représentant spécial adjoint des Nations unies pour la Somalie, a également été
créé 15 avril 1995. Le pays toujours resté dans l’agenda du Conseil de Sécurité, notamment en
raison des sanctions imposées par la résolution 733 du 23 janvier 1992 concernant l'embargo
sur les armes. Ce régime de sanctions a d’ailleurs été renforcé en 2011. Un Comité du Conseil
de sécurité a également été créé par la résolution 751 (1992) afin de veiller au respect de cet
embargo sur les armes. En plus de ce comité, l’ONU établit un Panel d’Experts suivi d’un
Groupe de contrôle en charge de rédiger des rapports sur les violations de l’embargo21.
Les hésitations de l’ONU
Plusieurs explications pourraient être avancées afin de justifier le refus onusien de
s’impliquer militairement sur le sol somalien22. Le traumatisme des échecs des années 1990
semble la plus plausible pour expliquer l’opposition de l’ONU à une opération à ce stade en
Somalie. Une force d’intervention sans processus politique serait condamnée à l’échec. Le
Secrétaire général affiche une position prudente entérinée par le Conseil de Sécurité. Pourtant,
l’ONU vote la résolution 1725 en décembre 2006. Comme le précise Roland Marchal : « La
France et le Qatar ont dû convaincre les autres membres du Conseil, notamment les
Britanniques (…) d’amender le texte proposé sans hélas obtenir l’approbation de ce qui est la
position européenne : pas de déploiement de troupes sans le consentement de toutes les
parties. Pourquoi avoir voté un tel texte alors que les négociations devaient reprendre dix
jours après et que la perspective du vote d’une telle résolution constituait un fantastique
moyen de pression sur les deux parties somaliennes pour obtenir des discussions
20
Conseil de Sécurité des Nations Unies, « Rapport du Secrétaire général sur la Somalie », S /2010/675, 30
décembre 2010, (en ligne) consulté le 15 novembre 2011,
http://daccessddsny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N10/703/95/PDF/N1070395.pdf?OpenElement
21
R. Marchal, « Between gossips and hard facts: the politics of UN Monitoring Groups’ narratives on Somalia »,
Londres, Chatham House, août 2006.
22
Entretiens auprès de hauts cadres de l’ONU à New York et de l’UA à Addis Abeba en novembre 2011 et
janvier 2012.
substantielles ? Gaffe de diplomates ou volonté d’aller à l’affrontement ? Sans surprise, après
une critique virulente de la résolution, l’UTI lance le 13 décembre un ultimatum exigeant le
départ des troupes éthiopiennes23 ». Une véritable lutte d’influence a lieu à New York,
Jendayi Frazer, l’ancienne secrétaire d'État chargée des Affaires africaines au sein de
l'administration Bush, et Condoleezza Rice poussent pour une intervention onusienne. Jendayi
Frazer présente alors l’UTI comme des djihadistes affiliés à Al-Qaïda, propos démenti par
John Negroponte, directeur des services de renseignement. Pour Roland Marchal la suréaction
face à cet acteur, dans le but de défendre le GFT, qui n’avait alors plus aucune légitimité au
sein de la population, a précipité la montée en puissance d’une minorité fondamentaliste
parmi les islamistes et ainsi « déterritorialiser » le conflit.
L’opération en Somalie intervient alors qu’il n’y a aucune paix à maintenir. C’est un théâtre
de guerre où l’accord des parties est loin d’être acquis, les mandats et les ressources
inadéquats, typiquement un contexte où le rapport Brahimi déconseillait à l’ONU
d’entreprendre une mission. Un cadre de l’ONU à New York remarquera que « l’ONU n’est
pas un bon outil pour intervenir en Somalie mais l’AMISOM l’était-elle davantage ? ». L'UA
ne dispose pas encore des mécanismes de financement, et des capacités de soutien interne
(logistiques, personnels et financières) pour gérer une opération de cette nature. Il est donc
difficile de qualifier l’AMISOM d’opération de maintien de la paix ou de consolidation de la
paix, ou encore moins d’imposition de la paix puisqu’elle ne peut recourir à la force qu’en cas
de légitime défense. Pour Jean-Nicolas Bach et Romain Esmenjaud, l’AMISOM a « de
nombreuses caractéristiques qui la rapprochent d’une intervention militaire traditionnelle
(soutien à une partie au conflit, recours régulier à la force, absence de commandement
multinational, intéressement des contributeurs dont la participation à l’opération s’inscrit dans
une stratégie de promotion d’intérêts nationaux…)24». Donc, que faire lorsque la situation
reste trop instable pour qu’une opération de l'ONU puisse prendre le relais de l’UA comme
c’est le cas en Somalie ?
Refusant de déployer une opération à ce stade l’ONU propose de déployer une « coalition of
the willing », une coalition ad hoc composée de « partenaires de bonne volonté » menée par la
Turquie. Or malgré qu’une soixantaine de notes verbales furent envoyées, seul le Bengladesh
y répondit favorablement. Ceci constitue un argument supplémentaire pour le Département
des Opérations de Maintien de la Paix (DPKO) pour ne pas intervenir.
Perspectives
L’intervention unilatérale du Kenya lancée le 16 octobre 2011, a provoqué une
opportunité décisive pour faire évoluer l’AMISOM ou créer une nouvelle mission. En effet,
alors que les Forces de Défense Kenyanes pensaient prendre la ville de Kismayo, tenue par les
Shebab, en quelques jours, elles sont toujours en Somalie au moment de la rédaction de cette
article. L’opération kenyane semble avoir manqué de planification tactique, de stratégie de
sortie et de coordination avec les autres forces sur place. Depuis le Kenya souhaite voir ses
forces passer sous casques verts de l’Union Africaine. L’AMISOM doit donc adopter un
nouveau concept stratégique qui permettrait l’accroissement du personnel de la force de
12 000 à 17 731 soldats (avec l’intégration des soldats Kenyans et Djiboutiens), un
élargissement de la zone de responsabilité de l’AMISOM au-delà de la capitale Mogadiscio et
23
Roland Marchal, « Somalie : un nouveau front antiterroriste ? », in Les Etudes du CERI, n°135, juin 2007,
28p.
24
Jean-Nicolas Bach et Romain Esmenjaud, « Innovations normatives, résilience des pratiques : A quoi (et à qui)
sert l’AMISOM ? », in Sécurité Globale, Hivers 2011-2012.
prévoir un renforcement des capacités des forces de sécurité somaliennes. L’AMISOM est
une mission multinationale essentiellement composée de troupes ougandaises et sous
commandement ougandais ce qui pourrait poser problème aux Kenyans… L’Etat-major doit
passer au niveau stratégique et être internationalisé. Pourtant la dynamique est bien de créer
une nouvelle mission autour de l’AMISOM. Plus globale, elle se baserait sur des points
d’appuis stables en Ethiopie et au Kenya. Mais la coordination de cette nouvelle mission est à
définir. De fait l’ONU sera obligée de s’investir davantage. Si les objectifs de départ étaient
purement militaires, ils ont évolués mais restent inadaptés par rapport aux moyens. Ceux-ci
devront être adaptés si l’AMISOM doit sortir de Mogadiscio (attribution d’hélicoptères
notamment). Les forces somaliennes sont quant à elles en formation et elles représentent une
alternative nationale, mais le décalage dans le calendrier est encore trop important. Toute
solution s’appuie actuellement sur l’AMISOM or depuis l’intervention kenyane la solution
passe par un nouveau mode de gestion de la crise qui rationnalisera les actions et intégrera la
lutte contre la piraterie. C’est là le grand défi qui est posé à l’ONU et son partenaire africain.
/..