Exposer l'architecture
Propos autour d'un pléonasme fondateur
Pascal Amphoux, LADYT, EPFL, Lausanne
article pour la revue Faces, juillet 2003
L'architecture, par principe, s'expose – aux rigueurs du climat, à l'usure de l'usage, à la
culture du regard. Je veux dire qu'elle ne peut exister, au sens fort du terme, que dans et
à travers des procédures d'exposition : c'est dans et par l'exposition que l'architecture
peut prendre – forme, sens ou valeur. Autrement dit : un bâtiment qui n'est pas exposé
n'est pas "de l'architecture" ; une architecture qui mérite son nom est quelque chose qui
se tient ; et ce n'est que lorsque ce quelque chose est exposé à certaines contraintes (de
durée, de fonctionnement ou de goût) que l'on peut en apprécier la plus ou moins bonne
tenue 1. Du coup, l'exposition devient, dans la diversité de ses modalités existentielles, le
principe même de l'architecture – son principe fondateur.
L'architecture,
donc,
naturellement
s'expose.
Mais
comment
l'exposer,
intentionnellement ? Est-ce seulement possible ? Ou encore : à vouloir délibérément
l'exposer, ne risque-t-on pas de perdre le sens naturel et premier précédent ? Je veux
dire cette fois que l'exposition d'architecture, en son sens plus classique, est souvent
vouée à l'échec, parce qu'elle n'est pas précisément l'architecture : c'est qu'elle ne la
présente pas, elle la représente. Autrement dit (et à l'inverse de ce que l'on disait dans le
premier cas) : un bâtiment qui est exposé n'est pas l'architecture ; ce n'en est qu'une
réplique 2. Du coup l'exposition devient, dans la diversité de ses modalités
scénographiques, le principe même du redoublement de l'architecture – son principe
"réplicateur".
Ces remarques préliminaires nous amèneraient à distinguer deux sens du mot : un sens
mineur, désignant un dispositif constitué de mise en scène, en valeur ou en exergue de
l'architecture, une sorte d'appendice ou de supplément d'âme que lui confère la
représentation ; et un sens majeur, signifiant une disposition constituante de
1
En ce sens fort, il n'y a d'architecture qu'extra-ordinaire. Sans doute parlera-t-on légitimement
d'"architecture ordinaire", mais ce n'est qu'en tant que posée comme telle qu'elle mérite ce nom. Et c'est alors
par la simplicité d'un mode constructif, le prosaïsme de la modénature ou l'économie des proportions que
s'appréciera cette architecture de l'ordinaire. C'est, littéralement, par l'ex-position de l'ordinaire que de
l'architecture s'arrache à l'indifférenciation du bâti ordinaire – on pourrait dire à la sous-exposition du milieu bâti.
2
En ce sens plus faible, l'exposition ne ferait que redoubler un sens déjà donné, elle ne ferait donc
que l'affaiblir voire le dissoudre dans une suite de représentations toujours plus éloignées de ce qui
fondamentalement, fait l'architecture. Le cas est ici inverse du précédent : l'exposition apparaît comme une
sorte de surenchère de représentations ou d'explications : à l'inverse du phénomène de sous-exposition du
milieu dans lequel on ne voit rien parce que l'on y est enfoui, on pourrait dire ici qu'il y a sur-exposition de
l'environnement construit, sur lequel on produit comme un excès de luimière.
l'architecture, une condition de son existence ou une propriété consubstantielle - qui est
constitutive de son écart à elle-même (de sa ressemblance autant que de sa différence à
elle-même).
Tel est le double sens du mot que le texte qui suit se propose d'explorer. Entre fondation
et réplication, l'exposition intentionnellement devrait éviter le piège de la sous-exposition
que sous-entend la première, celui de la sur-exposition que signifie la seconde.
DISPOSER, TRANSPOSER, REPOSER
Exposer, c'est littéralement "poser hors de". Exposer l'architecture, c'est poser
l'architecture hors de son contexte d'origine. Encore ce "contexte" doit-il être envisagé
dans sa diversité – contexte spatial sans doute, mais aussi social ou temporel.
Premier sens, spatial. L'exposition comme dis-position. C'est en échappant à sa propre
place que l'architecture s'expose et que l'exposition littéralement a lieu. Ainsi peut-elle
consister tout simplement en un déplacement physique de l'objet architectural : qu'il
s'agisse du sauvetage d'un objet emblématique (des églises romanes ou des halles de
Baltard aux reliefs d'expo 02) ou de la présentation d'une collection d'objets comme dans
le cas des expositions d'architectures vernaculaires (type Ballenberg), le bâtiment est
démonté pour être remonté hors de son contexte d'origine, soit dans un milieu vivant
ordinaire (un quartier ou une place publique), soit dans un environnement spécifique
(exposition à visiter). Mais l'exposition peut aussi consister en une reproduction matérielle
des objets architecturaux : reproduction grandeur nature de morceaux d'architecture, de
bâtiments entiers ou de sites existants (des jardins d'Hadrien de l'Antiquité aux musées
de monuments du XXème siècle) ou reproduction miniaturisée par toutes les techniques
de représentation : relevé, photographie, photogrammétrie, plans-coupes-façades,
maquettes, … A cela s'ajoute un troisième mode de déplacement dans l'espace, celui de
la simulation, qui change le rapport entre le réel et le virtuel 3. Non seulement l'image
proposée n'est plus extérieure au sujet percevant, mais le bien-nommé visiteur peut
bientôt s'immerger dedans et s'y promener quasi physiquement 4. Et de même que le
concepteur pourra manipuler réellement sa maquette virtuelle (comme un objet
ordinaire), le visiteur pourra physiquement traverser l'exposition en lignes.
Déplacement, reproduction, simulation, c'est à disposer l'architecture entre l'espace
physique et l'espace imaginaire (on pourrait presque dire à l'"indisposer") que ces trois
premières modalités d'exposition contribuent - à ne lui laisser prendre sens que dans un
rapport de conaturalité entre le matériel et l'immatériel, ou encore entre l'actuel et le
virtuel.
Second sens, social. L'exposition comme trans-position. C'est cette fois en échappant à
3
Entre le déplacement et la reproduction, on peut faire remarquer que l'on passe de l'expérience
physique de l'espace réel à l'expérience qu'il faut bien qualifier de virtuelle, d'un espace de représentation. Dans
le premier cas, tout un chacun peut faire cette expérience, dans le second il faut un minimum de connaissance
ou d'initiation : qui ne connaît pas le code de la représentation n'a pas accès à son contenu. D'où l'avenir sans
doute des techniques de simulation.
4
Certes l'on reste pour le moment généralement à distance d'une image qui ne fait guère illusion (les
animations 3D utilisées par les architectes sont encore de piètre qualité, les promenades virtuelles dans les
collections d'un musée le plus souvent encore abstraites, les dispositifs d'immersion à disposition du public
dans les expositions d'art contemporain encore très lourds, etc.), et pourtant… On connaît d'ores et déjà les
incertitudes qu'une bonne image de synthèse introduit dans l'identification des éléments existants et des
éléments projetés, et force est de constater la progression technique en matière de simulation : à mesure que
les capacités de mémoire s'accroissent, la définition de l'image s'améliore, le son s'y accouple et bientôt le
geste. La promenade muséale ou la maquette virtuelle ne seront plus seulement données à voir, mais
également à entendre, à manipuler ou à toucher (retour d'effort).
3
sa fonction initiale que l'architecture s'expose. Là encore, il est possible de distinguer
plusieurs modalités d'exposition. Il faudrait parler en premier lieu de l'adaptation de tout
bâti existant à de nouvelles normes sociales du confort, du voisinage ou du goût. Et l'on
sait bien qu'adapter un bâtiment aux normes de sécurité, d'isolation ou d'éclairage peut
en détruire l'architecture, comme lui redonner une vie nouvelle. Seconde modalité : la
reconversion. Faire un musée dans un entrepôt, des logements dans une usine, une
piscine dans une station de métro oblige à poser la question de la transposition d'usage.
Au-delà de l'adaptation technique ou fonctionnelle, n'importe quel usage ne va pas dans
n'importe quel lieu et il y a des formes d'adéquation symbolique qui peuvent valoriser ou
dévaloriser réciproquement l'architecture du bâtiment initial et sa fonction nouvelle 5.
Enfin, peut-on évoquer le principe de festivalisation qui dans les politiques urbaines des
vingt dernières années, a pris une ampleur considérable et qui, au-delà de la simple mise
en scène de l'architecture de la ville, peut être l'occasion de catalyser des usages
nouveaux de la ville ou de l'espace public et de faire évoluer l'imaginaire ou le regard
porté sur l'architecture ou la ville.
Adaptation, reconversion, festivalisation, c'est à transposer l'usage que ces trois
modalités d'exposition, entre adaptation technique et appropriation symbolique,
contribuent : l'immeuble réhabilité génère de nouvelles formes d'habiter, l'appropriation
spontanée de grands équipements induit leur reconversion, un festival du jardin ouvre de
nouveaux espaces publics aux habitants de la ville 6.
Troisième sens, temporel. L'exposition comme "re-position". C'est alors en échappant à
sa propre époque que l'architecture s'expose. Un premier registre est celui de la
reconstitution de bâtiments disparus ou de sites archéologiques, activité qui, de Viollet le
Duc à nos jours, vise à rendre présent un passé absent. Le second procédé serait celui
de l'historicisation : classer un bâtiment ancien, hiérarchiser les classes suivant les
époques, distinguer les productions contemporaines, leur assigner une valeur de
témoignage, c'est bien exposer l'architecture existante en l'inscrivant dans l'histoire, c'està-dire en lui permettant d'échapper à l'entropie du temps présent : l'enjeu à ce niveau est
plutôt de "faire passer" 7 l'architecture. Enfin, peut-on distinguer un troisième principe,
celui de la réactualisation, consistant en quelque sorte à "présenter le passé" : exhumer
une architecture ordinaire ou restaurer une architecture abîmée, c'est s'assurer d'une
certaine présence du passé, sans nécessairement le mettre en exergue ou en valeur
comme un objet patrimonial.
Reconstitution, historicisation, réactualisation, ces trois modalités d'"exposition" de
l'architecture consistent en fait à "re-poser" le bâtiment dans le temps plus qu'à le disposer dans l'espace ou à en transposer l'usage. C'est en effet à un repositionnement
permanent de la présence de l'architecture entre le passé et le futur que ces procédés
participent 8.
5
Sur ce thème, cf. notre étude Métamorphoses de l'objet architectural - étude exploratoire sur les
reconversions de bâtiments (avec J.-P. Philippon et al.), rapport de recherche CORDA, Paris, 1979, 246 p.
6
Cf. le concept initial du festival international du jardin urbain à Lausanne. Amphoux Pascal, « De
théories en pratiques – Trois principes d’hybridation pour la ville », Chap. II. In Ola Söderström, E. Cogato
(éds), L’usage du projet, Editions Payot Lausanne, décembre 2000, pp. 39-50
7
Et il faut entendre l'expression en un double sens. L'historicisation, c'est à la fois la transformation de
certains objets du présent en objets du passé (faire passé), et la possibilité pour le reste de la production de
disparaître ou de se renouveler naturellement (faire passer).
8
Et l'on fera remarquer que cette forme d'exposition (ou de "re-position") ne concerne pas seulement
l'activité savante et négociée des archives ou des monuments historiques, mais aussi bien l'activité implicite et
spontanée d'une petite commune qui sans moyens choisit de préserver le lavoir ou d'éclairer l'église et surtout,
4
Bilan. Qu'est-ce qui fait sortir l'architecture d'elle-même ? L'espace, l'usage et le temps.
Plus précisément ? Le déplacement, la reproduction ou la simulation pour le premier ;
l'adaptation, la reconversion et la "festivalisation" pour le second ; la reconstitution,
l'historicisation et la réactualisation pour le troisième. Ces neuf modalités d'ex-position ne
sont naturellement pas exhaustives et pourraient prendre d'autres noms, elles permettent
pourtant de couvrir le champ d'une problématique de façon à la fois large et précise.
Large parce qu'elles redonnent au mot son sens fort (sortir de soi), précis parce qu'elle
oblige du même coup à ré-interroger son sens usuel mais réduit (une exposition à visiter)
en se demandant non plus "qu'est-ce qui fait… ?" mais "comment faire sortir l'architecture
d'elle-même ?". Comment la faire différer d'elle-même tout en renforçant son identité ?
Trois stratégies une fois encore pourront être distinguées.
L'ARCHIVE, LE RÉCIT ET LA SITUATION
La première reposerait sur des techniques d'archivage qui, quelles qu'elles soient,
consistent à représenter l'architecture – à faire référence, à instituer des modèles et à
construire le patrimoine. La ressemblance à ce niveau est hétéro-référentielle : même si
l'archive est le bâtiment lui-même, c'est en tant que représentant de ceci ou cela, en tant
que dernier témoin d'une petite gare suisse des années 1860, que son exposition devient
légitime ou pertinente. L'exposition, en ce cas, crée la référence architecturale (qu'elle
contribue à faire évoluer). Elle est reconnaissance de l'architecture – non seulement en
ce qu'elle lui attribue une valeur, mais aussi en ce qu'elle sous-entend du public qu'il joue
le même jeu, c'est-à-dire, précisément qu'il reconnaisse l'objet de référence (quand bien
même il ne l'a peut-être jamais vu). L'exposition à ce niveau privilégie la modalité visuelle.
Du processus d'exposition on pourrait dire qu'il fait être l'architecture à travers la
valorisation de ses conditions de visibilité – lesquelles, en ce cas, sont aussi conditions
de lisibilité 9. En situation de projet, l'horizon de cette première stratégie est le
signalement, l'emblématisation, voire la symbolisation de tel ou tel objet architectural
dans son environnement (géographique, historique ou social). Et la menace qui pèse sur
elle est naturellement celle d'un excès signalétique (dans la ville) et/ou didactique (au
musée).
La seconde stratégie, trop souvent oubliée ou délibérément ignorée, reposerait sur des
techniques de récitation – et celles-ci doivent être aussi diverses dans leur objet, récit de
l'usager, de l'ouvrier, du concepteur ou du décideur, que dans leur manière, entretiens,
itinéraires, observation récurrente, recueils d'anecdotes, … 10 : l'enjeu, ici, n'est plus de
représenter l'architecture, mais d'en exprimer le vécu – de faire parler le lieu, de négocier
des règles d'énonciation entre acteurs et de déconstruire un mode de vie ou de
conception. On passe de l'enjeu d'une construction patrimoniale à celui d'une
déconstruction sociale. Et c'est ici moins la ressemblance visuelle entre le référent et sa
représentation que l'écart ou la dissemblance entre des paroles différentes qui est
enjeu nouveau, l'activité explicite du concepteur en situation de projet urbain : même en l'absence d'objets
historiques à forte valeur patrimoniale, celui-ci peut être amené à préserver certains bâtiments ou configurations
pour catalyser des effets probables sur le développement, sur l'investissement ou sur la conception de l'espace
urbain. Ainsi l'activité de projet urbain pourrait-elle être définie, en tant que pensée du renouvellement urbain,
comme une stratégie permanente d'exposition temporaire de l'architecture dans la ville, stratégie qui peut
consister par exemple à distinguer ce qu'il propose respectivement de reconstituer, d'historiciser ou de
réactualiser : projeter la ville, c'est en ce sens exposer l'architecture (cf. par exemple la démarche poursuivie
par le groupe "Fribourg'Cible" pour l'élaboration d'un masterplan dans des quartiers de friches industrielles).
9
Pour ne prendre qu'un cas récent, emblématique était à ce titre l'exposition pilotée par Sylvain
Malfroy sur les panoramas lausannois, EPFL, printemps 2003.
10 Pour une première approche de la diversité de ces techniques, cf. Michèle Grosjean, Jean-Paul
Thibaud (éds), L'espace urbain en méthodes, Marseille : Editions Parenthèses, 2001
5
hétéro-référentielle : même si le récit est très homogène, ce sont les différences qu'il met
en scène qui sont signifiantes. L'exposition en ce cas exprime une mémoire collective
(qu'elle contribue à faire évoluer). Elle est résonance de l'architecture – non seulement en
ce que très littéralement elle donnerait à entendre (des sons, des voix ou des usages),
mais en ce qu'elle fait parler d'elle (à travers des paroles, des jugements, des actions qui
portent sur l'architecture) et attend de son public qu'il entre en résonance avec cet esprit
du lieu. Du processus d'exposition on pourrait dire cette fois qu'il fait vivre l'architecture à
travers la valorisation de ses conditions d'écoute – lesquelles en ce cas sont aussi
conditions de l'entendement 11. En situation de projet, l'horizon de cette seconde
stratégie est la familiarisation, l'incorporation, voire l'indicialisation pure et simple de
l'usage dans son milieu. Et la menace qui pèse sur elle est cette fois la disparition de
toute forme d'explication au profit d'une mystification de la valeur indicielle du discours
(en projet urbain) ou de l'image (en muséographie).
La troisième stratégie, enfin, reposerait sur des techniques de mise en situation. Non plus
instituer des modèles ou négocier des règles, mais donner à percevoir un contexte, c'està-dire mettre ou remettre le sujet en situation. Non plus construire une référence ni
déconstruire un mode de vie, mais reconstruire une expérience. Aux principes hétéroréférentiels de la ressemblance visuelle ou de la dissemblance "sonore" se substitue ici
celui d'une vraisemblance perceptive – et une telle vraisemblance ne peut être qu'autoréférentielle. Peu importe que la situation soit vraie ou fausse, pourvu qu'elle soit
vraisemblable, qu'elle semble vraiment être ce qu'elle est. Même si je sais que je n'y suis
pas, c'est comme si j'y étais, et tout élément qui me rappelle que ceci est une ex-position
me ramène toujours à ma position propre. Me mettre hors de moi, c'est me ramener à
moi-même – me positionner, c'est toujours me repositionner. L'exposition en ce cas ne
consiste plus à représenter, ni à exprimer l'architecture, mais à lui donner du sens. Elle
ne vise plus ni la reconnaissance d'un objet environnemental ni la résonance d'un sujet
social, mais la rythmicité d'un trajet mental – expérimental 12. Du processus d'exposition il
faudrait alors dire qu'il ne vise plus à faire être, ni à faire vivre l'architecture, mais à la
faire exister à travers la valorisation de ses conditions de perception – lesquelles sont
aussi, dans cette perspective, conditions de l'expérience architecturale. En situation de
projet, l'horizon de cette troisième stratégie est la critique (mais c'est d'une critique qui ne
se dit pas qu'il s'agit), la distanciation (mais c'est en même temps d'un rapprochement
qu'il s'agit, Verfremdung) et l'icônisation de cette expérience architecturale dans son
paysage : donner à voir l'invisible (le non apparent), donner à entendre l'inaudible,
donner à comprendre l'ineffable, tel est peut-être l'horizon ultime de l'exposition 13. Mais
la menace qui pèse sur cette logique sensible, c'est celle d'un surinvestissement
technique d'un côté, d'une fascination illusoire de l'autre.
Bilan. Comment faire sortir l'architecture d'elle-même ? Par sa mise en archive, sa mise
en récit ou sa mise en situation. En la faisant être, en la faisant vivre, en la faisant exister.
Par la représentation de l'espace et la construction patrimoniale, par l'expression du lieu
et la déconstruction sociale, ou encore par l'expérimentation du lien architectural ou sa
11 Sur ces questions, cf. le récent ouvrage collectif coordonné par Michèle Jolé, Espaces publics et
cultures urbaines, CERTU, Lyon, 2002, 428 p.
12
Et l'on pourra reconnaître ici une trilogie fameuse : Félix Guattari, Les trois écologies, Galilée, Paris,
1990
13 S'il ne fallait retenir qu'un seul projet récent témoignant d'une telle recherche, nous citerions le
musée des cultures juives de Liebeskind à Berlin. Voici un bâtiment qui est moins à voir qu'à percevoir. Les
publications pourront discuter du style mais ne diront rien de l'expérience. L'exposition, dans ce cas, n'est pas là
où l'on croit : elle n'est guère dans le bâtiment, elle est le bâtiment lui-même en ce qu'il restitue tour à tour
l'expérience sensible et multi-sensorielle de l'ubiquité, de la désorientation, de la perte de référence, de la
transparence, de l'opacité ou de l'absence d'épaisseur de l'espace.
6
reconstruction expérimentale. Encore faut-il rappeler, pour conclure, que ces trois
attitudes ne sont pas exclusives les unes des autres et davantage, que toute exposition,
en son sens majeur, se doit de croiser ces trois stratégies. Si l'architecture, comme nous
l'avons soutenu en introduction, ne peut exister naturellement qu'à travers une modalité
d'exposition, il faut en retour que l'exposition, intentionnellement, génère et régénère
l'architecture. En d'autres termes, que les stratégies de l'archive, du récit ou de la
situation parviennent à ressaisir les modalités naturelles de la disposition, de la
transposition ou de la "reposition". C'est à ce prix que le sens de l'exposition peut
repasser en majeur, que le dispositif scénographique peut ressaisir la disposition
constituante, et que le pléonasme de la réplication, rarement, peut rejouer son rôle
fondateur. En son sens mineur, "exposer l'architecture" est un pléonasme. En son sens
majeur, le pléonasme redevient fondateur.
7