L’OBJET DE L’EXPOSITION : L’ARCHITECTURE EXPOSÉE
DIRECTION
Stéphane Doré
Frédéric Herbin
ÉDITION
ENSA de Bourges
FRÉDÉRIC HERBIN
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INTRODUCTION : L’ARCHITECTURE EXPOSÉE
DANS SON CHAMP ÉLARGI
En 1981, l’éditorial de la Revue de l’art consacré aux musées d’architecture
était l’occasion de faire le point sur l’actualité de ce sujet. On y
rapportait les propos du président de la Confédération Internationale
des Musées d’Architecture (ICAM), prononcés lors du congrès qui
donnait naissance à cette institution en 1979 1 : « Aujourd’hui le
musée d’architecture est un concept nouveau… et nous ne pouvons
encore déterminer où le musée commence et où inissent les
archives. »2 En effet, les pays qui ne possédaient pas de lieu dédié
à la conservation et/ou à l’exposition de l’architecture étaient
nombreux et il fallait encore – mais la question est-elle aujourd’hui
déinitivement tranchée ? – déinir le périmètre d’action de ce musée,
notamment en ce qui concerne sa capacité à rendre compte des
contextes sociaux, économiques et politiques où s’inscrit l’architecture.
De la sorte, tout en soulignant le fait que « l’idée d’’ exposer ’ – dans
toutes les acceptions du terme – les formes architecturales est loin
d’être neuve », l’éditorial de la revue pouvait conclure : « le musée
d’architecture reste en grande partie à inventer. » 3 À la in de la
décennie 1980, Werner Szambien faisait déjà un autre constat en
signalant « la création récente de musées d’architecture en R.F.A.,
en Belgique, en Suisse et aux États-Unis » 4. Effectivement, de
l’ouverture des Deutsches Architekturmuseum et Schweizerisches
Architekturmuseum, respectivement à Francfort et à Bâle en 1984,
jusqu’à celle du Centre Canadien d’Architecture à Montréal en 1989,
s’amorçait un mouvement de multiplication des institutions consacrées
à l’architecture qui ne s’est pas démenti depuis. En témoignent les
inaugurations du Museo nazionale delle arti del XXI secolo, à Rome
en 2010 et du nouveau bâtiment du Fonds Régional d’Art Contemporain
de la région Centre, en 2013, qui lui permet désormais de montrer
sa collection de façon permanente.
Aujourd’hui, le musée d’architecture n’est donc plus un concept
nouveau. Sa prolifération l’a inscrit toujours plus au sein des rapports
que chacun (amateur, usager, commanditaire, professionnel) peut
entretenir avec l’architecture. Ainsi, si l’on s’interroge moins sur le
bien-fondé de l’existence du musée, on s’intéresse, par contre, de
plus en plus aux moyens mis en œuvre pour médiatiser l’architecture,
écrire son histoire et inventer son futur. Parmi ces moyens, l’exposition igure comme l’un des plus observés actuellement 5. S’étant
déjà imposée comme un objet d’étude à même de déplacer le regard
que l’on porte sur les arts plastiques et leur histoire – permettant de
ce fait de renouveler leur approche –, l’exposition tend aujourd’hui
à devenir très présente dans l’étude de l’architecture. À preuve,
l’accroissement signiicatif du nombre de publications sur le sujet :
les numéros thématiques des revues Log (n° 20, « Curating
Architecture », automne 2010 6), Oase, (n° 88, « Exhibitions. Showing
and Producing Architecture », octobre 2012 7) et Les Cahiers
du Musée national d’art moderne (n° 129, « Exposer l’architecture »,
g 1 À propos du rôle charnière
de cette année, voir : Stéphanie
Dadour et Léa-Catherine Szacka,
« Exposer l’architecture : enjeux,
institutionnalisation et historicisation », Les Cahiers du Musée national
d’art moderne, n° 129, « Exposer l’architecture », automne 2014, p. 4-5.
g 2 John HARRIS,« The role and
functions of Architectural Museums », in ICAM 1. 1st International
Conference of Architectural Museums,
20-25 august 1979. Final Report,
Helsinki, Museum of Finnish
Architecture, 1980, p. 17 ; cité
d’après « Les Musées d’architecture », Revue de l’art, n° 52, 1981,
p. 5-8. g 3 « Les Musées d’architecture », idem, p. 5. g 4 Werner
SZAMBIEN, Le musée d’architecture,
Paris, Picard Éditeur, 1988, p. 8.
g 5 Il faut également noter les
recherches menées sur les revues
d’architecture. Voir notamment :
Revue de l’art, n° 89, « Revues
d’architecture », 3e trimestre 1990 ;
Jean-Michel LENIAUD, Béatrice
BOUVIER (éd.), Les périodiques d’architecture : XVIIIe-XXe siècle. Recherche
d’une méthode critique d’analyse,
actes de journée d’étude (Paris,
Collège de France, 2 juin 2000),
Paris, École nationale des chartes,
2001 ; Hélène JANNIÈRE, Politiques
éditoriales et architecture « moderne » :
l’émergence de nouvelles revues en
France et en Italie (1923-1939), Paris,
Éditions Arguments, 2002 ; Hélène
JANNIÈRE, Alexis SORNIN, France
VANLAETHEM (éd.), Revues d’architecture dans les années 1960 et 1970 :
fragments d’une histoire événementielle,
intellectuelle et matérielle / Architectural
periodicals in the 1960s and 1970s:
towards a factual, intellectual and
material history, actes de colloque
(Montréal, Centre Canadien
d’Architecture, 6-7 mai 2004),
Montréal, Centre de Recherche
en histoire de l’architecture, 2008.
g 6 Numéro dirigé par Cynthia
Davidson et Tina Di Carlo.
g 7 Numéro dirigé par Véronique
Patteeuw, Tom Vandeputte,
Christophe Van Gerrewey.
g 8 Numéro dirigé par Stéphanie
Dadour et Léa-Catherine Szacka.
g 9 Sarah CHAPLIN, Alexandra
STARA (éd.), Abingdon, New York,
Routledge.g 10 Aaron LEVY,
William MENKING (éd.), Londres,
Architectural Association.
g 11 Thordis ARRHENIUS, Mari
LENDING, Wallis MILLER, Jérémie
Michael McGOWAN (éd.), Zurich,
Lars Müller Publishers.
g 12 Roberto GIGLIOTTI (éd.),
Leipzig/Bolzano, Spector Books.
g 13 Organisé par Carsten Ruhl
et Chris Dähne, il s’est tenu les
14 et 15 novembre 2013.
g 14 Ce colloque organisé par
Stéphanie Dadour, Léa-Catherine
Szacka, Jean-Pierre Criqui et
Romain Lacroix, s’est déroulé les
16 et 17 janvier 2014 et a donné lieu
à publication du numéro thématique
de Les Cahiers du Musée national d’art
moderne déjà cité.
FRÉDÉRIC HERBIN
automne 20148), ainsi que les ouvrages collectifs Curating Architecture
and the City en 2009 9, Architecture on Display: on the History of the
Venice Biennale of Architecture en 2010 10, Place and displacement:
Exhibiting Architecture en 2014 11 et Displayed Spaces. New Means of
Architecture (Re)Presentation Through Exhibitions en 2015 12.
Cette production éditoriale accompagne, voire résulte, de la mise
en place de programmes de recherche et de rencontres : conférences,
séminaires, colloques… « Place and Displacement: Exhibiting Architecture » mené de 2011 à 2014 à l’Oslo Centre for Critical Architecture
et à l’Oslo School of Architecture and Design est un bon exemple :
ce programme donna lieu à de multiples conférences et colloques
avant que n’advienne la publication qui en marquait le terme.
Sans chercher à être exhaustif, nous pouvons encore mentionner le
programme « Curating Architecture » dirigé par Andrea Phillips à
Goldsmiths, Université de Londres, entre 2007 et 2009, ainsi que celui
que Louise Pelletier a conduit à l’Ecole de design de l’Université du
Québec à Montréal, entre 2011 et 2014 : « Exposer l’architecture – une
pratique de l’éphémère : du pavillon temporaire à la maquette
pleine échelle et installations multimédia ». Cette effervescence,
qui montre sans équivoque l’intérêt grandissant que l’exposition
d’architecture suscite dans le monde académique, touche également
l’institution muséale. En 2013, le Deutsches Architekturmuseum
accueillait le colloque « Architektur ausstellen – Zur mobilen Anordnung des Immobilen » 13. L’année suivante, c’était au Centre Pompidou
que l’institution continuait de scruter ses pratiques et son histoire avec
« Exposer l’architecture : espace discursif, espace scénographique » 14.
L’OBJET DE L’EXPOSITION
C’est au sein de ce mouvement d’intérêt théorique pour l’exposition
d’architecture que s’inscrit ce livre. Il constitue l’aboutissement d’un
programme de rencontres mené par le département d’histoire de
l’art de l’Université François Rabelais de Tours et l’Ecole Nationale
Supérieure d’Art de Bourges, en collaboration avec le Fonds Régional
d’Art Contemporain de la région Centre et, pour la première année,
avec le Centre de Création Contemporaine de Tours. Entre 2012 et
2014, les étudiants de Master en histoire de l’art (option médiation
culturelle et pratiques de l’exposition) de l’Université de Tours et de
Master en Art de l’ENSA Bourges ont suivi le séminaire « L’Objet
de l’exposition : l’architecture exposée ». Partagé entre les différentes
institutions impliquées dans ce projet, ce séminaire permit à ces
participants d’approcher la question de manière théorique, mais
aussi concrète, grâce à la visite de plusieurs expositions avec leurs
commissaires. Les étudiants ont également pris part à l’élaboration
de deux journées d’études internationales organisées avec le
soutien du laboratoire InTRu (Interactions, transferts et ruptures
artistiques et culturels, EA 6301). Ainsi, pendant deux années, un
espace inédit en France de dialogue et de rélexion sur la problématique de l’exposition d’architecture s’est ouvert. Un espace qui,
loin de ce que nous pouvions imaginer, répondait à une véritable
attente de la part de nombre d’acteurs du champ culturel, dans son
FRÉDÉRIC HERBIN
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acception large – chercheurs, architectes, commissaires d’exposition,
muséographes, artistes –, de partager des pistes de pensée, de
tester des points de vue, des approches et de voir advenir une trace
de ces échanges : de potentiels outils pour poursuivre plus avant les
investigations.
L’inscription institutionnelle de « L’Objet de l’exposition » a en
grande part fait sa spéciicité. N’étant pas mené par des historiens
de l’architecture – même s’il leur a largement donné la parole –,
ce projet se plaçait délibérément dans une position périphérique
par rapport à cette discipline. Cela nous permettait d’afirmer, avant
toute autre chose, l’exposition en tant qu’objet d’étude à part entière.
Il s’agissait de ne pas la réduire au seul statut de source pour
l’histoire de l’architecture ou pour celle des institutions muséales.
Pour nous, prendre l’exposition comme objet d’étude implique aussi
de tenir compte de sa dimension technique, de ne pas perdre de vue
qu’elle est devenue, petit à petit, une pratique spécialisée et donc
lui reconnaître une part d’autonomie épistémologique15, même
si celle-ci reste dificile à déinir16. C’est ce que semble également
reconnaître Thordis Arrhenius quand il écrit : « En tant que matériel
de recherche, l’exposition devient une entité ambiguë incorporant
ses propres discours, idées et traditions qui, ensemble, génèrent une
signiication culturelle au il du temps. »17 Aussi, bien que l’on puisse
avancer l’idée que les méthodes de mise en exposition résultent
du croisement de techniques partagées avec différents domaines
– décoration, vente, spectacle, communication, pédagogie… –, il ne
faut pas oublier qu’au sein du monde muséal elles se sont même
imaginées « en tant que science, avec ses règles et ses lois. »18
Du reste, la plupart des théoriciens qui se sont penchés sur l’exposition lui ont reconnu un caractère discursif. En tant que telle, on
doit considérer la mise en place d’une grammaire qui lui est propre :
l’exposition se distingue de la plupart des autres formes de langage
par sa capacité à les englober et à les organiser dans l’espace. Elle
est, par essence, polysensorielle, voire immersive pour le spectateur,
comme le constatait Jean Davallon : « L’exposition est un art du
temps et de l’étendue. Du temps parce que de l’étendue. Comme
un paysage ou une architecture, elle ‹ présente › si l’on peut dire,
des parties cachées. Je dois m’avancer, me déplacer, m’arrêter,
m’approcher, contourner, regarder, etc. Je dois développer toute
une série d’activités diverses qui iniront par constituer un parcours,
un itinéraire, un voyage : ma visite. »19
Ces caractéristiques font que l’étude de l’exposition est dificilement
assimilable à un seul champ disciplinaire20 : elle appelle des approches
ouvertes qui mobilisent des savoirs et des expériences multiples.
Par contre, ces mêmes caractéristiques signent un rapprochement
avec les pratiques artistiques contemporaines que l’on rassemble
sous le terme « installation ». Cette idée que la pratique de l’exposition partage nombre de points communs avec celle de l’installation
artistique n’est d’ailleurs pas nouvelle, Michael Archer le notait
déjà dans les années 1990 : « l’installation, comme agencement de
choses dans l’environnement d’une galerie, concurrence et/ou
9
g 15 Catherine Perret écrit ainsi :
« L’exposition possède en effet
aujourd’hui le statut de ce que Michel
Foucault aurait appelé un « discours »
ou « un savoir », sous la forme d’un
territoire académique spéciique…».
Cf. « Malaise dans l’exposition ou
L’exposition en mal d’histoire », in
Elisabeth CAILLET, Catherine PERRET
(éd.), L’art contemporain et son exposition (2),
Paris, L’Harmattan, 2007, p. 186.
g 16 Le terme «expograhie», qu’André
Desvallées avançait en 1993 pour
désigner le « savoir-faire de l’exposition », ne s’est pas encore imposé,
même si son usage se multiplie.
Cf. André DESVALLÉES, « L’expression
muséographique. Introduction »,
in Claude BADET, Jacqueline
KERVEILLANT (éd.), Rencontres
européennes des musées d’ethnographie. Actes
des premières rencontres des musées d’ethnographie, (Paris, Musée national des
Arts et Traditions populaires, Ecole
du Louvre, 22-24 février 1993), Paris,
Musée national des Arts et Traditions
populaires, Ecole du Louvre, 1996,
p. 174. g 17 Thordis ARRHENIUS,
« Place and Displacement : Exhibiting
Architecture », in Thordis ARRHENIUS,
et al. (éd.), op. cit. p. 8 : « As research
material, the exhibition becomes an
ambiguous entity incorporating its
own discourse, ideas, and traditions
that collectively generate cultural
meaning over time. » g 18 La Muséographie à l’Exposition internationale de 1937.
Groupe I, classe III, musées et expositions.
Section I. Muséographie, numéro spécial
de L’Amour de l’Art, n° 6, 1937, p. 1. Voir
à ce sujet : François MAIRESSE, Le
Musée Temple Spectaculaire. Une histoire
du projet muséal, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, p. 69-75.g 19 Jean
DAVALLON, « Gestes de mise en
exposition », Jean DAVALLON (éd.),
Claquemurer, pour ainsi dire, tout l’univers :
la mise en exposition, Paris, CCI-Centre
Pompidou, 1986 ;
cité d’après idem, L’exposition à l’œuvre.
Stratégies de communication et médiation
symbolique, Paris, L’harmattan, 1999,
p. 171-172. g 20 Sans prétendre
à l’émergence d’une nouvelle
discipline, le terme « expologie » se
rencontre dans le domaine de la
muséologie. Voir: André DESVALLÉES,
François MAIRESSE (éd.), Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris,
Armand Colin, 2011, p. 158-163 :
« Éléments d’expologie ».
g 21 Michael ARCHER, « Musée »,
in Nicolas De OLIVEIRA, Nicola
OXLEY, Michael PETRY (éd.),
Installations : l’art en situation, Paris,
Thames & Hudson, 1997 [1994
édition originale], p. 124.
g 22 Kristin FEIREISS (éd.), The Art
of Architecture Exhibitions, Rotterdam,
NAi Publishers, 2001.g 23 Kristin
FEIREISS, « Introduction – It’s
not about art », in idem, p. 10-11 :
« installation », « sculpture »,
« architectural building », « show ».
Cette confusion était déjà notable
dans Installations : l’art en situation,
où le travail Line of Fire (1988,
centre d’Art contemporain de
Genève) de Daniel Libeskind était
présenté, non comme celui d’un
architecte, mais comme celui d’un
artiste producteur d’installations :
voir Nicolas De OLIVEIRA, et al.
(éd.), op. cit., p. 164.
g 24 Kristin FEIREISS, ibidem :
« a new genre ».g 25 Hani RASHID,
« Installing Space », in Kristin
FEIREISS (éd.), op. cit., p. 37 : « An
interesting tendency in contemporary installation work by architects
is a blurring between building and
art. » g 26 Sylvia LAVIN, « Showing
Work », Log, n° 20, automne 2010,
« Curating Architecture », p. 9 :
« the architectural exhibit encroaches
on the territory of social and relational art, installation, site-speciic
work, and of course architecture
itself. » g 27 Jean-Marc POINSOT,
Quand l’œuvre a lieu. L’art exposé et
ses récits autorisés, Genève, Musée
d’Art Moderne et Contemporain,
Dijon, Les presses du réel, 2008
[1999], p. 29.
FRÉDÉRIC HERBIN
interfère avec l’activité consistant à organiser l’exposition. » 21 Dans
le cas de l’exposition d’architecture, cette contiguïté, qui peut aller
jusqu’à une forme d’indistinction, apparaissait à travers un usage
extensif du terme « installation » dans l’ouvrage fondateur The Art of
Architecture Exhibitions, dirigé par Kristin Feireiss22. Quand celle-ci
évoquait Beyond the Wall, 26.36°, l’intervention que l’architecte Daniel
Libeskind réalisait en 1997 au sein du Netherlands Architectuurinstituut, elle avait alternativement recours aux termes « installation »,
« sculpture », « construction architecturale » ou « exposition »23.
Kristin Feireiss faisait alors le constat d’une pratique hybride – un
« nouveau genre »24 – qui brouillait les frontières entre installation
artistique, architecture et exposition. Dans ce même volume, Hani
Rashid, architecte fondateur de l’agence d’architecture Asymptote,
marquait son engouement pour cette forme d’intermédialité, dont
la mise en œuvre n’a cessé de se multiplier depuis : « une tendance
intéressante dans le travail d’installation actuel mené par les
architectes est le lou entre construction et art. »25 En effet, presque
dix ans plus tard, cette nouveauté n’en est plus une : pour Sylvia
Lavin, « l’expôt architectural empiète sur le territoire de l’art social
et relationnel, de l’installation, du travail in situ et bien sûr sur celui
de l’architecture elle-même. » 26
Le constat de cette évolution nous a amené à revendiquer la
nécessité d’une prise en compte des pratiques artistiques contemporaines pour aborder l’exposition. Les artistes nous semblent même
faire partie des premiers contributeurs à une rélexion sur ce sujet.
Les recherches de Jean-Marc Poinsot l’ont montré, « les artistes
ont très généralement intégré dans leur prestation esthétique les
composantes du cadre muséal et d’exposition »27 – donc travaillé ces
données – avant que les chercheurs ne les prennent en considération.
Ainsi, pour aborder la monstration de l’architecture, nous avons
aussi envisagé – sans restriction – les démarches artistiques qui
mettent en scène, attirent l’attention ou déclenchent une rélexion
sur l’architecture, ses enjeux, son histoire et son devenir. De cette
manière, les stratégies et les méthodes utilisées par les artistes
sont venues informer notre enquête sur la mise en vue de l’architecture,
au même titre que les gestes auxquels on attribue plus volontiers
le qualiicatif « curatorial ». Pour autant, il ne s’agissait pas de
déplacer le problème et d’enfermer l’analyse dans d’autres schémas,
cette fois, propres à l’art contemporain. Notre collaboration avec
des institutions productrices d’expositions nous y aidant, en plus des
artistes, nous avons voulu compter les conservateurs, les chargés
d’exposition, les scénographes, les commissaires d’exposition, les
spécialistes des sciences de la communication, etc., comme autant
d’interlocuteurs incontournables pour penser l’exposition. C’est à
travers cette résolution à diversiier les regards et les compétences,
que nous avons cherché à favoriser de nouvelles approches sur
l’exposition d’architecture et contribué à ouvrir ce champ de
recherche au-delà des limites qui le déinissent parfois encore.
FRÉDÉRIC HERBIN
10
UN CHAMP ÉLARGI DE L’EXPOSITION
Si l’on comprend l’architecture comme ce qui s’inscrit sur un axe
théorique allant de la construction fonctionnelle à l’idée – c’est-à-dire
du bâti au non-bâti – il a trop souvent été considéré que l’exposition
ne pouvait englober que ce qui se trouve à la seconde extrémité de
cet axe : le projet, la représentation. Cette conception, qui va de pair
avec le topos d’une architecture obligatoirement absente du lieu de
sa monstration28, ne tient que par un retranchement de l’exposition
sur sa dimension muséale traditionnelle. Qu’au sein du musée, les
expositions de natures documentaire, informative ou scientiique
s’emploient, la plupart du temps, à témoigner d’une situation qui
n’est pas matériellement présente, est évident. Mais, face aux évolutions qu’a connues l’exposition d’architecture, notamment à travers
la généralisation de pratiques de type « installation » qui brouillent,
à la fois les frontières entre les différents arts et la linéarité d’un
partage bâti/non-bâti, la situation muséale nous semble loin de
régler l’ensemble de la question. Les contributions rassemblées
dans cet ouvrage le montrent, parfois, l’exposition d’architecture
excède le territoire du musée, comme celui de la totalité les institutions qui lui sont dédiées. Elle n’est pas non plus réductible à la
seule prise en charge des dimensions projectuelle et documentaire
de la construction. Cette distinction/distance, qui semblait infranchissable, entre le bâtiment existant et l’exposition de documents
le représentant doit être dépassée. En effet, mettant l’accent sur
des formes à chaque fois particulières, voire restrictives, de ce que
peuvent être l’architecture et sa monstration – précisément celles
qui apparaissent comme étant les plus éloignées – cette distinction
n’a pas seulement incarné l’hypostase de la rélexion sur l’architecture
exposée, elle a fait écran à la reconnaissance et à l’analyse de
multiples autres situations.
Adoptant une position inverse, ce livre engage la prise en compte
d’un champ élargi de l’exposition d’architecture29. La maquette et
le dessin d’architecture, que l’on rencontre logiquement dans les
vitrines ou sur les cimaises des institutions qui les conservent,
y ont leur place, mais la construction aussi, qu’elle se développe à
l’intérieur de ce qu’on considère habituellement comme un espace
d’exposition ou qu’elle existe au sein-même du tissu urbain. Ces
différentes situations ne s’excluent pas. Au contraire, elles délimitent
un terrain relativement large, qui n’est autre que celui sur lequel
la question de l’exposition d’architecture se déploie. Les « objets »
architecturaux, quels que soient leur nature, leur dimension ou leur
contexte, ne s’y distinguent pas par leur capacité ou non à appartenir
à l’exposition, mais en ce qu’ils impliquent divers gestes de mise en
vue qui informent la pratique de l’exposition. Notre axe bâti/non-bâti
doit donc être doublé d’un second qui comprend l’exposition comme
la gamme de ces gestes. Quand l’architecture se matérialise dans
une construction fonctionnelle, l’exposition ne peut plus l’englober,
elle se réduit à son expression la plus simple : elle conduit le regard
vers l’architecture. À l’inverse, lorsque l’architecture prend la
forme du dessin, de l’archive ou de la maquette, l’exposition se fait
11
g 28 Voir : Marie Élizabeth
LABERGE, « Communiquer l’architecture par le média exposition »,
MediaTropes, vol. III, n° 2, 2012, p. 84.
[En ligne] www.mediatropes.com/
index.php/Mediatropes/article/
view/16897/13887
g 29 Le modèle d’analyse
proposé par Rosalind Krauss
(« La sculpture dans le champ
élargi », in Rosalind KRAUSS,
L’originalité de l’avant-garde et autres
mythes modernistes, Paris, Macula,
1993, p. 111-127.) a déjà été
convoqué au sujet de l’exposition d’architecture. Cf. Catherine
DAVID, « Architecture in the
Expanded Field », in Kristin
FEIREISS (éd.), op. cit., p. 58-64
et Eszter STEIERHOFFER,
« The Exhibitionary Complex of
Architecture », Oase, n° 88, octobre
2012, « Exhibitions. Showing and
Producing Architecture », p. 5-11.
Voir également le texte
d’Emmanuelle Chiappone-Piriou
dans cet ouvrage : infra, p. 58-66.
Pour nous, il s’agit surtout d’en
retenir la capacité à établir une
structure de compréhension qui
ne soit pas entièrement soumise
à un impératif d’historicisation.
g 30 Il faut se rappeler le discours
que Françoise Choay relevait déjà
dans le Bulletin du ministère de la
culture de janvier 1988 : « le lieu
muséal est devenu le « geste
architectural » par excellence de
notre époque. « Les musées se
visitent comme des monuments.
L’écrin est un objet à voir comme
un joyau. ». Françoise CHOAY,
L’allégorie du patrimoine, Paris,
Seuil, 1992, p. 245.
g 31 Hubert DAMISCH, « L’architecture, au musée ? », Les Cahiers
du Musée national d’art moderne,
n° 42, hiver 1992, p. 72.
g 32 L’exposition eut lieu du 10
février au 23 mars. Philip Johnson
et Henry-Russell Hitchcock
en était les commissaires.
Voir : Terence RILEY, The International Style: Exhibition 15 and the
Museum of Modern Art, cat. expo.
(New York, Arthur Ross Architectural Gallery, 9 mars – 2 mai 1992),
New York, Rizzoli International,
1992.
FRÉDÉRIC HERBIN
contenant et devient un milieu que l’on peut entièrement modeler et
maîtriser : architecture autour des architectures. C’est à l’exploration
du champ élargi que dessinent ces deux axes complémentaires que
s’atèle cet ouvrage.
L’ARCHITECTURE EXPOSÉE DANS SON PÉRIMÈTRE DÉDIÉ
Les textes rassemblés dans cette première section abordent la
situation telle qu’elle s’est développée au sein des lieux spécialisés
dans la monstration de l’architecture. Ils interrogent les rapports
(de forces) qui s’y établissent entre la représentation architecturale,
l’institution qui la « produit » devant les spectateurs et l’architecture
en tant que domaine professionnel et théorique spécialisé. Comme
l’explique Pierre Chabard (« Ce que l’exposition fait à l’architecture :
le cas du CCI dans les années 1980 »), la prise en charge de l’architecture par l’institution muséale a consacré son entrée dans le champ
culturel. Dans le même mouvement, l’exposition s’est imposée
comme un vecteur privilégié de médiation, voire de construction,
de l’histoire de l’architecture et elle a contribué à autonomiser
les « images d’architecture », devenus objets culturels et bientôt
marchands. D’une certaine manière, l’exposition « Chefs-d’œuvre ? »,
présentée au Centre Pompidou-Metz entre mai 2010 et septembre
2011, marque l’aboutissement de cette trajectoire : l’architecture,
via la maquette ou le dessin, y est portée au plus haut degré de la
hiérarchie culturelle. Marie Civil (« Le musée exposé : mise en espace
de l’histoire muséale ») proite de cette occasion pour souligner
le « statut paradigmatique » de l’architecture du musée30. En effet,
parmi les programmes architecturaux qui peuvent être montrés
par l’institution, celui du musée est l’un des plus intéressants pour
observer comment l’exposition entremêle écriture de l’histoire de
l’architecture et légitimation des objets qu’elle contient – et qui la
contiennent, en l’occurrence. À ce sujet, Hubert Damisch avait déjà
conclu que l’institution « attend, en retour, de l’architecture que
celle-ci non seulement lui procure les espaces dont elle a besoin,
mais encore qu’elle conforte l’image que le musée entend donner
de lui-même. »31
Plus tôt, nous avons noté que l’exposition revêt un caractère
discursif ; ces exemples le montrent, l’énonciation qu’elle incarne
n’est évidemment pas neutre. Non seulement elle découle d’une
intention, mais, de plus, elle agit sur les objets qu’elle convoque.
Cette seconde partie du mécanisme n’est que plus opérante à
mesure que le capital symbolique de l’institution qui lui sert de cadre
est important. Aussi, avec la multiplication des lieux consacrés à
l’exposition de l’architecture, c’est leur capacité à « produire » les
objets marquants de l’histoire de l’architecture qui va déinitivement
les inscrire comme d’incontournables acteurs des débats à ce sujet.
En remontant dans la chronologie, on sait bien que c’est depuis l’exposition du Museum Of Modern Art en 1932, « Modern Architecture :
International Exhibition »32, qu’à la suite des expériences des
avant-gardes, les institutions se sont emparées de la monstration
pour en faire l’un des véhicules du discours architectural. En effet,
FRÉDÉRIC HERBIN
12
quel qu’en soit le degré d’aboutissement, l’exposition a cet avantage
de donner à voir – parfois à vivre – une matérialisation de ce discours.
Dans les exemples qu’étudient Stéphanie Dadour et Léa-Catherine
Szacka (« L’exposition comme vecteur de changement de paradigme :
les cas de la Biennale d’architecture de Venise (1980) et de l’exposition ‹ House Rules › (1994) »), cette capacité de l’exposition à faire
image, lieu et date tend à bouleverser la hiérarchie qui plaçait le support écrit comme le meilleur médiateur de la théorie architecturale.
Dans les deux cas, l’exposition se fait chambre d’écho des débats
et recherches qui animent le champ architectural à des moments
charnières de son évolution : remise en cause de la norme par le
postmodernisme en 1980, puis à l’aune des questions identitaires en
1994. Surtout, l’exposition s’impose alors comme le moyen de faire
coïncider théorie et pratique dans un même lieu parce qu’elle devient
le moteur d’une production architecturale. Avec la Biennale de 1980
et « House Rules », il ne s’agit plus seulement de montrer des représentations qui préexistent au projet de l’exposition, mais de répondre
aux sollicitations du commissaire et de l’institution, qui se font aussi
commanditaires pour l’occasion. De ce point de vue, la « Strada
Novissima » marque une étape importante puisqu’elle déplace au
sein d’un espace d’exposition qui la contient, ce qui ne s’était vu
qu’à l’échelle de la ville, notamment avec la « rue des nations » lors
de l’Exposition Universelle de 1878 à Paris33. L’architecture produite
matérialise une rue qui est à la fois contenu de l’exposition, mais
également structure et parcours de celle-ci. À ce stade, l’absence
complète du bâti, par laquelle on a cru pouvoir caractériser l’exposition d’architecture, est déjà outrepassée. Cependant, on peut encore
s’interroger sur la nature de cette construction. S’agit-il d’une architecture – qui existe pour elle-même – ou seulement d’une expression
architecturée de l’exposition – qui fusionne judicieusement contenu
et contenant ? En tout cas, l’exposition se révèle comme un potentiel
site de matérialisation pour l’architecture, même à taille réelle.
Mais peut-elle être pareillement le théâtre de son élaboration, voire
de sa construction ?
L’ARCHITECTURE EXPOSÉE DANS SON PROCESSUS
Parmi les arguments utilisés pour discuter du bien-fondé de créer
des musées d’architecture, il en est un qui se distingue par la
résonance qu’il trouve dans les expositions d’architecture les plus
récentes : la nécessité de rendre visible le processus d’élaboration
de l’architecture. Ainsi, l’exemple du musée dit « de l’œuvre ou de
la fabrique » évoqué dans l’éditorial de la revue de l’art en 198134,
puis par Hubert Damisch35 et Fabienne Couvert36, semblait se proposer comme l’anti-modèle d’une institution muséale qui se tient à
distance du bâti. Il s’agissait de renouer le contact avec la dimension constructive de l’architecture, tout en échappant au caractère
iconique de l’édiice apparaissant en totalité. Si ce modèle paraît
dépassé face aux évolutions qu’a connu la création architecturale
depuis les années 1990, notamment par l’intermédiaire des progrès
énormes de l’outil informatique, il semble toutefois que l’idée de
13
g 33 Il faut rappeler les propos des
témoins de l’époque : « Jusqu’alors
l’architecture ne s’était jamais
trouvé représentée dans les
expositions que par des dessins ;
quelquefois, mais rarement, par
de petits modèles en relief. Pour
la première fois elle igurait, en
1867, avec des constructions,
véritables spécimens […] de
chacun des pays dont ils étaient
originaires. C’est là l’une des
innovations les plus heureuses,
car elle donnait l’expression de
toutes les formes connues de la
construction. » Alfred NORMAND,
L’architecture des nations étrangères :
étude sur les principales constructions
du parc à l’exposition universelle de Paris
(1867), Paris, A. Morel, 1870, p. 1.
g 34 « Les Musées d’architecture »,
art. cit., p. 5.
g 35 Hubert DAMISCH, art. cit.,
p. 73. g 36 Fabienne COUVERT,
Exposer l’architecture – le musée d’architecture en question, Rome, Diagonale,
1997, p. 38.
g 37 C’était également l’idée
que la revue Oase mettait en
avant avec son numéro thématique.
Cf. Véronique PATTEEUW, Tom
VANDEPUTTE, Christophe VAN
GERREWEY, « The exhibition as
Productive Space », Oase, n° 88,
op. cit., p. 1-4.
FRÉDÉRIC HERBIN
faire de l’exposition autre chose que le médiateur d’une construction
terminée soit plus que jamais d’actualité ; les contributions de cette
seconde section en témoignent.
À ce titre, l’étude de l’évolution des monstrations qui ont eu
lieu au Centre canadien d’architecture, menée par Louise Pelletier
(« L’exposition d’architecture en mutation : le cas du Centre canadien
d’Architecture »), est très éclairante. L’exposition de Peter Eisenman
en 1994, « Les Cités de l’archéologie ictive », comme celle de Daniel
Libeskind au Netherlands Architectuurinstituut, y a marqué un tournant vers la création d’interventions spatiales d’une nature nouvelle
au sein de l’institution. En effet, l’enjeu n’était plus de produire un
bâtiment dans le bâtiment, mais de traduire spatialement « sa pensée
architecturale » par une forme qui brouillait les distinctions entre
scénographie, installation et construction. L’exposition devenait ainsi
le cadre d’une autre expression de la pratique architecturale, qui
permettait un exercice d’autorélexion par sa nature expérimentale.
Cet exemple, resté célèbre, constitue l’un des premiers jalons dans
la redéinition de la pratique de l’exposition comme l’espace-temps
d’une recherche architecturale en cours, dont la inalité n’est plus
seulement dirigée vers la production d’une construction fonctionnelle.
Ainsi, l’observation des expositions du CCA permet d’identiier de
nouveaux paradigmes qui viennent à la suite de celui de la fabrique :
par exemple, le « laboratoire » ou la « plateforme de discussion ».
S’écartant de la tradition muséale, l’exposition n’y montre plus
l’architecture comme objet/œuvre, avant tout inscrit dans un ordre
historico-esthétique, mais permet de toucher à toutes les dimensions
qui président à sa conception et, potentiellement, de la réinscrire
dans un rapport de proximité avec le spectateur et les débats
qui agitent la société.
Emmanuelle Chiappone-Piriou (« L’architecture in vivo. L’exposition comme espace d’expérimentation ») s’emploie à esquisser
les contours de ce nouvel état de l’exposition d’architecture. Son
analyse conirme la mobilisation de l’exposition comme lieu de
production de l’architecture et le changement qui s’opère dans
ce mécanisme : plutôt que de devenir le théâtre de l’érection de
bâtiments créés pour l’occasion – équivalents potentiels de ceux
que l’on rencontre à l’extérieur – l’exposition s’impose comme
particulièrement adaptée à l’expérimentation37. La monstration se
distingue alors davantage comme un potentiel maillon de la chaîne
d’élaboration de l’architecture, dont la qualité est la « suspension »
d’une partie des contraintes qui accompagnent la mise en fonction
d’une construction. Ce n’est plus la dimension discursive de la
monstration qui prime dans ce cas, mais sa capacité à accueillir une
architecture en train de se penser ou de se faire. Un déplacement
du geste curatorial en résulte : il devient accompagnement de la
production architecturale autant, voire plus, qu’il n’est mise en scène
de celle-ci. Ainsi, l’exposition s’impose comme l’espace privilégié où
l’architecture peut trouver les moyens d’une matérialisation qui ne
rime pas forcément avec les habituelles étapes de projection ou de
livraison.
FRÉDÉRIC HERBIN
14
Cette nouvelle condition de l’exposition accompagne un bouleversement de la discipline architecturale, dont l’impact sur les pratiques
reste encore à mesurer et à réfléchir. Marie-Ange Brayer
(« L’exposition d’architecture comme artefact critique ») s’y attache
en observant l’évolution des statuts et fonctions de la maquette.
Elle montre comment cet objet s’est progressivement émancipé du
référent bâti, en même temps que l’exposition. L’une et l’autre sont
sorties de la fonction de représentation où elles étaient traditionnellement cantonnées pour devenir des formes architecturales en
elles-mêmes, renversant ainsi les hiérarchies établies (bâti/non-bâti),
mais également les limites entre les disciplines. C’est en effet
au croisement entre art et architecture que ces formes prennent
place. Suivant ce raisonnement, l’architecture « computationnelle »
marque l’émergence d’un nouveau modèle de conception comme
lux ininterrompu. Chaque matérialisation – maquette, installation, exposition ou construction fonctionnelle – n’y serait plus que
l’expression provisoire d’un continuum créatif qui n’a pas d’aboutissement programmé. L’exposition, temporaire par essence, s’est
révélée un milieu particulièrement adapté à l’accueil et à la mise en
valeur de ces processus, rendant la temporalité habituelle du projet
architectural caduque. De la sorte, si la fabrique a laissé place au
laboratoire, il semble que l’exposition d’une architecture en train de
se faire puisse désormais se référer au fonctionnement du fab lab
(contraction de l’anglais fabrication laboratory) avec ses machines
à commande numérique, notamment la fameuse imprimante 3D.
Le témoignage de l’architecte Philippe Chiambaretta (« Exposer
l’architecture ») permet de se rendre compte de cette place particulière que l’exposition occupe, aujourd’hui, au sein de la pratique.
En effet, sa collaboration avec le Centre de Création Contemporaine
de Tours donne à voir le caractère continu d’une démarche architecturale où les différentes matérialisations trouvent de plus en plus
à s’exprimer dans le cadre d’une exposition. Son projet de façade,
pensé sans perspective de réalisation, se manifeste alternativement
sous forme de maquettes, d’images et d’installation interactive qui,
toutes, donnent lieu à des monstrations, en amont et en aval d’une
construction qu’elles vont inalement réussir à justiier. L’exemple
est intéressant en ce qu’il démontre encore que c’est bien par l’exposition que l’on accède au processus architectural : cette dimension
latente qui excède le bâtiment dans sa réalité statique et autonome.
Il faut aussi noter la compréhension extensive de l’exposition dont
fait preuve Philippe Chiambaretta quand il évoque sa collaboration
avec le photographe Jean-Philippe Mesguen. En effet, au sein de son
agence, la photographie intervient pareillement comme un moyen de
témoigner du faire architectural au-delà de « l’objet ini, sculptural
et iconique ». Toutefois, son rôle et son fonctionnement ne relèvent
pas uniquement de la documentation. N’appartenant pas au travail
de l’architecte et dépassant le seul rôle d’avoir à communiquer ce
dernier, cette pratique photographique afirme son statut artistique
propre et complexiie les visions historiques, systématiques et classiicatrices que le conservateur ou le commissaire peuvent développer
15
FRÉDÉRIC HERBIN
dans leurs expositions. En même temps qu’il montre le processus
architectural, cet objet plastique ouvre sur d’autres dimensions,
notamment narrative et subjective, qui laissent entrevoir le potentiel
apport des autres disciplines à l’exposition de l’architecture.
L’ARCHITECTURE EXPOSÉE AUX AUTRES DISCIPLINES
Les objets, œuvres, analysés dans cette troisième section mettent
en jeu l’exposition d’architecture sans toutefois appartenir et se
résumer entièrement à cette pratique. En effet, bien qu’elles participent à la mise en vue de l’architecture, les réalisations évoquées
ne lui sont pas complètement dévouées – dans le sens où elles
ne disparaissent pas derrière celle-ci. D’abord, elles résultent de
démarches créatives (photographie, installation, plan-relief) qui
ont une part d’autonomie par rapport à ce domaine. Ensuite, parce
qu’elles ne nient pas la subjectivité du regard qu’elles portent sur
l’architecture, ces réalisations dépassent les attentes traditionnelles
de représentation, de témoignage ou de démonstration qu’appelle
son exposition. C’est précisément à partir de cette position tangentielle entre les disciplines, que ces objets, ces œuvres, informent
l’étude de l’exposition. S’intéresser à leurs modes d’actions, aux
artiices qu’ils développent pour évoquer l’architecture, c’est se
rappeler la nature de langage non neutre que revêt l’exposition
et s’armer d’outils rélexifs, voire critiques, pour mieux en démonter
et en comprendre les ressorts.
Roberto Gigliotti et Giaime Meloni (« Usages de l’image photographique dans l’acte d’exposer l’architecture ») explorent l’étendue
des emplois que l’on peut faire du médium photographique au sein
de l’exposition. Leur enquête les amène à identiier deux niveaux
d’intervention pour la photographie. En premier lieu, elle participe
à l’évocation du bâti au sein de l’exposition envisagée comme une
« ambiance immersive ». Dans ce cas, la photographie, souvent à
grande échelle, intervient comme le moyen de produire une expérience
perceptive proche de la réalité pour le spectateur. À l’inverse des
moyens de représentations conventionnels que sont le dessin et la
maquette, elle permet de (re)produire, de manière illusionniste, un
espace pratiquement identique à la construction originale. Malgré
sa nature plane, ce médium participe donc entièrement aux tentatives
de faire de l’exposition le lieu d’une rencontre sensible avec l’espace
architectural. En second lieu, la photographie se donne évidemment
comme contenu. Elle constitue, pour les deux chercheurs, un outil
privilégié de rélexivité sur l’architecture et sa perception. Ainsi,
il ne s’agit pas de mettre en avant son apparente objectivité, mais
au contraire d’en faire un objet d’investigation. La manière dont la
photographie s’est imposée comme un élément fortement façonnant
pour l’exercice du regard est l’un des enjeux que l’exposition investit.
Interrogeant son caractère de document, la monstration peut aussi
être le site d’une critique de l’image. Au inal, l’utilisation de la
photographie est symptomatique des questions que soulève
l’exposition d’architecture par rapport au réel. Elle démontre que la
distinction bâti/non-bâti ne tient pas au lieu où se produit l’expérience
FRÉDÉRIC HERBIN
16
perceptive que l’on fait de l’architecture puisque la revendication
d’un contact direct – pur – avec le bâtiment tient presque du fantasme,
tant notre regard est (dé)formé par l’image. De ce point de vue,
l’exposition, grâce à la photographie, semble capable d’accomplir
une démonstration critique que l’architecture peut dificilement
mener par ses propres moyens.
Dans le cas de l’installation, Utopia Bianca, de Christophe
Berdaguer et Marie Péjus, ce n’est pas cette force de l’image qui
compte, mais sa quasi-absence. L’œuvre évoque un projet architectural, le phalanstère, qui n’a jamais connu de réalisation complète.
Comme le rappelle Florent Perrier (« Utopia Bianca de Berdaguer
& Péjus ou le phalanstère membre fantôme »), malgré sa notoriété
certaine, le projet imaginé par Charles Fourrier n’existe pratiquement
que par l’écriture. L’installation intervient donc pour donner matière
à ce qui n’en a pas dans la réalité. Toutefois, les artistes se refusent
à ixer la forme de cette architecture. En lieu et place d’une construction ou du recours aux outils traditionnels de représentation de la
discipline, ils rassemblent des modèles réduits du mobilier nécessaire
à un phalanstère de 400 familles. De ce fait, ils associent une autre
utopie politique à celle de Fourrier : le mobilier qu’ils ont choisi de
reproduire a été conçu par Enzo Mari, dans les années 1970, comme
une alternative « do it yourself » au marché. Recouverts de voiles de
PVC, les meubles entassés sont en attentes d’une activation de
l’utopie et pointent l’absence du bâti. On comprend bien avec le texte
consacré, ici, à Utopia Bianca, que l’œuvre fait de cette absence une
condition même de sa capacité à évoquer l’utopie du phalanstère.
Le fait de ne convoquer l’architecture, ni en elle-même, ni pour ellemême, ébranle l’habitude de l’exposition de focaliser le regard sur
des formes ixées, ne serait-ce que pour un temps. Par contre, Utopia
Bianca souligne la possibilité que l’exposition devienne pleinement
un espace de rencontre, sensible et mouvant, avec une pensée plus
qu’avec les objets qu’elle a produits.
C’est également ce que Manuel Royo (« La ‹ précession des simulacres › ou Rome ‹ comme si vous étiez › : le plan-relief de Paul Bigot
substitut d’un discours historique sur l’espace urbain ») décèle derrière l’imposant objet que constitue le plan-relief de Rome de Paul
Bigot. Envisagée au prisme de la notion de simulacre, la maquette
historique de l’architecte apparaît comme une entreprise qui déie
la réalité : elle n’est pas seulement sa représentation, mais tend à
en créer une autre tout aussi vraisemblable. Fusionnant les strates
historiques qui ont contribué à l’édiication de la ville, la Rome
miniature de Bigot livre une vision idéale de l’espace urbain qui
relève de la iction. Mais le degré d’élaboration de cette iction
fait qu’elle le dispute à la réalité des vestiges visibles. C’est toute
l’ambiguïté du modèle réduit, de la maquette, qui transparaît avec
cet exemple : la représentation y rend réel quelque chose qui n’a pas
obligatoirement été, qui n’est pas ou plus et qui ne sera jamais hors
du simulacre. Partant, l’architecture et la ville réduites ne peuvent
pas être considérées seulement comme des documents qui se
contentent de reproduire, il faut les envisager comme les supports
17
g 38 Voir à ce sujet : Laurent
JEANPIERRE, « La dialectique
de l’art et de l’exposition » et
Christian BESSON « Pour une
anthropologie de la montre »,
artpress2, n° 36, « Les expositions
à l’ère de leur reproductibilité »,
février/mars/avril 2015, p. 15-20
et p. 21-28.
FRÉDÉRIC HERBIN
ou les produits d’une élaboration intellectuelle qu’ils contribuent
à imposer. Encore une fois, il s’agit donc d’interroger l’architecture
exposée dans son rapport à un hypothétique référent construit
(réel) ; un rapport qui ne repose déinitivement pas sur un schéma
d’opposition ou d’exclusion entre ces deux termes, mais qui s’avère
bien plus complexe et riche lorsque l’on se risque hors du champ
stricte de l’exposition d’architecture.
L’ARCHITECTURE EXPOSÉE EN/HORS CONTEXTE
Tout comme la question de l’exposition d’architecture ne se limite
pas aux pratiques propres à cette discipline, elle ne se cantonne
pas aux lieux qui lui sont dédiés, ni même, plus généralement, à tous
ceux qui sont consacrés à la monstration de formes artistiques. Il est
aujourd’hui nécessaire de sortir hors du périmètre que l’on considère
traditionnellement – mais de manière restrictive – comme étant le
contexte où l’exposition a lieu pour mener plus avant son étude38.
Les contributions rassemblées dans cette dernière section se
proposent donc d’envisager une géographie étendue de l’architecture
exposée, où les institutions qui ont pour mission de la montrer ne
disparaissent évidemment pas, mais s’inscrivent comme un contexte
possible parmi d’autres. De ce point de vue, l’exemple de la maison
préfabriquée, étudié par Caroline Bougourd (« La maison préfabriquée :
un objet idéal à exposer ? »), est presque emblématique. De manière
ambiguë, elle incarne à la fois un programme architectural propice
aux expérimentations prospectives, souvent sans lendemain, et le
devenir objet de consommation d’une construction standardisée et
produite en masse. Ainsi, elle montre deux importants visages de
l’architecture médiatisée par l’exposition : le programme commercial
que l’on doit communiquer largement et sa reconnaissance possible
en tant que référence historique que l’on patrimonialise. Par conséquent, au cours de son histoire, on trouve la maison préfabriquée
exposée aussi bien lors de biennales artistiques, que lors de foires
et de salons internationaux, dans des musées tout autant que dans
des magasins ou même un parc d’attraction. Si l’objet en lui-même
se modiie peu, par contre, on comprend aisément que ces contextes
le dénotent différemment. Etant donnée cette circulation, faire
l’analyse ou l’histoire de l’exposition signiie d’obligatoirement
prendre en compte ces multiples situations. On ne peut se contenter
d’envisager l’architecture exposée dans les institutions dédiées
à cette fonction, pas plus que dans des contextes artistique ou
scientiique plus larges parce que le cadre y est souvent le même.
Les limites qui circonscrivent traditionnellement cet objet d’étude
ne tiennent d’ailleurs pas longtemps à l’évocation de cas comme
le chantier d’expérimentation de Noisy-le-Sec : conçue comme une
solution d’urgence pendant la période de reconstruction après la
Seconde Guerre Mondiale, la maison préfabriquée s’y expose bien,
mais construite et en usage. Les enjeux de la monstration sont indéniablement présents – les habitations sont régulièrement ouvertes
aux visiteurs et servent la propagande pour l’action de l’Etat – même
si le cadre institutionnalisé de l’exposition est absent.
FRÉDÉRIC HERBIN
18
La perspective d’une architecture mise en exposition, mais bâtie,
en fonction, au sein de la ville – on pourrait oser l’expression « en
contexte » – mérite d’être envisagée 39. Plusieurs chercheurs ont
déjà posés des jalons qui vont dans ce sens. Par exemple, il faut
rappeler l’analogie que Jean Davallon pose entre l’exposition et le
circuit culturel 40. Si l’objectif de son étude dépasse cette question,
elle permet de considérer l’expérience d’un parcours aménagé
dans la ville comme relativement semblable à celle que l’on fait lors
d’une visite d’exposition. En effet, hors des institutions dédiées à
l’exposition, Jean Davallon montre que le visiteur peut tout de même
suivre une déambulation dirigée qui vise à produire du sens pour
celui-ci. Toutefois, c’est plus récemment qu’on a cherché à explorer
les potentialités du rapport entre ville et exposition. Pour Sarah
Chaplin et Alexandra Stara, l’enjeu est d’envisager l’espace urbain
à nouveaux frais : « Approcher la ville comme une collection devant
être curatée [curated signiie à la fois exposé et conservé], que ce
soit par des représentations ou in situ, ouvre de nouvelles possibilités pour explorer et enrichir le tissu urbain et la condition urbaine
dans son ensemble. » 41 Pour nous, il s’agit de pointer et d’analyser
les différents gestes de mise en vue, et ce, quels que soient l’échelle,
le lieu ou le statut de l’architecture qu’on expose.
La question de l’éclairage appartient à la gamme de ces gestes
que l’on peut observer à travers des allers-retours entre l’exposition
traditionnelle et l’espace de la ville, voire celui d’un territoire national.
De la sorte, Eric Monin (« L’architecture surexposée ») révèle le
point de rencontre que constitue l’Exposition internationale des arts
et techniques dans la vie moderne, organisée à Paris en 1937. Cet
événement donne lieu à une démonstration des possibilités techniques
de l’éclairage électrique autant en terme de muséographie que
d’illumination de bâtiments. En effet, c’est à cette occasion que les
techniques d’exposition s’exposent pour la première fois en tant
que telles et que l’ambition d’un « maillage lumineux du territoire »
se met en œuvre. La maîtrise que montre alors ces deux pratiques
trouve ses racines dans les expérimentations menées pour les
besoins de l’éclairage commercial et des grandes expositions internationales, soulignant, une fois encore, le besoin d’envisager une
généalogie plus vaste que celle du musée. Mais, dans un cas comme
dans l’autre, la volonté est indubitablement la même : exalter l’objet
que l’on expose. On le comprend, les bâtiments éclairés ne peuvent
être compris comme de simples équivalents nocturnes de ce que l’on
voit à la lumière du jour. La mise en lumière relève d’une véritable
opération de mise en vue : elle oriente, concentre, voire change, le
regard que l’on pose sur l’architecture tout comme le fait une monstration dans un lieu consacré à cette fonction. Il n’y a donc qu’un pas
à faire pour considérer le Tour de France de la Lumière organisé par
la Compagnie des Lampes Mazda en 1937, comme l’un des exemples
les plus marquants de l’histoire des expositions d’architecture.
L’œuvre de Peter Greenaway ouvre à de pareils questionnements 42.
Sun Jung Yeo (« Maquettes, dessins, cartes : exposition de l’architecture chez Peter Greenaway ») étudie les dispositifs d’exposition de
19
g 39 Voir à ce propos : Fabienne
COUVERT, op. cit., p. 88-91.
g 40 Jean DAVALLON, L’exposition
à l’œuvre. Stratégies de communication
et médiation symbolique, op. cit.,
p. 145-155. g 41 « Introduction »,
in Sarah CHAPLIN, Alexandra
STARA (éd.), Curating Architecture
and the City, op. cit., p. 2 :
« Approaching the city as a collection
to be curated, whether through
representations or in situ, opens up
new possibilities for exploring and
enriching the urban fabric and the
urban condition as a whole. »
g 42 Elle était déjà évoquée
dans Fabienne COUVERT, op. cit.,
p. 90.
g 43 Jérôme GLICENSTEIN,
« Quelques questions posées
par l’histoire de l’exposition »,
artpress2, n° 36, op. cit., p. 8-14.
g 44 Idem, p. 11.
FRÉDÉRIC HERBIN
l’architecture que l’artiste développe à la fois dans le ilm Le ventre
de l’architecte et lors de l’installation urbaine The Stairs : Genève,
le cadrage. Le passage de la pellicule à l’espace de la ville marque
une continuité certaine puisque, dans les deux cas, la démarche du
réalisateur conduit le regard sur l’architecture à travers l’imposition
d’un cadrage. Ainsi, les chambres optiques du peintre Canaletto
et le plan de Rome de Giambattista Nolli, présentés dans l’exposition de l’œuvre de l’architecte Étienne-Louis Boullée autour de
laquelle se noue la narration du ilm, trouvent un écho direct dans
les éléments mis en œuvre pour l’installation de Genève. Cette
dernière, s’inscrivant dans une entreprise de questionnement sur les
constituants du cinéma, dispose une centaine d’escaliers surmontés
d’un viseur dans la ville ; architectures légères incarnant un état
« post-cinématographique » du cadrage. Localisés sur un plan de
la ville, les escaliers induisent un parcours ponctué de stases qui
réintègre le spectateur dans une corporéité et une temporalité qui
s’oublient dans une salle de cinéma. Reposant sur le visuel, mais
incorporant une déambulation physique et contextuelle dans la ville,
The Stairs : Genève, le cadrage dépasse donc les limites de l’architecture montrée par le ilm en ayant recours aux qualités du parcours ou
de l’exposition. Mais, on le constate, sortir de la salle de cinéma, tout
comme du cadre institutionnalisé de l’exposition, n’implique pas de
rupture dans les ressorts de la mise en vue de l’architecture. À cette
extrémité du champ élargi de l’exposition, si l’architecture coïncide
avec le bâti, les gestes de mise en vue ne disparaissent pas pour
autant. Ils permettent encore de singulariser certains bâtiments,
voire certaines de leurs caractéristiques, contredisant ainsi l’idée
que hors de l’exposition on rencontrerait simplement l’architecture
« réelle » dans son contexte.
EN GUISE DE CONCLUSION D’OUVERTURE
Nous l’avons dit, les recherches sur l’exposition se multiplient et les
grandes lignes de son histoire sont en train d’être tracées. Pourtant,
les perspectives de ce champ d’étude demeurent incertaines.
Récemment, et de manière salutaire, Jérôme Glicenstein les questionnait 43. Il soulignait la dificulté à saisir cet objet qui induit autant
d’histoires possibles que les acteurs, les objets et les contextes qui
entrent en jeu dans sa réalisation. Dans ce domaine, l’entreprise
historique doit donc accepter d’être une « tâche incertaine, fragmentaire, lacunaire s’il en est »44. Cet ouvrage n’y échappe pas. Plutôt
que de prétendre construire une linéarité, il propose des jalons à
l’intérieur d’un schéma qui se fait souvent plus territorial que
temporel. Si quelques expositions, œuvres ou acteurs marquants
s’y distinguent, les études monographiques sur l’un de ces éléments
n’ont pas été privilégiées. La volonté d’établir une sorte de cartographie des positions à partir desquelles l’exposition d’architecture
peut être pensée, nous a conduit à privilégier les démarches
comparatives ou celles qui placent l’architecture au croisement
d’autres domaines. Il s’agit ainsi de révéler les évolutions, mais
aussi les circulations, que connaissent les objets exposés et leur
FRÉDÉRIC HERBIN
20
statut, les discours et les pratiques architecturales, de mêmes
que les techniques d’exposition, au sein d’un espace qui inclut
différentes institutions dédiées à l’architecture et à l’art, mais aussi
d’autres contextes : événementiels, commerciaux, urbains, etc.
Ces ouvertures ménagées hors du cadre traditionnel de l’exposition
d’architecture permettent d’éviter d’enfermer cet objet sur lui-même
pour, au contraire, afirmer sa nécessaire connexion avec la société
qui le produit. Toutefois, le périmètre dessiné appelle à inclure encore
quelques territoires restés négligés. La question des spectateurs,
par exemple, demeure trop absente des rélexions menées dans
cet ouvrage. Il est pareillement nécessaire d’étendre l’ère culturelle
étudiée, mais non pour seulement y rechercher l’assimilation d’une
conception occidentale de l’exposition d’architecture. Ce n’est
qu’en parcourant également ces pistes que l’on pourra prétendre
avoir établi la topographie de l’architecture exposée.
162
163
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE
Stéphane Doré
3
INTRODUCTION : L’ARCHITECTURE EXPOSÉE DANS SON CHAMP ÉLARGI
Frédéric Herbin
6
L’ARCHITECTURE EXPOSÉE DANS SON PÉRIMÈTRE DÉDIÉ
21
Ce que l’exposition fait à l’architecture : le cas du CCI dans les années 1980
Pierre Chabard
22
Le musée exposé : mise en espace de l’histoire muséale
Marie Civil
30
L’exposition comme vecteur de changement de paradigme : les cas de la
Biennale d’architecture de Venise (1980) et de l’exposition « House Rules » (1994)
Stéphanie Dadour, Léa-Catherine Szacka
38
L’ARCHITECTURE EXPOSÉE DANS SON PROCESSUS
47
L’exposition d’architecture en mutation : le cas du Centre Canadien d’Architecture
Louise Pelletier
48
L’architecture in vivo. L’exposition comme espace d’expérimentation
Emmanuelle Chiappone-Piriou
58
L’exposition d’architecture comme artefact critique
Marie-Ange Brayer
67
Exposer l’architecture
Philippe Chiambaretta
72
L’ARCHITECTURE EXPOSÉE AUX AUTRES DISCIPLINES
77
Usages de l’image photographique dans l’acte d’exposer l’architecture
Roberto Gigliotti, Giaime Meloni
78
Utopia Bianca de Berdaguer & Péjus ou le phalanstère membre fantôme
Florent Perrier
85
La « précession des simulacres » ou Rome « comme si vous étiez » : le plan-relief
de Paul Bigot substitut d’un discours historique sur l’espace urbain
Manuel Royo
93
L’ARCHITECTURE EXPOSÉE EN/HORS CONTEXTE
101
La maison préfabriquée : un objet idéal à exposer ?
Caroline Bougourd
102
L’architecture surexposée
Eric Monin
111
Maquettes, dessins, cartes : exposition de l’architecture chez Peter Greenaway
Sun Jung Yeo
120
L’OBJET DE L’EXPOSITION : L’ARCHITECTURE EXPOSÉE (ARCHIVES)
Séminaire 2012/2013
Séminaire 2013/2014
BIOGRAPHIES DES AUTEURS
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