Sylvain NICOLLE, chercheur-associé au CHCSC, UVSQ / Paris-Saclay. Ar cle paru dans Ridiculosa, n°30 (Caricature et chapeaux), 2023, p. 235-252.
La « chapellerie poli que » dans la caricature française au XIXe siècle. Réflexions sur trois
usages symboliques de couvre-chefs.
Une bou que dont l’enseigne indique « chapellerie poli que » : tel est le sujet central
d’une lithographie de Charles Vernier que le quo dien sa rique Le Charivari publie le 22 mars
1849 dans la série « Croquades poli ques ». À la droite du bou quier qui se ent assis devant
la porte sont exposés des « chapeaux reacs », et à sa gauche des « chapeaux
redemosoc [sic] », au premier rang desquels figure le chapeau tyrolien à large bord
caractéris que des gardiens de Paris1. Ce chapelier aux longs favoris, lui-même coiffé d’un
haut-de-forme orné de la cocarde tricolore, n’est autre que Louis-Philippe. Chassé du pouvoir
par la révolu on de février 1848, il ironise sur le cours sinueux des événements alors que le
procès chargé de juger les 17 accusés compromis dans la manifesta on du 15 mai 1848 se
ent devant la Haute Cour de jus ce réunie à Bourges (7 mars-3 avril 1849) : « J’ai bien fait
tout d’même de n’pas vendre aux chiffonniers mes vieux chapeaux d’sergens d’ville… ça va
resservir !... par exemple faut que j’ôte la poussière, il y a juste un an qu’ils ont été
brossés !... ». Cet art du recyclage et de la métamorphose pourrait-il se résumer dans la
formule lapidaire : dis-moi quel chapeau poli que tu portes, je te dirai qui tu es2 ? C’est un
immense sujet que l’on traitera ici modestement à travers trois usages symboliques de couvrechef dans la caricature française.
Quand le président se couvre : avis de tempête parlementaire !
Tous les règlements des assemblées législa ves du XIXe siècle encadrent
l’appren ssage mouvementé de la vie parlementaire. « Si la Chambre devient tumultueuse, et
si le Président ne peut la calmer, il se couvre. Si le trouble con nue, il annonce qu’il va
suspendre la séance ; si le calme ne se rétablit pas, il suspend la séance pendant une heure,
durant laquelle les membres de la Chambre se réunissent dans leurs bureaux respec fs.
L’heure expirée, la séance reprend de droit ». L’ar cle 25 du règlement de la Chambre des
députés du 25 juin 1814 établit sous la Restaura on un usage théorique seulement modifié à
la marge par la suite3, la durée de suspension étant abaissée à une demi-heure à l’Assemblée
na onale sous la Deuxième République ainsi qu’au début de la Troisième République entre
1871 et 1875. Ce e disposi on est appliquée de façon concrète à de nombreuses reprises pardelà les régimes poli ques et les lieux des débats4 mais il est difficile de la quan fier
précisément eu égard aux sources. Par défini on, les comptes-rendus officiels ou officieux des
débats dans les journaux ne perme ent jamais de connaître avec cer tude le déroulement
exact d’une séance.
Corps créé à la place des sergents de ville par le décret du 22 mars 1848. Les démocs-socs désignaient les
démocrates-socialistes ou montagnards dont Alexandre Ledru-Rollin était le chef de file.
2
Nous pastichons ici l’épigraphe « Dis-moi comment tu te coiffes, et je te dirai qui tu es » qui figure en tête d’un
ensemble de 32 dessins de couvre-chefs publiés sous le titre « Études sur les coiffures en 1848, par Bertall » dans
L’Illustration, journal universel, 25 novembre 1848.
3
Voir les sources dans Roger BONNARD, Les règlements des assemblées législatives de la France depuis 1789, Paris,
Société anonyme du recueil Sirey, 1926, pp. 223-224, 286, 312, 328, 341, 357-358, 423, 482.
4
Exemples concrets dans Noëlle DAUPHIN, « Le président Laîné et l’apprentissage du parlementarisme sous la
Restauration » in Jean GARRIGUES (dir.), Les présidents de l’Assemblée nationale de 1789 à nos jours, Paris,
Classiques Garnier, 2016, p. 21 (séance du 5 août 1814) ; Thomas BOUCHET, Noms d’oiseaux. L’insulte en politique
de la Restauration à nos jours, rééd, Paris, Le Livre de Poche, 2011.
1
1
Sylvain NICOLLE, chercheur-associé au CHCSC, UVSQ / Paris-Saclay. Ar cle paru dans Ridiculosa, n°30 (Caricature et chapeaux), 2023, p. 235-252.
Si la presse sa rique persifle ce rituel parlementaire dès la monarchie de Juillet5, il
semble bien que Daumier soit le premier caricaturiste à le représenter sous la Deuxième
République dans sa série poli que Physionomie de l’Assemblée.
Fig. 1 : Daumier, « Le chapeau du Président servant d’éteignoir à la discussion », Le Charivari, 18
décembre 1849.
André-Marie Dupin, président de l’Assemblée législa ve du 1er juin 1849 jusqu’au coup
d’État du 2 décembre 1851, est représenté debout au perchoir. Il vient de se couvrir sans
parvenir pour autant à me re un terme au tumulte déclenché par l’orateur à la tribune, en
l’occurrence Adolphe Thiers qui adopte la posture d’un capitan conservateur défiant les
représentants de la gauche. La légende-an phrase peut renvoyer en par culier à deux discours
du héraut du par de l’Ordre. Le 24 juillet 1849, Thiers avait provoqué un tumulte en défendant
le projet de loi restreignant la liberté de la presse : « Une longue agita on succède à son
discours. La séance reste suspendue dix minutes »6. Le 13 octobre suivant, la lecture de son
rapport sur le projet de loi rela f à des crédits extraordinaires pour jus fier l’expédi on de
Rome ayant rétabli le pape dans ses États provoque le même effet : « La séance est suspendue
pendant un quart d’heure »7. Dans les deux cas, les sténographes ne précisent pas si le
président Dupin se couvre mais l’hypothèse est fort probable. L’année suivante, le fameux
discours de Thiers dénonçant le 24 mai « la vile mul tude » pour jus fier le projet de loi
restreignant le suffrage universel (voté le 31 mai 1850) est interrompu à de nombreuses
reprises. Dupin ne se couvre pas mais s’adresse aux représentants qui siègent sur les bancs
élevés de la gauche : « Remarquez donc vos collègues se retourner pour vous demander le
silence ! M. Grévy vous le demande avec moi »8.
Voir par exemple l’article intitulé « Mythes constitutionnels. Le chapeau du président de la Chambre », Le
Charivari, 25 juin 1840.
6
Le Moniteur universel, 25 juillet 1849, p. 2463.
7
Le Moniteur universel, 14 octobre 1849, p. 3108.
8
Le Moniteur universel, 25 mai 1850, p. 1804.
5
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Sylvain NICOLLE, chercheur-associé au CHCSC, UVSQ / Paris-Saclay. Ar cle paru dans Ridiculosa, n°30 (Caricature et chapeaux), 2023, p. 235-252.
Jules Grévy, qui avait développé un amendement le 6 octobre 1848 contre l’élec on
du président de la République au suffrage universel, préside à son tour l’Assemblée na onale
au début de la Troisième République, du 16 février 1871 au 2 avril 18739.
Fig. 2 : Faus n, « Monsieur Grévy, Président du Palais des Singes », Le Musée-Homme ou le Jardin des
Bêtes, n°13, 1871.
La caricature de Faus n appar ent à une série de 16 caricatures qui reposent essen ellement
sur le registre de l’animalisa on10. La scène représente l’Assemblée na onale qui siège à
l’Opéra de Versailles depuis le 20 mars 1871, transformé ici en ménagerie sans fauves mais
peuplée de pe ts singes-représentants qui mul plient les cabrioles en liberté tandis que
Thiers, nommé le 17 février précédent à Bordeaux « chef du pouvoir exécu f de la République
française », se ent assis au pied de la tribune (c’est le singe à lune e). Grévy, assis au perchoir,
est impuissant à ramener le calme alors qu’il agite en vain la sonne e présiden elle tout en
se couvrant de son chapeau. La charge tourne en dérision le caractère extrêmement nerveux
Pierre JEAMBRUN, Jules Grévy ou la République debout, Paris, Tallandier, 1991, p. 162-164.
Inventaire de la série et éléments biographiques sur Faustin in Bertrand TILLIER, La RépubliCature. La caricature
politique en France, 1870-1914, Paris, CNRS Editions, 1997, pp. 137, 145-146.
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d’une Assemblée à majorité monarchiste ini alement élue pour ra fier les préliminaires de
paix avec l’Allemagne. Ce fut chose faite le 1er mars 1871 au Grand Théâtre de Bordeaux qui
vit Grévy contraint de se couvrir et suspendre la séance 25 minutes après que le républicain
de la Seine Jérôme Langlois eut catalysé le désordre ambiant en lançant l’interrup on :
« Votons la déchéance des Bonaparte »11.
Sur un autre registre, Cham recourt également au chapeau présiden el pour res tuer
dans Le Charivari l’année suivante l’agita on parlementaire qui règne toujours à Versailles.
Fig. 3 : Cham, « Proposé par le Charivari. Si se couvrir de son chapeau ne suffit pas, en me re un
second, puis un troisième, jusqu’à ce que l’Assemblée se calme », Le Charivari, 27 mars 1872.
L’empilement des chapeaux relève à la fois de l’hyperbole et du comique de répé on, le
même procédé étant repris quelques mois plus tard par Alfred Le Pe t12 pour montrer le
succès de l’emprunt de 3 milliards ouvert par la loi du 15 juillet 1872 et des né à achever le
paiement de la très lourde indemnité (5 milliards) imposée dans les préliminaires de paix et
confirmée par le traité de Francfort. Cham revient à Grévy le 5 juin 1872, couvert d’un seul
chapeau mais tenant ce e fois un parapluie ouvert dans la main droite, « les séances devenant
de plus en plus orageuses ». Cinq jours plus tard, la 2e délibéra on sur le projet de loi rela f
au recrutement de l’armée en apporte la confirma on, le député de la gauche républicaine
Henri Villain lançant depuis son banc : « Nous demandons que le président se couvre, s’il ne
11
12
Journal officiel de la République française, 4 mars 1871, p. 134.
Alfred LE PETIT, « Quatorze fois couvert », Le Grelot, n°70, 11 août 1872.
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peut obtenir le silence »13. Cham élargit l’horizon en 1877 dans ses Croquis hebdomadaires
lorsqu’il déporte la scène au sein de l’empire o oman dans une vigne e in tulée « Le
président de la Chambre turque se procure un vieux chapeau de M. Grévy pour se couvrir dans
les séances orageuses »14. Si le chapeau du président d’une assemblée parlementaire ne suffit
pas toujours à asseoir son autorité, le bicorne suffit-il à incarner celle de Napoléon ?
Tête à chapeau bonapar ste contrariée : quand le bicorne ne fait pas Napoléon
L’assimila on du corps de Louis-Philippe à une silhoue e en forme de poire est un
procédé sa rique créé par Charles Philipon au début de la monarchie de Juillet, dont les
antécédents comme les développements ultérieurs sont bien balisés15. Parmi les déclinaisons
de ce répertoire sa rique figure l’idée méconnue de coiffer la tête royale piriforme avec un
bicorne à la place du haut-de-forme bourgeois associé au « roi-citoyen ». Une lithographie le
caricature ainsi en 1834, le tabouret situé à gauche servant de reposoir au chapeau délaissé
d’officier de la garde na onale16.
Fig. 4 : Anonyme, « Mon cher Monsieur, ça ne vous va pas. Napoléon avait la tête carrée et vous
l’avez pointue », Le Charivari, 3 juin 1834.
Journal officiel de la République française, 11 juin 1872, p. 3914.
Le Charivari, 15 avril 1877.
15
Ségolène LE MEN, « Gravures, caricatures et images cachées : la genèse du signe du roi en Poire », Genesis,
2004, n°24, p. 42-69 ; Fabrice ERRE, Le Règne de la poire. Caricatures de l’esprit bourgeois de Louis-Philippe à nos
jours, Seyssel, Champ Vallon, 2011.
16
Le roi-citoyen tenait en évidence ce même couvre-chef dans sa main gauche sur son portrait Louis-Philippe Ier,
roi des Français, prêtant serment sur la Charte, commandé par la Chambre des Pairs au baron Gérard en 1833.
Ce dernier achevait précisément en 1834 une copie de son tableau pour le Château de Versailles.
13
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La superposi on grotesque des deux formes dissymétriques induites par le reflet déformant
du miroir produit un effet ironique que la légende vient souligner avec acuité puisque l’auteur
de la remarque est le propre fils aîné du roi, Ferdinand-Philippe, duc d’Orléans. Alors que la
légende napoléonienne connaît un retour de flamme tous azimuts après la révolu on de
183017, le point de vue républicain du caricaturiste vise à rendre dérisoire sa tenta ve de
réappropria on par Louis-Philippe. L’inaugura on de la nouvelle statue de Napoléon au
sommet de la colonne Vendôme (le pe t caporal coiffé du bicorne de Charles Emile Seurre)
lors de la commémora on des Trois Glorieuses le 28 juillet 1833 avait été jusqu’alors l’élément
le plus saillant de ce e stratégie poli que, en a endant que le retour des cendres de Napoléon
aux Invalides ne la parachève en 1840.
Louis-Napoléon Bonaparte peut-il endosser la panoplie de son oncle sous la Deuxième
République ? Sa candidature aux législa ves par elles du 17 septembre 1848 est l’occasion
pour Cham de caricaturer une affiche électorale où la « Profession de foi napoléonienne18 » se
condense en quatre a ributs symboliques : la redingote, la paire de bo es, la lorgne e et le
bicorne. Ce dernier est immanquablement intégré deux mois plus tard par Bertall à ses
« Études sur les coiffures en 1848 »19, la légende qui est consacrée au bicorne – « Chapeau
éteignoir. Le plus lourd des pe ts chapeaux » – faisant directement écho à une autre caricature
du même Bertall publiée le 12 novembre précédent sous le tre « Un pe t empire s’il vous
plaît » dans Le Journal pour rire20.
Élu président de la République le 10 décembre 1848, L-N. Bonaparte nomme dix jours
plus tard Odilon Barrot Président du Conseil 21. Ce dernier remanie son gouvernement le 2 juin
1849 et reste en fonc on jusqu’au 31 octobre suivant avant de retrouver son siège de
représentant de l’Aisne. Dans ses deux séries poli ques que publie Le Charivari, Daumier lui
consacre plusieurs lithographies qui ironisent de façon hyperbolique sur l’ambi on et la
suffisance du personnage. Odilon Barrot apparaît statufié dans Les Représentans représentés
(17 janvier 1849) et auréolé d’un halo solaire dans Physionomie de l’Assemblée (20 octobre, 7
et 19 novembre 1849).
Bernard MÉNAGER, Les Napoléon du peuple, Paris, Aubier, 1988, p. 75-83 ; Emmanuel FUREIX, La France des
larmes. Deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840), Seyssel, Champ Vallon, 2009, p. 430-433 ; Sylvie
VIELLEDENT, 1830 aux théâtres, Paris, Honoré Champion, 2009, p. 391-552.
18
CHAM, « Croquis électoraux », Le Charivari, 17 septembre 1848. Vignette en bas à gauche.
19
Voir note 2.
20
Michela LO FEUDO, « De président à empereur : Louis-Napoléon Bonaparte dans le Journal pour rire », Sociétés
& Représentations, n°36, 2013/2, p. 39-41.
21
Benoît YVERT (dir.), Premiers ministres et présidents du conseil depuis 1815, Paris, Perrin, 2007, p. 183-188.
17
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Fig. 5 : Daumier, « Le célèbre Odilon-Barrot promu à la dignité de Mamamouchi impérial », Le
Charivari, 28 juillet 1851.
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La caricature traduit en image un ar cle sa rique de Clément Caraguel, « Hommage à M. O.
Barrot » publié dans Le Charivari le 11 juillet 1851. L’auteur avait imaginé de façon plaisante le
compliment que trois membres archétypaux de la Société du dix-décembre – Ratapoil,
Casmajou et Lucinet22 – viennent porter au domicile d’Odilon Barrot pour le remercier d’avoir
rallié le camp des par sans de la révision de la Cons tu on, ce e procédure devant perme re
à L-N. Bonaparte de solliciter légalement un deuxième mandat en 1852. En récompense de sa
décision, Odilon Barrot est dépeint comme un Monsieur Jourdain poli que qui reçoit le tre
de « mamamouchi bonapar ste » présenté comme la « plus haute dignité à laquelle on puisse
parvenir dans notre par ». Le tre moliéresque s’accompagne d’un insigne, « un pe t
chapeau construit sur le modèle de celui de l’empereur », dont Lucinet précise la portée
symbolique : « Il vous donne le droit de prendre le pas sur vos plus illustres collègues de
l’Assemblée et même sur les ministres, dans toutes les cérémonies publiques ». La caricature
de Daumier est publiée peu après le discours fleuve (4 heures !) qu’Odilon Barrot prononce en
vain à l’Assemblée le 19 juillet pour défendre la révision puisque celle-ci est finalement rejetée
lors du vote au scru n public qui suit immédiatement23.
Le chef de file des parlementaires légi mistes Pierre-Antoine Berryer fut également un
par san de la révision avant de marquer aussi ouvertement que tardivement sa défiance à
l’encontre de L-N. Bonaparte. Alors que Tocqueville avait mis en garde Berryer contre les
dangers du sou en apporté par les légi mistes à la campagne révisionniste24, Daumier
représentait le second le 8 octobre 1851 en marionne e tenant un sceptre à fleur de lys et
coiffée d’un bicorne pour moquer ce marché de dupe passé entre L-N. Bonaparte et le par
de l’ordre25. Un mois plus tard, ce n’est plus la marionne e de Berryer mais le représentant en
pied qui est encore affublé d’un bicorne.
Ratapoil et Casmajou sont des allégories du césarisme bonapartiste créées par Daumier (associées dans Le
Charivari du 11 octobre 1850) tandis que Lucinet est un juge de paix qui adressa une circulaire à tous les maires
de son canton de Seyches (Lot-et-Garonne) afin qu’ils incitent leurs administrés à signer des pétitions en faveur
de la révision au nom du « salut de la société ». La circulaire, reproduite dans la presse et lue à la tribune par
Emmanuel Arago le 8 mai 1851 pour la dénoncer, fait de son auteur une cible récurrente des républicains.
23
Le Moniteur universel, 20 juillet 1851, p. 2071-2076. Une majorité de 446 représentants votent pour la révision
mais son adoption nécessitait une majorité constitutionnelle fixée à trois-quarts des voix, soit 543 votants.
24
Alexis de TOCQUEVILLE, Souvenirs [1850], Paris, Gallimard, 1999, p. 368-370. [Appendice VII : « Révision de la
Constitution. Conversation que j’ai eue avec Berryer, le 21 juin 1851… »].
25
Voir son analyse dans Sylvain NICOLLE, « La politique comme représentation théâtrale. Variations sur un
stéréotype caricatural au XIXe siècle à travers l’œuvre de Daumier », Ridiculosa, n°29, 2022, p. 66-67.
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Fig. 6 : Daumier, « Monsieur Berryer devant sa glace. Décidément je crois que j’ai fait une bê se de
m’en coiffer… cela ne me va pas du tout ! », Le Charivari, 8 novembre 1851.
Le 4 novembre précédent, le ministre de l’Intérieur de Thorigny avait lu à l’Assemblée le
message annuel du président de la République qui annonçait un projet de loi visant à abroger
la loi électorale du 31 mai 1850 ayant restreint le suffrage universel et Berryer s’était prononcé
avec succès contre la prise en considéra on de l’urgence de la discussion26. Le jour même de
la publica on de la caricature, il défendait sa posi on au sein du 6e bureau de l’Assemblée :
« Il est de l’honneur de l’Assemblée de maintenir la poli que dont le Président se sépare
aujourd’hui ; elle doit faire respecter le vote du premier corps de l’État »27. Le rejet du projet
de loi contribue à précipiter le coup d’État perpétré le 2 décembre 1851 qui ouvre la voie au
rétablissement de l’Empire un an plus tard. Marianne a endra donc le début des années 1870
pour faire son retour au premier plan, mais avec quelle coiffe28 ?
Le Moniteur universel, 5 novembre 1851, p. 2758-2760.
Le Journal des débats, 8 novembre 1851. Il avait été élu l’avant-veille président du 6e bureau.
28
Maurice AGULHON, Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Paris,
Flammarion, 1979, p. 177-230. En dépit d’une analyse aussi fine que féconde, la représentation de Marianne
sous l’angle des caricatures n’est pas abordée pour notre période. Sélection d’exemples dans Guillaume DOIZY et
Jacky HOUDRÉ, Marianne dans tous ses états. La République en caricature de Daumier à Plantu, Paris, Alternatives,
2008, p. 38-59. Nous avons opté pour des exemples restés a priori inédits et centrés sur la coiffe.
26
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Marianne à la recherche de la meilleure des coiffes : les débuts de la Troisième République
A ente, incer tude, tensions poli ques. Trois jours avant que l’Assemblée na onale ne
concède à Thiers le tre de président de la République tout en se réservant le pouvoir
cons tuant (loi Rivet du 31 août 1871), Cham caricature deux représentants s’invec vant à
genoux depuis leur lit respec f encadrant la France qui se bouche les oreilles : à sa droite un
conservateur coiffé d’un bonnet de coton ; à sa gauche un républicain barbu portant le bonnet
phrygien. La légende commente : « La Chambre a trois lits. Le moyen de dormir tranquille
entre ces deux-là ! »29.
L’ambivalence sur la nature du régime, reflétée par la concurrence des emblèmes
poli ques, est li éralement ques onnée par le républicain André Gill (Louis-Alexandre Gosset
de Guines, dit).
Fig. 7 : Gill, « Une coiffure, S.V.P. », L’Eclipse, n°180, 7 avril 1872
29
Le Charivari, 28 août 1871.
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Le Président de la République venait d’approuver un rapport sur les mbres et cachets des
mairies dans lequel le ministre de l’Intérieur Victor Lefranc affirmait la nécessité « de ne pas
tolérer les emblèmes qui rappelleraient soit l’empire, soit des tradi ons avec lesquelles le
gouvernement républicain met son honneur à rompre absolument » et demandait par
conséquent l’autorisa on de « proscrire l’aigle, le triangle et le bonnet phrygien avec ou sans
pique »30. La légende ironise sur ce e dernière interdic on : « Défense nous ayant été faite de
coiffer à l’avenir la République d’un bonnet phrygien, nous avons cherché quelle coiffure
pourrait bien s’adapter à sa tête : nous soume ons le résultat de nos recherches à dame
Censure, espérant qu’elle me ra le comble à sa gracieuseté en choisissant elle-même parmi
ces divers spécimens ». Le casque à pointe prussien ? Il rappelle l’occupa on du territoire
français en gage du paiement de l’indemnité due au vainqueur et interroge son échéance (cf.
supra). La couronne ornée d’une fleur de lys ? Elle renvoie à la restaura on de la
monarchie dans sa version légi miste (le comte de Chambord). Le chapeau de Polichinelle ? Il
fait écho au couvre-chef porté par Napoléon III dans une récente caricature de Faus n31 et
indique la voie plébiscitaire théorisée sous le nom d’« appel au peuple » pour rétablir l’Empire.
Le bonnet d’âne ? Il pourrait symboliser la solu on orléaniste (le comte de Paris). Le bonnet
de coton au centre ? Il incarne la « République conservatrice » pour laquelle se prononce
officiellement Thiers quelques mois plus tard dans son célèbre « Message » lu à l’Assemblée le
13 novembre 1872.
Au terme d’un long processus parlementaire, c’est bien ce e dernière op on qui
s’impose en 1875 lors du vote des lois cons tu onnelles32. Alors que Thiers a été contraint à
la démission le 24 mai 1873 par la droite monarchiste et remplacé par le maréchal Mac-Mahon
pour « rétablir l’ordre moral », la loi du 25 février 1875 sur l’organisa on des pouvoirs publics
reprend dans son ar cle 2 l’amendement Wallon du 30 janvier précédent qui ins tu onnalisait
la République. Le ralliement des orléanistes à la solu on républicaine se traduit sur le plan
gouvernemental par la nomina on de Louis Buffet comme vice-président du Conseil et
ministre de l’Intérieur. Celui qui présidait jusqu’alors l’Assemblée na onale depuis le 4 avril
1873 assure dans sa déclara on de poli que générale le 12 mars 1875 que celle-ci sera « très
ne ement conservatrice » et main ent la plupart des préfets qui incarnaient la poli que
d’ordre moral en affirmant le 15 avril devant la commission de permanence de l’Assemblée
« [couvrir] de sa responsabilité les fonc onnaires de son administra on »33.
Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, Paris, Dupont, 1872, p. 152. Le rapport est reproduit dans certains
journaux comme Le Journal des débats du 17 avril 1872.
31
Sa caricature est conservée au musée Carnavalet avec une légende manuscrite et n’est pas datée précisément
(1870 ou 1871). Deux versions pour le titre [sic] : Môsieur Porichinelle [QB.1476] et Mr. Polichinel [QB.1477].
32
Ludovic de THY, L’écriture des lois constitutionnelles de 1875. La fondation de l’ordre constitutionnel de la IIIe
République, Paris, LGDF, 2021.
33
André DANIEL, L’Année politique. 1875, Paris, Charpentier, 1876, p. 105-108.
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Sylvain NICOLLE, chercheur-associé au CHCSC, UVSQ / Paris-Saclay. Ar cle paru dans Ridiculosa, n°30 (Caricature et chapeaux), 2023, p. 235-252.
Fig. 8 : Gilbert-Mar n, « Elle a changé de coiffure ! », Le Don Quicho e, n°44, 24 avril 1875
Dans « les deux bonnets », poème qui accompagne au verso la caricature publiée à la une,
Argus cible nommément Buffet contre lequel « la France, charmante fille e » se rebiffe :
« Mon tuteur, dussiez-vous me ba re, / Dit-elle, je parlerai net / Février vingt-cinq, Mai vingtquatre / C’est bonnet blanc ou bonnet blanc ». La France républicaine de 1875 à la mode
orléaniste, c’est encore et toujours l’ordre moral de 1873 : la caricature dénonce ainsi un
escamotage poli que fondé sur la peur du spectre rouge qu’Alfred Le Pe t avait mis en scène
à la une du Grelot le 28 janvier 1872 en opposant frontalement la « République honnête »
coiffée du bonnet de coton à la « République rouge » coiffée du bonnet phrygien34.
Jean GARRIGUES, « ‘’Les Deux Républiques’’, par Alfred Le Petit, Le Grelot, janvier 1872 », Parlement[s], Revue
d’histoire politique, n°16, 2011/2, p. 113-117.
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Sylvain NICOLLE, chercheur-associé au CHCSC, UVSQ / Paris-Saclay. Ar cle paru dans Ridiculosa, n°30 (Caricature et chapeaux), 2023, p. 235-252.
La portée poli que de la crise du 16 mai 1877 scelle la victoire des républicains contre
l’ordre moral mais ne lève pas toutes les ambiguïtés, comme en témoigne la place du bonnet
phrygien lors de l’Exposi on Universelle de 1878. D’une part, il est escamoté au profit de
coiffes hybrides dans les œuvres sculptées provisoires de Falguière – Triomphe de la Révolu on
qui surmonte l’Arc de Triomphe de l’Etoile – et de Clésinger – La République qui accueille les
visiteurs de l’Exposi on35. D’autre part, son exhibi on à la hampe des drapeaux tricolores
installés aux fenêtres du quo dien La Lanterne lors de la fête na onale le 30 juin vaut au gérant
du journal radical d’être poursuivi pour avoir arboré des « emblèmes sédi eux, de nature à
troubler la paix publique », et condamné à 500 francs d’amende par le jugement de la 9e
Chambre du tribunal de la Seine rendu le 13 juillet36.
Fig. 9 : Gilbert-Mar n, « Plus d’emblèmes sédi eux ! », Le Don Quicho e, n°215, 2 août 1878
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Maurice AGULHON, op. cit., p. 217-219.
Le jugement est confirmé par la Cour d’appel le 18 août. Voir La Lanterne, 14 juillet et 19 août 1878.
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Sylvain NICOLLE, chercheur-associé au CHCSC, UVSQ / Paris-Saclay. Ar cle paru dans Ridiculosa, n°30 (Caricature et chapeaux), 2023, p. 235-252.
Dans le poème éponyme qui accompagne sa caricature, Charles Gilbert-Mar n file d’abord la
métaphore médicale en déplorant que la liberté soit prescrite « à la dose homéopathique »
avant de considérer ironiquement que le président du Conseil Dufaure, le ministre de la guerre
Borel et son chef d’état-major Miribel s’accordent tous pour imposer « la guimauve » à une
pa ente moribonde nommée République. Poussant l’art du raisonnement par l’absurde, il
suggère d’interdire La Marseillaise et de choisir une coiffure donnant à la République « un
aspect décent » : « Je propose, pour moi, le bonnet de coton : / C’est d’un prix peu coûteux,
commode, de bon ton, / Souverain contre la migraine ; / Et, pour peu qu’on le lui raba e sur
le nez, / On lui fait parcourir des chemins détournés, / Sans qu’elle sache où l’on la mène ».
Ainsi se refermait la boucle ouverte par les caricatures de Cham et Gill au début de la décennie.
En effet, l’année 1879 marque ensuite de façon décisive la républicanisa on du régime et
permet à ce dernier de faire du bonnet phrygien dans les années suivantes un « symbole réapprivoisé »37.
Maurice AGULHON, Marianne au pouvoir. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris,
Flammarion, 2001, p. 106-111. Voir également sur la même période l’ouvrage très illustré de Jean-Michel
RENAULT, Les fées de la République, Paris, Les Créations du pélican, 2003, p. 181-337.
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