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Les tombes mérovingiennes de basilique de Saint-Denis

2023, Revue archéologique d'île de France

Présentation des nouvelles recherches effectuées de 1999 à 2002 sur les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis par un collectif international et pluridisciplinaire. Leur publication intégrale est prévue pour 2004.

REVUE ARCHÉOLOGIQUE D’ÎLE-DE-FRANCE 7e SUPPLÉMENT ARCHÉOLOGIE DES NÉCROPOLES MÉROVINGIENNES EN ÎLE-DE-FRANCE sous la direction de Cyrille LE FORESTIER Éditeur Association des amis de la Revue archéologique d’Île-de-France C. RAYNAUD, UMR 5140 - ASM M.-C. TRUC, Inrap / UMR 6273 - CRAHAM O. VRIELYNCK, Service public de Wallonie Présidente M.-F. GLEIZES Vice-président F. GIROT, prospecteur bénévole Île-de-France Secrétaire O. PUAUX, UMR 8096 – ArchAm Trésorier J. PRIN Siège social Secrétariat de rédaction (pour ce numéro) C. BESSON, Drac / SRA Île-de-France / UMR 7041 - ArscAn B. BOUET, Drac / SRA Île-de-France D. CHAOUI-DERIEUX, Drac / SRA Île-de-France / UMR 7041 - ArScAn N. GIRAULT, Drac / SRA Île-de-France / UMR 6273 - CRAHAM F. GIROT A. LEFÈVRE, Inrap / UMR 6273 - CRAHAM S. MORAWSKI-BEUGNON, Musée Bernadotte, Pau O. PUAUX, UMR 8096 – ArchAm X. ROCHART, Inrap P. TIGREAT, Drac / SRA Île-de-France c/o M.-F. GLEIZES, 3 rue des Deux Gares, 75 010 Paris Traduction des résumés (anglais et allemand) Directeur de la publication D. COXALL J. WIETHOLD, Inrap / UMR 6298 - ARTeHIS D. MORDANT, conservateur en chef honoraire du patrimoine Comité de rédaction (membres permanents) S. BAUVAIS, CEA / CNRS, UMR 7065 - Iramat / LMC / UMR 3685 NIMBE C. BESSON, Drac / SRA Île-de-France / UMR 7041 - ArScAn D. CHAOUI-DERIEUX, Drac / SRA Île-de-France / UMR 7041 - ArScAn B. CLAVEL, CNRS / UMR 7209 - Archéozoologie et archéobotanique C. GONÇALVES-BUISSART, Département de la Seine-Saint-Denis, BPA / UMR 7041 - ArScAn L. HACHEM, Inrap / UMR 8215 - Trajectoires A. LEFÈVRE, Inrap / UMR 6273 - CRAHAM A. LEFEUVRE, Sdavo / UMR 7041 - ArScAn M. OLIVE, UMR 7041 - ArScAn R. PEAKE, Inrap / UMR 6298 - ARTeHIS B. SOUFFI, Inrap / UMR 7041 - ArScAn P. TIGREAT, Drac / SRA Île-de-France / UMR 7041 - ArScAn Comité de lecture (pour ce numéro) Y.-M. ADRIAN, Inrap / UMR 7041 - ArScAn D. BOUGAULT, UMR 6273 - CRAHAM F. BOURSIER, UMR 7206 - ABBA L. BUCHET, Université Côte d’Azur / UMR 7264 - CEPAM C. BUQUET-MARCON, Inrap / UMR 7206 - ABBA C. CHAPELAIN de SEREVILLE-NIEL, Inrap / UMR 6273 - CRAHAM S. DESBROSSE-DEGOBERTIÈRE, Inrap / UMR 6273 - CRAHAM E.-S. DESPLANQUES, Centre André-Chastel A. FLAMMIN, CNRS / UMR 5138 - ArAr N. GIRAULT, Drac / SRA Île-de-France / UMR 6273 - CRAHAM Y. GLEIZE, Inrap / UMR 5199 - PACEA V. HINCKER, SRA Calvados / UMR 6273 - CRAHAM P. LAWRENCE-DUBOVACQ, Inrap A. LEFÈVRE, Inrap / UMR 6273 - CRAHAM J.-G. PARIAT, Sdavo / UMR 7206 - ABBA C. PARTIOT, CNRS, MNHN, Université de Paris, Musée de l’Homme / UMR 7206 - Eco-anthropologie P. PÉRIN, Musée d’Archéologie nationale D. PERRIER, Institut national du Patrimoine E. PEYTREMANN, Inrap / UMR 6273 - CRAHAM Mise en page, maquette et infographie F. TESSIER Logo N. SAULIÈRE, Inrap Imprimerie Dupliprint 733 rue Saint-Léonard, CS 30011, 53101 Mayenne Cedex La RAIF publie des travaux en langue française, sur le champ chronologique allant de la Préhistoire à la période contemporaine et portant sur la région Île-de-France. Les manuscrits sont soumis au comité de rédaction puis, s’ils sont acceptés, transmis à un ou plusieurs lecteurs. Des corrections peuvent être demandées aux auteurs. Toute correspondance est à adresser à : [email protected] Illustrations en 1re de couverture - Salle des sarcophages au Musée Carnavalet. [p. 47] - Ceinture d’Arégonde. [p. 170] - Sépulture double, I.731. [p. 146] - Noisy-le-Grand, « Les Mastraits » (Seine-Saint-Denis). [p. 154] - Arcy-Sainte-Restitue, « Fensterurne » (Aisne). [p. 28] - Bague sigillaire d’Arégonde. [p. 170] Publié avec le concours financier : - Association “Archéologie des nécropoles” - Drac Île-de-France - Fondation Roc Eclerc - Inrap - SAI 78-92 Ce numéro a été édité à 400 exemplaires Numéro ISSN : 2101 - 3608 Numéro ISBN : 978-2-9552594-4-3 Patrick PÉRIN au nom du Saint-Denis’team LES TOMBES MÉROVINGIENNES DE LA BASILIQUE DE SAINT-DENIS : nouvelles recherches interdisciplinaires Résumé L’affectation au Musée d’Archéologie nationale des mobiliers funéraires mérovingiens de la basilique de Saint-Denis, et puis de celui de la reine Arégonde en 1994 et 1996 a été l’occasion de reprendre au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France l’étude des objets métalliques et des gemmes qui pouvaient les orner. Ces recherches ont été complétées par l’étude de très nombreux restes organiques retrouvés en 1993. Elles ont été relancées par la redécouverte en 2017 des archives de fouille de Michel Fleury. Ces nouvelles recherches, dont un résumé est ici présenté, seront publiées dans un ouvrage collectif, pluridisciplinaire et international, dont la parution est fixée en 2023. Mots-clés Période mérovingienne, basilique de Saint-Denis, tombe d’Arégonde, anthropologie, archéologie funéraire, orfèvrerie, textile, cuir. Abstract Acquisition by the National Museum of Archaeology of the Merovingian grave-goods from excavations in the Saint Denis basilica, including those of Queen Arégonde in 1994 and 1996, has enabled the French Museums Centre for Research and Restauration to further studies of the metal finds and associated decorative gemstones. Supplementary research, which concerned the numerous organic finds rediscovered in 1993, was extended following the rediscovery of Michel Fleury’s excavation records in 2017. This recent research, summarised here, will appear as a collective, multidisciplinary and international volume, planned for publication in 2023. Keywords Merovingian period, Saint Denis basilica, Arégonde’s grave, anthropology, burial archaeology, cloth, goldsmithing, leather. Zusammenfassung Die Entscheidung, die merowingerzeitlichen Grabfunde aus der Basilika von Saint-Denis sowie jene der Königin Aregunde in den Jahren 1994 und 1996 dem Archäologischen Nationalmuseum zu übergeben, bot die willkommene Gelegenheit, die Untersuchung der metallischen Fundobjekte und der dort ursprünglich wohl applizierten Gemmen im Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France wiederaufzunehmen. Diese Untersuchungen wurden durch die Analyse der 1993 wiederaufgefundenen, außerordentlich zahlreichen organischen Reste ergänzt. Sie rückten erneut ins Blickfeld als 2017 die Grabungsdokumentation von Michel Fleury wiederentdeckt wurde. Die neuen Untersuchungen, deren Ergebnisse hier zusammenfassend präsentiert werden, sollen 2023 im Rahmen einer interdisziplinären und internationalen Publikation veröffentlicht werden. Stichwörter Merowingerzeit, Basilika von Saint-Denis, Anthropologie, Goldschmiedearbeiten, Grab der Aregunde, Gräberarchäologie, Leder, Textilien. Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 157 Patrick PÉRIN, au nom du Saint-Denis’team CONTEXTE Les mobiliers funéraires issus des fouilles d’Édouard Salin (1953/1954 et 1957), puis de Michel Fleury (1957 à 1976) (FLEURY, FRANCE-LANORD 1998 ; figures 1-2), longtemps dispersés et inaccessibles, ont été affectés par l’État au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye en 1994, devenu en 2005 musée d’Archéologie nationale (MAN), à l’exception des bijoux d’Arégonde. Tout en demeurant exposés en tant que dépôt au musée du Louvre (Département des Objets d’Art), ceux-ci ont néanmoins été affectés au MAN en 1996. Ce dépôt, parvenu à expiration en décembre 2008, n’a pas été renouvelé si bien que le mobilier funéraire d’Arégonde a pu être exposé au MAN avec le restant du matériel archéologique mérovingien des fouilles de la basilique de Saint-Denis. 158 Figure 1 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Plan des fouilles de la basilique de Saint-Denis. [© J. Prim ; M. Wyss, Unité d’archéologie de la ville de Saint-Denis (UASD)] Figure 2 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Crypte archéologique réaménagée en 2015. [© UASD] Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 II.8 - Les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis : nouvelles recherches interdisciplinaires Lors de l’inventaire des mobiliers funéraires affectés au MAN en 1994, il est apparu à Françoise Vallet, alors conservateur en chef chargé des collections mérovingiennes, qu’un certain nombre d’objets déjà publiés (dont le flacon de verre de la tombe d’Arégonde) manquaient. Il en était de même pour les restes osseux (dont ceux d’Arégonde) et pour la plupart des restes organiques correspondant aux vêtements des inhumés, en partie signalés dans diverses publications (par exemple pour Arégonde). En revanche, toutes les broderies en fils d’or prélevées in situ par Albert France-Lanord et transférées sur des supports faisaient partie des séries affectées au MAN en 1994. Considérés comme disparus, ces objets et restes organiques ont en fait été retrouvés en 2003 dans deux locaux administratifs distincts où ils avaient été soigneusement rangés dans les années 1970, avant que leur souvenir ne se perde. Depuis, ils ont fait l’objet d’un programme de recherche interdisciplinaire dont les principaux acquis sont présentés ici (voir in fine la composition du « Saint-Denis’team »). Quant aux archives de M. Fleury, elles ont seulement été retrouvées en 2017 et déposées par sa famille aux Archives nationales de Paris (D69J) avec une communication réservée. Nous avons eu la possibilité de les dépouiller en totalité en 2017 et 2018 et d’en réaliser l’inventaire sommaire. Outre les cahiers de fouille qui manquaient cruellement pour documenter les collections affectées au MAN, le Fonds Michel Fleury renfermait une centaine de restes organiques inédits ainsi que quelques objets qui viennent d’être étudiés en laboratoire. Quelques remarques préliminaires s’imposent. Les fouilles d’É. Salin et de M. Fleury ont porté sur 107 tombes. 35 tombes, en cercueil ou en sarcophages massifs de pierre, appartenaient à l’Antiquité tardive et étaient en relation avec la memoria primitive, édifiée sans doute au cours du ive siècle ou au début du ve siècle sur la tombe de saint Denis. Au nombre de 72, les tombes mérovingiennes étaient pratiquement toutes en sarcophages trapézoïdaux de pierre, à l’exception de quelques sarcophages de plâtre moulé. Au total, 29 tombes étaient intactes, les 43 autres ayant été toutes ou en partie violées, soit anciennement, soit lors des travaux des Monuments Historiques des xixe et xxe siècles, pour la construction, puis la destruction du tombeau des Bonaparte, demeuré inutilisé, et l’établissement de l’actuelle crypte archéologique. Parmi les 29 tombes intactes, 23 possédaient des restes de tissus (dont 12 avec également des restes de soie), 28 des broderies de fils et de rubans d’or, et enfin 17 des restes de cuir (figure 3). 29 tombes intactes TEXTILES SOLE BRODERIE OR CUIRS MOBILIERS 18 11 17 12 15 48 tombes tout ou partie violées 5 1 11 5 14 72 tombes fouillées 23 12 28 17 29 Figure 3 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Contenu des sarcophages mérovingiens de la basilique de Saint-Denis selon qu’ils étaient intacts ou tout ou partie perturbés. [© P. Périn, MAN] ANTHROPOLOGIE L’étude anthropologique et biologique des restes osseux a été confiée au Centre d’Études Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge (CEPAM) de Sophia Antipolis, à Valbonne (Alpes-Maritimes). Elle a été coordonnée par Luc Buchet et la regrettée Véronique Gallien, avec le précieux concours des Dr Yves Darton (paléopathologie) et Claude Rücker (†) (ondotologie), les analyses ADN ayant été faites par le Prof. Jean-Jacques Cassiman (†), puis par le Prof. Ronny Decorte à l’Université de Louvain (Center Human Genetics). Des 71 tombes fouillées par M. Fleury dans le sous-sol de la basilique de Saint-Denis, 14 sujets extraits de 13 sarcophages se sont avérés étudiables, les restes osseux provenant des fouilles d’É. Salin n’ayant pas été retrouvés (GALLIEN, PÉRIN 2009, p. 206-211 ; Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 159 Patrick PÉRIN, au nom du Saint-Denis’team RAST-EICHER, PÉRIN 2011 ; figure 4). Leur analyse anthropologique se heurte cependant à deux problèmes majeurs : d’une part l’état de conservation des ossements, médiocre à très mauvais, a considérablement restreint les observations ; d’autre part, la faiblesse de l’effectif par rapport au nombre de tombes fouillées ne permettant pas de proposer une conclusion générale représentative de l’occupation de l’espace funéraire. N° SÉPULTURE ADULTE / IMMATURE 29A 29B 37A 38 41 44 49 50 51 60 61 A1 A3 A9 immature immature adulte adulte adulte adulte adulte adulte adulte adulte adulte adulte ? adulte ? immature Bioanthropo. non déterminé non déterminé H F F? H F F H? H? non déterminé DÉTERMINATION SEXE mode d’examen ADN non déterminé coxal coxal coxal coxal coxal coxal crâne robustesse non déterminé non déterminé non déterminé F mobilier H? F F F non déterminé non déterminé non déterminé Figure 4 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Répartition par sexe et par âge des 14 sujets qui ont pu bénéficier d’une étude anthropologique. [© V. Gallien, Inrap] 160 Le groupe étudié est composé de 12 adultes et de 2 enfants (figures 1-4). Parmi les adultes, 2 hommes (S. 37A, 44) et 4 femmes (S. 38, 49, 50), et une probable (S. 41) – ont été identifiés grâce à la morphologie des coxaux. Il est envisageable de reconnaître également deux hommes (S. 51, 60) et une femme (S. 37B) en tenant compte de la forme de la mandibule et de la robustesse du squelette post-crânien. Nous obtenons ainsi une répartition possible de 4 hommes et 5 femmes, parmi lesquelles se trouve Arégonde. L’âge des enfants a été estimé à partir des dents (UBELAKER 1978). Un très jeune enfant de 0-2 mois est inhumé dans le même sarcophage (S. 29) qu’un enfant de 9 ans (+ 24 mois). Le troisième sujet immature est âgé de 6 ans + 24 mois (S. A9). Ces enfants ont été enterrés dans des sarcophages destinés à des adultes, sans qu’on puisse déterminer s’ils avaient ou non été réutilisés. En tout cas, ils ne contenaient pas de restes osseux, même résiduels, d’adultes. Parmi les adultes, on observe un jeune sujet de 17-25 ans (S. 61) et un homme âgé (S. 44) présentant des sutures crâniennes en cours de fermeture (degré 2,8, stade VII de Masset : MASSET 1982) et des signes de pathologie dégénérative (arthrose, hyperostose frontale interne et maladie de Forestier, celle-ci se traduisant notamment par l’épaississement de certains os chez des personnes âgées souffrant de diabète (HERSHKOVITZ et alii 1999). L’état de conservation des os et des dents a rendu impossible l’analyse de l’état sanitaire – en particulier les troubles de la croissance et les troubles dégénératifs – du groupe. Deux cas de traumatisme du membre inférieur (fibula) ont été observés chez deux hommes (S. 37, 44). L’un des deux sujets est la personne âgée (S. 44) signalée ci-dessus, qui présente par ailleurs des séquelles probables d’une pratique cavalière. Ces séquelles sont observées sur le fémur gauche – le côté droit étant dégradé – sous la forme d’enthésopathies (sur les muscles fessiers, petit fessier et fessier moyen, grand adducteur, court adducteur, le muscle vaste latéral, le muscle iliaque et le ligament ilio-fémoral) et de spicules (sur le muscle obturateur externe). Elles apparaissent sur le coxal avec des enthésopathies sur le ligament sacro-iliaque et ilio-lombaire. Elles sont associées à une arthrose de l’épaule et des vertèbres thoraciques et lombaires, ainsi que des hernies intra-spongieuses sur les thoraciques (T10-12) et lombaires (L3,4) (figures 5-6). Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 II.8 - Les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis : nouvelles recherches interdisciplinaires 1 cm (1/2) Figures 5-6 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Vertèbres lombaires présentant une calcification du ligament antérieur qui tend vers l’ankylose du rachis et sacrum soudé par un pont osseux au coxal droit. [© V. Gallien, Inrap] 161 La détermination de l’ADN d’Arégonde, réalisée par le Prof. J.-J. Cassiman, s’est révélée possible, malgré les manipulations subies par les ossements depuis leur découverte (CALLIGARO, PÉRIN 2007a ; figure 7), avec une séquence mitochondriale ayant son origine en Europe (haplo groupe U5a1). HVS-I (16008-16366) HVS-II (48-155) HAPLOGROUPE 2 CRS CRS H/HV/R 2 16304C CRS H5 INDIVIDU EXTRACTION T51 A1 S37A 3 16126C-16163G-16186T-16189C-16192T-16294T Z3G-152C T1a S38 2 16126C-16163G-16186T-16189C-16192T-16294T Z3G-152C T1a S41 5 16126C-16163G-16186T-16189C-16192T-16294T Z3G-152C T1a S44 2 16126C-16163G-16186T-16189C-16192T-16294T Z3G-152C T1a S29 (1) 4 16126C-16292T-16294T-16296T 73G-146C-150T T2 S11 4 16169T-16193T-16224C-16246T-16311C 73G K S12 2 16169T-16193T-16224C-16246T-16311C 73G K Aregonde 5 16192-16256-16270-16274-16311 73G-146C U5a1 S13 2 16231C-16256T-16270T 73G-152C U5a1 A3 2 16189C-16192T-16270T 73G-150T U5b S29 (2) 2 16189C-16192T-16270T 73G-150T U5b Figure 7 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Déterminations ADN effectuées par le Laboratoire de génétique et d’archéologie moléculaire de Louvain. [© R. Decorte, Center Human Genetics, Louvain] Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 Patrick PÉRIN, au nom du Saint-Denis’team Les analyses poursuivies par le Prof. R. Decorte ont également pu porter sur 13 sujets dont les haplogroupes se sont révélés classiques pour une population d’Europe occidentale. Dans trois cas seulement le sexe a pu être déterminé. En revanche, des liens de parenté ont pu être mis en évidence pour 10 sujets, avec quatre groupes d’apparentements familiaux, les sépultures concernées étant voisines ou proches, ce qui confirme la probabilité du recrutement familial de cette nécropole privilégiée (figure 8). 5 Rangée 4 3 2 A12 A13 A5 13 44 51 11 A15 Arégonde A4bis 0 1 2m 12 46/51 50 N A16 14 A4 A14 A17 1 Haplogroupes 47 48 A18 U5a 42 A3 A1 A10 162 A8 8 38 T1a K 17 37 62 A11 A19 60 U5b 63 A9 A7 9 41 61 A2 apparentée maternelle 10 29 36 16bis 31 28 Figure 8 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Apparentements révélés par l’ADN. [M. Kérien, d’après F. Lagarde, Commission du Vieux Paris] En définitive, l’apport de l’anthropologie biologique classique à la compréhension du groupe de population inhumé dans la basilique de Saint-Denis à la période mérovingienne reste modeste. Les quelques observations effectuées ne révèlent aucune sélection à l’inhumation puisque hommes, femmes et enfants sont représentés, à la différence pourtant de ce que révèle le mobilier archéologique, avec une prédominance de femmes qui suggérerait des inhumations sectorisées par sexe (figure 9). D’après leur mobilier funéraire, quatre hommes ont été identifiés : ceux des tombes 9, 13 et 18 des fouilles d’É. Salin (si l’on admet que le port d’un éperon était nécessairement masculin), ainsi que le jeune homme de la tombe 11 (fouilles de M. Fleury) qui portait un scramasaxe. Si la présence de broderies de fils d’or sur les vêtements n’était pas l’exclusive des femmes, celles-ci semblent néanmoins majoritaires (17 sépultures féminines, 2 sépultures masculines et 12 sépultures dont ni l’anthropologie ni le mobilier n’ont permis la détermination du sexe). On note que les traumatismes ne concernent que les hommes et que la localisation des séquelles est limitée aux membres inférieurs. Enfin, la présence possible d’un cavalier âgé conforte le statut aristocratique du groupe, déjà révélé par la présence de tombes richement dotées, dont celle de la reine Arégonde, et confirmé par leur situation dans un édifice religieux prestigieux. Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 II.8 - Les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis : nouvelles recherches interdisciplinaires FOUILLES E. SALIN 1953/1954 E. SALIN 1957 M. FLEURY 1957-1981 N° SÉPULTURE 6 7 8 9 13 16 18 23 32 9 11 12 13 28B 29A 29B 31 36 37A 38 41 42 44 47 48 49 50 51 60 61 62 63 A1 A3 A9 ADULTE / IMMATURE Bioanthropo. DÉTERMINATION SEXE mode ADN H F non déterminé immature immature immature immature immature adulte adulte adulte adulte adulte adulte adulte adulte adulte non déterminé non déterminé mobilier F F F H H F H F F H H F F non déterminé non déterminé H H H F F? coxal coxal coxal non déterminé non déterminé non déterminé H coxal non déterminé F F H? H? non déterminé coxal coxal crâne robustesse F F F F F F non déterminé 163 F F Adulte ? adulte ? immature non déterminé non déterminé non déterminé Figure 9 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Détermination des sexes par l’anthropologie, l’ADN et le mobilier funéraire. [© V. Gallien, Inrap ; P. Périn, MAN] TEXTILES ET CUIRS L’étude des très nombreux restes organiques animaux et végétaux, les uns déjà pris en compte par A. France-Lanord, les autres non manipulés depuis leur prélèvement, a été menée par Antoinette Rast-Eicher (Archéotex, Ernen, Suisse), avec le précieux concours de Sophie Dérosiers (EHESS) pour la soie, de Witold Nowik (Laboratoire de recherche des monuments historiques) pour les colorants et de Marquita Volken (Gentle Craft, Lausanne) pour les cuirs. Des résultats très significatifs ont été obtenus, avec l’identification d’étoffes variées et colorées (plus d’une centaine d’échantillons), dont des samits de soie qui n’avaient pas été reconnus auparavant et qui proviennent du monde byzantin, de la perse sassanide et de Chine (l’Égypte n’étant pas représentée (RAST-EICHER, PÉRIN 2011). Le fait que l’emplacement de la plupart des prélèvements ne puisse être situé, malgré la redécouverte récente des carnets de fouille de M. Fleury et d’un certain nombre de protocoles d’étude et de restauration d’A. France-Lanord, ne facilite pas l’interprétation des restes de tissus et de cuirs pour la reconstitution des vêtements, à l’exception de celui d’Arégonde (voir Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 Patrick PÉRIN, au nom du Saint-Denis’team ci-dessous). Les cuirs, pour leur part, on fait l’objet de nouvelles déterminations zoologiques et d’études tracéologiques,un certain nombre de restes ayant pu faire l’objet de remarquables reconstitutions par M. Volken (figure 10). Figure 10 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Reconstitution des chaussures d’origine byzantine de la sépulture 42 (fouilles M. Fleury). [© M. Volken, Gentle Craft. Centre de Calcéologie et Cuirs anciens] ANALYSE CHIMIQUE DES MÉTAUX ET DES GEMMES Parallèlement à l’étude des restes organiques provenant des tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis, un programme d’analyse des objets métalliques est poursuivi depuis 1999 au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF, Louvre) par Thomas Calligaro, ingénieur d’étude, à l’aide de l’accélérateur de particules AGLAÉ (méthode PIXE) et d’une sonde RAMAN, procédés non destructifs (figure 11). Centré sur la caractérisation géochimique des grenats et autres gemmes, ce programme prend également en compte la nature des alliages des métaux supports en or et en argent. 164 Figure 11 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Analyse des grenats d’une des fibules d’Arégonde avec l’accélérateur de particules Aglaé. [© C2RMF] Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 II.8 - Les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis : nouvelles recherches interdisciplinaires Plus de 5 000 grenats provenant de Saint-Denis, mais également d’autres sites français et étrangers, ont été étudiés, ce qui constitue à l’heure actuelle la plus vaste base de données en la matière (CALLIGARO, PÉRIN 2007b ; 2022 ; CALLIGARO et alii 2008). Ces analyses ont confirmé et précisé les travaux antérieurs en ce domaine, et notamment l’utilisation quasi-exclusive aux ve et vie siècles de grenats almandins provenant d’Inde (nos types I et II) et pyraldins du Skri Lanka (type III), où nous avons effectué des prospections géologiques pour avoir des grenats de référence de provenance géographique assurée (figures 12-13). La rupture d’approvisionnement en grenats orientaux de l’Occident vers 600 a été confirmée (figure 14), avec le recours consécutif à des grenats pyropes européens (type V) et du Portugal, mines de Monte Suimo mentionnées par Pline l’Ancien (type IV), les grenats des types IV et V étant souvent associés sur les mêmes objets. Aucune interprétation historico-économique satisfaisante ne peut être aujourd’hui proposée pour expliquer cette substitution des grenats européens aux grenats indiens. Il n’est pas certain, comme l’a proposé Uta von Freeden, que la prise de contrôle de la mer Rouge par les Perses, au détriment des Byzantins, en 570, ait interrompu par cette 7 type IV pyrope pauvre en chrome Monte Suimo, Portugal type IIIa pyraldine riche en calcium Sri Lanka central 6 5 CaO % 4 type V pyrope riche en chrome Bohême, République tchèque 3 type IIIb pyraldine pauvre en clacium Sri Lanka sud type II almandine riche en clacium Inde 2 1 type I almandine Rajasthan, Inde 0 0 5 10 15 20 MgO % Figure 12 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Mise en évidence des six groupes de grenats. [© T. Calligaro, C2RMF] TYPE PAYS LOCALISATION CONFIANCE I Inde Rajasthan, district de Tonk **** II Inde indéterminé ** IIIa Sri Lanka centre de l’île, près de Elahera ** IIIb Sri Lanka sud de l’île, près de Ratnapura ** IV Portugal Monte Suimo, près de Lisbonne *** V République Tchèque massif de Bohême, près de Vestrev PÉRIODE REMARQUES ive-vie Employés sur les bijoux gréco-romains vie-viie mine exploitée dès la période romaine **** Figure 13 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Provenance des six groupes de grenats. [© T. Calligaro, C2RMF] Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 165 Patrick PÉRIN, au nom du Saint-Denis’team 100 % 90 % type III Sri Lanka type V Bohême, République tchèque 80 % 70 % type II Inde ? 60 % type IV Monte Suimo, Portugal 50 % 40 % 30 % type I Rajasthan, Inde 20 % 10 % 0% 400 AD 500 AD 600 AD 700 AD Figure 14 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Diagramme montrant la rupture d’approvisionnement des grenats des Groupes I, II et III vers 600. [© T. Calligaro, C2RMF] 166 voie les relations commerciales entre l’océan Indien et la Méditerranée. En effet, des matières premières et denrées précieuses, des étoffes de luxe, etc., parviennent toujours en Occident au viie siècle. Il faut de toute manière également compter avec les routes terrestres (FREEDEN 2000, p. 97-12 ; a contrario CALLIGARO et alii 2008, p. 128). Il est encore significatif de noter que l’utilisation du verre rouge, comme substitut des grenats, s’est révélée totalement exceptionnelle, ce matériau ne se popularisant dans l’orfèvrerie qu’au seuil de la période carolingienne. En tout cas, il est indiscutable que la rupture d’approvisionnement de l’Occident en grenats indiens y a provoqué la disparition rapide du cloisonné couvrant, les grenats européens, du fait de leur petite taille, ne se prêtant pas à ce style couvrant. On s’explique ainsi la diffusion au viie siècle de l’orfèvrerie à pierres en bâtes, où les grenats sont de plus en plus rares et la couleur rouge des incrustations largement absente. Les gemmes figurant sur les six bagues découvertes dans les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis ont fait également l’objet de nouvelles déterminations par la méthode PIXE, avec plusieurs correctifs (figures 15-16). Figure 15 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Bagues en or serties de gemmes. En haut les trois bagues du S. 16 (fouilles É. Salin 1957). En bas, de gauche à droite, S. 62, S. 63 et S. 42 (fouilles M. Fleury). À noter que la bague de la S. 42 n’est pas sertie d’une gemme mais d’une plaquette de verre [© MAN / RMN ] Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 II.8 - Les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis : nouvelles recherches interdisciplinaires No D’INVENTAIRE No DE TOMBE 87.190 16 87.191 16 87.192 16 87.152 50 87.165 62 87.166 63 DÉTERMINATION E. SALIN / M. FLEURY NOUVELLE DÉTERMINATION saphir saphir viie siècle - Byzance chrysoprase ou émeraude émeraude améthyste ou saphir saphir début vie siècle intaille sur chrysoprase intaille sur chrysoprase améthyste ou saphir améthyste chrysoprase émeraude DATATION ca 500 Figure 16 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Nouvelle détermination des gemmes avec l’accélérateur de particules Aglaé. [© T. Calligaro, C2RMF] ARCHÉOZOOLOGIE Deux sarcophages ont livré des restes d’animaux, qui ont été étudiés par Olivier Putelat et Aurélia Borvon, archéozoologues. Le sarcophage 9, fouillé par É. Salin en 1957, conservait encore son couvercle, mais avait été pillé lors de l’implantation du sarcophage 8. Parmi les gravats qui le remplissaient, outre des restes de tissus, des fils d’or, deux boucles en alliage blanc (l’une de ceinture, l’autre d’aumônière), deux fragments d’éperons en fer et des tessons de céramique romaine, figuraient une écaille de poisson et une vertèbre de Cyprinidé ayant appartenu à une tanche, un barbeau ou une brème. Il est évidemment impossible ici de déterminer si ces restes de poissons étaient en relation avec le défunt ou découlaient au contraire d’un apport, de même que les tessons de poterie et les restes de coquilles, lié à la violation du sarcophage. Le sarcophage 37, fouillé par M. Fleury, était pour sa part intact, son couvercle étant demeuré scellé au plâtre. Le squelette était en place, avec la présence de restes de tissus et de fils d’or, ainsi que de deux boucles, l’une de ceinture en argent, l’autre d’aumônière en or, et de deux couteaux. Trois squelettes de très petits amphibiens, non observés lors de la fouille mais prélevés avec d’autres restes organiques, ont été retrouvés parmi ceux-ci. Ils offrent, du fait de leur mode de prélèvement, des lacunes anatomiques et leur emplacement dans la tombe n’est pas localisé. S’il est indubitable que ces trois batraciens ont bien été piégés dans le sarcophage avant sa fermeture, on ne peut évidemment conclure sur la manière dont ils y sont parvenus : lors du transport de la cuve au lieu de sépulture, avec le cadavre lui-même après son exposition ou geste volontaire ? OBJETS MOBILIERS Les mobiliers funéraires ont été publiés par M. Fleury et A. France-Lanord dans les Trésors mérovingiens de la basilique de Saint-Denis (1998), mais sans réelle étude typo-chronologique, ce que nous avons mené. Outre quelques objets usuels en fer, il s’agit essentiellement d’accessoires vestimentaires et d’objets de parure : boucles et plaques-boucles, fibules, bagues, boucles d’oreille, bracelets, scramasaxe avec son fourreau décoré. S’y ajoute le flacon de verre de la tombe d’Arégonde, seul vase de la nécropole. Exception faite de la garniture de ceinture et de la grande épingle de vêtement d’Arégonde, de la garniture de ceinture du S. 11 (fouilles M. Fleury) en argent doré, et de la plaque-boucle ajourée en argent du S. 9 (fouilles M. Fleury), à décor zoomorphe et d’une qualité exceptionnelle, il s’agit d’objets de type classique, mais réalisés en argent et non en alliage cuivreux, comme des boucles massives à ardillon scutiforme. Ces objets ont tous été réexaminés au C2RMF, qu’il s’agisse de leur composition chimique ou de leur technique de décoration. Il en a été de même pour le flacon de verre d’Arégonde. Il s’agit d’un verre au natron, ce qui est classique pour l’Occident durant la période romaine et la période mérovingienne, où on Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 167 Patrick PÉRIN, au nom du Saint-Denis’team importait des lingots de verre d’origine syro-palestinienne et égyptienne. Une des particularités des tombes féminines de Saint-Denis est également la présence de pyxides de bois et de cuir dont plusieurs sont des boîtes à ouvrage. Un certain nombre des objets recueillis dans les tombes de la basilique de Saint-Denis témoignent d’échanges à plus ou moins longue distance avec les duchés francs d’Alamanie, le royaume lombard d’Italie, mais aussi le monde méditerranéen et Byzance, ainsi que l’Inde et le Sri Lanka, preuves de la survivance du grand commerce antique à la période mérovingienne, au moins jusque vers 600 (PÉRIN, CALLIGARO 2019). LA TOMBE D’ARÉGONDE En 2003, la redécouverte des restes osseux de la tombe 49, que l’on croyait irrémédiablement perdus sinon même détruits (figure 17), a permis, de réouvrir le dossier d’Arégonde, dont la tombe est à la fois mieux conservée et plus documentée que toutes les autres (PÉRIN et alii 2007 ; RAST-EICHER, PÉRIN 2011). Au plan anthropologique, l’étude de ces restes, coordonnée par V. Gallien (CEPAM, Sophia Antipolis) a pu confirmer la gracilité et la petite taille de la défunte (entre 1,50 et 1,60 m) et mettre en évidence une hypoplasie du pied droit pouvant avoir résulté d’une poliomyélite contractée vers 4 ans (figure 18), comme le révèle un stress détecté par l’hypoplasie de l’émail dentaire (figure 19). Il a été également possible de constater que la défunte présentait un terrain hyperostosique marqué par des sites d’enthèses très développés sur tous les os disponibles et par des ostéophytes rachidiens évoquant la « maladie de Forestier ». Une arthrose cervicale et lombaire a par ailleurs été relevée. 168 Figure 18 – Saint-Denis (Seine-St-Denis). Os des pieds d’Arégonde. Ceux du pied gauche sont déformés. [© V. Gallien, Inrap] Figure 17 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Remontage du squelette d’Arégonde au MAN par V. Gallien en 2005. [© P. Périn, MAN] Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 II.8 - Les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis : nouvelles recherches interdisciplinaires Figure 19 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Mandibule inférieure d’Arégonde. [© V. Gallien, Inrap] Grâce à la méthode des céments dentaires, l’âge de la défunte a été corrigé et estimé à + 61 ans (et non plus vers 45 ans) par le Dr C. Rücker (CEPAM). De nouveaux travaux historiques fixant désormais en 534 la date de naissance de Chilpéric (en non plus en 537 ou 539), il est ainsi désormais possible de placer la mort d’Arégonde entre 572 et 583 (du fait des variables de son âge à la naissance de son fils et de celles de son propre décès), avec une forte probabilité entre 573 et 579 (figures 20-21). Cette datation historico-biologique soulève toujours le problème de la précocité apparente de la garniture de ceinture, nécessairement antérieure aux années 580 et dont pourtant le type ne se diffuse qu’au Mérovingien récent 1 (MR1). La classification chronologique que nous utilisons, MA (Mérovingien ancien) 1-3 et MR (Mérovingien récent) 1-3 est l’adaptation de la typo-chronologie consacrée d’H. Ament, avec les niveaux AM (Ältere Merowingerzeit) 1-3 et JM (Jüngere Merowingerzeit) 1-3 ; et alii 2016 ; figure 22). Âges possibles d’Arégonde à la naissance de Chilpéric Années de naissance correspondantes d’Arégonde 15 ans 18 ans 20 ans 519 516 514 Figure 20 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Années possibles de naissance d’Arégonde en fonction de son âge au moment de l’année de naissance de Chilpéric. [© P. Périn, MAN] DATES POSSIBLES DE NAISSANCE D’ARÉGONDE Nouvelle estimation biologique de l’âge de décès d’Arégonde 514 516 519 61 ans 575 577 580 64 ans / + 3 ans 578 580 583 58 ans / - 3 ans 572 574 577 Années possibles de décès d’Arégonde : meilleure possibilité : 575-580 ; fourchette large : 572-583 Figure 21 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Date de décès d’Arégonde en fonction de ses dates possibles de naissance et des estimations de son âge biologique. [© P. Périn, MAN] Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 169 Patrick PÉRIN, au nom du Saint-Denis’team 170 Figure 22 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Mobilier funéraire d’Arégonde. Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 II.8 - Les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis : nouvelles recherches interdisciplinaires La composition des plaques à partir de motifs inspirés des tenons scutiformes de ceinture plaide cependant en faveur d’une fabrication de cet ensemble au Mérovingien ancien III (MA3), de même que les motifs zoomorphes de la boucle et de l’extrémité des plaques en « Style II », représentés dès la fin du vie siècle. Une explication complémentaire possible est que cette garniture de ceinture ait résulté d’une commande royale, l’orfèvre ayant réalisé une création originale, sorte de « prototype », à partir des éléments dont il disposait alors : la notion de plaque-boucle et de contre-plaque, les tenons scutiformes, le style des pierres montées en bâte sur une feuille d’or (déjà présent sur des fibules discoïdes de la fin du MA3). Quant aux petites plaques-boucles en argent de la partie inférieure des jarretières, avec leur contour mouvementé épousant la forme de leur décor d’entrelacs zoomorphes, elles ont parfois servi d’arguments pour contester l’attribution à la reine Arégonde du contenu du sarcophage 49, ces objets étant datés du MR1, voire du MR2. En fait, comme plusieurs découvertes récentes le montrent, notamment en Picardie, ce type de petites plaques-boucles ainsi que leur décor en « style animalier II classique », s’il se diffuse à partir du MR1 (premier tiers du viie siècle), est déjà épisodiquement présent dès la fin du MA3 (dernier tiers du vie siècle ; figure 23), comme René Legoux l’a établi. Fin MA 3 / début MR 1 Saint-Sauveur 39 Fin MA 3 - Goudelancourt 63 Fin MA 3 - Goudelancourt 248B Figure 23 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Exemples de plaques-boucles de jarretières à décor zoomorphe en Style II, datables du MA3. [© R. Legoux] De même que ceux des autres tombes mérovingiennes privilégiées de la basilique de Saint-Denis, les bijoux d’Arégonde ont fait l’objet d’études et d’analyses systématiques au C2RMF (voir ci-dessus). On a ainsi pu confirmer la présence de « fausses » paires d’objets en ce qui concerne les boucles d’oreille et les pendants de jarretière (un exemplaire étant remplacé après sa détérioration ou sa perte), ainsi que les fibules cloisonnées (l’exemplaire de moins bonne exécution semble être une copie locale de l’exemplaire original, sans doute importé du sud-ouest de l’Allemagne, pour constituer une paire, selon la mode en vigueur dans la future Neustrie). L’origine des grenats a été déterminée, ceux de la paire de fibules et de la garniture de ceinture provenant d’Inde, à la différence des exemplaires de la grande épingle, majoritairement issus des gisements de Bohême (voir ci-dessus). Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 171 Patrick PÉRIN, au nom du Saint-Denis’team Nous avons d’autre part proposé que le nodule médian de cette épingle, dont on trouve des parallèles dans l’est de la mer Noire et le Caucase aux iie et iiie siècles, était un objet antique réutilisé. De tels remplois sont connus dans l’Occident mérovingien, comme le pendentif perse de la tombe de Wolfsheim en Allemagne (PÉRIN et alii 2007, p. 189-191). Du fait de ces objets de parure dépareillés, dont plusieurs témoignaient de traces d’usures et de réparation, on peut supposer que la vieille reine Arégonde, dont le fils Chilpéric, mort en 584, ordonna probablement les funérailles, avait choisi d’être enterrée avec des bijoux longtemps portés et qui lui étaient sans doute familiers et chers. Quant au réexamen des restes textiles subsistants, il a permis de remettre largement en question la reconstitution consacrée du costume d’Arégonde (figure 24a). C’est ainsi que les fragments d’ottoman de soie violette n’ont pu correspondre à une robe, comme l’avaient proposé M. Fleury et A. France-Lanord, mais servaient de doublure aux bordures de soie à motifs géométriques tissés aux planchettes (au nombre exceptionnel d’une centaine) qui soulignaient l’ouverture du manteau de soie teint de pourpre (cas unique pour les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis, qui accrédite, si besoin était, le rang royal d’Arégonde ; figure 24b). C’est en fait sur ce manteau, et non sur la « pseudorobe de soie violette », qu’était portée la garniture de ceinture, comme en témoignent les restes de tissus et de cuir retrouvés sous les plaques de la ceinture. On a pu également 172 A B Figure 24 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Reconstitution du costume d’Arégonde. A : par Michel Fleury et Albert France-Lanord ; B : par Antoinette Rast, Marquita Volken et Patrick Périn, dessin de Florent Vincent [© A : FLEURY, FRANCE-LANORD 1998, p. II-133 ; B : Archäologisches Museum de Francfort-sur-le-Main] Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 II.8 - Les tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis : nouvelles recherches interdisciplinaires préciser que la défunte portait un long voile en samit de soie de couleur jaune et rouge qui descendait au moins jusqu’à la taille. D’autres types de tissus, précieux ou non, qui n’avaient pas tous été reconnus auparavant, ont été identifiés, sans qu’on puisse le plus souvent en donner une interprétation vestimentaire satisfaisante dans la mesure où ils ne sont pas localisables sur le corps de la défunte. En définitive, et à la différence de ce que M. Fleury et A. France-Lanord avaient proposé dans leur publication de 1998, la reconstitution du costume d’Arégonde se limite aujourd’hui à son manteau et à son voile, ainsi qu’à sa ceinture, ses jarretières et ses chaussures, à l’exclusion des autres vêtements qui étaient portés sous le manteau. La robe qu’elle portait n’est évoquée que par ses manchettes de cuir. Le réexamen tracéologiques des restes de cuirs de chèvre des chaussures, effectué par M. Volken, a rendu obsolète leur reconstitution publiée par M. Fleury et A. FranceLanord en 1979. Il ne s’agit pas en fait de bottines, mais d’escarpins à bout effilé, du type « babouches », découpés chacun dans une seule pièce de cuir, avec un décor brodé de soie sur le dessus et un triangle gaufré rapporté à l’arrière (figure 25). En revanche, la reconstitution des jarretières a été confirmée, et notamment le fait que les extrémités inférieures de leurs courroies étaient croisées sous et sur les chaussures, sans y être cousues, et maintenues par de petites plaques-boucles en argent. 173 Figure 25 – Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Reconstitution par Martina Volken des cuirs de la ceinture et des jarretières d’Arégonde, ainsi que celle des chaussures et des manchette de la robe. [© Archäologisches Museum de Francfort-sur-le-Main] Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 Patrick PÉRIN, au nom du Saint-Denis’team RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BRUZEK J. (2002) – A Method for Visual Determination of Sex, Using the Human Hip Bone, American Journal of Physical Anthropology, 117, 1-2, p. 157-168. CALLIGARO T., PÉRIN P. mit Beiträgen von BUCHET L., CASSIMAN J.-J., DARTON Y., GALLIEN V., POIROT J.-P., RAST A., RUCKER C., VALLET F. 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Composition de l’équipe pluridisciplinaire ayant repris l’étude en laboratoire des tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis - Archeotex (Ennenda, Suisse) : Antoinette RAST-EICHER (textiles) ; - Argonne National Laboratory (Illinois, USA) : Dr Antonio LANZIROTTI (embaumement possible d’Arégonde par voie buccale) ; - Center Human Genetics (Louvain, Belgique) : Prof. Jean-Jacques CASSIMAN, Prof. Ronny DECORTE (ADN) ; - Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (Paris, France) : Thomas CALLIGARO (analyses AGLAE et RAMAN), Jean-Paul POIROT † (gemmologie), Pascale RICHARDIN (C14) ; - Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques, Champs-sur-Marne, Witold NOWIK (colorants) ; - École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris, France) : Sophie DESROSIERS (soie) ; - Gentle Craft. Centre de Calcéologie et Cuirs anciens (Lausanne, Suisse) : Marquita VOLKEN ; - Musée d’Archéologie nationale (Saint-Germain-en-Laye, France) : Patrick PÉRIN (coordinateur du programme de recherche), Françoise VALLET (conservatrice en chef honoraire), Fanny HAMONIC, conservatrice du Département du premier Moyen Âge, Clotilde PROUST, ancienne cheffe du laboratoire de restauration) ; - Seoul National University College of Medecine de Séoul, Dept. of Anatomy (Séoul, Corée du Sud) : Dr Dong HOON SHIN (histologie des cheveux et toxicologie des restes de poumon présumés d’Arégonde) ; - Unité d’Archéologie de Saint-Denis (Saint-Denis, France) : Michael WYSS (topographie et sarcophages), GDF Suez : Jean-Pierre GELY (pétrographie) ; - Universita degli Studi di Torino, Dept. Of Public Health and Pediatric Sciences (Turin, Italie) : Dr Raffaella BIANUCCI (recherches épidémiologie sur un reste présumé du poumon d’Arégonde) ; - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 7041 - ArScAn, Équipe Archéologie environnementale : Olivier PUTELAT, Aurélia BORVON (archéozoologie) ; - Université de Nice-Sophia Antipolis, CNRS / UMR 7264 - CEPAM : Luc BUCHET, Véronique GALLIEN †, Dr Yves DARTON (paléopathologie), Dr Claude RUCKER † (céments dentaires). Patrick PÉRIN MAN / Saint-Denis’team [email protected] Pour citer cet article PÉRIN P. au nom du Saint-Denis’team (2023) – Les tombes mérovingiennes de la basilique de SaintDenis : nouvelles recherches interdisciplinaires, dans : LE FORESTIER C. (dir.), Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, Paris, Les Amis de la Revue archéologique d’Île-de-France, p. 157-175 (RAIF, supplément 7). Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France, RAIF, supplément 7, p. 157-175 175 Le haut Moyen Âge, et plus particulièrement la période mérovingienne, est marqué par un changement de société qui débute à la fin de l’Antiquité. Que ce soit par les institutions politiques, le système économique ou la religion, les pratiques funéraires vont alors évoluer entre le ive et le viiie siècle. Au sein des sépultures, la structure funéraire, le mobilier accompagnant le défunt, la façon d’envisager la mort et les restes osseux sont des marqueurs pertinents pour la compréhension de cette transformation sociétale. Le PCR Archéologie des nécropoles mérovingiennes en Île-de-France a débuté en 2014 pour s’achever en 2020 et a réuni de nombreux archéologues franciliens. L’objectif de ce programme de recherche était d’abord de collecter, au sein d’un Système d’Information Géographique, les données spatiales et attributaires issues des fouilles qui se sont déroulées entre le première moitié du xixe siècle et le début du xxie siècle d’abord par des amateurs locaux et dernièrement par des opérateurs d’archéologie préventive. Cet inventaire détaillé a été réalisé pour 452 sites, publié en 2016 dans le rapport d’activité du PCR : il sert de base à de nombreuses recherches franciliennes en archéologie funéraire. Le second objectif était de réunir des contributions de spécialistes de l’archéologie funéraire du haut Moyen Âge abordant des thématiques variées comme l’historiographie de la discipline, les collections du Musée de Saint-Germain-en-Laye, la typologie des pratiques funéraires, les épitaphes et les stèles, les manipulations osseuses, les pillages, le mobilier en alliage cuivreux et en céramique, la paléopathologie et la paléodémographie. Cette publication est accompagnée de 7 articles abordant des ensembles funéraires originaux et dont la plupart ont été fouillés récemment : Bonneuil-en-France, Frépillon, Saint-Pathus, Lagny, Noisy-le-Grand, Saint-Denis et Vicq. The Early Middle Ages, and more specifically the Merovingian period, are marked by changes in society which begin at the end of the Roman period. Whether influenced by political institutions, the economic system or religion, funerary practices evolve between the 4th and the 8th century. Within graves, the funerary structure, grave goods, the way death is envisaged and bone remains are relevant markers for understanding this transformation in society. Designed as a collective research project and launched in 2014, “Archaeology of Merovingian cemeteries in the Ile-de-France” brought together numerous regional archaeologists until 2020. The research programme’s purpose was firstly to compile, within a Geographic Information System, spatial and attribute data from excavations carried out between the first half of the 19th century and the beginning of the 21st century, initially by local amateurs and latterly by archaeological contractors. A detailed inventory of 452 sites, published as a project report in 2016, has provided the basis for numerous regional funerary archaeology research projects. The second purpose was to bring together contributions from specialists in early medieval funerary archaeology covering subjects as varied as the history of this field of research, the National Museum of Archaeology collections, the typology of funerary practices, epitaphs and gravestones, bone treatment, looting, copper alloy and pottery artefacts, paleopathology and paleo-demography. The publication includes 7 articles which look at particular funerary assemblages from Bonneuil-en-France, Frépillon, Saint-Pathus, Lagny, Noisy-le-Grand, Saint-Denis and Vicq, the majority recently excavated. ISSN : 2101-3608 ISBN : 978-2-9552594-4-3 PRIX : 30 € 9 7 8 295 5 2 594 43