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Modes d'action des protéines Hox : des perspectives nouvelles

2001, médecine/sciences

MINI-SYNTHÈSE médecine/ sciences 2001 ; 17 : 781-7 M odes d’action des protéines Hox : des perspectives nouvelles Les gènes Hox, acteurs clés du développement, codent pour des facteurs de transcription conservés au cours de l’évolution dont l’activité détermine la diversité de forme et de fonction le long de l’axe antéro-postérieur chez les métazoaires. Depuis la découverte de l’homéodomaine voilà aujourd’hui plus de quinze ans, subsiste le paradoxe de protéines présentant des propriétés intrinsèques de liaison à l’ADN très similaires qui L es gènes homéotiques (Hox) sont d es acteu rs clé d u d évelop p em e n t d o n t l’o r gan isatio n e n co m p le xe e t la fo n ctio n o n t é té r e m ar q u ab le m e n t co n se r vé e s au cours de l’évolution [ 1] . Ils codent pour des facteurs de transcription à h oméodomain e ( H D) respon sables d e la d iver sité m or p h ogén étiqu e. Une constante dans la structure des p rotéin es H ox est la p résen ce d e l’HD, un motif hélice tour hélice de soixante acides aminés qui constitue leur un ique domain e d’in teraction avec l’ADN [ 2, 3] . Présent dans bien d’autres facteurs de transcription que les protéines Hox, l’HD est relativem e n t p e u co n se r vé e n te r m e d e séq u en ce p r im air e m ais p r ésen te cepen dan t un e structure tridimen sion n elle et un mode d’in teraction avec l’ADN très conservés. On remarquera que treize acides aminés strictem en t con ser vés d éfin issen t u n e sign ature propre aux H D des protéines Hox. Sept de ces treize résidus fon t partie de la troisièm e h élice, appelée « h élice de recon n aisan ce » en raison de son interaction avec le sillon majeur de la fibre d’ADN. Une glutam in e en position 50 joue un rôle déterminant dans la reconnaissance du motif nucléotidique. m/ s n° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001 enclenchent cependant des programmes développementaux parfaitement distincts. Dans cette revue, nous traiterons des mécanismes qui permettent aux différentes protéines Hox d’acquérir des fonctions spécifiques in vivo et discuterons dans quelle mesure les avancées récentes ouvrent des perspectives nouvelles vers une meilleure compréhension du mode d’action des protéines Hox. Si la découverte de l’HD, voilà maintenant plus de quinze ans, a permis de poser les bases moléculaires du mode d’action des protéines homéotiques, elle a très vite soulevé la question des mécanismes leur permettant d’acquérir des fonctions spécifiques chez l’animal entier [ 4] . Les études biochimiques de la liaison à l’ADN ont en effet montré que les HD des d iffé r e n t e s p r o t é in e s H o x, d o n t l’identité peut dépasser 90 %, se lient tous à une séquence de six paires de bases ayant un cœ ur de type ATTA. Toutes les protéines Hox présentent donc sinon le même, du moins un potentiel très similaire de reconnaissan ce n u clé o tid iq u e in vitro. Ce s observation s semblaien t don c paradoxales au regard de la fonction particu lièr e q u e r em p lit ch acu n d es gèn es Hox au cours du développement, paradoxe qui n’est pas encore totalem en t levé au jou rd ’h u i. Dan s ce tte r e vu e , n o u s e xam in o n s le s mécanismes qui permettent de distinguer fonctionnellement les activités des différen tes protéin es H ox ch ez l’an imal en tier. L’essen tiel des travaux menés sur la question a porté sur la modulation des propriétés de liaison des protéines Hox à l’ADN, d ’au tres, m oin s n om breu x et p lu s récents, traitent du contrôle de leur fonction transrégulatrice. Modulation des propriétés de liaison à l’ADN des protéines Hox : formation de complexes hétéromériques Comme les protéine Hox se lient à l’ADN sans grande spécificité, il a très vite été proposé qu’elles agissent en interaction avec d’autres protéines ou « co-facteurs » et que seuls les complexes h étéromériques soien t dotés d’une reconnaissance nucléotidique suffisante pour rendre compte de leur fonction in vivo (Tableau I, figure 1A). Le premier gène proposé pour coder pour un co-facteur de protéines Hox a été le gène de drosophile extradenticle (exd) [5]. La protéine Exd possède un HD très voisin (71 % d’identité) de ceux du proto-oncogène humain Pbx1 [ 6] e t d e s au tr e s m e m b r e s d e la famille, Pbx2 et Pbx3, et ceh20 de C. elegans. L’ensemble constitue la famille Pbc de co-facteurs des protéines Hox. Il est aujourd’hui clairement démontré que les hétérodimères Hox/ Pbc se lient à l’ADN de manière coopérative [7]. La formation du complexe ternaire Hox/ Pbc/ ADN met en jeu des 781 Tableau I. Gènes candidats pour le contrôle de l’activité des protéines Hox. Co-facteurs Hox chez la drosophile Protéines Hox Homologues vertébrés Extradenticle (Exd, HD fam ille TALE) Lab, Scr, Dfd, Ubx, AbdA Protéines Pbc Hom othorax (Hth, HD fam ille TALE Lab, Scr, Dfd, Ubx Protéines M eis et Prep1 Scr, Antp, Ubx, AbdA Protéines Teashirt Teashirt (Tsh, doigts de Zinc) Cap-n-collar (Cnc, dom aines bZip) NF-E2, (TCF11, Nrf1) Deaf1 Dfd Deaf1, APT1, Suppressin, CBFA2T1 Lines (Lin) AbdB Apontic (Apt, bZip atypique, liaison ARN) Dfd, Src Splits ends (Spen, m otifs RRM , liaison ARN) Dfd, Antp Protéine phosphatase (PP2A) Caséine kinase II (CKII) Séquence EM BL : AL096858 Src PP2ARA PP2ARB Antp CSNK2A1 Ce tableau résum e les propriétés de gènes de drosophile dont la caractérisation génétique et m oléculaire suggère une fonction de contrôle de l’activité des protéines Hox. On notera que ces gènes codent pour des protéines dont les propriétés m oléculaires sont variées, facteurs de transcription liant l’ADN, protéines liant l’ARN ou encore protéines m odificatrices telles que kinase et phosphatase, indiquant une diversité im portante dans les m odes de contrôle de l’activité des protéines Hox. Certains co-facteurs sont spécifiques d’une protéine Hox, d’autres sont nécessaires à l’activité de plusieurs protéines Hox. HD : hom éodom aine ; TALE: three am ino acid loop extension ; Lab : labial ; Src : sex com b reduced ; Dfd : deform ed ; Ubx : Ultrabithorax ; Abd : abdom inal ; Antp : Antennapedia. in teraction s d e ch acu n d es p arten aires protéiques avec la séquen ce n ucléotidique TGATNNATNN ain si que des in teraction s protéin e/ protéine. Dans ce modèle confirmé par l’établissement de la structure tridimensionnelle de certains de ces complexes [8, 9], Pbc contacte les quatre premiers nucléotides alors que la protéine Hox se lie à la partie 3’ du site. Les interactions Hox/ Pbc impliquent l’HD et un motif YPWM précédant l’HD de la protéine Hox, ainsi que l’HD et la séquence C-terminale adjacente dans Pbc. 782 Conceptuellement, l’existence de tels complexes offre plusieurs in térêts. Tout d’abord, le complexe a une spécificit é d e liaiso n n u clé o t id iq u e accrue en comparaison des mon omères Hox. Ensuite et surtout, des complexes con ten an t des protéin es H o x d istin cte s r e co n n aisse n t d e s séquences qui diffèrent par la nature des nucléotides NN en position centrale [ 10] . Ainsi, l’orthologue murin de lab, Hoxb1 possède un élémen t auto-régulateur ( c’est-à-dire contrôlé par la protéine Hoxb1 elle-même) de vingt paires de bases ( pb) et, si l’on ch an ge les d eu x n u cléotid es cen traux GG en TA, cet élément répond alors à la protéine Dfd [ 11] . Si ce modèle est séduisant dans son prin cipe, plusieurs observation s en illu stren t d éjà les lim ites. La p rem ière est qu e d es région s régu latr ices qu i n e con tien n en t p as d e con sen sus iden tique ou similaire à ceux décrits ci-dessus reproduisent in vivo l’expression de certain s gèn es com m e Dfd . Ceci in d iqu e qu e ce con sen su s n e sem ble p as être u n motif obligé de l’interaction avec les p r o té in e s H o x [ 12] . La se co n d e con cern e u n élém en t en han cer d u gèn e fkh réglé p ar l’h étérod im ère Scr/ Exd [ 13] . Dans cet élément, les deux n ucléotides dits de spécificité sont T et A, identiques donc à ceux de l’élément responsable de l’activat io n d e Dfd p a r l’h é t é r o d im è r e Dfd / Exd . En fin , la m u tatio n d es d eu x n u cléotid es cen trau x GG en TA, ce qui dans l’enhancer de HoxB1 modifie l’élément répondant à Lab en un élément répondant à Dfd, est san s e ffe t d an s le co n te xte d ’u n enhancer de 550 pb du gène lab respon sable de l’autorégulation de ce gène dans l’endoderme [ 14] . Ce dernier cas est particulièrement probant car cet enhancer de lab, contrairement aux autres eléments de réponse aux p r o t é in e s H o x, co n t ie n t u n sit e unique Hox/ Pbc. Dès lors, il est ten tan t de postuler qu e d ’au tres p rotéin es p articip en t a u x co m p le xe s m u lt ip r o t é iq u e s H ox/ Pbc [ 15] . De telles protéin es ont effectivement été identifiées aussi bien chez la drosophile que chez les vertébrés. H omoth orax ( h th ) [ 16] , l’orth ologue des protéin es Meis de vertébrés et de Prep1 [ 17] , sont des protéines possédant, comme Exd, un H D p ar ticu lier qu i p r ésen te tr ois acid e s am in é s su p p lé m e n tair e s à l’extrémité C-terminale de l’hélice 1 ( famille TALE, three amino acid loop extension ) . Ces protéines ( Hth/ Meis) sont capables d’interagir directement avec les protéines des familles Pbc et Hox. L’hypothèse séduisante est que dans un complexe tripartite Hox-PbcMe is/ Pr e p 1, ch a q u e p a r t e n a ir e contacte l’ADN par son HD et contribue par là à une meilleure spécificité d e r eco n n aissan ce n u cléo tid iq u e. L’existence de ce type de complexe a m/ s n ° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001 mériques. La multiplicité et la nature des in teraction s mises en jeu ain si qu e leu rs in cid en ces su r le m od e d’action in vivo des protéin es H ox restent cependant encore à élucider. Faible spécificité de liaison à l’ADN des protéines Hox in vitro : est-ce aussi vrai in vivo ? Figure 1. M odes d’action des protéines Hox. Trois m odèles qui diffèrent par la qualité de la liaison à l’ADN des protéines Hox sont présentés. Afin d’illustrer la m anière dont la spécificité fonctionnelle des protéines Hox est acquise dans chacun de ces m odèles, quatre gènes dont les propriétés de contrôle par les protéines Hox sont distinctes, sont représentés. Le gène 1 est réprim é par la protéine Hox A. Les gènes 2 et 4 sont respectivem ent activés par les protéines Hox B et C. Le gène 3 n’est pas réglé par les protéines Hox. A. Dans le m odèle de liaison spécifique, l’interaction des protéines Hox A, B et C avec un co-facteur leur perm et de se lier sous form e d’hétérodim ère spécifiquem ent aux régions régulatrices des gènes 1, 2 et 3 dont ils contrôlent respectivem ent l’expression. B. Dans le cas d’un m ode de liaison double, spécifique et peu spécifique, les com plexes Hox/co-facteurs se lient à l’ADN suivant les m êm es m odalités que dans le m odèle A. En revanche, les protéines Hox A, B et C se lient égalem ent aux régions régulatrices des gènes 1-4. La liaison des protéines Hox A, B et C en l’absence de sites pour l’hétérodim ère Hox-co-facteur A/B/C ne perm et cependant pas l’activation. Dans le cas du gène 1, la capacité des protéines Hox B et C de lier les régions régulatrices du gène 1, ainsi que la probable absence de nécessité de co-facteur pour les fonctions répressives des protéines Hox, sont suffisantes pour rendre com pte de l’interchangeabilité des protéines Hox dans la répression de gènes cibles. C. Dans ce dernier m odèle, les protéines Hox se lient à l’ADN de m anière peu spécifique. Les spécificités de régulation résultent de l’interaction avec des co-facteurs, dont la fonction n’est plus d’affiner les propriétés de liaison des protéines Hox, m ais d’en contrôler les activités transrégulatrices. été d ém on trée d an s p lu sieu rs cas [ 18-20] . L’identification de nouveaux cofacteu rs d e la fam ille Meis/ H th m/ s n ° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001 ouvre donc des perspectives supplémentaires en termes de dynamique d’assemblage de complexes h étéro- La question de la réalité d’une liaison peu spécifique à l’ADN in vivo a été abordée au n iveau moléculaire pour des protéines à HD, non Hox, impliquées dans les étapes précoces d e l’em br yogen èse d e d r osop h ile [ 21-23] . Des expériences d’immunop r é cip itatio n d e co m p le xe s ADN génomique/ protéine ont permis de montrer que les facteurs à HD Fushitarazu ( Ftz) , Even-skipped ( Eve) , Paired ( Prd) et Bicoid ( Bcd) se lient aussi bien à proximité de cibles attendues ( les gènes de la cascade génique qui segmente l’embryon) , qu’à proximité de gèn es don t on pen se qu’ils n e son t p robablem en t p as d es cibles ( Actin 5C, r osy, ad h et h sp 70) . Il apparaît don c que ces protéin es à HD sont associées en de très nombreux sites in vivo. L’observation la plus convaincante de ce point de vue est que les séquences des fragments d’ADN immun oprécipités par ch acune des protéines reflètent les différ en ces in tr in sèqu es d e r econ n aissa n ce n u clé o t id iq u e m ise s e n évid e n ce in vitro : Ftz e t Eve q u i r e co n n aisse n t in v itro le s m ê m e s motifs nucléotidiques imunoprécipit e n t le s m ê m e s fr agm e n t s gé n o m iqu es ; en revan ch e, la p rotéin e Bcd, dont l’acide aminé en position 50 de l’HD diffère de celui présent dans les protéines Ftz et Eve, ainsi que la protéine Prd, dont les propriétés de liaison à l’ADN in vitro sont distinctes de celles de Ftz/ Eve et Bcd, im m u n op récip iten t d es fragm en ts qui leur sont propres. Compte tenu de la conservation de l’HD et de son mode d’interaction avec l’ADN, la conclusion d’une liaison des protéines à HD en de très nombreux sites dans le génome pourrait aussi s’appliquer aux protéin es Hox. Les protéines Hox se lieraient à des séquen ces de type TAAT aussi bien dans des régions régulatrices de gèn es cibles que dan s des région s 783 régulatrices de gènes dont l’expression n’est pas sous contrôle homéotique (figure 1B). Ce constat appelle p lu sieu r s com m en tair es. D’abor d , cette obser vation p ou r r ait r en d r e compte de la difficulté à identifier des gènes cibles des protéines Hox in vivo par des approches d’immunoprécipitation de fragments de chromatine, approche qui constitue pourtant dans son prin cipe la méth ode de ch oix pour identifier des gènes directement réglés [24, 25]. Ensuite, il est intéressant de considérer que la faible spécificité de liaison à l’ADN que les protéines Hox présentent in vivo puisse néanmoins avoir une réalité physiologique et recouvrir certains aspects de leur fonction. On remarquera que la plupart des gènes cibles identifiés sont communs à plusieurs protéines Hox et que celles-ci sont capables de se remplacer mutuellement pour réprimer la même cible [26]. Cette interchangeabilité dans la répression (qui n’a pu être observée dans l’activation des gènes cibles) pourrait donc reposer sur la faible spécificité de liaison des protéines Hox et sur l’existence d e m o tifs TAAT r ép étés d an s les régions régulatrices de cibles réprimées (figure 1B). La répression dans de tels cas pourrait simplement résulter d’un encombrement stérique dû à la fixation de protéines Hox sur ces motifs [ 27] . En fin , on remarquera que ce mode de liaison peu spécifique co-existe avec un mode de laison cosélectif des complexes Hox/ Pbc dans le s r é gio n s r égu latr ice s d e gè n e s cibles. La mutagenèse systématique de ce s site s, d an s l’en han cer dpp p ar exemple [ 28-30] , a mon tré que les deux classes de sites contribuent. Il est d on c ten tan t d e con clu re qu e les deux modes de liaison des protéines Hox à l’ADN, sous forme monomérique avec une faible spécificité (motif TAAT) et sous forme hétéromérique ave c u n e sp é cificité accr u e ( site H o x/ Pb x) , so n t n é ce ssair e s au con trôle tran scription n el des cibles (figure 1B). Une spéculation supplémentaire quant à la richesse en sites TAAT des locus contrôlés est de proposer que ceux-ci servent de « réservo ir » p o u r favo r ise r lo cale m e n t l’assemblage de complexes multimériques, qui eux assureraient les fonctions régulatrices. 784 Contrôle de l’activité transrégulatrice des protéines Hox Si les données discutées dans le chapitre précédent font ressortir que les p rotéin es H ox se lien t en d e très nombreux sites dans le génome, elles suggèren t égalemen t que certain es de ces liaisons n’ont pas d’incidence sur le contrôle transcriptionnel des gèn es voisin s. Cela soulign e l’existence d’un niveau supplémentaire de con trôle qui se situe au n iveau de l’activité tran srégu latrice d es p ro teines Hox (figure 1C). Les données les plus significatives en ce sens ont été obtenues en fusionn an t ce r tain e s p r o té in e s H o x au domain e tran sactivateur de la protéine VP16 chez la drosophile [31]. La première protéin e H ox étudiée d an s ce con texte a été Ubx d on t l’activité d é te r m in e u n e id e n tité abdomin ale. Dan s un mutan t Antp (Antennapedia), les segments thoraciques postérieurs (T2 et T3) adoptent l’identité du segment immédiatement antérieur (T1). L’expression de Ubx-VP16 chez ce mutant permet de restaurer une identité de type Antp, démon tran t que Ubx-VP16 peut se substituer à Antp. Ainsi, la fusion du domaine activateur de VP16 modifie in vivo la fon ction h oméotique de Ubx en celle de An tp . D’un autre point de vue, Ubx-VP16 produit de manière ubiquitaire dans un contexte p ar aille u r s sau vage , e st cap ab le d’activer Antp de manière ectopique. Cette observation est intéressante à deux points de vue. Tout d’abord, on sait que la transcription de Antp est réprimée par Ubx pendant le dévelop p em en t, et d on c l’ad d ition d u domaine VP16 ne modifie probablem en t p as la sp écificité d e liaison puisque Antp reste une cible de la ch im ère. Elle in dique en suite que l’activité transrégulatrice est inversée, Ubx agissan t comme répresseur et Ubx-VP16 comme activateur de Antp. La m o d ifica t io n in t r in sè q u e d u p oten tiel tran srégu lateu r d e Ubx, sans changer sa propriété de liaison à l’ADN, a donc une incidence radicale sur sa spécificité d’action. Des expériences similaires, réalisées par les mêmes auteurs en utilisan t un e autre ch imère, Dfd-VP16 [ 12] , démontrent également que la fonction de protéines Hox est modulée au niveau de leur activité transrégulatrice. Dans ce cas, l’incidence sur la spécificité d’action proprement dite n’est pas aussi marquée que dans le cas de Ubx-VP16 au sens ou la chimère Dfd-VP16, à l’inverse de UbxVP16, n’acquiert pas l’identité d’une autre protéine Hox. La situation est cepen dan t particulièremen t in téressan te car l’an alyse des mécan ismes moléculaires qui permettent l’activité de la chimère a conduit à proposer que Exd module l’activité transrégulatr ice d e Dfd . Ce tte co n clu sio n s’appuie sur la comparaison des capacités des protéines Dfd et Dfd-VP16 à activer deux enhancers syn th étiques con ten an t l’u n u n site d e liaison p o u r le m o n o m èr e Dfd (en han cer Dfd), l’autre un site de même affinité m ais p o u r le co m p le xe Dfd / Exd (en han cer Dfd/ Exd) . L’en han cer Dfd n ’est pas activé par Dfd alors qu’il l’est p ar Dfd -VP16, in d iqu an t qu e Dfd se lie à l’enhancer mais ne permet son activation qu ’en p résen ce d u d om ain e tran sactivateu r VP16. En r e va n ch e , l’ en han cer Dfd/ Exd e st activé par le complexe Dfd/ Exd sans qu’il soit nécessaire que Dfd soit coup lé à VP16. Sach an t q u e Dfd e t Dfd/ Exd ont des affinités identiques pour leurs enhancers respectifs, ces résultats in diquen t que la protéin e Exd facilite le mécan isme d’activation transcriptionnnelle. Les auteurs proposent que l’HD de Dfd neutralise un domaine transactivateur localisé dan s la partie amin o-termin ale de Dfd et que le recrutement de Exd lève cette neutralisation. En résumé, ces données sont autant d’argumen ts en faveur d’un n iveau supplémentaire de contrôle mettant en jeu les propriétés transrégulatrices des protéines Hox. Elles ont conduit à proposer que la protéine Exd, dont on sait déjà que le recrutement par les protéines Hox module leur spécificité de liaison à l’ADN, soit égalemen t impliquée dans le contrôle de leur activité transrégulatrice. Gènes impliqués dans le contrôle de l’activité des protéines Hox La notion de co-facteur, telle qu’elle est aujourd’hui généralement entenm/ s n ° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001 due, s’applique à une protéine interagissant physiquement avec une protéine Hox pour en modifier les prop r iétés d e liaiso n à l’ADN. No u s avons vu dans le chapitre précédent que le co-facteur prototype Exd intervient à deux niveaux pour contrôler l’activité des protéines Hox : la reconnaissance de la cible ADN d’une part et le contrôle de l’activité transactivatrice propremen t dite d’autre part. La notion de « co-facteur » doit donc être prise au sens large et s’appliquer à toute protéine qui modifie l’activité des protéines Hox, qu’elle en change ou n on les propriétés de liaison à l’ADN. Plu sie u r s can d id ats, d o n t l’an alyse gén étiqu e et/ ou m olécu laire révèle un e fon ction de cofacteur de Hox tel que nous venons de le définir, ont été isolés chez la drosop h ile (T ableau I) . Ces can d id ats agissent à des niveaux et suivant des mécanismes divers. Certain s in teragissen t d irectem en t avec l’ADN des gènes cibles. teashirt (tsh) [ 32, 33] et cap’n’collar (cnc) [ 34] , gènes dont la mutation entraîne des p h é n o typ e s h o m é o tiq u e s, co d e n t pour des protéin es qui présen ten t d es m otifs d ’in teraction à l’ADN, doigt à zinc et bZip respectivement. T sh, exprimé dans tous les segments du tronc, est nécessaire, en combinaison avec les gènes Hox, à la définitio n d e s id e n tité s th o r aciq u e s e t abdomin ales [ 32] . Cnc est exprimé de façon beaucoup plus restrein te d a n s la r é gio n a n t é r ie u r e d e l’embryon et sa fon ction est essen tielle à l’acqu isition d es id en tités m an d ibu laires et labiales [ 35] . La protéine Deaf1 a été isolée par la biochimie sur la base de sa liaison à une séqu en ce rép étée in versée d ’ADN in dispen sable à l’activité d’un élémen t auto-régulateur du gèn e Dfd [ 36] . Les mécan ismes par lesquels ces trois protéin es qui lien t l’ADN modulent l’activité des gènes Hox restent encore à clarifier. Deux autres facteurs identifiés par la génétique constituent également de bons candidats. Le gène lines (lin), est nécessaire à la définition par AbdB de l’id e n t it é d u se gm e n t A8 ch e z l’embryon [37]. Lin est le seul co-facteur potentiel de AbdB, et sa fonction n’est pas requise pour l’activité des autres protéines Hox. Il s’agit d’une m/ s n° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001 protéine pionnière, dont la fonction b io ch im iq u e et le m o d e d ’actio n demeurent inconnus. Le cas du gène apontic (apt), d’abord identifié comme un interacteur génétique de Dfd [38], est particulièremen t in téressan t. En combinaison avec les gènes Dfd et cnc, avec Dfd seul, ou avec Sex combs reduced (Scr) et spalt (sal), apt spécifie les identités prises par les différents segments de tête de l’embryon . La fon ction moléculaire de Apt, qui code pour u n e p rotéin e p résen tan t u n m otif bZip atypique, a été étudiée pendant l’oogén èse seulemen t. Apt se lie à l’ARN messager du gène oskar pour en réprimer la traduction, en association avec la protéine Bruno [39]. Si Ap t in te r ve n ait se lo n le s m ê m e s modalités moléculaires au cours de la m or p h ogen èse d es segm en ts gn athaux, ce serait le premier exemple d’un mécanisme post-transcriptionnel de con trôle de l’activité des gèn es Hox. L’identification des cibles moléculaires de la protéine Apt dans le contexte de sa fonction homéotique devrait être très informative. La notion de « co-facteur » pourrait également être étendue à des molécules agissant au niveau post-traductionnel, et plus largement encore à des facteurs d’épissage. Il est établi depuis longtemps que les protéines H ox son t mûries par ph osph orylation [ 40] . Deux études récentes ont montré que la caséine kinase II ainsi qu’un e sous-un ité régulatrice de la sérin e-th réon in e protéin e ph osph atase 2A ( dPP2A) interagissent directemen t avec des protéin es An tp et Scr respectivement [ 41, 42] . Dans les deux protéines Hox, des mutations qui miment des états phosphorylés et d ép h osp h orylés m od u len t les p ropriétés de liaison à l’ADN in vitro et modifient leur fonction in vivo. Il est connu, également depuis longtemps, que les gènes Hox sont soumis à ép issage altern atif [ 43] . Récem m e n t, l’im p o r tan ce d e l’é p issage alternatif comme mode de contrôle d e l’activité d es gèn es H ox a été remise à l’ordre du jour par l’identification du gène split ends (spen) [ 44] . L’an alyse gé n é tiq u e in d iq u e q u e Sp e n e t Dfd so n t t o u t e s d e u x requises pour la formation de structures de tête, les sclérites, alors que, Spen, Tsh et Antp répriment conjoin- tem en t la form ation d e stru ctu res analogues dans le thorax. La nature moléculaire de la protéine Spen qui p o ssè d e tr o is m o tifs d e liaiso n à l’ARN su ggère qu ’elle p u isse être impliquée dans la maturation et/ ou l’épissage de messagers dont les prod u it s a u r a ie n t u n r ô le d a n s le con trôle de l’activité des protéin es H ox Dfd et An tp. Un e vision plus spéculative serait que Spen ait pour cibles les m essagers d es p rotéin es Hox elle-mêmes. Conclusions L’étude de la spécificité d’action des protéin es H ox a ces dix dern ières an n ées con d u it à u n e p rod u ction abondante de données décrivant la m an ière don t un e fam ille de protéin es, les protéin es Pbc modulen t les propriétés de liaison à l’ADN des protéines Hox. Cet ensemble de données, solide, est cependant restreint à u n m o d e u n iq u e d e co n tr ô le d e l’activité des protéines Hox, celui de la sélectivité de liaison. Depuis peu, l’idée domin an te selon laquelle la sp écificité d ’actio n d es p r o téin es Hox repose essentiellement sur leurs p rop riétés d e liaison à l’ADN est sérieusement bousculée. Des travaux, certes encore peu nombreux, soulignent l’importance du contrôle de la cap acité tr an sr égu latr ice d es p r otéines Hox, semble-t-il indépendamment de leur propriété de liaison à l’ADN . Il s’a git d ’u n e a va n cé e conceptuelle notable, en particulier dans le sens où elle intègre le fait que plusieurs cofacteurs ou « can didats cofacteurs » n e modifien t apparemment en rien les propriétés de liaison des protéines Hox à l’ADN, et où elle élargit le con texte d an s lequ el la fon ction moléculaire de ces gèn es candidats pourra être analysée ■ Remerciements Les travaux des auteurs de cette revue sont fin an cés par le Cn rs, l’Association pour la recherche contre le cancer ( ARC) et la ligue nationale et régionale contre le cancer. Nous remercions Denise Aragnol pour ses commentaires et suggestions lors de la préparation de ce manuscrit. 785 RÉFÉRENCES ______ 1. Peifer M, Wieschaus E. Mutations in the Drosophila gene extradenticle affect the way specifie homeo domain proteins regulate segmental identity. Genes Dev1990; 4: 120923. 2. Mann RS, Chan SK. Extra specificity from extradenticle: the partnership between HOX and PBXjEXD 11Omeodomain proteins. 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Apontic binds the translational repressor Bruno and is Samir Merabet Aurélie Grienenberger Jacques Pradel Yacine Graba Laboratoire de génétique et physiologie du développement, Institut de biologie du développement de Marseille, Cnrs/ Inserm/Université de la Méditerranée. Parc scientifique de Luminy, Case 907, 13288 Marseille Cedex 9, France. e-mail: [email protected] ..fr. L 786 mis n°(i.7, vol. 17,juin-juillet 2001