MINI-SYNTHÈSE
médecine/ sciences 2001 ; 17 : 781-7
M odes d’action des protéines Hox :
des perspectives nouvelles
Les gènes Hox, acteurs clés du développement, codent
pour des facteurs de transcription conservés au cours de
l’évolution dont l’activité détermine la diversité de forme
et de fonction le long de l’axe antéro-postérieur chez les
métazoaires. Depuis la découverte de l’homéodomaine
voilà aujourd’hui plus de quinze ans, subsiste le
paradoxe de protéines présentant des propriétés
intrinsèques de liaison à l’ADN très similaires qui
L
es gènes homéotiques (Hox) sont
d es acteu rs clé d u d évelop p em e n t d o n t l’o r gan isatio n e n
co m p le xe e t la fo n ctio n o n t é té
r e m ar q u ab le m e n t co n se r vé e s au
cours de l’évolution [ 1] . Ils codent
pour des facteurs de transcription à
h oméodomain e ( H D) respon sables
d e la d iver sité m or p h ogén étiqu e.
Une constante dans la structure des
p rotéin es H ox est la p résen ce d e
l’HD, un motif hélice tour hélice de
soixante acides aminés qui constitue
leur un ique domain e d’in teraction
avec l’ADN [ 2, 3] . Présent dans bien
d’autres facteurs de transcription que
les protéines Hox, l’HD est relativem e n t p e u co n se r vé e n te r m e d e
séq u en ce p r im air e m ais p r ésen te
cepen dan t un e structure tridimen sion n elle et un mode d’in teraction
avec l’ADN très conservés. On remarquera que treize acides aminés strictem en t con ser vés d éfin issen t u n e
sign ature propre aux H D des protéines Hox. Sept de ces treize résidus
fon t partie de la troisièm e h élice,
appelée « h élice de recon n aisan ce »
en raison de son interaction avec le
sillon majeur de la fibre d’ADN. Une
glutam in e en position 50 joue un
rôle déterminant dans la reconnaissance du motif nucléotidique.
m/ s n° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001
enclenchent cependant des programmes développementaux
parfaitement distincts. Dans cette revue,
nous traiterons des mécanismes qui permettent
aux différentes protéines Hox d’acquérir des fonctions
spécifiques in vivo et discuterons dans quelle mesure
les avancées récentes ouvrent des perspectives nouvelles
vers une meilleure compréhension du mode d’action des
protéines Hox.
Si la découverte de l’HD, voilà maintenant plus de quinze ans, a permis
de poser les bases moléculaires du
mode d’action des protéines homéotiques, elle a très vite soulevé la question des mécanismes leur permettant
d’acquérir des fonctions spécifiques
chez l’animal entier [ 4] . Les études
biochimiques de la liaison à l’ADN
ont en effet montré que les HD des
d iffé r e n t e s p r o t é in e s H o x, d o n t
l’identité peut dépasser 90 %, se lient
tous à une séquence de six paires de
bases ayant un cœ ur de type ATTA.
Toutes les protéines Hox présentent
donc sinon le même, du moins un
potentiel très similaire de reconnaissan ce n u clé o tid iq u e in vitro. Ce s
observation s semblaien t don c paradoxales au regard de la fonction particu lièr e q u e r em p lit ch acu n d es
gèn es Hox au cours du développement, paradoxe qui n’est pas encore
totalem en t levé au jou rd ’h u i. Dan s
ce tte r e vu e , n o u s e xam in o n s le s
mécanismes qui permettent de distinguer fonctionnellement les activités
des différen tes protéin es H ox ch ez
l’an imal en tier. L’essen tiel des travaux menés sur la question a porté
sur la modulation des propriétés de
liaison des protéines Hox à l’ADN,
d ’au tres, m oin s n om breu x et p lu s
récents, traitent du contrôle de leur
fonction transrégulatrice.
Modulation des propriétés
de liaison à l’ADN
des protéines Hox :
formation de complexes
hétéromériques
Comme les protéine Hox se lient à
l’ADN sans grande spécificité, il a très
vite été proposé qu’elles agissent en
interaction avec d’autres protéines ou
« co-facteurs » et que seuls les complexes h étéromériques soien t dotés
d’une reconnaissance nucléotidique
suffisante pour rendre compte de leur
fonction in vivo (Tableau I, figure 1A).
Le premier gène proposé pour coder
pour un co-facteur de protéines Hox
a été le gène de drosophile extradenticle (exd) [5]. La protéine Exd possède
un HD très voisin (71 % d’identité) de
ceux du proto-oncogène humain Pbx1
[ 6] e t d e s au tr e s m e m b r e s d e la
famille, Pbx2 et Pbx3, et ceh20 de C. elegans. L’ensemble constitue la famille
Pbc de co-facteurs des protéines Hox.
Il est aujourd’hui clairement démontré que les hétérodimères Hox/ Pbc se
lient à l’ADN de manière coopérative
[7]. La formation du complexe ternaire Hox/ Pbc/ ADN met en jeu des
781
Tableau I. Gènes candidats pour le contrôle de l’activité des protéines Hox.
Co-facteurs Hox
chez la drosophile
Protéines
Hox
Homologues
vertébrés
Extradenticle
(Exd, HD fam ille TALE)
Lab, Scr,
Dfd, Ubx, AbdA
Protéines
Pbc
Hom othorax
(Hth, HD fam ille TALE
Lab, Scr,
Dfd, Ubx
Protéines
M eis et Prep1
Scr, Antp,
Ubx, AbdA
Protéines
Teashirt
Teashirt
(Tsh, doigts de Zinc)
Cap-n-collar
(Cnc, dom aines bZip)
NF-E2,
(TCF11, Nrf1)
Deaf1
Dfd
Deaf1, APT1,
Suppressin, CBFA2T1
Lines
(Lin)
AbdB
Apontic
(Apt, bZip atypique,
liaison ARN)
Dfd, Src
Splits ends
(Spen, m otifs RRM ,
liaison ARN)
Dfd, Antp
Protéine phosphatase
(PP2A)
Caséine kinase II
(CKII)
Séquence
EM BL : AL096858
Src
PP2ARA
PP2ARB
Antp
CSNK2A1
Ce tableau résum e les propriétés de gènes de drosophile dont la caractérisation génétique et m oléculaire suggère une fonction de contrôle de l’activité des protéines Hox. On notera que ces gènes
codent pour des protéines dont les propriétés m oléculaires sont variées, facteurs de transcription
liant l’ADN, protéines liant l’ARN ou encore protéines m odificatrices telles que kinase et phosphatase, indiquant une diversité im portante dans les m odes de contrôle de l’activité des protéines Hox.
Certains co-facteurs sont spécifiques d’une protéine Hox, d’autres sont nécessaires à l’activité de
plusieurs protéines Hox.
HD : hom éodom aine ; TALE: three am ino acid loop extension ; Lab : labial ; Src : sex com b reduced ;
Dfd : deform ed ; Ubx : Ultrabithorax ; Abd : abdom inal ; Antp : Antennapedia.
in teraction s d e ch acu n d es p arten aires protéiques avec la séquen ce
n ucléotidique TGATNNATNN ain si
que des in teraction s protéin e/ protéine. Dans ce modèle confirmé par
l’établissement de la structure tridimensionnelle de certains de ces complexes [8, 9], Pbc contacte les quatre
premiers nucléotides alors que la protéine Hox se lie à la partie 3’ du site.
Les interactions Hox/ Pbc impliquent
l’HD et un motif YPWM précédant
l’HD de la protéine Hox, ainsi que
l’HD et la séquence C-terminale adjacente dans Pbc.
782
Conceptuellement, l’existence de tels
complexes offre plusieurs in térêts.
Tout d’abord, le complexe a une spécificit é d e liaiso n n u clé o t id iq u e
accrue en comparaison des mon omères Hox. Ensuite et surtout, des
complexes con ten an t des protéin es
H o x d istin cte s r e co n n aisse n t d e s
séquences qui diffèrent par la nature
des nucléotides NN en position centrale [ 10] . Ainsi, l’orthologue murin
de lab, Hoxb1 possède un élémen t
auto-régulateur ( c’est-à-dire contrôlé
par la protéine Hoxb1 elle-même) de
vingt paires de bases ( pb) et, si l’on
ch an ge les d eu x n u cléotid es cen traux GG en TA, cet élément répond
alors à la protéine Dfd [ 11] .
Si ce modèle est séduisant dans son
prin cipe, plusieurs observation s en
illu stren t d éjà les lim ites. La p rem ière est qu e d es région s régu latr ices qu i n e con tien n en t p as d e
con sen sus iden tique ou similaire à
ceux décrits ci-dessus reproduisent in
vivo l’expression de certain s gèn es
com m e Dfd . Ceci in d iqu e qu e ce
con sen su s n e sem ble p as être u n
motif obligé de l’interaction avec les
p r o té in e s H o x [ 12] . La se co n d e
con cern e u n élém en t en han cer d u
gèn e fkh réglé p ar l’h étérod im ère
Scr/ Exd [ 13] . Dans cet élément, les
deux n ucléotides dits de spécificité
sont T et A, identiques donc à ceux
de l’élément responsable de l’activat io n d e Dfd p a r l’h é t é r o d im è r e
Dfd / Exd . En fin , la m u tatio n d es
d eu x n u cléotid es cen trau x GG en
TA, ce qui dans l’enhancer de HoxB1
modifie l’élément répondant à Lab
en un élément répondant à Dfd, est
san s e ffe t d an s le co n te xte d ’u n
enhancer de 550 pb du gène lab respon sable de l’autorégulation de ce
gène dans l’endoderme [ 14] . Ce dernier cas est particulièrement probant
car cet enhancer de lab, contrairement
aux autres eléments de réponse aux
p r o t é in e s H o x, co n t ie n t u n sit e
unique Hox/ Pbc.
Dès lors, il est ten tan t de postuler
qu e d ’au tres p rotéin es p articip en t
a u x co m p le xe s m u lt ip r o t é iq u e s
H ox/ Pbc [ 15] . De telles protéin es
ont effectivement été identifiées aussi
bien chez la drosophile que chez les
vertébrés. H omoth orax ( h th ) [ 16] ,
l’orth ologue des protéin es Meis de
vertébrés et de Prep1 [ 17] , sont des
protéines possédant, comme Exd, un
H D p ar ticu lier qu i p r ésen te tr ois
acid e s am in é s su p p lé m e n tair e s à
l’extrémité C-terminale de l’hélice 1
( famille TALE, three amino acid loop
extension ) . Ces protéines ( Hth/ Meis)
sont capables d’interagir directement
avec les protéines des familles Pbc et
Hox. L’hypothèse séduisante est que
dans un complexe tripartite Hox-PbcMe is/ Pr e p 1, ch a q u e p a r t e n a ir e
contacte l’ADN par son HD et contribue par là à une meilleure spécificité
d e r eco n n aissan ce n u cléo tid iq u e.
L’existence de ce type de complexe a
m/ s n ° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001
mériques. La multiplicité et la nature
des in teraction s mises en jeu ain si
qu e leu rs in cid en ces su r le m od e
d’action in vivo des protéin es H ox
restent cependant encore à élucider.
Faible spécificité de liaison à l’ADN
des protéines Hox in vitro :
est-ce aussi vrai in vivo ?
Figure 1. M odes d’action des protéines Hox. Trois m odèles qui diffèrent par
la qualité de la liaison à l’ADN des protéines Hox sont présentés. Afin d’illustrer la m anière dont la spécificité fonctionnelle des protéines Hox est acquise
dans chacun de ces m odèles, quatre gènes dont les propriétés de contrôle par
les protéines Hox sont distinctes, sont représentés. Le gène 1 est réprim é par
la protéine Hox A. Les gènes 2 et 4 sont respectivem ent activés par les protéines Hox B et C. Le gène 3 n’est pas réglé par les protéines Hox. A. Dans le
m odèle de liaison spécifique, l’interaction des protéines Hox A, B et C avec un
co-facteur leur perm et de se lier sous form e d’hétérodim ère spécifiquem ent
aux régions régulatrices des gènes 1, 2 et 3 dont ils contrôlent respectivem ent
l’expression. B. Dans le cas d’un m ode de liaison double, spécifique et peu
spécifique, les com plexes Hox/co-facteurs se lient à l’ADN suivant les m êm es
m odalités que dans le m odèle A. En revanche, les protéines Hox A, B et C se
lient égalem ent aux régions régulatrices des gènes 1-4. La liaison des protéines Hox A, B et C en l’absence de sites pour l’hétérodim ère Hox-co-facteur
A/B/C ne perm et cependant pas l’activation. Dans le cas du gène 1, la capacité
des protéines Hox B et C de lier les régions régulatrices du gène 1, ainsi que
la probable absence de nécessité de co-facteur pour les fonctions répressives
des protéines Hox, sont suffisantes pour rendre com pte de l’interchangeabilité des protéines Hox dans la répression de gènes cibles. C. Dans ce dernier
m odèle, les protéines Hox se lient à l’ADN de m anière peu spécifique. Les
spécificités de régulation résultent de l’interaction avec des co-facteurs, dont
la fonction n’est plus d’affiner les propriétés de liaison des protéines Hox,
m ais d’en contrôler les activités transrégulatrices.
été d ém on trée d an s p lu sieu rs cas
[ 18-20] . L’identification de nouveaux
cofacteu rs d e la fam ille Meis/ H th
m/ s n ° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001
ouvre donc des perspectives supplémentaires en termes de dynamique
d’assemblage de complexes h étéro-
La question de la réalité d’une liaison peu spécifique à l’ADN in vivo a
été abordée au n iveau moléculaire
pour des protéines à HD, non Hox,
impliquées dans les étapes précoces
d e l’em br yogen èse d e d r osop h ile
[ 21-23] . Des expériences d’immunop r é cip itatio n d e co m p le xe s ADN
génomique/ protéine ont permis de
montrer que les facteurs à HD Fushitarazu ( Ftz) , Even-skipped ( Eve) , Paired ( Prd) et Bicoid ( Bcd) se lient aussi
bien à proximité de cibles attendues
( les gènes de la cascade génique qui
segmente l’embryon) , qu’à proximité
de gèn es don t on pen se qu’ils n e
son t p robablem en t p as d es cibles
( Actin 5C, r osy, ad h et h sp 70) . Il
apparaît don c que ces protéin es à
HD sont associées en de très nombreux sites in vivo. L’observation la
plus convaincante de ce point de vue
est que les séquences des fragments
d’ADN immun oprécipités par ch acune des protéines reflètent les différ en ces in tr in sèqu es d e r econ n aissa n ce n u clé o t id iq u e m ise s e n
évid e n ce in vitro : Ftz e t Eve q u i
r e co n n aisse n t in v itro le s m ê m e s
motifs nucléotidiques imunoprécipit e n t le s m ê m e s fr agm e n t s gé n o m iqu es ; en revan ch e, la p rotéin e
Bcd, dont l’acide aminé en position
50 de l’HD diffère de celui présent
dans les protéines Ftz et Eve, ainsi
que la protéine Prd, dont les propriétés de liaison à l’ADN in vitro sont
distinctes de celles de Ftz/ Eve et Bcd,
im m u n op récip iten t d es fragm en ts
qui leur sont propres.
Compte tenu de la conservation de
l’HD et de son mode d’interaction
avec l’ADN, la conclusion d’une liaison des protéines à HD en de très
nombreux sites dans le génome pourrait aussi s’appliquer aux protéin es
Hox. Les protéines Hox se lieraient à
des séquen ces de type TAAT aussi
bien dans des régions régulatrices de
gèn es cibles que dan s des région s
783
régulatrices de gènes dont l’expression n’est pas sous contrôle homéotique (figure 1B). Ce constat appelle
p lu sieu r s com m en tair es. D’abor d ,
cette obser vation p ou r r ait r en d r e
compte de la difficulté à identifier des
gènes cibles des protéines Hox in vivo
par des approches d’immunoprécipitation de fragments de chromatine,
approche qui constitue pourtant dans
son prin cipe la méth ode de ch oix
pour identifier des gènes directement
réglés [24, 25]. Ensuite, il est intéressant de considérer que la faible spécificité de liaison à l’ADN que les protéines Hox présentent in vivo puisse
néanmoins avoir une réalité physiologique et recouvrir certains aspects de
leur fonction. On remarquera que la
plupart des gènes cibles identifiés sont
communs à plusieurs protéines Hox
et que celles-ci sont capables de se
remplacer mutuellement pour réprimer la même cible [26]. Cette interchangeabilité dans la répression (qui
n’a pu être observée dans l’activation
des gènes cibles) pourrait donc reposer sur la faible spécificité de liaison
des protéines Hox et sur l’existence
d e m o tifs TAAT r ép étés d an s les
régions régulatrices de cibles réprimées (figure 1B). La répression dans
de tels cas pourrait simplement résulter d’un encombrement stérique dû à
la fixation de protéines Hox sur ces
motifs [ 27] . En fin , on remarquera
que ce mode de liaison peu spécifique
co-existe avec un mode de laison cosélectif des complexes Hox/ Pbc dans
le s r é gio n s r égu latr ice s d e gè n e s
cibles. La mutagenèse systématique de
ce s site s, d an s l’en han cer dpp p ar
exemple [ 28-30] , a mon tré que les
deux classes de sites contribuent. Il est
d on c ten tan t d e con clu re qu e les
deux modes de liaison des protéines
Hox à l’ADN, sous forme monomérique avec une faible spécificité (motif
TAAT) et sous forme hétéromérique
ave c u n e sp é cificité accr u e ( site
H o x/ Pb x) , so n t n é ce ssair e s au
con trôle tran scription n el des cibles
(figure 1B). Une spéculation supplémentaire quant à la richesse en sites
TAAT des locus contrôlés est de proposer que ceux-ci servent de « réservo ir » p o u r favo r ise r lo cale m e n t
l’assemblage de complexes multimériques, qui eux assureraient les fonctions régulatrices.
784
Contrôle
de l’activité transrégulatrice
des protéines Hox
Si les données discutées dans le chapitre précédent font ressortir que les
p rotéin es H ox se lien t en d e très
nombreux sites dans le génome, elles
suggèren t égalemen t que certain es
de ces liaisons n’ont pas d’incidence
sur le contrôle transcriptionnel des
gèn es voisin s. Cela soulign e l’existence d’un niveau supplémentaire de
con trôle qui se situe au n iveau de
l’activité tran srégu latrice d es p ro teines Hox (figure 1C).
Les données les plus significatives en
ce sens ont été obtenues en fusionn an t ce r tain e s p r o té in e s H o x au
domain e tran sactivateur de la protéine VP16 chez la drosophile [31].
La première protéin e H ox étudiée
d an s ce con texte a été Ubx d on t
l’activité d é te r m in e u n e id e n tité
abdomin ale. Dan s un mutan t Antp
(Antennapedia), les segments thoraciques postérieurs (T2 et T3) adoptent l’identité du segment immédiatement antérieur (T1). L’expression de
Ubx-VP16 chez ce mutant permet de
restaurer une identité de type Antp,
démon tran t que Ubx-VP16 peut se
substituer à Antp. Ainsi, la fusion du
domaine activateur de VP16 modifie
in vivo la fon ction h oméotique de
Ubx en celle de An tp . D’un autre
point de vue, Ubx-VP16 produit de
manière ubiquitaire dans un contexte
p ar aille u r s sau vage , e st cap ab le
d’activer Antp de manière ectopique.
Cette observation est intéressante à
deux points de vue. Tout d’abord, on
sait que la transcription de Antp est
réprimée par Ubx pendant le dévelop p em en t, et d on c l’ad d ition d u
domaine VP16 ne modifie probablem en t p as la sp écificité d e liaison
puisque Antp reste une cible de la
ch im ère. Elle in dique en suite que
l’activité transrégulatrice est inversée,
Ubx agissan t comme répresseur et
Ubx-VP16 comme activateur de Antp.
La m o d ifica t io n in t r in sè q u e d u
p oten tiel tran srégu lateu r d e Ubx,
sans changer sa propriété de liaison à
l’ADN, a donc une incidence radicale
sur sa spécificité d’action.
Des expériences similaires, réalisées
par les mêmes auteurs en utilisan t
un e autre ch imère, Dfd-VP16 [ 12] ,
démontrent également que la fonction de protéines Hox est modulée
au niveau de leur activité transrégulatrice. Dans ce cas, l’incidence sur la
spécificité d’action proprement dite
n’est pas aussi marquée que dans le
cas de Ubx-VP16 au sens ou la chimère Dfd-VP16, à l’inverse de UbxVP16, n’acquiert pas l’identité d’une
autre protéine Hox. La situation est
cepen dan t particulièremen t in téressan te car l’an alyse des mécan ismes
moléculaires qui permettent l’activité
de la chimère a conduit à proposer
que Exd module l’activité transrégulatr ice d e Dfd . Ce tte co n clu sio n
s’appuie sur la comparaison des capacités des protéines Dfd et Dfd-VP16 à
activer deux enhancers syn th étiques
con ten an t l’u n u n site d e liaison
p o u r le m o n o m èr e Dfd (en han cer
Dfd), l’autre un site de même affinité
m ais p o u r le co m p le xe Dfd / Exd
(en han cer Dfd/ Exd) . L’en han cer Dfd
n ’est pas activé par Dfd alors qu’il
l’est p ar Dfd -VP16, in d iqu an t qu e
Dfd se lie à l’enhancer mais ne permet
son activation qu ’en p résen ce d u
d om ain e tran sactivateu r VP16. En
r e va n ch e , l’ en han cer Dfd/ Exd e st
activé par le complexe Dfd/ Exd sans
qu’il soit nécessaire que Dfd soit coup lé à VP16. Sach an t q u e Dfd e t
Dfd/ Exd ont des affinités identiques
pour leurs enhancers respectifs, ces
résultats in diquen t que la protéin e
Exd facilite le mécan isme d’activation transcriptionnnelle. Les auteurs
proposent que l’HD de Dfd neutralise un domaine transactivateur localisé dan s la partie amin o-termin ale
de Dfd et que le recrutement de Exd
lève cette neutralisation.
En résumé, ces données sont autant
d’argumen ts en faveur d’un n iveau
supplémentaire de contrôle mettant
en jeu les propriétés transrégulatrices
des protéines Hox. Elles ont conduit à
proposer que la protéine Exd, dont
on sait déjà que le recrutement par les
protéines Hox module leur spécificité
de liaison à l’ADN, soit égalemen t
impliquée dans le contrôle de leur
activité transrégulatrice.
Gènes impliqués dans le contrôle
de l’activité des protéines Hox
La notion de co-facteur, telle qu’elle
est aujourd’hui généralement entenm/ s n ° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001
due, s’applique à une protéine interagissant physiquement avec une protéine Hox pour en modifier les prop r iétés d e liaiso n à l’ADN. No u s
avons vu dans le chapitre précédent
que le co-facteur prototype Exd intervient à deux niveaux pour contrôler
l’activité des protéines Hox : la reconnaissance de la cible ADN d’une part
et le contrôle de l’activité transactivatrice propremen t dite d’autre part.
La notion de « co-facteur » doit donc
être prise au sens large et s’appliquer
à toute protéine qui modifie l’activité
des protéines Hox, qu’elle en change
ou n on les propriétés de liaison à
l’ADN. Plu sie u r s can d id ats, d o n t
l’an alyse gén étiqu e et/ ou m olécu laire révèle un e fon ction de cofacteur de Hox tel que nous venons de
le définir, ont été isolés chez la drosop h ile (T ableau I) . Ces can d id ats
agissent à des niveaux et suivant des
mécanismes divers.
Certain s in teragissen t d irectem en t
avec l’ADN des gènes cibles. teashirt
(tsh) [ 32, 33] et cap’n’collar (cnc) [ 34] ,
gènes dont la mutation entraîne des
p h é n o typ e s h o m é o tiq u e s, co d e n t
pour des protéin es qui présen ten t
d es m otifs d ’in teraction à l’ADN,
doigt à zinc et bZip respectivement.
T sh, exprimé dans tous les segments
du tronc, est nécessaire, en combinaison avec les gènes Hox, à la définitio n d e s id e n tité s th o r aciq u e s e t
abdomin ales [ 32] . Cnc est exprimé
de façon beaucoup plus restrein te
d a n s la r é gio n a n t é r ie u r e d e
l’embryon et sa fon ction est essen tielle à l’acqu isition d es id en tités
m an d ibu laires et labiales [ 35] . La
protéine Deaf1 a été isolée par la biochimie sur la base de sa liaison à une
séqu en ce rép étée in versée d ’ADN
in dispen sable à l’activité d’un élémen t auto-régulateur du gèn e Dfd
[ 36] . Les mécan ismes par lesquels
ces trois protéin es qui lien t l’ADN
modulent l’activité des gènes Hox restent encore à clarifier.
Deux autres facteurs identifiés par la
génétique constituent également de
bons candidats. Le gène lines (lin), est
nécessaire à la définition par AbdB de
l’id e n t it é d u se gm e n t A8 ch e z
l’embryon [37]. Lin est le seul co-facteur potentiel de AbdB, et sa fonction
n’est pas requise pour l’activité des
autres protéines Hox. Il s’agit d’une
m/ s n° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001
protéine pionnière, dont la fonction
b io ch im iq u e et le m o d e d ’actio n
demeurent inconnus. Le cas du gène
apontic (apt), d’abord identifié comme
un interacteur génétique de Dfd [38],
est particulièremen t in téressan t. En
combinaison avec les gènes Dfd et cnc,
avec Dfd seul, ou avec Sex combs reduced
(Scr) et spalt (sal), apt spécifie les identités prises par les différents segments
de tête de l’embryon . La fon ction
moléculaire de Apt, qui code pour
u n e p rotéin e p résen tan t u n m otif
bZip atypique, a été étudiée pendant
l’oogén èse seulemen t. Apt se lie à
l’ARN messager du gène oskar pour
en réprimer la traduction, en association avec la protéine Bruno [39]. Si
Ap t in te r ve n ait se lo n le s m ê m e s
modalités moléculaires au cours de la
m or p h ogen èse d es segm en ts gn athaux, ce serait le premier exemple
d’un mécanisme post-transcriptionnel
de con trôle de l’activité des gèn es
Hox. L’identification des cibles moléculaires de la protéine Apt dans le
contexte de sa fonction homéotique
devrait être très informative.
La notion de « co-facteur » pourrait
également être étendue à des molécules agissant au niveau post-traductionnel, et plus largement encore à
des facteurs d’épissage. Il est établi
depuis longtemps que les protéines
H ox son t mûries par ph osph orylation [ 40] . Deux études récentes ont
montré que la caséine kinase II ainsi
qu’un e sous-un ité régulatrice de la
sérin e-th réon in e protéin e ph osph atase 2A ( dPP2A) interagissent directemen t avec des protéin es An tp et
Scr respectivement [ 41, 42] . Dans les
deux protéines Hox, des mutations
qui miment des états phosphorylés et
d ép h osp h orylés m od u len t les p ropriétés de liaison à l’ADN in vitro et
modifient leur fonction in vivo.
Il est connu, également depuis longtemps, que les gènes Hox sont soumis
à ép issage altern atif [ 43] . Récem m e n t, l’im p o r tan ce d e l’é p issage
alternatif comme mode de contrôle
d e l’activité d es gèn es H ox a été
remise à l’ordre du jour par l’identification du gène split ends (spen) [ 44] .
L’an alyse gé n é tiq u e in d iq u e q u e
Sp e n e t Dfd so n t t o u t e s d e u x
requises pour la formation de structures de tête, les sclérites, alors que,
Spen, Tsh et Antp répriment conjoin-
tem en t la form ation d e stru ctu res
analogues dans le thorax. La nature
moléculaire de la protéine Spen qui
p o ssè d e tr o is m o tifs d e liaiso n à
l’ARN su ggère qu ’elle p u isse être
impliquée dans la maturation et/ ou
l’épissage de messagers dont les prod u it s a u r a ie n t u n r ô le d a n s le
con trôle de l’activité des protéin es
H ox Dfd et An tp. Un e vision plus
spéculative serait que Spen ait pour
cibles les m essagers d es p rotéin es
Hox elle-mêmes.
Conclusions
L’étude de la spécificité d’action des
protéin es H ox a ces dix dern ières
an n ées con d u it à u n e p rod u ction
abondante de données décrivant la
m an ière don t un e fam ille de protéin es, les protéin es Pbc modulen t
les propriétés de liaison à l’ADN des
protéines Hox. Cet ensemble de données, solide, est cependant restreint à
u n m o d e u n iq u e d e co n tr ô le d e
l’activité des protéines Hox, celui de
la sélectivité de liaison. Depuis peu,
l’idée domin an te selon laquelle la
sp écificité d ’actio n d es p r o téin es
Hox repose essentiellement sur leurs
p rop riétés d e liaison à l’ADN est
sérieusement bousculée. Des travaux,
certes encore peu nombreux, soulignent l’importance du contrôle de la
cap acité tr an sr égu latr ice d es p r otéines Hox, semble-t-il indépendamment de leur propriété de liaison à
l’ADN . Il s’a git d ’u n e a va n cé e
conceptuelle notable, en particulier
dans le sens où elle intègre le fait que
plusieurs cofacteurs ou « can didats
cofacteurs » n e modifien t apparemment en rien les propriétés de liaison
des protéines Hox à l’ADN, et où elle
élargit le con texte d an s lequ el la
fon ction moléculaire de ces gèn es
candidats pourra être analysée ■
Remerciements
Les travaux des auteurs de cette revue sont
fin an cés par le Cn rs, l’Association pour la
recherche contre le cancer ( ARC) et la ligue
nationale et régionale contre le cancer. Nous
remercions Denise Aragnol pour ses commentaires et suggestions lors de la préparation de
ce manuscrit.
785
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