La prohibition de la « transhumance politique » des
parlementaires.
Etude de cas africains
Benjamin Boumakani
Dans Revue française de droit constitutionnel 2008/3 (n° 75),
75) pages 499 à 512
Éditions Presses Universitaires de France
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ISSN 1151-2385
ISBN 9782130567813
DOI 10.3917/rfdc.075.0499
La prohibition de la « transhumance politique »
des parlementaires. Etude de cas africains
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Portée au pinacle en Afrique dans les années quatre-vingt-dix, à la
faveur de l’éviction de nombreux régimes autoritaires, la démocratie y
connaît aujourd’hui un reflux qui donne toute la mesure du chemin à
parcourir pour son approfondissement et son enracinement. Les institutions et les pratiques démocratiques révèlent leurs limites quand ce n’est
pas leurs perversions. La transhumance, appelée également nomadisme
politique, est rangée parmi ces travers1.
Empruntée au vocabulaire pastoral, la transhumance désigne la
migration périodique des troupeaux à la recherche d’espaces plus favorables à leur sustentation et à leur épanouissement. Transposée à la vie
politique, elle renvoie à l’attitude de l’homme politique qui migre d’un
parti politique auquel il appartient au moment de son élection vers un
autre parti, pour des intérêts personnels.
La transhumance est différente de la dissidence : le dissident organise
sa tendance au sein de son parti, ou le quitte pour en créer un autre, ou
déploie son jeu politique en dehors des partis. Le transhumant ou le
nomade politique, au contraire, quitte son parti, avec armes et bagages,
pour en rejoindre un autre, tout en se réservant la possibilité, au gré des
circonstances, de revenir dans son parti d’origine. Dans la pratique, la
transhumance se présente, le plus souvent, comme des épisodes de reniements, de revirements, de ralliements d’anciens opposants, élus nationaux ou locaux, qui, après avoir bénéficié de l’investiture de leurs partis,
démissionnent pour rejoindre la mouvance gouvernementale avec l’espoir de bénéficier de quelques avantages2.
Benjamin Boumakani, ancien vice-doyen de la Faculté de droit de Brazzaville, membre
correspondant du CERDRADI (Université Montesquieu-Bordeaux IV).
1. F. K. Awoudou, Le mal transhumant, les infidélités politiques dans le Bénin démocratique,
Éditions Konrad-Adenauer-Stiftung, 2005.
2. Voir J. M. Nzouankeu, « Problématique de la gouvernance. Vue du Sud », Ministère
des Affaires étrangères - Direction générale de la coopération internationale et du développement, Table
ronde, Paris, 25 mars 2002, multigraphié, p. 19-20.
Revue française de Droit constitutionnel , 75, 2008
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BENJAMIN BOUMAKANI
Benjamin Boumakani
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Ce phénomène pose à la fois des problèmes d’ordre éthique, moral et
juridique sur la portée desquels les opinions divergent.
Pour les uns, la transhumance politique n’a rien de répréhensible au
regard des règles qui gouvernent la vie démocratique. Elle est la manifestation de la liberté reconnue à chaque citoyen, de créer un parti, d’adhérer à un parti ou de le quitter. Elle est, par ailleurs, conforme au mandat représentatif qui consacre juridiquement l’indépendance absolue de
l’élu à l’égard de ses électeurs et l’irrévocabilité de son mandat, contrairement au mandat impératif qui fait peser sur l’élu l’obligation d’appliquer les instructions des électeurs ou du parti, le refus étant sanctionné
éventuellement par une révocation.
Pour les autres, la transhumance est appréhendée comme un fléau
pour la démocratie en Afrique, en ce qu’elle instrumentalise les élus en
quête de quelques avantages matériels et de promotion politique, affaiblit les oppositions dont les élus sont à la merci des majorités au pouvoir, fragilise les équilibres et les contrepoids nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie, cultive et entretient l’immoralisme en
politique.
La transhumance étant ainsi stigmatisée, le parti a été pris d’en limiter les effets, à défaut de l’éradiquer.
La plupart des Constitutions africaines tentent d’y apporter une solution juridique en prévoyant, par exemple, une déchéance automatique
pour tout élu qui démissionne ou même qui est exclu, en cours de législature, du parti dont il a reçu l’investiture pour un autre parti. C’est la
solution consacrée constitutionnellement en République démocratique
du Congo3, au Sénégal4, au Congo Brazzaville5, en Namibie6, au Gabon7,
au Rwanda8, au Niger9, etc.
Originale, voire iconoclaste, en droit comparé10, cette solution révèle
très vite son ambiguïté au regard des principes de la démocratie représentative qui interdisent le mandat impératif et ne conçoivent pas une
déchéance automatique comme sanction d’un changement de parti politique en cours de mandat. En plaçant ainsi l’élu sous l’hégémonie parti3. Constitution du 18 février 2006.
4. Constitution du 7 janvier 2001 révisée
5. Constitution du 20 janvier 2002.
6. Constitution du 9 février 1990.
7. Constitution du 26 mars 1991 révisée.
8. Constitution du 4 juin 2003.
9. Constitution du 18 juillet 1999 révisée.
10. On peut aujourd’hui identifier quelques rares cas comme celui de la Constitution
portugaise du 2 avril 1976 dont l’article 163 fait figurer parmi les causes de déchéance du
mandat, la situation des députés qui « s’inscrivent à un parti différent de celui par lequel ils
ont été présentés aux élections ». Il a existé toutefois un précédent apparu après la première
guerre mondiale dans la Constitution tchécoslovaque, qui prévoyait la possibilité pour le
tribunal électoral de destituer de son mandat le député qui avait quitté son parti. Voir
P. Avril, J. Gicquel, Droit parlementaire, Montchrestien, 2004, p. 34.
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I – L’EX PRESSION FORMELLE DE LA PROHIBITION
DE LA TRANSHUMANCE POLITIQUE
Face à ce que certains considèrent comme une pathologie de la démocratie en Afrique, la déchéance automatique du mandat du parlementaire qui démissionne ou, dans certains cas, qui est exclu du parti l’ayant
investi pour son élection, est l’unique réponse apportée désormais dans la
plupart des constitutions africaines. L’efficacité de ce mécanisme juridique n’est pas encore avérée eu égard à son caractère récent, mais son
incidence sur les mécanismes classiques du régime représentatif ne laisse
que peu de place au doute.
11. A. Cabanis et M. L. Martin, Les Constitutions d’Afrique francophone. Évolutions récentes,
Karthala, 1999, p. 39.
12. Sur l’import-export institutionnel, l’imitation des référents idéals typiques, leur rejet
et leur réussite pour peu qu’une politique d’adaptation et d’ajustement soit de la partie.
Voir Y. Meny (dir.), Les politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet, L’Harmattan,
1993, 285 p.
13. Sur les faiblesses des partis politiques en Afrique, voir J. du Bois de Gaudusson, « Les
élections à l’épreuve de l’Afrique », Cahiers du Conseil constitutionnel , n° 13, ou http://
www.conseil-constitutionnel.fr/cahiers/ccc13/scrutin7.htm. Dans le même sens, Ch. Zorgbibe, « La
naissance du pluralisme politique en Afrique francophone », http://www.african-geopolitiques.
org/show.aspx?articlesld=3616 , PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 2002,
Approfondir la démocratie dans un monde fragmenté, Éditions de Boeck Université, 2002, p. 70.
14. G. Conac, « Succès et crises du constitutionnalisme africain », in J. du Bois de Gaudusson, G. Conac et Chr. Desouches, Les Constitutions africaines, Bruylant-La Documentation
française, 1998, t. 2, p. 14.
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sane, on instille juridiquement une dose de mandat impératif là où il
est, pourtant, formellement interdit 11. L’inflexion des modèles constitutionnels occidentaux en circulation en Afrique trouve ici une parfaite
illustration12.
Une telle réponse, essentiellement fondée sur des mécanismes juridiques, est loin de garantir totalement une solution efficace et durable.
Elle retient surtout l’attention par sa singularité au regard du droit parlementaire classique, en ce qu’elle contribue à vider de sa substance la
logique classique du régime représentatif (I). Cette primo-réponse gagne
néanmoins à être complétée par des solutions de fond qui s’attaqueraient
aux causes structurelles de la transhumance. Et parmi celles-ci : la représentation que la plupart des dirigeants africains se font de la conquête du
pouvoir comme moyen de contrôle et de distribution des ressources dans
un État néo-patrimonial, la faiblesse de la structure organisationnelle et
programmatique des partis politiques, qui sont créés et animés avant
tout comme des fiefs au service des individus ou d’un clan13 et, enfin,
une vision de « l’élection-sélection qui est encore vécue comme une
guerre civile légale » 14 (II).
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Benjamin Boumakani
Le mécanisme de déchéance automatique met d’abord en contradiction la prohibition du mandat impératif, pourtant consacré dans ces
Constitutions, avec la dépendance étroite de l’élu à son parti, qui en
résulte. Ensuite, il introduit le mandat impératif dans les systèmes
représentatifs africains en le validant juridiquement.
La lutte contre la transhumance politique n’avait-elle pas d’autres
voies à emprunter que celle de l’inflexion des principes de démocratie
représentative et qui révèle aussitôt son caractère paradoxal à l’examen
des énoncés constitutionnels ?
A – DES ÉNONCÉS CONSTITUTIONNELS
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Ce principe est repris, à quelques nuances près, dans toutes les
Constitutions africaines. Les caractères ainsi attribués au mandat parlementaire ont pour principale référence l’idéal représentatif incarné par
Sieyès15 et constituent l’expression parfaite de la circulation des modèles
occidentaux en Afrique16. Ils impliquent au moins deux conséquences.
La première conséquence est l’affirmation optimiste et valorisante
selon laquelle chaque député représente la Nation tout entière, une fiction propre à limiter la tendance des élus à se confiner dans les seuls
intérêts partisans, catégoriels ou ethniques, et qui lui donne un relief
particulier dans le contexte africain, où la Nation reste à construire.
La seconde conséquence est la pure et simple interdiction du mandat
impératif, la fonction de cette interdiction étant de protéger la liberté du
15. A la différence de la démocratie antique, exclusive de toute idée de représentation, la
démocratie représentative a été conçue comme une liberté gouvernée dans laquelle le pouvoir effectif est exercé par des représentants. Pour Sieyès, la puissance souveraine de la
Nation est avant tout une « puissance constituante », qui s’exprime par l’édiction d’une
Constitution ; une fois cette Constitution mise en place, cette puissance s’évanouit : la
Nation n’est plus elle-même qu’un organe constitué, destiné à désigner les représentants
chargés de vouloir en son nom. V. J. Chevallier, L’État post-moderne, LGDJ , 2004, p. 137,
A. Laquièze, « La réception de Sieyès par la doctrine publiciste française du X IX e et du
X X e siècles », Electronic J ournal of Constitutional History, numb. 6, sept. 2005.
16. En 1960, après les indépendances politiques, comme en 1990, dans la phase des transitions démocratiques, ces États ont adopté des Constitutions calquées sur le modèle occidental. Si cette réception a l’avantage de comporter des principes universels tels que les
droits de l’homme, et les élections libres et transparentes, elle omet malheureusement, en
général, les règles et institutions endogènes ou le caractère plural des sociétés africaines. V.,
en ce sens, G. Hesseling, « La réception du droit constitutionnel en Afrique trente ans
après : quoi de neuf ? », in Constitutionalism in Africa : a quest for autochthonous principles,
1996, p. 33-47. Pour autant, le constitutionnalisme restauré en Afrique depuis les années
1990 ne joue pas qu’un « rôle de figuration », même s’il ne faut pas le surestimer ni généraliser sa portée. Il reste néanmoins un élément important de la vie politique qu’on ne peut
négliger. V. en ce sens, J. du Bois de Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles des
conflits politiques », Afrique contemporaine, n° spécial, 4 e trimestre 1996, p. 250.
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1) L’énonciation du principe du mandat général
indépendant et irrévocable
La prohibition de la « transhumance politique » des parlementaires
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2) La consécration formelle de la prohibition
de la transhumance politique
Une tendance lourde, quoique récente, des Constitutions africaines
établit un lien contraignant entre le parlementaire élu sur la liste électorale d’un parti et celui-ci. Tout retrait ou toute exclusion de ce parti, en
cours de mandat, met fin à son mandat parlementaire.
A quelques variantes près, de nombreux États africains prévoient la
déchéance pour tout parlementaire qui viendrait à quitter son parti politique en cours de mandat. Si tel est le principe, sa mise en œuvre peut
s’avérer difficile à l’ouvrage. Vise-t-on seulement le retrait volontaire du
parti ou également l’exclusion du parti, qui serait un acte involontaire
du parlementaire ? Les solutions ne sont pas identiques d’une constitution à l’autre, d’un pays à un autre.
a) L’interdiction de changer de parti politique à la suite d’une démission
L’interdiction de la rupture avec le parti, consécutive à une démission,
est la solution généralement retenue dans les Constitutions africaines.
La formulation de l’article 110 de la Constitution de la République
démocratique du Congo l’illustre parfaitement : « Tout député national
17.
18.
19.
20.
21.
22.
Constitution
Constitution
Constitution
Constitution
Constitution
Constitution
algérienne du 28 novembre 1996.
gabonaise du 26 mars 1991.
malienne du 27 février 1992.
ivoirienne du 1 er août 2000.
du Congo Brazzaville du 20 janvier 2002.
nigérienne du 18 juillet 1999.
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parlementaire qui se détermine librement dans l’exercice de son mandat,
afin d’éviter de placer le parlementaire sous la dépendance de ses électeurs, de son parti.
Ces règles se retrouvent parfois, suivant des modalités variables, dans
les textes constitutionnels. Ainsi, certains textes, comme la Constitution
algérienne, évoquent le « mandat national », (art. 105 C.)17. D’autres
textes constitutionnels s’en tiennent à l’interdiction du mandat impératif
(art. 39 al. 1 er de la Constitution du Gabon18, art. 64 al. 1 er de la Constitution du Mali19…), tandis que d’autres encore reprennent ces deux aspects
de la démocratie représentative (art. 66 de la Constitution ivoirienne20, art.
90 de la Constitution congolaise21, art. 69 de la Constitution du Niger22).
Ces principes classiques, consacrés par le droit parlementaire africain,
connaissent néanmoins, depuis quelques années, des inflexions. Est
introduite, au profit des partis politiques, une prérogative singulièrement importante, qui prévoit la déchéance automatique du mandat,
lorsqu’un membre du Parlement démissionne ou est exclu de son parti.
Il s’agit, à l’évidence, d’une instillation du mandat impératif.
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Benjamin Boumakani
ou tout sénateur qui quitte délibérément son parti politique durant la
législature est réputé renoncer à son mandat parlementaire obtenu dans
le cadre dudit parti politique » 23. Une solution identique est consacrée
dans les Constitutions du Sénégal (art. 60 al. 4), du Congo-Brazzaville
(art. 98), de la Namibie (art. 48). Dans tous les cas, n’est ici visé que le
départ volontaire. D’autres constitutions y ajoutent le cas du départ
involontaire, avec l’exclusion.
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La rupture avec le parti politique est envisagée ici de manière alternative. Elle fait suite soit à une démission, soit à une exclusion. C’est la
solution gabonaise. L’article 39 de la Constitution du Gabon dispose
ainsi : « En cas de démission ou d’exclusion dans les conditions statutaires d’un membre du Parlement du parti politique auquel il appartient
au moment de son élection, et si ce parti a présenté sa candidature, son
siège devient vacant à la date de sa démission ou de son exclusion ». Un
choix similaire se retrouve au Niger (art. 69) et au Rwanda (art. 78). Le
constituant rwandais retient, à cet égard, une formulation plus large. Il
y inclut, outre la démission et l’exclusion du parti, la démission de la
Chambre des députés : « Tout député qui, en cours de mandat, soit
démissionne de sa formation politique ou de la Chambre des députés,
soit est exclu de sa formation politique conformément à la loi organique
régissant les formations politiques, ou change de formation politique,
perd automatiquement son siège à la Chambre des députés ».
Que la rupture résulte d’une démission ou d’une exclusion, elle aboutit à la perte automatique du mandat parlementaire, garantie effective de
la prohibition de la transhumance politique.
B – LA GARANTIE EFFECTIVE DE LA PROHIBITION
La conséquence immédiate de la rupture du parlementaire avec son
parti en cours de législature est la déchéance du mandat, la perte de la
qualité de parlementaire. L’élu est réputé y avoir renoncé. Cette
déchéance ouvre droit à une succession qui conduit, dans certains États,
au remplacement automatique par son suppléant du parlementaire
déchu et, dans d’autres, à l’ouverture d’une élection partielle.
1 – Le remplacement automatique du parlementaire par le suppléant
C’est la formule la plus « économique » en ce qu’elle supprime les
élections partielles et la moins incertaine par rapport aux résultats des
23. Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006.
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b) L’interdiction de changer de parti à la suite d’une démission
ou d’une exclusion du parti
La prohibition de la « transhumance politique » des parlementaires
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élections partielles qui sont susceptibles de bouleverser définitivement
l’équilibre précaire entre la majorité et l’opposition. En s’appliquant à
préserver l’équilibre issu des élections générales, le remplacement automatique du parlementaire par son suppléant est conforme au but recherché par l’interdiction de changement de parti en cours de législature.
C’est cette formule que l’on retient au Niger : « Tout député qui démissionne ou qui est exclu du parti politique en cours de législature est
remplacé à l’Assemblée nationale par son suppléant » (art. 69 C.) et
que l’on retrouve presque à l’identique en République démocratique du
Congo (art. 110 C.).
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Cette solution est présente notamment au Gabon (art. 39 C.), au
Congo-Brazzaville (art. 98 C.). Ce dernier pays soumet au même
régime juridique la perte de mandat consécutive à une peine d’emprisonnement ferme pour crimes et délits volontaires et à un changement
de parti politique en cours de législature. Dans ces deux cas, précise l’article 98 de la Constitution du Congo-Brazzaville, il est procédé à des
élections partielles.
Les modalités du constat de la rupture avec le parti, tout comme les
délais d’organisation des élections partielles, sont souvent passés sous
silence à l’exclusion du Gabon sur ce dernier aspect. En effet, le constituant gabonais prend le soin de préciser qu’il est procédé à une élection
partielle dans un délai de deux mois au plus (art. 39 C.).
Ainsi, par cette subordination du parlementaire à son parti en cours
de législature, on prend toute la mesure du contrôle étroit qu’exerce ce
dernier sur l’élu. Le mandat qui devrait être national et indépendant est
placé sous la houlette hégémonique du parti. L’interdiction formelle du
mandat impératif révèle son inconsistance là où, d’ailleurs, l’hégémonie
partisane de fait l’avait précédé.
II – LA SIGNIFICATION POLITICO-JURIDIQUE DE LA PROHIBITION
DE LA TRANSHUMANCE POLITIQUE
Une réponse durable et efficace à la transhumance politique est celle
qui appréhende la véritable origine et les ressorts de ce phénomène. A
défaut de procéder ainsi, on court évidemment le risque d’administrer
un placebo en lieu et place d’une thérapeutique conséquente. La sanction
de la déchéance automatique d’un parlementaire qui change de parti en
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2 – Le remplacement du parlementaire
à la suite d’une élection partielle
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Benjamin Boumakani
cours de législature est, certes, une avancée, en ce qu’elle participe à la
prise de conscience du fléau de la transhumance politique, mais son traitement peut s’avérer insuffisant si on ne l’attaque pas à sa racine. Ce mal
se décline sur plusieurs registres :
— une conception du pouvoir où l’enjeu principal est le contrôle de
la redistribution des ressources dans le cadre d’un État néo-patrimonial ;
— des partis politiques encore incapables d’assurer les fonctions traditionnelles d’éducation politique, de mobilisation, de représentation
d’intérêts divers et fonctionnant sans démocratie interne, au service des
ambitions de quelques individus si ce n’est d’un clan ;
— le prétexte de la démocratie consensuelle à l’africaine pour justifier les dérives liées à la transhumance politique.
A l’évidence, en présence de tels ressorts, le traitement durable de la
transhumance politique ne peut être raisonnablement envisagé que dans
une perspective de « gouvernance démocratique » à refonder en Afrique.
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Il est illusoire de s’attaquer à la transhumance politique si on ne
replace pas ce phénomène au cœur de la principale problématique de la
conquête du pouvoir dans le cadre d’un État néo-patrimonial africain24.
En dépit de toutes les commodités de langage, et à quelques exceptions près, la question cruciale de la conquête et de la gestion du pouvoir
en Afrique tient principalement à l’accès aux ressources, à leur contrôle
et à leur redistribution. L’accès au pouvoir commande l’accès aux
richesses. La lutte politique a pour enjeu bien plus que la simple
conquête de positions politiques. L’accès aux ressources économiques
dépend, pour l’essentiel, directement ou indirectement, de la relation à
l’État, de la relation au pouvoir, donc au groupe qui y détient les
meilleures places et qui contrôle les ressources publiques. La transhumance y trouve son meilleur terreau. L’État est perçu comme un « fromage » dont il s’agit de profiter par tous les moyens. Tous les acteurs
politiques s’y emploient.
Dans un tel contexte, les parlementaires de l’opposition sont les plus
exposés à la « transhumance » vers la majorité présidentielle. Sous une
24. La notion de « néo-patrimonialisme » est utilisée pour caractériser le système politique d’Etats en développement structurés par des bureaucraties patrimonialisées. Non seulement il y a une personnalisation du pouvoir à tous les niveaux, ce qui s’oppose à sa véritable institutionnalisation, en plus et en raison de la faible différenciation du politique et de
l’économique, l’État constitue la voie d’accès privilégiée à l’enrichissement. V. J. F. Médard,
« L’État néo-patrimonial en Afrique », in J. F. Médard (dir.), États d’Afrique noire : formation, mécanisme, crise, Karthala, 1991, p. 323-353.
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A – LA TRANSHUMANCE, RÉVÉLATRICE DE LA DÉVOLUTION
DU POUVOIR COMME MOYEN DE CONTRÔLE
ET DE REDISTRIBUTION DES RESSOURCES
La prohibition de la « transhumance politique » des parlementaires
507
enveloppe ondoyante, ils usent des astuces pour nouer et dénouer des
alliances. Les arguments utilisés pour justifier un nouveau ralliement
sont, entre autres, la consolidation de l’unité nationale, quand les dirigeants ne se rendent pas compte, à la dernière heure, que leur « projet
de société » ou ce qui en tient lieu coïncide avec celui de la majorité
présidentielle.
Tous ces facteurs fragilisent les oppositions qui se délitent, rendent
davantage plus difficiles, si ce n’est impossibles, les alternances politiques. Ils éloignent, ce faisant, la perspective d’une démocratie saine et
durable. Corrélativement, les populations en sont désabusées et se désintéressent de la politique qui devient une sorte de « business » dont les
deux monnaies d’échange sont les relations et l’argent 25. La référence à
l’intérêt général ne correspond même plus à un mythe, elle est simplement un leurre qui préside à la création de partis politiques qui prolifèrent en Afrique.
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Les partis politiques sont des acteurs classiques de la démocratie libérale, cadre de référence qui s’est imposé depuis les années 1990 en
Afrique. Les partis politiques africains sont-ils des partis comme les
autres, c’est-à-dire « des forces politiques organisées qui regroupent des
citoyens de même tendance politique, en vue de mobiliser l’opinion sur
un certain nombre d’objectifs et de participer au pouvoir ou d’infléchir
son exercice pour les réaliser » 26 ? Exercent-ils véritablement la fonction
programmatique en vue de former et mobiliser l’opinion, par exemple ?
Les dispositions constitutionnelles, quoique souvent restrictives, inspirées pour la plupart d’entre elles du droit français, le laissent pourtant
supposer, à l’instar de l’article 4 de la Constitution sénégalaise qui dispose : « Les partis politiques et coalitions des partis politiques concourent à l’expression du suffrage ». A l’examen, la réalité est plus contrastée, ainsi que le met en lumière le professeur du Bois de Gaudusson,
lorsqu’il analyse les origines des tensions et des échecs des élections en
25. Ce phénomène explique en partie la désaffection de l’électorat pendant les votes où le
taux d’abstention atteint aux dernières élections législatives camerounaises et maliennes,
70 % à Douala et 90 % à Bamako. Il est aussi vrai que le manque de perspective d’alternance, des consultations bâclées, truquées déboussolent puis dégoûtent la plupart des électeurs, étreints par un contexte de pauvreté lancinant. Sur les abstentions récentes en
Afrique, F. Soudan, « Pourquoi les Africains ne votent plus ? », J eune Afrique, n° 2429, du
29 juillet au 4 août 2007, p. 72.
26. Définition proposée par le professeur Jean-Louis Quermone qui l’emprunte, pour l’essentiel, à l’un des auteurs américains qui a le plus marqué l’étude des partis politiques,
Joseph La Palombara, in Les Régimes politiques occidentaux, Éditions du Seuil, collection
« Points », 2006, p. 214.
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B – LA TRANSHUMANCE, CONSÉQUENCE DE LA DÉFAILLANCE
DES PARTIS POLITIQUES
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Benjamin Boumakani
Afrique : « Une des origines des tensions et des échecs se situe dans les
défaillances des formations partisanes. On s’accorde à constater la faible
efficacité de systèmes de partis politiques disposant souvent d’un monopole électoral, mais insuffisamment structuré pour animer et donner
substance à la compétition démocratique. Souvent encore les partis portent les marques psychologiques et idéologiques des régimes monolithiques anciens, qui continuent de se prolonger » 27.
La faiblesse structurelle des partis politiques, l’absence de formulation d’options programmatiques bien définies et le manque d’adhésion à
celles-ci, favorisent l’inflation des partis nominaux aux fonctions principalement personnelles, financières et corrélativement constituent un
autre terreau de la transhumance politique.
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Les groupements structurés ou supposés tels que sont les partis politiques et qui ont vocation à accéder au pouvoir, doivent tous traduire
dans les faits des options politiques. Ce sont des institutions, selon la
formule classique du doyen Maurice Hauriou, c’est-à-dire des « organisations au service d’une idée ». C’est autour de cette idée directrice, le
projet politique, que le parti devrait se créer, se développer, susciter les
adhésions, éclairer, sinon éduquer l’opinion, sélectionner les candidats
aux différentes élections, encadrer les élus, et parvenir ainsi à une stylisation, à une moralisation de la vie politique… Or, malheureusement,
l’adhésion au parti ne se fait pas autour d’un projet, c’est l’accès au pouvoir qui est une fin en soi, quand ce n’est pas l’exclusive motivation ethnique28 ou personnelle qui a raison sur tout. L’élu comme le militant ne
27. J. du Bois de Gaudusson, « Les élections à l’épreuve de l’Afrique », op. cit. Dans le
même sens, Ch. Zorgbibe, « La naissance du pluralisme politique en Afrique francophone »,
op. cit. Cette faiblesse structurelle est, pour partie, liée au manque de démocratie interne et
d’ouverture du parti à tous les citoyens, sans discrimination.
28. Le fait ethnique est d’ailleurs déterminant sur les comportements électoraux et
confère aux élections un caractère particulier. Le vote n’est pas appréhendé comme un acte
individuel mais plutôt comme l’un des devoirs pour l’individu d’accomplir un acte par
lequel il manifeste son attachement à la communauté, à l’ethnie. Corrélativement, en dépit
des déclarations constitutionnelles sur l’unité de la Nation, les dirigeants issus des élections
se considèrent avant tout comme des représentants d’une ethnie, d’une région, plutôt que
représentant le peuple dans son ensemble. V. P. F. Gonidec, Les systèmes politiques africains,
LGDJ , 3 e édition, p. 83. V. également, sur l’histoire et l’ensemble des mécanismes sociaux
qui déterminent le vote en Afrique, P. Quantin, « Les élections en Afrique : entre rejet et
institutionnalisation », http://www.polis.sciencespobordeaux.fr/vol19ns/arti1.html
La mobilisation ethnique est présentée parfois comme le signe d’un échec de la démocratisation. Il convient de préciser néanmoins que ce n’est pas le pluralisme ethnique qui compromet la construction démocratique, mais son instrumentalisation par les hommes politiques africains dans le but de conserver le pouvoir ou d’établir leur légitimé politique. Ce
qui est à contre courant des discours de ces mêmes hommes politiques qui affirment parallèlement leur engagement pour une unité nationale. En ce sens, R. Otayek, « La démocratie entre mobilisation identitaire et besoin d’État : y a-t-il une exception africaine ? », in
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1 – L’absence et l’insuffisance des options programmatiques
La prohibition de la « transhumance politique » des parlementaires
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sont pas liés au parti par un projet, une philosophie, une idéologie. L’adhésion à un parti politique se fait davantage sur des critères d’appartenance ou de relations personnelles, ethniques et matérielles. La transhumance politique se nourrit, en partie, de ces dérives et perversions.
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Si la démocratie se mesurait au nombre de partis politiques,
l’Afrique remporterait assurément la palme d’or. La liberté politique
retrouvée dans les années 1990 s’est traduite par une floraison de partis
politiques qui, dans chacun des pays, sont supposés concourir à l’expression du suffrage universel. Leur nombre va de la quinzaine au Sénégal à
plus de cent à Madagascar, au Bénin, en République démocratique du
Congo et au Congo Brazzaville.
Certes, dans chacun des pays, on note qu’un nombre très limité de
formations politiques ont une assise suffisamment importante pour être
considérées comme des acteurs importants du jeu démocratique. Mais ce
« multipartisme extrême », avec un nombre de partis foisonnants, dissimule mal une grande faiblesse programmatique, structurelle, numérique, avec une conséquence immédiate : l’incapacité à peser réellement
sur la vie politique. Cela d’autant que, le plus souvent, la motivation de
leur création obéit notamment à des considérations liées à des ambitions
personnelles, ethniques et souvent financières. Les partis ainsi créés sont
principalement des partis « conjoncturels », « circonstanciels », voire
« alimentaires ». Ils constituent une terre d’élection du clientélisme, de
retournements de veste, d’alliances « contre-nature », de la transhumance politique.
C – LA TRANSHUMANCE, ALIBI DES VALEURS AFRICAINES
DE DÉMOCRATIE CONSENSUELLE
La démocratie comme la gouvernance sont des valeurs universelles
qui font partie désormais du discours politique et de la dogmatique juridique en Afrique. Dans la pratique, cependant, leur mise en œuvre ne
donne pas les résultats escomptés parce que, estime-t-on, de plus en
plus, elles ne seraient pas adaptées au cadre opérationnel dans lequel on
tente de les déployer. Cette inadaptation tiendrait, pour l’essentiel, à
l’insuffisante prise en compte des valeurs dominantes de la société afriAutre Part, Afrique : les identités contre la démocratie, n° 10, 1999, 197 p. Certains auteurs
considèrent même que le nouveau modèle d’État africain (la nation juridique) devrait avoir
pour soubassement l’ethnie (la nation sociologique). Voir Mwayila Tshiyembe, « L’Afrique
face au défi de l’État multinational », Le Monde Diplomatique, septembre 2000, p. 14-15.
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2 – L’inflation des partis nominaux aux fonctions
principalement personnelles et financières
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caine, composantes consubstantielles des pouvoirs en Afrique. Au titre
de celles-ci, figurent le consensus, fondement d’un type de démocratie,
le partage, référent d’un modèle d’administration, et la solidarité, fondement d’un système juridique29.
C’est au nom de la démocratie consensuelle, considérée comme ce qui
devrait être le mode de gouvernement en Afrique, par opposition à la
démocratie majoritaire30, que l’on tente de justifier malencontreusement
la transhumance politique qui lui est pourtant antinomique.
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La démocratie consensuelle est un modèle de gouvernement dont
l’organisation et le fonctionnement réalisent l’intégration et la participation des principales forces politiques concurrentes en présence. Elle est
caractérisée par l’inclusivité, la négociation et le compromis. A chaque
échéance, elle fait participer le plus grand nombre possible de groupes à
la gestion de la Nation. Ce faisant, il n’y a pas de place pour un groupe
important de citoyens qui attendrait éternellement de participer à la
prise de décision, jouant une opposition formelle et inféconde, tenu souvent à l’écart des décisions sur l’avenir de tous31.
Ainsi qu’il apparaît, la démocratie consensuelle prend le contre-pied
de la démocratie libérale dite majoritaire. Celle-ci est, en effet, plutôt
exclusiviste, en ce qu’elle n’accorde le pouvoir de gestion de la Nation
qu’à une seule force, unique ou coalisée, qui aura remporté les élections,
même si cette victoire est limitée et discutable. Dans tous les cas, la
démocratie majoritaire est plus adaptée dans des sociétés où il existe une
29. J. M. Nzouankeu, « Les résistances culturelles au développement de l’e-gouvernance
dans le contexte africain », Lettre du Groupe Sud, n° 13, avril 2004.
30. Selon Arend Ljiphart, il existe deux formes de démocratie : la démocratie libérale ou
majoritaire et la démocratie consensuelle. La première fait concentrer le pouvoir entre les
mains d’un groupe donné, qu’on dit constituer la majorité de la population de la nation
concernée. Fractionniste, elle est une forme nécessairement exclusiviste et adversative de la
démocratie. La seconde, en revanche, réalise l’intégration et la participation des principales
forces politiques en présence. Elle est caractérisée par l’inclusivité, la négociation et le compromis. C’est la démocratie consensuelle qui est adaptée aux sociétés plurales, c’est-à-dire
aux sociétés profondément divisées suivant des clivages religieux, linguistique, culturel,
ethnique ou racial. Voir A. Ljiphart, Democracy in plural societies, New Haven, Yale University Press, 1987 ; « Théorie et pratique de la loi de la majorité : la ténacité d’un paradigme
imparfait », Revue internationale des sciences sociales, 129, 1991, p. 515-526. Sur le refus d’absolutiser la différence entre sociétés plurales et sociétés homogènes et celle entre la démocratie majoritaire et la démocratie consensuelle, voir, L. Sindjoun, « La démocratie est-elle
soluble dans le pluralisme culturel ? », Rapport introductif, colloque conjoint CommonwealthFrancophonie, Yaoundé (Cameroun), 24-26 janvier 2000, p. 1-22.
31. L’illustration de l’ancrage de la démocratie consensuelle en Afrique est administrée,
par exemple, avec les Igbos localisés au sud-est du Nigéria qui représentent une population
de près de 20 millions de personnes, voir U. Osigwe, « Démocratie et consensus : le cas
igbo », Revue philosophique étudiante de l’Université de Laval (phares) , vol. 6, 2006.
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1 – La référence à la démocratie consensuelle
en tant que justification de la transhumance
La prohibition de la « transhumance politique » des parlementaires
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grande homogénéité sociale et politique, alors que dans les sociétés fortement pluralistes, sur les plans politique et surtout ethnique, le modèle
consensuel paraît le mieux indiqué. Malheureusement, on prend prétexte
des valeurs d’« inclusivité », de négociation et de compromis attachées à
la démocratie consensuelle pour justifier les ralliements, les « retournements de veste », la transhumance politique, qui sont pourtant fondamentalement incompatibles avec la démocratie consensuelle.
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Elle l’est à un double point de vue au moins.
D’abord, parce que la transhumance obéit à une logique d’intérêt
personnel, alors que la « démocratie consensuelle » vise l’intérêt du
groupe, l’intérêt collectif. Avec la transhumance, l’objectif de l’homme
politique est la gestion de sa carrière personnelle, peu importe les
moyens d’y parvenir, et cela, même au prix de retournements ou de compromissions répréhensibles.
La politique a, ainsi, pour primat l’intérêt personnel beaucoup moins
que l’intérêt public. Rien de tel ne peut être justifié par la « démocratie
consensuelle ».
Ensuite, la transhumance politique est un acte solitaire, contraire au
leadership communautaire qui fonde la « démocratie consensuelle ».
Dans celle-ci, la prise en compte d’intérêts communs et la participation
de tous aux rouages par lesquels les décisions sont prises, en sont le primat. Il s’agit d’une gouvernance de la responsabilité réciproque, c’est-àdire l’engagement de chacun à être pour l’autre non seulement un
contre-pouvoir face à l’exigence du bon fonctionnement de la vie communautaire, mais aussi la garantie de la réussite commune. La transhumance politique est, en revanche, un acte solitaire, là où la démocratie
consensuelle exige un leadership communautaire.
La prohibition imposée au parlementaire de changer de parti politique d’appartenance ou d’affiliation en cours de législature est une illustration supplémentaire de ce que la vie politique en Afrique tend désormais à se structurer et à être animée par les partis politiques.
L’encadrement et la surveillance des élus, qui en résultent, sont poussés
à l’extrême avec la sanction de la déchéance du mandat parlementaire
consécutive au changement de parti.
Au-delà du statut du parlementaire qui se trouve ainsi redéfini, c’est
le triomphe d’une certaine idée de la « démocratie des partis » qui prévaut au moment même où l’avenir de la démocratie en Afrique constitue
l’un des enjeux majeurs de son devenir. En effet, l’Afrique doit à la fois
s’approprier les principes universels de la démocratie et s’inscrire dans
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2 – Une référence foncièrement incompatible avec la transhumance
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32. A son origine, le régime représentatif a été pensé pour les États nations. Mais les
États qui se caractérisent par leur diversité confessionnelle, linguistique, ethnique, sociale
ou nationale, doivent incarner les éléments composant ces différents groupes avec des techniques aussi variées que la représentation proportionnelle ou la technique des quotas. En
effet, le gouvernement représentatif est nécessairement confronté au dilemme suivant :
convient-il de représenter l’unité du groupe ou bien la diversité de ses composantes ? Voir
Ph. Braud, Sociologie politique, LGDJ , 2004, p. 492. La pratique de la plupart des régimes tend
à la coexistence de ces deux conceptions universaliste et particulariste. Quelques constitutions africaines ont franchi le pas dans cette direction. La représentation particulariste
s’illustre à travers la politique des quotas et porte sur des composantes telles que le sexe ou
l’ethnie. Sur la représentation des femmes, par exemple, au Rwanda qui tient la palme d’or
à cet égard, la Constitution (article 76) prévoit pour une Chambre de députés de 80 membres, « 24 membres de sexe féminin à raison de deux par province et de la ville de Kigali,
élus par les Conseils de districts, des villes et de la ville de Kigali ». A ces 24 membres de
sexe féminin, viennent en sus des femmes élues au suffrage universel direct. L’article 164 de
la Constitution burundaise prévoit que l’Assemblée est composée d’au moins 100 députés
dont 30 % de femmes élues au suffrage universel. En Ouganda, la Constitution de 1995
réserve un siège aux femmes dans chacune des 39 circonscriptions, hormis celles qui peuvent être élues au Parlement aux sièges non réservés. La représentation par ethnie est consacrée au Burundi où « l’Assemblée nationale est composée d’au moins 100 députés à raison
de 60 % de Hutu et 40 % de Tutsi… ». Par ailleurs, la cooptation est réservée pour trois
députés issus de l’ethnie Twa (art. 164 de la Constitution).
33. P. Sadran, « Délibération citoyenne et gouvernement représentatif », in R. Ben
Achour, J. Gicquel, S. Milacic, La démocratie représentative devant un défi historique, Bruylant,
2006, p. 282. En France, c’est M. B. Manin qui, dans un article publié en 1985, place la
délibération au centre de la théorie politique de la démocratie. Il en fait le fondement de la
légitimité démocratique dans un monde moderne marqué par un irréductible pluralisme des
valeurs, B. Manin, « Volonté générale ou délibération : esquisse d’une théorie de la délibération politique », Le Débat, janvier 1985. Le débat sur l’évolution du régime représentatif
liée à l’érosion de la confiance dans les représentants est d’actualité. Ainsi Pierre Rosanvallon dans son ouvrage « La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance », propose
une histoire et une théorie du rôle structurant de la « défiance » de la démocratie. Cette
« contre-démocratie » est constituée d’un ensemble de pratiques « de surveillance, d’empêchement et de jugement » qui viennent encadrer la démocratie (Seuil, 2006, 346 p.). Par
ailleurs, Loïc Blondiaux dans « Le nouvel esprit de la démocratie : actualité de la démocratie participative », diagnostique une nouvelle demande de participation politique et
exprime une insatisfaction croissante à l’égard des dispositifs et des médiations classiques de
la démocratie représentation (Seuil, 2008, 110 p.).
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les évolutions inévitables du régime représentatif qui lui sert de modèle.
Une double évolution marquée par la tendance à enrichir la conception
universaliste et abstraite du représentant dans le régime représentatif par
une conception particulariste de la démocratie32 d’une part et par l’intégration de la délibération citoyenne, « aspiration profonde et naturelle
de la démocratie » 33, d’autre part. C’est au prix de ces efforts d’appropriation et d’adaptation que la transhumance cessera d’être un fléau pour
la démocratie, pour n’être vécue que comme l’une des maladies infantiles
et passagères de la démocratie, parce que les valeurs démocratiques
seront enfin enracinées dans toutes les composantes de la société et portées comme telles par leurs principaux acteurs.