Jean-Louis Ferrary
Denis Rousset
Un lotissement de terres à Delphes au IIe siècle ap. J. -C.
In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 122, livraison 1, 1998. pp. 277-342.
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Ferrary Jean-Louis, Rousset Denis. Un lotissement de terres à Delphes au IIe siècle ap. J. -C. In: Bulletin de correspondance
hellénique. Volume 122, livraison 1, 1998. pp. 277-342.
doi : 10.3406/bch.1998.7174
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bch_0007-4217_1998_num_122_1_7174
Abstract
This article presents the publication of a law at Delphi, which cannot predate 132-135 AD, according to
a reference to the corrector Aemilius Iuncus. The law regulated the allocation of land on part of the city's
territory after a previous allocation whose beneficiaries saw their rights protected. This second
allocation, which benefited the damiourgoi and the bouleutes at the expense of the simple demotes,
shows the existence in the Delphic civic body of a hierarchy which has parallels in the cities of island
Greece and Asia Minor in the imperial period. This land concession was comparable to "emphyteusis",
since the beneficiaries did not have outright possession, but hereditary possession in perpetuity of
vacant properties, which would receive improvements that would revert to the city together with the
funds in the event that there was no normal succession; this concession appears, however, to have
been granted with exemption from payment. Possible parallels are examined with the allocations of
Roman estates and with Imperial economic policies, in particular the policy attributed to Hadrian. It is
nevertheless difficult to substantiate any direct influence or intervention by Rome in Delphic affairs.
Résumé
Publication d'une loi de Delphes qui ne peut être antérieure à 132-135 ap. J.-C, d'après la mention du
corrector Aemilius Iuncus. La loi règle la répartition des terres sur une partie du territoire de la cité,
après un premier lotissement dont les bénéficiaires voient leurs droits protégés. Cette seconde
répartition, qui privilégie les damiurges et les bouleutes au détriment des simples demotes, montre
l'existence dans le corps civique de Delphes d'une hiérarchie qui trouve des parallèles dans les cités de
la Grèce insulaire et micrasiatique de l'époque impériale. La concession des terres se rapproche de l'«
emphytéose », puisque les bénéficiaires auront non pas la pleine propriété, mais la possession illimitée
et héréditaire de terres vacantes, qui recevront des améliorations, susceptibles de revenir à la cité avec
le fonds faute d'une dévolution successorale normale; cette concession paraît cependant être accordée
à titre gratuit. Examen des rapprochements possibles avec les distributions de terres romaines et avec
la politique économique impériale, en particulier celle que l'on a attribuée à Hadrien : il est toutefois
difficile d'affirmer l'influence et l'intervention directes de Rome à Delphes.
περίληψη
Δημοσίευση ενός νόμου των Δελφών ο οποίος δεν μπορεί να είναι μεταγενέστερος του 132-135 μ.Χ.,
εφόσον αναφέρεται ο corrector Αιμίλιος Ιούγκος. Ο νόμος ρυθμίζει την κατανομή γαιών σε ένα τμήμα
της επικράτειας της πόλης, χωρίς όμως να θίγονται τα δικαιώματα των πολιτών οι οποίοι είχαν
ευεργετηθεί από μια προηγούμενη κατανομή. Η δεύτερη αυτή κατανομή, που ευνοεί τους δαμιουργούς
και τους βουλευτές σε βάρος των απλών δημοτών, δηλώνει την ύπαρξη μιας ιεραρχίας στο πολιτικό
σώμα των Δελφών, με παράλληλα στις πόλεις της νησιωτικής Ελλάδας και των μικρασιατικών
παραλίων κατά την αυτοκρατορική εποχή. Η παραχώρηση των γαιών συσχετίζεται με το "εμφυτευτικό
δικαίωμα" εφόσον οι δικαιούχοι δεν θα έχουν την πλήρη κυριότητα αλλά την απεριόριστη και
κληρονομική κατοχή των ελεύθερων γαιών, με την προϋπόθεση να επιφέρουν έγγειες βελτιώσεις οι
οποίες ενδεχομένως θα επανέλθουν στην πόλη μαζί με τα κτήματα, σε περίπτωση μη κανονικής
κληρονομικής μεταβίβασης. Η παραχώρηση αυτή φαίνεται, ωστόσο, να δίδεται δωρεάν. Εξετάζονται τα
πιθανά παράλληλα με τις ρωμαϊκές κατανομές γαιών και με την αυτοκρατορική οικονομική πολιτική,
ιδιαιτέρως εκείνη που αποδίδεται στον Αδριανό : είναι πάντως δύσκολο να επιβεβαιωθεί η άμεση
επιρροή και παρέμβαση της Ρώμης στους Δελφούς.
Un btissement de terres à Delphes
au IIe siècle après J.-C.
par Jean-Louis Ferrary et Denis Rousset
À fa mémoire de Jean Bousquet
En 1937, lorsque la maison de l'École française, dernière maison du village de Castri, fut
démolie pour être fouillée, puis reconstruite, on découvrit dans les fondations, entre autres ins
criptions,
les principaux fragments d'une loi de Delphes du IIe s. ap. J.-C. relative à un lotiss
ementde terres1. Ce fut J. Jannoray qui étudia alors le document et le monument sur lequel celuici était gravé. Il n'eut le temps de publier que l'étude architecturale, «Θριγκοι έπί στήλαις»2.
L'ensemble des inscriptions gravées sur le « monument à corniches » fut ensuite confié à
Cl. Vatin, qui en fit le cœur de sa thèse Delphes à l'époque impériale, puis l'objet d'articles et de
communications3.
La loi relative au lotissement de terres, depuis restée inédite, attira il y a quelques années
l'attention de D. Rousset, engagé dans une recherche sur le territoire de Delphes et la terre
d'Apollon, dont la publication reproduira l'inscription ici éditée et résumera les principales
conclusions ayant trait aux statuts des terres à Delphes4. Mais il nous est apparu qu'une édition et
une étude détaillées de cette inscription, sans doute démesurées dans le cadre de cette monograp
hie
et excédant les compétences de son seul signataire, méritaient une publication séparée et
1 Cf. BCH 61 (1937), p. 457.
2 J. Jannoray, « ΘΡΙΓΚΟΙ ΕΠΙ ΣΤΉΛΑΙΣ. À propos d'une
série de blocs de corniche inscrits, à Delphes», BCH 6&69
(1944-45), p. 75-93 et pi. VII-VIII.
3 Cl. Vatin, Delphes à l'époque impériale, 297 p., Thèse de
IIIe cycle, Université de Paris (1965), manuscrit inédit
déposé à la Bibliothèque de la Sorbonne (cité ci-après
Delphes). Voir déjà auparavant CRAI 1963, p. 270-271 à
propos du mémoire Le monument à ΘΡΙΓΚΟΙ, Inscriptions
de Delphes à l'époque impériale, présenté par Cl. Vatin à
l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Pour les
articles et communications où Cl. Vatin a cité ou invoqué le
lotissement de terres, voir infra p. 286, et les notes 89, 116
et 129 ; cf. aussi Fr. SALVIAT et Cl. VATIN, BCH 98 (1974),
p. 257.
4 Cf. D. Rousset, Territoires et frontières en Locride et en
Phocide, Thèse, Université de Paris I (1991) (cf. REG 104
[1991], p. XV-XVII et « Le territoire de Delphes et la terre
d'Apollon» in L'espace grec. Cent-cinquante ans de fouilles
de l'École française d'Athènes [1996], p. 44-49). À paraître
prochainement sous le titre Le territoire de Delphes et la
terre d'Apollon.
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UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
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préliminaire. Celle-ci est l'œuvre commune des deux signataires, mis à part les observations
architecturales et le déchiffrement de l'inscription, dont D. Rousset est seul responsable.
S'il nous est aujourd'hui possible de publier cette importante inscription, c'est grâce à la
générosité de M. Claude Vatin, qui a non seulement accepté de nous laisser étudier ce texte, mais
nous a également autorisés à consulter et à citer son propre travail resté inédit. Pour l'établiss
ement
et le commentaire de ce texte, nous sommes partis à chaque instant de ce travail précurseur.
C'est dire ce que nous devons à la libéralité de Claude Vatin, et combien est vive notre reconnais
sance
à son égard5.
L ^inscription
Le début de l'inscription (11. 1 à 8) était gravé sur deux blocs contigus d'une corniche de
marbre blanc (fig. 1), la suite (11. 9 à 33) sur un orthostate de calcaire gris placé sous la corniche
(fig. 2). J. Jannoray reconstitua le premier l'ensemble (voir, malgré des inexactitudes, le schéma d'a
ssemblage
BCH 68-69 [1944-45], pi. VII) et en rapprocha quatre autres groupes analogues, portant
eux aussi des inscriptions d'époque impériale6. D'après lui, ces groupes constituaient une série de
stèles couronnées de corniches, adossées à un massif de fondation ou à un mur, peut-être sur la ter
rasse du temple d'Apollon, le long de Xischégaon. J. Jannoray mentionnait néanmoins (p. 93) une
hypothèse de J. Bousquet, selon lequel ces groupes prenaient place dans le podium de la scène du
théâtre. Étudiant à nouveau ces blocs, Cl. Vatin fut d'avis qu'ils entraient dans un monument rec
tangulaire,
dont l'emplacement dans le sanctuaire d'Apollon restait à déterminer {op. cit., p. 29-41).
Ce n'est pas ici le lieu de reprendre l'étude architecturale du «monument à corniches»,
réexamen qui serait assurément indispensable. Il importe néanmoins d'examiner les caractéristiques
architecturales des blocs portant notre document. Celles-ci seront en effet nécessaires à l'étude de
l'inscription elle-même, dans la mesure où l'on est amené à se demander si cette inscription forme
un tout autonome ou si elle n'est que la fin d'un dossier dont le début était gravé ailleurs.
S Notre gratitude va aussi à M. Crawford, Ph. Gauthier,
D. Mulliez et M. Wôrrle, qui ont accepté de relire cette longue
étude et de nous faire part de leurs observations. Nous
tenons enfin à remercier les archéologues et le personnel de
l'Éphorie de Delphes, qui nous ont permis d'étudier l'inscription dans les meilleures conditions, et Ph. Collet, qui est l'auteur des photographies. Cet article a été soumis par l'École
française d'Athènes à M. Fr. Salviat, qui nous a fait part d'irv
téressantes remarques : comme Cl. Vatin, il défend la restitution de Romains résidents (I. 5) et d'autre part il développe le
parallèle avec le texte de Thisbé d'une façon différente de la
nôtre. Nous tenons à le remercier de ses observations,
même si nous sommes finalement restés fidèles aux interprétations que nous avions initialement retenues. C'est après la
remise de notre étude que nous avons eu connaissance de
l'article de Fr. Quass, «Zum Problem der Kultivierung brachliegenden Gemeindelandes kaiserzeitlicher Stâdte Griechen-
lands», Tekmeria2 (1996) [Thessalonique, 1997], p. 82-117,
où l'auteur cite et commente, aux pages 102-107, les douze
premières lignes de l'inscription de Delphes. Cet article ne
nous a pas amenés à modifier notre propre étude.
6 Les cinq autres inscriptions impériales gravées sur les
blocs de corniche et un orthostate de marbre ont été réédi
tées et étudiées par Cl. Vatin, Delphes, p. 43 à 72: il s'agit
d'une part de quatre documents de 90 ap. J.-C. relatifs à
l'organisation des Pythia: SIG3 821 B; SIG3 821 C, réédité
par J. H. OLIVER, Greek Constitutions of Early Roman Emperors from Inscriptions and Papyri (1989), n° 42 ; SIG3 821 D
et E; d'autre part d'une lettre d'Hadrien à Delphes de 118,
dont le texte complété par Cl. Vatin a été publié par
F. Martin, La documentation griega de la cancilleria del
emperador Adriano (1982), p. 55-57 n° 8 (seules les six premières lignes se trouvent dans BCH 6 [1882], p. 452-453
n° 84 et J. H. Oliver, op. cit. n° 63).
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Les blocs
La plupart des fragments composant notre inscription ont été retrouvés soit en août 1895 dans le
jardin de la maison du capitaine Frankos, devenue maison de l'École française (inv. 3029 et 3062 à
3065), soit en février 1937 (inv. 6156 à 6161 et 6172 à 6177), cf. supra. Les principaux raccords furent
effectués par J. Jannoray ; J. Bousquet ajouta au puzzle les autres pièces qui le complètent aujourd'hui.
La corniche portant les huit premières lignes de notre inscription, haute de 29,5 cm, était consti
tuéede deux blocs, appelés A et Β par J. Jannoray (fig. 1). Du bloc A, subsistent cinq fragments, que
je décris ci-après en allant de gauche à droite, puis du haut vers le bas (dimensions en centimètres) :
quatre fragments trouvés en 1937 (inv. 6156: ht: 13,5 χ lg: 31 ; inv. 6159: 16,5 χ 33,5; inv. 6157:
21 χ 32 ; inv. 6158 : 22 χ 22,5) et un fragment trouvé le 17 mars 1894 sous le trésor des Athéniens
(inv. 1144: 14,2 χ 31). Ce bloc, simplement dégrossi sur les faces inférieure, postérieure et supér
ieure, est profond de 21,7 cm (26,5 avec la moulure). La longueur sous la moulure est complète
(78,8). Soulignons surtout les caractéristiques de la face gauche, qui n'ont pas été signalées jusqu'à
présent : il est exclu que cette face ait été une face de joint, car elle est parée et, loin d'être verticale,
elle est convexe et présente le départ de la même moulure que la face antérieure (fig. 3). Cette moul
ure, qui fut ensuite en grande partie abattue, faisait donc retour sur le petit côté, et le bloc A est un
bloc d'angle, dont le petit côté est anépigraphe.
À droite du bloc A, lié par un crampon en Π sur la face supérieure, se trouvait le bloc B, dont
subsistent deux fragments (inv. 6160 : 15,8 χ 41 ; inv. 6161 : 14,3 χ 36,5). Ce bloc diffère du bloc A
par le travail de ses faces supérieure et postérieure, la première polie et la seconde parée, ainsi que par
sa profondeur, qui est seulement de 13,5 cm (17,8 avec la moulure) : le bloc a peut-être été retaillé
(Jannoray, p. 76), ou avait connu un emploi antérieur, comme un autre bloc de corniche analogue,
inv. 2292 (Jannoray p. 83). La longueur totale du bloc B, dont ne subsiste que 41,5 cm, était sans
doute de ca 49 cm, d'après les restitutions de l'inscription : cf. infra, p. 287.
De l'orthostate subsistent vingt et un fragments (fig. 2) : des raccords matériels assurent leur
situation relative, sauf pour les deux derniers. Inv. 6172 : 19,5 x 22,3. Inv. 3064 A, B et C, recollés:
24 χ 58. Inv. 5038, inventorié en 1914: 9 χ 10. Inv. 347, trouvé en 1893, recollé à 3064 A:
13 χ 19,5. Inv. 6175 : 27 χ 26,5. Inv. 6176: 23 χ 28. Inv. 3062 A et B, recollés: 31,5 χ 25,5. Inv.
17254, inventorié en mai 1991 : 3,5 χ 4,5. Inv. 3065 A et B, recollés: 23,7 χ 30,5 ; dans la cassure
entre 3065 A et 3065 B il faut placer deux petits fragments, inv. 17253 (inventorié en mai 1991 ;
5,7 χ 7) et inv. 5077 (inventorié en 1914; 5,7 χ 4,2). Inv. 3063 : 18 χ 23,9. Inv. 6173 : 17 χ 20. Inv.
6174: 26 χ 22. Inv. 3029: 21,5 χ 10.
Le fragment inv. 6177 (33 χ 19) présente, comme inv. 6174, le lit de pose de l'orthostate et les
lettres qu'il porte entrent donc dans les dernières lignes du texte. Il s'agit précisément des lignes 29 à
32, mais non de la ligne 33, comme le montrent leur place et la surface laissée vacante, plus haute de
deux centimètres que sur inv. 6174 et 3029. C'est donc nécessairement à droite de ces deux fra
gments et de la fin de la ligne 33, qui ne couvrait pas toute la largeur du bloc, que l'on doit placer inv.
6177; en outre, ce que l'on y lit, notamment μήτε 1. 30, invite à le situer à droite d'inv. 3063,
contre celui-ci, sans qu'il y ait cependant raccord matériel (cf. n. crit. 1. 29-30).
Le fragment inv. 5085 (inventorié en 1914 ; 10 χ 9,2) est le seul à présenter une petite partie du
bord droit de l'orthostate ; ce que l'on voit de la face droite (profondeur : 9,3) est paré. Faute de rac
cord matériel, on ne peut essayer de situer ce fragment en hauteur qu'en rapprochant les bribes qu'il
porte du reste du texte conservé: ΥΑΣΗ rappelle ainsi [κατασκ]ευάζεΐν 1. 20 (cf. n. crit.), mais le
rapprochement reste fragile.
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Fig. 3. Partie gauche du bloc A de la corniche de marbre
(inv. 6156 et 6157) : profil de la face gauche, présentant le
départ de la même moulure que la face antérieure.
Fig. 4. Face gauche de la corniche (inv. 6156 et 6157) et de
l'orthostate (inv. 6172, 5038, 6176, 3062, 6174).
L'orthostate de calcaire, haut de 83,4 cm, retenu vers l'arrière par un crampon en Π, se plaçait,
comme le prouve la continuité du texte, sous la corniche de marbre. La face gauche de l'orthostate
est «soigneusement parée, mais non préparée à joint» (Jannoray p. 87, cf. p. 90), ce qui correspond
aux caractéristiques du bloc A de la corniche. Les faces gauche de la corniche et de l'orthostate fo
rmaient
donc l'angle de l'ensemble (fig. 4) ; mais il faut souligner, d'une part, la légère différence de
profondeur entre la corniche (21,7) et l'orthostate à son sommet (22,5 sur inv. 6172; plus bas, de
21,6 sur inv. 6176 et 3062, à 21 sur inv. 6174) et, d'autre part, la présence sur le fragment de l'o
rthostate
inv. 3062 d'un bandeau faisant saillie (cf. Jannoray p. 87 et pi. VII). Se présentant ainsi,
cette face gauche était-elle entièrement visible, et pouvait-elle constituer l'angle d'un monument
quadrangulaire, comme Cl. Vatin en avait évoqué l'hypothèse ?
Cela nous amène à nous demander dans quelle mesure on peut replacer dans un monument l'o
rthostate
et la corniche qui le surmontait. Cette question dépend de la longueur totale de cet
ensemble, dont ne subsistent que 118,5 cm au niveau de la corniche, 95 cm au niveau de l'ortho
state(ca 112 si l'on tient compte d'inv. 6177 juxtaposé à 3063, sans raccord matériel). J. Jannoray
avait proposé de lui restituer une longueur de 1 56 cm, en supposant le bloc Β égal au bloc A (op.
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cit., p. 78). Mais, à s'en tenir aux restitutions vraisemblables dans le texte, notamment celles des
lignes 6 à 8 (cf. infra, notes critiques, p. 287), on aboutit à une longueur inscrite de seulement ca
49 cm sur le bloc droit. Si ce bloc n'était pas plus long, l'ensemble occupait ca 128 cm.
Or, Cl. Vatin avait fait remarquer {pp. cit., p. 35 et 38-39) que cette mesure correspond à celle,
assurée, d'un autre ensemble qu'il faisait entrer dans le « monument à corniches » (inv. 2292 + 2299
= 130 cm). Ce monument rectangulaire aurait ainsi eu deux petits côtés de ca 130 cm. Mais
Cl. Vatin n'excluait cependant pas que notre ensemble ait pu faire partie de l'un des grands côtés de
ce monument, longs d'au moins 5,5 m. D'après nos observations, il ne pourrait en tout cas se placer
qu'à l'extrémité gauche d'un de ces côtés, puisque la face gauche de notre ensemble est une face
d'angle ornée d'une moulure en saillie.
Cependant, comme nous l'avons souligné, il ne nous paraît pas sûr que cette face ait été entièr
ementvisible. Notre ensemble, au lieu de faire partie d'un monument rectangulaire, n'était-il pas plu
tôtadossé (cf. l'hypothèse de Jannoray, p. 90-91), et ses petits côtés partiellement dissimulés ?
Les incertitudes qui naissent des constatations architecturales ne sont pas sans consé
quence pour l'étude de notre inscription. En effet, à considérer la teneur du texte que nous
lisons, on est tenté de penser qu'il ne constitue pas un tout autonome et que la première ligne
gravée sur le bloc de corniche n'est pas le début du document. Les arguments en ce sens sont
avant tout l'absence de toute datation dans le texte, mais aussi la présence de αυτήν, anaphorique
ou démonstratif, dans la première phrase (p. 291) ; il faut aussi ajouter le caractère allusif de notre
loi, qui renvoie à une première distribution à des « clérouques » sur une chôra, sans les définir pré
cisément,
et le caractère complémentaire de certaines de ses dispositions, qui ne se comprennent,
nous semble-t-il, que par rapport à cette distribution initiale (p. 302, 303, 304-305, 307-308,
312-313). Par conséquent, on peut penser que les 33 lignes gravées sur la corniche et sur l'orthostate ne sont que la fin d'un dossier dont le début se trouvait ailleurs. Mais où ? Il est exclu que le
début de notre texte se soit situé sur d'autres blocs jointifs à gauche, puisque la face gauche n'est
pas une face de joint. C'est une face d'angle, et elle est anépigraphe. Se représentera-t-on le début
du texte gravé au-dessus de la corniche, sur des blocs qui la couronneraient ? Curieux agence
mentarchitectural ! Faut-il alors imaginer que le début de notre texte ait été inscrit sur un groupe
orthostate + corniche non contigu et placé à quelque distance du nôtre, à gauche ? Quelle que
soit la solution que l'on préfère, il faut souligner que la disposition de notre inscription, si elle
commençait effectivement sur d'autres blocs que la corniche, différerait de la disposition des
autres inscriptions gravées sur les ensembles qu'on lui a comparés : sur chacune des autres cor
niches,
c'est le début d'un document qu'on lit sous la moulure7.
7 Cf. n. prêcéd. Notons par ailleurs que ces inscriptions tien
nent toutes sur une seule colonne.
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Le texte
Éd. : quelques mots d'inv. 1 144 mentionnés par É. BOURGUET, De rebus delphicis imperatoriae aetatis (1905), p. 42. Édition du texte d'après l'ensemble des fragments par Cl. VÀTIN,
Delphes, p. 74-127.
Cf. à côté de nombreuses allusions au document, mentions de son contenu et de quelques
passages par J. JANNORAY, BCH 68-69 (1944-45), p. 76-77 et 88; Cl. VATIN, «Damiurges et
épidamiurges à Delphes», BCH 85 (1961), p. 245-246; J. CHARBONNEAUX, CRAI 1963,
p. 270-271 ; A. PlGANIOL, «La politique agraire d'Hadrien» in Les empereurs romains d'Espagne
(1965), p. 138 (= Scripta varia III [1973], p. 139) ; Cl. VATTN, «Ordres et classes dans les institu
tionsdelphiques » in Recherches sur les structures sociales dans l'Antiquité chssique, Colloque Caen
1969 (1970), p. 261-263; A. PLASSART, FD III 4, fasc. 3 (1970), p. 31-32 et 39;
J. POUILLOUX, «Delphes et les Romains» in Στήλη, Méknges Ν. Contoléon (1980), p. 204-205
(= D'Archiloque à Plutarque [1986], p. 341-342); Fr. QUASS, Die Honoratiorenschicht in den
Stddten des griechischen Ostens (1993), p. 389 n. 175 et 396 n. 203 [cf. supra, n. 5].
Étude par Cl. VATIN,Delphes, p. 128-244.
Nous avons donné une présentation et une étude préliminaires des lignes 2 à 6 de l'in
scription
au XIe Congrès international d'épigraphie grecque et latine (Rome, septembre 1997), cf.
le volume des préactes, p. 513-521.
Lettres: 1 à 1,3. Interligne: 1 à 1,2. Les lignes inscrites sur la corniche de marbre (1 à 8)
suivent un léger réglage, dans lequel les lettres flottent un peu ; les lettres sont plus serrées dans les
lignes 6 à 10.
Traduction
« [ — ]. Car ainsi l'a aussi [ —] Aemilius Iuncus consulaire corrector des peuples libres. Il a plu à la
cité, après de nombreuses délibérations, que [l'on se répartisse] la terre dans les conditions suivantes :
que les citoyens [reçoivent, s'ils sont damiurges ou] bouleutes une part et demie, s'ils sont simples
citoyens, [une] part ; que la part soit de quarante plèthres. Puisque la terre a déjà été mise en culture
et [ ?qu'il convient ? que restent 4 là-bas ?] ceux qui ont déjà mis la terre en culture, clérouques et
citoyens subordonnés aux clérouques, [tous] ceux qui ont déjà mis la terre en culture demeureront
sur la terre et le surplus sera donné à quiconque, parmi les citoyens, n'ayant pas de terre, veut en
recevoir. Quiconque, parmi les damiurges, les bouleutes, leurs fils, leurs descendants (ou ceux ?) qui
[habitent —] veut se transporter sur un autre terrain pris parmi les terrains en surplus en abandon
nant
les terrains qu'il possède, aura le droit de se transporter dans les terrains en surplus dans les lots.
[Que tous ceux qui, n'ayant pas de terre,] veulent en recevoir s'inscrivent auprès des archontes
comme n'en ayant pas et qu'un examen des preneurs ait lieu devant le Conseil. Que les preneurs gar
dent [leur parcelle indivise] (ou possèdent [leur parcelle à titre définitif]), 8 ayant le droit à leur mort
de léguer leur parcelle à qui ils veulent. Si quelqu'un meurt intestat, que ses descendants reçoivent
[sa parcelle, et s'il meurt] sans descendance et intestat, alors sa parcelle appartiendra à la cité. Si les
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UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
287
successeurs citoyens {ou les futurs citoyens) [
,
] en passant l'examen devant [le Conseil, en
fournissant des garanties] à la cité et en versant comme prix des plantations [et des constructions] du
terrain [
] réalisé, l'estimation étant faite par [les damiurges] et le Conseil. Qu'il ne soit permis à
personne de léguer à un étranger [aucune parcelle
.Si un dommage] 12 est causé dans cette [
aux] récoltes, aux arbres cultivés ou aux vignes, la victime aura le droit de [
] . Les chemins bornés
et les voies indispensables {ou de servitude) auront une largeur de dix [pieds]. Quiconque enlèvera [?
les bornes
] paiera à la cité [tant de deniers] et le tiers sera versé au dénonciateur. Les eaux [ ? cou
rantes
et] qu'il ne soit permis à personne d'empêcher [ — ] les utilisateurs éventuels. L'eau
recueillie [ — ] 16 [ — ] toute l'eau autour [ ? sur une largeur de] dix pieds et qu'il ne soit permis à per
sonne [ — ]. Sinon, [qu'il soit passible] des amendes fixées au sujet des chemins. Si quelqu'un, après [ — ]
ou par un jet [ —] qu'il en dispose à son gré. À toutes les sources [ ? existantes] et à [ —] que tous
aient accès et qu'il ne soit permis à personne [ — ] d'édifier ou d'enclore [ — ] 20 pouvoir construire
des habitations. Quiconque [ayant ? demandé] un emplacement pour édifier ne [ ? construit] pas [ —
d'habitation ? — ] la demande [ — ] à qui voudra [ —] demander. Vers les [— ] dit jusqu'au Défilé,
comme il est dit [au sujet des] terrains [publics — ]. Qu'il ne soit permis à personne de [jeter] des
ordures en amont des [réservoirs ? en dehors ? du] terrain délimité. 24 Quiconque en jette paiera à la
cité [tant de] deniers. [ — ] La route qui va de [ — ]. Qu'il ne soit permis à personne de [ — ] publics [— ].
Quiconque agira ainsi paiera à la cité cent [deniers]. Les archontes en fonction chaque année [ — ]
devront [ — ] par an monter à la terre pour inspecter [ — ] les chemins, les voies et [ — selon ? les] 28
prescriptions. Et [si quelqu'un ne] fait pas ce qui est écrit dans la loi, les archontes [ ? recouvreront
les ? amendes] et les verseront [à la cité. Si] les archontes en fonction chaque année [n'accomplissent
pas l'une de ces tâches, ? ils devront ? eux-mêmes — ] et les archontes qui leur succéderont recouvre
ront
et [verseront à la] cité. Qu'il ne soit permis ni aux archontes, [ni au Conseil ?], ni à l'assemblée
des damiurges, ni au peuple d'abolir [ — la ? loi] ou en partie. [Si quelqu'un, particulier ou 32 magist
rat]en vue de l'abrogation [ — ], il paiera [ — ] cinq mille [ Pdeniers —] l'amende [ —]. »
Notes critiques
Sauf mention contraire, les restitutions sont celles de l'édition de Cl. Vatin. Son édition donne éga
lement
certaines lettres qui ne sont plus visibles aujourd'hui, et sont donc ici soulignées.
C'est à partir des lignes 6, 7 et 8, celles qui sont le plus largement conservées, que l'on peut cal
culer la longueur inscrite : la restitution de la 1. 8, l'une des plus sûres, donne une longueur inscrite
de ca 128 cm (dont ca 49 cm sur le bloc droit de corniche, cf. supra), dimension à laquelle font aussi
aboutir la restitution de la 1. 7, très vraisemblable, et celle de la 1. 6, probable. À partir de cette lon
gueur inscrite, et compte tenu de la densité variable de l'écriture (les lettres sont plus serrées 11. 6 à
10), on peut évaluer de façon assez sûre le nombre de lettres manquant à la fin des 1. 1 à 5 ; pour les
lignes 9 et suivantes, gravées sur l'orthostate, l'ampleur des lacunes rend les calculs plus incertains.
1. 1 - À l'aplomb du premier Ε d'ëôc^ev de la 1. 2, à la cassure inférieure d'inv. 6156, une haste
horizontale supérieure. - Ν αύτην : du Ν ne manque que le haut, du Τ subsiste la haste verticale.
- εΐσ[...]ήναι : ι- ' - ... HNAI (cf. n. 13). - V. suggère [Έπεί εδοξεν κληρούχους (ou τους κληρούχους) εις την πόλι]γ αύτην εΐσ[αχθ]ήναι ; cf. p. 291, et n. 12. - Ίοΰ[γ]κος: de ΓΥ subsiste la
haste verticale. Signalons que le cognomen peut aussi être transcrit Ίοΰνκος, cf. L. THREATTE, The
Grammar ofAttic Inscriptions I (1980), p. 600. - διορθωτής των ελευθέρων δ[ήμων καί]| [πό
λεων] V., cf. p. 290. 5 1. 2 - Les lettres EN sont probablement la fin d'un verbe, cf. p. 290 ; V. resti
tue [έκέλευσ]εν : « [έκέλευσ]εν semble convenir à la lacune, et bien que les traces en soient
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JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
infimes, c'est probablement la branche inférieure d'un Σ que l'on distingue avant ΓΕ ; aussi doit-on
exclure la possibilité d'un εγραψεν d'ailleurs un peu court, et surtout de έπέστειλεν, qui aurait
cependant été plus tentant» (p. 99). Nous n'apercevons avant EN qu'un apex (voir fig. 3). Cf. n. 10.
- τάδε : lecture sûre, même si le bas de ΤΑΔ a disparu. - [ν]είμ[ασ]θαι : V. édite νεμ[εσ]θαι : « du
Ν initial subsiste le bas des deux hastes verticales ; ΓΕ est sûr ; du M on ne voit que le haut des deux
[1]—"
hastes, un peu plus rapprochées que dans les autres M» (p. 83). Pour notre part, nous lisons
[2-3 ] ΘΑΙ : après 1Έ de τάδε, il y a place pour une lettre, puis deux hastes horizontales, puis le
haut de deux hastes verticales, un peu rapprochées pour un M ou un Ν ; ensuite, après la lacune de
2 ou 3 lettres, moitié droite du Θ. Compte tenu du faible écart entre les deux hastes verticales, nous
retenons plutôt [ν]είμ[ασ]θαι, cf. le commentaire p. 296. - πολείτα[ς] : de l'A subsiste le bas des
deux hastes obliques. Ensuite, place pour ca 17 lettres: τους πολείτα[ς λαμβάνειν δαμιουρ-]|[γόν
και βο]υλε[υτ]ήν V., cf. p. 297 et η. 48. 5 1. 3 - [βο]υλε[υτ]ήν : de ΓΥ, avant lequel il y a place
pour 7 ou 8 lettres, ne manque que le sommet. - En fin de ligne, une haste verticale après καί, puis
une lacune de ca 20 1. La restitution nous a été suggérée par Ph. Gauthier, cf. p. 303 et n. 79, où nous
discutons aussi la restitution de V., έπεί δε προγεγεώργηται ή χώρα καί κ[ατοικούντας 'Ρωμαί
ους]![ε]χει κληρούχους. ί 1. 4 - [.] ν. ΕΙ lapis: avant ΕΙ, place pour une lettre, puis bas d'une haste
oblique, d'un Κ ou d'un X (voir fig. 3). - π[άντες] Follet, π[ολεΐται] V, cf. p. 304. - [τούτω] F.-R.,
cf. n. 83. î 1. 5 - λ[α]βείν : départ d'une haste oblique, place pour une lettre, boucle inférieure du B.
- Après KATO, place pour ca 15 lettres; voir p. 308-312 pour différentes restitutions possibles,
notamment των κατο[ικούντων εν τη χώρα velxx\\ χώραν], των κατο[ικούντων κληρούχων] ou
των κατο[ικούντων δημοτών], ainsi que l'éventuelle suppression du dernier ή. 5 1. 7 - ότι : Ο, haste
horizontale, apex inférieur de ΓΙ. f 1. 8 - du Ρ subsiste la boucle; [άναφαί]|ρετον (V.) ou
[άδιαί]|ρετον (F.-R.), cf. p. 315. - ά[διά]θετος: de l'A, haste gauche, 5 1. 9-11 - Pour une restitu
tionde V., cf. n. 144. 5 1. 10 - E[ll-12 lettres] Λ ΙΖΟΜΕΝΟΙ : les deux traces obliques sont celles
d'un Λ, ou à la rigueur d'un M. V. : δοκιμαζόμενοι έ[ν βουλή καί είσκο]μιζόμενοι, peut-être un
peu long; [μετακο]μιζόμενοι est donc aussi exclu; [άσφα]λιζόμενοι suggestion de Gauthier et
Wôrrle, cf. p. 322. il. 1 1 - [δαμιουργ]ών : ) N. - μη έξέστω δε μηδεν[ί] ξένω καταλιπείν μή[τε
συγγενεΐ μήτε φίλω μηδέν τής χώρας μέρος·] V. - [Εί δέ τι άδίκη-]|μα F.-R. 5 1. 12 - [τη 4-5 1.
κατά (velnepï) καρ]πούς: il ne manque que la haste gauche du Π, qui est sûr; cf. p. 327. Pour des
restitutions de V. et de Fr. Salviat pour les 1. 11-12, cf. p. 328 et n. 170. 5 1. 13 - ώρισμ[ένα] : du M
subsiste la moitié gauche ; [α]ί : V. a vu le sommet de Π ; ca 11 lettres entre ΩΡΙΣΜ et ΑΝΑΓKAIAI. - [ποδών] ι ( : après une lacune de ca 5 1., sous une barre horizontale, haste verticale qui est
certainement un I ; ensuite ponctuation sous la forme d'un petit sigma lunaire, que l'on rencontre
aussi dans les inscriptions attiques de l'époque impériale, cf. L. THREATTE, Grammar ofAttic Inscr. I
(1980), p. 86. - άφαιρήτ[αι άπό των δεγμανων τους όρους τους ορίζοντας τα μέρη προς
άλληλα] V. 5 1. 14 - après ΔΙΔ, quart supérieur gauche de ΙΌ. - "Υδατα τα [ρέοντα δια των
μερών κοινά έστω τοις γεωργουμένοις, καί μηδε-]|νί V. ; cf. p. 330. 51. 15 - ΑΠΟΚΛΕΙ1, puis
après une lacune de ca9\., une haste verticale. L'extrémité de la haste verticale peut appartenir à un
N, ou à un Ε : άπό κλειν[ίων κωλΰσα]ι τους βουλομένους χ[ρήσασθαι] συνλογιμαΐον ύδωρ
V. ; άποκλείε[ιν ή ? κωλύει]ν F.-R., cf. p. 330. - après ϋδωρ bas d'une haste verticale, 5 1. 16 - παν :
Π - Ν. [τό γεγον]ός παν ϋδωρ έν κύκ[λω πλάτος] ποδών V. ; entre KYK et ΠΟΔΩΝ, la lacune est
de 9-10 lettres : ajouter τό avant πλάτος? î 1. 17 - ώρισμ[ένοις] : ΩΡΙΣΤ .51. 18 - [π]ρρ[ς δέ τας?
υπάρχουσας] πηγας: boucle du Ρ, moitié supérieure de ΓΟ, [15-16 L] TT| IT Α Σ. - En .fin de
ligne, si le fragment inv. 5085 prend place à ce niveau (cf. supra, p. 281 et N. C. 1. 20), restes de trois
lettres: forme de [ο]υτο[ι] ou de [α]ντο[ί] (V.) ? 5 1. 19 - Nous lisons T νΣΙΝΠ...
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UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
289
ΟΔΟΣ
ΜΗΔΕΝΙ : είσιν V. ; J. Bousquet suggère πάσιν π[ρόσ]οδος; [έστω και] F.-R. - «À la
fin de la ligne, avant PON, peut-être la barre supérieure d'un Τ » (V.) ; on ne voit plus rien, f 1. 20 [κατασκ]ευάζειν : de ΓΕ, on voit l'extrémité des deux hastes horizontales supérieures. - δε: Δι.
- είς : de ΓΕ, on voit l'extrémité des hastes horizontales. - [κατασκ]ευάση : il semble que V. ait lu
ΕΤΑΣΗ, mais on ne lit plus que les quatre dernières lettres (gravées sur inv. 5085, sans raccord matér
iel). Rappelons (cf. p. 281) que la restitution reste hypothétique, puisque nous ne plaçons ces lettres
dans la 1. 20 qu'à cause du rapprochement avec [κατασκ]ευάζειν. Entre OIK et ΥΑΣΗ, ca 23 1 : V.
évoque deux restitutions, μη ο'ίκ[ησιν εις αυτόν τόν τόπον κατασκε]υάση, et μη ο'ίκ[ησιν οικο
μηδ'
δόμηση
νέαν μηδέ πάλαιαν έπισκε]υάση, qui nous paraît trop longue; μη οίκ[οδομήση
οίκησιν κατασκ]ευάση ?, cf. ρ. 332. 5 1. 21 - [άκυρος έστω] ή αίτησις, άλ[λα έξέσ]τ[ω] τω
βουλομένω [τόν αυτόν τόπον α]1τεΐσθαι V., mais cf. p. 332. - OIK: du K ne reste que la haste
verticale. 5 1. 23 - κό[π]ρογ : on voit la boucle du P, la moitié supérieure de ΓΟ et les extrémités
supérieures des hastes du N. - ύδ[άτων] : du Δ ne manque que l'angle inférieur droit. - En fin de
ligne, après Π, haste verticale. - κό[π]ρογ επάνω των ύδ[άτων εξω του προσ]ωρισμένου χωρίου
π[αραβάλλειν] V. ; cf. p. 333. 5 1. 24 - On voit ^ Β [1] ΛΛ ΟΙ : [ει δέ τι]ς β[ά]λλοι V. ; sont
aussi possibles [εί]| [δέ τις εί]σβ[ά]λλοι et [έ]γβ[ά]λλοι. - δηνά[ρια] : de ces lettres ne subsiste
que le sommet. - ή από : subsistent de ΓΗ deux hastes verticales, dont une complète, puis le sommet
d'une lettre triangulaire. - TO de τοΰ rajouté dans l'interligne supérieur ; après Y, haste verticale, qui
n'est pas nécessairement un Ι; [ό]δός ή από τοΰ ί[πποδρόμου ?] V., cf. n. 198. 5 1. 25 - V. p. 125
suggère [μηδε]νί δέ έξέστω τάς δημοσίας [έλα]ί[ ας κόπτειν και κατα]λύειν τους
προσιόν[τας πόρους τη πόλει] : mais entre δημοσίας et le haut d'une haste verticale, il y a place
pour 2 1. au maximum ; pour la lacune qui suit, la restitution de V. paraît courte ; [κω]λύεΐν ? ; cf.
p. 333. - προσΐόν[τας] : serrée entre Σ et O, une haste qui doit être un I ; à la cassure, une haste ver
ticale, ï 1. 26 - αρχ[οντες] : apex inférieur gauche du X visible. - [τοΰ ou εκάστου] Ι έτους F.-R., cf.
p. 334. ï 1. 27 - έτους :_ΤΟΥΣ. - άναβαίνοντ[ες] είς: Ni [..] "' Σ. - [χ]ωραν. de Γω, on ne voit
que la boucle droite. - après ΕΦΟΡΑΤΩΣΑ, Τ dont il ne manque que la branche droite, puis pied
d'une haste oblique; τα [ώρισμένα] δεγμανα? τα [μέρη και τα] δεγμανα V. ? Cf. n. 205. - [κατά
^
? τα]| διηγορευμένα F.-R. f 1. 28 - ΚΑ ι [ 5-6 ]
[ 2 ] \ ΠΟΙΗ. V. propose και [εί τίς τι μη]
ποίη, tout en signalant une haste oblique avant ποιη ; [εί τις μ]ή τ[ιν]α nous paraît mieux convenir
aux traces visibles et à l'espace disponible. - [είσπρασσέτωσαν τα πρόστει-]|μα (F.-R.) comble la
lacune, de ca 22 1. au total, f 1. 29 - V. : [εί δ]έ οί καθ' έτος αρχον[τες αμελή σω]σιν τούτων,
peut-être cependant un peu court; pour l'ordre des mots dans notre restitution, cf. OGIS 483, 55. Traces ΩΣ^ sur inv. 6177; sur la place de ce fragment, cf. 1. 30; restitution F.-R., donnée exempli
gratta, cf. n. 207. 5 1. 30 - α[ρχοντες είσ]πράξαντες : de ΓΑ n'est visible qu'un apex; ensuite place
"" pour 12 1. - είσ[φερέτωσαν] : Ε
. Μη έξ[έστω] : après ΜΗ, haut d'une lettre qui pourrait être
un Γ ou un E, puis haste horizontale supérieure. - Inscrit sur le fragment inv. 6177, le mot μήτε, ne
pouvant guère se placer dans la 1. 30 qu'après Μή, conduit à situer ce fragment à droite d'inv. 3063
(pas de raccord matériel); ca 18 1. après MHTEA, pour une longueur inscrite supposée de ca 128
cm. 5 1. 31 - avant δήμω, une haste horizontale supérieure. - ακυρ[α] : ΑΚΊΓ. - Après ces traces,
lacune de ca 19 lettres, puis extrémité d'un haste et un T, dont il ne manque que le bas. - τ[ό δόγμα]
ή μέρος α[ύτού] V. - [Εί ? δέ τις ή ιδιώτης? ή αρ-]|χων F.-R. ί 1. 33 - πεντακισχειλ[ία ? δηνά
ρια]F.-R. ; cf. p. 335.
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JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Le texte conservé s'ordonne ainsi :
Ll. 1-2 : Fin d'un document précédant les décisions de la cité.
Ll. 2-3 : Règlement de base pour la distribution de la terre : hiérarchie entre les différentes
catégories de citoyens, surface de la part de base.
Ll. 3-6 : Application de ce règlement : maintien sur place des exploitants actuels de la
terre ; distribution de la terre vacante uniquement aux citoyens dépourvus de terre ; droit
d'échange pour des citoyens privilégiés.
Ll. 6-7 : Procédure prescrite aux postulants : inscription auprès des archontes, examen
devant le Conseil.
Ll. 7-11 : Réglementation du droit de succession: droit de léguer la parcelle à qui l'on
veut, retour à la cité de la parcelle en cas d'absence d'héritier testamentaire ou de descendant
direct ab intestat, nouvelle attribution de cette parcelle moyennant la revente des améliorations,
interdiction de léguer à un étranger.
Ll. 11-26: Mesures de police édilitaire: 11-12: dommages (?) aux cultures; 13-14: che
mins et routes ; 14-19 : eaux ; 20-21 : constructions ; 22 : ? ; 23-24 : ordures ; 25 : ? biens publics.
Ll. 26-30 : Inspection de la terre par les archontes, sanction des contraventions, sanction à
laquelle s'exposent les archontes en cas de négligence.
Ll. 30-33 : Interdiction d'abroger la loi.
// Le corrector L Aemilius Iuncus et h date de Îinsaription (ll 1-2)
Avant de traiter de L. Aemilius Iuncus et de la date de l'inscription, il convient de revenir
sur l'établissement et les restitutions de la 1. 1 et du début de la 1. 2, qui précèdent les décisions de
la cité et sont séparés d'elles par un espace de trois lettres orné d'une feuille: [ca 21 lettres] ~ [ca
11 lettres] Ν αυτήν είσ[...]ήναι· οϋτως γαρ και Αιμίλιος Ίοΰ[γ]κος ύπατικός διορθωτής των
ελευθέρων δ[ήμων . . . ]|[ ca 13 lettres ] - EN. **
Seule est certaine la mention du consulaire Aemilius Iuncus, διορθωτής των ελευθέρων
δ[ήμων] : bien que les documents grecs parlent le plus souvent d'έλεύθεpαι πόλεις, l'expression
ελεύθεροι δήμοι, équivalant à populi liberi, n'est pas sans exemple8. Il n'y a donc pas lieu de
remplir la lacune en écrivant la formule dédoublée διορθωτής των ελευθέρων δ[ήμων και] Ι [πό
λεων],
proposée par Cl. Vatin, mais sans parallèle9. La proposition se terminait par un verbe,
dont seule subsiste la désinence10 : on ne peut donc définir l'action d'Aemilius Iuncus, qui expli
quait ou confirmait (οϋτως γαρ καί) la phrase précédente.
8 À l'époque républicaine, cf. SIG3 679, I. 47 et 49; à
[έπέστει]λεν) sont possibles, mais d'autres le seraient
l'époque impériale, cf. OGIS 567.
aussi. On trouve par exemple δηλοΰν à propos d'un correc9 Restitution citée entre autres par A. PLASSART, FD III 4,
tor dans IG II2, 1077, I. 32-35 : καθα καί ό κράτιστος
fasc. 3 p. 31. Cf. la bibliographie sur les correctores citée πρεσβευτής [αυτών και αντιστράτηγος] λογιστής της
infra η. 15.
πατρίδος ημών Γαίος Λι[κίννιος Τηλέμαχος] δεδήλωκεν
10 Deux restitutions évoquées par Cl. Vatin ([έκέλευ]σεν,
έν τω προκ[ε]ιμένφ διατάγματι κτλ... (209-210 ap. J.-C.).
BCH122 (1998)
UN LOTISSEMENT DE TERRES Λ DELPHES AU II· SIÈCLE APRÈS J.-C.
291
Cette phrase elle-même tenait-elle dans la première moitié de la première ligne et consti
tuait-elle
de brefs considérants, avant l'expression des décisions, comme l'a suggéré Cl. Vatin ? À
titre d'hypothèse, celui-ci avançait la restitution suivante: [Έπει εδοξεν κληρούχους (ou τους
κληρούχους) είς την πόλι]ν αυτήν είσ[αχθ]ήναιΠ. Cependant, nous ne croyons pas que le texte
ait pour objet principal l'introduction dans la cité de clérouques : ils n'apparaissent qu'une seule
fois dans le texte, à la 1. 4, lorsqu'est évoquée la situation antérieure aux dispositions de la pré
sente loi, et ils nous semblent être les bénéficiaires, non pas de la distribution que notre loi organ
ise, mais d'une distribution antérieure (voir la discussion infra, p. 303).
Il nous paraît de toute façon hasardeux de restituer le début de la 1. 1 , trop lacunaire, et d'y
chercher des considérants précédant la décision elle-même12. Tout ce que l'on peut dire, c'est que
cette phrase se terminait par un infinitif aoriste passif13, précédé de αυτήν. La présence de ce
mot, qu'il ait eu une fonction d'anaphorique (= earn) ou même de démonstratif (= ipsam, eamdem), nous semble quelque peu inattendue, si cette phrase était la première du texte. En outre, si
l'on remarque avec Cl. Vatin {op. cit., p. 95) qu'il paraît difficile de placer dans cette ligne la
mention d'une date, comme d'ailleurs dans le reste de notre texte, ne sera-t-on pas tenté de croire
que l'inscription commençait sur d'autres blocs (cf. supra, p. 283) ? Il est possible que les déci
sions de la cité aient été précédées non pas de considérants, mais d'un autre document, de nature
diplomatique différente, dont les 11. 1-2 nous donneraient la fin.
Le texte que nous lisons ne contenant pas de date, sa datation dépend donc de la mention
ό'Αίμίλιος Ίορ[γ]κος ύπατικός διορθωτής των ελευθέρων δ[ήμων]. Comme l'ont signalé les
premiers commentateurs, il faut reconnaître dans ce personnage L. Aemilius Iuncus, dont la pré
sence et l'action en Achaïe sous le principat d'Hadrien sont connues depuis longtemps14. Sur sa
carrière, l'inscription de Delphes fournit deux indications nouvelles et importantes, en montrant
d'une part de façon indubitable qu'il fut corrector en Achaïe (terme dont διορθωτής est la traduc
tionle plus anciennement attestée15), et d'autre part que cette mission fut postérieure à son
consulat suffèct du dernier trimestre de 12716.
11 « Nous retrouverions (...) un schéma classique : celui d'un
décret précédé des considérants, ceux-ci étant présentés
sous une forme très concise » (Cl. Vatin, op. cit., p. 97).
12 Signalons aussi le complément que nous a proposé Fr.
Salviat : ['Έδοξε τη βουλή τάδε (περί της χώρας) είς την
πόλι]ν αύτην είσ[αχθ]ήναι : le Conseil aurait décidé d'intraduire un probouleuma devant la cité elle-même, /. e. le
peuple. On manque cependant, nous semble-t-il, des parailèles qui recommanderaient cette restitution.
13 Les traces autorisent είσ[αχθ]ήναι, εί<?[δοθ]ήναι,
είσ[κριθ]ήναι,
είσ[τεθ]ήναι.
JANNORAY,'
1A Cf. J.
BCH 6869 (1944-45), p. 76-77 et CI. VATIN,
op. cit., p. 128-148, suivi par A. Plassart, FD III 4, fasc. 3
p. 31. D'après ces mentions, les indications nouvelles concernant la carrière de L. Aemilius Iuncus ont déjà été utilisées dans
plusieurs études de prosopographie impériale, cf. n. 18, 24.
15 II est d'ailleurs l'un des premiers magistrats pour qui ce
titre soit attesté: on ne trouve guère avant lui que Sex. Quinctilius Valerius Maximus, envoyé par Trajan en Achaïe ca 105 ad
ordinandum statum liberarum ciuitatum (Pline, Lettres VIII 24,
2), qualifié de διορθωτής των ελευθέρων πόλεων dans le
titre du chapitre III 7 d'Arrien, Entretiens d'Épictète (διορθωτής
seul dans le § 1). Citons aussi, contemporaine de la mission
de L. Aemilius Iuncus, celle de C. Iulius Severus, προς ε' ράβδους πεμφθέντα είς Βειθυνίαν διορθωτην καΐ λογιστην υπό
θεού Αδριανού (IGR III, 174 et 175). Cf. A. von Premerstein,
RE IV (1901) s.v. «Corrector», Ε. Groag, Die rômischen
Reichsbeamten von Achaia bis auf Diokletian (1939), p. 125136, Β. THOMASSON, Legatus (1991), p. 8Ο84 et E. GUERBER,
«Les correctores dans la partie hellénophone de l'Empire
romain du règne de Trajan à l'avènement de Dioclétien : étude
prosopographique », Anatolia Antiqua 5 (1997), p. 211-248.
16 La date est fournie par les Fasti Ostienses, cf.
A. Degrassi, Inscrit XIII 1, p. 205.
BCH 122 (1998)
292
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
La bibliographie sur L. Aemilius Iuncus est abondante et commence avec un mémoire de
B. Borghesi paru en 184717, mais il suffira de partir de l'excellente notice que lui a consacrée
H. Halfmann en 197918. Plusieurs autres inscriptions se rapportent à sa mission auprès des cités
libres d'Achaïe. L'une est la dédicace d'une statue qui lui fut élevée à Athènes par ses compat
riotes de Tripolis de Phénicie {IG II2, 4210) : il y est qualifié de πρεσβευτήν Σεβαστού και αν
τιστράτηγο
ν (= legatus Augusti pro praetore). Cette inscription a été beaucoup discutée parce
qu'elle fait mention du Conseil des Cinq Cents, institué à la suite d'une réforme d'Hadrien;
mais c'est la date de la mission de Iuncus qui peut aider à fixer celle de la création du Conseil des
Cinq Cents, et non l'inverse19. Une deuxième inscription, trouvée à Sparte (IGV 1, 485), fait
mention de lettres envoyées par Hadrien et par Aemilius Iuncus ό δικαιοδότης. Enfin une lettre
d'Hadrien à Coronée, bien datée de l'année 135 par la dix-neuvième puissance tribunitienne de
l'Empereur, annonce l'arrivée de son ami Aemilius Iuncus pour voir ce qu'il convient de faire
concernant la rivière Phalaros20.
Deux autres inscriptions athéniennes ne peuvent pas être versées au dossier avec une égale
certitude. L'une contient le début d'un jugement rendu sur l'avis de son conseil par un Iuncus, à
propos, semble-t-il, de la mesure et des limites d'un terrain sacré21. L'autre est la dédicace d'une
statue d'Hadrien Olympios élevée par un Αίμίλιο[ς 5 1.]ος, que D. Peppa-Delmousou a identifié
comme notre Aemilius Iuncus ; seules les deux premières lignes sont partiellement conservées, et
nous ne pouvons savoir si le nom du dédicant était suivi d'un titre à la troisième ligne22. Cette
dédicace peut être datée d'entre 128/9 et le début de 132, puisqu Hadrien y a l'épiclèse au Olymp
ios, mais pas encore de Panhellenios23, mais la restitution proposée, si tentante qu'elle soit, ne
saurait être considérée comme certaine, et on ne saurait non plus exclure qu'Aemilius Iuncus ait
accompagné l'empereur pendant son grand voyage en Orient (128-133), et qu'il lui ait élevé une
statue à Athènes avant sa nomination comme corrector.
Concernant la chronologie de l'activité d'Aemilius Iuncus en Achaïe, nous écarterons comme
inutilement compliquée l'hypothèse que Iuncus soit deux fois venu en Achaïe, avant son consulat en
17 B. BORGHESI, «Intorno ail' età di Giovenale», Giornale
Arcadico 110 (1847): sur Aemilius Iuncus, voir les p. 201211 {=Œuvres complètes V [1869], p. 63-71).
18 Η. Halfmann, Die Senatoren aus dem ôstlichen Teil des
Imperium Romanum bis zum Ende des 2. Jahrhunderts n.
Chr. (1979), p. 145-146, n° 55.
19 Pour la date de la réforme institutionnelle d'Hadrien, voir
la discussion de S. Follet, Athènes au IIe et au IIIe siècle
(1976), p. 116-125; à propos d'IG II2, 4210, cf. p. 122.
20 J. M. FOSSEY, «The City Archive at Koroneia, Boiotia»,
Euphrosyne 11 (1981-82), p. 48 n° 6 (SEG 32 [1982],
n° 462); J. H. Oliver, Greek Constitutions... (1989), n° 112.
Coronée était aussi, depuis Hadrien au moins, une cité libre,
cf. op. cit., n° 117.
21 IG II2, 3194, II. 4-5 et 20, restituée et commentée par
J. H. OLIVER, AJPh 78 (1957), p. 35 et Hesperia 36 (1967),
p. 52.
BCH122 (1998)
22 D. PEPPA-DELMOUSOU, AD 25 (1970), A', p. 193-194:
[Αύτο]κράτορα Κ[α]ίσαρα Τραιαν[όν Άδ]ριανόν|
[Σεβαστόν Όλύμ]πιον Αίμίλιο[ς ]ος [ — ].
23 II est vrai que bien rares sont les inscriptions athéniennes où Hadrien est qualifié de Panhellenios, alors que
celles d'Hadrien Olympios sont très nombreuses (cf.
A. Benjamin, Hesperia 32 [1963], p. 57-86, notamment 7273), mais la raison en est sans doute à chercher dans les
séjours d'Hadrien à Athènes pendant les hivers 128/9 et
131/2; cf. D. J. GEAGAN, «Imperial Visits to Athens: the
Epigraphical Evidence» in Actes du 8e Congrès international
d'épigraphie grecque et latine, Athènes 1982 (1984), I,
p. 69-78, notamment 75 et 77 ; pour la chronologie du troisième voyage d'Hadrien, voir en dernier lieu R. Syme, ZPE
73 (1988), p. 159-170, en particulier p. 164-169
(= Roman Papers VI [1991], p. 352-357).
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
293
tant que legatus Augusnpro praetore et après son consulat en tant que corrector2^: les deux titres peu
vent parfaitement se rapporter à la même mission, legatus Augustipro praetore désignant le statut de
Iuncus comme envoyé de l'Empereur25, et corrector précisant le contenu de sa mission auprès des
cités libres. Les indications chronologiques que nous pouvons retenir sont donc les suivantes : l'acti
vitéd'Aemilius Iuncus en Achaïe est postérieure à son consulat suffect de 127; elle est attestée avec
certitude en 135, et il est possible, mais non certain, quelle ait commencé dès avant 132.
Le problème de la durée de la mission de Iuncus rejoint celui, très disputé, de sa nature :
fiit-il envoyé par Hadrien comme corrector des cités libres tandis que la province d'Achaïe restait
gouvernée par un proconsul de rang prétorien, ou l'Achâïe fut-elle provisoirement retirée du
nombre des provinces sénatoriales et Iuncus fiit-il à la fois, comme légat d'Auguste propréteur,
gouverneur de la province et corrector des cités libres ? La première hypothèse remonte à W. Dittenberger26, la seconde à Th. Mommsen27, suivi par W. Dittenberger lui-même en 1905,
W. Kolbe, E. Groag et R. Syme28. Mais la première hypothèse de Dittenberger, à son tour, a été
reprise par J. A. O. Larsen, CL Vatin, W. Eck, J. H. Oliver, B. Thomasson et E. Guerber29.
Parmi les titres utilisés pour qualifier L. Aemilius Iuncus en Achaïe, nous avons déjà com
menté ceux de legatus Augusti pro praetore et de corrector. Reste à rendre compte de l'emploi de
δικαιοδότης dans l'inscription de Sparte. C'est précisément sur ce terme que se fondait Th. Momms
en
pour prétendre que Iuncus avait gouverné l'Achaïe, car la fonction de conector « ist fur die Verwaltung bestimmt, nicht fur die Gerichtspflege ». Cet argument, en fait, est assez faible. Le mot
δικαιοδότης ne peut être considéré comme technique que lorsqu'il est utilisé comme traduction du
latin iuridicus, ce qui ne saurait être le cas pour Iuncus30. Il est vrai qu'il est parfois utilisé pour dési
gner un gouverneur, notamment dans des inscriptions lyciennes, mais, ainsi que l'a bien vu
J. A. O. Larsen, «dikaiodotès was not so much a title for a governor as an honorary appellation»31.
24 S. FOLLET, op. cit. (supra, n. 19), p. 33-34; E. GUERBER,
Anatolia Antiqua 5 (1997), p. 218, 226, 228, n. 117 (où l'on
corrigera C. Avidius Nigrinus en L. Aemilius Iuncus) et 232.
25 Sur le statut de legati Augusti des correctores, voir CIL
VIII, 7059: P. Pactumeius Clemens, legatus diui Hadriani
Athenis Thespiis Plateis item in Thessalia et Papinien,
Digeste I 18, 20 : legatus Caesaris, id est praeses uel corrector prouinciae, textes déjà cités par Th. Mommsen,
Rômisches Staatsrecht II 23 (1887), p. 858, n. 2 (Le droit
public romain V [1896], p. 132, n. 2).
26 W. DnTENBERGER, «De titulis Atticis ad res Romanas
spectantibus», EphEp 1 (1872), p. 245-249.
27 Th. MOMMSEN, Rômisches Staatsrecht II 23 (1887), loc. cit.
28 W. DITTENBERGER, OGIS 587, n. 4; W. KOLBE, «Studien zur
attischen Chronologie der Kaiserzeit», MDAI(A) 46 (1921),
p. 125-127; E. Groag, Die rômischen Reichsbeamten von
Achaia bis auf Diokletian (1939), p. 64-65; R. Syme, «The
Career of Arrian», HSPh 86 (1982), p. 184-185 et n. 21
(= Roman Papers IV [1988], p. 24-25 et n. 21).
29 J. A. 0. Larsen, Economie Survey of Ancient Rome IV
(1938), p. 439, n. 6; Cl. Vatin, op. cit., p. 133; W. ECK,
Senatoren von Vespasian bis Hadrian (1970), p. 258 et surtout «Jahres- und Provinzialfasten der senatorischen Stat-
thaltervon 69/70 bis 138/139», Chiron 13 (1983), p. 187,
n. 479; J. H. Oliver, «Imperial Commissioners in Achaia»,
GRBS 14 (1973), p. 403-405 et Greek Constitutions...
(1989), p. 269 ; B. THOMASSON, Laterculi praesidum I
(1984), 194 (Achaia n° 36); E. GUERBER, Anatolia Antiqua 5
(1997), p. 237-238.
30 E. Guerber, Anatolia Antiqua 5 (1997), p. 242 et 246,
écrit trop vite que «L. Aemilius Iuncus a exercé la fonction
de juridique à Sparte et peut-être à Athènes » (à cause de IG
Il2, 3194).
31 J. A. 0. Larsen, *Tituli Asiae Minoris, II, 508», CPh 38
(1943), p. 188-189. Ces pages restent la meilleure étude
sur les divers emplois de dikaiodotès dans nos sources. Il
suffit d'y ajouter quelques compléments: pour l'inscription
de Tabai honorant un citoyen qui avait siégé en 43 av. J.-C.
comme assesseur de P. Cornelius Dolabella, cf. J. et
L. ROBERT, La Carie II (1954), n° 6 p. 102-105; à la liste des
inscriptions lyciennes désignant de cette façon un gouverneur, on ajoutera A. Balland, Fouilles de Xanthos VII (1981),
n° 38; surtout, on notera que cet usage est apparu aussi
dans la Carie voisine, à Caunos, cf. G. E. Bean, JHS 74
(1954), p. 92 n° 29 (C. Antius A. Iulius Quadratus, proconsul
d'Asie en 109/10).
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294
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Un corrector n'avait pas les fonctions juridictionnelles d'un gouverneur, mais il pouvait être
appelé à rendre des arbitrages, et cela suffisait pour qu'on pût le qualifier de dikaiodotès52 .
Aucune inscription ne permet donc d'établir que Iuncus fut proconsul d'Achaïe.
De son côté, l'argument de W Eck, selon lequel les fastes des proconsuls d'Achaïe ne lai
ssent guère place vers 135 pour un gouvernement de la province par Aemilius Iuncus33, ne serait
véritablement décisif que si nous étions sûrs que sa mission en Achaïe dura plusieurs années.
Théoriquement en effet, si l'on accepte les dates proposées par E. Groag et retenues par W Eck,
Aemilius Iuncus aurait pu gouverner l'Achaïe pendant une seule année, en 134/5, entre le pro
consulat
de C. Iulius Seuerus et celui de C. Iulius Scapula34. L'inscription de Coronée, nous
l'avons vu, permet d'affirmer que Iuncus était corrector en 135 ; qu'il l'ait été dès avant 132 n'est
en revanche qu'une hypothèse, qu'une inscription d'Athènes permet de formuler, mais ne suffit
pas à établir. Même si les fastes de la province d'Achaïe ne fournissent donc pas un argument
absolument irréfutable, l'hypothèse la plus vraisemblable, au vu de l'ensemble du dossier, est que
Iuncus fut envoyé comme corrector dans les cités libres tandis que la province continuait à être
gouvernée par un proconsul de rang prétorien35 ; et il est dans ces conditions possible que sa mis
sion, durant laquelle il intervint à Delphes, à Coronée, à Sparte et sans doute à Athènes, ait duré
plus d'une année36.
La présence à Delphes d'un legatus Augusti pro praetore envoyé comme corrector ne sur
prend
pas. Cité libre, Delphes avait déjà reçu, sous le principat de Trajan, la visite d'un legatus
Augustipro praetore, C. Avidius Nigrinus, venu trancher les conflits frontaliers opposant la cité à
ses voisines. Même si le titre de corrector ne figure pas dans les inscriptions concernant C. Avidius
Nigrinus, sa mission, analogue à celles d'autres légats impériaux intervenus dans des litiges de
frontières, en est fort proche37. Deux correctores furent plus tard honorés par Delphes sous la
dynastie des Sévères. Ti. Claudius Callippianus Italicus, connu par une inscription d'Athènes
dire On
32
au notera
διορθωτής
qu'Arrien,
Maximus
Entretiens
(cf. supra,
d'Épictète
n. 15)III: άλλα
7, 30 και
fait
κριτής είμι των 'Ελλήνων.
33 Depuis les travaux de 1970 et 1983 mentionnés n. 29,
on a d'ailleurs proposé de compléter les fastes de la province d'Achaïe sous Hadrien: G. A. Souris, Hellenica 40
(1989), p. 58-60 et W. ECK, « L. Marcius Celer M. Calpurnius
Longus Prokonsul von Achaia und Suffektkonsul unter
Hadrian », ZPE 86 (1991), p. 97-106 datent le proconsulat
de Calpurnius Longus du règne d'Hadrien, après 125/6;
datation rejetée par G. CAMODECA, « Una nuova coppia di
consoli del 148 e il proconsul Achaiae M. Calpurnius Longus», ZPE 112 (1996), p. 235-240, qui place ce proconsulat
ca 143 ou en 145/6.
34 C. Julius Severus dut être proconsul en 133/4, C. Julius
Scapula en 135/6 et Julius Candidus en 136/7 (ces dates
sont à peu près certaines à un an près), cf. W. Eck, Chiron
13 (1983), p. 174, 178 et 179.
35 C'est seulement à partir de Marc-Aurèle que l'on voit un
seul personnage occuper simultanément les deux fonctions
de gouverneur et de corrector, cf. J. H. Oliver, GRBS 14
BCH122 (1998)
p. 244-247,
(1973),
p. 405,
à propos
suivi notamment
par P. Herrmann,
de Cn. Claudius
Chiron 23Leonticus,
(1993),
connu à Delphes au me s. cf. infra, n. 40-41.
36 D'autres problèmes prosopographiques concernant AemiMus Iuncus et sa famille mériteraient d'être repris, mais ils
n'ont aucune conséquence directe pour l'analyse de l'inscription de Delphes et n'ont donc pas place dans le présent
article.
37 Voir FD III 4, 290-295 (avec le commentaire d'A. PUVSSART
p. 39), inscriptions rééditées et commentées dans le volume
annoncé supra, n. 4. Sur C. Avidius Nigrinus, voir W. Eck,
Chiron 13 (1983), p. 187, n. 479; E. Guerber l'inscrit sans
hésitation dans sa liste des correctores, Anatolia Antiqua 5
(1997), p. 215 n° 2, 218 et 241-242. Sur le rôle d'envoyés
extraordinaires du prince pour régler des litiges de frontières, voir H.-G. Pflaum, « Légats impériaux à l'intérieur de
provinces sénatoriales» in M. Renard (éd.), Mél. Grenier III
(1962), p. 1232-1242; A. AlCHlNGER, « Grenzziehung durch
kaiserliche Sonderbeauftragte in der rômischen Provinzen»,
ZPE 48 (1982), p. 193-204.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
295
comme ύπατος πρεσβευτής και αντιστράτηγος των Σεβαστών λογιστής και έπανορθωτής των
ελευθέρων πόλεων38, fut honoré par les Delphiens ainsi que son épouse, mais nous ignorons ce
qui provoqua cette décision39. En revanche, on connaît mieux l'intervention du proconsul et cor
rector Cn. Claudius Leonticus, que l'on place dans le premier quart du IIP s.40 : parmi les sept ins
criptions
de Delphes qui le mentionnent, l'une indique qu'il s'est occupé «de la réfection du
temple, de recouvrer la [terre] sacrée de Delphes et de toutes les autres affaires sacrées de
Delphes»41.
C'est aussi à propos d'affaires foncières que L. Aemilius Iuncus apparaît à Delphes,
comme à Coronée et peut-être à Athènes. Cependant, son action précise nous échappe (cf. supra,
p. 290). On peut même se demander si l'intervention de L. Aemilius Iuncus a immédiatement
précédé la décision de la cité et l'a provoquée, ou s'il s'agit d'une intervention un peu plus
ancienne, simplement rappelée avant les décisions de la cité, peut-être dans un document diffè
rent (cf. supra, p. 29 1)42. Pour la datation de notre inscription, la mention de L. Aemilius Iuncus
ne fournit donc de façon certaine que le terminus post quem de 132-135 ap. J.-C.
///. Règlement de base de L· distribution ; damiurges, bouleutes
et demotes (IL 2-3)
À partir de la 1. 2 sont inscrites les décisions de la cité, prises après maintes délibérations
("Εδοξεν τη πόλει πολλάκις [β]ουλευσαμένη) : la précision vaut d'être relevée et indique comb
ien difficiles ont été l'établissement de la loi43 et surtout, sans doute, la définition de ses modalit
és
d'application, en raison de l'occupation antérieure d'une partie de la terre (11. 3-6, cf. infra,
p. 302-304).
Quel verbe énonçait la décision générale relative à la chôra (κατά τάδε [1] I ' ' [2-3]ΘΑΙ
την χώραν) ? Parmi ceux que l'on peut trouver avec χωρά, νέμειν s'accorde à la teneur du texte ;
38 IG II2, 4215. Pour la date de cette mission (celle du
consulat restant inconnue), on a comme terminus post
quem assuré 198 (pluriel πρεσβευτής και αντιστράτηγος
των Σεβαστών). Ε. Groag, Die Reichsbeamten von Achaia in
spàtrômischer Zeit (1946), p. 10-11, la place avant son gouvernement du Pont-Bithynie, lui-même attesté dans les
années 202-205 par une inscription de Nicée en l'honneur
de l'impératrice Fulvia Plautilla (/. Nikaia I, 59); contra
E. GUERBER, Anatolia Antiqua 5 (1997), p. 233 n° 8, qui
place la mission en Achaïe après 202-205.
39 Ces honneurs nous sont connus par deux inscriptions
très fragmentaires reconstituées par Cl. Vatin, op. cit.,
p. 143 et 149-152. La seconde nous apprend que Callippianus fut proconsul d'Achaïe en même temps que corrector
des cités libres.
40 La date exacte de sa mission reste inconnue : plus probablement après 212, cf. S. Follet, op. cit. (supra, n. 19),
p. 38. Il fut vraisemblablement à la fois corrector et procorv
sul: voir P. Herrmann, Chiron 23 (1993), p. 244-247, avec
la bibliographie antérieure.
41 FD III 4, 269 (auparavant SIG3 877A), I. 9-15. Les autres
inscriptions de Delphes le mentionnant sont SIG3 877B (cf.
J. BOUSQUET, BCH 78 [1954], p. 437); FD III 4, 270 et 271,
complétées par Cl. VATIN, op. cit., p. 154-155; FD III 4, 331
A et B; Cl. Vatin, op. cit., p. 153-154. Cn. Claudius Leontieus fut par ailleurs honoré à l'Asclepieion d'Épidaure, SIG3
877E (aussi IG IV l2, 694) et à Mégare, IG VII 91 (aussi
SIG3 877D).
42 Signalons en tout cas que les caractéristiques de l'écriture n'amènent pas à penser que la gravure du dossier soit
largement postérieure à la mission de L. Aemilius Iuncus en
Achaïe.
43 Le terme apparaît sans guère de doute possible I. 28,
των έν τφ ν[όμω γεγραμ]μένων.
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296
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
en outre, des formes telles que [ν]έμ[εσ]θαι ou [ν]είμ[ασ]θαι conviennent bien aux traces
visibles sur la pierre (cf. notes critiques). Si l'on retient, comme Cl. Vatin (op. cit., p. 100-104), la
première forme, on peut songer à deux interprétations différentes, selon que l'on considère véμεσθαι comme un moyen ou comme un passif: «II a plu à la cité d' [exploiter] la terre dans les
conditions suivantes » ou « II a plu à la cité que la terre [soit distribuée] dans les conditions sui
vantes
». La première interprétation, qui a pour elle la fréquence du moyen νέμεσθοα dans le sens
d'« exploiter », «occuper», en particulier dans les documents épigraphiques44, convient cependant
moins bien au sens du texte, qui définit avant tout une distribution de terre. Ce serait donc plu
tôt le sens de « partager », « distribuer » que l'on aurait ici. Mais la tournure passive (« que la terre
soit distribuée ») surprendrait un peu, à la place du tour plus simple εδοξεν τη πόλει κατά τάδε
νέμειν (ou νείμαι) την χώραν. Nous croyons qu'il s'agit bien de ce sens, entendu cependant au
moyen, « distribuer pour soi », « se répartir » : « il a plu à la cité que [l'on se répartisse] la terre dans
les conditions suivantes » Cet usage, bien que moins souvent attesté, ne fait pas difficulté45. C'est
d'ailleurs l'aoriste [ν]είμ[ασ]θαι que l'on retiendra: cette lecture convient mieux aux traces
visibles après les restes du E, et ce temps à l'énoncé de la décision. Ajoutons enfin qu'on ne peut
faire de τους πολείτα[ς] le sujet de [ν]είμ[ασ]θαι, parce que τους πολείτα[ς] est nécessaire
comme sujet dans la phrase suivante.
La première stipulation de la loi définit la taille de la part attribuée, différente selon que
Ton est simple citoyen, δημότης46, ou que l'on appartient à une catégorie privilégiée, qui compte
assurément les bouleutes, d'après les lettres lisibles sur la pierre : τους πολείτα[ς ca\6 lettres ]|[ 56 lettres βο]υλε[υτ]ήν μοίραν μίαν ήμισυ, δημότην μοΐρα[ν μίαν"]. Dépourvu d'article, δημότην
ne peut être sujet dans cette phrase, et doit donc être considéré, ainsi que [βο]υλε[υτ]ήν, comme
une apposition à τους πολείτα[ς]. Après ce sujet on restituera une forme d'infinitif de λαμβάνω,
employé plus loin dans le texte (11. 5 et 7) et fréquent en pareil contexte47. Ensuite, comme l'a fait
remarquer Cl. Vatin (op. cit., p. 105), «l'étendue de la lacune à la fin de la 1. 2 et au début de la
1. 3 amène à introduire un troisième substantif en apposition au sujet», qui doit être
δαμιουργόν. En effet, cette catégorie de citoyens réapparaît dans la suite du texte (11. 5, [11], 31).
44 Cf. e. g. OGISet SIG3 indices s.v.
45 Telle était déjà l'interprétation retenue par Cl. Vatin. Il renvoyait à E. LAROCHE, Histoire de la racine NEM- en grec
ancien (1949), p. 26, mentionnant de nombreux passages
des orateurs, et citant aussi Platon, Lois 739e: νειμάσθων
μεν δη πρώτον γήν τε καί οικίας («que [les colons] se partagent d'abord le sol et les maisons») et l'inscription Hesperia 7 (1938), p. 3, I. 17-18, rééditée dans The Athenian
Agora XIX (1991), L4a ; à propos du partage de parts de
sacrifices, même texte I. 23 et 47, ainsi que SIG3 144, I. 33.
On peut ajouter une inscription d'Hypaipa de 301 ap. J.-C.,
Th. Drew-Bear, Chiron 10 (1980), p. 511, I. 13-14 (et 522):
τους όντας πίθους κελεύω έξ ίσου την τε πόλιν [καί τα ς'
συστήμα]τα νείμασθαι («je demande que la cité et les six
corporations se partagent à égalité les jarres existantes»).
BCH 122 (1998)
46 Le terme se retrouve quelquefois dans des contextes
semblables, cf. Fr. Quass, Die Honoratiorenschicht in den
Stâdten des griechischen Ostens (1993), p. 389 et n. 175,
qui cite notre texte et renvoie aux exemples épigraphiques
suivants: à Sidyma sous Commode ΤΑΜ II, 176 b 1 (demotai
distingués des bouleutai, cf. a 5); à Pizos en 202 ap. J.-C.
SIG3 880 (de même); à Oinoanda fin IIe s. ou début me s.,
G. COUSIN, BCH 24 (1900), p. 338 n° 1 (SEG 44 [1994],
1187), cf. M. WÔRRLE, Stadt und Fest im kaiserzeitlichen
Kleinasien (1988), p. 124 et 133-4.
47 Cf. SIG3 141 (n. suiv.); 279, I. 18; 306, I. 12-15; 490,
I. 11 ; surtout 884, I. 19, 27, inscription de Thisbé du
2e quart du me s. ap. J.-C, dont nous aurons à rapprocher
plus d'une fois notre texte, cf. n. 131.
UN LOTISSEMENT DE TERRES Λ DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
297
Les damiurges, placés en tête de rénumération, avaient-ils droit à une part supérieure à celle des
bouleutes ? Cl. Vatin l'a justement exclu, parce que la suite du texte, loin de confirmer une hié
rarchie
tripartite entre damiurges, bouleutes et demotes, montre les deux premières catégories
partageant sur un pied d'égalité un privilège dont les demotes paraissent exclus (1. 5). En outre,
une restitution telle que τους πολείτα[ς λαβείν δαμιουργόν μοίρας δύο, βο]υλε[υτ]ήν κτλ.
serait d'une longueur excessive. Comme Cl. Vatin, on considérera donc que damiurges et boul
eutes avaient droit à la même part. On peut écrire τους πολείτα[ς λαβείν δαμιουργόν]| [τε και
βο]υλε[υτ]ήν μοίραν μίαν ήμισυ, δημότην μοΐρα[ν μίαν"]48.
Damiurges, bouleutes et demotes à Delphes
Au sein du corps des citoyens, auxquels est réservée la distribution de terres, quelle est
donc la place des damiurges? S'agissant des damiurges à Delphes, Cl. Vatin avait analysé dès
1961 les documents disponibles et il suffira de rappeler ce que nous apprennent les inscriptions
de l'époque impériale49. Parmi les cinq attestations, qui se répartissent de la première moitié du Ier
s. ap. J.-C. à 31950, la plus ancienne est un décret de l'assemblée qui confère à Télésagoros d'Abai
non le simple droit d'être citoyen, mais celui d'être damiurge et d'exercer toutes les magistratures
et prêtrises qu'exercent les Delphiens bien nés51 : dans le corps civique des Delphiens il existe
donc dès la première moitié du Ier s. ap. J.-C. une distinction entre les simples citoyens et une
classe supérieure de notables à qui paraît réservé, au moins de fait, peut-être de droit, l'exercice
des charges publiques. On retrouve ensuite, au début du règne d'Hadrien, les damiurges formant
une assemblée, de nombre inconnu, qui vote seule un décret conférant à C. Iulius Pudens la
48 Cl. Vatin écrivait τους πολείτα[ς λαμβάνειν δαμιουρ-] Ι
[γόν και βο]υλε[υτ]ήν μοίραν μίαν ήμισυ, l'infinitif présent comblant la lacune de la I. 2. Mais le présent, comparé
aux aoristes des II. 5 et 7, serait étonnant et il nous semble
préférable de garder l'aoriste: ainsi, dans le décret réglant
la distribution de terres à Corcyre Noire SIG3 141 (aussi
Staatsvertrâge III n° 451; IIIe s. av. J.-C, cf. BCH 114 [1990],
p. 500), on lit I. 3 λαβείν ... τους πρώτους..., Ι. 9 λαβείν
δε τους έφέρποντας ...
49 Cl. Vatin, «Damiurges et épidamiurges à Delphes», BCH
85 (1961), p. 236-255: dans l'analyse des documents,
Cl. Vatin a justement séparé les textes impériaux des trois
témoignages antérieurs, qui ne peuvent pas les éclairer (non
plus d'ailleurs que les attestations hellénistiques des épidamiurges, magistrats à compétence financière). Prudence
dont il s'est départi ensuite dans la synthèse des p. 248249, en cherchant un esprit oligarchique dans les institutions de Delphes tout au long de leur histoire ; cf. aussi plus
nettement CI. Vatin, «Ordres et classes dans les institutions
delphiques » in CNRS (éd.), Recherches sur les structures
sociales dans l'Antiquité classique, Colloque Caen 25-26 av.
1969 (1970), p. 259-263. Cf. infra, n. 54. À propos des
damiurges à Delphes, voir aussi Chr. Veligianni-Terzi,
Damiurgen. Zur Entwicklung einer Magistratur, Diss. Heidelberg (1977), p. 51-55 et 90-96.
50 Cependant, seuls quatre textes sont véritablement utilisables, car la cinquième attestation se réduit à une mention
des damiurges dans un contexte qu'il est difficile de restituer, Cl. VATIN, op. cit., p. 241-244 et FD III 4, 440: [το]ΰ
ίερωτάτου συν[εδρίου?
]|[
δαμιο]υργών (époque
impériale). Peut-être une sixième attestation dans une dédicace où J. Bousquet, BCH 87 (1963), p. 199 restitue un
προσ[τάτην δαμιοργών] (2e quart du IIe s. ap. J.-C. ?).
51 Nouveau choix d'inscriptions grecques (1971) n° 13,
aussi FD III 4, 442: [έν έν]νόμωι έκκλησίαι (Ι. 2) ...
εδοξε τηι πόλει των Δελφών (Ι. 7) ... [δεδόσθ]αι αύτώι
πολειτήαν, ου την κοινήν προξενιάς ή τιμ[ή]ς ε'ίνεκεν
ην α[ν τις τών άλλ]ων (ν)ομιμώτατα λάβοι παρά Δελφών,
είναι τε αυτόν και δαμιουργόν κ[αΐ μετέχει]ν άρχης
καί ίερω<ω>σύνης άπάσης, ης οι ευγενΐς Δελφών μετέχουσι (Ι. 9-11). Pour la date, sans doute la première moitié
du Ier s. ap. J.-C., cf. G. Daux, Chronologie delphique (1943),
020.
BCH 122 (1998)
298
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
citoyenneté52. La loi relative au lotissement, postérieure, éclaire quelque peu la place et le pouvoir
politiques des damiurges: ils forment un sunedrion distinct de l'Assemblée du peuple (1. 31)53.
Distincts aussi des bouleutes, ils partagent néanmoins avec eux un privilège dont est exclue une
partie des citoyens (1. 5-6, cf. le commentaire infra) et il est vraisemblable que, comme les boul
eutes, ils ont droit à une fois et demie la part du simple citoyen (11. 2-3).
De ces textes on peut conclure avec Cl. Vatin que les damiurges sont des notables qui fo
rment une assemblée restreinte, par opposition à des citoyens passifs exclus de l'exercice des magist
ratures. On voit ainsi apparaître au Ier s.54 au sein du corps civique de Delphes une hiérarchie ana
logue à celle qui est attestée dans d'autres cités grecques de l'époque impériale, surtout en Asie
Mineure55. L'aboutissement de cette évolution politique, la constitution d'un corps de curiales, est
probablement réalisé à Delphes en 319 ap. J.-C, lorsque paraissent une dernière fois les damiurges,
dont l'assemblée vote seule un décret. Il est en effet vraisemblable, suivant une suggestion de
Cl. Vatin, que cette assemblée, alors seule attestée à l'exclusion des autres organes politiques, ne doit
guère différer des curies de l'Orient romain56. C'est d'ailleurs une mention de la « curie de Delphes »
qui donne l'un des derniers signes de l'existence de la cité antique, en 424 ap. J.-C.57.
Si telle est bien l'évolution générale du corps civique à Delphes sous l'Empire, il reste
néanmoins difficile de définir précisément la place institutionnelle et les pouvoirs des damiurges
durant les deux premiers siècles de notre ère, par rapport à la fois aux bouleutes et aux citoyens58.
Il est paradoxal que ce soit l'Assemblée des citoyens qui fasse Télésagoros d'Abai damiurge, et
non simple citoyen, et que ce soit la citoyenneté, sans autre précision, que les damiurges accor
dent à C. Iulius Pudens. Il est plus étonnant encore que la qualité de damiurge n'ait été conférée
qu'une seule fois à Delphes sous l'Empire alors que l'on voit régulièrement la cité donner tantôt
52 ILS 9473, SIG3 830, FD III 4, 98 (Hadrien archonte, ca
118-120): έν έννόμφ δαμιουργίφ εδοξεν τοις δαμιουργοις Γ. Ίουλίφ Πούδεντι ... δούναι πολειτείαν ; sur le personnage, cf. M. Clauss, Epigraphica 42 (1980), p. 131-134.
53 L'inscription FD III 4, 440 mentionnant des damiurges
(supra, n. 50) atteste peut-être aussi un συν[έδριον].
54 Ph. Gauthier a souligné que cette hiérarchie était, non
l'aboutissement d'une tendance oligarchique déjà anciennement présente dans les institutions de Delphes, mais un trait
nouveau de l'époque impériale, cf. «Les institutions politiques
de Delphes au IIe s. a. C. », in A. Jacquemin (éd.), Delphes cent
ans après. Actes du colloque international organisé par l'EFA,
Athènes-Delphes, 17-20 septembre 1992 (à paraître).
55 Sur cette question, voir e. g. A. H. M. JONES, The Greek
City from Alexander to Justinian (1940), p. 179-180,
M. SARTRE, L'Orient romain (1991), p. 128-130 et 221, et
Fr. Quass, Die Honoratiorenschicht in den Stàdten des griechischen Ostens (1993) (cf. Bull. 1994, 194), en particulier
p. 349 ; cf. supra, n. 46 et infra, à propos des distributions
d'argent. Sur les premiers signes de cette évolution, en particulier en Grèce, cf. J.-L. Ferrary, « Les Romains de la Republique et les démocraties grecques», Opus 6-8 (1987-89),
p. 203-216, particulièrement p. 210-213. Non loin de
Delphes, à Thespies, on trouve peut-être une hiérarchie anaBCH 122 (1998)
logue à l'époque de Marc-Aurèle, cf. infra, n. 58.
56 Inscription republiée par J. Bousquet, BCH 76 (1952),
p. 653-660, qui signale aussi, p. 657, des fragments
contemporains où on lit οι δαμι[ουργοί] et συνέδριον (inv.
7258+7255+7256, inédits). Cf. Cl. Vatin, BCH 85 (1961),
ρ. 246-248, 250 et Colloque Caen 1969, op. cit. (supra,
n. 49), p. 263. Soulignons le caractère a silentio de l'argumentation, puisque l'on ne possède pas, nous semble-t-il,
d'autres documents sur les institutions de Delphes du IIe s.
au IVe s. ap. J.-C.
57 Codex Theodosianus XV 5, 4 : « Delforum curiae facultates
novis damnis frequenter adtritas relatio tui culminis intimavit.
Ideoque praeceptis ad universas Illyrici civitates iudicesque
transmissis, notum omnibus faciat, nullum penitus spectacula oportere solemnia urbis aetemae populis exhibere, sed
unumquemque civium intra propria civitatem debere solitae
devotionis officia, prout patrimonii sui vires patiuntur,
implere... » (cité par CI. Vatin, BCH 86 [1962], p. 229, n. 1).
58 De la situation de nos damiurges, entre le peuple et les
bouleutes, Cl. Vatin, BCH 85 (1961), p. 245, n. 3 et Colloque
Caen 1969, op. cit. (supra, n. 49), p. 261, a rapproché celle
des protoi de Thespies, apparemment placés entre le démos
et la boulé, d'après l'inscription Nouveau choix d'inscriptions
grecques (1971) n° 15, 1. 12 et p. 90 (sous Marc-Aurèle).
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU II* SIÈCLE APRÈS J.-C.
299
la citoyenneté, tantôt le droit d'être à la fois citoyen et bouleute59. Pourtant le statut de damiurge
continue à exister bel et bien, puisque notre loi distingue cette catégorie de celle des bouleutes et
de celle des simples citoyens (δημόται). Trois autres questions se posent encore: quels étaient le
nombre des damiurges et le rôle de leur sunedrion60 ? Le rang de damiurge et celui de bouleute
avaient-ils l'un et l'autre pris dans la Delphes du IIe s. un caractère héréditaire, de facto et même
de jurfi1 ? Enfin, les damiurges occupaient-ils un rang intermédiaire entre les simples citoyens et
les bouleutes (cf. 11. 30-31), ou bien au contraire un rang supérieur aux bouleutes eux-mêmes62?
Observons qu'ils sont nommés avant les bouleutes dans les passages conservés ou sûrement resti
tués de notre texte (11. 2-3, 5 et 11) et que leur prééminence politique pourrait expliquer qu'ils
demeurent seuls mentionnés dans l'inscription de 319 ap. J.-C.
Une distribution de terre inégalitaire
Que la structure hiérarchique du corps civique delphien se retrouve dans l'inégalité des
parts distribuées par la loi n'a rien qui doive surprendre. On trouve ici appliqué à un lotissement
de terres un principe de répartition inégale bien connu à l'époque impériale lorsqu'il s'agit de dis
tributions
d'argent consécutives à un acte d'évergétisme63. On rappellera ici quelques exemples
caractéristiques, sans prétendre donner une liste exhaustive. La grande fondation de C. Vibius
Salutaris à Éphèse (104 ap. J.-C.) prévoit une distribution annuelle de 1800 deniers selon des
règles complexes: notons seulement que les bouleutes et un certain nombre de membres de la
gerousia tirés au sort reçoivent à cette occasion un denier chacun, alors que la somme n'est que de
neuf as, soit la moitié, pour 250 simples citoyens tirés au sort dans chaque tribu64. En Lycie, à
59 Parmi les décrets de l'époque impériale accordant le
droit d'être citoyen, mais non celui d'être bouleute, citons e.
g. FD III 2, 250; 3, 248, 299; 4, 87, 91, 94, 103, 117,
118; BCH 94 (1970), p. 684; pour des décrets accordant le
droit d'être citoyen et bouleute, cf. Cl. Vatin, BCH 85 (1961),
p. 240, n. 2. Voir les statistiques d'H. Bouvier, ZPE 30
(1978), p. 108-110 et 117.
60 Pas plus que pour les damiurges, on ne saurait dire cornbien étaient les bouleutes de Delphes au IIe s. ap. J.-C. : les
seules indications numériques que l'on possède remontent
au IVe s. av. J.-C, où le Conseil, partagé en deux sections
semestrielles de quinze membres, comptait trente bouleutes, cf. G. Daux, Delphes au \f et au F siècle (1936),
p. 427-430; J. BOUSQUET, CIO II (1989), p. 5, Ph. Gauthier,
op. cit. (supra, n. 54). Mais qu'en était-il à l'époque impériale? Le nombre de bouleutes dans les cités de l'époque
impériale est surtout connu en Asie Mineure, cf. A. Balland,
Fouilles de Xanthos VII (1981), p. 212-213.
61 Le caractère héréditaire du rang de damiurge et de celui
de bouleute, qui est très vraisemblable (cf. pour les bouleutes
Fr. QUASS, Honoratiorenschicht, p. 389 ; H. MULLER in
M. WÔRRLE, P. ZANKER [éds], Stadtbild und Burgerbild im Hellenismus [1995], p. 41-42), n'est pas pour autant démontré ici :
notre loi concède I. 5 un privilège aux damiurges, aux bouleutes et à leur descendance, mais cela ne suffit pas à prouver que ces descendants seront damiurges ou bouleutes.
62 Nous remercions M. Crawford d'avoir attiré notre attention sur cette dernière question.
63 Outre les références données à propos de chaque inscription dans les notes suivantes, voir notamment I. LEVY, REG 8
(1895), p. 233; A. H. M. JONES, The Greek City, p. 179-180;
D. Magie, Roman Rule in Asia Minor (1950), notamment
p. 654, 658, 1524, 1527, n. 63; A. R. Hands, Charities and
Social Aid in Greece and Rome (1968), p. 91-92; M. Sartre,
L'Orient romain (1991), p. 152. En dehors des distributions
inégalitaires, il y avait des dianomai bouleutikai bénéficiant aux
seuls bouleutes, cf. infra l'exemple de Xanthos, et le commentaire d'A. Balland, Fouilles de Xanthos VII (1981), p. 189,
n. 114. Ces distributions réservées aux bouleutes sont attestées non loin de Delphes, à Thespies, cf. Nouveau choix d'inscriptions grecques (1971) n° 15 1. 16-17 (sous Marc-Aurèle).
64 /. Ephesos, n° 27, I. 220-238 et 246-252. Cf.
G. M. Rogers, The Sacred Identity of Ephesos (1991), p. 3976 (que nous ne suivons pas sur tous les points). Sur 9 as
pour un demi-denier, voir J. R. M. JONES, BICS 18 (1971),
p. 99-105, avec le commentaire du Bull. 1973, 59.
BCH 122 (1998)
300
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Oinoanda, la fondation de C. Iulius Demosdienes (124-5 ap. J.-C.) prévoit une distribution de
1500 deniers pour 500 sitometroumenoi, parmi lesquels se trouvent les bouleutes, à raison de trois
deniers chacun, tandis que 300 deniers seulement sont prévus pour les autres citoyens, les affran
chiset les résidents65. À Xanthos, parmi les libéralités d'un bienfaiteur du milieu du IIe s. ap. J.-C,
on trouve d'une part une distribution de dix drachmes réservée aux bouleutes de toutes les cités
lyciennes, et d'autre part une distribution concernant les différentes catégories de la population
de Xanthos : les bouleutes, les membres de la gérousia et les sitometroumenoi recevront chacun un
aureus, c'est-à-dire vingt-cinq deniers ; les autres citoyens et les métèques, dix deniers seulement66.
À Sébastopolis de Carie, à la fin du IIe s., un gymnasiarque fait une distribution où les simples
citoyens reçoivent un denier, les bouleutes un denier et trois as67. À Rhodes, au début du IIP s.,
les citoyens reçoivent douze drachmes et les bouleutes vingt-quatre, et à l'occasion d'une autre
distribution, postérieure à 212, les sommes sont respectivement de cinq et dix deniers: dans les
deux cas, le rapport est du simple au double68. Enfin, à Sillyon de Pamphylie, les générosités de
Ménodora distinguent nettement trois catégories : d'une part les bouleutes, les membres de la
gérousia et les ecclésiastes ; ensuite les simples citoyens; enfin les affranchis et les résidents69. À
côté de ces nombreux exemples d'Asie Mineure70, on peut citer des distributions analogues dans
les Cyclades : à Ténos à la fin du IIe s. ap. J.-C, bouleutes et fils de bouleutes ont reçu dans une
65 M. Wôrrle, op. cit. (supra, n. 46), p. 6, 1. 24-27, avec le
commentaire des p. 123-135 et 253-254. Il est vrai que les
trois deniers distribués dans le premier cas le sont comme
«indemnité d'arbitre» (κριτικά), fonction réelle seulement
pour les bouleutes (κρεινόντων μέν τώ[ν] βουλευτών), cf.
le commentaire de M. Wôrrle.
66 A. Balland, Fouilles de Xanthos VII, n° 67, respective
ment
I. 21-22 et 33-40 (commentaire p. 189 et n. 114, 211221), en tenant compte d'une importante correction de la
I. 38 faite par M. Wôrrle, op. cit., p. 128. Le bienfaiteur,
dont le nom n'est pas conservé, serait le célèbre Opramoas
de Rhodiapolis et ces bienfaits se placeraient après 152 ap.
J.-C, d'après A. Balland, op. cit., p. 186-187; contra,
J. J. COULTON, JHS 107 (1987), p. 171-178, qui rend le bien
faiteur à son anonymat et situe son activité édilitaire dans
les années qui suivirent le tremblement de terre de 140-141
ap. J.-C.
67 L. Robert, Études anatoliennes (1937), p. 343-350,
I. 12-15,
n°
172. repris dans J. et L. Robert, La Carie II (1954),
68 Respectivement IG XII 1, 95, aussi IGR IV, 1127;
Fr. Hiller, JÔAI 7 (1904), p. 92-94 et Th. Reinach, REG 17
(1904), p. 203-210: distribution à l'occasion d'un sacer
doce; le même bienfaiteur a d'autre part fait don à la boulé
d'un capital dont les intérêts doivent être annuellement dis
tribués
aux bouleutes.
69 IGR III, 800-802: pour les proportions suivies dans ces
trois distributions, où le bouleute peut recevoir jusqu'à dix
fois la part du simple citoyen, on consultera le tableau
dressé par T. R. S. Broughton dans Economie Survey of
Ancient Rome IV (1938), p. 785 ; on notera que, parmi les
privilégiés, les bouleutes ont encore plus que les membres
de la gérousia et de Vekklesia. Pour la date, pas avant la
BCH 122 (1998)
seconde moitié du IIe s. ap. J.-C, cf. R. van Bremen, «A
Family from Sillyon», ZPE 104 (1994), p. 43-56, n. 1.
70 On peut encore alléguer une distribution à Séleucie du
Kalykadnos, sous Antonin le Pieux et Marc Aurèle, qui
oppose aux bouleutes, magistrats et membres de la gérousie, ayant droit chacun à une somme fixe (onze et douze?
oboles), le peuple, se partageant un montant global de
6 200 (deniers), cf. J. Keil, A. Wilhelm, JÔAI 18 (1915), Bel·
blatt 22-32. La seule exception à ce principe de répartition
inégale en défaveur des simples citoyens serait une inscrip
tion
de Stratonicée de Carie, donnant l'impression que les
citoyens ont reçu dix drachmes et les bouleutes six: των μέν
π[ο]λειτών έκάστωι άνα δραχμας δέκα και βουλευταΐς χ'
ανά δ[ραχμ]άς εξ, τ[οΐς] δε άλλοις ε[τι] τοις κατοικοΰσιν την πόλιν καί την χώραν άνα δραχμάς [
],
/. Stratonikeia 662, Ι. 4-5. Mais A. LAUMONIER, BCH 62
(1938), p. 263-264, avait sans aucun doute raison d'écrire
que « les 6 drachmes des bouleutes doivent représenter un
supplément spécial, puisque tous les citoyens ont déjà reçu
10 drachmes par tête», ajoutant fort justement : «on ne peut
supposer que les bouleutes ont moins que les citoyens ordi
naires».
Pour la somme destinée aux résidents, A. Laumonier
a proposé, loc. cit., cinq drachmes, puis dix dans Les cultes
indigènes en Carie (1958), p. 396. Même hésitation sur la
date de l'inscription, qu'A. Laumonier a placée, d'après un
recoupement prosopographique fragile, dans la première moit
iédu Ier s. ap. J.-C, BCH p. 263, cf. 258, puis «à la fin du
Γ s.» ou «au commencement du IIe s.», Cultes, p. 375 et
396, n. 8. Si cette inscription est l'une des plus anciennes
qui témoignent de l'inégalité de traitement entre bouleutes et
citoyens à l'occasion d'une distribution, peut-être comprendra-t-on que soit d'abord mentionnée la somme versée à
tous les citoyens, puis, à part, celle réservée aux bouleutes.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
301
distribution huit deniers, les autres citoyens le quart71. À Syros, dans des distributions de stéphanéphores éponymes qui s'échelonnent du règne d'Antonin jusqu'à 251 ap. J.-C, les membres de
la gérousie sont privilégiés par rapport entre autres aux simples citoyens72.
On voit donc que, dans les cités grecques de l'époque impériale, certaines catégories de la
population (bouleutes seuls, ou bouleutes et autres groupes) étaient couramment et officiell
ement
privilégiées dans les distributions. L'originalité de notre inscription est de montrer l'applica
tion
à une distribution de terres de ce principe de répartition inégalitaire, étranger aux lotiss
ements de la Grèce archaïque et classique. Certes, à partir de l'époque hellénistique, on trouve des
exemples d'inégalité entre les lots, en fonction du rang militaire des colons ; la pratique est aussi
attestée dans certaines colonies fondées par Rome, notamment les colonies de vétérans73. Mais
plutôt que ces précédents, il nous semble que ce sont l'évolution de la cité grecque sous l'Empire
et la constitution d'un ordo qui expliquent directement le privilège consenti aux bouleutes et aux
damiurges à Delphes.
Dans notre inscription, le rapport entre les parts est de 1 à 1,5 ; dans les distributions d'ar
gent contemporaines, il varie, pouvant être infime (Sébastopolis), mais étant plus souvent de 1 à
2 (Éphèse, Rhodes), de 1 à 2,5 (Xanthos), pour être quelquefois plus marqué (Ténos, Sillyon).
Quelle qu'ait été la différence, les sommes en jeu n'étaient pas importantes, au regard de ce qu'un
bouleute devait posséder: l'essentiel était que la distribution reflète l'ordre de la cité dans son
caractère désormais nettement hiérarchisé. Le cas d'une distribution de terres est différent, et les
privilèges consentis par la loi delphique aux damiurges et aux bouleutes n'étaient pas négli
geables, mais il est probable que, là encore, l'essentiel était que la loi reflète la hiérarchie du corps
civique. En revanche, entre certaines distributions d'argent et la distribution de Delphes, la diffé
rence importante est qu'ici les seuls bénéficiaires sont des citoyens, ce qui n'est pas étonnant puis
qu'il s'agit d'attribuer des terres. À Delphes, la propriété de la terre reste a priori réservée aux
citoyens, comme le montrent aussi les décrets du IIe s. ap. J.-C. conférant le privilège de Xegktésis
à certains étrangers74.
71 IG XII 5, 141, à lire dans la réédition de Roi. Etienne,
Ténos II (1990), p. 162-164. Sans doute une autre distribution hiérarchisée à Ténos dans IG XII 5, 954 et XII Suppl.
325.
72 Cf. IG XII 5, 659, 663, 664, 665 et 667 (aussi SIG3 890)
et P. M. Nigdelis, Πολίτευμα και κοινωνία των πόλεων
των Κυκλάδων κατά την ελληνιστική και αυτοκρατορική εποχή (1990), ρ. 293, η. 425, qui récapitule ce que
reçoit chaque catégorie de citoyens.
73 Pour l'inégalité des lots dans les colonies hellénistiques,
renvoyons à G. M. Cohen, The Seleucid Colonies (1978),
p. 53-63. Dans les colonies de vétérans on trouve des lots
proportionnés au grade militaire, cf. Siculus Flaccus (éd.
Κ. Lachmann in Die Schriften der rômischen Feldmesser I
[1848]), p. 156, 9-12 (= éd. C. Thuun in Corpus agrimensorum Romanorum [1913], p. 120, 15-18) ; G. TlBlLETTI, Athenaeum (1950), p. 222-224 et L. Keppie, Colonisation and
Veteran Settlement in Italy 47-14 Β. C. (1983), p. 92;
B. LEVICK, Roman Colonization in Asia Minor (1987), p. 96 et
η. 5 ; CI. Moatti, Archives et partage de la terre dans le
monde romain (1993), p. 25.
74 Cf., pour ne citer que les exemples certains du IIe s. ap.
J.-C., FD III 4, 444, 48, 111 ; BCH 94 (1970), p. 690, 685,
683; FD III 4, 87, 84, 103, 94, 91; FD III 1, 467, FD III 3,
298, FD III 1, 470. De même, à Thisbé environ un siècle
plus tard, l'exploitation des domaines publics est clairement
réservée aux citoyens, SIG3 884 (cf. infra, η. 131) et η. 4,
21 et 22.
BCH 122 (1998)
302
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Quant à la taille de la part de base, quarante plèthres, soit environ 3,5 hectares75, elle est
comparable aux lots de terre distribués ici ou là dans le monde grec et, dans les conditions agri
coles de l'Antiquité, elle paraît de nature à assurer la subsistance d'une famille76.
IV. Clérouques, citoyens-cultivateurs ^kato[ikountes] (IL 3 à 6):
premier et second lotissement
Lignes 3-5
Έπει δε προγεγεώργηται ή χώρα και Ι [ ca 20 lettres] I [.] \ΕΙ κληρούχους και υπό τοις
κληρούχοις πολείτας το[ύς πρ]ογεγεωργηκότας, μενοΰσ[ιν έ]ν τη χώρα oi προγεγεωργηκότες
Π[ ca 9 1. και το περισ-]|σεΰον δοθήσεται ος αν των πολει[τ]ών μη έχων βούληται λ[α]βειν.
Une fois énoncé le règlement de base de la distribution, la loi stipule les conditions dans
lesquelles il pourra être effectivement appliqué (1. 3 : έπει δε). Il se trouve en effet que la région
qui doit être lotie (ή χώρα 11. 2, 3 et 4), loin d'être inoccupée, a déjà été mise en culture. Cette
précision, soulignons-le, implique que la chôra dont il est question dans notre texte n'est pas l'e
nsemble
du territoire rural de Delphes. Car ce serait alors une évidence superflue ! La chôra n'est
qu'une partie du territoire, où les archontes devront se rendre plusieurs fois dans l'année pour
procéder à son inspection ([
] έτους άναβαίνοντ[ες] είς την [χ]ώραν έφοράτωσα<ν> κτλ.
1. 27; cf. infra, p. 334). La loi porte donc sur une terre bien définie et précisément localisée dans
la campagne de Delphes77, terre qui est appelée simplement la chôra parce que chacun sait ce
dont il s'agit : peut-être avait-elle été définie plus précisément dans un autre document précédant
notre texte, si du moins celui-ci ne représente que la fin d'un dossier (cf. p. 283). À propos de
l'indication προγεγεώργηται ή χώρα, on soulignera enfin qu'elle ne signifie pas nécessairement
que cette chôra soit déjà entièrement en culture : elle peut ne l'être que partiellement.
75 Équivalence approximative, puisque l'on ne peut déterminer la valeur exacte du pied de base. On sait que différents
pieds ont été utilisés à Delphes, cf. J.-Fr. Bommelaer,
D. Laroche, Guide de Delphes. Le site (1991), e. g. p. 78,
130, 157, 192; p. 215, à propos de la piste du stade du
IIe s. ap. J.-C. qui mesure 600 pieds de 0,2957 m. Il est intéressant de relever que dans une inscription de Phocide
contemporaine de la nôtre, IG IX 1, 61 (118 ap. J.-C.), on a
cru utile de préciser I. 23-24 πλέθρα φωκικά (πλέθρα seul
ensuite, I. 26, 29, 71).
76 Voir e. g. la distribution de lots de 60 plèthres à Pharsale, IG IX 2, 234 (IIIe s. av. J.-C.) ; les inscriptions de Larissa
(début du IIe s. av. J.-C.), où l'on trouve la trace de lots indiviBCH 122 (1998)
duels de 50 plèthres, cf. Fr. Salviat, Cl. Vatin, BCH 98
(1974), p. 247-262 et Chr. Habicht, Demetrias I (1976), p.
157-173. À côté de ces données textuelles, les sources
archéologiques, notamment dans les mondes coloniaux
(Crimée, Métaponte), montrent des propriétés de cette
taille, d'autres plus grandes: sur ce point, ainsi que sur la
taille minimale normale pour une famille, cf. notamment
M.-CI. Amouretti, Le pain et l'huile dans la Grèce antique
(1986), p. 204-208 et, dans P. N. Doukellis, L. G. Mendoni
(éds), Structures rurales et sociétés antiques (1994), les
remarques de M. Jameson, p. 58-59 et T. M. Whitelaw,
p. 174-175 (avec bibliographie).
77 Pour une hypothèse sur sa localisation, cf. infra, p. 342.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
303
Cet état de culture, totale ou partielle, est lié à deux groupes de la population dont la défi
nition précise dépend de la façon dont on construit la deuxième partie de la protase : και I [ ca 20
lettres] |[.] \EI κληρούχους και υπό τοις κληρούχοις πολείτας το[ύς πρ]ογεγεωργηκότας.
L'interprétation avancée par Cl. Vatin, et rappelée par A. Plassart, était la suivante : cette
chôra déjà en culture « comporte ( ?) des clérouques et "sous l'autorité" de ceux-ci, les citoyens qui
ont déjà mis ces terres en culture »78. Cl. Vatin suggérait en effet de restituer [ε]χει, qui aurait
pour sujet ή χώρα et pour compléments d'objet d'une part κληρούχους et d'autre part πολείτας
το[ύς πρ]ογεγεωργηκότας, des « citoyens cultivateurs ». Mais nous avons cherché en vain des
parallèles pour un tel emploi de εχειν, ou de l'un de ses composés. Surtout, cette construction
rend difficilement compte de la présence de l'article devant [πρ]ογεγεωργηκότας. Cela nous
conduit à proposer une autre construction : το[ύς πρ]ογεγεωργηκότας serait le sujet d'une infini
tive,commandée par un verbe qui se trouvait à la fin de la 1. 3 ou au début de la 1. 4, et les deux
substantifs κληρούχους et πολείτας dépourvus d'article en seraient les attributs. Ainsi, la prot
ase, après avoir rappelé que «la terre a déjà été mise en culture», ajoute que «ceux qui ont déjà
mis la terre en culture [sont] des clérouques et, subordonnés aux clérouques, des citoyens ». Cette
dernière proposition dépendait peut-être d'un verbe signifiant « il est attesté que » vel sim. Une
troisième interprétation, que nous devons à Ph. Gauthier, paraît aussi possible. Plutôt que
d'énoncer simplement l'identité des προγεγεωργηκότες, la proposition affirmerait la nécessité de
leur maintien sur place : « [il convient que restent là-bas] ceux qui ont déjà mis la terre en culture,
clérouques et citoyens subordonnés aux clérouques » ; κληρούχους et πολείτας seraient apposés à
το[ύς πρ]ογεγεωργηκότας. On pourrait ainsi aller jusqu'à compléter la lacune en suivant la
séduisante suggestion de Ph. Gauthier : Έπει δε προγεγεώργηται ή χώρα και κ[αθηκόν έστι
μένειν] |[έ]κει κληρούχους και υπό τοις κληρούχοις πολείτας το[ύς πρ]ογεγεωργηκότας79.
Quelle qu'ait été la construction exacte de cette proposition, il nous semble donc que la
protase, rappelant la situation antérieure aux dispositions de la présente loi, indique que l'état de
culture de la chôra est dû aux προγεγεωργηκότες, groupe dans lequel il y a d'une part des cl
érouques
et d'autre part des « citoyens subordonnés aux clérouques ». On soulignera que les cl
érouques,
mentionnés uniquement dans ce rappel de la situation antérieure, ne sont pas les bénéf
iciaires
de la distribution que la loi organise. Ils doivent détenir des terres en vertu d'une
distribution antérieure, qui a eu pour résultat de partager en lots au moins une partie de la chôra.
À ces clérouques sont subordonnés (υπό τοις κληρούχοις80) des citoyens. On doit sans doute
comprendre que ces citoyens sont des fermiers des clérouques : ils auraient été engagés à la suite
78 A. Plassart, FD III 4, fasc. 3, p. 32, résumant Cl. Vatin,
op. cit., p. 107 et 236. Dans la communication présentée
au Congrès international d'épigraphie à Rome en septembre
1997 (Préactes, p. 513-521), nous avions en partie repris
l'interprétation de Cl. Vatin, pour cette proposition comme
pour le début de l'apodose. Nous avons désormais abandonné ce point de vue.
79 En raison de la haste verticale visible après καί, nous
retenons καθήκον έστι plutôt que d'autres formules corn-
parables ; sur ces formules, cf. M. Holleaux, Études d'épigraphie et d'histoire grecques III (1942), p. 237. À l'interprétation suggérée par Ph. Gauthier, on peut sans cloute objecter que les noms en apposition pourraient être précédés de
l'article.
80 C'est ainsi, nous semble-t-il, qu'il faut traduire cette
expression, mais nous n'avons pas trouvé d'autre exemple
ά'ύπο suivi du datif pour définir une subordination de cette
nature.
BCH122 (1998)
304
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
du premier lotissement, ou bien, occupant ces terres déjà avant ce premier lotissement, ils
seraient alors devenus les fermiers des clérouques nouveaux arrivés81. On reviendra plus loin sur
l'identité des clérouques et sur la raison de la précision πολείτας (cf. infra, p. 309).
Passons à l'apodose, qui comprend deux stipulations : la première maintient sur la chôra
une catégorie de personnes, tandis que la seconde règle le sort des terres vacantes. Pour ce qui est
de la première, Cl. Vatin, s'inspirant de la protase telle qu'il la construisait, restituait μενοΰσ[ιν
έ]ν τη χώρα οι προγεγεωργηκότες π[ολεΐται]. Cette restitution entraîne de graves difficultés. À
moins en effet de supposer que l'expression oi προγεγεωργηκότες π[ολεΐται] désigne désormais
tous les exploitants, clérouques et fermiers des clérouques, alors qu'elle n'aurait précédemment
désigné que ces derniers, cette proposition impliquerait que le droit de rester sur la terre soit
garanti, non aux clérouques, mais seulement à leurs fermiers. Comme on ne peut guère imaginer
que des clérouques exploitant eux-mêmes leurs lots soient implicitement et subrepticement chas
sésdes lieux, alors que de simples fermiers verraient maintenus leurs droits, cela impliquerait
aussi qu'aucun clérouque n'exploitait lui-même son lot. Situation quelque peu surprenante! Il
nous semble par conséquent préférable de retenir une autre restitution, que nous devons à
Mme S. Follet: μενοΰσ[ιν έ]ν τη χώρα oi προγεγεωργηκότες π[άντες]. Ainsi, tous les exploi
tants, qu'ils soient clérouques ou fermiers, seront maintenus sur leurs terres.
On voit que cette clause dans son ensemble met l'accent sur l'exploitation de la terre.
Qu'il ne soit pas fait mention des droits des clérouques n'exploitant pas eux-mêmes leurs terres,
mais les ayant affermées, n'implique pas que ces droits soient remis en cause. On pourrait en
revanche se demander ce qu'il adviendra de lots distribués lors du premier lotissement, mais qui
éventuellement n'auraient pas été mis en culture. Seront-ils redistribués en vertu de la présente
loi ? Celle-ci reprendra-t-elle aux clérouques les lots dont ils auraient négligé l'exploitation ? Si tel
était le cas, on pourrait être tenté de faire un rapprochement avec une lex Hadriana dont nous
reparlerons et qui permettait l'occupation de centuries affermées mais non exploitées depuis dix
ans. Nous hésitons cependant à retenir une telle hypothèse, car on s'attendrait à ce que soient
expressément indiquées la décision de reprendre les lots distribués mais non exploités, ainsi que la
durée de non-exploitation de ces lots.
Si difficile que reste cette clause, il nous semble donc que les clérouques, dont les droits exis
tants ne sont probablement pas remis en cause par la loi, n'ont pas part à la présente répartition. La
loi que nous lisons intervient après un premier lotissement, celui dont ont bénéficié les clérouques.
Elle a pour objet de distribuer aux citoyens uniquement des terres qui restaient effectivement
81 Hypothèse présentée par A. Plassart, FD III 4, fasc. 3,
p. 32, qui pourrait rendre compte du participe parfait προγεγεωργηκότες. Comme parallèles, fort lointains cependant
pour notre cas, on pourrait citer les clérouques rentiers du
sol dans l'Egypte lagide, cf. Cl. Préaux, L'économie royale
des Lagides (1939), p. 463-477 (aussi J. MODRZEJEWSKl in
BCH122 (1998)
Terre et paysans dépendants dans les sociétés antiques
[1979], p. 171-172 et notes), ou encore certains clérouques
athéniens du Ve s. av. J.-C., qui ont été de même des rerv
tiers du sol, cf. Éd. Will, Le monde grec et l'Orient I (1972),
p. 189 avec bibliogr.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
305
vacantes après ce premier lotissement82: [και? τούτω? τό περισ-]|σεΰον δοθήσεται δς ...83. D'autre
part, dans cette région seul pourra recevoir une part le citoyen μη έχων (1. 5 ; précision répétée
11. [6] et 7). Il apparaît donc que cette distribution n'est pas ouverte à tout citoyen : elle est réser
véeà ceux qui n'ont pas de terre. Doit-on entendre par là ceux qui ne possèdent aucune terre sur
le territoire de Delphes ? Il faudrait alors imaginer que certains damiurges ou bouleutes, a priori
concernés par le règlement de base de la distribution, soient dans ce cas, ce qui est difficilement
admissible. Sans doute faut-il donc comprendre μη έχων de façon plus précise : seuls ceux qui
n'ont pas déjà, en vertu du premier lotissement, une terre précisément dans la chôra ici lotie
pourront prendre part à cette seconde distribution84.
Lignes 5-6
El85 δε τις δαμιουργών ή βουλε[υ]τών ή ύών αυτών ή έκγόνων ή των KATOfc^ 15
lettres]! βούληται εις έτερον χωρίον των περισσευόντων μεταβήνα[ι] αποθεμένος α αν εχη,
έχέτω έξουσί[α]ν μεταβήναι εν τοις κλήροις εις τα περισσεύ[οντα] : « Quiconque, parmi les
damiurges, les bouleutes, leurs fils, leurs descendants ou [ — ] veut se transporter sur un autre ter
rain pris parmi les terrains en surplus en abandonnant les terrains qu'il possède, aura le droit de
se transporter dans les terrains en surplus dans les lots. »
On laissera pour le moment de côté la question de savoir qui sont les KATO[— ], derniers
bénéficiaires de cette clause : examiner ce point demande une longue discussion. Qu'il nous suffise
pour l'instant de relever que cette disposition définit un droit dont pourra bénéficier, non pas tout
citoyen, mais ceux qui font partie de catégories privilégiées, que l'on prend soin d'énumérer (cf.
82 Nous nous séparons donc de Cl. Vatin, pour lequel la
totalité de la terre est à nouveau lotie lors de la présente
distribution, quitte à démembrer les domaines existants
pour les réduire à la taille réglementaire ; le produit de ces
amputations serait le perisseuon ici distribué (op. cit.,
p. 162 et 238 ; Colloque Caen 1969, op. cit. [supra, n. 49],
p. 262). Il serait cependant curieux que la suite du texte ne
fasse aucune allusion à une opération de démembrement
aussi délicate.
83 À la fin de la I. 4, il y a place pour restituer τούτω, ce qui
est sans doute préférable à une construction sans antécé
dent,qui ne serait pourtant pas impossible : cf. R. KUHNER,
B. Gerth, Ausfuhrliche Grammatik der griechischen Sprache3
II 2 (1904), p. 402. De toute façon, on aurait plutôt attendu
φ αν των πολει[τ]ών κτλ.... La restitution de περισσεΰον,
qui comble parfaitement la lacune, est appelée par la
double occurrence du mot I. 6. Le sens de περισσεύειν, «
être en surplus», ne fait pas difficulté, même si ce verbe
n'est pas attesté, nous semble-t-il, à propos de terres ; il est
fréquent à propos de sommes d'argent, cf. L. Robert,
Études épigraphiques et philologiques (1938), p. 137, n. 7
et Hellenica VI (1948), p. 70, n. 2.
84 On peut se poser la question suivante : les fermiers des
clérouques seront-ils considérés dans le cadre de la pré
sente distribution comme μη έχοντες ou comme έχοντες?
Leur sera-t-il interdit de recevoir maintenant une parcelle (qui
ne paraît grevée d'aucune redevance) parce qu'ils exploitent
déjà dans la chôra un lot (pour lequel ils versent d'ailleurs
une rente au clérouque)?
85 Dans notre texte, l'éventualité est exprimée quelquefois
par la construction ει + optatif (I. 8, 9, 24), mais plus sou
vent, comme ici, par ει + subjonctif, cf. I. [11], 13, 20?, [26],
[28]: cette expression de l'éventuel est loin d'être inconnue,
tout comme l'alternance des deux modes dans un même
texte. Sur ces deux points, cf. à Delphes, M. Lejeune, Obser
vations sur la langue des actes d'affranchissements delphiques (1940), p. 39-58, particulièrement 41-42, 44-46 et
tableaux; en général, cf. E. Crespo, «The Epigraphic Use of
Two Modal Constructions in some Subordinate Predications»
in Ε. Crespo et al. (éds), Dialectologica Graeca. Actas del II
Coloquio Internacional de Dialectologia Griega Madrid 1991
(1993), p. 91-109, avec bibliographie antérieure; partie,
p. 93-95 et 102-107. Exemple d'alternance entre έάν + sub
jonctif et ει + optatif dans la loi athénienne sur l'huile de
l'époque d'Hadrien, J. H. Oliver, Greek Constitutions...
(1989), n° 92, aussi dans /. Labraunda n° 60 (IIe s. ap. J.-C.).
BCH122 (1998)
306
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
infra, η. 110). Aux côtés des damiurges et des bouleutes figure leur descendance. La façon dont
celle-ci est mentionnée mérite une remarque : ή υών αυτών86 ή έκγόνων. Pourquoi ce document
mentionne-t-il à la fois les fils et les descendants des privilégiés, alors qu'habituellement les inscrip
tionsgrecques étendent le bénéfice d'un privilège par le seul terme εκγονοι, englobant toute la
descendance, aussi bien les enfants directs que les générations postérieures87 ? Le tour de notre ins
cription
s'explique peut-être par l'influence de formules latines, déjà perceptible dans certains
documents grecs du Ier s. av. J.-C, où on lit par exemple οΰτοι τέκνα εκγονοί τε αυτών88.
Quel privilège cette disposition définit-elle? Une première interprétation possible est de
considérer qu'il s'agit du droit de procéder à un échange de lots au cours de la distribution : « le
tirage au sort est corrigé par l'échange, au bénéfice d'ailleurs des seuls privilégiés; si le lot leur
déplaît ils peuvent l'échanger contre un autre parmi les lots vacants »89. Cependant cette interpré
tationse heurte à plusieurs difficultés : si c'est bien un lot que l'on abandonne, le pluriel α n'est-il
pas curieux ? N'attendrait-on pas plutôt un singulier, tel que ô, surtout après έτερον χωρίον ? Si
lors de la procédure de distribution on refuse un lot dont on n'est encore que virtuellement pos
sesseur,
dira-t-on que l'on « se transporte » (μεταβήναι) ailleurs ? Surtout, s'il s'agit d'un lot que
l'on a reçu de façon seulement virtuelle, notre texte ne dirait-il pas α αν λάβη, plutôt qu'ê^n, qui
paraît indiquer une possession effective ?
C'est sans doute l'idée d'une possession effective qu'il faut plutôt retenir : il ne s'agit pas
d'échanger un lot contre un autre dans le cadre de cette distribution, mais de permettre à certains
privilégiés d'abandonner des terrains (â [scil. χωρία]) qu'ils possèdent déjà effectivement (εχη)
pour se transporter (μεταβήναι) vers un autre terrain pris dans les terrains en surplus (έτερον
χωρίον των περισσευόντων)90. On comprend mieux ainsi, nous semble-t-il, la nature du privi
lège défini : alors que le simple citoyen ne pourra avoir une parcelle dans la partie vacante que s'il
ne possède pas de terre (μη έχων), les membres des catégories privilégiées auront le droit de s'y
installer même s'ils possèdent des terrains (α αν εχη). Mais il leur faudra, pour acquérir ce nou
veau bien, abandonner ces terrains.
86 On ne doit pas s'étonner de la présence de αυτών, ni de
sa place, qui trouvent des parallèles dans les épitaphes de
l'époque impériale, où celui qui fait construire un monument
funéraire en réserve l'usage à sa famille, ... τέκνοις αυτών
και έκγόνοις (même formule aussi au génitif), cf. /. Smyrna
196, 212, 260; /. Ephesos 3454A, 3456, 3474; /. Tralleis
190 ; /. Magnesia 298.
87 Cf. e. g. SIG3 index s.v. «εκγονος». Comme exception,
nous ne voyons guère à citer que IG XII 9, 4 (décret d'Alabanda à Carystos, Γ s. av. J.-C.) 1. 10: ύπάρχειν δε αύτοΐς
καί τέκνοις και [έκ]γόνοις αύ[τών] καί πολιτείαν κτλ.
Le cas des épitaphes mentionné à la note précédente est-il
exactement comparable à la collation d'un privilège?
88 Ainsi dans R. K. SHERK, Roman Documents from the
Greek East (1969), n° 22 (SC de Asclepiade, 78 av. J.-C.)
I. 12, aussi I. 17, 18, 27; de même n° 58 II (Epistula de
Seleuco nauarcha, entre 42 et 35 av. J.-C.) I. 24 et 60. Cf.
aussi J. Reynolds, Aphrodisias and Rome (1982), n° 8, 1. 30
BCH 122 (1998)
et 51 (39-38 av. J.-C), et, de l'époque triumvirale également, la loi Fonteia connue par une inscription de Cos, cf.
M. Crawford (éd.), Roman Statutes (1996), n° 36, fr. a-b-c,
face II, I. 1. Formule latine correspondante par exemple
dans la Lex Colonise Genetiuae Iuliae, cf. Roman Statutes
n° 25, ch. 97 I. 17-18: praeter eum ... eumque... liberos
posterosque eorum et dans les diplômes militaires.
89 Cl. Vatin, op. cit., p. 163; cf. id., BCH 87 (1963), p. 15,
allusion à notre texte à propos de la loi foncière dite Bronze
Pappadakis IG IX l2, 609 (ca 500 av. J.-C.), qui indique clairement un droit d'échange, άλλαγά.
90 À l'idée d'une propriété déjà effective, on ne peut opposer l'utilisation de l'éventuel dans la relative (α αν εχη),
logique puisque celle-ci est prise dans une supposition à
l'éventuel. Par ailleurs, le balancement έτερον χωρίον ... α
est plus clair, si α représente des χωρία. Pour le sens de
chorion, qui est sans doute « la représentation concrète de
cette entité cadastrale qu'est le meros», cf. infra, p. 314.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
307
Ces terrains sont-ils des biens fonciers quelconques? D'autre part, quelle surface faut-il
abandonner dans l'échange pour avoir droit à un nouveau terrain ? Le texte ne prescrit pas l'aban
don
de « tous les terrains que possède » le bénéficiaire de cette possibilité, mais simplement « des
terrains qu'il possède ». Peut-être la situation paraît-elle plus claire si l'on suppose qu'il s'agit pour
ces privilégiés de céder les terrains qu'ils ont reçus lors du premier lotissement, celui qui précède
notre loi : s'ils sont insatisfaits de ce qu'ils avaient eu alors, ils auraient le droit d'y renoncer pour
prendre part à la seconde distribution91. Cette hypothèse, rejoignant celle que nous avons avan
céesupra à propos de la signification de μη έχων, permet de voir en quoi les deux clauses des
lignes 3 à 6 s'opposent et se complètent: d'après la première clause, générale, seul le μη έχων,
celui qui n'a pas eu de terre dans la chôra en vertu du lotissement initial, peut participer à la
seconde distribution ; la clause suivante accorde le même droit à ceux qui céderaient ce qu'ils ont
reçu dans cette même distribution initiale. L'une et l'autre clauses ne prendraient donc leur sens
qu'en fonction de ce que les intéressés ont reçu lors du premier lotissement, que cette loi ne ferait
que compléter.
Passons à l'examen de l'apodose (έχέτω έξουσί[α]ν μεταβήναι εν τοις κλήροις είς τα
περισσευ[οντα]), qui curieusement n'est pas symétrique de la protase (εις έτερον χωρίον των
περισσευόντων μεταβήνα[ι]). Pourquoi avoir cru nécessaire de préciser ici εν τοις κλήροις,
« dans les lots » ? Cette adjonction est une restriction, comme le souligne sa place. Cette restric
tion
implique, nous semble-t-il, qu'il y a dans la chôra une zone limitée, dite « kleroi», seule partie
où les bénéficiaires du droit d'échange pourront s'installer. Cette part de la chôra, que l'on ment
ionne dans une clause particulière du règlement relatif à la seconde distribution, ne pourrait-elle
être la région divisée pour le premier lotissement ?
Récapitulons donc les emplois des termes chôra, perisseuon, perisseuonta et kleroi et
essayons de définir leur situation respective. La loi que nous lisons a pour objet de répartir une
région du territoire de Delphes, dite «la chôra». Cette région étant en partie déjà cultivée et
occupée, à la suite d'un premier lotissement dont ont bénéficié les « clérouques », on ne pourra
distribuer à ceux qui n'ont rien que le perisseuon, ce qui en surplus est vacant. Quant à ceux qui
ont déjà quelque chose, ils pourront se transporter vers les « perisseuonta (chôria)», les terrains
vacants, mais uniquement dans les «kleroi». Ces «kleroi» doivent être ceux qui ont été définis
lors du premier lotissement pour être distribués aux « clérouques » : de même que les clérouques,
mentionnés une fois dans notre texte, sont les bénéficiaires de la première distribution, les kleroi,
apparaissant dans la seule clause relative à l'échange, constituent la part de la chôra divisée pour la
première distribution. Cette interprétation s'accorde avec notre analyse de l'échange lui-même : si
91 Le pluriel α (scil. χωρία) reste dans cette hypothèse un
peu embarrassant: supposera-t-on que pour un nouveau terrain, les propriétaires pourraient céder plusieurs terrains
accumulés depuis le premier lotissement, par exemple à la
faveur d'un héritage, ou d'un achat, si tant est que celui-ci
ait été possible? On peut d'autre part soulever l'interroga-
tion suivante: si un clérouque procède à l'échange et se
déplace, que devient l'exploitant du lot ainsi délaissé?
Reste-t-il sur la chôra (I. 4)? Suit-il le clérouque sur sa nouvelle terre, ou reste-t-il sur l'ancien lot? Dans le second cas,
ne paie-t-il plus de loyer?
BCH122 (1998)
308
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
les terrains cédés dans l'échange sont ceux que leurs possesseurs détiennent en vertu du premier
lotissement, ces terrains doivent faire partie des «kleroi» et l'on comprend alors que l'échange ne
soit autorisé que si leurs possesseurs restent dans la partie de la chôra dite «kleroi». Ces posses
seurs— que l'on peut qualifier de clérouques — iront donc dans les « terrains qui sont en sur
plus dans les kleroi», c'est-à-dire dans les lots vacants de la partie appelée «kleroi». En revanche, à
la différence de ces possesseurs, ceux qui n'ont rien pourront s'établir dans tout ce qui est vacant,
«perisseuon », sans précision topographique, donc aussi bien dans la zone en dehors des kleroi que
dans celle-ci92.
Telle est l'interprétation qui nous paraît le mieux rendre compte de l'emploi du vocabul
aire
et de la préposition έν dans cette clause, même si la syntaxe de l'apodose, comportant deux
compléments de lieu en asyndète, reste quelque peu surprenante.
Comme la clause précédente, cette clause relative à l'échange ne nous semble donc pou
voir prendre une signification précise qu'en fonction du lotissement premier. Que l'on accepte ou
non notre interprétation de l'échange et de la précision έν τοις κλήροις, le sens général de cette
clause nous paraît en tout cas assuré : placée après l'énoncé du principe général qui réserve la dis
tribution
aux citoyens dépourvus de terre, elle prévoit une exception pour certaines catégories de
la population qui possèdent déjà effectivement des terrains. Après cette mesure d'exception, la loi
revient, avec les 11. 6-7, aux bénéficiaires « normaux » de cette distribution, les citoyens dépourvus
de terre.
Clérouques et kato[ikountes]
Une fois dégagé le sens général des lignes 3 à 6, revenons aux questions laissées en suspens :
peut-on préciser l'identité des clérouques ? qui sont les KATO[— ] bénéficiant du même privilège
que les damiurges, les bouleutes et leur descendance ?
Les clérouques étaient-ils citoyens de Delphes ? Il faut faire place ici à une hypothèse déve
loppée par Cl. Vatin, dont la discussion engage aussi l'interprétation de la clause relative aux
KATO[— ]93. Cl. Vatin s'était d'abord demandé si les clérouques n'étaient pas la minorité privilé
giée
formée des damiurges et des bouleutes, faisant exploiter ses lots de terre, suivant une pra
tique connue ailleurs, par une classe inférieure, ici constituée des simples citoyens94. Mais,
comme les simples citoyens participent eux aussi à la répartition, aux côtés des damiurges et des
bouleutes, il écartait finalement l'idée que ces notables aient été les clérouques. Et de conclure
92 Pour un rapprochement possible, mais qu'il faut à notre
avis écarter, entre περισσεΰον/περισσεύοντα et ce que les
agrimensores latins appellent subseciua, cf. infra, p. 336-337.
93 Cl. Vatin a développé cette hypothèse dans son étude
restée inédite, essentiellement aux pages 107-108 et 236238. Le lecteur pourra aisément se reporter à la discussion
d'A. Plassart, FD III 4, fasc. 3, p. 32, qui a déjà utilisé et
BCH122 (1998)
cité ces pages.
94 Cl. Vatin, op. cit., p. 236-237, qui rappelait le parallèle
de l'Egypte ptolémaïque (cf. supra, n. 81). Cette interprétation supposerait que les clérouques aient en tant que tels
part au présent lotissement. Il nous semble au contraire que
les clérouques sont exclusivement les bénéficiaires de la
distribution antérieure, cf. supra, p. 303.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
309
que, si les cultivateurs, avant la loi de répartition, étaient des citoyens delphiens (cf. 1. 4), «leurs
maîtres les clérouques ne l'étaient pas, et s'ils n'étaient pas delphiens, ils ne pouvaient être que
romains ».
S'agissant de la citoyenneté des clérouques, l'hésitation est en effet permise et la formula
tion
de la 1. 4 (κληρούχους και υπό τοις κληρούχοις πολείτας) laisse quelque peu perplexe. De
prime abord on est frappé par πολείτας juxtaposé à κληρούχοις, comme si seuls les fermiers, à la
différence des clérouques auxquels ils sont subordonnés, étaient citoyens. Mais cette clause a
pour objet de déterminer quelle partie de la chôra sera effectivement distribuée lors du nouveau
lotissement, réservé à des citoyens. On peut comprendre que dans ce contexte il ait paru utile de
préciser que les fermiers étaient eux aussi citoyens avant de garantir leur droit à se maintenir sur
place. Quoi qu'il en soit, et comme l'observait Cl. Vatin95, cette précision ne permet pas de pré
juger du statut politique des clérouques.
Il faut surtout faire à leur propos l'observation suivante : il est difficile d'imaginer que l'on
ait pu procéder à des distributions de terre sur le territoire de la cité sans que les bénéficiaires
soient déjà citoyens ou, si tel n'était pas le cas au départ, sans qu'ils soient appelés à entrer en
même temps dans le corps civique. L'hypothèse contraire, à savoir que les clérouques ne soient
pas citoyens de Delphes, ne pourrait être retenue qu'à condition de supposer que la distribution a
été le fait, non de la cité, mais d'une puissance extérieure, en l'occurrence le pouvoir impérial, qui
aurait pu installer des vétérans comme colons.
C'est bien à une telle idée que songeait Cl. Vatin, proposant de reconnaître dans les cl
érouques
des résidents romains installés à Delphes. Il développait cette idée en suggérant à titre
d'hypothèse de restituer ainsi les 11. 3-4 : έπει δε προγεγεώργηται ή χώρα και κ[ατοικοΰντας
'Ρωμαίους] Ι [ε]χει κληρούχους. Cette restitution lui était inspirée par celle de la disposition sui
vante,
où il proposait de compléter ainsi la liste de ceux qui ont droit de procéder à un échange
de terrains (11. 5-6) : εί δέ τις δαμιουργών ή βουλε[υ]τών ή ύών αυτών ή έκγόνων ή τών
κατο[ικούντων 'Ρωμαίων] βούληται εις έτερον χωρίον τών περισσευόντων μεταβήνα[ι]
κτλ...96. Ainsi, un groupe de Romains résidant à Delphes aurait été directement concerné par ce
lotissement de terres. Si, remarquait Cl. Vatin, « on imagine assez mal une colonie romaine à cet
endroit et la raison d'être de son installation»97, on pouvait peut-être néanmoins invoquer en
faveur d'une telle présence romaine à Delphes une décision prêtée par Dion Cassius à Néron, qui
aurait installé des soldats sur la terre de Kirrha retirée à Apollon, en même temps qu'il aurait pol
lué et fermé l'oracle98.
95 Cf. Cl. Vatin, Ioc. cit., ainsi résumé par A. Plassart, FD III
4, fasc. 3, p. 32: «Comme l'observe Cl. Vatin, si le texte
précise que (l)es exploitants sont des citoyens, c'est pour
bien marquer qu'ils ne doivent pas être lésés dans l'opération. Cette mention n'implique pas nécessairement que les
clérouques ne soient pas, eux aussi, des citoyens. »
96 CI. Vatin, op. cit., p. 107-108; cf. A. Plassart, FD III 4,
fasc. 3, ρ. 32.
97 Op. cit., p. 238 ; cité par A. Plassart, Ioc. cit.
98 Dion Cassius LXIII, 14 (lors du voyage de l'empereur en
Grèce en 66-67 ap. J.-C): Του δέ δη Απόλλωνος, ε'ίτ' ούν
άγανακτησας ότι λυπηρά τίνα προεΐπεν αύτφ, είτε και
άλλως μανείς, την τε χώραν την Κιρραίαν άφείλετο και
στρατιώταις έδωκε, και τό μαντείον κατέλυσεν, άνθρώπους ές τό στόμιον έξ ου τό ιερόν πνεΰμα άνηει σφάξας.
BCH122 (1998)
310
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Que retenir de cette hypothèse ? On peut assurément exclure qu'une colonie romaine ait été
« déduite » à Delphes : si faible que soit l'argument a silentio, il serait étonnant que nul autre indice
de cette installation n'apparaisse ni chez les auteurs, ni dans la masse des inscriptions impériales
retrouvées. La documentation officielle montre au contraire le renouvellement et le maintien des
privilèges de la cité libre". Rien ne laisse non plus soupçonner la présence à Delphes de colons
romains venus s'établir sans que la cité ait pris pour autant le statut de colonie, suivant une situa
tion connue par exemple en Asie Mineure100. On notera d'ailleurs que les textes d'Asie Mineure,
pour désigner ces colons, ne parlent pas de clérouques, mais de kolones, peut-être aussi de sumpoliteuomenoi Romaioi, termes qui n'apparaissent pas dans notre loi. Quant au témoignage de Dion
Cassius relatif à Delphes, il reste complètement isolé, et le nombre des forfaits prêtés à Néron est
tel que l'on peut s'interroger sur la réalité de ceux qui lui sont attribués dans ce passage101.
Doit-on alors inférer de notre seule inscription la présence d'un groupe de résidents
romains, apparaissant successivement comme « clérouques » (1. 4) et κατο[ικοΰντες ?] (1. 5) ? Les
termes eux-mêmes n'obligent pas à cette conclusion. Certes, l'on sait que klerouchos est utilisé par
les auteurs de l'époque impériale pour désigner les colons romains102. En revanche, dans les ins
criptions,
le mot ne paraît pas attesté en ce sens : il est d'ailleurs fort rare à l'époque impériale et
ne se rencontre qu'en Anatolie, dans quelques textes où il désigne, non des colons romains, mais
un statut remontant à l'époque hellénistique103.
Quant aux κατο[ικούντες], examinons de plus près la restitution des 11. 5-6. Bénéficient du
droit de se transporter sur un autre terrain ceux qui comptent au nombre des damiurges, des bouleutes, de leurs descendants, ainsi qu'au nombre των KATO[ca 15 lettres] : dans une telle enumerat
ion,
on ne voit guère d'autres termes à restituer que κατο[ίκων — ] ou κατο[ικούντων — ]104.
Faut-il préférer le premier mot, qui signifie colon, souvent d'origine militaire, dans les docu
ments de l'Asie Mineure et de l'Egypte105 ? Même si le terme ne paraît pas attesté pour désigner
99 Cf. les lettres de Trajan FD III 4, 287, d'Hadrien FD III 4,
301, de Marc-Aurèle et Lucius Verus FD III 4, 313 et Septime Sévère et Caracalla FD III 4, 329 (aussi J. H. OLIVER,
Greek Constitutions... [1989], nos 44, 62, 177, 215).
100 Mais cette situation ne paraît pas attestée en Grèce.
Pour l'Asie Mineure, cf. J. et L. Robert, Bull. 1958, 391 et
467 avec références antérieures ; S. Mitchell, « Roman residents and Roman property in the Southern Asia Minor» in
Proceedings of the Xth International Congress of Classical
Archaeology, Ankara-Izmir 1973 (1978), I, p. 311-318;
M. Sartre, L'Orient romain (1991), p. 269.
101 Les modernes ont en général douté que Néron ait interrompu le fonctionnement de l'oracle, cf. par exemple
H. W. Parke, A History of the Delphic Oracle (1939), p. 288 ;
G. ROUX, Delphes, son oracle et ses dieux (1976), p. 115.
102 Références chez H. Mason, Greek Terms for Roman Institutions (1974), s.v. et p. 108; Cl. Moatti, op. cit. (supra,
n. 73), p. 17, n. 52, p. 23, n. 82, p. 60; aussi chez
0. SCHULTHESS, REXI (1921), s.v. «Klerouchoi», col. 832.
103 Références dans U. LAFFl, Athenaeum 49 (1971), p. 353, particulièrement p. 27-29 et p. 34-36: dans l'inscription
BCH 122 (1998)
d'Aizanoi datant de 125/6 ap. J.-C. (OGIS 502; voir aussi
MAMA IX [1988], p. xxxvi-XLIll), la mention des c[leruc]hici
agri renvoie à l'époque hellénistique; dans deux inscriptions
d'Eucarpia de Phrygie, datant du IIe s. et du IIIe s. ap. J.-C.,
publiées par W. M. Calder, AS 6 (1956), p. 49-51 (avec le
commentaire du Bull. 1958, 467), klerouchos figurant dans
le titre de deux citoyens renvoie sans doute au statut de
leurs ancêtres à la même époque. On ignore en revanche à
quand remonte la « clérouquie » mentionnée dans une brève
dédicace de Cappadoce publiée par H. GRÉGOIRE, BCH 33
(1909), p. 137 n° 112: Διΐ και
Αυρήλιος Μάρκος
Διονυσίου υπέρ της κληρουχίας.
104 II paraît vain de chercher une restitution en coupant
κατ' ό[- - -].
105 Dans les inscriptions et papyrus, cf. F. ÔRTEL, RE XI
(1922) s. ν., col. 1-26, L. ROBERT, BCH 109 (1985), p. 482
(= Documents d'Asie Mineure [1987], p. 536), avec bibliographie antérieure; G. M. COHEN, »Katoikiai, Katoikoi and
Macedonians in Asia Minor», AncSoc 22 (1991), p. 41-50
(Bull. 1993, 486).
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
311
des colons d'origine romaine et s'il est rare dans la Grèce égéenne, on ne peut complètement l'ex
clure a priori, mais c'est plutôt le participe substantive que l'on proposera de restituer106.
On songe d'abord aux nombreux documents officiels des cités grecques mentionnant
après les citoyens les κατοικοΰντες, les étrangers domiciliés107. Et l'on pourrait même être tenté
de combler la lacune en écrivant avec Cl. Vatin των κατο[ικούντων 'Ρωμαίων], car de tels
groupes de résidents romains sont connus dans maintes cités de l'Orient romain108.
Mais, à la réflexion, nous sommes amenés à rejeter cette restitution, parce que la mention
de résidents romains dans notre clause se heurte, nous semble-t-il, à une grave objection : la pré
sente distribution est explicitement réservée aux citoyens (11. 2 et 5) et l'on ne voit pas comment
des étrangers domiciliés, dits simplement oi κατοικοΰντες, pourraient bénéficier de cette possi
bilité d'échange de terrains. À supposer même que des étrangers, romains ou non, aient pu bénéf
icier de la précédente distribution, ils auraient alors reçu la citoyenneté ou du moins Xegkthis. En
ce cas il n'y aurait aucune raison de les mentionner ici comme simples katoikountesm'. Enfin, il
serait surprenant que des étrangers domiciliés aient un droit dont sont privés les demotes, ou en
tout cas une partie du corps civique que l'énumération a pour but précisément d'exclure110. Bref,
reconnaître parmi les ayants droit à l'échange des étrangers installés à Delphes, éventuellement
romains, loin d'être nécessaire, nous semble difficile. Il en va de même, croyons-nous, pour d'hy
pothétiques
κάτο[ικοι], colons de quelque origine que ce soit. Il n'y a donc pas lieu de rappro
cher
les KATO[—] des clérouques de la clause précédente111.
Comment alors restituer et interpréter la fin de la liste des bénéficiaires ? Le participe sub
stantive
των κατο[ικούντων] demeure la restitution la plus plausible. Elle se justifie peut-être si,
au lieu d'y voir une désignation d'ordre politique, on lui donne, seule autre interprétation poss
ible, un sens géographique : bénéficieront de cette possibilité, non seulement les damiurges, les
bouleutes et leur descendance, mais aussi ceux des citoyens qui «habitent» dans telle partie du
territoire de Delphes, quelle que soit leur catégorie sociale. Quelle région ces privilégiés habit
aient-ils
? On peut se demander s'il ne faut pas restituer των κατο[ικούντων έν τη χώρα] νείτών
106 L'utilisation du participe substantive justifierait bien la
présence de l'article των.
107 Cf. e. g. SIG3 index s.v.; aussi, maintenant, F. Papazoglou,
Laoi et paroikoi (1997), index s.v.
108 Les κατοικοΰντες 'Ρωμαίοι sont attestés surtout
durant l'époque républicaine, mais encore sous l'Empire, cf.
essentiellement J. Hatzfeld, Les trafiquants italiens dans
l'Orient hellénique (1919) et D. Magie, Roman Rule in Asia
Minor (1950), p. 162, 1051, n. 6, 1615-1616. Dans la
Grèce balkanique, les exemples les plus récents sont à
notre connaissance ceux de Messène sous Auguste
(L. Migeotte, BCH 109 [1985], p. 597-607) et d'Argos à
l'époque impériale (/G IV, 606). Pour des groupes de pragmateuomenoi Rhomaioi, attestés jusqu'au Ier s. ap. J.-C,
voir, pour la Macédoine, F. PAPAZOGLOU, ANRWtt, 7.1 (1979),
p. 356-357 et, pour l'Arcadie, IG V 2, 268 et 307 (Antigoneia), 515 (Megalopolis).
109 Au Γ s. av. J.-C. et au Γ s. ap. J.-C. on a ainsi quelques
attestations de 'Ρωμαίοι έγκεκτημένοι ou έγγαιοΰντες,
réunies par S. Zoumbaki, «'Ρωμαίοι έγγαιοΰντες. Rômische
Grundbesitzer in Eleia» Tyche 9 (1994), p. 213-218. Cf. J.
Hatzfeld, Les trafiquants italiens dans l'Orient hellénique
(1919), p. 299-300.
110 II est naturellement exclu de combler la lacune de notre
texte en écrivant ή των κατο[ικούντων ή δημοτών] : serait-il
vraisemblable que l'on cite des citoyens après les étrangers
domiciliés? D'autre part, si toutes les catégories de
citoyens avaient le droit de procéder à l'échange, pourquoi
nommerait-on une à une chaque catégorie, au lieu de dire ει
δε τις πολειτών ή κτλ...?
Ul Que katoikos soit souvent synonyme de klerouchos
dans l'Egypte ptolémaïque (cf. F. ORTEL, RE XI [1922] s.v.
«Katoikoi», col. 13-18) ne justifie pas non plus que l'on rapproche des klerouchoi les KATO[ — ] de notre inscription.
BCH 122 (1998)
312
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
κατο[ικούντων την χώραν]112 : ceux qui habitent déjà la chôra y auraient les mêmes droits que les
classes privilégiées. Le privilège serait donc étendu en l'occurrence à des demotes ayant bénéficié
de la première distribution et s' étant établis dans la chôra113. Soulignons cependant une
difficulté : il n'y a pas la place pour écrire των κατο[ικούντων + complément de lieu + δημοτών],
restitution qui conviendrait le mieux à cette interprétation. Quant à l'expression simple των
κατο[ικούντων δημοτών], elle ne dirait pas clairement, sans complément de lieu, ce que nous
voudrions lui faire dire.
On pourrait songer à une seconde restitution, un peu plus longue, mais possible matériel
lement: των κατο[ικούντων κληρούχων]. Bénéficieraient du droit d'échange non seulement les
catégories politiques privilégiées, mais aussi certains des clérouques, qui sont précisément posses
seursde lots susceptibles d'être échangés. Il s'agirait en l'occurrence « des clérouques qui résident
(sur la terre) », à la différence de ceux de la clause précédente, qui font exploiter leurs lots par les
citoyens-cultivateurs (1. 4). Mais cette restitution n'est pas pleinement satisfaisante: on ne peut
pas opposer aux clérouques affermant leurs lots des clérouques qui résideraient sur place, car il est
naturellement possible d'affermer à autrui son lot tout en «résidant dans la chôra». D'autre part,
l'idée de «résidence dans la chôra» ne serait pas clairement formulée par la simple expression των
κατο[ικούντων κληρούχων] dépourvue de complément de lieu.
Une dernière solution serait de supposer une faute du lapicide, qui aurait introduit de
façon erronée le dernier ή. Il faudrait alors lire εί δέ τις δαμιουργών ή βουλε[υ]τών ή ύών αυτών
ή έκγόνων {ή} των κατο[ικούντων την? χώραν]. Quelque gêne que l'on éprouve à corriger un
texte par ailleurs bien gravé, on pourrait assez facilement comprendre une telle faute dans cette
enumeration. Disparaîtrait alors la difficulté qu'il y a à expliquer la présence parmi les privilégiés
d'une troisième catégorie dont nous ne parvenons guère à définir l'identité. « Quiconque, » dirait
cette clause, «parmi les damiurges, les bouleutes, leurs fils, leurs descendants [habitant la? terre]
veut se transporter sur un autre terrain pris parmi les terrains en surplus en abandonnant les ter
rains qu'il possède, aura le droit de se transporter dans les terrains qui sont en surplus dans les
lots». Les bénéficiaires de cette clause d'échange seraient donc uniquement ceux des membres
des catégories politiques privilégiées qui habitent la chôra. Cette hypothèse s'accorde avec l'inte
rprétation
proposée supra au sujet de l'échange, en permettant de la préciser : s'il s'agit ici d'échan
ger
des terrains de la première distribution pour un terrain vacant dans les « kléroi », bénéficie
raient
de cette possibilité non pas tous les possesseurs de lots, autrement dit les clérouques,
appartenant aux catégories privilégiées, mais seulement, parmi eux, « ceux qui habitent la terre ».
112 Pour le participe employé dans le sens géographique,
cf. e. g. SIG3 862; L. ROBERT, Hellenica II (1946) p. 61-64;
G. Manganaro, ASAA 41-42 (1963-64), p. 302 n° 1 et
p. 318 n° 18. À la place de των κατο[ικούντων έν τη
χώρο:], on pourrait écrire των κατο[ίκων των έν τή χώρο;]:
cependant le terme katoikos paraît peu fréquent dans ce
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sens : un exemple in Th. Drew-Bear, Chiron 10 (1980),
p. 511, I. 15 et 523, n. 71.
113 Ces personnes qui peut-être «habitent la terre» ne sauraient être les « citoyens » de la clause précédente :
l'échange ne peut en effet être proposé qu'à des clérouques, et non à leurs fermiers.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
313
Concluons sur les clérouques et les katofikountesj. Les clérouques ne sont selon nous ni des
colons, ni des résidents romains établis à Delphes, mais selon toute vraisemblance des citoyens. Il
en va de même pour tous les bénéficiaires de la possibilité d'échange, malgré les incertitudes qui
demeurent sur la restitution de la fin de la 1. 5 : il est certain que la possibilité d'échange de ter
rains n'est offerte qu'à une partie des citoyens et que les katofikountesj ne peuvent pas avoir été
des étrangers. Vouloir être plus précis nous conduit dans le champ des hypothèses : parmi celles
que nous avons présentées, si l'on admet d'une part qu'il s'agit pour certains clérouques (c'est-àdire des possesseurs en vertu du premier lotissement) d'échanger des terrains et si l'on accepte
d'autre part de corriger le texte, on considérera que les bénéficiaires de l'échange sont parmi les
clérouques appartenant aux catégories privilégiées de la cité ceux qui habitent la chôra: les
katofikountesj seraient donc une partie des clérouques.
Quant à l'origine des clérouques et les conditions dans lesquelles ils furent installés dans la
chôra lors du lotissement initial, on ne peut rien en dire, à cause du caractère allusif de la clause
qui les mentionne et rappelle la situation antérieure au nouveau lotissement. Si notre texte se
contente d'une allusion, c'est peut-être parce que des précisions se rapportant à la première distr
ibution étaient données ailleurs. En effet, si l'on retient l'hypothèse, avancée supra p. 283, selon
laquelle les lignes 1-2 sont la fin d'un document différent, dont le début était gravé non loin de
notre inscription, peut-être lisait-on là un exposé plus détaillé de la situation des clérouques et de
leurs lots, ou, qui sait, le règlement du premier lotissement lui-même.
Cela pose la question de la date du premier lotissement. Il faut rappeler ici l'hypothèse
présentée par A. Plassart dans son commentaire à la lettre de Claude de 52 ap. J.-C. gravée sur le
temple d'Apollon. Malgré les incertitudes qui entourent le texte fort mutilé de cette inscription,
il paraît s'agir de repeupler la cité de Delphes en faisant venir des personnes libres d'autres cités et
en leur donnant les privilèges des citoyens114. A. Plassart a supposé que la cité a pu attirer ces
immigrants en leur donnant des lots de terre, et que l'on retrouverait ainsi un indice de l'arrivée à
Delphes des clérouques, deux ou trois générations avant notre inscription. Mais ce rapproche
ment
reste ténu, il faut le souligner. On ne peut déterminer l'intervalle de temps séparant la pre
mière distribution de notre loi, qui la compléta en lotissant les terres restantes.
texte Sur
114
à consulter
ces deuxdésormais,
points s'accordent
celles d'A.lesPlassart,
deux éditions
FD III du
4,
286 et de J. Η. Oliver, Greek Constitutions... (1989), n° 31
et l'on ne discutera donc pas ici leurs restitutions, qui différent sensiblement. Voici le texte d'A. Plassart, II. 4 à 11:
[ΈπεΙ δέ] νΰν λέγεται και [πολ]ειτών ερη[μο]ς είναι,
ώ[ς μοι άρτι άπήγγειλε Λ. Ίού]νιος Γαλλίων ό φ[ίλος]
μου κα[1 άνθύ]πατος, [βουλόμενος τους Δελφούς] έτι
έξειν τον πρ[ότερον κόσμον έντελ]ή, έ[ντέλλομαί σε
και έξ άλ]λων πόλεων καλ[εΐν εις τους Δελφούς νέους
κατοίκους ca 7 Ι. και] αύτοίς έπιτρ4[πειν ca 12 I.]
γεγονόσιν. πάντα
πρεσ[βεΐα
Όσο]ι έχειν
μεν γαρ
τα τν[
των—
Δελ]φών
ώς πολεΐ]ται
ώς πολε[ίταις
μετωκίσ[αντο εις τούτους τού]ς τόπους, κρ[ίνω
] (Puisque
l'on dit aujourd'hui que la cité est dépourvue de citoyens,
comme [m'en a averti récemment L.] lunius Gallion, mon
ami proconsul, [voulant que Delphes] conserve [intact son
éclat ancien, je t'ordonne de] faire venir d'autres cités [à
Delphes de nouveaux habitants et] de leur permettre [
d'avoir] en tant que citoyens [tous les] privilèges [des] Delphiens. En effet, [pour tous ceux qui] se sont installés
[comme citoyens dans ces] lieux, je juge [ — ]).
BCH122 (1998)
314
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
En dépit de longs efforts qui auront peut-être lassé notre lecteur, nous ne nous flattons pas
d'avoir réussi à éclaircir les lignes 3 à 6 de notre inscription. À côté d'une lacune qu'on ne peut
restituer (1. 3), subsistent des incertitudes: restitution de la 1. 5, nature des biens cédés dans
l'échange, sens de la précision έν τοις κλήροις. Il nous semble en revanche acquis que notre loi,
intervenant après un premier lotissement, ne remet pas en cause les droits des bénéficiaires de
cette première opération, les clérouques, non plus que ceux de leurs fermiers. La loi a pour objet
de lotir la surface restante, en principe au bénéfice de ceux qui n'ont pas de terre, mais en réser
vant un droit d'échange à des citoyens privilégiés.
V. Procédure prescrite aux postuhnts, réglementation du droit
de succession (II. 6 à 11); statutjuridique de h terre distribuée
Après avoir traité du droit d'échange, la loi revient, 1. 6-7, aux bénéficiaires normaux du
second lotissement, «ceux qui n'ont pas de terre». Il semble d'ailleurs que seuls ces derniers
soient soumis aux deux formalités ici prévues, l'inscription auprès des archontes et l'examen
devant le Conseil115. Il n'est pas étonnant que cet examen ait lieu devant le Conseil, puisqu'il doit
s'agir non seulement de vérifier que les candidats ne possèdent effectivement pas de terre, mais
aussi de déterminer la surface à laquelle ils auront droit, selon qu'ils sont simples citoyens, bouleutes ou damiurges116.
Les clauses suivantes (11. 7-11) réglementent la succession sur le meros, la parcelle. Meros
(11. [7], 8, [8], 9, [11]) est un terme nouveau dans le vocabulaire foncier de l'inscription, qui
avait déjà employé, non seulement kleros (1. 6) désignant à notre avis les lots du premier lotiss
ement117,
mais aussi moira (1. 3) et chorion (1. 6; de nouveau 11. 10, 22 et 23). À propos de cette
terminologie, Cl. Vatin écrivait justement : « la moira est l'unité standard utilisée pour la divi
sion du territoire (...); chaque portion de 40 plèthres est une moira, mais damiurges et bouleutes reçoivent 60 plèthres, soit une moira et demie qui constitue leur meros. Les mere sont les
portions attribuées à chacun en considération de sa qualité, elles sont inégales. Chaque meros est
un chorion, le second terme n'étant que la représentation concrète de cette entité cadastrale
115 Pour une catégorie particulière de citoyens δοκιμαζόμενοι έ[ν βουλή] II. 9-10, cf. infra. Sur les «archontes», cf.
infra, p. 334.
116 Nous ne connaissons pas de dokimasia comparable
dans les distributions de l'époque impériale. De l'examen de
notre texte, Cl. Vatin avait rapproché un passage du règlement de Gazôros (158 ap. J.-C.) sur l'exploitation des
domaines publics, BCH 86 (1962), p. 57-59 I. 17-18: έδοκίμασαν τους ένφυτεύσαντας κα[1 τους βουλομ]ένους
εχειν έπικαρπίαν, traduisant «(les bouleutes) procédèrent
BCH 122 (1998)
à l'examen probatoire des planteurs et de ceux qui voulaient
bien avoir la jouissance». On préférera l'interprétation de
F. Papazoglou, BCH 87 (1963), p. 531, suivie dans le Nouveau choix d'inscriptions grecques (1971), n° 28 : « ils ont
approuvé que ceux qui ont fait des plantations et ceux qui
veulent en faire, aient une part de récolte» ([βουλομ]ένους
peut-être à corriger en [έπιμ]ελομένους, cf. Bull. 1984,
258).
117 Cf. supra, p. 307-308, la discussion à propos de chôra,
perisseuon et perisseuonta, et kleroi.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
315
qu'est le meros»118. Cette interprétation nous paraît bien rendre compte des emplois respectifs
de moira (« part ») et de meros (« parcelle ») ; d'autre part, le « terrain » {chorion) planté ou bâti de
la 1. 10 ne peut guère être en effet que celui de la parcelle119.
Les clauses relatives au droit de succession commencent par une précision sur la nature de
laquelle on peut hésiter: on peut en effet restituer 11. 7-8 soit [άδιαί]|ρετον, soit, avec Cl. Vatin,
[άναφαί]Ιρετον120. Ces deux restitutions auraient l'une et l'autre un sens dans cette phrase : soit
on stipule que la parcelle ne devra pas être divisée, dans le cas d'une vente éventuelle, mais aussi
dans le cas d'une succession121 ; soit l'on indique qu'une fois donnée, la parcelle ne pourra pas
être enlevée au preneur et l'on traite ensuite de ce qu'il en adviendra à sa mort122.
Succession testamentaire (I. 8)
Les dispositions sur le sort des parcelles après décès du preneur traitent successivement de
la succession testamentaire et de la succession ab intestat. Dans le premier de ces deux cas, le
droit est reconnu aux preneurs de transmettre leur parcelle à qui ils veulent, οις αν βούλωνται.
Formulé de façon bien vague, ce droit peut cependant être défini de façon plus précise à la
lumière des lignes suivantes. Ainsi est-il en fait exclu qu'un étranger puisse hériter de la parcelle.
vente (Lois V 740b et 741b) et qu'Aristote, Politique 1265b dit
αδιαίρετοι ; cf. D. Asheri, « Laws of Inheritance, Distribution
of Land and Political Constitutions in Ancient Greece » Historia
12 (1963), p. 1-21, partie, p. 5-6. Αδιαίρετος apparaît sou
vent dans les papyrus, cf. F. Preisigke, Wôrterbuch der gr.
Papyrusurk. s.v. avec. bibl. et R. Taubenschlag, The Law of
Greco-Roman Egypt in the Light of the Papyri2 (1955),
p. 239-243. Le terme se trouve aussi dans l'inscription de
Corcyre Noire SIG3 141, I. 10, mais il y désigne sans doute
une terre commune restée indivise, cf. Ad. Wilhelm, SBWien
175 (1913) I, p. 11-12 (= Akademieschriften 1 [1974],
p. 133-134) citant Diodore XVI 82, 5. Ajoutons enfin que le
contexte de notre inscription dissuade de comprendre
[άδιαί]|ρετον comme l'interdiction de diviser la parcelle par
une location partielle, interdiction attestée dans les baux de
Mylasa, /. Mylasa 208 : ού παραχωρήσει δέ Θρασέας έτε'ρω ούθενΐ ουδέ άλλος ό έχων αυτά καταμερίζων ουδέ
καταδιελεΐ τόν φόρον ; cf. /. Mylasa 212, 819 et peut-être
EA 25 (1995), p. 50 n° 12.
122 Αναφαίρετος est attesté dans des contextes proches
en Grèce Centrale à l'époque impériale: ainsi à Hyettos
après 212 ap. J.-C. dans SIG3 1112, republiée par
P. Roesch, Études béotiennes (1982), p. 153-161: έχαρίσατο ... χωρείδιον ... έπί τω φυτεΰσαι τους γερουσιαστας και εχει[ν] αίώνιον άναφαίρετον. De même
dans une inscription du IIe s. ap. J.-C., SEG 3, 421, attribuée
à Hyettos par Roi. Etienne et D. Knoepfler, Hyettos de Béotie, BCH Suppl. Ill (1976), p. 252-256, I. 30-31: δωρεάς
χάριν αναφαίρετου κατέγραψαν χωρίον. À propos d'un
don d'argent /. Didyma 331 (époque impériale). Nombreuses
occurrences dans les papyrus contemporains.
I
118 Delphes, p. 170-171. Cl. Vatin ajoutait: «Enfin l'e
nsemble représente les kleroi, c'est-à-dire la chôra envisagée
comme une pluralité de lots attribuables par tirage au sort»,
mais nous ne le suivons pas dans cette interprétation de
kleroi. Cl. Vatin proposait d'éclairer notre inscription par la
distribution de Corcyre Noire SIG3 141 (supra, n. 48), où l'on
trouve successivement oikopedon, meros, chôra, klaros et
mérè. Mais les restitutions et l'interprétation de cette ins
cription
restent malgré tout incertaines et ce texte, différant
sensiblement du nôtre, ne permet pas de l'expliquer. Nous
ne connaissons pas de document épigraphique qui, utilisant
simultanément moira, chorion et meros, puisse éclairer
notre texte. Pour meros dans le sens de «domaine», cf.
L. Robert, Hellenics X (1955), p. 25, n. 4.
119 Pour les autres emplois de χωρίον dans le texte, rappe
lonsque I. 6, il nous semble s'agir des terrains définis lors
du premier lotissement dans la partie dite kleroi, cf. supra,
p. 306. À la ligne 22, il est question de [δημο]σίων χωρίων,
mais on ne peut décider s'il s'agit des terrains des parcelles
distribuées aux particuliers, ou d'autres terres demeurant
publiques, cf. infra, p. 324. L. 23, un terrain délimité, [τοΰ?
περι]ωρισμένου χωρίου, sert de décharge publique.
120 Dans la distribution de terres de Corcyre Noire SIG3
141 (supra, n. 48), apparaissent un έξαίρετον οίκόπεδον
et un εξαίρετος κλαρος, terrain et lot «de choix», ou
«réservés», mais on ne voit pas quel sens cette restitution
aurait dans notre passage.
121 Pour l'indivision, cf. L. Beauchet, Histoire du droit privé de
la république athénienne III (1897), p. 638-642. On pense
notamment aux propriétés des Lois de Platon, qu'il est interdit
de diviser, en particulier à la faveur d'une succession ou d'une
BCH 122 (1998)
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
316
Cela serait en effet contraire au principe qui réserve la distribution aux citoyens, et surtout il ne
fait pas de doute que, peu après, la clause de la 1. 11 interdit expressément la transmission à un
étranger (avec le même verbe καταλιπείν que dans la 1. 8 ; cf. infra, p. 323). Si le preneur n'est
donc libre de transmettre sa parcelle qu'à un citoyen, le droit ici défini lui permet en revanche de
le faire indépendamment des règles propres à la distribution: ainsi, une parcelle d'une part et
demie (60 plèthres), donnée à un damiurge ou à un bouleute, pourra-t-elle être transmise à tout
citoyen, fut-il demote ; ou bien, autre possibilité, la parcelle pourra revenir par voie testamentaire
même à un citoyen qui était a priori exclu de la seconde distribution, parce qu'il avait déjà bénéfi
cié
de la première. Mais de façon générale οις αν βούλωνται s'oppose à la restriction apportée
aussitôt après au droit de succession ab intestat, qui est limité aux descendants en ligne directe
(cf. paragraphe suivant) : grâce à une disposition testamentaire il est donc possible de transmettre
la parcelle, non seulement aux héritiers en ligne directe, mais aussi aux collatéraux, et même à
tout citoyen de Delphes désigné par le testateur ; et rien ne paraît interdire à celui-ci de le faire
alors qu'il aurait un (ou des) héritiers) en ligne directe au(x)quel(s) il transmettrait une autre
partie de ses biens.
Succession ab intestat (I. 8)
Faute de testament, oi άπό του γένους αυτού διαδεχέ[σθωσαν123 τό μέρος] : on entendra
que la parcelle va, non à ceux qui font partie de sa « famille », mais à ceux qui font partie stricto
sensu de sa «descendance»124. Car à cette transmission de la parcelle s'oppose le cas où le preneur
serait αγενής: l'adjectif a clairement le sens de «sans descendance» dans les affranchissements de
Delphes125.
En ce qui concerne la parcelle, la succession ab intestat est donc réservée aux descendants
en ligne directe, à l'exclusion des collatéraux. Pareille limitation se retrouve pour des baux
emphytéotiques, à Héraclée de Lucanie et à Thestia d'Étolie. On lit ainsi dans l'inscription de
Thestia (IIe s. av. J.-C.) : Λευκίδαι "[α? 10 1. τό ήμι]συ ώστε ένοικοδομ[ήσαι και φυτεΰ]σαι αυ
τοί και έκγόνοις [αύτοΰ. Εί] δέ τις τούτων μή έστιν, έστω [τας] πόλιος και ά οίκία και τό
χωρίον126. Le contrat de location des terrains sacrés de Dionysos à Héraclée (fin IVe s. ou début
123 Sur ce terme, cf. infra, p. 324 et n. 160.
124 Sur ce sens de genos, cf. F. Bourriot, Recherches sur
la nature du genos (1976), p. 218-219 et 318-323. Exemple
de cette expression chez Plutarque, Thémistocle 32 (LSJ s.v.
« άπό ») : τοις άπό γένους τοΰ Θεμιστοκλέους, pour désigner la descendance lointaine du personnage.
125 Le mot, douteux en ce sens chez les auteurs (cf.
Η. ESTIENNE, Thesaurus s.v.), ne paraît pas attesté en
dehors de huit affranchissements de Delphes du IIe s. et du
Ier s. av. J.-C. : FD III 3, 54 ; SGDI 1684 ; FD III 3, 26 ; FD III 3,
49; SGDI 2090; SGDI 2097, aussi R. DARESTE, B. HAUSBCH122 (1998)
soullier, Th. Reinach, Inscr. jurid. gr. Il (1904), p. 243, cf.
p. 280-281 ; SGDI 2271 (nouvelle lecture de ta I. 26 qui
nous a été communiquée par D. Mulliez); FD III 3, 337. Cf.
αγένειος dans SGDI 1891 et chez Hésychius. Dans les
papyrus, la formule usuelle est ατεκνος και αδιάθετος,
126 G. Klaffenbach, SitzPrAkadWiss (1936), p. 381 B, II. 15. Le texte continue ainsi : Φ[ό]ρων δέ εκάστου ένιαυτοΰ
δραχμάν. Ά <δ>έ πράξις έστω τοΐ ταμ[ί]αι, καθώς και
περί των διαλαύρων ά{ι} συνγραφά περιέχει. Παρεχέτωσαν δέ άνεπικώλυτον ταν κράναν.
UN LOTISSEMENT DE TERRES A DELPHES AU II* SIÈCLE APRÈS J.-C.
317
IIP s. av. J.-C.) stipule : ai δε τίς κα των καρπιζομένων ατεκνος άφωνος αποθάνει, τας πόλιος
πασαν ταν έπικαρπίαν ήμεν127. Dans l'un et l'autre cas la succession ab intestat est donc limitée
aux descendants en ligne directe128. À Héradée comme à Delphes, cette limitation est compat
ible
avec le droit de désigner un héritier testamentaire.
Retour de la parcelle à la cité (I. 9)
Faute d'héritier testamentaire ou d'héritier direct ab intestat, la parcelle va à la cité (1. 9) :
s'agit-il de la dévolution à l'État d'une succession en déshérence129 ? Que les biens d'un citoyen
sans héritier soient dévolus à l'État est une règle attestée, sinon dans la Grèce classique, du moins
dans l'Asie hellénistique, à Doura-Europos et à Hanisa de Cappadoce130. Mais, plutôt qu'à ces
exemples, on comparera la loi de Delphes aux textes d'Héraclée et de Thestia : les clauses citées
supra prévoient que ce dont jouit le locataire reviendra à la cité en l'absence d'héritier direct ou (à
Héraclée) d'héritier testamentaire. Il faut surtout rapprocher notre inscription, ici comme sur
d'autres points (cf. infra), de l'édit de Thisbé (fin IIe ou début IIP s. ap. J.-C.)131. À propos du
fonds concédé en emphytéose, celui-ci stipule : εί δ[έ τις μη καταλιπών δια]θήκας τελευτήσαι,
ω μη είσιν νόμιμοι κληρονόμοι, <ύ>π[αρχέτω κατ' άμφ]ότερα κληρονόμος του εαυτής
κτή μ[ατ]ος ή πόλις132. Une différence est que l'édit de Thisbé prévoit la succession ab intestat de
127 R. Dareste, B. Haussoullier, Th. Reinach, Inscr. jurid.
gr. I (1894), n° XII, texte I, I. 151-152, cf. le commentaire
p. 230; cf. aussi F. Sartori, «Eraclea di Lucania: profile· storico», dans B. Neutsch (éd.), Herakleiastudien, MDAI(R)
Ergânzungsheft 11 (1967), p. 16-95 (sur les tables, p. 3776 ; sur leur date, p. 39).
128 La limitation peut être différente dans d'autres contrats
emphytéotiques, comme à Thisbé, cf. n. 131. Dans les baux
de Mylasa et d'Olymos il est prévu que la terre sera occupée
par le preneur και οι έξ αύτοΰ και οις αν ή κληρονομιά
των υπαρχόντων καθήκη (/. Mylasa 207, 210, 212, 216,
801, 810, 818) : on distingue descendants et héritiers, mais
ceux-ci ne sont pas nécessairement des héritiers testament
aires,
et cette formule ne suffit pas à impliquer que la suc
cession
ab intestat était limitée aux descendants directs.
129 Nous reprenons ici les éléments de trois contributions
successives sur ce sujet, celles de J. Modrzejewski, «La
dévolution à l'État d'une succession en déshérence dans le
droit hellénistique (Note sur le P. Doura-Welles 12)·, RIDA 8
(1961), p. 79-113; Cl. Vatin, «Notes d'épigraphie juridique»,
BCH 86 (1962), p. 534-538, discussion du précédent, à
laquelle J. Mélèze-Modrzejewski a répondu dans « La dévolu
tionau fisc des biens vacants d'après le Gnomon de l'Idiologue (BGU 1210 § 4)», Studi in onore di E. Volterra VI
(1971), p. 91-125, partie, p. 125, n. 130 (= Droit impérial et
traditions locales dans l'Egypte romaine [1990], eh. IV).
130 Les exemples avancés par Cl. Vatin pour l'époque
classique nous semblent douteux, comme à J. MélèzeModrzejewski, op. cit., p. 125, n. 130. Sur le document de
Doura, qui renvoie au début de l'époque hellénistique, cf. le
premier article du même auteur, qui mentionne p. 91, n. 29,
le décret d'Hanisa (basse époque hellénistique), republié
par L. Robert, Noms indigènes dans l'Asie mineure grécoromaine (1963), p. 457-523 ; sur notre sujet p. 472-473.
131 IG VII 2226-2227 et add., aussi SIG3 884, I. 52-54;
pour la date, cf. E. GROAG, Die Reichsbeamten von Achaia in
spâtrômischer Zeit (1946), p. 7 et B. Thomasson, Laterculi
praesidum I (1984), 199-200 (Achaia nos 73 et 82) : l'édit de
M. Ulpius [- - -] est gravé avant une lettre du proconsul Geminius Modestus, qui peut être le fils d'un épistratège attesté
en Egypte en 207.
132 Pour la signification de [κατ άμφ]ότερα, W. Dittenberger,
SIG3 884, n. 23, suivi par S. VON Bolla, ZRG 59 (1939),
p. 549, proposait de considérer la cité comme héritière à
double titre, d'une part parce que les biens privés en déshé
rence lui échoient, d'autre part parce qu'elle est en fait pro
priétaire
du fonds possédé par le tenancier. Explication contra
dictoire, comme l'a souligné J. Tréheux, BCH 77 (1953),
p. 157-162, qui rend ainsi cette clause: «si un fermier meurt
intestat et n'a pas d'héritiers légitimes, la cité sera tout à la
fois
κατ' (cumulant les deux qualités de propriétaire et d'héritière,
αμφότερα), héritière de son propre fonds » (et de suggér
er
p. 161, n. 2 d'écrire plutôt π[αρέστω] — se présenter
comme — que <ύ>π[αρχέτω] — être essentiellement —). La
cité serait en effet héritière dans la mesure où elle succéderait
aussi au passif, les dettes éventuellement contractées par
hypothèque du fonds. Que l'on accepte ou non cette explicat
ion,il est clair que le fonds est, non pas un bien privé, mais
une propriété de la cité : la cité ne récupère pas ce fonds en
vertu d'une règle de dévolution à l'État des biens privés.
BCH 122 (1998)
318
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
l'héritier légitime, c'est-à-dire probablement des agnats collatéraux et non pas seulement des des
cendants
directs133. Mais, dans ces trois cas, il est clair que le preneur n'a pas sur le bien occupé
un droit de pleine propriété et que, comme l'écrit J. Mélèze-Modrzejewski, la cité « recouvre la
possession des biens qui lui appartiennent plutôt qu'elle ne recueille les successions ab intestat
tombées en déshérence à défaut d'héritiers légitimes»134. Il nous semble que c'est aussi le cas dans
la loi de Delphes. S'agissant du statut juridique du preneur delphien vis-à-vis de sa parcelle, ces
rapprochements amènent à y voir de la même façon un occupant pour une durée illimitée, plu
tôt qu'un propriétaire à part entière (cf. la discussion infra, p. 323-326). Ajoutons enfin que la
date des documents d'Héraclée et de Thestia montre que la disposition de la loi de Delphes et
celle de l'édit de Thisbé ne s'inspirent pas nécessairement ou uniquement du droit romain impér
ial,selon lequel les biens vacants sont dévolus à l'État135.
Puisque nous serons amenés à nous prononcer sur la communauté d'inspiration qui a été
supposée entre la loi de Delphes et les grandes inscriptions à peu près contemporaines qui ont été
retrouvées en Afrique proconsulaire, dans la vallée du Bagradas, il n'est pas inutile de signaler dès
maintenant des différences en matière de succession136. L'inscription la plus ancienne, celle
d'Henchir-Mettich {CIL VIII, 25902), datant des toutes dernières années du règne de Trajan
(116 ou 1 17), concerne des colons à qui est accordé le droit de mettre en culture des subseciua.
La clause de succession est malheureusement mutilée (IV, 1. 5-6 :[---] qui e legitimf- - -J test
ament- - -J), et la restitution et l'interprétation de ces lignes sont objets de discussions. On com
prend généralement, à la suite d'O. Seeck137: [liberis] qui e legitimfis matrimoniis procréait sunt
erunt] testamenfto codicillisue relinquere liceat]. Même si l'on admettait une nouvelle restitution
récemment proposée par D. Flach {[heredibus quoque] qui e légitimas matrimoniis procreati non
sunt erunt] testamen[to relinquere permittiturj138), un testament ne serait exigé qu'en faveur d'en
fants nés hors mariage légitime; il resterait en tout cas que seuls des descendants directs pour
raient hériter, avec ou sans testament139. Le texte de l'inscription d'Aïn Wessel, gravée entre 198
133 II est probable que, dans un édit de magistrat romain
comme est le texte de Thisbé, νόμιμοι κληρονόμοι a le
même sens qu' heredes legitimi dans le droit romain, ne se
limitant pas aux descendants directs (sui heredes), mais
incluant le proximus adgnatus, cf. M. Kaser, Das rômische
Privatrecht I2 (1971), p. 699-700. Mais la reconnaissance
des seuls heredes legitimi resterait une limitation par rapport aux possibilités de succession ab intestat dans le droit
romain de l'époque.
134 Studi ... E. Volterra VI, op. cit. (supra, n. 129), p. 125,
n. 130.
135 Influence évoquée par S. von Bolla, ZRG 59 (1939),
p. 549 à propos de l'édit de Thisbé. Sur cette règle du droit
romain impérial, voir les deux articles de J. MélèzeModrzejewski, selon lequel il y a sur ce point continuité
entre la règle hellénistique connue à Doura et existant peutêtre aussi dans l'Egypte ptolémaïque et le droit romain,
peut-être même influence de l'une sur l'autre (respectivement p. 105 et 110; p. 113 et 125), ainsi que M. KASER,
BCH122 (1998)
Das rômische Privatrecht I2 (1971), p. 702.
136 Sur ces inscriptions, voir la bibliographie infra, n. 220-221.
137 0. Seeck, Zeitschr. fur Sozial- und Wirtschaftsgesch. 6
(1898), p. 314 et 356.
138 D. Flach, Rômische Agrargeschichte (1990), p. 97
(mieux vaudrait en ce cas aussi restituer comme 0. Seeck
liberis plutôt qu' heredibus).
139 Font seules exception la restitution proposée par
0. Gradenwitz in C. BRUNS, Fontes7, p. 299, n. 1 : [eis] qui e
legitim[o iure ad hereditatem eius uenient uel] testamen[to
instituti heredes erunt, c.-à-d. héritiers légitimes ab intestat
ou héritiers testamentaires, ainsi que celle de W. Kamps,
« L'emphytéose en droit grec et sa réception en droit
romain», in La tenure, Recueils de la Société Jean Bodin III
(1938) p. 100-101: [liberis] (...) [uel] testamen[to relinquere
licet], c.-à-d. héritiers directs ab intestat ou héritiers testamentaires, sur le modèle de la table d'Héraclée; mais ces
deux restitutions sont inacceptables (voir pour 0. Gradenwitz
la critique de D. Flach, ANRWW 10.2, p. 438-9).
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
319
et 209 {CIL VIII, 26416), est, lui, bien conservé : on y voit que la lex Hadriana de rudibus agris et
iis quiperXannos continuos inculti sunt accordait un possidendi acfruendi eredique suo relinquendi
tus (II, 1. 7-9). La loi d'Hadrien était donc beaucoup plus généreuse, puisqu'elle n'établissait pas
de restriction à la possibilité de transmettre à un héritier, testamentaire ou ab intestat140. On
trouve donc dans les inscriptions africaines, soit une limitation de la succession encore plus res
trictive
(puisqu'elle ne permet pas la transmission testamentaire à d'autres bénéficiaires que les
descendants en ligne directe), soit une absence de limitation: aucune d'entre elles ne contient
une prescription identique à celle du texte de Delphes.
Nouvelle attribution de la parcelle moyennant la revente des améliorations
(II. 9-11)
Si les clauses des 11. 7 à 9 se laissent aisément restituer et comprendre, il n'en va pas de
même pour les suivantes, dont ne subsistent que des bribes gravées sur les fragments de l'orthostate de calcaire. La suite des idées n'apparaît plus aussi clairement. La 1. 11 porte assurément une
nouvelle clause relative au droit de succession (μη έξέστω ... καταλιπείν) ; mais qu'en est-il de la
phrase débutant 1. 9 ? Cette phrase « commence par une proposition conditionnelle introduite
par εί, qui pose le cas d'une certaine catégorie de demandeurs, continue par une série de parti
cipes apposés au sujet du verbe principal et qui énumèrent les conditions nécessaires pour que la
demande soit accordée, et se termine par un génitif absolu énonçant l'une des modalités du règl
ement» (Cl. VATIN,op. cit., p. 109).
Qui sont les demandeurs? L'expression o[i] έπιγεινόμενοι πολε[ΐται], à laquelle nous
n'avons pas trouvé de parallèle, peut recevoir deux interprétations, nous semble-t-il : il s'agit soit
des «futurs citoyens»141, soit des «citoyens venant après», c'est-à-dire ceux qui viennent à succé
der
sur les parcelles142. La suite de la discussion nous amènera à examiner ces deux solutions.
Ces έπιγεινόμενοι πολε[ίται] subiront un examen, comme les bénéficiaires normaux du
second lotissement (1. 7), donc vraisemblablement devant le Conseil143. S'ajoutant à cette formal
ité,
la mention du prix de ce qui se trouve sur le terrain montre que cette clause concerne les
parcelles, mais nous ne nous risquerons pas à combler la lacune en fin de ligne144.
140 On ne saurait donner à eredi suo, avec le possessif
postposé, le sens technique et restrictif de suus hères (descendant direct demeuré in potestate).
141 Telle était l'interprétation de Cl. Vatin, op. cit., p. 89, cf.
A. Plassart, FD III 4, fasc. 3, p. 32, n. 1. Si l'on trouve souvent le participe substantive désignant «la postérité», les
exemples comparables au nôtre sont rares dans les inscriptions: οι έπιγινόμενοι γυμνασίαρχοι à Beroia au IIe s. av.
J.-C., cf. Ph. Gauthier et M. Β. Hatzopoulos, La loi gymnasiarchique de Beroia (1993), p. 21 Β 38 et le commentaire
ρ. 93 ; même expression pour des stratèges dans OGIS 267
Ι 13 et à propos d'une classe d'âge à Dréros dans SIG3
527, 140: τοις έπιγιγνομένοις άζώστοις.
142 Nous avons cherché en vain des exemples en ce sens.
143 Cf. infra, n. 154.
144 Voici
l'ensemble de la phrase restituée par Cl. Vatin:
ε[ί] δ' ο[ί] έπιγεινόμενοι πολεΡ,ται χωρίον τι βούλωνταν
λαβείν των περισσευόντων (ou μέρος τι βούλωνται
λαβείν έν τοις κλήροις), τότε κατά τα '(-]
σα δοκιμαζόμενοι έ[ν βουλή και εΐσκο]μιζόμενοι τη
πόλει και είσφέροντες τειμήν των έν τφ χωρίω ή
πεφ[υτευμένων ή φκοδομημένων έχέτωσαν (ou λαμβανέτωσαν) τό μέρος, τό δαπάνημα το]
γεγονός τειμησαμέ[νων των δαμιουργ]ων και της βουλής
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320
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Ces demandeurs devront verser une indemnité pour au moins deux catégories de biens se
trouvant sur le terrain, τειμήν των έν τφ χωρίω ή ΠΕΦ[
ή
] : y figure ce qui a été planté,
πεφ[υτευμένων], et il s'agit donc d'améliorations apportées au fonds de terre, améliorations qu'ils
recueilleront des exploitants précédents. À côté de ce qui a été planté, il est vraisemblable que se
trouvait « ce qui a été construit », ωκοδομημένων145. On voit de même plantations et construc
tions
aller de pair dans la table d'Héradée, qui stipule que le locataire ne respectant pas ses obli
gations
perdra les unes et les autres au profit de la cité146.
Quant au principe du rachat des améliorations, on le retrouve dans l'édit de Thisbé déjà
cité. Dans ce texte, la concession en emphytéose est régie de la façon suivante: le preneur est
quitte de tout fermage durant les cinq premières années, pourvu qu'il plante le terrain ; s'il n'a pas
planté le terrain au bout de cinq ans, il en perdra la jouissance et devra payer le fermage pour les
cinq années écoulées. Enfin, s'il n'a planté qu'une partie du terrain, mais que la valeur de ses tr
avaux corresponde au fermage des cinq ans, il sera quitte de tout fermage, mais on relouera à un
citoyen le terrain, aussi bien la partie inculte que la partie plantée ; le nouveau tenancier devra
d'une part verser à la cité le prix des plantations et d'autre part payer chaque année le fermage
convenu par son prédécesseur, ne bénéficiant de l'exemption des cinq premières années que sur la
partie restée inculte147. Autrement dit, le nouveau tenancier, s'il est soumis aux conditions nor
males pour le paiement du fermage, doit en revanche acheter à la cité les améliorations réalisées
par son prédécesseur. On voit que sur ce point la loi de Delphes peut donc être à nouveau rap
prochée
de l'édit de Thisbé.
Ces points étant éclaircis, dans quelle mesure peut-on compléter et élucider le reste de la
phrase ? Cl. Vatin proposait d'écrire : είσφέροντες τειμήν των έν τω χωρίω ή πεφ[υτευμένων ή
ώκοδομημένων έχέτωσαν το μέρος, το δαπάνημα τό]| γεγονός τειμησαμέ[νων των
δαμιουργ]ων και της βουλής («après ... avoir apporté le prix des plantations ou des construc
tions
du terrain, qu'ils possèdent leur part, l'estimation du prix étant faite par les damiurges et le
« si les citoyens futurs désirent prendre un lot des surplus
après avoir été soumis à l'examen devant le Conseil, s'être
présentés à la Cité et avoir apporté le prix des plantations ou
des constructions du terrain, qu'ils possèdent leur part, l'estimation du prix étant faite par les damiurges et le Conseil ».
Pour notre part, nous ne croyons pas qu'il faille introduire ici
les perisseuonta ou les kleroi. Quant à l'examen «dans les
mêmes conditions», on ne voit pas qu'elles soient définies
supra, I. 7 et l'expression [κατά τα ϊ]σα paraît sans parailèle dans les inscriptions (Cl. Vatin alléguait avec prudence le
papyrus BGU 747 II 5, où on lit κατά τό 'ίσα, qu'U. Wilcken
propose de corriger en τό 'ίσ<ο> ou τ<α> ίσα).
145 Puisqu'il s'agit d'améliorations durables passant d'un
exploitant à son successeur, on ne peut songer à d'autres
verbes souvent associés à phyteuein chez les auteurs, speirein ou georgein, cf. LSJ s. ν. Nous retenons la forme
φκοδομημένων, de préférence au parfait sans redoublement οικοδομή-, attesté (cf. L. THREATTE, The Grammar of
Attic Inscriptions II [1996], p. 489-490 avec bibliographie;
exemple dans la note suivante), mais cependant moins fréBCH122 (1998)
quent dans les inscriptions.
146 Inscr. jurid. gr. I (supra, n. 127), n° XII, texte I, I. 112:
τα έν ται γαι πεφυτευμένα και οικοδομημένα. De ce
texte G. Klaffenbach s'est inspiré pour restituer le texte de
Thestia cité supra, p. 316. Dans les baux des Clytides à
Chios au IVe s., obligation est faite au locataire de consacrer
une somme fixe εις φυτείαν και οίκοδομίαν SEG 22, 508
A 43-44 et Β 44.
147 SIG3 884, II. 15-27. Ll. 22-27 : ει δε φυτεύσει εν
μέρος, ώς <ε>[ιναι] άξιον του φόρου των πέντε έτ[ών, τόν
μεν] φόρον μη πραττέσθω, πιπρασκέσθω [δε] τό χωρίον
πολείτη, και τό άργόν κα[1 τό πεφυ]τευμένον, έπι τω την
μεν τειμήν τ[οΰ π]εφυτευμένου είσκομισθήναι
τη
πόλ[ει, τόν] δε φόρον παντός τελεΐσθαι καθ' εκαστο[ν]
ένιαυτόν όσον τελέσ<ε>κν> και ό πρότερο[ς ώμο]λόγησεν, συγχωρουμένου <τ>φ πριαμ[έν]<ω> τοΰ φόρου της
πενταετίας υπέρ [τοΰ άρ]γοΰ μόνου. Voir notamment le
commentaire de W. KAMPS, Ioc. cit. (supra, n. 139), p. 102104; sur la portée économique de cet édit, cf. récemment
H. J. Gehrke, Klio 75 (1993), p. 152-154.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
321
Conseil»)148. Mais l'absence d'article avant τειμήν surprend: ne doit-on pas comprendre plutôt
qu'il faut verser « comme prix des plantations et des constructions telle proportion (de leur valeur) »,
ou bien « la plus-value réalisée » ? Cette dernière hypothèse permettrait peut-être de mieux rendre
compte du participe parfait γεγονός149 : on pourrait songer à écrire quelque chose comme είσφέροντες τειμήν των έν τω χωρίω ή πεφ[υτευμενων ή φκοδομημένων τό κέρδος ? το] Ι γεγονός,
τειμησαμέ[νων των δαμιουργ]ων και της βουλής («versant comme prix des plantations et
constructions du terrain le gain réalisé, l'estimation étant faite par les damiurges et le Conseil»)150.
Mais nous ne proposons qu exempli gratia cette restitution, qui reste sans parallèle, qui ne comble
pas la ligne et qui nous oblige à placer le verbe principal de la phrase dès la fin de la 1. 9.
Revenons maintenant au deuxième participe, incomplètement conservé : δοκιμαζόμενοι
έ[ν βουλή + 5-6 lettres ]'\IZOMENOI151 τή πόλει και είσφέροντες τειμήν κτλ. S'appuyant sur
le passage de l'édit de Thisbé relatif au rachat des améliorations (έπι τω τήν μεν τειμήν τ[οΰ
π]εφυτευμένου εισκομισθήναι τή πόλ[ει]), Cl. Vatin suggérait d'écrire δοκιμαζόμενοι έ[ν
βουλή και είσκο]μιζόμενοι τή πόλει και είσφέροντες τειμήν, à quoi l'on pourrait peut-être
préférer pour le second participe, en raison de l'espace disponible, le simple [κο]μιζόμενοι.
De cette restitution, on peut envisager deux interprétations. Selon la première, il n'y aurait
à côté de l'examen qu'une seconde condition, le paiement de l'indemnité, exprimée par deux
verbes: «apportant à la cité et versant comme prix...». Cela implique il est vrai l'emploi du
moyen κομίζεσθαι au sens de l'actif. On est surpris, d'autre part, par la redondance, difficile à
expliquer, ainsi que par la place de τή πόλει152.
Une seconde interprétation : « passant l'examen devant le Conseil, se transportant dans la
cité et versant comme prix... »153 aurait l'avantage de distinguer trois conditions différentes et
trouverait tout son sens si les έπιγεινόμενοι πολε[ίται] étaient des «futurs citoyens»154: ainsi,
ceux qui seraient faits citoyens de Delphes pourraient recevoir une parcelle à condition non seu
lement
de passer l'examen devant le Conseil et de verser une indemnité, mais aussi de s'installer
effectivement dans la cité.
148 «L'organisation politique de Delphes à cette époque de
même que l'étendue de la lacune imposent [των
δαμιουργ]ών », écrit à juste titre Cl. Vatin.
149 Certes, on rencontre souvent l'expression το
δαπάνημα vel άνάλωμα τό γεγονός (cf. e. g. SIG3 ss.w.),
mais il s'agit de la dépense que doivent financer les magistrats, et non d'une somme demandée par la cité à un particulier.
150 En marge de notre manuscrit, M. Wôrrle suggère avec
points d'interrogation [τίμημα τό έπι-]|γεγονός, qui correspond mieux à l'idée de plus-value que κέρδος. On hésite
cependant, malgré le caractère souvent abscons de notre
texte, à écrire une phrase où se succéderaient οι έπιγεινόμενοι πολεΐται, είσφέροντες τειμήν (...) τό τίμημα τό
έπιγεγονός, τειμησαμένων.
151 Rappelons que les deux traces obliques visibles avant
le premier I correspondent a priori plutôt à un Λ qu'à un M,
cf. p. 288.
152 L'expression είσφέρειν τη πόλει se lisait certainement II. 29 et 30. Même tour e. g. dans les textes d'époque
impériale /. Ephesos 23, 1. 25, ΤΑΜ V 828C, SIG3 1112.
153 Voir LSJ ss.w. pour κομίζεσθαι et είσκομίζεσθαι
dans ce sens; pour le locatif sans préposition après de tels
verbes, cf. E. Schwyzer, Griechische Gmmmatik II (1950),
p. 157. Cf. la traduction de Cl. Vatin citée supra, n. 144. Il
n'y a assurément pas la place d'écrire [μετακο]μιζόμενοι,
et ce que l'on voit sur la pierre interdit οίκιζόμενοι ou un
composé (cf. μετωκίσ[αντο] dans FD III 4, 286 cité supra,
n. 114).
154 S'il s'agissait de l'installation de nouveaux citoyens, on
pourrait imaginer que l'examen (δοκιμαζόμενοι) soit analogue à celui auquel ceux-ci étaient soumis dans l'Athènes
classique et hellénistique (cf. M. J. Osborne, Naturalization
in Athens III-IV [1983], p. 164-168), ou encore à Dymé et
Phalanna au me s. av. J.-C. (cf. Ph. Gauthier, Les cités
grecques et leurs bienfaiteurs [1985], p. 199-201).
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JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Mais cette solution est-elle vraisemblable ? Est-il certain que les έπιγεινόμενοι πολε[ΐται]
soient « les futurs citoyens » ? Il faut ici prendre en compte la succession des clauses dans ces
lignes. Après les stipulations réglementant le droit de succession des 11. 7 à 9, figure cette clause
concernant les έπιγεινόμενοι πολε[ίται] et l'estimation des améliorations, puis une clause inter
disant de léguer à un étranger (μη έξέστω
καταλιπείν)155. Si lien logique il y a, il nous
semble qu'il est plus naturel de voir dans la phrase des 11. 9-11, comme dans celles qui l'enca
drent, une clause relative à la transmission des parcelles et donc de considérer les έπιγεινόμενοι
πολε[ΐται] comme «les citoyens venant après», c'est-à-dire «les citoyens venant à succéder» sur
les parcelles, les «successeurs citoyens»156, plutôt que comme «les futurs citoyens».
Dans ce contexte, quel peut être le sens précis de cette clause ? Les « successeurs citoyens »
sont-ils les héritiers testamentaires ou ab intestat visés par les clauses précédentes du texte ? On ne
saurait croire qu'ils soient astreints au rachat des améliorations du terrain réalisées par celui dont
ils héritent régulièrement. En réalité, les « successeurs citoyens » ne sont pas les héritiers des pre
neurs initiaux, mais de nouveaux occupants que la cité installera sur les parcelles tombées en
déshérence, cas défini par la clause immédiatement précédente (1. 9). Après avoir prescrit le
retour à la cité de ces parcelles, la loi définit ici les conditions auxquelles celles-ci seront à nou
veau distribuées : non seulement la cité soumettra les citoyens qui prendront la suite au même
examen que les citoyens bénéficiaires de la seconde distribution ; mais en outre elle percevra le
bénéfice des améliorations réalisées, comme la cité de Thisbé lorsqu'elle concède à un nouveau
preneur le terrain retiré à un locataire défaillant. De même que la cité béotienne redistribue le
terrain en faisant payer ce que le tenancier précédent a ajouté au fonds de terre, de même la cité
de Delphes revend les améliorations des parcelles qu'elle récupère aux nouveaux venus qu elle ins
talle sur ces parcelles, faute d'une dévolution successorale normale. Ainsi interprétée, cette clause
trouve place de façon logique après les stipulations qui la précèdent.
Telle nous paraît donc être, tout bien pesé, l'interprétation la plus vraisemblable que nous
puissions donner des έπιγεινόμενοι πολειται et du sens général de cette stipulation, même si
nous ne dissimulons pas les difficultés qui subsistent : le sens particulier à donner à oi έπιγεινό
μενοι
πολειται, et la place probable du verbe principal. Quant à la restitution du second parti
cipe, peut-être la difficulté sera-t-elle levée si nous retenons la suggestion qui nous a été faite à la
fois par Ph. Gauthier et M. Wôrrle, δοκιμαζόμενοι έ[ν βουλή και άσφα]λιζόμενοι τη πόλει
κτλ., complément qui paraît pouvoir tenir dans la lacune. Peut-être les citoyens reprenant des
parcelles devaient-ils non seulement subir l'examen et racheter les améliorations, mais aussi
«fournir des garanties» à la cité, selon une acception du verbe sûrement attestée157. On s'atten155 La disposition qui commençait à la fin de la I. 11, portant sur les récoltes, ne nous semble pas avoir de rapport
avec le rachat des améliorations, cf. infra.
156 Dans cette interprétation, la précision poleitai (οι έπιγεινόμενοι πολειται, et non οι έπιγεινόμενοι seulement)
pourrait être destinée à indiquer que, comme pour le second
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lotissement (cf. I. 2 et 5), on réserve aux citoyens le bénéfice de cette disposition.
157 Pour ce sens au moyen, voir Digeste 27. 1. 15. 17 et
50. 12. 10, commenté par I. Avotins, Glotta 60 (1982),
p. 252, «to give security» (cf. LSJ Suppl.); cf. aussi I. Avotins,
On the Greek of the Novels of Justinian (1992), p. 37. Le
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
323
drait peut-être cependant à ce que ces garanties, qui n'étaient pas exigées des bénéficiaires directs
de la distribution, fussent définies de façon plus précise.
Voici donc le texte que nous retenons en définitive :
δ'
ε[1] o[i] έπιγεινόμενοι πολε[ΐται ? 45 lettres ? ]
ΣΑ δοκιμαζόμενοι έ[ν βουλή και άσφα]λιζόμενοι τη πόλει και είσφέροντες τειμήν των έν τφ
χωρίω ή πεφ[υτευμένων ή φκοδομημένων ? 25 lettres ? ]
γεγονός, τειμησαμέ[νων των δαμιουργ]ων και της βουλής.
« Si les successeurs citoyens [
,
] en passant l'examen devant [le Conseil, en four
nissant des garanties] à la cité et en versant comme prix des plantations [et des constructions] du
terrain [
] réalisé, l'estimation étant faite par [les damiurges] et le Conseil. »
Interdiction de léguer à un étranger (1. 11)
À la 1. 11 figure une clause restreignant le droit de léguer : μη έξέστω δε μηδεν[ί] ξένω
καταλιπείν ΜΗ[
]. L'ordre des mots inviterait spontanément à la comprendre comme l'inte
rdiction faite à tout étranger de léguer, mais comme il ne peut guère s'agir ici que des parcelles,
dont la distribution est réservée aux citoyens (cf. 1. 2 et 5), il faut comprendre qu « il n'est permis
à personne de léguer [la parcelle] à un étranger». On doit à nouveau rapprocher une stipulation
de l'édit de Thisbé : [εί δέ τις διαθήκ]αις καταλίποι ξένω συνγενεΐ ή φίλω τούτων τι των
[χωρίων, άκυρος έστω α]ΰτοΰ ή δωρε<ά>, έστω δέ της πόλεως τό χωρίον {SI(? 884, 1. 50-52).
Sur ce modèle, on peut écrire μη έξέστω δέ μηδεν[ι] ξένω καταλιπείν μη[δέν μέρος — ].
Statut juridique de la terre distribuée
Le commentaire de la réglementation du droit de succession et les parallèles qu elle nous a
amenés à invoquer invitent à essayer dès à présent de déterminer quel est le statut juridique des
parcelles et à quelles obligations sont tenus les bénéficiaires de la distribution. En effet, sur ce
sujet, la suite du texte, plus lacunaire, ne livre guère d'indications claires.
Quels sont les droits du bénéficiaire sur sa parcelle ? Sous réserve de dispositions qui figu
raient peut-être dans une autre pièce du dossier et pouvaient se rapporter au second comme au
premier lotissement, on ne peut dire si le bénéficiaire a le droit de louer, d'hypothéquer ou de
meilleur parallèle pour nous est le Monumentum Ephesenum
inscrit en 62 ap. J.-C., EA 14 (1989), p. 27-28, I. 110: ό
δημοσιώνης ό την τελωνείαν μνσθωσάμενος άναδόχοις
και ένγαίοις τώι δήμωι άσφαλιζέσθω (cf. aussi άσφαλίσασθαι I. 107). Cf. aussi W. H. Buckler, JHS 57 (1937),
p. 4, Β 33 : άσφαλί<ζ>εσθαι αύτ[ό και ύποθήκ]αις (Orkistos, 237 ap. J.-C.). Pour d'autres emplois du verbe au sens
juridique, cf. Chr. Naour, ZPE 24 (1977), p. 265-266 et 268
(à Tlos à l'époque impériale, une évergète ήσφαλισμένης
αύτης ... διδόναι, «ayant elle-même garanti de verser...»),
renvoyant à L. Robert, Études anatoliennes (1937), p. 458,
n. 2 et à M. Wôrrle in Myra. Eine lykische Métropole
(1975), ρ. 285, η. 714.
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324
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
vendre sa parcelle158. L'absence dans notre texte de prescriptions se rapportant à ces opérations ne
saurait être considérée en toute rigueur ni comme une autorisation, ni comme une interdiction
implicite. La seule interdiction, implicite mais évidente, concerne les étrangers, qui, ne pouvant
hériter, ne sauraient acheter ni prendre en hypothèque la parcelle.
Pour le droit de louer, rappelons en tout cas que, dans le premier lotissement, si notre
explication de υπό τοις κληρούχοις πολείτας est exacte (cf. supra, p. 303), les clérouques avaient
eu le droit d'affermer leurs lots à des citoyens. Le règlement du second lotissement entérine cette
situation, en garantissant à ces fermiers le droit de «rester» à l'avenir sur la terre (μενούσ[ιν έ]ν
τη χώρα οί προγεγεωργηκότες π[άντες]). Quant au droit des clérouques sur leurs lots, qu'il
s'agisse d'une pleine propriété ou d'une simple possession, il est explicitement confirmé pour
ceux qui les exploitaient eux-mêmes, et doit l'être de façon implicite pour les autres.
Du vocabulaire de la présente distribution on ne peut pas tirer d'indication claire sur le
statut juridique des terres : λαμβάνειν (1. 2, 5, 7), διδόναι (1. 5) et εχειν (1. 5, 6, 7) peuvent être
employés dans des situations juridiques très variées159, et διαδεχέσθαι (1. 8) ne permet pas de
définir précisément les droits existant sur la parcelle160. Dans la suite du texte, on trouve certes
une expression qui définit le statut foncier de certains terrains : 1. 22, on lit καθώς [και περί των
δημο]σίων χωρίων περιέχει, « comme il est dit [au sujet des] terrains [publics] » (cf. infra,
p. 333). Mais de quels terrains s'agit-il ? Sont-ce ceux qui composent les parcelles ? Et peut-on en
déduire que la terre distribuée aux particuliers reste « publique », c'est-à-dire que la cité en
demeure propriétaire, comme c'est le cas précisément dans la concession emphytéotique à Thisbé
{SIC? 884, 11. 2, 40, 48) ? À vrai dire, ces « terrains publics » pourraient aussi bien être d'autres
terrains, certes proches des parcelles distribuées aux particuliers, mais distincts de celles-ci et res
tant à la disposition de toute la communauté.
158 Ainsi, les locataires des terrains de Dionysos à Héraclée peuvent vendre le droit aux fruits et céder la terre à des
tiers, mais point l'hypothéquer, cf. Inscr. jurid. gr. I (supra,
n. 127), n° XII, texte I, I. 105-106 et 149-150 et p. 229-234.
À Thisbé, il est interdit d'hypothéquer auprès d'un étranger,
SIG3 884, 47-50.
159 Pour λαμβάνειν, voir les exemples mentionnés supra,
n. 47-48, ainsi que SIG3 332, I. 17, qui montrent la diversité
des contextes où le terme est employé. Διδόναι peut être
employé aussi bien pour la concession en emphytéose que
pour la propriété pleine et entière, cf. respectivement SIG3
302 et 332, aussi Inscr. jurid. gr. Il, p. 257 et I p. 116 et
135; le verbe est loin d'impliquer nécessairement l'abandon
de tout droit de la part de celui qui «donne», par exemple les
rois lagides qui «donnent» des terres à leurs clérouques, cf.
Cl. Préaux, L'économie royale des Lagides (1939), p. 463 et
OGIS 59; voir aussi M. Holleaux, Études d'épigraphie et
d'histoire grecques II (1938), p. 109 et, sur la notion de
δωρεά, M. Wôrrle, Chiron 8 (1978), p. 207-212. "Εχειν
peut signifier soit la propriété, soit la possession, cf.
H. Krànzlein, Eigentum und Besitz im griechischen Recht des
funften und vierten Jahrhunderts v. Chr. (1963), p. 13-16.
160 Pour Cl. Vatin, op. cit., p. 180, «le verbe employé n'est
pas κληρονομεΐν mais διαδέχεσθαι ; il ne s'agit pas à
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proprement parler d'un héritage, par lequel un patrimoine
passe naturellement du père au fils, mais d'une succession,
où le fils (ou tout autre héritier) hérite des droits qui ont
appartenu au père: il lui succède sur le lot, il n'hérite pas
du lot. (...)· Les "lotis" de Delphes n'ont pas la propriété de
leur lot comme ils pourraient l'avoir sur un champ hérité de
leurs ancêtres ». Il ne nous semble pas que le terme διαδέχεσθαι puisse servir d'argument dans cette discussion: le
verbe est surtout employé à propos d'une charge dans
laquelle on succède à quelqu'un, d'une qualité que l'on tient
des ancêtres, plus rarement au sujet d'un bien patrimonial
recueilli par héritage, pour lequel κληρονομεΐν est habituel ;
quelques exemples néanmoins ap. F. Preisigke, Wôrterbuch
der gr. Papyrusurk. s.v. «διαδέχομαι», 1 (cf. ss.w. «διαδοχή» et «διάδοχος »); aussi Justinien, Novelles, e. g. Il 3
pr. I. 42. Compte tenu de ces parallèles, l'emploi de διαδέχεσθαι n'implique pas nécessairement ici des droits restreints sur la parcelle. Le substantif διάδοχος n'indique pas
non plus une telle nuance par rapport à κληρονόμος, cf.
R. Taubenschlag, The Law of Greco-Roman Egypt in the Light
of the Papyri2 (1955), p. 182-183 ; exemples épigraphiques
du substantif à l'époque impériale ap. L. Robert, RPhil
(1939), p. 157 et REA 1960, p. 330 (= Opera minora
selecta II 1310 et 846).
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU II· SIÈCLE APRÈS J.-C.
325
Sur les droits du bénéficiaire sur la parcelle, les clauses relatives au droit successoral nous
ont en revanche donné une indication. Le fait que la parcelle aille à la cité en l'absence de descen
dantdirect s'il n'y a pas eu testament paraît indiquer que, comme à Héraclée, à Thestia ou à
Thisbé, la cité conserve sur celle-ci un droit : elle ne fait alors, nous semble-t-il, que recouvrer la
possession d'une terre dont elle n'a pas cessé d'être propriétaire. Le bénéficiaire de la distribution,
de son côté, n'en a donc que la possession, pour une durée apparemment illimitée (cf. peut-être
[άναφαί]|ρετον « à titre définitif» 11. 7-8), comme dans les trois inscriptions déjà évoquées161.
Entre notre inscription et les documents d'Héraclée, de Thestia et de Thisbé, il faut
cependant souligner une importante différence : l'absence — dans ce qui du moins nous est par
venu du texte — de toute redevance, en argent ou en nature, à verser en contrepartie de l'obten
tion
et de l'occupation de la parcelle. En effet, en dehors du paiement des amendes prévues par
les règlements édilitaires, le seul versement d'argent que prévoit le texte ne porte pas sur le terrain
lui-même, mais sur le rachat des améliorations apportées au terrain.
La concession, si elle est gratuite, oblige-t-elle du moins en contrepartie le preneur à mettre
en valeur le fonds reçu ? Notre texte, à la différence une fois encore des trois documents déjà invo
qués, n'affirme pas explicitement pareille obligation, ni ne mentionne de sanction qui y soit rela
tive — mais nous n'oublions pas le caractère limité de l'argumentation a silentio. La clause des
11. 9-11, si délicate que demeure son interprétation, mentionne assurément des améliorations réali
sées sur le terrain, à savoir des plantations et sans doute des constructions (είσφέροντες τειμήν
των έν τω χωρίω ή πεφ[υτευμένων ή ώκοδομημένων]) : dans une étape postérieure à la présente
distribution, la cité procédera à une estimation des améliorations entre temps réalisées sur le bien
fonds, pour ensuite redistribuer le tout aux έπιγεινόμενοι πολείται (les «successeurs citoyens»?).
Mais ces améliorations sont-elles obligatoires, ou bien facultatives? Il nous semble qu'en toute
rigueur, cette clause ne permet pas d'affirmer qu'elles soient obligatoires. Quant aux 11. 19-21, qui
touchent aux constructions, disons dès à présent (cf. p. 332) qu'elles ne montrent clairement
qu'une chose, la possibilité de construire des habitations dans la zone lotie, ou à proximité imméd
iatede celle-ci : il s'agit d'une possibilité, apparemment point d'une obligation.
Si l'on ne peut donc trouver dans le texte aucune clause qui oblige explicitement le pre
neur à apporter à son fonds des améliorations, il convient en revanche de rappeler que les terres
distribuées à la faveur de ce lotissement étaient au départ vacantes : souvenons-nous qu'est ici
lotie, nous semble-t-il, une partie de la chôra que n'avaient pas occupée ni mise en culture les clérouques du lotissement antérieur, non plus que leurs exploitants. Ce sont donc des terres en
friche depuis plus ou moins longtemps qui sont distribuées par la présente loi : le but, implicite
mais incontestable, de cette distribution est que les bénéficiaires qui les reçoivent à titre définitif
et gratuit les mettent ou les remettent en culture.
161 La durée illimitée de la concession est explicite à Héra
clée, Inscr. jurid. gr. I (supra, n. 127) n° XII, texte I, I. 100 et
p. 230 ; pas de terme temporel fixé à Thestia ni à Thisbé.
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JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Compte tenu des rapprochements qui nous ont paru s'imposer avec les inscriptions
d'Héraclée et de Thestia (succession ab intestat limitée aux descendants en ligne directe) et sur
tout avec l'édit de Thisbé (retour à la cité d'une parcelle en cas de mort sans descendance et sans
testament, rachat des améliorations, interdiction de léguer à un étranger), on peut se demander
si l'on serait en droit d'utiliser à propos de la loi de Delphes la même notion que celle par
laquelle on caractérise la concession des terres d'après ces documents, celle d'« emphytéose ». De
façon explicite ou implicite, plusieurs caractéristiques importantes de la concession des terres
d'après notre loi se retrouvent dans l'emphytéose telle qu'on peut la définir en «droit grec»162:
possession héréditaire, pour une durée illimitée, de terres vacantes, recevant des améliorations,
lesquelles reviendront le cas échéant à la cité avec le fonds. Mais une différence est suffisamment
importante pour nous interdire de considérer que les terres de Delphes relèvent de
l'emphytéose : le caractère probablement gratuit de la concession s'oppose à la redevance qui est
toujours prescrite dans les baux emphytéotiques, même si elle est généralement peu import
ante163. Notons aussi que l'emphytéose a toujours pour fondement un contrat, et que cette
caractéristique est absente de notre inscription.
On ne trouve pas davantage de parallèle exact dans les textes relatifs aux différentes formes
d'exploitation concédées par les Romains sur Γ ager publicus, puis sur les domaines impériaux.
C'est que le versement d'une redevance, quelle qu'en soit l'importance, est, en droit romain
comme en droit grec, l'indication constante et première que la cité (ou le Prince) maintient sur
une terre son droit de propriété, et la capacité, plus ou moins limitée, de transmettre à un héritier
n'est alors qu'un privilège, destiné à encourager ou à reconnaître les améliorations que le posses
seurapporte au terrain qui lui est concédé. Le texte de Delphes combine une absence de rede
vance (et d'obligation explicite d'amélioration du fonds), qui est normalement l'indice d'une dis
tribution
en pleine propriété par opposition à la concession d'une simple possession, et d'autre
part des restrictions au droit de transmission des terres distribuées qui limitent ce droit de pro
priété et conservent manifestement à la cité une sorte de droit eminent.
162 Voir W. Kamps, Ioc. cit. {supra, n. 139), p. 67-121, qui,
après analyse des exemples, aboutit à la définition
suivante : « l'emphytéose hellénique constitue un usufruit
héréditaire, concédé à perpétuité ou à durée illimitée, sur
des fonds ruraux, contre une redevance inférieure à la valeur
locative des terres de même catégorie, mais à charge pour
l'emphytéote de faire des plantations ou constructions qui
demeurent acquises au maître du fonds» (p. 119). Sur
l'« emphytéose» dans le monde grec, voir aussi P. GUIRAUD
et F. Baudry, Diet. Antiqu. gr. et rom. Il (1892), s.v. «Emphyteusis», p. 605-609; L. BEAUCHET, Histoire du droit privé de
la république athénienne (1897), III, p. 309-317 et IV,
p. 198-203; justes remarques de L. GERNET, «Aspects du
droit de propriété en Grèce», Confer, publiée dans AnnPisa
10 (1980), p. 1309-1328, p. 1313-1314 sur l'emphytéose.
C'est sous l'influence du droit romain du Bas-Empire, rappelons-le, que l'on a pris l'habitude de parler d'« emphytéose»
BCH122 (1998)
pour des pratiques attestées en Grèce dès l'époque classique; mais jusqu'au Haut-Empire compris les Grecs ne
paraissent pas avoir eux-mêmes employé ce mot comme un
terme juridique. Les mots «emphyteusis», «emphyteuta»,
« emphyteuticarius » n'apparaissent de façon sûre qu'avec
une série de constitutions de Constantin des années 315323: Codex lustinianus XI 62 (61), 1; XI 63 (62), 1; Codex
Theodosianus XV 3, 1 = Clust. XI 65 (64), 1; CTh IV 12, 3;
C77?XI 16, 2; CTh II 25, 1; « emphyteuticus » n'est peut-être
qu'interpolé dans une constitution de Dioclétien et Maximien
datée de 293, Clust V 71, 13, et l'interpolation est certaine
dans Macer, Digeste II 8, 15, 1.
163 Ainsi, à Héraclée, le loyer est minime, Inscr. jurid. gr. I,
p. 232, à Thestia il est symbolique (cf. supra, n. 126), à
Thisbé, nul durant les cinq premières années, laissé à l'appréciation du preneur pour la suite, SIG3 884 et supra,
p. 320 et n. 147.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS \A.
327
Mais les distributions de terres organisées par les cités, en Grèce puis à Rome (au moins à
partir des Gracques), n'ignoraient pas de telles restrictions, par exemple lorsqu'elles interdisaient
la vente des lots164. Les terres distribuées par une cité le sont dans un but donné (assurer la subsis
tance d'une colonie de garnisaires chargés de contrôler un territoire; maintenir ou rétablir un
nombre suffisant de citoyens disposant des moyens économiques nécessaires pour servir la cité
comme soldats ; favoriser le défrichement de terres vierges au profit du corps civique) et la cité
peut fixer certaines règles pour éviter qu'il soit négligé. Il est tout naturel, de ce point de vue, que
la distribution de Delphes, réservée à des citoyens, soit assortie de l'interdiction de transmission à
un étranger. Quant aux principes qui avaient défini le choix des bénéficiaires de la distribution au
sein même du corps civique, ils risquaient d'être remis en cause dès lors que les terres ne passaient
pas à des héritiers en ligne directe. Aussi ne saurait-on être trop surpris qu'eux seuls aient la capac
itéd'hériter ab intestat. On peut considérer en revanche que la cité a su ne pas abuser des droits
souverains qu'elle conservait sur les terres distribuées, en n'exigeant pas le versement d'une rede
vance, et en accordant aux bénéficiaires et à leurs descendants le droit de léguer par testament
leur parcelle à tout citoyen de leur choix.
VZ Mesures de police édilitaire (II. 11-26)
Dommage aux cultures (II. 11-12)
À la 1. 12 apparaît une disposition portant sur les productions du sol et sur un droit donné
à la victime d'un préjudice : on lit assurément [καρ]πούς ή δένδρα ήμερα ή άμπέλου[ς, έχ]έτω
έξουσίαν ό άδι[κούμενος
]. Rappelant les plantations de la 1. 10 (των έν τω χωρίω ή
πεφ[υτευμένων]), cette disposition se rattacherait-elle aux clauses précédentes de la loi et concern
erait-elle
à nouveau l'estimation des améliorations, dans laquelle l'acheteur pourrait être lésé ? Le
substantif féminin disparu dans la lacune de la 1. 12 pourrait alors être timèsis165. Mais, à l'encontre de cette interprétation, on peut objecter avec Cl. Vatin « que cette clause ne serait pas à sa
place et qu elle devrait se trouver avant l'interdiction de léguer» (op. cit., p. 1 14).
164 Ainsi, il semble bien que la terre distribuée aux clérouques athéniens au Ve s. av. J.-C. ne leur appartenait pas
et que la propriété en demeurait collectivement à la cité, cf.
Ph. Gauthier, REG 79 (1966), p. 70. Par ailleurs, le kléros
était inaliénable dans plusieurs législations anciennes de
Grèce, telles qu'elles nous sont rapportées par les auteurs,
sans qu'il soit toujours facile d'établir ce qu'il en fut réellement, par exemple à Sparte ; cf. D. Asheri, Distribuzioni di
terre nell'antica Grecia (1966), p. 16-21 et J. DUCAT, « Le
citoyen et le sol à Sparte à l'époque classique», AFLNice 45
(1983), ρ. 143-166, partie. 159-160. À Rome, inaliénabilité
des distributions gracquiennes (Appien, Bellum civile I 10,
38), qu'on a précisément considérée comme l'indication
d'une influence du modèle Spartiate, cf. Cl. Nicolet, REA 67
(1965), p. 150. Il est vrai que l'inaliénabilité des distributions gracquiennes était peut-être indissociable du versement d'un uectigal marquant symboliquement les droits éminents conservés sur ces terres par le peuple romain, cf.
Plutarque, Caius Gracchus IX 2; en ce sens D. Stockton,
The Gracchi (1979), p. 42.
165 Pour timèsis, cf. e. g. SIG3 364, I. 3, 4, 12, etc. ; LSJ
s.v. La restitution έν ταύτη [τη τιμήσει περί καρ]πούς ή
δένδρα ήμερα ή άμπέλου[ς] pourrait convenir à la taille de
la lacune.
BCH122 (1998)
328
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Cl. Vatin préférait donc voir dans cette phrase «la conclusion du chapitre concernant la répar
tition proprement dite, avant les règlements édilitaires et les diverses servitudes imposées aux bénéfic
iaires», et il restituait: [εί δέ τι άμφισβήτη-]|μα γένηται έν ταύτη [τη διαιρέσει περί καρ]πούς ή
δένδρα ήμερα ή αμπέλου[ς, έχ]έτω έξουσίαν ό άδι[κεΐσθαι δοκών μεταβήναι έν τοις κλήροις εις
τα περισσεύοντα]. Ainsi, celui qui dans la répartition se verrait attribuer une parcelle médiocre, dont
les productions ne le satisferaient pas, aurait le droit d'échanger son lot contre un autre, comme les
bénéficiaires de la clause d'échange de la 1. 6166. Mais l'on reste surpris par la place de cette clause,
ainsi que par l'idée d'un échange se fondant uniquement sur la valeur des cultures de la parcelle. On
hésite d'autre part à accepter comme supplément le terme [άμφισβήτη]μα, fort rare167.
S'agissant d'un préjudice, le substantif neutre en -μα pourrait n'être autre qu αδίκημα, que
l'on rencontre souvent dans les inscriptions avec γίγνεσθαι, pour désigner les dommages faits à
un territoire, κατά ou περί suivis de l'accusatif, e. g. την χώραν168. On pourrait ainsi écrire [εί δέ
τι άδίκη-]|μα γένηται έν ταύτη [τη 4-5 1. κατά velitepi καρ]πούς ή δένδρα ήμερα ή άμπέλου[ς,
έχ]έτω έξουσίαν ό άδι[κούμενος
] : « si un [dommage] est causé dans cette [
aux]
récoltes, aux arbres cultivés ou aux vignes, la victime aura le droit de [
] »169. Il reste que nous
ne voyons pas à quelle circonstance, précédemment évoquée dans le texte, renvoie le démonstrat
if
ταύτη. On pourrait certes combler la lacune en écrivant έν ταύτη [τη χώρα κατά καρ]πούς,
mais notre loi ne désigne pas la terre lotie par un démonstratif (cf. 1. 2, 3, 4 et 27 et p. 302).
Si nous retenons cette interprétation170, cette disposition, au lieu de clore le chapitre pré
cédent
en se rapportant au rachat des améliorations ou à la répartition des parcelles, pourrait
n'être que la première du chapitre suivant : parmi les règlements de police édilitaire, figurerait en
premier lieu une clause définissant les droits de celui dont les cultures ont subi un dommage,
peut-être à cause de son voisin dans le lotissement.
Chemins et routes (II. 13-14)
La stipulation suivante porte sur les chemins et les voies, δεγμανα τα ώρισμ[ένα και όδοι
α]ί άναγκαΐαι, couple de noms que l'on retrouve 1. 27. Δεγμανα est un hapax, pour lequel se
présentent cependant deux rapprochements. Les dictionnaires de grec connaissent le mot
166 Cl. Vatin, op. cit., p. 113-116 et 163. Pour διαίρεσις à
propos de partage du sol, cf. e. g. SIG3 364, I. 14 (έαν δέ
τίνες διαμφισβητήσωσιν τηι γεγενημένηι διαιρέσει),
23, 24 ; /. Priene 37, I. 119.
167 Le mot ne semble pas attesté dans les inscriptions ; il
apparaît dans un papyrus du ine s. ap. J.-C., P. Oxy. 1503 et
chez les auteurs, cf. Diccionario griego-espanol s.v.
168 Voir les exemples réunis par M. Holleaux, Études d'épigraphie et d'histoire grecques I (1938), p. 144 et 146, IV
(1952), p. 148, n. 1; aussi Tituli Camirenses, n° 110, 36:
γενομένων αδικημάτων περί τα όρια τα κοινά Καμιρέων
καΐ Λινδίων ; SEG 3, 674, A 6.
BCH122 (1998)
169 Pour δένδρα ήμερα, cf. SIG3 964A; Inscr. jurid. gr. I,
n° XII, texte I I. 172; IG II2 1241, I. 24-25; cf. IG II2 2493,
Ι. 18 et SEG 33, 1034 A3; dans une comparaison, SIG3
889, 8-9.
170 Signalons la restitution que nous a proposée
Fr. Salviat: [εί δέ τι άμφισβήτη-]|μα γένηται έν ταύτη [τη
τιμήσει περί καρ]πούς ή δένδρα ήμερα ή άμπέλου[ς,
έχ]έτω έξουσίαν ό άδι[κεΐσθαι λέγων έπικαλεΐν —].
Pour notre part, comme nous l'avons dit, nous hésitons à
retenir άμφισβήτημα, et surtout à admettre que l'on
revienne, après l'interdiction du legs à un étranger, à l'estimation dont il a été question à la 1. 11.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU II* SIÈCLE APRÈS J.-C.
329
δεγμόν, attesté par le seul Hesychius, qui le glose précisément comme όδόν171. Mais l'on hésite à
expliquer ainsi δεγμανον : si un substantif tel que δεγμός peut avoir été formé à partir de δέχο
μαι, il paraît plus difficile de postuler à partir de ce nom une dérivation secondaire en -ανον172. Il
faut donc, conformément à une suggestion de Cl. Vatin, reconnaître dans δεγμανον la transcrip
tion
du latin decimanus/decumanus, morphologiquement possible173. La loi de Delphes révèle
donc un emprunt au vocabulaire latin de la centuriation ; le couple δεγμανα και όδοι pourrait
même évoquer l'expression limites decumaniqueX7A .
En revanche, on cherche en vain des parallèles latins à l'expression δεγμανα τα ώρισμένα,
comme à όδοι ai αναγκαίοι, qualification inconnue en grec également. L'on n'est certes pas sur
pris que les chemins aient été bordés par des bornes, celles qui limitaient les lots de terre175. Mais il
est plus délicat de définir ce qu'étaient les όδοι ai αναγκαίοι : «voies indispensables» à la circula
tion
de tout un chacun, par opposition à des voies dont l'existence n'est qu'éventuelle, entre ou à
travers les parcelles ? Telle est la distinction que l'on retrouve dans la loi des astynomes de Pergame,
qui définit la largeur des voies rurales, à l'exception des sentiers de strict voisinage176. On pourrait
également voir dans les όδοι ai άναγκαΐαι des « voies de servitude », qui, se trouvant à l'intérieur
d'une parcelle, seraient dépourvues de bornes, à la différence des δεγμανα. Il reste que nous ne
connaissons pas d'attestation d'άvαγκαîoς dans ce sens. Bien que la loi les distingue, δεγμανα et
όδοι devront avoir la même largeur, dix pieds (εξουσιν πλάτος [ποδών] ι)177.
171 δεγμόν όδόν. Κ. Uvtte, Hesychii Lexicon (1953) s.v.
n'hésitait pas, sur la seule foi d'un toponyme (« cf. Δοκιμον
Mileti portum »), à corriger cette glose en όρμον.
172 P. Chantraine, Diet. Étym. Lang. Gr. mentionne prudem
mentla glose d'Hésychius à l'article «δέχομαι». Sur les
suffixes -μος et -avo-, cf. P. Chantraine, La formation des
noms en grec ancien (1933), p. 134-136 et 197-200. À
Delphes dans l'accord frontalier entre deux cités locriennes
FD III 4, 42 apparaît ά οδός ά δοχμάς, à rapprocher cepen
dantde l'adjectif δοχμός, et non de δέχομαι.
173 Cl. Vatin, op. cit., p. 226. La syncope du u non accen
tuédans les mots latins est de règle dans les inscriptions
grecques, cf. L. Threatte, The Grammar of Attic Inscriptions I
(1980), p. 406-407 et F. T. GlGNAC, A Grammar of the Greek
Papyri I (1976), p. 309-310. D'autre part, le changement de
genre allant de pair avec la transcription en grec est attesté :
cf. F. T. GlGNAC, op. cit., Il (1981) p. 8 et 23 et S. Daris, //
lessico latino nel greco d'Egitto (1971), partie, p. 19-20:
e. g. cursus/κονρσον.
174 Pour cette expression, cf. M. Crawford (éd.), Roman
Statutes (1996), n° 54, ch. 4 et 5 (/ex Iulia agraria, préten
due
lex Mamilia Roscia Peducaea Alliena Fabia, 59 av. J.-C.)
et n° 25, ch. 104 (lex Coloniae Genetiuae Iuliae, qui s'ins
piresur ce point de la loi précédente ; 44 av. J.-C.).
175 Ainsi, les lots mis en location à Héraclée au IVe s. av. J.-C.
sont bornés, Inscr. jurid. gr. I, n° XII, I I. 53-93 et II I. 28, ...
De même, les centuries sont limitées par des bornes, cf.
e. g. Siculus Flaccus, p. 152-154 Lachmann = 116-118 Thulin ; Hygin, p. 172, 173 et 196 Lachmann = 136, 138 et
159 Thulin ; Faustus et Valerius, p. 307-308 Lachmann ; cf.
E. FABRICIUS, RE XIII (1926) s.v. «Limitatio», col. 680. On
connaît par ailleurs en Grèce des bornes de route : cf.
P. Collart, BCH 57 (1933), p. 364 et n. avec les références
données par L. Robert, signalant qu'elles peuvent «marquer,
plutôt que l'alignement d'une route, son point de départ»;
voir aussi The Athenian Agora XIX (1991), p. 13-14.
176 OGIS 483, I 23-29 et n. 13 : εστωσαν δε των κατά την
χώραν οδών αί μεν λεωφόροι μη έλάσσους τό πλάτος
πηχών εϊκοσιν, αί δε άλλαι μη έλάσσους πήχων οκτώ,
έαν μή τίνες κατά τας γειτνιάσεις ένεκεν της προς αλλή
λους διόδου άτραποίς χρώνται : « Quant aux routes de la
campagne, les voies principales auront une largeur d'au
moins vingt coudées (env. dix mètres), les autres pas moins
de huit coudées (env. quatre mètres), sauf pour les passages
utilisés par les voisins pour aller d'un bien à l'autre» (trad.
R. Martin, L'urbanisme dans la Grèce antique2 [1974],
p. 58). Sur cette loi de l'époque attalide, cf. D. Hennig, Chiron 25 (1995), p. 248, n. 43, qui rappelle aussi n. 44 l'in
scription
d'Érythrées /. Erythrai 151, distinguant les οδοί
δημόσιοι
nos
25-29, distinguant
des όδοι άνδροβασμοί
les οδοί et les; άνδροβάμονες.
cf. également IC III, ill,
177 Pour la largeur des chemins, on peut citer à titre de comp
araison,
mis à part la loi de Pergame (n. préc), les tables
d'Héraclée, Inscr. jurid. gr I, n° XII, où les voies vont de 8
pieds (II 45) jusqu'à 100 (II 24), en passant par 20 pieds (I
62, II 43) et 30 pieds (I 16, II 11); dans la table d'Halaesa,
IG XIV 352, I 62 un chemin de 6 pieds; dans IG IX 1, 61, une
voie de 2 kalames (=? 20 pieds); dans /. Ephesos 3, une
voie de 20 pieds. Dans les centuriations, Hygin indique une
largeur de 40 pieds pour le decumanus maximus, 20 pour le
kardo maximus, 12 pour les autres decumani et kardines,
8 pour les voies secondaires (subrunciui limites), p. 194
Lachmann = 157 Thulin, cf. 168-169= 133-134; cf.
E. FABRICIUS, REXIII (1926) s.v. «Limitatio», col. 677-678.
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JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
330
L'interdiction d'enlever [les bornes] est sanctionnée par une amende dont le tiers ira au
dénonciateur: ει δε τις άφαιρήτ[αι ? τους όρους? 27 lettres ?,]| άποδότω τη πόλει δ[ηνάρια 1 1.
και] τω προσανγείλαντι178 διδό[σθω το] γ μέρος. Cette interdiction trouve des parallèles à la
fois dans les textes grecs et dans la législation romaine, par exemple la lex Iulia agraria179.
Eaux (II. 14-19)
À la ligne 14 s'ouvre un chapitre consacré aux eaux: on pourrait s'étonner de l'asyndète
"Υδατα τα, que le vacat ne suffit pas à justifier (cf. 1. 21 et 26). Mais l'on retrouve la même suc
cession
de phrases coordonnées et d'asyndètes par exemple dans la lettre d'Hadrien à Delphes FD
III 4, 302 col. IL II n'y a donc pas à voir ici un titre de chapitre ("Υδατα* τα [ — ]).
Quelle était l'interdiction ([μηδε-]|νί έξέστω) stipulée au début de ce chapitre? Après
ΑΠΟΚΛΕΙ subsiste l'extrémité supérieure d'une haste verticale, qui fait songer d'abord à un Ν :
Cl. Vatin suggérait d'écrire άπό κλειν[ίων κωλΰσα]ι («empêcher par des barrages»), le nom
κλεινία étant attesté dans un papyrus datant du IVe ou du Ve s. ap. J.-C.180. Mais on hésite à
retenir cette restitution fondée sur un hapax et présentant un tour un peu étonnant pour le sens
voulu, από suivi du génitif. On cherchera plutôt un verbe : plutôt que de supposer une forme
d'aîTOKÀivco (avec ει pour ι par iotacisme ; « détourner », mais nous ne pouvons citer d'exemple
d'un tel emploi du verbe), la solution la plus vraisemblable nous paraît être άποκλείε[ιν] « empêc
her», la trace visible étant peut-être alors l'extrémité de la haste verticale d'un E181. On combler
ait
la lacune en écrivant άποκλείε[ιν ή κωλύει]ν182.
178 Pour l'emploi du composé προσαγγέλλω, cf.
Ph. Gauthier, M. B. Hatzopoulos, op. cit. (supra, n. 141),
p. 21, Β 32 et les références p. 88, n. 3; le terme est fréquent à l'époque impériale, cf. OGIS 483, n. 20 et
M. Wôrrle, op. cit. (supra, n. 46), p. 8, I. 37 ; aussi dans
les inscriptions funéraires de Lycie et de Termessos, cf. ΤΑΜ
Il 439, 448, 487, 524 et ΤΑΜ III, Indices p. 354.
179 Ainsi, à Chios au Ve s. av. J.-C., Dial. Graec. Exempta 688:
ην τίς τίνα των όρων τούτων ή έξέληι ή μεθέληι η άφανέα
ποιήσει έπ' άδικίηι της πόλεως, εκατόν στατήρας όφειλέτω
κατιμος έστω; Platon, Lois VIII 842&643b. Dans la lex Iulia
agraria déjà évoquée supra (Roman Statutes n° 54), après le
chap. 4 qui punit toute modification illégale des limites decumanique, le chap. 5 prévoit pour celui qui enlève ou déplace les
bornes une amende dont la moitié ira au plaignant: «Et si is
unde ea pecunia petita erit condemnatus erit, earn pecuniam
ab eo deue bonis eius primo quoque die exigito (se. quicumque
magistratus iure dicundo praeerit), eiusque pecuniae quod
receptum erit partem dimidiam ei, cuius unius opera maxime is
condemnatus erit, dato, partem dimidiam in publicum redigito».
Plus généralement sur l'évolution de la législation romaine en
la matière, voir G. McCORMACK, «Terminus motus», RIDA 26
(1979), p. 239-260, avec la bibliographie antérieure ; notamment p. 251-254 (sur la lex Iulia agraria) et 254-259 (sur un
rescrit d'Hadrien connu par Digeste 47, 21, 2).
BCH122 (1998)
180 StudPal VIII 1023: fourniture de briques εις τρία κλεινία έπ[1 της] επάνω διώρυγος. Cf. aussi Vhapax κλεινοστατέω dans PRein 117 (IIIe s. ap. J.-C.): Μη έξέλθης τη
άναβάσει εως αν κλεινοστατήσης τ[ό] ήμισυ του χωρίου
(« Ne sors pas au moment de la crue, sans avoir fermé
l'écluse qui commande la moitié de la propriété »).
181 Cf. le décret des Battynaioi de 193 ap. J.-C. A. RiZAKlS,
G. Touratsoglou, Επιγραφές 'Άνω Μακεδονίας (1985),
η° 186, 1. 14-15 : χαρακισμοΰ τε και νομής άποκλείουσιν
καΐ αφαιρούνται τους πολείτας και διόδων. Le verbe se
trouve à propos d'une opération hydraulique dans le contrat
d'assèchement d'un marais à Érétrie IG XII 9, 191 A 25-27:
fi να έξη αύτ]οις (scil. τοις γεωργοίς) άποκλείσασι τον
ύπόνομον χρήσθαι τώι ϋδατι, mais il ne paraît pas possible
de lui donner le même sens dans notre texte («qu'il ne soit
permis à personne de fermer... »), si τους βουλομένους
appartient à la même proposition.
182 Pour κωλύειν dans ce contexte, cf. R. Koerner, «Zu
Recht und Verwaltung der griechischen Wasserversorgung
nach den Inschriften », APF 22-23 (1974), p. 155-202,
p. 176-177, citant notamment IG II2 2494, 9-11 restituée
par Ad. Wilhelm, Griech. Inschriften rechtlichen Inhalts
(1951), p. 72 : [χρήσεται δε τώι ϋδατι τώι] ρέοντι άπό
της κ[ρήνης ό τι αν βούληται, έτερον ούδέ]να κωλύων
άρδεύε[ιν τώι ϋδατι τό 'ίδιον χωρίον] ; SIG3 736, 105 :
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
331
II paraît donc interdit d'empêcher l'utilisation, soit de l'eau recueillie (τους βουλομένους
χ[ρήσασθαι το] συνλογιμάίον ύδωρ183), soit peut-être plutôt d'une première catégorie d'eaux,
déjà mentionnée à la fin de la 1. 14, après laquelle on passerait au cas de l'eau recueillie: [και
μηδε-]|νι έξέστω άποκλείε[ιν ή? κωλύει]ν τους βουλομένους χ[ρήσθαν τό δέ] συνλογιμαΐον
ΰδωρ κτλ. Il se pourrait alors que le chapitre relatif aux eaux traite successivement 1. 14 des eaux
courantes ("Υδατα τα [ρέοντα?]184), 1. 15 de l'eau accumulée (συνλογιμάιον) dans un réservoir
naturel ou artificiel, puis 1. 18 des sources (πηγάς): comme l'avait signalé Cl. Vatin {op. cit.,
p. 218), on retrouve ces catégories dans les Météorologiques d'Aristote185.
Il est impossible de restituer le début de la 1. 16, NON [ca 22 lettres] ΟΣ παν ΰδωρ έν
κύκ[λω186? πλάτος] ποδών ι. Cl. Vatin {op. cit., p. 221) se représentait l'eau recueillie (συνλογιμαΐον ύδωρ) dans un réservoir entouré d'un périmètre de protection d'une largeur de dix
pieds187. Cette largeur égale à celle des chemins et des voies de la 1. 13 expliquerait que la contra
vention au règlement (και μηδενι έξέσ[τω
]) soit punie des mêmes amendes que celles fixées
au sujet des chemins : ει μη188, ΰ[πεύθυνος έστω τοΐ]ς περί των δεγμανων ώρισμ[ένοις
προστ]είμοις189. On est surpris par le pluriel τοις προστείμοις, alors que les 11. 13-14 ne parais
sentdéfinir qu'une seule amende.
La ligne 18 mentionnait peut-être le fait de jeter (βολή190) quelque chose dans les eaux,
puis l'accès à toutes les sources ([π]ρο[ς δε τας? υπάρχουσας] πηγάς πάσας), sans doute permis à
tous (πασιν π[ρόσ]οδος191 [έστω]). Cette clause paraît complétée par l'interdiction d'édifier et
d'enclore, peut-être pour laisser libre l'accès à ces eaux (μηδενι έξέστω T.-IO [ca 18 lettres] ΟΥ
οίκοδομείν ή περιφρ[άσσειν]).
όπως (...) ρεΐ τό ΰδωρ και μ[ηθ]ε[1ς ά]ποκωλύει τους
χρωμένους, et l'inscription de Thestia supra, n. 126.
183 La construction avec l'accusatif est bien attestée dans
la langue post-classique, cf. LSJ s.v. «χράομαι» § VI, citant
notamment PTebt. 273 (il/ine s. ap. J.-C.) : ϋδωρ χρω. L'ad
jectif συλλογιμαίος ne paraissait jusqu'à présent attesté
que chez les auteurs, cf. n. 185.
184 Pour une telle expression, voir supra, n. 182, ainsi que
le bail du jardin d'Héraklès à Thasos, Cl. Vatin, BCH 100
(1976), p. 560-561 : Ό μισθωσάμενος τόν κήπον του
Ήρακλέος τόν [προς τας πύλας? ϋδατι χρήσεται τώι
παρά τον κήπο]ν ρέοντι όταμ μη ή πόλις χρήται.
185 Météorologiques 353b : Aristote distingue les eaux cou
rantes (ρυτά) et les eaux stagnantes (στάσιμα), et parmi
ces dernières, celles qui se forment par accumulation (συλλογιμαΐα) et celles qui proviennent de sources (πηγαία).
Platon, Lois VIII 845e, distingue de même l'eau πηγαΐον et
l'eau συναγυρτόν (dans une citerne).
186 Pour l'expression έν κύκ[λω], cf. LSJ; IG I3, 474 I. 41,
61, 68.
187 Dans CIL IX, 4791 et Digeste VIII 3, 30, il est question
d'un terrain large de dix pieds adjacent à une source, terrain
dont le propriétaire de la source a acquis ou conservé la
propriété ou sur lequel il s'est assuré une servitude de pas
sage. Dans le texte de Delphes, il semblerait plutôt s'agir
d'un réservoir et d'un terrain adjacent qui doivent rester
accessibles à tous et sur lesquels il est interdit d'empiéter
sous peine d'amende.
188 Nous avons hésité à interpréter les quatre premières
lettres de la I. 17 comme une protase elliptique, car on
attend une particule (ει δε μή) ; exemple cependant de ει μη
sur un monument funéraire de Nicomédie du me s. ap. J.-C.
publié par L. Robert, Hellenics XI-XII (1960), p. 387 (ΤΑΜ IV
1, 376) ; cf. aussi Sammelbuch 12106.
189 La restitution de Cl. Vatin, ύ[πεύθυνος έστω τοΐ]ς περί
των δεγμανων ώρισμ[ένοις προστ]είμοις, convient parfa
itement aux espaces disponibles ; elle trouve des parallèles
à l'époque impériale dans SIG3 1109, I. 144-146 (Athènes,
161-178); 1233 (Cilicie); à Aphrodisias de Carie au Ier s.,
B. Laum, Stiftungen II (1914), n° 100, I. 53-55 (Ier s.); /.
Ephesos 3217b, I. 37 et 41-42 (113-120).
190 Dans les lettres ΗΒΟΛΗ on ne peut reconnaître ni les
noms έπηβολή et κατηβολή, en raison de la coupe syllabique respectée dans l'inscription, ni le verbe βολέω, rari
ssime, cf. LSJ et Diccionario griego-espanol s.v. Pour le nom
βολή, cf. les mêmes dictionnaires: le sens de «jet» ne
paraît connu que chez les auteurs.
191 Πόθοδος dans le sens de sentier d'accès dans la table
d'Héraclée Inscr. jurid. gr. I, n° XII, texte II, 43, 46, 52 etc. ;
dans la table d'Halaesa, IG XIV 352, 53 et 62.
BCH 122 (1998)
332
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Si lacunaire qu'il soit, ce chapitre de la loi paraît donc définir les conditions d'utilisation
des eaux de diverses catégories, entre autres afin que chacun puisse y accéder: ce sont donc
autant de servitudes qui doivent toucher les parcelles du lotissement.
Constructions (II. 20-21)
[
] δύνασθαι [κατασκ]ευάζειν οίκήσε[ι]ς· εί δε [τις? αίτησάμενος] εις οίκοδομήν
τόπον μη ο'ίκ[ησιν? 12 lettres? κατασκ]ευάση,| ή αίτησις ΑΛ[
]~ [ . ] τφ βουλομένφ [12
lettres α]ίτεΐσθαν ''προς δε τας ΟΙΚ [ — ]
Dans ces restes on ne distingue clairement qu'une chose, la possibilité de construire des
habitations, dans la zone lotie ou à proximité immédiate de celle-ci. Il semble que l'obtention
d'un terrain à bâtir, qui devait venir s'ajouter à la parcelle, ait été liée à une demande, mais les
règles qui régissaient la procédure nous échappent.
Pour la ligne 20, dans l'intervalle disponible après ο'ίκ[ησιν] on pourrait supposer l'indica
tion
d'un délai imparti pour la construction. On peut également restituer εί δε [τις? αΐτησάμενος] είς οίκοδομήν τόπον μη οίκ[οδομήση μηδ' οϊκησιν κατασκ]ευάση, auquel cas on distin
guerait peut-être l'édification ex nihilo (οικοδομεί v) de la réfection (κατασκευάζειν)192. De
toute façon, rappelons que la restitution [κατασκ]ευάση reste hypothétique, en raison de la place
incertaine du fragment portant les lettres ΤΑΣΗ. Pour la 1. 21, on est de prime abord séduit par
la restitution de Cl. Vatin, qui convient assez bien aux espaces disponibles : [άκυρος έστω] ή
αίτησις, άλ[λα έξέσ]τ[ω] τω βουλομένφ [τόν αυτόν τόπον α]ίτεΐσθαι. Mais dans un tel tour on
attend καί, et non αλλά. Nous nous abstiendrons de restituer cette ligne si lacunaire.
Il est difficile de définir l'objet de la ligne 1. 22 : [
] Y λεγομένου εως [τώ]ν Στενών,
καθώς [και περί τών δημο]σίων χωρίων περιέχει, ΚΑ[— ]193. On lisait sans doute l'indication
de limites topographiques, depuis un lieu-dit (λεγομένου), jusqu'aux Στενών, le Défilé194. Mais
quel était l'espace délimité? Pour Cl. Vatin {op. cit., p. 124, 165 et 222-223), après l'évocation
des terrains à bâtir 11. 20-21, cette clause délimitait leur extension. Il y aurait donc une zone rés
identiel e
précisément définie, dont les 11. 23-26 régleraient ensuite l'aménagement : en particulier,
la réglementation relative au dépôt des ordures, peu justifiée pour quelques fermes isolées et dis
persées,
confirmerait l'existence d'un habitat groupé. Tout cela impliquerait donc la création
192 Mais on sait que chacun des deux verbes peut prendre
ces deux sens, cf. M.-Chr. Hellmann, Recherches sur le
vocabulaire de l'architecture grecque (1992), s.v.
193 [δημο]σίων nous paraît être le seul complément qui
convienne à χωρίων. Pour des parallèles au tour καθώς ...
περιέχει, cf. SIG3, OGIS et C. B. Welles, Royal Correspondance in the Hellenistic Period, A study in Greek Epigraphy
(1934), indices s.v.; supra, n. 126 (avec sujet); sans sujet
BCH122 (1998)
exprimé comme ici, ajouter aux trois exemples donnés par
F. Debrunner, MusHelv 1 (1944), p. 40 (Bull. 1944, 30), les
inscriptions d'époque impériale J. et L. Robert, La Carie II
(1954), n° 168 et /. lasos 634.
194 Nous considérons Στενών comme un toponyme puisque
le texte ne précise pas le mot. Sur ce toponyme dans le
monde grec, cf. L. et J. Robert, Claros I (1989), p. 75, n. 72
avec bibliogr.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU II· SIÈCLE APRÈS J.-C.
333
dans la chôra lotie d'un bourg rural, différent de la ville de Delphes. L'étendue des lacunes nous
empêche cependant d'être aussi affirmatifs : ces lignes suggèrent l'existence d'un habitat rural, qui
pourrait être dispersé aussi bien que groupé.
À propos de la stipulation καθώς [και περί των δημο]σίων χωρίων περιέχει, « comme il
est dit [au sujet des] terrains [publics] », nous avons déjà souligné supra, p. 324, qu'on ne peut
déterminer si les « terrains publics » ici mentionnés sont ceux qui composent les parcelles distr
ibuées, ou bien s'il s'agit d'autres terrains.
Ordures (II. 23-24)
Les 1. 23-24 interdisent de jeter des ordures, pour éviter de polluer des eaux195. Il est délicat
de restituer les lacunes. Cl. Vatin écrivait: [μ]ηδε[νί δ]έ έξέστω κό[π]ρον επάνω των ύδ[άτων εξω
του προσ]ωρισμένου χωρίου π[αραβάλλειν], « qu'il ne soit permis à personne de jeter des ordures
en amont des eaux en dehors du terrain destiné à cet effet ». Mais à la fin de la ligne le Π est suivi
d'une haste verticale. En outre, on ne peut pas retrouver le même verbe παραβάλλειν au début de
la 1. 24, car la trace visible avant β[ά]λλοι invite à écrire avec Cl. Vatin [εί δέ τι]ς β[ά]λλοι, ou [εί]|
[δέ τις εί]σβ[ά]λλοι, vel [έ]γβ[ά]λλοι196. C'est donc peut-être plutôt (έγ/είσ)βάλλειν qui se trou
vait dans la lacune à la fin de 1. 23, les traces Π I ne pouvant en l'état actuel être interprétées. Aupar
avant, on pourrait aussi restituer e. g. κό[π]ρον επάνω των ύδ[ρείων εξω του περι]ωρισμένου
χωρίου, «jeter des ordures en amont des réservoirs en dehors du terrain délimité»197: peut-être étaitil donc obligatoire, sur les pentes dominant des réservoirs, de jeter ses ordures à l'intérieur d'une
décharge publique délimitée et placée de façon qu'il n'y eût point ruissellement jusqu'à ces réservoirs.
Après la mention d'une route partant d'un point défini ([ό]δός ή από του Ι198), figure 1. 25
une interdiction que Cl. Vatin restituait ainsi : [μηδε]νι δέ έξέστω τας δημοσίας [έλα]ί[ας κόπτειν και κατα]λύειν τους προσιόν[τας πόρους τη πόλει]. Mais cela ne s'accorde pas avec ce que
nous voyons après δημοσίας, à savoir une lacune de deux lettres au maximum avant le haut
d'une haste verticale, puis une lacune d'environ 21 lettres. Quant à ce qui suit, on pourrait aussi
bien y reconnaître [κω]λύειν τους προσιόν[τας]. On ne peut déterminer quels biens publics
étaient l'objet de cette clause : la haste verticale visible après δημοσίας empêche d'écrire οδούς,
qui irait pourtant bien avec la fin de la 1. 24 et avec [κω]λύειν τους προσιόν[τας].
195 Sur ce sujet, cf. R. KOERNER, toc. cit. (supra, n. 182),
p. 181-182, citant Fr. Sokolowski, Lois sacrées des cités
grecques (1969), n° 152; Lois sacrées des cités grecques.
Supplément (1962), n° 50 (à propos de fontaines) ; peut-être
aussi n° 4.
196 Pour ces deux composés avec kopros, cf. Fr. Sokolowski,
Lois sacrées des cités grecques (1969), n° 57 et SIG3
1217.
197 Pour ύδρεΐον, cf. M.-Chr. HELLMANN, op. cit. (supra,
n. 192), p. 417 et n. 1.
198 [ό]δός ή από τοΰ ί[πποδρόμου?] suggérait Cl. Vatin.
Certes, dans le décret amphictionique sur les troupeaux
sacrés SIG3 636, on lit II. 23-24 ώς ά οδός άγει ά έξ ίπποδρόμου. Mais la haste verticale après l'article n'est pas
nécessairement un iota.
BCH122 (1998)
334
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
VIL Fonction de police des archontes, interdiction d'abroger
la hi (IL 26-33)
À la 1. 26 commence un nouveau chapitre de la loi, portant sur la surveillance de l'applica
tion
des règles précédemment définies: Oi δε καθ' έτος αρχ[οντες? 16 lettres? του] Ι έτους ανα
βαίνοντας]
εις την [χ]ωραν έφοράτωσα<ν> ΤΑ [9 lettres] δεγμανα και οδούς κ[αι? 16 lettres?
κατά ? τα]| διηγορευμένα. La surveillance est exercée par les « archontes » (déjà 1. 7 ; 11. 28, 29,
30, 32), qui sont vraisemblablement, comme dans les inscriptions de Delphes antérieures, une
commission permanente formée d'une délégation de bouleutes199 ; cette commission a compté à
l'époque impériale le plus souvent deux membres, mais quelquefois trois ou quatre200. La durée
du mandat de ces archontes, un an (11. 26 et 29 : καθ' ετος201)> ne paraît pas avoir connu de
changement depuis le Ier s. av. J.-C.202.
Au cours de leur mandat annuel, les archontes doivent inspecter la terre à plusieurs
reprises : en effet έτους, précédé à la 1. 26 de [του] ou de [εκάστου], indiquait la périodicité de
l'inspection, et plutôt que d'en imaginer une seule par an, auquel cas il y aurait redondance avec
oi δε καθ' έτος αρχ[οντες], l'expression [τού]| έτους devait être précédé d'un adverbe multiplicat
if.
De cette clause on peut rapprocher celle du décret de la tribu Erechtheis : έγραψε όπως αν
(...) οί έπιμεληταί οι αίει καθιστάμενοι κατ' ένιαυτόν βαδίζοντες έπι τα κτήματα δις του
ένιαυτοΰ έπισκοπώνται τά τε χωρία εί γεωργείται κατά τας συνθήκας και τους όρους εί
έφεστήκασιν κατά τα αυτά203. Montant à la terre (cf. infra, p. 342), les archontes de Delphes
doivent y inspecter (έφοράτωσα<ν>204) entre autres les chemins et les voies205, veillant au respect
des prescriptions, [κατά ? τα] διηγορευμένα206.
199 Les membres de cette commission sont appelés tantôt
βουλευταί, tantôt άρχοντες. Il faut les distinguer du magistrat
éponyme appelé άρχων. Cf. la bibliographie citée n. 60, ainsi
que G. Daux, Chronologie delphique (1943) et D. MULLIEZ, Les
actes d'affranchissement, CID V (à paraître). À l'époque impér
iale, on trouve encore employé le terme άρχοντες dans deux
affranchissements du début du Ier s., FD III 3, 333 (N34) et
BCH 22 (1898), p. 84, n° 81 (N37); ensuite, en dehors de
notre texte, βουλευταί demeure seul employé.
200 Cf. la bibliographie citée. On compte trois bouleutes
dans quatre archontats du début du Ier s. ap. J.-C. (N41N44), quatre bouleutes dans deux archontats de la fin du
siècle (P4 et P9). Auparavant, ce nombre avait fréquemment
varié, de deux à six membres.
201 Pour l'expression καθ' έτος, Ad. Wilhelm, «"Ετος und
Ένιαυτός», SBWien 142 (1900) IV, p. 1-14 (= Akademieschriften II [1974], p. 9-22) a montré qu'elle a pris le même
sens qu'é<|)' έτος, «cette année-ci», mais il a rappelé (p. 8)
que même après avoir acquis ce sens, elle peut aussi signi
fier «annuellement», «chaque année»: cf. e. g. τον καθ'
έτος ίερέος à Messène en 14 ap. J.-C, SEG 41 (1991),
328, I. 36; τόν κατά έτος γεινόμενον πολειτάρχην dans
le décret des Battynaioi de 193 ap. J.-C., Επιγραφές Άνω
Μακεδονίας (supra, n. 181), n° 186, I. 24-25 ; aussi
BCH 122 (1998)
L. Robert, Études anatoliennes (1937), p. 391 et n. 5-7,
A. Balland, Fouilles de Xanthos VII (1981), n° 50, I. 12 et
p. 135, n. 140.
202 Le mandat de cette commission de bouleutes durait
auparavant six mois, cf. G. Daux, op. cit. (supra, n. 199),
p. 65.
203 SIG3 911, I. 17-22 (Ve moitié du IIIe s. av. J.-C). On
pense aussi à l'inspection de la terre sacrée d'Apollon à
Delphes, d'après la loi amphictionique de 380, CID I, 10,
I. 15-21.
204 On lit sur la pierre la séquence ΕΦΟΡΑΤΩΣΑΤΑ, où
l'on doit reconnaître l'impératif έφοράτωσα<ν>, suivi de TA.
Faute du graveur? Notons qu'Ed. RCisch, Grammatik derdelphischen Inschriften I (1914), p. 202-203, cite quelques cas
où la nasale finale attendue est absente devant T, notam
ment au Ier s. ap. J.-C. (FD III 6, nos 23, I. 5; 6 I. 11 et 12;
38, 1. 17 ; 123, 1. 7 et 12 : θρεψάτωσα τω υίφ ...) ; sur cette
question, cf. Cl. Brixhe, Essai sur le grec anaiolien au début
de notre ère (1984), p. 33-37.
205 Après le verbe, τα [ώρισμένα] δεγμανα? Ou τα [μέρη
και τα] δεγμανα (Vatin)? Mais οδούς est dépourvu d'article.
206 Sur l'expression τα διηγορευμένα, cf. M.-Th. Lenger,
BCH 80 (1956), p. 455 et n. 3-4 renvoyant notamment à
C. B. WELLES, op. cit. (supra, n. 193).
UN LOTISSEMENT DE TERRES Λ DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
335
En cas d'infraction à la loi ([ει τις μ]ή τ[ιν]α ποιή των εν τω ν[όμω γεγραμ]μένων), les
archontes sont chargés de recouvrer les amendes (οί άρχοντες [ ? είσπρασσέτωσαν τα ? πρόστει-]|
μα), pour les verser à la cité (και είσφερέτωσ[αν τη πόλει] ; cf. n. 152). En cas de négligence de
leur part ([ει δ]έ oi καθ' έτος αρχον[τές τι μη ποιήσω]σιν τούτων), ils seront eux-mêmes rede
vables d'amendes que recouvreront leurs successeurs ([ ?όφειλέτ]ωσα[ν ? αυτοί? 12 lettres?] Ι και
οί μετ' αυτούς α[ρχοντες είσ]πράξαντες είσ[φερέτωσαν τη πό]λει)207.
Les dernières lignes interdisent l'abolition de la loi: Μη έξ[έστω δ]έ μήτε A[ca 18 1.] I
μήτε συνεδρίω δα[μιουργών μήτ]ε δήμω ακυρ[ον? ποιείν208 ca 11 1.] ' τ[όν? νόμον] ή μέρος
α[ύτοΰ]. Cette défense était faite à l'assemblée des damiurges et à celle du peuple, mais aussi sans
doute aux archontes et au Conseil, μήτε α[ρχουσιν μήτε βουλή] : avant l'assemblée des
damiurges et celle des citoyens, ce sont en effet d'autres corps constitués qui devaient être ment
ionnés
1. 30, et l'on préférera donc cette restitution à μήτε ά[ρχοντι μήτε ιδιώτη].
C'est peut-être dans la phrase suivante que se trouvait l'interdiction, si fréquente dans les
textes, faite à tout magistrat ou particulier d'agir ou de faire une proposition en vue de l'abroga
tion
de la loi : [El ? δέ τις ή Ιδιώτης? ή αρ-]|χων έπι καταλ[ύ]σε[ι — ]209. Les 1. 32-33 définis
saient l'amende prévue en cas d'infraction : Cl. Vatin restituait [ά]ποτεισάτω [τη πόλει δρα-] Ι
[χμ] ας πεντακισχειλ[ίας]. Mais ce supplément nous paraît trop court pour les quelque quinze
lettres manquant à la fin de 1. 32, et implique de surcroît l'emploi d'un terme monétaire différent
de celui de la 1. 24 (δηνά[ρια]). Certes, l'on connaît des inscriptions de l'époque impériale qui
utilisent simultanément « drachme » et « denier », sans que l'on puisse toujours aisément l'expli
quer210, mais l'on hésitera peut-être à ajouter à cette liste notre loi, sur la seule foi des deux lettres
ΑΣ précédant l'adjectif cardinal. Nous écrirons [ά]ποτεισάτω [? 15 lettres?]! [ .. ] ΑΣ πεντακισχειλ[ία ? δηνάρια 7 1. τ]ήν ζημ[ίαν — ] (pour cet ordre des mots, cf. 1. 26).
207 [?όφειλέτ]ωσα[ν? αύτοι] exempli gratia; c'est en tout
cas un impératif que l'on attend ici. Cf. dans des contextes
analogues, αυτοί όφειλόντων (Dial. Graec. Exempla 688 A
16-18), αύτοι ένοχοι εστωσαν (OGIS 483, I. 77), ύπεύθυνοι εστωσαν τοις μετ[α τ]αΰτα έξετασταΐς (SIG3 1157,
62-63; cf. 884, 18-19).
208 Au verbe άκυρούν, on préférera le tour ακυρον
ποιειν, bien attesté dans les inscriptions, cf. SIG3 ITT, 31
(rééditée par M. J. Osborne, Naturalization in Athens I
[1981], n° D8); L. ROBERT, HellenicaW (1949), p. 64; SIG3
674, 67; ID 1520, 5&60: μηθενί έξέστωι μήτε ίδιώτηι
μήτε αρχοντι μήτε ειπείν μήτ[ε γ]ράψαι ώς δει των
δεδομένων τιμών μεταθεΐναι ή άφελείν ή ακυρ[όν τ]ι
ποιήσαι παρά τόδε τό ψήφισμα (cf. L. Robert, Opera
minora selecta V, p. 27); OGIS 573, 4; sans doute dans
une lettre d'Hadrien à Delphes de 125, dont le texte compiété par Cl. Vatin a été publié par F. Martin, La documentacion griega de la cancilleria del emperador Adriano (1982),
p. 119-120, n° 19, I. 26. Cf. aussi IG XII 9, 191 1. 29-30.
209 Dans les mentions de ce couple, άρχων précède gênéralement ιδιώτης, mais l'ordre inverse est aussi attesté, cf.
n. précéd. et IG XII 2, 59. Pour l'expression επί καταλύσει
dans les inscriptions, cf. SIG3 684, I. 19 et 736, II. 4, 44,
187-8; Bull. 1948, 181; IG II2, 1055 I. 3.
210 Soulignons que la difficulté est seulement d'ordre lexical, puisque la «drachme (attique)» désigne le même montant que le «denier», cf. e. g. Bull. 1974, 579 p. 302 avec
références antérieures. Les deux termes se succèdent ainsi
de façon curieuse et, nous semble-t-il, non expliquée dans IG
IV l2, 27 (Ier s.), CIG 2782, II. 44-46 (Aphrodisias, mil. lies.),
J. H. OLIVER, Greek Constitutions... (1989), n° 156 (Haute
Macédoine, 158). Dans la Lycie du IIe s. ap. J.-C., denier et
drachme voisinent dans la fondation des Demostheneia à
Oinoanda, M. Worrle, op. cit. (supra, n. 46), p. 158-159,
ainsi que dans une liste de libéralités de Xanthos, A.
Balland, Fouilles de Xanthos VII, n° 67 et p. 189. Dans une
douzaine d'actes d'affranchissement du Ier s. ap. J.-C. à
Delphes, on trouve à la fois des montants exprimés en
deniers et d'autres en mines: nous renvoyons, sans pouvoir
ici la résumer, à l'intéressante explication qu'a proposée de
cette particularité D. Mulliez dans « Le denier dans les actes
d'affranchissement delphiques», Topoi 7 (1997), p. 93-102.
BCH122 (1998)
336
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
VIII. Le lotissement de Delphes dans le contexte économique
et social du IT s. op. / -C. et le rôle du pouvoir impérial
Depuis les premières allusions à notre inscription dues à J. Jannoray, on a plus d'une fois
allégué notre lotissement de terres comme un témoignage de la politique agraire d'Hadrien, se
manifestant, par l'intermédiaire du corrector Aemilius Iuncus, jusque dans une cité libre comme
Delphes211. L'idée d'une intervention du pouvoir central romain ne fut pas contredite par
Cl. Vatin, qui proposait de reconnaître dans les clérouques de notre inscription des résidents
romains installés à Delphes, peut-être des vétérans (cf. p. 309), et suggérait en outre de rappro
cher
certaines expressions de l'inscription (περισσεύοντα, δεγμανα) du vocabulaire latin de la
centuriation (subseciua, decumanus)212. Pour notre part, nous avons écarté la première des hypot
hèses de Cl. Vatin: rien dans notre loi n'implique la présence à Delphes de colons romains,
aucune clause ne concerne, nous semble-t-il, des résidents romains. Mais nous avons signalé, à
notre tour, les rapprochements qui nous ont paru pouvoir être suggérés entre les prescriptions de
notre loi et des textes romains. Il convient à présent de récapituler les résultats acquis au cours de
notre analyse, afin de déterminer si la loi de Delphes manifeste l'influence des pratiques romaines
en matière de distribution de terres, et d'autre part dans quelle mesure on peut la rattacher à une
politique économique impériale, en particulier celle que l'on a attribuée à Hadrien.
Dans la loi de Delphes, le seul indice certain d'une influence du vocabulaire latin de la
centuriation est l'hapax δεγμανα (11. 13 et 27), transcription du latin decimanust 'decumanus (cf.
p. 329). En outre, le couple dans lequel apparaît le terme, δεγμανα καί οδοί, peut être rappro
ché
de l'expression limites decumanique attestée dans deux lois romaines213.
Examinons maintenant le rapprochement entre περισσεύοντα et subseciua. Dans l'in
scription
de Delphes, rappelons-le, le περισσεΰον (1. 4-5) et les περισσεύοντα χωρία (1. 6) sont la
terre et les terrains « en surplus », c'est-à-dire ceux qui, dans « la chôra » concernée par notre loi,
sont restés inoccupés après le lotissement initial. Les περισσεύοντα χωρία sont restés inoccupés
faute de preneurs, plutôt qu'en raison d'une faible valeur agricole : en effet, s'ils avaient été infert
iles, on ne comprendrait pas quel intérêt les privilégiés des 11. 5-6 pourraient avoir à s'y transpor211 J. Jannoray, BCH 68-69 (1944-45), p. 77 (et n. 2) : « Les
stipulations édictées sont visiblement inspirées de la lex
Hadriana de rudibus agris et portent témoignage d'une politique agraire officielle que le pouvoir central travaille à imposer à tout l'empire, sans en exclure des cités qui, comme
Delphes, sont cependant liberae et immunes. » À la suite de
J. Jannoray, A. Piganiol écrivait, dans «La politique agraire
d'Hadrien » in Les empereurs romains d'Espagne (1965),
p. 138 (= Scripta varia III [1973] p. 139): «Les textes africains prouvent que la lex Hadriana de rudibus agris trouve
application sur des saltus appartenant à l'empereur. Le
texte de Delphes suggère qu'elle trouva aussi son applicaBCH 122 (1998)
tion sur les propriétés communales. » Cf. encore récemment
M. Sartre, L'Orient romain (1991), p. 215-216: «Hadrien,
par l'intermédiaire du corrector ton eleutherôn dèmôn Aemilius Iuncus, fit également lotir un bien communal [...]. »
212 Cl. Vatin, op. cit., p. 185.
213 Cf. p. 329 et n. 174. Rappelons aussi que dans la
clause I. 5 εν δε τις δαμιουργών ή βουλε[υ]τών ή ύών
αυτών ή έκγόνων, la présence simultanée de ύών et de έκγόνων montre peut-être l'influence de formules latines, cf.
p. 306 et n. 87-88. Mais il s'agirait d'un simple fait de
langue, qui n'implique pas à lui seul que Rome inspire dans
sa teneur la loi de Delphes.
UN LOTISSEMENT DE TERRES A DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
337
ter en délaissant leur lot précédent. Comparons maintenant les résultats de notre analyse à ce que
nous savons des subseciua par les agrimensores. Ce terme désigne, ou bien les terres se trouvant audelà de la zone centuriée, entre celle-ci et la limite du territoire, et ne pouvant constituer des cen
turies entières, ou bien des terres se trouvant à l'intérieur de la zone centuriée, mais non assignées,
selon la plupart des textes gromatiques, en raison de leur infertilité214. Siculus Flaccus les distingue
clairement des centuriae uacuae, centuries non assignées faute de bénéficiaires en nombre suffisant,
tout en admettant quelles partagent une même condition juridique215. Mais un texte du com
mentaire
d'Agennius Urbicus à Hygin, remontant peut-être à Hygin lui-même, semble bien
inclure dans les subseciua ce que Siculus Flaccus appelle centuriae uacuaelxe. On est donc conduit à
admettre que subseciua était employé stricto et hto sensu, la seconde acception, moins bien attestée,
incluant les centuries non assignées faute de bénéficiaires217. Si l'on veut établir un rapprochement
entre notre texte et la nomenclature latine, ce sera donc, ou bien entre περισσεΰον/περισσεύοντα
et subseciua au sens strict et centuriae uacuae à la fois, ou bien entre περισσεΰον/περισσεύοντα et
subseciua au sens large. On voit que περισσεΰον/περισσεύοντα, qui de toute façon ne saurait être
considéré comme une traduction de subseciua, n'en est pas non plus l'équivalent de façon certaine.
À vrai dire, la loi de Delphes, qui avait à désigner les surplus de terre restant après la distribution
initiale, le fit en parlant simplement tantôt de περισσεΰον, tantôt des περισσεύοντα (χωρία),
expressions qui en l'état actuel de la documentation, ne paraissent rien avoir de technique, à la dif
férence
de subseciua en latin. On ne saurait donc établir que la loi de Delphes témoigne sur ce
point d'une influence du vocabulaire latin de la centuriation.
À défaut d'un vocabulaire spécifique, peut-on retrouver dans la loi de Delphes des pres
criptions
caractéristiques des distributions de terres du monde romain ? L'état de mutilation des
clauses édilitaires de notre texte nous empêche en réalité d'établir des parallèles significatifs. On
constate sans doute que notre loi aborde successivement des sujets tels que les chemins, l'interdic
tion
d'enlever les bornes, les eaux, que l'on trouve aussi dans des lois romaines relatives aux colo
nies, ou dans les sujets de controverses connus des arpenteurs romains218. Mais ce sont des sujets
que traite nécessairement tout règlement édilitaire. Pour le reste, il n'y a pas de stipulations dont
le détail puisse être mis en parallèle avec des textes d'inspiration purement romaine. Les seuls
parallèles précis que nous avons pu établir, à propos des 11. 7-11, bien conservées, nous ont
menés, pour le rachat des améliorations vers une inscription de Thisbé (fin IIe ou début IIIe s. ap.
J.-C), et pour la réglementation du droit de succession vers des inscriptions d'Héraclée de Lucanie (IVe s. ou IIIe s. av. J.-C.) et de Thestia d'Étolie (IIe s. av. J.-C). La première est un édit d'un
214 Siculus Flaccus, 155-156 L. = 120 Th., 163 L. = 128
Th. ; Hygin, 132-133 L. = 96 Th.
215 Siculus Flaccus, 163 L. = 127-8 Th. : «et subseciua et
uacuae centuriae quae in assignationem non ceciderant [...].
Non enim omnis ager centuriatus in assignationem cecidit,
sed et multa uacua relicta sunt. Quorum ea condicio est
quae subseciuorum. »
216 Agennius Urbicus 81 L = 41 Th.
217 Voir A. Rudorff in Die Schriften der rômischen Feldmesser II (1852), p. 390-391; sur ce point il nous semble que la
définition des subseciua donnée par F. T. Hinrichs, Die Geschichte der gromatischen Institutionen (1974), p. 132 est
imprécise.
218 Cf. Frontin, 9, 6-11 La. = 4, 6-11 Th.: «genera sunt
controuersiarum XV, de positione terminorum, [...] de aqua
pluuia arcenda, de itineribus. »
BCH122 (1998)
338
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
proconsul d'Achaïe, ce qui toutefois n'implique pas que l'inspiration en soit purement romaine et
fasse fi des traditions locales; les deux autres, en tout cas, sont étrangères au monde romain.
Ajoutons que la surface de la part attribuée par la loi de Delphes est comparable à celle de distr
ibutions grecques plus anciennes, et ne paraît pas correspondre à la taille des lots dans les assigna
tionsromaines219. Quant au principe hiérarchique qui vaut au damiurge et au bouleute de rece
voir une fois et demie la part du simple citoyen, plutôt que d'y voir l'application directe de règles
de répartition connues dans certaines colonies romaines, on doit y reconnaître une marque de
l'évolution sociale et politique des cités grecques sous l'influence, beaucoup plus diffuse, du
modèle romain (cf. supra, p. 301).
On voit qu'une influence sur notre loi des méthodes romaines de répartition du sol ne
peut, en l'état actuel du document, être considérée que comme limitée. On se gardera donc de
conjecturer à partir des modèles romains quels procédés furent utilisés pour diviser la chôra de
Delphes, ou quel module y fut employé.
Autre est la question de l'inspiration de la loi de Delphes et de son rapport avec des ini
tiatives
impériales contemporaines en matière agraire. La loi de Delphes, intervenant après un
premier lotissement, distribue des terres restées vacantes, dépourvues de propriétaires et d'occu
pants, et l'effet recherché ne peut donc être que leur mise en culture et leur valorisation. Dans
ces conditions, il est tentant de rapprocher notre loi de la lex Hadriana de rudibus agris. On sait
que cette dernière est mentionnée dans un règlement de procurateurs conservé par deux inscrip
tionstrouvées en Afrique proconsulaire220. La plus ancienne appartient à un dossier gravé sous
Hadrien: l'Empereur ayant ordonné que soient mises en culture toutes les parcelles de terre
capables de produire aussi bien des oliviers ou des vignes que des céréales, une réponse favorable
est donnée à des colons qui souhaitaient recevoir sur les domaines impériaux des terres cou
vertes de forêts et de marais afin de les planter d'oliviers et de vignes. Le même règlement fut à
nouveau gravé à l'initiative d'un procurateur sous le règne de Septime-Sévère, et c'est cette ins
cription
qui nous a conservé les mots : i<i>sque qui occupauerint possidendi ac fru<en>di{i} eredique suo relinquendi id ius datur, quod e<s>t lege Ha<drian>a comprehensum de rudibus agris et
iis qui per X an<n>os continuos inculti sunt. Une troisième inscription montre d'ailleurs que,
dans les dernières années du règne de Trajan déjà, les procurateurs des domaines impériaux de la
219 Cf. supra, p. 302 et n. 76 pour les distributions
grecques. La part de quarante plèthres équivaut, si l'on part
du même pied pour les deux unités de surface, à 13,8888
jugères, ce qui n'est pas une fraction entière d'une centurie
de 200 jugères. Un rapprochement ne serait possible que si
πλέθρον était dans notre texte, comme chez certains historiens (e. g. Appien, BC I 8, 33), la traduction de jugerum;
cinq lots de 40 « plèthres » occuperaient alors la surface
d'une centurie. Pour la taille des lots dans les assignations
romaines, qui a beaucoup varié, cf. G. Chouquer et
Fr. Favory, Les arpenteurs romains (1992), p. 38-39.
BCH122 (1998)
220 L'inscription d'Aïn-el-Djemala, CIL VIII, 25943, gravée
sous Hadrien, est complétée par celle d'Aïn-Wassel, CIL VIII,
26416, gravée sous Septime-Sévère. Inscriptions reprises
notamment dans FIRA I, nos 101-102, Les lois des Romains,
IX C, nos 2-3, p. 61-67 et récemment rééditées par D. Flach,
« Inschriftenuntersuchungen zum rômischen Kolonat in Nordafrika», Chiron 8 (1978), p. 441-492, part. 484-489, et
D. P. Kehoe, The Economies of Agriculture on Roman Imperial Estates in North Africa (1988), p. 55-63. Peu importe
pour notre propos que la lex Hadriana mentionnée dans une
autre inscription, datant du règne de Commode, CIL VIII,
10570, col. Ill, 4-5 et 25, soit ou non la même.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
33Θ
région répondaient favorablement aux demandes de colons disposés à mettre en culture des subseciua221. Mais la mesure d'Hadrien avait un caractère plus systématique, puisqu'elle s'appliquait
aussi à des centuries affermées, dès lors qu'elles étaient restées inexploitées par les conductores qui
les avaient prises en adjudication.
Depuis leur découverte entre 1891 et 1906, ces textes ont donné lieu à une bibliographie
considérable222. Heureusement, la plupart des problèmes qu'ils ont soulevés n'intéressent pas
l'inscription de Delphes. Il reste cependant la question de l'extension de la lex Hadriana, qui fut
immédiatement, et est restée, objet de controverse. S'appliquait-elle seulement à la province
d'Afrique, ou à tout l'Empire ? Ne concernait-elle que les domaines impériaux, ou également les
terres des cités et municipes et même les biens des simples particuliers ? Selon M. Rostowzew, la
loi se limitait à l'Afrique, mais elle y concernait toutes les catégories de terres et il y aurait eu
toute une série de mesures analogues pour d'autres parties de l'Empire, comme le montrerait
pour la Grèce l'édit de Thisbé223. J. Carcopino était allé plus loin encore : la loi aurait valu pour
toutes les provinces et toutes les catégories de terres, comparable en cela à une loi attribuée à Pertinax, qui n'aurait guère été qu'une remise en vigueur de la politique d'Hadrien224. Cette thèse
reçut en France un accueil favorable. C'est ainsi que Ρ Mazon proposa d'interpréter XEubotque
de Dion de Pruse à la lumière des inscriptions africaines et d'y voir un texte de propagande en
faveur de la politique impériale225. C'est ainsi surtout que J. Jannoray, suivi par A. Piganiol,
ajouta au dossier deux autres pièces, les inscriptions de Coronée, témoignant de la mise en cul
ture de terres en Béotie, et le lotissement de Delphes, montrant l'application de la législation
d'Hadrien jusque sur les terres publiques d'une cité libre226.
n° 100,
221
Inscription
Les lois
de Henchir-Mettich
des Romains, : IX,CILC,VIII,n° 25902;
1, p. 53-60;
BRA I,
D. FLACH, Chiron 8 (1978), p. 477-480; D. P. Kehoe, op. cit.,
p. 29-55. Nous ne saurions aborder ici, même s'ils interfèrent avec celui de l'objet et de la portée de la lex Hadriana,
les problèmes si controversés de la nature de la lex Manciana, qui est mentionnée à la fois dans les inscriptions de
Henchir-Mettich et de Aïn-el-Djemala, et de son rapport avec
la lex Hadriana.
222 II suffira de renvoyer aux importantes publications de
J. Kolendo, REA 65 (1963), ρ. 80-103 ; Le colonat en
Afrique sous le Haut-Empire (1976), 2e éd. augmentée en
1991; D. Flach, Chiron 8 (1978), ρ. 441-492; «Die Pachtbedingungen der Kolonen und die Verwaltung der kaiserlichen Giiter in Nordafrika», ANRW II, 10.2 (1982), p. 427473; Rômische Agrargeschichte (1990), p. 82-122 et
D. P. KEHOE, ZPE 56 (1984), p. 193-219 ; 59 (1985), p. 151172 et The Economies of Agriculture on Roman Imperial
Estates in North Africa (1988), où l'on trouvera la bibliographie antérieure.
223 M. Rostowzew, Studien zur Geschichte des rômischen
Kolonates (1910), particulièrement p. 325, n. 1; voir aussi
Social and Economie History of Roman Empire (1926),
p. 319-322. À propos de l'édit de Thisbé, cf. Studien ....
p. 386-388, où M. Rostowzew proposait de dater le document du règne d'Hadrien; mais cette datation ne fut pas
reprise dans Social and Economie History, p. 561, n. 96.
(1906),
224
J. CARCOPINO,
p. 478; «Encore
«L'inscription
l'inscription
d'Aïn-el-Djemala»,
d'Aïn-el-Djemala»,
MEFRKlio
26
8 (1908), p. 178-185 (en réponse à A. Schulten, qui avait
soutenu la thèse d'un règlement ne concernant que les propriétés impériales en Afrique, Klio 7 [1907], p. 200) ; « La
tenure romaine», in La Tenure, Recueils de la Société Jean
Bodin III (1938), p. 126-129. C'est Hérodien (II 4, 6) qui fait
connaître la mesure de Pertinax : πρώτον μέν γαρ πάσαν
την κατ' Ίταλίαν και έν τοις λοιποίς εθνεσιν άγεώργητόν τε και παντάπασιν ούσαν άργόν έπέτρεψεν όπόσην
τις βούλεται και δύναται, ει και βασιλέως κτήμα ε'ίη,
καταλαμβάνειν, έπιμεληθέντι τε και γεωργήσαντι δεσπότη είναι. "Εδωκε τε γεωργοΰσιν άτέλειαν πάντων εις
δέκα ετη και δια παντός δεσποτείας άμεριμνίαν.
M. ROSTOWZEW, Studien, p. 391, n. 1, tout en reconnaissant
une certaine continuité entre la politique d'Hadrien et celle
de Pertinax, insista pour sa part sur des différences qui lui
paraissaient importantes.
225 P. Mazon, « Dion de Pruse et la politique agraire de Trajan», Lettres d'humanité 2 (1943), p. 47-80. Rapprochement esquissé déjà par J. Carcopino, Klio 8 (1908), p. 184;
La Tenure..., p. 127-128; voir cependant ses réserves sur
l'idée d'un Dion propagandiste de la politique impériale,
CRAI 1943, p. 8&87.
226 J. JANNORAY, BCH 68-69 (1944-45), p. 77 et n. 2 et
A. Piganiol, Ioc. cit. (supra, n. 211), p. 138 et 143
(= Scripta varia III [1973], p. 139 et 146) ; cf. supra, n. 211.
BCH 122 (1998)
340
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
Cependant, on s'accorde aujourd'hui à faire le tri parmi les diverses pièces du dossier ainsi
constitué, et à nuancer l'idée d'une grande politique économique d'Hadrien. Pour la lex
Hadriana, qui n'est pas attestée en dehors de l'Afrique proconsulaire, les études les plus récentes
tendent à rejeter l'hypothèse d'une loi applicable à toutes les terres de l'Empire227. D'autre part,
parmi les documents orientaux, il faut probablement écarter l'édit de Thisbé, qui, plutôt que du
règne d'Hadrien, pourrait dater de la fin du IIe ou du début du IIP s. ap. J.-C.228. HEuboïque de
Dion de Pruse, quant à lui, n'est pas un document de propagande en faveur d'un projet de Trajan qui aurait annoncé la réforme d'Hadrien, mais il peut être en revanche l'indication qu'une
partie au moins des classes dirigeantes grecques était consciente de la nécessité de certaines
mesures229. On a d'ailleurs la confirmation que certaines communautés grecques veillaient au
cours du IIe s. ap. J.-C. à l'exploitation de leurs terres publiques : ainsi voit-on en 158 ap. J.-C. les
autorités de Gazoros en Macédoine pourvoir à leur mise en culture230. Non loin de là, le
domaine public des Battynaioi était l'objet d'une exploitation très disputée, ce qui amena la com
munauté
à en réglementer les conditions en 193, peut-être, suivant une hypothèse récente, en
réaction contre les conséquences de la mesure attribuée à Pertinax231. Il y a donc incontestabl
ement
dans la Grèce du IIe s. une série de décisions qui témoignent de l'intérêt porté à la bonne
exploitation du sol, mais il serait arbitraire d'en rapporter systématiquement l'initiative et l'inspi
ration au pouvoir central. Dans le cas des Battynaioi, ce pourrait même être un contresens.
Une intervention de l'Empereur est en revanche certaine à Coronée et à Delphes, par l'i
ntermédiaire
du corrector L. Aemilius Iuncus. Dans ces deux cités libres, sans doute aussi à Athènes
à propos d'un terrain sacré232, L. Aemilius Iuncus intervint dans des affaires foncières. À Coron
ée,Hadrien n'envoya pas moins de trois ou quatre lettres dont deux sont datées de 125 et 135
ap. J.-C. et dont la dernière annonce l'arrivée d'Aemilius Iuncus, à propos d'une opération de
drainage dans la région du lac Copaïs pour laquelle l'empereur donna lui-même une somme de
227 Voir l'argumentation de D. Flach, ANRWH 10.2, p. 455456, suivi par D. P. KEHOE, ZPE 59 (1985), p. 167 et Economies of Agriculture, p. 63, ainsi que par E. Lo Cascio in Stoha di Roma II 2 (1991), p. 342, n. 90.
228 Sur la date de ce texte, cf. supra, n. 131.
229 En ce sens C. P. Jones, The Roman World of Dio Chrysostom (1978), p. 60. Il est difficile de dater précisément
VEuboïque: Dion l'a peut-être composé en partie dans les
années d'exil en Orient sous Domitien, mais prononcé à
Rome plus tard, ca 100 ap. J.-C, cf. Fr. Jouan, REG 90
(1977), p. 41; C. P. JONES, op. cit., p. 135; P. DESIDERI,
Dione di Prusa (1978), p. 223-228 et 255, n. 11.
230 BCH 86 (1962), p. 57-59, cf. supra, n. 116.
231 'Επιγραφές 'Άνω Μακεδονίας (supra, η. 181),
n° 186 ; cf. K. Buraselis, « Bemerkungen zum Dekret der
Battynàer» in Ancient Macedonia V 1 (1993), p. 279-292.
Pour ce texte daté du «30 Artémision 340», les commentateurs avaient hésité, suivant l'ère à retenir, entre l'année
143/4 et l'année 192/3 ap. J.-C., mais K. BURASELIS, ainsi
que M. B. Hatzopoulos, Macedonian Institutions under the
Kings I (1996), p. 79, ont justement indiqué qu'il fallait reteBCH 122 (1998)
nir l'ère macédonienne, soit précisément avril 193. Ainsi
daté, ce décret a été mis par K. Buraselis, p. 287-292, « en
rapport avec une mesure de l'empereur Pertinax (rapportée
par Hérodien II 4, 6) en faveur de la mise en culture des
terres en friche, qui aurait eu la conséquence perverse d'encourager l'extension de la grande propriété agricole aux
dépens des terres communales, dont, dans une communauté comme Battyna, les pauvres étaient les utilisateurs
principaux» (M. B. Hatzopoulos, Bull. 1994, 384). C'est
contre cette mesure et ses conséquences pour eux néfastes
que les Battynaioi auraient, en avril 193, soit peu après la
mort de Pertinax, réagi dans leur décret qui protégeait l'exploitation traditionnelle des terres publiques. Si l'on accepte
le rapprochement entre le décret et la mesure de Pertinax,
qui n'est que vraisemblable, comme en convient K. Buraselis, le décret, loin d'être inspiré par une décision impériale,
serait une réaction contre celle-ci, et les terres publiques
des Battynaioi étaient d'une façon ou d'une autre exploitées
avant ce décret.
232 Cf. supra, n. 21. L'état lacunaire de l'inscription interdit
de préciser quelle décision prit Iuncus.
UN LOTISSEMENT DE TERRES À DELPHES AU IIe SIÈCLE APRÈS J.-C.
341
65 000 deniers. Le but était manifestement de garder ou de gagner à la culture des terres réguli
èrement inondées, et Hadrien joua un rôle essentiel, suscitant cette opération ou du moins per
mettant
par son autorité et par son aide financière qu elle soit menée à bien233.
À Delphes, il est beaucoup plus difficile d'évaluer la part de l'initiative impériale dans la
législation votée par la cité, faute de pouvoir déterminer précisément le rôle de l'envoyé de l'em
pereur : nous n'avons que la mention de son titre et de son nom. Nous ignorons quelle fut son
action et si elle provoqua le vote de la loi de façon directe et immédiate. Si tel n'était pas le cas, la
loi pourrait d'ailleurs être, rappelons-le, postérieure au règne d'Hadrien lui-même {supra, p. 295).
L'intervention du corrector avait dû selon toute vraisemblance porter sur les conditions d'exploita
tion
du territoire de Delphes. Mais nous ne pouvons affirmer davantage.
La loi de Delphes, qu elle ait été ou non la conséquence directe d'une intervention du pouv
oir impérial, s'inscrit dans un contexte général de mesures tendant à favoriser la mise en culture
des terres vierges ou laissées inexploitées. On n'oubliera d'ailleurs pas que toutes ces mesures, audelà des similitudes, correspondent à des situations et à des intentions chaque fois particulières. La
politique impériale dans les saltus africains était indissociable de l'importance de cette province
dans l'approvisionnement de Rome et de l'Italie234. Dans d'autres cas, l'intervention du pouvoir
romain peut s'expliquer par le souci de veiller à un accroissement du revenu des cités : tel devait
être l'un des résultats escomptés à terme par le proconsul auteur de l'édit de Thisbé. Mais nous
avons vu que la loi de Delphes, si par certains aspects elle peut faire penser à l'édit de Thisbé, s'en
différencie précisément sur ce point, puisqu'il n'est pas question (du moins dans ce qui nous est
parvenu du texte) de loyer dû à la cité pour les terres distribuées. La finalité de la loi n'était donc
pas fiscale (même s'il est prévu que les améliorations apportées aux parcelles seront estimées et
payées à la cité dans le cas de redistribution faute d'héritier direct ou testamentaire).
Le but le plus évident de la loi était économique, consistant dans la mise ou remise en
culture de terres en friches. Mais il faudrait savoir plus précisément quel était l'état initial de la
chôra avant les deux distributions successives, si les terres étaient totalement inemployées, ou si
elles avaient auparavant servi, par exemple, de zone de vaine pâture. Cette question pose aussi
celle de la localisation sur le territoire de Delphes de cette fameuse chôra: où pouvait donc se
situer un espace suffisamment vaste pour être l'objet de deux distributions successives et pour
être partagé en un nombre significatif de lots et de parcelles ? D. Rousset reviendra ailleurs sur
une hypothèse permettant de répondre à cette dernière question : cette vaste région pourrait
n'être autre que l'ancienne terre sacrée d'Apollon, qui au cours du Ier s. ap. J.-C. est sans doute
devenue terre de la cité de Delphes. Cette terre, ayant ainsi changé de statut, aurait pu constituer
233 Cf. J. H. Oliver, Greek Constitutions... (1989), n° 108
(datée de 125), 110 (date exacte inconnue), 112 (datée de
135). La lettre n° 109, qui date aussi de 125, pourrait se
rapporter au même dossier, mais elle est trop incomplète
pour permettre autre chose qu'une hypothèse,
234 Cet aspect des choses a été particulièrement souligné
parD. P. Kehoe, Economies of Agriculture... (supra, n. 222).
BCH122 (1998)
342
JEAN-LOUIS FERRARY ET DENIS ROUSSET
un vaste domaine à partager et à mettre en exploitation au cours du IIe s. Ajoutons que, si cette
chôra était l'ancienne terre sacrée d'Apollon, qui était sise pour l'essentiel en face de Delphes sur
la péninsule du Kirphis, on s'expliquerait que les archontes doivent y monter depuis la ville pour
en faire l'inspection (άναβαίνοντ[ες] είς την [χ]ωραν έφοράτωσα<ν> 1. 27)235.
De l'aspect social de la loi, enfin, on peut donner une appréciation plus détaillée et nuanc
ée.La distribution est certes réservée à des citoyens n'ayant pas de terre (μη έχοντες), mais il faut
entendre par là des citoyens n'ayant pas de terre dans la partie du territoire de Delphes sur laquelle
porte la loi236. Le fait que damiurges et bouleutes reçoivent des lots plus importants que les
simples citoyens et qu'ils aient le privilège de procéder à un échange montre assurément que la loi
n'a pas été votée dans l'intérêt exclusif des plus démunis. Elle avait néanmoins un aspect social
incontestable : la dimension restreinte des lots, le fait que la nouvelle distribution soit réservée à
ceux qui n'avaient pas été bénéficiaires de la première témoignent d'une volonté d'éviter la concent
ration des terres entre quelques mains. Mais ce souci est tempéré, en quelque sorte, par celui de
garantir les privilèges et la structure hiérarchique du corps civique. Intéressante est de ce point de
vue une comparaison avec XEuboïque de Dion déjà signalé. Ce discours suggérait une distribution
inégale en fonction des moyens de chacun, mais non, comme à Delphes, l'application aux assigna
tions
agraires d'une division de la cité entre simples citoyens d'une part, et de l'autre un groupe de
privilégiés qui paraît bien constituer un ordo héréditaire237. Le même discours proposait d'autre
part que des étrangers soient admis à la distribution, en leur imposant un loyer double de celui des
citoyens, mais en prévoyant aussi la concession de la citoyenneté à ceux d'entre eux qui exploite
raient
au moins deux cents plèthres238. Le texte de Dion est empreint de considérations morales,
mais il manifeste aussi une réelle cohérence économique, impliquant à son tour une « dynamique »
sociale et politique que la loi de Delphes prend grand soin d'éviter239. Quelle qu'ait pu être la pres
sion du pouvoir impérial pour que soit organisée cette distribution de terres, on constate que la
cité libre et ses notables ont su maintenir intacts tous leurs intérêts.
235 Sur cette hypothèse et sur l'histoire de la terre sacrée,
cf. l'ouvrage annoncé supra, n. 4. Ajoutons qu'est actuellement en cours une étude des cartes topographiques et des
photographies aériennes, destinée à repérer les traces éventuelles du lotissement.
236 Cf. supra, p. 305 : il paraît inconcevable que des
damiurges ou des bouleutes, qui peuvent recevoir une parcelle dans cette chôra, soient dépourvus de toute terre dans
la cité.
237 Dion VII (Euboïque), 36: ώστε μοι δοκεΐ μάλλον έτέρους προτρέπτειν, όσους αν δύνησθε τών πολιτών, έργαζεσθαι της δημοσίας γης άπολαβόντας, τους μέν άφορμήν
τίνα έχοντας πλείω, τους δέ πένητας, όσην αν έκαστος ή
BCH122 (1998)
δυνατός, 'ίνα ύμΐν ή τε χώρα ενεργός ή καί των πολιτών
οι θέλοντες δύο τών μεγίστων άπηλλαγμενοι κακών, άργίας και πενίας.
238 op. cit., 37 : έαν δέ τις ξένος γεωργή, πέντε έτη και
ούτοι μηδέν ύποτελούντων, ύστερον δέ διπλάσιον ή οι
πολΐται. 'Ός δέ αν έξεργάσηται τών ξένων διακόσια
πλέθρα, πολίτην αυτόν είναι, ϊνα ώς πλείστοι ωσιν οι
προθυμούμενοι.
239 Nous n'écririons donc pas, avec A. Piganiol, que «c'est
en s'inspirant apparemment de ce texte qu'Aemilius Juncus
(...) obtint que Delphes morcelât le sol communal et permît
à l'occupant d'acquérir la possession du lot qu'il mettrait en
valeur» (Scripta varia III [1973], p. 139).