LLSH

Elle rayonnait. Elle se dressait immense comme le noyau du monde, la Matrice » (Blaise Cendrars, « Paysage charnel »). L'oeuvre romanesque de Pierre Jean Jouve, dont la critique a montré le caractère novateur à divers égards, se révèle particulièrement éclairante sur une question qui continue d'alimenter les réflexions philosophique et littéraire : celle de la visibilité. Le visible est en effet pour Jouve le lieu privilégié du dévoilement du sens et en même temps d'un au-delà de ce sens. Or, cette question apparaît comme le noyau central de la pensée de M. Merleau-Ponty qui considère le phénomène de visibilité comme apte à révéler simultanément et de façon interactive l'en-soi et le monde puisque le visible ne se réalise qu'à travers l'homme qui le perçoit. Selon le philosophe, à l'inverse, la nature n'est pas « matière », elle est « l'autre côté de l'homme », c'est-à-dire qu'elle est, elle aussi, « chair ». Il écrit dans L'OEil et l'Esprit (p. 19): « Mais, puisqu'il (l'homme) voit et se meut, il tient les choses en cercle autour de soi, elles sont une annexe ou un prolongement de lui-même, elles sont incrustées dans sa chair, elles font partie de sa définition pleine et le monde est fait de l'étoffe même du corps ». Chez Pierre-Jean Jouve, de la même façon, le corps apparaît comme le « lieu » du rapport au monde, le centre de la rencontre avec l'univers face auquel l'homme renouvelle son étonnement. Aussi l'espace et l'être se fondent-ils en une unité subtile à saisir dans le corps du texte jouvien. Nous nous intéresserons donc ici à cette imbrication du corps et du lieu que nous exploitons comme éclairage essentiel à un questionnement sur le sens. Nous verrons donc comment dans le roman jouvien l'être apparaît comme source d'espace puis nous verrons que les êtres eux-mêmes se définissent selon une modalité topographique tandis que les lieux subissent une contamination des êtres qui les hantent, puis nous intéresserons à certains espaces spécifiques, nommés d'après Jean-Yves Tadié, le templum, entité hybride à michemin entre l'espace et le corps. L'être comme source d'espace. Chez Jouve, le monde n'est révélé qu'en tant qu'il est perçu : il s'épanouit ou se rétracte au rythme d'un clignement d'yeux. Le personnage principal du roman Le Monde désert, Jacques de Todi, qui observe le paysage de sa chambre, voit l'Alpe dans sa fenêtre disparaître avec ses ombres du soir, puis redevenir vraie. « Je suis la source absolue », écrit Merleau-Ponty, pour lequel la réalité de monde n'est assurée que dans la mesure où elle trouve un écho dans l'espace intérieur de l'entité qui la perçoit. I1 écrit dans L'OEil et l'Esprit (p.47) : « L'espace est en soi, ou plutôt il est l'en soi par excellence, sa définition est d'être en soi. Chaque point de l'espace est et est pensé là où il est, l'un ici, l'autre là, l'espace est l'évidence du où ».

Qu'on se le dise, le recueil de nouvelles Cartes postales est un objet rare. Rare, d'abord parce qu'il appartient à la littérature francophone océanienne qui, malgré l'intérêt grandissant de la critique pour cette littérature des antipodes-notamment à travers le prisme des études postcoloniales-reste peu connue. Rare également par la forme originale des pièces elles-mêmes, à mi-chemin entre la nouvelle et le poème en prose. Rare enfin parce qu'en dépit de ce que son titre pourrait laisser imaginer, les nouvelles de Chantal Spitz ne nous bercent pas d'images de plages de sable blanc, de ciels éternellement bleus ni de vahinés languides. On n'en n'est d'ailleurs pas très surpris lorsqu'on connaît quelque peu l'auteure, première romancière tahitienne francophone, qui publia avec L'Île des rêves écrasés en 1992, le premier roman autochtone de l'histoire polynésienne. L'idée de ce roman anticolonialiste était de raconter l'histoire de cette partie du monde depuis la rencontre avec les premiers navigateurs jusqu'aux essais nucléaires, cette fois-ci vue de l'intérieur, vécue par une famille polynésienne et, par un « lavage de cerveau à l'endroit », de raconter une histoire « autre » : Autre que la vérité historique académique estampillée référencée labélisée Dites depuis plus de 150 ans par une litanie de brillants spécialistes formés aux universités de la république l'histoire officielle1. Ce qui apparaît clairement, c'est que ces « cartes postales » se situent résolument dans la même lignée : raconter l'envers du décors, dévoiler ce qu'on n'attendait pas sous le soleil du Pacifique. Ici, il s'agit de faire toucher du doigt la violence dans tous ses états, la misère humaine, les souffrances non dites. La mort rôde à chaque page et l'univers de ces personnages est un univers fondamentalement tragique. Il s'agit de tordre le cou à ce mythe tahitien qui a fait tant de tort aux Polynésiens eux-mêmes en les empêchant de se dire et de raconter leur vérité sur l' « âme polynésienne ». Ainsi, dans ses Pensées insolentes et inutiles, Chantal Spitz l'auteure fustigeait-elle Le Mariage de Loti, fleuron de la littérature exotique ayant contribué à propager le mythe exotique: Non je n'aime pas « Le Mariage de Loti ». Non je n'aime pas Pierre Loti. Non je n'aime pas le roman la littérature exotiques liés au mythe Vivant par le mythe Se nourrissant du mythe Enfantant du mythe Non. Définitivement je n'aime pas le mythe Ce mythe qui m'entrave Ce mythe qui mutile mon peuple2

Je ne suis pas spécialiste de Déwé Gorodé mais j'ai eu l'occasion de lire ses textes alors que je travaillais sur le corps océanien. C'est est une figure majeure de la Nouvelle Calédonie puisqu'elle est à la fois première poétesse francophone kanak et aujourd'hui ministre de la condition féminine et de la citoyenneté. Elle publie pour la première fois dans les années 80 le recueil poétique « Sous les cendres des conques » dans lequel elle laisse éclater une poésie militante, nourrie aux idéaux marxistes qu'elle a découverts à Montpellier où elle est allée faire ses études et où elle côtoie les mouvements contestataires de l'après-Mai 68. Comme elle l'explique, « La conque, c'est ce grand coquillage qu'on utilise pour appeler le clan, les Kanaks, à la réunion dans la case commune. « Sous les cendres … », c'est ce qui restait des conques, de l'unité kanak, du fait d'être ensemble. Qu'est-ce qui en est resté après les délimitations des territoires et l'institution des réserves ? On est devenu une société fortement éclatée, divisée. Cet éparpillement des clans kanak, cette perte a provoqué l'éclatement de nos valeurs, de notre unité qu'on a retrouvée par la suite dans la lutte pour la libération nationale. J'ai publié le recueil à un moment où cette unité commençait à se retrouver dans la lutte politique ». De fait, après l'obtention de la licence de Lettres, elle rentre au pays et s'engage dans la lutte pour l'indépendance puisqu'elle milite au sein des « Foulards Rouges » et du « Groupe 1878 » qui sont deux groupes indépendantistes révolutionnaires. En 1976, elle participe à la création du Palika qui est l'une des composantes du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) où, chargée des relations extérieures, elle participe à des missions du front indépendantiste notamment dans le Pacifique, en Australie, en Algérie, au Canada, à Mexico et à l'ONU. Elle sera emprisonnée à trois occasions pour son implication au sein de ces groupes ainsi que pour ses écrits politiques. Mais son combat vise aussi l'émancipation sociale des femmes, doublement assujetties par le système colonial et par les hommes au sein de la tribu. En 1992, elle participe à une mission de femmes au Mali conduite par Mme Marie-Claude Tjibaou. De 1992 à 2001, elle dispense des cours d'histoire de la littérature du Pacifique et de littérature mélanésienne contemporaine à l'université de Nouméa. Elle a été vice-présidente du

Dans l'immense étendue d'un Pacifique majoritairement anglophone, quatre entités géo-politiques se démarquent en faisant du français leur langue, ou l'une de leurs langues officielles : la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis et Futuna et le Vanuatu. Cet héritage d'une colonisation française qui a débuté au XVIIIème siècle avec le cycle des grands voyages de découverte à visée scientifique, religieuse, ou économique fait porter aujourd'hui à 600 000 le nombre de locuteurs francophones dans ces îles. Par ailleurs, les trente dernières années du XXème siècle ont vu émerger dans ces territoires une forme de renouveau culturel : la culture, la langue autochtone, les rites ancestraux ont été remis sur le devant de la scène et c'est pendant cette période que sont apparus, principalement en Polynésie française et en Nouvelle Calédonie, les premiers textes littéraires d'auteurs insulaires, centrés sur la question identitaire. Je m'intéresserai à cette littérature, qui porte l'histoire de la confrontation entre des univers linguistiques et culturels différents, qui place la question identitaire au coeur du dispositif littéraire, et qui s'écrit en langue française. Quel est alors le statut du français dans ces textes? La pérennisation d'un impérialisme culturel répond-elle seule à cet usage et l'utilisation du français condamne-t-elle obligatoirement la pratique littéraire à être marquée aux fers ou permet-elle aux auteurs insulaires de faire entendre leur voix, libre, pleine ? Je m'intéresserai au regard que ces auteurs portent sur leur propre pratique, tantôt teintée de culpabilité, tantôt assise sur une pratique décomplexée, tantôt encore analysée au regard de ce que les spécificités de la langue peuvent apporter à la transmission, pour tenter de cerner quels sont les enjeux du français dans les territoires francophones du Pacifique et quelle « hybridité » ces auteurs apportent au texte littéraire. Le choix qui m'a guidée parmi les auteurs présentés ici ne prétend pas à l'exhaustivité ; il a été déterminé par le positionnement particulier qu'ils ont fait entendre de leur pratique du français, de ses enjeux dans leur pratique littéraire et dans la réflexion qu'elle engage sur la question identitaire. Après un état des lieux dévoilant les modalités de l'usage du français dans ces quatre territoires et le regard que les écrivains portent sur cet usage, je prendrai en considération la langue telle qu'elle apparaît au coeur du dispositif littéraire en tant qu'elle manifeste la rencontre entre des univers culturels différents. PAGE 3 1 J'emprunte ce terme à Sylvie André (Le roman autochtone, Paris, L'Harmattan, 2008) et à Chantal Spitz parce qu'il est plus neutre que « francophone », qui, par ailleurs, induit des questions définitionnelles complexes. Chantal Spitz, qui se réfère à la Déclaration interamérindienne relative aux droits des peuples autochtones, le préfère également à « indigène », connoté négativement, cf Litterama'ohi n°14, p.105.

Ce travail se construit autour du mystere qui, comme un « nimbe permanent », irradie l’œuvre romanesque jouvienne. Il s’appuie surtout sur les apports de la phenomenologie, qui replace le corps au centre de la connaissance, pour tenter de cerner les rapports entre mystere et sens. La premiere partie s’attache a etablir une topologie du mystere. Chez Pierre Jean Jouve en effet, l’espace visible se double d’un invisible au statut ambigu : a la fois de l’ordre d’un sens, immanent au sensible, et d’une presence qui echappe au sens. La deuxieme partie analyse les marques stylistiques fondant cette impression de mystere. Comme l’affirme Jean Paul Sartre, toute technique romanesque renvoie a la metaphysique de son romancier. Ainsi les divers procedes d’ecriture refletent-ils le regard particulier de Pierre Jean Jouve sur le monde et l’art de rendre compte d’un « nouveau reel ». La troisieme partie se penche sur les diverses references mythiques en tant que voies d’acces au mystere du « con...

As organizations involved in the 2014–2016 Ebola virus disease (EVD) outbreak response in West Africa are now drawing lessons from the crisis, the " manufacture of consent " (Burawoy 1979) emerges as an important issue. Recommendations and public health interventions developed during the response were met with suspicion and often resistances by affected populations, pushing involved organizations and actors to reflect about the validity of their risk communication tools and concepts. These difficulties stressed the numerous shortcomings of risk communication practices, which proved inefficient in an unfamiliar social and cultural context. Many reasons can be pointed-out to explain this failure to communicate risks and public health measures effectively under these circumstances. They include: unrealistic goals for communication; lack of integration of social science skills and knowledge in communication guidelines and human resources; underestimation of the breadth of communication-related tasks; over-segmentation and lack of clarity of communication concepts and expertise (risk communication, crisis communication, social mobilization, and health promotion are all but a few of these categories). Among all these possible lines of inquiry, I want to address what can arguably be considered the most fundamental flaw of crisis communication during the West African EVD episode: its inability to take into account and analyze efficiently the context of the intervention.

In Indonesia, transnational labour migrations have become a major source of foreign currency over the past twenty years. On migration routes and abroad, migrants are often subjected to abusive, sometimes violent or even deadly experiences. Yet, the 'migration industry' can count on increasing numbers of candidates. Drawing on 20-month multi-sited ethnographic fieldwork conducted between 2006 and 2009 in Java (Indonesia), Kuala Lumpur (Malayisa) and Singapore, I explore how, under these circumstances, migrant workers relate to this risky adventure. As it appears, local conceptions of 'fate' help to overcome fear: as future is perceived in terms of destiny, and since destiny lies ultimately in the hands of God, dealing with potential risks is a matter of religious faith: Only by surrendering sincerely to Allah is the migrant able to secure his or her future in this dangerous milieu. In this cognitive framework, incidents are conceived of as cobaan Tuhan-godly trials-full of meanings, which are meant to test one's faith in God. And bad experiences, rather than being seen as 2 contingent, are perceived as godly signs, which need to be interpreted in order to comply with God's will. I aim to show how this worldview formulates risk and/or uncertainty in terms of nasib and/or takdir (fate; destiny). This relation to risk, in turn, challenges Western-centered risk theories in adding nuance to the relationship between agency and risk, by tracing a singular conceptual tension between risk and fate.

The 9/11 attacks in New York gave a strong impetus to the development of emergency preparedness as a dominant way of conceiving domestic security and risk and uncertainty management, in the United States.This has lead to the development of a set of new practices and activities, gathered and articulated under the preparedness label. The paper stresses that the term does not circumvent a clear and coherent set of ideas and action plans, related to emergency management; rather, it ties together emerging and fast shifting concepts and practices concerned with crisis anticipation, mitigation and disaster recovery. As a consequence, it proposes to re-consider this domain of public policies by conceiving of preparedness as an organizational process, linked to the emergence of a dystopian social and political relationship to the future, in contemporary societies, and aimed at governing coming threats. This processual view allows accounting for both the heterogeneity of preparedness and its ...

The article explores the interactions between transnational labour migration, multinational corporations’ (MNCs) location strategies, and public policies in the context of contemporary Malaysia. My main hypothesis is that the country’s position in global production networks is dependent on the presence of a large pool of foreign workers. To demonstrate this relationship, I develop the concept of ‘migration rent’ in order to account for the specific characteristics of migrant labour in Malaysia. By showing that this rent allows the optimisation of labour, as a production factor, beyond the sole issue of labour costs, the concept allows an explanation for why foreign direct investment does not move to lower-wage countries. By allowing and organising the recruitment of foreign workers on a large scale, the government has shaped territories where both capital and labour can be relocated to achieve effective production factor combinations. To understand this process, I articulate the con...