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Plutarque,

 

 

Vie de Lysandre

 

Relu et corrig�

(texte grec)

abb� Dominique RICARD, Les Vies des Hommes illustres par Plutarque, t. ΙI, Paris, Firmin-Didot, 1883.

autre traduction de Pierron

 

 

 

 

 


 

[1] On lit sur le tr�sor des Acanthiens, � Delphes : BRASIDAS ET LES ACANTHIENS, DES D�POUILLES DES ATH�NIENS. Cette inscription a fait croire � plusieurs �crivains que la statue qu'on voit pr�s de la porte de cette chapelle est celle de Brasidas ; mais elle est de Lysandre : il est tr�s ressemblant, et repr�sent� avec une longue chevelure, � la mani�re des anciens, et une grande barbe. Il n'est point vrai, comme quelques auteurs le racontent, que les Argiens, apr�s une sanglante bataille qu'ils perdirent contre les Spartiates, s'�tant fait raser la t�te en signe de deuil, les vainqueurs, pour t�moigner leur joie d'un si grand succ�s, laiss�rent cro�tre leurs cheveux. Il ne l'est pas non plus que lorsque les Bacchiades s'enfuirent de Corinthe � Lac�d�mone, les Spartiates, les voyant ras�s, les trouv�rent si difformes, qu'ils voulurent porter de longs cheveux. Il est certain que cet usage leur vient de Lycurgue, qui disait qu'une longue chevelure rel�ve la beaut�, et rend la laideur plus terrible.

[2] II. Aristoclite, p�re de Lysandre, �tait, dit-on, de la race des H�raclides, mais non de la branche qui r�gnait � Sparte; Lysandre, �lev� dans une maison pauvre, se montra, autant qu'aucun autre Spartiate, fid�le observateur des coutumes de sa patrie. Son courage m�le, � l'�preuve de toutes les volupt�s, ne connut d'autre plaisir que celui que donne l'estime publique, qui est le prix des belles actions. A Lac�d�mone, les jeunes gens se laissent dominer sans honte par cette volupt�; les Spartiates veulent que leurs enfants soient, d�s le plus bas �ge, sensibles � la gloire, et qu'humili�s par les reproches, ils soient vivement excit�s par la louange. Celui qu'on voit insensible et immobile � ce double aiguillon est m�pris� comme un c�ur l�che, et sans �mulation pour la vertu. Ce fut donc � l'�ducation de Sparte que Lysandre dut son ambition et sa passion pour la gloire, car il ne faut pas en accuser la nature; ce qu'il tenait d'elle, c'�tait ce penchant � flatter les grands beaucoup plus qu'il ne convenait � un Spartiate, cette facilit� � supporter, pour ses int�r�ts, le poids de leur orgueil: qualit�s, au reste, que bien des gens regardent comme une grande partie de la science politique. Aristote, qui pr�tend que les hommes � grand caract�re sont ordinairement m�lancoliques comme l'avaient �t� Socrate, Platon et Hercule, rapporte que Lysandre, en approchant de la vieillesse, tomba dans la m�lancolie. Une particularit� de son caract�re, c'est qu'ayant toujours souffert avec courage la pauvret�, et ne s'�tant jamais laiss� vaincre ni corrompre par l'argent, il remplit sa patrie de richesses, il en fit na�tre le d�sir; et en apportant aux Spartiates, apr�s la guerre d'Ath�nes des sommes consid�rables d'or et d'argent, il priva Lac�d�mone de ce sentiment d'admiration qu'inspirait aux autres peuples le m�pris que cette ville avait toujours eu pour les richesses; mais il n'en retint pas pour lui une seule drachme ; et tel �tait son d�sint�ressement, que Denys le tyran ayant envoy� aux filles de Lysandre des robes de Sicile tr�s riches, il les refusa, en disant qu'il craignait que ces belles robes ne fissent para�tre ses filles plus laides qu'elles n'�taient. Cependant, peu de temps apr�s, lorsque les Spartiates le d�put�rent vers ce m�me Denys, le tyran lui ayant envoy� deux robes, en le priant de choisir celle qu'il voudrait pour la porter � sa fille, il r�pondit que sa fille choisirait mieux que lui, et il les prit toutes deux.

[3] III. Cependant la guerre du P�loponn�se tra�nait en longueur, et la d�faite des Ath�niens en Sicile ne laissait plus douter qu'ils ne fussent promptement chass�s de la mer, et bient�t perdus sans ressource. Mais Alcibiade, rappel� de son exil et remis � la t�te des affaires, y op�ra tout � coup un si grand changement, que dans les combats de mer il r�tablit l'�quilibre entre les Ath�niens et les Spartiates. Ceux-ci, commen�ant � craindre � leur tour, mirent dans cette guerre une ardeur toute nouvelle; et sentant qu'elle demandait un g�n�ral habile et de grands pr�paratifs, ils envoy�rent Lysandre prendre le commandement de la flotte. Arriv� � �ph�se, il trouva cette ville bien intentionn�e pour lui, et d�vou�e aux int�r�ts de Sparte, mais d'ailleurs dans la situation la plus f�cheuse, et menac�e de devenir barbare en adoptant les m�urs des Perses, avec qui elle avait les relations les plus fr�quentes; elle �tait comme environn�e par la Lydie, et les g�n�raux du roi y faisaient de longs s�jours. Lysandre y logea son arm�e, et rassemblant de tous c�t�s le plus grand nombre de vaisseaux de charge qu'il put trouver, il b�tit un arsenal pour la construction des navires, rappela le commerce dans ses ports, et les ateliers sur ses places; ramena dans les maisons des particuliers les richesses et les arts, et fit d�s lors concevoir � �ph�se l'espoir de cette grandeur et de cette opulence o� nous la voyons aujourd'hui.

[4] IV. Lysandre ayant appris que Cyrus, le fils du roi, �tait arriv� � Sardes, alla le trouver, pour lui parler des affaires de la Gr�ce, et se plaindre de Tisapherne, qui, ayant eu ordre de secourir Lac�d�mone et de chasser les Ath�niens de la mer, s'y portait froidement par amiti� pour Alcibiade, et en fournissant � peine des provisions � la flotte, �tait cause de sa perte. Cyrus, de son c�t�, souhaitait qu'il y e�t des plaintes contre Tissapherne, et qu'il f�t g�n�ralement d�cri�, parce que c'�tait un m�chant homme, et d'ailleurs son ennemi particulier. Lysandre plut donc au jeune prince par sa d�nonciation contre ce satrape ; il se rendit plus agr�able encore par les charmes de sa conversation, et le captiva surtout par son adresse � lui faire la cour, aussi le fortifia-t-il ais�ment dans le dessein qu'il avait de continuer la guerre. Lorsqu'il fut pr�s de partir, Cyrus, dans un souper qu'il lui donnait, le pria de ne pas rejeter les t�moignages de sa bienveillance, et de lui demander tout ce qu'il voudrait, en l'assurant qu'il ne serait pas refus�. �Prince, lui r�pondit Lysandre, puisque vous �tes si favorablement dispos� pour moi, je vous supplie d'ajouter une obole � la paye des matelots, afin qu'au lieu de trois oboles par jour, ils en re�oivent quatre. � Cyrus, charm� de son d�sint�ressement, lui donna dix mille dariques, que Lysandre employa � distribuer aux matelots une obole de plus par jour. Cette lib�ralit� eut bient�t d�garni les gal�res des Ath�niens, car la plupart des matelots se rendaient sur la flotte, o� ils �taient mieux pay�s; ceux qui restaient, faisant l�chement le service et toujours pr�ts � se r�volter, donnaient beaucoup de mal � leurs capitaines. Cependant, quoique Lysandre, en enlevant ce grand nombre d'hommes aux ennemis, e�t consid�rablement diminu� leurs forces, il n'osait en venir � une bataille navale; il redoutait Alcibiade, dont il connaissait l'activit�, qui d'ailleurs avait une flotte plus nombreuse, et avait �t� jusqu'alors invincible et sur terre et sur mer.

[5] [V]  Mais Alcibiade �tant parti de Samos pour aller � Phoc�e, et ayant laiss� le commandement de la flotte � son pilote Antiochus, celui-ci, pour insulter � Lysandre et faire preuve de fiert�, entre dans le port d'�ph�se, suivi seulement de deux gal�res; et cinglant avec beaucoup de bruit et de grands �clats de rire, il passe insolemment devant la flotte lac�d�monienne, qui �tait � sec sur le rivage. Lysandre, indign� de son audace, mit d'abord en mer quelques gal�res, afin de le poursuivre; et voyant que les Ath�niens venaient au secours d'Antiochus, il en d�tacha d'autres successivement; enfin, les deux flottes combattirent avec toutes leurs forces. Lysandre fut vainqueur; et ayant pris quinze gal�res ennemies, il en dressa un troph�e. Les Ath�niens, irrit�s de cette d�faite, �t�rent le commandement de la flotte � Alcibiade, qui, se voyant en butte au m�pris et aux reproches de l'arm�e de Samos, quitta le camp, et fit voile vers la Cherson�se. Cette victoire fut en soi peu consid�rable; mais la fortune lui donna le plus grand �clat, � cause de la r�putation dont jouissait Alcibiade. Cependant Lysandre ayant fait venir des villes d'Asie � �ph�se les hommes qu'il connaissait pour les plus courageux et les plus entreprenants, il s'appliqua � semer parmi eux les premiers germes des innovations et des changements qu'il effectua depuis dans ces villes; il exhorta, il anima ces hommes audacieux � former entre eux des associations, et � se rendre ma�tres des affaires; il leur promit que lorsqu'il aurait renvers� la puissance des Ath�niens, il d�truirait partout la domination du peuple, et les investirait du pouvoir souverain dans leur patrie. Il leur donna, par des effets r�els, des garants s�rs de ses promesses; il mit � la t�te de l'administration ceux qui �taient devenus ses amis et ses h�tes; il leur conf�ra les honneurs et Ies dignit�s, et se rendit, pour satisfaire leur ambition, le complice de leurs injustices et de leurs fautes. Aussi, enti�rement d�vou�s � sa personne, ils ne d�siraient que lui, ils ne cherchaient qu'� lui complaire, assur�s qu'ils en obtiendraient tout tant qu'il serait le ma�tre.

VI. Cet attachement � Lysandre leur fit voir de mauvais �il Callicratidas, qui vint le remplacer dans le commandement de la flotte; et quand ils eurent connu, par exp�rience, que c'�tait l'homme le meilleur et le plus juste, ils furent encore plus m�contents de sa mani�re de gouverner simple, droite, et tout � fait dorienne. Ils admiraient, il est vrai, sa vertu, mais de cette admiration qu'inspire la beaut� d'une statue antique de quelque h�ros; au lieu qu'ils aimaient le z�le, l'affection de Lysandre, pour ses amis, et qu'ils regrettaient les avantages que sa faveur leur procurait. Quand ils le virent s'embarquer, ils furent si afflig�s de son d�part, qu'ils ne purent retenir leurs larmes.

[6] Lysandre augmenta encore leur indisposition contre Callicratidas, en renvoyant � Sardes ce qui restait de l'argent que Cyrus lui avait donn�, et en disant � Callicratidas d'aller lui-m�me le demander au roi, et de pourvoir, en attendant, � l'entretien de ses troupes. Enfin, au moment de mettre � la voile, il protesta publiquement qu'il remettait � son successeur une flotte qui �tait ma�tresse de la mer. Callicratidas, pour rabattre cette vaine fiert�, qui n'�tait qu'une ambition ridicule : � Eh bien! lui dit-il, que ne prenez-vous � gauche, par Samos, pour venir � Milet me remettre votre flotte? Puisque nous sommes ma�tres de la mer, nous n'avons pas � craindre les ennemis qui sont dans Samos. � Lysandre lui r�pliqua qu'il n'avait plus d'autorit�, et que c'�tait � son successeur seul qu'appartenait le commandement de la flotte; et, sans attendre la r�ponse de Callicratidas, il fit voile pour le P�loponn�se, laissant ce g�n�ral dans le plus grand embarras. Il n'avait point apport� d'argent de Lac�d�mone, et il ne pouvait se r�soudre � mettre des contributions forc�es sur les villes, qu'il trouvait d�j� trop foul�es.

VII. Il ne lui restait donc que d'aller, comme avait fait Lysandre, � la porte des g�n�raux du roi, pour en solliciter. Mais personne n'�tait moins propre que lui � cette d�marche. Il avait une �me �lev�e et un grand amour de la libert�. Il trouvait moins honteux pour des Grecs d'�tre battus par d'autres peuples de la Gr�ce, que d'aller faire leur cour � des Barbares qui n'avaient d'autre m�rite que de poss�der beaucoup d'or. C�dant enfin � la n�cessit�, il va en Lydie, se rend tout de suite au palais de Cyrus, et prie un des gardes qui �taient � la porte d'aller dire � ce prince que Callicratidas, amiral de la flotte lac�d�monienne, est venu pour lui parler. � �tranger, lui dit cet officier, Cyrus n'a pas le temps de vous recevoir; il est � table. � Eh bien! reprit avec simplicit� Callicratidas, j'attendrai qu'il en soit sorti. � A cette r�ponse, les Barbares l'ayant pris pour un homme qui manquait de savoir-vivre, se moqu�rent de lui, et il se retira. Il se pr�senta chez Cyrus une seconde fois, et fut encore refus�. Trop fier pour supporter cet affront, il s'en retourne � �ph�se, en chargeant de mal�dictions ceux qui, les premiers, s'�taient avilis au point de se laisser insulter par des Barbares, et les avaient autoris�s � s'enorgueillir de leurs richesses. Il jura devant ceux qui l'accompagnaient que son premier soin, en arrivant � Sparte, serait de mettre tout en �uvre pour terminer les diff�rends des Grecs, afin que, devenus redoutables aux Barbares, ils n'allassent plus mendier leurs secours pour se d�truire les uns les autres.

[7] Mais Callicratidas, que la noblesse de ses sentiments rendait si digne de Sparte; qui, par sa justice, sa grandeur d'�me et son courage, �tait comparable aux plus grands hommes de la Gr�ce, fut bient�t apr�s vaincu et tu� dans un combat naval pr�s des Arginuses.

VIII. Les alli�s des Lac�d�moniens, affaiblis par cette d�faite, envoy�rent � Sparte des ambassadeurs charg�s de demander Lysandre pour commander la flotte, en promettant de combattre avec plus d'ardeur, s'ils l'avaient � leur t�te. Cyrus y d�puta de son c�t�, pour faire la m�me demande. La loi ne permettait pas que le m�me homme f�t deux fois amiral. Mais les Lac�d�moniens, qui voulaient r�pondre au d�sir des alli�s, conf�r�rent la dignit� d'amiral � un certain Aracus, et firent partir avec lui Lysandre, qui, sous le simple titre de lieutenant, avait seul toute l'autorit�. Ceux qui se m�laient des affaires publiques, et qui avaient du cr�dit dans les villes, le d�siraient depuis longtemps, et le virent arriver avec joie, dans l'espoir qu'il augmenterait leur autorit�, en d�truisant les gouvernements populaires. Mais ceux qui pr�f�raient des g�n�raux de m�urs simples et d'inclinations g�n�reuses, ne voyaient dans Lysandre, compar� � Callicratidas, qu'un sophiste rus�, qui, par ses tromperies, prenait, en faisant la guerre, toutes sortes de formes, et ne faisait cas de la justice que lorsqu'elle favorisait ses int�r�ts; partout ailleurs il ne regardait comme beau et honn�te que ce qui �tait utile. Il ne croyait pas que la v�rit� f�t en soi pr�f�rable au mensonge; et il n'estimait l'un et l'autre que par l'avantage qu'il en retirait. Quand on lui repr�sentait que les descendants d'Hercule ne devaient pas employer � la guerre la ruse et la fraude, il leur disait d'un ton moqueur : � Partout o� la peau du lion ne peut atteindre, il faut y coudre celle du renard. �

[8] IX. Sa conduite � Milet mit ce caract�re dans tout son jour. Ses h�tes et ses amis, � qui il avait promis son appui pour d�truire l'autorit� du peuple et chasser leurs adversaires, ayant chang� de sentiment, et s'�tant r�concili�s avec le parti contraire, Lysandre parut en public content de cette r�conciliation, et vouloir m�me la cimenter; mais en particulier il accablait ses amis d'injures, il les traitait de l�ches, et les excitait � se soulever contre le peuple. Quand il vit que la s�dition commen�ait � �clater, il accourut comme pour les soutenir; mais lorsqu'il fut dans la ville, il s'emporta de paroles contre les premiers qu'il rencontra de ceux qui voulaient innover dans le gouvernement, les traita avec la plus grande duret�, et les mena�a de les punir s�v�rement; il dit � leurs ennemis d'avoir bon courage, et les assura qu'ils n'avaient rien � craindre tant qu'il serait au milieu d'eux. Le but de cette dissimulation �tait de retenir dans la ville ceux du parti populaire qui avaient le plus de pouvoir, et de les y faire p�rir. C'est en effet ce qui leur arriva; ceux qui se fi�rent � ses paroles furent tous �gorg�s. Androclidas rapporte de lui un mot qui prouve sa facilit� � se parjurer. � Il faut, disait-il, tromper les enfants avec des osselets, et les hommes avec des serments. � Il voulait en cela imiter Polycrate de Samos; mais il avait tort : il �tait g�n�ral d'arm�e, et Polycrate r�gnait en tyran. Il n'�tait pas d'ailleurs dans les institutions de Sparte d'en agir avec les dieux comme avec des ennemis, et avec plus d'insolence encore; car celui qui trompe par un parjure d�clare qu'il craint son ennemi et qu'il m�prise Dieu.

[9] X. Cyrus ayant mand� Lysandre � Sardes, lui donna de l'argent, lui en promit encore davantage, et lui dit, avec une vanit� de jeune homme, qu'il avait tant d'envie de l'obliger, que si son p�re ne voulait rien fournir, il prendrait sur ses revenus ce qui lui serait n�cessaire; que si tout venait � lui manquer, il ferait fondre le tr�ne sur lequel il rendait la justice, et qui �tait d'or et d'argent massif. Enfin, au moment de partir pour aller retrouver son p�re en M�die, il lui d�l�gua les tributs des villes, lui confia le gouvernement de ses provinces; et, en l'embrassant, il le pria de ne pas attaquer les Ath�niens sur mer avant son retour, l'assurant qu'il reviendrait avec un grand nombre de vaisseaux de Ph�nicie et de Cilicie. Il partit aussit�t pour se rendre aupr�s du roi. Lysandre, qui ne pouvant combattre � forces �gales, ne voulait pas cependant rester dans l'inaction avec une flotte si nombreuse, alla prendre quelques �les, pilla celles d'�gine et de Salamine, et fit une descente dans l'Attique, o� il alla saluer le roi Agis, qui �tait venu du fort de D�c�lie pour faire voir � ses troupes de terre ces forces navales qui le rendaient ma�tre de la mer, au-del� m�me de ce qu'il e�t os� d�sirer. Mais Lysandre ayant appris que les Ath�niens se mettaient � sa poursuite, prit une autre route, et s'enfuit en Asie � travers les �les. Il trouva l'Hellespont sans d�fense, et assi�gea Lampsaque par mer, pendant que Thorax, qui venait d'y arriver en m�me temps que lui, donnait l'assaut du c�t� de la terre; la ville fut prise de force, et abandonn�e au pillage.

XI. Cependant la flotte des Ath�niens, forte de cent quatre-vingts voiles, avait jet� l'ancre devant �l�onte, dans la Cherson�se; mais, inform�e de la prise de Lampsaque, elle se porta tout de suite � Seste, et, apr�s s'y �tre ravitaill�e, elle remonta jusqu'� �gos-Potamos, et s'arr�ta en face des ennemis, qui �taient encore � l'ancre devant Lampsaque. La flotte ath�nienne avait plusieurs commandants, et entre autres Philocl�s, celui qui avait fait autrefois ordonner par le peuple qu'on couperait le pouce droit � tous les prisonniers de guerre, afin qu'ils ne pussent plus se servir de la pique, mais seulement manier la rame.

[10] Les deux flottes se repos�rent ce jour-l�, dans l'esp�rance qu'elles combattraient le lendemain. Mais Lysandre, qui avait con�u un autre projet, ordonne � ses matelots et � ses pilotes de monter sur leurs gal�res, comme si l'on e�t d� combattre d�s le point du jour; de s'y tenir sans faire aucun bruit, et d'y attendre ses ordres dans un profond silence. Il fit dire aussi � l'arm�e de terre de rester tranquillement en bataille sur le rivage. D�s que le soleil parut, les Ath�niens firent avancer toutes leurs gal�res sur une seule ligne, et provoqu�rent les ennemis au combat. Les vaisseaux des Spartiates avaient la proue tourn�e contre l'ennemi, et �taient, d�s la veille, garnis de tout leur �quipage : cependant Lysandre ne fit aucun mouvement : au contraire, il envoya des chaloupes aux gal�res qui �taient les plus avanc�es, leur fit porter l'ordre de rester en bataille sans se d�ranger, et de se tenir dans la plus grande tranquillit�. Le soir, quand les Ath�niens se furent retir�s, il ne laissa d�barquer ses soldats qu'apr�s que deux ou trois gal�res, qu'il avait envoy�es � la d�couverte, lui eurent rapport� qu'elles avaient vu les ennemis descendre de leurs vaisseaux. II fit de m�me les trois jours suivants. Cette conduite, en faisant croire aux Ath�niens que c'�tait la crainte qui tenait les ennemis dans l'inaction, leur inspira autant de confiance en eux-m�mes que de m�pris pour les Lac�d�moniens.

[11] XII. Cependant Alcibiade, qui se tenait dans des places fortes de la Cherson�se qu'il avait � lui, vint � cheval au camp des Ath�niens, et repr�senta aux g�n�raux qu'ils avaient imprudemment, et contre leur s�ret�, plac� leur flotte sur une c�te d�couverte, et qui n'avait aucun abri; en second lieu, qu'ils avaient eu tort d'abandonner Seste, d'o� ils tiraient leurs provisions; et qu'ils feraient sagement de regagner promptement le port de cette ville, pour se tenir plus loin des ennemis, qui, command�s par un seul chef, suivaient une exacte discipline, et ob�issaient � tout au moindre signal. Mais les g�n�raux n'eurent aucun �gard � ses repr�sentations; et Tyd�e, l'un d'eux, lui r�pondit d'un ton insultant que ce n'�tait pas lui qui commandait, et que l'arm�e avait ses g�n�raux. Alcibiade, soup�onnant quelque trahison, se retira sans r�pliquer. Le cinqui�me jour, les Ath�niens vinrent encore pr�senter la bataille aux ennemis; et le soir, quand ils se furent retir�s avec cet air de n�gligence et de m�pris qui leur �tait ordinaire, Lysandre envoya quelques vaisseaux d'observation, avec ordre aux capitaines que lorsqu'ils auraient vu d�barquer les Ath�niens, ils revinssent en toute diligence; et qu'arriv�s au milieu du d�troit, ils �levassent sur leur proue, au bout d'une pique, un bouclier d'airain, pour lui donner le signal de faire partir sa flotte. Lui-m�me, sur sa gal�re, parcourant toute la ligne, animait les pilotes et les capitaines; les exhortait tous, soldats et matelots, de tenir chacun leur �quipage en bon ordre, et, d�s que le signal serait donn�, de voguer de toutes leurs forces contre l'ennemi.

XIII. Il n'eut pas plut�t vu le bouclier �lev� sur les gal�res d'observation, que la trompette de la gal�re capitane se donna le signal, et que toute la flotte se mit � voguer en bon ordre : l'arm�e de terre se h�ta aussi de gagner le promontoire qui dominait le rivage, pour �tre spectatrice du combat. Le d�troit qui s�pare ces deux continents n'a de largeur en cet endroit que quinze stades; la diligence et l'activit� des rameurs eurent bient�t franchi cet intervalle. Conon fut le premier des g�n�raux Ath�niens qui, de la terre, vit cette flotte s'avancer � pleines voiles, et qui cria qu'on s'embarqu�t. Saisi de douleur � la vue du malheur qui menace la flotte, il appelle les uns, il conjure les autres, il force tous ceux qu'il trouve de monter sur les vaisseaux; mais ses efforts et son z�le sont inutiles, les soldats �taient dispers�s de c�t� et d'autre; ils avaient � peine quitt� leurs vaisseaux, que, ne s'attendant � rien de nouveau, ils avaient couru ou acheter des vivres, ou se promener dans la campagne. Les uns dormaient dans leurs tentes, d'autres pr�paraient leur souper; tous, par l'inexp�rience de leurs chefs, �taient bien loin de pr�voir ce qui les mena�ait. D�j� les ennemis venaient sur eux avec imp�tuosit�, en jetant de grands cris, lorsque Conon, se d�robant avec huit vaisseaux, se retira dans l'�le de Chypre, aupr�s d'�vagoras. Les P�loponn�siens, tombant sur les autres gal�res, enl�vent celles qui sont vides, et froissent de leur choc celles qui commen�aient � se remplir. Les soldats qui accouraient pour les d�fendre par pelotons et sans armes sont tu�s pr�s de leurs vaisseaux, et ceux qui s'enfuient dans les terres sont massacr�s par les ennemis, qui, descendant du promontoire, se mettent � leur poursuite. Lysandre fit trois mille prisonniers, au nombre desquels �taient les g�n�raux. Il s'empara de toute la flotte, except� du vaisseau Paralus, et des huit que Conon avait emmen�s au commencement de l'action. Lysandre ayant remorqu� les gal�res captives, et pill� le camp des Ath�niens, s'en retourna � Lampsaque, au son des fl�tes et aux chants de victoire. Il venait d'ex�cuter, sans aucune peine, un des plus grands exploits de guerre : il avait, pour ainsi dire, resserr� dans l'espace d'une heure le temps le plus consid�rable et le plus f�cond en �v�nements. Il avait mis fin � une guerre signal�e par les coups les plus extraordinaires de la fortune; une guerre qui, ayant eu successivement les formes les plus vari�es, produit les plus �tonnantes vicissitudes, amen� un nombre infini de batailles par terre et par mer, et enlev� plus de g�n�raux que toutes les guerres dont la Gr�ce avait �t� jusqu'alors le th��tre, venait d'�tre termin�e par la prudence et l'habilet� d'un seul homme.

XIV. Aussi regarda-t-on ce succ�s comme l'ouvrage d'un dieu;

[12] et l'on assure que lorsque la flotte lac�d�monienne sortit du port pour aller contre l'ennemi, on vit briller, aux deux c�t�s du gouvernail de la gal�re de Lysandre, les deux �toiles des Dioscures. D'autres pr�tendent que la chute d'une pierre, qui arriva dans ce lieu m�me, fut le pr�sage de cette d�faite; car c'est une opinion g�n�rale, qu'il tomba du ciel sur la c�te d'�gos-Potamos une grosse pierre qu'on montre encore aujourd'hui, et dont tous les habitants de la Cherson�se ont fait un objet de v�n�ration. On dit m�me qu'Anaxagoras avait pr�dit qu'un des astres attach�s � la vo�te c�leste en serait un jour arrach� par un fort �branlement et une violente secousse, et qu'il tomberait sur la terre. Les astres, selon ce philosophe, n'occupent plus aujourd'hui les espaces dans lesquels ils furent d'abord plac�s : comme ils sont d'une substance pierreuse, et qu'ils ont beaucoup de pesanteur, ils ne brillent que par la r�flexion et la r�fraction de l'�ther; ils sont retenus dans les r�gions sup�rieures de l'univers par la r�volution rapide du ciel, qui les y poussa d�s la formation du monde, lorsque la violence du tourbillon, qui fit la s�paration des corps froids et pesants d'avec les autres substances de l'univers, les emp�cha de se d�tacher de ces r�gions �lev�es o� elle les retient encore. Mais une opinion plus vraisemblable, c'est que les �toiles qu'on appelle tombantes ne sont, suivant quelques philosophes, ni des fusions, ni des s�parations du feu �th�r�, qui s'�teignent dans les airs au m�me moment qu'elles s'y enflamment; moins encore des embrasements de l'air, qui, condens� en trop grande masse, s'�chappe vers les r�gions sup�rieures, et s'y enflamme : ce sont de vrais corps c�lestes qui, d�tach�s du ciel par les secousses que leur font �prouver ou l'affaiblissement de la r�volution rapide de l'univers, ou quelque autre mouvement extraordinaire, tombent sur la terre, non dans les lieux habit�s, mais le plus souvent dans la grande mer Oc�ane, o� ils disparaissent � nos yeux. Cependant l'opinion d'Anaxagoras est confirm�e par Damachus, qui, dans son Trait� de la religion, rapporte qu'avant la chute de cette pierre, on vit sans interruption dans le ciel, pendant soixante-quinze jours, un globe de feu d'une tr�s grande �tendue, semblable � un nuage enflamm�, qui n'�tait point fixe � la m�me place, mais qui, flottant de divers c�t�s par des mouvements contraires et irr�guliers, �tait pouss� avec tant de violence, qu'il s'en d�tachait des parties enflamm�es, qui, port�es �� et l�, jetaient des �clairs pareils a ceux des �toiles tombantes. Lorsque ce globe fut tomb� sur la c�te de l'Hellespont, et que les habitants du pays, revenus de leur frayeur, eurent accouru pour l'examiner, ils n'y trouv�rent aucun indice, aucune trace de feu; ils ne virent qu'une pierre immobile, qui, quoique assez grande, paraissait � peine une tr�s petite portion du globe de feu qu'on avait vu d'abord. Tout le monde sent combien Damachus a besoin ici de lecteurs indulgents; mais si son r�cit est vrai, c'est une r�futation victorieuse de l'opinion de ceux qui pr�tendent que cette pierre �tait une masse de rocher qui, arrach�e par la violence d'un vent orageux de la cime d'une montagne, et port�e dans les airs tant que dura la force du tourbillon, tomba au premier endroit o� ce mouvement rapide vint � se ralentir. On pourrait dire aussi que ce globe qui parut dans le ciel pendant plusieurs jours, �tait r�ellement enflamm�, et qu'ensuite, en s'�teignant et se dissipant dans l'atmosph�re, il y causa un changement extraordinaire, excita des vents imp�tueux et des secousses violentes, qui d�tach�rent cette pierre et la lanc�rent sur la terre. Mais cette discussion convient � des ouvrages d'un autre genre.

[13] XV. Le conseil de guerre ayant prononc� une sentence de mort contre les trois mille prisonniers faits sur les Ath�niens, Lysandre appela Philocl�s, l'un des g�n�raux, et lui demanda � quelle peine il se condamnait lui-m�me, pour le d�cret qu'il avait fait prononcer � Ath�nes contre les prisonniers grecs. Philocl�s, dont le malheur n'avait point abattu le courage, lui r�pondit avec fiert� de ne pas accuser des gens qui n'avaient point de juges, et de profiter de sa victoire pour traiter les vaincus comme il le serait lui-m�me, s'il �tait � leur place. Aussit�t il va se mettre au bain, se couvre ensuite d'un riche manteau, et marchant le premier au supplice, suivant le r�cit de Th�ophraste, il montre le chemin � ses concitoyens. Apr�s cette ex�cution, Lysandre parcourut avec sa flotte les villes maritimes, et obligea tous les Ath�niens qu'il y trouva de se retirer dans Ath�nes, en leur d�clarant qu'il ne ferait gr�ce � aucun de ceux qu'il surprendrait hors de leur ville, et qu'ils seraient tous �gorg�s. Il voulait, en les renfermant dans Ath�nes, affamer plus promptement la ville, afin que, manquant de provisions pour soutenir un long si�ge, elle f�t plus t�t r�duite. A mesure qu'il passait dans les villes, il y d�truisait la d�mocratie et les autres formes de gouvernement, qu'il rempla�ait par un harmoste lac�d�monien, et dix archontes tir�s des soci�t�s qu'il y avait form�es. Il traitait �galement toutes les villes, ennemies ou alli�es; et naviguant � loisir le long des c�tes, il semblait se pr�parer une sorte de domination sur toute la Gr�ce. Car ce n'�tait ni la noblesse ni la fortune qui le guidaient dans le choix des magistrats; il confiait toutes les dignit�s � des hommes pris dans ces associations qu'il avait �tablies, et leur donnait tout pouvoir de punir et de r�compenser � leur gr�. Il assistait souvent au supplice des proscrits, chassait tous les ennemis de ceux qui lui �taient d�vou�s, et donnait aux Grecs un avant-go�t peu agr�able du gouvernement lac�d�monien. Le po�te comique Th�opompe a donc l'air de plaisanter, lorsque, comparant les Lac�d�moniens aux cabaretiers, il dit qu'apr�s avoir fait go�ter aux Grecs le doux breuvage de la libert�, ils leur avaient ensuite vers� du vinaigre. Au contraire, le premier essai qu'ils firent de leur gouvernement fut plein d'aigreur et d'amertume; car Lysandre ne laissa dans aucune ville le peuple � la t�te des affaires, et il confia partout l'autorit� au petit nombre des nobles les plus audacieux et les plus violents.

 [14] XVI. Apr�s avoir termin� en assez peu de temps toutes ces op�rations, il d�p�cha des courriers � Lac�d�mone, pour y annoncer qu'il allait arriver avec deux cents vaisseaux. Cependant il aborda sur la c�te d'Attique, et se joignit aux rois de Sparte Agis et Pausanias, dans l'esp�rance qu'il serait bient�t ma�tre d'Ath�nes. Mais la r�sistance des Ath�niens le d�termina � se rembarquer; et repassant en Asie, il changea le gouvernement de toutes les villes, �tablit des conseils de dix archontes, et condamna � la mort ou � l'exil une foule de citoyens. Il chassa les Samiens de leur patrie, et mit en possession de Samos ceux qui en avaient �t� bannis. Il enleva aux Ath�niens la ville de Seste; et ayant oblig� tous les habitants d'en sortir, il donna la ville, avec son territoire, aux pilotes et aux c�leustes qui avaient servi sur sa flotte. Ce fut le premier de ses actes d'autorit� que les Lac�d�moniens d�savou�rent : ils rendirent aux Sestiens leur ville et leurs terres. Mais tous les Grecs virent avec plaisir qu'il e�t remis les �gin�tes en possession de leur ville, dont ils �taient bannis depuis si longtemps, et qu'apr�s avoir chass� les Ath�niens de M�los et de Sicyone, il y e�t r�tabli les anciens habitants.

XVII. Cependant Lysandre, sachant que les Ath�niens �taient press�s par la famine, fit voile vers le Pir�e, et for�a la ville de se rendre aux conditions qu'il voulut lui imposer. Si l'on en croit les Lac�d�moniens, Lysandre n'�crivit aux �phores que ces mots : � Ath�nes est prise. � Et les �phores lui r�pondirent : � Il suffit qu'Ath�nes soit prise. � Mais c'est un conte fait � plaisir pour rendre le r�cit plus int�ressant; le d�cret, tel qu'il fut dress� par les �phores, �tait con�u en ces termes : �  Voici ce qu'ont ordonn� les magistrats de Lac�d�mone : Vous d�molirez les fortifications du Pir�e, et les longues murailles qui le joignent � la ville; vous �vacuerez toutes les villes que vous avez conquises, et vous vous renfermerez dans les bornes de votre territoire. Vous aurez la paix � ces conditions; vous payerez aussi ce qui sera jug� convenable, vous rappellerez les bannis. Quant au nombre des vaisseaux que vous devez garder, vous vous conformerez � ce qui vous sera prescrit �. Les Ath�niens, par le conseil de Th�ram�ne, fils d'Agnon, accept�rent ce fatal d�cret; et un jeune orateur ath�nien, nomm� Cl�om�nes, lui ayant demand� s'il oserait dire et faire le contraire de ce qu'avait fait Th�mistocle, en livrant aux Lac�d�moniens des murailles que Th�mistocle avait b�ties malgr� les Lac�d�moniens : � Jeune homme, lui r�pondit Th�ram�ne, je ne fais rien de contraire � ce qu'a fait Th�mistocle. C'est pour le salut des citoyens que Th�mistocle a b�ti ces murailles; et c'est aussi pour le salut des citoyens que nous les d�molissons. Si ce sont les murailles qui rendent les villes heureuses, Lac�d�mone, qui n'en a point, doit �tre la plus malheureuse de toutes les villes. �

[15] Lysandre se rendit ma�tre de tous les vaisseaux des Ath�niens, � l'exception de douze, et prit possession de la ville le seize du mois de Munychion, jour auquel les Ath�niens avaient remport� sur les Barbares la victoire de Salamine. A peine entr� dans Ath�nes, il proposa de changer la forme du gouvernement; les Ath�niens y ayant t�moign� la plus grande opposition, Lysandre fit dire au peuple qu'il avait manqu� � la capitulation, que les jours qu'on lui avait accord�s pour d�truire les murailles �tant pass�s sans qu'on e�t ex�cut� cet article du trait�, il allait assembler le conseil, pour leur dicter d'autres conditions, puisqu'ils avaient viol� les premi�res. On ajoute qu'il fut propos� dans le conseil des alli�s de r�duire en servitude tous les Ath�niens, et qu'un Th�bain, nomm� �rianthus, conseilla de raser la ville, et de faire de tout le pays un lieu de p�turage pour les troupeaux. Ce conseil fut suivi d'un festin o� se trouv�rent tous les g�n�raux, et pendant lequel un musicien de Phocide chanta ces vers du premier ch�ur de l'�lectre d'Euripide :

�  Fille d'Agamemnon, princesse infortun�e,
Quel est de ce s�jour la triste destin�e!
J'y vois tous les palais en cabanes chang�s. �  

Tous les convives, attendris, s'�cri�rent qu'il serait horrible de d�truire une ville si c�l�bre, et qui avait produit de si grands hommes.

XVIII. Les Ath�niens s'�tant donc soumis � tout, et Lysandre ayant appel� de la ville un grand nombre de joueuses de fl�te, qu'il r�unit � celles qu'il avait dans son camp, fit raser les murailles et br�ler les vaisseaux au son de la fl�te, et en pr�sence des alli�s, qui, couronn�s de fleurs, et regardant ce jour comme l'aurore de leur libert�, donnaient les plus vives d�monstrations de joie. Ayant aussit�t apr�s chang� la forme du gouvernement, il �tablit dans la ville trente archontes, et dix dans le Pir�e; il mit dans la citadelle une garnison, sous les ordres d'un harmoste spartiate, nomm� Callibius. Ce commandant ayant un jour lev� son b�ton sur l'athl�te Autolycus, celui sur qui X�nophon a compos� son Banquet, Autolycus le saisit par les deux cuisses, et, l'�levant en l'air, il le froissa ensuite contre terre. Lysandre, loin de l'en punir, r�primanda Callibius, et lui dit qu'il ne savait pas commander � des hommes libres. Cependant, peu de jours apr�s, les Trente, pour complaire � Callibius, firent mourir Autolycus.

[16] XIX. Apr�s voir ainsi tout r�gl� � Ath�nes, Lysandre partit pour la Thrace; et ce qui lui restait de l'argent qu'il avait pris dans Ath�nes, des pr�sents qu'il avait re�us, des couronnes qu'on lui avait donn�es, et qui devaient �tre en grand nombre, car tout le monde lui en apportait � l'envi, comme � l'homme le plus puissant et en quelque sorte le ma�tre de la Gr�ce, il l'envoya � Lac�d�mone par Gylippe, celui qui avait command� en Sicile. Gylippe, dit-on, d�cousit par-dessous tous les sacs, tira de chacun une assez grande somme, et les recousit ensuite; il ne savait pas qu'il y avait dans chaque sac un bordereau de ce qu'il contenait. Arriv� � Sparte, il cacha sous le toit de sa maison l'argent qu'il avait d�rob�, et remit les sacs aux �phores, en leur faisant voir que les cachets �taient entiers. Les �phores ayant ouvert les sacs et compt� l'argent, trouv�rent que les sommes ne s'accordaient pas avec les bordereaux. Ils ne savaient qu'en penser, lorsqu'un esclave de Gylippe vint leur d�couvrir la fraude de son ma�tre, en leur disant d'une mani�re �nigmatique qu'il y avait bien des chouettes dans le C�ramique; c'est qu'apparemment la plupart des monnaies avaient alors l'empreinte d'une chouette, oiseau r�v�r� des Ath�niens. [17] Gylippe, qui, par une bassesse si indigne, fl�trissait la gloire de tant de belles actions pr�c�dentes, se bannit volontairement de Lac�d�mone.

XX. Les plus sens�s des Spartiates, frapp�s de cet exemple, et redoutant le pouvoir de l'argent qui avait pu corrompre un de leurs citoyens les plus recommandables, bl�m�rent hautement Lysandre, et d�clar�rent aux �phores qu'ils devaient au plus t�t faire sortir de Sparte tout l'or et tout l'argent qu'il y avait envoy�, comme des pestes d'autant plus dangereuses qu'elles �taient plus s�duisantes. L'affaire fut mise en d�lib�ration; et, suivant l'historien Th�opompe, ce fut Sciraphidas qui proposa le d�cret. �phore en fait honneur � Phlogidas, qui opina le premier qu'il ne fallait recevoir dans la ville aucune monnaie d'or et d'argent, mais s'en tenir � celle du pays. C'�tait une monnaie de fer, qu'on faisait d'abord rougir au feu, et qu'on trempait ensuite dans le vinaigre, afin que, devenu par cette trempe aigre et cassant, il ne p�t plus �tre forg�, ni employ� � d'autre usage : elle �tait d'ailleurs d'un si grand poids, qu'on ne pouvait pas la transporter facilement, et que, sous un grand volume, elle avait tr�s peu de valeur. Je croirais m�me qu'anciennement on ne connaissait d'autre monnaie que celle-l�, et que ces esp�ces courantes �taient de petites broches de fer; d'o� vient qu'encore aujourd'hui nous avons beaucoup de petites pi�ces qui portent le nom d'oboles, dont les six font la drachme, ainsi nomm�e parce que c'�tait tout ce que la main pouvait en empoigner. Les amis de Lysandre s'oppos�rent au d�cret et � force d'instances ils firent ordonner que cet argent resterait � Sparte; mais que celui qui �tait monnay� n'aurait cours que pour les affaires publiques; et que tout particulier qui serait trouv� en avoir serait puni de mort : comme si Lycurgue avait craint pr�cis�ment la monnaie d'or et d'argent, plut�t que l'avarice qu�elle am�ne toujours � sa suite. C'�tait bien moins pr�venir cette passion, en d�fendant aux particuliers d'avoir des esp�ces d'or et d'argent, qu'en exciter le d�sir, en autorisant la ville � en faire usage; ce qu'elles avaient de commode leur donnait plus de prix, et les faisait d�sirer davantage. �tait-il possible, en effet, que les particuliers la m�prisassent comme inutile, quand elle �tait publiquement estim�e? et chaque Spartiate pouvait-il, dans ses propres affaires, n'attacher aucune valeur � ce qu'il voyait tant pris�, tant recherch� pour les affaires publiques? mais c'est de l'exemple des m�urs publiques que les mauvaises coutumes d�coulent dans la conduite des particuliers, plut�t que les vices et les fautes des particuliers ne portent leur d�pravation dans les villes. Il est naturel qu'un tout vici� entra�ne facilement ses parties vers la corruption; au lieu que les affections vicieuses d'une seule partie peuvent recevoir des secours et des rem�des de celles qui sont encore saines. Les �phores, il est vrai, pour emp�cher que l'argent monnay� n'entr�t dans les mains des citoyens, y plac�rent pour sentinelles la crainte et la loi ; mais ils ne ferm�rent pas leurs �mes � l'admiration et au d�sir des richesses; au contraire, en les faisant regarder comme une possession aussi pr�cieuse qu'honorable, ils en excit�rent en eux la passion la plus violente. Au reste, j'ai bl�m� ailleurs les Lac�d�moniens de cette conduite.

[18] XXI. Lysandre employa le produit du butin � faire jeter en bronze sa statue et celles de tous les capitaines de gal�re; elles furent plac�es dans le temple de Delphes, avec deux �toiles d'or, qui d�signaient Castor et Pollux, et qui disparurent peu de temps avant la bataille de Leuctres. Dans le tr�sor de Brasidas et des Acanthiens, il y avait une gal�re d'ivoire et d'or, de deux coud�es de long, que Cyrus avait envoy�e � Lysandre, pour le f�liciter de sa victoire. Alexandridas, de Delphes, rapporte que Lysandre avait mis en d�p�t, dans le temple, un talent d'argent, cinquante-deux mines et onze stat�res; ce qui ne s'accorde pas avec ce que tous les autres historiens disent de sa pauvret�. Ce qu'il y a de certain, c'est que Lysandre, qui avait alors plus d'autorit� qu'aucun autre Grec n'en avait eu avant lui, se laissa aller � un faste et � une fiert� qui surpassaient encore sa puissance. Il fut le premier � qui, suivant l'historien Douris, les villes grecques dress�rent des autels et offrirent des sacrifices comme � un dieu; il eut encore le premier l'honneur de voir composer � sa louange des hymnes, dont l'une commen�ait ainsi : �  C�l�brons ce h�ros environn� de gloire, Dont le bras a guid� les Grecs � la victoire. Chantons, publions ses exploits. � Les Samiens ordonn�rent, par un d�cret public, que les f�tes de Junon prendraient le nom de f�tes de Lysandre. Lui-m�me se faisait toujours accompagner du po�te Ch�rile, afin qu'il embell�t des charmes de la po�sie le r�cit de ses actions. Le po�te Antilochus ayant compos� quelques vers � sa louange, il en fut si ravi, qu'il lui donna son chapeau plein d'argent. Antimachus, de Colophon et Nic�ratus, d'H�racl�e, avaient fait chacun un po�me qui portait son nom, et ils disput�rent le prix devant lui. Lysandre l'adjugea � Nic�ratus ; et Antimachus en fut si piqu�, qu'il supprima son po�me. Platon, alors fort jeune, admirait le talent po�tique d'Antimachus; et voyant combien il �tait sensible � sa d�faite, il lui dit, pour le consoler, que l'ignorance est pour l'esprit ce que l'aveuglement est pour les yeux du corps. Enfin, le joueur de lyre Aristono�s, qui avait �t� six fois vainqueur aux jeux pythiques, voulant faire sa cour � Lysandre, lui assura que s'il �tait encore une fois vainqueur, il se ferait proclamer l'esclave de Lysandre.

[19] XXII. Son ambition ne fut d'abord � craindre que pour les premiers citoyens et pour ceux de son rang; mais quand � cette passion il joignit l'arrogance et la cruaut�, fruit des flatteries qui avaient corrompu ses m�urs, alors il ne garda plus de mesure ni dans ses punitions ni dans ses r�compenses. Le gouvernement despotique dans les villes, un pouvoir absolu de vie et de mort, furent pour ses amis et pour ses h�tes le prix de la liaison qu'ils avaient contract�e avec lui : il ne connut plus qu'une seule mani�re d'assouvir sa vengeance, la mort de ceux qui en �taient l'objet, et il n'y avait aucun moyen de lui �chapper. A Milet, craignant que les chefs du parti populaire ne prissent la fuite, et voulant obliger ceux qui s'�taient cach�s � sortir de leurs retraites, il jura qu'il ne leur ferait aucun mal; mais � peine ils se furent montr�s sur sa parole, qu'il les livra aux nobles, qui les firent tous p�rir, quoiqu'ils ne fussent pas moins de huit cents. On ne saurait compter le nombre des gens du peuple qu'il fit �gorger dans les autres villes : non content de les sacrifier � son ressentiment personnel, il servait encore la haine et l'avarice des amis qu'il avait dans chaque ville. Aussi le Lac�d�monien �t�ocle eut-il raison de dire que la Gr�ce n'aurait pu supporter deux Lysandre. Suivant Th�ophraste, ce mot avait �t� d�j� dit d'Alcibiade par Archestrate ; mais ce qui choquait le plus dans Alcibiade, c'�tait une grande insolence, beaucoup de luxe et de vanit� : dans Lysandre, l'excessive duret� de son caract�re rendait sa puissance cruelle et insupportable.

XXIII. Les Lac�d�moniens furent peu touch�s des plaintes que les autres leur portaient contre lui; mais quand Pharnabaze eut envoy� des ambassadeurs � Sparte pour accuser Lysandre des injustices et des brigandages qu'il commettait dans les provinces de son gouvernement, les �phores, indign�s, se saisirent d'un de ses amis et de ses coll�gues dans le commandement, nomm� Thorax, et lui ayant trouv�, au m�pris du d�cret rendu, de l'argent en propre, ils le condamn�rent � mort, et envoy�rent � Lysandre la scytale de son rappel. Je dois dire ce que c'est que la scytale. Quand un g�n�ral part pour une exp�dition de terre ou de mer, les �phores prennent deux b�tons ronds, d'une longueur et d'une grandeur si parfaitement �gales, qu'ils s'appliquent l'un � l'autre sans laisser entre eux le moindre vide. Ils gardent l'un de ces b�tons, et donnent l'autre au g�n�ral; ils appellent ces b�tons scytales. Lorsqu'ils ont quelque secret important � faire passer au g�n�ral, ils prennent une bande de parchemin, longue et �troite comme une courroie, la roulent autour de la scytale qu'ils ont gard�e, sans y laisser le moindre intervalle, en sorte que la surface du b�ton est enti�rement couverte. Ils �crivent ce qu'ils veulent sur cette bande ainsi roul�e, apr�s quoi ils la d�roulent, et l'envoient au g�n�ral sans le b�ton. Quand celui-ci la re�oit, il ne peut rien lire, parce que les mots, tous s�par�s et �pars, ne forment aucune suite. Il prend donc la scytale qu'il a emport�e, et roule autour la bande de parchemin, dont les diff�rents tours, se trouvant alors r�unis, remettent les mots dans l'ordre o� ils ont �t� �crits, et pr�sentent toute la suite de la lettre. On appelle cette lettre scytale, du nom m�me du b�ton, comme ce qui est mesur� prend le nom de ce qui lui sert de mesure.

[20] XXIV. Cette scytale que Lysandre re�ut dans l'Hellespont le jeta dans un grand trouble; il craignait surtout les accusations de Pharnabaze, et, dans l'esp�rance de l'apaiser, il se h�ta de l'aller trouver. Quand il fut aupr�s de lui, il le pria d'�crire aux �phores une autre lettre, dans laquelle il leur dirait qu'il n'avait re�u de lui aucun tort, et qu'il n'avait point � s'en plaindre. Mais il ne savait pas que Cr�tois lui-m�me, comme dit le proverbe, il avait affaire � un autre Cr�tois. Pharnabaze promit tout, il �crivit m�me devant Lysandre une lettre telle qu'il la souhaitait; mais il en avait pr�par� secr�tement une autre qui disait tout le contraire; et en la cachetant, comme les deux lettres �taient au dehors parfaitement semblables, il substitua � la derni�re qu'il venait d'�crire, celle qu'il avait pr�par�e d'avance. Lysandre, revenu � Sparte, alla, selon l'usage, descendre au palais, et remit aux �phores la lettre de Pharnabaze, ne doutant pas qu'il ne fut justifi� de l'accusation qu'il avait le plus � craindre; car Pharnabaze �tait fort aim� des Lac�d�moniens, parce que de tous les g�n�raux du roi, c'�tait celui qui, dans cette guerre, les avait secourus avec le plus d'ardeur. Les �phores, apr�s avoir lu la lettre, la lui montr�rent, et il reconnut la v�rit� du proverbe qui dit : �  Ulysse, entre les Grecs, n'est pas le seul rus�. � Il se retira confus et troubl�. Quelques jours apr�s il alla trouver les �phores, et leur dit qu'il ne pouvait se dispenser d'aller au temple d'Ammon, pour y faire les sacrifices qu'il avait vou�s � Jupiter avant les batailles qu'il avait gagn�es. En effet, on donne pour certain que lorsqu'il assi�geait la ville des Aphytiens, en Thrace, le dieu Ammon lui apparut en songe; que, regardant cette apparition comme un ordre de Jupiter, il abandonna le si�ge, et chargea les Aphytiens de sacrifier � ce dieu; que de son c�t� il se h�ta d'aller en Libye, pour l'apaiser par ce sacrifice. Mais on croit assez g�n�ralement que le dieu n'�tait qu'un pr�texte, et que le vrai motif de ce voyage �tait la crainte qu'il avait des �phores; que d'ailleurs ne pouvant supporter le joug qu'il fallait subir, � Sparte, ni souffrir d'�tre command�, il eut besoin de voyager et d'errer d'un c�t� et d'autre, comme un coursier accoutum� � bondir en libert� dans les p�turages d'une vaste prairie ne peut plus se faire � son �curie ni � ses travaux ordinaires. �phore donne de ce voyage une autre raison que je rapporterai bient�t.

[21] XXV. Il obtint, non sans peine, son cong� des �phores, et s'embarqua. D�s qu'il fut parti, les rois de Lac�d�mone, sur la r�flexion qu'ils firent que Lysandre, � la faveur des soci�t�s qu'il avait form�es dans les villes, les tenait toutes dans sa main, et qu'il �tait par ce moyen le seigneur et le ma�tre absolu de la Gr�ce, voulurent d�pouiller ses amis de l'autorit� souveraine, et la remettre entre les mains du peuple. Les grands mouvements que cette entreprise excita donn�rent lieu aux Ath�niens qui s'�taient empar�s de Phyle d'attaquer les Trente, et de les vaincre. A cette nouvelle, Lysandre se h�ta de retourner � Sparte, o� il persuada aux Lac�d�moniens d'aller au secours des nobles et de punir la r�bellion du peuple. Ils envoy�rent donc aux Trente cent talents pour continuer la guerre, et nomm�rent Lysandre g�n�ral. Mais les rois, qui lui portaient envie, et qui craignaient qu'il ne pr�t une seconde fois Ath�nes, convinrent que l'un d'eux se chargerait de cette exp�dition. Pausanias partit donc, en apparence pour soutenir les tyrans contre le peuple, mais, dans le fait, pour terminer la guerre et emp�cher que Lysandre, soutenu de ses partisans, ne se rend�t de nouveau ma�tre d'Ath�nes. Pausanias en vint facilement � bout; il r�concilia les Ath�niens entre eux, apaisa la s�dition, et r�prima l'ambition de Lysandre. Cependant les Ath�niens ne tard�rent pas � se soulever de nouveau ; alors on en jeta tout le bl�me sur Pausanias, qui, disait-on, avait �t� au peuple le frein de l'oligarchie, et lui avait laiss� tout pouvoir de se livrer � la licence et � l'audace. On rendait au contraire � Lysandre le t�moignage qu'il ne mettait dans l'exercice de son autorit� ni complaisance ni ostentation, et qu'il en usait avec une fermet� qui ne tendait qu'� l'utilit� de sa patrie.

[22] Il est vrai qu'il �tait fier dans ses paroles et terrible � ceux qui lui r�sistaient. Les Argiens disputaient contre les Spartiates pour les bornes de leurs territoires respectifs, et se flattaient de donner de meilleures raisons que leurs adversaires : � Celui qui est le plus fort avec celle-ci, leur dit Lysandre en leur montrant son �p�e, raisonne mieux que tous les autres sur les limites des terres. � Un M�garien lui parlait dans une conf�rence avec beaucoup de hardiesse : �  Mon ami, lui dit Lysandre, vos paroles auraient besoin d'une ville. � Les B�otiens balan�ant � se d�clarer pour Lac�d�mone, il leur demanda comment ils voulaient qu'il pass�t sur leurs terres, les piques hautes ou baiss�es. Lorsque les Corinthiens se furent d�tach�s de l'alliance de Sparte, il fit approcher ses troupes de leurs murailles; et comme elles ne se pressaient pas d'aller � l'assaut, il vit un li�vre sortir des foss�s : � N'avez-vous pas honte, leur dit-il, de craindre des ennemis qui sont si l�ches, que les li�vres dorment tranquillement sur leurs murailles! �

XXVI. Cependant le roi Agis mourut, laissant un fr�re nomm� Ag�silas, et L�othychidas qu'on regardait comme le fils de ce roi. Lysandre, qui avait fort aim� Ag�silas d�s sa jeunesse, lui conseilla de revendiquer le tr�ne, comme seul issu l�gitimement de la race des H�raclides. Car L�othychidas passait pour le fils d'Alcibiade, qui, retir� � Sparte pendant son bannissement d'Ath�nes, avait eu un commerce secret avec Tim�e, femme d'Agis. Ce roi ayant jug�, dit-on, par l'�poque de la grossesse de sa femme, que l'enfant n'�tait pas de lui, n'avait t�moign� aucun int�r�t pour L�othychidas, et montra m�me ouvertement, jusqu'� la fin de sa vie, qu'il ne l'avouait pas pour son fils. Dans sa derni�re maladie, il se fit porter � H�r�a ; et comme il �tait sur le point de mourir, press� d'un c�t� par ce jeune homme, vaincu de l'autre par les instances de ses amis, il d�clara, en pr�sence de plusieurs t�moins, qu'il reconnaissait L�othychidas pour son fils, et il mourut apr�s avoir pri� tous ceux qui �taient pr�sents de l'attester devant les Lac�d�moniens. Ils d�pos�rent tous de ce fait en faveur de L�othychidas; mais Ag�silas, pour qui ses grandes qualit�s parlaient hautement, soutenu d'ailleurs par le cr�dit de Lysandre, l'emportait d�j� sur lui, lorsque Diopith�s, homme fort vers� dans la connaissance des anciennes pr�dictions, pensa le faire rejeter, en rapportant un oracle qu'il appliquait � Ag�silas, qui �tait boiteux : �  Tremble, Lac�d�mone, au fa�te de la gloire! Crains qu'un prince boiteux, nuisant � tes succ�s, Par des maux impr�vus n'arr�te tes progr�s, Et de longs flots de sang ne souille ta victoire. � La plupart des Spartiates, entra�n�s par cet oracle, penchaient pour L�othychidas. Mais Lysandre leur repr�senta que Diopith�s ne prenait pas le vrai sens de l'oracle; que le dieu ne s'opposait pas � ce qu'un boiteux r�gn�t � Lac�d�mone; qu'il donnait seulement � entendre que la royaut� serait comme boiteuse, si des b�tards, si des gens indignes de la race d'Hercule, venaient � r�gner sur les H�raclides. Cette interpr�tation, appuy�e de son autorit�, fit revenir tout le monde � son opinion, et Ag�silas fut d�clar� roi.

[23] XXVII. Le premier soin de Lysandre fut de l'engager � porter promptement la guerre en Asie; de lui faire esp�rer qu'il d�truirait l'empire des Perses, et qu'il effacerait la gloire de tous les guerriers qui l'avaient pr�c�d�. En m�me temps il �crivit � ses amis d'Asie de faire demander � Sparte Ag�silas pour g�n�ral dans la guerre contre les Barbares. Empress�s � lui complaire, ils envoient aussit�t des ambassadeurs � Lac�d�mone pour en faire la demande. L'honneur que Lysandre procurait par l� � Ag�silas �galait presque celui de la royaut�; mais les caract�res ambitieux, quoique d'ailleurs tr�s capables de commander, trouvent, dans la jalousie que leur inspire contre leurs �gaux l'amour de la gloire, un grand obstacle aux belles actions qu'ils pourraient faire; ils ne voient que des rivaux dans ceux qui les aideraient � parcourir avec honneur la carri�re de la vertu. Ag�silas mena Lysandre avec lui; et des trente Spartiates qui formaient son conseil, c'�tait celui qu'il se proposait de consulter le plus dans toutes ses affaires.

XXVI�I. Lorsqu'ils furent en Asie, les gens du pays, qui n'avaient jamais eu d'habitude avec Ag�silas, le voyaient rarement et lui parlaient peu. Mais connaissant Lysandre depuis longtemps, ils �taient tous les jours � sa porte et l'accompagnaient souvent, les uns comme ses amis, les autres parce qu'ils le craignaient. Il n'est pas rare de voir, parmi les acteurs tragiques, que celui qui joue le r�le de courrier et d'esclave est applaudi et consid�r� comme le premier personnage, tandis que celui qui porte le diad�me et le sceptre est � peine �cout�. Il en �tait de m�me d'Ag�silas et de Lysandre : celui-ci, qui n'�tait qu'un simple ministre, avait toute la dignit� du commandement; et on ne laissait au roi qu'un titre sans puissance. Il fallait sans doute r�primer cette ambition excessive, et r�duire Lysandre au second r�le; mais de rejeter, de maltraiter m�me, par une rivalit� de gloire, un bienfaiteur et un ami, c'est ce qu'Ag�silas n'aurait jamais d� faire. D'abord, il ne lui donna aucune occasion de se signaler, et ne le chargea d'aucun commandement. En second lieu, tous ceux pour qui Lysandre montrait de l'int�r�t et du z�le, il les renvoyait sans leur rien accorder, et les traitait moins bien que les derniers du peuple. Par l� il diminuait, il d�truisait insensiblement toute l'autorit� de son rival. Quand Lysandre vit qu'il �tait toujours refus�, et que son z�le pour ses amis leur devenait nuisible, il suspendit toute sollicitation pour eux aupr�s d'Ag�silas, et les pria de ne plus venir le voir, de ne plus s'attacher � sa personne, mais de s'adresser directement au roi, et de rechercher la protection de ceux qui, dans le moment pr�sent, pouvaient �tre plus utiles que lui � leurs clients. D'apr�s ce conseil, ils cess�rent de l'importuner de leurs affaires, mais non de le cultiver; ils n'en furent m�me que plus empress�s � l'accompagner dans les promenades et dans les lieux d'exercice. Cette conduite augmenta tellement la rivalit� d'honneur qui tourmentait Ag�silas, qu'apr�s avoir conf�r� � de simples soldats des commandements consid�rables et des gouvernements de villes, il chargea Lysandre de la distribution des viandes, et dit un jour, pour insulter les Ioniens : � Qu'ils aillent maintenant faire la cour � mon commissaire des vivres. � Enfin, Lysandre crut devoir lui parler; leur entretien fut court et tout � fait laconique : �  Ag�silas, lui dit Lysandre, vous savez tr�s bien rabaisser vos amis. � Oui, lui r�pondit Ag�silas, quand ils veulent �tre plus grands que moi; pour ceux qui travaillent � augmenter ma puissance, je sais, comme il est juste, leur en faire part. � Mais, Ag�silas, reprit Lysandre, on vous en a peut-�tre plus dit que je n'en ai fait. Au reste, � cause des �trangers qui ont les yeux sur nous, donnez-moi, je vous prie, dans votre arm�e un poste et un rang o� je vous sois le moins suspect et le plus utile. �

[24] XXIX. D'apr�s cette conversation Ag�silas l'envoya commander dans l'Hellespont, o� Lysandre, en conservant toujours du ressentiment contre Ag�silas, remplit d'ailleurs avec exactitude tous ses devoirs. Spithridate, lieutenant du roi de Perse dans cette province, �tait un officier plein de courage, qui avait sous ses ordres un corps de troupes consid�rable. Lysandre ayant su qu'il �tait ennemi de Pharnabaze, l'engagea � se r�volter contre son roi, et l'amena � Ag�silas. C'est tout ce que Lysandre fit dans cette guerre; peu de temps apr�s il s'en retourna � Sparte avec peu d'honneur, toujours irrit� contre Ag�silas; ha�ssant plus que jamais le gouvernement, et r�solu enfin d'ex�cuter, sans d�lai, le projet qu'il avait con�u depuis longtemps de lui donner une nouvelle forme. La plupart des H�raclides, qui, apr�s s'�tre m�l�s avec les Doriens, �taient rentr�s dans le P�loponn�se, s'�tablirent � Sparte, o� leur post�rit� devint tr�s florissante. Mais ils ne partageaient pas tous le droit de succession � la couronne : deux maisons seules y r�gnaient, celle des Eurytionides et celle des Agides ; les autres branches, quoique sorties de la m�me tige, n'avaient, dans le gouvernement, aucun avantage sur les plus simples particuliers; et les honneurs attach�s � la vertu �taient �galement propos�s � tous ceux qui se montraient dignes d'y parvenir. Lysandre, qui �tait aussi de la race des H�raclides, n'eut pas plut�t acquis par ses exploits une brillante r�putation, un nombre consid�rable d'amis, et une grande puissance, qu'il ne put voir sans chagrin qu'une ville, dont il avait si fort augment� la gloire, f�t gouvern�e par des rois qui ne valaient pas mieux que lui. Il pensa donc � enlever la couronne aux deux maisons r�gnantes, pour la rendre commune � tous les H�raclides. D'autres disent qu'il voulait �tendre le droit de la porter non seulement aux H�raclides, mais encore � tous les Spartiates, afin qu'elle p�t passer, non aux seuls descendants d'Hercule mais � quiconque s'en rendrait digne par sa vertu, comme ce h�ros avait �t� �lev� par son seul m�rite au rang des dieux; il se promettait bien que, lorsque la royaut� serait adjug�e comme le prix des talents, aucun autre Spartiate ne lui serait pr�f�r�.

[25] Il voulut d'abord faire go�ter son projet aux Lac�d�moniens, et pour cela il apprit par c�ur un discours qu'avait compos� � ce dessein Cl�on d'Halicarnasse. Mais ensuite, consid�rant qu'un changement si extraordinaire demandait des moyens plus hardis, il imita les po�tes tragiques, qui ont souvent recours � des machines pour amener le d�nouement. Il inventa, pour gagner ses concitoyens, des oracles et des proph�ties, persuad� que l'�loquence de Cl�on ne lui servirait de rien, si, par la crainte de la divinit� et par le pouvoir de la superstition, il ne frappait d'avance les esprits, et ne s'en rendait ma�tre, pour achever ensuite de les convaincre par le discours qu'il prononcerait.

XXX. �phore rapporte que Lysandre tenta d'abord de corrompre la Pythie; qu'ensuite il fit sonder, par le moyen d'un certain Ph�r�cl�s, les pr�tresses de Dodone; que refus� partout, il alla lui-m�me au temple d'Ammon, et offrit beaucoup d'argent aux pr�tres, qui, indign�s de son audace, envoy�rent des ambassadeurs � Sparte, pour l'accuser d'avoir voulu les corrompre. Lysandre fut absous; et ces Libyens, �tant sur le point de partir, dirent aux Spartiates : � Nous jugerons avec plus de justice que vous, lorsque vous viendrez vous �tablir en Libye. �  C'est qu'il y avait un ancien oracle qui portait que les Lac�d�moniens iraient un jour habiter cette contr�e. Mais je dois exposer ici toute la suite de cette intrigue, faire conna�tre l'adresse que Lysandre mit dans une fiction o�, loin d'employer des moyens communs et des ressources vulgaires, il proc�da comme dans une d�monstration g�om�trique, o� l'on commence par �tablir plusieurs propositions importantes, pour arriver par des pr�misses difficiles et souvent obscures, au dernier terme de la conclusion. Voici cette trame telle que l'a d�crite �phore, aussi habile historien que grand philosophe.

[26] Il y avait dans le Pont une femme qui pr�tendit �tre enceinte d'Apollon. Bien des gens refus�rent, avec raison, d'ajouter foi � cette grossesse; mais d'autres, en grand nombre, y crurent sur sa parole. Elle accoucha d'un fils, que les personnes les plus consid�rables brigu�rent l'honneur de nourrir et d'�lever, et qui, je ne sais pour quelle raison, fut appel� Sil�ne. Lysandre saisit cet �v�nement pour en faire le premier acte de sa pi�ce, et il ourdit de lui-m�me le reste de l'intrigue. II eut pour acteurs du prologue plusieurs personnes d'un rang distingu�, qui accr�dit�rent la naissance divine de cet enfant d'un air si naturel, qu'on n'y put soup�onner aucun artifice, et qu'ils pr�par�rent les esprits � la croire. Ils sem�rent aussi dans Sparte certains propos qui, disait-on, venaient de Delphes, et qui portaient que les pr�tres du temple conservaient avec soin, dans des livres tr�s secrets, des oracles fort anciens, qu'il n'�tait permis ni � eux-m�mes ni � toute autre personne de lire ou de toucher ; mais qu'un fils d'Apollon, venant apr�s une longue suite de si�cles, donnerait aux pr�tres d�positaires de ces livres sacr�s des signes certains de sa naissance, et emporterait les livres o� �taient contenus ces oracles.

XXXI. Les choses ainsi pr�par�es, Sil�ne devait aller � Delphes, et, comme fils d'Apollon, demander les oracles aux pr�tres, qui, gagn�s par Lysandre, auraient tout examin� scrupuleusement, et pris sur la naissance de Sil�ne les informations les plus exactes. Enfin, ne doutant pas qu'il ne f�t v�ritablement fils d'Apollon, ils lui auraient montr� ces livres, auraient lu publiquement les pr�dictions qu'ils contenaient, surtout celle qui �tait le but de cette intrigue, et qui regardait la royaut� de Lac�d�mone; on y aurait vu qu'il �tait beaucoup plus avantageux pour les Spartiates de choisir d�sormais leurs rois parmi les citoyens les plus vertueux. Sil�ne, parvenu � l'adolescence, �tait d�j� arriv� en Gr�ce pour y jouer son r�le, lorsque Lysandre vit manquer sa pi�ce par la timidit� d'un des acteurs, qui, c�dant � son extr�me frayeur, l'abandonna au moment de l'ex�cution. Toute cette intrigue resta dans le secret pendant la vie de Lysandre, et ne fut d�couverte qu'apr�s sa mort.

[27] XXXII. Il mourut avant qu'Ag�silas f�t de retour d'Asie, et lorsqu'il �tait engag� dans la guerre de B�otie, ou plut�t apr�s y avoir lui-m�me jet� la Gr�ce; car on le dit des deux mani�res, les uns en accusent Lysandre, les autres les Th�bains; quelques-uns l'imputent �galement aux deux partis. Ceux qui en rejettent la faute sur les Th�bains leur reprochent d'avoir renvers�, � Aulide, les autels sur lesquels Ag�silas offrait des sacrifices ; ils ajoutent qu'Androclid�s et Amphith�us, corrompus par l'argent du roi de Perse, prirent les armes contre les Phoc�ens et ravag�rent leur territoire, afin d'occuper les Lac�d�moniens dans une guerre contre la Gr�ce. Ceux qui veulent en rendre Lysandre responsable disent qu'il �tait tr�s irrit� contre les Th�bains, qui seuls entre tous les alli�s avaient demand� la d�me du butin fait sur les Ath�niens, et avaient trouv� mauvais que Lysandre e�t envoy� de l'argent � Lac�d�mone. Il fut encore, dit-on, plus courrouc� de ce qu'ils avaient les premiers fourni aux Ath�niens les moyens de recouvrer leur libert�, et de briser le joug des trente tyrans que Lysandre avait �tablis � Ath�nes, et que les Lac�d�moniens eux-m�mes avaient rendus encore plus puissants et plus redoutables, en d�cr�tant que ceux qui s'�taient enfuis d'Ath�nes pourraient �tre pris partout o� on les trouverait, et ramen�s dans leur ville; que quiconque y mettrait obstacle serait trait� en ennemi de Sparte. Les Th�bains r�pondirent � ce d�cret par un autre plus conforme � la conduite d'Hercule et de Bacchus : il portait que toutes les villes et toutes les maisons de la B�otie seraient ouvertes aux Ath�niens qui viendraient y demander un asile; que tout Th�bain qui n'aurait pas pr�t� main-forte � un fugitif qu'il aurait vu emmener paierait un talent d'amende; que si quelqu'un passait par la B�otie pour porter des armes � Ath�nes contre les tyrans, aucun Th�bain ne ferait semblant de le voir ou de l'entendre. Non contents de faire des d�crets pleins d'humanit� et si dignes de la Gr�ce, ils les soutinrent par leurs actions; car ce fut de Th�bes que partirent Thrasybule et les autres bannis, pour aller s'emparer de Phyle; les Th�bains leur fournirent des armes et de l'argent, avec les moyens de commencer leur entreprise sans �tre d�couverts.

XXXIII. Tels sont les motifs qui d�termin�rent Lysandre � se d�clarer contre les Th�bains.  [28] Comme il �tait d'un caract�re tr�s violent, et que sa m�lancolie, augment�e chaque jour par la vieillesse, l'irritait encore davantage, il communiqua son ressentiment aux �phores, et leur persuada d'envoyer une garnison dans la Phocide : il fut charg� de cette exp�dition, et partit � la t�te des troupes. Peu de jours apr�s, on y envoya de Sparte Pausanias, avec le reste de l'arm�e. Mais ce prince devait faire un grand circuit par le mont Cyth�ron pour entrer dans la B�otie, tandis que Lysandre, avec un corps nombreux de troupes, irait � sa rencontre par la Phocide. Dans sa marche, il prit Orchom�ne, qui se rendit volontairement � lui; il s'empara de L�badie, qu'il livra au pillage. De l� il �crivit � Pausanias de se rendre de Plat�e devant Haliarte, l'assurant que lui-m�me il serait le lendemain, � la pointe du jour, au pied de ses murailles. Le courrier charg� de cette lettre tomba entre les mains des coureurs ennemis, qui la port�rent � Th�bes. Les Th�bains, instruits de sa marche, confi�rent aux Ath�niens qui �taient venus � leur secours la garde de leur ville; et, sortant eux-m�mes sur le minuit, ils pr�vinrent de quelques heures l'arriv�e de Lysandre devant Haliarte, et une partie de leurs troupes entra dans la ville. Lysandre avait d'abord voulu camper sur une �minence pour y attendre Pausanias ; mais voyant qu'il n'arrivait pas et que le jour s'avan�ait, il ne put rester plus longtemps dans l'inaction; il fit prendre les armes aux Spartiates, anima les alli�s � bien faire, et s'approcha des murailles avec toutes ses troupes en ordre de bataille. Ceux des Th�bains qui �taient rest�s hors de la ville, prenant par la gauche, tomb�rent sur l'arri�re-garde de Lysandre, au-dessous de la fontaine Cissusa, dans laquelle, selon la Fable, les nourrices de Bacchus lav�rent ce dieu aussit�t apr�s sa naissance; l'eau de cette fontaine est d'une belle couleur de vin, tr�s limpide, et d'un excellent go�t. Non loin de l� croissent les cannes cr�toises, dont on fait les javelots; d'o� les habitants d'Haliarte inf�rent que Rhadamanthe a autrefois habit� ce pays : ils montrent m�me son tombeau, qu'ils ont appel� Hal�a ; on y voit aussi celui d'Alcm�ne, qui, apr�s la mort d'Amphitryon, �pousa Rhadamanthe, et fut enterr�e en ce lieu-l�.

XXXIV. Les Th�bains qui �taient dans la ville, s'�tant rang�s en bataille, se tinrent tranquilles jusqu'au moment o� ils virent Lysandre, avec ses premiers bataillons, s'approcher des murailles. Alors ils ouvrent les portes, et tombent brusquement sur lui; il fut tu� avec le devin qui l'accompagnait et quelques-uns des siens; le reste se replia promptement vers le gros de l'arm�e. Les Th�bains, sans leur donner le temps de respirer, les poursuivirent avec tant d'ardeur, qu'ils les oblig�rent de fuir � travers les montagnes. Il y en eut environ mille de tu�s ; il p�rit trois cents hommes du c�t� des Th�bains, qui avaient poursuivi les fuyards avec trop d'ardeur dans des lieux difficiles et escarp�s. C'�tait pr�cis�ment ceux qu'on soup�onnait de favoriser les Lac�d�moniens, et qui, pour se laver de ce soup�on aupr�s de leurs concitoyens, ne se m�nag�rent pas dans la poursuite des ennemis, et y perdirent la vie.

[29] Pausanias �tait sur le chemin de Plat�e � Thespies, lorsqu'il apprit cette d�faite. Aussit�t il se mit en bataille, et, marchant droit � Haliarte, il arriva en m�me temps que Thrasybule s'y rendait de Th�bes avec ses Ath�niens. Pausanias proposa de demander une tr�ve aux ennemis, pour enlever les morts : mais les plus anciens des Spartiates, indign�s de cette proposition, all�rent en murmurant trouver le roi, et protest�rent qu'ils ne se d�termineraient jamais � demander une tr�ve pour enlever Lysandre; qu'il fallait aller, les armes � la main, combattre autour de son corps, et l'enterrer apr�s la victoire; que s'ils �taient vaincus, il leur serait plus honorable d'�tre �tendus sur le champ de bataille avec leur g�n�ral, que d'obtenir son corps par une tr�ve.

XXXV. Malgr� ces repr�sentations des vieillards, Pausanias, qui sentait la difficult� de battre les Th�bains, apr�s une victoire si r�cente; qui voyait d'ailleurs que le corps de Lysandre �tant tomb� pr�s d'Haliarte, on ne pourrait l'enlever ais�ment sans une tr�ve, quand m�me on aurait battu les ennemis, envoya un h�raut aux Th�bains, qui lui accord�rent la tr�ve ; et il se retira avec son arm�e. D�s que les Spartiates eurent pass� les montagnes de la B�otie, ils enterr�rent Lysandre dans le pays des Panop�ens, amis et alli�s de Sparte : on y voit encore son tombeau le long du chemin qui m�ne de Delphes � Ch�ron�e. Pendant qu'ils �taient camp�s dans ce lieu, un Phoc�en, en faisant le r�cit de cette bataille � un de ses compatriotes qui ne s'y �tait pas trouv�, lui dit que les ennemis les avaient attaqu�s au moment o� Lysandre venait de passer l'Oplite. Cet homme en ayant paru �tonn�, un Spartiate, ami de Lysandre, demanda ce que c'�tait que l'Oplite, dont le nom m�me lui �tait inconnu : � C'est, r�pondit le Phoc�en, l'endroit o� les ennemis ont renvers� nos bataillons les plus avanc�s; l'Oplite est le ruisseau qui baigne les murs d'Haliarte. �  A ces mots, le Spartiate fondit en larmes : � H�las! s'�cria-t-il, l'homme ne peut donc fuir sa destin�e! � C'est qu'il avait �t� rendu � Lysandre un oracle con�u en ces termes : �  De l'Oplite avec soin �vite la rivi�re, Et ce dragon rus� qui surprend par derri�re. � Suivant d'autres, l'Oplite n'est pas le ruisseau qui coule pr�s d'Haliarte, mais un torrent qui, apr�s avoir baign� les murs de Ch�ron�e, se jette dans le Phliarus pr�s de cette ville; on l'appelait anciennement Oplia, et aujourd'hui il se nomme Isomantus. Lysandre fut tu� par un soldat d'Haliarte, nomm� N�ochorus, qui portait sur son bouclier un dragon pour enseigne; et c'est apparemment ce que d�signait l'oracle. Les Th�bains, dit-on, peu de temps apr�s la guerre du P�loponn�se, re�urent dans le temple d'Apollon Ism�nien une r�ponse de l'oracle, qui leur pr�disait � la fois et la bataille de D�lium, et le combat d'Haliarte, qui fut donn� trente ans apr�s. Elle �tait ainsi con�ue : �  Toi, qui des loups cruels poursuis ici la trace, �vite les confins o� se borne ta chasse; Fuis la croupe Orchalide, o� le renard toujours, Pour surprendre sa proie, �puise tous ses tours. � Par ces confins, l'oracle entend le territoire de D�lium, o� la B�otie confine avec l'Attique; et la croupe Orchalide est la colline nomm�e aujourd'hui Alop�ce, situ�e vers la partie de l'H�licon qui regarde la ville d'Haliarte.

[30] XXXVI. La mort malheureuse de Lysandre affligea tellement les Spartiates, qu'ils intent�rent au roi Pausanias une accusation capitale; mais il ne voulut pas attendre le jugement, et s'enfuit � T�g�e, o� il se mit, comme suppliant, sous la protection de Minerve, et y passa le reste de ses jours. La pauvret� de Lysandre, reconnue apr�s sa mort, donna le plus grand lustre � sa vertu. Apr�s avoir eu en main des sommes si consid�rables, et avoir joui d'une si grande puissance; apr�s avoir vu tant de villes lui faire assid�ment leur cour ; apr�s avoir enfin exerc� dans la Gr�ce une esp�ce de souverainet�, il n'avait pas accru de la valeur d'une obole l'�clat et la fortune de sa maison : c'est le t�moignage que lui rend Th�opompe, qu'il faut plus en croire quand il loue que lorsqu'il bl�me; car il fait l'un plus volontiers que l'autre.

XXXVII. �phorus rapporte que, peu de temps apr�s la mort de Lysandre, une contestation qui s'�leva entre Sparte et ses alli�s donna lieu de consulter les M�moires qu'il avait laiss�s; et Ag�silas se transporta � cet effet dans sa maison. En visitant ses papiers, il trouva le discours que Cl�on avait compos� sur l'avantage qu'il y aurait d'�ter aux maisons r�gnantes des Eurytionides et des Agides le droit exclusif au tr�ne, et de l'�tendre � tous les Spartiates, en choisissant les rois parmi les citoyens les plus vertueux. Ag�silas voulut sur-le-champ aller communiquer ce discours au peuple, pour lui faire voir quel homme c'�tait que Lysandre, et combien on l'avait mal connu. Mais Lacratidas, homme d'un grand sens, qui �tait alors pr�sident des �phores, le retint, en lui disant qu'au lieu de tirer Lysandre du tombeau, il fallait plut�t y ensevelir ce discours, qui, �crit avec beaucoup d'art, �tait trop capable de persuader. Quoiqu'il en e�t perc� quelque chose parmi le peuple, les Spartiates n'en d�cern�rent pas moins � Lysandre les plus grands honneurs. Deux citoyens � qui ses deux filles avaient �t� fianc�es n'ayant pas voulu les �pouser apr�s la mort de leur p�re, dont ils connurent alors la pauvret�, ils furent condamn�s � l'amende; parce qu'ayant recherch� son alliance pendant sa vie, sur l'opinion qu'ils avaient de sa richesse, ils la d�daignaient apr�s sa mort, quand sa pauvret� connue attestait sa justice et sa vertu. On voit par l� qu'il y avait � Sparte des peines �tablies tant contre ceux qui refusaient de se marier ou qui se mariaient trop tard, que contre ceux qui faisaient des mariages mal assortis. Et cette derni�re peine tombait principalement sur les citoyens qui, au lieu de se marier dans leur famille, et avec des personnes vertueuses, recherchaient l'alliance des maisons plus riches. Voil� ce que nous avions � dire de la vie de Lysandre.

 

 

 

qu'il �tait par ce moyen le seigneur et le ma�tre absolu de la