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PLUTARQUE

 

La vie de Sylla

 

 

Plutarque, Les vies des hommes illustres, traduction Ricard, Furne et Cie Librairies-�diteurs, Paris, 1840.

I. Lucius Corn�lius Sylla �tait d�une de ces familles patriciennes qui composent les premi�res maisons de Rome. On dit que Rufinus, un de ses anc�tres, parvint au consulat ; mais qu�il fut moins connu par cette �l�vation que par la fl�trissure qu�il re�ut : on trouva chez lui plus de dix livres pesant de vaisselle d�argent ; et cette contravention � la loi le fit chasser du s�nat. Ses descendants v�curent depuis dans l�obscurit�, et Sylla lui-m�me fut �lev� dans un �tat de fortune tr�s m�diocre. Pendant sa jeunesse, il occupait une maison de louage d�un prix modique ; et c�est ce qu�on lui reprocha dans la suite, lorsqu�il fut parvenu � une opulence pour laquelle il n��tait pas n�. Un jour qu�apr�s sa guerre d�Afrique il se vantait lui-m�me avec complaisance : � Comment seriez-vous homme de bien, lui dit un des premiers et des plus honn�tes citoyens, vous qui, n�ayant rien eu de votre p�re, poss�dez aujourd�hui une fortune immense ? � Quoique alors les Romains eussent d�g�n�r� de la droiture et de la puret� de moeurs de leurs anc�tres, et qu�ils eussent ouvert leur coeur � l�amour du luxe et de la somptuosit�, c��tait encore aussi un grand sujet de reproche de dissiper sa fortune et de ne pas conserver la pauvret� de ses p�res. Lorsque, devenu ma�tre de Rome, il y faisait p�rir tant de citoyens, un fils d�affranchi, qui, soup�onn� d�avoir donn� asyle chez lui � l�un des proscrits, allait �tre, pour cela seul, pr�cipit� de la roche Tarp�ienne, lui rappela qu�ils avaient log� longtemps dans la m�me maison, dont il louait le haut deux mille sesterces, et Sylla tenait le bas pour trois mille ; qu�ainsi la diff�rence de leur fortune n��tait que de mille sesterces, qui font deux cent cinquante drachmes attiques. Voil� ce qu�on rapporte du premier �tat de Sylla.

II. On peut juger de l�air de sa figure par les statues qui nous restent de lui : ses yeux �taient pers, ardents et rudes ; et la couleur de son visage rendait encore son regard plus terrible. Elle �tait d�un rouge fonc�, parsem� de taches blanches ; on croit m�me que c�est de l� qu�il a tir� son nom. Un plaisant d�Ath�nes fit, sur son teint, ce vers satirique :

Sylla n�est qu�une m�re empreinte de farine.

Il est permis d�emprunter de pareils traits pour peindre un homme tel que Sylla. Il �tait, dit-on, d�un caract�re si railleur, qu��tant encore jeune et peu connu, il passait sa vie avec des pantomimes et des bouffons, dont il partageait la licence et les d�bauches. Dans la suite, quand il eut usurp� l�autorit� souveraine, il faisait venir du th��tre chez lui les farceurs les plus impudents, et passait les journ�es enti�res � boire, � faire avec eux assaut de raillerie, d�shonorant ainsi son �ge et sa dignit�, et sacrifiant � des go�ts si bas les objets les plus dignes de tous ses soins. D�s qu�il s��tait mis � table, il ne fallait plus lui parler d�affaires s�rieuses : partout ailleurs plein d�activit�, sombre et s�v�re, une fois qu�il s��tait livr� � ces soci�t�s de d�bauche, il devenait si diff�rent de lui-m�me, qu�il vivait dans la plus intime familiarit� avec ces com�diens et ces farceurs, qui trouvaient en lui une complaisance extr�me, et le gouvernaient � leur gr�. Ce fut sans doute de cette soci�t� corrompue que lui vint ce penchant au libertinage, ce go�t effr�n� pour les volupt�s et pour les amours criminelles, qui ne cess�rent pas m�me dans sa derni�re vieillesse. Il aima, d�s sa jeunesse, le com�dien M�trobius, et conserva toute sa vie cette passion inf�me [1] . Il devint arnoureux d�une courtisane fort riche, nomm�e Nicopolis, � qui l�habitude de le voir et les agr�ments de sa figure inspir�rent une telle passion pour lui, qu�en mourant elle l�institua son h�ritier. Il h�rita aussi de sa belle-m�re, qui l�aimait comme s�il e�t �t� son propre fils. Ces deux successions lui donn�rent de grandes richesses.

III. Nomm� questeur de Marius, alors consul pour la premi�re fois, il le suivit en Afrique dans la guerre contre Jugurtha. A peine arriv� � l�arm�e, il s�y fit de la r�putation par son courage ; et, ayant su profiter d�une circonstance heureuse, il gagna l�amiti� de Bocchus, roi des Numides. II avait recueilli des ambassadeurs de ce prince, qui s��taient �chapp�s des mains de brigands numides ; et, apr�s les avoir trait�s avec la plus grande g�n�rosit�, il les avait renvoy�s, combl�s de pr�sents, sous une bonne escorte. Bocchus craignait et ha�ssait de longue main Jugurtha son gendre, qui, vaincu par les Romains, s��tait r�fugi� chez lui. R�solu de le trahir, il appela aupr�s de lui Sylla, aimant mieux que ce f�t lui qui le pr�t et le livr�t aux Romains que de le leur livrer lui-m�me. Sylla, apr�s avoir communiqu� l�affaire � Marius, prit un petit nombre de soldats, avec lesquels il alla s�exposer au plus grand p�ril, en se confiant � un Barbare qui manquait de foi � ses plus proches ; et, pour retirer Jugurtha de ses mains, il alla s�y mettre lui-m�me. Quand Bocchus les vit l�un et l�autre en sa puissance, et qu�il se fut mis dans la n�cessit� de trahir l�un des deux, il flotta longtemps entre des r�solutions oppos�es ; enfin, il se d�cida pour la premi�re trahison qu�il avait projet�e, et remit son gendre entre les mains de Sylla. A la v�rit�, ce fut Marius qui mena ce prince en triomphe ; mais, par l�envie qu�on portait au consul, on attribuait � Sylla la gloire d�avoir fait Jugurtha prisonnier. Marius en con�ut un violent d�pit, que la conduite de Sylla ne fit qu�augmenter encore. Naturellement vain et longtemps ignor� dans Rome, il commen�ait � acqu�rir de la consid�ration. S�duit par cette premi�re amorce de gloire, il en vint � cet exc�s de vanit� de faire graver cet �v�nement sur un anneau qu�il porta toujours depuis, et qui lui servait de cachet. On y voyait Bocchus qui livrait Jugurtha, et Sylla qui le recevait de ses mains.

IV. Quelque d�plaisir qu�en e�t Marius, il fit r�flexion que Sylla n��tait pas encore un personnage assez important pour exciter sa jalousie, et il continua de l�employer � l�arm�e. Dans son second consulat, il le fit son lieutenant ; et dans le, troisi�me, il lui donna la charge de tribun des soldats. Dans ces divers emplois il lui dut de grands succ�s. Pendant sa lieutenance, Sylla fit prisonnier Copillus, g�n�ral des Gaulois Tectosages [2] ; et, dans son tribunal, il attira les Marses, nation nombreuse et guerri�re, dans l�alliance des Romains. Mais, s��tant aper�u que Marius �tait toujours son ennemi secret, qu�il ne lui donnait qu�� regret des occasions de se signaler, et qu�il nuisait m�me � son avancement, il s�attacha � Catulus, coll�gue de Marius dans le consulat, homme honn�te, mais un peu lent pour les op�rations militaires. Bient�t Sylla, � qui Catulus confia les entreprises les plus importantes, acquit autant de puissance que de r�putation. Il soumit la plupart des Barbares qui habitaient les Alpes ; et, l�arm�e romaine ayant manqu� de vivres, Sylla, charg� par Catulus du soin d�en procurer, en fit venir une si grande abondance, que les soldats de Catulus en eurent au-del� de leurs besoins et en fournirent � l�autre arm�e, ce qui, au rapport de Sylla lui-m�me, dans ses m�moires, mortifia beaucoup Marius. Ainsi leur haine, qui avait pris sa source dans des causes si faibles et si pu�riles, nourrie ensuite par les s�ditions, et ciment�e du sang des guerres civiles, aboutit enfin � la tyrannie et au renversement total de la r�publique. Cet exemple fait conna�tre la sagesse d�Euripide, et la profonde connaissance qu�il avait des maux politiques, lorsqu�il recommandait surtout d��viter l�ambition, comme la peste la plus pernicieuse et la plus funeste � ceux qui s�y livrent.

V. Sylla, ne doutant point que la gloire qu�il avait acquise par les armes ne lui suff�t pour pr�tendre aux dignit�s civiles, passa des emplois de l�arm�e aux brigues populaires, et se mit sur les rangs pour la pr�ture de Rome ; mais il fut refus�. Il en attribue lui-m�me la cause � la populace, et dit que cette derni�re classe de citoyens, qui savait ses liaisons avec Bocchus, et qui s�attendait qu�en le nommant �dile avant de le faire pr�teur, il donnerait des spectacles magnifiques de chasses et de combats de b�tes d�Afrique, nomma d�autres pr�teurs, dans l�esp�rance qu�elle le forcerait � demander l��dilit�. Mais il para�t avoir dissimul� la v�ritable cause de ce refus, et les faits m�mes le prouvent : car, l�ann�e suivante, ayant gagn� le peuple, soit par son assiduit� � lui faire la cour, soit par ses largesses, il fut nomm� pr�teur. Aussi, pendant qu�il exer�ait la pr�ture, ayant dit en col�re � C�sar [3] : � J�userai contre vous du droit de ma charge, - Vous avez raison, lui r�pondit C�sar en riant, de dire votre charge ; elle est bien � vous, puisque vous l�avez achet�e. � Apr�s sa pr�ture, il fut envoy� en Cappadoce. Le pr�texte apparent de cette exp�dition �tait de ramener Ariobarzane dans ses �tats, mais elle avait pour v�ritable motif de r�primer les entreprises ambitieuses de Mithridate, qui se m�lait de tout, et travaillait � se faire un empire du double plus �tendu que celui qu�il poss�dait d�j�. Sylla n�avait emmen� que fort peu de troupes ; mais, ayant employ� celles des alli�s, qui le servirent avec z�le, il tailla en pi�ces un grand nombre de Cappadociens, et un corps plus nombreux encore d�Arm�niens venus � leur secours, chassa Gordius du tr�ne de Cappadoce et y r�tablit Ariobarzane. Pendant qu�il �tait sur les bords de l�Euphrate, il re�ut dans son camp le Parthe Orobase, ambassadeur du roi Arsace. Les deux nations n�avaient encore eu aucun commerce ensemble, et l�on regarda comme un grand effet de son bonheur qu�il f�t le premier � qui les Parthes eussent envoy� des ambassadeurs pour rechercher l�alliance et l�amiti� des Romains. A la r�ception de cet ambassadeur, il fit, dit-on, dresser trois si�ges, l�un pour Ariobarzane, l�autre pour Orobase, et un troisi�me au milieu, sur lequel il se pla�a pour lui donner audience. Le roi des Parthes fit mourir Orobase, pour avoir laiss� avilir ainsi sa dignit�. Sylla fut lou� par les uns d�avoir trait� des Barbares avec cette fiert� ; d�autres le tax�rent d�une arrogance insultante et d�une ambition d�plac�e. On raconte qu�un Chalcidien de la suite d�Orobase, ayant fix� Sylla et consid�r� avec beaucoup d�attention tous les mouvements de son corps, toutes les expressions de sa pens�e, appliqua les r�gles de son art � ce qu�il avait saisi de son caract�re, et dit que cet homme parviendrait n�cessairement au plus haut degr� de grandeur, et qu�il �tait m�me surpris comment il pouvait souffrir d�s � pr�sent de n��tre pas le premier de l�univers. Quand il fut de retour � Rome, Censorinus l�accusa de p�culat, pour avoir, contre les lois, emport� de grandes sommes d�argent d�un royaume ami et alli� ; mais il se d�sista de son accusation, et l�affaire ne fut pas port�e en justice.

VI. Cependant l�inimiti� de Marius et de Sylla se ralluma encore par une occasion que fit na�tre l�ambition de Bocchus, qui, pour flatter le peuple et faire plaisir � Sylla, d�dia dans le Capitole des Victoires d�or qui portaient des troph�es, et, aupr�s d�elles, la statue de Jugurtha, aussi en or, que Bocchus remettait entre les mains de Sylla. Marius en fut si irrit�, qu�il voulut faire enlever ces statues. Les amis de Sylla prirent parti pour lui ; et cette querelle allait allumer la s�dition la plus violente qui e�t jamais agit� Rome, si la guerre sociale, qui couvait depuis longtemps, venant tout � coup � �clater, n�e�t apais� pour le moment cette division. Dans cette nouvelle guerre, une des plus importantes que les Romains aient eues � soutenir, soit par la diversit� des �v�nements, soit par la grandeur des maux qu�ils �prouv�rent et des dangers auxquels ils furent expos�s, Marius ne put rien faire de remarquable ; et prouva, par son exemple, que la vertu guerri�re a besoin, pour se signaler, de la force et de la vigueur du corps. Au contraire, Sylla y fit les exploits les plus m�morables, et s�acquit aupr�s de ses concitoyens la r�putation d�un grand capitaine ; il passa, dans l�opinion de ses amis, pour le plus grand homme de guerre de son temps, et chez ses ennemis, pour le g�n�ral le plus heureux. Mais il ne fit pas comme Timoth�e, fils de Conon, qui, s�offensant de ce que ses ennemis attribuaient � la Fortune tous ses succ�s, et avaient repr�sent� cette d�esse qui, pendant qu�il dormait, prenait pour lui les villes dans un filet, s�emporta contre les auteurs de ce tableau, qui, disait-il, lui enlevaient toute la gloire de ses exploits. Un jour qu�il revenait d�une exp�dition qui avait �t� heureuse, apr�s en avoir rendu compte au peuple : � Ath�niens, leur dit-il, la Fortune n�a aucune part � cela. � Aussi dit-on que la Fortune, pour punir cette ambition excessive, fit �prouver son caprice � Timoth�e, qui depuis ne fit rien d��clatant ; que, n�ayant pu m�me r�ussir dans aucune entreprise, il devint odieux au peuple et fut banni d�Ath�nes. Sylla, loin de trouver mauvais qu�on vant�t son bonheur et les faveurs dont le comblait la Fortune, rapportait lui-m�me toutes ses belles actions � cette d�esse, pr�tendant par l� les relever et les diviniser en quelque sorte, soit qu�il le f�t par vanit�, soit qu�il cr�t r�ellement que les dieux le guidaient dans toutes ses entreprises. Il a m�me �crit dans ses Commentaires qu�apr�s avoir bien d�lib�r� sur les actions qu�il projetait de faire, c��tait toujours celles qu�il avait hasard�es contre ses combinaisons et ses mesures, et en se d�cidant d�apr�s les circonstances, qui lui avaient le mieux r�ussi. Quand il ajoute qu�il �tait plut�t n� pour la fortune que pour la guerre, il para�t donner beaucoup plus � son bonheur qu�� sa vertu. Enfin, il voulait �tre en tout l�ouvrage de la Fortune, et il regardait m�me comme une des faveurs particuli�res de cette divinit� l�union constante dans laquelle il v�cut avec M�tellus, qui avait la m�me dignit� que lui et qui fut depuis son beau-p�re. Au lieu des difficult�s qu�il s�attendait � �prouver de sa part, il trouva en lui le coll�gue le plus doux et le plus mod�r�. Dans ses Commentaires, il conseille � Lucullus, � qui ils sont d�di�s, de regarder comme tr�s certain ce que les dieux lui auront d�couvert en songe pendant la nuit. Il lui raconte que, lorsqu�il fut envoy� avec l�arm�e romaine � la guerre sociale, la terre s�entr�ouvrit tout � coup pr�s de Laverne ; que de cette ouverture il sortit un grand feu, d�o� il s��leva dans les airs une flamme brillante ; et que les devins, en expliquant ce prodige, d�clar�rent qu�un vaillant homme, d�une beaut� admirable, parvenu � l�autorit� souveraine, d�livrerait Rome des troubles qui l�agitaient. Il ajoute que cet homme c��tait lui-m�me, parce qu�il avait ce trait de beaut� remarquable que ses cheveux �taient blonds comme l�or, et qu�il pouvait, sans rougir, s�attribuer la valeur, apr�s les grands exploits qu�il avait faits.

Mais en voil� assez sur sa confiance en la Divinit�. Il �tait d�ailleurs dans toute sa conduite plein d�in�galit�s et de contradictions. Prendre beaucoup, donner davantage, combler d�honneurs sans raison, insulter sans motif, faire servilement la cour � ceux dont il avait besoin, traiter durement ceux qui avaient besoin de lui : tel �tait son caract�re ; et l�on ne savait s�il �tait naturellement plus hautain que flatteur. Il portait cette m�me in�galit� dans ses vengeances ; il condamnait aux plus cruels supplices pour les causes les plus l�g�res, et supportait avec douceur les plus grandes injustices ; il pardonnait facilement des offenses qui semblaient irr�m�diables, et punissait les moindres fautes par la mort ou la confiscation des biens. On expliquerait peut-�tre ces contradictions en disant que, cruel et vindicatif par caract�re, il �touffait, par raison, son ressentiment, quand son int�r�t l�exigeait. Dans cette guerre sociale, ses soldats assomm�rent � coups de b�tons et � coups de pierres un de ses lieutenants, nomm� Albinus, qui avait �t� pr�teur. II ne fit aucune recherche contre les auteurs d�un si grand crime ; au contraire, il en tirait. avantage, en disant que ses soldats n�en seraient que plus ardents � faire dans cette guerre tout ce qu�il leur commanderait, parce qu�ils voudraient effacer ce forfait par leur courage. Il ne fut pas m�me touch� des reproches qu�on lui en fit ; comme il avait d�j� form� le projet de perdre Marius, et que, voyant la guerre sociale pr�s de finir, il voulait se faire nommer g�n�ral contre Mithridate, il flattait l�arm�e qu�il avait sous ses ordres.

De retour � Rome, il fut nomm� consul avec Quintus Pomp�ius : il avait alors cinquante ans. Il fit en m�me temps une tr�s belle alliance en �pousant C�cilia, fille de Metellus le grand pontife. Ce mariage lui attira de la part du peuple des chansons satiriques, et excita l�indignation de la plupart des grands, qui, selon la remarque de Tite-Live, ne trouv�rent pas digne d�une telle femme celui qu�ils avaient trouv� digne du consulat. Mais C�cilia n��tait pas sa premi�re femme ; dans sa jeunesse, il en avait eu une nomm�e Ilia [4] , dont il lui restait une fille ; il �pousa ensuite �lia ; et en troisi�mes noces C�cilia (Cloelia), qu�il r�pudia comme st�rile, apr�s avoir pris soin de son honneur et de sa r�putation, et l�avoir combl�e de pr�sents. Cependant, comme il �pousa M�tella tr�s peu de jours apr�s, on crut que, pour faire ce nouveau mariage, il avait accus� faussement C�cilia (Cloelia) de st�rilit�. Au reste, il aima constamment M�tella, et eut pour elle les plus grands �gards, au point qu�un jour le peuple romain ayant demand� le rappel des partisans de Marius qui avaient �t� bannis, et voyant que Sylla s�y opposait, la multitude appela M�tella � haute voix, et implora sa m�diation. Il para�t m�me qu�apr�s avoir pris Ath�nes, il ne traita si cruellement les Ath�niens que pour les punir d�avoir lanc�, du haut de leurs murailles, des traits mordants contre sa femme ; nous en parlerons plus bas.

VII. Sylla, qui ne voyait dans le consulat qu�une dignit� commune, au prix de ses pr�tentions pour l�avenir, d�sirait ardemment d��tre charg� de la guerre contre Mithridate. Il avait pour concurrent Marius, � qui l�ambition et la manie de la gloire, passions qui ne vieillissent jamais, faisaient oublier sa faiblesse et son grand �ge. Oblig�, par cette raison, de renoncer aux derni�res exp�ditions d�Italie, il recherchait alors, au-del� des mers, des guerres �trang�res ; et, profitant de l�absence de Sylla, qui �tait retourn� � son camp pour y terminer un reste d�affaires, il trama dans Rome cette s�dition funeste, qui causa plus de maux aux Romains que toutes les guerres qu�ils avaient eues jusque alors � soutenir. Les dieux l�annonc�rent par divers prodiges. Le feu prit spontan�ment au bois des piques qui soutenaient les enseignes, et l�on eut beaucoup de peine � l��teindre. Trois corbeaux apport�rent dans la ville leurs petits ; et, apr�s les avoir d�vor�s en pr�sence de tout le monde, ils en remport�rent les restes dans leurs nids. Des souris ayant rong� de l�or consacr� dans un temple, les gardiens de cet �difice sacr� en prirent une dans une sourici�re, o� elle fit cinq petits et en d�vora trois. Mais le signe le plus frappant, c�est que dans un ciel serein et sans nuages on entendit une trompette qui rendait un son si aigu et si lugubre, que tout le monde en fut dans la frayeur et la consternation. Les devins toscans, consult�s sur ce dernier prodige, r�pondirent qu�il annon�ait un nouvel �ge qui changerait la face du monde ; qu�il devait se succ�der huit races d�hommes qui diff�reraient entre elles par leurs moeurs et leurs genres de vie ; que Dieu avait fix� pour chacune de ces races une dur�e de temps, limit�e par la p�riode de la grande ann�e, que, lorsqu�une race finit et qu�il s�en �l�ve une autre, le ciel ou la terre en donne le signal par quelque mouvement extraordinaire. Ceux qui se sont occup�s de ces sortes d��tudes, ajoutaient-ils, et qui les ont approfondies, connaissent quand il est n� sur la terre une esp�ce d�hommes qui ont d�autres moeurs, d�autres mani�res de vivre que ceux qui les ont pr�c�d�s, et dont les dieux prennent plus ou moins de soin. lls font observer que dans ces renouvellements de races il arrive de grands changements ; qu�un des plus sensibles est l�accroissement d�estime et d�honneur qu�obtient, dans une race, la science de la divination, qui voit toutes ses pr�dictions se v�rifier, les dieux faisant conna�tre aux devins, par les signes les plus clairs et les plus certains, tout ce qui doit arriver ; au lieu que, dans une autre race, cette science est g�n�ralement m�pris�e, parce que la plupart de ses pr�dictions se font pr�cipitamment sur de simples conjectures, et que la divination n�a, pour conna�tre l�avenir, que des moyens obscurs et des traces presque effac�es. Voil� les fables que d�bitaient les Toscans qui passaient pour les plus habiles et les plus instruits. Pendant que le s�nat �tait assembl� dans le temple de Bellone, pour conf�rer avec les devins sur ces prodiges, on vit tout �-coup un passereau voler au milieu de l�assembl�e, portant dans son bec une cigale qu�il partagea en deux ; il en laissa tomber une partie dans le temple, et s�envola avec l�autre. Les devins dirent que ce prodige leur faisait craindre une s�dition entre le peuple des champs et celui de la ville : car celui-ci crie toujours comme la cigale, et l�autre vit tranquillement dans ses terres.

VIII. Marius s�associa donc le tribun du peuple Sulpicius, qui, ne le c�dant � personne en la plus profonde sc�l�ratesse, faisait chercher en lui, non qui il surpassait en m�chancet�, mais en quel genre de m�chancet� il se surpassait lui-m�me. II portait � un tel exc�s la cruaut�, l�audace et l�avarice, qu�il commettait de sang-froid les actions les plus criminelles et les plus inf�mes. Il vendait publiquement le droit de bourgeoisie aux affranchis et aux �trangers, et en recevait le prix sur une table qu�il avait dress�e expr�s sur la place publique. Il entretenait aupr�s de sa personne trois mille satellites toujours arm�s, et un grand nombre de jeunes cavaliers, pr�ts � ex�cuter tout ce qu�il leur commandait, et qu�il appelait l�anti-s�nat. Il avait fait recevoir par le peuple une loi qui d�fendait � tout s�nateur d�emprunter au-del� de deux mille drachmes ; et � sa mort il en devait trois millions. Ce sc�l�rat, l�ch� par Marius sur le peuple, porta dans toutes les parties du gouvernement la confusion et le d�sordre ; il employa le fer et la violence pour faire passer plusieurs lois pernicieuses, et en particulier celle qui donnait � Marius le commandement de la guerre contre Mithridate. Les consuls, pour r�primer ces voies de fait, suspendirent l�exercice de tous les tribunaux et la poursuite de toutes les affaires. Un jour que ces magistrats tenaient une assembl�e publique devant le temple de Castor et de Pollux, Sulpicius, amenant la troupe de ses satellites, tua plusieurs personnes sur la place m�me, entre autres le jeune Pomp�ius, fils du consul de ce nom, qui lui-m�me ne se d�roba � la mort que par la fuite. Sylla, poursuivi jusque dans la maison de Marius, o� il s��tait r�fugi�, fut oblig� d�en sortir pour aller lever la suspension de la justice qu�il avait ordonn�e. Cette soumission fit que Sulpicius, qui avait �t� le consulat � Pomp�ius, en laissa jouir Sylla, et qu�il se contenta de transf�rer � Marius seul le commandement de la guerre contre Mithridate. Il envoya sur-le-champ des tribuns des soldats � Nole pour y prendre l�arm�e de Sylla et la mener � Marius; .

IX. Mais Sylla l�avait pr�venu, et il s��tait sauv� dans son camp, o� les soldats, instruits de ce qui s��tait pass�, lapid�rent les tribuns. Marius, de son c�t�, fit mourir � Rome les amis de Sylla, et livra leurs maisons au pillage. On ne voyait plus que des gens qui changeaient de s�jour ; les uns fuyaient du camp � la ville, et les autres de la ville au camp. Le s�nat, n�ayant plus aucun pouvoir, ex�cutait sans opposition les ordres de Marius et de Sulpicius. Lorsqu�on apprit que Sylla marchait vers Rome, les s�nateurs lui envoy�rent deux pr�teurs, Brutus et Servilius, pour lui d�fendre de passer outre. Comme ils parl�rent � Sylla avec beaucoup de hauteur, les soldats voulurent les tuer ; mais ils se content�rent de briser leurs faisceaux, de d�chirer leurs robes de pourpre, et de les renvoyer, apr�s leur avoir fait mille outrages. Quand on les vit revenir avec une tristesse morne, d�pouill�s des marques de leur dignit�, leur vue seule annon�a que la s�dition allait �clater avec violence, et qu�elle �tait sans rem�de. Marius, de son c�t�, se pr�para pour la d�fense ; et Sylla partit de Nole avec son coll�gue Pomp�ius, � la t�te de six l�gions compl�tes, qui br�laient d�impatience d�aller � Rome. Il s�arr�ta cependant, et fut quelque temps en balance ; il ne savait quel parti prendre, et n��tait pas sans crainte sur le p�ril auquel il s�exposait. Il fit d�abord un sacrifice ; et le devin Posthumius, apr�s avoir examin� les pr�sages, pr�senta ses deux mains � Sylla, le pria de les lui lier, et de le tenir prisonnier jusque apr�s la bataille, s�offrant � endurer le dernier supplice si son entreprise n��tait pas suivie d�un prompt succ�s. La nuit suivante, il crut, dit-on, voir en songe une d�esse que les Romains adorent, et dont les Cappadociens leur ont enseign� le culte, soit la Lune, soit Minerve, ou Bellone, qui, plac�e au-dessus de sa t�te, lui mettait la foudre en main, et lui ordonnait de la lancer sur ses ennemis, qu�elle lui nommait les uns apr�s les autres. Tous ceux qui en �taient frapp�s tombaient et disparaissaient � l�instant. Encourag� par cette vision, qu�il raconta le lendemain � son coll�gue, il marcha vers Rome. Il �tait pr�s de Picines, lorsqu�il re�ut une nouvelle d�putation du s�nat, pour le prier de ne pas tomber ainsi brusquement sur la ville, et l�assurer que le s�nat �tait r�solu de lui accorder tout ce qu�il demanderait de raisonnable. Il y consentit ; et, ayant promis de camper dans ce lieu-l� m�me, il ordonna aux capitaines de marquer, selon l�usage, les quartiers du camp. Les d�put�s s�en retourn�rent pleins de confiance ; mais ils ne furent pas plus t�t partis, qu�il envoya Lucius Basillus et Ca�us Muminius se saisir de la porte et des murailles qui �taient pr�s du mont Esquilin ; il les suivit lui-m�me en toute diligence. Basillus s�empare de la porte et entre dans la ville. Les habitants, qui �taient sans armes, montent sur les toits des maisons, et font pleuvoir sur lui une gr�le de tuiles et de pierres qui l�emp�chent d�avancer, et le repoussent m�me jusqu�au pied des murailles. Sylla survient en ce moment, et, voyant ce qui se passe, il crie � ses soldats de mettre le feu aux maisons, et, lui-m�me prenant une torche allum�e, il marche le premier, et ordonne � ses archers de lancer sur les toits leurs traits enflamm�s. C�est ainsi que, sourd � la raison, n��coutant que sa passion et se laissant ma�triser par la col�re, il ne voyait dans la ville que ses ennemis ; et, sans aucun �gard pour ses amis, ses alli�s et ses proches, sans aucune distinction de l�innocent et du coupable, il s�ouvrait un chemin dans Rome par le fer et par la flamme. Cependant Marius, qui avait �t� repouss� jusqu�au temple de la Terre, fit une proclamation pour appeler � la libert� tous les esclaves qui se joindraient � lui ; mais ses ennemis, �tant survenus, le press�rent si vivement, qu�il fut oblig� de s�enfuir avec pr�cipitation.

X. Sylla assemble le s�nat, et fait porter un d�cret de mort contre Marius et quelques autres, au nombre desquels �tait le tribun Sulpicius, qui, trahi par un de ses esclaves, fut tout de suite �gorg�. Sylla donna la libert� � cet esclave, et le fit pr�cipiter ensuite de la roche Tarp�ienne. Il mit � prix la t�te de Marius, acte d�ingratitude aussi contraire � l�humanit� qu�� la politique : car, peu de jours auparavant, forc� de se livrer � lui, en cherchant un asyle dans sa maison, Marius l�avait laiss� aller. Si, au lieu de le rel�cher, il l�e�t abandonn� � Sulpicius, qui voulait le massacrer, Marius se rendait ma�tre de Rome : il l�avait cependant renvoy� ; et Sylla, peu de jours apr�s, ayant le m�me avantage sur Marius, n�use pas envers lui de la m�me g�n�rosit�. Cette conduite blessa vivement le s�nat, qui dissimula ses sentiments ; mais le peuple lui donna des marques sensibles de son m�contentement et de son indignation. Il rejeta avec des marques de m�pris Nonius, neveu de Sylla, et Servius, un de ses amis, qui, s�appuyant sur sa protection, s��taient pr�sent�s pour les premi�res charges ; et il nomma ceux dont il put croire que l��lection mortifierait le plus Sylla. Il fit semblant de l�approuver, et dit m�me qu�il �tait bien aise que le peuple lui d�t la libert� de faire tout ce qu�il voulait. Pour adoucir la haine du peuple, il prit un consul dans la faction contraire : ce fut Lucius Cinna, dont il s��tait assur� d�avance en lui faisant jurer, avec les plus fortes impr�cations, qu�il soutiendrait ses int�r�ts. Cinna, �tant mont� au Capitole, en tenant une pierre dans sa main, fit, en pr�sence de tout le monde, son serment, qu�il accompagna de cette impr�cation, que, s�il ne gardait pas � Sylla l�affection qu�il lui promettait, il priait les dieux de le chasser de la ville comme il allait jeter cette pierre loin de sa main. En disant ces mots ; il laissa tomber la pierre. Mais il eut � peine pris possession de son consulat, qu�il entreprit de casser tout ce qui avait �t� fait. Il voulut m�me intenter proc�s � Sylla, et le fit accuser par le tribun du peuple Virginius. Sylla, laissant l� et l�accusateur et les juges, partit pour aller faire la guerre � Mithridate.

XI. On raconte que, vers le temps o� il fit voile d�Italie pour cette exp�dition, Mithridate, qui �tait alors � Pergame, eut, de la part des dieux, plusieurs avertissements, et entre autres celui-ci. Les Pergamiens avaient fait une statue de la Victoire, qui portait dans sa main une couronne, et qui, par le moyen d�une machine, devait descendre sur la t�te de Mithridate. Au moment o� elle allait le couronner dans le th��tre, la couronne tomba sur la sc�ne, et se rompit en mille pi�ces. Cet accident jeta la frayeur parmi le peuple, et Mithridate lui-m�me en fut d�courag�, quoique ses affaires lui eussent d�j� r�ussi au-del� de ses esp�rances. Il avait conquis l�Asie sur les Romains, chass� de leurs �tats les rois de Bithynie et de Cappadoce, et il vivait paisiblement � Pergame, o� il distribuait � ses amis des richesses, des gouvernements et des royaumes. De ses deux fils, l�un r�gnait sur les vastes contr�es qui s��tendent depuis le Pont et le Bosphore jusqu�aux d�serts des Palus-M�otides, et qui faisaient l�ancien domaine de ses anc�tres ; le second, nomm� Ariarathes, ayant sous ses ordres une nombreuse arm�e, soumettait la Thrace et la Mac�doine. Ses g�n�raux, avec des troupes consid�rables, lui faisaient de nouvelles conqu�tes. Arch�la�s, le plus distingu� d�entre eux, commandait une flotte puissante, qui le rendait ma�tre de la mer et qui lui avait assujetti les Cyclades, toutes les �les situ�es le long du promontoire de Mal�e, et l�Eub�e elle-m�me. Il s��tait empar� d�Ath�nes ; et de l� il faisait r�volter contre les Romains tous les peuples de la Gr�ce jusqu�� la Thessalie. Il re�ut cependant quelques �checs aupr�s de Ch�ron�e. Un lieutenant de Sentius, qui commandait dans la Mac�doine, nomm� Brutius Sura, homme d�une grande hardiesse et d�une prudence consomm�e, vint au-devant d�Arch�la�s, qui, comme un torrent imp�tueux, s��tait d�bord� dans la B�otie, le d�fit en trois rencontres pr�s de Ch�ron�e, le chassa de la Gr�ce, et le for�a de se borner � tenir la mer avec sa flotte. Mais Lucullus �tant venu lui ordonner de c�der la place � Sylla, et de lui laisser le commandement de cette guerre, dont un d�cret du peuple l�avait charg�, Brutius quitta sur-le-champ la B�otie, et se retira aupr�s de Sentius, quoiqu�il e�t r�ussi dans cette exp�dition au-del� de toute esp�rance, et que la Gr�ce, par l�estime qu�elle faisait de sa valeur, f�t tr�s dispos�e � se tourner du c�t� des Romains. Ce sont l� d�ailleurs les plus grands exploits que Brutius ait faits.

XII. A l�arriv�e de Sylla en Gr�ce, toutes les villes lui envoy�rent des ambassadeurs pour l�appeler dans leurs murs ; Ath�nes seule, domin�e par le tyran Aristion, ayant �t� forc�e de lui r�sister, Sylla marcha contre elle avec toutes ses troupes, assi�gea le Pir�e, mit en usage tout ce qu�il avait de machines de guerre, et la battit sans rel�che. S�il e�t attendu quelque temps, il se serait rendu ma�tre, sans danger, de la ville haute, que le d�faut de vivres avait r�duite � la derni�re extr�mit� ; mais, press� de s�en retourner � Rome, o� il craignait quelque nouveaut�, il n��pargnait ni dangers, ni combats, ni d�penses, pour terminer plus promptement la guerre. Sans compter son �quipage ordinaire, il avait pour le service des batteries dix mille attelages de mulets qui travaillaient chaque jour sans interruption ; et, comme le bois vint � manquer, parce que plusieurs de ces machines �taient ou bris�es par les fardeaux �normes qu�elles portaient, ou br�l�es par les feux continuels que les ennemis y lan�aient, il ne respecta pas les bois sacr�s, et fit couper les parcs du Lyc�e et de l�Acad�mie, qui, par la beaut� de leurs all�es, faisaient, l�ornement des faubourgs d�Ath�nes. Enfin, pour fournir � toutes les d�penses de cette guerre, il n��pargna pas m�me les tr�sors des temples jusque alors inviolables et fit venir d��pidaure et d�Olympie les plus belles et les plus riches offrandes. Il �crivit aux amphictyons � Delphes qu�ils feraient mieux de lui envoyer les tr�sors du dieu, qui seraient plus s�rement entre ses mains ; ou que, s�il �tait forc� de s�en servir, il leur en rendrait la valeur apr�s la guerre. Il leur envoya un Phoc�en de ses amis, nomm� Caphys, avec ordre de peser tout ce qu�il prendrait. Caphys, arriv� � Delphes, n�osait toucher � ces d�p�ts sacr�s ; et, press� par les amphictyons de les respecter, il d�plora, fondant en larmes, la n�cessit� qui lui �tait impos�e. Quelques-uns de ceux qui �taient pr�sents lui ayant dit qu�ils entendaient, du fond du sanctuaire, la lyre d�Apollon, Caphys, soit qu�il le cr�t r�ellement, soit qu�il voul�t imprimer dans l��me de Sylla une crainte religieuse, lui �crivit pour l�en avertir. Sylla se moqua de lui dans sa r�ponse, et lui t�moigna son �tonnement de ce qu�il n�avait pas compris que le chant �tait un signe de joie, et non pas de col�re. � C�est une preuve, ajoutait-il, que le dieu voit avec plaisir enlever ces richesses, et qu�il en fait lui-m�me pr�sent : ainsi vous pouvez tout prendre sans crainte. � On eut soin de cacher au peuple l�envoi de ces tr�sors : seulement un tonneau d�argent massif, reste des offrandes des rois, n�ayant pu �tre transport� sur aucune voiture, � cause de sa grosseur et de son poids, les amphictyons furent oblig�s de le mettre en pi�ces ; ce qu�ils ne purent tenir cach�. Ce sacril�ge fit ressouvenir les Grecs de Titus Flamininus, de Manius Acilius et de Paul-�mile, dont le premier, apr�s avoir chass� Antiochus de la Gr�ce, et les deux autres apr�s avoir vaincu les rois de Mac�doine, non contents de respecter les temples, les avaient m�me enrichis de leurs dons, et avaient montr� pour ces lieux saints la plus grande v�n�ration. Mais ces grands hommes, appel�s � la t�te des arm�es par un choix l�gitime, pour commander des troupes sages et disciplin�es qui ob�issaient en silence aux ordres de leurs chefs, simples particuliers par la modestie de leur train, et v�ritablement rois par l��l�vation de leurs sentiments, ne faisaient que la d�pense n�cessaire, persuad�s qu�il e�t �t� plus honteux pour un g�n�ral de flatter ses soldats que de craindre les ennemis. Au contraire, les g�n�raux de ces derniers temps, mont�s � la premi�re place par la force et non par la vertu, voulant plut�t se faire la guerre les uns aux autres que combattre les ennemis de l��tat, �taient oblig�s de complaire � leurs soldats et d�acheter leurs services par des largesses qui pussent fournir � leurs d�bauches. Ils ne sentaient pas que c��tait mettre leur patrie m�me � l�encan, et que l�ambition de commander � des gens qui valaient mieux qu�eux, les rendait les vils esclaves des plus sc�l�rats des hommes. Voil� ce qui chassa Marius de Rome et l�y ramena ensuite contre Sylla. Voil� ce qui fit p�rir Octavius par les mains de Cinna, et Flaccus par celles de Fimbria. Sylla contribua plus qu�aucun autre � ces d�sordres ; afin de rompre et d�attirer � lui les soldats d�un parti contraire, il faisait aux siens des largesses et des profusions sans bornes. Ainsi, pour acheter la trahison des uns et fournir � l�intemp�rance des autres, il lui fallut des sommes immenses ; il en eut surtout besoin pour achever le si�ge d�Ath�nes.

XIII. Il avait le d�sir le plus violent de s�en rendre ma�tre et il s�y obstina, soit par la vanit� de combattre contre une ancienne r�putation dont cette ville ne conservait plus que l�ombre, soit pour se venger des injures et des railleries piquantes, des traits mordants et obsc�nes que le tyran Aristion lan�ait tous les jours du haut des murailles contre lui ou contre sa femme M�tella, et dont il �tait vivement offens�. L��me de cet Aristion �tait un compos� de d�bauche et de cruaut� ; il avait rassembl� en sa personne les maladies et les vices les plus inf�mes de Mithridate ; et la ville d�Ath�nes, apr�s avoir �chapp� � tant de guerres, � tant de tyrannies et de s�ditions, se vit r�duite par ce tyran, comme par un fl�au destructeur, aux plus affreuses extr�mit�s. Pendant que le m�dimne de bl� s�y vendait mille drachmes, que les habitants n�avaient d�autre nourriture que les herbes qui croissalent autour de la citadelle, le cuir des souliers et des vases � tenir l�huile, qu�ils faisaient bouillir, Ariston, plong� dans les d�bauches et dans les festins, passait les jours et les nuits � danser, � rire, � railler les ennemis. Il vit avec indiff�rence la lampe sacr�e de la d�esse s��teindre faute d�huile ; et la grande-pr�tresse lui ayant fait demander une demi-mesure de bl�, il lui en envoya une de poivre. Quand les s�nateurs et les pr�tres vinrent le supplier d�avoir piti� de la ville, et de proposer � Sylla une capitulation, il les fit �carter � coups de traits. Ce ne fut qu�� la derni�re extr�mit� qu�il se d�termina, avec beaucoup de peine, � faire porter � Sylla des propositions de paix par deux ou trois compagnons de ses d�bauches, qui, au lieu de parler pour le salut de la ville, ne firent dans leurs discours que louer Th�s�e et Eumolpe, et vanter les exploits des Ath�niens contre les M�des. � Grands orateurs, leur dit Sylla, allez-vous-en avec tous vos beaux discours. Les Romains ne m�ont pas envoy� � Ath�nes pour prendre des le�ons d��loquence, mais pour ch�tier des rebelles �.

XIV. Cependant des espions de Sylla, ayant entendu des vieillards qui s�entretenaient dans le C�ramique se plaindre de ce que le tyran ne faisait pas garder le c�t� de la muraille qui regardait le quartier appel� l�Heptachalcos, le seul que les ennemis pussent facilement escalader, all�rent sur-le-champ en avertir Sylla, qui, profitant de cet, avis, et s�y transportant la nuit m�me, reconnut que ce poste �tait facile � emporter, et disposa tout pour l�attaque. Il dit lui-m�me dans ses Commentaires que le premier qui monta sur la muraille se nommait Marcus T�ius ; qu�il porta sur le casque d�un ennemi qui lui faisait t�te un si grand coup d��p�e qu�elle se rompit ; et que, tout d�sarm� qu�il �tait, il ne quitta point la place et s�y tint toujours ferme. La ville fut donc prise par cet endroit, comme les vieillards l�avaient pr�vu. Sylla fit abattre la muraille qui �tait entre la porte Sacr�e et celle du Pir�e, et, apr�s qu�on eut aplani tout cet espace de terrain, il entra dans Ath�nes sur le minuit, dans un appareil effrayant, au son des clairons et des trompettes, aux cris furieux de toute l�arm�e, � qui il avait laiss� tout pouvoir de piller et d��gorger, et qui, s��tant r�pandue, l��p�e � la main, dans toutes les rues de la ville, y fit le plus horrible carnage. On n�a jamais su le nombre de ceux qui furent massacr�s ; on n�en juge encore aujourd�hui que par les endroits qui furent couverts de sang : sans compter ceux qui furent tu�s dans les autres quartiers, le sang vers� sur la place remplit tout le C�ramique jusqu�au Dipyle ; plusieurs historiens m�me assurent qu�il regorgea par les portes et ruissela dans les faubourgs. Outre cette multitude d�Ath�niens qui p�rirent par le fer des ennemis, il y en eut aussi un grand nombre qui se donn�rent eux-m�mes la mort, par la douleur et le regret que leur causait la certitude de voir d�truire leur patrie. C�est ce qui jeta dans le d�sespoir les plus honn�tes gens, et qui leur fit pr�f�rer la mort � la crainte de tomber entre les mains de Sylla, de qui ils n�attendaient aucun sentiment de mod�ration et d�humanit�. Mais enfin, c�dant aux pri�res de Midias et de Calliphon, deux bannis d�Ath�nes, qui se jet�rent � ses pieds, et aux vives instances de plusieurs s�nateurs romains qui servaient dans son arm�e, et qui lui demand�rent gr�ce pour la ville, sans doute aussi rassasi� de vengeance, il fit l��loge des anciens Ath�niens, dit qu�il pardonnait au plus grand nombre en faveur du plus petit, et qu�il accordait aux morts la gr�ce des vivants. D�apr�s ce qu�il rapporte lui-m�me dans ses Commentaires, il prit Ath�nes le jour des calendes de mars, qui tombe pr�cis�ment � la nouvelle lune de notre mois Antesth�rion, jour auquel il se rencontra par hasard qu�on faisait � Ath�nes plusieurs c�r�monies sacr�es en m�moire du d�luge qui anciennement, et � cette m�me �poque, avait submerg� la terre. Quand le tyran vit Ath�nes. au pouvoir de l�ennemi, il se r�fugia dans la citadelle, o� Sylla le fit assi�ger par Curion. Il s�y d�fendit longtemps ; mais enfin, manquant d�eau, il se rendit, vaincu par la soif. La main divine parut en cette occasion d�une mani�re sensible : car, � l�heure m�me que Curion emmenait le tyran de la citadelle, le ciel, auparavant serein, se couvrit tout � coup de nuages, et versa une pluie si abondante que la citadelle en fut remplie. Sylla ne tarda point � se rendre ma�tre du Pir�e ; il br�la la plus grande partie de ses fortifications, en particulier l�arsenal, b�ti par l�architecte Philon, et qui �tait un ouvrage admirable.

XV. Cependant Taxile, un des g�n�raux de Mithridate, �tant venu de la Thrace et de la Mac�doine, avec une arm�e de cent mille hommes de pied, de dix mille chevaux, et de quatre-vingt-dix chars arm�s de faux, fit dire � Arch�la�s de se rapprocher de lui. Celui-ci se tenait toujours dans le port de Munychium sans vouloir s��loigner de la mer ; et, n�osant pas se mesurer avec les Romains, il cherchait � tra�ner la guerre en longueur, et � couper les vivres aux ennemis. Sylla, qui connaissait encore mieux que lui le danger de sa position, quitta le pays maigre de l�Attique, qui n�aurait pu le nourrir m�me en temps de paix, et passa dans la B�otie. La plupart de ses officiers jug�rent qu�il faisait une grande faute en quittant un pays montueux, difficile � des gens de cheval, pour aller se jeter dans les plaines d�couvertes de la B�otie, lorsqu�il n�ignorait pas que la force des Barbares consistait surtout dans la cavalerie et dans les chars. Mais, comme je l�ai d�j� dit, la crainte de la disette et de la famine le for�ait de courir les risques d�une bataille. Il tremblait d�ailleurs pour Hortensius, officier courageux et hardi, qui lui amenait de Thessalie un renfort consid�rable, et que les Barbares attendaient au passage des d�troits. Tels furent les divers motifs qui oblig�rent Sylla d�aller dans la B�otie. Mais Caphys, qui �tait du pays, trompa les Barbares ; et, faisant prendre un autre chemin � Hortensius, il le mena par le mont Parnasse au-dessous de Tithore, qui n��tait pas alors une ville aussi consid�rable qu�elle l�est aujourd�hui, mais un simple fort, assis sur une roche escarp�e de tous c�t�s, o� les Phoc�ens, qui fuyaient devant Xerx�s, s��taient retir�s autrefois et s��taient mis en s�ret�. Hortensius, s��tant camp� au-dessous de cette forteresse, repoussa les ennemis pendant le jour, et quand la nuit fut venue, il descendit, par des chemins difficiles, jusqu�� P�tronide, o� il joignit Sylla, qui �tait venu au-devant de lui avec son arm�e.

XVI. Quand ils eurent r�uni leurs troupes, ils camp�rent au milieu de la plaine d��lat�e, sur une colline fertile, couverte d�arbres, et baign�e par un ruisseau. Elle s�appelle Philob�ote. Sylla vante beaucoup l�agr�ment de sa situation et la bont� de son terrain. Lorsqu�ils eurent dress� leur camp, il fut ais� aux ennemis de reconna�tre leur petit nombre : car ils n�avaient que quinze cent chevaux et un peu moins de quinze mille hommes de pied. Aussi les officiers de l�arm�e ennemie, faisant une sorte de violence � Arch�la�s, mirent leurs troupes en bataille, et remplirent la plaine de chevaux, de chars, d��cus et de boucliers. L�air ne suffisait pas au bruit et aux cris confus de tant de nations diverses, qui prenaient chacune son poste. D�ailleurs la magnificence et le luxe de leur �quipage servaient encore � augmenter la frayeur des Romains. L��clat �tincelant de leurs armes enrichies d�or et d�argent, les couleurs brillantes de leurs cottes d�armes m�doises et scythiques, m�l�es au luisant de l�airain et de l�acier, faisaient, � tous leurs mouvements et � tous leurs pas, �tinceler un feu semblable � celui des �clairs, et pr�sentaient un spectacle effrayant. Les Romains, saisis de terreur, n�osaient quitter leurs retranchements. Sylla, dont les discours ne pouvaient dissiper leur effroi, et qui ne voulait pas les forcer de combattre dans cet �tat de d�couragement, �tait oblig� de rester dans l�inaction, et de souffrir, non sans une vive impatience, les bravades et les ris�es insultantes des Barbares. Ce fut cependant ce qui lui servit le plus ; les ennemis, pleins de m�pris pour les Romains, n�observ�rent plus aucun ordre ni aucune discipline. La multitude de leurs chefs devint pour eux une cause d�insubordination. II ne restait qu�un petit nombre de soldats dans les retranchements ; les autres, amorc�s par l�app�t du pillage et du butin, s��cartaient du camp jusqu�� la distance de plusieurs journ�es. On dit que dans ces courses ils d�truisirent Panope, et que, sans en avoir re�u l�ordre d�aucun de leurs g�n�raux, ils saccag�rent L�bad�e, dont ils pill�rent le temple et profan�rent l�oracle. Sylla, qui fr�missait d�indignation de voir ruiner ces villes sous ses yeux, ne voulut pas du moins laisser ses troupes en repos ; et, pour les occuper, il les obligea de d�tourner le cours du C�phise et d�ouvrir de grandes tranch�es. Il n�exemptait personne de ce travail ; et, les surveillant lui-m�me, il ch�tiait avec la derni�re s�v�rit� ceux qui se rel�chaient, afin qu�exc�d�s de fatigue, ils pr�f�rassent � ces travaux p�nibles le danger d�un combat. Ce moyen lui r�ussit. Ils �taient au troisi�me jour de cet ouvrage, lorsque, Sylla ayant fait la visite des travaux, ils lui demand�rent tous � grands cris de les mener aux ennemis. Il leur r�pondit que cette demande venait moins du d�sir de combattre que de leur d�go�t du travail ; que, s�ils avaient un v�ritable d�sir d�en venir aux mains, ils n�avaient qu�� prendre sur-le-champ leurs armes et aller s�emparer d�un poste qu�il leur montrait de la main. C��tait le lieu qu�occupait autrefois la citadelle des Parapotamiens, et qui, depuis que la ville avait �t� ruin�e, n��tait plus qu�une colline escarp�e, pleine de rochers, et s�par�e du mont �dylium par la rivi�re d�Assos, qui, au pied m�me de la montagne, se jette dans le C�phise, dont le cours, devenu plus rapide par cette jonction, rendait ce poste tr�s s�r pour y placer un camp. Sylla, qui vit les chalcaspides [5] des ennemis se mettre en mouvement pour aller l�occuper, voulut les pr�venir et s�en saisir le premier. Il y r�ussit par l�ardeur et l�activit� de ses troupes. Arch�la�s, ayant manqu� son coup, se tourna contre Ch�ron�e. Quelques habitants, qui servaient dans l�arm�e de Sylla, l�ayant conjur� de ne pas abandonner cette ville, il y envoya un tribun des soldats, nomm� Gabinius [6] , avec une l�gion, et le fit accompagner de ces Ch�ron�ens, qui, quelque d�sir qu�ils eussent d�arriver � Ch�ron�e avant Gabinius, ne purent le devancer, tant ce tribun montra, pour sauver leur ville, plus d�affection et plus d�ardeur que ceux m�mes qui d�siraient si fort d��tre sauv�s. Juba nomme ce tribun �ricius, et non Gabinius. Quoi qu�il en soit, c�est ainsi que notre ville fut pr�serv�e d�un si grand danger.

XVII. Cependant les Romains recevaient chaque jour de L�bad�e et de l�antre de Trophonios des rapports favorables, et des oracles qui leur annon�aient la victoire. Les habitants du lieu en racontent encore aujourd�hui plusieurs ; mais Sylla, dans le dixi�me livre de ses Commentaires, dit seulement qu�apr�s qu�il eut gagn� la bataille de Ch�ron�e, Quintus Titius, un des n�gociants les plus consid�rables de la Gr�ce, vint le trouver, et lui annon�a que Trophonius lui promettait dans peu de jours, et au m�me endroit, une seconde bataille et une seconde victoire. Il ajoute qu�un soldat l�gionnaire, nomm� Salv�nius, vint lui pr�dire, de la part du dieu, le succ�s qu�auraient ses affaires d�Italie. Ils assuraient tous deux ne parler que d�apr�s la voix divine m�me qu�ils avaient entendue, et avoir vu une figure dont la grandeur et la beaut� ressemblaient � celles de Jupiter Olympien. Sylla donc, ayant pass� la rivi�re d�Assos, s�avan�a jusqu�au mont Edylium, et campa pr�s d�Arch�la�s, qui avait assis et fortifi� son camp entre cette montagne et celle d�Acontium, pr�s de la ville des Assiens. L�endroit o� il campa porte encore de nos jours le nom d�Arch�la�s. Sylla y passa le jour entier ; apr�s quoi, laissant Murena, avec une l�gion et deux cohortes, pour harceler l�ennemi, qui �tait en d�sordre, il alla lui-m�me offrir un sacrifice sur les bords du C�phise, d�o� ensuite il se rendit � Ch�ron�e, pour prendre les troupes qu�il y avait laiss�es, et en m�me temps pour reconna�tre un lieu nomm� Thurium, que les ennemis avaient pr�c�demment occup�. C�est la cime d�une montagne tr�s roide, et qui se termine en pointe, comme une pomme de pin. Nous lui donnons le nom d�Orthopagus. Au pied de la montagne coule un ruisseau, appel� Morius , sur le bord duquel est le temple d�Apollon Thurien, surnom que ce dieu a pris de Thuro, m�re de Ch�ron, le fondateur de Ch�ron�e. D�autres disent que la g�nisse qui fut donn�e pour guide � Cadmus par Apollon Pythien se pr�senta � lui dans ce lieu, qui prit de cet animal le nom de Thurium : car les Ph�niciens donnent � la g�nisse le nom de thor. Sylla approchait de Ch�ron�e, lorsque le tribun qu�il y avait envoy� pour la d�fendre vint au-devant de lui � la t�te des troupes, portant � la main une couronne de laurier. Sylla, l�ayant re�ue, salua les soldats, et les exhorta � faire preuve de courage dans le danger auquel ils allaient �tre expos�s. Pendant qu�il leur parlait, deux Ch�ron�ens, nomm�s Homolo�chus et Anasidamus, l�abord�rent, et lui offrirent de chasser les ennemis de Thurium, s�il leur donnait seulement un petit nombre de soldats. Ils lui dirent qu�il y avait un sentier inconnu aux Barbares, lequel, d�un lieu appel� P�trochus, menait, le long du temple des Muses, � la pointe de Thurium, au-dessus des ennemis ; que de l� il leur serait facile de fondre sur eux et de les accabler de pierres, ou de les forcer � descendre dans la plaine. Gabinius ayant rendu t�moignage � la fid�lit� et au courage de ces deux hommes, Sylla leur dit d�alhhler ex�cuter leur dessein, et en m�me temps il range son infanterie en bataille, distribue la cavalerie sur les deux ailes, garde pour lui la droite, et donne la gauche � Mur�na. Gallus et Hortensius, ses lieutenants, plac�s � la queue avec le corps de r�serve, occupaient les hauteurs pour emp�cher que les ennemis ne vinssent, par les derri�res, envelopper les Romains : car on les voyait d�ployer d�j� leur cavalerie et leurs troupes l�g�res sur les ailes, afin de se replier ensuite, et de pouvoir, en faisant un long circuit, enfermer les ennemis.

XVIII. Comme ils ex�cutaient ce mouvement, les deux Ch�ron�ens, � qui, Sylla avait donn� �ricius pour commandant, ayant gagn� la cime du Thurium sans �tre aper�us de l�ennemi, et s��tant montr�s tout � coup sur les hauteurs, jet�rent l�effroi parmi les Barbares, qui ne pens�rent plus qu�� fuir, et se tu�rent la plupart les uns les autres. N�osant s�arr�ter pour faire face � l�ennemi, et s�abandonnant � la pente de la montagne, ils tombaient sur leurs propres piques, et se poussaient mutuellement le long de cette pente rapide, pour fuir les ennemis qui se pr�cipitaient sur eux du haut de la montagne et les per�aient ais�ment ainsi d�couverts de leurs armes. Il en p�rit trois mille sur le haut du Thurium. De ceux qui �chapp�rent � ce premier massacre, les uns all�rent donner dans le corps de troupes de Mur�na, qui les avait d�j� rang�es en bataille, et o� ils furent taill�s en pi�ces ; les autres, en courant vers leur camp, se jet�rent avec tant de confusion sur le corps de leur infanterie, qu�ils la remplirent de trouble et d�effroi, et firent perdre � leurs g�n�raux un temps consid�rable, ce qui fut une des principales causes de leur perte : car Sylla, marchant aussit�t sur eux dans le d�sordre o� ils �taient, et franchissant avec rapidit� l�intervalle qui s�parait les deux arm�es, �ta aux chars arm�s de faux tout leur effet. Ils ne tirent leur force que de la longueur de leur course, qui donne � leur mouvement de l�imp�tuosit� et de la roideur ; s�ils n�ont qu�un court espace pour s��lancer, ils sont sans force et sans action, comme les traits faiblement lanc�s n�ont point de coup. C�est ce qui arriva en cette occasion aux Barbares : leurs premiers chars partirent si l�chement et donn�rent avec tant de mollesse, que les Romains n�eurent aucune peine � les repousser, et qu�ils demand�rent avec de grands �clats de rire, comme � Rome dans les jeux du cirque, qu�on en f�t venir d�autres. Alors les deux corps d�infanterie commencent l�attaque. Les Barbares, baissant leurs longues piques, serrent leurs rangs et leurs boucliers pour conserver leur ordre de bataille ; mais les Romains, jetant leurs javelots et prenant leurs �p�es, �cartent leurs piques afin de les joindre plus t�t corps � corps. Cette audace leur fut inspir�e par la col�re qui les transporta quand ils virent aux premiers rangs quinze mille esclaves que les g�n�raux de Mithridate avaient affranchis par un d�cret public dans les villes de la Gr�ce, et qu�ils avaient distribu�s dans l�infanterie pesamment arm�e ; ce qui fit dire � un centurion romain qu�il n�avait vu qu�aux saturnales les esclaves jouir des droits de la libert�. Cependant leurs bataillons �taient si profonds et si serr�s, qu�ils soutinrent avec audace le choc de l�infanterie romaine, et qu�ils r�sist�rent beaucoup plus longtemps qu�on ne l�aurait attendu de gens de ce caract�re. Il fallut faire venir la seconde ligue, qui les accabla d�une gr�le si furieuse de pierres et de traits, qu�ils tourn�rent le dos et prirent la fuite.

XIX. Arch�la�s �tendait son aile droite, afin d�envelopper les Romains, lorsque Hortensius ordonne � ses cohortes de fondre sur lui et de le prendre en flanc. Arch�la�s, qui aper�oit ce mouvement, fait tourner t�te � deux mille de ses cavaliers. Hortensius, se voyant pr�s d��tre vivement pouss� par cette cavalerie nombreuse, recule lentement vers les montagnes ; mais, s��tant trop �loign� de son corps de bataille, il allait �tre envelopp� par les ennemis, lorsque Sylla, inform� du danger qu�il courait, quitte son aile droite, qui n�avait pas encore combattu, et vole � son secours. A la poussi�re qu�il �leva dans sa marche, Arch�la�s conjectura ce qui en �tait ; et, laissant l� Hortensius, il se porte � l�endroit du champ de bataille que Sylla venait de quitter, esp�rant surprendre cette aile droite priv�e de son chef. Dans le m�me moment, Taxile fait marcher contre Mur�na ses chalcaspides ; et les deux partis ayant jet� en m�me temps de grands cris qui furent r�p�t�s par toutes les montagnes des environs, Sylla s�arr�te, incertain de quel c�t� il doit plut�t se porter. Il prend enfin le parti de retourner � son poste, envoie Hortensius avec quatre de ses cohortes au secours de Mur�na, prend la cinqui�me, et court � son aile droite, qui combattait d�j� contre Arch�la�s avec un avantage �gal. D�s qu�il para�t, ses soldats font de nouveaux efforts, et, renversant les troupes ennemies, ils les obligent de prendre la fuite, et les poursuivent jusqu�au fleuve et au mont Acontium. Sylla cependant n�oublia pas dans quel danger il avait laiss� Mur�na, et courut � son secours ; mais, trouvant qu�il avait aussi vaincu les ennemis, il se mit avec lui � la poursuite des fuyards. Il se fit dans la plaine un grand carnage des Barbares ; un plus grand nombre furent taill�s en pi�ces en voulant regagner leur camp ; et de tant de milliers d�ennemis, il n�en �chappa que dix mille, qui s�enfuirent � Chalcis. Sylla dit que dans son arm�e il ne manqua que quatorze hommes, dont deux m�me revinrent le soir au camp. Aussi, sur les troph�es qu�il dressa pour cette victoire, il fit graver : A Mars, � la Victoire et � V�nus, pour montrer que ses succ�s n��taient pas moins l�ouvrage de la fortune que de son courage et de sa capacit�. Le prunier qu�il �rigea, pour le combat qu�il avait gagn� dans la plaine, �tait plac� � l�endroit m�me d�o� Arch�la�s avait commenc� de fuir jusqu�au ruisseau de Molus. Il �leva le second sur le sommet de Thurium, o� les Barbares avaient �t� surpris par-derri�re ; et l�inscription, qui �tait en lettres grecques, en attribuait le succ�s � la valeur d�Homolo�chus et d�Anaxidamus. Pour c�l�brer ces victoires, il donna des jeux de musique dans la ville de Th�bes, pr�s de la fontaine d�OEdipe, o� l�on dressa un th��tre pour les musiciens. II fit venir de quelques autres villes grecques des juges pour distribuer les prix, parce qu�il avait jur� aux Th�bains une haine implacable. Il la porta jusqu�� leur �ter la moiti� de leur territoire, qu�il consacra � Apollon Pythien et � Jupiter Olympien ; il ordonna que du produit de ces terres on restituerait � ces dieux l�argent qu�il avait enlev� de leurs temples.

XX. La c�l�bration des jeux �tait � peine finie, qu�il apprit que Flaccus, qui �tait de la faction contraire � la sienne, venait d��tre nomm� consul, et qu�il traversait la mer Ionienne avec une arm�e, en apparence pour faire la guerre � Mithridate, mais en effet pour le combattre lui-m�me. Il prit aussit�t le chemin de la Thessalie, pour aller � sa rencontre, et lorsqu�il fut pr�s de M�lit�e, il lui vint de tous c�t�s la nouvelle que le pays qu�il avait laiss� derri�re lui �tait mis � feu et � sang par une autre arm�e de Mithridate, aussi nombreuse que la premi�re. Doryla�s �tait d�barqu� � Chalcis, avec une flotte charg�e de quatre-vingt mille hommes, tous bien �quip�s et les mieux disciplin�s des troupes de Mithridate. De l� s��tant jet� dans la B�otie, il s�en �tait rendu ma�tre, et il montrait le plus grand d�sir d�attirer Sylla � une bataille. Arch�la�s eut beau vouloir l�en d�tourner, Doryla�s ne l��couta point ; il affectait m�me de faire courir le bruit que tant de milliers de combattants n�avaient pu �tre d�faits sans quelque trahison. Sylla revint promptement sur ses pas, et convainquit bient�t ce g�n�ral qu�Arch�la�s �tait un homme sage, qui connaissait par exp�rience la valeur des Romains. Doryla�s, en ayant fait l�essai dans quelques l�g�res escarmouches qui eurent lieu pr�s du mont Tilphossius, fut le premier � dire qu�il ne fallait point risquer de bataille, mais tirer la guerre en longueur et laisser les Romains se consumer eux-m�mes par leurs grandes d�penses. Cependant la plaine d�Orchom�ne, o� ils �taient camp�s, et qui �tait si favorable pour une arm�e sup�rieure en cavalerie, fit reprendre courage � Arch�la�s. De toutes les plaines de la B�otie, la plus belle et la plus vaste est celle qui touche � la ville d��Orchom�ne. Elle est d�couverte et sans arbres, et s��tend jusqu�aux marais o� se perd le fleuve M�las, qui, naissant pr�s des murs d�Orchom�ne, est, de tous les fleuves de la Gr�ce, le seul qui soit navigable � sa source. Comme le Nil, il grossit vers le solstice d��t�, et produit des plantes semblables � celles qui croissent sur les bords du fleuve d�Egypte, avec cette diff�rence que celles du M�las ne s��l�vent pas � une grande hauteur, et ne portent point de fruit. Son cours n�est pas long ; la plus grande partie de ses eaux se jette tout de suite dans des marais couverts de broussailles �paisses, et le reste se m�le avec le C�phise, � l�endroit m�me o� ces marais donnent les roseaux les plus propres � faire des fl�tes.

XXI. Quand les deux arm�es furent camp�es assez pr�s l�une de l�autre, Arch�la�s se tint tranquille dans ses retranchements ; et Sylla fit tirer des tranch�es en divers endroits de la plaine, afin d��ter aux ennemis l�avantage que leur aurait donn� cette campagne spacieuse, dont le terrain ferme �tait si propre aux mouvements de la cavalerie, et de les repousser du c�t� des marais. Les Barbares, indign�s de ces travaux, n�eurent pas plus t�t obtenu de leurs g�n�raux la permission de tomber sur les travailleurs, que, courant � eux avec imp�tuosit�, ils les dissip�rent, et mirent en fuite les troupes qui les soutenaient. Sylla, sautant � bas de son cheval, et saisissant une enseigne, pousse aux ennemis � travers les fuyards. �Romains, leur dit-il, il me sera glorieux de mourir ici ; pour vous, quand on vous demandera o� vous avez abandonn� votre g�n�ral, souvenez-vous de r�pondre que c�est � Orchom�ne. � Cette parole leur fit tourner t�te sur-le-champ ; et deux cohortes de l�aile droite �tant venues � leur secours, il les mena contre l�ennemi, qu�il obligea de prendre la fuite. Apr�s avoir fait reculer un peu ses soldats pour prendre de la nourriture, il les employa de nouveau � faire des tranch�es pour environner le camp des ennemis, qui revinrent en meilleur ordre qu�auparavant. Ce fut � cette attaque que Diog�ne, fils de la femme d�Arch�la�s, p�rit, en combattant � l�aile droite avec beaucoup de valeur. Leurs gens de traits, vivement press�s par les Romains, et n�ayant pas assez d�espace pour faire usage de leurs arcs, prenaient leurs fl�ches � pleines mains en guise d��p�es, et en frappaient les Romains. Repouss�s enfin jusque dans leurs retranchements, ils y pass�rent une nuit cruelle, � cause du grand nombre de leurs morts et de leurs bless�s. Le lendemain, Sylla ramena ses troupes vers le camp des ennemis, pour continuer les tranch�es, Les Barbares �tant all�s en plus grand nombre charger les travailleurs, il tomba sur eux si rudement, qu�il les mit en fuite ; leur frayeur s��tant communiqu�e � ceux du camp, personne n�osa y rester pour le d�fendre, et Sylla l�emporta d�embl�e. Il y fit un si grand carnage, que les marais furent teints de sang, et le lac rempli de morts ; encore aujourd�hui, pr�s de deux cents ans apr�s, cette bataille, on trouve souvent des arcs de ces Barbares, des casques, des pi�ces de cuirasses, des �p�es et d�autres armes, enfonc�es dans la bourbe. Tel est le r�cit que les historiens font des �v�nements qui eurent lieu pr�s de Ch�ron�e et d�Orchom�ne.

XXII. Cependant, � Rome, Carbon et Cinna traitaient avec tant d�injustice et de cruaut� les personnes les plus consid�rables, qu�un grand nombre d�elles, pour �chapper � leur tyrannie, cherch�rent un asyle dans le camp de Sylla, comme dans un port assur�, et qu�en peu de temps il eut autour de lui une esp�ce de s�nat. M�tella sa femme, s��tant d�rob�e avec peine � leur fureur, elle et ses enfants, vint lui apprendre que sa maison et ses terres avaient �t� incendi�es par ses ennemis, et le conjura d�aller secourir ceux qui �taient rest�s � Rome. Ces nouvelles jet�rent Sylla dans une grande perplexit�. Il ne pouvait se r�soudre � laisser sa patrie en proie � tant de maux. Mais comment partir avant d�avoir achev� une entreprise aussi importante que la guerre de Mithridate ? Comme il flottait dans cette irr�solution, un marchand de D�lium, nonmm� Arch�la�s, vint secr�tement de la part d�Arch�la�s, g�n�ral de Mithridate, lui porter quelque esp�rance de paix. Cette ouverture lui fit tant de plaisir, qu�il se h�ta d�aller en personne s�aboucher avec lui. Leur entrevue se fit sur le bord de la mer, pr�s de D�lium, o� l�on voit un temple d�Apollon. Arch�la�s parla le premier, et proposa au g�n�ral romain d�abandonner l�Asie et le Pont, et de s�en aller � Rome terminer la guerre civile, lui offrant pour cela, de la part de son prince, autant d�argent, de vaisseaux et de troupes qu�il en aurait besoin. Sylla, prenant la parole, lui conseilla de quitter Mithridate, de se faire roi � sa place, en devenant l�alli� des Romains, et de lui livrer toute la flotte. Arch�la�s ayant rejet� avec horreur cette trahison : � Eh quoi ! Arch�la�s, reprit Sylla, vous qui �tes Cappadocien, et l�esclave, ou, si vous l�aimez mieux, l�ami d�un roi barbare, vous ne pouvez supporter une proposition honteuse au prix de tant de biens que je vous offre ; et � moi, qui suis g�n�ral des Romains, � moi, Sylla, vous osez me proposer une trahison ! comme si vous n��tiez pas cet Arch�la�s qui vous �tes enfui de Ch�ron�e avec une poign�e de soldats, reste de cent vingt mille combattants que vous y aviez amen�s ; qui vous �tes cach� pendant deux jours dans les marais d�Orchom�ne, laissant la B�otie jonch�e de tant de morts, qu�elle est presque inaccessible.� A cette r�plique, Arch�la�s changea de langage ; et, s�humiliant devant Sylla, il le supplia de mettre fin � cette guerre, et d�accorder la paix � Mithridate. Sylla, content de sa soumission, la fit aux conditions suivantes : Mithridate devait renoncer � l�Asie et � la Paphlagonie ; restituer la Bithynie � Nicom�de, et la Cappadoce � Ariobarzane ; payer aux Romains deux mille talents, et leur livrer soixante-dix gal�res parfaitement �quip�es. De son c�t�, Sylla garantissait � Mithridate la possession de ses autres �tats, et lui assurait le titre d�alli� du peuple romain.

XXIII. Ces articles ainsi r�gl�s, Sylla se retira, et prit son chemin vers l�Hellespont par la Thessalie et la Mac�doine ; il menait avec lui Arch�la�s, et le traitait avec beaucoup de distinction. Ce g�n�ral �tant tomb� malade � Larisse, Sylla s�y arr�ta, et eut pour lui les m�mes soins que si c�est �t� un de ses lieutenants ou de ses coll�gues. Tous ces �gards firent calomnier sa bataille de Ch�ron�e, qu�on soup�onna de n�avoir pas �t� gagn�e bien purement ; et ce qui fortifia ce soup�on, c�est qu�apr�s avoir rendu tous les prisonniers qui se trouvaient amis de Mithridate, il fit mourir par le poison le seul tyran Aristion, parce qu�il �tait l�ennemi d�Arch�la�s. Mais rien ne le confirma davantage que le don qu�il fit � ce Cappadocien de dix mille pl�thres de terre dans l�Eub�e, et le titre qu�il lui conf�ra d�ami et d�alli� du peuple romain. Mais Sylla se justifie dans ses Commentaires de ces imputations. Cependant il vint � Larisse des ambassadeurs de Mithridate, qui lui d�clar�rent que ce prince acceptait toutes les conditions du trait�, except� celle qui regardait la Paphlagonie, dont il demandait � rester en possession, et qu�il ne pouvait consentir � donner les gal�res exig�es par Sylla. � Que dites-vous ! leur r�pondit Sylla d�un ton de col�re : Mithridate veut conserver la Paphlagonie, et refuse de livrer les vaisseaux, lui que je devrais voir � mes pieds me remercier de ce que je lui laiss� cette main droite qui a fait p�rir tant de Romains ? Il tiendra certes un autre langage quand je serai pass� en Asie. Maintenant qu�il vit dans le repos � Pergame, il peut faire � son aise ses plans de campagne pour une guerre qu�il n�a seulement pas vue.� Les ambassadeurs, effray�s, n�os�rent pas r�pliquer ; et Arch�la�s, prenant la main de Sylla, et l�arrosant de ses larmes, vint � bout de l�adoucir par ses pri�res. Enfin, il le persuada de le renvoyer aupr�s de Mithridate, en l�assurant qu�il lui ferait ratifier la paix aux conditions propos�es, ou que, s�il ne pouvait l�obtenir, il se tuerait de sa propre main. Sur cette parole, Sylla le laissa partir. En attendant son retour, il se jeta dans la M�dique, et, apr�s l�avoir ravag�e, il retourna dans la Mac�doine, o� Arch�la�s, �tant venu le rejoindre pr�s de la ville de Philippes, lui annon�a que tout irait bien, mais que Mithridate voulait absolument avoir une entrevue avec lui. Ce qui la lui faisait surtout d�sirer, c��tait l�approche de Fimbria, qui, apr�s avoir tu� le consul Flaccus, un des chefs de la faction contraire, et d�fait quelques g�n�raux de Mithridate, s�avan�ait contre le roi lui-m�me, qui, redoutant cette nouvelle attaque, pr�f�rait se lier avec Sylla.

XXIV. Ils s�abouch�rent � Dardane, ville de la Troade. Mithridate avait avec lui deux cents vaisseaux, vingt mille hommes de pied, six mille chevaux, et un grand nombre de chars arm�s de faux. Sylla n�avait amen� que quatre cohortes et deux cents chevaux. Mithridate vint au-devant de Sylla, et lui tendit la main ; mais Sylla lui demanda, avant tout, s�il consentait � terminer la guerre aux conditions r�gl�es par Arch�la�s. Le roi gardant le silence : �Mithridate, reprit Sylla, ignorez-vous que ceux qui ont des demandes � faire doivent parler les premiers, et que les vainqueurs n�ont qu�� les �couter en silence ? � Mithridate entra dans une longue apologie, et voulut rejeter les causes de cette guerre en partie sur les dieux, en partie sur les Romains ; mais Sylla l�interrompant : � J�avais, lui dit-il, entendu dire depuis longtemps que Mithridate �tait un prince tr�s �loquent, et je le reconnais aujourd�hui moi-m�me, en voyant avec quelle facilit� il d�guise sous des paroles sp�cieuses les actions les plus cruelles et les plus injustes.� Alors, lui reprochant avec amertume toutes ses perfidies, et l�ayant forc� d�en convenir, il lui demande une seconde fois s�il s�en tient aux articles arr�t�s avec Arch�la�s. Mithridate ayant r�pondu qu�il les ratifiait, Sylla lui rendit le salut, et l�embrassa avec des t�moignages d�affection ; ensuite, ayant fait approcher les rois Nicom�de et Ariobarzane, il les r�concilia avec lui. Mithridate, lui ayant remis les soixante-dix gal�res avec cinq cents hommes de trait, fit voile vers le Pont. Sylla sentait que ses soldats �taient m�contents de cette paix, et qu�ils ne voyaient pas sans indignation qu�un roi, le plus mortel ennemi de Rome, qui, en un seul jour, avait fait �gorger cent cinquante mille Romains r�pandus dans l�Asie, s�en retourna paisiblement dans ses �tats, charg� des richesses et des d�pouilles de cette Asie qu�il avait pill�e et accabl�e de contributions pendant quatre ans entiers. Mais il se justifiait aupr�s d�eux en leur disant que, si Fimbria et Mithridate s��taient r�unis contre lui, il n�aurait pu leur r�sister.

XXV. II partit du lieu m�me de cette entrevue pour marcher contre Fimbria, qui �tait camp� sous les murs de Thyatire ; il pla�a son camp pr�s du sien, et fit travailler aux retranchements. Les soldats de Fimbria, sortant en simples tuniques, vont embrasser ceux de Sylla, et les aident avec ardeur � faire leurs tranch�es. Fimbria, qui vit ce changement, et qui n�attendait aucune gr�ce de Sylla, qu�il regardait comme un ennemi implacable, se tua lui-m�me dans son camp. Sylla mit sur toute l�Asie une contribution commune de vingt mille talents ; et, outre cela, il accabla les particuliers, en livrant leurs maisons � l�insolence des gens de guerre qui y vivaient � discr�tion. II ordonna que chaque soldat recevrait par jour de son h�te quatre t�tradrachmes, avec un souper pour lui et pour autant d�amis qu�il voudrait amener ; que chaque officier aurait par jour cinquante drachmes, avec une robe pour rester dans la maison, et une autre pour para�tre en public.

XXVI. Il partit ensuite d��ph�se avec toute sa flotte, et entra le troisi�me jour dans le port du Pir�e. L�, apr�s s��tre fait initier aux myst�res, il prit pour lui la biblioth�que d�Apellicon de T�os, dans laquelle se trouvaient la plupart des ouvrages d�Aristote et de Th�ophraste, qui n��taient pas encore fort r�pandus. On dit que, cette biblioth�que ayant �t� port�e � Rome, le grammairien Tyrannion mit en ordre et �claircit plusieurs ouvrages de ces deux philosophes ; qu�Andronicus de Rhodes, � qui il donna communication de ces manuscrits, les rendit publics, et y ajouta les tables qu�on y voit maintenant ; car les anciens disciples du Lyc�e, gens d�esprit et de savoir, connaissaient d�ailleurs tr�s peu de trait�s d�Aristote et de Th�ophraste, et les copies qu�ils en avaient n��taient pas correctes, parce que la succession de N�l�e le Scepsien, � qui Th�ophraste avait laiss� par testament tous ses ouvrages, passa � des ignorants qui n�en firent aucun cas. Sylla, pendant son s�jour � Ath�nes, fut pris d�une douleur aux pieds, accompagn�e d�engourdissement et de pesanteur, que Strabon appelle le b�gaiement de la goutte. Il se fit porter par mer � �depse, pour prendre les bains chauds. L� il passait les journ�es enti�res dans la soci�t� des acteurs et des musiciens. Un jour qu�il se promenait sur le bord de la mer, des p�cheurs lui offrirent de tr�s beaux poissons. Charm� de ce pr�sent, il leur demanda d�o� ils �taient. � De la ville d�Al�es, lui r�pondirent-ils.- Eh quoi ! reprit Sylla, reste-t-il encore quelqu�un d�Al�es ? � C�est qu�apr�s la victoire d�Orchom�ne, en poursuivant les ennemis, il avait ruin� trois villes de la B�otie : Anth�don, Larymne et Al�es. Les p�cheurs, effray�s, rest�rent muets ; mais Sylla leur dit, en souriant, de ne rien craindre, et de s�en aller joyeusement. � Vous �tes venus, ajouta-t-il, avec des intercesseurs puissants, qui ne m�ritent pas d��tre refus�s. � Ces paroles rendirent la confiance aux Al�ens, et ils retourn�rent habiter leur ville.

XXVII. Sylla, ayant travers� la Thessalie et la Mac�doine, descendit vers la mer pour s�embarquer � Dyrrachium, et passer de l� � Brunduse, avec une flotte de douze cents voiles. Pr�s de Dyrrachium est la ville d�Apollonie, qui a dans son voisinage un lieu sacr� qu�on appelle Nymph�e, o�, du milieu d�une vall�e que couvrent de belles prairies, il jaillit des sources de feu qui coulent continuellement. Ce fut l�, dit-on, qu�on surprit un satyre endormi, tels que les sculpteurs et les peintres les repr�sentent. Il fut conduit � Sylla, et interrog� par divers interpr�tes, qui lui demand�rent son nom ; mais il ne r�pondit rien d�articul� ni d�intelligible : sa voix n��tait qu�un cri rude et sauvage, qui tenait du hennissement du cheval et du b�lement du bouc. Sylla, saisi d�horreur, le f�t �ter de sa pr�sence. Lorsqu�il fut pr�t � embarquer ses troupes, il parut craindre que les soldats, une fois arriv�s en Italie, ne voulussent se d�bander, et se retirer chacun dans sa ville ; mais ils vinrent tous d�eux-m�mes lui jurer qu�ils resteraient aux drapeaux, et qu�ils ne commettraient volontairement aucune violence dans l�Italie. Ensuite, sachant qu�il avait besoin de beaucoup d�argent, ils contribu�rent chacun selon ses facult�s, et lui apport�rent ce qu�ils avaient pu ramasser entre eux. Sylla ne voulut pas recevoir leur don, et, apr�s avoir lou� leur bonne volont�, apr�s les avoir encourag�s, il traversa la mer, pour aller, comme il le dit lui-m�me, contre quinze chefs de factions, qui tous �taient ses ennemis, et avaient sous leurs ordres quatre cent cinquante cohortes. Mais les dieux lui donn�rent les pr�sages les plus certains des succ�s qu�ils lui destinaient. En arrivant � Tarente, il fit un sacrifice, o� le foie de la victime parut avoir la forme d�une couronne de laurier, d�o� pendaient deux bandelettes. Peu de temps avant qu�il s�embarqu�t, on avait vu en plein jour, pr�s du mont �ph�on, dans la Campanie, deux boucs d�une taille extraordinaire qui se battaient, et faisaient les m�mes mouvements que des hommes qui combattent ; mais ce n��tait qu�un fant�me, qui, s��levant peu � peu de terre, s��tendit dans les airs, et, comme ces spectres t�n�breux qui paraissent quelquefois, se dissipa bient�t, et s��vanouit. Peu de temps apr�s, le jeune Marius et le consul Norbanus ayant amen� dans ce m�me lieu deux puissantes arm�es, Sylla, sans se donner le temps de mettre ses troupes en bataille, et de leur assigner aucun poste, sans autre moyen que l�ardeur et l�audace de ses soldats, d�fit ces deux g�n�raux, les mit en fuite, et, apr�s avoir tu� sept mille hommes � Norbanus, il l�obligea de se renfermer dans Capoue. Cette victoire, � ce qu�il dit lui-m�me, retint ses soldats aupr�s de lui, les emp�cha de se retirer dans leurs villes, et leur inspira le plus grand m�pris pour les arm�es ennemies, qui leur �taient cependant tr�s sup�rieures en nombre. Il ajoute que, dans la ville de Silvium, un esclave de Pontius, transport� d�une fureur divine, vint au-devant de lui, et l�assura qu�il venait de la part de Bellone lui annoncer la victoire ; mais que, s�il ne se h�tait pas, le Capitole serait br�l� : ce qui arriva en effet le jour m�me que cet homme l�avait pr�dit, c�est-�-dire le six du mois appel� alors Quintilis, et nomm� depuis juillet. Marcus Lucullus, un des lieutenants de Sylla, camp� aupr�s de Fidentia avec seize cohortes, en avait cinquante � combattre. Il se fiait assez � la bonne volont� de ses soldats ; mais, comme la plupart n�avaient pas d�armure compl�te, il balan�ait d�en venir aux mains avec l�ennemi. Pendant qu�il d�lib�rait sans oser prendre son parti, il s��leva tout � coup un vent doux et l�ger, qui, enlevant d�une prairie voisine une grande quantit� de fleurs, les porta au milieu de ses troupes ; il semblait qu�elles vinssent d�elles-m�mes se placer sur les boucliers et sur les casques des soldats, de mani�re qu�ils paraissaient, aux yeux de l�autre arm�e, couronn�s de fleurs. Encourag�s par cette esp�ce de prodige, ils tomb�rent sur les ennemis avec tant de vigueur qu�ils remport�rent une pleine victoire, leur tu�rent plus de dix-huit mille hommes, et s�empar�rent de leur camp. Lucullus �tait fr�re de celui qui dans la suite vainquit Mithridate et Tigrane.

XXVIII. Sylla, qui se voyait environn� de plusieurs camps et d�arm�es tr�s nombreuses, se sentant inf�rieur en forces, eut recours � la ruse, et fit faire � Scipion, l�un des consuls, des propositions d�accommodement. Scipion s�y pr�ta, et ils eurent ensemble plusieurs conf�rences ; mais Sylla trouvait toujours quelque pr�texte pour tra�ner l�affaire en longueur, et pendant ce temps-l� il travaillait � corrompre ses troupes par l�entremise de ses propres soldats, qui, comme leur g�n�ral, �taient exerc�s � toutes sortes de ruses et de tromperies. Ils entr�rent dans le camp des ennemis, se m�l�rent avec eux, gagn�rent les uns par argent, les autres par des promesses, ceux-ci par des flatteries, et r�ussirent � les s�duire. Enfin, Sylla s��tant approch� de leur camp avec vingt cohortes, ses soldats salu�rent ceux de Scipion, qui leur rendirent le salut et vinrent se joindre � eux. Scipion, rest� seul dans sa tente, fut pris et renvoy�. Sylla, qui s��tait servi de ces vingt cohortes pour en attirer quarante dans ses filets, comme les oiseleurs font tomber les oiseaux dans le pi�ge par le moyen d�oiseaux priv�s, les emmena toutes dans son camp. Cet �v�nement fit dire � Carbon qu�ayant � combattre � la fois le lion et le renard qui habitaient dans l��me de Sylla, c��tait le renard qui lui donnait le plus d�affaires. Peu de temps apr�s, le jeune Marius, camp� aupr�s de Signium , avec quatre-vingt-cinq cohortes, pr�senta la bataille � Sylla, qui lui-m�me avait la plus grande envie de combattre ce jour-l�, d�apr�s le songe qu�il avait eu la nuit pr�c�dente. Il avait cru voir le vieux Marius, mort depuis quelques ann�es, qui avertissait son fils de se garder du lendemain, parce qu�il devait lui �tre funeste. Br�lant donc d�impatience d�en venir aux mains, il mande sur-le-champ Dolabella, qui �tait camp� assez loin de lui. Les ennemis s�empar�rent des chemins et les gard�rent avec soin, pour emp�cher cette jonction. Les troupes de Sylla voulurent les en d�loger, afin d�ouvrir les passages � leurs camarades. Ils �taient d�j� fatigu�s de ce travail et des combats qu�il fallait livrer, lorsqu�il survint une forte pluie qui leur �ta toutes leurs forces. Les officiers, les voyant dans cet �tat, all�rent trouver Sylla, et, lui montrant les soldats abattus par la fatigue et couch�s � terre sur leurs boucliers, ils le pri�rent de diff�rer la bataille. Sylla y consentit, quoique avec peine, et donna l�ordre de camper. Ils commen�aient � faire les retranchements, lorsque Marius s�avan�a fi�rement � cheval jusqu�aux palissades, dans l�esp�rance de les surprendre en d�sordre et de les disperser facilement. Mais dans ce moment la fortune v�rifia le songe de Sylla. Ses soldats, irrit�s des bravades de Marius, interrompent leurs travaux, plantent leurs piques sur le bord du foss�, et, mettant l��p�e � la main, ils fondent avec de grands cris sur les troupes ennemies, qui, apr�s une l�g�re r�sistance, tourn�rent le dos ; on en fit un grand carnage, et Marius s�enfuit � Pr�neste, dont il trouva les portes ferm�es ; mais on lui jeta du haut des murs une corde dont il se lia, et il fut ainsi enlev� dans la ville. Quelques historiens, du nombre desquels est Fenestella, pr�tendent que Marius ne se trouva pas m�me � la bataille ; qu�accabl� de lassitude et de ses longues veilles, apr�s avoir donn� le mot pour la bataille, il se coucha par terre sous un arbre, et s�y endormit si profond�ment qu�il ne fut r�veill� qu�avec peine par le bruit de la d�route. Sylla �crit dans ses Commentaires qu�il ne perdit � cette action que vingt-trois hommes, qu�il en tua vingt mille, et fit huit mille prisonniers. II fut aussi heureux du c�t� de ses lieutenants, Pomp�e, Crassus, M�tellus et Servilius, qui tous, sans presque aucune perte, taill�rent en pi�ces des arm�es consid�rables. Carbon, le principal chef de la faction contraire, quitta la nuit son arm�e, et fit voile pour l�Afrique.

XXIX. Le dernier ennemi que Sylla eut � combattre fut le Samnite T�l�sinus, qui, comme un athl�te tout frais, tombant sur un adversaire fatigu� de plusieurs combats, pensa le renverser et triompher de lui aux portes m�mes de Rome. Ce T�l�sinus, s��tant joint avec un Lucanien nomm� Lamponius, avait rassembl� un corps de troupe assez nombreux, et marchait en diligence vers Pr�neste, pour d�livrer Marius, qui y �tait assi�g�. Mais, inform� que Sylla et Pomp�e venaient � grandes journ�es, le premier pour l�attaquer par devant, et l�autre pour le prendre par derri�re, et se voyant pr�t � �tre enferm� entre deux arm�es, alors, en grand capitaine � qui des situations difficiles avaient donn� une grande exp�rience, il d�campe la nuit avec toute son arm�e, et marche droit � Rome, qui �tait sans d�fense, et qu�il aurait pu emporter d�embl�e. Mais, � dix stades de la porte Colline, il s�arr�ta et passa la nuit devant les murailles, se glorifiant de sa hardiesse, et concevant de grandes esp�rances de ce qu�il avait donn� le change � tant et � de si grands capitaines. Le lendemain, � la pointe du jour, un grand nombre de jeunes gens des premi�res maisons de Rome �tant sortis � cheval pour escarmoucher contre lui, il en tua plusieurs, et entre autres Appius Claudius, jeune homme aussi distingu� par son courage que par sa naissance. Ces �v�nements avaient jet� le trouble et l�effroi dans Rome ; les femmes couraient dans les rues en jetant de grands cris, et se croyaient d�j� prises d�assaut. Enfin, on vit arriver Balbus, � qui Sylla avait fait prendre les devants avec sept cents cavaliers. II ne s��tait arr�t� que le temps n�cessaire pour faire souffler les chevaux, et, ayant rebrid� sur-le-champ, il accourait pour arr�ter l�ennemi, lorsque Sylla parut, qui, apr�s avoir fait prendre aux premiers arriv�s un peu de nourriture, les mit tout de suite en bataille. Torquatus et Dolabella le conjur�rent de ne pas s�exposer � tout perdre en menant � l�ennemi des troupes exc�d�es de fatigue ; ils lui repr�sentaient qu�il n�avait pas affaire � un Carbon, � un Marius, mais aux Samnites et aux Lucaniens, les deux peuples les plus belliqueux et les plus ardents ennemis des Romains. Sylla, sans �couter leurs repr�sentations, ordonne aux trompettes de donner le signal, quoique le jour baiss�t, et qu�on f�t d�j� � la dixi�me heure. Dans ce combat, un des plus rudes qu�on e�t encore donn�s durant cette guerre, l�aile droite, command�e par Crassus, remporta la victoire la plus compl�te. Sylla, voyant la gauche fort maltrait�e et pr�te � plier, vole � son secours, mont� sur un cheval blanc plein d�ardeur et d�une vitesse extr�me. Deux des ennemis le reconnurent, et tendirent leurs javelines pour les lancer contre lui. II ne s�en apercevait pas ; mais son �cuyer, qui les avait vus, donna au cheval un grand coup de fouet, qui h�ta si � propos sa course, que les deux javelines ras�rent sa queue et all�rent se ficher en terre. On dit que Sylla avait une petite figure d�or d�Apollon, qui venait de Delphes, et qu�il portait dans son sein � toutes ses batailles ; qu�en cette occasion il la baisa affectueusement, en lui adressant ces paroles : � Apollon Pythien, apr�s avoir combl� d�honneur et de gloire l�heureux Cornelius Sylla dans tant de combats, dont vous l�avez fait sortir victorieux, voudriez-vous le renverser aux portes m�mes de sa patrie, et l�y faire p�rir avec ses concitoyens ? � Il avait � peine adress� au dieu cette pri�re, que, se jetant au milieu de ses soldats, il emploie tour � tour les pri�res et les menaces, et en saisit m�me quelques-uns pour les ramener au combat ; mais il ne put emp�cher la d�faite enti�re de cette aile gauche, et il fut lui-m�me entra�n� dans son camp par les fuyards, apr�s avoir perdu plusieurs de ses officiers et de ses amis. Un grand nombre de Romains, sortis de la ville pour voir le combat, furent �cras�s sous les pieds des hommes et des chevaux. D�j� l�on croyait Rome perdue, et peu s�en fallut que ceux qui tenaient Marius enferm� dans Pr�neste ne levassent le si�ge ; des soldats emport�s jusque l� dans leur fuite pressaient Lucr�tius Ofella, qui commandait ce si�ge, de se retirer promptement, parce que Sylla, disaient-ils, venait d��tre tu�, et que Rome �tait au pouvoir de l�ennemi.

XXX. Mais, au milieu de la nuit, il arriva au camp de Sylla des courriers envoy�s par Crassus, qui venaient demander � souper pour lui et pour ses soldats. Il lui faisait dire en m�me temps qu�apr�s avoir vaincu les ennemis, il les avait poursuivis jusqu�� Antemna, et qu�il �tait camp� devant cette. ville. Sylla, ayant appris en m�me temps que le plus grand nombre des ennemis avait p�ri, partit le lendemain pour Antemna � la pointe du jour. En chemin, il re�ut des h�rauts de la part de trois mille des ennemis, qui se rendaient � lui et demandaient gr�ce. Sylla la leur promit, � condition qu�avant de venir le joindre, ils feraient aux ennemis quelque mal consid�rable. Ces trois mille hommes, comptant sur sa parole, se jet�rent sur leurs camarades, dont plusieurs se tu�rent les uns les autres. Mais Sylla, ayant rassembl� tous ceux qui �taient rest�s de ces trois mille hommes et des autres, jusqu�au nombre d� six mille, les fit enfermer dans l�hippodrome, et assembla le s�nat dans le temple de Bellone. Il commen�ait � parler aux s�nateurs, lorsque des soldats qui avaient re�u ses ordres, tombant sur ces six mille prisonniers, les massacr�rent. Les cris de tant de malheureux, qu�on �gorgeait � la fois dans un si petit espace, devaient s�entendre au loin. Les s�nateurs en furent effray�s ; et Sylla, continuant � leur parler avec le m�me sang-froid et le m�me air de visage, leur dit de n��tre attentifs qu�� son discours, et de ne pas s�occuper de ce qui se passait au dehors ; que c��taient quelques mauvais sujets qu�il faisait ch�tier. Ces paroles firent comprendre aux plus stupides des Romains qu�ils n��taient pas affranchis de la tyrannie, et qu�ils n�avaient fait que changer de tyran. Marius lui-m�me, qui, d�s le commencement, s��tait montr� dur et, cruel, n�avait fait que roidir son naturel ; le pouvoir n�en avait pas chang� le fond. Au contraire, Sylla, qui d�abord, usant de sa fortune en citoyen mod�r�, avait fait croire qu�on aurait en lui un chef favorable � la noblesse et protecteur du peuple, qui m�me d�s sa jeunesse avait aim� la plaisanterie, et s��tait montr� sensible � la piti� jusqu�� verser facilement des larmes, donna lieu par ses cruaut�s de reprocher aux grandes fortunes qu�elles changent les moeurs des hommes, qu�elles les rendent fiers, insolents et cruels. Mais est-ce un changement r�el que la fortune produise dans le caract�re, ou plut�t n�est-ce que le d�veloppement qu�une grande autorit� donne � la m�chancet� cach�e au fond du coeur ? C�est une question � traiter dans une autre sorte d�ouvrage.

XXXI. D�s que Sylla eut commenc� � faire couler le sang, il ne mit plus de bornes � sa cruaut�, et remplit la ville de meurtres dont on n�envisageait plus le terme. Une foule de citoyens furent les victimes de haines particuli�res ; Sylla, qui n�avait pas personnellement � s�en plaindre, les sacrifiait au ressentiment de ses amis, qu�il voulait obliger. Un jeune Romain, nomm� Ca�us M�tellus, osa lui demander en plein s�nat quel serait enfin le terme de tant de maux, et jusqu�o� il se proposait de les pousser, afin qu�on s�t au moins quand on n�aurait plus � en craindre de nouveaux. � Nous ne vous demandons pas, ajouta-t-il ; de sauver ceux que vous avez destin�s � la mort, mais de tirer de l�incertitude ceux que vous avez r�solu de sauver. � Sylla lui ayant r�pondu qu�il ne savait pas encore ceux qu�il laisserait vivre : � Eh bien ! reprit M�tellus, d�clarez-nous donc quels sont ceux que vous voulez sacrifier. - C�est aussi ce que je ferai, � repartit Sylla. Quelques historiens disent que la derni�re r�plique ne fut pas de M�tellus, mais d�un certain Aufidius, un des flatteurs de Sylla. Il commen�a donc par proscrire quatre-vingts citoyens, sans en avoir parl� � aucun des magistrats. Comme il vit que l�indignation �tait g�n�rale, il laissa passer un jour, et publia une seconde proscription de deux cent vingt personnes, et une troisi�me de pareil nombre. Ayant ensuite harangu� le peuple, il dit qu�il avait proscrit tous ceux dont il s��tait souvenu ; et que ceux qu�il avait oubli�s, il les proscrirait � mesure qu�ils se pr�senteraient � sa memoire. Il comprit dans ces listes fatales ceux qui avaient re�u et sauv� un proscrit, punissant de mort cet acte d�humanit�, sans en excepter un fr�re, un fils ou un p�re. Il alla m�me jusqu�� payer un homicide deux talents, f�t-ce un esclave qui e�t tu� son ma�tre, ou un fils qui e�t �t� l�assassin de son p�re. Mais ce qui parut le comble de l�injustice, c�est qu�il nota d�infamie les fils et les petits-fils des proscrits, et qu�il confisqua leurs biens. Les proscriptions ne furent pas born�es � Rome ; elles s��tendirent dans toutes les villes d�Italie. Il n�y eut ni temple des dieux, ni autel domestique et hospitalier, ni maison paternelle, qui ne f�t souill�e de meurtres. Les maris �taient �gorg�s dans le sein de leurs femmes, les enfants entre les bras de leurs m�res ; et le nombre des victimes sacrifi�es � la col�re ou � la haine n��galait pas � beaucoup pr�s le nombre de ceux que leurs richesses faisaient �gorger. Aussi les assassins pouvaient-ils dire : � Celui-ci, c�est sa belle maison qui l�a fait p�rir ; celui-l�, ses magnifiques jardins ; cet autre, ses bains superbes. � Un Romain nomm� Quintus Aur�lius, qui ne se m�lait de rien, et qui ne craignait pas d�avoir d�autre part aux malheurs publics que la compassion qu�il portait � ceux qui en �taient les victimes, �tant all� sur la place, se mit � lire les noms des proscrits, et y trouva le sien. � Malheureux que je suis, s��cria-t-il, c�est ma maison d�Albe qui me poursuit. � Il eut � peine fait quelques pas, qu�un homme qui le suivait le massacra.

XXXII. Cependant Marius, ayant �t� pris, se donna lui-m�me la mort ; et Sylla, �tant all� � Pr�neste, fit d�abord juger et ex�cuter chacun des habitants en particulier. Mais, trouvant ensuite que ces formalit�s lui prenaient trop de temps, il les fit tous rassembler dans un m�me lieu, au nombre de douze mille, et ils furent �gorg�s en sa pr�sence. Il ne voulut faire gr�ce de la vie qu�� son h�te ; mais cet homme lui dit, avec une grandeur d��me admirable, qu�il ne devrait jamais son salut au bourreau de sa patrie ; et, s��tant jet� au milieu de ses compatriotes, il se fit tuer avec eux. Lucius Catilina donna dans ces proscriptions un exemple inou� de cruaut�. Avant que la guerre f�t termin�e, il avait tu� son fr�re de sa propre main ; et quand Sylla eut commenc� ses proscriptions, il le pria de mettre son fr�re au nombre des proscrits, comme s�il e�t �t� vivant, ce que Sylla lui accorda volontiers. Catilina, pour reconna�tre ce service, alla tuer un homme de la faction contraire, nomm� Marcus Marius, et porta sa t�te � Sylla, qui �tait dans la place publique sur son tribunal ; apr�s quoi il alla froidement laver ses mains d�gouttantes de sang dans le vase d�eau lustrale qui �tait pr�s de l�, plac� � la porte du temple d�Apollon.

XXXIII. Apr�s tant de meurtres, rien ne r�volta davantage que de voir Sylla se nommer lui-m�me dictateur, et r�tablir pour lui une dignit� qui �tait suspendue � Rome depuis cent vingt ans. Il se fit donner une abolition g�n�rale du pass�, et, pour l�avenir, le droit de vie et de mort, le pouvoir de confisquer les biens, de partager les terres, de b�tir des villes, d�en d�truire d�autres, d��ter et de donner les royaumes � son gr�. Il vendait � l�encan les biens qu�il avait confisqu�s ; du haut de son tribunal, il pr�sidait lui-m�me � ces ventes, mais avec tant d�insolence et de despotisme, que les adjudications qu�il en faisait �taient encore plus odieuses que la confiscation m�me. Des courtisanes, des musiciens, des farceurs, des affranchis, qui �taient les plus sc�l�rats des hommes recevaient des pays entiers, ou tous les revenus d�une ville. Il alla jusqu�� enlever des femmes � leurs maris, pour les faire �pouser � d�autres malgr� elles. Comme il ambitionnait l�alliance du grand Pomp�e, il l�obligea de r�pudier sa femme, pour lui faire �pouser �milia, fille de Scaurus et de M�tella, femme de Sylla, qu�il arracha � Manius Glabrio, quoiqu�elle f�t enceinte ; mais elle mourut en couches dans la maison de Pomp�e. Lucr�tius Ofella, celui qui avait pris Marius dans Pr�neste, s��tait mis sur les rangs pour le consulat. Sylla lui fit dire d�abord de se d�sister de sa poursuite. Lucr�tius, qui se voyait soutenu par le peuple, se rendit sur la place, et continua sa brigue. Sylla envoya un des centurions qui �taient toujours autour de lui, et le fit tuer, pendant qu�assis sur son tribunal, dans le temple de Castor et de Pollux, il regardait d�en haut le meurtre. Le peuple, en tumulte, se saisit du centurion, et le mena devant le tribunal. Sylla fit faire silence, d�clara que c��tait par son ordre que ce meurtre avait �t� commis, et qu�on e�t � laisser le centurion tranquille.

XXXIV. Son triomphe, qui eut lieu vers ce temps-l�, fut un des plus imposants par la magnificence et par la nouveaut� des d�pouilles des rois d�Asie ; mais ce qui en fit le plus bel ornement et le spectacle le plus touchant, ce fut le grand nombre de bannis qui l�accompagnaient. Les premiers et les plus illustres personnages de Rome suivaient son char, couronn�s de fleurs, et appelaient Sylla leur sauveur et leur p�re, � qui ils devaient leur retour dans leur patrie, et la satisfaction de revoir leurs enfants et leurs femmes. Quand la pompe du triomphe fut termin�e, il fit, dans l�assembl�e du peuple, l�apologie de sa conduite, et rappela avec plus de soin les faveurs de la fortune que ses belles actions ; il finit par ordonner qu�on lui donn�t � l�avenir le surnom d�Heureux, Felix dans la langue latine. Depuis ce temps-l�, quand il �crivait aux Grecs, ou qu�il traitait avec eux d�affaires, il prenait le surnom d��paphrodite. Les troph�es qu�on voit encore aujourd�hui dans la B�otie portent cette inscription : LUCIUS CORNELIUS SYLLA EPAPHRODITUS. M�tella, sa femme, �tant accouch�e d�un fils et d�une fille, il nomma le fils Faustus et la fille Fausta, noms qui, chez les Romains, d�signent ce qui est heureux et de bon augure. Mais rien ne prouve davantage qu�il avait bien plus de confiance en son bonheur qu�en ses exploits que de le voir, apr�s avoir �gorg� tant de milliers de citoyens, apr�s avoir fait tant et de si grands changements dans la r�publique, se d�mettre volontairement de la dictature, et rendre au peuple les �lections consulaires. II ne fut pas pr�sent aux comices ; mais il se tint tranquillement sur la place, confondu dans la foule, et se livrant � quiconque aurait voulu l�arr�ter pour lui faire rendre compte de sa conduite. Dans cette �lection, il vit nommer consul, contre son avis, un homme audacieux, et son ennemi d�clar�, qui le fut bien moins pour son m�rite personnel que par la faveur de Pomp�e, que le peuple voulait obliger. Sylla, rencontrant Pomp�e qui s�en retournait tout glorieux de sa victoire, l�appela. � Jeune homme, lui dit-il, c�est de votre part un grand trait de politique que d�avoir fait nommer consul, avant Catulus, le plus sage de nos citoyens, un homme aussi emport� que L�pidus ; mais prenez garde de vous endormir, car vous avez donn� des forces contre vous-m�me � l�adversaire le plus dangereux. Cette parole de Sylla eut l�air d�une proph�tie : car L�pidus ne tarda pas � signaler son audace, et � prendre les armes contre Pomp�e.

XXXV. Sylla consacra � Hercule la d�me de ses biens, et, � cette occasion, il donna au peuple des festins magnifiques. Il y eut une telle abondance, ou plut�t une telle profusion de mets, que, chaque jour, on jetait dans le Tibre une quantit� prodigieuse de viandes, et qu�on y servit du vin de quarante ans, et du plus vieux encore. Au milieu de ces r�jouissances, qui dur�rent plusieurs jours, M�tella mourut. Pendant sa maladie, les pr�tres d�fendirent � Sylla de la voir, et de souiller sa maison par des fun�railles. Il lui envoya donc un acte de divorce, et la fit transporter encore vivante dans une autre maison. Observateur superstitieux de cette loi, il viola celle qu�il avait faite lui-m�me pour borner la d�pense des fun�railles, et n��pargna rien � celles de M�tella. Il n�observa pas davantage les r�glements pour la simplicit� des repas, dont il �tait aussi l�auteur ; et, pour pour se consoler de son deuil, il passait les journ�es dans les d�bauches et dans les plaisirs. Peu de mois apr�s, il se donna un combat de gladiateurs ; et comme alors les places n��taient pas encore marqu�es dans les spectacles, que les hommes et les femmes y �taient confondus ensemble, Sylla se trouva, par hasard, � c�t� d�une femme tr�s belle et d�une grande naissance : elle �tait fille de Messala, soeur de l�orateur Hortensius, se nommait Val�ria, et venait de faire divorce avec son mari. Cette femme, s��tant approch�e de Sylla par-derri�re, appuya sa main sur lui, arracha un poil de sa robe, et alla reprendre sa place. Sylla l�ayant fix�e avec �tonnement : � Seigneur, lui dit-elle, ne soyez pas surpris : je veux avoir aussi quelque part � votre bonheur. � Cette parole fit plaisir � Sylla ; il parut m�me qu�elle l�avait extr�mement flatt� : car tout de suite il fit demander son nom, sa famille et son �tat. D�s ce moment, ce ne fut que des oeillades r�ciproques, que des regards continuels, que des sourires d�intelligence, qui se termin�rent par un contrat de mariage. En cela, peut-�tre, Val�ria ne m�rite point de reproches ; mais Sylla n�est pas excusable. E�t-elle �t� la plus honn�te et la plus vertueuse des femmes, son mariage n�aurait pas eu pour cela une cause plus honn�te : il s��tait laiss� prendre, comme un jeune homme sans exp�rience, � ces regards, � ces cajoleries, qui ordinairement allument les passions les plus honteuses.

XXXVI. La soci�t� d�une si belle femme ne l�emp�cha point de continuer � vivre avec des com�diennes, des m�n�tri�res, des musiciens, et de boire avec eux d�s le matin, couch� sur de simples matelas. Les personnes qui avaient alors le plus de cr�dit aupr�s de lui, c��taient le com�dien Roscius, l�archimime Sorix, et M�trobius, qui jouait les r�les de femme. Quoique celui-ci f�t d�j� vieux, Sylla l�aimait toujours, et n�avait pas honte de l�avouer. Cette vie de d�bauche nourrit en lui une maladie qui n�avait eu que de l�gers commencements. Il fut longtemps � s�apercevoir qu�il s��tait form� dans ses entrailles un abc�s qui, ayant insensiblement pourri ses chairs, y engendra une si prodigieuse quantit� de poux, que plusieurs personnes occup�es, nuit et jour, � les lui �ter, ne pouvaient en �puiser la source, et que ce qu�on en �tait n��tait rien en comparaison de ce qui s�en reproduisait sans cesse : ses v�tements, ses bains, les linges dont on l�essuyait, sa table m�me, �taient comme inond�s de ce flux intarissable de vermine, tant elle sortait avec abondance ! Il avait beau se jeter plusieurs fois le jour dans le bain, se laver, se nettoyer le corps, toutes ces pr�cautions ne servaient de rien ; ses chairs se changeaient si promptement en pourriture, que tous les moyens dont on usait pour y rem�dier �taient inutiles, et que la quantit� inconcevable de ces insectes r�sistait � tous les bains. On dit que, parmi les anciens, Acastus, fils de P�lias, et, dans des temps plus modernes, le po�te Alcman, Ph�r�cyde le th�ologien, Callisth�ne d�Olynthe pendant qu�il �tait en prison, et Mutius le jurisconsulte, moururent de la m�me maladie ; et, s�il faut en citer d�autres qui, sans avoir rien fait de remarquable, ne laissent pas d��tre connus, j�ajouterai Eunus, cet esclave fugitif qui suscita le premier la guerre des esclaves en Sicile, et qui, conduit prisonnier � Rome, y mourut de la maladie p�diculaire.

XXXVII. Sylla pr�vit sa mort, et l�annon�a m�me en quelque sorte dans ses Commentaires : car, deux jours avant de mourir, il mit la derni�re main au vingt-deuxi�me livre, o� il rapporte que les Chald�ens lui avaient pr�dit qu�apr�s avoir men� une vie glorieuse, il mourrait au plus haut point de sa prosp�rit�. Il ajoute que son fils, mort peu de jours avant M�tella, lui apparut en songe, v�tu d�une m�chante robe, et que, s�approchant de lui, il l�avait press� de terminer toutes ses affaires, et de venir avec lui aupr�s de sa m�re M�tella, pour vivre avec elle en repos et libre de tout soin. Ce songe ne l�emp�cha pas de s�occuper des affaires publiques : dix jours avant sa mort, il apaisa une s�dition qui s��tait �lev�e entre les habitants de Dic�archie, et leur donna des lois qui leur prescrivaient la mani�re dont ils devaient se gouverner. La veille m�me de sa mort, ayant su que le questeur Granius, qui devait au tr�sor public une somme consid�rable, diff�rait de la payer, et attendait sa mort pour en frustrer la r�publique, il le fit venir dans sa chambre, et ordonna � ses domestiques de le prendre et de l��trangler. Dans les efforts que fit Sylla en criant et s�agitant avec violence, son abc�s creva, et il rendit une grande quantit� de sang. Cette perte ayant �puis� ses forces, il passa une tr�s mauvaise nuit, et mourut le matin, laissant de M�tella deux enfants en bas �ge. Apr�s sa mort, Val�ria accoucha d�une fille qui fut nomm�e Posthuma ; car les Romains appellent posthumes les enfants qui naissent apr�s la mort de leur p�re.

XXXVIII. Il avait � peine expir�, que plusieurs citoyens se ligu�rent avec le consul L�pidus pour emp�cher qu�on ne lui f�t les obs�ques qui convenaient � un homme de son rang. Mais Pomp�e, quoiqu�il e�t � se plaindre de Sylla, car il �tait le seul de ses amis qu�il n�e�t pas nomm� dans son testament, fit tant par ses pri�res et son cr�dit aupr�s des uns, par ses menaces aupr�s des autres, qu�il les obligea de renoncer � leur projet. Ayant fait porter le corps � Rome, il assura � son convoi une enti�re libert�, et fit rendre � Sylla tous les honneurs convenables. Les femmes, dit-on, apport�rent une si grande quantit� d�aromates, qu�outre ceux qui �taient contenus dans deux cent dix corbeilles, on fit, avec du cinnamome et de l�encens le plus pr�cieux, une statue de Sylla de grandeur naturelle, et celle d�un licteur qui portait les faisceaux devant lui. Le jour des fun�railles, le temps fut, d�s le matin, fort n�buleux, et faisait craindre une grosse pluie ; on attendit jusqu�� la neuvi�me heure pour enlever le corps : il ne fut pas plus t�t sur le b�cher, qu�il s��leva un grand vent qui excita rapidement la flamme, et tout le corps fut consum� avant qu�il tomb�t une goutte d�eau. Mais, d�s que le b�cher commen�a � s�affaisser, et le feu � s�amortir, il tomba une pluie abondante qui dura jusqu�� la nuit. Ainsi la fortune parut avoir voulu lui �tre fid�le jusqu�� la fin de ses obs�ques. Son tombeau est dans le Champ-de-Mars ; et l�on assure qu�il avait fait lui-m�me l��pitaphe qu�on y voit, et dont le sens est que personne n�avait jamais fait plus de bien que lui � ses amis, ni plus de mal � ses ennemis.