Dans Séries un billet écrit par Christine le 15 avril 2022
Lorsque j’ai vu que Laurence Chellali proposait un stage consacré à la création d’une série photo à Gênes/IT en mars dernier, je n’ai pas hésité une seconde et me suis immédiatement inscrite. C’était non seulement l’occasion de revoir cette amie chère qui réside habituellement en Chine et de retourner à Gênes, une ville que j’affectionne particulièrement, mais surtout c’était une opportunité en or de créer une série photo sous la houlette d’une professionnelle rompue à ce genre d’exercice.
Qu’est-ce qu’une série?
De nos jours, il n’y a pas qu’à la télévision que la série a le vent en poupe. En photo aussi, la série est « à la mode » et est devenue l’un des piliers de l’art photographique. Mais de quoi parle-t-on exactement?
Le nombre de photos prises chaque seconde dans le monde explose. Faire de bonnes photos est désormais à la portée de tout un chacun et il devient extrêmement difficile de sortir du lot. La seule façon de se démarquer, de chercher (et de trouver) une identité propre à ses photos passe par la réalisation de séries. Il faut aujourd’hui penser sa photo et son style en proposant un corpus d’images originales, personnelles et identifiables. Je ne vous cache pas que l’exercice est exigeant et souvent prise de tête. Il ne s’agit pas de faire un catalogue de sujets sur un thème donné mais bien de construire une histoire en images, avec des temps forts et faibles, ces derniers jouant un rôle de liaison. On doit éviter aussi de constituer un florilège de ses meilleures photos. Au contraire, il faut savoir parfois renoncer à celle que l’on considère comme réussie si elle jure dans la trame de notre histoire. Toute la difficulté consiste à être cohérent sans être redondant. Dans ce contexte, la prise de vue ne représente qu’une part infime du travail créatif et c’est l’éditing (le choix des photos) qui joue un rôle crucial. Il doit être guidé par la mise en forme de la série, soit son rythme, sa cohérence visuelle et intellectuelle. Et cela justement n’est pas évident, il faut de la pratique et de nombreux essais pour arriver à une solution satisfaisante.
S’agissant du nombre de photos, il n’y a pas de règle. Tout dépend de son projet. Trois photos sont insuffisantes, elles peuvent tout au plus constituer un triptyque. En général, il faut un corpus d’au moins 7 à 8 images autonomes mais complémentaires qui fonctionnent toutes sur le même registre. Dans la plupart des cas, on en retient entre une dizaine et une vingtaine pour une expo ou un portfolio, plus s’il s’agit d’un livre.
Comment s’est déroulé le workshop?
Voila pour les principes mais en pratique comme a-t-on procédé lors de ce week-end avec Laurence?
Pour ce workshop, Laurence ne nous a donné aucun thème, laissant chacun photographier selon sa propre sensibilité. Pendant la journée de prise de vue, elle était là pour nous guider dans le labyrinthe de la vieille ville de Gênes, pour nous encadrer photographiquement parlant et répondre à toutes les questions que nous pouvions nous poser. Je connaissais déjà les ruelles de cette antique cité pour m’y être baladée à plusieurs reprises par le passé et les avais déjà passablement photographiées. J’ai donc un peu galéré au début ne sachant pas trop vers quoi m’orienter cette fois-ci. J’avoue aussi avoir à chaque sortie besoin d’un temps d’échauffement pour faire des photos correctes. Les premières sont généralement bonnes … pour la corbeille ! De tâtonnements en essais foireux, cette première journée de prise de vue m’a donné du fil à retordre et l’impression d’avoir déclenché en n’ayant qu’une vague idée de ce que je voulais. Ce n’est que le soir, en compulsant mes photos sur mon ordinateur, en les sélectionnant encore et encore que j’ai commencé à entrevoir le début de mon histoire. Comme je vous le disais ci-dessus, le travail d’editing est capital, c’est grâce à un tri rigoureux et à l’agencement de ses photos que l’on peut construire son propos. Idéalement, ce travail est facilité si l’on dispose de tirages papier que l’on peut organiser à sa guise sur une table, ce qui n’était pas le cas en l’occurence.
Une seconde session de prise de vue le lendemain n’a pas été de trop pour me permettre de compléter ma série en étant cette fois-ci beaucoup plus au fait de ce que je voulais. Malgré tout, je n’ai pas réussi à la finaliser comme prévu à l’issue du stage (mes collègues non plus du reste). Je me suis rendue compte que je peine à boucler un tel travail dans l’urgence. J’ai besoin de temps et de réflexion pour parvenir à mes fins. Pour cette série plus encore que d’habitude car j’ai voulu m’affranchir de la démarche documentaire qui m’est coutumière pour m’essayer à une approche plus conceptuelle. Après mon retour en Suisse, j’ai laissé laisser infuser mes idées pendant quelques jours, puis je suis revenue une nème fois sur l’ordre de mes images, en remplaçant certaines d’entre elles par d’autres plus appropriées. Il m’a fallu encore rédiger le texte d’accompagnement et trouver un titre que m’a finalement soufflé un célèbre chanteur gênois.
Comme je vous le disais ci-dessus, on ne créée pas une série en deux coups de cuillères à pot. La démarche demande des efforts, elle requiert réflexion et rigueur mais elle est véritablement enrichissante et donne du sens à nos photos. Etre accompagnée dans son cheminement par une personne comme Laurence qui est l’auteure de nombreuses séries reconnues est un avantage certain. Son oeil aguerri repère très rapidement les incohérences et les manques. Laurence pointe également les doublons, les photos inutiles et suggère celles qu’il faudrait encore faire. En posant des questions pertinentes sur nos intentions, elle nous force à clarifier nos idées, à revoir ou à mieux exprimer notre propos. Enfin, participer à un workshop , c’est être en contact avec d’autres participants qui auront des mêmes lieux une vision tout autre que la nôtre et en tireront une histoire très différente, ce qui est bien sûr hautement intéressant. Avant de vous montrer ma série, je ne peux que vous inviter à aller lire l’article rédigé par Laurence sur ce stage photo et découvrir les autres séries créées à cette occasion. Enfin, je suis très curieuse de savoir ce que vous pensez de la mienne qui, à mon sens, change de ce que je fais habituellement et serais ravie de vous lire en commentaire.
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Ma série
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Le vieux Gênes est un lacis inextricable de venelles, les « carruggi », bordées d’édifices si hauts que le jour y pénètre à peine. Cette ville, singulièrement verticale, n’est pas une ville de classe moyenne. Un même immeuble abrite en bas, dans les étages privés de soleil, les défavorisés tandis que les plus aisés sont en haut, là où il y a les terrasses.
Dans les sombres ruelles, « ceux d’en-bas » se débrouillent avec l’existence comme ils peuvent. Les unes vendent leurs corps, les autres prient pour leur salut. Tous cherchent à s’élever, à trouver une lumière salutaire, l’espoir d’une vie meilleure.
*Fabrizio de Andrè, La città vecchia. Traduction : Dans les quartiers où le soleil du bon Dieu ne pointe pas ses rayons…
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Sueur au front, échauffement des méninges et de la carte SD, kilomètres avalés, 10 000 soupirs et puis à la fin … un immense plaisir !!!! Faire une série, c’est comme faire une randonnée en haute montagne avec 1500 mètres de dénivelé. On en ch…, on a mal mais à la fin qu’est ce qu’on aime ! Je me suis toujours demandé quel côté masochiste nous pousse à faire de tels exercices 🙂 🙂 Des gros becs de la Città del Sole !!!!!
La comparaison avec la rando en montagne est bien trouvée et tellement juste! Merci Laurence d’avoir su si bien nous accompagner dans cette démarche exigeante. Plein de bisettes
J’ai regardé les images avant de lire le texte. En effet, c’est différent de ce que tu fais d’habitude, en ce sens que tu mets sans doute moins en valeur la beauté, mais sans doute plus la vérité de ce lieu (que je ne connais pas). Il s’en dégage de la douleur, de la pauvreté et une tension sous-jacente de dureté, accentuée par la lumière très contrastée. Bravo en tout cas!
Bonjour Anne,
Merci de partager ton ressenti ici. Effectivement, ma série n’est pas très gaie et mes images sont beaucoup plus sombres que ce que je fais d’habitude. mais c’est véritablement la réalité du lieu qui me les a inspirées. Ceci dit, Gênes est aussi une très belle ville, pleine de vie et de soleil. DU reste ma série se conclut sur un note lumineuse porteuse d’espoir.
Un très bel exercice, dur également. C’est bien de se donner du temps, mais parfois, il est difficile de terminer une série, c’est une partie de nous. Tes photos sont très parlantes, on arrive bien à se représenter ce qui demeure en bas de ces quartiers. 🙂
Je n’arrive pas à finaliser une série dans l’urgence mais en l’occurrence, c’était bien aussi que Laurence nous impose un délai. Sans cela, je crois que j’aurais un peu traîné 😉
Merci Christine pour ce reportage et toutes ces explications. Ce stage devait être aussi passionnant que difficile … sortir de sa zone de confort, tout un programme. J’ai beaucoup tes cliches (je ne suis pas objective peut-être), il s’en dégage une noirceur crasse qui colle à la peau comme la misère, J’aime les petit rayons d’espoirs au fond d’un impasse, ou dans une flaque d’eau, bravo !! Je t’embrasse
Réaliser une série en un week-end (ou presque) c’est un vrai challenge et une sacrée prise de tête aussi, mais quelle satisfaction à l’issue de l’exercice. Aujourd’hui même je suis allée chercher les tirages de cette série, les voir se matérialiser sur un beau papier en format A4 est encore plus satisfaisant. Merci Laurence d’avoir su voir cette lumière, j’ai un peu changé de registre cette fois-ci mais je n’arrive tout de même pas à faire quelque chose de complètement sombre. Gros becs
Avec autant de gêne que de retard, je t’expliquerai,, c’est dans les gènes, j’ai découvert ta série, Christine.
Comment dire? … Le visiteur a du job. Il y a du boulot, dans cette galerie, en effort à faire. Il ne suffit pas de regarder béatement les photos, accrochées aux cimaises, il faut créer son propre scénario, le confronter avec le tien… et ainsi de suite. Pas de tout repos, mais tellement bon pour les neurones, l’imagination… Autrement dit, Gênes-ial. Assez pour faire mentir le dicton « Oû il y a Gênes, il n’y a pas de plaisir!) Hum!
Une très belle balade où tu as sans aucun doute été inspirée.
On voit le soin apporté à la composition et la recherche de la lumière (et surtout des ombres !). Le résultat est très réussi, j’aime beaucoup !
Merci pour ce beau partage 😉