Quelque part en Valais, Suisse
Je suis unique. Je suis multiple. Brise douce ou tumulte violent, je
parcours la terre, m’engouffrant dans les brèches et les alcôves, sifflant dans
les feuillages, caressant les dunes de sable, faisant frémir la surface des
océans et rugissant dans les tempête de neige des Alpes.
Je peux être brûlant, desséchant tout sur mon passage ou glacial,
glissant telle une ombre blanche dans les étendues lointaines du grand Nord.
L’autre jour, sous un soleil irradiant tout dans la montagne, je suis
monté là-haut, à l’ombre des sommets et j’ai découvert un pâturage magnifique
où reposait silencieusement une multitude de fleurs colorées. Elles n’osaient
parler, suant sous les rayons caniculaires et suffoquant de toutes leurs
pétales.
Contemplant ce spectacle assoupi, j’ai décidé de lui insuffler un
murmure joyeux et vivifiant et sous l’effet de mon étreinte impatiente, les
petites fleurs se sont mises à tanguer doucement, ravies de sentir sur leurs
feuilles ma bouche suave leur chuchotant d’érotiques mélodies. Et toute cette
prairie alpine a ondulé sous mes caresses, comme le tableau impressionniste
d’un grand peintre du temps passé.
La puissante cascade dévalant la pente au loin s’est alors unie à mon
souffle afin d’offrir des vagues de fraîcheur à toute la montagne. Dans un
fracas assourdissant, elle a poursuivi sa valse rapide sur les cailloux
rugueux, pressée de s’élancer à l’assaut de ce parterre multicolore et de
découvrir d’autres horizons.
J’aime chuchoter dans cet environnement de pierres et d’herbes folles. Tout
dans l’alpage est palpitations et parfums salés suintant des feuilles, des
corolles et des tiges. Plissant mes narines, je frémis dans les aromates
délivrés par cette terre grasse, nourrie chaque matin par une délicieuse rosée.
Quand je tends l’oreille, mis à part le bruissement de mes ailes diaphanes, je
perçois des bruits légers qui nomment le silence. Griffant la surface de la
journée, les sapins et les mélèzes, balançant élégamment leurs cimes sous mes
doigts impatients, froissent des tissus naturels invisibles. Et c’est alors que
se dessinent des fresques vivantes que les hommes contemplent avec bonheur.
Et je sais que si je roule plus bas dans la vallée, les cloches des
vaches raviront tous mes sens, diffusant des sons cristallins que je ferai
résonner entre les chalets de bois accrochés au versant ensoleillé.
Demain, je ferai planer l’aigle majestueux. Dans un décor de bleu timide
et de rose matinal, les nuages floconneux cacheront les dernières étoiles qui
s’éteindront une à une sous la douce main du veilleur de nuit. Et dans ce décor
magique, l’oiseau royal tourbillonnera gracieusement alors que les hommes
seront encore endormis.