Le Trésor de Rackham le Rouge
Le Trésor de Rackham le Rouge | ||||||||
12e album de la série Les Aventures de Tintin | ||||||||
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Titre en couverture de l'édition originale et des rééditions de Le Trésor de Rackham le Rouge. | ||||||||
Auteur | Hergé | |||||||
Genre(s) | Franco-Belge Aventure |
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Personnages principaux | Tintin Milou Capitaine Haddock Professeur Tournesol Dupond et Dupont |
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Lieu de l’action | Belgique Océan Atlantique Caraïbes |
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Éditeur | Casterman | |||||||
Première publication | 1945 | |||||||
Nombre de pages | 62 | |||||||
Prépublication | Le Soir | |||||||
Albums de la série | ||||||||
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Le Trésor de Rackham le Rouge est un album de bande dessinée, le douzième des Aventures de Tintin, créées par le dessinateur belge Hergé. Il constitue la deuxième partie d'un diptyque qui commence avec Le Secret de La Licorne, dont il est le prolongement.
L'histoire est d'abord publiée quotidiennement en noir et blanc dans le journal Le Soir, du au , pendant l'occupation allemande de la Belgique. L'album en couleurs paraît en , après la Libération.
Dans la lignée de l'enquête policière que constituait Le Secret de La Licorne, cette aventure témoigne de la science du récit d'Hergé, qui développe son album à partir d'une intrigue plutôt mince, reposant uniquement sur le thème de la recherche d'un trésor. De nombreuses références à des œuvres majeures du genre apparaissent dans l'album, principalement L'Île au trésor de Robert Louis Stevenson. Sur le plan graphique, Le Trésor de Rackham le Rouge est salué par la critique et Hergé y réalise notamment l'un de ses dessins favoris, lorsque les personnages principaux accostent sur l'île dont on suppose qu'elle renferme le trésor.
L'album marque de plus une étape importante dans les Aventures de Tintin, Hergé achevant de mettre en place une « famille de papier » autour de son héros. L'album est en effet marqué par l'entrée du professeur Tournesol dans la série, tandis qu'après avoir découvert que le château de Moulinsart appartenait à son ancêtre, le capitaine Haddock parvient à en faire l’acquisition pour s'y installer définitivement, grâce à l’argent gagné par le professeur Tournesol avec la vente du brevet de son sous-marin.
Le film Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne, réalisé par Steven Spielberg (2011), est en partie adapté de l'album.
L'histoire
[modifier | modifier le code]Résumé
[modifier | modifier le code]Cet album est la suite du Secret de La Licorne, avec lequel il forme un diptyque. À la fin de cette aventure, les héros avaient découvert, en réunissant trois parchemins, les coordonnées géographiques de l'île où s'était réfugié le chevalier François de Hadoque, après le naufrage de La Licorne. Convaincus que le trésor du pirate Rackham le Rouge est au fond de la mer entourant cette île, Tintin et le capitaine Haddock s'apprêtent à embarquer sur le chalutier Sirius, pour tenter de le retrouver[H 1]. Malgré leurs précautions, l'affaire est ébruitée dans la presse et de nombreux individus, se prétendant descendants du pirate, rendent visite à Tintin pour réclamer leur part du butin[H 2]. Rapidement chassés par le capitaine[H 3], ils cèdent la place aux détectives Dupond et Dupont, puis à un inventeur farfelu et dur d'oreille, le professeur Tournesol, qui leur propose d'embarquer un modèle de sous-marin de son invention, qui leur permettrait de plonger sans craindre les attaques de requins[H 4].
Tintin, le capitaine et les Dupondt suivent le savant à son domicile, mais ne sont pas intéressés par l'appareil, manifestement peu solide[H 5]. Bien que Tintin explique son désintérêt à l'inventeur, ce dernier n'entend rien à la conversation et propose de fabriquer un nouveau modèle[H 6].
Une série d'évènements menace l'expédition du Sirius : Maxime Loiseau, l'un des malfaiteurs de l'album précédent, s'est évadé de prison et a été aperçu rodant près du bateau, tandis que le capitaine Haddock craint l'arrivée d'un malheur après avoir brisé un miroir dans le magasin où il achetait un scaphandre avec Tintin[H 7]. Les Dupondt reçoivent l'ordre d'embarquer à bord du Sirius et d'assurer la protection de l'expédition. Le navire finit par lever l'ancre[H 8].
Dans les jours qui suivent, l'équipage découvre avec stupeur que Tournesol a embarqué clandestinement et a transbordé, dans les cales du navire, les pièces détachées de son sous-marin, en lieu et place des caisses de whisky du capitaine[H 9]. Le voyage se déroule sans incident majeur mais, dans un premier temps, l'île est introuvable, malgré la justesse du calcul des coordonnées. Tintin comprend alors que l'erreur vient du changement de méridien origine entre leur époque et celle du chevalier de Hadoque : les coordonnées étaient autrefois calculées à partir du méridien de Paris (et non celui de Greenwich)[H 10],[Note 1].
Ayant corrigé leur trajectoire, les héros arrivent sur l'île et se lancent dans son exploration. Ils découvrent un totem représentant le chevalier[H 11]. Les plongées débutent et Tintin, avec l'aide du sous-marin en forme de requin de Tournesol, parvient à localiser l'épave de La Licorne[H 12]. Les recherches tiennent d'abord toutes leurs promesses car des pièces très rares datant du XVIIe siècle, comme une croix en or, un sabre d'abordage ou des bouteilles de rhum, sont remontées à la surface. Un coffret est même découvert, mais il ne contient que de vieux parchemins, que Tournesol se propose de déchiffrer[H 13]. Les recherches se poursuivent, sans résultat. Après avoir remonté la figure de proue de La Licorne, Tintin et le capitaine décident de rentrer en Europe[H 14].
Peu après leur retour, Tournesol fait une découverte stupéfiante : les parchemins révèlent que le château de Moulinsart était autrefois la propriété du chevalier de Hadoque, qui l'avait reçu de Louis XIV. Tournesol propose au capitaine d'utiliser l'argent de la vente du brevet de son sous-marin pour acquérir le château[H 15]. Une fois Moulinsart en leur possession, Tintin et le capitaine trouvent dans la cave un mystérieux globe terrestre en pierre. Tintin, qui se remémore le message des trois parchemins de La Licorne, réalise soudain que celui-ci renferme le trésor[H 16].
Lieux visités
[modifier | modifier le code]L'album s'ouvre au café À l'ancre, dans un port indéterminé mais probablement belge. C'est d'ailleurs l'une des rares scènes de café dessinées dans la série[1]. Dans la première partie de l'album, qui précède l'embarquement, Tintin et le capitaine évoluent donc entre ce port et une ville qui n'est pas nommée, mais qui se rapproche de Bruxelles ainsi qu'en témoignent les références qui sont glissées dans le récit, comme celle au Théâtre royal des Galeries[2].
À la fin du Secret de La Licorne, Tintin avait découvert les coordonnées géographiques où le trésor est supposément enfoui en superposant les trois parchemins écrits de la main du chevalier François de Hadoque. Elles indiquent une position de 20° 37' 42" de latitude nord et 70° 52' 15" de longitude ouest à partir du méridien de Paris[Note 2],[S 1]. Hergé commet un certain nombre d'anachronismes : à l'époque du naufrage de La Licorne, le chevalier n'aurait jamais pu calculer des coordonnées géographiques aussi précises, faute d'instruments. De même, l'utilisation du méridien de Paris comme méridien d'origine n'est décidée qu'à partir de 1792, soit un siècle après le naufrage de La Licorne, un temps où l'on utilisait encore le méridien de Ferro[S 2].
Par ailleurs, le site réel de cette île au trésor imaginaire se trouvant à une profondeur de 5 065 mètres, il est théoriquement impossible d'explorer l'épave de La Licorne ainsi que le font Tintin et le capitaine[S 3]. La majeure partie de l'intrigue se déroule donc sur cette île ou ses abords. En y posant le pied, les héros découvrent une île recouverte d'une jungle luxuriante, peuplée de perroquets. Malgré les différentes reliques attestant du séjour du chevalier de Hadoque en ce lieu, le trésor reste introuvable[S 4]. Il sera finalement découvert en Belgique, dans la crypte du château de Moulinsart, que vient d'acquérir le capitaine et où se déroulent les derniers épisodes de l'aventure[S 5].
Création de l'œuvre
[modifier | modifier le code]Contexte d'écriture
[modifier | modifier le code]La Belgique subit l'occupation de son territoire par l'Allemagne depuis le , mais d'un point de vue artistique, ce contexte de guerre constitue un certain « âge d'or » de la création[A 1]. Pour Hergé comme pour de nombreux artistes et écrivains, c'est le temps de « l'accomodation » qui commence[A 2] et cette période est particulièrement prolifique, comme le révèlent « la qualité, la richesse et l'abondance de leur travail »[A 1]. L'invasion allemande entraîne la disparition du Petit Vingtième et, de fait, la parution de Tintin au pays de l'or noir est interrompue[A 3]. Au mois d'octobre 1940, Hergé rejoint le quotidien Le Soir dont la publication se poursuit sous l'impulsion de journalistes collaborateurs, parmi lesquels se trouve le nouveau rédacteur en chef, Raymond De Becker, et avec l'accord de la propagande nazie qui en fait « un instrument privilégié de pénétration de l'opinion publique »[A 4].
Dès lors, Hergé adopte une attitude qui sera par la suite considérée comme ambiguë : en acceptant de travailler sans scrupules pour un journal considéré comme « volé »[Note 3], l'auteur cherche avant tout à développer ses créations artistiques en profitant de l'absence de concurrence française pour s'imposer[A 4]. Pour l'auteur, le rayonnement de son œuvre compte plus à ses yeux qu'une certaine éthique, et s'il semble être indifférent aux événements de son époque[P 1], l'ambiguïté de sa situation est renforcée quand il s'engage personnellement auprès des autorités allemandes pour obtenir des suppléments de papier[A 5], ou quand il présente des caricatures de commerçants juifs dans L'Étoile mystérieuse qui peuvent être considérées comme antisémites[A 6].
Dès son entrée au Soir, Hergé signe Le Crabe aux pinces d'or, immédiatement suivi de L'Étoile mystérieuse, deux aventures qui montrent les hésitations de l'auteur quant à l'orientation qu'il souhaite donner à sa série, entre engagement de son héros dans les évènements du siècle ou poursuite de ses aventures dans un univers plus imaginaire[A 7]. C'est dans ce contexte que naît le diptyque formé par Le Secret de La Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge, une double aventure qui marque le choix de l'évasion littéraire de Tintin, un moyen pour Hergé de fuir l'actualité oppressante de son époque[3],[P 2].
Écriture du scénario
[modifier | modifier le code]Pour mener son héros sur la piste d'un trésor caché, Hergé choisit de faire courir l'histoire sur deux albums et non plus un seul. De fait, Le Trésor de Rackham le Rouge constitue le prolongement du Secret de La Licorne. Ces deux albums ne sont pas indépendants l'un de l'autre mais bien conçus comme un seul et même ensemble. Ce procédé, qui est à nouveau utilisé par Hergé dans les aventures suivantes[Note 4], permet à Hergé de « laisser libre cours à ses talents de conteur »[P 3], mais c'est surtout un moyen de contourner les exigences de son éditeur, Casterman, qui impose à Hergé de respecter un format à 62 pages. De fait, afin d'éviter de devoir réduire le nombre de planches de ses aventures pour leur parution en album, comme il a dû le faire précédemment pour Tintin au Congo par exemple, l'auteur se libère de la contrainte par la scission de son récit[A 8].
L'apport de Jacques Van Melkebeke est manifeste dans l'écriture du scénario de cette nouvelle aventure, au point que Benoît Peeters le considère comme le véritable « coscénariste » de ces deux albums. Grand lecteur depuis son enfance, il est imprégné de culture littéraire, au contraire d'Hergé, et son influence se ressent dans les renvois aux romans d'aventure de Jules Verne ou Paul d'Ivoi, mais aussi dans le recours à des références théologiques qui étaient absentes des premières aventures de Tintin[P 4]. Ainsi les références bibliques sont nombreuses au sein de ce diptyque : si les trois maquettes de La Licorne, comme « trois frères unys », renvoient à la Trinité, la basilique Saint-Pierre de Rome est citée par le capitaine Haddock lorsque les Dupondt suggèrent qu'il a commis une erreur de calcul pour trouver l'emplacement de l'île. Enfin, l'aventure s'achève par la découverte du trésor aux pieds d'une statue de Saint-Jean l'évangéliste. Tintin le découvre en comprenant que la « croix de l'Aigle » de l'énigme est celle que tient l'apôtre, représenté en compagnie de l'aigle[P 5]. Par ailleurs, Hergé assigne à son nouveau collaborateur, Edgar P. Jacobs, un rôle important dans la recherche documentaire[4].
Sources et inspirations
[modifier | modifier le code]Documentation maritime
[modifier | modifier le code]Le monde de la mer et des bateaux n'est pas familier d'Hergé qui lui préfère celui des voitures et des avions, mais il commence à s'y intéresser vers la fin des années 1930[S 6]. Ses carnets de croquis témoignent des nombreuses recherches qu'il a menées pour dessiner La Licorne et lui conférer le plus grand réalisme historique possible. Il réunit une abondante documentation par le biais de ses relations et s'appuie notamment sur la collection de maquettes du prince Rodolphe de Croÿ, mais c'est d'un navire de ligne de second rang de la Marine royale française, Le Brillant, qu'il s'inspire directement pour concevoir l'allure générale du navire[S 7]. Il sollicite également son ami Gérard Liger-Belair, gérant d'un magasin de modèles réduits à Bruxelles, pour construire une maquette précise de La Licorne qui doit permettre d'une part de vérifier la conformité du vaisseau qu'il a dessiné, et d'autre part de le représenter de façon réaliste sous différents angles[S 8]. Le plan de la maquette mise au point par le modéliste est ensuite mis en vente à partir du mois d'avril 1942[S 8].
Références littéraires
[modifier | modifier le code]Les références littéraires sont nombreuses au cœur du diptyque et le scénario emprunte à de nombreux chefs-d'œuvre de la littérature populaire, au premier rang desquels figure L'Île au trésor de Robert Louis Stevenson, l'un des romans préférés d'Hergé. Outre la recherche du trésor dans une île des Caraïbes, plusieurs éléments de l'intrigue se retrouvent dans les deux récits. Le vocabulaire du capitaine Haddock emprunte à celui du capitaine Billy Bones de L'Île au Trésor (« Mille tonnerres »), tout comme l'un des refrains qu'il reprend à plusieurs reprises, « Et yo-ho-ho ! Et une bouteille de rhum »[S 9]. La situation du chevalier de Hadoque, naufragé solitaire sur une île qu'il croit déserte, évoque celle de Robinson Crusoé, le héros du roman de Daniel Defoe, tout comme la présence des perroquets qui se transmettent ses paroles depuis des générations. Aussi, lors de son séjour sur l'île près de laquelle a coulé son navire, le chevalier de Hadoque utilise une croix en bois comme calendrier, en y gravant une marque par jour passé sur l'île dont une grosse marque pour les dimanches. Comme signalé par Tintin, ce procédé a également été utilisé par Robinson Crusoé[S 10].
Le nom du pirate Rackham le Rouge a pu être inspiré par plusieurs sources : d'une part, un pirate haïtien dénommé Lerouge figure dans un roman de C. S. Forester, Le Capitaine du Connecticut, paru peu avant l'écriture du scénario par Hergé[S 10], tandis qu'un véritable pirate britannique, John Rackham, dit Calico Jack, a sévi sur ces mers au XVIIIe siècle[S 11].
L'influence de Jules Verne, dont Jacques Van Melkebeke est un lecteur assidu, est elle aussi manifeste, en particulier son roman Les Enfants du capitaine Grant. D'une part, les trois parchemins qui font découvrir à Tintin l'emplacement de l'épave de La Licorne font référence aux trois fragments de papier qu'il faut décrypter pour retrouver l'emplacement d'une île dans le roman de Jules Verne. D'autre part, les deux œuvres présentent une scène identique : chez Jules Verne, un requin est capturé par la queue, dans l'estomac duquel on retrouve une bouteille, tandis que chez Hergé, on retrouve un coffret[S 12].
Décors et personnages
[modifier | modifier le code]Le personnage du professeur Tournesol, dont c'est la première apparition, est inspiré du physicien suisse Auguste Piccard, professeur à l'Université libre de Bruxelles, qu'Hergé apercevait parfois dans les rues de la capitale belge dans les années 1930[5]. La ressemblance physique est frappante[A 9] : même type de vêtements, même chapeau, même « style lunaire et décalé », autant de caractéristiques qui rapprochent les deux savants, hormis la petite taille de Tournesol et sa surdité[P 6]. Certains spécialistes de l'œuvre d'Hergé, comme Frédéric Soumois et François Rivière, évoquent une autre inspiration possible à travers l'ingénieur irlandais John Philip Holland, qui participe au développement des premiers sous-marins[5],[6]. De même, le professeur renvoie à un ancien collaborateur d'Hergé au Vingtième Siècle, Paul Eydt, dont la surdité était source de plaisanterie[6].
Des sources diverses ont inspiré Hergé pour la réalisation des décors de l'album, en particulier de l'île où Tintin et ses amis pensent découvrir le trésor. Ainsi, le totem en bois à l'effigie du chevalier de Hadoque qu'ils retrouvent au cœur de la forêt rappelle les fétiches du peuple Bamiléké, qui vit à l'ouest du Cameroun[S 13]. Le scaphandre à casque utilisé par Tintin et ses compagnons et une copie d'un modèle réel, de type Rouquayrol-Denayrouze et Charles Petit de 1889[S 4]. Le casque, sans boulons, est alimenté par une pompe, actionnée par les Dupondt à chaque exploration[S 4].
Le château de Moulinsart est une copie quasi parfaite du château de Cheverny, amputé de ses deux tours latérales, et dont plusieurs éléments mobiliers ont servi de référence à Hergé pour décorer son château. Par ailleurs, les antiquités entassées par les frères Loiseau dans les sous-sols du château sont inspirées des gravures publiées dans l'encyclopédie Larousse[7]. Quant au nom du monument, il est construit à partir de celui du hameau de Sart-Moulin, situé à Braine-l'Alleud, où réside l'un des amis d'Hergé[8],[9].
Enfin, le Sirius est la copie du chalutier John O.88, assemblé à Tamise et mis en service à Ostende dans les années 1930. C'est le collectionneur Alexandre Berqueman, ami d'Hergé, qui fournit les plans du constructeur au dessinateur pour qu'il puisse en préciser les détails[10]
Clins d'œil, références culturelles
[modifier | modifier le code]Hergé glisse plusieurs références culturelles dans son album. À bord de la chaloupe qui le ramène vers le Sirius, le capitaine Haddock récite le quatrième quatrain du poème Le Lac d'Alphonse de Lamartine[11]. Plus tard, se félicitant d'avoir découvert une croix sur l'île à l'aide d'une longue-vue, Tintin fait danser le professeur Tournesol en fredonnant « Ninon qu'il est doux de valser avec vous ». Il s'agit d'un extrait d'une chanson écrite par Jean Daris (Ninon, je vous aime) sur l'air de la valse viennoise Gold und Silber (L'Or et l'Argent) de Franz Lehár[12].
Dans un autre registre, plusieurs affiches sont placardées sur la colonne Morris contre laquelle se cogne le capitaine Haddock. La première, en haut de la colonne, annonce l'opéra Boris Godounov avec Rino Tossi, parodiant ainsi par anagramme le chanteur populaire Tino Rossi. Celle du bas indique trois fois le nom de Sacha Guitry dans la pièce Moi, au Théâtre des Galeries[13],[14].
Renvois aux autres albums de la série
[modifier | modifier le code]Par ailleurs, Le Trésor de Rackham le Rouge s'inscrit pleinement dans la série des Aventures de Tintin dans la mesure où, à l'exception de Tintin au pays des Soviets, la mer est présente dans les quinze premiers albums de la série, de façon plus ou moins prononcée, faisant d'elle l'un des thèmes favoris d'Hergé[15]. De même, l'île au trésor qu'il dessine dans cet album succède à d'autres « îles rêvées » de son univers, à commencer par L'Île Noire, une île hantée qui servait de repaire à un groupe de faux-monnayeurs et abritait un gorille dont les cris effrayaient les habitants de la côte, puis l'aérolithe de L'Étoile mystérieuse, île éphémère littéralement tombée du ciel au milieu de l'océan Arctique. Plus tard, le dessinateur reprend ce thème avec l'île engloutie par une éruption volcanique de Vol 714 pour Sydney[16].
Apparu dans Les Cigares du pharaon et mis en scène de manière poussée dans L'Étoile mystérieuse, le fantastique continue de se développer dans l'univers de Tintin avec Le Trésor de Rackham le Rouge. La radiesthésie fait son entrée dans la série en même temps que le professeur Tournesol, qui ne se sépare jamais de son pendule, convaincu qu'il lui permettra de découvrir l'emplacement du trésor[17]. En affublant de cet objet un personnage censé incarner l'exactitude de la science, Hergé donne une certaine crédibilité à cette pseudoscience pour laquelle il a lui-même une attirance[18].
Parution et traductions
[modifier | modifier le code]Comme les précédentes aventures de Tintin, l'histoire est d'abord pré-publiée en noir et blanc sous forme de feuilleton quotidien dans le journal Le Soir. Alors que la dernière planche du Secret de La Licorne paraît le , la première du Trésor de Rackham le Rouge est publiée dès le suivant. La pré-publication s'étale sur sept mois, jusqu'au [P 7], pour un total de 180 strips[A 10], puis l'histoire est éditée en album chez Casterman en 1945[19].
Alors que l'éditeur souhaite conquérir de nouveaux marchés, Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge sont, en 1952, les premières aventures de la série à être publiées directement en album au Royaume-Uni, de même qu'en Espagne et en Allemagne de l'Ouest[19]. En 1959, Le Trésor de Rackham le Rouge est diffusé aux États-Unis par Golden Press, en même temps que cinq autres albums[20]. Une traduction en arabe, ainsi qu'une en hébreu, sont éditées en 1972, respectivement par Dar Al Maaref et Mizrahi[20]. En 2002, Casterman publie une traduction en coréen[21]. Le Trésor de Rackham le Rouge parait ensuite en grec en 1994 [22], en suédois en 1995[23], en hongrois en 2005[24], en islandais en 2010[25], en hindi en 2012 [26] puis en vietnamien en 2014[27].
De même, plusieurs éditions en dialectes ou en langues régionales ont été publiées : le breton en 1993[28], le catalan en 2002[29], le gallo[30] et le tournaisien en 2005[31], le marollien en 2006[32], l'ostendais en 2009[33], le mauricien[34], l'anversois[35], le créole antillais[36] et le créole réunionnais[37] en 2011, le monégasque en 2012[38] et le borain en 2013[39].
Analyse
[modifier | modifier le code]Analyse critique
[modifier | modifier le code]Pour Pierre Assouline, biographe d'Hergé, ce diptyque marque une nouvelle étape dans le travail du dessinateur qui « franchit un nouvel échelon dans la progression de son art »[A 11]. Il juge cette œuvre « attachante », car elle « fait la part belle au rêve, au mythe et à l'évasion », en constituant le « prolongement visuel d'un univers littéraire qui va de Jules Verne à Pierre Benoit en passant par R.L. Stevenson et Joseph Conrad », mais aussi parce que l'apparition du château de Moulinsart dans la série donne « un port d'attache » à la « famille de Tintin »[A 12].
Benoît Peeters souligne la « science du récit » dont Hergé fait preuve dans cet album, malgré une matière narrative réduite : « Les premières Aventures de Tintin consommaient à vive allure une grande quantité d'évènements. Désormais, Hergé travaille à l'économie. Chaque idée est exploitée méthodiquement, chaque gag est l'objet d'une série de variations jusqu'à trouver sa chute.[P 7] » Dans une lettre adressé à son éditeur, le dessinateur se félicite lui-même d'avoir « assez bien tiré parti d'une intrigue excessivement mince »[P 7].
Jean-Marie Apostolidès considère lui aussi ce diptyque comme un tournant dans la série, notamment car la recherche du trésor se double pour les personnages d'une quête de leurs racines. Si cette recherche est d'abord centrée sur les liens entre le capitaine Haddock et son ancêtre le chevalier de Hadoque, Apostolidès compare également cet aïeul à Tintin lui-même, dans la mesure où les indigènes ont érigé une statue à l'effigie du chevalier comme les Congolais l'avaient fait de Tintin dans la deuxième aventure de la série[40].
Style narratif
[modifier | modifier le code]Narration contrainte et continuité du récit
[modifier | modifier le code]En raison de la pénurie de papier qui frappe l'ensemble des journaux dans le contexte de guerre qui entoure la parution de son aventure, Hergé ne peut diffuser qu'un seul strip par jour dans les colonnes du Soir, soit une bande formée de trois ou quatre cases. Ce format contraint nécessairement la narration et conduit le dessinateur à se montrer plus efficace et plus concis[41]. Par ailleurs, dès les premiers croquis d'étude, Le Secret de La Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge sont conçus comme un diptyque qui permet à Hergé de faire courir une seule et même histoire sur deux albums. Aussi, le dessinateur utilise différents procédés pour assurer la ligature et la continuité des deux récits.
Dans la dernière planche du Secret de La Licorne, Tintin brise le quatrième mur en s'adressant directement au lecteur pour l'inviter à le suivre dans la quête du trésor qui sera présentée dans l'album suivant : « Naturellement, cela n'ira pas sans peine, je suppose, sans doute aurons-nous encore avant de découvrir ce trésor de nombreuses aventures. Ce sont ces aventures, chers amis, qui vous seront contées dans Le Trésor de Rackham le Rouge. »[H 17],[42]. Or, Tintin n'est pas présent sur la première planche du Trésor de Rackham le Rouge et Hergé choisit un autre procédé pour assurer la reprise du récit. Deux personnages inconnus et extérieurs à l'univers de Tintin se retrouvent dans un bar, À l'Ancre, et échangent leurs dernières nouvelles. Ces deux personnages, Van Damme et Alphonse, offrent au lecteur deux résumés distincts, d'abord le rappel de l'affaire Loiseau, puis la découverte par Tintin du lieu précis où La Licorne a coulé. Leur conversation annonce également le récit à venir car Van Damme apprend à son ami qu'il est cuisinier sur le Sirius à bord duquel Tintin et le capitaine s'apprêtent à partir à la recherche du trésor. De même, cette scène comble l'ellipse entre les deux albums : à la fin du Secret de La Licorne, le capitaine prévoyait qu'ils pourraient être prêts à partir en un mois, tandis que Van Damme annonce le départ « dans quelques jours »[42].
Sur le plan graphique, Hergé opère un glissement entre la vignette ronde montrant la maquette de bateau en clôture du Secret de La Licorne et le monde concret de la marine, représenté par le bar À l'Ancre dès la première case du Trésor de Rackham le Rouge, comme si les héros étaient passés, entre les deux récits, des plans à l'action concrète[42]. Enfin, ce diptyque est le seul dans lequel un double résumé des éléments-clés du premier tome est présenté : en effet, dans la deuxième planche, Hergé insère une coupure de presse de La Dépêche qui reprend les différentes informations évoquées dans la conversation des deux marins. Ces éléments ont été récoltés par un journaliste que repère Van Damme à la première planche en interrompant la discussion avec son ami : « Les murs ont des oreilles ». La présence de ce journaliste à la fin de la première planche crée une certaine tension et entretient le suspense, faisant croire au lecteur que Tintin et ses compagnons pourraient courir de graves dangers, alors qu'il n'en est rien[42].
Le génie du burlesque
[modifier | modifier le code]L'humour est omniprésent dans les Aventures de Tintin. D'une part, c'est un moyen pour Hergé de maintenir l'attention de son lecteur, alors que l'histoire paraît en feuilleton dans la presse, de façon hebdomadaire. D'autre part, en multipliant les gags dans ses albums, l'auteur fait avancer le récit tout en faisant retomber la tension dramatique. Ainsi le gag sert de « respiration, de ponctuation dans une histoire bourrée d'action »[43].
Parmi les nombreux ressorts comiques de sa palette, Hergé utilise régulièrement les accessoires pour faire rire. Lors de la visite du laboratoire du professeur Tournesol, c'est d'abord le capitaine Haddock, puni de sa curiosité, qui se fait littéralement avaler par une machine à brosser les vêtements, avant que les Dupondt ne se retrouvent prisonniers du lit-placard du professeur[43]. Dans le même registre, les chapeaux des Dupondt sont écrasés à de multiples reprises, notamment par des dossiers lancés du haut d'un escalier par le capitaine Haddock, mais aussi par la chute d'une carabine ou celle du lit-placard. Il s'agit là d'un thème souvent repris par Hergé dans les différents albums[44]. Hergé manie aussi l'art de la syllepse : plongé dans sa lecture de La Dépêche, le capitaine Haddock finit par se cogner sur une colonne Morris sur laquelle est affiché le slogan : « Les informations de la Dépêche sont des informations qui frappent »[45].
Comme à leur habitude, les Dupondt fournissent une grande partie du comique de l'aventure. Dans cet album, ils apparaissent comme de véritables « marins du dimanche », de par leur déguisement caricatural surmonté d'un pompon, leur incapacité à respecter les consignes du capitaine quand il s'agit pour eux de pomper afin d'assurer l'apport en oxygène du scaphandrier, ou bien encore quand ils manquent de s'étouffer en voulant apprendre à chiquer[15]. Par ailleurs, la surdité du professeur permet à Hergé de multiplier les méprises et de quiproquos, qui constituent autant de gags[43]. À titre d'exemple, embarqué clandestinement à bord du Sirius, le professeur se méprend et confond les insultes dont l'accable le capitaine avec des paroles de bienvenue[46].
Enfin, le dessinateur se rit des superstitions dans cet album, précisément à propos du capitaine Haddock. Tout d'abord, ce dernier brise un miroir dans la boutique du brocanteur chez qui il est venu acheter un équipement de scaphandrier avec Tintin. Immédiatement, la stupeur se lit sur son visage, quand il annonce que ce geste lui vaudra « Sept ans de malheur ! »[47]. L'effet est d'autant plus saisissant que le brocanteur, personnage antipathique, ne cesse de lui répéter qu'il ne trouvera pas le trésor qu'il cherche. Ce bris de miroir est le déclencheur d'une série d'évènements qui mettent à mal la détermination du capitaine : le lendemain, les Dupondt lui annoncent l'évasion de l'antiquaire Maxime Loiseau, sous les verrous depuis la fin du Secret de La Licorne. Par ailleurs, le capitaine dit se sentir mal, évoquant la grippe, avant qu'un marin lui remette une lettre de son médecin, le docteur L. Daumière, qui lui diagnostique une insuffisance fonctionnelle du foie et lui impose un régime strict sans aucune boisson alcoolisée. Fataliste, le capitaine déclare : « Non, décidément, je ne pars pas ! » Il faudra toute l'habileté de Tintin, poussant les Dupondt à questionner le capitaine sur sa peur de s'embarquer pour que celui-ci retrouve tout son allant[48].
Style graphique
[modifier | modifier le code]Fidèle à son habitude, Hergé agrémente son dessin d'une série de conventions graphiques « qui dessinent une véritable grammaire de la bande dessinée moderne »[49]. Parmi les différents signes graphiques utilisés par le dessinateur, les gouttelettes de sueur sont les plus employées et se présentent quasiment à chaque page. Entourant le visage des personnages, elles manifestent le plus souvent leur stupéfaction, ou la pénibilité d'une situation, comme lorsque les Dupondt essayent d'apprendre à chiquer pour avoir l'apparence de vieux loups de mer[49].
Par ailleurs, dans cet album, Hergé réalise ce qu'il a toujours considéré comme l'un de ses deux meilleurs dessins (page 25, case A1)[41],[Note 5], lorsque le canot accoste sur l'île. Au premier plan, le capitaine Haddock débarque pieds nus sur le sable, déterminé à inspecter les moindres recoins de l'île. Au second plan, Tintin et les Dupondt unissent leurs efforts pour tirer le canot sur la plage, tandis qu'à l'arrière-plan, le Sirius se découpe sur l'horizon[A 13]. En un seul cadre et sans parole, ce dessin résume trois moments récents de l'action, le mouillage du chalutier d'une part, la traversée en canot jusqu'au rivage d'autre part et enfin l'exploration des lieux[50].
Une autre image possède un caractère éminemment symbolique. À la 59e planche, Hergé montre le capitaine Haddock à son arrivée au château de Moulinsart, dont il vient de faire l'acquisition, accompagné de Tintin. La case occupe une bande entière, sur toute la largeur de la planche. Selon le sémiologue Pierre Fresnault-Deruelle, cette image « a soudain l'allure d'un écran de cinémascope, dont la vertu est d'exalter symboliquement la prise de possession des lieux ». Les deux héros sont vus de dos, avançant vers la demeure à la symétrie parfaite, et ce point de vue, associé au point de fuite de l'image, montre pour le sémiologue que les personnages « sont plus que jamais maîtres d'eux comme de l'univers ». Il relève également l'aspect inchoatif de l'image : bien qu'elle se situe parmi les dernières planches de l'album, un épisode essentiel du récit doit encore être traité avec la découverte du trésor, et la vignette, autant par sa taille que par sa visée, développe l'idée que l'aventure touche au but[51].
De même, la construction de la planche 60 montre que le dessinateur introduit des signes avant-coureurs qui préparent à la révélation du trésor. Dans la troisième case, tandis qu'ils parlent des frères Loiseau, Tintin et Haddock cheminent dans la crypte reconvertie en bric à brac et passent devant une toile qui représente un cardinal, c'est-à-dire un homme d'Église, devant lequel trône une statuette représentant un aigle et dont le socle est une sphère. Cette composition fait directement écho à l'endroit où se cache le trésor, un peu plus loin dans cette même crypte, dans un globe terrestre situé aux pieds de la statue de Jean l'Évangéliste. D'ailleurs, à la quatrième case, Tintin et Haddock passent devant cette statue, mais une toile retournée cache alors ce globe terrestre. Ce n'est que quelques cases plus tard que Tintin, comprenant soudain le sens de l'énigme, revient sur ses pas pour découvrir le trésor[52].
À l'inverse, le dessinateur s'éloigne parfois des principes de la ligne claire, dont il est l'un des promoteurs, comme dans une case de la quatrième planche. La colère du capitaine Haddock fait refluer les imposteurs venus réclamer leur part du trésor au nom d'une prétendue parenté avec le pirate Rackham le Rouge : la vignette est « saturée de personnages catastrophés », selon l'expression de Pierre Fresnault-Deruelle, qui considère qu'Hergé se livre ici « au plaisir du désordre, à l'esthétique de l'accumulation et de la promiscuité que partout ailleurs il récuse »[53].
Enfin, certaines cases révèlent un sens métaphorique. Pierre Fresnault-Deruelle cite notamment la scène où le capitaine Haddock, ivre, se jette à l'eau sans avoir refermé son scaphandre. Remonté à bord du bateau, il s'assoit sur un banc sans prendre garde au fait que sa combinaison est remplie d'eau : celle-ci jaillit en fontaine, comme si Hergé voulait illustrer à la lettre l'expression « plein comme une outre » dont on affuble le capitaine Haddock en raison de son alcoolisme[54].
La mise en place d'une « famille de papier »
[modifier | modifier le code]Tournesol et Moulinsart
[modifier | modifier le code]Pour Benoît Peeters, si Le Trésor de Rackham le Rouge marque un tournant dans la série, c'est parce qu'il permet à Hergé d'achever la mise en place d'une « famille de papier » autour de Tintin, avec l'apparition du professeur Tournesol dans cet album et la nouvelle dimension prise par le capitaine Haddock depuis Le Secret de La Licorne et l'entrée en scène de son ancêtre, faisant de lui « le seul personnage de la série à se trouver doté d'un véritable passé »[P 8]. Tintin, le capitaine et le professeur, tous les trois célibataires, sont désormais inséparables, « comme auraient dû l'être les enfants du chevalier s'ils avaient obéi à son testament ». Dès lors, Benoît Peeters considère qu'ils forment une « invraisemblable Trinité »[P 9].
Plus encore, l'acquisition du château de Moulinsart à la fin de l'album donne un cadre aux héros de la série, qui disposent alors d'un « port d'attache » entre les aventures[A 12]. Ce changement de domicile s'avère fondamental et marque « pour Tintin un début de sédentarisation, pour Haddock un abandon de la navigation et pour Tournesol un passage du bricolage à la science véritable »[P 10]. En ce sens, Michel Porret relève le rôle essentiel de la dernière scène de l'album : l'inauguration de la salle de marine par le capitaine Haddock « illustre l'ancrage de l'aventure dans la domus familiale de Moulinsart »[55].
La figure du savant dans l'œuvre d'Hergé
[modifier | modifier le code]Si le personnage du savant est récurrent dans les Aventures de Tintin, seul le professeur Tournesol est amené à s'installer durablement dans la série. Chez Hergé comme chez d'autres auteurs de bande dessinée du XXe siècle, la figure du savant répond à un certain nombre de stéréotypes. D'une part, sa tenue vestimentaire est le plus souvent désuète et négligée, comme pour souligner que le savant « n'appartient pas à son époque, qu'il est en quelque sorte détaché du contexte historique et social immédiat dans lequel il évolue ». D'autre part, il est présenté comme un éternel distrait, ce qui renforce sa relative indifférence par rapport aux évènements du quotidien. Enfin, le savant apparaît généralement comme un génie, travaillant seul, et « qui progresse dans son entreprise sous le coup d'inspirations subites ». Tryphon Tournesol partage donc ces caractéristiques avec les autres savants déjà apparus dans l'univers de Tintin, à commencer par l'égyptologue Philémon Siclone dans Les Cigares du pharaon, le sigillographe Nestor Halambique dans Le Sceptre d'Ottokar et l'astronome Hippolyte Calys dans L'Étoile mystérieuse[56].
Le professeur Tournesol peine cependant à se faire accepter : Tintin et le capitaine refusent explicitement d'embarquer le sous-marin qu'il leur propose, et ce n'est qu'aux abords de l'île au trésor qu'ils en verront finalement l'utilité. D'ailleurs, comme le souligne Frédéric Soumois, les inventions de Tournesol semblent d'abord agir à contre-courant : « un lit-placard qui joue à l'attrape-souris avec les Dupondt, une machine à brosser les vêtements qui étrille Haddock, et un sous-marin censé affronter les requins, qui cède dès que Tournesol y met un pied »[6]. Pour autant, ce personnage lunaire aux idées parfois saugrenues est cependant essentiel pour faire avancer l'intrigue. C'est notamment lui qui trouve le moyen de sauver Tintin quand celui-ci est coincé dans le sous-marin, au fond de l'eau, puis qui déchiffre les manuscrits qui permettent de révéler que le château de Moulinsart était autrefois la propriété de l'ancêtre du capitaine. Dès son apparition donc, le professeur Tournesol se trouve doté d'un potentiel narratif qui offre de nouvelles perspectives à l'auteur[2].
Portée philosophique
[modifier | modifier le code]Le philosophe Jean-Luc Marion considère Le Trésor de Rackham le Rouge comme une aventure herméneutique et voit en elle « la métaphore des moments de l'interprétation ». Dans un premier temps, le capitaine Haddock établit la position de l'île à partir du méridien de Greenwich et non de celui de Paris comme son ancêtre : l'horizon de l'interprète doit tenir compte de l'horizon de ce qu'il interprète. Les héros comprennent ensuite qu'il est vain d'explorer l'épave de La Licorne car le chevalier de Hadoque a dû emporter le trésor sur l'île, puis dans un troisième temps, ils acquièrent l'idée que s'il l'a emporté et conservé, il a sûrement dû revenir avec lui en Europe, et c'est bien là, au château de Moulinsart, qu'ils le découvrent finalement. Les niveaux de compréhension se succèdent et la quête du trésor n'est finalement qu'une somme de changements herméneutiques[57].
Par ailleurs, Jean-Luc Marion voit dans cette aventure un « éloge de l'intériorité » : la quête du trésor mène les héros vers un long voyage alors que celui-ci se trouve à portée d'eux, comme si « l'aventure recondui[sait] toujours vers soi-même »[57].
Autour de l'album
[modifier | modifier le code]Adaptations
[modifier | modifier le code]Dans les années 1950, un projet d'adaptation cinématographique de l'album, confié à l'explorateur Jacques-Yves Cousteau, est finalement abandonné[A 14],[P 11].
Comme les autres albums des Aventures de Tintin, Le Trésor de Rackham le Rouge fait l'objet d'une adaptation radiophonique, diffusée par l'ORTF entre le et le . Réalisé par Jean-Jacques Vierne, ce feuilleton est diffusé au rythme de trois épisodes par semaine, vers 19 heures, sur la station de radio France II[58],[59]. L'album est également adapté à la télévision en dix-sept épisodes, dans la série animée de 1959, produite par Belvision et réalisée par Ray Goossens[60], puis dans celle de 1992, constituant le 17e épisode de cette série[61].
Une adaptation cinématographique est réalisée par Steven Spielberg en 2011 : Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne. Ce film d'aventures en capture de mouvement 3D est présenté en avant-première mondiale, à Bruxelles, le au cinéma UGC-De Brouckère[62]. Le film ne retrace pas l'intégralité du récit d'Hergé, mais s'inspire en réalité de trois albums distincts : Le Secret de La Licorne, Le Trésor de Rackham le Rouge et Le Crabe aux pinces d'or, pour aboutir à un scénario original. De fait, certains personnages ne jouent pas le même rôle dans le film que dans l'album, comme Ivan Sakharine qui, au cinéma, vit au château de Moulinsart et revêt le rôle du méchant. Jamie Bell est notamment choisi pour incarner Tintin[63]. La même année, ce film est lui-même adapté en jeu vidéo. Développé par Capcom et édité par Ubisoft, il est disponible sur PC, Wii, Xbox 360, PlayStation 3, Nintendo 3DS, Android et iOS[64],[65].
Avion de Brussels Airlines
[modifier | modifier le code]En 2015, la compagnie belge Brussels Airlines met en service un avion Airbus A320 baptisé « Rackham », sur le fuselage duquel est peint un requin noir long de 37 mètres inspiré du sous-marin mis au point par le professeur Tournesol dans la bande dessinée, accompagné du visage de Tintin. Conçu par l'artiste André Eisele, ce décor réalisé dans un chantier à Ostrava, en Tchéquie, nécessite environ 1 500 heures de travail. Destiné à promouvoir la culture belge à l'international, cet avion réalise son vol d'essai le entre Bruxelles et Toulouse[66].
Le sous-marin de Tournesol
[modifier | modifier le code]En 1998, Jean-Claude Chemin, président de l'association tintinophile Les 7 Soleils, commande aux étudiants en deuxième année de BTS construction navale du lycée Aristide-Briand de Saint-Nazaire, une réplique du sous-marin inventé par le professeur Tournesol pour explorer l'épave de La Licorne. Des étudiants de l'Institut de créativité industrielle, de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) ainsi que des peintres des Chantiers de l'Atlantique sont associés au projet. L'objet est d'abord exposé à Saint-Nazaire l'année suivante, avant de figurer dans plusieurs expositions consacrées à l'univers de Tintin à travers l'Europe, puis de rejoindre définitivement les collections du Musée Hergé à Louvain-la-Neuve[67].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Le méridien de Greenwich devient un standard international en 1884.
- Voir l'emplacement sur la carte d'après le méridien de Greenwich : 20° 37′ 42″ N, 68° 31′ 08″ O.
- Le quotidien est relancé dans les jours qui suivent le début de l'occupation allemande de Belgique, contre la volonté de ses propriétaires, la famille Rossel.
- Tout d'abord avec Les Sept Boules de cristal et Le Temple du Soleil, puis avec Objectif Lune et On a marché sur la Lune.
- Le second se trouve dans l'album Le Crabe aux pinces d'or, page 38, case A2.
Source primaire
[modifier | modifier le code]- Version en album du Trésor de Rackham le Rouge :
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planche 1.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planche 2-3.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planche 4.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planche 5 et planche 6, ligne 1.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planches 7 et 8.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planche 9, ligne 1.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planches 10 et 11.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planche 13.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planches 18 et 20.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planche 23.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planche 27.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planches 33 à 39.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planches 41 à 48.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planche 54.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planches 56 à 58.
- Le Trésor de Rackham le Rouge, planches 60 et 61.
- Le Secret de La Licorne, planche 62, case B3.
Références
[modifier | modifier le code]- Pierre Assouline, Hergé, 1996 :
- Assouline 1996, p. 328.
- Assouline 1996, p. 233.
- Assouline 1996, p. 230.
- Assouline 1996, p. 241-242.
- Assouline 1996, p. 266.
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- Assouline 1996, p. 322.
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- Assouline 1996, p. 302.
- Assouline 1996, p. 304.
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- Horeau, Hiron et Maricq 2017, p. 147.
- Horeau, Hiron et Maricq 2017, p. 151.
- Horeau, Hiron et Maricq 2017, p. 152.
- Horeau, Hiron et Maricq 2017, p. 11.
- Horeau, Hiron et Maricq 2017, p. 37-38.
- Horeau, Hiron et Maricq 2017, p. 16.
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- Horeau, Hiron et Maricq 2017, p. 22.
- Horeau, Hiron et Maricq 2017, p. 88.
- Horeau, Hiron et Maricq 2017, p. 26.
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- Autres références :
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- Olivier Delcroix, « Le Tour du monde en 24 albums », Le Figaro, no HS, , p. 22-39.
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Annexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
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- Hergé, Daniel Couvreur et Frédéric Soumois (préf. Dominique Maricq), À la recherche du trésor de Rackham le Rouge, Bruxelles, Éditions Moulinsart / Casterman, , 136 p. (ISBN 978-2-87424-160-4, OCLC 893789363).
- Yves Horeau, Jacques Hiron et Dominique Maricq, Tous les secrets de la Licorne, Gallimard, Éditions Moulinsart, , 180 p. (ISBN 978-2742450503). .
- Yves Horeau, Philippe Godin, Jean-Claude Chemin, Jean Piquemal et Yveline Yvernogeau, Tintin, Haddock et les Bateaux, Bruxelles, éditions Moulinsart, , 58 p. (ISBN 2-930284-19-6).
- Vanessa Labelle, La représentation du paranormal dans les Aventures de Tintin (thèse), Université d'Ottawa, , 148 p. (lire en ligne [PDF]). .
- Jacques Langlois (dir.) et al., Tintin et la mer, Historia, Ouest-France, , 130 p.
- (en) Jean-Marc Lofficier et Randy Lofficier, The Pocket Essential Tintin, Harpenden, Hertfordshire, Pocket Essentials, (ISBN 978-1-904048-17-6, lire en ligne).
Liens externes
[modifier | modifier le code]- Album de Tintin
- Album de bande dessinée sorti en 1944
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