SOCIOLINGUISTIQUE CONTEMPORAINE L1

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Introduction

Chaque communauté a toujours besoin de communiquer car tel est le premier devoir d’une société
dans laquelle les membres vivent une solidarité.

Et, étant donné que chaque société est caractérisée par un certain nombre des normes observables par
lesdits membres, la langue comme outil de communication n’en est pas épargnée. C’est ainsi que nous
sommes contraints d’apprendre les normes sociales du langage pour nous permettre de prendre connaissance
de celles-ci avant de les enseigner aux autres, c’est le rapport-même qui s’établira entre la langue et la
société qui l’utilise.

Objectifs du cours :

Nous irons de l’exposé magistral à la méthode active et participative ; ce qui permettra aux étudiants
d’être capables de :

- Retracer l’histoire de la sociolinguistique en tant que discipline scientifique ;

- Définir certains concepts y relatifs ;

- Parler des lois et principes du langage en société africaine ;

- Mener une enquête macro/et ou micro sociolinguistique dans une société donnée ;

- Etc.
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Chapitre 1 : naissance et contexte épistémologique de la sociolinguistique

1.1. Histoire et constitution de la discipline

William Labov est souvent considéré, du moins dans la tradition anglo-saxonne, comme le fondateur
de la sociolinguistique moderne. C'est lui qui, en 1966, publia The Social Stratification of English in New
York City (La Stratification sociale de l'anglais à New York).

1.2. L'objet de la sociolinguistique

La sociolinguistique, comme l'indique ce nom composé, concerne l'étude des rapports entre sociétés
et langues, mais il faut tout de suite ajouter d'une part qu'on désigne sous ce vocable non pas une branche de
la linguistique, mais une autre conception de la langue, envisagée fondamentalement dès lors comme moyen
de communication entre des individus qui constituent une société, avec ses règles, ses rites, ses pratiques.
Cette discipline ouvre à une autre façon d'analyser les phénomènes linguistiques, mais il convient encore de
préciser mieux ce que l'on entend par sociétés, mais aussi par langues !

Ainsi, la sociolinguistique a un double objet, car elle étudie les pratiques et les représentations. Par
pratiques, il faut entendre ce que fait réellement le sujet parlant alors que les représentations renvoient non
pas à ce qu’il fait, mais plutôt à ce qu’il pense faire, ou à ce qu’il dit qu’il fait, voire parfois à ce qu’il en
pense.
1.3. Définition de la sociolinguistique
La sociolinguistique étudie les fonctions et les usages du langage dans la société, la maîtrise de la
langue, les contacts des langues, les jugements que les communautés linguistiques portent sur leur langue, la
planification et la standardisation linguistiques. Elle se donne pour tâche de décrire les différentes variétés
qui coexistent au sein d’une communauté linguistique en les mettant en rapport avec les structures sociales.
Elle étudie le langage, considéré comme une activité socialement localisée, et dont l’étude se mène sur le
terrain.
La sociolinguistique étudie la langue en contexte. On entend par « contexte » la situation de
communication immédiate.
C’est seulement en présence d’un auditeur et en fonction de ses réactions qu’un sujet parlant décide
d’utiliser telle ou telle forme de langage pour lui faire comprendre ses intentions. Les connaissances
partagées, les croyances, les intentions, les présupposés, les inférences, les actions non verbales
significatives qui accompagnent le discours, les relations existant entre le locuteur et l’auditeur, tout cela
influence le choix des moyens linguistiques employés par le locuteur.
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N.B. Toute recherche sociolinguistique doit répondre à la question fishmanienne suivante : « qui parle,
quelle variété de langue, à qui, où, quand et à propos de quoi ? »

1.3 Qu’est-ce qui différencie donc la sociolinguistique de la linguistique?


L’une des façons de formuler la distinction entre linguistique et sociolinguistique est d'opposer deux
formulations : le linguistique qui observe et décrit la langue , se pose essentiellement la question de savoir
comment ça marche, tandis que le sociolinguiste, tout en se posant cette question (ce qui signifie qu’être
sociolinguiste implique des compétences quant aux outils descriptifs des formes) doit compléter son
questionnement; pourquoi ça marche comme cela (qui implique qu’être sociolinguiste suppose des
connaissances théoriques et méthodologiques en plus et hors du seul champ linguistique)

Dans l’état actuel, la sociolinguistique est admise comme une discipline où l’on admet le travail
pluridisciplinaire (ethnologie, anthropologie, psychologie, philosophie, histoire, géographie, linguistique).
Son objet d’étude est orienté vers l’étude des rapports langue / société vis-versa.
Mais à un moment donné, le débat sur la délimitation de l’objet d’étude de la sociolinguistique et le
choix d’une dénomination exacte a connu une diversité de propositions d’où un désaccord entre plusieurs
écoles de pensée.
Malgré le désaccord entre les uns et les autres une attitude de compromis a permis de donner fin à
cette crise et à admettre la possibilité de regrouper sous le terme sociolinguistique plus d’une douzaine de
domaines : standardisation et planification des langues, comportement bilingue et multilingue, stratification
sociale du langage, structure de la communication, attitude envers le langage, ethnographie de la
communication, pidginisation, créolisation, stylistique, variation linguistique, chargement linguistique en
cours, analyse du discours…
Au final, l’une des façons rapides et commodes de définir la sociolinguistique est de dire qu’elle
étudie la co-variance entre langue et société. Autrement dit, on cherche à comprendre les rapports
dialectiques qui existent entre le changement linguistique (ce que l’on appelle les langues mais plus encore
tout ce que l’on parle et écrit en relevant change) et le changement social (les sociétés perdurent mais sont
dynamiques).
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1.4. Définition de champs d’étude


Deux grands types de problématiques :
(a) La sociolinguistique s’intéresse d’une part aux variations sociales du langage, qui constituent
en quelque sorte son activité centrale. A ce sujet, elle entend tout d’abord décrire le plus objectivement
possible ces variations et identifier leurs sources principales;
(b) La sociolinguistique s’intéresse par ailleurs aux multiples questions que posent les contacts de
langues au sein de sociétés plurilingues : ces questions concernent par exemple la nature conflictuelle de
tels contacts, les représentations et les attitudes susceptibles de peser sur le fonctionnement, la mort des
langues, la gestion politique de la diversité linguistique, etc.
1.5. La méthodologie de la sociolinguistique
En tant qu’interdiscipline, la sociolinguistique n’a pas développé de méthodologie originale. Elle
utilise les méthodes de la sociologie ou des sciences sociales. Toutefois, l’exposé de diverses méthodes se
heurte souvent à l’ambiguïté déjà contenue dans la notion (une méthode est un moyen de parvenir à un
aspect de la vérité), mais également aux différences des niveaux auxquels elles se situent (description ou
explication ?), à l’ampleur de l’explication qu’elles visent, enfin aux divers moments du processus de
recherche auxquels elles s’appliquent.
Toutefois, pour mener avec succès une enquête de terrain en sociolinguistique, l’enquêteur doit :
- disposer d’une solide culture linguistique,
- être entrainé aux méthodes d’enquête,
- avoir une connaissance intime du système du parler qu’il veut étudier,
- être capable de s’en servir normalement,
- opérer sur un territoire restreint de la localité dont il connaît bien le parler,
- être accepté par la communauté,
- choisir des témoins représentatifs, nés dans la localité, parlant normalement l’idiome, sans vices
d’articulation, avec une souplesse d’esprit pour s’adapter aux nécessités d’enquête, n’ayant pas séjourné trop
longtemps hors de chez eux.
1.7. Les sources de variations linguistiques
L’observation de modes spécifiques d’usage du langage selon les communautés linguistiques conduit
à identifier au moins cinq sources de variation: l’origine géographique, l’âge, le sexe, l’origine sociale, les
contextes d’utilisation du langage.
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0. L’origine géographique
L’origine géographique (le plus souvent en relation avec l’appartenance soit au milieu urbain soit au
milieu rural) est un élément de différenciation sociolinguistique, souvent très repérable, et aussi souvent
matière à cliché.
1. L’âge
L’appartenance à une certaine génération d’usagers de la langue est également un facteur de
diversification. Il y a en quelque sorte coexistence de plusieurs synchronies. Par ex. le “ français des jeunes ”
ou le “ parler jeune ” (accentué dans le “ parler jeune des cités ”).
Exemple 1: la troncation : Les jeunes utilisent de nombreuses apocopes (“ deg ” pour dégueulasse),
et plus fréquemment encore des aphérèses (“ leur ” pour contrôleur, “ zic ” pour musique).
Exemple 2 : la verlanisation (parler verlan, à l’envers) fréquente chez les jeunes (“ meuf ” pour
femme, “ keum ” pour mec, “ reum ” pour mère, etc.
Exemple 3 : prédilection pour certaines suffixations, comme “ -os ” (les musicos, ou même les “
zicos”).
2. Le sexe
Plusieurs auteurs ont noté l’asymétrie homme/femme face à la langue. Labov, par ex. a observé que “
les femmes, plus sensibles que les hommes aux modèles de prestige, utilisent moins de formes linguistiques
stigmatisées, considérées comme fautives, en discours surveillé ” En réalité, Labov constate une sorte de
paradoxe : “ les femmes emploient les formes les plus neuves dans leur discours familier, mais se corrigent
pour passer à l’autre extrême dès qu’elles passent au discours surveillé ”.
3. L’origine sociale
On parle de variation sociolectale lorsque c’est l’origine sociale (l’appartenance à tel ou tel milieu
socioculturel) qui est en cause. On parlera par exemple du “ parler populaire ” ou du parler pédant “ petit-
bourgeois ”.
Exemple1 : articulation emphatique. “ Je suis allé à un colloque sur le sonnet en Hollande avec
quelques collègues… ”.
Exemple 2 : prononciation de toutes les liaisons (comme pour marquer la connaissance qu’a le
locuteur de l’orthographe, donc son appartenance à une culture) ; mais qui peut donner “ J’en suis bien t’aise
” sans doute inspiré par la forme valorisée “ j’en suis fort aise ”
Exemple 3 : hypercorrection fautive “ Voilà la façon dont nous pensons que la culture doive évoluer
”, par utilisation excessive d’une forme de prestige (le subjonctif).
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4. Les contextes d’utilisation


On entend par « contexte » la situation de communication immédiate. En effet, la situation de parole,
les circonstances de l’acte de parole (lieu, moment, statut des interlocuteurs, objectifs de communication,
etc.) sont un autre facteur de diversification. On parle de “ registres ” ou de “ niveaux ” de langage.
Exemple 1 : Langage usuel vs langage administratif (comparez “ mort ” et “ décédé ”, “ habiter ” et “
être domicilié ”, “mon mec ”,“ mon mari”, “ mon époux ”, “ mon conjoint ”, “ spleen ” et “ bourdon”).
Exemple 2 : la négation simple vs double. Comparez “ Je ne sais pas ” et “ Je sais pas ”.
1.8. Les marchés linguistiques
Pour Pierre Bourdieu, les échanges linguistiques en communauté relèvent d’une économie spécifique,
qui donne lieu à un “ marché ” dominant dont les “ prix ” sont fixés (tacitement) par ceux qui possèdent le “
capital ” culturel et linguistique requis pour imposer leur domination et en obtenir des “ profits ”.
Questions ;
1. Comment est née la sociolinguistique en tant que science ?
2. Quel est le double objet spécifique de la sociolinguistique ?
3. Comment la sociolinguistique s’est-elle différenciée de la linguistique ?
4. A quelle question fondamentale doit répondre toute recherche sociolinguistique ?
5. Donnez, avec exemples à l’appui, les deux problématiques principales de la sociolinguistique.
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Chapitre 2 : concepts fondateurs de la sociolinguistique

2.1. De la linguistique à la sociolinguistique

On peut ainsi se demander ce qu’est la sociolinguistique. Est-elle un croisement de


sociologie et de linguistique ? Ou est-elle, comme l’affirme William Labov dans
Sociolinguistique, la linguistique ? A cette question, qui suscite aujourd’hui beaucoup de
controverses, nous essaierons de répondre en exposant les concepts fondateurs de la
sociolinguistique, ceux qui marquent sa rupture épistémologique. Puis nous essaierons de dresser
l’inventaire- forcément incomplet tant la sociolinguistique est multiforme- des outils conceptuels
dont le chercheur peut se doter, en examinant successivement les différentes étapes de la
démarche sociolinguistique.

On a coutume de considérer le Cours de Linguistique générale de Ferdinand de Saussure


comme l’ouvrage inaugurant la linguistique moderne. Les critiques mettent généralement
l’accent pour ce faire sur la distinction entre langue et parole, la langue étant du côté de la
communauté linguistique, la parole du côté de l’individu.

D’ailleurs, dès le Cours de Linguistique générale, Saussure reconnait à la langue le caractère


social indubitable mais condamnait la parole à être exclue du champ de la linguistique car trop
soumise aux variations individuelles. La linguistique structurale, se réclamant de l’héritage
saussurien, fit donc de la langue un objet d’étude mais oublia – ou omis volontairement ?- de la
considérer dans sa dimension sociale. L’objet linguistique fut réduit aux seuls systèmes
linguistiques sans considérations des conditions d’emploi de ces systèmes. Cet a priori théorique
favorisa l’émergence d’études du type phonologique, syntaxique, et assura le triomphe d’une
linguistique de la langue au détriment d’une linguistique de la parole.

La sociolinguistique naît alors d’un mouvement de bascule du premier vers le second


pôle. Les travaux de William Labov font ainsi apparaître l’absolue nécessité de considérer en
premier lieu la réalité des productions langagières et non plus des abstractions désincarnées, des
constructions savantes qui sont le reflet de l’idéologie linguistique du chercheur que de la
pratique réelle. La sociolinguistique se propose donc de partir de la parole et, avec elle, du sujet
parlant. Ce sujet est alors inscrit dans un contexte social, celui dans lequel il vit et parle.
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2.2. Différents courants de la sociolinguistique

Il existe plusieurs manières de considérer le rapport au social, lesquelles séparent les


différents courants de la sociolinguistique. S’inspirant de la sociologie traditionnelle, est née la
sociolinguistique variationniste qui tente de corréler des manières de parler avec des catégories
sociales traditionnelles : profession, sexe, âge, lieu de résidence, etc. Cette approche donne des
résultats de type quantitatif et suppose la collecte d’un certain nombre de données quantifiables
afin de faire émerger des variables ou des marqueurs linguistiques que l’on pourra corréler avec
des données extralinguistiques. C’est, par exemple, le cas d’une enquête menée par Labov dans
les grands magasins de New York pour établir le rôle joué par l’hypercorrection (phénomène
entraîné par l’insécurité linguistique des classes moyennes désireuses de se conformer aux usages
de la classe supérieure) dans les changements linguistiques.

Plus récemment, s’inspirant des travaux menés par John Joseph Gumperz sur
l’interaction, est née la sociolinguistique interactionniste. Selon ce courant, on ne peut corréler
aussi simplement des catégories extralinguistiques et des comportements linguistiques car ces
derniers sont eux aussi des instruments de catégorisation sociale dont le sujet peut jouer. Pour
l’étudier convenablement, il faut observer le sujet lors de ses interactions et noter tout ce qui peut
influencer les productions.

2.3. La démarche méthodologique du sociolinguiste

Si la langue existe, la sociolinguistique la considère comme un système construit dans le


temps et par la somme des paroles de chaque individu, de chaque locuteur. Dès lors, la notion de
langue est trop réductrice, trop simplificatrice et, de ce fait, est à remettre constamment en
question. Les sociolinguistes lui préfèrent celle de lecte : à la place d’une langue, il y a plutôt des
usages, des lectes, variant selon :

- les régions, et qu’on appelle « dialectes » ;

- les catégories sociales (sociolectes) ;

- l’âge des locuteurs ( chronolectes) ;

- la personnalité même du locuteur (idiolectes).

Dans ces conditions, la notion de communauté linguistique (ensemble des locuteurs


parlant la même langue) est elle aussi suspecte. C’est ainsi que John Joseph Gumperz préfère
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l’abandonner au profit de celle de réseau de communication : ce qui importe réellement, c’est


de voir (et de savoir) avec qui le locuteur communique tout au long de la journée plus que de
savoir avec combien de locuteurs théoriques il partage l’usage de sa langue maternelle.

C’est ainsi que dans sa démarche méthodologique, la première tâche du sociolinguiste


sera de choisir un terrain d’analyse. A ce niveau, il optera pour une étude de type
macrosociolinguistique soit de type microsociolinguistique.

2.4. Le contact des langues

Par contact des langues il faut entendre la présence simultanée de deux ou plusieurs
langues à un niveau individuel, interpersonnel ou sociétal.

A ce niveau, la recherche porte sur un ensemble géographique important ( un pays, par


exemple) dont il s’agit d’étudier les usages linguistiques d’un point de vue social. En effet, la
coexistence de plusieurs langues dans une société est un phénomène général : on nomme cela le
bilinguisme ou le plurilinguisme, selon le nombre de langues en contact. Le monolinguisme
semble une exception. Lorsque ce contact n’est pas pacifique, harmonieux et stable, c’est-à-dire
lorsqu’il y a des situations de domination d’une langue A sur une langue B, il a été créé le
concept de diglossie.

Mais lorsque cette situation de diglossie évolue dans le sens de la langue dominante
jusqu’à la disparition complète de la langue dominée, on parle de glottophagie.

Au niveau d’une société, en suivant Robert Chaudenson par exemple, on peut étudier la
situation sociolinguistique d’un pays en s’attachant à ce qu’il nomme statuts, c’est-à-dire le
réglage institutionnel de la situation plurilingue( par exemple dans notre pays la distinction faite
entre la langue officielle qu’est le français, les 4 langues dites nationales et les langues
ethniques), puis ce qu’il appelle corpus, c’est-à-dire l’ensemble des productions langagières dans
un pays.
Nous différencions après Coste (2010) le multilinguisme vu comme la cohabitation entre
plusieurs langues dans un même espace étatique du plurilinguisme considéré comme la maitrise
par un individu de plusieurs langues à des degrés divers. La présence de plusieurs langues amène
à poser la distinction entre langues vernaculaires, c’est-à-dire langues maternelles servant à la
communication à l’intérieur d’un groupe et les langues véhiculaires, servant à la communication
avec les membres des autres communautés linguistiques.
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Questions
1. Comment la sociolinguistique s’est-elle différenciée de la linguistique structurale de
Ferdinand de Saussure ?
2. Quels sont les principaux courants de la sociolinguistique ?
3. Qu’entend-on par « contact de langues » ?
4. Que signifie « lecte » et donnez ses différents usages ?
5. Différenciez les concepts suivants : bilinguisme, plurilinguisme, diglossie, glottophagie,
langues véhiculaires VS langues vernaculaires.
6. Quelle différence faire entre « aménagement linguistique, planification linguistique et
politique linguistique » ?
7. Que signifie le passage de la micro à la macro et vice versa ?
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Chapitre 3: la sociolinguistique urbaine : défis et opportunités


L’objet de cette réflexion consiste à s’interroger sur la capacité de la sociolinguistique à
appréhender la ville ? Le chapitre est ainsi organisé autour de cinq parties. Il s’agit, dans un
premier temps, de montrer le caractère multi-facettaire de l’objet ville. Dans cette section, nous
présenterons la - de la ville, le caractère spatio-temporel du savoir urbain et l’instabilité du
cadrage disciplinaire portant sur l’étude de celle-ci. Ensuite, nous tentons, sans nous inscrire dans
l’exhaustivité, de définir la sociolinguistique urbaine qui reste, dans le fait, une sociolinguistique
des discours. Enfin, nous développerons deux pistes de réflexions : l’une sur l’essence réelle de la
sociolinguistique urbaine, et l’autre sur les cinq axes des langues en ville.
3.1. Définir la ville
Pour Max Derruau, « la ville est une agglomération importante, aménagée pour une vie
collective, […] et dont une partie notable de la population vit d’une activité non-agricole »
(1969 : 465). De son coté, Pierre Georges considère la ville comme un « groupement de
populations agglomérées, défini par un effectif de population et par une forme d’organisation
économique et sociale » (Georges 1983 : art. « ville »).
La ville a un tissu social et des activités commerciales, industrielles, culturelles, politiques
propres. Elle attire un flux de populations aux origines diverses aussi bien pour les loisirs que
pour le savoir. Au plan social, l’un des critères de la ville est d’être toujours en mouvance parce
qu’elle est génératrice de flux en tous genres aussi bien qu’elle est générée par eux.
Au plan sociolinguistique, une caractéristique de la ville, c’est le foisonnement ou la
multiplicité des langues en son sein. De plus, « la ville est plus qu’un lieu de coexistence des
langues, elle est un lieu de gestion de cette coexistence » (Calvet 1994 : 16). La ville se définit
ainsi comme une somme de lieux et d'espaces. Le lieu serait de l'ordre de l'immuable, de l'être là,
repères visuels, lieux commémoratifs, monuments, magasins. L'espace serait façonné par les
actions, les mouvements, les visions des habitants ou des passants. Ainsi, les représentations des
villes se construisent à travers la mise en mots des lieux et des espaces et les frontières urbaines,
délimitation de quartiers notamment, se définissent à travers des territoires sociaux et langagiers.
3.2. Multidimensionnalité de l’objet ville
Toutes les études classiques portant sur la ville considéraient celle-ci comme un espace de
rencontre entre deux mondes à savoir : une organisation sociale et un lieu physique. La ville est
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donc un « milieu écologique » à l’intérieur duquel vit une mosaïque sociale. Celle-ci se distingue
par une diversité ethnique, identitaire, comportementale, … .
Selon la formalisation de JP Lacaze (Lacaze, 1997), la ville résulte d’une interaction entre
quatre espaces : un espace physique (un milieu qui agglomère les hommes, les activités, et la
masses construites, …), un espace social (exprimé par l’interaction entre les sujets sociaux), un
espace politique (instances de pouvoir, de décision et de régulation qui gouvernent le
déroulement de la vie) et un espace économique (production de biens, de services et de
prestations pour assurer les besoins des masses populationnelles).
En effet, nous constatons que la société change et que la ville change de forme. Ces deux
changements, sociétal et spatial, s’opèrent d’une manière fortement systémique, où chacun
influence et s’influence par l’autre. Ces changements sociétaux et spatiaux font de la ville la
scène où tous les scénarios de la vie humaine se jouent, s’imbriquent et prennent sens. La ville
devient l’affaire de tous, tout le monde en parle. Les diverses mutations (politiques,
socioéconomiques, technologiques, …) ont fait d’elle un objet multidimensionnel.
Les rapports se tissant, d’une part, entre les sujets sociaux qui cohabitent la ville, et
d’autre part, entre ceux-ci et les divers espaces de celle-ci, donnent lieu à des productions
cognitives, verbales et comportementales très diversifiées. Celles-ci visent à exprimer certains
positionnements que les individus prennent vis-à-vis de leur ville. Nous pouvons regrouper ces
productions en trois processus qui s’articulent systémiquement et qui sont:
- « dire la ville » : cela varie entre la description, l’analyse, la critique, la théorisation …
-« dire la ville » : La ville est à la fois un espace réel et symbolique. Le premier espace
s’aperçoit et le second se pense. La ville, dans sa matérialité et immatérialité, est traversée par
une multitude de réseaux qui contribuent à sa fabrication, son développement, et son maintien
(réseaux d’hygiène, de circulation, de distribution des biens et des services, ou encore, de
sociabilité et de solidarité, …).
- « faire la ville » : c’est agir sur ses espaces dans un objectif de répondre aux divers
besoins en matière de logements, d’infrastructures, d’équipements, d’accès aux services, … Cela
passe par divers processus variant entre la prise de décisions (choix politiques, partis urbains, …),
les interventions urbaines opérationnelles sur les diverses portions de la ville (édification,
réhabilitation, extension, …), …Faire la ville, c’est intervenir sur son calque dur pour le
transformer. La ville n’est pas une structure figée, elle n’est pas un « déjà-là » qui préexiste et
qui s’impose à nous, elle se construit et se développe chemin faisant. Faire la ville, c’est
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l’aménager pour transformer ses espaces vagues en des espaces de sociabilité (Lamizet, 2002,
48). A cet égard, la ville n’est pas la même pour tous. Plus, pour le même acteur, elle n’est pas
toujours la même. Plusieurs métaphores ont été employées pour considérer la ville comme un
apprentissage. Celui-ci s’élabore dans une logique de construction permanente établie entre
l’acteur et son environnement (physique et sémantique). Elle nécessite des actes éducatifs et des
enseignements, de divers ordres, pour savoir représenter et dire ses différentes dimensions.
-« Vivre la ville » : La ville est un établissement humain dans lequel se mettent en place
des interactions et des échanges sociaux de divers ordres. Vivre la ville c’est jouer un rôle, voire
des rôles, au sein de cet établissement tout en ayant des devoirs et droits. C’est partager un certain
nombre de projets, de préoccupations, de croyances, d’idéaux et de représentations visant à
renforcer les liens entre le couple individu-sa collectivité. C’est aussi, s’impliquer dans une
dynamique collective à travers le tissage d’un ensemble de relations, de rencontres et d’échanges
qui transforme ce mouvement d’expériences en un vécu symboliquement signifiant. Dans cette
atmosphère du « vivre ensemble », où la ville constitue l’expression matérielle, plusieurs
phénomènes s’y instaurent, se développent et influencent sur l’urbanité.
Les acteurs de la ville qui sont impliqués dans ces trois processus (dire, faire et vivre la
ville), font appel à un savoir urbain hétérogène et réparti. Celui-ci est issu de plusieurs champs
disciplinaires où chaque champ apporte son propre regard sur la ville. Ce savoir urbain mobilisé
permet par la suite de produire d’autres morceaux de savoir qui reflètent d’autres réalités. Le
caractère multidimensionnel et évolutif de la ville rend le savoir (mobilisé et produit) sur celle-ci
partiel et temporaire.
Ces deux aspects du savoir urbain varient entre temps et espace. La ville n’est pas une
structure achevée, elle ne se présente pas comme une entité figée, et se résulte de l’interaction
intensive d’une multitude de processus, de diverses natures, qui la pensent, l’humanisent, la
construisent et font d’elle un laboratoire d’expérimentation (architecturale, urbanistique,
artistique, commerciale, touristique, politique, sociale et culturelle, …).
Chaque processus, avec ses acteurs, ses méthodes et ses outils, ne vise qu’une dimension
de la ville, il ne donne qu’un savoir partiel et fragmenté de celle-ci. En effet, les différentes
entités spatiales, rentrant dans la composition d’un territoire, n’ont pas les mêmes attributs,
chacune d’entre elles se distingue par divers aspects qui lui sont propres (taille, tissu urbain, style
architectural, mosaïque sociale, axes de développement, …).
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Connaître la ville ne peut pas se faire hors du temps, et l’inachèvement de celle-ci


empêche de connaître le « tout » en même temps.
Le temps et l’espace constituent donc deux dimensions essentielles qui, d’une part,
régissent le rapport de l’humain dans /et avec sa ville, et d’autre part, contribuent à comprendre le
fonctionnement et le développement de celle-ci. Le temps permet de cumuler les expériences,
individuelles et collectives, que les sujets sociaux entreprennent dans la vie. Cette connaissance
n’est jamais figée, elle est évolutive « l’actuel n’est jamais pur, ni le passé d’ailleurs, puisque
nous ne cessons de l’effacer ou de l’oublier partiellement, de le trier, de lui ajouter, de le
(revivre) » (Roncayolo, 2004).
L’espace, quant à lui, n’est pas une structure finie, il se (re) compose depuis / et sur lui
dans une quête d’une image positive répondant à des critères de fonctionnalité et d’esthétique.
Posséder une connaissance sur une partie de la ville ne signifie pas connaître sa totalité. La ville
continue à évoluer et à se développer au moment où les acteurs se dotent d’une connaissance
urbaine sur l’une de ses parties dans le cadre d’une démarche urbaine par exemple.

3. Définir la sociolinguistique urbaine


La sociolinguistique a en effet besoin du plurilinguisme, de la réalité des rapports
quotidiens, de la coexistence et des conflits entre différentes communautés, du choc des langues
et des représentations, en un mot de la communication réelle dont tous les constituants se
trouvent en ville multipliés, densifiés, condensés » (Calvet 2003 : 13).
L’identité des locuteurs – leur identification à un groupe – est signifiée par leur langue,
leurs comportements langagiers et linguistiques. Leurs comportements signifient à leur tour
l’espace, urbain ou, qu’ils occupent ou qu’ils traversent. En s’appropriant ou en hiérarchisant
l’espace, ces locuteurs confèrent un statut aux lieux, aux gens habitant ces lieux et ce, par le
marquage (Ripoll 2006) ou la mise en signes de l’espace. Ce dernier, alors territoire car dit,
désigné – « du discours avant toute chose, voilà ce que sont les perceptions et les représentations
du territoire » (Lechaume 2003 : 317) – est reconnu comme lieu de vie, de sociabilité, mais aussi
de tensions et de conflits. Il devient une aire d’échanges et de déplacements où des individus
d’horizons multiples se croisent, se rencontrent ou se séparent. De leur rapprochement et de leur
distanciation naîtront des représentations, représentations certes du territoire, mais aussi de tout
ce qui contribuera à la construction de leur identité, ou qui portera les marques d’une identité
affirmée (Labridy 2008).
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La mobilité spatio-linguistique, elle, renvoie non seulement au changement « de langue ou


de variété qui accompagnerait une mobilité sociale […], mais [aussi] à la façon dont les
déplacements que l’on opère et les rencontres ‘langagières’ que l’on fait […] déterminent la
représentation que l’on croit commune de la ville qu’on habite » (Bulot 2006 : 322). Elle
correspond donc au changement linguistique lié à la mobilité sociale et aux représentations de la
ville que les locuteurs se feront à partir des contacts occasionnés lors de leur mobilité spatiale.
Sont alors imbriqués langage, social et espace dans un rapport de mobilité.

3.4. La sociolinguistique urbaine, une sociolinguistique de l’intervention ou une


sociolinguistique prioritaire ?

Telle qu’elle est conçue (Bulot 2001 ; Bulot/Beauvois 2003), la sociolinguistique urbaine
se prévaut de reprendre les premières considérations relatives à la militance sociale de la
discipline (Marcellesi 2003, entre autres) et, de ce fait, ambitionne de contribuer à la réflexion –
voire à l’intervention – sur les différentes façons de lutter contre les discriminations toutes les
fois que les pratiques langagières sont impliquées. Elle dénonce l’exclusion des minorités
sociales (Bachmann/Simonin 1993) pour ce que ce dernier processus produit bien entendu de
souffrance individuelle, mais aussi de délitement du lien social, du lien communautaire. Elle
engage le chercheur à être aussi un intellectuel, une ressource sociale, un acteur potentiel du
mouvement social. Elle est effectivement une sociolinguistique de crise, dans la mesure des
mutations sociales liées à l’urbanisation, des effets de la modification du lien social, des
recompositions identitaires que ces processus impliquent, et enfin, dans la mesure des
conséquences – certes plus ou moins perçues mais nécessairement vécues – de la diffusion de la
culture urbaine comme modèle dominant. Pour faire simple, une telle sociolinguistique est une
sociolinguistique de la spatialité, où le discours sur l’espace, corrélé au discours sur les langues,
permet de saisir les tensions sociales, les faits de ségrégation, la mise en mots des catégories de la
discrimination. Ainsi, l’approche sociolinguistique de l’espace (comme processus discursif) se
décline en six temps qui sont autant d’axes potentiels d’intervention sur la matrice discursive
(Bulot 2003) que constitue la ville (nous y reviendrons) :

 espace et lieu publics dans la mesure des discriminations et hiérarchisations socio-


langagières des espaces de référence : les discours sur les pratiques langagières des espaces de la
centralité linguistique construisent les lieux publics de facto comme lieux accessibles ou non ;
16

 espace et lieu communs pour considérer les ségrégations et mobilités spatio-


linguistiques : la mise en mots des lieux de la communauté urbaine corrélés aux mobilités actives,
vécues, subies, choisies, dans la mesure où elles permettent de rencontrer d’autres variétés
urbaines, construire des espaces de relégation, des lieux de confinement linguistique et social ;
 espace et lieu politiques pour rendre compte des discours discriminants et des
difficultés d’accès aux pratiques citoyennes : dès lors que les espaces et les parlures sont
hiérarchisés et attribués à des populations données, celles-ci ne s’estiment pas ou plus légitimes
d’agir pour la Cité ;
 espace et lieu professionnels pour dire les discriminations professionnelles et l’accès à
l’emploi : les représentations socio-langagières corrélées aux espaces attribués (de fait ou non) à
celles et ceux qui en sont porteur-ses interdisent l’accès à certaines tâches ;
 espace et lieu linguistiques pour faire état de la mémoire sociolinguistique et de l’accès
dit impossible aux pratiques socio-discursives valorisantes : les populations minorées semblent ne
plus savoir / avoir à acquérir d’autres pratiques sociales, linguistiques, langagières que celles
qu’on leur attribue ; elles peuvent renverser le stigmate jusqu’à faire valoir la pratique minorée
comme le creuset de la langue dominante ; et enfin
 espace et lieu identitaires pour signaler les stratégies de territorialisation légitime ou
déniée et l’accès aux espaces : les stratégies identitaires passent par la nécessité quasi
anthropologique de poser topologiquement son identité, ses discours identitaires et
l’opérationnalité de ses pratiques sociales (dont celles dévolues aux langues).

Dans ce contexte, la ville est certes un espace social, mais plus encore un espace
énonciatif (Baggioni 1993) qui donne sens et valeur à l’ensemble des pratiques ; elle est cet
espace praxique où, bien que les discours ne soient pas la réalité, parce qu’ils constituent le seul
accès au réel, ils finissent par devenir le réel. C’est en ce sens que la ville est une matrice
discursive car elle fonde, gère et normalise (Laborit 1971, pour ce point) des régularités plus ou
moins consciemment élicitées, vécues ou perçues par ses divers acteurs ; régularités sans doute
autant macro-structurelles (entre autres l’organisation sociale de l’espace) que plus
spécifiquement linguistiques et langagières.

3.5. Les langues en ville


Être d’un lieu est aussi savoir dire qui l’on est, mais le dire c’est aussi faire état des
tensions et des conflits, c’est encore montrer comment s’opère l’exclusion des minorités sociales.
17

Une ville, et sans doute la ville, n’est surtout pas homogène quant aux pratiques linguistiques :
elle est localisée dans une zone nécessairement dialectale et les formes de français qu’on y parle
s’organisent autour d’une plus ou moins grande présence de traits dialectaux, chacun des
locuteurs, suivant son statut social, étant à plus ou moins grande distance de la variété la plus
prestigieuse confondue par ailleurs avec le français standard.
Le parler dit des jeunes, les formes employées d’un quartier à un autre, les langues des
diverses communautés en présence, exogènes ou endogènes, montrent que la ville est, de ce point
de vue, nécessairement multiple. Les façons de parler (pour ne pas dire les langues, dialectes,
accents,...) que l’on s’attribue ou que l’on attribue aux autres) sont autant de signaux destinés à
faire valoir les frontières et limites, les aires autorisées et celles inacceptables.

3.5.1. Territoire et Parler urbain


Poser la diversité du fait linguistique urbain est aussi rendre service aux parlers locaux
qu’ils soient citadins ou ruraux : la variation est constitutive du fait langagier tout comme le
décalage entre les pratiques de langues et les jugements que l’on porte sur ces pratiques ; mettre
en mots son espace social, son espace de déplacement, son espace imaginaire voire mythique, en
fonction des façons de parler attribuées à autrui, c’est certainement aussi concourir à les
construire.

3.5.2. Territoire et transmission des langues


Les villes sont évidemment plurilingues ; les villes congolaises n’échappent pas à ce
phénomène général. Les langues en présence ne sont pas seulement celles dites « nationales ». Il
y a aussi celles dites « ethniques » qui ont encore une forte vitalité : non seulement on les parle,
mais encore on les transmet dans les familles. La transmission des langues dans les communautés
varie certes en fonction du statut originel des langues communautaires et de celui accordé au
français dans les foyers. Mais la forme dominante chez les enfants et les adolescents relève d’un
parler bilingue qui emprunte tant au français qu’aux langues africaines et joue alors les deux rôles
impartis aux parlers urbains : l’identité pour se reconnaître et la véhicularité pour permettre
l’échange.

3.5.3. Territoire et La mixité identitaire


Sur une pratique apparemment identique, les jeunes issus des communautés minoritaires
accordent au territoire une valeur plus forte (F. Méliani et F. Laroussi) ; disqualification de
l’espace et relégation résidentielle sont les deux pendants d’une identité où perdure un sentiment
18

d’exclusion. L’un des effets de la minoration sociale perçue et vécue par ses jeunes est de
construire un discours identitaire fort en opposition avec ceux que l’on tente de leur faire assumer
(tant celui du modèle culturel français que celui de leur "congolité") perdus, ou pour le moins
désorientés. Ils sont les acteurs d’une culture interstitielle extrêmement conflictuelle mais fort
productive de ce point de vue ; ils se disent de nulle part parce qu’ils ne se sentent pas reconnus
socialement mais créent leur propre espace social et linguistique.

3.5.4. Territoire et dénomination


Toutes les communautés minoritaires vivant en ville n’échappent pas au métissage
culturel. Leur situation est tout à fait, et il faudrait dire malheureusement, remarquable :
- d’un point de vue linguistique d’abord puisque leur langue est infériorisée ;
- d’un point de vue identitaire ensuite, parce qu’ils ont une identité à défendre quand les
discours ambiants tendent à les confondre avec la nation entière ;
- d’un point de vue culturel enfin parce que leur intégration s’amorce par la prise en
charge des modèles culturels locaux.
Faut-il alors parler encore de métissage ? Sans doute oui pour faire état des apports
réciproques. Une chose est certaine : en ajoutant le français aux langues congolaises, chaque
communauté assume les valeurs que la langue véhicule. Le rapport entre identité et territoire
prend d’ailleurs toute son ampleur lorsqu’il s’agit de dire la patrie ; pour une communauté exilée,
c’est une souffrance plus que la désignation d’une entité territoriale.

3.6. Le thème de la sociolinguistique : une mission sociale ?

Quelles que soient les divergences et approches en sociolinguistique qui peuvent être
nombreuses, car à l’instar des autres disciplines, la sociolinguistique demeure en discussion,
propose de nouveaux concepts, investit de nouveaux terrains… sans pour autant que ceux-ci
remplacent nécessairement les précédents, le thème unificateur de la discipline est de considérer
le langage comme une activité, socialement localisée, et dont l ‘étude se mène sur le terrain.

Pour brièvement évoquer le terme « langage », rappelons que le terme englobe ainsi la
totalité des pratiques discursives, des productions. De ce fait, la distinction entre « linguistique »
et « langagier » ne vaut plus que pour désigner respectivement ce qui renvoie à la matérialité des
énoncés et à leur fonctionnement structurel d’une part et, d’autre part, la prise en compte des
19

usages effectifs de cette matérialité par les locuteurs. Revenons à présent sur chacun des termes
de ce nouveau niveau de définition de la sociolinguistique. Le terme même d’« activité » est
essentiel, puisqu’il permet de poser que toute pratique en relevant implique d’être considérée
comme un processus, une forme concomitante et corrélée aux interactions sociales. Le langage
qui intéresse la sociolinguistique est nécessairement cela : une activité humaine, produit des
interactions et vecteur de ces mêmes interactions. Il est ce par quoi les sociétés et, les individus
qui les composent, construisent le lien social, les identités.

Le fait qu’il soit dit « socialement localisé » rend effectivement compte de cette
complexité. Il ne s’agit en effet pas d’essentialiser le langage comme s’il ne renvoyait qu’à une
seule acception (un peu comme la position des linguistes semble l’affirmer) : l’objet de recherche
du sociolinguiste est l’ensemble des manifestations (ou observables) langagières situées (c’est à
dire mise en œuvre) dans un contexte social, interactionnel, historique, conversationnel donné qui
rend ainsi compte des rapports sociaux entre groupes et individus, et, de fait, des processus de
transformations et/ou reproductions des dits rapports.

Le terme « terrain » est plus complexe encore. Faire du terrain (en d’autres termes
travailler sur de la matière linguistique socialement perçue comme authentique et authentifiable)
ne prémunit pas le sociolinguiste d’erreurs d’appréciations. Autrement dit, une approche
sociolinguistique n’est pas meilleure parce qu’elle fait du terrain car prétendre que l’objectivation
même bienveillante des faits langagiers doit mener à être en mesure de tout expliquer relève
surtout d’une posture. Concrètement, faire du terrain n’a de sens dans la définition que si cela
s’accompagne de la conscience d’une nécessaire et incontournable distanciation avec l’observé.
Pour apprécier en effet, la distance entre les discours et les pratiques, il convient à la fois de
déconstruire puis de reconstruire les données discursives recueillies pour produire son propre
discours, sa propre distanciation sociale quant à l’objet de recherche. Il importe aussi d’avoir –
sans que cela soit forcément simultané – une pratique d’immersion, d’appropriation du terrain
pour mesurer la pertinence entre son propre discours et sa propre pratique sociale. Dans une
enquête sociolinguistique (qu’elle relève ou non du champ stricto sensu), le chercheur est acteur
pour partie – c’est ce qu’il convient de mesurer– de ce qu’il observe et c’est pourquoi il doit sans
cesse alimenter une réflexion critique sur sa propre activité de recherche.
20

Ainsi et enfin, par l’emploi du terme terrain, on signifie que l’activité du sociolinguiste
est essentiellement un travail d’enquête (dépassant le clivage écrit oral) auprès des usagers de la
langue : comme d’autres sciences sociales, il les interroge, il les écoute, il les observe en ayant
l’usage langagier comme perspective centrale. Cette dernière et nécessaire remarque sur le terrain
n’est pourtant pas suffisante car pourrait laisser croire que faire de la sociolinguistique est
d’abord et surtout faire de la description des pratiques. Pour être complet, il faut ajouter à la
phase descriptive (indispensable) un élément essentiel de la phase interprétative des
données/observables recueillis : l’engagement du chercheur (du sociolinguiste) et, de fait, sa
posture relevant de la militance scientifique à mettre en lien avec le dernier niveau définitoire de
la sociolinguistique, à savoir son utilité sociale et, partant, le rapport entre activité des chercheurs
engagés dans ces recherches et la société.

Questions

1. Comment la sociolinguistique peut-elle appréhender la ville qui est pourtant un


carrefour où une multitude de réalités se nouent, se fusionnent et créent un tout complexe ?
2. Relevez les trois expressions de la multidimensionnalité de la ville.
3. Quelles sont les deux dimensions symboliques de la ville ?
4. Définissez la sociolinguistique urbaine.
5. Quelle est sa mission ?
6. Parlez des langues en ville.

Chapitre 4. La sociolinguistique en/d’Afrique ( enjeux et perspectives)

4.1. Rappel de l’objet de la sociolinguistique

La sociolinguistique est la branche de la linguistique qui étudie les interactions entre les
langues et la société ou la structure sociale. Elle s’intéresse à l’influence de la société sur la
langue et vice versa. Elle est également un cadre d’analyse ou approche méthodologique
permettant de cerner ces interactions dans la langue ou dans la société. En contexte africain, on
attend à ce que la sociolinguistique ait pour objet principal de recherche les interactions langues
africaines et sociétés africaines. D’autant plus que l’on ne conçoit pas une étude des interactions
21

langues africaines et sociétés occidentales ou d’ailleurs ou vice versa, même si l’on reconnaît le
rôle de la diaspora dans les dynamiques linguistiques des langues indo-européennes telles que le
français, l’anglais, le portugais, l’espagnol, etc.

4.2. Mais, en Afrique ?

Mais, en Afrique, la sociolinguistique est très souvent portée vers des rapports langues
européennes/américaines et structures/organisations sociales africaines. On dirait que ces
structures sociales n’ont aucun impact, aucune influence sur les langues autochtones. Ce qui reste
à être démontré ! Même si les sociétés africaines ne sont pas organisées en classes comme dans
des sociétés capitalistes d’Europe, des Amériques, elles disposent chacune d’une organisation qui
pourrait avoir d’une manière ou d’une autre un impact aussi infime soit-il sur les langues
africaines ; et même, la ruée des Européens en sols africains pour des intérêts capitalistes a-t-elle
laissé indifférentes les langues africaines ?.

Encore que les mouvements des Occidentaux vers l’Afrique sont déjà en eux-mêmes un
fait social qui a incontestablement eu des impacts sur nos langues. Nous observons par exemple
des cas d’emprunts lexicaux de ces dernières aux langues étrangères à l’Afrique. Les Africains
faisaient face aux idées et concepts qui leur étaient étrangers, d’où la nécessité de recourir aux
emprunts. Les mots comme ‘’motor’’, ‘’avion’’, ‘’soap’’, ‘’money’’, ‘’radio’’, ‘’télévision’’, etc.
sont tout simplement inconnus avant l’arrivée des Européens.

4.3. Moisson actuelle de la sociolinguistique africaine

Nous disposons très peu d’études consacrées à la sociolinguistique africaine. C’est-à-dire


celle qui s’attèle à examiner les interactions langues africaines – structures sociales africaines
pour voir les dynamiques linguistiques multiples qui s’y tisseraient. Ce qui pourrait être dû à
l’insuffisance des moyens financiers accordés aux chercheurs africains par les autorités étatiques,
les Etats européens préférant financer, à raison, des travaux qui font d’une manière ou d’une autre
la promotion de leurs langues : la France pour le français, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis
pour ce qui est de l’anglais, etc. Nous n’ignorons pas encore moins ne sous-estimons pas les
efforts financiers déployés par certains organismes tel l’UNESCO par exemple pour soutenir la
revalorisation du patrimoine linguistique africain. Ils sont juste insuffisants ; la valorisation de ce
patrimoine linguistique ne saurait être financièrement soutenus par des fonds des étrangers qui
22

n’y trouveraient pas un grand intérêt, si oui sauvegarder le patrimoine culturel mondial. Une autre
cause : l’exclusion quasi-systématique des langues africaines des circuits d’enseignement. Ce qui
rend très rarissimes les lettrés africains en langues africaines. Etc.

Pourtant, le continent africain a connu des mouvements et faits historiques qui n’ont pas
laissé ses multiples langues indifférentes : la traite négrière qui a pour conséquences langagières
et linguistiques les naissances des créoles et des pidgins de toutes sortes, les mouvements de
colonisation et de décolonisation des pays africains, les politiques coloniales qui allaient des
tolérances linguistiques, dans les administrations coloniales britanniques, aux intolérances
linguistiques, c’est le cas de la France dans toutes ses colonies, etc. Il y a autant d’évènements qui
sont susceptibles de déclencher des dynamiques dans les langues ; à ces facteurs que l’on peut
dire externes, l’on pourrait ajouter d’autres facteurs liés aux organisations internes des sociétés
africaines, avant, pendant et après la ruée des Occidentaux sur le continent africain. C’est le cas
par exemple de la diversité tribo-ethnique et linguistique, avec la RDC, le Cameroun et le Nigéria
qui ont chacun au moins 300 langues avec presqu’autant d’ethnies, les mouvements migratoires
qui se sont arrêtés avec la traite négrière et la colonisation. Il s’agit des facteurs qui garderaient
des influences sur les langues des Africains.

Pour ce qui est des pays africains qui ont des grandes langues véhiculaires comme les
deux Congo avec le lingala et le kituba, l’arabe dialectal dans les Etats du Maghreb, le sango en
République centrafricaine, le wolof au Sénégal, etc., n’y a-t-il pas lieu d’envisager la
sociolinguistique urbaine, quand on sait avec Calvet (2000) que les centres urbains absorbent les
plurilinguismes et recrachent les monolinguismes ? Quels sont ces plurilinguismes et
monolinguismes africains ? Ceux-ci existent-ils ? Dans les régions septentrionales du Cameroun,
le grand véhiculaire transnational, le fufuldé, dicte sa loi aux autres langues environnantes
comme le français, l’arabe et d’autres langues natives. Les cas de contact de langues devraient
aussi retenir notre attention dans la mesure où ceux-ci impliquent les bilinguismes – non officiels
-, les situations de diglossie, de triglossie, de polyglossie, etc. Ne peut-on pas envisager les études
s’appuyant sur le concept fergussonien de diglossie en contextes africains ? Que dire de la
sociolinguistique rurale en Afrique, même si on sait que cette dernière est très souvent ignorée
même dans des situations linguistiques occidentales, toutes les attentions se focalisant sur les
situations sociolinguistiques des villes ?
23

Un des objectifs que se fixe le présent chapitre est d’envisager des études parallèles faites
ailleurs et pour des langues non africaines pour voir si on aboutirait aux mêmes résultats. Ce qui
serait très surprenant !

Une sociolinguistique africaine en langues européennes est comparable à une littérature


africaine en langues européennes. On dirait ainsi avec Ahmadou Kourouma que la littérature tout
comme la sociolinguistique n’est pas un problème de langue, mais celui des idées et analyses
faites. Quand l’Afrique retrouvera sa souveraineté dans le concert des nations, ses langues
joueront les premiers rôles dans le monde, comme c’est le cas des langues indo-européennes, et la
littérature et la sociolinguistique africaines se feront en langues africaines.

La glottophagie qui guette la plupart des langues africaines n’est-elle pas la résultante de
certaines politiques coloniales qui visaient l’assimilation totale, et de la globalisation des
échanges sociaux qui fait mourir des langues dépourvues d’enjeux économiques comme des
langues africaines au profit des langues occidentales qui présentent des enjeux économiques et
géostratégiques importants ?

Que peut la sociolinguistique africaine face à cette mort certaine qui guette les langues
pauvres, les langues sans enjeux, celles qui ne suscitent que quelques curiosités scientifiques ?
Au finish, que gagnerait-on en envisageant une sociolinguistique africaine ? Et que pourrait-on
perdre si celle-ci continue de sombrer dans une totale hibernation ?

4.5. Axes multiples de la sociolinguistique africaine

Nous ne pouvons pas soulever ou évoquer tous les problèmes et problématiques qui font
sombrer la sociolinguistique africaine en hibernation encore moins les vides qu’elle ne peut
combler en contextes africains. Le présent appel entend réunir toute contribution apportant un ou
des éléments de réponse aux aspects du problème soulevés plus haut. Toute contribution traitant
de la sociolinguistique africaine en contextes africains ou non africains nous intéresse. A titre
purement indicatif sans aucune prétention à l’exhaustivité, on pourra interroger un ou plusieurs
des axes suivants :

 Les représentations sociales et linguistiques des langues africaines ;


 Le contact de langues africaines ;
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 Les bilinguismes, des di-glossies, des try-glossies et les poly-glossies africains ;


 Les parlers/langues jeunes africain(e)s
 Insécurité/sécurité linguistique en langues africaines ;
 Les registres/niveaux de langue ;
 Etc.
Questions
1. Quel peut être l’objet de la sociolinguistique africaine ?
2. Parlez des dynamiques linguistiques en Afrique.
3. Quelle peut être la spécificité de la sociolinguistique africaine ?
4. Parlez de la moisson actuelle de la sociolinguistique africaine.
5. Parlez de la menace de la glottophagie en Afrique.
6. Relevez les multiples axes sur lesquels peuvent être engagées des recherches en
sociolinguistique africaine.

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