SOCIOLINGUISTIQUE CONTEMPORAINE L1
SOCIOLINGUISTIQUE CONTEMPORAINE L1
SOCIOLINGUISTIQUE CONTEMPORAINE L1
Introduction
Chaque communauté a toujours besoin de communiquer car tel est le premier devoir d’une société
dans laquelle les membres vivent une solidarité.
Et, étant donné que chaque société est caractérisée par un certain nombre des normes observables par
lesdits membres, la langue comme outil de communication n’en est pas épargnée. C’est ainsi que nous
sommes contraints d’apprendre les normes sociales du langage pour nous permettre de prendre connaissance
de celles-ci avant de les enseigner aux autres, c’est le rapport-même qui s’établira entre la langue et la
société qui l’utilise.
Objectifs du cours :
Nous irons de l’exposé magistral à la méthode active et participative ; ce qui permettra aux étudiants
d’être capables de :
- Mener une enquête macro/et ou micro sociolinguistique dans une société donnée ;
- Etc.
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William Labov est souvent considéré, du moins dans la tradition anglo-saxonne, comme le fondateur
de la sociolinguistique moderne. C'est lui qui, en 1966, publia The Social Stratification of English in New
York City (La Stratification sociale de l'anglais à New York).
La sociolinguistique, comme l'indique ce nom composé, concerne l'étude des rapports entre sociétés
et langues, mais il faut tout de suite ajouter d'une part qu'on désigne sous ce vocable non pas une branche de
la linguistique, mais une autre conception de la langue, envisagée fondamentalement dès lors comme moyen
de communication entre des individus qui constituent une société, avec ses règles, ses rites, ses pratiques.
Cette discipline ouvre à une autre façon d'analyser les phénomènes linguistiques, mais il convient encore de
préciser mieux ce que l'on entend par sociétés, mais aussi par langues !
Ainsi, la sociolinguistique a un double objet, car elle étudie les pratiques et les représentations. Par
pratiques, il faut entendre ce que fait réellement le sujet parlant alors que les représentations renvoient non
pas à ce qu’il fait, mais plutôt à ce qu’il pense faire, ou à ce qu’il dit qu’il fait, voire parfois à ce qu’il en
pense.
1.3. Définition de la sociolinguistique
La sociolinguistique étudie les fonctions et les usages du langage dans la société, la maîtrise de la
langue, les contacts des langues, les jugements que les communautés linguistiques portent sur leur langue, la
planification et la standardisation linguistiques. Elle se donne pour tâche de décrire les différentes variétés
qui coexistent au sein d’une communauté linguistique en les mettant en rapport avec les structures sociales.
Elle étudie le langage, considéré comme une activité socialement localisée, et dont l’étude se mène sur le
terrain.
La sociolinguistique étudie la langue en contexte. On entend par « contexte » la situation de
communication immédiate.
C’est seulement en présence d’un auditeur et en fonction de ses réactions qu’un sujet parlant décide
d’utiliser telle ou telle forme de langage pour lui faire comprendre ses intentions. Les connaissances
partagées, les croyances, les intentions, les présupposés, les inférences, les actions non verbales
significatives qui accompagnent le discours, les relations existant entre le locuteur et l’auditeur, tout cela
influence le choix des moyens linguistiques employés par le locuteur.
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N.B. Toute recherche sociolinguistique doit répondre à la question fishmanienne suivante : « qui parle,
quelle variété de langue, à qui, où, quand et à propos de quoi ? »
Dans l’état actuel, la sociolinguistique est admise comme une discipline où l’on admet le travail
pluridisciplinaire (ethnologie, anthropologie, psychologie, philosophie, histoire, géographie, linguistique).
Son objet d’étude est orienté vers l’étude des rapports langue / société vis-versa.
Mais à un moment donné, le débat sur la délimitation de l’objet d’étude de la sociolinguistique et le
choix d’une dénomination exacte a connu une diversité de propositions d’où un désaccord entre plusieurs
écoles de pensée.
Malgré le désaccord entre les uns et les autres une attitude de compromis a permis de donner fin à
cette crise et à admettre la possibilité de regrouper sous le terme sociolinguistique plus d’une douzaine de
domaines : standardisation et planification des langues, comportement bilingue et multilingue, stratification
sociale du langage, structure de la communication, attitude envers le langage, ethnographie de la
communication, pidginisation, créolisation, stylistique, variation linguistique, chargement linguistique en
cours, analyse du discours…
Au final, l’une des façons rapides et commodes de définir la sociolinguistique est de dire qu’elle
étudie la co-variance entre langue et société. Autrement dit, on cherche à comprendre les rapports
dialectiques qui existent entre le changement linguistique (ce que l’on appelle les langues mais plus encore
tout ce que l’on parle et écrit en relevant change) et le changement social (les sociétés perdurent mais sont
dynamiques).
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0. L’origine géographique
L’origine géographique (le plus souvent en relation avec l’appartenance soit au milieu urbain soit au
milieu rural) est un élément de différenciation sociolinguistique, souvent très repérable, et aussi souvent
matière à cliché.
1. L’âge
L’appartenance à une certaine génération d’usagers de la langue est également un facteur de
diversification. Il y a en quelque sorte coexistence de plusieurs synchronies. Par ex. le “ français des jeunes ”
ou le “ parler jeune ” (accentué dans le “ parler jeune des cités ”).
Exemple 1: la troncation : Les jeunes utilisent de nombreuses apocopes (“ deg ” pour dégueulasse),
et plus fréquemment encore des aphérèses (“ leur ” pour contrôleur, “ zic ” pour musique).
Exemple 2 : la verlanisation (parler verlan, à l’envers) fréquente chez les jeunes (“ meuf ” pour
femme, “ keum ” pour mec, “ reum ” pour mère, etc.
Exemple 3 : prédilection pour certaines suffixations, comme “ -os ” (les musicos, ou même les “
zicos”).
2. Le sexe
Plusieurs auteurs ont noté l’asymétrie homme/femme face à la langue. Labov, par ex. a observé que “
les femmes, plus sensibles que les hommes aux modèles de prestige, utilisent moins de formes linguistiques
stigmatisées, considérées comme fautives, en discours surveillé ” En réalité, Labov constate une sorte de
paradoxe : “ les femmes emploient les formes les plus neuves dans leur discours familier, mais se corrigent
pour passer à l’autre extrême dès qu’elles passent au discours surveillé ”.
3. L’origine sociale
On parle de variation sociolectale lorsque c’est l’origine sociale (l’appartenance à tel ou tel milieu
socioculturel) qui est en cause. On parlera par exemple du “ parler populaire ” ou du parler pédant “ petit-
bourgeois ”.
Exemple1 : articulation emphatique. “ Je suis allé à un colloque sur le sonnet en Hollande avec
quelques collègues… ”.
Exemple 2 : prononciation de toutes les liaisons (comme pour marquer la connaissance qu’a le
locuteur de l’orthographe, donc son appartenance à une culture) ; mais qui peut donner “ J’en suis bien t’aise
” sans doute inspiré par la forme valorisée “ j’en suis fort aise ”
Exemple 3 : hypercorrection fautive “ Voilà la façon dont nous pensons que la culture doive évoluer
”, par utilisation excessive d’une forme de prestige (le subjonctif).
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Plus récemment, s’inspirant des travaux menés par John Joseph Gumperz sur
l’interaction, est née la sociolinguistique interactionniste. Selon ce courant, on ne peut corréler
aussi simplement des catégories extralinguistiques et des comportements linguistiques car ces
derniers sont eux aussi des instruments de catégorisation sociale dont le sujet peut jouer. Pour
l’étudier convenablement, il faut observer le sujet lors de ses interactions et noter tout ce qui peut
influencer les productions.
Par contact des langues il faut entendre la présence simultanée de deux ou plusieurs
langues à un niveau individuel, interpersonnel ou sociétal.
Mais lorsque cette situation de diglossie évolue dans le sens de la langue dominante
jusqu’à la disparition complète de la langue dominée, on parle de glottophagie.
Au niveau d’une société, en suivant Robert Chaudenson par exemple, on peut étudier la
situation sociolinguistique d’un pays en s’attachant à ce qu’il nomme statuts, c’est-à-dire le
réglage institutionnel de la situation plurilingue( par exemple dans notre pays la distinction faite
entre la langue officielle qu’est le français, les 4 langues dites nationales et les langues
ethniques), puis ce qu’il appelle corpus, c’est-à-dire l’ensemble des productions langagières dans
un pays.
Nous différencions après Coste (2010) le multilinguisme vu comme la cohabitation entre
plusieurs langues dans un même espace étatique du plurilinguisme considéré comme la maitrise
par un individu de plusieurs langues à des degrés divers. La présence de plusieurs langues amène
à poser la distinction entre langues vernaculaires, c’est-à-dire langues maternelles servant à la
communication à l’intérieur d’un groupe et les langues véhiculaires, servant à la communication
avec les membres des autres communautés linguistiques.
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Questions
1. Comment la sociolinguistique s’est-elle différenciée de la linguistique structurale de
Ferdinand de Saussure ?
2. Quels sont les principaux courants de la sociolinguistique ?
3. Qu’entend-on par « contact de langues » ?
4. Que signifie « lecte » et donnez ses différents usages ?
5. Différenciez les concepts suivants : bilinguisme, plurilinguisme, diglossie, glottophagie,
langues véhiculaires VS langues vernaculaires.
6. Quelle différence faire entre « aménagement linguistique, planification linguistique et
politique linguistique » ?
7. Que signifie le passage de la micro à la macro et vice versa ?
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donc un « milieu écologique » à l’intérieur duquel vit une mosaïque sociale. Celle-ci se distingue
par une diversité ethnique, identitaire, comportementale, … .
Selon la formalisation de JP Lacaze (Lacaze, 1997), la ville résulte d’une interaction entre
quatre espaces : un espace physique (un milieu qui agglomère les hommes, les activités, et la
masses construites, …), un espace social (exprimé par l’interaction entre les sujets sociaux), un
espace politique (instances de pouvoir, de décision et de régulation qui gouvernent le
déroulement de la vie) et un espace économique (production de biens, de services et de
prestations pour assurer les besoins des masses populationnelles).
En effet, nous constatons que la société change et que la ville change de forme. Ces deux
changements, sociétal et spatial, s’opèrent d’une manière fortement systémique, où chacun
influence et s’influence par l’autre. Ces changements sociétaux et spatiaux font de la ville la
scène où tous les scénarios de la vie humaine se jouent, s’imbriquent et prennent sens. La ville
devient l’affaire de tous, tout le monde en parle. Les diverses mutations (politiques,
socioéconomiques, technologiques, …) ont fait d’elle un objet multidimensionnel.
Les rapports se tissant, d’une part, entre les sujets sociaux qui cohabitent la ville, et
d’autre part, entre ceux-ci et les divers espaces de celle-ci, donnent lieu à des productions
cognitives, verbales et comportementales très diversifiées. Celles-ci visent à exprimer certains
positionnements que les individus prennent vis-à-vis de leur ville. Nous pouvons regrouper ces
productions en trois processus qui s’articulent systémiquement et qui sont:
- « dire la ville » : cela varie entre la description, l’analyse, la critique, la théorisation …
-« dire la ville » : La ville est à la fois un espace réel et symbolique. Le premier espace
s’aperçoit et le second se pense. La ville, dans sa matérialité et immatérialité, est traversée par
une multitude de réseaux qui contribuent à sa fabrication, son développement, et son maintien
(réseaux d’hygiène, de circulation, de distribution des biens et des services, ou encore, de
sociabilité et de solidarité, …).
- « faire la ville » : c’est agir sur ses espaces dans un objectif de répondre aux divers
besoins en matière de logements, d’infrastructures, d’équipements, d’accès aux services, … Cela
passe par divers processus variant entre la prise de décisions (choix politiques, partis urbains, …),
les interventions urbaines opérationnelles sur les diverses portions de la ville (édification,
réhabilitation, extension, …), …Faire la ville, c’est intervenir sur son calque dur pour le
transformer. La ville n’est pas une structure figée, elle n’est pas un « déjà-là » qui préexiste et
qui s’impose à nous, elle se construit et se développe chemin faisant. Faire la ville, c’est
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l’aménager pour transformer ses espaces vagues en des espaces de sociabilité (Lamizet, 2002,
48). A cet égard, la ville n’est pas la même pour tous. Plus, pour le même acteur, elle n’est pas
toujours la même. Plusieurs métaphores ont été employées pour considérer la ville comme un
apprentissage. Celui-ci s’élabore dans une logique de construction permanente établie entre
l’acteur et son environnement (physique et sémantique). Elle nécessite des actes éducatifs et des
enseignements, de divers ordres, pour savoir représenter et dire ses différentes dimensions.
-« Vivre la ville » : La ville est un établissement humain dans lequel se mettent en place
des interactions et des échanges sociaux de divers ordres. Vivre la ville c’est jouer un rôle, voire
des rôles, au sein de cet établissement tout en ayant des devoirs et droits. C’est partager un certain
nombre de projets, de préoccupations, de croyances, d’idéaux et de représentations visant à
renforcer les liens entre le couple individu-sa collectivité. C’est aussi, s’impliquer dans une
dynamique collective à travers le tissage d’un ensemble de relations, de rencontres et d’échanges
qui transforme ce mouvement d’expériences en un vécu symboliquement signifiant. Dans cette
atmosphère du « vivre ensemble », où la ville constitue l’expression matérielle, plusieurs
phénomènes s’y instaurent, se développent et influencent sur l’urbanité.
Les acteurs de la ville qui sont impliqués dans ces trois processus (dire, faire et vivre la
ville), font appel à un savoir urbain hétérogène et réparti. Celui-ci est issu de plusieurs champs
disciplinaires où chaque champ apporte son propre regard sur la ville. Ce savoir urbain mobilisé
permet par la suite de produire d’autres morceaux de savoir qui reflètent d’autres réalités. Le
caractère multidimensionnel et évolutif de la ville rend le savoir (mobilisé et produit) sur celle-ci
partiel et temporaire.
Ces deux aspects du savoir urbain varient entre temps et espace. La ville n’est pas une
structure achevée, elle ne se présente pas comme une entité figée, et se résulte de l’interaction
intensive d’une multitude de processus, de diverses natures, qui la pensent, l’humanisent, la
construisent et font d’elle un laboratoire d’expérimentation (architecturale, urbanistique,
artistique, commerciale, touristique, politique, sociale et culturelle, …).
Chaque processus, avec ses acteurs, ses méthodes et ses outils, ne vise qu’une dimension
de la ville, il ne donne qu’un savoir partiel et fragmenté de celle-ci. En effet, les différentes
entités spatiales, rentrant dans la composition d’un territoire, n’ont pas les mêmes attributs,
chacune d’entre elles se distingue par divers aspects qui lui sont propres (taille, tissu urbain, style
architectural, mosaïque sociale, axes de développement, …).
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Telle qu’elle est conçue (Bulot 2001 ; Bulot/Beauvois 2003), la sociolinguistique urbaine
se prévaut de reprendre les premières considérations relatives à la militance sociale de la
discipline (Marcellesi 2003, entre autres) et, de ce fait, ambitionne de contribuer à la réflexion –
voire à l’intervention – sur les différentes façons de lutter contre les discriminations toutes les
fois que les pratiques langagières sont impliquées. Elle dénonce l’exclusion des minorités
sociales (Bachmann/Simonin 1993) pour ce que ce dernier processus produit bien entendu de
souffrance individuelle, mais aussi de délitement du lien social, du lien communautaire. Elle
engage le chercheur à être aussi un intellectuel, une ressource sociale, un acteur potentiel du
mouvement social. Elle est effectivement une sociolinguistique de crise, dans la mesure des
mutations sociales liées à l’urbanisation, des effets de la modification du lien social, des
recompositions identitaires que ces processus impliquent, et enfin, dans la mesure des
conséquences – certes plus ou moins perçues mais nécessairement vécues – de la diffusion de la
culture urbaine comme modèle dominant. Pour faire simple, une telle sociolinguistique est une
sociolinguistique de la spatialité, où le discours sur l’espace, corrélé au discours sur les langues,
permet de saisir les tensions sociales, les faits de ségrégation, la mise en mots des catégories de la
discrimination. Ainsi, l’approche sociolinguistique de l’espace (comme processus discursif) se
décline en six temps qui sont autant d’axes potentiels d’intervention sur la matrice discursive
(Bulot 2003) que constitue la ville (nous y reviendrons) :
Dans ce contexte, la ville est certes un espace social, mais plus encore un espace
énonciatif (Baggioni 1993) qui donne sens et valeur à l’ensemble des pratiques ; elle est cet
espace praxique où, bien que les discours ne soient pas la réalité, parce qu’ils constituent le seul
accès au réel, ils finissent par devenir le réel. C’est en ce sens que la ville est une matrice
discursive car elle fonde, gère et normalise (Laborit 1971, pour ce point) des régularités plus ou
moins consciemment élicitées, vécues ou perçues par ses divers acteurs ; régularités sans doute
autant macro-structurelles (entre autres l’organisation sociale de l’espace) que plus
spécifiquement linguistiques et langagières.
Une ville, et sans doute la ville, n’est surtout pas homogène quant aux pratiques linguistiques :
elle est localisée dans une zone nécessairement dialectale et les formes de français qu’on y parle
s’organisent autour d’une plus ou moins grande présence de traits dialectaux, chacun des
locuteurs, suivant son statut social, étant à plus ou moins grande distance de la variété la plus
prestigieuse confondue par ailleurs avec le français standard.
Le parler dit des jeunes, les formes employées d’un quartier à un autre, les langues des
diverses communautés en présence, exogènes ou endogènes, montrent que la ville est, de ce point
de vue, nécessairement multiple. Les façons de parler (pour ne pas dire les langues, dialectes,
accents,...) que l’on s’attribue ou que l’on attribue aux autres) sont autant de signaux destinés à
faire valoir les frontières et limites, les aires autorisées et celles inacceptables.
d’exclusion. L’un des effets de la minoration sociale perçue et vécue par ses jeunes est de
construire un discours identitaire fort en opposition avec ceux que l’on tente de leur faire assumer
(tant celui du modèle culturel français que celui de leur "congolité") perdus, ou pour le moins
désorientés. Ils sont les acteurs d’une culture interstitielle extrêmement conflictuelle mais fort
productive de ce point de vue ; ils se disent de nulle part parce qu’ils ne se sentent pas reconnus
socialement mais créent leur propre espace social et linguistique.
Quelles que soient les divergences et approches en sociolinguistique qui peuvent être
nombreuses, car à l’instar des autres disciplines, la sociolinguistique demeure en discussion,
propose de nouveaux concepts, investit de nouveaux terrains… sans pour autant que ceux-ci
remplacent nécessairement les précédents, le thème unificateur de la discipline est de considérer
le langage comme une activité, socialement localisée, et dont l ‘étude se mène sur le terrain.
Pour brièvement évoquer le terme « langage », rappelons que le terme englobe ainsi la
totalité des pratiques discursives, des productions. De ce fait, la distinction entre « linguistique »
et « langagier » ne vaut plus que pour désigner respectivement ce qui renvoie à la matérialité des
énoncés et à leur fonctionnement structurel d’une part et, d’autre part, la prise en compte des
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usages effectifs de cette matérialité par les locuteurs. Revenons à présent sur chacun des termes
de ce nouveau niveau de définition de la sociolinguistique. Le terme même d’« activité » est
essentiel, puisqu’il permet de poser que toute pratique en relevant implique d’être considérée
comme un processus, une forme concomitante et corrélée aux interactions sociales. Le langage
qui intéresse la sociolinguistique est nécessairement cela : une activité humaine, produit des
interactions et vecteur de ces mêmes interactions. Il est ce par quoi les sociétés et, les individus
qui les composent, construisent le lien social, les identités.
Le fait qu’il soit dit « socialement localisé » rend effectivement compte de cette
complexité. Il ne s’agit en effet pas d’essentialiser le langage comme s’il ne renvoyait qu’à une
seule acception (un peu comme la position des linguistes semble l’affirmer) : l’objet de recherche
du sociolinguiste est l’ensemble des manifestations (ou observables) langagières situées (c’est à
dire mise en œuvre) dans un contexte social, interactionnel, historique, conversationnel donné qui
rend ainsi compte des rapports sociaux entre groupes et individus, et, de fait, des processus de
transformations et/ou reproductions des dits rapports.
Le terme « terrain » est plus complexe encore. Faire du terrain (en d’autres termes
travailler sur de la matière linguistique socialement perçue comme authentique et authentifiable)
ne prémunit pas le sociolinguiste d’erreurs d’appréciations. Autrement dit, une approche
sociolinguistique n’est pas meilleure parce qu’elle fait du terrain car prétendre que l’objectivation
même bienveillante des faits langagiers doit mener à être en mesure de tout expliquer relève
surtout d’une posture. Concrètement, faire du terrain n’a de sens dans la définition que si cela
s’accompagne de la conscience d’une nécessaire et incontournable distanciation avec l’observé.
Pour apprécier en effet, la distance entre les discours et les pratiques, il convient à la fois de
déconstruire puis de reconstruire les données discursives recueillies pour produire son propre
discours, sa propre distanciation sociale quant à l’objet de recherche. Il importe aussi d’avoir –
sans que cela soit forcément simultané – une pratique d’immersion, d’appropriation du terrain
pour mesurer la pertinence entre son propre discours et sa propre pratique sociale. Dans une
enquête sociolinguistique (qu’elle relève ou non du champ stricto sensu), le chercheur est acteur
pour partie – c’est ce qu’il convient de mesurer– de ce qu’il observe et c’est pourquoi il doit sans
cesse alimenter une réflexion critique sur sa propre activité de recherche.
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Ainsi et enfin, par l’emploi du terme terrain, on signifie que l’activité du sociolinguiste
est essentiellement un travail d’enquête (dépassant le clivage écrit oral) auprès des usagers de la
langue : comme d’autres sciences sociales, il les interroge, il les écoute, il les observe en ayant
l’usage langagier comme perspective centrale. Cette dernière et nécessaire remarque sur le terrain
n’est pourtant pas suffisante car pourrait laisser croire que faire de la sociolinguistique est
d’abord et surtout faire de la description des pratiques. Pour être complet, il faut ajouter à la
phase descriptive (indispensable) un élément essentiel de la phase interprétative des
données/observables recueillis : l’engagement du chercheur (du sociolinguiste) et, de fait, sa
posture relevant de la militance scientifique à mettre en lien avec le dernier niveau définitoire de
la sociolinguistique, à savoir son utilité sociale et, partant, le rapport entre activité des chercheurs
engagés dans ces recherches et la société.
Questions
La sociolinguistique est la branche de la linguistique qui étudie les interactions entre les
langues et la société ou la structure sociale. Elle s’intéresse à l’influence de la société sur la
langue et vice versa. Elle est également un cadre d’analyse ou approche méthodologique
permettant de cerner ces interactions dans la langue ou dans la société. En contexte africain, on
attend à ce que la sociolinguistique ait pour objet principal de recherche les interactions langues
africaines et sociétés africaines. D’autant plus que l’on ne conçoit pas une étude des interactions
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langues africaines et sociétés occidentales ou d’ailleurs ou vice versa, même si l’on reconnaît le
rôle de la diaspora dans les dynamiques linguistiques des langues indo-européennes telles que le
français, l’anglais, le portugais, l’espagnol, etc.
Mais, en Afrique, la sociolinguistique est très souvent portée vers des rapports langues
européennes/américaines et structures/organisations sociales africaines. On dirait que ces
structures sociales n’ont aucun impact, aucune influence sur les langues autochtones. Ce qui reste
à être démontré ! Même si les sociétés africaines ne sont pas organisées en classes comme dans
des sociétés capitalistes d’Europe, des Amériques, elles disposent chacune d’une organisation qui
pourrait avoir d’une manière ou d’une autre un impact aussi infime soit-il sur les langues
africaines ; et même, la ruée des Européens en sols africains pour des intérêts capitalistes a-t-elle
laissé indifférentes les langues africaines ?.
Encore que les mouvements des Occidentaux vers l’Afrique sont déjà en eux-mêmes un
fait social qui a incontestablement eu des impacts sur nos langues. Nous observons par exemple
des cas d’emprunts lexicaux de ces dernières aux langues étrangères à l’Afrique. Les Africains
faisaient face aux idées et concepts qui leur étaient étrangers, d’où la nécessité de recourir aux
emprunts. Les mots comme ‘’motor’’, ‘’avion’’, ‘’soap’’, ‘’money’’, ‘’radio’’, ‘’télévision’’, etc.
sont tout simplement inconnus avant l’arrivée des Européens.
n’y trouveraient pas un grand intérêt, si oui sauvegarder le patrimoine culturel mondial. Une autre
cause : l’exclusion quasi-systématique des langues africaines des circuits d’enseignement. Ce qui
rend très rarissimes les lettrés africains en langues africaines. Etc.
Pourtant, le continent africain a connu des mouvements et faits historiques qui n’ont pas
laissé ses multiples langues indifférentes : la traite négrière qui a pour conséquences langagières
et linguistiques les naissances des créoles et des pidgins de toutes sortes, les mouvements de
colonisation et de décolonisation des pays africains, les politiques coloniales qui allaient des
tolérances linguistiques, dans les administrations coloniales britanniques, aux intolérances
linguistiques, c’est le cas de la France dans toutes ses colonies, etc. Il y a autant d’évènements qui
sont susceptibles de déclencher des dynamiques dans les langues ; à ces facteurs que l’on peut
dire externes, l’on pourrait ajouter d’autres facteurs liés aux organisations internes des sociétés
africaines, avant, pendant et après la ruée des Occidentaux sur le continent africain. C’est le cas
par exemple de la diversité tribo-ethnique et linguistique, avec la RDC, le Cameroun et le Nigéria
qui ont chacun au moins 300 langues avec presqu’autant d’ethnies, les mouvements migratoires
qui se sont arrêtés avec la traite négrière et la colonisation. Il s’agit des facteurs qui garderaient
des influences sur les langues des Africains.
Pour ce qui est des pays africains qui ont des grandes langues véhiculaires comme les
deux Congo avec le lingala et le kituba, l’arabe dialectal dans les Etats du Maghreb, le sango en
République centrafricaine, le wolof au Sénégal, etc., n’y a-t-il pas lieu d’envisager la
sociolinguistique urbaine, quand on sait avec Calvet (2000) que les centres urbains absorbent les
plurilinguismes et recrachent les monolinguismes ? Quels sont ces plurilinguismes et
monolinguismes africains ? Ceux-ci existent-ils ? Dans les régions septentrionales du Cameroun,
le grand véhiculaire transnational, le fufuldé, dicte sa loi aux autres langues environnantes
comme le français, l’arabe et d’autres langues natives. Les cas de contact de langues devraient
aussi retenir notre attention dans la mesure où ceux-ci impliquent les bilinguismes – non officiels
-, les situations de diglossie, de triglossie, de polyglossie, etc. Ne peut-on pas envisager les études
s’appuyant sur le concept fergussonien de diglossie en contextes africains ? Que dire de la
sociolinguistique rurale en Afrique, même si on sait que cette dernière est très souvent ignorée
même dans des situations linguistiques occidentales, toutes les attentions se focalisant sur les
situations sociolinguistiques des villes ?
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Un des objectifs que se fixe le présent chapitre est d’envisager des études parallèles faites
ailleurs et pour des langues non africaines pour voir si on aboutirait aux mêmes résultats. Ce qui
serait très surprenant !
La glottophagie qui guette la plupart des langues africaines n’est-elle pas la résultante de
certaines politiques coloniales qui visaient l’assimilation totale, et de la globalisation des
échanges sociaux qui fait mourir des langues dépourvues d’enjeux économiques comme des
langues africaines au profit des langues occidentales qui présentent des enjeux économiques et
géostratégiques importants ?
Que peut la sociolinguistique africaine face à cette mort certaine qui guette les langues
pauvres, les langues sans enjeux, celles qui ne suscitent que quelques curiosités scientifiques ?
Au finish, que gagnerait-on en envisageant une sociolinguistique africaine ? Et que pourrait-on
perdre si celle-ci continue de sombrer dans une totale hibernation ?
Nous ne pouvons pas soulever ou évoquer tous les problèmes et problématiques qui font
sombrer la sociolinguistique africaine en hibernation encore moins les vides qu’elle ne peut
combler en contextes africains. Le présent appel entend réunir toute contribution apportant un ou
des éléments de réponse aux aspects du problème soulevés plus haut. Toute contribution traitant
de la sociolinguistique africaine en contextes africains ou non africains nous intéresse. A titre
purement indicatif sans aucune prétention à l’exhaustivité, on pourra interroger un ou plusieurs
des axes suivants :