Diderot-Ceci n Est Pas Un Conte

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The Project Gutenberg EBook of Ceci n'est pas un conte, by

Denis Diderot
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Title: Ceci n'est pas un conte


Author: Denis Diderot
Editor: Jules Assézat
Release Date: April 25, 2009 [EBook #28602]
Language: French

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CECI N'EST PAS


UN CONTE ***

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Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
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[Extrait des Œuvres complètes de Diderot, éditées par
Jules Assézat, 5ème volume, Paris, Garnier Frères, 1875.]

CECI N'EST PAS UN


CONTE
(Écrit vers 1772—Publié en 1798)

Ce conte se trouve dans la Correspondance de Grimm,


sous la date d'avril 1773; mais il y est incomplet. Il y
manque l'histoire de Tanié et de la Reymer, et la fin de
l'histoire de Mlle de La Chaux.
M. A.-A. Barbier ( Dictionnaire des Anonymes ) a supposé
que Diderot, en attribuant à Mlle de La Chaux la traduction
des «premiers essais de la métaphysique, de Hume (ci-
après p. 321)» et des Essais sur l'entendement humain
(p. 328), avait été trompé par sa mémoire. Il n'en est rien.
Diderot a seulement, comme toujours, donné à l'ouvrage
de Hume, traduit par Mlle de La Chaux, un titre trop général.
Il s'agit ici des Political discourses, formant la deuxième
partie des Essays. La première traduction de cette partie
(Essais sur le commerce, le luxe, l'argent, Amsterdam,
1752, 1753, in-12; Paris et Lyon, in-12) est bien de M lle de
La Chaux. Elle contient seulement sept des seize discours
de Hume, avec des réflexions du traducteur. L'abbé Le
Blanc et ensuite Mauvillon ne publièrent leurs travaux sur le
même ouvrage qu'en 1754. La traduction de Mlle de La
Chaux des Essais économiques de Hume a pris place
dans le tome XV de la Collection des principaux
économistes. Mlle de La Chaux mourut en 1755.
CECI N'EST PAS UN CONTE
Lorsqu'on fait un conte, c'est à quelqu'un qui l'écoute; et
pour peu que le conte dure, il est rare que le conteur ne soit
pas interrompu quelquefois par son auditeur. Voilà
pourquoi j'ai introduit dans le récit qu'on va lire, et qui n'est
pas un conte, ou qui est un mauvais conte, si vous vous en
doutez, un personnage qui fasse à peu près le rôle du
lecteur; et je commence.

Et vous concluez de là?


—Qu'un sujet aussi intéressant devait mettre nos têtes en
l'air; défrayer pendant un mois tous les cercles de la ville; y
être tourné et retourné jusqu'à l'insipidité: fournir à mille
disputes, à vingt brochures au moins, et à quelques
centaines de pièces de vers pour ou contre; et qu'en dépit
de toute la finesse, de toutes les connaissances, de tout
l'esprit de l'auteur, puisque son ouvrage n'a excité aucune
fermentation violente, il est médiocre, et très-médiocre.
—Mais il me semble que nous lui devons pourtant une
soirée assez agréable, et que cette lecture a amené...
—Quoi! une litanie d'historiettes usées qu'on se décochait
de part et d'autre, et qui ne disaient qu'une chose connue
de toute éternité, c'est que l'homme et la femme sont deux
bêtes très-malfaisantes.
—Cependant l'épidémie vous a gagné, et vous avez payé
votre écot tout comme un autre.
—C'est que bon gré, mal gré qu'on en ait, on se prête au
ton donné; qu'en entrant dans une société, d'usage, on
arrange à la porte d'un appartement jusqu'à sa
physionomie sur celles qu'on voit; qu'on contrefait le
plaisant, quand on est triste; le triste, quand on serait tenté
d'être plaisant; qu'on ne veut être étranger à quoi que ce
soit; que le littérateur politique; que le politique
métaphysique; que le métaphysicien moralise; que le
moraliste parle finance; le financier, belles-lettres ou
géométrie; que, plutôt que d'écouter ou se taire, chacun
bavarde de ce qu'il ignore, et que tous s'ennuient par sotte
vanité ou par politesse.
—Vous avez de l'humeur.
—À mon ordinaire.
—Et je crois qu'il est à propos que je réserve mon
historiette pour un moment plus favorable.
—C'est-à-dire que vous attendrez que je n'y sois pas.
—Ce n'est pas cela.
—Ou que vous craignez que je n'aie moins d'indulgence
pour vous, tête à tête, que je n'en aurais pour un indifférent
en société.
—Ce n'est pas cela.
—Ayez donc pour agréable de me dire ce que c'est.
—C'est que mon historiette ne prouve pas plus que celles
qui vous ont excédé.
—Hé! dites toujours.
—Non, non; vous en avez assez.
—Savez-vous que de toutes les manières qu'ils ont de me
faire enrager, la vôtre m'est la plus antipathique?
—Et quelle est la mienne?
—Celle d'être prié de la chose que vous mourez d'envie de
faire. Hé bien, mon ami, je vous prie, je vous supplie de
vouloir bien vous satisfaire.
—Me satisfaire!
—Commencez, pour Dieu, commencez.
—Je tâcherai d'être court.
—Cela n'en sera pas plus mal.
Ici, un peu par malice, je toussai, je crachai, je développai
lentement mon mouchoir, je me mouchai, j'ouvris ma
tabatière, je pris une prise de tabac; et j'entendais mon
homme qui disait entre ses dents: «Si l'histoire est courte,
les préliminaires sont longs...» Il me prit envie d'appeler un
domestique, sous prétexte de quelque commission; mais
je n'en fis rien, et je dis:

«Il faut avouer qu'il y a des hommes bien bons, et des


femmes bien méchantes.
—C'est ce qu'on voit tous les jours, et quelquefois sans
sortir de chez soi. Après?
—Après? J'ai connu une Alsacienne belle, mais belle à
faire accourir les vieillards, et à arrêter tout court les jeunes
gens.
—Et moi aussi, je l'ai connue; elle s'appelait Mme Reymer.
—Il est vrai. Un nouveau débarqué de Nancy, appelé Tanié,
en devint éperdument amoureux. Il était pauvre; c'était un
de ces enfants perdus, que la dureté des parents, qui ont
une famille nombreuse, chasse de la maison, et qui se
jettent dans le monde sans savoir ce qu'ils deviendront, par
un instinct qui leur dit qu'ils n'y auront pas un sort pire que
celui qu'ils fuient. Tanié, amoureux de M me Reymer, exalté
par une passion qui soutenait son courage et ennoblissait
à ses yeux toutes ses actions, se soumettait sans
répugnance aux plus pénibles et aux plus viles, pour
soulager la misère de son amie. Le jour, il allait travailler
sur les ports; à la chute du jour, il mendiait dans les rues.
—Cela était fort beau; mais cela ne pouvait durer.
—Aussi Tanié, las de lutter contre le besoin, ou plutôt de
retenir dans l'indigence une femme charmante, obsédée
d'hommes opulents qui la pressaient de chasser ce gueux
de Tanié...
—Ce qu'elle aurait fait quinze jours, un mois plus tard.
—Et d'accepter leurs richesses, résolut de la quitter, et
d'aller tenter la fortune au loin. Il sollicite, il obtient son
passage sur un vaisseau du roi. Le moment de son départ
est venu. Il va prendre congé de Mme Reymer. «Mon amie,
lui dit-il, je ne saurais abuser plus longtemps de votre
tendresse. J'ai pris mon parti, je m'en vais.—Vous vous en
allez!—Oui...—Et où allez-vous?...—Aux îles. Vous êtes
digne d'un autre sort, et je ne saurais l'éloigner plus
longtemps...»
—Le bon Tanié!...
«—Et que voulez-vous que je devienne?...»
—La traîtresse!...
«—Vous êtes environnée de gens qui cherchent à vous
plaire. Je vous rends vos promesses; je vous rends vos
serments. Voyez celui d'entre ces prétendants qui vous est
le plus agréable; acceptez-le, c'est moi qui vous en
conjure...—Ah! Tanié, c'est vous qui me proposez...»
—Je vous dispense de la pantomime de Mme Reymer. Je
la vois, je la sais...
«—En m'éloignant, la seule grâce que j'exige de vous, c'est
de ne former aucun engagement qui nous sépare à jamais.
Jurez-le-moi, ma belle amie. Quelle que soit la contrée de
la terre que j'habiterai, il faudra que j'y sois bien
malheureux s'il se passe une année sans vous donner des
preuves certaines de mon tendre attachement. Ne pleurez
pas...»
—Elles pleurent toutes quand elles veulent.
—«... Et ne combattez pas un projet que les reproches de
mon cœur m'ont enfin inspiré, et auxquels ils ne tarderont
pas à me ramener.» Et voilà Tanié parti pour Saint-
Domingue.
—Et parti tout à temps pour Mme Reymer et pour lui.
—Qu'en savez-vous?
—Je sais, tout aussi bien qu'on le peut savoir, que quand
Tanié lui conseilla de faire un choix, il était fait.
—Bon!
—Continuez votre récit.
—Tanié avait de l'esprit et une grande aptitude aux
affaires. Il ne tarda pas d'être connu. Il entra au conseil
souverain du Cap. Il s'y distingua par ses lumières et par
son équité. Il n'ambitionnait pas une grande fortune; il ne la
désirait qu'honnête et rapide. Chaque année, il en envoyait
une portion à Mme Reymer. Il revint au bout... de neuf à dix
ans; non, je ne crois pas que son absence ait été plus
longue... présenter à son amie un petit portefeuille qui
renfermait le produit de ses vertus et de ses travaux... et
heureusement pour Tanié, ce fut au moment où elle venait
de se séparer du dernier des successeurs de Tanié.
—Du dernier?
—Oui.
—Il en avait donc eu plusieurs?
—Assurément.
—Allez, allez.
—Mais je n'ai peut-être rien à vous dire que vous ne
sachiez mieux que moi.
—Qu'importe, allez toujours.
—Mme Reymer et Tanié occupaient un assez beau
logement rue Sainte-Marguerite, à ma porte. Je faisais
grand cas de Tanié, et je fréquentais sa maison, qui était,
sinon opulente, du moins fort aisée.
—Je puis vous assurer, moi, sans avoir compté avec la
Reymer, qu'elle avait mieux de quinze mille livres de rente
avant le retour de Tanié.
—À qui elle dissimulait sa fortune?
—Oui.
—Et pourquoi?
—C'est qu'elle était avare et rapace.
—Passe pour rapace; mais avare! une courtisane avare!...
Il y avait cinq à six ans que ces deux amants vivaient dans
la meilleure intelligence.
—Grâce à l'extrême finesse de l'une et à la confiance sans
bornes de l'autre.
—Oh! il est vrai qu'il était impossible à l'ombre d'un
soupçon d'entrer dans une âme aussi pure que celle de
Tanié. La seule chose dont je me sois quelquefois aperçu,
c'est que Mme Reymer avait bientôt oublié sa première
indigence; qu'elle était tourmentée de l'amour du faste et
de la richesse; qu'elle était humiliée qu'une aussi belle
femme allât à pied.
—Que n'allait-elle en carrosse?
—Et que l'éclat du vice lui en dérobait la bassesse. Vous
riez?... Ce fut alors que M. de Maurepas 1 forma le projet
d'établir au nord une maison de commerce. Le succès de
cette entreprise demandait un homme actif et intelligent. Il
jeta les yeux sur Tanié, à qui il avait confié la conduite de
plusieurs affaires importantes pendant son séjour au Cap,
et qui s'en était toujours acquitté à la satisfaction du
ministre. Tanié fut désolé de cette marque de distinction. Il
était si content, si heureux à côté de sa belle amie! Il
aimait; il était ou il se croyait aimé.
—C'est bien dit.
—Qu'est-ce que l'or pouvait ajouter à son bonheur? Rien.
Cependant le ministre insistait. Il fallait se déterminer, il
fallait s'ouvrir à Mme Reymer. J'arrivai chez lui précisément
sur la fin de cette scène fâcheuse. Le pauvre Tanié fondait
en larmes. «Qu'avez-vous donc, lui dis-je, mon ami?» Il me
dit en sanglotant: «C'est cette femme!» Mme Reymer
travaillait tranquillement à un métier de tapisserie. Tanié se
leva brusquement et sortit. Je restai seul avec son amie,
qui ne me laissa pas ignorer ce qu'elle qualifiait de la
déraison de Tanié. Elle m'exagéra la modicité de son état;
elle mit à son plaidoyer tout l'art dont un esprit délié sait
pallier les sophismes de l'ambition. «De quoi s'agit-il?
D'une absence de deux ou trois ans au plus.—C'est bien
du temps pour un homme que vous aimez et qui vous aime
autant que lui.—Lui, il m'aime? S'il m'aimait, balancerait-il
à me satisfaire?—Mais, madame, que ne le suivez-vous?
—Moi! je ne vais point là; et tout extravagant qu'il est, il ne
s'est point avisé de me le proposer. Doute-t-il de moi?—Je
n'en crois rien.—Après l'avoir attendu pendant douze ans, il
peut bien s'en reposer deux ou trois sur ma bonne foi.
Monsieur, c'est que c'est une de ces occasions singulières
qui ne se présentent qu'une fois dans la vie; et je ne veux
pas qu'il ait un jour à se repentir et à me reprocher peut-
être de l'avoir manquée.—Tanié ne regrettera rien, tant qu'il
aura le bonheur de vous plaire.—Cela est fort honnête;
mais soyez sûr qu'il sera très-content d'être riche quand je
serai vieille. Le travers des femmes est de ne jamais
penser à l'avenir; ce n'est pas le mien...» Le ministre était à
Paris. De la rue Sainte-Marguerite à son hôtel, il n'y avait
qu'un pas. Tanié y était allé, et s'était engagé. Il rentra l'œil
sec, mais l'âme serrée. «Madame, lui dit-il, j'ai vu M. de
Maurepas; il a ma parole. Je m'en irai, je m'en irai; et vous
serez satisfaite.—Ah! mon ami!...» Mme Reymer écarte
son métier, s'élance vers Tanié, jette ses bras autour de
son cou, l'accable de caresses et de propos doux. «Ah!
c'est pour cette fois que je vois que je vous suis chère.»
Tanié lui répondait froidement: «Vous voulez être riche.»
—Elle l'était, la coquine, dix fois plus qu'elle ne méritait....
«—Et vous le serez. Puisque c'est l'or que vous aimez, il
faut aller vous chercher de l'or.» C'était le mardi; et le
ministre avait fixé son départ au vendredi, sans délai.
J'allai lui faire mes adieux au moment où il luttait avec lui-
même, où il tâchait de s'arracher des bras de la belle,
indigne et cruelle Reymer. C'était un désordre d'idées, un
désespoir, une agonie, dont je n'ai jamais vu un second
exemple. Ce n'était pas de la plainte; c'était un long cri.
Mme Reymer était encore au lit. Il tenait une de ses mains. Il
ne cessait de dire et de répéter: «Cruelle femme! femme
cruelle! que te faut-il de plus que l'aisance dont tu jouis, et
un ami, un amant tel que moi? J'ai été lui chercher la
fortune dans les contrées brûlantes de l'Amérique; elle veut
que j'aille la lui chercher encore au milieu des glaces du
Nord. Mon ami, je sens que cette femme est folle; je sens
que je suis un insensé; mais il m'est moins affreux de
mourir que de la contrister. Tu veux que je te quitte; je vais
te quitter.» Il était à genoux au bord de son lit, la bouche
collée sur sa main et le visage caché dans les couvertures,
qui, en étouffant son murmure, ne le rendaient que plus
triste et plus effrayant. La porte de la chambre s'ouvrit; il
releva brusquement la tête; il vit le postillon qui venait lui
annoncer que les chevaux étaient à la chaise. Il fit un cri, et
recacha son visage sur les couvertures. Après un moment
de silence, il se leva; il dit à son amie: «Embrassez-moi,
madame; embrasse-moi encore une fois, car tu ne me
verras plus.» Son pressentiment n'était que trop vrai. Il
partit. Il arriva à Pétersbourg, et, trois jours après, il fut
attaqué d'une fièvre dont il mourut le quatrième.
—Je savais tout cela.
—Vous avez peut-être été un des successeurs de Tanié?
—Vous l'avez dit; et c'est avec cette belle abominable que
j'ai dérangé mes affaires.
—Ce pauvre Tanié!
—Il y a des gens dans le monde qui vous diront que c'est
un sot.
—Je ne le défendrai pas; mais je souhaiterai au fond de
mon cœur que leur mauvais destin les adresse à une
femme aussi belle et aussi artificieuse que Mme Reymer.
—Vous êtes cruel dans vos vengeances.
—Et puis, s'il y a des femmes méchantes et des hommes
très-bons, il y a aussi des femmes très-bonnes et des
hommes très-méchants; et ce que je vais ajouter n'est pas
plus un conte 2 que ce qui précède.
—J'en suis convaincu.
—M. d'Hérouville...
—Celui qui vit encore? le lieutenant général des armées du
roi? celui qui épousa cette charmante créature appelée
Lolotte 3 ?
—Lui-même.
—C'est un galant homme, ami des sciences.
—Et des savants. Il s'est longtemps occupé d'une histoire
générale de la guerre dans tous les siècles et chez toutes
les nations.
—Le projet est vaste.
—Pour le remplir, il avait appelé autour de lui quelques
jeunes gens d'un mérite distingué, tels que M. de
Montucla 5 , l'auteur de l'Histoire des Mathématiques.
—Diable! en avait-il beaucoup de cette force-là?
—Mais celui qui se nommait Gardeil, le héros de l'aventure
que je vais vous raconter, ne lui cédait guère dans sa
partie. Une fureur commune pour l'étude de la langue
grecque commença, entre Gardeil et moi, une liaison que
le temps, la réciprocité des conseils, le goût de la retraite,
et surtout la facilité de se voir, conduisirent à une assez
grande intimité.
—Vous demeuriez alors à l'Estrapade.
—Lui, rue Sainte-Hyacinthe, et son amie, Mlle de La Chaux,
place Saint-Michel. Je la nomme de son propre nom, parce
que la pauvre malheureuse n'est plus, parce que sa vie ne
peut que l'honorer dans tous les esprits bien faits et lui
mériter l'admiration, les regrets et les larmes de ceux que
la nature aura favorisés ou punis d'une petite portion de la
sensibilité de son âme.
—Mais votre voix s'entrecoupe, et je crois que vous
pleurez.
—Il me semble encore que je vois ses grands yeux noirs,
brillants et doux, et que le son de sa voix touchante
retentisse dans mon oreille et trouble mon cœur. Créature
charmante! créature unique! tu n'es plus! Il y a près de vingt
ans que tu n'es plus; et mon cœur se serre encore à ton
souvenir.
—Vous l'avez aimée?
—Non. Ô La Chaux! ô Gardeil! Vous fûtes l'un et l'autre
deux prodiges; vous, de la tendresse de la femme; vous,
de l'ingratitude de l'homme. Mlle de La Chaux était d'une
famille honnête. Elle quitta ses parents pour se jeter entre
les bras de Gardeil. Gardeil n'avait rien, Mlle de La Chaux
jouissait de quelque bien; et ce bien fut entièrement
sacrifié aux besoins et aux fantaisies de Gardeil. Elle ne
regretta ni sa fortune dissipée, ni son honneur flétri. Son
amant lui tenait lieu de tout.
—Ce Gardeil était donc bien séduisant, bien aimable?
—Point du tout. Un petit homme bourru, taciturne et
caustique; le visage sec, le teint basané; en tout, une figure
mince et chétive; laid, si un homme peut l'être avec la
physionomie de l'esprit.
—Et voilà ce qui avait renversé la tête à une fille
charmante?
—Et cela vous surprend?
—Toujours.
—Vous?
—Moi.
—Mais vous ne vous rappelez donc plus votre aventure
avec la Deschamps et le profond désespoir où vous
tombâtes lorsque cette créature vous ferma sa porte?
—Laissons cela; continuez.
—Je vous disais: «Elle est donc bien belle?» Et vous me
répondiez tristement: «Non.—Elle a donc bien de l'esprit?
—C'est une sotte.—Ce sont donc ses talents qui vous
entraînent?—Elle n'en a qu'un.—Et ce rare, ce sublime, ce
merveilleux talent?—C'est de me rendre plus heureux entre
ses bras que je ne le fus jamais entre les bras d'aucune
autre femme.» Mais Mlle de La Chaux, l'honnête, la
sensible Mlle de La Chaux se promettait secrètement,
d'instinct, à son insu, le bonheur que vous connaissiez, et
qui vous faisait dire de la Deschamps: «Si cette
malheureuse, si cette infâme s'obstine à me chasser de
chez elle, je prends un pistolet, et je me brise la cervelle
dans son antichambre.» L'avez-vous dit, ou non?
—Je l'ai dit; et même à présent, je ne sais pourquoi je ne
l'ai pas fait.
—Convenez donc.
—Je conviens de tout ce qu'il vous plaira.
—Mon ami, le plus sage d'entre nous est bien heureux de
n'avoir pas rencontré la femme belle ou laide, spirituelle ou
sotte, qui l'aurait rendu fou à enfermer aux Petites-Maisons.
Plaignons beaucoup les hommes, blâmons-les sobrement;
regardons nos années passées comme autant de
moments dérobés à la méchanceté qui nous suit; et ne
pensons jamais qu'en tremblant à la violence de certains
attraits de nature, surtout pour les âmes chaudes et les
imaginations ardentes. L'étincelle qui tombe fortuitement
sur un baril de poudre ne produit pas un effet plus terrible.
Le doigt prêt à secouer sur vous ou sur moi cette fatale
étincelle est peut-être levé.
M. d'Hérouville, jaloux d'accélérer son ouvrage, excédait de
fatigue ses coopérateurs. La santé de Gardeil en fut
altérée. Pour alléger sa tâche, Mlle de La Chaux apprit
l'hébreu; et tandis que son ami reposait, elle passait une
partie de la nuit à interpréter et transcrire des lambeaux
d'auteurs hébreux. Le temps de dépouiller les auteurs
grecs arriva; Mlle de La Chaux se hâta de se perfectionner
dans cette langue dont elle avait déjà quelque teinture: et
tandis que Gardeil dormait elle était occupée à traduire et
à copier des passages de Xénophon et de Thucydide. À la
connaissance du grec et de l'hébreu, elle joignit celle de
l'italien et de l'anglais. Elle posséda l'anglais au point de
rendre en français les premiers essais de la métaphysique
de Hume; ouvrage où la difficulté de la matière ajoutait
infiniment à celle de l'idiome. Lorsque l'étude avait épuisé
ses forces, elle s'amusait à graver de la musique.
Lorsqu'elle craignait que l'ennui ne s'emparât de son
amant, elle chantait. Je n'exagère rien, j'en atteste M. Le
Camus, docteur en médecine, qui l'a consolée dans ses
peines et secourue dans son indigence; qui lui a rendu les
services les plus continus; qui l'a suivie dans un grenier où
sa pauvreté l'avait reléguée, et qui lui a fermé les yeux
quand elle est morte. Mais j'oublie un de ses premiers
malheurs; c'est la persécution qu'elle eut à souffrir d'une
famille indignée d'un attachement public et scandaleux. On
employa et la vérité et le mensonge, pour disposer de sa
liberté d'une manière infamante. Ses parents et les prêtres
la poursuivirent de quartier en quartier, de maison en
maison, et la réduisirent plusieurs années à vivre seule et
cachée. Elle passait les journées à travailler pour Gardeil.
Nous lui apparaissions la nuit; et à la présence de son
amant, tout son chagrin, toute son inquiétude était
évanouie.
—Quoi! jeune, pusillanime, sensible au milieu de tant de
traverse, elle était heureuse.
—Heureuse! Oui elle ne cessa de l'être que quand Gardeil
fut ingrat.
—Mais il est impossible que l'ingratitude ait été la
récompense de tant de qualités rares, tant de marques de
tendresse, tant de sacrifices de toute espèce.
—Vous vous trompez, Gardeil fut ingrat. Un jour, M lle de La
Chaux se trouva seule dans ce monde, sans honneur, sans
fortune, sans appui. Je vous en impose, je lui restai
pendant quelque temps. Le docteur Le Camus lui resta
toujours.
—Ô les hommes, les hommes!
—De qui parlez-vous?
—De Gardeil.
—Vous regardez le méchant; et vous ne voyez pas tout à
côté l'homme de bien. Ce jour de douleur et de désespoir,
elle accourut chez moi. C'était le matin. Elle était pâle
comme la mort. Elle ne savait son sort que de la veille, et
elle offrait l'image des longues souffrances. Elle ne pleurait
pas; mais on voyait qu'elle avait beaucoup pleuré. Elle se
jeta dans un fauteuil; elle ne parlait pas; elle ne pouvait
parler; elle me tendait les bras, et en même temps elle
poussait des cris. «Qu'est-ce qu'il y a, lui dis-je? Est-ce
qu'il est mort?...—C'est pis: il ne m'aime plus; il
m'abandonne...»
—Allez donc.
—Je ne saurais; je la vois, je l'entends; et mes yeux se
remplissent de pleurs. «Il ne vous aime plus?...—Non.—Il
vous abandonne!—Eh! oui. Après tout ce que j'ai fait!...
Monsieur, ma tête s'embarrasse; ayez pitié de moi; ne me
quittez pas... surtout ne me quittez pas...» En prononçant
ces mots, elle m'avait saisi le bras, qu'elle me serrait
fortement, comme s'il y avait eu près d'elle quelqu'un qui la
menaçât de l'arracher et de l'entraîner... «Ne craignez rien,
mademoiselle.—Je ne crains que moi.—Que faut-il faire
pour vous?—D'abord, me sauver de moi-même... Il ne
m'aime plus! je le fatigue! je l'excède! je l'ennuie! il me hait!
il m'abandonne! il me laisse! il me laisse!» À ce mot répété
succéda un silence profond; et à ce silence, des éclats d'un
rire convulsif plus effrayants mille fois que les accents du
désespoir ou le râle de l'agonie. Ce furent ensuite des
pleurs, des cris, des mots inarticulés, des regards tournés
vers le ciel, des lèvres tremblantes, un torrent de douleurs
qu'il fallait abandonner à son cours; ce que je fis: et je ne
commençai à m'adresser à sa raison, que quand je vis son
âme brisée et stupide. Alors je repris: «Il vous hait, il vous
laisse! et qui est-ce qui vous l'a dit?—Lui.—Allons,
mademoiselle, un peu d'espérance et de courage. Ce n'est
pas un monstre...—Vous ne le connaissez pas; vous le
connaîtrez. C'est un monstre comme il n'y en a point,
comme il n'y en eut jamais.—Je ne saurais le croire.—
Vous le verrez.—Est-ce qu'il aime ailleurs?—Non.—Ne lui
avez-vous donné aucun soupçon, aucun mécontentement?
—Aucun, aucun.—Qu'est-ce donc?—Mon inutilité. Je n'ai
plus rien. Je ne suis plus bonne à rien. Son ambition; il a
toujours été ambitieux. La perte de ma santé, celle de mes
charmes: j'ai tant souffert et tant fatigué; l'ennui, le dégoût.
—On cesse d'être amants, mais on reste amis.—Je suis
devenue un objet insupportable; ma présence lui pèse, ma
vue l'afflige et le blesse. Si vous saviez ce qu'il m'a dit! Oui,
monsieur, il m'a dit que s'il était condamné à passer vingt-
quatre heures avec moi, il se jetterait par les fenêtres.—
Mais cette aversion n'est pas l'ouvrage d'un moment.—Que
sais-je? Il est naturellement si dédaigneux! si indifférent! si
froid! Il est si difficile de lire au fond de ces âmes! et l'on a
tant de répugnance à lire son arrêt de mort! Il me l'a
prononcé, et avec quelle dureté!—Je n'y conçois rien.—J'ai
une grâce à vous demander, et c'est pour cela que je suis
venue: me l'accorderez-vous?—Quelle qu'elle soit.—
Écoutez. Il vous respecte; vous savez tout ce qu'il me doit.
Peut-être rougira-t-il de se montrer à vous tel qu'il est. Non,
je ne crois pas qu'il en ait le front ni la force. Je ne suis
qu'une femme, et vous êtes un homme. Un homme tendre,
honnête et juste en impose. Vous lui en imposerez.
Donnez-moi le bras, et ne refusez pas de m'accompagner
chez lui. Je veux lui parler devant vous. Qui sait ce que ma
douleur et votre présence pourront faire sur lui? Vous
m'accompagnerez?—Très-volontiers.—Allons...»
—Je crains bien que sa douleur et sa présence n'y fassent
que de l'eau claire. Le dégoût! c'est une terrible chose que
le dégoût en amour, et d'une femme!...
—J'envoyai chercher une chaise à porteurs; car elle n'était
guère en état de marcher. Nous arrivons chez Gardeil, à
cette grande maison neuve, la seule qu'il y ait à droite dans
la rue Hyacinthe, en entrant par la place Saint-Michel. Là,
les porteurs arrêtent; ils ouvrent. J'attends. Elle ne sort
point. Je m'approche, et je vois une femme saisie d'un
tremblement universel; ses dents se frappaient comme
dans le frisson de la fièvre; ses genoux se battaient l'un
contre l'autre. «Un moment, monsieur; je vous demande
pardon; je ne saurais... Que vais-je faire là? Je vous aurai
dérangé de vos affaires inutilement; j'en suis fâchée; je
vous demande pardon...» Cependant je lui tendais le bras.
Elle le prit, elle essaya de se lever; elle ne le put. «Encore
un moment, monsieur, me dit-elle; je vous fais peine; vous
pâtissez de mon état...» Enfin elle se rassura un peu; et en
sortant de la chaise, elle ajouta tout bas: «Il faut entrer; il
faut le voir. Que sait-on? j'y mourrai peut-être...» Voilà la
cour traversée; nous voilà à la porte de l'appartement; nous
voilà dans le cabinet de Gardeil. Il était à son bureau, en
robe de chambre, en bonnet de nuit. Il me fit un salut de la
main, et continua le travail qu'il avait commencé. Ensuite il
vint à moi, et me dit: «Convenez, monsieur, que les
femmes sont bien incommodes. Je vous fais mille excuses
des extravagances de mademoiselle.» Puis s'adressant à
la pauvre créature, qui était plus morte que vive:
«Mademoiselle, lui dit-il, que prétendez-vous encore de
moi? Il me semble qu'après la manière nette et précise
dont je me suis expliqué, tout doit être fini entre nous. Je
vous ai dit que je ne vous aimais plus; je vous l'ai dit seul à
seul; votre dessein est apparemment que je vous le répète
devant monsieur: eh bien, mademoiselle, je ne vous aime
plus. L'amour est un sentiment éteint dans mon cœur pour
vous; et j'ajouterai, si cela peut vous consoler, pour toute
autre femme.—Mais apprenez-moi pourquoi vous ne
m'aimez plus?—Je l'ignore; tout ce que je sais, c'est que
j'ai commencé sans savoir pourquoi; que j'ai cessé sans
savoir pourquoi; et que je sens qu'il est impossible que
cette passion revienne. C'est une gourme que j'ai jetée, et
dont je me crois et me félicite d'être parfaitement guéri.—
Quels sont mes torts?—Vous n'en avez aucun.—Auriez-
vous quelque objection secrète à faire à ma conduite?—
Pas la moindre; vous avez été la femme la plus constante,
la plus honnête, la plus tendre qu'un homme pût désirer.—
Ai-je omis quelque chose qu'il fût en mon pouvoir de faire?
—Rien.—Ne vous ai-je pas sacrifié mes parents?—Il est
vrai.—Ma fortune.—J'en suis au désespoir.—Ma santé?—
Cela se peut.—Mon honneur, ma réputation, mon repos?—
Tout ce qu'il vous plaira.—Et je te suis odieuse!—Cela est
dur à dire, dur à entendre, mais puisque cela est, il faut en
convenir.—Je lui suis odieuse!... Je le sens, et ne m'en
estime pas davantage!... Odieuse! ah! dieux!...» À ces
mots une pâleur mortelle se répandit sur son visage; ses
lèvres se décolorèrent; les gouttes d'une sueur froide, qui
se formait sur ses joues, se mêlaient aux larmes qui
descendaient de ses yeux; ils étaient fermés; sa tête se
renversa sur le dos de son fauteuil; ses dents se serrèrent;
tous ses membres tressaillaient; à ce tressaillement
succéda une défaillance qui me parut l'accomplissement
de l'espérance qu'elle avait conçue à la porte de cette
maison. La durée de cet état acheva de m'effrayer. Je lui
ôtai son mantelet; je desserrai les cordons de sa robe; je
relâchai ceux de ses jupons, et je lui jetai quelques gouttes
d'eau fraîche sur le visage. Ses yeux se rouvrirent à demi; il
se fit entendre un murmure sourd dans sa gorge; elle
voulait prononcer: Je lui suis odieuse; et elle n'articulait que
les dernières syllabes du mot; puis elle poussait un cri aigu.
Ses paupières s'abaissaient; et l'évanouissement
reprenait. Gardeil, froidement assis dans son fauteuil, son
coude appuyé sur la table et sa tête appuyée sur sa main,
la regardait sans émotion, et me laissait le soin de la
secourir. Je lui dis à plusieurs reprises: «Mais, monsieur,
elle se meurt... il faudrait appeler.» Il me répondit en
souriant et haussant les épaules: «Les femmes ont la vie
dure; elles ne meurent pas pour si peu; ce n'est rien; cela
se passera. Vous ne les connaissez pas; elles font de leur
corps tout ce qu'elles veulent...—Elle se meurt, vous dis-
je.» En effet, son corps était comme sans force et sans vie;
il s'échappait de dessus son fauteuil, et elle serait tombée
à terre de droite ou de gauche, si je ne l'avais retenue.
Cependant Gardeil s'était levé brusquement; et en se
promenant dans son appartement, il disait d'un ton
d'impatience et d'humeur: «Je me serais bien passé de
cette maussade scène; mais j'espère bien que ce sera la
dernière. À qui diable en veut cette créature? Je l'ai aimée;
je me battrais la tête contre le mur qu'il n'en serait ni plus ni
moins. Je ne l'aime plus; elle le sait à présent, ou elle ne le
saura jamais. Tout est dit...—Non, monsieur, tout n'est pas
dit. Quoi! vous croyez qu'un homme de bien n'a qu'à
dépouiller une femme de tout ce qu'elle a, et la laisser.—
Que voulez-vous que je fasse? je suis aussi gueux qu'elle.
—Ce que je veux que vous fassiez? que vous associiez
votre misère à celle où vous l'avez réduite.—Cela vous plaît
à dire. Elle n'en serait pas mieux, et j'en serais beaucoup
plus mal.—En useriez-vous ainsi avec un ami qui vous
aurait tout sacrifié?—Un ami! un ami! je n'ai pas grande foi
aux amis; et cette expérience m'a appris à n'en avoir
aucune aux passions. Je suis fâché de ne l'avoir pas su
plus tôt.—Et il est juste que cette malheureuse soit la
victime de l'erreur de votre cœur.—Et qui vous a dit qu'un
mois, un jour plus tard, je ne l'aurais pas été, moi, tout aussi
cruellement, de l'erreur du sien?—Qui me l'a dit? tout ce
qu'elle a fait pour vous, et l'état où vous la voyez.—Ce
qu'elle a fait pour moi!... Oh! pardieu, il est acquitté de
reste par la perte de mon temps.—Ah! monsieur Gardeil,
quelle comparaison de votre temps et de toutes les choses
sans prix que vous lui avez enlevées!—Je n'ai rien fait, je
ne suis rien, j'ai trente ans; il est temps ou jamais de
penser à soi, et d'apprécier toutes ces fadaises-là ce
qu'elles valent...»
Cependant la pauvre demoiselle était un peu revenue à
elle-même. À ces derniers mots, elle reprit avec assez de
vivacité: «Qu'a-t-il dit de la perte de son temps? J'ai appris
quatre langues, pour le soulager dans ses travaux; j'ai lu
mille volumes; j'ai écrit, traduit, copié les jours et les nuits;
j'ai épuisé mes forces, usé mes yeux, brûlé mon sang; j'ai
contracté une maladie fâcheuse, dont je ne guérirai peut-
être jamais. La cause de son dégoût, il n'ose l'avouer; mais
vous allez la connaître.» À l'instant elle arrache son fichu;
elle sort un de ses bras de sa robe; elle met son épaule à
nu; et, me montrant une tache érysipélateuse: «La raison
de son changement, la voilà, me dit-elle, la voilà; voilà l'effet
des nuits que j'ai veillées. Il arrivait le matin avec ses
rouleaux de parchemin. M. d'Hérouville, me disait-il, est
très-pressé de savoir ce qu'il y a là dedans; il faudrait que
cette besogne fût faite demain; et elle l'était...» Dans ce
moment, nous entendîmes le pas de quelqu'un qui
s'avançait vers la porte; c'était un domestique qui
annonçait l'arrivée de M. d'Hérouville. Gardeil en pâlit.
J'invitai Mlle de La Chaux à se rajuster et à se retirer...
«Non, dit-elle, non; je reste. Je veux démasquer l'indigne.
J'attendrai M. d'Hérouville, je lui parlerai.—Et à quoi cela
servira-t-il?—À rien, me répondit-elle; vous avez raison.—
Demain vous en seriez désolée. Laissez-lui tous ses torts;
c'est une vengeance digne de vous.—Mais est-elle digne
de lui? Est-ce que vous ne voyez pas que cet homme-là
n'est... Partons, monsieur, partons vite; car je ne puis
répondre ni de ce que je ferais, ni de ce que je dirais...»
Mlle de La Chaux répara en un clin d'œil le désordre que
cette scène avait mis dans ses vêtements, s'élança
comme un trait hors du cabinet de Gardeil. Je la suivis, et
j'entendis la porte qui se fermait sur nous avec violence.
Depuis, j'ai appris qu'on avait donné son signalement au
portier.
Je la conduisis chez elle, où je trouvai le docteur Le
Camus, qui nous attendait. La passion qu'il avait prise pour
cette jeune fille différait peu de celle qu'elle ressentait pour
Gardeil. Je lui fis le récit de notre visite; et tout à travers les
signes de sa colère, de sa douleur, de son indignation...
—Il n'était pas trop difficile de démêler sur son visage que
votre peu de succès ne lui déplaisait pas trop.
—Il est vrai.
—Voilà l'homme. Il n'est pas meilleur que cela.
—Cette rupture fut suivie d'une maladie violente, pendant
laquelle le bon, l'honnête, le tendre et délicat docteur lui
rendait des soins qu'il n'aurait pas eus pour la plus grande
dame de France. Il venait trois, quatre fois par jour. Tant
qu'il y eut du péril, il coucha dans sa chambre, sur un lit de
sangle. C'est un bonheur qu'une maladie dans les grands
chagrins.
—En nous rapprochant de nous, elle écarte le souvenir des
autres. Et puis c'est un prétexte pour s'affliger sans
indiscrétion et sans contrainte.
—Cette réflexion, juste d'ailleurs, n'était pas applicable à
Mlle de La Chaux.
Pendant sa convalescence, nous arrangeâmes l'emploi de
son temps. Elle avait de l'esprit, de l'imagination, du goût,
des connaissances, plus qu'il n'en fallait pour être admise à
l'Académie des inscriptions. Elle nous avait tant et tant
entendus métaphysiquer, que les matières les plus
abstraites lui étaient devenues familières; et sa première
tentative littéraire fut la traduction des Essais sur
l'entendement humain, de Hume. Je la revis; et, en vérité,
elle m'avait laissé bien peu de chose à rectifier. Cette
traduction fut imprimée en Hollande et bien accueillie du
public.
Ma Lettre sur les Sourds et Muets parut presque en même
temps. Quelques objections très-fines qu'elle me proposa
donnèrent lieu à une addition qui lui fut dédiée 6 . Cette
addition n'est pas ce que j'ai fait de plus mal.
La gaieté de Mlle de La Chaux était un peu revenue. Le
docteur nous donnait quelquefois à manger, et ces dîners
n'étaient pas trop tristes. Depuis l'éloignement de Gardeil,
la passion de Le Camus avait fait de merveilleux progrès.
Un jour, à table, au dessert, qu'il s'en expliquait avec toute
l'honnêteté, toute la sensibilité, toute la naïveté d'un enfant,
toute la finesse d'un homme d'esprit, elle lui dit, avec une
franchise qui me plut infiniment, mais qui déplaira peut-être
à d'autres: «Docteur, il est impossible que l'estime que j'ai
pour vous s'accroisse jamais. Je suis comblée de vos
services; et je serais aussi noire que le monstre de la rue
Hyacinthe, si je n'étais pénétrée de la plus vive
reconnaissance. Votre tour d'esprit me plaît on ne saurait
davantage. Vous me parlez de votre passion avec tant de
délicatesse et de grâce, que je serais, je crois, fâchée que
vous ne m'en parlassiez plus. La seule idée de perdre
votre société ou d'être privée de votre amitié suffirait pour
me rendre malheureuse. Vous êtes un homme de bien, s'il
en fut jamais. Vous êtes d'une bonté et d'une douceur de
caractère incomparables. Je ne crois pas qu'un cœur
puisse tomber en de meilleures mains. Je prêche le mien
du matin au soir en votre faveur; mais a beau prêcher qui
n'a envie de bien faire. Je n'en avance pas davantage.
Cependant vous souffrez; et j'en ressens une peine cruelle.
Je ne connais personne qui soit plus digne que vous du
bonheur que vous sollicitez, et je ne sais ce que je
n'oserais pas pour vous rendre heureux. Tout le possible,
sans exception. Tenez, docteur, j'irais... oui, j'irais jusqu'à
coucher... jusque-là inclusivement. Voulez-vous coucher
avec moi? vous n'avez qu'à dire. Voilà tout ce que je puis
faire pour votre service; mais vous voulez être aimé, et
c'est ce que je ne saurais.»
Le docteur l'écoutait, lui prenait la main, la baisait, la
mouillait de ses larmes; et moi, je ne savais si je devais
rire ou pleurer. M lle de La Chaux connaissait bien le
docteur; et le lendemain que je lui disais: «Mais,
mademoiselle, si le docteur vous eût prise au mot?» elle
me répondit: «J'aurais tenu ma parole; mais cela ne
pouvait arriver; mes offres n'étaient pas de nature à pouvoir
être acceptées par un homme tel que lui...—Pourquoi non?
Il me semble qu'à la place du docteur, j'aurais espéré que
le reste viendrait après.—Oui; mais à la place du docteur,
Mlle de La Chaux ne vous aurait pas fait la même
proposition.»
La traduction de Hume ne lui avait pas rendu grand argent.
Les Hollandais impriment tant qu'on veut, pourvu qu'ils ne
payent rien.
—Heureusement pour nous; car, avec les entraves qu'on
donne à l'esprit, s'ils s'avisent une fois de payer les
auteurs, ils attireront chez eux tout le commerce de la
librairie.
—Nous lui conseillâmes de faire un ouvrage d'agrément,
auquel il y aurait moins d'honneur et plus de profit. Elle s'en
occupa pendant quatre à cinq mois, au bout desquels elle
m'apporta un petit roman historique, intitulé: les Trois
Favorites. Il y avait de la légèreté de style, de la finesse et
de l'intérêt; mais, sans qu'elle s'en fût doutée, car elle était
incapable d'aucune malice, il était parsemé d'une multitude
de traits applicables à la maîtresse du souverain, la
marquise de Pompadour; et je ne lui dissimulai pas que,
quelque sacrifice qu'elle fît, soit en adoucissant, soit en
supprimant ces endroits, il était presque impossible que
son ouvrage parût sans la compromettre, et que le chagrin
de gâter ce qui était bien ne la garantirait pas d'un autre.
Elle sentit toute la justesse de mon observation et n'en fut
que plus affligée. Le bon docteur prévenait tous ses
besoins; mais elle usait de sa bienfaisance avec d'autant
plus de réserve, qu'elle se sentait moins disposée à la
sorte de reconnaissance qu'il en pouvait espérer.
D'ailleurs, le docteur 7 n'était pas riche alors; et il n'était
pas trop fait pour le devenir. De temps en temps, elle tirait
son manuscrit de son portefeuille; et elle me disait
tristement: «Eh bien! il n'y a donc pas moyen d'en rien
faire; et il faut qu'il reste là.» Je lui donnai un conseil
singulier, ce fut d'envoyer l'ouvrage tel qu'il était, sans
adoucir, sans changer, à M me de Pompadour même, avec
un bout de lettre qui la mît au fait de cet envoi. Cette idée
lui plut. Elle écrivit une lettre charmante de tous points,
mais surtout par un ton de vérité auquel il était impossible
de se refuser. Deux ou trois mois s'écoulèrent sans qu'elle
entendît parler de rien; et elle tenait la tentative pour
infructueuse, lorsqu'une croix de Saint-Louis se présenta
chez elle avec une réponse de la marquise. L'ouvrage y
était loué comme il le méritait; on remerciait du sacrifice;
on convenait des applications, on n'en était point offensée;
et l'on invitait l'auteur à venir à Versailles, où l'on trouverait
une femme reconnaissante et disposée à rendre les
services qui dépendraient d'elle. L'envoyé, en sortant de
chez Mlle de La Chaux, laissa adroitement sur sa cheminée
un rouleau de cinquante louis.
Nous la pressâmes, le docteur et moi, de profiter de la
bienveillance de Mme de Pompadour; mais nous avions
affaire à une fille dont la modestie et la timidité égalaient le
mérite. Comment se présenter là avec ses haillons? Le
docteur leva tout de suite cette difficulté. Après les habits,
ce furent d'autres prétextes, et puis d'autres prétextes
encore. Le voyage de Versailles fut différé de jour en jour,
jusqu'à ce qu'il ne convenait presque plus de le faire. Il y
avait déjà du temps que nous ne lui en parlions pas,
lorsque le même émissaire revint, avec une seconde lettre
remplie des reproches les plus obligeants et une autre
gratification équivalente à la première et offerte avec le
même ménagement. Cette action généreuse de Mme de
Pompadour n'a point été connue. J'en ai parlé à M. Collin,
son homme de confiance et le distributeur de ses grâces
secrètes. Il l'ignorait; et j'aime à me persuader que ce n'est
pas la seule que sa tombe recèle.
Ce fut ainsi que Mlle de La Chaux manqua deux fois
l'occasion de se tirer de la détresse.
Depuis, elle transporta sa demeure sur les extrémités de la
ville, et je la perdis tout à fait de vue. Ce que j'ai su du reste
de sa vie, c'est qu'il n'a été qu'un tissu de chagrins,
d'infirmités et de misère. Les portes de sa famille lui furent
opiniâtrement fermées. Elle sollicita inutilement
l'intercession de ces saints personnages qui l'avaient
persécutée avec tant de zèle.
—Cela est dans la règle.
—Le docteur ne l'abandonna point. Elle mourut sur la paille,
dans un grenier, tandis que le petit tigre de la rue
Hyacinthe, le seul amant qu'elle ait eu, exerçait la
médecine à Montpellier ou à Toulouse, et jouissait, dans la
plus grande aisance, de la réputation méritée d'habile
homme, et de la réputation usurpée d'honnête homme.
—Mais cela est encore à peu près dans la règle. S'il y a un
bon et honnête Tanié, c'est à une Reymer que la
Providence l'envoie; s'il y a une bonne et honnête de La
Chaux, elle deviendra le partage d'un Gardeil 8 , afin que
tout soit fait pour le mieux.
Mais on me dira peut-être que c'est aller trop vite que de
prononcer définitivement sur le caractère d'un homme
d'après une seule action; qu'une règle aussi sévère
réduirait le nombre des gens de bien au point d'en laisser
moins sur la terre que l'Évangile du chrétien n'admet d'élus
dans le ciel; qu'on peut être inconstant en amour, se piquer
même de peu de religion avec les femmes, sans être
dépourvu d'honneur et de probité; qu'on n'est le maître ni
d'arrêter une passion qui s'allume, ni d'en prolonger une qui
s'éteint; qu'il y a déjà assez d'hommes dans les maisons et
les rues qui méritent à juste titre le nom de coquins, sans
inventer des crimes imaginaires qui les multiplieraient à
l'infini. On me demandera si je n'ai jamais ni trahi, ni
trompé, ni délaissé aucune femme sans sujet. Si je voulais
répondre à ces questions, ma réponse ne demeurerait pas
sans réplique, et ce serait une dispute à ne finir qu'au
jugement dernier. Mais mettez la main sur la conscience, et
dites-moi, vous, monsieur l'apologiste des trompeurs et
des infidèles, si vous prendriez le docteur de Toulouse
pour votre ami?... Vous hésitez? Tout est dit; et sur ce, je
prie Dieu de tenir en sa sainte garde toute femme à qui il
vous prendra fantaisie d'adresser votre hommage.
NOTES
Note du transcripteur: Les mentions (N.) et (Br.)
désignent les notes tirées respectivement des
écrits et de l'édition de Naigeon, et de l'édition de
Brière. Les notes d'Assézat ne portent pas de
marque particulière.

[1] En 1749, M. de Maurepas, encore ministre de la


marine, remit à Louis XV un mémoire dans lequel il
développait les moyens d'ouvrir, par l'intérieur du Canada,
un commerce avec les colonies anglaises. Ce projet fut
adopté par la suite, et Maurepas le vit exécuté avant sa
mort. (Br.)
[2] Ce mot seul suffirait pour ôter au lecteur toute
confiance dans le récit qui va suivre; et cependant il est
littéralement vrai. Diderot n'ajoute rien ni aux événements,
ni au caractère des personnages qu'il met en scène. La
passion de Mlle de La Chaux pour Gardeil, l'ingratitude
monstrueuse de son amant, les détails de son entrevue
avec lui, de leur conversation en présence de Diderot, qui
l'avait accompagnée chez cette bête féroce; le désespoir
touchant de cette femme trahie, délaissée par celui à qui
elle avait sacrifié son repos, sa fortune, sa réputation, sa
santé, et jusqu'aux charmes mêmes par lesquels elle l'avait
séduit: tout cela est de la plus grande exactitude. Comme
Diderot avait particulièrement connu les acteurs de ce
drame, et que les faits dont il avait été témoin, ou que
l'amitié lui avait confiés, étaient encore récents lorsqu'il
résolut de les écrire, son imagination n'avait pas eu le
temps de les altérer, en ajoutant ou en retranchant quelque
circonstance pour produire un plus grand effet: et c'est
encore ici un de ces cas assez rares dans l'histoire de sa
vie, où il n'a dit que ce qu'il avait vu, et où il n'a vu que ce
qui était.
Aux particularités curieuses qu'il avait recueillies sur Mlle
de La Chaux, et qu'il a consignées dans cet écrit, je
n'ajouterai qu'un fait, qu'il a omis par oubli et qui mérite
d'être conservé; c'est que cette femme si tendre, si
passionnée, si intéressante par son extrême sensibilité et
par ses malheurs, si digne surtout d'un meilleur sort, avait
eu aussi pour amis D'Alembert et l'abbé de Condillac. Elle
était en état d'entendre et de juger les ouvrages de ces
deux philosophes; elle avait même donné au dernier, dont
elle avait lu l'Essai sur l'origine des connaissances
humaines, le conseil très-sage de revenir sur ses
premières pensées, et, pour me servir de son expression,
de commencer par le commencement; c'est-à-dire de
rejeter avec Hobbes l'hypothèse absurde de la distinction
des deux substances dans l'homme. J'ose dire que cette
vue très-philosophique, cette seule idée de Mlle de La
Chaux suppose plus d'étendue, de justesse et de
profondeur dans l'esprit, que toute la métaphysique de
Condillac, dans laquelle il y a en effet un vice radical et
destructeur qui influe sur tout le système, et qui en rend les
résultats plus ou moins vagues et incertains. On voit que
Mlle de La Chaux l'avait senti; et l'on regrette que Condillac,
plus docile aux conseils judicieux de cette femme éclairée
et d'une pénétration peu commune, n'ait pas suivi la route
qu'elle lui indiquait. Il n'aurait pas semé de tant d'erreurs
celle qu'il s'est tracée, et sur laquelle on ne peut que
s'égarer avec lui, comme cela arrive tous les jours à ceux
qui le prennent pour guide. Voyez, sur ce philosophe, les
réflexions préliminaires qui servent d'introduction à son
article, dans l'Encyclopédie méthodique, Dictionnaire de la
Philosophie ancienne et moderne, t. II, et ce que j'en ai dit
encore dans mes Mémoires historiques et philosophiques
sur la vie et les ouvrages de Diderot. (N.)
[3] Antoine de Ricouart, comte d'Hérouville, né à Paris en
1713, est auteur du Traité des Légions , qui porte le nom
du maréchal de Saxe 4 . Paris, 1757. Il a fourni des
Mémoires curieux aux rédacteurs de l'Encyclopédie. On
voulut le porter au ministère sous Louis XV, mais un
mariage inégal l'en fit exclure. Il mourut en 1782. (Br.)
[4] Dans les trois premières éditions seulement.
L'ouvrage avait été imprimé d'abord sur une copie
communiquée au maréchal, et trouvée dans ses papiers.
[5] Montucla n'avait que trente ans lorsqu'il publia son
Histoire des Mathématiques. Paris, 1758. Elle a été revue
et achevée par Lalande. Paris, 1799-1802. (Br.)
[6] Voir t. 1er, p. 399.
[7] Le Camus (Antoine), qui a laissé après lui d'autres
souvenirs de bienfaisance, était né à Paris en 1722.
On lui doit un grand nombre d'ouvrages de médecine et de
littérature. Nous citerons seulement: La Médecine de
l'Esprit, Paris, 1753. Projet d'anéantir la petite vérole,
1767. Médecine pratique rendue plus simple, plus sûre et
plus méthodique, 1769. Plusieurs Mémoires sur différents
sujets de médecine. Abdéker, ou l'Art de conserver la
beauté, 1754-1756. L'Amour et l'Amitié, comédie, 1763.
Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé , traduites du
grec de Longus, par Amyot, avec une double traduction,
Paris, 1757. Cette nouvelle traduction de Le Camus mérite
encore d'être lue après celle que vient de publier M.
Courier à Sainte-Pélagie, où il était détenu pour un écrit sur
l'acquisition du domaine de Chambord. Paris, 1821. (Br.)
[8] Gardeil est mort le 19 avril 1808, à l'âge de quatre-
vingt-deux ans. On a de lui une Traduction des Œuvres
médicales d'Hippocrate, sur le texte grec, d'après l'édition
de Foës; Toulouse, 1801. (Br.)—C'est à Montpellier qu'il
exerçait.
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Denis Diderot
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are a few
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even without complying with the full terms of this
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paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do
with Project
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tm electronic
works. See paragraph 1.E below.

1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation


("the Foundation"
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If an
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works based on the work as long as all references to
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are removed. Of course, we hope that you will support the
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Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.
Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.
1.F.

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considerable
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and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
electronic
works, and the medium on which they may be stored, may
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1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain


implied
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If any disclaimer or limitation set forth in this
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1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the


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following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project
Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or
deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.

Section 2 . Information about the Mission of Project


Gutenberg-tm
Project Gutenberg-tm is synonymous with the free
distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety
of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and
donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers


with the
assistance they need are critical to reaching Project
Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm
collection will
remain freely available for generations to come. In 2001,
the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to
provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections
3 and 4
and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg


Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non


profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws
of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the
Internal
Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax
identification
number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project
Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full
extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan


Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees
are scattered
throughout numerous locations. Its business office is
located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-
1887, email
[email protected]. Email contact links and up to date
contact
information can be found at the Foundation's web site and
official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:


Dr. Gregory B. Newby
Chief Executive and Director
[email protected]

Section 4. Information about Donations to the Project


Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive


without wide
spread public support and donations to carry out its
mission of
increasing the number of public domain and licensed works
that can be
freely distributed in machine readable form accessible by
the widest
array of equipment including outdated equipment. Many
small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining
tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws


regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the
United
States. Compliance requirements are not uniform and it
takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet
and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in
locations
where we have not received written confirmation of
compliance. To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for
any
particular state visit http://pglaf.org
While we cannot and do not solicit contributions from
states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no
prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in
such states who
approach us with offers to donate.
International donations are gratefully accepted, but we
cannot make
any statements concerning tax treatment of donations
received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small
staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current


donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number
of other
ways including including checks, online payments and
credit card
d o n a t i o n s . To donate, please visit:
http://pglaf.org/donate

Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm


electronic
works.
Professor Michael S. Hart is the originator of the Project
Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be
freely shared
with anyone. For thirty years, he produced and distributed
Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer
support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several


printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in
the U.S.
unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our Web site which has the main PG
search facility:
http://www.gutenberg.net

This Web site includes information about Project


Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg
Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks,
and how to
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