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AUGÉ
LE RIVAGE ALLADIAN
ORGANISATION ET EVOLUTION t
DES WLLAGES ALLADlAN
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OFFICE
DE LA RECHERCHE
SCIENTIFI~UE
ET TECHNIQUE
OUTRE-MER
CATALOGUE SOMMARE des Publications (l)
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1. ANNUAIRE HYDROLOGIQUE
PremiBre série de 1949 à 1959. 1 volume entoilé : Nouvelle &rie depuis 1959, en deux tomes :
Frante 55 F; Étranger 80 F. Tome 1. États africains d’expression francaise et Républlque Malgache.
Le volume relié, 18 x 27 : Frante 70 F; Étranger 75 F.
Tome Il. Territoires et departements d’Outre-Mer.
Le volume relié, 18 x 27 : Frante 18 F; Étranger 22 F.
Il. BULLETINS ET INDEX BIBLIOGRAPHIQUES (format rogn6 : 21 x 27, couverfure bleue) (2)
1. KOECHLIN (J.). - 1981 - La vég&afion des savanes 3 xxxx. LÉVÉQUE (A.). - 1987 - Les SO/. ferrallit~ques de
dans ie sud de la R6pubiiqoe du Congo-Brazzaville, Guyane francaise. 188 p, . . . . . . . . . . . . . 50 F
310 p. + carte 1/1000008 (nolr) . . . . . . . . . 45 F 3 xxxxx. HURAULT (J-1. - 1988 - Leshidiek Wayana de
2. PIAS (J.). - 1983 - Les sois du Moyen et Bas Logone, la Guyane francaise - Strutture sociale et coutume
do Bas-Chari, des régions riveraines du Lac Tchad famiiiale. 183 p. . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 F
et du Bahr-ei-Ghazal. 433 p. + 15 cartes 1/1000 808, 4. BLACHE (J.), MITON (F.). - 1963 - Tome 1. PremiPre
1/200 000 et 1/108 000 (couleur) . . . . . . . . . . 200 F cont[ibution a la copnaissance de la péche dans le
3 x. L’kVgQUE (A.). - 1982 - Mémoire explicatif de la 144p hydrographrque Logone-Chari-Lac Tchad.
carte des sois de Terres Basses de Guyane fran~aiae. .
33 p. + carte l/lOO OC%2 coupures (couleur) . . . 85 F BLACHE (J.).- 1984 - Tome Il. Les poissons du bassin
3 xx. HIEZ (G.), DUBREUII. (P.). - 1984 - Les régimes du Tchad et du bassin adiacent du Mayo Kebbi.
hydrologiques en Guyane francaise. 120 p. + carte Étude syst.+matique et bioiogique. 435 p., 147 pl.
l/lOOOOW (noir). . . . . . . . . . . . . . . . . 70 F Les deux volumes (3) . . . . . . . . . . . . . . 75 F
3xxx. HURAULT (J.). - 1985 - fa vie matérieiie des 5. COUTY (Ph.). - 1984 - Le commerce du poisson dans
Noirs réfugi& Boni et des indiens Wayana du Haut- ie Nord-Cameroun. 225 p, . . . . . . . . . . . . . épuis6
Maroni (Guyane fran&se). Agriculture, Économie 8. RODIER (J.). - 1984 - R6gimes hydroiogiques de
et Habitat. 142 p. . . . . . . . . . . . . . . . . 85 F I’Afiique Noire ài’ouest ducongo, 13 x 27,137 p. (3) 55 F
(1) Tous renseignements compl&mentalres dans le catalogue gén6ral des publications, à demander : SCD ORSTOM - 70-74, route d’Aulnay, 93-Bondy.
(2) L’expBdition de ces pérlodiques peut Btre faite par avion : les frais de port sont factur& en plus.
(3) En vente chez Gauthier-Villars, 55, quai des Grands-Augustins, Paris VI?.
LE RPVAGE ALLAIXAN
ORGANISATION ET ÉVOLUTION
DES VILLAGES ALLADIAN
MÉMOIRES ORSTOM no 34
MARC AUGÉ
LE RIVAG ALLADIAN
ORGANISATION ET ÉVOLUTION
DES VILLAGES ALLADIAN
ORSTOM
PARIS
1969
Avant-brobos
L’enqukte dont les résultats sora! ici $résentés a été conduite de novembre 1965 à mai 1967.
Elle constitue une contribution à l’étude du jwemier thème de recherche retenu en l-965 $ar le Comité
Technique de Sociologie et Psycho-Sociologie de l’O@e de la Recherche ScientiJique et Technique
Outre-Mer : Strutture et dynamique des communautés rurales.
On trouvera dans l’introduction un ra$ide exposé des raisons pour lesquelles notre choix s’est
$orté sur la société alladian, et des conséquencesd’un te1 choix sur le sens et la méthode de l’enqu&e.
Nous voudrions d’abord remercier tous ceux qui ont rendu tette enqu&e $ossible, et en $remier
lieu, M. Phili@e Yacé, Président de l’rlssemblée Nationale de la République de Cote dIvoire,
qui s’est constamment intéressé à nos recherches, après nous avoir, à tous points de vue, facilité l’accès
d’une région dont le développement lui tient à cceur; à MM. Albert Atcho et Dagri Niava, qui nous
ont repu uveeune extr&meamabilité et ont répondu à nos questions avec une patience bien remarquable ;
à 44’. le Sous-Préfet de Jacqueville, à M. le Secrétaire Général de la sous-section P.D.C.I. de Grand-
Jacques, à MM. les Chefs de Canton d’Addah et d’Akrou, nous exprimons toute notrereconnaissance.
M. Pascal Bonny, Chef du canton et du village de Jacqueville, a été notre premier informateur ,
son amica1 intér& et sa connaissance du pays alladian ne nous ont jamais fait défaut. Tous les chefs de
village et tous les habitants du littoral nous ont d’ailleurs réservé un très amica1 accueil. Nous devons
de particuliers remerciements aux habitants de Jacqueville, notamment aux anciens, MM. Antoine
Crovi, Louis Ichigban et Mathieu Yesso, informateurs patients et avisés, et à notre interprète-enqu&eur
,Boniface Neuba qui a fait preuve pendant dix-huit mois d’autant de compétenceque de dévouement.
M. Georges Balandier, Professeur à la Sor bonne, qui nous a introduit à l’africanisme, nous
a guidé dans tette première enqu&e SUYle terrain, depuis Paris et lors de deux séjours en Cote d’lvoire.
M. Maquet, Directeur d’Études à 1’École Pratique des Hautes Études, nous a aidé de ses conseils
avant, pendant et a;brès l’enqu&e. M me Paulme, Directeur d’Études à 1’École Pratique des Hautes
Études, nous a apporté une aide précieuse en acceptant de venir passer quelques jours en pays alladian,
lors d’une mission en Cote-d’lvoire. EnJin, l’expérience, les critiques et les remarques de MM. J. L. Bou-
tillier, P. Étienne (Section des Sciences Humaines de 1’O.R.S.T.O.M.) et Terray (Centre d’Ethno-
Sociologie de I’Ukversité) ont constitué pour nous une souce d’information et de réflexion.
8 LE RIVAGE ALLADIAN
En ce qui concerne les noms commwns, nous avons adopté une transcription ins$irée de celle
proposée par 1’I.A.I.
e e de été e in de loin
E è de net i!i gn de signal
3 0 de robe c tch de l’anglais Child
0 0 de pot W OU de ouate
0 on de balcon toujours g de g&eau
U ou de go& 7 ch de chat
a eu de bauf s s de Signa1
En ce qui concerne les noms de personne et les noms de lieu, nous avons en principe conservé
l’orthographe administrative.
Introduction
Le rivage alladian connait un début, pour l’instant fort modeste, d’esser touristique. Depuis
le début de l’année 1965 on peut prendre à Boubo, petit village adioukrou situé à z km de Dabou,
un bac qui conduit trois fois par jour (le service est doublé les samedi et dimanche) les ménagères
retour du marche, les camions des Travaux Publics et des entreprises associ&, le mardi le camion
de la Chaine Avion, le jeudi soir les instituteurs retour d’Abidjan, et le samedi quelques Européens
en quete de pittoresque à bon compte (Dabou est à 49 km d’Abidjan), et quelques fonctionnaires ou
personnalités politiques de retour au village pour visiter leur famille, leur villa et leurs plantations.
Le bac dépose les voyageurs au débarcadère d’Akrou, à 4 km environ d’Akrou. On peut
également s’embarquer à Dabou sur une pinasse qui dessert le débarcadère de Jacqueville. Des
pinasses assurent d’ailleurs, au départ d’Abidjan (jusqu’au débarcadère d’Avagou) ou de Dabou
(jusqu’aux villages les plus occidentaux du littoral) des liaisons constantes avec le littoral ; mais le
moyen de transport le plus rapide est maintenant le bac : la traversée dure une demi-heure, et des
taxis font la liaison avec les villages tous atteints dorénavant par la route littorale. Traverser en
pinasse la lagune entre Dabou et le débarcadère de Jacqueville demande facilement une heure et
demie, mais beaucoup de femmes de Jacqueville l’empruntent de préférence au bac pour se rendre
au marche : elles ont l’habitude de parcourir à pied la route du débarcadère (environ 3 km) ;
la pinasse, plus confortable, leur permet de transporter plus facilement leurs affaires : le simple
piéton, surtout s’il a quelques bagages, est fort embarrassé de sa personne aux heures de pointe
du bac, lorsque les voitures se garent jusque sur les bas-cotés, souvent au prix de quelque frois-
sement d’aile.
L’améhoration des voies de communication peut attirer des touristes lassés de leurs excur-
sions hebdomadaires à Grand-Bassam ; les responsables administratifs y ont pensé et ont fait
construire à Jacqueville, avec le concours des habitants, un fort bel hotel en matériaux du pays.
Les premiers visiteurs du littoral y trouvent, au tenne d’un voyage relativement bref mais qui
leur donne une intense sensation d’éloignement, ce que certains y sont sans dome venus chercher :
une relative solitude, un début de dépaysement, et le soir, quand la lumière des lampes-tempete
fìltre à travers les cl&.res de bambou, le sentiment d’une attente un peu crispée, dfi peut-etre
au caractère insulaire de la contrée, à la présence obsédante de l’océan dont le fracas, si l’on
s’enfonce un peu dans l’intérieur, fait piace aux bruits et aux rumeurs d’un foret par endroits
encore dense et profonde.
L’abord du premier village (Akrou) produit un effet de surprise que renforce l’aspect des
localités - Adoumanga, Djacé - qui jalonnent la route jusqu’à Jacqueville. Des clotures de
IO LE RIVAGE ALLADIAN
bambou, assez hautes, entourent toutes les tours ; il est ainsi difficile d’examiner, du dehors, la
dìsposition interne des cases et des cuisines. Les tours se répartissent de par-t et d’autre d’une,
souvent de deux rues principales, orientées naturellement est-ouest, parallèlement à la cote.
Des chemins perpendiculaires à ces voies principales joignent la plage aux cocoteraies, achevant
de donner aux villages une allure géométrique, frappante sur les photos aériennes (où les clotures
en bambou apparaissent sous la forme d’un trait très appuyé), et qui apparente leur dessin au
plan des métropoles nord-américaines.
Il est rare qu’une de ces tours s’ouvre sur la rue principale, et meme sur l’un des chemins
transversaux ; on n’accède généralement par ceux-ci qu’à un corridor au bout duquel, ou sur le
coté duquel, une entrée se découvre enfin, souvent close par une porte. Le sous-préfet de Jacque-
ville et certains fonctionnaires de la sous-préfecture, originaires du nord-ouest de la Cote dIvoire,
voient dans la géométrie un peu raide de ces labyrinthes le signe d’un tempérament fermé et d’un
individualisme forcené. Si l’on en fait la remarque à des Alladian, ils semblent, loin de s’en offusquer,
y voir la reconnaissance, somme toute flatteuse, de leur personnahté.
Le front de mer, à Jacqueville, est impressionnant. Plusieurs demeures en pierres vastes
et élevées - elles comportent généralement un étage et parfois des arcades à l’espagnole -, mais
écroulées ou « soufflées » par on ne sait quel cataclysme, semblent témoigner des splendeurs passées
et des vicissitudes de lhistoire. Toute une artillerie antique achève de rouiller dans le sable des
tours. Renseignements pris, ces demeures n’ont pas cent ans ; quant aux canons, ils étaient
dès le siècle dernier dignes du musée, et ne furent sans doute offe& que pour donner I’illusion de
la puissance et flatter le goUt du décor. Mais ces ruines, qui sont quand meme la marque sensible
d’une histoire riche et mouvementée, semblent marquées à leur tour par ce qu’on sait du passé
lointain des Alladian - qu’ils furent les premiers installés dans la région, que leurs premiers
contacts avec les Européens remontent au moins au XVII e siècle -, en sorte que le spectacle
de la plage et de ses vestiges peut reporter l’imagination à une époque où ces canons étaient encore
des armes, et l’inciter à ignorer l’incurie des propriétaires pour la confondre avec l’action destruc-
trite des siècles.
La sieste se prolonge assez tard sous les cocotiers dispersés entre plage et village, sur une
profondeur de IO à 40 m ; beaucoup de vieillards, hommes et femmes, dorment profondément,
à I’abri d’un pagne qui leur recouvre meme la t&e ; quelques-uns, plus actifs, jouent au « walé ».
Jusque vers 5 heures le village reste silencieux. L’impression première de celui qui a gagné Jacque-
ville par le bac de midi est d’un rivage des Syrtes désenchanté où l’attente inquiète aurait fait
piace à un ennui morose et résigné. Certains responsables locaux dépeignent les Alladian camme
paresseux, en effet, et peu soucieux de lutter contre un destin qui semble les avoir trahis.
Mul navire n’est plus guetté à l’horizon. Les chalutiers venus d’Abidjan surgissent de l’est,
à quelques encablures du rivage, ratissant méthodiquement le fond, pour la plus grande colère
des Alladian qui voient en eux l’une des causes de leur appauvrissement.
Quelques pirogues attendent, sur le sable, d’hypothétiques navigateurs. Si l’on séjoume
un peu longuement à Akrou, Adoumanga ou Jacqueville, on aura néanmoins toute chance
d’assister au retour d’un ou deux pkcheurs alladian, dignes de leurs anc&res (les Alladian, sw
leurs pirogues de fr$le apparente, pkhaient en haute mer à perte de vue du rivage) et habiles
à franchir la barre, après un décompte minutieux des rouleaux ; le retournement brutal de la
pirogue et la projection de son pilote dans la vague sanctionnent de facon spectaculaire toute
erreur dans tette opération. Cette « impression première 1)est justifiée dans le cas de Jacqueville.
On verra que dans un certain nombre de villages la pkhe en mer constitue encore une activité
importante.
Qu’en est-il des impressions premières ? Réfutables, certes, et révocables, puisque, pre-
mières, elles doivent se soumettre au critère de leur propre duree, mais, après tout, vérifiables et
souvent vkifiées ; contestables aussi, puisque imposées par une réalité momentanée à un individu
particulier elles le trahissent plus encore qu’elles ne la reflètent, mais irremplacables en ce qu’elles
établissent entre elle et lui un rapport unique que modifierait tout changement d’un de ces termes,
ce qui donne la mesure, toute relative, de sa valeur ; vraies donc d’une certame facon, mais non
INTRODUCTION 11
pour autant utilisables, elles ne sont que l’occasion de constater une évidence : I’originalité d’un
peuple et d’un paysage, immédiatement sensible, sinon analysable. On peut bien s’attendre, sans
jouer trop facilement les prophètes, qu’une fois les structures familiales ou politiques de la société
alladian analysées, puis, à supposer qu’on y parvienne, comparées et interprétées, on en ait plus
appris sur les systèmes de parenté et les systèmes d’autorité en général, que sur la réalité spécifique
des Alladian. Les ouvrages consacrés aux caractères proprement sociaux d’une société se soucient
moins de la décrire que de la situer, d’un certain point de vue, dans un ensemble à la signification
duquel elle contribue et dont elle tire, en retour, tout son sens. Seulement, à ce compte, l’analyse
ne dépasse son objet qu’à la condition de l’ignorer : peut-&re n’y a-t-il pas de science du spécifique.
Peut-etre, s’agissant de la conscience du vécu quotidien et des déterminations particulières, n’y
a-t-il de science que sans conscience. Peut-etre l’ethnologue a-t-il pour tache, s’il ne veut pas fair-e
du joumalisme ou de la poésie, de ne parler que de ce qu’il n’a pas sous les yeux, et son lecteur
est-il condamné, pour peu qu’il ait l’esprit curieux, à se poser une question naive, insoluble et
et sans objet : Comment peut-on 6tre Nuer ?
I. Max GLUCKMAN, Order and Rebellion in Tribal Africa, London, 1963 ; p. 207 à 234 : Malinowski “Fune-
tional” Analysis of Socia1 Cha+age.
2. B. MALINOWSKI, The Dynamics of Cultzcre Change, a% Inqahy into Rate - Relations in Africa, Yale
University Press, 1946.
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politique, sociale et économique, tout en fournissant éventuellement une base à l’analyse compa-
rative. Mais ces distinctions théoriques sont plus difficiles à faire sans arbitraire devant une réalité
vivante et concrète : la disparition, la Sm-vie ou la modification d’une institution, l’institution
matrimoniale par exemple, relèvent-elles de la première ou de la deuxième forme d’histoire ? Des
deux sans doute (Engels, déjà, parlait du role de ((la tradition qui hante le cerveau des hommes D),
mais dans quelles proportions ? Surtout, ne risque-t-on pas, devant une réalité modifiée à coup
siìr (mais à partir de quel état initial, en quoi et par quoi ?) de privilégier abusivement un mode
d’explication - à plus forte raison quand les repères objectifs sont rares -, quitte à confondre
l’effet avec la cause ? Il nous semble, par exemple, que Malinowski était parfaitement fondé à
critiquer Lucy Mair, lorsque à propos des phénomènes de « contact » culture1 elle écrivait que
l’analyse des « mésajustements » dans le fonctionnement actuel d’institutions africaines, demanda.3
camme point de départ une reconstruction du fonctionnement de ces institutions à l’époque
antérieure au contact. Une telle exigence suppose en effet une époque où I’institution aurait fonc-
tionné harmonieusement, et l’appel à une causalité exteme est contenu dans les termes memes
de la question ainsi posée. En outre, en I’absence d’autres sources d’information, on ne peut
reconstituer I’état antérieur d’une institution, qu’à partir de son état actuel, quitte, ensuite,
à faire dériver assez naturellement le second du premier - ce qui n’aura2 de sens que si le passage
inverse ne préjugeait pas les résultats auxquels il est censé faire parvenir. La première possibilité
d’une reconstruction historique est ainsi étroitement liée au problème de la causalité, et plus
particuhèrement dans une région camme le littoral alladian ouverte de langue date aux influences
extérieures.
Ces risques de confusion entre l’efficace de l’histoire objective et celle de I’histoire subjec-
tive, mais aussi entre causalité interne et causalité exteme, fondent également en partie les termes
de notre seconde question.
z. Pour Gluckman, loin d’exprimer la pure originalité des événements ou des institutions,
l’anthropologue doit s’efforcer de mettre en corrélation leurs aspects universels, indépendants
d’une réalité culturelle particulière. Mais il est sans doute permis de mettre en question la double
assimilation du culture1 au concret spécifique, et du social à l’abstrait comparable. Non qu’on
prétende ici (ambition démesuree par rapport aux objectifs d’une étude monographique) se montrer
fidèle à une certame tradition de l’anthropologie culturelle amCricaine et dégager les grands traits
par lesquels identifier une culture particulière à un type déterminé. Indépendamment de l’intér&
ou des difficultés d’une entreprise de ce genre, elle ne saura3 non plus rendre compte intégra-
lement de la spécifité d’un lieu et d’un moment. Mais tette comparaison dont I’anthropologie fait
sa raison ne saurait-on en déceler les termes au cceur du spécifique, à la racine de l’originai, et par
là ne pourrait-on réconcilier l’impressionnisme du tomiste et la rigueur de I’analyse ?
C’est un autre auteur et un autre debat qui foumissent la matière de tette hypothèse :
Oscar Lewis et sa discussion des présupposés de Redfield, dans la conclusion de Life hz a MericaB
ViZZage (monographie critique du village de Tepoztlan étudié par Redfield vir@ ans plus totI).
Nous voudrions simplement souligner ici que du débat institué par Lewis se dégage une conception
de la culture moins étroite que celle de Gluckman, et moins monolithique, ou, si l’on veut, moins
fonctionnelle, que celle de Malinowski. Précisons ce dernier point : Lewis reproche à Redfield de
traiter les critères qu’il utilise pour définir la société de « folk » par opposition à la société « urbaine »,
camme des variables interdépendantes. 11 pense au contraire que de telles variables doivent etre
tenues pour indépendantes ; il cite à I’appui de sa théorie les travaux de Sol Tax sur les sociétés
du Guatemala, qui ont montré que des sociétés pouvaient &re d’une part culturellement harmo-
nieuses et homogènes, d’autre part, laiques, individualistes et commerCantes, et qu’une société
petite et homogène n’impliquait pas nécessairement des relations interpersonnelles directes et
personnalisées. Le cas de Tepoztlan révèle d’autres combinaisons de variables, puisque, contrai-
rement à Sol Tax qui pense pouvoir associer la désorganisation de l’unité familiale à l’esser de
I’économie commercante, 0. Lewis peut a&rmer qu’à Tepoztlan les liens familiaux restent forts.
1. Oscar L~wrs, Life igz a Mexican ViZJagd : Tejmdan reshdied, University of Illinois Press, Urbana, r95r.
INTROD UCTION 13
L’idée des variables indépendantes est assurément suggestive et nous renvoie à un problème
déjà évoqué de causalité historique : Pourquoi, par exemple, dans une période de changement
socio-culture1 intense, certains secteurs se transforment-ti de fond en comble, quand d’autres
semblent attester la pérenmté de la culture traditionnelle ? Quel est le secret de ces rythmes
différents ? Et leurs combinaisons ne suffiraient-elles pas à définir, à un moment donné, une
entité culturehe donnée, tout à la fois irréductible et comparable à d’autres ?
Plus Nmalinowskienne 1)en revanche serait la conception de la culture de « folk » camme
soumise à un déterminisme propre, qui permet à Lewis de critiquer le principe, défendu par
Redfield, d’un continuum «folk-urban », au long duquel le changement ne peut se concevoir que
par l’action plus ou moins rapide de la société « urbaine 1)sur la société de Nfolk » - celle-ci appa-
raissant d’ailleurs camme le paradis perdu dont celle-là serait le corrupteur fatal. Un te1 principe
pousse Redfield à souligner les aspects rituels et formalistes de la société villageoise, aux dépens
de ses aspects quotidiens et vécus, et, finalement, à representer Tepoztlan camme un ensemble
homogène et harmonieux, quand Lewis y découvre une stratification sociale accusée et ancienne,
des relations interpersonnelles marquées par la réserve et la méfìance, une vive hostilité à l’égard
de l’administration.
Parce qu’une monographie, meme incomplète, ne saurait négliger les aspects qualitatifs
les plus spécifiques d’une société, elle ne s’interdit peut-etre pas pour autant d’eri définir la rationa-
lite, non forcément par le biais de comparaisons, mais en appréhendant la rationalité meme de
tette spécificité, qui, située à la rencontre de la strutture et de l’événement, relève à la fois de
l’ethnologie et de l’histoire. Ce n’est pas exactement du coté du réalisme ethnographique défini
par Lewisl que nous chercherons la réponse à l’une des exigences que son oeuvre a remarquablement
formulée2, mais en essayant de caractériser le rythme évolutif de la société étudiée par Za compa-
raison de ses diverses variables.
La cadente de l’evolution d’une société est fonction de ses différents dynamismes : dyna-
mismes induits de l’extérieur et agissant sur des variables déterminées, relevant de l’histoire
« objective » ; dynamismes internes, propres au système lui-meme, et qui peuvent tenir soit aux
contradictions propres à une variable donnée (par exemple à la coexistence de deux principes
de fìliation dans la variable socio-familiale), soit au rapport fonctionnel unissant deux variables
(une modification de l’economie entrainant par exemple un réajustement de l’organisation sociale) ;
les diff&entes variables ne répondent pas nécessairement aussi vite les unes que les autres aux
stimulations externes et internes ; en outre il peut y avoir un décalage à l’intérieur d’une meme
variable entre son langage, sa réalité et sa fonction sociale (au sens de Radcliffe-Brown) : un
meme terme peut d’une époque à une autre recouvrir des réalités différentes - et donner l’illusion
d’une continuité ; à l’inverse le bouleversement forme1 d’une organisation peut masquer la
permanente d’une fonction - et créer l’apparente d’un changement.
Or la société alladian nous a paru particulièrement propice à une analyse de variables
dans la mesure oiì, sous l’action des changements successifs apportés à son organisation écono-
mique - fondée tour à tour principalement sur la peche et le commerce du sel, sur la traite de
l’huile de palme, et sur les cultures industrielles - l’ensemble de son organisation sociale a tendu
successivement vers des systèmes différents. Les organisations sociales réelles n’ont jamais pu
réaliser la perfection de ces systèmes de référence, puisque du fait des divers types de causalités
qu’on vient de recenser, toute variable porte en elle la marque de systèmes différents.
C’est naturellement le cas des variables de l’organisation actuelle dont la diversité, cons-
tatée empiriquement, a commande notre méthode d’enquete et d’exposition.
I. Il en décrit les caractéristiques et en précise les objectifs dans l’introduction à Fives Families (Science
Editions, Inc., New York, 1962).
2. C’est au niveau de l’unith familiale, dont les témoiguages sont multipliés, approfondis et coufrontés,
que LEWIS découvre, par delà les particularités individuelles, les constantes par le rapport desquels se déhit
la « personnalité sociale Ddes individus et qui rendent possible l’élaboration d’un concept camme celui de « culture
de la pauvreté ».
14 LE RIVAGE ALLADIAN
1. La sociétt! alladian.
(mais aussi à craindre) celui qui, d’une manière ou d’une autre, le domine ou I’embarrasse ; il va
sans dire que, de l’accusation intéressée à la crainte réelle, bien des nuances sont convenables.
Du point de vue sociologique, c’est l’intervention de la notion d>awa à tous les niveaux
de l’organisation et de la vie sociale qui est intéressante (stratégie intra-lignagère : transmission
de l’héritage ; moyen (ou explication commode) d>un changement effectif de statut : cas de
captifs ayant accaparé les biens d’un lignage ; transmission de la chefferie, etc.) ; c’est aussi son
étroite imbrication avec le système familial (on compte, en principe, au moins un awaon6 par
segment de lignage, dont l’action propre n’est efficace que dans les limites de ce segment : la
société des awabo constitue donc un « condensé 1)de société villageoise, chacun de ses membres
pouvant agir sur n’importe quel individu de celle-ci, par l’intermédiaire de Sawao& apparenté
à l’individu vi&).
Si le langage de la parenté peut apparaitre parfois camme le masque ou l’alibi d’entreprises
à finalité économique ou politique, le langage de la sorcellerie, de ce point de vue, lui sert de relais
et d’amplificateur. Si l’on considère enfin l’évolution du système des valeurs traditionnelles depuis
le siècle dernier on s’apercoit que la prise en considération, la réfutation et l’utilisation de l’awa
ont trouvé dans les diverses idéologies de la société et dans les langages qui y ont correspondu
(culte du dieu Bédézi, église du prophète Harris, des méthodistes, ensuite du prophète Aké, enfin
recours actuel à l’action d’btcho) des structures d’accueil en leur fond analogues. Cet aspect
des choses fait de la sorcellerie au sens le plus large un des traits par lesquels s’exprime une certame
continuité historique de la société considérée.
Les trois centres d’intéret considérés ont donc ceci de commun, qu’ils s’imposent presque
matériellement à I’observateur - par exemple : les ruines des demeures « en dur » des notables
du siècle demier imposent, à Jacqueville, le souvenir d’une époque plus faste, l’organisation
de l’espace villageois se réfère très explicitement à l’organisation lignagère de la société, la documen-
tation rassemblée à Bregbo et le témoignage de J. Rouch montrent le role particulièrement
marquant des Alladian dans la diffusion et l’évolution du harrisme camme remède - et camme
prolongement - à des forces toujours présentes (toujours agissantes ou toujours exploitées),
et, de facon plus générale, le spectacle encore fréquent des interrogations de cadavres, celui de
l’enterrement et des funérailles manifestent la réalité actuelle de ces forces pour les Alladian
de toute obédience (harristes, protestants, catholiques).
11sont en outre en commun le fait de concerner tous trois n’importe quel phénomène social
et n’importe quelle institution de la société alladian. Qu’on examine celle-ci d’un point de vue
descriptif (description des structures familiales, matrimoniales, communautaires - classes d’age,
chefferie) ou dynamique (modification des dites structures, constitution et évolution des rapports
de production, analyse de la mobilité sociale, des tendances démographiques, des attitudes de
la société au regard des problèmes de dévèloppement), on ne peut pas ne pas tenir compte du
poids d’une histoire chargée, mouvementée et éprouvante, de l’omniprésence d’un système familial
de forme très élaborée qui constitue toujours l’un des aspects (par exemple dans le cas de la chefferie
et de l’émigration) ou l’un des objets (par exemple dans le cas des classes d’age ou des attitudes
de la jeunesse) de l’institution ou de la tendance considérée.
Il est enfin extremement rare que les conflits ou les tensions nés de l’évolution des rapports
familiaux, des rapports sociaux autres que familiaux, des rapports de production, ou propres
à ces rapports eux-memes, ne trouvent pas dans le langage de l>awa, de facon plus ou moins
explicite, leur expression, et meme dans sa pratique leur conséquence, de facon évidemment
moins aisément discemable.
3. Le milieu naturel.
Nous nous contenterons ici de brèves indications. Le milieu nature1 a certainement exercé
et exerce encore sur le littoral alladian, autant et plus qu’ailleurs, une influente extremement
contraignante. La proximité de la mer et de la lagune, les productions forestières et l’homogé-
néité du sol déterminent largement les modes d’habitat, l’organisation du travail, la circulation
des biens et des hommes, la nature des produits, pour ne citer que ces aspects de la réalité socio-
économique.
Le littoral alladian, si l’on entend par là la bande de terre qui s’étend de Vridi à Braffédon,
est une ile véritable depuis le percement du canal de Vridi à l’est, du canal d’Asagny à l’ouest.
Il s’étend entre 40 et 4050 de longitude ouest de Paris et entre 5010 et 5020 de latitude nord. Sa
superficie est de 410 km 2. Sa longueur est supérieure à IOO km, sa largeur variant de I à 8 km ;
tette dernière dimension est très significative en ce quelle correspond à des étendues plus ou
moins considérables de foret et aux possibilités objectives de culture.
Le dépeuplement de la région extreme-occidentale et la colonisation des terres ébrié de la
région d’dudoin-Vridi n’ont, de ce point de vue, rien de surprenant.
Il existe d’excellentes descriptions du littoral et nous nous en inspirons largement dans
le résumé suivantl.
a) Le climat.
Les caractéristiques du climat sont assez semblables à celles d’Abidjan et de son arrière-
pays (forte hygrometrie ; alternante de deux saisons sèches et de deux saisons humides ; faible
amplitude thermique) ; mais la proximité de la mer entraine la création d’un véritable « micro-
climat » dont les principales caractéristiques sont une forte ventilation sur le rivage, une tempé-
rature moyenne relativement peu élevée, une humidité particulièrement forte durant la grande
saison des pluies.
Les caractères de ce climat avaient de langue date déterminé le calendrier des activités
économiques des Alladian et des activités rituelles qui leur sont liées. C’est en effet un trait commun
aux lagunaìres dans leur ensemble, mais particulièrement marqué chez les Alladian, que leur
très rigoureuse division de l’année en saisons, mois et semaines. On se reportera, pour plus de
détails, à l’ouvrage bien documenté de Niangoran Bouahl, mais on retiendra ici l’essentiel de
tette division et de ses implications rituelles et économiques.
Les Alladian reconnaissaient et reconnaissent encore quatre saisons ou wzz~ya :
1) ab.ZJi (grande saison des pluies)
2) eS& (grande saison sèche)
3) ekwa (petite saison des pluies)
4) edz& (petite saison sèche)
Leur année se divise encore en mois ou plut6t en lunaisons (ok%) au nombre de douze :
ubi+
l Avril
Mai
ab+ oku
bra y0 oku
eau (TZ’SZ)dans la
nervure de la feuille
de raphia (abe)
grande chute de pluie
(brE : grand, y0 : tom-
i ber à flots)
Juin Dyako okss Dyako est un voleur
i célèbre
I. NIANGORAN BOUAH, La dzbision dzt tenzps et le calendrier rituel des peuples lagunaires de C&e d’Ivoire,
Park, Institut d’Ethnologie, 1964.
INTROD UCTION 19
educe you voyait célebrer la f&e d’agz’gam, consacrée au dieu Beugré ; durant educE coke
était inaugurée une serie de rites en relation avec I’ouverture à venir de la campagne de peche :
fabrication d’une pirogue miniature en foret et purification des lieux du travail (ewit&), f&e
de la déesse Kitrava (la baleine), suivies durant ekwd you de I’offrande de la pirogue miniature
au dieu Lavri et durant ekwa coke de la mise à la mer de la première pirogue, au retour des pèlerins
partis visiter Beugré au-dela de Tabou. Durant eJ&fO aaka avait lieu enfin la fete « dadzl fiama D,
fete (Gama) des Qcharognards N (daduj ou f&e de la nourriture.
Grand-Jacques était le centre de ces manifestations et commandait par là le rythme de
l’activité de tout le littoral ; tous les villages envoyaient des délégués à Grand-Jacques ; les f&es
propres à chaque village suivaient celles de Grand-Jacques, et nul n’était autorisé à par-tir en
mer avant que le signal en ait été donne par Grand-Jacques.
b) Le relief.
L’altitude ne dépasse jamais de plus de 6 m le niveau de la mer. On peut distinguer du sud
au nord : la plage actuelle, une ancienne plage (1 m à 3,50 m au-dessus du niveau de la mer), une
zone de faible relief (z à 6 m au-dessus du niveau de la mer), une zone de relief creux, lit d’un
marigot occupant de facon plus ou moins continue le centre du littoral, une nouvelle zone de rehef
(2 à 3 m au-dessus du niveau de la mer), enfin une plage lagunaire, là où il n’y a pas de mangrove.
c) L’hydrographie.
Trois éléments composent le système hydrographique :
- Les lacs sont situés sur le bord sud du littoral. Le plus étendu est le lac Brakré. D’autres,
moins étendus, contribuent à l’originalité de divers sites (par exemple à Jacqueville) et leur
découverte a été, d’après la tradition, à l’origine de la fondation de plusjeurs villages.
- Le marigot central, dont le niveau est celui de la lagune Ebrié, constitue une zone
marécageuse importante dont l’étendue et la profondeur varient considérablement d’une saison
à I’autre. C’est ainsi que, durant la grande saison sèche, les villageois de Jacqueville dont les plan-
tations sont situees au nord du « poto-poto » et éloignées de la route du débarcadère empruntent
pour y accéder une piste qui traverse la « foret noire », c’est-à-dire la for& non défrichée dont
la végétation reste haute et dense, et où séjournent singes et chimpanzés, difficiles à déceler au
reste, car ils ont été rendus méfiants par les expéditions de chasseurs adioukrou sur le littoral.
Mais une bonne partie de tette zone est inondée dès la fin de la saison sèche, en sorte que les
planteurs de JacqueviLle ont étabh sur la piste un « port » où quelques pirogues perrnettent,
moyennant une traversée de plus de 500 m, de gagner les champs de la région septentrionale.
- La nappe phréatique, qui ne se rencontre nulle par-t à plus de 2 m du sol, favorise la
culture du cocotier et permet de creuser de nombreux puits qui foumissent au village une eau
asse2pure.
d) La pédologie et la flore.
Du point de vue pédologique, on distingue :
IO La plage actuelle.
20 Une plage plus ancienne, formée de sables roux contenant des débris de coquillages
marins. Les sables roux se pretent à la culture du cocotier.
30 Une zone de sols sableux bruns où la végétation naturelle est très dense. Cette région
est moins homogène que les précédentes : on y trouve en effet R deux à trois cordons sableux
successifs parallèles au rivage, séparés par des sillons marécageux, ou plus simplement, par des
zones déprimées à sables blancs où affleure l’eau pendant lhivernage 9.
Avagou
savan’? 7sboth
Sol de plateau Sol de penre Bas fond Sol sableux Sol de Podzol En bordure
en bordure de HL. humi fère enrre le5 Iégèremenr penre typique de la
mer; SUI- soble digradé ct deux ma- argileux en plus ov sable lagune
l-oux ; nappe rrzs nappe de moins rigot.5. Sol proFondeut- moins blane en sol as5ez
proFonde (3,50 -4m) en mains profon- hydromorphe happe pro- de’gradé SurFace humifère
humifère et nom- de ($50 4 80) plusou moins Fonde d alioe
breuses rocines humifLre en proton
Jur ItOcm Suivant la dcur
hauteur de
la nappe
t p
/-*-
7 ‘~-4
1’
mer +i+, + toQ“nQ
0 0 4km 5 Lkm - 3 km
mor
Sol dableux Sol roux Sol limono- Sol Sol de piateau Sol podzolique.
c6tier Sableux c6tier sableux; Fin marécogeux ocre jaune et sol de bord
de penl’c inonde’e inonde de Iégèrement de lagune
bas fond argi leux en
proFondeur
Les zones 3 et 4 ne sont pas continues. P. Le Bourdiec remarque qu’à Toukouzou on passe
directement de la crete de la plage dunkerquienne aux vasières lagunaires, alors qu’au nord des
villages d’Addah et Avagou la zone forestière entrecoupée de deux dépressions marécageuses
atteint plusieurs kilomètres de large, la- zone de savane au bord de la lagune étant également
développée.
En général, ces zones pédologiques commandent une répartition relativement stricte
des cultures (cocotiers vers le rivage maritime, vivriers, caféiers vers le rivage lagunaire) et leur
discontinuité est cause de l’inégale fertilité du littoral : le sol ocre jaune, légèrement argileux,
du rivage lagunaire a, de ce point de vue, plus de possibilités que le sol cotier sableux roux, dont
la seule vocation est le cocotier. A l’ouest d’Addah (où d’ailleurs la largeur du littoral diminue)
la fertilité des sols compris entre la lagune et les marécages diminue.
Au total, on peut distinguer, suivant en cela les conclusions des enqueteurs de la S.E.D.E.S.,
trois grandes régions naturelles :
- à 1>ouest,de Braffédon à Avadivry, un territoire limite au nord par le canal d’Asagny,
zone essentiellement marécageuse, domaine du palmier Ban ou raphia, bordée par une étroite
foret de plage (herbes et plantes rampantes, palmiers nains) du cote de la mer, et une mangrove
à palétuviers du coté de la lagune ;
- au centre, d’Avadivry à Audouin, une assez vaste région où se retrouvent toutes les
zones pédologiques et tous les différents reliefs. Du point de vue de la végétation, la « min forest »,
toujours verte, interrompue en son centre par la foret des terrains marécageux, fait suite à la
foret des dunes littorales ;
- à I’est, entre Audouin et Vridi, une zone morcelée par le grand lac Brakré et où se
trouvent les forets de plage et la foret.
C’est en 1890 que la représentation du pays alladian fut confiée au chef coutumier de
Jacqueville, Adjé Bonny, désigné actuellement par les anciens sous le titre de N Roi Bonny ».
En rgo5 se situe la création effettive des trois cantons d’Adda& Jacqueville et Akrou qui sont
restés politiquement et adrninistrativement rattachés jusqu’à une date récente à la Subdivision
de Dabou (cercle des Lagunes). Jacqueville est devenue une sous-préfecture en 1961, et tette
promotion, considérée parfois camme un signe de renouveau du littoral, entrainera, entre autres
22 LE RIVAGE ALLADIAN
Le quatrième canton regroupe des villages purement tizi, au nombre de quatorze : Allaba,
Bapo, Abrako et Abra Ny’amyambo, Nigui-Saff, Tiagba (1 et 2) et Nigui-Assoko, sur la rive
nord ; Taboth, Koko, Attoutou A et Attoutou B, Tièmjé, sur la rive sud ; Téfrédji sur l’ite Deblay.
La population totale de ces villages atteint, d’après le dernier recensement, plus de 7 ooo habi-
tants. Nous ne produirons pas ici le détail de ce recensement car il concerne moins directement
notre étude et semble en outre difficilement utilisable.
L’utilisation des tableaux précédents soulève d’ailleurs des difficultés du m&me ordre :
concus pour aider à l’étabhssement des Iistes éIectorales et des roles d>imposition, ils n’avaient
pas pour objectif essentiel de décompter les personnes effectivement présentes ; et les liens entre
« émigrés » et sédentaires, en pays ahadian, restent assez forts pour que le chef de tour considère
ses parents absents camme des membres de la tour à par-t entière. De facon générale, ce recen-
sement fournit des chiffres « gonflés » (nous en apporterons une illustration précise en ce qui
concerne Jacqueville), plus particulièrement dans l’estimation des villages les plus peuplés, où
les émigrés sont eux aussi plus nombreux. L’examen des recensements de rg57-Ig5gJ plus stric-
tement concus apparemment, confirme tette conclusion. On dispose en outre d’un recensement
exhaustif des villages du littoral effectué en aotìt et septembre 1964 par les élèves de @cole de
Statistique d’Abidjan. Ses estimations, plus « sobres » que celles du dernier recensement, semblent
pourtant infirmer les conclusions des enqueteurs de la S.E.D.E.S. d’après lesquelles la tendance
démographique serait à la diminution. Nous reproduisons ce tableau page suivante, mais réser-
vons pour plus tard l’examen comparé des divers recensements.
On peut en tout cas retenir des tableaux précédents quelques indications sur I’importance
relative des villages alladian (on essaiera plus tard d’examiner les implications sociales, économiques
et historiques de ces différences de « taille démographique » assez remarquables - de 38 à
911 habitants dans le recensement de 1965, de 30 à 716 dans le recensement de 1957)’ le nombre
d’enfants proportionnellement élevé - surtout si 1>ontient compte du fait que, contrairement
à leurs parents, les enfants d’émigrés ne sont que rarement considérés automatiquement camme
des enfants de la tour, et qu’en ce qui concerne les enfants, les chiffres de 1965 correspondent
davantage au nombre d’individus effectivement présents dans les villages. L’écart entre population
déclarée et population effettive correspond à une émigration assez forte dont nous aurons à
connaitre les points d’aboutissement (Ridi, Abidjan, Port-Bouet, Bassam, Dabou, Grand-
Lahou...) et les caractères distinctifs : émigration rapprochée et donc souvent relative, du fait
des contacts réeIIement maintenus avec le village, quand bien meme on ne peut la dire provisoire ;
retours d’ailleurs fréquents dans la famille maternelle ; émigration qualifiée - l’importance
relativement considérable du nombre de personnahtés administratives et politiques, d’étudiants,
de médecins et d’enseignants, et absolument faible d’émigrés chomeurs, est tout à fait remarquable.
Il convient enfin de distinguer parmi les villages des trois cantons alladian ceux qui sont
de peuplement strictement alladian de ceux à majorité avikam, de signaler aux confins de ces
24 LE RIVAGE ALLADIAN
M F T M F T
Canton Akrou :
Sassako-Bénigny ......... Alladian 399 347 746 182 159 34r
Abréby ................. Alladian 235 205 440 144 85 229
Avagou . . . . . . . . . . . . . . . . . Alladian 240 213 453 135 88 223
Akrou . a. . . . . . . . . . . . . . . . Alladian 215 193 403 110 46 156
Adoumanga ............. Alladian 106 111 217 54 43 97
Diésse . . . . . . . . . . . . . . . . . . Alladian 45 45 90 23 23 46
Canton de Jacqueville :
Jacqueville .............. Alladian 362 382 744 142 58 200
Ahua . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Alladian 79 87 166 38 35 73
Grand- Jack . . . . . . . . . . . . . . Alladian 257 246 503 133 125 258
Adjué O. . . . . . . . . . . , . . . . . . Alladian 186 180 366 89 180
Adjacouti ............... Alladian 115 129 244 53 :; 116
Mbokrou . . . . . . . . . . . . . . . . Alladian 124 132 256 60 56 116
Canton d’Addah :
Bahuama . . . . . . . . . . . . . . . . Alladian 58 67 125 26 IO 36
Addah . . . . . . . . . . . . . . . . . . Alladian 228 231 459 122 140 262
Adessé . . . . . . . . . . . . . . . . . . Brignan 206 206 412 Ir3 113 226
Avadivry . . . . . . . . . . . . . . . . Brignan 47 46 93 18 19 37
Niangoussou . . . . . . . . . . . . . Brignan 18 14 11 2 13
Kraffy . . . . . . . . . . . . . . . . . . Brignan 38 51 2; 12 - 12
AHIZIS
DJAN
ALLADIANS
Gmnd L.hau
q Ghahéens
q Brignons
q Ahizis
ff$j Dioulas
q Ebriés
Ya Appoloniens divers
q Divers
CARTE I. - Populations du cordon littoral.
(D’après le rapport S.E.D.E.S., juillet 1961.)
I. Lorsque durant la cérémonie des funérailles, on fait I’appel des villages représentés à la cérémonie,
Addah est considéré camme le dernier village à I’ouest. AdessB est en outre le premier village où se trouve une
église harriste « hétérodoxe )) relevant du prophète « Papa Nouveau » de Toukouzou, dont les fidèles sont en
grande majorité avikam et aizi.
2. CLOZEL et VILLAMUR, Les coutumes indigènes de la CGte d’lvoire, Paris, 1902.
3. Albert DE SURGY, Les p&hews de Cote d’lvoire, C.N.R.S., Centre National de Documentation de
CGte d’Ivoire, I.F.A.N., fascicule 3 : « Les pecheurs Alladian ».
1
de Untérieur de Cote dIvoire fournissent des renseignements précis remontant jusqu’à la première
moitié du XIX” siècle, et que les récits ou les cartes datant des XVII~ et xvrrre siècles permettent
de situer approximativement l’arrivée des Alladian sur le littoral, et leur installation qui se déve-
loppa ensuite plus quelle ne se modifia par la création de villages nouveaux. L’examen des trait&
passés avec les Européens fait ressortir aussi le caractère « villageois » de la politique étrangère
et commerciale des Alladian - caractère qui n’implique évidemment pas l’absence d’esprit
ethnique ou régional.
Seulement tette évidence de l’histoire, et plus particulièrement d’une histoire très indivi-
dualisée (dont la tradition de chaque village peut rendre compte à sa facon) pose à première vue
plus de problèmes quelle n’aide à en résoudre. Cette constatation nous invite à distinguer au départ
quelles sont les diverses « histoires 1)possibles, ou, si l’on préfère, les différents sources utilisables,
et quel type d’enseignement chacune d’elles peut apporter.
Histoire et institution.
L’examen de ces villages pourrait en effet entramer un peu trop facilement à les situer les
uns par rapport aux autres en fonction de leur « évolution N, à mesurer celle-ci sur la décadence
plus ou moins marquée des institutions traditionnelles et à faire de tette décadence la simple
conséquence d’un contact plus ou moins prolongé avec la civilisation européenne.
Mais indépendamment de la difficulté, déjà signalée, qu’il y a, en bonne logique, à mesurer
sur l’état actuel des institutions tout à la fois leur état origina1 et le principe de leur changement,
il serait hasardeux de réserver aux facteurs « exogènes » le qualificatif d’ « historiques », et plus
encore de substituer à une explication tenant compte des facteurs « endogènes » le recours à une
sorte de continuum K isolement-occidentalisation » qui serait aussi critiquable que le continuum
« folk-urban » de Redfield, évoqué plus haut.
Chaque village a eu son histoire propre, en partie mémorisée, et tette histoire (querelles
entrainant des ruptures, actions de chefs particulièrement prestigieux, etc.) peut contribuer à
l’explication de différences qui ne datent pas toujours d’hier et ne sont pas nécessairement des
phénomènes de contact. Autrement dit, il n’est pas sUr que Grand-Jacques, où l’observateur
découvre des traditions plus affirmées, des institutions (chefferie altemée, (cgénérations N classées
et soumises à l’autorite d’un tuteur, etc.) encore actives et efficaces, soit la vérité de Jacqueville,
siège de la nouvelle sous-préfecture, d’où tente de prendre essor le renouveau du littoral, jadis
centre commercia1 actif, où les memes institutions se présentent de facon plus floue et fonctionnent
avec moins de rigueur.
Il sera.3 tout aussi facheux de méconnaitre la possibilité de véritables accidents historiques,
qui ne doivent rien, qu’à la contingente de l’histoire interne de telle ou telle communauté, et dont
la signification dernière est d’ordre plus sociologique qu’historique. Ainsi on rencontrera dans
l’étude de la famille et de l’alliance un cas d’exacerbation d’une tendance propre à la société
alladian dans son ensemble : le refus de l’échange en matière matrimoniale. Le village d’Alma,
à la suite d’une querelle et d’une rupture avec Jacqueville d’une partie de la population s’est
fondé à environ un kilomètre de Jacqueville. Ses fondateurs avaient essuyé au préalable un refus
du chef de Grand-Jacques (village à partir duquel s’était formé Jacqueville), peu soucieux de voir
éventuellement por-ter atteinte à ses prérogatives et à son autorité. Les gens d’Alma (nom du
nouveau village) décidèrent de vivre entre eux, accomplirent des cérémonies rituelles permettant
de lever certains interdits touchant à l’inceste. D’où dans ce village une tendance très remar-
quable à se marier dans la lignée matemelle, souvent meme dans le lignage minimal, des mariages
plus fréquents avec la cousine croisée matrilatérale, meme, nous a-t-on dit (mais nous n’en avons
relevé aucun exemple), des mariages avec la cousine parallèle matrilatérale, et, de facon générale,
un refus encore très sensible de laisser « sortir Nles filles et les sceurs, 1’ « entrée Nde femmes étant
au contraire favorisée. Mais cet hyperconservatisme, statistiquement vérifiable, n’est aucunement
lié à un quelconque isolement actuel d’Ahua, à une miraculeuse préservation : les habitants du
littoral occidental se rendant par terre à la sous-préfecture passent obligatoirement par Ahua ;
LES DONNÉES DE L’HISTOIRE 29
le village est en outre très régulièrement visité par les ménagères de Jacqueville, car une senne de
mer y fonctionne très efficacement, alimentant périodiquement le marché du poisson.
La letture des institutions dans leur état actuel doit donc &re conduite avec prudente
pour constituer autre chose qu’une reconstruction artificielle, source d’une explication pseudo-
historique qui ne serait qu’une pseudo-explication.
Histoire et témoignages.
On dispose de deux sortes de témoignages : les traditions orales et les documents écrits.
Ces témoignages nous fournissent une double vue de la société alladian : les Alladian vus par les
Européens, les Alladian vus par eux-memes ; il est de fait que très tot. les Franca& ont eu leur
attention attirée (leur jalousie éveillée) par le remarquable esprit commercial des Alladian, qui
s’enrichissaient cependant que les comptoirs franqais de Bassam périclitaient, de fait aussi que
les Alladian, dans leur ensemble, s’estiment largement supérieurs à toutes les ethnies voisines
dont ils se présentent volontiers camme les héros civilisateurs. Le témoignage des Alladian sur
eux-memes peut se retrouver dans les documents écrits, et il n’est, par exemple, pas sans intér&
de lire dans les rapports d’administrateurs qu’au début du siècle déjà ils se plaignaient de l’émi-
gration massive des jeunes gens.
Cette (( double vue » présente un triple intéret : tout d’abord les deux types de témoignage
peuvent se compléter pour fixer avec un certain degré de vraisemblance le repérage de certains
faits. En second lieu ils favorisent la prise de conscience d’une certame fatalité historique, devinée
ou meme favorisée par des observateurs lucides et intéressés dans le courant du siècle dernier
(le capitaine Gouriau, dans un rapport de 1862, qu’on étudiera un peu plus loin, se demande
comment prendre aux Alladian, aux Jack-Jack, la traite de l’huile de palme, et ses suggestions
correspondent en effet à ce qui fut fait un peu plus tard). En général les rapports d’administrateurs
sont, touchant les Alladian, presque toujours remplis de témoignages de satisfaction (les Alladian
sont « actifs N , « sérieux N, « pacifiques N) et ces témoignages toujours teintés d’envie et d’inquié-
tude à l’égard d’un commerce dont les partenaires sont anglais.
Enfin, l’ensemble de ces témoignages peut peut-&re permettre de mettre en valeur
certaines constantes de la société alladian, d’étudier ses réactions aux sollicitations extérieures
et aux difficultés internes (transformation des activités principales, changements dans l’admi-
nistration des villages), bref de distinguer une certame identité dans les diverses réactions à ses
divers problèmes. Il reste que le but essentiel des remarques précédentes est de définir des règles
d’utilisation du recours à l’histoire pour l’analyse des réalités actuelles. Le refus des solutions
postulées a priori nous invite à renoncer à la commodité du présent ethnographique, et à distinguer
une fois pour toutes ce qui peut fournir un élément d’explication diachronique (temoignage écrit
ou oral) de ce qui peut etre une trace de l’histoire, une survivance, un accident ou une strutture
parfaitement fonctionnelle et actuelle, mais ne peut donc en tout état de cause &re considéré qu’en
soi-meme, objet mais non point expression d’une explication historique éventuelle : l’institution.
Cela ne signifie pas que certaines institutions traditionnelles telles qu’elles nous sont
présentées par la tradition orale des Alladian (récits concernant la fondation des villages, la for-
mation des clans, l’organisation de la vie sacrée...) ne puissent pas avoir une signification sur le
plan structurel, ni que te1 ou te1 aspect d’une réalité encore actuelle (par exemple l’organisation
dé l’espace villageois ou le cérémonial des funérailles) ne puisse conoborer sur ce plan les données
de la tradition. Il nous semble au contraire que seule une tentative d’analyse des structures peut
donner un sens au rassemblement quelque peu hétéroclite, malgré des tendances et des constantes,
des traditions locales et des manifestations traditionnelles. Mais une telle tentative va de la
diachronie à la synchronie, ou plutot d’un événementiel déjà interprété au pourquoi de tette
interprétation : les données structurelles, dans tette perspective, apparaissent moins camme
I’organisation concrète d’un système réel que camme la formulation abstraite de solutions idéales
à des problèmes concrets. Ainsi les règles de la parenté et de l’alliance, et les difficultés qu’elles
expriment et suscitent tout à la fois, apparaissent camme le thème centra1 de la tradition alladian
30 LE RIVAGE ALLADIAN
(des récits historiques et du rituel, encore respecté, de la naissance et de la mort), mais ce thème
n’est pas l’expression d’un compromis, d’un équilibre entre des tendances et des tensions contra-
dictoires : il doit son apparente (celle d’un système) à sa réalité, qui est d’etre un laugage, une
réponse, d’ordre idéologique, aux sollicitations de l’histoire, « endogène » et « exogène ». Il dessine
ainsi, à l’arrière-plan des organisations concrètes où se sont exprimées les tensions de la soci&,
les modèles successifs qui ont pu fournir à celles-ci des moyens de résolution idéale.
On voit donc qu’il ne s’agit pas ici de reconstituer une histoire à par-tir d’institutions
délabrées, ni d’apporter une pierre à l’édifice strutturaliste, mais de définir la signification spéci-
fiquement sociologique et dynamique des données ethnologiques fondamentales que constituent
les systèmes familiaux et matrimoniaux, puisque aussi bien il n’y a de conflits internes aux
structures, que d’intéret.
Il est généralement admis, par exemple, que dans une société de type « matrilinéaire »,
camme la société alladian, les relations entre l’oncle et le neveu sont plus tendues que les relations
entre le père et le fils. Ce style de relations semble attesté chez les Alladian ; l’entente entre oncle
et neveu est dite « secrète », toute famil.iarité entre eux était traditionnellement exclue, les infor-
mateurs sont unanimes sur ce point. En revanche, père et fils entretenaient des relations très
familières. L’exemple généralement cité est celui du retour de la peche : les enfants du pecheur
avaient, dit-on, le droit de prendre ce qui leur semblait bon dans la pirogue de leur père ; tous
les enfants de la famille paternelle pouvaient se joindre à eux ; au contraire le pkheur battait
les enfants de sa sceur, s’ils tentaient d’eri faire autant. Une telle attitude vise naturellement
à protéger les neveux de la jalousie des autres (frls, frères, autres neveux). Mais il est également
reconnu que des attentions prématurées du neveu pour son oncle indisposaient celui-ci. La
réserve entre eux est de rigueur.
L’ensemble de ces relations est théoriquement équilibré, l>oncle étant père, le père étant
oncle, la réciprocité entre deux familles pouvant en outre donner à la relation oncle-père une
allure parfaitement symétrique. Mais cet « équilibre 1)ne signifie rien s’il ne repose pas sur des
équivalences concrètes. La preuve en est que, sur le plan politique, et sans doute parce que le
pouvoir ne se partage pas, c’est entre père et tis qu’une tension s’est parfois manifestée ; on en
trouvera des traces très nettes dans les récits de création de villages recueillis ci-dessous.
Dans les paragraphes suivants nous exposerons les témoignages écrits ou oraux sur lhistoire
des Alladian, sans autre commentaire que ceux touchant à la véracité des faits et à la vraisemblance
des hypothèses. Nous reprendrons dans le chapitre II, sur des exemples précis, l’étude des rapports
entre histoire et structures dans la société alladian, en manière d’introduction à l’étude des
organisations familiales et matrimoniales qui ont constitué jusqu’à aujourd’hui la trame de la
vie sociale, économique et politique des villages du cordon littoral.
les Por-tuga&. Villaut de Bellefond, qui visita les c&es de Guinée en 1666 et .1667, écrit en effet
que les Dieppois jetèrent l’ancre le jour de Noel 1364 devant Rio Fresco, près de l’embouchure
d’une petite rivière proche du Rio Sestos, et d’un village qu’ils nommèrent « Petit-Dieppe ». Puis
les marchands de Rouen associés à ceux de Dieppe auraient, à compter de 1380, découvert le
site d’un « Petit-Pa& » à Grand-Sestre (sur la cote de l’actuel Libéria) et gagné Mine et Ehnina
sur la future Gold Coast anglaise.
C’est une version des choses que le R.P. Mouezy-’ semble tenté de prendre à son compte
en 1942, sans que pourtant les exigences du nationalisme qui paraissent l’animer l’emportent
tout à fait sur la prudente qui s’impose particulièrement en l’occurrence. C.A. Julien, pour sa
par-t, n’a pas de mal à démontrer que la légende de la découverte de la Guinée par les Normands
ne repose sur rien.
Pour l’ensemble de la Cote dIvoire, les données fournies par des témoignages extérieurs
sont rares. De ce point de vue, l’article de Person (« En quete d’une chronologie ivoirienne )))z
constitue un constat d’absence, encore que, précisément, il fasse une exception en faveur des
Avikam et Alladian :
« . . . Dapper et Barbot sont un peu plus précis. Leurs Kwa-Kwa de cinq et six bandes
semblent correspondre aux Avikam de Lahou et aux Alladian de Jacqueville, qui étaient
donc déjà en piace vers 1650. Comme la tradition orale lie ces deux ethnies aux Mpato
d’Alepe, nous pouvons reconstituer la dernière migration des populations dites “ lagu-
naires “. Ces gens étaient déjà fortement influencés par la civilisation en gestation dans
l’hinterland de la Gold Coast puisqu’ils connaissaient le tissage, qui fera la célébrité des
peuples de la famille akan. »
I. R.P. Mot~Ezu, Histoire et coutumes du pays d’Assinie et du. royaume de Krinjabo, Larose, 1942.
2. In The Histmian in Tro$ical AfY2’ca. Studies presented and discussedat the fourth international
african seminar at the University of Dakar. Edited with an Introduction by J. VANSINA, Raymond MAUNY,
L. V. THOMAS. Published for the International African Institute by the Oxford University Press, London, Ibadan,
Accra, 1964.
3. DAPPER, Descri@ion des CBtes de GztZnt?e,Amsterdam, r686.
4. BELLIN, Carte gédrale de la CBte de Guìnée de@& la Rivière de Sierra Léona jusqu’au Ca9 de Lo$es
Gonsalvo, pour servìr aux vaisseaux du Roy..., in Pau1 ROUSSIER, L’tQablissement d’lssìgny, 1687-1702, Paris,
Larose, 1935.
32 LE RIVAGE ALLADIAN
l’identification du Jacqueville actuel avec le Jack in Jakko de Dapper est impossible, et celle de
Grand-Jacques à Jacques-la-Hou douteuse. Or la tradition alladian ne parle à aucun moment
de déplacements de village ; des sites typiques fournissent d’ailleurs souvent l’un des thèmes
des légendes de fondation. Les points repérés par Dapper correspondent en revanche assez exac-
tement aux emplacements actuels d’Addah et Avagou, qui furent, d’après la tradition, parrni
les premiers et les plus importants villages fondés au bord de l’Océan ; la tradition en fait des
centres du Npremier 1)commerce.(celui des captifs et de divers produits locaux) dont le souvenir
a été partiellement effacé par les splendeurs de la grande époque alladian : celle du commerce
de l’huile de palme avec les Anglais, dont Grand-Jacques, puis Jacqueville furent le centre. Il
n’est pas impossible que les noms mentionnés depuis longtemps sur les cartes aient été attribués
au début du XIX~ siècle à des villages différents, mais non pas très éloignés, d’Addah et Avagou,
auxquels ils s’étaient substitués camme centres de commerce actifs.
Lorsque Dapper en vient,aux « mceurs des habitants », à la description du commerce qu’ils
pratiquent et à celle de leur « Etat », force est bien de reconnaitre que ses renseignements sont
plus troublants que suggestifs. Certes tout ce qu’il dit de leur caractère « poli » et « raisonnable 9
n’a rien d’étonnant, s’appliquant à un peuple dont les plus anciennes traditions ont trait au
commerce et dont tous les Européens qui les ont fréquentés du XVII~ au xxe siècle se sont complu
à vanter la souplesse, l’intelligente et les mérites. Mais sur l’un des aspects prétendument impor-
tants de leurs activités artisanales, Dapper se montre plus confus. Les noms de u Quaqua de six
bandes » et « Quaqua de cinq bandes » se réfèrent en effet aux robes de coton « composées de cinq
ou six bandes cousues ensemble » des Quaqua de 1’Ouest (Quaqua de six bandes, de Jakke-la-
Hou au « gouffre sans fond 1))et des Quaqua de l’Est (Quaqua des cinq bandes qui ne correspondent
plus, de par leur implantation géographique, aux seuls Alladian et Avikam).
Person, on l’a vu, s’appuie sur ce texte pour souligner l’origine akan de la civilisation
« Quaqua » ; mais s’il existe effectivement une tradition de « tissage » chez les Alladian elle se
rapporte aux vetements en fibre de raphia à la confection desquels certains d’entre eux excellent
encore. Au reste, la letture attentive du texte de Dapper semble bien suggérer que les habitants
du littoral ne faisaient que le commerce de « robes » d’origine plus septentrionale :
« ... Leur principal commerce consiste dans la fabrique des habits de coton qu’on
appelle d’ordinaire robes de Quaqua... Les habitants du Cap de la Hou font grand trafic
de robes de six bandes, qu’ils vont quérir chez d’autres peuples leurs voisins qui sont plus
éloignés de la cote qu’eux, et leur donnent du se1en échange. »
De fait, si l’on en croit la tradition des Alladian, ceux-ci furent très tot en contact avec
les populations du nord de la lagune, notamment avec les Baoulé de Tiassalé, auxquels ils vendaient
du se1et des produits de traite contre des captifs, de l’or et des pagnes.
Dapper parle en outre d’un roi « Sacoo » dont l’autorité se serait étendue sur toute la cote
des Quaqua ; or la tradition alladian ignore tout d’une autorité politique centrale ; il parle aussi
de relations commerciales avec la Cote-de-l’or, qui n’ont laissé aucun souvenir en pays alladian.
Mais il faut préciser deux points : l’autorité du chef de Grand- Jacques semble en effet s’etre étendue
sur plusieurs villages alladian, en tant qu’autorité religieuse liée au culte de la mer ; de ce point
de vue elle n’appartit pas differente de celle du roi dont parle Dapper « grand magicien » et pretre
de la mer. Il semble également que le chef de Grand-Jacques (mais les traditions à ce sujet sont
rares et confuses) ait pu du fait de ses attributions religieuses excercer un certain controle sur
le trafic avec les navires européens.
C’est le roi Sacoo qui, d’après Dapper, donnait le signal de l’ouverture de la « saison
I. « Les habitants de Quaqua paraissent dans l’extérieur les plus polis et les plus raisonnables et passent
pour tek chez leurs voisins... Lorsqu’ils viennent trafiquer avec les vaisseaux marchands qui ont jet6 l’ancre sur
leur cote ils mettent les mains dans l’eau et s’eri font distiller quelques gouttes dans les yeux : ce qui est une
manière de serment, par lequel ils veulent donner à connaitre qu’ils aimeraient mieux perdre la vue que de tromper
dans le commerce. »
LES DONNÉES DE L’HISTOIRE 33
commerciale )) avec la Cote-de-l’or, en y envoyant un canot dont le retour garantissait aux autres
marchands une mer propice.
Deuxième point : la cote des Quaqua dépeinte par Dapper dépasse l’actuel littoral alladian ;
la cote de (( Quaqua des cinq bandes 1)correspond au littoral de Grand-Bassam et Dapper présente
camme un ensemble politiquement et culturellement homogène des groupements certainement
beaucoup plus diversifiés. Les témoignages du XVII e siècle rassemblés par Pau1 Roussierl sont
à cet égard révélateurs. On ne peut donc admettre avec Person que les « Quaqua » correspondent
aux seuls Avikam et Alladian.
S’ils ne furent pas les premiers sur la Cote de Guinée, les marins de Dieppe n’eurent peut-
&re pas de prédécesseurs sur le littoral alladian ; une tradition unanime fait en effet des « Diobois »
et des « Kichi » (Portugais ?) les premiers Européens arrivés dans la région. Concernant les
Alladian, et si l’on excepte Dapper, tous les témoignages écrits sont, jusqu’au XVIII~ siècle, indirects :
on a vu que les points d’attraction de la migration se situaient au-delà ou en de@ de l’actuelle
lagune Ébrik. La cote, difficile d’accès, avait mauvaise réputation ; la distinction entre (( bonnes
gens u et « mal gens » n’était pas encore faite. Aussi bien est-il difficile de faire avec certitude le
départ entre les témoignages qui concement les Alladian et ceux qui portent sur des populations
plus occidentales. Néanmoins, il est certain que des relations commerciales se sont établies dans
la seconde moitié du xvIre siècle entre certains (( interlopes » européens et les (( Kwa-Kwa » ou
u Quaqua 11,ainsi appelés à cause de leur salutation fréquemment répétée : « ayek~a 9. Les
documents rassemblés par Pau1 Roussier3 sont à cet égard très parlants. Le R.P. Godefroy Loyer,
pour sa part, témoigne des incertitudes qui affectent la connaissance de toute la région et de sa
redoutable réputation :
« ... On l’appelle la cote des Dents à cause de la grande quantité d’ivoire qu’on en
tire, ou des Quaqua, par-ce que les peuples qui l’habitent ont souvent tette parole à la
bouche, qui signifie serviteur.
Les peuples qui habitent tette terre jusqu’à Issigny sont les plus féroces de tous les
nègres. Jusqu’ici on n’a pu les apprivoiser, et leur langue est des plus difficiles. Nous ne
piìmes rien apprendre de ceux qui vinrent à notre vaisseau, que des signes. 11sont la bouche
rouge camme de l’écarlate... 11sse lissent les dents... 11ssont anthropophages.
La cote est fort difficile à cause des grands brisans... Malgré les précautions qu’on a
prises avec eux, les funestes accidents qui sont souvent arrivés aux Blancs, dans leurs terres,
en font avec justice appréhender l’approche aux plus résolus.
Comme on a garde d’avancer dans leurs terres, on en ignore l’étendue, et ne sait ni
la forme de leur gouvernement, ni leur religion, qui ne peut etre que la meme des autres
Nègres, leurs voisins4. »
Ces lignes qui ne devaient guère encourager les commercants timides auraient aussi de
quoi décourager l’ethnologue. Mais certains voyageurs ont apporté sur la région considérée des
renseignements plus précis et d’un ton moins effarouché que le constat d’ignorante dressé par
le R.P. Loyer. C’est ainsi que le sieur du Casse5s’efforce d’évaluer l’importance du commerce
dont la cote de la Maniguette et celle des Quaqua sont le centre :
« Il ne se fait point de commerce par aucune nation depuis Serlionne jusqu’au Cap de
Mont. C’est où commence la cote appelée Maniguette, et après suit celle appelée Quouaqua.
Toutes deux ensemble négocient avec toutes nàtions de l’Europe, mais pas une n’y a aucun
etablissement, ni meme l’on ne débarque jamais... »
I. Pau1 ROUSSIER, op. cit.
2. Cf. DELAFOSSE (Essai de manuel de la langue agni, Paris, Larose, rgoo) : « . .. Les anciens navigateurs
appelaient Kwa-Kwa les Avikam et les Aradya à cause de leur salutation ordinaire (Ayeka ou Ayekwa). Se
basant là-dessus et sur le fait que la syhabe Kwa, chez les Agni-Ashanti, se trouve au commencement des noms
propres tir& des jours de la semaine et de plusieurs noms de tribus (Okwau, Akwamu, Akwapim), Christaller
donne le nom d’Akwa à la famille Agni-Ashanti. »
3. Pau1 ROUSSIER, op. cit.
4. R.P. Godefroy LOYER, Relation de voyage d’lssigny, 1702, in Pau1 ROUSSIER, op. cit.
5. Relation du Sieur dzt Casse (1687-1688), irz Pau1 ROUSSIER, op. cit.
3
34 LE RIVAGE ALLADIAN
Le commerce repose principalement sur I’ivoire (le ((morfy »), assez peu sur les esclaves,
qu’on va généralement chercher plus au sud, et les u pommes de Guinée », ou ((graines de paradis »
ou encore « maniguette » ; (( .. . les interlopes hollandais et les navires d’Hambourg, note le sieur
du Casse, font beaucoup de commerce... Les Francais anciennement y envoyaient nombre de
vaisseaux ». Le commerce, dès tette époque, est assez actif non seulement pour attirer l’attention
des observateurs mais meme pour autoriser espoirs et projets ; le chevalier Dumas, en 1698,
élabore un programme dont on retrouvera souvent les termes plus tard (quand bien meme la
nature des marchandises aura changé) mais dont la réalisation, souvent ébauchée, ne sera guère
effettive, en ce qui concerne le littoral alladian, que dans les dernières années du XIX~ siècle :
« ... On pourra dans la suite faire d’autres établissements au cap de Lahou, à Bassam,
et à la rivière de Suriou d’Acosta, où il y a quantité d’or et de morfy ; on se rendra maitre
par ce moyen de 60 lieues du meilleur pays de la Coste d’or et on etera par là le commerce
à plus de cinquante navires interlopes, hollandais et anglais qui y vont trafiquer tous
les ans, qui font un préjudice considérable au commerce et le gatent absolument en don-
nant les marchandises à trop bon marché... »
Ce sera l’originalité du littoral alladian que de sauvegarder durant tout le XIX~ siècle une
forme de commerce « direct » avec les navires anglais, sans liaison aucune avec les comptoirs de
Grand-Bassam ou de Lahou.
Tous ces textes révèlent une ignorance à peu près complète des habitants du littoral, -
qui centraste avec les descriptions détaillées du royaume d’Assime -, mais permettent d’affirmer
qu’ils étaient bien installés dans la région qu’ils occupent actuellement, dès la seconde moitié
du XVII~ siècle, et que leurs activités commerciales avaient atteint une certame ampleur. Les
traditions orales et certaines analyses linguistiques de Delafosse aident à préciser leur origine -
ou tout au moins à poser le problème de tette origine.
Les traditions d’origine des Alladian fournissent un début de réponse à la question que
nous posions en introduction (existe-t-il une « identité » alladian ?), réponse qui prendra et risque
de conserver une forme interrogative : Existe-t-il une ethnie alladian ?
Les Alladian, unanimement, se disent originaires de l’Est, de l’actuel Ghana. Le nom de
Koumassi est parfois prononcé, et certains précisent qu’à l’origine les Alladian étaient (( des
Ashanti ». Des portraits de Prempé, dernier roi des Ashanti, fabriqués en grande série à Hambourg
au siècle dernier, avoisinent dans certaines cases de notables celui du roi Édouard VII.
Delafosse fait du groupe Kwa-Kwa le 8e groupe de la famille agni-ashanti. Mais dans
son manuel de la langue agni2 il se montre très hésitant et peu sfir de sa composition exacte :
« Le groupe Kwa-Kwa comprend la tribu des Avik-am, à laquelle on pourrait peut-
&re à la rigueur rattacher celle des Aradyan, des Ari, des Ebrié et des Abé, peut-&re meme
celle des Bato, des Attié, des Aé et des Akapless, sur lesquels je n’ai que des données linguis-
tiques trop vagues jusqu’à présent pour les classer. »
Il se montre plus précis dans son ouvrage suivant3 et reconnait notamment l’identité
ethnique et linguistique des Alladian (qu’il appelle AZagyZ ou Aragya) et des Avikam de la région
de Grand-Lahou :
« La langue alayga, proche parente de l’avikam, semble avoir eu à l’origine des
relations avec le mékyibo, l’abouré et le Kyamal... »
Les traditions orales des Alladian avaient été très bien recueillies dans l’ouvrage de Clozel
et Villamur2 ; elles sont toujours très vivantes mais non pour autant exemptes de contradictions ;
nous les avons recueillies dans tous les villages alladian, dans les deux villages d’Abra (aizi) du
nord de la lagune, qui jouent un role dans le périple lagunaire de leurs voisins, à Audouin et Petit-
Bassam, considérés camme ébrié, et dans quelques villages avikam du cordon littoral (d’Adessé
à Toukouzou). Ces traditions confirment l’ampleur du mouvement migratoire dont fait partie
le déplacement des Alladian. Nous nous contentons pour l’instant de résumer ces traditions telles
qu’elles sont rapportées contradictoirement à Grand-Jacques et dans les villages proprement
alladian, à Audouin, Petit-Bassam et Abra.
1. LA VERSION DE GRAND-JACQUES
C’est la guerre qui contraignit les Alladian et d’autres groupes à s’enfuir. Il est difficile
de savoir si tette migration touchait des tribus ou des peuples différents dont une installation
distincte n’a fa.3 ensuite que consacrer l’autonomie, ou si ce sont au contraire les hasards et les
impératifs d’une longue fuite qui ont abouti à essaimer dans une région assez étendue3 des groupes
auxquels l’isolement a conféré à la longue une certaine originalité.
Toujours est-il qu’à Abréby tout le monde était encore groupé. Un premier groupe se
détacha alors des autres (certains toutefois situent tette première scission avant l’arrivée à Abréby)
et gagna la région d’Accradio. Les habitants d’Accradio, en pays Adioukrou, nous ont confirmé
ce point, bien observé par Clozel qui avait remarqué que dans certaines cases d’dccradio on
conservait de vieux instruments de peche dont la présence à cet endroit était surprenante. Mais
la tradition rapporte que les émigrants trouvèrent des hommes déjà installés dans la région
d’Accradio, qu’ils leur enseignèrent l’art de s’habiller et leur révélèrent l’existence et les bienfaits
du sel. Le se1joue, avec la confection des vetements en raphia, la construction de cases en bambou
et le travail de la forge, un role essentiel dans la définition de 1’Alladia.n camme héros civilisateur.
La fabrication du se1 est souvent présentée camme l’activité première des Alladian, antérieure
à la peche, et on verra que la création des campements pour la fabrication du se1a souvent entrainé
la création de villages et la scission de lignages*.
I. Mékyibo = Éwutile = Vétéré - KyamZ = Ébrié.
2. CLOZEL et VILLAMUR, Les cozttumes indigènes de la CBte d’lvoire, Challamel, Paris, rgoz.
3. A. D. YÉNOU (u Quelques notes historiques sur le pays alladian », Notes africaines, no 63, juillet 1934)
précise l’origine du déplacement. Le village initial serait Nantre, dans la région de Koumassi, en pays Ashanti.
Une première étape aurait conduit les émigrants dans les environs de Moossou où ils auraient fondé le village
d’Agrouvri (sur l’emplacement de l’actuel Akoré). Ebra aurait été une autre étape, puis Abréby, sur le Iittoral,
entre mer et lagune. Sur les étapes antérieures à l’arrivée à Abréby, les informateurs sont à vrar dire peu clairs
et peu unanimes. L’itinéraire suggéré par A. D. Yénou est vraisemblable, le détail en est malaisement vérifiable.
En outre il existe chez les Alladian camme chez d’autres peuples lagunaires un stéréotype de l’émigration ancienne
dont la signification, quand elle est perceptible, est d’ordre plus ethnologique qu’historique. Ainsi un épisode
de la migration des Alladian a trait à l’établissement de l’héritage en ligne matemelle à la suite du sacrifice consenti
par la sceur du chef au fleuve qui barrait la route : elle sacrifia son enfant, alors que la femme du chef refusa le
sien. On retrouve un peu partout tette transposition de la légende du passage de la Comoe par la reine Pokou.
Les Aizi d’Abra, pour leur part (l’héritage s’y transmet de père en fils), racontent la meme Iégende mais
en inversent très précisément les termes.
4. Le sieur TIBERGE (Journal du siew Tiberge r6gz, in Pau1 ROUSSIER, 09. cit.) décrit la fabrication du
se1 à Assiuie et souligne sa grande importance économique :
(( . .. 11s vont chercher de l’eau de mer, la mettent dans un grand pot de terre fait en forme de chaudière
à faire du sucre à la réserve qu’il est ovale et qu’il n’est pas si grand à beaucoup près : il est posé sur trois pierres
en forme de trepied, ils font un grand feu dessous pour faire bouillir l’eau ; quand elle bouille bien far-t., elle jette
une écume qu’ils ont soin de recueillir avec une cuillère de bois et la mettent sur les bords du pot, qm les a fort
grands pour cet effet, où ils la laissent quelques temps, ce qui est leur sel... [...]... ils en ont un grand débit chez
leurs voisins.. . ils le vendent pour de l’or. »
36 LE RIVAGE ALLADIAN
Le commerce du se1 mit très tot en contact les Alladian et les Baoulé, notamment dans
la région de Tiassalé. Certains « traits 1)culturels du littoral (vocabulaire, habillement, langage
du tam-tam) s’expliquent par ce contact.
Le groupe dut encore prendre la fuite. « La guerre » le poursuivait. Quelle guerre ? Les
informateurs n’en savent généralement rien. Des confusions s’opèrent : les querelles avec les
Ébrié (arrivés vers 1750)~ sont nécessairement postérieures à l’installation des Alladian. C’est
une question qui se rattache assez étroitement à celle de l’origine et de l’itinéraire, et sur laquelle
nous reviendrons après avoir fini la description de tout le mouvement migratoire. Selon l’une
des versions de la fuite d’Abréby, l’un des groupes antagonistes aurait fondé Audouin (sur la
lagune), l’autre groupe s’enfuyant vers Avadivry à l’extrémité occidentale du cordon littoral.
L’intéret de tette version est de donner, camme on le verra plus loin, un apercu très révélateur
de l’organisation sociale et familiale des Alladian, et des conflits dont elle est tout à la fois l’occasion
et le camouflage. Selon une autre version 2, la création d’Audouin aurait été le fait d’un groupe
ayant effectué avec les autres le tour complet de la lagune. Toujours est-il que les gens d’Audouin,
qui se savent Alladian, encore que considérés camme des Ébrié et parlant ébrié ils se distinguent
nettement des habitants du rivage maritime, constituent camme ceux d’Accradio un groupe
à part.
A la suite de nouveaux conflits, Avadivry à son tour dut &re abandonné. Cette fois-ci
c’est par la lagune que se serait ébauchée la fuite, en sens inverse du parcours maritime. Le groupe
s’installa, partie à Abra, village habité par une population accueillante, partie sur l’ile Kouvé.
LYle camme le village se révélant trop petits, ce fut une nouvelle (( diaspora 1): certains revinrent
à Avadivry ; un groupe s’en détacha, noyau de l’actuelle ethnie avikam. Tous parlaient à tette
époque une meme langue, désignée sous le nom de atir&
D’autres migrants fondèrent sur le rivage maritime les villages de l’actuelle région Adjué-
Kraffy ; d’Abra, d’autres regagnèrent aussi le rivage maritime et fondèrent les villages de l’actuelle
région Grand-Jacques-Akrou, Quelques-uns enfin continuèrent et seraient à l’origine de groupes
de Petit-Bassam, Audouin (on a vu que l’accord n’est pas unanime à ce sujet), et de quelques
villages actuellement m’bato. Clozel affirme que les M’bato appartenant à tette migration sont
venus d’dccrediou (Accradio) après s’etre séparés du premier groupe dissident, et ont gagné
Krinjabo, puis la région située entre le Comoe et la lagune Potou.
I. Cf. « Note sur le peuple Ébrié ». R. BOUSCAYROL Bulle& de l’I.F.A.N., t. X, juillet-ottobre 1949.
2. Les deux versions ont été recueillies à Grand- Jacques et Jacqueville.
LES DONNÉES DE L’HISTOIRE 37
plut6t qu’il s’agit d’une liste tronquée, le nom des fondateurs étant traditionnellement retenu,
et les chefs récents se substituant aux successeurs immédiats des fondateurs. Néanmoins Abréby
camme Lobotyama ne sont peut-etre pas antérieurs au début du siècle dernier.
Akrou : Deux familles seraient à son origine, dont les aieux s’appelleraient Ablé Lambachi
et Digré. De Bodo-Ladya ils auraient envoyé en exploration deux esclaves ; l’un deux aurait
trouvé dans l’emplacement d’Akrou un endroit idéal pour fabriquer du se1et s’installer - il y a de
l’eau douce à proximité de la mer. On aurait retrouvé cet esclave (Nangban Si) loin (R nk’ru 1)
d’où « Akrou 1)) de Bodo-Ladya.
Adoumanga : Adumlga signifie éternité. Le village a été fondé dans le courant du siècle
dernier par Adjé Dagri au moment où son fils Dagri Bonny allait devenir chef de village. Adjé
Dagri, fondant Adoumanga, aurait déclaré qu’il ne se laisserait pas gouverner par son fils, et
qu’il voulait garder ses cheveux blancs jusqu’à ((l’éternité 1).
Djacé : L’histoire de Djacé remonte à une époque où les gens d’Émokwa [Jacqueville)
étaient en guerre avec les Aizi de Tiagba. On sait que l’un des moyens d’existence des habitants
de Tiagba était la piraterie sur la lagune, et tette activité entrainait assez naturellement des
complications avec les populations voisines l. On peut peut-&re dater tette histoire de la fin
du xvrrre ou du début du siècle dernier (le chef de Jacqueville étant sans doute alors Mambé Dagri).
Les gens d’Émokwa réussirent à surprendre le territoire de Tiagba, mais l’un deux fut
tué. La paix fut conclue, mais le neveu du mort, Djava, décida de le venger, au mépris de l’accord
conclu. Il tua en effet un homme de Tiagba et rapporta sa t&e à Émokwa, mais on le chassa.
Il s’écarta du village, coupa un baton et le planta au bord de la piste, pour que ses parents pussent
le retrouver. Baton se dit cie, et le baton de Djava, D$zva cie, donna son nom à Djacie, ortho-
graphié Djacé par l’administration francaise. Djava ne fut pourtant pas le fondateur réel de
Djacé, car, pardonné, il rejoignit Émokwa. C’est un certain Ando Digré qui vint y fair-e un cam-
pement pour la fabrication du sel. Ando Digré rejoignit sur le tard sa famille maternelle à Émokwa,
mais ceux qui l’avaient accompagné restèrent.
Jacqueville : Son nom indigène, toujours courarnment utilise, est Émokwa. Jacqueville
est une francisation de l’anglais Half-Jack, nom donné par les Anglais à Émokwa pour l’opposer
à Bodo-Ladya (Big-Jack, d’où en francais Grand- Jacques), village plus importa& à l’origine.
D’après la tradition, les fondateurs de Bodo-Ladya auraient vu un jour un étranger passer sur
la plage avec une jeune tille. Accusant l’étranger d’avoir enlevé celle-ci, ils s’eri seraient eux-memes
emparés. Dabou Tévé, l’un des ancetres fondateurs de Grand-Jacques, l’aurait épousée, et de
leur union serait né TévC Mambé, futur fondateur d’Émokwa.
I. Cf. cur ce p_oint et su- les Aiii de Tiagba en général l’article de C. BONNEFOY : « Tiagba, note sur un
village aizi », Etudes Ebwnc?ennes, 1954, I.F.A.N., no 3.
38 LE RIVAGE ALLADIAN
Tévé Mambé avait pour ami un adioukrou de Bouboury, chasseur qui, à l>occasion d’une
chasse, découvrit le lac qui fait encore I’un des charmes de Jacqueville. Pour voir si le lac était
loin de la mer il traca un chemin à travers la brousse jusqu’à la mer, qui se révéla toute proche.
C’est ce chemin qui délimite encore aujourdhui, dit-on, les deux (( moitiés » de Jacqueville : le
quartier des Mambé et celui des Kacou.
Enchanté d>une telle découverte, Tévé Mambé vint avec quelques-uns des siens s’installer
sur cet emplacement. Les gens de Bodo-Ladya lui reprochèrent d’avoir sélectionné les hommes
les plus vigoureux de la famille : Emekwa ; de sme : famille (matemelle) et kwa : choix, slection
- d’où le nom de Em3kwa.
Tévé Mambé épousa la soeur de Bouadi Kacou, lui aussi originaire de Bodo-Ladya. Sa
belle-famille s’installa avec lui. Le village fut divisé en deux (les Mambé à 11ouest,les Kacou à I’est)
et il fut décidé que la chefferie passerait alternativement d’une moitié à l’autre.
La référence constante à des étrangers, captifs ou non, dans l’histoire de Jacqueville semble
exclure qu’une seule génération ait séparé la création des deux villages. Il n’est en tout cas pas
certain que les deux villages désignés par les noms de Jacques La Ho et Jack in Jacko figurant
sur une carte de Bellini en 1750, reproduite dans I’ouvrage de Paul Roussier, et signalée par
Teixeira da Mota2, correspondent l’un à Grand- Jacques ni surtout l’autre à Jacqueville. LeBandama
est intitulé « Rivière de Jacques La Ho ». Lahou viendrait du vieux portugais lagoa ou lago, riviere.
Grand-Jacques est toujours désigné, tette fois-ci sans confusion possible, sous le nom de Jacques
La Ho au XIX~ siècle par Charles Philippe de Kerhallets et Alexandre Magno de Castillo4, - qui
I’appelle aussi Trade Town, tous deux cités par Teixeira da Mota.
Ahua : Ahua s’est fondé récemment (durant la deuxième moitié du siècle dernier) à partir
de Jacqueville. L’interrogation d>un cadavre ayant eu pour résultat de fair-e accuser d’empoi-
sonnement Tano Yévou, sceur de Tano Éthé, celui-ci partit avec certains de ses parents et fonda
le petit village d’Ahua. Tano Éthé était le père d’Adjé Bonny qui devait devenir chef de Jacque-
ville et &re institué par les Francais représentant de tous les Alladian. Le cadavre qui avait accusé
Tano Yévou était celui d’un membre de la famille maternelle d,Adjé Bonny. La querelle opposa
donc surtout Tano Ethé, père, et Dagri Bonny, oncle matemel, d’Adjé Bonny. Elle manqua de
s’envenimer, les partisans de Tano Éthé et ceux de Dagri Bonny s’étant menacés et défiés. Mais
lors de ce Fontenoy alladian, évoqué avec quelque ironie par les informateurs, aucun des deux
camps n’osa tirer le premier. Néanmoins, une fois la réconciliation proclamée, Ahua resta auto-
nome et Tano Éthé fut son premier chef. Du fait de son passé récent et particulier Ahua constitue
encore aujourd’hui un village-lignage relativement homogène.
On peut remarquer que si, en l>occurrence, l’affrontement n’a pu avoir lieu, il eut lieu entre
Grand-Jacques et Audouin, qui furent en guerre un certain temps, et des faits de ce genre nous
aideront, au meme titre que 1>une des versions de la fuite d’Abréby, à apercevoir la strutture
sociale de I’ethnie alladian, et à distinguer notamment les « tribus » des (( clans 1).
« Bodo Ladia ke 11,soit approximativement : « quel Iangage de Bodo est-ce là ? )), ou : ((que raconte
Bodo ? 1)’paroles qui devaient donner son nom à la capitale religieuse du pays, et aux habitants
de toute la région, eludia donnant a.Iladian, et très vraisembIabIement le « Jack ~1anglais qui devait
conna?tre une certaine fortune puisqu’il servit à désigner les habitants du pays (Jack- Jack) et
leurs deux principaux villages : Big-Jack et Half-Jack.
Il est difficile de préciser si Bodo, Boumbro, Yévou, Tévé se succédèrent les uns aux autres
(et à Dra, leur prédécesseur à tous) ; certains informateurs ont affirmé que chacune des familles
qu’ils ont constituées s’était par la suite « spécialisée » dans une activité politique, économique
ou religieuse, les Bodo-Boumbro ayant foumi les chefs politiques, les Tévé les forgerons, les Yévou
les guerriers, les Andongon les pretres (Andongon désignant, pour les uns, une famille déjà présente
à Abréby, pour d’autres un des « frères x ou des compagnons de Tévé, Yévou et Bodo). Cette
compartimentation semble correspondre à un gofit de l’équilibre qu’on retrouve dans la répartition
intravillageoise des différentes familles, mais sa signification est certainement d’ordre idéologique ;
on nous permettra, encore une fois, d’eri retarder I’examen.
Le certain, pour l’instant, c’est la monopolisation, au moins théorique, du pouvoir politique
par les familles Bodo et Boumbro, et la prééminence de Bodo-Ladya sur tous les villages alladian
camme centre religieux traditionnel. Toutes les traditions confirment tette prééminence ; quant à
l’organisation du culte des divinités de la mer et de la brousse, précisément étudiée par Georges
Niangoran Bouahl, elle a, elle aussi, des implications « structurelles ))révélatrices de l’organisation
sociale et familiale traditionnelle.
Une guerre opposa, sans doute au début du siècle, Audouin à Grand- Jack ; cet épisode
qui entraina la mort de Pakraléla, chef d’dudouin, semble avoir frappé les imaginations. Pakraléla
est présenté camme l’oncle de Kagui Digré qui devait etre vers le milieu du siècle (I’amiraI Fleuriot
de Langle l’a rencontré en 1868) chef de Bodo-Ladya, encore qu’il ne ftìt ni Bodo, ni Boumbro.
Sa richesse est restée légendaire, et son (( règne » semble avoir coincidé avec I’apogée économique
de Grand- Jacques.
Adjué : On cite le nom de trois fondateurs, Bosro M’va, Attembra Djéké et Hima Neuba.
L’un d’eux s’arr&a sur l’emplacement de l’actuel village, sans autre raison que sa fatigue et sa
souffrance : agiie dont Adjué est une graphie administrative assez aberrante. Les fondateurs
d’Adjué venaient de l’ile de Kouvé.
Adjacouti : Un chasseur et son frère, ou son ami, Kagui M’boua et Ségi, auraient, venant
de Kouvé, fondé Adjacouti avant de découvrir le site d’dddah. Kagui M’boua fut donc aussi
le fondateur d’dddah. L’origine du mot Adjacouti est connue, mais non plus les circonstances
qui l’entourent. Le mot Adjacouti vient de a&, poisson, et de gkwse, four à fumer (le poisson)
qui donnèrent, en composition, le mot ac&Zkse, très déformé ensuite par la prononciation
francaise.
Bahuama : C’est un habitant de M’bokrou, nommé Dyako, qui à la suite d’une querelle
se réfugia à Addah où on lui accorda, à quelque distanze, un emplacement qui prit le nom de
Bahuma, qu’il faudrait décomposer en :
Ba si ih ama
Nous ne... pas avoir village
« Nous n’avons pas de village. »
Addah : C’est donc Kagui M’boua qui le fonda. Addah est un mot aiir5 qu’il faut rapprocher
de l’avikam : lada, et de l’alladian : amlada, qui signifie « dattier ». Toute la partie occidentale
du cordon littoral est effectivement aujourd’hui encore couverte de dattiers sauvages.
Ade& : C’est un certain Agué Crovi qui serait parti de l’ile de Kouvé pour fonder Adessé.
Rejoint par un « parent », Damana Tikwa, il aurait alors rejoint Avadivry, laissant à son compagnon
le soin de présider aux destinées d’Adessé.
Les contradictions entre les différentes traditions tiennent à deux ordres de désaccords :
désaccord sur l’origine (orientale ou occidentale) des groupes concemés, désaccord sur les rapports
existant entre ces groupes. Les Alladian affirment etre venus de l’Est et avoir accompli leur périple
autour de la lagune en compagnie des futurs Avikam, des futurs habitants d’Audouin et des futurs
habitants de Petit-Bassam, et avoir rencontré à Abra une population installée avant eux. Les
Batabo (Bata ama bo : gens du village de Bata : Bassam) affirment pour leur part etre originaires
de I’Ouest et apparentés aux gens d’Audouin et d’Abra. Les habitants d’Audouin se disent appa-
rentés à ceux de Petit-Bassam et aux Alladian, mais sans origine commune avec ceux d’Abra,
et originaires de l’Est. Ceux de Petit-Bassam se disent apparentés à la fois aux gens d’Abra et
à ceux d’Audouin, et originaires de I’Ouest. Ceux d’Abra se disent apparentés aux gens de Petit-
Bassam, mais non à ceux d’Audouin (encore qu’ils n’osent se prononcer) ni aux Alladian.
semble désigner les Portugais) qu’ils fournissaient en huile et en captifs. Les transactions se
déroulaient à hauteur de Vridi, endroit où en dehors de leurs activités commerciales ils se livraient
à la fabrication du sel. Les Ébrié n’étaient pas encore arrivés. Ces indications permettraient peut-
etre d’identifier Korbi La Hou qui figure dans la carte de Bellin (1750) déjà mentionnéel et dont
Dapper signalait déjà l’existence2 :
A l’arrivée des Ébrié, les habitants de l’ile Boulay auraient traversé la lagune jusqu’à
Abia Koumassi (à l’emplacement actuel de Notre-Dame-d’Afrique) avant de s’installer non loin
de l’emplacement actuel de Petit-Bassam, dans un site découvert par un chasseur, à Abia Nyambo
(nom qui selon les informateurs est le meme que celui d’Abra Nyamyambo, l’actuel village aYzi
situé sur la rive nord de la lagune).
C’est un peu plus tard qu’à la suite d’une dispute une scission se produisit, certains retra-
versant la lagune et s’installant sur r’actuel emplacement d’Audouin. ClozeP présente la meme
version de la fondation d’Audouin, précisant que l’initiateur en fut un certain Diava, qui donna
son nom au village : Diavama ; le nom locai est en réalité : Vavama.
Les habitants de Petit-Bassam prétendent qu’ils parlaient anciennement l’aiirc.
La version d’Audoin.
La version d’Audouin est un peu différente et un peu plus obscure. On y retrouve le passage
par l’ile Boulay, l’épisode d’Abréby, la référence à deux groupes .* les futurs habitants de Grand-
Bassam, ceux d’Audouin, la querelle entre Batabo et Lavabo, mais l’ordre de ces différents épisodes
n’est plus le meme, les Alladian (Agouri) sont présentés camme faisant partie de leur migration,
la version du périple lagunaire est maintenue, mais l’origine des habitants d’Audouin est
située chez les Avikam de Pandah (Audouin Santé ou Assandin) et de Braffédon (Audouin
Beugréto)4.
La version d’Abra.
Elle est semblable à celle des Alladian, sauf sur un point : les habitants d’Abra considèrent
que les « Batabo » ont bien la meme origine qu’eux. 11sprétendent que I’a$y6 est tout simplement
la langue aizi qu’ils parlent actuellement et qui les distingue d’un autre groupe de villages aizi.
GROUPE 1 GROUPE 11
- -
Abra Nyamyambol Alaba
Abra Ko5 Attoutou A et B
Nigui Saff Téfrédji
Nigui Assoko Koko
Tiagba Taboth
Tiémé
Les Alladian ne comprennent pas l’aizi, qu’ils estiment une langue très difficile ; à I’inverse,
les ATzi comprennent et parlent l’alladian, de meme que les habitants d’dudouin et de Petit-
Bassam.
Les habitants d’Abra et de Petit-Bassam aflirment eniin avoir fa.2 partie d’un mouvement
migratoire plus vaste au terme duquel s’installa et se constitua le groupe Abidji.
Les Alladian se flattent d’avoir commercé très tot avec les Européens, et d’avoir plus
tard favorisé leur pénétration dans la Cote-dIvoire. Mais ils soulignent également l’originalité
de leur civilisation et leur r6le civilisateur antérieurement à l’arrivée des Européens sur les c&.es.
Les forgerons alladian travaillaient déjà, et l’on a gardé le nom du dernier forgeron avant l’arrivée
des Européens : Gra Akou, de Bodo-Ladya. Ces forgerons avaient inventé et fabriqué les premières
manilles ~‘be, que les Anglais auraient ensuite fabriquées en série pour les nécessités de leur
commercel. Il semble bien qu’on distingue traditionnellement A kou n’be, ou manille indigène,
et Hole n’6e, manille anglaise créée à la suite de la visite à terre de M. Hole, premier Européen,
dit-on, à avoir effectivement débarqué sur le littoral.
Quoi qu’il en soit, tous ces récits correspondent bien à un état d’esprit assez remarquable
dont témoigneront les Alladian au tours du XIX~ siècle, fait d’indépendance effettive, de collabo-
ration commerciale avec les Anglais, de rayonnement sur l’arrière-pays lagunaire et de tempo-
risation avec la puissance politique de plus en plus absorbante de la Frante.
En effet, une fois terminée la pause du xvrrre siècle, due à l’ampleur des guerres euro-
péennes2, les relations commerciales reprirent avec intensité sur toute la cote d’Afrique occidentale.
Les Anglais commencèrent par mouiller au large de chaque village du cordon littoral, puis
établirent des relations privilégiées avec ((Big- Jack ». Chaque traitant avait affaire à un Alladian
bien déterminé ou à son successeur, et I’on trouve encore des bracelets d’ivoire portant le nom
de capitaines anglais, qui tels les « symboles » antiques, servaient de signes de reconnaissance
d’un voyage à l’autre. Si l’objet du commerce initial avait été l’or, l’ivoire, les hommes (en pro-
portion bien moindre que sur la Cote-de-l’or et au Congo), le bois (gombwie, bois rouge et dur
de l’arbre Ebe),il fut principalement constitué au milieu du xrxe siècle par l’huile de palme. (( Half-
Jack » se substitua bientot pour une part importante à « Big-Jack ». D’après les informateurs,
le commerce avec les navires européens était un droit octroyé par le chef de Grand-Jacques ;
c’est Épékou, prédécesseur de Kagui Digré, qui l’aurait octroyé au chef de Jacqueville - d’une
parente duquel, dit-on, il était l’amant. En 1868, Kagui Digré était chef de Grand-Jacques ;
il faut donc remarquer que la promotion de Jacqueville (vers la moitié du siècle, et meme anté-
rieurement puisque les Francais décidèrent d’installer des bureaux de douane à Grand-Jacques
et Jacqueville dès 1843) coincida avec l’accroissement du commerce européen, ce qui explique
son essor remarquable, ((miracle » ivoirien avant la lettre, si l’on en croit le jugement de certains
témoins, qu’on trouvera ci-dessous.
Eivalité franco-britannique, exprimée sur le plan politique par le problème des frontières,
sur le plan commercia1 par la petite guerre que se livrent à Bassam et dans toute la région de
l’Ébrié maisons francaises et britanniques ; originalité du littoral alladian, qui commerce avec
les navires anglais, signe les traités avec les officiers francais, monopolise le commerce avec les
habitants d’une bonne partie de la région lagunaire : telles sont les données qui caractérisent
l’histoire des Alladian pendant une cinquantine d’années, histoire dont on verra plus loin que,
I. Mais les Alladian gardent le souvenir d’une « monnaie » antérieure aux manilles : les Ekedi, « perles »,
sans doute similaires aux perles d’aigri.
2. Les Francais évacuèrent en 1704 le royaume d’Assinie avec lequel les relations ne reprirent officielle-
ment qu’en -1843.
LES DONNÉES DE L’HISTOIRE 43
si localement elle traduit la personnalité d’une société, elle eut en retour sur les structures de
celle-ci une influente assez determinante.
Les textes des traités passés par les Franca% avec les différents villages « Jack-Jack »
ont disparu. Mais on retrouve mention de leurs signataires et de leur date dans une « copie des
pièces concerna& l’histoire de la Cote-dIvoire, extraite des Archives de la division navale de
1’Atlantique Sud ». La liste des traités fait apparaitre que les Francais s’empressèrent de négocier
avec les chefs alladian, et que ces négociations intéressèrent successivement différents villages,
ce qui &e tout crédit à l’hypothèse selon laquelle les Nladian auraient obéi à un chef unique.
C’est le g février 1842 que Ch. de Kerhallet négocia avec le roi Peter de Grand-Bassam un traité
concédant au roi des Francais Qla souveraineté pleine et entière du pays et de la rivière de Grand-
Bassam N et stipulant que u la navigation et la fréquentation paisible de la rivière et de tous ses
aflluents sont assurés aux Francais dorénavant, aussi bien que la traite libre de tous les produits
du pays meme, camme ceux qui y sont importés de l’intérieur... D.
Le 4 juillet 1843 Fleuriot de Langle passa un trait& du meme ordre avec « le roi, les chefs
et le peuple d’Assinie Nl. C’est entre ces deux dates que se situent les traités passés avec les villages
du littoral : le z février 1843 un traité est passé entre M. Vernet et « le chef du Grand-Jack », le
z février toujours entre M. Vernet et « le roi d’ornoqua », le 7 février entre M. Vernet et le « roi
de Petit-Bassam », le 15 février entre M. Vernet et le roi du pays compris entre Lahou et Jack-
Jack. ((Tous ces traités concèdent la souveraineté du pays pleine et entière à la Frante. NEnfin, le
21 mai, (( en présence de M. Perrot de Voliant, commandant supérieur des comptoirs de la Cote-
de-l’or D,les chefs de Grand-Jack et de Jack-Jack s’engagent à ne pas s’opposer à la construction
des cases de la douane et à aider à la construction de ces cases.
Cette série de traités fut complétée ou renouvelée par la suite, camme en témoigne la
« nomenclature des trait& ou conventions manquant aux archives de la Cote-de-l’or » établie
par le commandant particulier d’Assinie, Ch. Bour, le 16 mai 1885, et où figurent : la convention
du 7 février 1869 avec le roi de Piquini-Bassam ; le traité du z février 1869 avec le roi des Grands
Jack-Jack ; la convention du 24 février 1852 avec le roi et des chefs de Piquini-Bassam ; le traité
du 20 avril 1852 avec les chefs d’rllfagou (Avagou), Abrédy (Abréby), Aura (Ahua), Amoqua
(Jacqueville), Alingia (autre nom de Bodo-Ladya = Grand-Jacques) et Adivé (Adjué) ; le traité
du II février 1869 avec le pays de Katché compris entre les Lahou et les Jack-Jack ; enfin le
traité du z février 1869 avec le roi d’Amoqua, dit Half-Jack.
On voit que, quelques années après les premiers traités, le besoin se fit sentir d’eri conclure
d’autres avec chacun des villages alladian, mais que Grand-Jacques et Jacqueville furent l’objet
d’une sollicitude particulière (quatre conventions ou traités ont été passés avec chacun des deux
villages en vingt-cinq ans). Cette sollicitude renouvelée témoigne d’ailleurs d’une politique
condamnée à &re velléitaire dans la mesure où elle n’avait pas les moyens de s’imposer aux
Alladian, mais dont les perspectives avaient été formulées dès 1848 par Bouet-Willaumez2.
Bouet-Willaumez rappelle la distinction faite par certains navigateurs entre la cote des
u Mal-gens » (villages de Saint-And& Koutrou et Fresco) et, plus à l’est, la c6t.e dite des Bonnes
gens N (villages de Jack, Lahou, Jack-Lahou, Jack- Jack) où l’huile de palme se récolte en abon-
dance, notant que les villages de « Petit-Lahou », NGrand-Lahou », « Jack-Lahou » (Grand- Jacques),
Jack-Jack (Jacqueville) et Petit-Bassam (ou Piquini-Bassam) sont les plus actifs de ce point
de vue. Surtout, il souligne l’opposition existant entre gens de la cote et gens de l’intérieur,
ceux-ci appelant, ceux-là refusant une liaison commerciale dirette avec les Européens, qui frus-
trerait les uns des sérieux bénéfices résultant du commerce de traite, mais apporterait aux autres
quelques éléments de confort (et naturellement des bénéfices plus consistants aux commercants
européens). Il cite le cas des Ébrié qui « presque continuellement en guerre avec les courtiers
du bas du fleuve » ont beaucoup de peine à se procurer les produits d’importation.
I. Le texte intégral de ces traités est reproduit dans F. J. AMON D'ABY, La Cbte-d’lvoire dam la cité
ufrz’cui?ze, Larose, Park, 195 1.
2. BOUtiT-%hLCBlEZ, Le commerce et la traite des Noirs à la Che occiidentale d’Afrique, Paris, Imprimerie
Nationale, 1848.
44 LE RIVAGE ALLADIAN
C’est à des préoccupations de cet ordre que répond la création en 1853 du fort « Faidherbe 1)
à Dabou. Aussi bien est-ce Bouet-Willaumez lui-meme qui avait obtenu du roi Peter de Grand-
Bassam, dont l’autorité s’étendait au moins théoriquement sur les villages de la lagune Ébrié,
le droit d’établir un poste à Daboul.
« L’atte de concession des territoires nécessaires à l’établissement d’un comptoir fortifié
à Dabou Nfut signé en 1853 par L. Faidherbe et Nles chefs d’l?brémou, capitale du pays de Dabou )),
désireux, dit le traité, d’ u encourager les traitants franca& ». Or depuis l’année 1852, la situation
s’était tendue entre d’une part le roi Peter de Grand-Bassam (accusé, entre autres, de favoriser
les « troqueurs anglais »), d’autre part le commandant fran@s. Cette crise aboutit à une guerre
ouverte, le 25 aoiìt 1853. La mort de Peter (janvier 1854) entraina ensuite une accalmie progres-
sive de la situation.
Il semble que pendant ces deux années d’extreme agitation et d’expansion francaise
dans l’arrière-pays (Baudin, qui avait succédé à Bouet-Willaumez, entra en relation durant
l’année 1853 avec les villages M’bato, Poutou-Érié, Songon, Yangon, Yopogon, Audouin, Bou-
boury, Toupa, Tiakba, Cosrou... en m&ne temps qu’il fit construire le fort de Dabo@) les Alladian
soient restés dans l’expectative, peu soucieux tout à la fois d’une collaboration qui leur &erait
leur monopole, et d’une opposition attive qui risquerait de conduire au meme résultat. D’où
le caractère contrasté des jugements portés sur eux et leur attitude. En effet, on trouve dans
une lettre du II juin 1853, écrite par M. Cournet, commandant la tactique, au commandant en
chef de la division navale de 1’Atlantique Sud, après un mois passé « devant les Jack-Jack », la
remarque suivante : « Ces derniers sont tranquilles, ils ont meme offert de nous pr&ter main-forte
contre nos ennemis » ; quelques mois plus tard pourtant (mars 1854) un certain M. Bardim3 note :
(( Il faudrait offrir la paix aux Jack-Jack dans les conditions qu’ils serviraient nos couleurs. N
L’attitude réservée des Alladian, l’estime teintée d’inquidtude que leur portèrent les auto&%
francaises, n’empechèrent pas quelques affrontements, dont les tenants et aboutissants sont
bien mis en valeur par l’amiral Fleuriot de Langle, commandant la division de 1’Atlantique Sud,
cité par Cloze14:
Clozel en conclut (en 1906) que c’est l’insécurité qui explique la date relativement récente
des installations commerciales permanentes à terre, ailleurs qu’à Grand-Bassam et Assinie
protégés par des postes militaires.
A partir de 1853-1854 s’ouvrit une période d’inaction.de la part du colonisateur, et d’intense
activité pour les Alladian, qui, à l’abri de toute concurrence, poursuivirent leurs opérations de
traite de l’huile de palme avec les navires anglais. Ce commerce eut très certainement une influente
I. Cf. sur le sujet HECQUARD, Voyage sw la Cdte et daansl’i+&rz’ew de l’A.O., Park, 1853.
2. Sur ce point, cf. AMON D’ABY, op. cit., chap. II.
3. Toujours cit0 dans la « Copie des pièces concewa& I’histoire de la COte-d’liroire, extvaite des Archives
de la divisiow navale de I’Atlantique Sud ». Service des Agents Spdciaw.
4. CLOZEL, Dix ans à la CGte-d’lvoire, Park, Challamel, 1906.
LES DONNÉES DE L’HISTOIRE 45
déterminante sur la société alladian ; d’une part elle favorisa une différenciation interlignagère
accusée, dont témoigne la somptuosité des anciennes demeures des grands traitants ; d’autre
part elle entraina un afllux de main-d’ceuvre « captive » car le transport et la manutention des
bar& d’huile à travers le cordon littoral exigeaient de nombreux bras. Cet afflux de captifs eut
pour conséquence une différenciation intralignagère très remarquable, dont témoigne encore
la composition des tours villageoises.
Ce qui frappe les observateurs, durant tette période, c’est le centraste entre l’activité
prospère des « Jack N et le marasme de Grand-Bassam où la maison Régis connait bien des diffi-
cultés, cependant que deux autres maisons francaises, Renart et Lhouveux, font faillite. Un
rapport du capitaine du génie Gouriau, daté de 1862, met bien en valeur ce centraste ; en meme
temps il donne une description et tente une évaluation du commerce effectué par l’intermédiaire
des Alladian, tout en ébauchant les grands traits d’une stratégie commerciale qui rappelle les
remarques de Bouet-Willaumez et annonce les entreprises de la fin du siècle. Nous extrayons
les lignes les plus significatives de ce rapport, de ces différents points de vue :
(( ... ce sont ces forets (sur la rive nord de la lagune) qui fournissent tette énorme quan-
tité d’huile de palme que les Anglais et les Américains nous enlèvent chaque année.
Jack-Jack, Lahou et Dabou, sont au centre de tette production.
Toupa... est un marché considérable pour les traitants de la Cote.. . les Jack y viennent
une fois par semaine.
... Jack-Jack est à hauteur de Dabou, il suffit de traverser la lagune et une langue
de terres de 6 à 8 km de largeur ; tout le long du sentier, des Noirs roulaient des barriques
vers la mer, il y avait quatre batiments anglais sur la rade, rarement il y en a moins, souvent
plus, les négociants ne descendent jamais à terre, ils se contentent de confier les fonds aux
traitants qui approvisionnent.
Je me suis rendu chez l’un des principaux traitants noirs, nommé Aby et connu
pour ses relations amicales avec le poste de Dabou ; l’interprète du poste m’avait accompagné
et je me méfiais de l’exagération des Noirs ; l’explication a été claire et précise, je suis
entré dans les plus petits détails, et c’est en remontant pour ainsi dire du commerce jour-
nalier que j’ai pu me rendre compte de l’exportation annuelle ; huit traitants, y font à peu
près un égal commerce, chacun d’eux envoie en moyenne trente pirogues par mois chargées
de deux tonneaux, total 5 760 tonneaux par an ; l’évaluation par le nombre des navires et
leur tonnage habituel m’a conduit à un résultat semblable ; faisons cependant la part des
chomages, de l’irrégularité du commerce et des mille circonstances qui peuvent l’influencer,
réduisons des z/3 ce chiffre qui peut para?tre prodigieux et admettons celui de 2 ooo ton-
neaux... le tonneau d’huile coute 250 francs ; en ajoutant les frais de séjour et de transport
il ne peut dépasser 500 francs ; or il se vend en Europe I IOO et I zoo francs...
Et ce n’est pas seulement par ce village que s’écoulent nos produits, trois ou quatre
autres voisins présentent les memes faits, on arrive ainsi à un commerce de 8 à
Io 000 tonneaux... »
N Les navires qui viennent habituellement traiter dans ces parages reviendront en
décembre et janvier, pour l’ouverture de la campagne de traite, ils sont au nombre de vingt
et leur tonnage est de 500 tonneaux. 11sappartiennent à des fortes maisons de Bristol et de
Liverpool. Avant de rentrer en Angleterre, avec son complet chargement, chaque navire est
tenu de faire une expédition de 200 tonneaux d’huile par la voie de paquebots de Liverpool,
qui s’arretent aux Lahou et aux Jack- Jack, à chacun de leur voyage d’aller et de retour.. . »
46 LE RIVAGE ALLADIAN
« ... J’ai dit plus haut comment on s’était exagéré l’influente des Jack dans la lagune,
je ne veux pas dire pour cela qu’il n’y aurait pas lutte à l’origine ; il est évident que ces
traitants actifs, rusés, soutenus par les Anglais, emploieront tous les moyens pour se
défendre et conserver l’ascendant... 11sont cherché à dénaturer nos intentions, à faire voir
le poste de Dabou camme un premier pas pour faire livrer les produits par la force, etc. »
Le rapport du commandant particrilier d’Assinie, Ch. Bour, d’avril 1885, montre que
si la situation n’a guère changé en plus de vingt ans, les intentions des uns et des autres sont
également restées les memes :
Les maisons de commerce anglaises et franc;aises s’installèrent dans les dix dernières
années du siècle à Jacqueville, consacrant ainsi son rang de « capitale » du littoral ; un incident
entre le chef de Grand-Jacques et le poste de douane francaise, en 1890, incita l’administration
francaise à désigner le chef Bonny de Jacqueville camme représentant de tous les Alladia&.
Ceux-ci semblent s’etre adaptés aux nouvelles circonstances. Si Binger2 en 1889 remarque qu’il
existe toujours un commerce direct important entre navires anglais et traitants alladian, Le
Hérissé3 en 1903 décrit l’esser des maisons de commerce européennes, mais cet essor signifie pour
les traitants alladian la perte d’un monopole. Aussi bien les rapports politiques font-ils preuve
dans les premières années du xxe siècle d’une satisfaction qui ne se teinte plus tette fois-ci d’aucune
inquiétude. En février 1904, Lamblin note l’attitude « remarquable N des Alladian qui ont fourni
I. L’incident semble, en fait, avoir été assez grave. Un différend éclata entre un pecheur de Grand-
Jacques et un douanier, à Jacquevilb ; le douanier, dit-on, fit usage de son arme et tua la fille clu pecheur ; celui-ci
se réfugia à Grand- Jacques. Deux navires (un par la lagune, un par la mer) s’approchèrent de Grand- Jacques,
et des troupes franpaises obtinrent la restitution du vieux pecheur, qui fut déporté à Conakry avec deux de ses
neveux maternels. C’est Adjé Bonny, le chef de Jacqueville, qui réunit l’or nécessaire à 1’ u amende » et obtint
le retour du déporté. Il semble que dans toute tette affaire le chef de Jacqueville ait montré des quahtés de
diplomate qui, en centraste avec la revolte de Grand- Jacques, le firent apprécier de l’administration. Toujours
est-il que l’incident a laissé un souvenir marquant et que plusieurs informateurs parlent avec quelque emphase,
de la « guerre de Grand- Jacques ».
2. BINGER, Du Niger au golfe de Guinée, r887-1889, Park, Hachette, 1892.
3. LE HÉRISS$, Voyage ati Dahomey et à la Cote-d’lvoire, Park, Lavauzelle, 1903.
LES DONNÉES DE L’HISTOIRE 47
Les notables ont, à plusieurs reprises, exposé leurs doléances au sujet du départ
de leurK&age d’un grand nombre de jeunes gens qui attirés par l’appat d’un gain facile et
rémunérateur, s’eri vont vers les centres commercia& de la colonie.
Ces départs qui se font plus nombreux maintenant doivent &re attribués à ce que
la situation des gens qui habitent la plage est beaucoup moins brillante qu’il y a quelques
années. Tous les notables à peu près servaient d’intermédiaires entre les maisons de
commerce et les producteurs d’huile et de graines de palme. Peu à peu les indigènes se sont
familiarisés avec nous, et, plus confiants, ont pris l’habitude de venir vendre directement
leurs produits aux factoreries. Il en résulte que le métier de courtier des gens de la plage ne
trouve plus à s’exercer, et les jeunes gens qui secondaient les notables ont perdu les béné-
fices qu’ils en tiraient... »
« . .. Je crois... devoir signaler l’état d’esprit qui règne chez certains indigènes de la
cote des Alladian, à Jacqueville en particulier, d’où beaucoup de naturels émigrent sous le
prétexte qu’ils sont pressurés par certains gres notables, auxquels ils doivent verser, selon
eux, une véritable dirne, et qui sont tous plus ou moins apparentés à la famille du vieux
chef Bonny, lequel d’ailleurs nous est dévoué et l’a prouvé... Malgré tous nos efforts il doit
évidemment se produire dans tette région des abus qui échappent à nos sanctions. »
La crise économique du littoral semble donc avoir remis en cause l’équilibre social de
la société alladian, qui reposait au XIX~ siècle sur une stratification inter et intralignagère où
les relations de « clientèle » recoupaient en partie les relations proprement familiales.
I. Le Decauville reliait Jacqueville à son port sur la lagune et permettait d’accélérer le transport des
marchandises. On trouve encore de nombreux rails le long de la route du débarcadère.
2
Constitution et organisation
des villages alladian
Essai d’interprétation
1. L’APPROCHE HISTORIQUE
Il est g&&alement admis que la tradition orale d’un peuple en apprend éventuellement
davantage sur son présent que sur son passé, sur son organisation que sur son histoire. Il serait
certainement vain d’essayer de concilier les versions contradictoires ou différentes recueillies
dans différents point d’enquete, tout aussi vain de privilégier l’une d’elles pour en faire la mesure
de l’erreur des autres. Autrement dit, il n’est certainement facile ni, d’un point de vue diachro-
nique, de retrouver l’origine et les étapes d’une migration, ni, d’un point de vue synchronique,
de délimiter les frontières à partir desquelles une u ethnie N fait piace à une autre.
Nous nous contenterons tout d’abord de formuler un certain nombre d’hypothèses concer-
nant la compatibilité des diverses versions recueillies d’une part les unes avec les autres, d’autre
part avec les témoignages écrits concernant des régions plus orientales ; ensuite nous essaierons,
toujours au moyen d’une double comparaison (de ces versions et des institutions qui leur corres-
pondent dans chaque village, puis de ces versions et institutions avec un certain nombre d’autres
traditions, surtout religieuses) d’élaborer quelques hypothèses sur la genèse et l’évolution des
institutions socio-familiales alladian.
Du point de vue historique, on se trouve, au terme des enquktes locales, en face de trois
hypothèses : un seul groupe serait venu de l’Est, un Seul groupe serait venu de l’Ouest, deux
migrations d’origine différente se seraient succédé et se seraient rencontrées dans la région
lagunaires. Il faut remarquer que la version d’une seule migration commune aux futurs fondateurs
d’Abra, Grand-Jacques, Audouin et Petit-Eassam n’est nulle part soutenue, les différentes versions
s’opposant au contraire sur la composition respective de deux groupes émigrants.
Il n’y a dans ces différentes versions que trois constantes : le passage des futurs « Alladian 1)
par Abra, la fondation de Grand-Jacques à partir d’Abra, le refus d’attribuer une meme origine
aux habitants de Grand-Jacques et à ceux d’dbra.
A ce niveau d’analyse, il nous para3 qu’aucune réponse assurée n’est possible : on peut
meme remarquer qu’une origine CC dida 1)de certains « aizi » n’exclurait pas une origine orientale1 ;
I. Dam une étude récente (L’organisaGon sociale des Dida, Abidjan, 1966), E. TERRAY note que les Dida
de Lozoua disent venir de l’Est.
4
LE RIVAGE ALLADIAN
Version de Répartition
actuellement des groupes
par ailleurs les ressemblances ou différences des diverses institutions ne constituent pss en elles-
memes des critères pertinents : la contamination culturelle a joué un grand role en zone lagunairel.
Sans doute peut-on pourtant tenir pour à peu près assurée, outre l’origine orientale d’au moins
une partie des Alladian, l’existence d’un ou de plusieurs mouvements rnigratoires ouest-est (que
ne contredit d’ailleurs pas la version du périple lagunaire) qui, en tout état de cause (à supposer
que l’aller-retour des futurs Alladian ait eu une réalité historique), peuvent avoir entrainé un
certain nombre de groupements différents.
Enfm, la comparaison des diverses versions recueillies fait apparaitre l’importance, pour
la définition de l’aire socio-culturelle alladian, de la région Audouin-Petit-Bassam. Le problème
que posent ces versions diff&entes peut en effet se réduire à la question de savoir quels sont les
rapports exacts de ces deux villages avec l’ethnie alladian ; peut-etre de ce point de vue une analyse
K indirette » des traditions locales et de certains rituels aura-t-elle quelque utilité.
Avant d’aborder tette analyse on peut essayer de trouver dans l’histoire mieux connue
de la région orientale une confirmation des témoignages recueillis chez les Alladian, et qui sou-
lignent le caractère dramatique de leur périple. Il semble bien que des querelles internes ou une
pression démographique trop contraignante ne puissent pas, à elles seules, expliquer l’ensemble
de ce mouvement circulaire et le détail de ses détours et de ses repentirs, qui semblent. tenir de
l’art de la feinte et de l’esquive. Les traditions orales insistent d’ailleurs en général sur le rôle
déterminant de la guerre dans tette fuite. Mais si l’on tient compte de l’ampleur d’un te1 mou-
vement, dont les points d’aboutissement sont assez espacés, et de son importance, manifestée
par tette ampleur meme, soulignée par la tradition orale, on peut trouver étonnant qu’aucune
trace n’eri ait été conservée dans le souvenir des habitants de la région orientale déjà installés.
Or, il existe un témoignage qui pourrait, dans ces grandes lignes, correspondre au mou-
vement migratoire des Alladian : celui du R.P. Loyer 2, déjà cité, et qui a attiré l’attention, entre
autres, du R.P. Mouezy et de Delafosse. Le R.P. Loyer rapporte en 1702 qu’environ « soixante-
dix ou quatre-vingts ans plus tot 1)un peuple nommé « Esieps », « dont le roi se nommait Fa? »,
s’était réfugié à la suite d’une guerre déclarée par les peuples d’Axime, de la région du cap d’Apol-
lonie jusqu’à Asbiny, pays des Vétérez (Éhoutilés) qui les accueillirent. Mais des heurts survinrent
entre les deux peuples. Profitant de l’alliance des « Ochin » (Akan) venus eux aussi les rejoindre
« vers 1670 », les Vétérez chassèrent les Efieps qui, vaincus, « fuyaient leur fureur et se retiraient
dans la Cote des Dents, autrement dite des Quaqua, où ils se sont arretés et établis vers la rivière
Saint-André et où ceux d’Issigny vont souvent les chercher pour les battre et faire des esclaves,
étant toujours demeurés depuis des ennemis irréconciliables ». Delafosse, commenta& ce passage
dans son Essai de manuel de la langue agni, remarque :
« Les Efieps, d’après Loyer, se seraient réfugiés près de la rivière Saint-André (Sas-
Sandra). C’est peu probable, car il ajoute que les gens d’Assinie vont souvent les y chercher
pour leur faire la guerre : or il est inadmissible que les gens d’Assinie aillent porter la guerre
à Sassandra. Au lieu de rivière Saint-André il faut lire sans doute rivière de Bassam. Le lieu
de refuge des Efieps fut sans doute l’Akapless, qui en effet a été longtemps en guerre avec
Assinie. ))
IL ESSA1 D’INTERPRÉTATION :
APPROCHE STRUCTURALE
I. NIANGORAN BOUAH, « Les Abouré. Une société lagunaire de Cote-d’Ivoire », Annales de 1’ Universitk
d’Abidja%, 1, 1965.
2. On a d’ailleurs pu se demander (G. ROUGERIE, « Les pays agni du sud-est de la Cote-dIvoire », Études
Éburnéennes, no VI) si les Efiep n’étaient pas les Brafé (Avikam) de Braffédon ; on sait que, par ailleurs, Alladian
et Avikam revendiquent une origine commune.
3. Ainsi G. ROUGERIE qui foumit à Niangoran Bouah la clef de son argumentation (in « Les pays agni
du sud-est de la Cote-dIvoire », Etudes Ebwnéennes, no VI, cit6 par NIANGORAN BOUAH dans l’article mentionné
plus haut), se demandait à propos des Abouré et Éfié - dont il ne savait pas qu’ils constituaient un groupe
abouré :-« Y a-t-il seulement coincidente, ou confusion des narrateurs européens entre Éfié et Abouré, ou encore
par les Eotilé, assimilation pour les besoins d’une cause, de l’aventure vraiment Éfié avec les conditions de mise
en pIace des Abouré ? x On peut se poser une question du meme ordre à propos des Alladian et de l’attribution
aux Ebrié des désastres ayant affecté leur installation.
52 LE RIVAGE ALLADIAN
Albert de §urgy2, enfin, après avoir rappelé les « familles » dénombrées par Lamblin (deux)
et Yénou (trois), en compte, pour sa part, sept : la famille « Andongon », la famille « Avavé »,
la famille « Kovou », la famille (( Ékouambo )), la famille RMatchua )), la famille RÉbouthiambo »,
la famille « Nafombo )j3. De fait les Alladian parlent souvent de sept familles, melant d’ailleurs
tous les noms cités par les auteurs précédents et y ajoutant quelques autres familles. La fin des
funérailles comparte une sorte de bénédiction des (( sept familles » (&me dabz&) et le nombre sept
de facon générale est considéré camme sacré et bénéfique.
Sensible à tette confusion, et s’appuyant sans doute sur des réflexions de Delafosse4, de
Surgy conclut qu’il semble que le chiffre sept soit habituellement déclaré chez les groupes Akan
et Kwa-Kwa :
R Il semble, remarque-t-il, que les fractions de ces groupes, obéissant à un schema
qui n’est pas toujours explicite, tendent partout où elles se déplacent, à reconstituer une
I. A.D. Y&NOU,ofi. cit.
2. A. DE SURGY, o$.cit.
3. bo est en fait le pluriel de ono qui signifie « homme 1); on parlera de Nafombo pour dire : les gens de
la famille Nafoum.
4. DELAFOSSE, Essai de manuel de la langue agni (Igoo) : « Les Akan au moment de leur formation, se
composaient de sept familles principales qui ont subsisté dans les différentes tribus issues d’eux ; mais les noms
s’eri sont souvent modifiés... Bodwich donne douze familles au lieu de sept... Reindorf en cite sept, Sarbach tout
en disant qu’il n’y en a que sept, en cite vingt et une, et en additionnant ceux qui sont différents dans les trois
listes on arrive au tota1 de vingt-quatre )J.
CONSTITUTION, ORGANISATION DES VILLAGES ALLADIAN 53
strutture sociale à sept grandes familles. Ceci explique que les noms de famille varient
d’une région à l’autre et que l’origine de certaines d’entre elles peut remonter à une date
recente et apparaitre liée à un événement accidente1 quoique riche problablement de
signification cachée. 1)
« Ceci », à vrai dire, n’explique pas gr-and-chose, car l’obéissance « à un schema qui n’est
pas toujours explicite ))n’est pas sans rappeler la « virtus dormitiva » chère aux médecins de Molière ;
mais à défaut de l’expliquer, on peut essayer de décrire aussi précisément que possible tette
organisation à la fois permanente et mouvante.
Il faut dire que la confusion est dans l’esprit de certains Alladian eux-memes, auxquels
leur mémoire généalogique, toute fonctionnelle, ne sert qu’à se situer eux-memes dans un segment
de lignage, et ce segment de lignage par rapport aux autres. Mais il faut aussi préciser que tette
confusion n’est pas le fait de tous, qu’en particulier dans les petits villages situés à l’est ou à l’ouest
du littoral on distingue nettement entre une division qui touche tous les Alladian (Agouri et
Avavé) et des divisions secondaires propres à un ou plusieurs villages. Inversement les noms
cités par les enqueteurs de la S.E.D.E.S. traduisent une confusion entre une division propre à
Grand-Jacques (à partir de trois de ses ancetres fondateurs) et une division de la société alladian
dans son ensemble. A. de Surgy dans sa liste des sept familles maintient les Avavé et ne mentionne
pas les Agouri, dont le nom apparait spontanément et rapidement sur les lèvres de tous les
informateurs.
En fait, certains témoignages spontanés et quelques constatations conduisent assez
facilement à distinguer la division Avavé/Agouri des divisions ultérieures et subsidiaires ; l’examen
de certains récits traditionnels et celui de la composition lignagère des villages ne laissent aucun
doute à cet égard. On n’est jamais seulement avavé ou agouri, mais on est toujours avavé ou
agouri : autrement dit, chacun des clans alladian se range soit dans la catégorie agouri, soit dans
la catégorie avavé. Lamblin avait signalé une répartition originelle des Avavé à l’est et des Agouri
à l’ouest. En fait les seuls villages originellement agouri sont Avagou, Jacqueville, Ahua et Grand-
Jacques (on se reportera pour plus de détails au tableau VI).
Aucun mot alladian ne correspond aux groupements constitués par les Agouri d’une part,
les Avavé de l’autre. Nous pourrions les appeler tribus, entendant par là un groupement de clans
déterminés, sans ancetre commun connu, et dont les limites sont celles de la guerre et de la paix :
aucun conflit arme n’est apparemment concevable à l’intérieur de chacun des deux groupements,
ce qui n’est plus vrai lorsqu’il s’agit des rapports réciproques de ces deux groupements : des
conflits assez sérieux ont opposé anciennement Grand- Jacques à Audouin.
Le mot alladian EWWcorrespond au groupe désigné par Radcliffe-Brown sous le nom de
clan : « . .. groupe ayant une descendance unilinéaire, selon laquelle tous les membres peuvent
se Considérer à un titre quelconque camme des parents », la différence avec le lignage étant que
« dans un lignage, chaque membre peut, en fait ou théoriquement, prouver le lien généalogique
qui l’unit à un membre quelconque de son lignage par l’existence d’un ancetre commun connu,
alors que cela est impossible dans un clan, et l’est en généraP. »
Nous reviendrons plus loin sur tette organisation, mais retiendrons pour l’instant qu’on
trouve effectivement sept « clans » principaux ou &mequ’on traduira provisoirement par « familles »,
naturellement maternelles, répartis dans les « tribus » Avavé ou Agouri.
AVAVÉ AGOURI
Matchua Tevé
Natou - Okwen Kovou Bodo
Kitrava - Nébé Boumbro
Katèkrè
Esso
I. Selon cette version les familles concemées ne portaient pss encore les noms de « agouri » et « avavé ,L
2. Agouri et Avavé partirent un jour pecher en mer ; mais les Agouri firent en sorte de se faire renverser
par la barre, regagnerent le village, massacrèrent les Avavé restants puis s’enfuirent en enlevant des femmes et
des enfants, peu soucieux d’affronter les Avavé à leur retour ; ces demiers, à leur retour, auraient quitté le rivage
maritime.
3. Movou viendrait de ovu (foret). L’ensemble du groupe se serait enfui dans la « foret » après avoir été
attaqué par des groupes orientaux dans la région de Koumassi...
4. Tous les « Agouri-Kovou 1,et tous les « Andongon ,, n’auraient donc pas quitté l’ensemble désormais
appelé « avavé II. 11 est remarquable de ce point de vue qu’un clan d’Audoin (Akouédoman) soit explicitement
assimilé aux Kovou-Andongon.
5. Ama signifie ((village ». Djava fut le fondateur de I( Djavama » (Audouin).
CONSTITUTION, ORGANISATION DES VILLAGES ALLADIAN 55
En outre, tous les informateurs, et notamment les anciens de différents villages, sont
unanimes pour dire que les Avavé étaient à l’origine les plus nombreux et les plus riches. Du
temps de la première fondation d’Abréby, dit-on, CC la mort n’existait pas ». Selon un mythe qui
nous a été rapporté en plusieurs endroits les habitants d’Abréby, trop nombreux, auraient
célébré symboliquement les funéraihes d’un margouillat ; apprentis sorciers, ils auraient ainsi
permis à la mort d’exercer ses ravages, et, faute de pouvoir instaurer le CC controle des décès »
qu’ils semblaient avoir souhaité, se seraient dispersés en toute hate. Une version, plus moraliste
et moralisante, associe à l’apparition des Blancs et de leurs biens celle de la jalousie et de la mort ;
on peut remarquer que les mythes d’origine de la division agouri/avavé et de la division aci&ezi/
b~gW associent également l’arrivée des Blancs à la querelle interne. Le souci d’édification recoupe
ainsi l’histoire traditionnelle.
Si l’on se souvient maintenant que les Andongon sont originaires du groupe « avavé »
et que les Agouri (au préalable Kovou) ne sont censés s’etre détachés des autres qu’à l’occasion
d’un événement bien particulier, on peut peut-&re s’expliquer, d’une part que les clans2 avavé
soient aussi nombreux (cinq) alors que le nombre des Avavé ne justifie plus une organisation
aussi diversifiée, d’autre part que les Agouri ne comptent que deux clans du meme ordre que
ceux des Avavé = les Kovou et les Andongon (nom d’origine indéterminée). Les autres CC clans »
dont on peut constater l’existence, se rattachent de facon plus ou moins nette à l’un des clans
originels et portent d’aiheurs le nom d’un fondateur de viuage. L’organisation de départ s’est
révélée insuffisante à classer et ordonner la croissance demographique des Agouri. Les noms
des clans avavé se réfèrent, eux, à des espèces animales (marines - Kitrava désigne la baleine,
Esso et Katèkrè désignent un poisson de mer - en centraste significatif avec la situation lagunaire
d’Audouin, et CC forestières » : Matchua est le nom de CCfétiche )) de la biche de for&, Okwen désigne
la panthère et Natou le chien), mais certains de ces clans semblent avoir connu des avatars
comparables à ceux du clan Kovou.
Les Alladian attribuent la décadence démographique et économique des Avavé en tant
que groupement autonome, .au fait qu’ils se sont trouvés à l’écart du gr-and courant commercial
canahsé par Grand- Jacques, puis Jacqueville.
Remarquons enfin que les cinq clans avavé, le clan andongon et le clan Kovou constituent
bien sept « famihes ». On pourrait donc supposer qu’à leur arrivée les futurs « Alladian )I consti-
tuaient un peuple homogène composé de sept clans, que les vicissitudes de leur exodeles condam-
nèrent à se scinder en deux, puis en plusieurs groupes plus ou moins indépendants, et que, si
la tradition a retenu de ces événements, au besoin en les systématisant, tout ce qui permettrait
de retrouver et d’exprimer les principes opposés mais complementaires d’une organisation sociale,
l’histoire événementielle a bien 6th la matière première de tette systématisation. La bipartition
Avavé/Agouri, postérieure à l’arrivée des Alladian sur le littoral, commanderait ainsi une réorga-
nisation de leur système social qui, combinée à l’aménagement consécutif et conséquent de leur
idéologie, et se surajoutant à l’organisation première en sept clans, typiquement akan, rend
celle-ci inopérante et difficilement comprehensible3. Cette super-position se presente en effet souvent
dans les propos et la pensée des informateurs camme un mélange sans cohérence, à moins qu’évo-
quant tour à tour les deux systèmes ces informateurs se montrent incapables de les concilier
de facon absolument satisfaisante. La distinction faite par Lamblin entre deux groupes, Avavé
et Agouri, est donc fondée, mais le rappel fait par A. de Surgy de l’existence de sept « familles II
l’est également : encore doit-on préciser qu’il n’est pas nécessaire de faire entrer en ligne de compte
des familles d’origine récente, créées par segmentation des clans originels, pour aboutir à ce total
de sept familles, car il serait arbitraire de CC
compter ))certains « sous-clans » à l’exclusion de certains
I. Cf. ci-dessous le paragraphe : aciskezi et bmbo.
2. Nous employons pour l’instant le mot « clan » au sens de Radcliffe-Brown rappelé à la fLn du chapitre
précédent. Nous étudierons plus précisément dans le chapitre suivant en quoi la réaJité des actuels Eine alladian
correspond aux définitions classiques du « clan x
3. La superposition Avavé/Agouri d’une part, « sept familles 1~d’autre part étant un fait acquis, il reste
qu’on peut toujours se demander si une influente ébrié n’est pas à l’origine des sept familles. Cette question
rejoint celle de l’identification des AIladian camme ethnie homogène.
56 LE RIVAGE ALLADIAN
autres. Il nous parait qu’au contraire l’existence de cinq clans « avavé x et de deux clans « scission-
nistes )) correspond à ce que la tradition rapporte et à ce que l’analyse des structures révèle du
passé des Alladian.
Précisons que les Alladian identifient volontiers le terme Avavé au terme « Vavabo )),
habitants d’dudouin, et que les traditions d’origine des villages à majorité avavé les disent origi-
naires, à l’ouest, de l’lle de Kouvé, cependant qu’à l’est les traditions les rattachant à Grand-
Jacques semblent très incertaines, et Post-fabriquées. Mais à Audouin, les concordances établies
entre « clans » ébrié et « clans )) alladian refusent l’identification Avavé = Vavabo puisqu’elles
concernent également les clans CC Kovou » « Andongon » (( Aboutchiam » et « Nafum ». Les relations
reposant sur l’appartenance à des familles apparentées ne sont d’ailleurs fortes qu’entre Grand-
Jacques, Ahua, Jacqueville et Avagou (Kovou). Il existe en revanche des relations institution-
nalisées entre Audouin et les villages de la région Abréby-Adoumanga.
On voit nettement apparaitre à Audouin une volonté d’identifier un -système lignager
actuel, ébrié, à un système présenté camme originel, celui des Alladian. Les « Ebrié 1)d’Audouin
aflirment en effet eux aussi se classer en sept grandes familles et établissent une correspondance
entre ces familles et les sept familles (eme dabwz) alladian. Voici ces familles et le tableau de
correspondance établi à Audouin :
que ces relations s’étendent aux autres villages alladian où les &meNatou et Matchua sont repré-
sentés (Adjacouti, M’bokrou). Avagou est d’ailleurs le village d’origine de ces Eme. Ni à Abra,
ni à Avagou, on n’obtient de réponse claire à propos de tette « correspondance » entre les deux
groupes.
2. LA DIVISION RELIGIEUSE
aciolcezi et bnbo.
Nous avons évoqué dans l’introduction la division du temps chez les Alladian et les diverses
cérémonies en relation avec la mer et les activités de peche qui se déroulaient à époques régulières
à Grand-Jacques, puis dans les autres villages du littoral. On trouve dans l’ouvrage de Niangoran
Bouahl une description détaillée de ces diverses cérémonies, et notamment des deux plus impor-
tantes : la f&e d’agigam qui marquait la fin de la saison des pluies et inaugura3 les préparatifs
de la peche en mer, et da& Gama, ou fete des « charognards », qui célèbre le dieu Beugré et constitue
tout à la fois la fete du village et l’ordination de nouveaux pr&tres. La première f8.e se célébrait
en juillet (Educe” You), la seconde en décembre (EJefO aaka). L’ (( apatam » necessaire à la célé-
bration de la première était construit à l’extrémité ouest du village, le sanctuaire de Beugré était
à l’extrémité est du village. Toutes ces fetes étaient marquées par une constante référence aux
points cardinaux, d’ailleurs imposée par le site, le rivage s’étendant rigoureusement le long d’un
axe est-ouest, cependant que mer et foret s’identifient au Sud et au Nord. Le milieu du village
sert de repère pour certaines manifestations ; c’est ainsi qu’à la fin de la fete d’agigam les aciakezi
tendaient une corde de raphia du bout ouest du village jusqu’au milieu de celui-ci, alors que
durant la f&e dadu tiama les pr&res aciskezi défilaient dans la r-tre centrale d’ouest en est.
La distinction aciekezi/brgbo commandait d’une certaine facon le destin de chaque Alladian
dès sa naissance, en lui assignant une catégorie religieuse qui était également celle des hommes
de son patrilignage.
Il y avait deux sortes d’aciekezi, et les rituels.de naissance qui correspondaient à chacune
des deux catégories sont toujours accomplis.
Les aciekezi iioUo sont les aciakezi « sept vagnes ». Quand la femme a mis son enfant au
monde, le père prend le placenta et les résidus de l’accouchement, se rend sur la plage et compte,
dès l’instant où il y a mis le pied, sept vagues, avant de jeter le tout à la mer. Au retour il fait
bouillir de l’huile de palme et en depose sept fois dans la bouche de sa femme et dans celle de son
enfant. A c6té du lit de la mère on fa.2 chauffer de l’eau sur un feu entretenu en permanente,
pendant une semaine ; il y a toujours trois biìches dans le feu. Sur une des buches est placée une
carpe rouge ; tous les visiteurs doivent toucher les restes calcinés du poisson avant de toucher
l’enfant. La mère ne mange que du poisson « sauce graine » (avec les graines du palmiste) pendant
sept jours. Si elle goiìte de l’atyéké à l’insu de sa famille, l’enfant meurt.
Le cinquième jour après la naissance (en comptant ce jour) les femmes de la famille
maternelle de la jeune mère vont chercher du manioc dans le champ de son mari. Le mari, lui,
part chercher du poisson. Le septième jour, les femmes préparent l’atyéké. Celles qui ne sont
pas de meme coutume que la mère (aciekezi Zokofiama ou bygbo) ont pris leur par-t de manioc
et se sont retirées. Toutes les femmes du voisinage qui sont de meme coutume quelle viennent
aider à la préparation de l’atyéké.
Le huitième jour (sept jours après la naissance), la jeune mère prend la cuvette où ont
été recueillies ses ordures et va, accompagnée de son mari, les jeter à la mer, sans etre vue de
personne.
Au retour elle entonne le chant de la maternité : « Nasra ninigmezi... » : « Moi seule je connais
la chance (nasra). » Les autres femmes de meme coutume reprennent le refrain et dansent au
son du tam-tam.
On consomme le repas préparé (poisson et atyéké). A la fin du festin on donne son nom
à l’enfant. On apporte le naJi (assiette de terre) contenant le nombre de boules d’argile corres-
pondant au jour de sa naissance. On frotte le nouveau-né avec ces boules, le nombre de celles-ci
augmentant au fur et à mesure que la semaine avance.
Les aciekexi lokofiama (de Zoko : dauphin et Gama : loi, règle) ont un rite legèrement différent ;
le placenta est jeté à la mer à la chute de la douzième vague, les ordures sont jetées à la mer au
milieu de la nuit et non à l’aube. Enfin il n’y a ni chant ni danse.
Chez les brgbo, c’est dans la terre que le père enfouit le placenta, c’est toute la famille
maternelle sans distinction de coutume qui prépare le repas. La mère et l’enfant consomment
un peu de mil pendant la semaine qui suit la naissance ; sept jours après la naissance, la mère,
avec son bébé dans le dos, et non accompagnée par son mari, va jeter ses ordures dans la foret ;
elle ne doit pas &re vue par un aciokezi.
Ce qui distinguait, au tours des différentes manifestations religieuses, les acigkezi des bwbo,
c’est que les premiers accomplissaient les rites nécessaires, alors que les seconds devaient se
contenter, selon les fetes, d’etre ou non spectateurs. Niangoran Bouah signale tette division de
la population alladian en aciokezi et bwbo, mais pour en souligner seulement l’aspect premier :
celui d’une distinction entre (( clercs )) et « laiques ». A vrai dire, on est tenté au premier abord de
voir plus précisément dans tette division une distinction entre gens de la mer (tous les cultes
sont en relation avec celle-ci) et gens de la brousse. Le rituel, très généralement encore observé
à la naissance d>un enfant (c’est meme la seule trace qu’ait laissée l’institution religieuse), confir-
merait tette impression.
Cependant d’autres indications inclinent à penser que tette distinction entre mer et brousse
recouvre une autre réalité. Au reste, il n’y eut pas, jusqu’au début de ce siècle, des Alladian
pecheurs et des Alladian cultivateurs : tout le monde partait en mer, les bnbo camme les aciekezi.
En outre - et c’est évidemment un point essentiel- la division en aciekezi et bnbo, en centraste
avec l’organisation à tendance matrilinéaire de la société alladian, s’effectue selon un principe
patrilinéaire : un enfant appartient à la catégorie de son père. Enfin, selon la tradition, tette
division aurait également pour origine la guerre d’Abréby. Tout le monde était d’abord de coutume
aciekezi, mais les Avavé vaincus par les Agouri et partis vers la lagune, obligés d’abord de changer
un rite que l’éloignement de la mer ne leur permettrait plus de célébrer dans les memes formes,
auraient ensuite conserve le nouveau rite.
Une autre version d’origine de la division aciekezi/br3bo complète la première plus quelle
ne s’y oppose. Lorsque le groupe migrant était à Abréby, les pecheurs après avoir nettoyé leur
poisson en enfouissaient les déchets dans le sable. Certains d’entre eux ne les enterrant pas assez
profondément, certains villageois se plaignirent de l’odeur nauseabonde qui s’eri dégageait, et
enjoignirent à ces pecheurs d’aller creuser plus profond. Les pecheurs obéirent et découvrirent
en creusant le sable des perles ou ekedi ; ils ne parlèrent pas tout de suite de tette découverte,
mais poursuivant leurs recherches accumulèrent une fortune. Ce groupe heureux prit ensuite
le nom de aciekezi de aci&, poisson et ekedi, perle, Telle fut l’origine de la fortune des Kovou-Agouri ;
un peu plus tard se serait située la querelle entre la parenté paternelle du jeune homme enlevé
par les Européens et sa parenté maternelle.
Il est incontestable qu’indépendarnment du c6té anecdotique du mythe d’origine - qui
a d’ailleurs toute chance de correspondre à un événement historique réel, mais indéterminé ou
réinterprété - la division systématique de toute la société alladian selon le principe patrilinéaire
CONSTITUTION, ORGANISATION DES VILLAGES ALLADIAN 59
à propos d’une activité religieuse essentielle possède une signification strutturale importante.
Tout se passe en effet camme si l’on pouvait retrouver dans l’organisation sociale et
religieuse des Alladian, et dans leur conception de l’espace les traces d’un système polaire corres-
pondant à l’opposition du principe patrilinéaire et du principe matrilinéaire :
l’emplacement de l’actuel Petit-Bassam. De dépit, il frappa la mer d’un grand coup de poing
- d’où l’existence d’une grande fosse sous-marine au large de la région Vridi-Port-Bouet - et
se réfugia dans la lagune ; il interdit aux adorateurs de son père de manger la tortue de lagune.
Ainsi s’expliquerait un interdit toujours respecté par les Alladian. Cette tradition qui reprend
en l’inversant celle de la coupure aciekexi/br3bo vérifie l’équivalence brobo/Nord et l’opposition
brsbo # paternels d’une part, les équivalences aciokezi/Sud et aciekezi/paternels d’autre part.
A ce point de l’analyse, on peut donc conclure provisoirement, faute d’une analyse étendue
à toute la zone lagunaire, entendue au sens large, des systèmes lignagers et religieux et des
traditions d’origine, que la double dichotomie avavé/agouri et br3bo/aciekezi correspond d’une
part à une distinction structurelle - qu’on retrouvera dans l’analyse de la parenté et des principes
de la descendance -, d’autre part à une distinction intra-ethnique - les villages Kovou, Grand-
Jacques et Avagou ont été les premiers fondés sur le rivage maritime, et l’ensemble des villages
agouri forme une unité par rapport aux autres villages alladian, enfin que tette distinction intra-
ethnique correspond dans une certame mesure à une distinction entre ethnies, les Avave ayant
été apparemment plus que les Agouri en contact avec des groupements d’une par-t « ébrié )) et
d’autre par-t « aizi » ; seule une étude approfondie de la région occidentale de la lagune (des groupe-
ments dits « avikam », « dida ))et ((aizi ))) permettrait peut-&re de préciser la nature et les incidences
des contacts entre migrations venus de l’Est et autochtones ou habitants de la zone ouest -
dont l’origine n’est d’ailleurs pas toujours nécessairement occidentale. Pour apprécier l’importance
de ces contacts on pour-r-a se reporter au tableau VI et noter que de nombreux noms de quartier
des villages alladian sont d’origine étrangère. Si certains d’entre eux s’expliquent, à Grand- Jacques
et Jacqueville notamment, par l’arrivée relativement recente de groupes d’Audouin nettement
localisés (cf. chap. 111), d’autres semblent anciens et d’origine tantot ébrié, tantot aizi : Angban,
Assandin, Ankpatcha sont des noms ébrié; Négui, Zigahé des noms tizi, Awaiyem un nom
adioukrou.. .
A Addah (cf. tableau VI) la famille Niaman est dite ébrié, la famille Yédjen braffé, la
famille Gozé dida. On pourrait cependant remarquer à l’inverse que le dieu des Agouri de Grand-
Jacques (Beugré) vient de I’Ouest, que les villages agouri (Grand-Jacques, Avagou) se sont
constitués d’ouest en est, et que l’origine des Agouri camme groupe particulier est rattachée par
la tradition à l’affirmation de la solidarité père-épouse-fils en opposition avec la solidarité soeur-
frère. Peut-on voir dans ce centraste constant entre une volonté d’aflìrmer une origine orientale
et une référence perpétuelle à l’occident, entre la part pratiquement faite à la relation père-
fils et l’importance de principe de la matrilinéarité, le signe d’une influente extérieure, d’une ren-
contre entre deux systèmes socio-culturels ?
L’idéal d’assimilation des Alladian, en relation avec leur grande chance économique des
siècles précédents, est assez affirmé pour qu’on puisse en tout cas se méfier de la lettre du récit
du périple lagunaire. La relation Abra-Bassam semble clairement établie. Le problème pose par
Audouin, actuellement ébrié, dont les liens avec les Alladian d’une part, avec Petit-Bassam d’autre
part semblent incontestables, resume en fa.3 toute l’ambiguité des traditions de peuplement
du littoral. Nous serions ainsi tentés d’accorder quelque crédit aux deux récits de la scission
d’Abréby, laquelle semble correspondre tout à la fois à la rupture d’un groupe d’abord uni et
à une rencontre avec des éléments étrangers.
Il semble donc qu’en définitive on doive tenir compte des analyses de Baumann et Wes-
termannl qui font du « groupe lagunaire » un ensemble de peuples « qui se rattachent bien au
cycle matrihnéaire des Agni-Achanti, mais qui n’accusent par ailleurs qu’une influente super-
ficielle de ces derniers peuples ». Certes la solution qui consiste à faire des peuples lagunaires
à l’est « une liaison avec les peuples Kwas (en tant qu’unité ethnologique) à peu près au meme
degré que les Krous... avec le cercle Atlantique de 1’Ouest 3 n’est qu’une manière camme une
autre de présenter un constat d’ignorante en matière de u diachronie )).
I. H. BAUMANN et D. WESTERMANN, Les peu@es et les civilisations de I’Afrique. Traduction francaise
par L. Homburger, Payot, Paris, 1962, p. 343.
2. H. BAUMANN et D. WESTERMANN, 09. cit., p. 371.
CONSTITUTION, ORGANISATION DES VILLAGES ALLADIAN 61
La théorie des Ncercles culturels » ne permet pas de distinguer à coup stìr pour une société
donnée, les éléments culturels originaux des éléments importés - à plus forte raison dans une
région de forte diffusion.
Le concept d’ethnie qui, vu l’importation massive d’étrangères, notamment au siècle
dernier, n’a pas à l’heure actuelle de contenu « biologique 11,se révèle, de ce point de vue, encore
plus « vide 11quand on le réfère à l’histoire dans laquelle et par laquelle il s’est constitué.
C’est à un autre niveau qu’il faudra trouver et analyser, si elle existe, 1’ « identité » ahadian ;
les confusions de l’histoire traditionnelle et la profusion de traits culturels divers, imphquent
qu’une telle identité ne puisse, en tout état de cause, se définir qu’au terme de l’analyse des
structures et des dynamismes de la soci& considérée.
I. On remarquera que l’expression « politique matrimoniale )) n’est pas analogue par exemple à celle de
« politique étrangère », laquelle se définit par son champ d’action indépendamment des moyens qui lui donneront
son sens. La réalisation d’un idea1 matrimonial n’est pas le but de ce qu’on appellera politique matrimoniale :
elle n’est que le moyen - et seulement l’un des moyens, mais sans doute le plus efficace - d’une action qui
touche au fonctionnement économique et socia1 de la société dans son ensemble.
62 LE RIVAGE ALLADIAN
substance, cet enfant est de son sang, elle le connait mieux que moi. » Le débat qui suit (fictif
au demeurant, puisque depuis l’interrogation du cadavre, l>issue en est connue) oppose paternels
et maternels. Un informateur nous a suggéré que les intérets de chaque moitié du village coin-
cidaient avec ceux d’un des deux partenaires de l’alliance matrimoniale, tout se passant alors
camme si père et oncle maternel, ou mari et femme, appartenaient nécessairement à des moitiés
différentes, ce qui, en fait actuellement, n’est pas le cas.
Tout se passe donc camme si, idéalement, les intérets de la mère coincidaient avec une
moitié du village (la moitié opposée à celle où son fils est mort), et ceux du père avec l’autre
moitié (celle où il est mort : les habitants de tette moitié du village ne demandent pas de comptes
au père du mort ou à son représentant). La résidence étant chez les Alladian patrilocale, tette
coincidente s’expliquerait parfaitement dans un système de réciprocité matrimoniale entre deux
familles, l’oncle materne1 du mort habitant nécessairement la moitié opposée à celle de son neveu
(cf. fig. za).
Le cas des chefs de tour n’est pas essentiellement différent. Certes l’individu appelé à
succéder à son frère ou à son oncle materne1 quitte la tour de son père, et dans l’hypothèse envisagée,
change de moitié. Mais il rejoint nécessairement l’autre moitié quand le représentant de sa
famille maternelle y meurt et la quitte ; plus exactement, il rejoint tette moitié après épuisement
de ses ascendants maternels susceptibles d’hériter le trone avant lui (les frères de sa mère).
Parallèlement, le fils de la so-ur ainée de son père, à la disparition du dernier frère de ce dernier,
vient prendre le trone de la moitié opposée, et ainsi l’un et l’autre mourront dans la moitié où
vivent leurs cousins croisés patrilatéraux (appartenant au lignage de leur père), opposée à celle
où vivent leurs frères (appartenant au lignage de leur mère).
Considérons la figure zb. Le segment A-B (père et fils, respectivement du lignage est et
du lignage ouest du village, résidant d’abord dans la moitié ouest du village) pivote autour de
l’axe symbolisant la moitié du village, lorsque, CImort, A vient prendre sa succession et s’installe
dans la moitié est avec sa femme et ses enfants, notamment B, son fils ainé et son frère F. Un
phénomène inverse et symétrique se produit à la mort de @lorsque C avec ses fils D et E vient
s’installer dans la moitié ouest.
A la mort de C, son neveu B viendra lui succéder dans la moitié ouest, son frère F resta&
dans la moitié est, où vivaient à l’origine C et son frère CI 1; de meme D succédera à son oncle A
dans la moitié est, son frère E restant dans la moitié ouest. B et D mourront dans la moitié opposée
à celle où vivent leurs frères.
On se souvient en outre que lors de la fete d’agigaw les aciskezi (qui syrnbolisent la parenté
paternelle) s’associaient à une moitié de village, au long de laquelle était tendue une corde de
raphia. Cet usage que les informateurs ont associé à la fete d’agigam est évoqué par Niangoran
Bouah à propos de la fete d’enrit8, purification (des lieux du travail) ; il ne le signale pas dans
sa description de la fete d’agigam ; une confusion de la part des informateurs est possible ;
l’essentiel est que la description faite par Niangoran Bouah2 associe très explicitement aciekezi,
mer, Ouest et Lavri, divinité de la mer, d’une part ; brousse, bmbo, Est et dieu Bedézi d’autre part :
« ... le troisième jour après la fin du travail, toute la population, divisée en deux groupes, se
range sur la plage. Une distante d’environ IOO mètres les sépare. Chaque groupe tend une
corde de fil de raphia d?ine case du village jusqu’à un pilier planté au lieu du culte. L’empla-
cement choisi par les Etiékézi doit &re en face du lieu considéré camme le milieu du village,
celui des Brobo en face du lieu du culte de la divinité Bédézi.
Chaque représentant d’un groupe envoie un canari de vin de raphia. Au milieu le
chef tient la pirogue d’une main, la pagaie de l’autre. Il mime les gestes du départ jusqu’à
ce que la pirogue soit renversée deux fois. Alors le pretre la porte vers l’ouest pour la déposer
sur l’autel de Lavri... »
I . On suppose que CI et AI sont morts avant leur frère, puisqu’ils sont placés avant leurs neveux respec-
tifs B et D dans l’ordre successoral.
2. NIANGORAN BOUAH, 09. cit.
64 LE RIVAGE ALLADIAN
Ouest
FIG. 2.
Or il convient de remarquer que, si Lavri est une divinité de la mer, Bedél, dont le sanc-
tuaire est au centre (légèrement dans la moitié est) du village, est une divinité à laquelle avaient
recours tous les individus en rupture avec leur famille, notamment à la suite de l’accusation
d’un cadavre ou de la malédiction d’un père ; autrement dit elle constitue le plus souvent un
I. On dit aussi Bedézi ou n’zi signifie « père » et par extension « chef ».
CONSTITUTION, ORGANISATION DES VILLAGES ALLADIAN 65
refuge aussi bien hors de la parenté maternelle que hors de la parenté paternelle ; il n’est pas
dès lors étonnant que les bwbo aient été associés à tette divinité, d’une facon dont les informateurs
n’arrivent pas à rendre compte, puisque Bedé valait pour tous et que son culte n’était pas l’apanage
des bmbo; l’important est qu’il n’ait pas été non plus celui des aci&kezi, et qu’ainsi la division
ouest/est semble relayer sur le plan religieux la division nord/sud et ses implications structurelles
déjà constatées sur divers plans.
Mais que peut signifier la transposition sur un plan en quelque sorte horizontal (ouest/est)
d’une opposition déjà située, si l’on nous permet ce langage figuré, sur un axe vertical (nord/sud) ?
La réponse (sous forme naturellement hypothétique) est dans la question, si nous rapprochons
celle-ci des remarques faites plus haut : paternels et maternels peuvent 6tre associés chacun pour
leur part à une des deux moitiés du village, non plus en tant qu’ascendants de te1 ou te1 individu,
mais en tant que partenaires de I’alliance matrimoniale.
Est-ce à dire que la dichotomie ouest/est permette de conclure à l’existence passée de
véritables moitiés exogames ? L’organisation des villages alladian a-t-elle été à un moment donne
véritablement dualiste ? Il semble à tout le moins qu’il y ait eu dans la société villageoise alladian
une tendance au dualisme ; on peut d’ailleurs à l’appui d’une telle hypothèse faire encore
quelques remarques : tout d’abord il est bien évident que Seul un système de réciprocité
absolue entre deux familles permet de réduire l’opposition entre paternels et maternels dans
la mesure où, théoriquement, tout père dans l’une des deux familles est oncle dans la seconde et
inversement.
Mais il est un terrain sur lequel un te1 partage, ou plus exactement un te1 parallélisme,
est meme en théorie impossible : celui de la politique et du pouvoir. Le pouvoir ne se partage
pas, et il est très remarquable que dans une société à tendance fortement matrihnéaire, où les
relations entre oncle materne1 et neveu sont présentées, ainsi qu’on pouvait s’y attendre, camme
plus tendues que celles entre père et fils, la tradition ait retenu le souvenir de violents conflits
entre père et fils, précisément à propos des questions de pouvoir.
Les mythes de fondation des villages sont parfois assez confus pour qu’on hésite à les
interpréter ; mais on doit bien remarquer que la série des villages centraux du littoral s’est appa-
remment constituée par une succession de querelles et de ruptures entre père et tis ; c’est le cas
en effet de Grand-Jacques, Jacqueville, Adoumanga et Al-ma. Tévé Mambé est présenté camme
le fondateur de Jacqueville et camme le fils de Dabou Tévé, chef de Grand-Jacques. On a vu
dans le chapitre précédent le récit des querelles à la suite desquelles furent fondés Adoumanga
et Ahua. On peut ajouter qu’à Abréby, le fondateur du village, qui fut aussi son premier chef,
Lézou Beugré, est dit avoir abandonné le village, sa femme, ses enfants et le pouvoir, repris par
son beau-frère.
Or dans deux villages au moins, les deux plus importants pendant une longue période,
et peut-6tre trois, il semble que les modalités de transmission de la chefferie aient tendu à réduire
la tension entre père et fils. Mais le système d’alternante du pouvoir dont Jacqueville et Grand-
Jacques offrent l’exemple ne peut jouer ce role « conciliateur » qu’à partir d’un système de récipro-
cité matrimoniale.
Sur l’exemple de Jacqueville, la démonstration serait assez facilement concluante. La
tradition rapporte en effet que le fondateur en fut Tévé Mambé, qui s’y installa en compagnie
d’un CC ami )), Kacou, dont il épousa la sceur. Il fut en outre convenu que le pouvoir reviendrait
altemativement à chacune des deux familles ; la règle de transmission du pouvoir, camme celle
de la transmission des biens, qui est toujours présentée aujourd’hui camme matrihnéaire, de
frère à frère, ou d’oncle materne1 à neveu, était ainsi « tournée » au bénéfice des deux lignées : le
pouvoir appartenait toujours au fìls du chef précédent, mais à la lignée de sa femme. Les deux
principes sont ainsi « conciliés » par un système de réciprocité absolue, dont les débuts de la généa-
logie des chefs de Jacqueville nous donne l’idée, puisque Mambé Dagri, fìls de Tévé Mambé et de
I. La puissanced’un « sorcier )I n’est censée agir que dans la famille matemelle ; la malkdiction du père
est toujours suivie d’effet.
5
66 LE RIVAGE ALLAIADN
A Dagri Bonny
3
i,,,,,---.--ma
FIG. 3.
la soeur de Kacou, est presente camme le second chef de Jacqueville, et Dagrì Bonny (CC neveu »
de Tévé Mambé et fils de M. Dagri) camme le troisième (cf. figure sa).
Meme et surtout si, camme c’est possible, tette généalogie initiale des chefs de Jacque-
ville a été « fabriquée », elle est significative. Le schema idéal de la réciprocité et de l’alternante
du pouvoir ferait donc ainsi apparaitre tour à tour chaque lignage tout en maintenant la trans-
mission en ligne paternelle, et pourrait abolir à la limite la distinction entre cousine croisée
patrilatérale et cousine croisée matrilatérale, conformément a la figure gb, qui serait le complément
logique de la figure sa.
On remarquera, si l’on se reporte à la figure 2, que seule l’hypothèse de la réciprocité entre
deux familles permet de concilier l’alternante du pouvoir entre les deux familles, l’alternante
entre les deux moitiés du village, les règles de residence patrilocale et de descendance matrilinéaire.
CONSTITUTION, ORGANISATION DES VILLAGES ALLADIAN 67
Si a meurt avant p c’est A qui succède à ce dernier, après &re venu prendre le trone dans
la moitié est ; à la mort de A, c’est C qui lui succède camme chef de village (il est venu à la mort
de /3 prendre le tr6ne dans la moitié ouest), ou, si C est mort, B, fìls de A venu succéder à C dans
tette meme moitié ouest.
Certes d’autres formes de mariage dans le lignage que celui avec les cousines parallèles
sont concevables, et celui-ci seul est interdit. Mais les créations de village attribuées généralement
à deux familles, la mention spéciale accordée à un type de mariage actuellement peu représenté,
et l’existence en certains cas d’une alternante du pouvoir sont des indices concordants.
Le cas de Grand-Jacques est évidemment moins éclairant que celui de Jacqueville, puisque
les Bobo et les Boumbro, qui se succèdent théoriquement au pouvoir, appartiennent à la meme
moitié du village. Cette monopolisation du pouvoir pourrait s’expliquer par la division du travail
socia1 qui, selon certains informateurs, fut très tot le fait de Bodo-Ladya : activités religieuses
dirigées par les Andongon, guerrières par les Kovou, artisanales (forges) par les Tévé. On ne
trouve trace d’une division de ce genre dans aucun autre village alladian. Il ne faut évidemment
pas oublier que les Tévé, Bodo-Boumbro et Kovou sont tous, à l’origine, des Kovou. A Avagou
il y a alternante du pouvoir entre les deux moitiés du village, mais entre deux branches de l’wze
KOVOU,chacune résidant dans une moitié différente. Au reste, l’alternante du pouvoir ne semble
avoir été, là où elle est attestée, qu’un idéal souvent méprisé, camme on pour-r-avoir en dénombrant
les irrégularités nombreuses des listes de chefs ; c’est un idéal d’un caractère d’ailleurs très forme1
puisque s’il concilie théoriquement les intérets des deux lignages, il laisse subsister les rivalités
de personne, créant tette fois-ci, dans l’hypothèse de la réciprocité absolue entre deux lignages,
un nouveau motif de tension entre oncle materne1 et neveu, celui-ci n’ayant rien à attendre de
celui-là mais celui-là risquant de ne pas tolérer l’autorité de son neveu. Dans l’hypothèse de la
transmission du pouvoir du chef décédé à son beau-frère, c’est l’impatience du fils qui peut fair-e
problème, puisqu’il se trouve décu aussi bien camme fils que camme neveu, la transmission de la
chefferie s’effectuant alors du père à l’oncle et de celui-ci à son fìls (neveu du père) . Révolte du
fils (camme dans le cas de Grand-Jacques et de la fondation de Jacqueville), révolte du père
(camme dans le cas de Jacqueville et de la fondation d’Adoumanga et d’Ahua) ou aussi bien
successions dans un meme lignage - selon le principe matrilinéaire au mépris de l’alter-
nance théorique du pouvoir - peuvent ainsi s’expliquer par référence au schéma de la réci-
procité absolue assortie ou non (régulièrement ou non) d’alternante du pouvoir entre deux
familles.
Encore une fois, il suffit que les indices d’un dualisme matrimonial que nous venons de
relever indiquent une tendance, dont on peut constater quelle n’existe plus, que sous une forme
atténuée ou travestie, et admettre qu’elle ne s’est sans doute jamais pleinement réalisée. On peut
aussi considérer que dans l’hypothèse où tette tendance a eu une réelle existence historique,
le role du clan Andongon se comprend encore mieux, ses représentants ayant apparemment joué
du point de vue de l’alliance le meme role en fin de compte conciliateur que du point de vue
proprement familial.
On pourra remarquer en effet sur le plan des villages que les Andongon, dont on a vu qu’ils
exprimaient tout à la fois l’opposition et la conciliation des paternels et des maternels, habitent
soit, contrairement aux autres wne (exception faite pour les Kovou d’Avagou), dans les deux moitiés
du village camme à Grand- Jacques, soit à la limite de ces deux moitiés : ce dernier cas est illustré
c par le cas de Jacqueville où le quartier Andongon s’appelle Agunte, mot désignant en alladian
un arbuste, son bois, dur, utilisé depuis longtemps pour marquer les limites des forets de chaque
famille, et par extension la « frontière » que délimite ce bois. Cette répartition se vérifie également
à Avagou où le clan Andongon est largement représenté. Les Andongon pourraient ainsi appa-
raitre également sur le plan matrimonial camme le symbole de la réconciliation des intérets contra-
dictoires, et plus précisément, en l’occurrence, de l’endogamie lignagère ou de la pseudo-endogamie
lignagère ; on a vu en effet également que les allusions de la tradition à l’acquisition de femmes
captives ou étrangères visaient d’abord le clan Andongon, et l’on verra plus loin comment les
femmes étrangères servent d’ Néquivalents 1)aux femmes de l’aci3kg.
68 LE RIVAGE ALLADIAN
Nous pourrions alors completer le tableau précédent et situer plus précisément le r6le
des Andongon dans l’ensemble des institutions alladian :
Organisation
matrimoniale Réciprocité Endogamie Réciprocité
La famille Andongon a été transfuge des Avavé chez les Agouri, à l’occasion d’une rupture
entre parenté maternelle et patemelle d’un de ses fìls. Elle est donc associée à ce titre à la division
religieuse qui opposa aciokezi et brgbo, opposition qui affirme l’importance du principe patrili-
néaire. Mais tette opposition est en elle-meme conciliatrice puisque la qualité de bmbo ou d’aciekezi
se transmet en ligne paternelle et que par conséquent la distinction bmbo/aciekezi ne correspond
plus nécessairement, après la rupture initiale, à la distinction avavé/agouril. Associés à la brousse
au meme titre que l’ensemble des Avavé, les Andongon sont par excellence des gens de la mer.
11sne sont ni de l’Est ni de l’Ouest.
La tradition en fait, symbole par là de l’ethnie alladian dans son ensemble, les gens de
l’aventure et de l’expansion, les premiers à avoir rencontré les Européens, le dieu Beugré et,
apparemment, à avoir épousé des femmes étrangères, mais d’une aventure et d’une expansion
qui devaient fournir les moyens d’une politique « matrimoniale » plus économique que la réci-
procité, les Alladian ayant trouvé que le meilleur moyen de se marier « entre soi » était d’ Kimporter »
des étrangères.
Il sera.3 sans doute hatif de conclure de tels indices à l’existence effettive à un moment
donné de l’histoire des Alladian de moitiés à fonction matrimoniale, opposant et associant époux
et épouses, pères et mères ; on peut simplement dire qu’une telle conclusion n’est pas impensable,
au moins s’appliquant à une tendance momentanée de la société alladian, et quelle aiderait à
rendre compte d’un certain nombre de faits hérités du passé et sans fonction actuelle.
I . Il faut remarquer à ce propos qu’il n’existe naturellement pas dans le tableau ci-dessous d’équivalence
terme à terme (l’équivalence Agouri = Sud = Ouest n’aurait aucun sens) mais qu’il y a homologie entre les deux
séries ; on ne passe pas d’un teme à un autre, mais d’une opposition à une autre. Il n’est pas nécessairement vrai
que les Agouri viennent de l’ouest, habitent au Sud, sont aciskezi et dépendent plus de leur père que ne le font
les Avavé, et que ceux-ci viennent de l’Est et habitent le Nord. Mais qu’il y ait eu des rencontres entre migrations
de l’Est et de l’ouest, opposition des principes patri et matrilinéaires, division religieuse, aménagements successifs
du système matrimonial, c’est ce qui parait probable, et c’est ce que, chacune à sa facon, expriment, nous semble-
t-il, les oppositions ici retenues.
CONSTITUTION, ORGANISATION DES VILLAGES ALLADIAN 69
Autrement dit, la division ouest/est des villages pourrait &re l’équivalent en termes
matrimoniaux de la division nord/sud en termes de famille, mais un équivalent non symbolique
qui put signifier une plus ou moins stricte répartition spatiale des échanges matrimoniaux.
C’est d’ailleurs moins la réalité d’un te1 système de réciprocité qui nous intéresse ici que
les raisons historiques qui, en tout état de cause, l’ont rendu inutile ou moins utile que des formes
nouvehes d’alliance. On ne peut plus rien comprendre en effet au système matrimonial ni à la
composition et à la segrnentation des lignages alladian, sans prendre en considération le nombre
considérable de captifs et de captives « importés » au XIX e siècle. Certes il semble bien que les
Alladian se soient de bonne heure procuré des captifs, initialement grate au commerce du sel,
et l’on sait que la traite des esclaves, si elle n’eut pas la meme importance que dans les régions
plus orientales, joua un certain r6le dans leur économie. Mais au xw siècle deux événements
cumulèrent leurs effets : l’abolition de la traite des esclaves d’une part, d’autre part la rapide
extension de la traite des palmistes et de l’huile de palmel.
Les captifs cessèrent d’etre une denrée exportable au moment où les besoins en main-
d’ceuvre locale augrnentaient. Ainsi s’expliquerait la création, parallèlement à certains grands
lignages, de branches annexes uniquement composées de captifs. En outre la fortune accrue de
ces m6mes lignages leur permit d’acquérir davantage de captives ou de doter davantage de femmes
étrangères, dont les enfants assurèrent leur puissance et leur prestige2. La conséquence sur le
plan structurel en est que la pseudo-endogamie lignagère, solution plus « économique » que tout
système d’échange meme réduit à un système de réciprocité, semble avoir été pratiquée très
largement, les captives ou les étrangères dotées foumissant la matière d’un certain nombre d’unions
équivalentes aux formes incestueuses et interdites, du point de vue de l’accroissement du lignage
et de la transmission des biens.
Il nous semble qu’on doit voir aussi dans l’accroissement de la richesse de certains
lignages la cause d’une réorganisation de la société sur une base résidentielle. Des segments de
lignages étrangers (aizi, adioukrou, avikam...) ou de différentes familles alladian se sont associés
aux plus riches des familles de Jacqueville et Grand-Jacques pour servir et partager leur fortune.
Les unités économiques et résidentiehes qui résultent de ce processus ne peuvent s’analyser et se
comprendre qu’en fonction du jeu des règles de l’alliance et de la descendance, compte tenu de
l’action « centripète N des riches familles de la région Jacquevihe-Grand-Jacques.
Si nos hypothèses sont exactes, la société alladian permettrait donc, certes à une échelle
réduite et dans une mesure fort restreinte, de mettre en valeur la complémentarité d’une analyse
des structures et de l’analyse historique. Certains récits, certaines institutions ne se comprennent
guère si, les rapprochant les uns des autres, on n’essaie de faire apparaitre ce qu’ils ont de commun,
en l’occurrence une opposition du principe patrilinéaire et du principe matrilinéaire, que mani-
festent en termes divers l’organisation sociale, l’organisation religieuse et l’organisation de l’espace
des villages alladian, et une certaine tendance à la réciprocité dans les échanges matrimoniaux ;
mais le centraste entre ces « structures )) et la réalité actuelle, où elles paraissent n’avoir aucune
fonction sociale, nous invite à ‘prendre en considération les facteurs historiques qui les ont
rendues possibles (langue émigration, création échelonnée de villages autonomes) et ceux
qui ont rendu possible une autre strutture dominante, l’endogamie lignagère ou plus exactement
la pseudo-endogamie lignagère (l’esser du commerce de l’huile de palme, l’accroissement de la
fortune de certaines familles, et l’importation massive de captifs, captives ou femmes étrangères).
Il nous reste maintenant à examiner l’organisation familiale et matrimoniale des Alladian.
I. « L’huile de palme devint vers 1850 le produit essentiel [du commerce avec la Cote de Guinée]. Elle
servait à l’éclairage, à la fabrication du savon, à la Cuisine meme et elle devenait le lubrifiant le plus utilisé pour
les machines. Le recul de la peche à la baleine après 1840, la baisse des exportations de suif russe pendant la
guerre de Crimée, en généralisa l’emploi en Europe centrale. N H. BRUNSCHWIG, L’expansion allenzande outre-eer
du XVe siècle à nos jows, Paris, P.U.F., 1957, p. 74, cité dans J. SURET CANALE, L’Afrique Noire, Park, Ed.
Sociales, 1958.
2. Les Alladian insistent sur l’importance de la « main-d’ceuvre N foumie par les ventes de captifs des
soldats de Samory.
70 LE RIVAGE ALLADLAN
NOIE avons arreté approximativement à 1914 le recensement des événements les plus
marquants (ou les mieux connus) de l’histoire des villages alladian, pour des raisons de méthode
et d’exposition ; la période rgr3-rgr4 marque d’ailleurs un tournant dans tette histoire, tant du
point de vue économique et social (avec les signes de déclin et de désarroi signalés à la fin du
chapitre précédent) que du point de vue idéologique avec la prédication de Harris et la christia-
nisation du cordon littoral.
Nous nous sommes en effet efforcés dans la première partie de tette étude de mettre au
jour les différentes circonstances historiques qui ont pu influer dans un sens ou un autre sur la
réalité sociale alladian.
Les nouveaux bouleversements apportés par le xxe siècle ont agi de manière différente
sur les diverses variables de tette réalité ; camme nous l’avons indiqué dans l’introduction, il
nous a paru que les institutions apparemment, formellement intactes, camme les systèmes
familiaux et matrimoniaux, les règles d’héritage et les systèmes d’organisation de la production
(dont il n’est évidemment pas question de prétendre qu’en fait ils n’ont pas changé) ne pouvaient
pas etre considérées du meme point de vue que les variables idéologiques et politiques dont l’appa-
rence meme a été bouleversée depuis le début du siècle (sans qu’on puisse, à l’inverse, prétendre
que leur étude ne manifeste pas des constantes).
L’étude du demier demi-siècle, pour autant que son influente était clairement perceptible
et isolable des phénomènes sociaux que nous avions sous les yeux (qu’on veuille bien, à ce sujet,
se reporter aux remarques de l’introduction) a donc été intégrée à l’étude de ces phénomènes,
plus exactement : n’eri a pas été abstraite a priori.
3
Résidence et descendance
Le village (ama) constitue une unité territoriale rassemblant une ou plusieurs commu-
nautés familiales ; ces communautés travaillent sur un terroir strictement délimité de village en
village. On a vu dans l’histoire de la formation des villages que, créés lors du périple initial des
Alladian ou à la suite de ruptures et de scissions, ils rassemblaient rarement à l’origine plus de
deux groupes familiaux ; il reste toujours possible de caractériser chacun des villages du cordon
littoral par sa composition lignagère.
Alors que les villages de forets sont traditionnellement instables, leur site dépendant du
degré d’épuisement du sol duquel ils vivent, les villages alladian, dont les activités les plus anciennes
étaient’ maritimes (fabrication du sel, p&he, et, très tot, commerce de traite) semblent ne s’etre
jamais déplacés. Si l’on excepte Abréby, puisqu’il y eut d’après la tradition deux Abréby : le
premier au moment de l’arrivée des Alladian sur le littoral, le deuxième à la fin du périple autour
du cordon littoral, et Sassako-Bénigny, regroupement récent de divers campements importants,
les villages semblent avoir été établis une fois pour toutes en fonction d’un site avantageux.
Plusieurs villages se sont ainsi assez naturellement fondés à coté de points d’eau plus ou moins
importants ; assez rapidement, d’ailleurs, vu l’exiguité du cordon littoral, tout déplacement de
village aura.2 signifié un empiétement sur le territoire du voisin ; aucune tradition ne relate d’inci-
dents de ce genre.
En revanche, les légendes se rapportant aux sites les plus remarquables sont nombreuses :
les villages se trouvent ainsi situés dans un espace religieux qui recouvre un espace géographique
dont il manifeste le très ancien aménagement par l’homme. On prendra pour exemple les traditions
qui se rapportent au site de Jacqueville, à vrai dire l’un des plus remarquables du littoral.
On a vu que c’était la découverte du petit lac de Jacqueville qui avait entrainé le départ
d’une « colonie » de Grand-Jacques. Mais à tette époque, d’après la tradition, le futur lac n’était
qu’un modeste point d’eau. Les gens d’Em~kwa étant devenus nombreux s’inquiétèrent des
ressources en eau ; le CCfétiche )) du lac, Labwégui, exigea le sacrifice d’une femme - tous les noms
de ,lac et de rivière de la région littorale désignent en meme temps assez naturellement le genie
qui les habite. Il précisa en outre qu’il ne voulait pas une esclave, mais une femme de leur sang.
N’osant désigner une vittime, les habitants demandèrent à Labwégui de fair-e lui-meme son choix
quand il le désirerait.
Avec le temps, on oublia tette proposition. Mais un jour Labwégui la rappela aux villageois.
Une jeune femme était venue au bord de l’eau faire nettoyer ses @bé par ses compagnes. La forme
de l’tigbe” est celle de deux demi-troncs de cone ayant une base commune (orientés l’un vers le
72 LE RIVAGE ALLADIAN
haut, l’autre vers le bas) : les femmes en portaient jusqu’à trois par jambe après la naissance de
leur premier enfant. L’ZgbZ, fait d’un alliage à base de cuivre, était évidemment assez lourd à
porter. La jeune femme resta.2 donc assise pendant que ses compagnes nettoyaient les @bZ, sans
les lui oter, avec un mélange de citron et d’huile de palme qu’elles avaient versé dans une cuvette
de cuivre. Soudain le lac se mit à grandir ; les jeunes filles s’enfuirent, mais la jeune femme n’eut
pas la possibilité de se relever et fut engloutie rapidement. Souvent, par la suite, dit-on, on vit
la cuvette de cuivre faire le tour du lac avant de disparaitre dans ses profondeurs.
Labwégui s’étendit donc, fidèle à sa promesse, mais sa croissance fut contrariée par Assandré,
autre génie locai, qui demeurait sur l’emplacement actuel de l’église catholique, et dont l’oppo-
sition à Labwégui eut pour résultat que le lac d’Emokwa, arrivé de ce coté, prit la forme d’un L
renversé. Un culte fut ensuite rendu à Labwégui ; tous les vendredis les villageois s’abstenaient
de s’approcher du lac d’où les crocodiles sortaient pour s’allonger sur la plage, face au village.
On trouve des traditions de ce genre notamment à Adjué, Akrou, Avagou, Abréby.
Par ailleurs, le village ne saurait se confondre avec les hameaux de pecheurs étrangers
qui le prolongent souvent en bordure de mer, ni avec les campements de peche et de culture
situés sur la rive lagunaire. La plupart des villages possèdent un port lagunaire relié au village par
une piste ; des hameaux se sont souvent constitués autour de ces ports. 11s ont, outre
l’avantage d’etre proches de nombreuses terres de culture (de vivriers généralement), ceux qui
tiennent à la lagune : une alimentation facile (la peche en lagune est aisée et fructueuse) et un
débouché rapide pour les produits vivriers consacrés à la vente : les femmes des villages a’izi de
la rive nord viennent elles-memes en pirogue chercher le manioc dont elles ont besoin et dont
leurs villages sont complètement dépourvus, les hommes ne s’y occupant que de la peche, activité
d’ailleurs très rentable, et les terres de culture y étant pratiquement inexistantes.
Les habitants des hameaux lagunaires possèdent très généralement une case dans le village
et ils appartiennent à une tour bien déterminée ; ils rentrent en fin de semaine au village. Il faut
ajouter que ces habitants périphériques, qui ne sont d’ailleurs pas nombreux, résident sur un
terroir connu dont l’appartenance au domaine villageois ne fait aucun doute.
Le géographe J. Gallai+ a tenté de mettre en relation l’organisation sociale des communautés
villageoises avec différents facteurs, tels que le fondement historico-religieux, les formes de l’habitat
et le terroir. C’est le second de ces facteurs qui nous intéresse pour le moment. J. Gallais se pose
à son propos deux questions, dont les réponses varient évidemment avec les villages considérés :
la concentration de l’habitat et le sens communautaire sont-ils liés ? Le plan du village est-il
susceptible de révéler les caractères essentiels de l’organisation sociale ? La réponse à la seconde
question dans le cas des villages alladian est assurément afhrmative.
On distingue dans tous les villages alladian des ((moitiés N,des « quartiers » et des « tours ».
Il n’existe pas de terme alladian pour désigner chacune des « moitiés N du village, mais chaque
quartier est situé sans confusion possible dans la moitié ouest ou dans la moitié est du village.
Il arrive qu’une telle moitié porte le nom de m’bata, lequel s’applique, avec quelque subtilité,
à une unité tout à la fois sociale et résidentielle, mais c’est que dans ce cas il y a coincidente entre
une telle unité et une moitié du village. C’est ainsi que les deux moitiés de Jacqueville s’appellent
Mambé M’bata et Kacou M’bata.
Pour ce qui est du terme m’bata, on saisit mieux sa signification quand on le compare au
terme 3kukro, d’une part, qui désigne une simple division territoriale et qu’on peut traduire par
quartier, au terme Orned’autre par-t, qui désigne l’ensemble de la famille matemelle d’un individu.
Il implique à la fois communauté de sang et communauté de residence. A vrai dire son sens littéral
est « porte », et il désigne davantage un lieu que ses habitants, mais son emploi le plus fréquent
l’associe à des noms de famille, et dans cet emploi il désigne un ensemble de familles apparentées
vivant cote à cote, ou plus exactement un ensemble de tours dont les chefs appartiennent à la
meme famille matemelle (ame). Il y a parfois, et meme souvent, coincidente entre 1’3kukro et
le m’bata; il est certain que tette coincidente devait &re originellement systématique, et que
chaque gkukro était le m’bata, la porte, ou la piace, d’une famille ; mais les effe& de tette coinci-
dente ont pu disparaitre ou s’atténuer du fait de l’extension des villages et des lignages qui les
formaient à l’origine, du fait aussi de l’arrivée dans le village d’éléments extérieurs (segments
de lignage d’autres villages, captifs et captives facilitant la création de nouveaux segments de
lignages) ; ainsi il peut arriver qu’il y ait plus d’gkukro que de m’bata, l’entretien du village ayant
par exemple nécessité une division en trois « sections » des deux familles originelles. Le village
d’hdoumanga, village où réside en principe une seule grande famille, est divisé en trois 3kukyo.
Le village d’Adjué compte deux familles originelles et quatre quartiers ; le dernier quartier est
peut-&re d’origine plus récente, mais les trois premiers sont anciens : les noms des 3kNkro sont
souvent intraduisibles pour les Alladian lorsqu’ils appartiennent à une langue étrangère. A Adjué,
le troisième quartier porte un nom (AgbZ) ébrié, mais le nom du second (AwZzi k%kro) signifie :
quartier du milieu, nom que possède d’ailleurs assez naturellement le quartier centrai d’autres
villages alladian.
Il peut arriver aussi que l’incertitude dans le choix des termes gkukro ou m’bata dont
témoigne parfois l’usage alladian soit renforcée par la nécessité de classer certaines familles arrivées
sur le tard dans le village. C’est ainsi qu’à Jacqueville les deux grandes moitiés, Mambé m’bata
et Kacou m’bata, sont subdivisées en quartiers appelés de facon apparemment arbitraire mais
non indifférente gkakro et m’bata.
Le terme abz2 désigne une tour, c’est-à-dire, selon qu’on se réfère à son acception résiden-
tielle ou à son acception sociale, qui ne se recouvrent pas, un ensemble de cases (aw0) réunies
autour de la case du chef de tour, ou l’ensemble de la parenté maternelle dont ce chef de tour
est le chef et en principe l’ainé, et dont il détient le trane (abu) et le trésor (abii wakre). Cette
ambivalente du terme abii est le fidèle reflet de l’organisation d’une soci& qui est à la fois matri-
linéaire et patrilocale. Il existe une distinction très nette, et essentielle, entre les EbiUi (de chi,
qui renvoie à la notion de patrilignage (nous y reviendrons), et iii : né de) et les abii Ui (de abii)
(tour). Les premiers sont les enfants des hommes de la tour, les seconds sont véritablement les
enfants de la tour, frères ou neveux maternels du chef de tour, par exemple, qui sont seuls les
héritiers en puissance du trone de la tour où ils ne vivent pas. Cette organisation est assez originale,
puisque si l’on se réfère au tableau dressé par Murdockl à partir de 159 sociétés, on s’aperGoit que
si sur 36 sociétés à descendance matrilinéaire 23 sociétés combine& une telle descendance avec
l’héritage dans la lignée maternelle, sur g8 sociétés à résidence patrilocale 6 seulement combinent
une telle résidence avec l’héritage en lignée maternelle. Il faut ajouter que dans la mesure où la
tour alladian est normalement le centre d’une famille étendue patrilocale, les Alladian constituent,
à la suite des Ashanti, une seconde exception à la règle établie par Murdock selon laquelle la règle
de succession est toujours matrilinéaire dans les familles étendues matrilocales, patrilinéaires dans
les familles étendues patrilocales2.
Une tour est donc habitée en principe par le chef de trone, sa femme, ses enfants, c’est-à-dire
ses fils, eux-memes éventuellement pères de famille, ses fìlles non mariées ou dont le mari n’a
pas encore pu construire une case dans la tour de son propre père. Si le chef de trone meurt, son
héritier appartiendra naturellement à sa famille maternelle : ce sera par exemple son frère ou le
fìls de sa sceur qui viendra avec sa femme et. éventuellement avec ses enfants. La femme de l’ancien
chef pourra demeurer dans la tour où elle vivait avec son époux, mais elle préférera rejoindre en
principe sa famille paternelle - c’est-à-dire les maternels de son père -, à moins qu’à la suite
d’une mésentente quelconque elle préfère rejoindre sa propre famille matemelle. De meme les
enfants de l’ancien chef resteront en principe dans la tour commandée par son frère ou son neveu,
I. MURDOCK, Social Structuve, First Free Press Paper back, Edit., New York, 1965, p. 38.
2. Ibid., p. 39 « ... Incomplete evidente as to the mode of succession in societies possessing extended
families reveals that, with one exception, succession is always matrilineal in matriloca1 and avunculocal extended
families and patrilineal in bilocal and patrilocal extended families. The single exception is the Ashanti of West
Africa, who have the patrilocal extended families but matrilineal succession. In this society men exercise greater
authority over their sororal nephews in other households than over their sons in their own... »
74 LE RIVAGE ALLADIAN
mais il n’est pas rare que te1 ou te1 de ces eb%i, ne s’entendant pas avec l’héritier de son père,
regagne sa famille maternelle ; c’est là une grande offense ; durant toute l’année 1966 des négocia-
tions se sont déroulées à Jacqueville entre deux des tours de la moitié Kacou, à la suite desquelles
le coupable (qui avait quitté la tour de l’héritier de son père pour celle de ses maternels) a fa.2
amende honorable et regagné sa case d’origine.
Une rupture de ce genre peut entrainer la création d’une nouvelle tour, sans trone. On en
a un bon exemple avec la tour de Z.C. à Jacqueville. Le père de Z.C. s’étant disputé avec son fils,
dans le campement qu’ils occupaient en bord de lagune, renvoya la femme de ce fils chez ses
parents ; Z.C. se sépara de son père, fonda sa propre tour dans Mambé m’bata (son père appartenait
à la tour d’Apale Boguil) ; ses parents paternels ont toujours refusé de présenter pour lui des
excuses aux parents de sa femme, seule procédure susceptible en principe de la lui ramener. La
« tour » de Z.C. est en fait très réduite : sa mère est venue l’y rejoindre, avec trois enfants adoptifs ;
sa femme également, après, dit-on, quelques malheureuses expériences à Abidjan ; mais le fìls
que C. avait eu d’un premier mariage est resté chez L.K., héritier de son père - très normalement,
puisque, camme on le verra, le premier enfant d’un mariage revient en principe à son grand-père
paternel. On retiendra pour l’instant de ces exemples que toutes les tours ne possèdent pas un
trhne (abu) mais que des disputes ou d’autres raisons peuvent entrainer dans un meme village
ou d’un village à l’autre la création de concessions au destin parfois mais non nécessairement
éphémère, qui ne correspondent pas au schema de principe de l’organisation villageoise. L’usage
alladian distingue d’ailleurs entre abii employé, dans son acception territoriale, pour désigner
toute concession (ensemble de cases entouré d’une cloture en bambous), et gbii m’bata, formule
plus insistante qui ne s’applique qu’à la tour véritable, où se trouve le tr&ne d’un segment de
lignage. A tout abii dépourvu de trone correspond un abti m’bata qui est son centre veritable,
meme s’ils sont sépares par d’autres abii ou, camme cela arrive parfois, situés dans deux villages
différents. A l’inverse un segment de lignage important segmenté lui-meme à l’intérieur d’un meme
village est dit posséder plusieurs abii m’bata. L’abii m’bata est en fait la piace du trone, abrit6
par un Napatam » dressé dans la tour à cote de la case du chef. Le trone symbolise la permanente
de la lignée et tout faux serment preté sur lui suscite la colère des ancetres et entrarineleur vengeance.
Un trone peut se remplacer (certains Alladian semblent meme avoir une prédilection pour les
sièges peints de couleurs fraiches et vives), mais les trones usagés sont évidemment conservés ; c’est
eux qu’on ira chercher de préférence pour fair-e preter serment à celui dont on veut éprouver la
parole.
L’organisation de la tour combine, on l’a vu, les principes matrilinéaire et patrilocal. En
tant qu’unité de résidence elle abrite une famille étendue au sens où Murdock2 l’entend : R ... two
or more nuclear families United by consanguinea1 kinship bonds such as these between two siblings ».
Dans le cas théorique représenté dans la figure 4, B, qui habitait la tour 1 de son père,
est appelé à succéder à A sur le tr&te de la tour 11 ; a, veuve de A, rejoint la tour de ses parents
paternels, 111 (où se trouvent des frères et des sceurs célibataires de son propre lignage sous l’autorite
d’un représentant du lignage materne1 de son père) ; les fils de B et ses filles non mariées viennent
vivre avec lui ; un fils mar%, B’, réside dans la tour avec sa femme, b’, et ses enfants ; les fils de A,
et éventuellement ses fìlles non mariées restent dans la tour 11 avec leurs épouses et leur descen-
dance. Les représentants de plusieurs Iignages peuvent donc coexister dans une meme tour ;
mais cet exemple reste très théorique, étant donné que les Alladian se marient souvent dans le
meme lignage ou le meme segment de lignage, disant alors qu’ils se marient « aGm », « dans la
tour N, abii s’entendant tette fois-ci au sens social et non plus territorial.
Chaque famille élémentaire, « nucléaire N au sens où l’entend Murdock3 (cca married man
and woman with their offspring )j), habite une case avec sa Cuisine particulière ; seuls les céliba-
taires ne disposent pas en principe d’une Cuisine et préfèrent se joindre à un ménage pour prendre
leurs repas ; il faut préciser qu’un jeune marié ne peut construire de Cuisine pour sa femme qu’avec
I. Cf. plus bas le plan de Jacqueville.
2. G. P. MURDOCK, 09. cit.
3. G. P. MURDOCK, op. cit.
RÉSIDENCE ET DESCENDANCE 7.5
l’autorisation de son père - autorisation qui peut n’etre donnée que quelques années après le
mariage, et qui correspond, camme on le verra, à un changement important de statut social et
économique. Durant la periode intermédiaire entre le mariage et la construction d’une Cuisine,
la jeune femme confectionne les repas de son mari dans la Cuisine de sa mère et vient le rejoindre
chaque soir dans sa case. La vie quotidienne des Alladian n’a en tout cas rien de communautaire,
chaque famille « nucléaire 1)vivant indépendamment des autres. Cet état de choses correspond
d’ailleurs à une organisation économique assez individualisée à certains points de vue.
Du point de vue des formes de l’habitat et des relations interpersonnelles qu’elles impliquent,
les Alladian semblent avoir résolu le problème que pose aux Ashanti, selon Meyer Forte+, la
nécessité de concilier des droits et des devoirs de parenté antagonistes, en donnant une importance
marquée au role du père et de l’époux. Meyer Fortes notait que l’idéal des hommes ashanti était
patrilocal, en ce qui concerne le mariage et la famille, et qu’en règle générale les liens de parenté
matrilinéaire étaient plus ou moins contrebalancés par ceux du mariage et de la parente en ce
qui concernait les relations interpersonnelles. Sans examiner celles-ci de plus près pour l’instant,
et sous la réserve déjà formulée que la politique matrimoniale des Alladian tend de son coté à une
conciliation de ce genre, dont la composition des tours se ressent souvent - associant des individus
dont les parents des deux sexes appartiennent à un meme lignage matrilinéaire -, on peut constater
que la résidence dans la tour du père et l’existence relativement autonome des différents ménages
sont chez les Alladian systématiques. Si la division de leurs villages en quartiers et la coincidente
au moins théorique de ces quartiers avec des lignages ou segments de lignage rappelle l’organisation
des villages ashanti, il reste qu’en principe et, de fait, en général il n’y a pas chez les Alladian de
« maisonnée matrilinéaire », que les femmes mariées y vivent avec leur mari, et que la grande majo-
rité des enfants vit avec ses parents (les enfants confiés et adoptés sont certes nombreux, mais
les familles qui les accueillent n’appartiennent pas nécessairement à leur parenté maternelle) ;
toutes ces règles de résidence différencient donc nettement l’organisation ashanti et l’organisation
existe un terme différent pour grand-père (una J%i) et g-and-mère (baba), pour père (nizi ou dade)l
et mère (nomwe ou mamE)l, pour frère, réel OLIclassificatoire, du père (kzi nisri) ou de la mère
(Izomwe”nisri), et sceur, réelle ou classificatoire, des memes (1zizi 40 et nomwZ ho). Dans la
génération L’EGO c’est le terme iii (né de) qui se suffixe au terme de référence désignant son ascen-
dant, indépendamment du sexe : ainsi marna iii désigne indifféremment le frère ou la sceur L’EGO.
6.
6 -- nom
__----
-------
.I-:~~~i-l--~~~-~~i~l-i-----
f saoi
c--- onii Ui ---+
I
mm
1 %
FIG. 5. - Terminologie
x
de la parente.
Après le terme nko on trouve, dans le meme emploi que iii, le suffixe c’~equi a la meme signification
et s’applique indifféremment aux individus des deux sexes. A propos de la première génération
descendante, on peut faire les memes remarques : marna iii 2%s’applique indifféremment aux fils
I. En fait « dade J)signifie : « mon père », et « mamà » : « ma mère x Ces formes sont peut-etre d’origine
étrangère ; il est difficile de ne pas rapprocher dade de l’anglais « dady » ; elles servent en tout cas à exprimer
le rapport entre l’individu qui parle et celui dont il parle. On ne trouve pas, aux autres personnes, la forme pure
du mot signifiant « père », non plus que celle du mot signifiant « mère » : tette forme est toujours préfixée, le
préfixe variant selon que le locuteur parle du père ou de la mère de celui auquel il s’adresse, d’un tiers, d’un
ensemble d’individus au nombre desquels il se compte, etc. Ce préfixe quand il est préposé à une forme verbale
y joue d’ailleurs le role du pronom personnel : etre, chose et procès sont rapportés à une personne déterminée,
considérée du point de vue de celui qui parle. Nous citerons camme paradigmes de la déclinaison et de la conju-
gaison les flexions de dade : « mon père », « marna 1): ma mère, et mev5 : « j’ai, je possède ».
dade : mon père marna : ma mère me viii : j’ai
ezi : ton père omwe : ta mère e viii.. . : tu as
nizi : son père nomwe : sa mère ne vui : il a
buzi : notre père bumw& : notre mère boviii : nous avons
fiezi : votre père fiemw5 : votre mère iie viii : vous avez
yizi : leur père yimwt? : leur mère yo viii : ils ont
Dans certains cas la déclinaison n’est pas respectée ; c’est ainsi que le chef du village (« père du village B) :
(« ama kzi 1))sera toujours appelé ama nizz’, qu’il soit le chef de village du locuteur, de celui auquel il s’adresse,
ou d’un tiers dont il parle ; l’expression composée est considérée camme un substantif « élémentaire ».
78 LE RIVAGE ‘ALLADIAN
et aux filles du fils de la mère L’EGO et nkocre aux fils et aux fJ.les de la fille de la mère L’EGO.
Les enfants issus de tette génération sont tout indifféremment appelés par EGO un& Ui.
Le critère d’affinité est reconnu, des termes particuliers s’appliquant aux parents par alliance
L’EGO.
EGO parle de sa femme en l’appelant aZ (le préfixe a caractérise la première personne du
singulier ; pour le reste la flexion de a2 s’effectue conformément au paradigme : e, ne, bo... : eyi,
neyi, etc.) ; il parle du père de sa femme, des frères du père et de la mère de sa femme, et des
frères de sa femme plus agés ou du meme age que lui en les appelant anekre (pluriel : anskre6) ;
aux frères de sa femme plus jeunes que lui ne correspond aucun terme de référence ; il parle de la
mère de sa femme et des sceurs de la mère en disant : a+zeyi(pluriel : aneye6) ; par politesse il pourra
également parler de la femme d’un frère du père de sa femme en disant aneyi. Il n’existe pas,
en revanche, de terme de référence pour le mari de la sceur du père ou de la mère, non plus que
pour le mari de la sceur ou la femme du frère de la femme. La seur de la femme L’EGO a droit
au titre de « aneyi Nquel que soit son age. Elle sera meme souvent appelée par EGO : ma femme, af,
et l’ensemble des sceurs de la femme : buye5 (Rnos femmes )))l.
De son coté, la seur de la femme d’Eco dira volontiers en parla.& des frères L’EGO : bucie0
(R nos maris », cie6 étant le pluriel de KG), expression qu’il est évidemment facile de mettre en
relation avec la pratique du lévirat qui semble avoir été la règle, ou à tout le moins un usage
fréquent chez les Alladian.
La femme d’Eco parle de lui en l’appelant akiii (on a la Aexion akiii, ekfii, nekiii...) ; le
père de sa femme, les frères du père et de la mère de sa femme et les frères de sa femme (à condition
qu’ils ne soient pas plus jeunes que lui) l’appellent mi@ (terme akan largement répandu qu’on
retrouve notamment chez les Adioukrou, les Dida et les Baoulé). La sceur de sa femme, meme
très jeune, peut parler d’Eco en l’appelant miJa.
Il faut préciser qu’aucun de ces termes de référence ne sert de terme d’adresse : EGO appelle
sa femme par son nom et ses alliés plus agés que lui par leur « petit nom ». La famille de sa femme,
en retour, l’appelle par son nom, à l’exception des hommes plus jeunes que lui qui utilisent son
« petit nom ».
On a vu par quel terme la femme L’EGO le désignait. Pour les autres membres de la famille
de son mari elle utilise une terminologie descriptive à tendance classificatoire : le père de son mari
est aktii nizi, et le frère du pere du mari akiii nizi nisri et plus couramment : ah& nizi. De meme
pour la mère de son mari : akiii rnomwg et sa sceur : akUi nomwZ (noko).
De facon générale on désignera dans une famille l’ensemble des femmes re$ues en mariage
par tiri GO (&i = mariage) et I’ensemble des hommes ayant pris des femmes dans la famille
par &i bo.
La pratique alladian, utilisant des termes classificatoires lorsqu’il n’y a pas de confusion
possible (quitte à décrire la relation résumée par ces termes si le besoin de précision se fait sentir)
a pour effet d’annuler certains des effets qu’on pourrait logiquement attendre d’un système intégra-
lement descriptif. C’est ainsi que les doublets nomw5 et nomwe tnko, nizi et nizi nisri, marna Ci et
marna nko iii, font piace pratiquement aux trois termes classificatoires : nomwe” nizi et marna Gi.
Si le critère de collatéralité est ainsi ignoré, celui de bif&cation est respecté : la parenté du cot.6
du père L’EGO s’établit soit dans la lignee maternelle (et toujours par référence au père d’Eco),
soit dans la lignée paternelle (par référence à un frère d’Eco). En face de marna iti et de marna
nisri iii on a ainsi dade nkocre et dade zii (ou dade Ehi tii) pour dade nisri iii. Le centraste tient au
fait qu’un homme peut se situer par rapport à la lignee de sa sceur (descendance par les femmes)
ou par rapport à la lignée de son frère (descendance par les hommes), auxquelles correspondent
respectivement les concepts d’aciokg et d’sbi, alors qu’une femme ne peut pas se situer dans la
lignée de son frère. Si l’on se réfère aux trois possibilités figurées au bas de la figure 5, on voit que
dans 1 A, B et C font partie du meme aciok3 (lignée maternelle) et dans 11 du meme .sbi, alors que
I. Un veuf n’a pourtant pas le droit d’épouser la sceur de sa femme défunte, mais il peut épouser la Cile
de tette sceur.
RÉSIDENCE ET DESCENDANCE 79
dans 111 il n’y a plus de lignée dirette enti-e B et C (et plus de terminologie classificatoire possible).
On peut analyser ce mécanisme de plus près, sur l’exemple de la génération des enfants
L’EGO.
Les enfants du frère d’Eco sont désignés indifféremment par le terme de mamG Gi iii ou
celui de ebiiii, ceux L’EGO par me iii ou Ehi iii, nous reviendrons un peu plus bas sur le terme
ehi ii (la notion d’ehi se rapporte au patrilignage d’Eco). Plus significatif est le fait que les enfants
de la sceur L’EGO et ceux de la fille de la sceur de sa mère soient désignés par un meme terme
(nkocre ou abikocre : le préfixe abi équivaut à un possessif de la première personne et abikocre
signifie dans la bouche du locuteur : le petit ou l’enfant de ma sceur - plus exactement : d’une
femme de ma parente maternelle). En effet EGO peut parler, en général, de tout homme de sa parente
matemelle en l’appelant : abnisri, de toute femme de tette parenté en l’appelant : abinko. Le rôle
prépondérant de la matrilinéarité, par ailleurs, explique la différence conforme au critère de bifur-
cation des termes de référence s’appliquant aux enfants des enfants de la sceur de la mère d’une
part, aux enfants des enfants de la sceur du père d’autre part. La terminologie descriptive suit
la ligne maternelle aussi loin que possible : les cousins croisés patrilatéraux L’EGO se situent ainsi
normalement par rapport au père L’EGO, et sont désignés par le terme dade nko we : enfants de
la sceur de mon père ; les cousins parallèles matrilatéraux sont désignés par le terme : mamanko iii;
à la génération suivante la description des enfants des cousins croisés se réfère nécessairement
toujours au père d’Eco, alors que celle des enfants des cousins parallèles peut remonter par les
femmes depuis marna nko iii femme (= abinko) et depuis marna Izko iii male (= abnisri) jusqu’à
EGO. Du c6té du père et des paternels on ne peut établir d’équation de ce genre. Ainsi EGO désigne
les enfants de la fille de la sceur de sa mère par le terme abikocre (marna nko tii = abirtko) ; mais
les enfants de la fille de la sceur du père seront désignés, toujours par référence à celui-ci, par le
terme dade ana Gi : petits-enfants de mon père. De nko et de nisri on peut remarquer enfìn que
dans le tableau des terrnes de parenté ils peuvent se traduire sans inexactitude par sceur et frère,
mais toujours en composition et par référence au terme auxquels ils sont postposés, et d’abinko
et abiwisri qu’ils ne se trouvent eux aussi qu’en composition (abinkocre et abnisri Ui) dans des
termes descriptifs où ils se réfèrent à des individus de la meme génération qu’EGo.
Au tota1 on pourra, toujours en se référant à Murdock, qualifier la terminologie alladian
de « bifurcate merging »l, le père et le frère du père étant désignés par un terme classificatoire,
de meme que la mère et sa sceur, alors que le frère de la mère et la sceur du père sont chacun
désignés par un terme distinct.
Des remarques précédentes on conclura facilement au caractère assez exceptionnellement
descriptif de la terminologie alladian. On n’y trouve en effet que deux termes qui soient à la fois
(( élémentaires » et « dénotatifs 13 : nizi et nomee” (dade et marna quand c’est EGO qui parle) ; c’est
à par-tir de ces deux termes que se construisent tous ceux qui dans la génération d’Eco ou dans
la première génération ascendante expriment le lien qui relie à EGO ses parents dans les lignes
patemelles et maternelles ; les termes marna nisri (qui s’applique à la fois au frère de la mère d’Eco
et à son cousin parallèle matrilatéral), marna nko (qui désigne la sceur de la mère L’EGO et sa
cousine parallèle matrilatérale), dade nisri et dade nko (qui désignent leurs homologues par rapport
au père dans la lignée maternelle de celui-ci) sont à la fois « descriptifs » et « classificatoires » ; on
peut faire la meme remarque à propos de la génération L’EGO ; dans la génération des enfants
L’EGO camme on l’a vu une diversité est introduite par le biais de la bifurcation et de la matrili-
néarité : l’équation marna nko = abinko n’a pas son équivalent du c&é du père mais EGO, son
frère et leurs descendants font partie du meme Ehi, et une terminologie classificatoire spéciale
I. Cf. MURDOCK, op. cit., p. 141 : « Recognition of both bifurcation and, collaterality produces so-called
bifurcate-collaterl terminology, in which patema1 and materna1 uncles and aunts are terminologically differen-
tiated both from parents and from one another... The recognition of bifurcation combined with the ignoring
of collaterality produces bifurcate merging terminology in which the Fa and Fa Br are called by one classificatory
term and the Mo and Mo Si by a second, while the Mo Br and Fa Si are denoted by distinct terms. »
2. Pour la distinction des termes « élémentaires N, « dérivatifs N et « descriptifs N du point de vue de la
strutture linguistique, des termes « dénotatifs » et « classificatoires », du point de vue de I’extension ou de la
compréhension, on se réfère aux définitions de MURDOCK, op. cit., p. g8 et gg.
80 LE RIVAGE ALLADIAN
s’applique aux enfants de la sceur L’EGO et à ceux de la fille de la sceur de sa mère d’une par-t,
à ses propres enfants et à ceux de son frère d’autre part. Ce qui différencie en pratique les .sbiiiiZ’
des abinkocre c’est que ceux-ci sont les héritiers en puissance L’EGO alors qu’EGo a vis-à-vis de
ceux-là des droits et des devoirs d’une tout autre nature. Le terme abhzkocre est parfois senti
camme un terme « élémentaire » s’appliquant au fils ainé de la sceur ainée L’EGO et équivalent à
« héritier ».
La terminologie alladian, extremement pauvre en termes élémentaires mais habile à décrire,
est donc essentiellement fonctionnelle en ce quelle situe les individus d’un meme ensemble familial
les uns par rapport aux autres en fonction de leur appartenance ou de leur non-appartenance à
une lignée donnée (selon les cas lignée matemelle d’Eco, ou lignée paternelle L’EGO, l’apparte-
nance à chacune de ces lignées impliquant, selon les individus concemés, un certain nombre de
droits ou de devoirs à l’égard d’Eco). On remarquera, parallèlement, que la terminologie alladian
devient très largement classificatoire lorsqu’elle s’applique aux générations qui en général ne
sont plus ou pas encore concemées par les questions d’héritage ou d’obligations réciproques ; au
niveau de ces générations (si l’on excepte le doublet anZ kiiilbaba) aucun des critères retenus plus
haut n’est plus respecté. AnE kiii, qui peut s’appliquer à tous les ascendants de la deuxième géné-
ration (on pourra éventuellement quand on ne parlera pas du père ou de la mère de la mère d’Eco
faire suivre le terme de référence du N petit nom 1)de la personne considérée, pour en préciser
l’identité), et ana iii, qui désigne indifféremment tous les petits enfants CYEGOet tous les cousins
de la meme génération, sont des termes classificatoires et Ndérivatifs 9 formés sur en& qui signifie
pied, en5 k&i désignant le gros orteil et en; iii les autres doigts de pied.
Il faut enfin noter que les terrnes de référence ne servent pas souvent de termes d’adresse.
EGO appelle les parents de sa propre génération, ses descendants et leurs descendants, par leur
nom ; en signe de respect il appelle tous ses ascendants dans les deux lignées par leur petit nom.
Il appelle son père Ndade 1)ou « nde », sa mère « marna D, les frères et sceurs de son père ou
de sa mère par leur petit nom éventuellement précédé de « dade » ou « marna ». Il en va de meme
avec anCkiii et baba selon qu’ils s’appliquent ou non aux véritables grands-parents. On voit que la
terminologie alladian invite d’elle-meme à caractériser tette société par l’importance que son
organisation familiale et sociale accorde à chacune des lignées par rapport auxquelles un individu
peut se situer.
L’examen des termes de parenté révèle ainsi tout à la fois l’existence reconnue socialement
des deux lignées et l’importance particulière de la matrilinéarité.
La reconnaissance de la parenté en ligne paternelle ne fait aucun doute. On a vu que la
terminologie appliquée aux alliés ne distinguait pas entre les patemels et les matemels de la femme.
On a vu surtout appartitre la notion d’cbi à propos des enfants d’Eco (me Gi ou ehi Gi) et des
enfants du frère d’Eco (marna ~2;iii ou ehi iii) qui ne s’applique qu’à la parenté établie par les
hommes. On a remarqué enfin que le nom se transmettait de père en fils, celui-ci portant toujours
camme premier nom celui de son père.
Le terme chi est très vraisemblablement empnmté à l’adioukrou &b (où il désigne le patrili-
gnage) ; les emprunts de ce genre sont excessivement fréquents : on a signalé le cas du terme
akan miSa. Remarquons qu’un autre terme adioukrou, bmv (qu’il est peut-etre possible de rappro-
cher de l’ashanti abusua désignant le matrilignage et le matriclan), a été empnmté par les Alladian
chez qui, faisant double emploi avec eme, il est parfois utilisé pour designer les moitiés « avavé »
et « agouri D. Les cas d’sbi et de b2.w sont donc comparables, mais alors que le sens de bmu s’est
élargi jusqu’à designer n’importe quoi, celui d’ehi s’est rétréci au point de ne presque plus rien
désigner du tout.
I. On décline naturellement : anakiii ou w.encZkiii, enakui, etc.
2. b3su est employé chez les Adioukrou et les Alzi (où il fait double emploi avec le terme gbu).
RÉSIDENCE ET DESCENDANCE 81
Il faut tout au moins préciser que le terme ubi ne se trouve qu’en composition, et que,
commun aux enfants d’Eco et de ses frères (qui sont eux-memes &zZi par rapport à leur père
et à leurs oncles paternels), il ne s’applique jamais qu’au rapport de deux générations successives.
Il désigne un groupe plus qu’une lignée : on ne parle d’sbi qu’à propos des ebiG, et un individu
n’est EbiG que par rapport à la génération précédente.
Ce caractère de 1’cbi, sur lequel nous reviendrons à propos des relations père-fils, est illustré
par un épisode de la cérémonie des funérailles.
Les funérailles se déroulent toujours dans la tour du père - la tour d’origine du défunt.
Chaque categorie de parents ou apparentés cotise pour sa part ; sur la fin de la cérémonie on fait
l’appel des diverses catégories pour énumérer le détail de leur cotisation ; ces catégories s’entendent
par rapport au chef de tour d’une part, par rapport à la famille maternelle du défunt d’autre part ;
dans le premier groupe (pour s’eri tenir à cet exemple) les &bitii constituent l’une de ces catégorie
mais si on mesure son extension sur le versement obligatoire d’une contribution, on peut la limiter
aux fils du chef de tour et aux fils de ses frères : les fils des fils ne sont pas tenus de cotiser ; mais
ils peuvent le faire et dans ce cas le font avec les &bitii.
La parenté paternelle joue, indépendamment des habitudes et des contraintes liées à la
patrilocalité, un role très important dans la vie sociale et économique des Alladianl; mais ce rOle
s’exprime avant tout dans la relation père-fils, ou plus exactement dans une série de relations
interindividuelles, dont la fréquence et l’intensité varient naturellement avec les individus
concernés, mais dont, en toute occurrence, la relation père-frls est la seule qui soit institution-
nalisée. Aucun lien n’unit EGO à l’ertsemble de ses parents en ligne paternelle, cet ensemble n’ayant
aucune existence sociale cohérente, et n’apparaissant dans certaines circonstances de la vie sociale
- mariage, funérailles - que camme le décalque en partie effacé d’un modèle emprunte ou
disparu. La tendance que trahit la mémoire généalogique des Alladian lorsqu’il leur faut
situer précisément les uns par rapport aux autres des individus dont ils connaissent fort bien,
et immédiatement, les droits respectifs, tendance éminemment fonctionnelle, camme on l’a
vu, se réalise pleinement à propos de 1’cbi : ce terme, qu’on ne trouve - détail significatif -
qu’en composition, ne se laisse apercevoir, à la lettre, qu’en folzction des relations qu’il établit
(mais successivement) entre EGO et son père, EGO et son fils, EGO et le fils de son oncle
patemel.
Il en va différemment avec le matrilignage du père auquel EGO est uni par des liens tenant
à la résidence (son chef de tour peut etre le frère de son père, qui pourrait &re considéré camme
faisant partie du patrilignage du père, s’il existait, mais aussi bien un cousin ou un neveu du père
en ligne maternelle), et aux modalités de l’héritage et de distribution de la terre (l’ebiiii n’ayant
aucun droit à proprement parler, mais son père, ou l’héritier du père, ayant, en revanche, le
droit de lui octroyer une partie de la foret familiale pour y faire une plantation). Les liens d’Eco
à son père nous renvoient donc eux aussi à l’étude de la matrilinéarité et des groupement sociaux
et familiaux qui s’y rattachent.
Mais avant d’aborder l’étude de ces groupes il convient de souligner l’importance de I’cbi
et de préciser certains de ses caractères. On peut dire qu’à l’intérieur d’un matrilignage donné,
les différents groupes de siblings se distinguent les uns des autres en fonction de leur ehi; tette
distinction est en théorie d’autant plus aisée que les .cbiiii d’un meme Ehi habitent une meme
tour, qui n’est pas en principe celle du chef de leur matrilignage.
Ainsi 1’Ebi joue le premier role attribué par M. Forte9 à la « filiation complémentaire »,
et au niveau de la famille constitue un critère de classification ; mais il constitue bien autre chose
et nous nous attacherons dans le chapitre v à définir son role camme g-roupe de production ;
I. On verra plus loin,que le groupe des .sbiUi peut à certa& égards &re considéré camme essentiel pour
la subsistance du groupement matrilinéaire ou acisks.
2. Meyer FORTES, The Structwe of ztnilineal descent gvou$,s in Cultures and Societies of Af+, Edited
by Simon and Phoebe Ottenberg, University of Washington, 1960. P. 180 : « Since the bilatera1 famlly is the
foca1 element in the web of kinship, complementary fihation provides the essential link between a sibling group
and the kin of the parent who do not determine descent. SO a sibling group is not merely differentiated within a
lineage but is further distinguished by referente to its kin ties outside the corporate unit. D
6
82 LE RIVAGE ALLADIAN
l’exemple de la société alladian semble en effet confirmer le point de vue de M. Fortesl, selon
lequel la filiation complémentaire n’est pas simplement une constante de la strutture des relations
de parenté, mais agit à tous les niveaux de la réalité sociale. M. Fortes précise à ce sujet :
« It appears that there is a tendancy for interests, rights and loyalties to be divided
on broadly complementary lines, into those that have the sanction of law or other public
institutions for the enforcement of good conduct, and those that rely on religion, moral-
ity, conscience and sentiment for due observance. Where corporate descent group exist,
the forrner seems to be generally tied to the descent group, the latter to the complementary
line of filiation. »
On a vu dans le chapitre précédent qu’en effet les catégories religieuses de la société alladian
(a&Rezz et bt-obo) se d&inissaient en ligne patemelle. Les cultes de Tévi et de Beugré (exclusifs
l’un de l’autre) se pratiquaient de père en iìls. Chaque tour avait son génie et l’on a vu que le rapport
d’autorité le plus fort était en théorie pour chaque tour la relation père-fils. Enfin la malktiction
du pere était et est toujours considérée camme la source des malheurs les plus considérables et
les plus inéluctables.
Il reste à étudier maintenant eme et aci3k3 et apprécier dans quelle mesure ils peuvent se
définir camme des « corporate groups ».
de grands eme autonomes au meme titre que les Andongon ou les Kovou. Seules les traditions
d’origine, rappelant la parente de Dambo Yévou, Bodo, Boumbro et Tévé et l’identité originelle
du « clan » Kovou et de la ((moitié » Agouril, permettent de distinguer deux types de groupements
différenciés en outre par la facon dont ils sont nommés : par des noms de divinités ou d’animaux
dans un cas, des noms d’ancetres fondateurs dans I’autre.
Par tette dernière caractéristique certains des &me alladian sont différents des abusua
decrit par Meyer Fortes ; pour les Ashanti, en effet, le lignage comprend ((tous les descendants
des deux sexes dont on connait la généalogie à partir d’une seule aieule, également connue, ceci
suivant une ligne utérine ininterrompue 11 2. Certains lignages ahadian, Eme, portent le nom d’un
homme ; il en est de meme pour le segment de lignage, désigné, selon le cas, par le nom de l’anc&re
qui a créé ce segment ou par celui d’une personnalité prestigieuse encore vivante ou décédée
depuis relativement peu de temps. Une telle dénomination n’est pas en contradiction avec les
règles de descendance matrilinéaires ; c’est ainsi qu’à Jacqueville, camme on I’a vu plus haut,
les deux fondateurs des deux grands Eme actuels sont deux hommes, Kacou et Mambé ; mais la
tradition précise nettement que l’origine des Kacou remonte au mariage de Tévé Mambé avec
une femme Kacou, leur fils, Mambé Dagri, étant ebz% chez les Mambé, abiitii chez les Kacou.
De facon générale, les compétences des femmes agées sont reconnues et certaines d’entre elles
ont pu, plusieurs années durant, « garder » le trone d’une tour en attendant de pouvoir le trans-
mettre à un héritier male assez agé ; les femmes et surtout les femmes agées jouent un r6le impor-
tant et quelque peu ambigu (exemple chap. VI) dans la strutture d’autorité de la tour et du lignage.
Quant aux achk3, leur origine peut &re explicitement rattachée à une femme dont le nom a été
conservé : mais il s’agit, dans des cas de ce genre, d’une étrangère, dotée ou captive, dont la descen-
dance, acquise au lignage du père, a permis à celui-ci de créer un segment de lignage autonome.
11 faut pourtant préciser à propos des (( .zme dabw5 » que lorsque leur tradìtion d’origine
est encore connue, elle fait souvent référence à une femme ancetre ; on a vu plus haut le cas des
branches « aboutchiam » et « nafoum 11de l’Eme Andongon ; le nom d’une (( vieille grand-mère »
a été conservé dans cet eme: Baba Botiékétro qui fut la fondatrice ou une personnalité remarquable
de l’Eme.
On peut également prendre pour exemple la tradition qui rapporte l’origine de la très
ancienne segmentation de l’eme Natou (Xchien 1))en deux segments : Natou et Okwen (Rpanthère 11).
Une (( vieille gr-and-mère », Apo Lébé, avait une petite-fille qui désirait feter son anniver-
saire, R@bZwa », f&e des « GgbZ », f&.e au tours de laquelle une jeune fille aisée célébrait sa propre
naissance en portant les bijoux de sa famille. Le frère de tette jeune fille s’opposait à la célébration
de la fete. Mais la jeune fille soutenue par sa grand-mère passa outre. A son retour de la fete,
son frère la frappa, et la grand-mère, indignée, maudit et chassa son petit-&, en lui demandant
pourquoi il se conduisait « camme une panthère )). Le garcon s’enfuit.
Le soir venu, la jeune filIe, qui allait jeter les ordures ménagères dans la brousse, fut devoree
par une panthère 3. La grand-mère convoqua alors tous les membres du clan Natou pour trouver
et chatier le coupable. Mais certains des chasseurs se lassèrent vite, d’autres parlaient de repartir
lorsque enfin le petit-fils (corps de panthère et t&e d’homme) fut retrouvé et tué. On celebra
alors ses funérailles et celles de sa sceur. Mais Apo Lébé, indignée de la mollesse de certains de
ses jeunes parents, se détacha avec une partie de sa famille du clan Natou pour former le clan
Okwen.
Toutes les traditions de fondation des sme ne sont pas conservées ; mais il est probable
que la référence à une ancetre mythique distingue les &me originels des eme de Grand-Jacques
et Jacqueville qui en sont nés.
I. Les Mambé de Jacqueville se rattacheraient aux Boumbro de Grand- Jacques, et les Kacou aux Kovou.
2. Meyer FORTES, « Parenté et Mariage chez les Ashanti D,Systèmes familiaux et makimoniaztx en Afrique,
P.U.F., 1953.
3. Peut-&re pourrait-on voir dans ce mythe de fondation la symbolisation de l’union incestueuse néces-
saire à une véritable segmentation en milieu ma’crilinéaire - le créateur du nouveau segment et ses enfants
étant de m6me lignée.
84 LE RIVAGE ALLADIAN
Dans le village plusieurs sortes de groupements correspondent au terme aci& ; tout individu
appartient en principe à un aci& dont le chef est le chef de son abW- « tour » au sens non point
résidentiel, mais social. Il y a à ce niveau identifìcation entre l’a&43 et l’a 15%Mais il y a une hié-
rarchie entre les acZ&3apparentés dont l’ensemble forme l’wne. Un aczX3 rassemble tous les individus
des deux sexes descendant par les femmes d’un ancetre commun et capables, chacun pour leur
part, d’établir précisément leur parenté avec tout autre membre du meme achkg ; 1’wze répond
à la meme définition, la différence étant que, du fait de la pression démographique, ou par l’initia-
tive d’hommes ambitieux, l’ww, avec le temps, s’est décomposé en plusieurs achk3, c’est-à-dire
en groupements possédant en commun un trane, un trésor et un héritage ; seulement, il est très
rare qu’un emese soit segmenté pour de simples raisons démographiques et par le biais d’un mariage
à l’intérieur de l’wze ; c’est.le plus souvent, outre son mariage avec une étrangère dotée (par son
père ou son oncle) ou une captive, l’acquisition d’un certain nombre de captives confiées ou
« pr&.ées » à différents (( clients » qui, consacrant et accroissant le prestige d’un individu, lui a
donne l’occasion et le moyen de créer sa propre tour à l’intérieur de l’eme : les enfants d’une femme
étrangère dont l’ethnie est pratilinéaire, et ceux d’une captive sont acquis à l’achk~ du (( doteur 1)
ou de 1’ « acheteur » : en génCral le père L’EGO ou EGO lui-meme. Il y a donc deux sortes d’achk3 :
l’aci3k~ principal remontant en droite ligne matrilinéaire à l’an&tre commun du grand lignage,
les acigkg greffés sur le tronc principal ; ces derniers peuvent etre à leur tour distingués, selon
qu’ils remontent à une segrnentation pure et simple, à un mariage avec une femme étrangère
libre - un cas assez fréquent est celui de l’arrivée en bloc (pour une raison ou pour une autre,
et fréquemment à la suite d’un premier mariage jugé satisfaisant par la Npartenaire » de l’a&k~
alladian) d’un groupement familial étranger déjà constitué, groupe de siblings souvent, se ral.liant
à un lignage alladian par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs mariages -, à un mariage avec
une femme, étrangère ou non, Nmise en gage », au mariage avec une captive ou à l’acquisition de
plusieurs captives, aucune de ces possibilités n’étant d’ailleurs exclusive des autres.
La réalisation systématique de ces différentes possibilités a eu pour conséquence l’appa-
rition d’une double stratification, inter et intralignagère ; tout Eme, qui regroupe plusieurs achkg
matérialisés et symbolisés par les trones des abu qui y correspondent, compte un abii zwi ou Ntour
principale » sur le trone de laquelle siège l’ainé de l’aci3k3 centrai de l’eme ; tette stratification
interlignagère s’est manifestée au siècle dernier, seuls les chefs de l’a&%vrz’ ayant eu apparemment
le droit et les moyens de commercer avec les navires européens ; la liste des vieilles maisons « en
dur » de Jacqueville est à cet égard significative 1; la notion d’a bìi vri a elle-meme une signification
relative, selon qu’on la réfère à l’Eme dans son ensemble ou aux groupements appartenant à l’eme
représentés dans un village donne. Il est arrivé fréquemment qu’un aci3k3 insta% dans un autre
village que son village d’origine s’y soit segmenté. Il y a ainsi à Avagou deux tours Kacou, dont
l’une est pour l’autre un «abii vri )),cependant que l’a& vrz’ de tout l’Eme se trouve à Grand- Jacques.
Mais à l’intérieur meme de chaque acGk3, qu’il corresponde à un simple abc ou à un a6ti vrz’, on
distingue entre aci3kg $wo, ou « direct », et « achk3 », non qualifié par souci de discrétion, dont
l’appartenance à l’achk3 s’établit par l’intermédiaire d’une captive ou d’une étrangère dotée
(cf. fig. 6). L’étude des statuts qui correspondent à cet état de choses, nécessaire à la description
exacte du système lignager, implique donc un détour par l’étude des moda&& de l’alliance dans
la soci& alladian.
Ces modalités ont en pratique un retentissement considérable sur la composition des tours
et la résidence, au point de rendre indiscernables en de nombreux cas la patrilocalité et l’avunculo-
calité. L’étude des règles de l’alliance matrimoniale constitue donc le préalable nécessaire à l’examen,
sur l’exemple de plusieurs villages, des correspondances réelles entre les règles de la descendance
et celles de la residence.
I. M. FORTEG (09, cit.) a donné du système lignager ashanti une description dont celle du système
alladian para% sous certains aspects l’exacte réplique : « . . . des femmes n’appartenant pas au groupe Ashanti
et arrivant dans un village en tant qu’épouses ou captives, adhèrent immédiatement au lignage de leur propre
clan. Si leurs descendants matrilinéaires demeurent au village, ils deviennent un segment adhérant au segment
local... ».
RESIDENCE ET DESCENDANCE
Et
0 Femme étrangbe dotée
EO Femtne captive
FIG. 6. - a&ks et achk3 pwo.
A (héritier en puissance) et B font partie de l’aciskg pwo, C et D (par ordre hiérarchique décroissant) n’eri
font pas partie.
Il est pourtant d’ores et déjà possible de confronter les notions d’achkg et d’Eme aux d&ìni-
tions retenues par la littérature, et d’illustrer par quelques exemples la description théorique
qui vient d’en etre faite.
est arrivé que des achk3 aient disparu une génération ou deux après leur naissance pour se fondre
dans celui duquel ils étaient nés ou sur lequel ils s’étaient greffés ; tette disparition se matérialisait
par celle du trane de la tour. On pourra appeler K lignage minimal )) un te1 segment et « lignages
mineurs » les a&k3 dont l’ensemble forme, dans un meme village, un Eme ou « lignage majeur »
Mais en aucun cas ces termes ne pourront s’entendre au sens que leur donne Evans Pritchard
dans la description du système Nuer, les scissions intralignagères ne créant jamais, dans le système
alladian, de segments équivalents.
Eme
A .
r
A chaque trOne de l’Eme dans le village correspond un lignage minimal, mais certains de
ses tr6nes (indépendamment de celui qui, dans l’abti vri, est le siège du lignage majeur) peuvent
jouer éventuellement par rapport à d’autres le r6le d’unités intermédiaires entre elles et l’abii vri
(dans le cas d’une segmentation d’un achk3 lui-meme segmenté à partir de l’acickg centrai), et
par conséquent &re tout à la fois le siège d’un lignage minimal (sa tour propre) et’ d’un lignage
mineur (l’ensemble des deux tours) (cf. fig. 7).
Nous avons employé dans les lignes précédentes le terme de segmentation mais nous ne
pouvons pas l’entendre, dans le cas considéré, au sens classique du terme. Il y a pour un Emedeux
modes de croissance : ou bien, trop peuplé, il pousse une nouvelle branche, ou bien il recoit une
greffe : un rameau dissident d’un autre eme - ou d’une autre ethnie. Le premier mode correspond
RÉSIDENCE ET DESCENDANCE 87
à une double possibilité : ou il s’agit d’une rnpture véritable, et, pour des raisons démographiques,
à la suite d’un conflit, ou par besoin d’indépendance, un individu donné quitte avec certains des
siens son village d’origine et fonde son propre village - on se trouve alors dans un cas de disso-
ciation de l’sme du village d’origine et d’association à l’Eme du village d’accueil ; ou il s’agit d’un
mécanisme de différenciation simultanément intravillageois et intralignager - dtì souvent à
l’abondance des captifs et à la possibilité, qui est aussi une nécessité, de créer une autre tour - on
se trouve alors dans un cas de dissimilation. Villages et lignages sont ainsi liés, que toute disso-
ciation dans un Emeentraine une association à un autre .wze.Les doublets association/dissociation
d’une part, assimilation/dissimilation de l’autre nous ont paru pouvoir rendre compte des phéno-
mènes de division, d’extension et d’annexion dont un lignage donne est selon les cas l’agent ou
l’objet.
Nous emploierons le terme dissociation pour designer l’action par laquelle un groupe de
parente quitte son lignage et son village d’origine pour s’installer dans un autre village auprès
d’un autre lignage, le terme association pour caractériser l’alliance que conclut le groupe importé
avec le lignage qui l’accueille. Il ne s’agit en effet, à proprement parler, ni de scission dans un cas,
ni de fusion dans l’autre ; des liens sont maintenus avec le lignage d’origine, qui sont à peu près
de meme nature, en théorie, que ceux qui unissent le groupe import6 au lignage d’accueil. Le
terme segmentation, lui, s’applique à une opération automatique aboutissant à la création de
segments équivalents, ce qui n’est que rarement le cas chez les Alladian. Enfin les termes associa-
tion et dissociation ont une acception sociale evidente, qui rend compte du caractère du processus
analysé.
Par dissimilatiod, nous désignons le processus par lequel, à l’intérieur du village, un groupe-
ment se crée à partir d’un lignage, par l’intermédiaire de captives ou d’étrangères appartenant
à un ou plusieurs membres de ce lignage. Le groupement ainsi cr& a un statut inférieur au groupe-
ment origine1 ; car la lignee dirette de l’sme n’est plus représentée dans ce groupement ; la diffé-
rence est de nature et non de degré - ce qui distingue la dissimilation de la segrnentation -,
mais ce groupement ne s’associe pas à un autre lignage - ce qui distingue la dissimilation de la
dissociation. L’assimilation désigne à l’inverse le processus par lequel des étrangers, en groupe,
ou isolés, s’intègrent à un acigkg et perdent tout contact avec leur famille d’origine. La dissociation
témoigne d’un expansionnisme dont le ressort n’est pas nécessairement la prospérité mais dont
l’un des effets est le renforcement des solidarités intervillageoises, la dissimilation témoigne au
contraire d’une surabondance démographique et de la possibilité matérielle (piace, ressources)
d’ordonner tette surabondance dans le cadre du village. La meilleure preuve en est que les &me
les plus « dissimilés 1)sont aussi porteurs des greffes les plus abondantes : dissimilations et asso-
ciations affectent volontiers les memes unités lignagères. C’est ainsi que l’eme Mambé, où les dissi-
milations sont nombreuses, camme il apparait sur la figure 8, où n’eri ont été figurés que les grands
axes, a accueilli de nombreux segments export& d’autres villages. On en trouvera la liste en se
reportant au plan de Jacqueville : toutes les tours de Mambé m’bata qui ne se rattachent pas
explicitement à l’eme Mambé lui sont associées assez étroitement (les principales conséquences
de tette association étant sur le plan social l’obligation d’assistance et de participation réciproques
aux funérailles, et de nombreuses alliances matrimoniales, sur le plan économique (outre l’aspect
proprement économique des premières) le fait que les terres des aci3k3 associésleur ont été accordées
par 1>emed’accueil).
L’ame Mambé constitue de longue date le groupe socio-économique le plus importa.& du
littoral alladian. Les eme représentés dans les villages de moindre importance sont gérkalement
beaucoup plus homogènes.
Les termes dissociation et dissimilation ne rendent pa.s compte de la totalité des phéno-
mènes de « segmentation ». D’anciennes scissions ont en effet créé de nouveaux eme parfois plus
importants que les eme originels, et qui sont actuellement complètement coupés de leur origine
(on pense aux eme Bodo, Boumbro et Tévé à Grand- Jacques, Marnbé, Kacou à Jacqueville : Bodo,
Boumbro et Tévé sont traditionnellement rattachés à l’eme Kovou, l’sme Kovou actuel étant
considéré camme le prolongement de leur tronc origine1 ; les Mambé se rattachent aux Bodo,
les Kacou aux Kovou). Ces très anciennes segmentations n’ont pas nécessairement correspondu
à des changements de village ; mais avec le temps elles ont abouti à, des unités complètement
autonomes. Les Bodo et les Boumbro de Grand- Jacques sont « frères » et unis par des obligations
réciproques, mais toute trace d’alliance [en dehors des souvenirs de la fondation de Grand- Jacques
par des ancetres apparentés) a disparu entre Tévé, Kovou, Bodo-Boumbro, Mambé et Kacou.
Fonctionnellement, ces eme sont équivalents entre eux et équivalents aux Andongon et aux eme
avavé.
Si l’on excepte ces anciennes segmentations, la dissociation - qui entraine un changement
de village - n’implique pas de coupure radicale avec l’eme d’origine, auquel l’acigk3 « dissocié 1)
reste lie par les obligations habituelles, tout en conservant la possibilité de lui demander des terres.
La relativité de la notion de dissociation donne l’exacte mesure de celle de la notion d’association,
les obligations imposées et les possibilités proposées par l’Eme du village d’accueil et par l’ame
d’origine étant identiques. La dissociation correspond pour un aci3kg à un cumul d’alliances, de
droits et de devoirs, non à une quelconque exclusion.
La dissimilation, dans le sens que nous retiendrons ici, est un processus dont le déroulement
est inverse de celui de l’association, si leurs conséquences peuvent paraitre identiques. Elle s’effectue
par l’intermédiaire de nombreuses captives ou d’un mariage avec une étrangère dotée (aucun
des deux procédés n’étant exclusif de l’autre), qui permettent à un homme riche de créer sa propre
tour, quand bien meme il se trouve occuper par ailleurs le tr6ne de l’aci3kg principal de l’ame.
On remarquera ainsi dans la figure 8 que Dagri Bonny, qui ,fut chef de l’Eme Mambé, donna nais-
sance à deux aci3kg dont les trones sont occupés actuellement par Paul Django (aci& 3) et Abi
Aikpa (aci3k3 4), qui tous deux donnent le nom de Dagri Bonny à leur acigk3.
La dissimilation correspond donc à une demi-association, en ce que, contrairement à la
segmentation pure et simple, elle s’effectue par l’entremise d’apports extérieurs (captives ou
étrangères dotées, éventuellement accompagnées de parents) ; elle n’est égafement qu’une demi-
dissociation, en ce qu’elle n’entraine aucune alliance avec un autre Eme, et ne dispose que de sa
par-t de fori% d’eme. La dissimilation plus que la dissociation semble une conséquence de la richesse
de certaines familles et de l’abondance des captifs et captives sur le littoral ; mais cela ne suffit
pas à les distinguer radicalement l’une de l’autre.
Avant d’étudier plus précisément des exemples de dissociation (répartition des Eme dans
les divers villages), d’association et de dissimilation (répartition de l’Eme à l’intérieur du village)
nous nous pencherons sur un second caractère du lignage : son caractère organique. L’aci& et
l’eme constituent-ils des « corporate groups N ?
Adje
Bonny
_- ---__
Eme Mambé
-____- Le pointill& mate’riqlise la relotion entra un homme et une &trong&% y’il o dot;a (Et) ou une kmme qu’an lui 01 rcmise
de l’Eme qui forme en général un seul bloc par rapport aux for&s des autres Eme. Le « lignage
minima1 » n’a pas toujours la mkme cohésion interne ; il peut arriver que, meme s’il possède un
trarre, il n’ait pas de droit sur une portion de for& distincte de celle de l’aci3k~ duquel il s’est
dissimile.
L’ame constitue-t-il un groupe organique ? Au niveau du village, il n’y a guère d’action
collettive qui soit entreprise par l’Eme en tant que tel. Chaque année pourtant une f&e des morts
de l’ame - qui consiste essentiellement à l’heure actuelle en un festin précédé de quelques prières
est celebre, dans chaque village, sous la direction du chef de l’a bti vri de l’Eme intéressé ; seulement
des représentants de l’Eme dans les autres villages viennent à tette fete, qui peut donc &re invoquée
pour définir l’ensemble de l’eme camme un groupe organique ; par ailleurs, le chef de l’eme villageois
constituait et constitue encore, pour des affaires mineures intéressant des membres de l’Eme,
une juridiction d’appel par rapport au chef d’aci3k3, et préalable par rapport au chef de village,
auquel ne montaient pas en principe les affaires de famille. Enfin, la for& d’sme, encore que divisée
entre les divers acigkg, est, on l’a vu, d’un seul tenant.
Quant à l’eme dans son acception la plus étendue, il constitue un groupement organique,
dans la mesure où l’assistance et la participation financière obligatoire aux funérailles d’un membre
quelconque de l’eme constituent bien une action collettive. Des obligations très strictes, de ce
point de vue, lient par exemple les uns aux autres les Kovou de Grand-Jacques, Jacqueville,
Avagou et Addah, les Andongon (y compris les Aboutchiam et les Nafoum) d’Abréby, Avagou,
Jacqueville et Grand-Jacques. L’autonomie acquise par les Bodo, Boumbro et Tévé de Grand-
Jacques, les Mambé de Jacqueville et les Kacou de Jacqueville, se manifeste précisément par le
90 LE RIVAGE ALLADIAN
fait qu’il n’y a plus obligation d’assistance mutuelle aux funérailles entre les premiers et les Kovou,
non plus qu’entre ceux-ci et les Kacou, ni entre les Mambré et les Boumbro. L’WW au sens large
correspondrait donc au CC clan » selon la définition de Radcliffe-Brown, la différence avec les diverses
formes de lignage (aci&3 et Ome au sens restreint) étant que chaque membre de l’Ome au sens
étendu n’est pas capable de prouver le lien généalogique qui l’unit à un membre quelconque de
son eme. Mais si l’on entend le terme CC clan » dans un sens plus socialement déterminé, on ne pourra
pas dire que l’Eme constitue véritablement un clan. On sait que pour Murdockl le clan constitue,
après les formes « composées » de la famille - par exemple la famille étendue - et les groupes
de parenté CC consanguins » - par exemple le lignage - un troisième type de groupe de parenté,
groupe de « compromis )) reposant sur la conciliation d’une règle de résidence et d’une règle de
descendance. En conséquence trois conditions doivent &re simultanément remplies pour qu’un
groupe puisse &re considéré camme un clan : il doit reposer explicitement sur une règle de descen-
dance unilinéaire (ce qui est le cas de l’Eme) ; il doit avoir une « unité résidentielle », ce qui n’est
pas le cas de l’Eme (Murdock note d’ailleurs que l’existence simultanée d’une règle de résidence
patrilocale et d’une règle de descendance matrilinéaire sont incompatibles avec celle d’un clan) ;
à la troisième exigence (celle d’une « intégration sociale actuelle D)l’zme satisfait dans une certame
mesure ; il y a chez les Alladian d’un Emedéterminé le sentiment d’une appartenance à un groupe
distinct?, manifeste lors des funérailles d’un membre quelconque de SEme; mais l’une des consé-
quences du sentiment de groupe necessaire selon Murdock à l’existence d’un clan (que les épouses
des hommes du clan soient considérées camme des membres à part entière de celui-ci) n’existe
pas véritablement chez les Alladian : les femmes des hommes de l’Eme assistent avec ceux-ci
aux funérailles des morts de l’eme, mais leur role n’y est pas exactement le meme que celui des
mères, sceurs, et nièces : celles-ci surveillent la bonne organisation de la cérémonie ; les épouses
sont affectées à la préparation des plats et restent à la Cuisine.
Inversement, lorsque à l’occasion des funérailles le chef d’un acGk3 sor-t les bijoux de l’adii
wakre, il ne les fait pas porter par les membres de l’acGk3 mais par ceux de l’abii au sens résidentiel
(les ebZiii). La raison invoquée est que les porteurs de bijoux n’eri étant pas les propriétaires,
ils ne risquent pas de susciter la jalousie ; tette transposition sur un plan légèrement différent
du centraste entre les relations père-fìls et oncle-neveu semble commandée par une conception
d’ensemble assez ambigue de la richesse, du pouvoir et du prestige, sur laquelle nous reviendrons
plus loin.
Si l’on s’eri tient aux critères retenus par Murdock, l’Eme au sens étendu constitue donc
moins un clan qu’un sib (CC . .. When the members of a consanguineal kin-group acknowledge a
traditional bond of common descent in the paternal or maternal line, but are unable always to
trace the actual genealogical connections between individuals, the group is called a sib 1)).
On a vu que certains Emese subdivisent (Andongon en Andongon, Aboutchiam, Nafoum ;
Okwen en Okwen et Natou) en groupements répondant à la meme définition qu’eux ; on les appel-
lera sub-sibs dans la terminologie de Murdock. Les Emedont on a remarqué l’existence autonome
à Grand-Jacques et Jacqueville (Bodo, Boumbro, Tévé, Mambé, Kacou) sont plus proches du
lignage maximal que du sztb-sib, dans la mesure où, au prix de raccourcis incontestables, mais
avec une relative clarté, les membres de ces eme parviennent à établir leur parente.
Un dernier caractère des eme alladian, et non des moindres, c’est l’endogamie ; il n’est
guère concevable, et actuellement guère moins qu’avant, qu’un père refuse à sa fìlle un homme
de meme Emequ’elle, ce type d’union constitue l’un des moyens par lesquels un segrnent de lignage
plus ou moins isolé, dans un village qui n’est pas le village d’origine de l’eme, arrive à maintenir
et à renforcer sa cohésion et ses liens avec l’ensemble de l’&me.
Les grands Eme s’étendent généralement sur plusieurs villages, l’un de ceux-ci restant
le siège de l’aci~k~ centrai de l’Eme. On note dans la « moitié 11Avavé les memes phénomènes de
croissance lignagère, avec la confusion qui en résulte, que dans la « moitié » Agouri. Si les eme
Katakrè, Esso, Nébé, Matchua, Okwen, Natou se répartissent apparemment nettement dans
différents villages, certains d’entre eux semblent avoir subi le meme éclatement que 1’EmeKovou
des Agouri ; deux groupes paraissent &re nés d’un éclatement de ce genre ; le principal est le
groupe « Tana 1)représenté à Sassako et Avagou, Tana étant le nom d’un ancetre éloigné appar-
tenant au campement de Lobotyama, l’un de ceux qui ont été regroupés par l’administration
francaise pour former Sassako-Bénigny. Le quartier où se trouvent les trones de la famille Tana
est étendu et se divise en deux parties : au sud Iz’gotichiama Tusa (de n’gui : sel, n’ji : eau et
ama : village), au nord avo Tana (avOsignifie « limite x). On trouve également des Tana à Avagou.
Les Tana sont rattachés par les gens d’Audouin à l’eme Katakrè ; les Tana ne refusent pas tette
appartenance mais se contentent de l’ignorer. Les Bava représentés à Akrou portent de meme
le nom d’un ancetre fondateur.
A Adoumanga, on sait que le fondateur venu de Jacqueville a épousé une Bava d’Akrou
et que leurs descendants plus ceux des « émigrés » d’Akrou sont des Bava. A Adjué de meme,
tout en -se référant aux noms de deux ancetres anciennement établis dans le village (Ladjoko
et, arrivé plus tard, Logosé) on se dit avavé de la meme branche qu’à Akrou. A Audouin, le
rattachement, bien lointain, des Tana à 1’Emeest affirmé, et les Avavé d’Akrou - y compris le
chef de canton -, Adoumanga et Adjué sont d>accord avec les Tana pour affirmer qu’avant la
venue de Harris ils célébraient tous le culte de Krabin-njé, à Akrou, et que ce culte était leur
monopole ; il y a entre eux obligation d’assistance mutuelle aux funérailles. Les Eme Tana et
Bava semblent donc avoir connu une fortune analogue à ceux des sme de Grand-Jacques et
Jacqueville, et leur dénomination les distingue au reste pareillement des grands eme originelsl.
On peut essayer de comprendre sur un exemple précis le mécanisme de différenciation
intralignagère et de dispersion dans les divers villages du littoral. L’Eme Kovou compte trois
trones à Grand- Jacques. Le premier est celui occupé actuellement par Gbétié Mambé, qui descend
en droite ligne de Dambo Yévou, fondateur de l’Eme, l’un des fondateurs du village. L’aci3k3 de
Gbétié Mambé est peu fourni ; il semble en outre n’avoir pas possédé ces dernières années de
personnalités énergiques ou ambitieuses ; c’est en conséquence le chef du second tr6ne, Lépri
Djambi, qui parait aux yeux de tous, et d’abord aux siens, le chef de 1’EmeKovou dans son
ensemble.
L’a&k~ de Lépri Djambi s’était détaché de celui de Gbétié Mambé par segmentation
pure et simple, sans intervention de femme étrangère ; c’est au moins ce qu’affirment les Kovou
de Grand-Jacques, qui ne dissimulent pas en revanche que le troisième acigks Kovou, celui de
Djambi Gbétié, est né du mariage d’un homme de l’actuel aci3k3 Lepri Djarnbi avec une femme
étrangère. Il semble en outre que le tr6ne de Gbétié Mambé ne survivra pas à celui-ci et qu’on
ne comptera plus bientot, en piace des deux 26% bata de Gbétié Mambé, qu’un Seul abii vri : celui
I. L’histoire de la création des villages et la nature de leur peuplement ne sont pas toujours compatibles
avec la tradition de la rupture agouri/avavé. On peut à ce propos faire quelques remarques : tette rupture a pu
ne pas affecter tous les Eme avavé au meme titre ; en outre, elle a pu ne pas etre la seule cause du périple lagunaire,
car les traditions selon lesquelles des étrangers poursuivaient les futurs Ahadian ont pour elles d’etre en accord
avec ce qu’on sait des troubles qui affectèrent la région lagunaire d’iissime à Bassam à la fin du xvre et au début
du XVII~ siècle ; l’une et l’autre causes ne s’excluent donc pas ; enfin, certains villages N avavé » se sont fondés
sur l’initiative d’un Agouri bien après la réconcihation agouriiavavé ; c’est un homme de Jacqueville qui a fondé
Adoumanga à la fin du siècle demier, mais il était originellement avavé d’Akrou et ce sont des gens d’bkrou
qui l’ont rejoint. Faute d’une datation précise, on ne peut exclurePque des faits de ce genre se soient produits
antérieurement. De meme que des querelles postérieures avec les Ebrié servent à rendre compte d’événements
qui leur étaient antérieurs, la rupture avavé/agouri est invoquée camme explication d’événements (les memes)
qm ne lui doivent pas tout. La simultanéité des deux explications montre assez leur caractère idéologique, mais
leurs termes sont nécessairement empruntés à une histoire réelle - dont il est dinicile d’apprécier la « profondeur ,,.
92 LE RIVAGE ALLADIAN
de Lépri Djambi. On peut d’ailleurs mesurer sur cet exemple l’incertitude de certaines généalogies,
car rien n’exclut, bien au contraire, que des disparitions de ce genre aient déjà affecté un arbre
généalogique dont on ne remarque plus présentement que les branches vivantes, meme et surtout
si elles correspondent à des greffes récentes. Si l’on s’eri tient à son seul témoignage, Lepri Djambi
est d’ores et déjà le seul vrai chef de ~‘EWW : I’écouter fournit I’occasion d’assister à la naissance
d’un de ces mensonges qui sembleraient prouver que les populations enquetées attachent encore
un certain inte& aux préoccupations de l’ethnologue.
bambo YQVOU
L
Gbétié Lépri Djambi Akadiét? NktiG Ichiyban
Mamb6 Bjambi Gbét; é
-7 Ando kabon
Gro B;kÉ
Njwa Deigni
.Aikpa Djava
- Djéké Bogui
r7 I
Bogui Andrew D.9ri Ahui Tévi Njova Deigni Bogui Djambitié AnkÉmin Deigni
pqIAdjvi)~JaLquev;llel
La mobilité de l’eme Andongon (cf. figure 12) semble encore plus remarquable que celle
des Kovou ; chez les Andongon, les Nafoum et les Aboutchiam toute rupture semble avoir
entrainé un deplacement. Seuls les Nafoum, dont l’origine a été relatée au chapitre I et dont le
premier chef connu sera3 un certain Gra Béké, semblent &re restés établis à ci% de leur Eme
d’origine après leur formation. Chez les Andongon de Grand-Jacques, un Seul segment a vu
naissance, qui a émigré à Jacqueville où il s’est associ6 à l’eme Kacou dans les conditions décrites
au paragraphe suivant. L’rme Nafoum s’est divise en trois (les mythes de formation des Nafoum
et des Aboutchiam semblent avoir retenu le role joué à tette occasion par les femmes étrangères,
mais il n’a pas été possible de savoir si des femmes étrangères étaient à l’origine de certaines tours
actuelles de ces Eme). L’aci& dont le trone est à Jacqueville s’est Rexilé » en partie à Noumouou
(entre Toukouzou et Grand-Lahou) d’où lui est revenu récemment le chef de trone actuel, Tévi
Njava. Les Nafoum de Jacqueville et de Noumouou se marient fréquemment entre eux. C’est
du segment Nafoum installé à Avagou par Njava Deigni que seraient nés les Aboutchiam qui
comptent actuellement trois trones, l’a&% vri se situant à Adjué, et les deux autres abii à Grand-
Jacques et Jacquevihe. C’est un meme homme qui occupe actuellement les deux trones, laissant
la « garde » de celui de Jacqueville à la sceur de l’ancien chef de trone.
On voit donc la relative dispersion de l’Eme Andongon dans son ensemble (d’est en ouest :
d’Avagou à Noumouou en passant par Jacqueville, Grand-Jacques et Adjué). L’obligation d’assis-
tante mutuelle aux funérailles vaut pour tous, et l’unité des Andongon reste sensible, mais chaque
achk3 est enraciné dans un village ; à l’intérieur d’un m6me wze (Andongon « pur », Nafoum,
94 LE RIVAGE ALLADIAN
La répartition des Eme sur le cordon littoral, étudiée plus haut, donne l’impression qu’on
peut, tout compte fait, définir les villages camme des ensembles relativement homogènes du point
de vue de leur composition hgnagère. Les plans de Jacqueville et Grand-Jacques, le dessin géomé-
trique de leurs tours et de leurs quartiers paraissent à première vue la confirmer ; des différences
apparaissent pourtant entre le plan de Grand-Jacques, où la comcidence &z&3/m’bata est à peu
près parfaite, et celui de Jacqueville, où la division en quartiers semble avoir tenté en vain de
correspondre à une représentation surabondante de segments de lignage d’origine extérieure et
dont le rapport aux deux familles fondatrices varie de l’association à l’assimilation. Nous revien-
drons plus loin sur ce centraste et sur les différents éléments susceptibles de relever pour une
part d’une explication historique.
Au reste c’est dans les deux villages, à des degrés différents, que frappe la coexistence
d’un espace villageois très strictement organisé et d’une relative hétérogénéité lignagère. Les
lignages alladian s’étendent en général sur plusieurs villages, mais la strutture villageoise qui
a « accueilli » les segments dissidents les intègre véritablement : les situe socialement et spatia-
lement ; tout segment de lignage d’origine extérieure établit nécessairement des relations privi-
ltigiées avec l’une des farnilles fondatrices ; le rapport socia1 commande généralement l’emplacement
de la tour ou des tours dans telle ou telle partie du village, et éventuellement l’octroi d’une
partie de la forkt villageoise. Les achk3 d’origine extérieure peuvent &re absorbés par un village
sous deux formes : association ou assimilation. Les Kitrava de Grand-Jacques sont (cassociés »
à un &me locai (en l’occurrence les Boumbro) au chef duquel ils s’adressent de préférence pour
obtenir des terres. Les Avavé Kitrava de Grand- Jacques sont peu nombreux ; on peut voir sur
le cadastre des plantations de Grand-Jacques que leurs principales plantations de cocotiers
(1, 107, 48) se situent dans un ensemble de forkt d’un seul bloc. On établira plus loin (chap. V)
le mécanisme de constitution des for$ts d’aci3k3 qui apparait plus clairement sur le cadastre de
Jacqueville, où l’on a pu délimiter précisément les frontières des for&s d’acbk3 et celles des champs
R.&ZDENCE ETDESCENDANCE 95
qui s’y trouvent et y sont exploités à des titres divers. Les Kovou de Jacqueville, dont la tour est
actuellement très peuplée, mais dont la prospérité parait postérieure à leur association aux Kacou,
sont davantage intégrésl à l’Eme qui les a accueillis, et toute une partie de la foret Kacou est
devenue leur domaine propre ; l’une des tours Andongon de Jacqueville est associée aux Kacou
à peu près de la meme faFon ; on peut remarquer que tette tour, celle de Bo@ Deigny Andrew,
est, contrairement aux tours Aboutchiam et Nafum, située dans Mbo kukro où se trouvent la
plupart des tours Kacou et seulement des tours Kacou ; on verra dans l’étude du cadastre de
Jacqueville que I’achkcJ de Bogui Deigny Andrew possède une partie de la foret Kacou, dont il
dispose camme les acigkg véritablement Kacou disposent de la leur.
Une association peut naturehement &re « redoublée » lorsqu’un groupe venu d’un autre
village et assez important pour constituer une tour ou une concession distincte s’associe à l’Eme
du village d’accueil par l’ìntermédiare d’un aci3k3 qui lui est dejà associé. Ainsi à l’aci3k3 Tévé
(numéroté 4 sur la figure II) associé aux Kacou s’est associé un segment Bodo originaire de
Grand- Jacques ; ce segment n’a pas constitué une tour avec trone et trésor propres ; et I’on
pourrait dire qu’il s’est « assimilé » aux Tévé-Kacou, s’il ne conservait pas des relations institu-
tionnalisées avec les Bodo de Grand-Jacques. Il faut remarquer à ce propos qu’à la suite d’un
certain nombre de dissociations, des segments dissociés originellement d’un m&me Emese trouvent
associ&, chacun pour sa part, dans un meme village, à un &medifférent, et que, du fait du statut
« cumulatif )) des aci3kg dissociés, la cohésion vilfageoise, qui strutture l’hétérogénéité lignagère
et la recompose dans un nouvel ensemble spatio-social, est le refiet d’une certaine cohésion inter-
villageoise, ethnique, dont un village camme Jacquevìlle est l’expression tout à la fois la plus
concrète et la plus symbolique.
Le plan de Jacqueville est ainsi, par sa complexìté meme, révélateur de la force extremement
contraignante des deux principes d’organisation par essente peu compatibles, sinon antagonistes,
I. On verra dans le chapitre IV comment des alliances systématiques et réciproques renforcent tette
intégration.
Abi koukro
Mambé
M’bata
PJage Kacsu
M’bata
FIG. IZ. - Le plan de Jacqueville.
BOdO a) achkg Lépridjé. ZraEi Crovi. Chef de MambC. Ses fondateurs ont 6th livn?s
tour mais le trarre est à Grand- Jacques. en gage à Koussan Mambo, chef de
b) ac2aK3Djakotché. Wdrin Jules. Pas de trone Mambé, par des Matchua
trone. (Le trone est chez Bogui Ahuf d’Avagou. -
Deigny, chef d’un segment de l’aci3kp b) Cour de Akadié BOMY Augustin. Le
Djakotche de Grand- Jacques). trone est celui de Nicolas Paka Beke.
c) acigkg Djakotché. Chef de tour : Léon c) Cour de Djragbou Tano Félix, acigk3 de
Njava. Pss de trone. Nicolas Paka Béké. aui a conserve la
d) acih Djakotché. A Jacqueville, acigk3 concession de son père.
Mbwa Deigny. Chef de tr6ne : Bogui
Ahui Deigny. El Tévé aci& Angbodo de Grand-Jacques. Chef
de tour : Gra Nguessan, veuve d’un
Kovou a) Lucie Kroubin. MariCe Q un homme de Kacou de Jacqueville, vit avec ses
Jacqucvillc, mais ne vivant pss avec filles et des parentes.
lui. Le tronc de son acipks est à Andongon a) Chef de trone : Bogui Deigny Andrew.
Avagou. .smne Nafoum. Chef de trone : T&i Njava,
b) Mbwa Urimpi Felix. Rls de la smur de bl
Lucie Kroubin. elle aussi mariee Q originaire de Grand-Lahou.
Jacqueville ; il a garde la concession 4 emeAboutchiam. Chef de trone : Ankémin
de son père Mambé. Deigny. a&kg Djeké Bo@, originaire
c) Coqr et trone de Yesso Bogui. de Grand-Jacques. Il est également
chef de tour.
4 .~WW Nafoum. acisko Dougro, originaire de
Boumbrs a) acisks Njavatch6, segment de l’achkg l’ile de KouvC. Chef de trone : Njako
Djragbou Njava de Grand-Jacques. N’guessan. La villa du docteur de
ghgb” trone : Nlambwa Yesso l’Assemblée Nationale (du cote du lac)
fait theoriquement partie de la tour de
b) Segment de l’acigkl de Josué Béke Ahui Njako N’guessan.
à Grand-Jacques ; trone. Chef de el emeNafoum ; pas de trbne. L’origine de
tr6ne : Frogbon Djék6 Patrice. la famille est à Grand- Jacques, le veri-
table chef de famille habite Abidjan et
Matchua a) Nicolao Paka BekkB,chef de trarre ; aci&s possède des plsntations B Ahua et
de I’me Matchua mais rattaché à Ssme Adoumanga.
Rl.%IDENCE ET DESCENDANCE 97
LJ5 achk3 RAiri x Chef de tour : Mlemle Banna Jules. Tr6ne acbk3 LBzou Djambi, se rattache à l’&me Kacou. Chef de
de Deve M’ba. tr6ne : Apalé Bogui. Dépendent du meme tr6ne les
tours de LCon Akadié et de Aka Emjen Theophile
El8 achks Dagri Bonny. Cour de Abi Aikpa Deigny. TrOne. (t( gardant x Ia tour de son père decedé. Emjen Aka).
son nom aux canons (offerts par les Anglais) qui omaient la tour, le « palais », du chef de Jacque-
ville et de l’Eme Mambé. Mais les familles d’origine Boumbro associées à l’Eme Mambé n’ont pas
cr& de division particulière. Il faut d’ailleurs remarquer que les divisions des quartiers se lisent
d’ouest en est, jamais du nord au sud, et que la constitution des quartiers « Agounté » (dont on
a parlé au chapitre 1) et N Djémien » n’a été possible qu’à cause de l’existence d’un espace vide
qui s~parait à l’origine les Mambé et les Kacou. C’est ainsi qu’à Grand-Jacques les Avavé-Kitrava
venus s’installer près des Boumbro dans Premu m’bata ont cr& un « sous-quartier » : Assandh
tangren Ba bo
1 Assandin
I
Église catholique.
aci3k3 Etchoboum. Chef de tour :
N’guessan Evou.
Laurent.
aci3k3 Lépridjé. Chef de tour : Beugrd Il Temple protestant.
Bodo Bemard. III Temple barriste.
IV Maison du secrétaire gCn&al du P.D.C.I.
aci3k3 Tano Éth6, apparent6 aux Bodo.
V École.
Rl%IDENCE ET DESCENDANCE 99
(nom ébrié, francisé sous la forme Santé, qui correspond à Audouin-Santé, plus précisément au
quartier où résident les Kitrava).
Il est difficile de penser que le simple jeu des alliances, des associations et des dissociations
qui ont ainsi compose et recomposé la trame lignagère des villages, ait pu suffire à en faire des
communautés homogènes et équilibrées. Equilibrés les uns par rapport aux autres, les villages
alladian ne le furent jamais, leur histoire étant, de ce point de vue, celle de transferts d’hégémonie
dont le plus récent (de Grand-Jacques à Jacqueville) a correspondu à un essor sans précédent
et sans suite. 11s gardèrent tous pourtant leur indépendance. Quant à leur cohésion interne et
leur caractère véritablement communautaire ils s’expliquent (ou s’expriment) largement par
l’importance, la minutie et la rigueur des institutions proprement villageoises qui constituent
autant de structures d’autorité étrangères aux structures familiales (les classes d’age) ou supé-
rieures à elles lorsqu’elles en procèdent (la chefferie).
DISSIMILATION ET ASSIhULATION
Les exemples les plus nombreux de dissimilations ont naturellement affecté les villages les
plus riches. On peut constater dans les wne Mambé et Kacou de Jacqueville l’existence de plusieurs
aciDk2 dissimilés (numérotés 2, 4 sur la figure 8 ; z et 3 sur la figure II). Des dissimilations peuvent
théoriquement affecter des aci~k~ déjà associ& : mais la rareté d’un te1 processus et, le cas échéant,
le caractère fragile et éphémère du groupe qui en résulte - qu’on se reporte au cas de l’aciak
(numéroté 4 bis sur la figure II) analysé un peu plus haut -, témoignent du caractère essentiel-
lement organique des Emealladian. La tour des Mambé, éclatée en plusieurs concessions importantes
non dissimilées, la tour de l’acigks Kovou des Kacou qui regroupe à l’heure actuelle soixante
cinq personnes effectivement présentes à Jacqueville témoignent aussi d’une tendance « cumulative »
qui tient sans doute à la composition meme de ces tours (ce sont les captifs, et non une démo-
graphie Nexplosive » qui ont fait leur importance) et se trouve ainsi liée aux conditions économiques
du siècle dernier.
La dissimilation n’a d’ailleurs jamais été qu’une technique d’absorption et d’intégration
des éléments étrangers, et il suffit d’un coup d’ceil sur les généalogies de quelques familles pour
voir que tout lignage à tous ses niveaux est la réalisation d’un idéal d’assimilation ; il y a sans
doute longtemps qu’un Alladian pur de tout métissage (à supposer qu’en postuler l’existence
ait un sens) est introuvable.
L’assimilation peut &re elle-m&me globale : concernant un groupe d’étrangers qui perd
tout contact avec son ethnie d’origine ; c’est ainsi que dans l’aci~k~ aizi de l’wze Mambé (numéroté
5 sur la figure 8) on distingue une branche abé, formée des descendants d’Abé captifs des Aizi
que ceux-ci auraient amenés avec eux en venant s’installer auprès des Mambé.
Pour suivre jusqu’au bout le processus d’assimilation des étrangers à l’ethnie alladian,
il faut enfin s’intéresser à la plus petite unité sociale organique avant le ménage : l’aci~k~. On
a signalé un peu plus haut la distinction aci~k~+o/aci3k3. De meme que l’Eme s’articule en général
autour d’une lignée pure, au moins théoriquement, de toute alliance extérieure, dont le chef
siège dans l’a& vri du m’bata, l’achk3, groupe d’apparente homogène, est subtilement stratifié
en descendances de statut inégal ; naturellement la branche principale d’un achk3 peut n’etre,
et n’est le plus souvent, que le produit d’une assimilation ou d’une association : l’achk3 pwo (direct)
remonte ainsi à une source étrangère ; la notion de descendance en droite ligne est, au niveau
de l’acigkg, relative.
Tout acigk3 révèle généralement une triple composition (cf. la figure 6) : l’acigkg pmo, les
descendants d’étrangères dotées, qui ont droit à l’héritage, faute d’héritier en ligne dirette, les
descendants des captifs, qui, indépendamment de leur origine, héritent entre eux les biens propres
dont ils ont pu faire l’acquisition, les captifs et captives d’un meme homme étant considérés
camme des frères et sceurs. On discernera plus précisément l’articulation de tout l’acGk3 autour
de l’achk3 @ao sur l’exemple de l’acigk3 Adjé Bonny de l’wze Mambé de Jacqueville ; « tronc »
100 LE RIVAGE ALLADIAN
Villages créés
eme « Moitiés u eme
Villages représentés (Avavé et dabwe” Au tota1
Agomi) représentés Directe- Indirecte-
ment ment
de l’wze Mambé, cet achkg permet d’établir une distinction claire entre lignée dirette et lignees
rapportées. Asséké Emjen, Dagri Bonny, Koussan Mambo et Adjé Bonny se sont succédé à la
t&e tout à la fois de l’acbkg et de l’eme ; à l’heure actuelle le tr&ae est occupé par Lakpa Beugré,
fils d’une captive d’Adjé Bonny, dont la tour, jusqu’en juillet 1966 - date de la destruction
et du déplacement de la partie sud de Jacqueville - s’étendait autour de l’ancien Npalais )) en
dur d’Adjé Bonny. Tous les représentants de l’acGk3 direct se sont en effet exilés dans la région
de Daloa où ils ont cr& de vastes plantations ; la tour a été « confìée » à Lakpa Beugre, mais
Bézakon Badio, arrière-petite-nièce en ligne maternelle dirette d’Adjé Bonny, y effectue des
séjours réguliers ; son fils serait naturehement l’héritier normal de la tour, mais ses activités
le tiennent éloigné du village ; Bézakon Badio, lorsqu’elle vient à Jacqueville, loge dans la tour
de Lakpa Beugré, où une case lui est réservée, et non chez son beau-frère, Bonny Nguessan (fils
d’Adjé Bonny, camme on peut voir sur la figure 14). Celui-ci jouit d’ailleurs en théorie et en pratique
d’un statut supérieur à Lakpa Beugré. Du point de vue du lignage d’Adjé Bonny, Lakpa Beugré
« garde » simplement le trone de la tour ; un autre membre de la tour est préposé à la surveillance
de l’a6Q wakre. De la meme fa$on la chefferie traditionnelle lui est simplement « confiée ». Lakpa
Beugré est chef de village tradionnel, Bonny Nguessan, chef administratif et chef de canton ;
l’admimstration fran~aise faisait une grande confiance à la famille N régnante » de Jacqueville,
et Bézakon Badio a joué dans ces diverses nominations un role déterminant, de l’aveu meme
de l’actuel chef de Canton, en faisant approuver par la famille les candidatures qui lui semblaient
convenir. On peut voir un contrecoup de tette redistribution des roles sur la figure 8 : Bonny
Nguessan serait normalement le chef (en l’absence de ses frères ainés) de l’achks « aizi » (numéroté
5 sur la figure 8) mais il a préféré confier la garde de la tour correspondante à Devé M’ba. En
dehors des membres de cet a&kg, les individus fìgurant sur la figure 14 appartiennent tous au
meme achkg, mais leur extreme diversité d’origine apparait au premier coup d’ceil, puisque toutes
les possibilités d’endogamie lignagère ou de pseudo-endogamie lignagère semblent utilisées, de
l’union entre deux membres de l’achk3 jusqu’à celle de deux captifs. C’est donc l’union systé-
matique avec des étrangères isolées, libres ou captives, qui a fait l’importance des grands lignages
RÉSIDENCE ET DESCENDANCE 101
Et Aizi
p;; J/ c_cc_/-- ------------------------- -__________
@ O
8
Ax 0x L es .Individur suivis d’une Croix IIL fon! pos partia de I’acl~, Adjé Bonny mais
de 1’~ Q Aizi ” dcnt le chef de tr5ne est De!& M’ba.
alladian, importance encore si sensible qu’à Jacqueville au moins deux tours sont composées
exclusivement de captifs ou de descendants directs et proches de captifs ou captives.
Nous étudierons dans le chapitre suivant les différentes modalités d’union avec des
étrangères, qui aident à définir les types d’union matrimoniale en pays alladian camme consti-
tutifs d’une politique. Dans le chapitre v, compte tenu des différents statuts qui résultent de ces
302 LE RIVAGE ALLADIAN
différents types d’union, nous tenterons de discerner leurs conséquences dans l’organisation de
la production. Il nous reste à essayer de préciser, conformément au principe pose au début de
tette étude, la situation de l’organisation lignagère que nous venons de décrire au regard de son
histoire. Indépendamment de l’évolution assez remarquable par laquelle beaucoup de captifs
ou de descendants de captives ont été promus à un statut plus élevé par le jeu des changements
socio-économiques liés à la colonisation, et dont nous réservons l’examen pour le chapitre v,
nous signalerons deux phénomènes qui nous paraissent caractéristiques de l’organisation de la
société alladian et de son évolution, la très ancienne existence d’un décalage entre le fonction-
nement de l’organisation lignagère camme strutture de parenté et son fonctionnement camme
organisation économique, et l’incontestable impact de la prospérité économique exceptionnelle
du centre du littoral sur tette organisation.
T&é Mambi
I i
Njaon
Brou yacé
Dagri Bonny
en ligne maternelle
A N’guessan Mambe
FIG. 15. - L’achkr, N’guessan Mambé.
Le pointillé vertical exprime la descendance quand les connexions
généalogiques précises sont oubliées.
Joachim Abi, pour sa part, accroit sa fortune ; c’est à lui que plusieurs membres de Seme
se sont adressés quand ils avaient des difficultés matkielles. Le neveu de Dagri Éco est un bon
travailleur, qui entretient les plantations de son oncle, mais il n’a pas un sens de l’initiative aussi
développé que Joachim. Celui-ci a fait une assez longue carrière commerciale à Bondoukrou et
Abidjan, et s’est installé à Jacqueville avec des économies. Il est en outre épaulé par son oncle,
dont il ne fait que « garder » le trone, qui est le chef des Alladian de Port-Bouet et possède, outre
une grande chaloupe à moteur pour la peche aux requins, des plantations à Vridi.
La fo& commune aux deux acigk3, qui symbolisait en quelque sorte la vassalité de l’acigk3
de Joachim Bonny, puisque Seul le chef de l>autre aci3k3 pouvait donner l’autorisation d’y créer
des plantations, est progressivement envahie par les plantations de Joachim, dont elle manifeste
aujourd’hui la prééminence. L’aci3k3 de Barthélemy Kayo est d’ores et déjà considéré camme
le foyer le plus actif de l’eme Kacou, et très vraisemblablement ce changement des rapports de
fortune aurait eu dans un contexte traditionnel des répercussions sur l’organisation formelle de
la famille. Une telle conséquence est au Teste toujours pensable, facilitée par la tendance à l’endo-
gamie lignagère ; mais l’existence du nouveau code civil, qui ne saurait tTOUbleTprofondément
les Alladian (leur stratégie makimoniale a toujours tendu à défaire l’opposition fils/neveu), ote
maintenant de leur intér& pratique aux réajustements ou aux falsifications généalogiques.
Il nous a pourtant été donné au tours de l’année 1966-1967 d’assister à une tentative de
remaniement de l’identité d’un acigk3, dont les causes étaient très nettement intéressées.
104 LE RIVAGE ALLADIAN
.A villoge B r
-B-----w --w.
h-.-G
.--- ----
M.D. h
-B B.Y.
*L , L--- Ora&
des aclDw -i,zk z dissocie’s
de 1 d associ& à 1
D
-
--- .---- aI Evolution de tette
b’l
qrc\anisation
-------- --- - --- _--- Cl
1
FIG. 16. - Exemple d’association et d’assimilation.
a) Apparement I en choisissant D pour représentant s’assimile à 2, lui-m6me récemment dissocié de 1.
b) Rupture. L’association de I à 11 tend vers l’assimilation.
c) Vers un retour au statu quo.
L’histoire remonte assez loin et concerne deux Eme et deux villages que nous appellerons
A et B (cf. fig. 16). A la suite d’une très ancienne dissociation un aci3k3 I de l’eme 1 du village A
s’était associé à l’eme 11 de B. Au siècle demier, à la suite d’un mariage d’une femme de 1 (village A)
avec un homme de 11 (village B), un groupe de parents de la femme se dissocia de 1 pour s’associer
à 11, créant ainsi un nouvel aci3ks z dans le village B. Le commerce de l’huile aidant, M.D. et B.Y.
RÉSIDENCE ET DESCENDANCE
Mam,bé
oizi ondongon
1 Taboth (
aizi i
I
/ /’
/’ /
I /
/’ /
/
,/
/
/
/
Grand- Jacques
/
/
bodo / djakotié
4
Avogòu /l
kovou / , /
/ 1
/
Grand- Jacques /
/
/
/ :
Grand-Joe+&
/ boumbro krqlv.
Grand- Jacques // j
boumbra /béké ahui 1
son neveu devinrent très riches et B.Y. assura au début du siècle l’éducation et l’entretien de
certains enfants de l’achk3 I ; c’est ainsi que le fils d’un administrateur franca.% et d’une femme
de l’aci3k3 1, L..., lui-m6me fonctionnaire, fit la fortune de cet acGk3 en administrant ses biens,
placant son argent, batissant des constructions en dur, etc. A sa mort, la complexité des affaires
à administrer amena les membres de l’aci3k3 I à demander à un membre prestigieux de l’sisk3 2,
lui-meme haut fonctionnaire, D., de prendre en charge la fortune de l’aci3k3 I.
Avec le temps des discussions sont apparues. Les membres de l’aci3k3 I reprochèrent notam-
ment à D... de garder pour lui les loyers des maisons construites par L.., Toujours est-il que,
s’appuyant sur le statut des acisk3 associés, les notables de l’aci3k3 I entreprirent de l’assimiler
106 LE RIVAGE ALLADIAN
A brkby
Avagou
Natou Tana
Kovou I Matchua l Matchua / Nafoum l Kovou l Nébè
W E
Kpokpo Awayem Daboua- Angban Kagui Ayéka
Kukro I Kukro Ka Kukro Kukro I Kukro Ktikro
Akrou
Bavabo (Tana)
W E
Alva Djumu Tjava Awanzi Kukro Djava Kukro
I Kukro l I l
Adoumanga
Bavabo
W
Séménin Kukro 1 Awanzi Kukro 1 Egui Émétri Kukro E
Adjué
Bavabo
Ladjoko m’bata Logosé m’bata 1 Andongon
W E
Ladjo Kukro 1 Awanzi Kukro Angban Kukro 1 Tjupams Kukro
Adjacouti
Natoumbo
Édouard Djéké Boizi Kacou
W -E
Xoufa KYO 1 Awanzi Kukro I Débézou KYO
M’bokrou
Matchua Gangou
Kitrava l Natou l Okwen l Okwen l Okwen / Okwen
W
Sogon 1 Sémenè / Abrakui 1 Awanzim 1 Awayem 1 Adoumanga E
Bahvama
W
Tabi I Bata M’bata I Matchua
-E
Négui I Zigakué
Addah
Njaman m’bata
W
Djevre ) Gbama 1 &rfi ) AgouzIpva [ Étana ““Ligatcho / A;t- ‘rtikatio E
Kukro
RÉSIDENCE ET DESCENDANCE =07
à l’eme 11, contestant du meme coup leur origine 1 et le droit de D. à administrer l’héritage de
famille. Cette entreprise leur valut au moins de récupérer le loyer d’une construction louée à une
maison de commerce.
Nous avons cité dans tette histoire (qui comparte une suite : une procédure de réconciliation
était en tours au début de l’année 1967 entre 1, 2, 1 et D.) pour ce qu’elle révèle du statut des
a.&K~ associ& (relations avec les deux Eme- I travaille des terres originellement cédées par 11)
et de la marge de manceuvre que ce statut laisse aux responsables de ces aci3k3, notamment dans
un contexte économique moderne (alliance plus marquée selon les cas avec l’Eme d’origine ou
avec l’eme d’accueil). Mais une telle histoire a d’autres prolongements : l’attitude des notables
de l’acigk3 I tour à tour (et sans doute simultanément) subjugués et irrités par la position forte
de D. est typique d’une société oìi le sort réservé à certains des chefs les plus prestigieux, les
comportements adoptés à l’égard du colonisateur et les comportements plus quotidiens que révèlent
la chronique du village ou les confessions à Atcho témoignent d’une ambiguité fondamentale.
Le visage de l’autorité, dangereux et prestigieux, ombre et lumière, hai et respecté, apparait
au regard des Alladian camme la double face d’un dieu ambigu dans la vision simultanée d’un
peintre moderne. De fait, à peine D. contesté et méprisé, le malheur s’est abattu sur l’achk3 I ;
deux décès et une maladie grave ont été interprétés camme le signe d’une faute et d’une erreur :
avoir fait montre d’un orgueil excessif (tout péché, au sens chrétien, rend plus vulnérable aux
attaques de tous ordres et de toutes origines) et avoir sous-estimé la « force » de D.
De ces divers cas on pourra, pour l’instant, retenir que le langage de la légitimité et les
réalités de la puissance jouent de longue date en pays alladian leurs roles respectifs aussi complé-
mentaires que contradictoires. La transmission de la chefferie traditionnelle offre d’autres exemples
d’un langage servant à falsifier la réalité qui le fonde, la descendance, au bénéfice d’une réalité
qui le fausse et qu’il légitime (la fortune). Il n’est rien dans tette fidélité ambigue à la forme de
la tradition et aux réalités du changement, qui puisse etre attribué à quelque contamination
récente de l’extérieur. Elle constitue meme sans doute l’une des lois fondamentales d’une société
où, on le verra, pouvoir, prestige et fortune ne peuvent que s’identifier ou disparaitre.
Il est certain enfin, camme on l’a vu en distinguant des villages « centripètes » et des villages
« centrifuges )), que la complexité des associations lignagères et les différents problèmes qui peuvent
lui &re liés sont le résultat de déplacements eux-memes fonction, en général, de la plus ou moins
grande prospérité des divers villages ; d’une certaine manière l’émigration ((intérieure N a précédé
de longue date le mouvement d’émigration vers l’extérieur (Abidjan, Port-Bouet, Bassam) amorcé
au début du siècle, et joué, mutatis mutandis, un role analogue.
Ce n’est qu’ainsi que peut s’expliquer la remarquable diversité de Jacqueville : on ne
trouve dans aucun autre village un nombre comparable d’achk? associés (IZ), ni un nombre aussi
faible d’acigkg dissociés (2). Encore l’un de ces deux derniers n’est-il qu’une dissociation à partir
d’un achk3 déjà associé (cf. fig. 17).
La multiplicité des liaisons institutionnalisées (participation aux funérailles, éventuellement
cession de terres, droit à l’héritage, échange de femmes) qu’une telle diversité entraine à l’intérieur
et à l’extérieur du village a correspondu, semble-t-il, à l’affirmation simultanée de l’esprit de village
et de l’esprit de lignage, au renforcement réciproque de la cohésion villageoise et de la conscience
ethnique.
4
La résidence
fonction de l’alliance
Les seules formes de mariage prohibées sont, si l’on se réfère aux déclarations des Alladian
et à leurs arbres généalogiques, le mariage avec la cousine parallèle (matrilatérale et patrilatérale)
et le mariage avec la cousine croisée patrilatérale. Le mariage avec la cousine croisée matrilatérale
est, camme on l’a vu plus haut, toléré sous réserve de l’accomplissement d’un r-ite purificatoire,
« utyumbre » - c’est une vieille femme du village, spécialisée dans l’accomplissement du rite, qui
verse dans les yeux du futur époux une décoction de piment et d’écorce réduite en poudre.
Ces interdits paraissent donc accorder la meme importance, biologiquement, à la lignée
paternelle et à la lignée matemelle, l’interdiction des mariages avec la cousine croisée et la cousine
parallèle patrilatérales contrebalancant, de ce point de vue, l’exception faite en faveur du mariage
avec la cousine croisée matrilat&.le.
Il est évidemment impossible d’épouser sa soeur, la solur de son père, la sceur de sa mère ou
la tille de sa sceur et si nous mentionnons ici ces formes aberrantes c’est qu’elles ont des équivalents
du point de vue de la composition des lignages et de la résidence dans les diverses formes d’union
avec les étrangères, dotées ou captives, ou avec leur descendance.
Lamblinl citait deux empechements absolus au mariage : le défaut de consentement des
conjoints et la parenté d’ « étioco N.Il a certainement fait erreur sur le second point, car les mariages
dans l’achk3 toujours nombreux à l’heure actuelle, l’étaient encore bien davantage il y a deux
ou trois générations. Les préférences traditionnelles semblent &re en ordre décroissant le mariage
dans l’achk3, le mariage dans l’wze et le mariage entre acigk3 associés.
Comme de facon générale dans toutes les ethnies résidant à l’est du Bandama, la « dot »
est presque symbolique, au moins en ce qui concerne les femmes alladian et les femmes des « peuples
d’eau D. Elle est payée par le père du mari& et se distingue nettement de la dot payée pour une
femme étrangère. A la « dot » alladian correspond le terme eszwa ; la « dot » payée au père d’une
femme étrangère de coutume patrilinéaire s’appelle &ekwa : « argent du mariage », de E&, mariage,
et de gkzua : paiement. Le père conserve une certame autorité sur le ménage, du fait de sa qualité
de doteur : le premier enfant lui est en principe confié, il l’entretient et l’emploie à son service.
tants de six EWUdifférents (fig. IS), ce qui en pratique n’est jamais, tant s’en faut, réalisé. Il
manifeste le r-He important du père (l’accord est en définitive réalisé entre le père du jeune homme
et celui de la jeune fille, c’est-à-dire entre deux représentants d’aci3k3 auxquels leurs enfants
n’appartiennent pas nécessairement). Il manifeste enfin l’existence très individualisée de l’a%
dans la société alladian : dans la lignee Pater-nelle, la seule relation manifeste est celle du père
au frls ; en deux occasions pourtant la relation s’étend du père du père à l’enfant du père ; l’autori-
sation du g-r-and-pèrepaterne1 est théoriquement exigée pour le mariage de sa petite-frlle ; le premier
enfant né du mariage du fils L’EGO vivra avec EGOpour le servir. Mais tette relation à trois apparait
nettement camme une double relation à deux : un fìls ne doit rien faire sans l’avis de son père ;
un père a des droits sur tous les biens acquis par son fils, et la disposition des services du premier
enfant est consideree camme l’un de ces biens. La relation du gr-and-père paterne1 à son petit-f%
est commandée par une double soumission à l’autorité paternelle. Il faut en outre remarquer
que si le père du père ou le père de la mère sont morts, c’est un de leur parents d’achk3 qui les
remplace.
FIG. 18.
Le père de la mère de sa femme était décedé, ainsi que le père de son père, leurs parents
d’aci~k~ n’exigèrent rien. Le père de sa femme vivait lui-meme très isolé de sa famille maternelle,
où il ne comptait plus ni frère ni soeur. Il demanda à Été Neuba :
- z toitures de papo,
- du boia pour dresser la palissade de sa tour,
- 3 bouteilles de viri,,
- I short pour aller en mer,
- I short « pour le dimanche )),
- le débroussage d’une plantation de manioc.
En 1966, l’eswra payé aux parents de la fille d’Été Neuba (dont des questions posées
à l’occasion de divers mariages ont montré qu’il était sensiblement égal à la moyenne de ce qui
s’était versé à ce titre dans les années 1965-1966) s’est décomposé camme suit :
Maternels du *ère
- Hommes
4 litres de liqueur : z bouteilles de rhum
I bouteille d’anis
I bouteille de cognac
12 savons
1/2 kg de tabac
6 bouteilles de Soda Tip Top
- Femmes
2 litres de sirop de menthe
6 bouteilles de Coca-Cola
30 rsavons
I kg de tabac
Père dti père (en l’occurrence son neveu)
I litre de rhum
Tabac
2 morceaux de savon
Maternels de la mère
- Hommes
2 litres de rhum
z bouteilles de cognac
I bouteille d’a&
1/2 kg de tabac
15 savons
- Femmes
I bouteille d’anis
I bouteille de sirop de menthe
4 bouteilles de Coca-Cola
6 savons
112 kg de tabac
Le montant total des prestations ainsi versées s’élève à environ 23 ooo francs. Il faut
tenir compte en outre des boissons offertes à la classe d’age du père de la jeune épouse. Modicité
et stabilité d’une dot consacrée pour l’essentiel à la consommation immédiate ; égalité de traitement
pour les paternels et les maternels de la jeune fille : telles sont les conclusions qu’on peut tirer des
chiffres ici cités.
La boisson comprise dans l’estivra est en effet consommée dans les jours qui suivent : l’acig&
du père, le père du père, l’aci3k3 de la mère et le père de la mère boivent tour à tour, et à chacune
de ces quatre manifestations la future épouse est convoquée : on y fait son éducation, et on l’informe
des réalités et des obligations du mariage.
A l’étape suivante, correspondra le %to nakal ou habillement de la jeune fìlle. Ce deuxième
versement se situe non pas aux premières règles de la jeune fille, mais au moment de sa maturité,
mesurée par les Alladian au volume de sa poitrine : la jeune tille est considérée camme nubile
lorsque sa poitrine commence à tomber. La mère de la jeune fille fait prévenir les parents du gar-
con que sa fille est prete.
Quand le marié, aidé de son père, est en mesure d’habillerla jeune fille, son père, à son tour, fait
prévenlr les parents de la jeune nlle qu’il pourra habiller celle-ci le lendemain matin. Les femmes
des achkg paterne1 et materne1 de la jeune fille viennent le lendemain matin chercher les affaires
promises (pagnes, pièces de tissus, lingerie) chez le père du garcon. Comme bien des processions
anciennes, le cortège des femmes, portant sur la tete les offrandes recues, sort du village par le nord
(c’oté brousse), se dirige vers l’est, emprunte la rue centrale du village de l’extrémité est à l’extré-
mité ouest de celui-ci, puis revient à la maison du père de la jeune fìlle. Tout le village est ainsi
associé à la joie de la famille ; les femmes du cortège scandent en effet à pleine voix le refrain
traditionnel : « Anliii entjo, ki metjo diauri dyaya ! » : « Ma petite fìlle a trouvé, j’ai trouvé, joie ! » ;
dia& dyaya est une exclamation signifiant l’allégresse que les très christianisés informateurs
traduisent par (( Hosannah ! )). Cependant, les mères viennent au bord de la rue montrer à leurs
frlles quelles belles parures seront les leurs si elles trouvent un mari.
Cérémonie publique, nouvelle criée et publiée, le mariage, placé malgré la modicité relative
des dons offerts sous le signe de l’ostentation, l’est aussi sous celui de sa finalité propre : la fécondité
et la procréation. Une fois les vetements offe& à la jeune fille parvenus chez son père, les femmes
dansent et boivent ; le soir, le père, accompagné de sa femme, va rendre visite au père du garcon
puis rentre chez lui. La jeune fìlle se baigne et revet les habits qui lui ont été offerts ; la mère
désigne une femme ayant déjà eu des enfants (c’est une condition impérative) pour accompagner
sa fille chez son mari ; celui-ci fera un petit cadeau à l’accompagnatrice.
Ce culte de la fécondité, et son envers : la hantise de la stérilité, dont on trouvera de nom-
breuses illustrations dans le système des valeurs traditionnelles et actuelles, n’empechent pas,
bien au contraire, que la virginité soit une qualité fort appréciée. Cela apparait lors du troisième
versement qui conclut le règlement de la « dot » (indépendamment des prestations et des cadeaux
qu’un beau-fils attentionné doit fournir régulièrement à son beau-père) : « ungoti ki 9 n’est versé
à la femme par son mari, à l’occasion de ses premières règles, à son domicile, que s’il l’a trouvée
vierge. A l’époque escomptée de ses règles la mère de la jeune fille envoie chez le mari la meme
femme qui l’avait accompagnée le soir de son mariage, pour lui déclarer : « Nous avons vu les
règles de ta femme, est-ce à toi ? x Dans un style qui n’est pas sans rappeler, avec plus de discrétion
ce que la littérature nous dit des villages siciliens, le mari donne à l’envoyée de sa belle-mère une
bouteille : pleine, elle signifie que la fìlle était vierge ; à demi vide, qu’elle ne l’était pas ; dans
ce cas les parents de la jeune fille ouvrent une enquete à l’issue de laquelle le coupable devra
payer le prix de l’adultère au nouveau mari.
Cette valorisation de la virginité ne semble pas d’origine récente. Lamblin signalait déjà
que la dot pour une tìlle vierge était plus élevée. Dans le cas inverse, le futur mari n’est pas tenu
de verser n’tonaka (à supposer qu’il soit prévenu ; sinon il touchera éventuellement le prix de
l’adultère ; il ne serait pas de bon ton qu’il reprenne les affaires offertes à sa femme, mais sa géné-
rosité à l’égard de la belle-famille pourra &re moindre). Ang6ti ki sera payé à la femme après la
naissance de son premier enfant.
Enfm, si l’on épouse une femme, veuve ou célibataire, qui a déjà eu des enfants, on ne
doit que l’eswwa. Cette valorisation de la virginité, qui dans certaines sociétés est considérée camme
contradictoire avec celle de la fécondité (une femme qui a déjà eu des enfants a « fait ses preuves »)
est peut-&.re liée à I’ensemble du système des valeurs : qui, d’une certaine facon, s’est mis dans
son tort, est plus vulnérable à l’action des Nsorciers » ; d’un autre point de vue, il est dangereux
de pouvoir &re opposé à son insu à quelqu’un qui peut &re puissant et malveillant, le mari pourra
éventuellement mieux se défendre s’il connait l’identité du coupable ; autre possibilité : une
inconduite systématique de la par-t de la jeune fìlle, surtout si elle est restée secrète, peut etre le
signe quelle-meme appartient à la société des arabo et agit « en diable ». Les confessions recueilhes
chez le prophète Atcho, dont on examinera plus loin toutes les implications, sont à cet égard
très signifìcatives.
Il reste que le mariage est essentiellement affaire de négociations et de discussions. On ne
trouve rien dans le cérémonial du mariage, qui rappelle une époque où il aurait pu en &re autre-
ment : aucun simulacre d’enlèvement par exemple. C’est qu’aussi bien les villages alladian étaient
forcés de s’entendre pour survivre, qu’en outre I’intérieur du pays, vendeur et client en puissance
et en fait pour ces trafiquants de langue date, fournissait un large appoint en femmes, qu’il les
accordat en mariage, les vendit, les mit en gage ou les perdit à la guerre. Enfin et surtout, le mariage
était l’occasion d’accroitre la force et l’indépendance d’un lignage ou de consolider les liens entre
deux lignages : en toute occasion affaire de calcul et de compromis plus que fin en soi : la fin pre-
mière de l’alliance, c’est la descendance - ce qui n’exclut évidemment pas de chaleureuses relations
individuelles ; ce caractère apparait bien plus nettement encore lorsqu’on examine les modalités
de l’ahiance avec les femmes étrangères.
La femme étrangère peut ktre dotée elle aussi très jeune et gagner le village bien avant
d’etre pubère. Cette procedure n’aliène d’ailleurs pas les droits de la jeune fille, qui peut toujours,
le moment venu, refuser le mariage ; ce refus doit naturellement entrainer la restitution de l’argent
versé par le fiancé. Il était quelquefois rendu difficile par l’éloignement de la famille d’origine
de la jeune fìlle. Un problème de ce genre s’est très récemment posé dans une des tours Kacou de
Jacqueville, et la solution qui y a été apportée témoigne tout à la fois de la permanente de l’insti-
tution et de sa souplesse.
K.B., chef de tour, vit dans la meme case que sa cousine parallèle E.D. Celle-ci a eu un
enfant, maintenant haut fonctionnaire, B.E., mais s’est retirée chez son cousin à la mort de son
mari : elle s’est donc réfugiée dans sa famille maternelle. Son fils avait preté de l’argent à un homme
d’une autre tour Kacou, B.Y., à l’occasion d’un voyage que celui-ci devait effectuer en pays bété.
B.Y. une fois en pays bété dota une très jeune iille : le mariage y fut traditionnellement célébré
(et, nous a-t-on afhrmé, enregistré par l’administration). La jeune fille une fois rendue à Jacqueville,
B.U., peu pressé de rembourser ses dettes, la confia à B.E. qui l’installa dans la tour de son oncle
K.B. pour servir sa mère E.D., déjà agée. Mais quand la jeune fille fut nubile, elle refusa de devenir
l’épouse de B.Y. ; elle préféra rester dans la tour de K.B. où elle demeure actuellement, toujours
célibataire, avec deux jeunes enfants de pères différents, qui restent acquis au lignage de B.E.
Celui-ci, de l’avis des gens du village, doit, de ce fait, s’estimer très largement remboursé (cf. fig. rg).
Cette histoire illustre bien d>une par-t la réelle liberté des étrangères « import& », encore
jeunes, en pays alladian, d’autre part le prestige toujours considérable des enfants camme source
actuelle de services et camme promesse de sécurité. C’est très couramment que l’on entend dire
d’un individu agé et sans ressource qu’il n’a pas eu la prévoyance de faire des enfants ; la stérilité
est d’ailleurs pour les femmes du littoral une véritable hantise, dont nous trouverons ailleurs
des indices et des manifestations ; l’enfant, son statut et son « propriétaire », voilà ce qui importe
plus que les modalités de l’alliance en elle-meme, ou plut6t ce qui importe dans ces modalités ;
l’une des conséquences actuelles de cet état de choses est le gotìt marqué de beaucoup de jeunes
femmes pour le célibat avec enfants ; ce phénomène, malgré la polygamie, n’est sans doute pas
LA RÉSIDENCE, FONCTION DE L’ALLIANCE rr5
FIG. 19.
nouveau, vu notamment les importations massives de femmes étrangères au tours du siècle dernier
et la tendance, toujours très forte actuellement, à ne pas laisser les femmes alladian se marier à
I’extérieur ; mais il est sans doute renforcé actuellement par la conscience qu’ont beaucoup de
jeunes femmes de pouvoir vivre par elles-memes beaucoup plus facilement que camme épouse
d’un jeune homme végétant au village ou s’exilant à Abidjan. Inversement, certains jeunes gens,
accusés d’avoir mis des jeunes filles enceintes, offrent un dédommagement matériel (quelques
milliers de francs) que les parents de la jeune fille refusent, pour que le père n’ait aucun droit
sur l’enfant.
La dot, si minime soit-elle, est donc ce qui fonde les droits du père sur sa progéniture, et
dans une certaine mesure les droits du gr-and-père paterne1 (le doteur). On concoit aisément que
le paiement de I’drekwa (forte dot) entraine d’autres droits que celui de l’esuvra.
Mais il convient de ne pas assimiler mariage avec une étrangère et paiement de l’siyekwa.
Il existe naturellement plusieurs sortes de mariages avec les étrangères, selon que celles-ci sont
d’une ethnie à tendance patrilinéaire ou à tendance matrilinéaire. En outre les droits des ascendants
et des descendant varient selon que les femmes épousées sont dotées ou captives ; encore faut-il
sous ce dernier titre entendre plusieurs réalités distinctes : une femme peut etre achetée, captive
de guerre ou simplement « mise en gage » (et, dans ce dernier cas, alladian aussi bien qu’étrangère).
D’une manière générale, seules un petit nombre d’ethnies sont impliquées dans ces divers procès,
et un certain type de relation prévaut avec chacune d’entre elles ; on peut facilement classer ces
ethnies et ces relations : l’ethnie la plus proche est naturellement l’ethnie avikam ; c’est elle qui,
en conséquence, fournit le moins de femmes aux Alladian : les Avikam pouvaient évidemment
confier des femmes CC en gage » à des Alladian, de meme que les Alladian à d’autres Alladian, mais
les occasions de commerce et d’endettement étaient plus rares entre eux qu’entre les habitants
du cordon littoral et leurs fournisseurs et clients de la rive nord de la lagune.
Les Alzi, proches, s’endettaient lourdement vis-à-vis des Alladian, beaucoup de femmes
leur ont été ainsi abandonnées ; les mariages à proprement parler ne semblent pas avoir été nom-
breux, bien que chez certains Aizi les enfants appartiennent au lignage du père : les Alladian
expliquent le fait par des raisons esthétiques ; ils ne semblent pas apprécier le charme des femmes
aizi. Les Adioukrou, les Ébrié et les Atié ont une dot faible et un système de descendance à tendance
matrilinéaire ; ils fournissent donc surtout des femmes « en gage » ou des captives de guerre ;
les Abidji, les Dida et les Abé peuvent fournir des femmes de divers statuts : dotées, « en gage »
ou captives achetées. Mais, traditionnellement, il n’y a pas de guerre avec ces trois peuples et
donc pas de captives de guerre ; enfin, camme les autres lagunaires, les Alladian ont acheté beau-
116 LE RIVAGE ALLADIAN
coup de captifs « dioula 1)vendus par les soldats de Samory. Ajoutons qu’il y a des exemples de
mariage libre avec les femmes des peuples à faible dot. Certains ont pu &re motivés par des raisons
commerciales, les traitants les mieux organisés se créant sur la rive nord une clientèle stable.
Il est arrivé aussi, camme on l’a vu par quelques exemples précis, que, séduits par les
avantages de l’existence aisée foumie par les riches traitants alladian, des groupes d’étrangers
proches (aizi, adioukrou, ébrié) soient venus s’installer dans la tour d’un de ces traitants, s’intégrant
à son ame tout en résidant auprès de lui. Dans le tableau VI1 il restera donc sous-entendu que la
catégorie « mariage libre » est présente à propos de chaque ethnie à faible dot et à tendance
matrilinéaire.
TABLEAU VI1
Les mariages avec forte dot peuvent &re l’occasion pour l’oncle materne1 ou pour le père
d’un jeune homme d’affirrner leur puissance. C’est normalement au père du jeune homme de payer
le prix du mariage (Grekwa) ; s’il en a les moyens, il réalise une bonne opération, puisqu’il capte
ainsi la descendance de son fils : la captive ou l’étrangère dotée, dont les enfants appartiendront
au lignage du « doteur », peut 6tre considérée camme la sceur de celui-ci. Le fils du « doteur » sert
ainsi de relais à l’extension de l’acisk3 du père ; mais l’oncle materne1 peut faire un raisonnement
analogue et assigner le meme r6le à son neveu utérin (fig. 2o)l.
Le droit coutumier est forme1 sur ce point : c’est le père qui peut seul autoriser éventuel-
lement l’oncle de son fìls à doter une femme pour lui ou à lui donner une de ses captives en mariage.
L’oncle ne peut passer outre à un refus éventuel, et un fils qui, méprisant l’interdiction de son
père, accepterait une femme de son oncle maternel, mériterait la malédiction de son père.
Les conséquences du mariage peuvent donc varier selon la nature de celui-ci. En outre la
forme de l’union - le statut des époux - définit les droits et les obligations de chacun des parte-
naires intéressés à tette union : c’est-à-dire le père du jeune homme (le grand-père paterne1 des
enfants nés de tette union) ; le jeune homme (père des enfants) ; sa femme (mère des enfants) ;
le frère de la femme (oncle matemel) et les enfants eux-memes.
I. La polygamie semble actuellement pratiquement absente des villages du littoral ; les exemples qu’on
en peut citer concement des « harristes » riches : il y en a un à Jacqueville, un autre à Ahua (le chef ; cf. fig. 32)...
Traditionnellement, il ne semble pas qu’en dehors des cas de « lévirat » les Alladian aient normalement épousé
de nombreuses femmes alladian ; les femmes « supplémentaires » étaient généralement des étrangères ou des
captives. Ainsi s’explique d’ailleurs qu’à par-tir de certains individus très riches se soient tout à la fois continuée
la lignée « dirette » et créees une ou plusieurs lignées dissimilées.
LA RÉSIDENCE, FONCTION DE L’ALLIANCE ==7
et
----
FIG. 20.
On voit d’après la figure ZI que ces droits et ces obligations peuvent se définir à partir
de différents critères tels que la génération, 1’8% (lignee paternelle), l’alliance (rapports de mari
et femme), l’acz& (lignée maternelle) ; ce sont ces droits et ces obligations qu’on décrit parfois
dans la littérature - au prix d’une légère confusion - sous le nom de « relations », EGO étant
tour à tour situé par rapport à son frls, ses frères, ses sceurs, sa mère, le frère de sa mère. Or s’il
existe sans doute un style dominant de relations dans une société considérée, style qu’il est facile
de mettre en rapport avec les caractères principaux du système de parente (l’exemple le plus
FIG. ZI.
frappant étant la traditionnelle opposition entre la relation père/fils et la relation oncle maternel/
neveu utérin), ce style n’est qu’un style, qui ne définit que des attitudes moyennes, idéales ou
stéréotypées. C’est dire qu’on ne peut conclure automatiquement de la tendance patri ou matri-
linéaire d’une société et des droits qui s’attachent à telle ou telle situation à l’existence de rapports
définis entre te1 ou te1 partenaire par alliance ou par descendance. Il ne s’agit d’ailleurs pas tant
de faire la par-t des variantes individuelles et des cas particuliers, que de ne pas privilégier a priori
certaines de ses relations, ni, à l’intérieur de celles-ci, les domaines où elles apparaissent sous la
forme attendue. De tels privilèges entrainent en effet quelque inconséquence dans la présentation
des faits : nous en prendrons pour exemple l’analyse qu’a faite Marguerite Dupirel dans son analyse
des relations interpersonnelles dans la société adioukrou, voisine de la société alladian (au nord
de la lagune), son adversaire parfois au tours du xvrrre siècle, mais son partenaire commercial
préféré au tours du siècle suivant ; dans tette société bilinéaire où le matrilignage joue toutefois
un r6le plus important que le patrilignage - notamment dans la transmission de l’héritage -,
« les relations interpersonnelles, note justement l’auteur, ne peuvent se concevoir isolément,
c’est-à-dire sans référence à la vie des groupes auxquels les individus appartiennent N. Mais partie
de l’opposition père/fìls-oncle maternel/neveu utérin, M. Dupire est contrainte tout d’abord de
la nuancer, au point de la distinguer nettement de la réalité qui est censée l’exprimer, ensuite
de nuancer l’un de ses termes au point de substituer au rapport d’affection et de jovialité qui
y correspondait à l’origine un rapport d’ordre conflictuel : Nces devoirs de réciprocité (entre père
et lils), empreints d’affection, se prolongent toute la vie par des échanges de nourriture et de
cadeaux, fìxés par la coutume... L’oncle materne1 fait figure de bouc émissaire... La réalité est
loin d’etre aussi dramatique. Il est des oncles généreux et d’autres tyranniques... ». Et plus loin :
« ...C’est lui [le fils], bien plus que l’époux, qui la défendra [sa mère] dans une affaire de justice
et la soutiendra a% besoin contre so1zmaril. »
Wous avons eu l’occasion de signaler des exemples de tension père/fils dans le domaine
politique : rien n’y oppose, en principe, les intér&s du père et du fìls (sauf dans les cas d’alternante
du pouvoir où il peut se faire qu’un fils soit le successeur désigné du père), mais le pouvoir est
par nature contraignant, et il n’y a qu’un chef par village : de ce point de vue c’est l’alternante
du pouvoir qui peut apparaitre camme une tentative pour atténuer les conflits et les rancceurs
liés à la transmission du pouvoir. De faCon générale, et pour prendre le cas le plus habituel de
rapport contrasté de relations, la relation oncle maternel-neveu utérin nous a par-u en pays alladian
moins réservée que discrète, et d’une discrétion visant plus à protéger le neveu des jalousies de
sa parenté maternelle (ou à la rigueur, paternelle) qu’à persuader l’oncle du désintéressement de son
neveu. L’oncle materne1 est présenté camme tenant son neveu à distante dans la mesure où il
tient à le protéger. Leur entente est secrète ; les menaces qui pèsent sur eux (non sur elle) viennent
de l’extérieur, de l’entourage immédiat, en tout cas : des autres. La relation père-fils, à l’inverse,
si sous certains aspects elle peut &.re et est souvent présentée camme heureuse et sans histoire,
les devoirs de l’un et de l’autre équilibrant harmonieusement leurs effets, n’est pas exempte
d’ambiguités, le père disposant par exemple d’une arme redoutable, la malédiction (a&da),
pour le cas où son 1’2slui parait épouser abusivement les intérkts de son beau-frère (l’oncle du fils).
Le champ de la relation (idéologique, politique, économique) commande donc les variations
de son style ; en outre les modalités de l’alliance endogamique en bouleversent les termes ; nous
nous proposons, en conséquence, de retarder l’étude systématique de l’ensemble des relations
interpersonnelles dans la communauté villageoise, jusqu’au moment où nous aurons, par l’examen
des types d’union endogamique et des types réels de résidence qui en sont la conséquence, mieux
cerné l’identité et la situation réelles des partenaires en présence, et, par l’examen des groupes
de production, telles que les manifeste notamment l’organisation du terroir villageois, donné
un contenu plus réel aux droits et aux intérets, aux solidarités et aux conflits de ces memes
partenaires.
Par alliance « redoublée » on entendra tout type d’alliance matrimoniale entre deux descen-
dants de deux sceurs, dans la lignee maternelle, ou entre un descendant dans la ligne maternelle
et un ebiiii.
On a fait sur la figure 22 un résumé des formes possibles d’alliance « redoublée » ne faisant
intervenir qu’une ou deux lignées ; dans la partie gauche figurent les formes « pures » de ces types
FORME A (pure)
\ TYPE 4 ?. 1 3
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FIG. zz. -
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Formes et types d’alliance.
CJ +
- Union interdite.
+ Union autorisée.
x Union autorisée sous réserve de l’accomplissement d’un rite purificatoire.
120 LE RIVAGE ALLADIAN
d’alliance, dans la partie droite les formes c rectifiées », c’est-à-dire les formes d’alliance obtenues
si l’on considère que, du point de vue de l’alliance, l’étrangère dotée ou captive joue le r6le de
la sceur du doteur ou de l’acheteur. On n’a fait figurer dans la partie droite qu’une ou deux formes
équivalentes à chaque forme « pure » : il va sans dire que plus la relation de parenté, ou assimilée,
entre les deux partenaires de l’alliance fait intervenir d’individus, plus les possibilités de « recti-
fication » sont nombreuses, plusieurs mariages avec des étrangères ou plusieurs acquisitions de
captives pouvant intervenir dans l’établissement de la lignée.
L’intéret de la distinction de plusieurs types (segment, triangle, carré, rectangle, trapèze)
vient de ce qu’on n’a essayé d’eri systématiser la représentation qu’après en avoir trouvé la
quasi-totalité (au moins sous la forme rectifiée B) dans les généalogies des tours. Une cérémonie
purificatoire (Izyumbre) est nécessaire en principe, pour tout mariage entre parents par l’une
ou l’autre lignée, tant qu’on ne compte pas quatre générations pour remonter de celle des époux
à celle de leur ascendant commun. Toutes les figures moins étendues que le rectangle de quatre
générations impliquent, quand elles sont possibles, le recours à tette cérémonie.
Le rectangle et le trapèze ne définissent donc, sous leur forme pure, des mariages possibles
sans « nyumbre » que lorsqu’ils comptent une génération de plus, au moins, que dans les modèles
de la figure.
L’intér& de tette distinction tient en outre, nous semble-t-il, au fait qu’à I’exception
de la forme 1 AI - mariage avec la cousine croisée matrilatérale - les mariages dans la famille
mettent au minimum en jeu trois générations. Or, d’une part, l’abondance de captives a rendu
difficile jusqu’à une date relativement récente le maintien de lignées « pures » (sans intervention
de femmes étrangères) sur plusieurs générations, d’autre part le recours aux étrangères était
à certains égards plus souhaitable : le « possesseur » de la captive avait sur ses enfants les droits
réservés, dans le cas de l’alliance entre Alladian, à l’oncle maternel, principalement le droit de
les mettre en gage ; en outre, le recours aux étrangères permettait le renouvellement simultané
à chaque génération des relations tenant aux deux lignées, les enfants appartenant à l’achk3 de
leur père. Solution plus économique qu’une véritable endogamie lignagère, puisque, par ailleurs,
la descendance des femmes alladian du lignage appartenait à celui-ci. La comparaison des deux
formes des trois premiers types fait apparaitre toutes les possibilités qui s’attachent aux formes
« rectifiées ».
Les conséquences des différentes formes de chaque type sont facilement repérables ; on
les observe plus facilement à propos du « carré » qui correspond successivement au mariage avec
la cousine croisée matrilatérale, au mariage avec la cousine croisée patrilatérale et au mariage avec la
cousine parallèle - formes I, z et 3. La forme I a pour conséquence de faire sortir les enfants
de l’acGk3 L’EGO ; on a vu (chap. II) qu’un système d’échange généralisé se concevait mal si l’on
tenait compte de la constitution et de l’organisation des villages alladian, et que la possibilité
d’un mariage de tette forme s’expliquait mieux, en l>occurrence, par un système de réciprocité
entre deux familles.
La forme z a pour conséquence de fair-e rentrer les enfants L’EGO dans l’acGk3 de son père.
Interdite au niveau du triangle et du carré elle est possible au niveau du rectangle et du trapèze
sous réserve de l’accomplissement du « nyumbre ». « Rectifiée », elle correspond à toute union
avec une étrangère dotée ou une captive achetée par le père L’EGO - ce qui était la procédure
normale. La dotation ou l’achat par l’oncle materne1 d’une femme pour son neveu utérin étant
rigoureusement subordonné à l’assentiment du père de celui-ci, les types b BZ et 1 B2 (mariage
avec la femme dotée ou achetée par le père, ou avec la fille de tette femme) constituent un ree1
contrepoids à l’existence du type 1 AI : le recours à l’endogamie pseudo-lignagère et la cohésion
interne du lignage apparaissent ainsi camme le signe (et le moyen) de la fortune.
La forme 3, qui a pour conséquence de maintenir les enfants L’EGO dans son achk3, pourrait
appara’itre ainsi camme contraire à la seconde, avec laquelle elle se confond en fait souvent. Il
faut remarquer en effet que la généralisation des formes B (rectifiées) a pour conséquence celle
de la forme 3 dans laquelle la lignée de I’oncle materne1 et celle du père L’EGO sont confondues,
ce qui entraine la substitution aux distinctions reposant sur l’appartenance à différents lignages
LA RESIDENCE, FONCTION DE L’ALLIANCE 121
d’une stratification intralignagère où les statuts liés à la naissance ont un contenu juridique et
économique précis. A ce stade on peut véritablement parler de politique matrimoniale dans la
mesure où les représentants de l’aci3k3 $130 (direct) d’un aci3kg donné ont le double souci d’assurer
la continuité de la lignée (le maintien d’une lignée pure où le droit à l’héritage est incontestable
et où se recrutent les chefs de tour) et l’extension du lignage camme unité socio-économique
satisfaisant à sa propre subsistance - les fils y travaillent pour les pères à l’intérieur de la lignée -,
possédant les moyens de son expansion économique - matières premières : les arbres de sa for&
utili& pour faire les pirogues ; force de travail : main-d’euvre familiale, main-d’ceuvre captive
et main-d’euvre intermédiaire (descendants de captives) liée à l’achk3 par les obligations tenant
à la fois à la patrilinéarité et à la matrilinéarité.
C’est ainsi qu’un fils de captive non mariée ou d’un captif et d’une captive mariés ensemble
est doublement dépendant de 1 « acheteur » de sa mère ou de ses parents. Il fait partie de son
acigkg : mais si, à ce titre, il peut Stre mis en gage par lui, il n’a aucun droit à son héritage. En outre
il lui doit un certain nombre de services que, libre, il ne devrait qu’à son père. L’acigk2 cumule
ainsi deux types de ressources, normalement partagées entre deux acigk3. Nous étudierons de
plus près dans le chapitre suivant la réalité économique à laquelle correspondent, autant vaudrait
dire : que constituent, les structures de la parenté et de l’alliance. Les évoquer ici permet de préciser
le caractère du groupe constitué par l’acSk3 (dont la finalité sociale - en tant que « corporate
group » - et la finalité économique - en tant que groupe de production - relèguent au second
plan les préoccupations simplement liées au strict respect des règles de descendance). L’exis-
tence des captives est justement ce qui permet d’exprimer tette « relégation 1)dans le langage
traditionnel de la descendance et de « modeler » l’achk2 camme groupe socio-économique confor-
mément aux deux - finalités dont on vient de souligner la prééminence.
Kacau Ichigbsn
f-----y:::on
enfants
FIG. 23.
122 LE BIVAGE ALLADIAN
On peut dire qu’au jeu de l’amour (qui chez les Alladian ne doit rien au hasard) les captives
sont autant de jokers qui permettent tout à la fois de jouer le jeu et d’en réinventer les règles
à tout instant.
L’examen de certaines généalogies prouve le caractère delibéré de la double entreprise
(maintien d’une lignée, extension du lignage) qui tend à faire de l’aci& une unité organique,
hiérarchisée et efficace. Pour nous en tenir à Jacqueville, nous prendrons quelques exemples de
tette double entreprise au niveau de l’Enze et de l’ack6~ dans les familles Mambé et Kacou. Si
Assék;
tféke
nous considérons la figure 24, nous remarquons que quatre des grands chefs de l’aci& centrai
de l’wze Mambé ont abondamment pourvu celui-ci en aci& dissimilés, dont certains sont, à l’heure
actuelle, encore presque exclusivement composés danciens captifs et enfants ou petits-enfants
de captives. Cependant la présence des sceurs qui semblent avoir en règle générale residé à Jacque-
ville et dans la tour des Mambé (donc avoir épousé des hommes de l’a&& centrai ou à la rigueur
d’acGk3 dissimilés - alliances de types A3 ou B3) a assuré la continuité de la ligne dirette, de
l’acGk3 $YW où se sont recrutés les chefs de trone et les fondateurs d’aciDk3 dissimilés. On peut
voir dans la figure 25 un « grossissement 1)d’une partie de la figure 24 qui montre bien comment
s’articulent autour d’Adjé Bonny, chef de trene prestigieux, tout à la fois la continuation de la
lignée dirette et la liaison avec l’aci~k3 aizi associ6 ; la logique de l’échange de femmes pratiqué
entre les deux achkg voudrait que le petit-f& en lìgne paternelle d’Adjé Bonny soit aussi descendant
en ligne utérine - on a vu que le fils de Bézakon Badio est effectivement le chef de tr6ne théo-
rique -, et que le fìls d’Adjé Bonny soit le chef de l’acigkg associé - on a vu que si l’actuel chef
LA RÉSIDENCE, FONCTION DE L’ALLIANCE 123
de canton de Jacqueville, vu ses occupations, confiait la charge du trene à un de ses « neveux )),
il ne la lui abandonnait pas vraiment pour autant. La récupération par l’aci3kg des enfants des
~biiii a entre autres intérets pour le chef de tour celui d’entrainer une concentration familiale
assez remarquable : les héritiers du tr6ne habitent une tour dans laquelle ils sont à la fois ~6iiiZ
et abiiiii, qu’ils auront éventuellement un jour à diriger, et ne s’eri éloignent guère, en toute
occurrence, puisqu’un a&kg associé réside dans le village aussi près que possible de son acigkg
d’accueil.
Au niveau de l’aci3kg associ& l’aci3k3 Kovou des Kacou (cf. fig. 23) fournit l’exemple d’un
groupe qui assure tout à la fois son développement - par la création des branches indirectes
son maintien camme lignée et son homogénéité camme groupe résidentiel - du fait de la récupé-
ration par l’acigka des enfants des &zZi (alliance de type A2). Enfin on a rassemblé sur la figure 26
quelques types d’union pseudo-endogamique relevés dans l’arbre généalogique de l’achk3 Adjé
Bonny (me Mambé) : il y apparait clairement que toutes les unions ou pseudo-unions avec des
captives (une captive peut &re « prStée » et donner des enfants à la tour, sans &re mariée pour
autant) sont redoublées par des alliances de type B3 (pseudo-endogamie d’aci3k3) qui aboutissent
à la constitution de tours homogènes.
Le concept d’endogamie n’a évidemment de sens qu’en fonction du terme qui donne la
mesure de son extension : segment de lignage, lignage, clan, etc. Nous nous efforcerons en consé-
quence de préciser en quel sens on peut parler à propos de la société alladian d’endogamie et de
pseudo-endogamie. A vrai dire les Alladian eux-memes sont très sensibili& aux questions de ce
genre, et fournissent très explicitement le schéma directeur qui nous servira à ordonner les
différentes modalités d’endogamie concevables. 11s parlent en effet de mariage a6iim (N dans la
tour », au sens social) pour désigner une union entre deux membres d’un meme aci3k3 - lignage
minimal au sens restreint que nous avons donné à ce terme un peu plus haut. Mais différents
types d’union peuvent répondre à la définition du mariage abì&n, selon qu’il met en rapport deux
individus de l’aci3k3 @TO (type 1) ou que l’un des partenaires de l’alliance (le cas échéant, les deux)
descend d’une étrangère dotée (s’il ne s’agit de tette étrangère elle-meme), ou d’une captive (s’il
ne s’agit de tette captive). Dans le second cas, nous parlerons de pseudo-endogamie d’acigk3.
Les Alladian parlent ensuite de mariages « dans SEme », et les considèrent en théorie et
en pratique, au m&me titre que les mariages « abGm », camme préférables aux autres formes conce-
vables et à la rigueur réalisables. Mais le mariage dans 1’cwzecorrespond à plusieurs types d’alliance
très différents :
Un premier type d’endogamie d’sme (type 111) proche du mariage « abGm », est celui qui
correspond à I’union de deux individus de meme Emeet de meme village, I’un d’eux appartenant
à un aciok3 dissimilé (ou segrnenté) de celui de l>autre, ou tous deux appartenant à des aci3ka distincts
dissim.ilés de l’acigk3 centrai de leur &me (ou segmentés). On a vu qu’en pratique on trouvait
surtout dans la soci& alladian des aci3k3 dissimilés. Dans l’hypothèse de deux véritables segments
de lignage, on pourra se trouver devant une véritable endogamie de lignage (me) ; en pratique
on ne trouvera que des formes de pseudo-endogamie d’eme.
Un second type d’endogamie d’sme (type IV) est celui qui correspond à 1>union de deux
individus de meme village, dont 1>unau moins appartient à un aciDk3 associé à un Emede ce village.
On groupera dans la m&me categorie les unions entre 1’eme et son acigk3 associé, entre un acigk3
dissimilé d’un acigk3 donné et un aci3kg associé à ce meme Eme, ou entre deux acigk3 associés au
mSme Eme. Ces formes d’union qui ne peuvent très évidemment pas correspondre aux formes
124 LE RIVAGE ALLADIAN
d’endogamie et de pseudo-endogamie 1 et IP ont en fait, du point de vue social, une très grande
importance, et contribuent à la cohésion du groupe formé par 1>Emefondateur et ses aci3kg associ&.
Un troisième type d’endogamie enfin est celui qui correspond à l’union d’un individu
d’un aci3kg dissocié avec un membre de son acisk3 d’origine ou d’un des aci3k3 dissimilés ou
dissociés de cet aci3k3 d’origine ou à la rigueur associ& à lui.
Le troisième type d’endogamie correspond surtout en pratique à des unions avec SEme
d’origine, et sa fréquence semble à I’heure actuelle proportionnelle à l’importance des liens fonciers
qui unissent les deux aczbkg.
Aux deux derniers types on pourra donner le nom, selon le cas, d’endogamie ou de pseudo-
endogamie d’association, encore que, du point de vue de la descendance, elle constitue des alliances
très différentes, certaines d’entre celles-ci pouvant ne correspondre d’aucune faCon, on I’a vu,
à un redoublement d’alliance.
On a fig-w-é sur la figure 27 tous les types endogamiques ainsi définis par un ensemble de
cercles concentriques. Le cercle 1 correspond à l’aci3k3 $wo de I’aci3k3 centrai d’un Eme donné,
le cercle 11 ajoute au cercle 1 tous les autres membres de cet acigkg (descendants d’étrangères ou
de captives) ; le cercle 111 ajoute aux précédents tous les membres des a&kg dissimilés de ce
mkme a&kg ; le cercle IV tous les membres des aciDk3 qui lui sont associ& ; le cercle V tous les
membres des acigkg qui s’eri sont dissociés. Ainsi peuvent correspondre :
La figure 27 correspond à l’extension maximale d’un cercle endogamique (de l’aci~k~ centrai
d’un Eme donne 4 l’ensemble de ses aci3ks dissoci&). Mais il faut naturellement considérer que
chacun des aci3k3 dissimil&, associés ou dissoci& peut 6tre tour à tour le centre d’un cercle du
I. Les formes d’alliance correspondant à ce type peuvent notamment très bien n%tre pas « redoublbes ».
LA RÉSIDENCE, FONCTION DE L’ALLIANCE 125
1 abiim Pure 3
11 abiim Rectifiée 3
l
111 cme Rectifiée 3
I
Rectifiée 3
Pure 3
2
I # I
FIG. 27. - Formes des types d’alliance endogamique.
meme genre, un aci3k3 associé pouvant par exemple &re affecté lui-meme d’une dissociation.
On pourrait en théorie considérer les nouveaux cercles ainsi créés camme des agrandissements
du premier. Pratiquement, cela ne serait pas significatif. En général un acigk3 dissimilé ne se
dissimile pas ; un aci3kg associé non plus ; l’idéal des Alladian, du point de vue de l’organisation
sociale, est plutbt de concentration que de dispersion. De meme, en pratique, on ne trouve pas
dans le type V d’unions de type V-V, ni meme, au moins dans des proportions significatives,
d’unions de type W-V : un acigkg dissocié peut avoir intéret à maintenir des liens avec son Eme
126 LE RIVAGE ALLADIAN
TABLEAU VI11
1 11 111 IV V Tota1
Célibataires
avec enfants
matrimouial
22 Mari& ................. 2 12 3 38 4 59
Divorcés ............... o 5 3 5 1 14
Divorcées ............... I 3 2 6 .I 13
Veufs .................. 1 2 1 1 0 5
Veuves ................. 3 20 4 30 3 60
------
TOTAL. ............ 7 42 13 80 9 151
DGvers :
Mariages ........... 15
Divorcés ........... 3
Divorcées .......... I
Veufs .............. 3
Veuves ............. g dont 3 d’hommes de Jacqueville
-
TOTAL ....... 31
Non classés :
Mariages ........... 3 (entre habitants de Jacqueville)
Veuves ............. I (d’un homme de Jacqueville)
Divorcés ........... I
-
TOTAL . ...... 5
d’origine - la forme de ces liens variant en fonction de la distante et des intér&s économiques
communs -, mais il est davantage oriente vers son propre village, et n’a rien de commun, en
principe, avec les acigkg dissoci& du meme ~me dans d’autres villages, ni avec les acigk3 associ&
à son Emed’origine.
Nous avons conduit à Jacqueville une enqu&e exhaustive, de ce point de vne, au terme
de laquelle apparait une conclusion assez significative.
Environ 83 oh des unions appartiennent à l’un ou l’autre des types endogamiques que
nous venons de définir ; ce pourcentage monte à environ 85 o/. si l’on admet que le cas des femmes
celibataires ei: mères de famille peut fìgurer dans le type 1, ce qui, du point de vue fonctionnel
auquel se placent les Alladian (parlant par exemple de mariage « abzk » lorsqu’ils épousent une
étrangère dotée par eux ou par un membre de leur aci3kg) est justifié. Un te1 pourcentage montre,
par ailleurs, que les types endogamiques définis par référence aux wne fondateurs des villages
recouvrent à l’heure actuelle une proportion considérable des alliances matrimoniales.
Il faut préciser que nous avons recensé toutes les alliances dont un partenaire au moins
était encore vivant et présent au village. Nous avons essayé de compter les formes d’alliance
dont un individu était « porteur » ; ainsi un divorcé anciennement veuf est comptabilisé deux fois,
LA RÉSIDENCE, FONCTION DE L’ALLIANCE =27
et à deux titres différents, dans le tableau ; en revanche nous avons pris soin, dans le cas des
divorcés, d’éviter, autant que possible, de comptabihser deux fois le meme divorce en recensant
les deux partenaires. Nous ne nous dissimulons pas qu’un certain nombre de formes d’alliance
ont pu nous échapper, un certain nombre d’individus n’ayant sans doute pas mentionné la totalité
de leurs expériences matrimoniales. Au total, les résultats rassemblés dans les tableaux font
apparaitre un certain nombre de tendances significatives.
TABLEAU 1X
A B
1 2 3 1 2 3
a .............. 8 + 22
b .............. 1 5
11.:::::::::::::
1 1 21 9
7
111 .,.......... 4 2 3 13
TOTAL . . . . 1 7 2 4 42
Les deux types endogamiques les plus largement représentés sont les types 11 et IV par
ordre d’importance croissant, ce qui correspond à une double volonté d’accroissement (type 11)
et d’enracinement dans le village (type IV) ; vu le nombre des partenaires possibles, le type 11
est proportionnellement plus représenté que le type IV. Dans cinq cas (sur quatre-vingts) le type
endogamique IV correspond à des alliance de formes A2 et B2, c’est-à-dire à des mariages dans
la tour (au sens résidentiel) dont les enfants ont généralement vis-à-vis de leur tour (au sens social)
statut tout à la fois d’obz’iii et d’abiiiii. Les quarante-deux cas d’endogamie de type 11 (correspondant
à des alliances de forme B3) entrainent un résultat analogue, de meme que les sept unions de
type 1 (correspondant à des alliances de forme Ag), ce qui, avec les vingt-deux unions libres
(assimilées au type 11 forme B3) fait monter à soixante-seize (sur un total de 204, 2og en comptant
les cinq unions qui n’ont pu &re classéesde facon certame) le nombre des « unités de reproduction »
qui ont pour effet de défaire l’opposition &bitii/abiiiii.
Une tendance évidente révélée par les résultats rassemblés dans les tableaux 1X et X,
et liée à la première, est celle de la société villageoise à se perpétuer dans son propre cadre. Cela
à deux niveaux :
Tout d’abord les Alladian se marient peu hors de leur village. Le tableau nous permet
seulement de vérifier, la residence étant virilocale, que les hommes des villages épousent de
préférence des femmes du village (ou des non-Alladian) - ce qui constitue d’ailleurs en soi une
verification du phénomène inverse : il y a très peu de femmes originaires d’autres villages mariées
à Jacqueville. Il apparait en outre que les veuves du village sont en grande majorité (61 sur 70)
des veuves d’hommes du village - or une veuve regagne en principe, et de fait très généralement,
128 LE RIVAGE ALLADIAN
son village d’origine apres son de&, sauf en cas de remariage. Les questionnaires passés dans
les tours et parmi les « émigrés » alladian d’Abidjan et Port-Bouet confirment tette tendance.
En second lieu, les mariages à l’intérieur du village ont pour effet d’homogénéiser chacun
des groupes sociaux constitués par un &me fondateur et ses aci~k~ dissimilés et associés, et ainsi
de renforcer la strutture proprement villageoise.
Sur deux cent quatre unités de reproduction recensées et classées, on ne compte que quinze
unions entre des Mambé et des Kacou, encore que, camme on l’a déjà signalé, des acGk3 dissociés
d’un m6me .zmeorigine1 se trouvent dans chacun des deux groupes propres à Jacqueville (cf. fig. 17).
Si au lieu de prendre en considération les unions dont un partenaire au moins est encore
présent au village on étudie les arbres généalogiques des principales tours, on s’aper$oit que les
deux types d’union endogamique 11 et IV y sont apparemment encore bien plus largement
représentés, au point que la représentation graphique simultanée de la descendance et de l’alliance
devient difficile, sinon impossible. Il semble en outre que le type endogamique IV ait pris souvent
la forme AI ou BI, c’est-à-dire, lorsque plusieurs achks associés étaient concernés, la forme de
l’échange généralisé. Le cercle endogamique IV correspondrait ainsi au circuit restreint de tette
forme d’échange, regroupant tous les achkg associés d’un meme village (c’est-à-dire ~>EWZ~ d’accueil
et ses aci3k3 dissimilés et associés). Deux séries de faits contrastés nous invitent à préciser quelle
a pu &re l’articulation des types I-11 et du type IV d’endogamie.
I. La liste des CCéchanges » de femmes correspondant à des unions de type endogamique IV
(entre l’snze fondateur et ses acigk~~associés, ou entre aci3k3 associés), établie sur trois générations
(celle du chef de trarre, celle de ses enfants et celle de ses ascendants immédiats) est généralement
assez impressionnante, encore quelle ne puisse évidemment pas prétendre à I’exhaustivité. C’est
ainsi que dans l’aci3kg Kovou associé à 1’~meKacou de Jacqueville on compte, sur ces trois géné-
rations, dix-sept mariages d’hommes Kovou avec des femmes Kacou ; on peut y ajouter une
dizaine d’unions de types endogamiques 1 et 11 (mariage « abiim 1)).
On peut remarquer dans l’actuelle tour Kovou-Kacou que l’un des mariages de type
endogamique IV, celui de Kacou Ichigban avec Bessi Almi (aci~k3 Tévé associ6 aux Kacou)
(cf. fig. 28 B) a ét é suivi d’alliances réciproques du point de vue de la descendance qui ne corres-
pondent pas à un échange du point de vue de la résidence. En effet Mbwa Pétié, par le jeu des
formes d’alliance « rectifiées » se trouve tout à la fois membre de l’aci3k3 de Kacou Ichigban et
habitant de sa courl, camme le seront, dans la lignée dirette, les enfants de Louis Ichigban, EbiG
épousant une femme de I’aci3k3. La combinaison des formes d’alliance de type endogamique IV
et des formes d’alliance de types endogamiques 1 et 11 tend par conséquent à faire comcider unité
lignagère, unité sociale et unité résidentielle.
2. Le recensement exbaustif des tours de Jacqueville montre d’une par-t que la règle de la
patrilocalité est respectée, à une exception près 2, d’autre par-t que néanmoins les tours sont en
général habitées par des individus de meme aci3k3, au point qu’un examen rapide de ces tours
risquerait d’y fair-e voir la réalisation d>une règle d’avunculocalité que la théorie alladian refuse.
L’homogénéisation des tours semble, au vu des arbres généalogiques et des types d’échanges,
s’etre réalisée par les voies suivantes : les hommes résident dans la tour et se marient le plus souvent
selon les types endogamiques 1, 11 (dans leur propre a.%k3) ou IV (dans l’acGk3 auxquels ils sont
associés, dans les aci3kd qui sont associés au mème achkg qu’eux, ou dans les aci3kg associés au
leur) . Les types endogamiques 1 et 11 produisent des enfants de meme aci3kg qui souvent se marient
entre eux ; le type IV des garcons et des filles &G.G membres des acz’~k3associés,un certain nombre
de ces garcons se marient dans l’acigk3 de leur tour au sens résidentiel (mariages de forme A2 et
B2) et peuplent ainsi la tour d’enfants qui sont à la fois sbiiii et abiiiii; d’autres garcons prennent
I. Mbwa Pétié cumule en fait par rapport à la tour les statuts d’abiiiii, d’.sbiui et de miSa.
2. Les veuves préfèrent souvent rejoindre leur tour matemelle -- dont un de leurs frères est en général
chef - que celle de leur père décédé.
LA RÉSIDENCE, FONCTION DE L’ALLIANCE
Chef de cauti
(acnIo kovou - Ko~ou)
Ichigban Ichigban
Ema Louis
des femmes dans l’ackh d’accueil et dans les aci3kg associ&, réamorcant ainsi le processus qu’on
vient de décrire ; les filles Ebiiii peuvent soit se marier dans la tour où elles résident - on revient
encore une fois au type endogamique IV (de forme A2 ou B2) qui a pour résultat de maintenir
les fìlles &tii et Ieurs enfants dans la tour au sens résidentiel -, soit se marier dans la tour de
l’aci~k~ d’accueil ou dans les tours des aci3k3 associés où elles sont à l’origine d’unions de type IV
ou 1 et 11 (si elles reviennent dans leur aci3kg d’origine).
Autrement dit, la pratique alladian semble combiner à l’intérieur d’un groupe d’acigkg
9
130 LE RIVAGE ALLADIAN
associés - et, spatialement, à l’intérieur d’un ensemble de quartiers contigus - deux formes
d’alliance matrimoniale : l’alliance à l’intérieur de chaque oci3k3, sous une forme pure ou rectifiée, et
l’échange généralisé à l’ensemble des achk3 associ&. Nous avons essayé de montrer sur la figure zg
comment la combinaison de ces deux formules pouvait aboutir logiquement à l’homogénéisation
des tours qu’on constate en fait. Il faut pour le comprendre ne pas oublier les données d’une autre
combinaison propre à la société alladian : celle du principe de tìliation utérine et de la règle de
patrilocalité. Dans un système de fìliation agnatique et de résidence patrilocale chacun des groupes
situés dans le circuit des échanges s’agrandit à la fois camme lignage et camme ensemble de familles
Cour 1 Cour II
$9
4 p”\
FIG. 29. - Échanges matrimoniaux
t “J‘It
entre acisks associ&.
Parallèlement à cet échange entre tours, s’est effectuée, surtout dans les tours les plus
importantes, l’acquisition systématique de captifs et de captives, et pratiqué l’alliance des ebiiii
males avec les captives et descendantes de captives. La descendance d’une captive appartient à
l’aci~k~ de son acquéreur ; les descendantes de captives appartiennent toujours en pratique à l’aci~k3
du chef de leur tour ; ainsi l’acquisition d’étrangères, les unions entre descendants de captives
ou d’étrangères et entre ebiGi et descendants d’étrangères ou de captives ont eu pour effet d’accroitre
à chaque génération la proportion d’individus habitant la meme tour que le chef de leur achk3.
En outre, la descendance féminine des femmes venues rejoindre leur mari dans la tour de leur
propre aci3kg n’est pas intégralement « reversée » dans le circuit entre les tours ; il semble que dans
la mesure du possible elle soit au contraire réservée aux ebiiii de la tour, contribuant ainsi à l’homo-
généisation de la tour et éventuellement au maintien dans celle-ci d’une lignée dirette (achk3 @IO).
Les mariages entre l’aci3kg @TOet les descendants d’étrangères ou de captives accentuent la tendance
qu’on vient de décrire, camme dans la tour Kovou-Kacou prise en exemple plus haut.
w. LA RÉSIDENCE
FONCTION DE L'ALLIANCE : EXIZMPLES
La cow de Lakea Betqré. On a déjà eu l’occasion de voir par plusieurs exemples les effets
de la politique matrimoniale sur la résidence : outre celui de la tour Kovou-Kacou qu’on vient
d’analyser on rappellera celui de l’aci3k3 Adjé Bonny, analysé à propos de l’étude de la descendance,
et représenté sur la figure 14. Si l’on se reporte à ce schéma on doit noter que tous les individus
qui y sont présentés camme résidant à Jacqueville résident dans la meme tour : la tour de
Lakpa Beugré ne compte que des individus de meme acigk3, malgré le respect de la règle de patri-
localité. Il en va de m&me de la concession d’dntonin Yessotié, dépendant du tri5ne de Lakpa
Beugré, et uniquement composée de descendants de captifs. L’ensemble des deux concessions
compte 57 individus des deux sexes, enfants compris, sur un total de 6go - 35 adultes sur un
total de 349.
On peut voir par l’exemple d’un certain nombre de tours comment la tendance manifestée
par la composition de ces tours - dont on mesurera l’ampleur au vu du tableau X - se combine
avec le type endogamique IV (échange généralisé à l’ensemble des aci3k3 associés à un meme eme,
à l’aci3k3 centrai de cet Eme et à ses acigkg dissimilés). Nous prendrons pour exemple un aci3kg
associé à l’aci3k3 Mambé-Adjé Bonny (l’achk3 Mbwa Deigni, fig. 30) et un acGk3 dissimilé du meme
achk3 (l’aci3kp Dagri Bonny, fig. 31).
La COUY de Bogzti A/%u~(fig. 30). Dans la tour de Bogui Ahui, il y a un membre de l’achk3
dans chaque case. L’actuel acigk3 Mbwa Deigni remonte à la venue à Jacqueville de Ia gr-and-mere
maternelle de Mbwa Deigni (Bodo de Grand- Jacques) qui épousa un Mambé ; sa sceur fit de meme ;
tette arrivée, du point de vue des Mambé, correspondit à une semi-dissimilation puisque les époux
des femmes Bodo fondèrent avec elles une nouvelle tour associée à 1’EnzeMambé. On peut suivre
approximativement les départs de la tour et les retours dans la tour (au sens résidentiel) des
femmes de l’aci3kg depuis le moment où Mbwa Deigni a occupé le trone de tette tour. Djéké Yacé,
ielle d’une captive non mariée de Mbwa Deigni, vécut d’abord dans sa tour, puis avec son mari
dans la tour d’un acigk3 associ& et enfin, veuve, revint dans sa tour natale. Sa fille Bogui Nguessan
vint la rejoindre après son divorce. Le fils de la sceur de la mère de Mbwa Deigni a succédé à celui-ci
sur le tr&-re de la tour : il y a donc normalement résidé avec une femme étrangère dotée par Mbwa
Deigni, Yesso Neuba. La fille de celle-ci résidait et réside encore normalement dans la tour, après
avoir épousé un captif de Mbwa Deigni, maintenant décédé. De meme Badio, fille d’une captive
de Mbwa Deigni, épousa le fils de ce dernier et ne quitta pas la tour. En revanche un mariage
CCabiim 1)maintint ses deux partenaires hors de la tour : la fìlle de Mbwa Deigrri partit rejoindre
132 LE RIVAGE ALLADIAN
FIG. 30. - Cour de Bogui Ahui. acisks Mbwa Dei@ associé à SMne Mambé.
f Départ de la tour (au sens résidentiel).
.J Retour à la tour (au sens résidentiel).
1 Limite de case.
son mari, fils d’une femme de l’achk3 et d’un homme d’un achk3 associ& dans la tour de celui-ci.
En revanche le père d’Ako Yévi et d’Ako Mambo était ~biiii dans la tour de Bogui Ahui (et membre
d’un aci& associ&) : Ako Mambo y réside donc normalement avec sa femme ; Ako Yevi y est
revenue à la suite de son veuvage.
La cow d’A 6i Afk$a [fig. 31). Sa naissance remonte à Kwamenan Neuba, vraisemblablement
captif ou fils de captifs de Dagri Bonny, qui a fait sa fortune. Kwamenan Neuba eut lui-meme
de sa captive Neuba Kroubin deux enfants. Deux autres enfants de pères différents agrandirent
sa tour par la suite, après la mort de Kwamenan Neuba. La présence dans la tour actuelle d’un
captif de Beugrétié et des fils de Beugré N’drin implique que le père de Beugrétié et de ses frères
résidait dans tette tour ; on n’a pu savoir à quel titre. Pour le reste le jeu des départs et des retours
est assez clair. Neuba Abi a résidé normalement dans la tour avec deux captives. La fille de la
première a quitté la tour pour épouser un homme d’un achkg associé, cependant que la seconde,
non mariée, mettait au monde dans la tour un fils qui y réside actuellement avec sa femme et son
fìls. Angohui Badio, fille de la première, fit un mariage « abiim )Imais son mari, Tano Amon, résidait
dans une autre tour ; elle a rejoint sa tour maternelle à la mort de son mari. Abi Aikpa, son fils,
est venu dans la tour pour y prendre le tr6n.e. Tano N’drin, sceur de Tano Amon, est rentrée dans
la tour en épousant le fils de Beugré Mambé. Beugré Koko était revenue dans sa tour (à la fois
matemelle et paternelle) après son veuvage ; sa fille, Djava Lavri, y a normalement rejoint son
mari, fils de Tano N’drin et du fils de Beugré Mambé ; elle est restée dans sa tour matemelle
après son veuvage. _
Nous conclurons tette série d’exemples par l’étude du plus remarquable d’entre eux :
le village d’Ahua, fondé dans les conditions particulières évoquées au chapitre I (cf. fig. 32).
ATzzca. On sait que le village d’Ahua est né de la rupture de Tano Éthé avec la famille
Mambé de Jacqueville. Tano Ethé était le père d’Adjé Bonny. A la suite d’un décès dans la famille
Mambé, la sceur de Tano Éthé, Tano Yévou, fut accusée de Sorcellerie par le cadavre. Tano Éthé
et Tano Yévou étaient eux-memes des Mambé, mais appartenaient plus précisément, semble-t-il,
à un acz$k? d’origine Bodo (Grand-Jacques) associé à l’eme Mambé.
A H U A
d’ Oyyo Antoine, Anko Yesso, Anko Bonny , Agne’po Pété, Daniel Ankré, et tous leurs
J. 5 Jacqueville
FIG. 31. - Cour d’Abi Aikpa. acisks Dagri Bonny dissimilé de l’acisks Mambé.
f Départ de la tour (au sens résidentiel).
4 Retour à la tour (au sens résidentiel).
1 Limite de case.
mique ; la multiplicité des alliances intravillageoises a d’ailleurs pour résultat qu’on peut de
certaines d’entre elles fair-e plusieurs lectures : c’est ainsi que si l’on se reporte à la figure 32,
on peut voir que le mariage de Daniel Ankré est sous sa forme pure un mariage avec sa cousine
croisée matrilatérale (forme 1 AI) mais que fonctionnellement, du fait de mariages CC a%& N anté-
rieurs, il se ramène à une union de forme 1 B3 (pseudo-endogamie d’achk3). De facon générale
la généalogie explicative de la composition actuelle d’Ahua révèle un nombre considérable d’unions
de ce genre, naturellement dU à l’abondance des captives, et un nombre d’unions entre acigk3
associés et dissimilés assez appréciable pour que la représentation graphique en soit malaisée.
Le r6le essentiel des captives pour le maintien d’une endogamie villageoise dont Alma
fournit l’exemple le plus frappant (deux hommes ont fourni la « matière » d’une grande partie
des alliances sur trois générations) explique que les formes d’alliance dans la communauté alladian
soient appelées à évoluer. Faute de pouvoir continuer à en réinventer les règles, les Alladian
devront changer de jeu ; il est certainement trop tot pour discerner précisément les caractères
du nouveau jeu, d’autant que plusieurs phénomènes risquent de meler leurs effets ; l’accentuation
du mouvement d’émigration parmi les jeunes (dont on ne pourra apprécier la portée et l’importance
que plus tard, car dès avant la première guerre mondiale, les administrateurs signalaient la fuite
des jeunes gens hors du cordon littoral...) n’est pas en soi de ce point de vue une cause de change-
ment ; la plupart des Alladian émigrés que nous avons recensés sont mariés à des femmes de leur
ethnie, très souvent de leur village ; les changements imposés par le code civil (héritage en ligne
agnatique obligatoire), l’appropriation des plantations et la nationalisation de grandes superfrcies
(3 ooo ha), dont l’exploitation sera confiée à la SODEPALMbouleversent également les données
dont s’inspirait le jeu des alliances ; mais ces bouleversements, dont il serait sans doute possible
de montrer quelles inquiétudes, quelles suspicions et quelle angoisse ils suscitent, n’ont pas encore
affecté de faCon très perceptible la strutture sociale ; en outre, l’héritage du père au fils n’est pas
inconnu, tant s’en faut, des Alladian, et l’homogénéisation des tours a facilité la rééquilibration
des rapports père-fils et oncle maternel-neveu utérin. Mais la pseudo-endogamie d’a&k3 devient
impossible, quand bien meme elle est encore sentie camme souhaitable. Les anciens d’Ahua cons-
tatent que les jeunes ont tendance à ne plus se marier dans l’achk3 ; c’est que la matière première
de ces formes d’alliance fait défaut ; certes l’extension de certains lignages leur permet de préserver
encore simultanément l’homogénéité et l’importance de leur tour, mais celles-ci ne pourraient
à l’heure actuelle continuer à progresser de concert, toutes choses égales d’ailleurs, qu’au prix
d’alliances de type réellement endogamique dont les généalogies ne fournissent pas de nombreux
exemples.
Quelques indices manifestent un certain CCflottement » du système matrimonial. Si l’on
fait à Jacqueville le total des divorces recenséd et des mères célibataires, on s’apercoit que près
de 30 oh des unités de reproduction (61 sur zog) correspondent à un refus ou à une rupture de
l’alliance matrimoniale ; les cas de refus s’expliquent par plusieurs raisons, mais il est certain
que le fait d’avoir des enfants membres de la tour et de l’achk3 est hautement apprécié, et que la
pratique du célibat (Cactif 1)est le moyen le plus sur de réaliser tette fin.
Il semble que les formes d’alliance ressortissant à l’endogamie ou à la pseudo-endogamie
d>mbk3, quand bien meme elles paraissent encore souhaitables, ne doivent plus longtemps etre
possibles, et que leur inactualité de fait doive à brève échéance se trouver accentuée par la prise
de conscience d’un bouleversement des structures sociales et économiques dont les Alladian pour
l’instant craignent et pressentent davantage la menace imminente qu’ils n’en discernent déjà les
effets irréversibles.
De fait, le bouleversement précédent, et, lui, constatable dans la composition actuelle
des tours, remonte vraisemblablement au milieu du siècle dernier, quand la reprise du commerce
I. Dans le tableau 1X, on a compté les divorces à partir des femmes - en évitant de recenser deux fois
le divorce en le recomptant ensuite à partir de l’homme ; les hommes divorcés n’ont été recensés qu’au cas oh
la femme n’était plus au village. Il semble donc que dans la moitié des cas le divorce ait entrainé une rupture
avec une certame forme d’alliance ; il faut faire également la part des divorces avec des étrangères rentrées dans
leur pays ou recensées avec les « étrangers » travaillant au village (Fanti, Togolais, etc.).
LA RÉSIDENCE, FONCTION DE L’ALLIANCE 135
TABLEAU X
Mambé :
Nguessan Mambé ....
Dévé M’ba ..........
Vincent Agbo .......
Sopi Deigni .........
Mlemle Banna ......
Abi Aikpa ..........
Lakpa Beugré .......
Antonin Yessotié ....
Cyrille Polneau ......
Assoumbié Emjen ...
Pau1 Django ........
Béké Emjen ........
N’drin Jules ........
Bogui Ahui .........
Léon Njava .........
Lucie Kroubin ......
Mbwa Brimpi .......
Mambé :
I. La tour de Yesso Bogui était à l’origine une « assise paternelle jj, et correspondait à un accroissement
de la tour de Nguessan Mambé. Lata Amou (aciskg Nguessan Mambé) y vivait avec ses frls. A sa mort. son neveu
uterin (fìls d’une xeur ainée, et lui-meme agé) permit au fils amé de Lata Amou (appartenant par sa mère à
l’acbks Kovou d’Avagou) de gérer lui meme sa tour, qui devint ainsi le centre d’un acigkg dissoci6 des Kovou
d’Avagou et associé à l’acisks Nguessan Mambé.
A bréviations. Fusion abiiiì+biiii
s = aciskg segmenté = proportion à peu près égale de membres de I’acisks et de membres d’autres
d = - dissimilé aciskg (notamment de membres des aciskg associés) à l’intérieur de la tour.
a= - associé + nette majorité de membres de l’acisks.
CZ - centra1 $ -J- la totalité de la population appartient à l’aci&~.
Les concessions sans tr6ne peuvent correspondre à un accroissement d’une tour entrainant son
« éclatement D dans l’espace, auquel cas elles sont le lieu d’une « assise matemelle j), à moins qu’y résident
seulement un ou des cbiiii avec femmes et enfants, ou une veuve avec sa descendance (I( assise patemelle ))).
LE RIVAGE ALLADIAN
avec les Européens fit la fortune de certaìns lignages alladian et leur foumit, avec l’immigration
massive de captives, de femmes en gage ou d’étrangères richement dotées, les moyens de leur
accroissement (cf. chap. II). A l’heure actuelle les tours villageoises se présentent encore le plus
souvent camme des ensembles relativement homogènes du point de vue lignager, où unités résiden-
tielle, sociale et économique semblent confondues. C’est à la définition de la tour camme unité
économique que nous devons maintenant nous attacher, définition qui donnera toute sa signifì-
cation à la conciliation que les Alladian semblent avoir par la pratique de l’alliance tenté de réa-
liser entre les principes contradictoires de la descendance et de la residence.
5
L’organisation
de la production
Le système de production nous interesse ici surtout dans la mesure où, la production appa-
raissant camme l’une des fonctions des rapports de parente, elle permet de mieux comprendre
l’organisation socio-familiale des villages, qui, inversement, aide à définir ses caractères spécifiques.
Du point de vue économique, il est bien évident que des changements ont affecté le littoral
alladian depuis le siècle dernier, tant au niveau des forces productives qu’à celui des rapports
de production. Les témoignages concernant le siècle dernier sont assez nombreux pour qu’on puisse
avoir une certaine idée de ces changements. Il va de soi également que l’existence d’un commerce
régulier et très actif avec les Anglais a dfi entrainer d’importantes modifications par rapport à un
système de production antérieur, bien moins connu, où le commerce jouait déjà un role important
(commerce du se1 avec l’intérieur, traite des captifs et de divers produits locaux) mais moins
régulier et sans doute moins déterminant à l’égard de l’ensemble du système. La société alladian
offre donc à l’observateur un visage bien différent, de ce point de vue, selon qu’il saisit le reflet
d’une époque ou d’une autre ; en outre, et parallèlement aux modifications de l’économie commer-
ciale, les caractéristiques de l’économie de subsistance (peche, culture de produits vivriers) ne
paraissent guère s’etre modifiées, si le role de tette économie a pu, lui, évoluer ; enfin des formes
modernes d’activité (plantations de cocotiers) sont à certains égards (modes de cession et de
dévolution) des formes traditionnelles que commence à peine à modifier l’évolution la plus récente,
et tout un corps de définitions des statuts socio-économiques survit dans la conscience, la tradition,
et meme la pratique des Alladian aux condamnations du législateur.
Ce constat de diversité nous invite à dresser le bilan des sources de revenu actuelles du
littoral et des caractéristiques pertinentes du point de vue économique de leur organisation sociale
traditionnelle, en situant le role des premières par rapport à ce qu’il était au siècle demier (quand
il existait) et le role des secondes par rapport à ce qu’il est aujourd’hui (quand il existe).
IO
138 LE RIVAGE ALLADIAN
1. LA l?l?XXIFI
TABLEAU X1
Nombre Nombre
Lieu de p&che de pirogues de pecheurs Doivent acheter du poisson
en mer en lagune
Ces chiffres et ces renseignements ont été recueillis en 196x-1964. Pour ce qui est du nombre
de pirogues ils donnent un ordre de grandeur toujours valable ; quatre pirogues à un pecheur
sont toujours en activité à Jacqueville. A Avagou, nous avons recensé en 1966 vingt-neuf pirogues
individuelles, cinq pirogues à deux, et deux pirogues à trois p&zheurs en bon état : si l’on tient
I. A. DE SURGY (op. cit.) foumit notamment une description détaillée des techniques de peche et une
identification précise et scientifique des poissons pechés.
L’ORGANISATION DE LA PRODUCTION =39
compte du fait qu’une dizaine d’autres étaient abandonnées et trois autres en construction, on
arrive à un chiffre voisin de celui avancé par de Surgy. Pour ce qui est des sources d’approvision-
nement complémentaires, elles varient énormément en fonction des déplacements des équipes
des pecheurs étrangers. (Nous en avons tenu compte dans le tableau à propos des villages Jacque-
ville et Alma.) Enfin l’achèvement de la route littorale et l’apparition des taxis-brousse rendent
l’approvisionnement plus facile.
Nous nous contenterons pour l’instant de souligner trois conséquences perceptibles à travers
l’ensemble de ces indications :
I. La forme traditionnelle de la peche persiste, mais ne suffit pas - de loin - à nourrir
la population ; au reste le poisson peché à la ligne n’est pas vendu, mais redistribué selon des règles
strictes à l’intérieur d’un cercle restreint (cf. 3 3).
2. D’autres formes de p&che jouent un role appréciable mais irrégulier et insuffisant :
principalement la technique de la senne de mer. Du point de vue des rapports de production
tette forme de peche nous intéressera dans la mesure où les filets sont possédés tantot par des
Togolais ou des Ghanéens r-est& dans leur pays, tantot par des Alladian.
3. La recherche du poisson est une préoccupation constante sur le littoral ; encore que
relativement privilégiée, tette région n’échappe pas à une certame obsession de la nourriture
que traduit l’acharnement des enfants et de certains vieillards à pecher dans la barre un peu
de friture ; l’atyéké constitue l’aliment de base ; incontestablement la diversification des activités
du littoral et la désaffection à l’égard de la peche ont entrainé, pour l’ensemble, un appauvrissement
du regime alimentane.
2. LES VIVRIERS.
Les parcelles de cultures vivrières sont préparées pendant la saison sèche, soit à partir
d>anciennes parcelles, soit par de nouveaux défrichages.
Les cultures sont souvent associées aux cultures industrielles. Les champs de vivriers
sont en général travaillés pendant trois ans, en suite de quoi ils restent en jachère. Il arrive assez
souvent que les vivriers soient en bordure des plantations de cocotiers et préfigurent l’agrandis-
sement de celles-ci lorsque de jeunes cocotiers leur sont associés.
Les cultures vivrières ont connu un sort inverse de celui de la peche, au moins sur certains
points du littoral. Non seulement le manioc cultivé suffit à la consommation locale, mais il constitue
une source de revenu appréciable ; certains champs de manioc sont très importants, camme on
peut le voir sur le cadastre des terres Kacou de Jacqueville et en juger d’après les « chiffres d’affaires »
recueillis auprès des planteurs.
Le manioc est commercialisé sous deux formes : sous forme d’atyéké, il est revendu dans
la rue ou, à Jacqueville, au marche ; certaines femmes composent des « plats cuisinés » (friture,
atyéké, sauce à base d’huile de palme) qu’elles revendent sur piace, notamment aux manoeuvres
« étrangers )) et aux divers employés que les travaux de viabilité et de construction en tours retien-
nent sur le cordon littoral ; enveloppé de feuilles, il peut etre aussi expédié par grandes cuvettes
jusqu’à Treichville ; c’est généralement par la pétrolette d’Avagou que les femmes se rendent
à Abidjan à cet effet, et le prix de l’atyéké monte sensiblement de Jacqueville à Avagou et d’Avagou
à Abidjan. Mais les bénéfices les plus considérables sont réalisés sur la vente hors du littoral,
généralement aux AFzi qui viennent le chercher sur piace, du manioc non préparé. Alors que l>entre-
tien des champs de manioc de dimensions faibles ou moyennes est confié aux femmes - qui fabri-
queront et vendront de l’atyéké -, les champs dont le produit est consacré à la vente sont généra-
lement plus importants, entretenus par des hommes, éventuellement aidés de manmuvres (qui
travaillent par ailleurs sur les plantations de cocotiers) et situés à proximité de la lagune - ce
qui facilite l’écoulement du produit.
En 1966 nous avons recensé cent quatre-vingt-deux champs de manioc à Jacqueville,
ce qui, pour une population comptant en avrilrg66 cent trente-deux hommes adultes et deux cent
140 LE RIVAGE ALLADIAN
dix-sept femmes (dont soixante veuves) correspond bien en gros à un champ par ménage, compte
tenu du fait qu’une femme agée est nourrie par sa fille, et qu’un homme trop agé pour travailler
compte sur le travail de son fìls. Sur ces cent quatre-vingt-deux champs, trentre-trois étaient
récents et n’avaient rien produit l’année précédente, dix-sept étaient consacrés à la seule consom-
mation d’un ménage, quarante-trois permettaient en outre la vente d’atyéké ; dans vingt autres
champs, l’essentiel du produit était revendu partie sous forme de manioc, partie sous forme
d’atyéké ; dans soixante-neuf champs, enfin, le manioc était, pour la plus grande partie, revendu
directement à l’extérieur. Le total des ventes d’atyéké représentait pour l’année 1965, si l’on en
croit les déclarations des exploitants, un chiffre d’affaires de 653 ooo francs CFA, les recettes
variant de 3 ooo à 42 ooo francs CFA, pour une recette d>un peu plus de IO ooo francs CFA par
parcelle exploitée ; le tota1 des ventes de manioc montait à I 780 ooo francs CFA, les recettes
variant de 5 ooo à 155 ooo francs CFA, pour une recette moyenne de 20 ooo francs CFA par parcelle
exploitée.
Les plus grands champs font partie de plantations dans lesquelles on trouve également
quelques bananes plantains, quelques ananas, quelques mandariniers, quelques tomates, parfois
un peu de mais.
On rencontre sur le cordon littoral deux types de cultures industrielles : les plantations
de cocotiers et les plantations de café, outre quelques cacaoyères ; celles-ci ont presque partout
disparu, et, de toute manière, les plants qui n’ont pas été arrachés sont laissés à l’abandon.
Le café.
La situation des plantations de café est à peine plus brillante ; sur le terroir de beaucoup
de villages elles ont complètement disparu ; c’est le cas à Jacqueville. Le café appartient à l’espèce
« Assinie » - aux cerises plus grosses que la moyenne. La plupart des exploitations avaient fait
leur apparition entre 1954 et 1960, mais, passée tette date, les difficultés d’exploitation et d’évacua-
tion, accroissant les effets déprimants de l’instabilités des tours, ont poussé les planteurs à aban-
donner ce type de culture ; un grand nombre de plantations ont été reconverties en champs de
vivriers. Dans quelques terroirs villageois, et notamment à Grand-Jacques, un certain nombre
d’entre elles restent en activité. Sur quarante-quatre « plantations N (parcelles dont la taille varie
de 0’26 ha à 29’59 ha) reconnues à Grand-Jacques en 1966, dix-sept étaient en état complet
d’abandon. Il faut ajouter que, parmi les exploitants des parcelles entretenues, beaucoup envisa-
geaient d>arracher leurs plants de café et de les remplacer par des cocotiers - ce avant la décision
du Gouvemement (1967) de reprendre une bonne partie des terres du cordon littoral (3 ooo ha)
pour en confier l’exploitation à la SODEPALW. Parmi les exploitations toujours actives, on
trouve soit de grandes exploitations (de IO à 30 ha), les plus rentables, soit de très petites parcelles,
dont I’entretien ne pose aucun problème, et dont le produit éventuel est de toute manière négligeable.
Les cocotiers.
L’exploitation des cocoteraies et le séchage du coprah constituent à l’heure actuelle l’activité
de base des Alladian ; on peut dire, avec quelque approximation, que de pecheurs ils sont devenus
planteurs. 11s se plaisent eux-memes à souligner que tout le monde chez eux exploite au moins
une parcelle de cocotiers ; à Grand- Jacques on compte un peu plus de cent plantations de cocotiers
pour cent vir@ hommes de plus de 18 ans. Il faut tenir compte du fait qu’un homme a rarement
la possibilité d’exploiter pour son compte une cocoteraie avant une trentaine d>années, mais
Nous les examinerons de plus près dans l’étude des rapports de production ; beaucoup
d’Alladian sont fonctionnaires ou employés en ville à des titres divers ; certains ont placé leur
argent, achetant des « concessions » dont ils percoivent les loyers, ou prenant des parts dans des
entreprises de transports (taxis, pétrolettes) ; il est difficile d’évaluer l’importance de ces revenus
certainement relativement considérable.
I. L’opération engrais-fumures devrait s’étaler en principe sur trois ans, et comporter trois actions
annuelles ; les bienfaits du traitement se font sentir sur la taille des fruits à partir de la quatrième année. Le
pret est effectué « en nature » - sous forme d’engrais - correspondant à 34 francs CFA par pied de cocotier si
le planteur assure lui-meme l’épandage, 37 francs CFA s’il s’en décharge sur l’équipe du Sous-Secteur Agricole de
Jacqueville (dépendant de la Direction du Secteur Agricole de Grand-Bassam.) Il commence à etre remboursé
à par-tir de la quatrième année. La première année (1964) l’operation n’avait pas COMU grand succès. Mais l’action
bénéfique de l’engrais a paru particulièrement evidente, au tours de l’année 1964, dans les plantations de quelques
novateurs qui avaient pris dès rg6r l’initiative d’appliquer ce traitement à leurs cocotiers. Du coup la demande
d’engrais a été forte en 1965 et les Services de 1’Agriculture ont eu du mal à y répondre ; il s’en est suivi un léger
retard du fait duquel l’opération n’eri était en 1966 qu’à sa deuxième étape.
2. Nous devons ces chiffres à Y-obligeance du responsable du Sous-Secteur Agricole de Jacqueville, d’une
par-t, au rapport établi en 1964 par l’Ecole de Statistique d’Abidjan, déjà cité, d’autre park
142. LE RIVAGE ALLADIAN
de ow0 yii neii; : petit-f& et petite-fille de captive ; les enfants des petites-l3les de captives sont
appelés ow0 yii kiki, et par ow0 yii kiki be on entend tout descendant lointain en ligne féminine
d’une captive. L’ensemble des descendants de captives d’un aci3k3 donné répondent au nom de
akore bo : gens de la main, du travail de la main qui a su R les mettre à l’ombre » (0~0). Mais
seules les descendantes de captives transmettent tette appartenance au domaine de l’ombre ;
cependant une femme libre suffit à en arracher les enfants d’un descendant de captive.
En effet le statut de descendant de captif ne se transmet que par les femmes. Le fils d’un
captif et d’une femme de l’acigkg 9~90 est un membre de l’aci3k3 PY~o, susceptible d’hériter la
fortune de son oncle maternel, éventuellement le trone de la tour, et ce dans le contexe tradi-
tionnel. A chaque génération de descendants d’une captive, seule la descendance des femmes reste
Rdescendante de captive » : les enfants de la fìlle d>une captive sont toujours dits owOyii neti~, non les
enfants d’un fils de captive, etc. Les unions entre descendants de captive à des titres divers ont natu-
rellement pour effet de compliquer le schéma théoriq%e de la parenté et de simplifier la répartition
des droits et des devoirs, la famille « matemelle » et la famille (( patemelle Nse trouvant confondues.
Les enfants de I’étrangère dotée (mokzt yii fii, de « moku » : « étranger », « extérieur »)
avaient droit à l’héritage faute d’héritiers de l’aci3k3 @TO. Les enfants d’une femme mise en gage
(t aoba yii iii », de aoba : Ngage )), avaient le meme statut que les enfants de captive. Un individu
mis en gage était considéré camme un captif mais pouvait etre racheté.
Deux sortes de captifs, enfin, avaient, semble-t-il, en pratique un statut inférieur aux
précédents : les prisonniers de guerre et les individus livrés en « butin » après une defaite : 3oY.zcMbo
de 301%: dette ; à Grand-Jacques et Jacqueville quelques branches remontent ainsi à des femmes
adioukrou livrées à l’issue de batailles heureuses pour les Alladian ou en compensation d’un des
leurs tue à la suite d’une mauvaise querelle.
Il reste à examiner deux cas particuliers d’ « adoption ». On sait que le premier enfant
d’un homme mari6 est confié par celui-ci à son père, qui profite de ses services domestiques et,
plus grand, le traite avec des égards particuliers. Inversement, si un jeune mari6 ne payait pas
sa dot (dont on a vu qu’elle était surtout destinée à la consommation immédiate, exception faite
des vetements de la femme), sesenfants restaient à sa belle-famille, c’est-à-dire au père de sa femme.
Un deuxième cas d’adoption est constitué par 1’ « impko 1): Nrachat » par un étranger à la
famille d’un enfant que ses parents ne veulent pas garder. Ce refus s’exprime à la suite d’un certain
nombre de naissances malheureuses ou de morts de nouveau-nés. La mère sent qu’une malédiction
pèse sur elle et que les awabo (Nsorciers ») cherchent à lui faire du mal (c’est l’une de leurs prouesses
favorites que de fair-e avorter les femmes, les rendre stériles, ou tuer leur jeune progéniture). Le
père et la mère de l’enfant se mettent donc d’accord pour « vendre » l’enfant ; ils lui mettent autour
du cou un bout de corde, le font circuler dans le village et ne demandent pour prix qu’un pied
de manioc et deux noix de coca sèches.
Son acheteur va avec lui au bout du village, où il fait bouillir de l’eau et prépare du poisson.
Il met autour du cou de l’enfant un collier de dents de poisson et de coquillages, puis convoque
les anciens de son acigkp, ainsi que quelques représentants de l’acigk3 de l’enfant. Ce banquet
improvisé sanctionne l’adoption du nouveau-né. L’enfant adopté garde tous ses droits dans l’achk3
d>origine, mais les droits et les devoirs liés à la relation père-fils sont transférés à la relation père
adoptif-tis adoptif. C’est au père adoptif que sera versée la dot, dans le cas d’une fìlle adoptée ;
c’est lui qui paiera la dot, dans le cas d’un garcon. Un enfant adoptif rend à son père d’adoption
tous les services qu’un fìls doit F son père ; si le père d’adoption meurt, son héritier prend la charge
de l’enfant et bénéficie de ses services.
Trois cas peuvent etre envisagés, qui manifestent les droits réciproques des époux : l’adultère,
le divorce, le veuvage. L’adultère est naturellement réprouvé, mais il semble que les conflits
qu’il entrainait aient toujours été réglés à l’amiable, en fonction de normes assez souples - peut-
&re à cause de sa relative fréquence dont témoigne une instabilité matrimoniale accentuée qui
ne semble pss exclusivement liée à l’évolution actuelle, mais qu’explique peut-etre partiellement
la modicité de la « dot ». C’est à l’homme qui a commis I’adultère que s’adresse celui qui en a été
« vittime » ; s’il portait son accusation en public, et surtout en présence d’une femme, elle tomba.3
d’elle-meme ; I’indélicatesse du procédé condamnait la plainte et le plaignant définitivement.
En revanche si le coupable niait, et si la femme, interrogée à son tour, avouait, on considérait
que deux adultères avaient été commis - ce qui entrainait le paiement d’une double amende.
Quant au montant de I>amende, réglé après que le père et l>oncle materne1 du coupable étaient
al&% demander pardon en son nom, il était très variable, fonction des affaires précédentes du
meme genre et de la prudente du demandeur : une exigence raisonnable « garantissait » en quelque
sorte les égarements futurs des individus de l’aci3k~ dont un membre venait de voir mépriser
ses droits « in rem » sur sa femme.
La procédure de divorce intéressait la famille maternelle et une partie de la parenté pater-
nelle de chacun des deux époux. L’ensemble de ces familles se prononcait sur les torts de l’un
et de l’autre et accordait ou refusait au mari le droit de divorcer.
Dans tous les cas les frères de la femme lui accordaient un soutien efficace ; à I’issue du
divorce ou en cas de séparation c’est souvent auprès de l’un de ses frères qu’une femme trouvait
refuge ; nous avons signalé plus haut que les veuves se retiraient de préférence dans leur tour
matemelle lorsqu’un de leurs frères s’en trouvait le chef.
Il est bien évident qu’une étrangère dotée ou une captive ne trouvait pas au village de
soutiens aussi fermes qu’une femme libre alladian ; elle avait toujours la ressource de s’enfuir
(on cite à Jacqueville des fuites de ce genre), ce dont son mari s’accommodait si elle lui avait
donné plusieurs enfants. En droit toutefois une femme captive ou dotée avait vis-à-vis de son
mari les m6mes droits qu’une Alladian libre.
Une femme ne se trouvait pas libérée de ses engagements à I’égard de l’aci~k~ du fait de
la mort de son mari. L’héritier de celui-ci pouvait lui accorder le divorce (&ib3 : cassure du mariage)
ou lui imposer le remariage - avec lui-meme ou avec un des héritiers du mari. Quel que ffìt
son statut, la veuve était obligée d’accepter un nouveau mari, pourvu qu’il fit partie de l’a&k~
du mort ; mais là encore des arrangements à I’amiable intervenaient d’autant plus facilement
que la mère et les frères de la veuve étaient à meme de lui apporter une aide efficace.
Plusieurs cas se présentent. Il arrive de temps à autre maintenant que l’héritier du défunt
exerce sur la veuve une sorte de chantage à I’éducation des enfants pour I’obliger à rester auprès
de lui à titre de « bonne amie ». Une situation de ce genre entraine fréquemment de sérieuses
querelles où interviennent en fin de compte les forces sumaturelles (le mort lui-meme ou les awabo)
et les instrnments traditionnels de controle social (les familles et les catégories d’age).
L’héritier peut, plus noblement, se soucier de la continuité du lignage ; de ce point de vue,
une étrangère dotée avait toute chance d’etre Rrécupérée ))par l’a&k3. Nous prendrons un exemple
relativement récent (1950) d’une telle opération de survie pratiquée à Grand-Jacques. L’aci3k3
de G.B. menacait de s’éteindre. G.B. n’avait pas de descendance par ses soeurs ; lui-meme avait
deux fìls, Thomas et Georges, mariés à des femmes alladian. Pour pallier tette menace, il dota
une fillette abidji qu’il donna à son fils Thomas, lequel la confia à sa première femme. Il en eut
plus tard six enfants. A la mort de Thomas, Georges estima qu’il devait épouser la femme de son
frère pour assurer le descendance de I>xigk3, mais en bon chrétien hostile à la polygamie, il divorca
d’avec sa première femmel.
Dans l’hypothèse du divorce, la première démarche avait lieu trois mois après les funérailles
du premier mari ; son héritier fixait à la veuve un jour pour le ((divorce 1).Cette cérémonie supposait
r. Il semble que l’action des pr&res catholiques avant et pendant la seconde guerre mondiale ait eu
pour effet (intentionnel) de multiplier le nombredesséparationset desremariages,afin de supprimer la polygamie.
L’ORGANISATION DE LA PRODUCTION =45
III.
LES RAPPORTS DE PRODUCTION
LIÉS AUX FORCES PRODUCTWES TRADITIONNELLES :
P%HE INDIVIDUELLE, CULTURE, COMHERCE
On retrouve tous les statuts précédemment recensés et définis à l’ceuvre dans les processus
de production et de reproduction de la société alladian. Non seulement dans les activités tradi-
tionnelles (pkhe, culture des vivriers, fabrication des pirogues), mais dans des activités plus
récentes (cultures industrielles) où ils servent de fondement et de justification à la naissance,
à la confirmation ou à l’accroissement de certaines fortunes ; dans ce dernier cas le langage de
la légitimité peut Gtre parfaitement adéquat à l’expression de la fortune et de la puissance ; mais
146 LE RIVAGE ALLADIAN
il arrive aussi qu’il masque de sérieux bouleversements (lorsque, par exemple, d’anciens captifs
ou descendants de captives occupent le trone d’une tour après avoir fait ((fortune » camme planteur
ou camme fonctionnaire...). Nous essaierons d’examiner tour à tour les rapports de production
liés aux forces productives traditionnelks (encore existants d’une facon plus ou moins effettive)
et les rapports de production liés à l’apparition de nouvelles forces productives (exprimés plus
ou moins nettement dans un langage traditionnel à peu près adéquat à la réalité qu’il traduit).
C’est la peche qui para& avoir constitué, avec la fabrication et le commerce du sel, l’activité
première des Alladian installés sur le cordon littoral. Un grand nombre de cérémonies religieuses
concemaient la mer et la p&he, et c’est peut-&re le role éminent de Grand-Jacques dans ces
cérémonies qui lui a permis à I’origine le controIe des opérations commerciales avec les Européens.
Il semble que les modalités, mal connues, de ces opérations aient trouvé le fondement juridique
de leur organisation dans les rituels consacrés au culte des divinités marines (cf. à ce sujet I’intro-
duction et le chapitre II). La p&che n’avait évidemment rien d’une simple activité complémentaire.
On peut dire que la mer, vu I’importance des ressources qu’on en tirait, constituait pour les villages
alladian un véritable domaine public, sans frontière et sans propriétaire, mais dont les utilisateurs
n’avaient pas l’usufruit, contrairement à ce qu’on trouve dans certains cas de « domaine public ».
Seul un ancien, en principe chef de tour et « propriétaire » de la pirogue (ayant donné le droit
d’abattre l’arbre dans lequel on la creuse et la taille), avait le droit de redistribuer le produit de
la peche de ses fils ou des fils de l’homme dont il avait lui-meme hérité.
La distributionl de la peche s’effectue selon des modali& qui varient avec la nature du
poisson, I’age et la situation matrimoniale du pecheur ; ces modalités sont définies très minu-
tieusement. Nous en parlerons au présent car, camme on le verra, si le r6le de la pkhe en
pirogue a diminué sensiblement à l’heure actuelle, les modalités de la redistribution n’ont pas
changé.
Jusqu’à son mariage, le fils remet la totalité de sa pkche à son père. Celui-ci n’est pas tenu
de lui en retourner une par-t ; il faut dire que le fìls est alors nourri par ses parents, à moins qu’il
prenne ses repas, camme cela est fréquent, chez l’une de ses sceurs mariées. Quand le père lui
en donne une part, il peut, selon les cas, l’apporter à sa sceur (s’il mange chez elle) ou à sa grand-
mère, la mère de sa mère, qui le fume et, à la suite de ventes ou d’échanges successifs, lui constitue
un petit « capital », souvent sous forme de petit bétail (moutons, cab+...).
Après son mariage (alors que sa jeune femme fait la Cuisine chez sa propre mère) le fils
a une par-t de droit dans la redistribution, toujours effectuée par le père ou, à défaut, par son
héritier. Cinq park sont faites :
La sceur du pkheur n’a pas une par-t de droit, non plus que son frère. Mais s’ils se présentent
ils recoivent une park Lorsque le pecheur n’est pas mar%, les parts 2 et 3 vont au père.
Quand il s’agit d’un gres poisson (par exemple etra, : « le thon 1))les park sont un peu
différentes. La première (1) (&%ciZ, poisson du mariage) va à la femme du pkheur qui la remet
à sa mère. La seconde (2) (ek% : poisson du père) va au père du pécheur, qui la remet à son propre
père ou à l’héritier de celui-ci ; tette par-t, située dans la partie la plus charnue du poisson, est
augmentée d’une demi-t&e, la t&e étant tranchée de haut en bas. La troisième part (3) (abz%%Z)
I. p*Tous
parlerons de distribution pour désigner la remise par le pkcheur à son père du produit de la p&che,
la répartition de celui-ci par le pecheur lui-meme entre les différents membres de sa famille, et, de facon générale,
la circulation de ce produit à partir du producteur. Nous parlerons de redistribution pour désigner la répartition
par le père du pecheurde la peche de son fils, et, de faCon générale, la circulation de tette peche à partir de son
répartiteur.
L’ORGANISATION DE LA PRODUCTION =47
va, avec la seconde moitié de la Me, aux maternels du père. La quatrième part (4) est réservée
aux individus de la catégorie d’age du père, qui en furent eux-memes l’importance ; la cinquième
par-t (5) - si les camarades du père en ont laissé - revient au père qui peut, s’il le désire, en céder
une fraction à son fìls (cf. fig. 33).
4 3
-
FIG. 33. - Partage du thon par le père du pkheur.
Le partage du requin est un peu spécial, en ce sens que si, pour le reste, il s’effectue selon
les memes norrnes, la t&e revient de droit à la soeur du père. Cette modalité particulière correspond
à la solidarité remarquable du frère et de la sozur (cf. fig. 34).
On a vu qu’un jour le père du pecheur se décide à lui accorder son Rdroit de p6che » intégral.
Il lui annonce ce jour à l’avance, et, le jour venu, fait sa dernière redistribution, plus large que
d’habitude ; le soir, le père et le fils boivent ensemble ; à ce moment le frls acquiert du meme
coup I’autorisation de travailler éventuellement sur les terres de son oncle et de chasser pour son
propre compte ; son père lui offrait souvent à tette occasion une machette et un fusil.
C’est maintenant le fils lui-m&me qui distribue les produits de sa pkkhe. Il fait quatre
parts : une par-t (1) pour son père, une part (11) pour sa propre famille maternelle, une part (111)
pour la mère de sa femme, et une demière part (IV) pour la la parenté matemelle de son père.
Il garde le reste.
Si le père du père, ou son héritier, se présente pendant le partage, il recoit une par-t ; mais
il n’a pss de part de droit réservée.
Le partage du gres poisson et celui du requin s’effectuent à peu près dans les memes
conditions que précédemment, mais c’est à par-tir du pkheur lui-meme, et non de son père, que
s’effectue le partage. La part (1) va à la femme du pkheur, la part (2) au père du pecheur ou
à son héritier, la par-t (3) aux parents matemels proches du pkheur, la part (4) aux compagnons
de la catégorie d’&ge (esnba bo) du pkheur, la part (5) enfin au pkheur. Le partage du requin
148 LE RIVAGE ALLADIAN
s’effectue à peu près de la meme facon, à tette différence près que la t&e du requin est toujours
réservée à la sceur du pecheur.
On a montré dans les figures 35 et 36 une tour habitée par des représentants de trois
générations : le gr-and-père paternel, mar%, ses deux fìls mariés (ayant obtenu leur « droit de
pkche ») et leurs enfants : un fils célibataire (sans « droit de pkche 1))et une frlle dans un cas, un
fìls mar% (sans ~droit de peche») dans l’autre. Dans la figure 35 sont recensés les producteurs
de la tour et les bénéficiaires de tette production à l’intérieur et à l’extérieur de la tour ; dans
L
- .
..
nombreuse mais parce qu’il possède à lui seul plusieurs des titres qui donne@ droit à une part
de tette redistribution.
Nous avons extrait d’une des généalogies les plus chargées d’alliance pseudo-endogamiques
- celle de la branche Adjé Bonny correspondant à la concession d’Antonin Yessotié - un exemple
de ce geme de cumuls. La descendance d’une captive non mariée n’a d’autre parent paterne1
et maternel, à la première génération, que l’acquéreur de tette captive, et il semble que, dans
l’exemple représenté sur la figure 37, un meme individu doive cumuler les parts 1, 11, IV,
4 et 5, Mais Jacqueville nous fournira des exemples actuels de processus de ce genre.
(lequel n’est pas marié, et revend une partie de sa part, en cédant une autre partie à ses « demi-
frères » Emjen Abraha et Emjen Bogui avec qui il est en bons termes, et qui l’aident à cultiver
son champ de manioc). Dagri Éco néglige les maternels de son père, ceux qui restent à Jacquevihe
étant trop jeunes ; la part réservée à la parente maternelle du redistributeur va à Asséké Dohon,
sceur de Dagri Éco et mère de Prosper.
On a donc ici l’exemple d’un homme qui cumule deux parts (trois si l’on considère que
les parts non distribuées, faute de titulaire, grossissent celles du redistributeur) sur les-cinq parts
selon lesquelles se redistribue théoriquement le produit d’une peche ; la tour de Dagri Eco fournit
1
ADagri ECO
Akodié
Kagioun
FIG. 39.
de la génération suivante (à redistribuer) ou, si certains membres de tette génération ont recu
le droit d’etre eux-memes les distributeurs de leur pkhe, une partie de tette peche (à redistribuer)
et une part de la peche distribuée par la génération suivante. Il peut également se trouver dans
une tour des fils du chef de tr6n.e précédent appartenant à la meme géneration que le nouveau
chef (neveu du précedent, par exemple) : le plus souvent, les Ebiiii doivent une part de ce qu’ils
recoivent à l’héritier de leur père, mais ne sont plus eux-memes des producteurs. La génération
des ainés ne produit pas, redistribue et recoit.
La génération suivante est composée de pecheurs qui ont le droit de distribuer eux-mkmes
leur peche, et, le cas échéant, de redistribuer la peche de leurs fìls, ou de pkcheurs qui n’ont pas
encore bénéficié du premier droit mais bénéficient du deuxième, si leurs fìls sont en age de pecher.
Les individus de tette génération produisent, redistribuent ou non, mais en principe recoivent
dans tous les cas puisque I’héritier de leur père, de toute facon, leur doit une part de leur propre
peche, s’ils sont mariés, ce qui est généralement le cas.
A la génération suivante se trouvent, en toute occurrence, des individus qui n’ont pas
encore recu le droit de peche, et qui, selon qu’il sont ou non mariés, ont ou non une par-t de droit
dans la redistribution faite par leur père.
Du non-producteur qui recoit et qui redistribue au producteur qui ne distribue ni ne
recoit, toutes les possibilités sont ainsi couvertes et chacune d’entre elles ne peut se réaliser
à Coup siìr qu’à l’intérieur d’une seule génération.
On remarquera en outre qu’un individu peut recevoir une part de poisson (d’ailleurs plus
ou moins importante) à plusieurs titres, selon qu’elle lui est octroyée, quelle lui est due et prélevée
sur sa propre peche, qu’il la prend sur la pikhe de son fils ou sur sa propre peche, qu’il bénéficie
à la fois de la pkche de son fils et de celle de son petit-f%, et éventuellement de celle de la des-
cendance de son frère ou de son oncle maternel. Il est bien évident qu’un captif et meme un
descendant de captive dépassait rarement le stade de la redistribution de la peche du fìls ou de
la participation à la distribution par le fils de sa propre peche et de celle du petit-fils : l’octroi
du droit de peche à un captif était une faveur plus rare que le meme octroi à un fils. En outre
les parts de sa descendance réservées au père du père ou aux maternels du père allaient à peu
près régulièrement à l’acquéreur du captif ou à son héritier. Le captif avait assez naturellement
un r6le beaucoup plus important dans la production que dans la distribution ; il était exclu,
traditionnellement, qu’un captif piìt s’assurer le controle de la production d’une tour. Inversement
un chef de tour agé, qui avait « libéré 1)ses fils et recevait une partie de leur pkhe sans plus redis-
tribuer celle-ci lui-meme, disposait en permanente par le biais de ses captives d’une descendance
jeune et plus « exploitable 9.
I. Signalons les modalités de partage (correspondant à des activités plus marginales : chasse, élevage)
des cabris et du gibier.
Partage d’une bgte d’élevage :
r) Le cou est pour celui qui a égorgé l’animal.
2) La poitrine, avec le cceur, et une cuisse vont au père du propriétaire.
3) Les pattes de devant vont aux maternels du propriétaire.
4-5) Les quatrième et cinquième park - dans le ventre de l’anima1 - vont l’une à la mère de la femme
11
154 LE RIVAGE ALLADIAN
du propriétaire, l’autre, selon que ce propriétaire est ou non chef de case, à ses compagnons de catégorie d%ge
(estibd bo) ou aux esubà bo de son père.
6) Les ci%es, la tete et une cuisse restent au propriétaire.
Partage dti gibier :
La poitrine est pour le père, les bas morceaux, camme précédemment, pour la mère de la femme et pour
les embà bo du chasseur, tout le reste pour le chasseur.
L’ORGA NISA TION DE LA PROD UCTION 155
pacotille
Sud
mer
Laguf
\ / /!!Y/ / / / /
4 IvoIre
d or
huile
//////////
or’
set pagnes
manilles
//(/ \////(/ \
captif
FIG. 40. - Les circuits commerciaux.
graphique des Alladian constituait une production naturelle contre les entreprises de l’arrière-pays.
Si les Dida et Avikam trouvaient un débouché sur la mer dans la région de Grand-Lahou,
et les Ébrié dans celle de Vridi, Bassam, les Adioukrou, qui ont profité du commerce de traite,
d’abord en servant de relais aux échanges entre le Sud et le Nord, puis en fournissant la matière
première (l’huile de palme) de la forme de traite propre au XIX e siècle, ont néanmoins toujours
manifeste beaucoup de rancceur et de jalousie à l’égard d’un partenaire qui réalisait sur eux
d’importants bénéfices et vis-à-vis de qui ils s’endettaient lourdement, acceptant par exemple
des avances de « marchandises » sur des produits qu’ils n’arrivaient pas ensuite à fournir en
quantité suffisante. Toutes les querelles avec l’extérieur liées à la commerciahsation concernent
156 LE RIVAGE ALLADIAN
dans la tradition alladian les Adioukrou, avec qui les conflits arrnés, jusqu’au siècle dernier,
semblent avoir été relativement frequents. Le vestige le plus marqué de cet état de choses est
la nombreuse présence, déjà signalée, dans les généalogies des tours alladian, de femmes adiou-
krou mises « en gage » ou livrées à la suite d’un confht.
Ce sont les ~bz%ides grands aci3k3 qui assuraient pour eux le trafic en mer et le transport
par voie lagunaire ; ce travail était diì au père ou à son héritier camme la peche en mer ; or si
le fruit de ce travail, sous forme de biens prestigieux, était destiné à l’abii wakre, autrement dit
à un achk3 différent en principe de celui de ces ebiiiiii, ceux-ci, camme individus, en étaient les
premiers bénéficiaires, non seulement parce que, bons fils, ils pouvaient prétendre aux faveurs
de leur père - et notamment au droit de posséder rapidement case et Cuisine autonomes -,
mais parce que la destination des biens de l’a bii wakre les concerna3 au premier chef. Ces biens
thésaurisés et confiés à la garde du chef d’achk3, ne pouvaient etre utilisés qu’au profit de l’acGk3
camme groupe organique solidaire ; le chef d’achk3 ne décidait d’ailleurs pas seul dune telle
utilisation et réunissait tous les anciens de l’achkz A l’origine, trois utilisations étaient concevables :
la dot d’une femme étrangère de coutume patrilinéaire, l’achat de captifs et captives, le rembour-
sement des « dettes » de l’aci3kg et la récupération d’un abiiiii mis en gage. Or, on le sait, le père
s’opposait en principe à ce que l’oncle materne1 fourmt à son fils le montant d’une dot ; ce sont
donc les .zbiiii qui pouvaient recevoir du chef de leur tour au sens résidentiel une femme,
libre, étrangère ou captive. L’acigk3 camme groupe était le bénéficiaire à moyen terme d’un te1
« placement 1)- les analyses du système fournies par les intéressés eux-memes justifient l’emploi
de ces termes. Le versement des prestations relativement modestes correspondant au mariage
avec une femme alladian ne touchait pas l’a bii wakre : les pagnes fournis à la femme étaient
desti& à la vetir et n’entraient pas dans la catégorie des biens thésaurisés ; les exigences du
commerce impliquaient le maintien hors de l’a bti wakre d’un grand nombre de manilles, et celles-ci
n’étaient pas, au meme titre que les pagnes baoulé, l’or et les perles, des biens « réservés ». En
compensation de ce versement, le pere s’assurait les services de son premier petit-enfant, et,
pour lui et son héritier, les parts prélevées sur la peche de ses petits-fils. Mais la dot fournie pour
une étrangère, ou le versement effectué pour l’acquisition d’une captive, entra&& des conséquences
durables pour l’activité et la croissance du lignage ; aux avantages normalement retirés de la
descendance du fìls s’ajoutait le retour de la descendance du père à l’acigk3 de celui-ci ; on a vu
qu’en outre captifs et descendants de captives ne pouvaient pas prétendre dans le domaine de
la redistribution à un role équivalent à celui qu’ils jouaient dans le domaine de la production.
Les représentants de l’achk3 ~930 pouvaient seuls prétendre à controler la gestion dune tour
au sens résidentiel au profit (à long terme) de leur tour au sens social. Les akgre bo avaient tous
les devoirs des ebiiii (et les avantages correspondants) mais aucun des droits virtuels attachés
à la condition d’abiiiii, sinon celui d’etre mis en gage par l’acquéreur de leur mère lorsqu’ils
étaient 0~0 yii iiz’.
On peut donc dire que chez les Alladian, camme dans d’autres sociétés, les rapports génea-
logiques constituent la base des rapports de production, et qu’on voit au tours du développement
de leur société, pour reprendre des expressions de Claude Meillassouxl, le lien de consanguinité
se transformer en une filiation purement sociale. Mais il s’a& moins ici d’une substitution de
la filiation sociale au lien de consanguinité, que dune juxtaposition, d’autant plus indiscernable
au premier regard que le jeu des alliances intralignagères en multiplie les formes, et que le langage
de la parente en unifie l’apparente, d’autant plus réelle et constatable cependant qu’expression
dune incontestable stratification sociale elle possède un contenu économique précis. Le fondement
technique du pouvoir des anciens - leur role passé d’éducateurs, leur expérience, et la preuve
que fournit leur age de leur aptitude à controler, ou à manipuler, les forces qui pèsent sur la
société - avait pour corollaire une hiérarchie liée à l’age ; le doublet sbiiii/abiEi ne constituait
pas une stratification du point de vue de la société villageoise, puisque tout individu était l’un
et l’autre par rapport, en principe, à deux acigk3 différents ; mais, avec l’utilisation de l’a bii wakre
I. C. %fEILLASSOUX, Anthropologie écononzique des Gowo de Cdte-d’lvoire, Mouton, Park-La Haye, 1964.
L’ORGANISATION DE LA PROD UCTION =57
à des fins matrimoniales ou par l’achat de captives la substitution devient celle d’un statut socio-
économique reposant sur la naissance, immuable, à un statut socio-économique, lié à l’age, évolutif.
Ainsi les Alladian fournissent l’exemple dune société où les rapports lignagers ont très consciem-
ment et très explicitement servi de forme aux rapports de production.
Deux conséquences primordiales ont résulté de l’importation de femmes et de l’intensi-
fication du commerce avec les Européens au xrxe siècle : l’accroissement des lignages d’une part,
certaines possibilités d’enrichissement individuel d’autre part.
Ces possibilités d’enrichissement semblent avoir existé de très long-ne date ; elles étaient
à l’origine pour tout individu fonction de son age, le fìls obtenant progressivement une partici-
pation plus grande aux bénéfices du commerce du se1ou du commerce de traite. Il est peu problabe,
toutefois, que tette participation accrue ait abouti en certains cas à une individualisation complète
du commerce. Elle a pourtant favorisé la création de l’accroissement de fortunes personnelles,
distinctes naturellement de Sabii wakre de la tour au sens résidentiel, et de celui de la tour au
sens social (à l’accroissement desquelles elles pouvaient toutefois contribuerr). Parallèlement,
le chef de tour n’était pas tenu de reverser dans l’abii wakre la totalité des bénéfices de l’abii, mais
simplement une par-t équivalente à celle réservée, dans la peche, selon les cas, aux maternels du
pecheur ou aux maternels du père du pecheur. L’or - sous forme de bijoux ou de poudre -,
les manilles et les armes faisaient l’essentiel de ces fortunes personnelles. On a vu qu’un père
f&ait l’acquisition par son fìls d’un fusil ou d’un captif : une telle cérémonie n’avait lieu que
lorsque ce fils était lui-meme l’acquéreur ree1 de ces biens. La tradition alladian distingue net-
tement entre héritage « du trone » et héritage personnel, un chef prestigieux ayant souvent un
héritage personnel plus important que l’abz2 wakre dont il avait la garde ; la monétarisation de
l’économie et l’apparition de nouvelles sources de revenu ont sans doute contribué à renforcer
tette distinction : elles ne l’ont pas créée.
Fortunes personnelles et pression démographique se sont exprimées aussi dans la création
des aci3k3 dissimilés qui nécessitait au départ un certain (( investissement » humain. Le fait de
créer un nouvel aci3kg permettait à un individu donné d’accéder à la dignité de chef de trene
plus tot que prévu - il etìt d’ailleurs pu aussi bien n’y accéder jamais - et d’organiser par lui-
meme, dans une certaine mesure pour lui-meme, les activités productives et commerciales de
la nouvelle tour. Une telle création impliquait naturellement l’autorisation du chef de l’aci3k3
origine1 - à moins d’une rupture véritable, dont l’histoire des villages alladian offre, camme
on l’a vu, des exemples. Certains acigkg segmentés, dissimilés ou associés ont connu une fortune
plus heureuse que leur aci3k3 centrai. C’est ainsi que, si l’on consulte le plan de Jacqueville, on
voit que des maisons « en dur » relativement somptueuses ont concrétisé au siècle dernier la fortune
des aci3k3 Boumbro Akadié (tour actuelle Apalé Bogui, Tévé-Kacou) et Éthé Boumbro (tour
actuelle de Kacou Ichigban, Kovou-Kacou), alors que l’achk3 Dagri Éco ne conserve aucun
vestige de ce genre. Il semble que très tot la société alladian ait présenté certains caractères d’une
économie « libérale », favorisant, dans les limites d’un système rigoureusement stratifié, les ini-
tiatives individuelles et l’esprit d’entreprise.
La fortune des grandes tours alladian tenait donc à leur situation dans deux circuits
commerciaux importants : du premier circuit, uniquement locai, les Alladian constituaient tout
à la fois le point de départ et le point d’arrivée : ils exportaient du se1et importaient or, pagnes
et captifs ; les biens prestigieux conservés dans les abii wakre pouvaient &re réutilisés pour doter
des femmes dont la descendance appartiendrait à la tour ; dans le courant du xvrrre siècle vraisem-
blablement, les manilles ont joué le r6le de (( mannaie d’échange )), le se1s’échangeant contre des
manilles, et celles-ci pouvant en retour servir à l’acquisition d’or et de pagnes, ou figurer dans
les dots.
Dans le deuxième circuit les Alladian avaient une position intermédiaire, s’interposant
I. Plus que son rang dam la lignée des héritiers possibles, c’était la valeur, le « sérieux » d’un individu
qui le faisaient choisir pour succéder à un chef de trone défunt. Une gérkosité raisonnable - point trop ostenta-
toire - était une preuve de « sérieux ».
158 LE RIVAGE ALLADIAN
entre les Européens et les populations de l’intérieur et détournant à leur profit une partie du
partie du courant Sud-Word (prélevant une partie des fusils, des manilles et de la pacotille qu’ils
se chargeaient d’acheminer au nord de la lagune), et effectuant l’opération inverse au retour
(prélevant une partie des captifs, de 1>or et de l’ivoire, qu’ils acheminaient du Word à la mer) ;
l’endettement des populations de l’intérieur, d’ailleurs inévitable à terme puisque les Alladian
leur faisaient payer plus cher qu’ils ne les paieraient eux-memes des produits moins nombreux
que ceux qu’ils avaient eux-memes recus, avait pour conséquence l’acquisition de femmes « en
gage », généralement livrées sans espoir de retour, et dont la descendance était acquise à l’ahkg
de l’acquéreur. L’intensification de la traite et sa spécialisation, consécutives à la demande accrue
de l’huile de palme, n’ont fait de ce point de vue que renforcer les tendances préexistantes.
Ainsi l’économie traditionnelle alladian - l’adjectif Ntraditionnel » n’ayant qu’une valeur
toute relative et qualifiant simplement l’état économique antérieur aux changements consécutifs
à la disparition du commerce de traite et à I’apparition de nouvelles sources de revenu - était
une économie « multicentrique », au sens que P. Bohannanl donne à ce terme, composée de plusieurs
sphères : la sphère des biens de subsistance vivriers dans laquelle la famille élémentaire (mari,
femme ; enfants non encore adultes) constitue l’unité de production et de consommation ; la
sphère des produits de la p&he, où la tour au sens résidentiel est l’unité de production, mais où
la redistribution touche des unités de consommation extérieure à tette tour ; la sphère des biens
thésaurisés, biens issus du travail de la tour au sens résidentiel, et susceptibles seulement d’etre
convertis en dots, en captifs ou en captives, accroissant ainsi la capacité produttive de la tour
au sens social, mais fournissant éventuellement du meme coup des femmes aux hommes de la
tour au sens résidentiel et entrainant ainsi la disparition de la distinction abtiGi/sbiGi au profit
d>une distinction aci3k3 directlaci3k3 indirect : autrement dit la substitution de critères sociaux
aux critères de pure descendance.
Il faut enfin remarquer qu’en créant les conditions d’un enrichissement individuel, le
commerce rendait possible une nouvelle substitution : celle de critères économiques aux critères
sociaux reposant sur l’appartenance à des lignées « directes » ou « indirectes » ; tette nouvelle
substitution, qui n’est d’ailleurs pas générale, les acigk3 @TOayant toujours eu le souci de défendre
leur statut socio-économique, a pu &re facilitée par le développement des activités modernes
(plantations) surtout lorsqu’elles se déroulaient hors du village (activités commerciales, adminis-
tratives, etc.) mais elle trouvait un terrain favorable, on essaiera de le montrer, dans la conception
ambigue qu’ont les Alladian des rapports réciproques du pouvoir, de la fortune et de la légitimité.
Au reste, c’est dans tette conception ambigue, manifestée par la croyance à la société
parallèle des awabo et que traduisent entre autres, outre les cérémonies liées à la maladie et à la
mort, certaines fonctions particulières des catégories d’age (esuba), qu’on peut trouver un des
signes les plus perceptibles des forces qui constituent et menacent tout à la fois la société alladian ;
la définition du statut de l’individu en termes de descendance, mais en fonction de sa situation
économique (sans que ce langage soit nécessairement inadéquat à tette réalité), la définition des
grandes unités villageoises camme EWM,alors que, par le jeu des dissociations et des associations,
les plus puissantes d’entre elles sont essentiellement des unités territoriales, l’effort des chefs
d’a&k~ pour fair-e de ceux-ci, malgré la règle de patrilocalité, des unités territoriales et écono-
miques, témoignent aussi de tensions propres à la société alladian elle-meme, indépendamment
des facteurs extérieurs susceptibles de les accroitre ou de les réduire. Ces discordances de principe
constituent pourtant I’unité de fait de la société ; nous n’avons pour l’instant que dessiné les
grandes confìgurations de tette umté et essayé de discerner ses grandes lignes de clivage et de
recomposition ; nous tenterons dans les chapitres suivants d’apercevoir « de l’intérieur » les dyna-
mismes qui commandent, au plan idéologique, les rapports entre puissance et prestige, pouvoir
et légitimité, et, au plan des structures sociales, la destructuration et la restructuration des
unités sociales.
I. P, BOHANNAN, Socia1 A&hvo@ology, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1963.
L’ORGANIATION DE LA PRODUCTION 159
L’étude des terroirs a été conduite à partir de trois documents : le cadastre des plantations
de café et de cocotiers de Grand-Jacques établi en 1964 par l’administration, que nous avons
revu et complété dans le courant de l’été 1966 ; en second lieu le cadastre du terroir d>une des
deux « moitiés » de Jacqueville (les Kacou) établi avec l’aide d>un enqueteur de 1’O.R.S.T.O.M.l de
septembre 1966 à février 1967, sur Iequel ont été distinguées les frontières de portions de foret
attribuées de longue date à chaque aci3k3 et celles des plantations plus ou moins vastes créées
sur ces portions de foret.
Nous avons tenté d’établir pour chaque plantation le mode d’acquisition qui a permis
à chaque exploitant d’eri obtenir la jouissance. Enfin nous avons tenté de recenser exhaustivement
tous les champs de manioc du terroir de Jacqueville et d’étudier leur mode d’exploitation, la
destination de leurs produits et la manière dont était partagé le revenu tiré de ces produits.
Jacqueville nous fournira donc un échantillon significatif (les Kacou représentent le tiers de la
population male adulte de Jacqueville), et camme un « grossissement » des données fournies par
le cadastre des plantations de Grand- Jacques.
Indépendamment des renseignements statistiques rassemblés au paragraphe 1, ces
documents nous ont permis d’établir un certain nombre de conclusions touchant au mode actuel
de transmission et de dévolution des terres, à l’évolution des rapports de production sur le cordon
IittoraI, et, de manière plus générale, à la facon dont la société aIladian s’est adaptée au changement
des forces productives.
Enfin le terroir du village et l’histoire d’un certain nombre de plantations reflètent l’orga-
nisation sociale actuelle, et notamment les interférences entre la lettre et l’esprit des règles
d’héritage, révélatrices des dynamismes internes de la société. De ce point de vue l’étude du terroir
constitue une introduction à I’étude de ces dynamismes.
1. TERROIR ET TRADITION
u) Grand-Jacques.
Tout d’abord, et très évidemment, apparaissent les caractères différents des plantations
de cocotiers et des plantations de café. Les premières sont sur la rive maritime, les secondes sur
la rive lagunaire.
Il faut noter toutefois que les plantations de cocotiers s’étendent progressivement à Sin-
térieur de la for&, que quelques-unes meme ont, au bord de la lagune, pris la piace d’anciennes
plantations de café : double mouvement (expansion des cocotiers, disparition des caféiers) dont
rendent compte également les dates de création de ces plantations (aucune plantation de café
n’est postérieure à 1960, la plupart datent des années rg54-Ig57 ; de nombreuses plantations
de cocotiers ont été créées après 1960) et l’état d’abandon de nombreuses plantations de café
(13 sur 38 - en général les plus petites).
Deuxième constatation : la taille moyenne des plantations de café (3’81 ha) est plus élevée
que la taille moyenne des plantations de cocotiers (2,60 ha), et l’on trouve parmi les exploitants
beaucoup d’étrangers à la région ou au village. L’examen comparé du décompte des plantations
et du décompte des hectares exploités permet de préciser et de nuancer tette constatation.
Note : Les décimales, dans les divers pourcentages de ce tableau, n’ont évidemment qu’une signification
très relative puisque sept plantations n’ont pu etre mesurées exactement ; mais tette approximation n’affette
pas les résultats d’ensemble, d’autant que seuls nous intéressent ici des ordres de grandeur.
les cessions faites au nom de l’alliance clanique sont evidemment des cessions N amicales x Un
miJa appartient naturellement souvent à un clan (( alli6 », etc. Nous retenons pour chaque plan-
tation la référence la plus forte du point de vue traditionnel (ces réferences étant dans l’ordre
décroissant : abihih, EbiGi, miJa, alliance clanique, autre titre). Les cessions à une femme se
comprennent par référence à plusieurs titres. Nous les classons sous le titre interesse, en faisant
suivre le numéro d’ordre de la lettre F.
Quand il s’agit de plantations de café (nous retenons la destination première de la plan-
tation, celle qui a justifié la cession ; car plusieurs plantations de café ont été « reconverties D),
nous en faisons mention après le numero d’ordre (C).
Quand la terre acquise à un titre ou à un autre était ensuite transmise par heritage, nous
faisons suivre le numero d’ordre d’une Croix.
On trouvera entre parenthèses, à la suite du numero d’ordre, un second numéro d’ordre
correspondant au classement des seules plantations de cocotiers.
Remarque : La notion d’alliance clanique prend un sens un peu particulier à Grand- Jacques. Les Kitrava
y constituent très normalement un aciskg associé à leur eme d’accueil (Boumbro). Il en va de meme pour les
Tano Éthé d’Ahua associés aux Bodo. Mais l’alliance Bodo-Boumbro semble remonter à une très ancienne segmen-
tation, et l’alliance Kovou-Andongon remonte, camme on l’a vu, si l’on en croit les traditions locales, aux origines
memes du peuplement du littoral. Dans les deux cas il semble qu’il n’y ait pas en fait de frontière précise entre
les terres des deux familles.
-
ebiiii
-
mija
- 1
NO NO de Taille NO No de Taille NO No de Taille
d’ordre parcelle en hectares d’ordre parcelle ,:n hectares d’ordre parcelle en hectare:
.
1 2, 1,67 1x SII 1 b-4 29 3>91
2x 3 2,88 2 8 1,II 2 MC 55 3315
4 8,57 3x 15 0,78 3 (P)G 58 2,18
6 2,13 4 18 0,40 4 @F 62 1x23
I I I
162 LE RIVAGE ALLADIAN
r NO
abiiiìi
No de Taille NO
Ebiiii
No de Taille
i-
NO
mija
No de Taille
1
C 48
50 2,33
659 8C
7C ;s 3>47
r,32 »
9c 53 ~67 9c 77 r>33 »
IOCX 56 0,97 IOC 79 Cg3 Manceuvre
IICFX 57 L39 IIC 80 16,or Vente
IPCX 63 o,7* 12c 81 Zr59 Détachée de 80
r3C 64 o,52 Cession dans l’aci&
r4C 65 0771
15 69 0,99 r3C 83 1,60 Cession des patemels de la mere
16C 70 2,79
17 (8) 72 1,3r
18 (9) 72 bis (2) 14Cx 84 3>o2 Cession amicale
19 (IW 101 o>53 15 (6) 85 2,75 Cession amicale
20 (11) Io7 r,o7
21 (12) 108 0,26 16C 91 CI9 Manceuvre
r7C 92 3925 Manceuvre
18C 94 Io>75 Manceuvre
19 (7) 118 2,66 Cession amicale
20 (8) 129 4,o7 Manceuvre
2IC 135 7>25 Vente
22cx 136 0>93 Cession, puis héritage
23C 137 7>26 Vente
24 (9) 141 (2) Cession amicale
25 (10) 142 (10) Cession amicale
164 LE RIVAGE ALLADIAN
‘ t
On remarque, aussi bien, que les cessions au titre de l’alliance matrimoniale ou clanique
concernent seize plantations de cocotiers alors qu’on compte seulement dix cas de cessions sans
motivation traditionnelle.
Au nord, en revanche, l’occupation des terres s’est un peu faite au hasard. Avant la culture
systématique des cocoteraies, les cultures vivrières étaient pratiquées au sud du littoral, à proxi-
mité immédiate du village ; la rive lagunaire, lointaine et d’accès difficile, n’offra3 guère d’intéret.
Ceux qui ont voulu les premiers y tenter la culture du café n’ont pas rencontré d’opposition.
Le droit du premier occupant a pu suppléer ou modifier le droit traditionnel : c’est ainsi
que la rive lagunaire occidentale est considérée camme traditionnellement Bodo, alors que du
coté maritime, la foret Bodo se situe à l’extreme est du terroir de Grand-Jacques. Il faut ajouter
que du cot6 de la lagune les cessions de terres à titres divers ont été multiples et que la notion
de foret d’acigk3 y est très théorique (ce qui n’est pas vrai pour la rive maritime et pour
les cocoteraies).
Si l’on s’intéresse maintenant au nombre d’hectares exploit& (tableau X11 B), on s’apercoit
que la répartition des pourcentages change. L’augmentation du pourcentage de caféiers n’a rien
qui puisse surprendre (on a vu que la dimension moyenne des plantations de café était supérieure
à celle des plantations de cocotiers), mais, de fagon apparemment plus surprenante, le pourcentage
des hectares possédés à titre d’abiiiii rejoint presque celui des hectares possédés à titre d’&iiz’,
le pourcentage des hectares possédés au titre de l’alliance clanique devient nettement inférieur
à celui des hectares possédés au titre de l’alliance matrimoniale et - phénomène encore plus
surprenant, vu la dimension moyenne des plantations de café - nettement inférieur au pourcen-
tage du nombre de parcelles de caféiers exploitées au titre de l’alliance clanique par rapport au
nombre total de parcelles exploit& à ce titre (z7,g4 yOcontre 42,85 %).
L’augmentation du pourcentage des hectares possédés à titre d’a&% s’explique par
l’existence d’une grande plantation (29,s ha) créée en 1957 par un Kovou lettré, ancien douanier
4--c--
et actuellement secrétaire du P.D.C.I. Pour l’essentiel, d>ailleurs, seules les grandes plantations
de café se sont révélées rentables - les petites exigeant trop de travail ou trop de frais relativement
à leur rapport -, et elles demandent qu’on puisse leur consacrer de l’argent et du travail.
Les autres grandes plantations sont travaillées par des manoeuvres qui y vivent et y
consacrent une grande partie de leur temps ; le reste de ce temps est consacré au travail des
plantations de celui qui leur a cédé le terrain de leur propre exploitation. Chacun trouve son dfi
dans un arrangement qui supprime tout recours à la monnaie.
Quant aux terres exploitées au titre de l’alliance clanique on remarquera qu’elles sont
toutes Boumbro (cinq intéressent l’alliance Bodo-Boumbro, quatre l’alliance Kitrava-Boumbro) :
situées à proximité du débarcadère et de la piste qui relie Grand- Jacques à la lagune, elles sont
d’accès relativement aisé. Elles semblent avoir eu le meme intéret aux yeux des habitants que
les terres avoisinant le village. D’où un morcellement et une répartition très hétérogène (les
Boumbro en ont cédé aussi à des représentants des clans Kitrava, Andongon, Kovou et Tévé).
Une bonne partie de ces plantations, on l’a vu, sont abandonnées.
Il reste que le pourcentage d’hectares de caféiers acquis sans motivation traditionnelle
représente 64,og o/. du nombre total d’hectares ainsi acquis, et presque la moitié du nombre total
d’hectares de caféiers - les pourcentages correspondants étant, pour les cocotiers, 35,gr y. et
un peu plus de 14 %.
- -
tSiperfìcie acisks de xi3k3 détenteu Titre auquel
No d’ordre (en ha) 1&meuvres l’exploitant de la foret est exploitée Nature du produit
la terre
.- _-
1 663 Dagri Éco Apale Bogui mija Manioc, cocotiers,
Kacou bananes
Ichigban
2 035 Apalé Bogui Apalé Bogui aciskg Cocotiers et manioc
Bogui Andrew Amitié
4995 2 Apalé Bogui A. Bogui aciskg Cocotiers, manioc
4,4o Apalé Bogui » acisks Cocotiers, manioc
1>97 Apalé Bogui aciskg Cocotiers, manioc
636 ci cf. 3
z,73 Joachim Abi J. Abi acigkg Cocotiers, manioc
0,20 Ichigban J. Abi Arnie de Manioc
D. Éco J. Abi
1,22 cf. 7
o,35 J. Lézoutié J. Lezoutié Lui-meme Cocotiers, manioc
D. Éco
11 4,ro 1 Lézoutié A. Bogui Amitié Coca, manioc,
D. Éco Ichigban bananes
12 o,63 Apalé Bogui A. Bogui acigks Coca, manioc
168 LE RIVAGE ALLADIAN
12
170 LE RIVAGE ALLADIAN
(2), 3, 4, 5, 6, 7, 9, 21, 22, 46, 51, 1, 14, 61 (2)> 11, 35, 54, 8P, 25,
IO, 12, 16, 17. 18, 24, 26 76 29, 31, 59' 2 13, 15, 649 75 30, 32,
1% 23,28, 36, 38F, 42P, 58, 62: 65’ 20, 34, 33, 37P>
3% 43P> 50,
48>4gF> 45P,52,47P,
53, 82 40. 44 41
5&52363. 66, 77,
33 4 3 7 1 6 0 8 4 7
7 8 8
I l
18,47 ha 6,zg ha 11,05 ha 2,27 ha
.
172,Bo ha 24,76 ha 13,62 ha 20,63 ha o r2,88 ha 4.53 ha
5.50 ha
1 2 5 0 2 0
I l
0 2,57 ha 0,38 ha 2,27 ha
On sera tout d’abord sensible aux différences manifestes des deux terroirs. Il n’y a prati-
quement plus trace à Jacqueville de plantation de ca.fé ; en outre les cocoteraies exploitées y sont
relativement peu nombreuses : représentant 64,og ha - et plus de la moitié des cocoteraies de
Jacqueville, dont le terroir est plus lirnité du coté d’Alma que du &é d’Adoumanga - contre
Lagune tbrie
. _-
L----l L.--I F IV FV \
F VII
:-Lu’> /-------1 /
---------r/--------- /
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- - -/ $iG-Ga~pendonlburbon~pWer --- -~
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Limite da
plantations
OCEAN ATLANTIQUE
273 ha à Grand-Jacques, où les plus récentes des cocoteraies recensées remontent à 1961, et la
plupart d’entre elles aux amrées 1955-1957 au moins (un cocotier est considéré camme exploitable
à sept ans et camme adulte à quinze ans). Cet état de choses tient pour une part à l’exiguité du
terroir de Jacqueville, pour une autre à l’hétérogénéité lignagère des Eme Mambé et Kacou,
certains membres des aci& associés trouvant des terres dans le village de leur Eme d’origine ;
en outre certains individus les plus riches de Jacqueville ont acheté des terres dans d’autres
villages - ou plus exactement « dédommagé » certaines familles et obtenu, au prix d’une certame
ambiguité dans les termes du « contrat )), le droit de créer des plantations qui ne retourneront
plus aux anciens propriétaires de la terre. L’administration francaise a parfois servi de relais à ce
type d’appropriation. C’est ainsi qu’à Jacqueville meme entre les deux guerres un administrateur
a voulu encourager la création de cocoteraies collectives. Deux cocoteraies ont ainsi été créées :
une du coté des Mambé, une du coté des Kacou. Qu’elles aient essayé de regrouper des agriculteurs
ou des pecheurs, les tentatives d’organisation coopérative se sont toujours, chez les Alladian,
soldees par des échecs. Celui-là, fut le premier de la serie, mais alors que les Kacou, une fois leur
association dissoute, ont partagé leur cocoteraie entre les achkg aux terres desquels elle touchait -
sur le cadastre, en bordure de mer, entre la route d’Adoumanga et la plage -, de l’autre coté,
un notable avis5 a dédommagé à bon compte les autres coopératives et exploité par lui-meme
la nouvelle cocoteraie.
Ces remarques ne doivent pas faire croire que la répartition des terres est à Jacqueville
moins R traditionnelle N qu’à Grand-Jacques ; on peut en effet facilement constater que sur
83 exploitations recensées chez les Kacou, pas une seule n’est tenue par un Mambé ; la division du
terroir est remarquablement rigoureuse. A l’intérieur de l’Eme Kacou les forets d’acGk3 se sont
constituées par défrichages successifs ; à l’origine, c’est le chef de l’&me qui accordait l’autorisation
de travailler dans telle ou telle direction ; dès qu’elles étaient retournées en jachères, les terres
étaient considérées camme appartenant à l’achk3 de leur exploitant précédent, et lorsqu’un
membre de cet achkg désirait y travailler, il ne dépendait que de son chef d’achk3 ; encore n’était-il
pas tenu de lui demander formellement son autorisation pour cultiver un peu de manioc ; tette
autorisation était en revanche indispensable lorsqu’il désirait abattre un arbre ou couper un palmier.
L’importance des arbres est evidente, les pirogues, toutes monoxyles, ayant joué un rôle
essentiel tant pour la subsistance des Alladian que pour leurs activités commercialesi. A Jacque-
ville le problème de la fabrication des pirogues ne se pose plus guère, mais dans d’autres villages
(notarnment Avagou) où l’on peut voir des pirogues en tours de fabrication sur la plage, les
grands arbres, chaque jour plus rares, ne peuvent etre abattus sans l’autorisation du chef d’achkg.
Quant aux pahniers, dont on tire le « bangui », et aux palmiers raphia, dont on tire le « vin
de raphia )), plus léger que le premier, ils sont une source de revenu d’autant plus appréciable
que les Alladian sont très amateurs de vin de palme. La plupart des pahniers se trouvent dans
la zone marécageuse (Npoto-poto ))) qui coupe en deux, dans presque toute sa longueur, le cordon
littoral, un peu plus profonde à Jacqueville qu’à Grand-Jacques : trois ou quatre mois après la
fin de la saison des pluies les Kacou - dont les terres sont éloignées de la route du débarcadère -
ne peuvent se rendre aux champs de la moitié nord de leur terroir qu’en empruntant une pirogue
au milieu du parcours. Cette zone est précisément divisée en « secteurs » @rese) dont l’exploi-
tation relève d’un achk3 déterminé.
La zone marécageuse des Kacou comprend ainsi Géyaka bre.sZ(aci3kg d’Ichigban) et Bana
.Koussan Brest (achk3 Dagri Eco) à l’ouest de la piste qui conduit au nord (cf. cadastre). Géyaka
est le nom d’un génie locai, Bana Koussan, le nom d’un ancien coupeur de palmiers. A l’est du
chemin, on trouve deux autres br& : Ésébra et Djatié, tous deux sous le controle de l’acigkg de
Dagri Éco. Une division qui consacre ainsi la prééminence de l’achk3 centra1 de l’Eme Kacou est
évidemment très ancienne. A Grand-Jacques on trouve, de la meme faCon, les brese” Tévé Ahui
(Tévé), Aboutem (Andongon) et Toto (Kovou) à l’ouest de la route du débarcadère, Kwamenan
(Bodo), Djava (Aboutchiam et Nafoum) et Gbodo (Boumbro) à l’est de tette route.
I. Il faut noter que les graines de palmiste peuvent &tre cueillies sans autorisation par les femmes, lorsque
le palmiste se trouve sur une terre en jachère.
174 LE RIVAGE ALLADIAN
(Dagri Éco chez les Kacou) et aux aci3k3 dissimilés (par exemple Joachim Abi et Djava Yesso
chez les Kacou) s’étaient de longue date associés des aci3k3 dissociés d’autres Eme (par exemple
Ichigban, Kovou, et Apalé Bogui, Tévé).
On a vu qu’en outre les femmes (( Kacou » ne circulaient en général qu’à l’intérieur de
l’unité sociale ainsi définie : les terres font de meme. Ce qui est très remarquable dans le terroir
des Kacou, c’est qu’à l’exception de quelques petites plantations cédées pour diverses raisons
à quelques « étrangers », tous les exploitants appartiennent à l’Eme Kacou. Qu’elles se fassent
à un fils, à un allié ou à un ami, les cessions concernent uniquement les Kacou ; le terroir est donc
à la fois le signe et l’un des facteurs de l’unité sociale villageoise dont le jeu des alliances nous
avait déjà révelé la coherence. On en trouvera un signe encore plus proba& dans la pratique
de l’échange de terres entre chefs d’a&ks. Ichigban a cédé une terre de 2,4g ha à Bogui Andrew,
Joachim Abi une terre de 196 ha à Ichigban, Beugré Gra une terre de 2,64 ha à Dagri Éco,une
terre de 0,83 ha à Joseph Lézoutié (celui-ci est le chef d’une petite tour détachée de I’aci3k3 Dagri
Eco ; il garde la villa du Président de l’Assemblée Nationale), une terre de 3’78 ha à Apalé Bogui ;
Dagri Eco a cédé une terre de 6,13 ha à Djava Yesso. Une telle pratique tend à renforcer la cohérence
et la solidarité de l’Eme - solidarité qui ne va jamais jusqu’à l’exploitation en commun de plan-
tations, mais qui se traduit éventuellement à l’heure actuelle par des pr&s ou des échanges de
manoeuvres.
30 La dimension moyenne des exploitations est plus grande à Jacqueville qu’à Grand-
Jacques (un peu plus de 3 ha pour l’ensemble des exploitations ; un peu moins de 5 ha pour les
cocoteraies adultes, contre 2,60 ha à Grand- Jacques).
Cette constatation pose un problème, de meme que l’esser tardif des plantations indus-
trielles à Jacqueville. Interrogés à ce sujet, certains informateurs suggèrent que les descendants
des riches commercants du début du siècle ont vécu (( sur leur fortune », sans trop se soucier du
lendemain ; tette version et la « morale 1)quelle implique semblent bien tenir en effet de la fable,
car, camme nous le verrons au paragraphe suivant, la fortune, malgré quelques fluctuations,
est restée pour l’essentiel acquise aux lignages qui la détenaient au siècle demier.
On pourrait sans doute plus légitimement se demander si les initiatives individuelles n’ont
pas été très consciemment freinées par les détenteurs de la fortune « traditionnelle », non par
ignorante ou mépris des changements survenus dans l’etat des forces productives, mais avec
le souci de s’assurer le contrôle exclusif de celles-ci. L’esser du commerce au siècle dernier et la
multiplication des contacts avec l’extérieur n’avaient pas, pour autant qu’on puisse en juger,
abouti à un assouplissement mais bien au contraire à un renforcement des contraintes sociales ;
l’apparition de nouveaux chefs d’a&kg - la Rpercee » de quelques individualités -, l’effacement
de certains acigkg au bénéfice d’autres, les différences de fortune et de prestige selon les villages,
les lignages et meme les individus n’empkhaient pas le maintien des stratifications traditionnelles,
mais bien plutot leur donnaient une autre dimension. De la meme facon, certains chefs de tour
trouveraient aujourd’hui normal d’avoir le controle des forces productives importantes et de
laisser les jeunes gens assurer la subsistance de la tour par la peche et les cultures vivrières.
Une telle conception, qui se réalise en certains cas, s’est heurtée à plusieurs obstacles : opposition
des jeunes gens, apparition de nouvelles hiérarchies reposant sur l’instruction, individualisation
des fortunes.
Mais assez significativement, nous semble-t-il, elle a davantage prévalu à Jacqueville,
où précisément essor économique et renforcement des contraintes allaient de pair au début du
siècle, suscitant d’ailleurs des résistances elles aussi plus nettes : exode de jeunes gens, notamment.
L’ORGANISATION DE LA PRODUCTION 175
u) Grand- Jacques.
Il y a à Grand- Jacques 71 planteurs exploitant ou faisant exploiter des cocoteraies : 105 plan-
tations représentant au total 273’02 ha. L’espacement des plants peut varier ; il est en général
de 8 m daus les deux sens. Cela étant, on estime généralement qu’une plantation, pour &re rentable,
doit faire au minimum 5 ha. On constate à Grand-Jacques que la taille moyenne des parcek
de cocotiers est de 2’60 ha, et le nombre d’hectares possédés en moyenne par chaque planteur
de 3,87 ha. Ces chiffres qui, considérés en eux-memes, sont faibles, paraissent élevés relativement
à I’ensemble du littoral. -
Origine principale des terres Nom et cocoteraies exploitées Fonctions sociales du plantem
(en hectares)
135’83
Si l’on considère la liste des planteurs des cocoteraies les plus importante% on remarque
l’existence effettive d’un groupe de « grands 1)propriétaires : 23,g4 o/. des exploitants occupent
presque 50 y. des terres exploitées ; un peu plus de II %, plus du quart des terres exploitées.
58,33 % des exploitants travaillent des plantations inférieures à la dimension moyenne (3,87 ha).
On remarque en outre qu’il y a souvent (Ir fois sur 17) une corrélation entre la possession
d’une exploitation importante et la détention d’un titre honorifique (chef de village, de trone
ou d’esaba), la relation inverse étant moins évidente. L’origine de ces exploitations est très souvent
traditionnelle (héritage dans l’acigkg). Les Kovou dont le domaine, un peu éloigné du village,
est très vaste, fournissent la plupart des terres cédées au titre de I’alliance clanique ou à titre
amicai.
Il faut enfin remarquer que les différences de taille des exploitations, souvent relativement
importantes, n’impliquent pourtant pss l’existence de grands domaines. Trois exploitations
ont plus de IO ha. Ce qui frappe plutot, c’est l’émiettement du terroir, son caractère pour ainsi
dire idéologique, dans la mesure où chaque Alladian peut se dire planteur, mais oiì très peu peuvent
176 LE RIVAGE ALLADIAN
tirer de leurs plantations des bénéfices substantiels. Lorsque l’abondance relative des terres le
permet, il semble que les planteurs aient tenté de grouper certaines terres. On remarquera par
exemple que les parcelks 125 et 126 appartenant à deux frères (IO et II dans le tableau XVI)
sont contigues et qu’une autre parcelle exploitée par eux (39) et deux autres appartenant à leur
père (16 dans le tableau XVI, parcelles no834 et 45) sont assez proches les une des autres. De
fait, le père et ses frls utilisent les memes manceuvres et les fis surveillent les terres de leur père.
La tendance des Alladian, signalee à propos de leur politique matrimoniale, à la pseudo-endogamie
lignagère a entre autres buts celui d’éviter la dispersion de la fortune et entre autres conséquences
celle de favoriser une relative concentration des terres.
b) Jacqueville.
Il n’existe pas à Jacqueville de cocoteraies aussi grandes qu’à Grand- Jacques ; mais la
dimension moyenne des cocoteraies « exploitables » y est plus élevée, on l’a vu. La moyenne de
Grand-Jacques et celle de Jacqueville sont toutes deux supérieures à celles des cocoteraies de
tout le littoral alladian (1,68 ha) (cf. tableau XVII A). A Jacqueville la dimension moyenne des
plantations de vivriers, souvent associ& aux jeunes cocotiers, est largement supérieure (un peu
plus de 230 ha) à la moyenne pour le cordon littoral des cocoteraies associéesaux cultures vivrières
(1~41 ha ; cf. tableau XVII B) et des champs vivriers (0,63 ha ; cf. tableau XVII C). Mais ces
moyennes élevées sont dues à la présence de quelques grandes plantations, un grand nombre
d’exploitants travaillant au contraire sur des parcelles de dimensions inférieures à la moyenne.
Certes chez les Kacou de Jacqueville, camme à Grand-Jacques, tout le monde est « exploitant »,
puisque, une fois éliminées les plantations cumulées par un seul exploitant et les plantations
confiées à des étrangers ou à des femmes, on compte 43 plantations pour 44 hommes adultes
recensés. Mais 7 hommes, soit moins d’un huitième des planteurs (on ne tient pas compte des
villageois de Djacé) exploitent environ 61 yh de la surface cultivée totale, 6 hommes (un peu
plus du dixième des planteurs, et tous membres du premier groupe) environ 55 y0 des cocoteraies
en état d’exploitation.
Nombre Superficie
Taille des cocoteraies
(ares)
N % S %
I. Ces tableaux sont empruntés à l’enqukte agricole sur la culture du cocotier en Basse C6te d’lvoire
réalisée en 1964 par l’Ecole de Statistique d’Abidjan, déjà citée.
178 LE RIVAGE ALLADIAN
Leon Akadié a, par I’intennédiaire de sa femme, vendu en 1965 23 ooo francs d’atyéké.
Sa femme a gardé ce que nécessitait l’entretien du ménage et versé le reste à son mari. La vente
du manioc a rapporté, toujours en 1965, 55 ooo francs et celle du coprah environ 35 ooo francs.
Léon Akadié, qui nourrit son oncle, a reversé une partie de tette somme dans l’a bii wakre.
La situation des émigrés de la tour est aussi un indice de la fortune de celle-ci, car il est
très rare que les Alladian Gexpatriés » ne reviennent pas souvent chez eux, ou ne maintiennent
à tout le moins des contacts avec leur village d’origine. 11sy possèdent souvent des plantations
et fournissent éventuellement des avances en numéraire à leurs parents restés au village.
Deux frères de Léon Akadié sont fonctionnaires à Abidjan. Un fils adoptif est planteur
à Tiassalé.
La tour Kovou-Kacou est la plus peuplée des tours de Jacqueville, mais tette Nabondance »
parait le signe le plus marquant de sa splendeur passée. Aucune maison en dur, pas d’émigré
prestigieux (un fils d’Ichigban est tailleur à Abidjan). Ichigban vit bien ; il exploite pour lui-
meme une cocoteraie, il a permis à des Aizi de cultiver des terres sur sa foret ; en échange ils lui
procurent des poissons de lagune. Un « charlatan », « dioula 11,travaille aussi sur ses terres et veille
à la sécurité de son protecteur. Le fils d’Ichigban, troisième planteur Kacou de vivriers (1644 ha),
verse à son père des prestations importantes. Enfin Ichigban possède une senne de lagune confiée
à une équipe d’Apolloniens et une grande pirogue de lagune. Le partage s’effectue ainsi : deux
parts pour la senne (Ichigban), une par-t pour la pirogue (Ichigban), une part pour le propriétaire
(Ichigban) et une part pour les travailleurs (six hommes).
Les Apolloniens sont de véritables « manceuvres de lagune », de m$me que, sur mer,
certaines équipes de pecheurs ghanéens et togolais.
Au total, pourtant, la tour semble se ressentir de l’absence d’une personnalité marquante
susceptible de lui avancer au besoin de l’argent liquide et d’investir les bénéfices retirés de la
vente du coprah et des vivriers. Quelques EbiGi de la tour versent quelques prestations à Ichigban
(représentant de leur père) et exploitent pour eux-memes de petites plantations.
On peut de la meme facon, chez les Mambé, constater que l’une des tours anciennement
prestigieuses, celle de Beugrétié, actuellement d’Abi Aikpa, ne survit plus qu’à peine. Ses Némigrés »
sont nombreux, mais aucun n’occupe une situation en vue, ni, de toute manière, ne semble
intéressé par l’économie villageoise. Le fils du chef de tour (lui-meme malade et hospitalisé à
Abidjan) cultive le manioc. C’est une vieille femme de l’aci3k3, veuve, qui a actuellement la garde
de la tour.
Il semble qu’en fait une partie de la fortune de Beugrétié soit partie avec ses fils (de
m&ne achkg que lui) dans la région de Daloa où l’aci~k3 centrai de l’Eme Mambé a créé des
Yastes plantations. Les responsables de cet achk3 semblent à l’heure actuelle controler tette
tour presque au meme titre que celle de Lapka Beugré, déjà citee. C’est ainsi que l’héritière en
titre d’Adjé Bonny, Bézakon Badio, dont on a déjà évoqué le raie important, a ramené de Daloa
une jeune fille du fils de Beugrétié, qui a épousé le fils d’Abi Aikpa. Celui-ci a eu de sa femme
un jeune garcon qui, à I>heure actuelle, représente la seule succession possible au trone de la tour.
Autrement dit, on assiste, avec la tour d’Abi Aikpa, au retour d>un aci3k3 dissimilé à son aci3k3
d’origine.
C’est dire qu’à l’inverse la succession d,Adjé Bonny a été conservée et multipliée par sa
descendance, en ligne agnatique aussi bien qu’utérine du fait du jeu des alliances déjà analysé.
En fait la descendance agnatique d’Adjé Bonny controle plus ou moins les deux a&kg puisque,
à Daloa, l’un des fils d’Adjé Bonny, ayant épousé Bézakon Badio, dirige l’exploitation de grandes
plantations, et qu’à Jacqueville le chef de canton Pascal Bonny controle toutes celles de l’achk~
aizi (outre celles qu’il a pu acquérir à titre personnel). Devé M’ba, théorique gardien de la tour
« aizi », ne travaille qu’avec Pascal ; en revanche celui-ci finance les études de ses fils - dont
un étudiant à Bruxelles. Plusieurs jeunes gens de la branche « aizi » mènent ainsi des études très
sérieuses. La famille compte également d’assez nombreux fonctionnaires.
Pascal Bonny possède une senne de mer, dont l’exploitation s’est traduite par un échec,
quatre concessions à Abidjan et trois à Dabou.
180 LE RIVAGE ALLADIAN
Il convient d’ajouter que dans la famille Mambé, de facon générale, la diversite des revenus
et leur nature - traitements et loyers notarnment - para3 avoir favorisé l’individualisation
des fortunes. Les « riches » y sont davantage considérés camme des bailleurs de fonds éventuels
que camme les détenteurs d’un bien véritablement commun. Ce caractère est accentué par la
nature des sources de revenu actuelles, et notamment l’individualisation des métiers des uns et
des autres - les jeunes gens préfèrent partir en ville que travailler camme manceuvres sur des
plantations dont ils n’ont pas l’espoir d’hériter. Mais il n’est ni nouveau ni absolu. Le droit à une
part personnelle était traditionnellement reconnu au chef de l’aci& et à tout « ancien » possesseur
des droits liks à l’age ; inversement on a vu que le notable d’un aci~k3 se soucie de la carrière de
ses « neveux », et l’on sait qu’un bon fils, meme affranchi de toute obligation par son père, lui
doit en principe une part de son traitement. L’ « émigration » n’y change rien, et A. de Surgyl
a pu remarquer la solidité des obligations père-fils parmi les pkheurs de requins de Port-Bou8.
Parmi les « nouveaux riches » de Jacqueville, on compte des fonctionnaires qui reviennent
dans leur village à intervalles reguliers ; plusieurs d’entre eux déclarent posséder quelques conces-
sions louées à Abidjan, et une ou plusieurs plantations à Jacqueville ou sur le littoral - à Vridi
beaucoup de terres « ébrié 1)ont été mises en valeur par des Alladian, certains y séjournant, d’autres
s’y faisant representer ; on trouve des plantations de ce genre jusqu’à Grand-Bassam, à cote de
celles créees par les colonats alladian de l’est d’Abidjan (Azuretti)2. Sur le littoral alladian lui-
meme on assista.2 en 1966-1967 au défrichement de plantations très importantes de la part de
fonctionnaires ou d’hommes politiques ; il est trop tot pour juger de l’ampleur de ces créations,
certainement considérable. Si une partie des plantations que la SODEPALMva créer est redis-
tribuée à des planteurs individuels offrant certaines garanties financières, il parait à peu près
certain que tette redistribution accentuera la division entre « gros » et petits propriétaires, chaque
jour plus sensible.
Ce sont des considérations du meme ordre qui ont conduit les enqu&.eurs de la S.E.D.E.9.
à discerner en 1961 trois « goulets d’étranglement » susceptibles de ralentir le développement
du littoral. De chiffres d’ailleurs contestables en valeur absolue (il semble que les enqu&eurs
aient surestimé la dimension des grandes exploitations agricoles), l’enquete conclut que IO o/.
des propriétaires possèdent plus de 40 y. du sol cultivable, et qu’etant donné la rareté des terres
inexploitées, les efforts des petits exploitants pour améliorer ou développer leurs cultures sont
voués à l’échec. Le deuxième goulet serait financier, car en 1961 c’était les gros propriétaires
qui possédaient les douze pinasses assurant la desserte du littoral (depuis 1961, la mise en circulation
du bac de Dabou a porte atteinte à leur monopole), dix sennes de mer sur quatorze (plusieurs
ne fonctionnent plus à l’heure actuelle ; celles d’Addah et d’Ahua - appartenant l’une au chef
de canton, l’autre au chef du village - sont actives), et la totalité des decortiqueuses de café
(auxquelles les récoltes actuelles ne donnent pas beaucoup de travail) . L’enqu&e conclut justement
que l’épargne brute réalisée par la population de droit (par opposition aux Nétrangers » immigrés
temporaires) étant le fait de gros et moyens propriCtaires, qui ont dejà réalisé sur piace les inves-
tissements essentiels, les capitaux s’évadent du littoral. Wos observations à Jacqueville confirment
que la destination essentielle des revenus des exploitants agricoles est Abidjan, dans une moindre
mesure Dabou (sous forme de « concessions » dont les loyers sont d’ailleurs percus avec quelque
irrégularité). Le troisième goulet d’étranglement, humain, serait dfi au fait que le potentiel de
travail masculin n’est pas pleinement utilisé, alors que le temps de travail féminin dépasse son
potentiel théorique - grate à l’aide de la main-d’oeuvre enfantine. Mais la nature meme des
grandes plantations, qui exigent une main-d’oeuvre salariée, entraine une organisation du travail
et une gestion du temps spéciflques.
I. A. DE SURGY, op. cit.
2. Ainsi à Jacqueville un fonctionnaire à la Mairie d’Abidjan possède une petite plantation d’un hectare
de cocotiers, mais plusieurs autres plantations sur la route Port-Bouet-Bassam. A Jacqueville il a quatre maisons
« en dur », dont une louée. Il possède à Abidjan une concession avec deux maisons « en dur ». L’abbé de la Sous-
Prefetture, enfant du pays (tour de Bogui Andrew, Andongon-Kacou)! y exploite plus de 62 ha de vivriers et de
jeunes cocotiers, et presque 8 ha de cocoteraies déjà rentables ; il emplore six manmuvres.
8, S.E.D.E.S., enquete citée.
L’ORGANISATION DE LA PROD UCTION 181
Un des caractères principaux des grandes plantations réside dans la manière dont elles sont
exploitées ; alors qu’un champ de manioc est gén&a.lement le lieu dune division sexuelle du
travail intérieure à la famille élémentaire, qu’une plantation de cocotiers de dimension modeste
peut &.re sans mal entretenue par un homme et éventuellement son fils ou son neveu, les plan-
tations plus importantes nécessitent l’emploi de manceuvresl que la législation du travail impose
de loger et de nourrir (pour un salaire mensuel d’un peu plus de z 500 francs). L’entretien des
plantations de cocotiers (sauf à leur début, et au moment des récoltes) n’exigeant pas la présence
permanente de ces manoeuvres, on leur fait souvent défricher et entretenir des champs de vivriers
dont le rapport suffit à payer leurs salaires. Le travail sur les plantations de cocotiers apparait
ainsi, dans les termes d’une analyse marxiste élémentaire, camme du pur « surtravail ».
Ce qui frappe en outre dans l’organisation du travail qu’entraine l’entretien de ces plan-
tations, c’est que le propriétaire n’y exerce qu’une fonction de surveillance, à moins qu’absent
il la délègue à un de ses parents.
Dans les deux cas l’organisation de son temps est singulièrement différente de ce qu’elle
était traditionnellement pour l’exploitant d’un champ de vivriers, beaucoup plus proche en
revanche de celle qui correspondait à l’organisation de la peche traditionnelle, à ceci près que
les travailleurs ne sont plus des associés (ebitii) travaillant sur un domaine commun (la mer)
mais des employés au service d’un patron : le produit de leur travail se limite au salaire qu’ils
touchent et ce travail ne constitue pas, camme pour les Alladian pratiquant la peche traditionnelle,
une (( assurance )) (le père sachant reconnaitre les services de son fils et lui procurant une femme
dont les enfants à leur tour fourniront du poisson à leur procréateur et éducateur). Le manceuvre
vit au jour le jour ou, si l’on veut, au mois le mois. Le pecheur alladian vivait à la fois, si l’on
peut dire, dans le court et dans le long terme.
En relation avec les remarques précédentes, on peut noter que le travail de surveillance,
inconcevable dans le système traditionnel de la peche et des cultures vivrières, devient une fonction
essentielle du grand planteur - qui la délègue, s’il ne peut l’exercer lui-meme, et que, sous cet
aspect, la grande plantation a quelque chose de la manufacture analysée par Marx dans le livre 1
du Capital.
Peut-on dire que parallèlement à ces formes nouvelles d’organisation du travail appa-
raissent des formes originales de coopération villageoises ou familiales ? Non, si l’on pense à un
effort systématique et génQa.lisé. Oui, en revanche, si l’on considère un certain nombre de cas
particuliers, réduit mais notable. La coopération peut exister au niveau familial, soit que des
frères ou un père et ses fils associent leurs efforts - non sur un domaine commun, mais en s’aidant
tour à tour sur leurs plantations respectives -, camme dans la cas des parcelles 1~5, 126, 39
(deux frères), 34 et 35 (leur père) du cadastre de Grand-Jacques, ou que, camme on vient de le
dire, un bailleur de fonds (en ville) associe son effort financier aux efforts physiques d’un de ses
parents (au village) ; ce type d’association peut lier, dans le contexte actuel, un homme et une
femme : c’est ainsi que la parcelle 105 du cadastre de Grand- Jacques correspond à une cocoteraie
créée par Djragbou Njava en 1956 à la demande et avec l’argent de sa fìlle, mariée à Abidjan
à un agent de police - sur le cadastre de Grand-Jacques on remarquera que les parcelles gg,
exploitées par Djragbou Njava pour son propre compte, et 105 sont voisines ; la parcelle 140 en
revanche est entretenue par une femme de Grand- Jacques mariée à un « étranger )),pour le compte
de son fils unique, employé aux P.T.T. d’Abidjan, qui leur envoie de l’argent assez régulièrement
à cet effet.
L’association peut reposer uniquement sur des relations d’amitié. Mais ce type d’asso-
ciation n’a pas le caractère systématique qu’il semble présenter chez les Gouro de Cote-dIvoire
étudiés par C. Meillassoux 2. Celui-ci distingue en effet chez les Gouro deux types différents de
cooperation agricole : le bo que seul un ainé riche peut instituer, et le klala, formule plus dynamique,
qui traditionnellement associe entre eux des jeunes gens et qui semble évoluer actuellement vers
I. En 1965 sur 240 « étrangers » recensés à Jacqueville on comptait 72 manceuvres, en majorité voltaiques.
2. c. &fEILLASSOUX, Op. Cit.
IS2 LE RIVAGE ALLADIAN
des formes d’entraide coopérative. Chez les Alladian il existe une formule comparable à celle
du bo, par laquelle des jeunes gens formés en (( classe d’age » (esub&) fournissent pendant un
certain nombre d’années, en certaines occasions, des services à l’ainé qui a institué la classe d’age.
On étudiera de plus près tette formule, toujours attestée, dans le chapitre VIII. On cite
aussi des exemples de jeunes gens se réunissant pour s’entraider et travailler tous ensemble à tour
de role sur le champ de chacun des associ& ; mais l’esub n’est pa.sle cadre obligé de telles actions ;
il a fourni en revanche à l’administration francaise, et fournit à l’administration nationale actuelle,
par l’intermédiaire des chefs de canton et de village, un cadre idéal de recrutement pour les
travaux collectifs d’intéret public. Du point de vue de la coopération agricole on peut citer
à Jacqueville deux groupes de cinq et quatre jeunes gens qui, travaillent chacun de leur coté
généralement, parfois en un seul groupe, pour eux-meme ou pour des individus - apparentés
ou non à certains d’entre eux - qui louent leurs services. Dans le premier groupe on compte
trois protestants et un harriste (deux du treizième esub& et deux du quinzième) ; dans le second
groupe trois harristes, un catholique et un protestant (trois du onzième, un du treizième et un
du quinzième eszcba).Les deux groupes se sont réunis au début de l’année 1966 pour débrousser
une plantation à l’intention de Dagri Eco qui n’était pas satisfait de ses manoeuvres.
Pour l’ensemble néanmoins, il n’existe pas de mouvement coopératif organisé ni pour
I’agriculture ni pour la peche. Les jeunes gens répugnent à s’embrigader dans des associations
préfabriquées où les anciens profitent des bénéfices sans participer au travail : $a été la raison
fondamentale de l’échec de la coopérative de Grand- Jacques. Les associations spontanées fondées
sur l’amitié jouent un role qui pour n’etre pas déterminant, à beaucoup près, dans l’economie
du littoral, pourrait servir d’exemple, dans la mesure où leur dynamisme, qui dément les propos
de certains responsables administratifs sur la « paresse 1)ou 1’ K indolente 11des gens du cordon
littoral, tient sans doute à la conscience qu’ont leurs membres d’une coopération authentique,
aux résultats rapides et vérifiables.
L’étude du terroir révèle un certain nombre de distorsions par rapport aux normes de
l’héritage ou de la dévolution des biens, qui sont moins des phénomènes d’ « évolution » que la
conséquence de contradiction inhérentes au système socia1 lui-meme et aux valeurs opposées
qu’il entend concilier. C’est ainsi qu’il est souvent possible, à la lumière de la (( crise » que traduit
le role important joué par une femme ou par un captif ou descendant rapproché de captive, de
mieux voir les mécanismes de certains conflits d’intéret et le role dynamique joué par l’adhésion
à certaines valeurs.
Nous aurons donc recours à des exemples pris dans les cadastres de Grand-Jacques et
Jacqueville pour illustrer nos analyses de l’heritage en pays alladian et des divers facteurs
susceptibles d’eri nuancer ou d’eri modifier les règles théoriques.
I. Les plantations 18, 21, 22, 24 et 35 (sur le cadastre de Jacqueville) ont été créées et sont entretenues
par ces jeunes gens.
6
ReBigion et magie
1. L’AWA
Avec l’étude de l’organisation juridico-religieuse nous abordons tout à la fois l’examen
des formes les plus atteintes de la société - le littoral alladian est « christianisé » à IOO y0 -,
et de ses dynamismes les plus cachés et les plus agissants. Pour présenter brièvement les conclusions
auxquelles nous avons cru pouvoir parvenir, nous dirons, au prix de quelque simplification,
qu’en ce qui concerne la variable éthico-religieuse, sa forme a changé dans la mesure où sa fonction
s’est spécialisée. Un spécialisation n’est pas une rupture, et c’est sur la continuité fonctionnelle
de la variable magico-religieuse que nous voudrions d’abord mettre l>accent.
I. On trouve une bibliographie détaillée sur le Harrisme dans l’article de B. HOLAS, « Bref apercu sur
les principaux cultes de la Basse-Cote-d’Ivoire », Africa, vol. XXIV, no 1, Londres, 1954.
2. « Introduction à l’étude de la communauté de Bregbo », Joztrnal de la Société des Africanistes, t. XxX111,
fast. 1, Park, 1963.
3. Père MOLLY, « Les Alladian N, in Échos des Missions Africaines, Jackville, Igz.2, cité dans J. ROUCH,
op. cit.
184 LE-$VAGE ALLADIAN
En second lieu, les ethnologues, à la suite des administrateurs, des pr&res et des pasteurs,
soulignent le role révolutionnaire de I’idéologie diffusée par Harris : ce que pr&res et pasteurs
n’avaient pas réussi à ébaucher, Harris l’achevait en quelques mois. En 1913, l’animisme impose
encore sa loi ; en 1916, G. Josephl peut constater que les (( fétiches » n’ont pas réapparu, que me-
dailles et scapulaires ont un peu partout remplacé les gris-gris, que les églises des missions et
les temples des pasteurs sont plus fréquentés qu’autrefois.
Dans les années qui suivirent, catholiques et protestants rivalisèrent en effet pour bénéficier
de l’action de Harrk?.
Bref, administrateurs et ecclésiastiques n’auraient pas tari d’éloges sur Harris, si, du
fait notamment de la division de ces derniers en catholiques (francais) et protestants (souvent
anglais ou africains de la Cote-de-l’or), son mouvement n’avait pas été soupconné de favoriser
l’ingérence étrangère en terre « francaise )I. Mais, de ce point de vue, et malgré l’obligation faite
à Harris de regagner le Liberia dès rgrg, les rapports des administrateurs concerna& les missions
protestantes seront souvent plus virulents qu’ils ne le furent jamais contre Harris.
Seulement, l’accent mis sur le role R introducteur » ou précurseur du harrisme empkhe
peut-&re de montrer assez clairement son role u continuateur » ou conservateur. Le panthéon
alladian était très fourni, du fait notamment de l’intense contarnination culturelle qui caractérise
la Basse-C6t.e dans son ensemble ; tette variété a officieflement disparu et il n’existe plus, en fait,
de culte privé ou public qui soit consacré à l’un des génies dont les noms et les roles sont toutefois
très bien connus des hommes agés à l’heure actuelle d’une cinquantaine d’années. Les cultes
catholique et protestant excluent évidemment toute référence à ce panthéon ; le cérémonial
harriste des deux églises représentées sur le littoral (l’église orthodoxe et celle de Papa Nouveau)
l’exclut tout autant.
Si l’on considère les fonctions du culte traditionnel, on voit qu’il était lié d’une par-t et
assez précisément au système de production - institutionnalisant la succession des saisons et
rythmant l’activité des pecheurs (cf. introduction et chap. II) -, établissant par là meme une
hiérarchie unificatrice des vihages alladian - Grand-Jacques ayant seul I’initiative des fetes
au terme desquelles s’ouvrait la saison de pkhe3, d’autre part à l’organisation sociale traditionnelle,
et ce sous deux aspects : tout d’abord le culte de certaines divinités était un culte de la fécondité ;
le facteur humain était en un sens plus important que le facteur naturel, tout en lui étant très
lié : le pays alladian ne connait pas de sécheresse trop prolongée, et la p&he en pirogue a toujours
été fructueuse ; mais la peche et l’ensemble des activités commerciales des Ahadian demandaient
des bras ; la hantise de la stérilité reste encore très forte sur le littoral. En second lieu, la difficulté
de fair-e coexister harmonieusement dans un meme système socio-familial les deux types de relation,
père-fils et oncle maternel-neveu utérin, tous deux remarquablement accentués, on l’a vu, dans
la société alladian, y a multiplié les causes de tension et de conflit imputables au système lui-
meme ; le « fétiche du chef » à Grand- Jacques, Bedé, offra3 un refuge inviolable à tous les individus
accusés par leur parenté maternelle ou maudits par leur père ; il constituait un « tempérament »
à la rigueur des ordalies et offrait un recours aux awabo4 repentis.
Or tette liaison de l’organisation religieuse et de l’organisation sociale est essentielle, car
les activités des Alladian ont nécessité de langue date une force de travail importante, en l’occur-
rence une main-d’euvre jeune abondante, et l’extension des lignages - parallèlement à l’accrois-
sement des fortunes - multipliait les causes de conflit. Hantise de la stérihté et crainte des
awabo forment ainsi un couple tout à la fois antithétique et complémentaire.
I. G. JOSEPH, administra$eurdes colonies, « Une atteinte à l’animisme chez les populations de la Cote
d’lvoire », Bulletin du Comitd d’Etudes Historiques et Scienti$ques
de l’A.O.F., Paris, 1916.
2. Cf. HOLAS, « Bref apercu sur les principaux cultes de Basse Cote dIvoire », où il évoque notamment
l’histoire du « testament )) de Harris, et le role de l’église méthodiste.
3. Le fait que Grand- Jacques ait été le premier centre de commerce actif avec les Anglais - d’où son
nom de Big- Jack, par opposition à Half- Jack, futur Jacqueville - tendrait à prouver que son role dirigeant
dans les activités « sacrées 1)et « maritimes » avait de réelles implications économiques.
4. Nous emploierons les termes « sorciers » et « contre-sorciers n pour designer les awabo et seksbo alladian.
Nous preciserons le sens de ces termes plus bas.
RELIGION ET MAGIE 185
C’est à Grand-Jacques que Harris eut son Jean-Baptiste, en l’occurrence une femme,
Doubé Nijé, qui annonca de grands changements et la prochaine victoire de Dieu sur les fétiches ;
la mission catholique s’était installée à Jacqueville une dizaine d’années avant tette prophétie.
I. La lutte contre l’action des « sorciers N peut d’ailleurs souvent répondre à la hantise de la stérilité
- puisque la stérilité est souvent attribuée à un « ensorcellement 1).
z. Les cultes consacrés à la fécondité mettent naturellement l’accent sur le r6le du couple camme unité
reproductrice, et par conséquent sur le lien parents-enfants plus que sur la solidarité du lignage (maternel) ;
on a vu que Tévi, fils de Beugré, avait justement rompu tette solidarité père-fils, et que son culte ne pouvait
pas etre célébré par les aciskezi (dont l’origine mythique remonte inversement à une rupture de l’unité père-
mère-fils avec le frère de la mère).
186 LE RIVAGE ALLADIAN
Le culte célébré par Doubé Nijé (aidée de sept jeunes filles vierges) était pour l’essentiel
un culte « anti-sorciers » ; à ~>xo, la dureté, des individus qui utilisaient leur puissance maléfique
et leurs (( fétiches 1)contre leur famille, elle opposait 1>3w3: la paix, l’harmonie. Elle était 3wzzaa
yii : « femme (yii) qui voit (naa) l’harmonie ». Tout individu accusé de sorcellerie était traduit
devant elle ; elle l’obligeait à se confesser devant les membres de sa famille et les notables du
quartier. C’est au tours de la traversée du village - d’est en ouest - que ses jeunes aides lui
amenaient les coupables.
La venue de Harris, dont elle fut par la suite la pretresse et la propagandiste, vérifia aux
yeux des villageois la prophétie de Doubé Nijé.
C’est dans le rapport politique pour l>année 1926 du gouverneur Lapalud qu’on trouve
pour la première fois mention du prophète Aké :
Le prophète Aké mourut en 1932, mais son culte lui survécut ; il semble avoir été essentiel-
lement lui aussi l’animateur d’un culte « anti-sorciers 1)et « anti-fétiches 1).
C’est au tours de la meme année 1932 que l’attention de l’autorité fut attirée par le prophète
Togbah Gra qui, trois ou quatre ans auparavant, avait créé à Sassandra une nouvelle religion.
Voici I’histoire de l’illumination et des débuts de ce nouveau prophète, telle que la retrace un
rapport administratif trimestriel de 1932 :
« ... il y a trois ans, une bonne nuit, Togbah Gra fut réveillé par un corps lumineux qui lui
tint ce langage : ’ Tout va mal dans le pays, on ne respecte plus les vieux, on n’obéit plus
aux chefs, les jeunes gens prennent les femmes des autres et se vautrent dans l’ivrognerie
ou s’abrutissent dans l’adoration des fétiches. Va dire à tes frères d’abandonner ces détes-
tables pratiques.. , ’
L’élu de Dieu obéit et dès son réveil, à I’aube, commenta à haranguer ses voisins,
parents et amis ; ceux-ci prirent mal la chose, le traitèrent de fou, et, camme il persistait,
lui passèrent l’entrave, camme on fait pour les aliénés. Mais Dieu le soutint dans tette
épreuve et lui dit : ‘ Je t’enverrai un signe pour convaincre les mécréants. ’ Effectivement
quelques jours après, tout le monde entendit un grand coup de cloche, et il n’y avait pas
de cloche dans le village ni dans les environs. Néanmoins l’esprit du mal fut encore le plus
fort et Togbah Gra resta enchainé. Ce que voyant le prophète décida de prendre la fuite ;
il y réussit et prit la forCt où il vécut on ne sait trop comment pendant trois ans ; on le vit
quelquefois sur le marche de Sassandra, pouilleux, hirsute, loqueteux, mendiant sa subsis-
tante. Encore une fois Dieu vint au secours de son prophète, et il arriva que Togbah Gra,
vers le début de novembre dernier, rentra dans son village, se rasa, se baigna soigneuse-
ment et revetit des pagnes neufs. Et il reprit sa prédication, et tette fois, la grate ayant
enfin touché le cceur des plus endurcis, on l’écouta et on s’assembla autour de lui pour
prier... »
I. La mission protestante dirigée par Mr. Howet, britannique, dont le m6me rapport déplore les activités
perturbatrices.
RELIGION ET MAGIE 187
contestables de sa nature prophétique ; il a été longtemps méconnu, tenu pour fou -, enfin,
il a triomphé.
Ce parallClisme à son tour est d’autant plus significatif que les cultes de Togbah Gra, plus
connu sous le nom de Bébé Gra, et de Dagri Njava (Papa Nouveau), furent à peu près identiques,
Dagri Njava ayant d’ailleurs très explicitement pris la suite du premier-l, à te1 point qu’après
la seconde guerre mondiale l’administration francaise vit dans Dagri Njava l’initiateur du
mouvement « Bébé » dont l’origine remontait en fait à plus loin, à (( Bébé Gra ». Il y eut des
différences formelles d’un culte à l’autre : les adeptes de Bébé Gra dansaient jusqu’à épuisement
et, d’après les descriptions qui nous ont été faites, entraient parfois en transe ; les cérémonies
célébrées actuellement à Toukouzou sont d’apparente plus sage, mais Dagri Njava lui-meme
lors de ses preches adopte un rythme saccadé, se balance d’un pied sur l’autre, et entre pour de
brefs instants dans une sorte de demi-transe, apparemment très contr6lée. Cet aspect de son
culte suffit néanmoins à le distinguer radicalement d’Atcho. Bébé Gra et Dagri Njava sont toujours
menacés par la folie parce que liés, mariés à Wata, la déesse de la mer, ils sont parfois abandonnés
par elle. Telle est l’explication fournie par les spécialistes du littoral - « contre-sorciers » et
anciens -, que corroborent l’existence d’un meme jour sacré, le vendredi, pour le culte de Wata
et de Beugré et dans le rituel de Bébé Gra et de Papa Nouveau, et une fonction commune à tous -
l’exaltation de la fécondité et du couple.
Peut-etre ce caractère conservateur jusque dans certaines de ses formes du culte de Papa
Nouveau facilita-t-il sa redéfinition vers les années 50 en termes de religion « pour Noirs »,
où pouvaient se cristalliser et prendre forme un certain nombre de revendications politiques.
Un rapport de 1953 note ainsi que le secte « Bébé )) « dirigée par le prophète Dagri Njava 11,est
(( d’inspiration raciale )), et qu’elle (( étend son influente en pays alladian, aizi et brignan ». Mais
la « récupération » de Papa Nouveau - camme d’Atcho - par le gouvernement ivoirien (Papa
Nouveau, qui contribue par sa générosité à la modernisation de sa région, est très explicitement
encouragé par les autorités) n’a apparemment rien enlevé de son dynamisme à son mouvement.
Si les églises harristes ont pu servir de refuge aux opposants « totaux )j2lorsque le R.D.A. a nor-
malisé ses relations avec l’administration politique, elles ne se sont pas confondues avec leur
fonction politique nouvelle, et si leur actuel alignement sur la politique de « construction nationale »
ne freine pas leur expansion, c’est qu’elles expriment aussi, et peut-6tre surtout, des dynamismes
inhérents aux sociétés dont elles sont nées.
Ainsi l’étude de la continuité fonctionnelle de la variable religieuse nous introduit à l’étude
des dynamismes sociaux indépendants des phénomènes de contact et d’acculturation.
I. L’assimilation entre les deux prophètes n’est pourtant pas totale ; il existe à Adjué, en plein pays
alladian, et, nous a-t-on affirmé, chez les Dida, quelques « nostalgiques )j de Bébé Gra qui n’ont pas rallié Papa
Nouveau.
2. Cf. Georges BALANDIER, Sociologie actuelle de l’Afr2que Noi;re, ze éd., P.U.F., 1963, p. 520.
188 LE RIVAGE ALLADIAN
relais, ou le ((tamis )) des influences extérieures, ou ont-elles été, à l’inverse, sinon suscitées, au
moins renforcées par ces dernières ?
C’est un débat - et, sous tette forme, nous semble-t-il, un faux débat - dans lequel nous
ne nous engagerons pas. Il est toutefois certain que la tension et les conflits manifestés à l’occa-
sion des problèmes d’héritage ou de ((sorcellerie 1)sont pour une large part imputables au système
lui-meme - système socio-familial, système des valeurs -, lequel n’est jamais qu’un compromis
théorique - dont les réalisations empiriques sont elles-meme approximatives - entre des exi-
gences peu conciliables et entre des intérets divergents. De ce point de vue, nous abordons,
par l’examen des implications sociales de l’awa et de la mort, l’étude de la dynamique interne
de la société, indépendamment des phénomènes de « changement socia1 » induits de l’extérieur.
La mort apparait tout à la fois camme une remise en cause et une remise en ordre de l’orga-
nisation sociale. Pour l’héritier elle correspond à une promotion économique et sociale, lui donnant
éventuellement accès au trone d’une tour, aux prérogatives d’un « ancien )) à part entière. Pour
d’autres, elle est le moment des espoirs décus, de la renonciation définitive à de vaines ambitions -
l’héritage n’est pas automatique et les notables de l’aci3kg peuvent préférer la compétence à
l’ancienneté, un neveu à un frère par exemple. Cette pertubation de l’équilibre lignager, la
nécessité de recomposer une strutture d’autorité et de prévenir les jalousies et les rancoeurs
individuelles sont renforcées par les révélations g6nantes qu’entraine parfois l’interrogation du
cadavre. Toute mort est suspecte ; quelle provienne d’une faute du mort, de l’action funeste
d’un membre de sa famille, ou des deux, elle est en quelque sorte un démenti sans tesse renouvelé
à l’unité nécessaire de la famille et par-delà à la cohésion de la société villageoise. Mais les céré-
monies qui entourent la mort sont en elles-memes la manifestation de tette unité et de tette
cohésion ; elles permettent meme de resserrer, d’un village à l’autre, les liens entre aci3k3 d’un
meme wze, de meme qu’au niveau du village l’intervention de la catégorie d’age du mort exprime
l’importance des solidarités extra-familiales, proprement sociales et villageoises. Ainsi la mort
nait d’un conflit et provoque le désordre, mais sa célébration ramène et la paix et l’ordre. De
jour en jour, et de tour en tour, elle défait et recompose la texture de la société. Les Parques
alladian sont des Pénélope.
Nous aborderons en premier lieu l’étude de la (( société des arabo », nécessaire à la compré-
hension du langage des diverses cérémonies qui tendent à expliquer et à supprimer les causes
de la mort pour en préserver la société et prévenir la rancoeur éventuelle du mort.
On peut posséder Sawa de trois facons : de naissance, par contamination, par apprentissage
(lequel suppose néanmoins des individus prédisposés) .
La possession de l’awa peut etre innée ; un tout jeune enfant peut tuer son père ; l’awa
n’est pas le privilège de la vieillesse ; à cet égard, on peut considérer qu’il constitue davantage
une menace contre les privilèges de celle-ci qu’une promotion de la jeunesse : le jeune awaolzo
a devant lui bien des épreuves et des malheurs, la solitude et la honte attachées à la fatalité de
sa naissance. Tous les arabo ne sont pas en effet des etres animés par une volonté consciemment
mauvaise ; et ceux qui, prédestinés, à leur insu, ont la soudaine révélation de leur nature étrange
en sont parfois désespérés. Les confessions recueillies à Bregbo par le « prophète » barriste Atcho
montrent en général que ceux-là memes qui avouent leurs (( crimes » diaboliques avec le plus
gr-and luxe de détails se sentent plus responsables que coupables : prédestinés, surpris ou trop
faibles, rarement malfaisants de propos absolument délibéré ; mauvais diables mais avant tout
pauvres diables.
Certains sont arabo avant meme que d’etre nés. Une villageoise d’Adoumanga déclare :
« ... C’est depuis dans le ventre de ma mère que j’ai débuté ce travail (tuer les
hommes avec un fusi1 diabolique et faire fumer leur chair dans un fumoir de m6me nature).
Car au moment où elle a pris ma grossesse, je quitte diaboliquement son ventre pour aller
190 LE RIVAGE ALLADIAN
manger. Quand j’ai fini je reviens me coucher. Ce système a continué jusqu’au jour où
j’ai été accouchée. »
C’est parfois un incident particulier qui révèle à tous (et éventuellement à l’intéressé lui-
meme) la nature ((diabolique » d’un individu. C’est ainsi que durant l’année 1966 une jeune femme
d’Ahua a dtì à une seconde d’inattention une révélation de ce genre. Sa soeur, dactylo à Abidjan,
lui avait confié son bébé, quelle soignait à la satisfaction de tous, jusqu’au jour où se produisit
un déplorable accident : elle avait posé le bébé sur une table, puis était rentrée dans sa chambre.
A la suite d’un brusque mouvement, le bébé tomba de la table et fut tué sur le coup. Le cadavre
du bébé fut interrogé et accusa sa tante d’etre une « sorcière », et de l’avoir livré aux membres
de sa confrérie. Le frère a?né des deux sceurs, inquiet des suites possibles de tette affaire, fit
interrompre l’enquete ; mais la nouvelle se répandit ; la jeune femme, objet d’une crainte et
d’une méfiance généralisées, est allée récemment trouver le sekeom7 de Grand-Jacques (« contre-
sorcier »l) pour qu’il la débarrasse de sa nature fatale. L’histoire reste à suivre... mais elle montre
bien l’une des ambiguités du statut d’awaon6, qui peut &re objet aussi bien de crainte que de pitié.
L>awa peut aussi s’acquérir (on pourrait dire, camme d’une maladie = s’attraper) par
contamination. De personne à personne, l’awa ne se transmet que si l’une des deux (celle qui
n’est pas encore awaono) se met dans son tort vis-à-vis de l’autre, laissant ainsi prise à son action
maléfice (laquelle, on le verra plus bas, ne peut s’exercer normalement qu’à l’intérieur de l’acioko
et de 1’ebi de I’awaon6). C’est meme ce qui commande la tactique employée par les awabo à l’égard
de tout chef de tour récemment promu : ils lui tendent des pièges, l’induisent en tentation, en
sorte qu’emporté par la colère il se laisse aller à quelque geste ou quelque propos objectivement
déplacé ou injuste à l’égard d’un awaon8. Il se trouve intégré du meme coup à la société. Ainsi
la richesse attire I’awa, et à moins de disposer de ((remèdes » puissants, dont l’emploi n’est d’ailleurs
pas sans ambiguité (voir plus bas), un puissant de ce monde n’a de choix qu’entre l’awa et la
mort - ou la ruine. L’awa se transmet également avec la richesse à laquelle il s’est attaché ; la
prudente peut commander de refuser un héritage. De ce point de vue, l’awa est semblable au
maléfice dont il est porteur : car l’homme qui hérite d’une vittime des awabo hérite aussi de
son triste sort et le suit souvent de près dans la tombe. Il arrive également que l’awa transmis
par l’héritage change de signe, en quelque sorte, en changeant de propriétaire, et que de force
attive il devienne mauvais sort ; ce changement peut &re l’ceuvre d’une vittime de l’awaolzo
disparu, car les morts peuvent avoir plus de pouvoir que les awabo.
Plus généralement, l’héritage de l’awa porte malheur à l’héritier parce que celui-ci refuse
de l’accepter et de l’assumer - auquel cas la société des awabo le punit, en lui &ant la vie -, ou
parce qu’incapable de trouver une vittime dans sa famille pour apporter sa quote-par? aux
banquets de tette société, il s’offre lui-meme, par morceaux (perdant alors l’usage d’une jambe,
d’un bras, etc.) ou d’un coup (auquel cas il meurt brusquement).
C’est ainsi que récemment ont été expliqués deux décès successifs dans une mkme tour
à Grand-Jacques. Une vieille femme A., avait hérité à la mort de sa sceur des trois filles d’une
captive de celle-ci, précédemment décédée de meme que son mari. La première de ses filles, B.,
était la préférée de A. qui, « sorcière N (awayii), la conduisit de bonne heure dans les réunions
de sa société pour faire son éducation. A. mourut et nomma pour héritière B., ce qui surprit le
village, vu que A. avait une fille et que B. ne faisait pas partie de sa lignée dirette (a&ko PY~o)~ ;
cet héritage fut m&me une espèce de révélation et éveilla des inquiétudes ; quelques années plus
tard, à la mort de B., O., sa sceur, prit à son tour le fatal héritage. Avant de mourir B. avait
enveloppé dans un mouchoir une perle d’ekedi, quelques rognures d’ongle et un morceau d’or ; le
chef d’acigkg fit ouvrir ce petit paquet à 0. et nul ne douta de la suite. 0. était devenue awayii.
Un peu plus tard, on remarqua qu’elle maigrissait. Les awabo de la société de A. étaient en effet
venus la trouver et l’avaient sommée de prendre la succession de sa sceur et de sa tante - qui
I. Wous essaierons un peu plus bas de rendre compte des termes « sorciers » et « contre-sorciers » employés
ici en première approximation.
2. On verra plus bas (cf. chap. VII) les modalitk de l’héritage entre femmes et entre captifs.
RELIGION ET MAGIE 191
était leur présidente. Voulait-elle, pour inaugurer son entrée dans la confrérie, offrir une vittime
de sa famille à l’occasion du prochain banquet ? Sa sceur et sa tante avaient en outre une dette
à leur égard - quelques victimes de retard. Les awabo la menacèrent, si elle refusait, de s’attaquer
à elle et de lui enlever ses enfants. 0. refusa pourtant.
Un peu plus tard, les awabo lui réclamèrent son fìls, parti en Frante suivre un stage. Du
coup O., affolée, révéla son secret à sa famille, qui l’envoya se confesser à Atcho. Mais tette
confession fut vaine, et la puissance d’Atcho sans effet, car la dette était réelle ; 0. se livra elle-
meme à ses associés ; elle est morte au début de l’année 1966.
Le thème de la dette à l’égard des awabo, qui légitime d’une certaine facon les exigences
de ceux-ci, montre assez que l’individu qui possède l’awa de naissance ou I’acquiert par l’héritage
n’a le choix qu’entre deux culpabilités : l’une à l’égard de la société des awabo, I’autre à l’égard
de la société villageoise. C’est par là d’ailleurs que les deux premiers modes d’acquisition de l’awa
se ressemblent : celui qui est assez « fort », assez « dur » pour accepter la révélation de sa nouvelle
nature et ne pas parler, ne pas trahir une société au bénéfice de l’autre, celui-là seul est un véri-
table awaon6; I’héritage constitue ainsi une mise à l’épreuve par les awabo des postulants
inconscients à leur confrérie. Le faible refusera ou ne trouvera pas de vittime, et mourra. On
verra un peu plus loin que les qualités exigées par les awabo de l’awaoG idéal sont celles-là memes
que les villageois reconnaissent, meme s’ils en souffrent, chez un chef de village digne de ce titre.
L’héritier d’une fortune suspecte peut toujours la refuser ou chercher l’appui d’un sekeolz6 :
la surprise joue davantage lorsque la contamination se fait par le biais de la nourriture ; quel-
qu’un croit manger de I’atyéké ou du poisson - et ce qu’il mange en a effectivement l’apparente -
mais c’était de la chair humaine ; le voilà promu awaono à son insu. Mais l’absorption de la chair
humaine peut aussi entrainer la maladie et la mort. Là encore le choix théorique n’est jamais
que le révélateur d’une nature.
L’awa enfin peut s’acquérir par enseignement. Mais les awabo entreprennent l’éducation
d’enfants « doués » ; de facon générale, les enfants en bas age sont considérés camme des (( eembo »,
qui possèdent « l’esprit » (eE), c’est-à-dire tout à la fois la clairvoyance et la puissancel. On verra
que le recrutement des seksbo s’effectue lui aussi parmi les jeunes enfants : l>eeest indifféremment
au départ la « matière première » des « sorciers » ou celle des « contre-sorciers ».
« L’école des awabo » comparte trois sections principales : celle où l’on apprend aux enfants
à détruire les vivriers, qui forme les ow kwa di 60, « gens qui mangent (di) les semences (kwa)
de la foret (0~) » ; certains membres de tette section se consacrent plus spécialement à la des-
truction des pièges des chasseurs ; la seconde section forme les destructeurs d’engins de peche
(aussi bien en mer qu’en lagune) ou « nfi » (eau) em (dans) cokombo (chasseurs) » ; la dernière
section rassemble I’élite des awabo, les e& bEgbZ bo, les gens de l’esprit « mauvais », qui seront
mangeurs de chair et buveurs de sang. Ces trois sections sont indépendantes les unes des autres,
en ce sens que les awabo « de la foret 1)et ceux ((de l’eau » ne peuvent pas appartenir à la catégorie
des mangeurs de chair ; ceux-ci, en revanche, peuvent s’associer aux premiers pour les aider
dans leur ceuvre destructrice. Naturellement, dans tous les cas, ce sont les « doubles » des enfants
qui vont la nuit avec leurs instructeurs en mer, en foret ou au festin (( diabolique » des mangeurs
de chair. Lèur apparente corporelle reste dans la case où tis sont censés dormir.
L’esprit de Dieu, dont sont porteurs les guerriers de Dieu, Owo gwolie bo (gwolie : guerre)
peut s’attaquer aux enfants les plus faibles et faire apparaitre leur mauvaise nature ; l’éducateur
n’est que le révélateur de la force d’un individu ; hérité, ((attrapé » ou acquis, l’awa reste essentiel-
lement pour celui dans lequel il s’incarne un (( don » et le signe d>un destin.
I. L’ Nesprit » désigné par le terme ee est aussi bien celui de Dieu que celui des « sorciers ». On entendra
dire aussi bien : Owo es va doubo me (l’esprit de Dieu - Owo - est parmi nous), que e.s bdgbd n’dekezi megwé:
je suis harcelé par l’esprit mauvais (bdgbd).
192 LE RIVAGE ALLADIAN
L’organisation.
La société des awabo est dans une certame mesure le calque de la société humaine : chaque
société correspond à un village et comprend en principe au moins un membre par achk3. Il peut
exister plusieurs sociétés par village en certains cas ; il semble ainsi qu’à Jacqueville, d’après
des confessions d’awabo recueillies à Bregbo, la division des awabo reproduise la très nette coupure
du village en deux moitiés. Des alliances unissent ces différentes sociétés et donnent ainsi à leurs
membres un rayon d’action beaucoup plus étendu ; les informateurs parlent meme d’associations
« internationales », et révèlent ainsi, sous un jour imprévu, une conscience nette de la diversite
ét de l’unité africaines.
Le noyau élémentaire de l’organisation des awabo reste avant tout la société villageoise.
Il existe une topographie villageoise propre aux awabo : on sait qu’à l’emplacement de te1 arbre,
ou au bord de te1 marigot, se trouvent leurs captifs ; on sait qu’en haut de te1 arbre - en général
un gr-and fromager - est camouflée la marmite (ebsgwe) dans laquelle ils font cuire leurs victimes.
L’organisation de la société des awabo se modèle d’ailleurs assez exactement sur l’organisation
villageoise, puisqu’elle compte au moins un représentant de chaque tour - souvent le chef de
tette tour et, presque toujours, la plus vieille femme de l’a&R~. On peut remarquer ici un trait
assez partictilier de la société des awabo et une correspondance assez remarquable entre elle et
la société villageoise. Les femmes sont plus puissantes que les hommes chez les awabo; tette
différence a meme été quantifiée ; un awaon6 compte de trois à cinq « puissances )), une awayii
sept (Cpuissances ». Mais tette prépondérance des femmes est reconnue dans la vie sociale courante,
encore quelle soit alors précisément justifiée par leurs qualités secrètes et la possession de l’awa ;
la plus vieille femme de la tour est nécessairement awayii ou sekcyii - et peut-etre les deux. A
tout chef de trone un proverbe alladian répète : « Yevralo kekrod baba yeire » : (6Quand le moment
sera arrivé (kekrom7) interroge (yeire) baba (la vieille < gr-and-mère ‘). »
Ainsi l’organisation de chaque tour se répercute dans la composition de chaque société
d’awabo et chaque société d’awabo reproduit à une autre échelle le schéma d’une tour : elle a son
chef, lequel tire sa puissance de la plus vieille détentrice de l’awa, gardienne de la marmite, appelée
ebqwe nomwè, (Cmère de la marmite ». Le chef des awabo d’un village s’appelle awabo nekiii,
nekiii se traduisant indifféremment et significativement par riche, fort ou chef. A la mort de
chaque awabo nekiii, les awabo du village nomment un successeur : souvent d’ailleurs l’héritier
du premier dans la société villageoise à condition qu’il se montre assez CC dur » - dans l’hypothèse
inverse, on a vu qu’il mourait. Il semble enfin que la traditionnelle hiérarchie entre villages soit
respectée par les awabo et que l’awabo nekiii de Grand- Jacques ait le pouvoir de lancer des convo-
cations générales pour l’ensemble des sociétés d’awabo du cordon littoral.
Des banquets assez réguliers réunissent les mangeurs de chair d’une société donnée.
L>skoo1zO(héraut, crieur public) des awabo (dont la fonction parmi les awabo est identique à celle
de l’3koo1zO du village, qui crie les instructions du chef et à celle de chaque gkoon6 de catégorie
d’age, qui convoque les gens d’une meme catégorie) convoque les awabo dans un lieu et à une
heure fixés : il pousse un cri semblable à un cri d’oiseau, mais que les initiés reconnaissent. La
réunion a lieu la nuit : les awabo s’y rendent en volant, ou par d’autres moyens, « en doubles »
naturellement. Pendant qu’ils festoient, ils demandent au sociétaire dont le tour est venu quel
jour il les accueillera et quelle vittime il leur propose. L’intéressé répond, et les autres awabo
acceptent ou refusent la vittime proposée. §‘ils la refusent, une autre vittime devra nécessai-
rement étre proposée.
d’un m6me .sme,ou entre a&kg alliés par un ou des mariages, permettent d’élargir le domaine
d’intervention dirette d’un awaon6 (car, pour le reste, il peut toujours avoir recours aux services
d’un co-sociétaire) à l’ensemble de ses maternels et à sa parenté en ligne masculine : pour un
fils ou une fille à leur père, pour un père à ses enfants.
On retrouve donc dans le domaine de l’awa une réplique de l’organisation socio-économique
caractérisée par l’importance camme groupe organique du matrilignage mais aussi par un lien
de dépendance très étroit entre père et fils.
Les awabo à part entière nuisent de plusieurs facons à leur prochain. Nous avons recensé
sur près de deux cents confessions recueillies à Bregbo les CC dégats et méfaits »l les plus fréquents.
Touscorrespondent assez évidemment à des faits réels : événements parfois, hantises et obsessions
souvent. Il ne nous appartient pas d.’ CC expliquer » ces confessions, ni de faire le départ, pour les
plus riches d’entre elles, entre les facteurs individuels et les facteurs sociaux qui ont pu contribuer
à leur élaboration. Nous nous contenterons, après en avoir énumkré les principaux thèmes, de
montrer en quoi et comment elles sont liées à des problèmes d’ordre sociologique -. ne serait-ce
que du fait de la très remarquable concordante entre les confessions individuelles et la chronique
villageoise à propos des memes événements.
Les actions les plus ordinaires visent les récoltes et la peche : il est courant pour les awabo
de se changer en divers animaux (taupes, chimpanzés, moutons, gorilles, gazelles, lions, panthères
ou caimans) pour détruire les plantations vivrières, manger manioc et bananes, ou de se changer
en requin pour manger les poissons des autres pkheurs. L’action des mangeurs de chair correspond
à des hantises fondamentales : la maladie, la mort et la stérilité. Les awabo commencent par
CC attacher » leur vittime ; à ce moment elle est CC prise » et, aux yeux des non-awabo, parait affaiblie,
fatiguée. L’awaon6 a pu commencer à boire et à offrir son sang ou lui donner des (Cmaladies diabo-
liques » (lèpre, hémorroides), vendre un de ses yeux ou sa jambe, finalement la livrer tout entière
et la faire mourir. Un awaon6 sans vittime peut opérer ces méfaits sur sa propre personne et se
rendre ainsi aveugle ou boiteux pour satisfaire aux besoins de ses associés. Une action des plus
courantes consiste à « vendre le ventre » d’une femme, méfait fréquemment commis par une mère
à l’encontre de sa fille, le cas inverse se rencontrant souvent aussi. La femme est souvent amenée
à vendre son propre ventre à ses associés ; ainsi elle peut tout à la fois se sentir responsable de
sa stérilité et expliquer celle-ci par l’action des autres. La stérilité est très souvent aussi le fait
de l’homosexualité féminine, sans qu’il soit possible de préciser dans quelle mesure des pratiques
réelles sont à l’origine de tette technique « diabolique » : il n’est pratiquement pas une confession
de femme alladian où la coupable ne s’accuse, dans les termes les plus expressifs, d’avoir avec
son membre diabolique abusé de différentes femmes pour les rendre stériles.
Il est deux méthodes pour faire le malheur d’un homme : le ruiner ou l’abrutir. Pour le
ruiner, l’awaonizo lui perce la main ; l’argent qui y tombera en disparaitra aussitat. Pour l’abrutir
il suffit naturellement de vendre son intelligente ; sans doute s’agit-il là d’un type de méfait assez
moderne : il est souvent le fait de jeunes élèves qui s’accusent très explicitement d’avoir vendu
l’intelligente d’un camarade, ou d’avoir vendu leur propre intelligente. Ainsi s’expliquent les
I. La présentation que fait le secrétariat du prophète Albert Atcho des confessions recueillies contribue
à leur donner un caractère stéréotypé. Certaines confessions sont assez anodines et porte& de toute évidence
sur des fautes réellement. commises (vol, adultère, etc.) : elles n’o& droit qu’au titre de « confession ordinaire ».
La quasi-totalité des confessions alladian que nous avons collectées sont des confessions « diaboliques » précédées
d’un avertissement explicite : « Que le public sache que ce passage n’est pas courant ; c’est exclusivement une
affaire diabolique. » La confession comprend trois parties : l’aveu de « diablerie » et la liste des personnes « tuées )),
la liste des associés et de leurs victimes, la liste des « dégats et méfaits » commis par l’intéressé. C’est évidemment
tette troisième partie qui comparte les descriptions les plus intéressantes : elles expriment des hantises qui sont
très évidemment le fait de la majeure partie de la population du cordon littoral. Le domaine de la « sorcellerie »
et de l’action d’Atcho déborde naturellement de beaucoup le cadre de la soci& alladian. Mais la diversité, la
coloration personnelle et la précision des confessions d’Alladian les distingue assez radicalement, nous a-t-il
semblé, des confessions d’autres ethnies. De facon générale, d’ailleurs, la v sorcellerie » chez les Alladian compose
un système que rendent assez remarquable et origina1 à la fois sa correspondance avec leur organisation sociale
et son imprégnation par les religions traditionnelles, par le christianisme et par les égkes harristes ; nous avons
noté plus haut qu’au moins dans la société alladian ces dernières sont davantage un signe de continuité que de
bouleversement idéologique.
=94 LE RIVAGE ALLADIAN
difficultés à suivre la classe ou l’abandon des études dont tous les élèves - outre certains de
leurs ainés jaloux - sentent la nécessité.
Un dernier méfait résume un peu tous les autres et complète ce tableau d’autant plus
sombre qu’il semble le fidèle reflet des relations interpersonnelles dans les familles et le village : la
0 vente du bonheur » ; très fréquemment les Alladian s’accusent d’avoir vendu le bonheur d’autrni
ou, camme pour le ventre ou l’intelligente, leur propre bonheur.
Pour ce qui est des moyens d’action des awabo, ils sont pratiquement illimités, et toujours
de nature (( spirituelle 1); à l’inverse de certains u charlatans 1)ou N marabouts 1)’pour reprendre
les termes utilisés localement ; ils n’utilisent aucun « médicament )) : il.9 agissent, ils tuent « en
esprit » : « witches )) mais non (( sorcerers ». L’espace n’a pas d’existence pour eux, et leur don
d’ubiquité leur permet de se trouver bien loin de l’apparente de leur corps ; à une accusation de
« sorcellerie x on ne peut opposer aucun alibi. 11sse déplacent en rapprochant diaboliquement les
villages les plus éloignés les uns des autres, à moins qu’ils n’utilisent des taxis ou des avions
diaboliques. Si leurs moyens sont innombrables, leur puissance connait des limites : ils échouent
parfois à N attacher » te1 ou te1 individu, soit que la vittime choisie se révèle plus résistante que
prévu - ainsi un chef de tour participe de la puissance des morts qui ont dirigé la tour avant
lui, soit quelle bénéficie d’une aide extérieure, de l’intervention d’un autre « diable », d’un « contre-
sorcier » ou des « gardes de Dieu ». On ne peut avoir une juste idée de l’action des awabo que
si l’on tient compte des obstacles qui s’y opposent, des adversaires qui peuvent en prévenir, en
atténuer ou en supprimer les effets.
considéré, leur dégonfle le ventre, leur faisant évacuer de grandes quantités d’eau, preuve de
leurs activités cachees. Le sekeon6 fera livrer par l’enfant le nom de son instructeur. Parallèlement,
les sekebo spécialisés dans la lutte contre les destructeurs des récoltes, font prendre des vomitifs
aux enfants malades ; ceux-ci rendent des feuilles de manioc, des morceaux de banane, etc., non
digérés, qui les dénoncent à tous.
Ces deux catégories de seksbo sont alliées à deux génies traditionnels, hostiles aux awabo
et bien plus puissants qu’eux, mais dont l’aide ne va pas sans conditions. Tout sekeon6 opérant
dans la mer est marié à Fata, génie de la mer, qui faisait traditionnellement l’objet d’un culte
ritualisé : Wata est une femme ; elle apparait à ses adorateurs, ses « époux )), tous les vendredis.
Un époux de Wata ne doit pas approcher sa femme (( terrestre » le vendredi ; il doit avoir deux
lits dans sa chambre. Wata condamne l’adultère et donne la fécondité.
Le prophète Papa Nouveau, bien connu des habitants du littora.F et considéré officiellement
camme le chef d’une église barriste ((hétérodoxe », est en fait, selon plusieurs informateurs, l’époux
de Wata dont il tire sa puissance exceptionnelle.
Les seksbo opérant dans la foret sont, eux, en relation avec les (( nains » de la foret ou
sr~Zm&gbt?.Sr&miZgbZcamme Wata est à la fois un et multiple : on peut en parler au singulier camme
d’une personne, mais ils sont aussi bien un peuple, une multitude organisée dont les descriptions
varient quelque peu avec l’imagination de ceux qui les ont approchés. Il arrive assez souvent,
clit-on, qu’un chasseur ou un cultivateur rencontre dans la foret un homme qui n’a pas l’apparente
d’un nain, Zgbt? adii, serviteur de SrZmZgbe”; lgbe” a%i demande alors un peu de tabac ou quelque
petit service ; celui qui, par ignorante de son identité véritable, refuse, est tourmenté par les
nains qui peuvent le perdre pendant plusieurs jours dans la foret tout en le rendant invisible
aux autres humains. Les chasseurs leur faisaient traditionnellement des offrandes - poudre à priser
et noix de kola préalablement machées - avant de s’aventurer en foret. Ils se manifestent toujours
si l’on en croit un habitant de Grand-Jacques revenu récemment dans son village après un voyage
involontaire de trois jours chez les nains. L’allusion à des nains vivant dans la foret n’est pas
propre aux Alladian ; on la retrouve chez tous leurs voisins ; on sait, par ailleurs, que Baumann
et Westermann, se fondant sur la petite taille de certains représentants du groupe lagunaire du
cercle de l’Atlantique Est, ont conclu à l’existence ancienne d’éléments pygmoides dans la foret
de CGte-dIvoire. Mais l’originalité des Alladian sur ce point tient tout d’abord au fa.3 qu’ils ne
les présentent pas camme les premiers habitants du pays - hostiles à toute idee d’une présence
antérieure à la leur dans leur pays -, ensuite à leur intégration au système de la sorcellerie et de
la contre-sorcellerie.
En effet les .srCmZgbE méprisent les awabo; ils s’en prennent plus particulièrement aux
destructeurs de pièges - peut-etre par rivalité professionnelle, puisque eux-memes portent
malheur aux chasseurs qui ne leur ont pas fait des offrandes convenables. Les parents des enfants
destructeurs de pièges reconnus par les sekobo vont déposer des offrandes à srZrnagb& au nord
du village. Les srZm&gbe”sont naturellement plus « forts » que les awabo et ils communiquent
de leur force aux seksbo.
La lutte de loin la plus sévère vise les awabo mangeurs de chair et buveurs de sang. Il n’y
a pas à proprement parler de seksbo spécialisés dans tette lutte. Simplement, certains individus
se trouvent affiliés dès leur naissance à une société encore plus puissante que celle des awabo : la
société des morts ; ils s’appellent ayebo (eye, aye au pluriel, désignant indifféremment le cadavre
et le mort). Les ayebo possèdent chacun douze puissances, camme Atcho, le « prophète » guérisseur
de Bregbo, qui est pourtant le plus puissant d’entre eux. On reconnait qu’un enfant fait partie
de la société des morts à certains signes particuliers : il est instable, nerveux, toujours agite ; il
fait des fugues. Le seksono qui remarque ces signes les interprète sans hesitation et demande
à l’enfant de rejoindre et d’aider les seksbo. Il le prévient du sort qui l’attend s’il refuse : les morts
qui l’ont en quelque sorte preté aux vivants le reprendront brusquement ; il mourra jeune et
soudainement. Quand il a accepté, on réunit tout l’achkg ainsi que sa parenté paternelle pour
celébrer dans la joie sa promotion. D’après l’ayeon5 de Grand- Jacques les ayebo sont extr$mement
rares ; seuls les Alladian, les Ébrié et les Attié en posséderaient un certain nombre (dix pour les
Alladian) ; les fizi et les Avikam n’eri posséderaient chacun qu’un. Leur domaine semble ainsi
correspondre à celui où l’action d’Atcho rencontre le plus d’audiencel.
C’est également la puissance des morts qui fait la force des chefs de tour - mais dans
une proportion bien moindre que pour les ayebo. A chaque « intronisation » tous les chefs de tour
du village sont là et viennent poser leur main sur la t&e de celui qui vient de s’asseoir sur le trone ;
il y a solidarité entre les chefs de tour - manifestée également, on l’a vu sur sur le cadastre de
Jacqueville, par des échanges de terres - ; elle tient au lien particulier qui les relie chacun pour
leur part aux morts de leur achk3 dont la puissance rituelle est contenue dans le trone lui-meme.
On voit encore ici appartitre l’ambigtité de la notion d’awa car si celui-ci est employé - par
le chef de trone et par la plus vieille femme de I’aci& - à u fortifier » la tour et l’a& wakre,
les morts n’y trouveront rien à redire. Les morts camme les vivants sont engagés dans des querelles
particulières et personnelles ; il faut la puissance des morts pour lutter contre l’awa; mais les
morts ne sont pas nécessairement hostiles aux awabo ; tout est affaire de circonstances.
La puissance des morts est d’ailleurs elle-m&me dangereuse et peut se retourner contre
ceux qui la provoquent abusivement ou maladroitement. Nous avons ainsi assisté à la fin de
l’année 1966 à des funérailles qui ont eu dans les premiers mois de 1967 un certain retentissement,
l’héritier du mort étant lui-meme décédé deux mois plus tard. Voici quelle fut I’explication de
tette mort subite : B.E., héritier malheureux, appartenait (indirectement) à un achk3 d’origine attié
associé à 1’EmeMambé ; les liens avec les parents d’dnyama s’étaient complètement relachés ;
à la mort de sa parente A.A., B.E., malgré l’opposition de A.E., chef de trone, voulut qu’on
célébrat ses funérailles également à Anyama. B.E. qui occupait à Abidjan des fonctions adrninis-
tratives importantes imposa sa volonté à A.E., ce qui était une faute, et fit célébrer à Anyama
de somptueuses funérailles. Mais à la mort de A.E., qui le designa pour héritier de sa fortune et
de sa charge, il commit une seconde faute, en omettant de faire célébrer ses fun&ailles à Anyama
dans la famille dont il avait u réveillé )) les morts en y célébrant les funérailles de A. Le « clair-
voyant » consulté à la mort de B.E. I’attribua immédiatement à une vengeance des morts de la
famille d’Anyama.
Pour lutter contre les awabo, les ayebo se rendent invisibles, les espionnent, et, rensei-
gnements pris, viennent délivrer les individus attachés et emprisonnés par les awabo. Dans tette
lutte, les femmes sekobo camme leurs homologues awabo sont plus efficaces que les hommes. Pour
illustrer tette technique d’intervention nous reproduisons le récit que nous a fait le sekeon6 de
Grand-Jacques de I’action qu’il avait entreprise trois ans auparavant pour délivrer sa saur
emprisonnée par les awabo.
Joseph A.B., le sekson6 en question, avait une sceur dont l’état de santé donna3 de graves
inquiétudes. Joseph diagnostiqua un enlèvement par les awabo. L’ (( ame » de sa sceur, son double
mais aussi son énergie vitale - car Seul restait au village un corps affaibli -, avait disparu.
Il se mit en quete. Pour trouver I’endroit où les awabo cachent leurs victimes, les sekebo ont une
technique : ils pilent et imbibent d’eau l’écorce d’un arbre - dont Joseph ne nous a pas révélé
le nom - : avec le produit obtenu (qui, répandu sur la porte d’une case, peut empecher les awabu
de s’introduire dans celle-ci), le seREon se frotte tout le corps ; il se concentre et pense soudain
à un endroit ; il va voir - en double -, mais tombe rarement juste du premier coup ; la seconde
ou la troisième intuition est généralement la bonne. C’est ainsi que Joseph découvrit dans une
clairière de la foret tout un groupe d’habitants de Grand-Jacques « attachés )) par les awabo qui
vaquaient à leurs occupations dans un village invisible aux non-possesseurs de l’awa ; parmi
eux se trouvait la sceur de Joseph, qui refusa de le suivre en lui disant que l’homme qui l’avait
emmenée ne la laisserait pas partir ; elle lui montra la maison de cet homme ; Joseph alla le trouver
et lui réclama en vain sa sceur ; c’est alors que la femme de Joseph - elle-meme sekeyii - vint
à son aide : elle fit fumer une pipe à la sceur de son époux, et la fumée ainsi produite leur permit
I. Les Harristes a?zi et avikam sont en majorité des fidèles de Papa Nouveau.
RELIGION ET MAGIE =97
à tous de s’enfuir ; la fumée de la pipe constitue un véritable brouillard aux yeux des awabo.
Les seksbo ont d’ailleurs le pouvoir de se rendre invisibles aux awabo en se changeant à leur insu
en objets tels que pierre, branche, coquillage, etc.
A son retour, au petit matin (les seksbo opèrent de nuit), Joseph alla réveiller sa s(~ur
et son beau-frère pour annoncer à celui-ci qu’il lui avait « ramené » celle-là. Il leur prépara
une décoction d’écorce d’arbre dont il leur instilla quelques gouttes dans les yeux afin qu’ils
puissent, camme lui, reconnaitre I’awaon6 qui menacait sa sceur, la première personne qui frap-
pera3 à leur case le matin suivant. Le coupable fut effectivement ainsi dénoncé - il s’agissait
d’un ancien captif de l’arrière-grand-mère maternelle de Joseph. La société villageoise réprouve
naturellement cet individu dont les mauvaises récoltes et l’amaigrissement montrent assez que,
sa puissance mise en échec et perdue, il est contraint de livrer sa propre personne à ses
co-sociétaires.
Toutes les actions des sekabo ne sont pas ainsi couronnées de succès et Joseph nous a cit6
une quinzaine d’habitants de Grand-Jacques attachés par les awabo et dont l’état de faiblesse
est trop avancé pour qu’on puisse leur venir en aide. Faute de pouvoir toujours guérir, les ayebo
s’efforcent parfois de prévenir ; beaucoup de jeunes enfants portent attachée à leur ceinture
une petite bouteille contenant 1’ « eau d’Atcho » qui les préserve d’un enrolement forcé dans les
rangs des awabo.
L’épreuve la plus difficile à supporter pour un awaono reste néanmoins celle de l’inter-
rogation du cadavre de l’individu qu’il a fait mourir (sur les détails de tette interrogation,
cf. chap. VII). La personne accuséepar le cadavre était traditionnehement soumise à l’ordalie, à moins
d’avouer - ce qui n’était jamais le cas. Le présumé coupable était placé devant un gr-and feu
avec trois calebasses d’une décoction d’écorce mortelle ; on le forcait à boire : innocent, il
vomissait ; coupable, il tombait sans connaissance. On lui attachait alors une corde autour du cou ;
on le tirait d’un bout du village à l’autre ; on abandonnait là son cadavre ; s’il respirait encore,
on le jetait à la mer.
Il n’y a plus jamais, à notre connaissance, d’ordalie sur le cordon littoral. En revanche,
les interrogations de cadavres et les accusations de sorcellerie sont très nombreuses ; l’awaon6
dénoncé par le cadavre est envoyé chez Atcho ; s’il refuse ou s’il fait une confession incomplète,
il mourra sans qu’on l’y aide, à moins d’etre très puissant. Un notable alladian a ainsi subi
I’accusation de trois morts et ne s’en porte pas plus mal, au contraire ; ces accusations n’ont
évidemment pas contribué à le rendre populaire (plus exactement, elles étaient une expression
de son impopularité) mais elles ont certainement renforcé son prestige et la crainte qu’il inspire.
6. QUELQUES DOCUMENTS
Avant de nous interroger sur la signification sociologique d’une croyance aussi structurée,
répandue et obsédante à l’awa et à un monde dont le manichéisme ne s’efface qu’au profit de
l’ambiguité, nous voudrions citer quelques confessions recueillies à Bregbo grate à l’obligeance
de M. le prophète Atcho, et susceptibles, nous semble-t-il, de mettre en valeur le caractère parti-
culièrement élaboré des confessions d’Alladian. Ces confessions en effet sont souvent marquées
par la psychologie personnelle de l’intéressé et par la richesse de son imaginationl - malgré un
procédé d’enregistrement, de traduction et de reproduction propre à les « banaliser » -, mais
I. On appréciera,par exemple, indépendamment de ses implications psychanalytiques qui ne sont pss
de notre compétence, l’étonnante plasticité d’un récit quasi surrealiste, dont l’auteur - une jeune villageoise
d’Addah - semble se mouvoir dans un monde à l’échelle incessamment changeante : « . .. Presque tous les jours
je suis poursuivie par les hommes en reve. Ces hommes portent des habits rouges, des bonnets rouges et des
barres de fer à la main. Dès que je les vois venir je me cache le plus souvent dans les coquilles vides des escargots.
Des fois, si je me trouve près d’un arbre, je le grimpe pour me cacher. 11s n’ont jamais repéré ma cachette, ils
ont toujours dépassé le lieu en courant sans qu’ils me voient.
Par moments, c’est au tours de distractions avec mes camarades que ces individus arrivent et nous
poursuivent. Aussitot qu’ils apparaissent, nous nous mettons à courir jusqu’à ce que je me cache soit dans une
coquille, soit sur un arbre et toutes les fois ils me dépassent. Jamais ils n’ont pu me saisir. Ces faits continuent
presque toujours en reve. Parfois je les vois se transformer en bmufs avec des grandes comes. N
198 LE RIVAGE ALLADIAN
en outre elles intègrent parfois les hantises individuelles à une vision qui, dépassant l’entourage
immédiat de la société familiale et villageoise, s’éblouit ou s’aveugle aux reflets divers et
déroutants d’une lointaine modernité.
La première est celle d’une villageoise d’Avagou, de religion harriste, qui s’accuse d’avoir
tué 35 personnes (dont sa grand-mère) et d’avoir 14 associés en ayant eux-memes tué 46. Elle
constitue un répertoire à peu près complet des diverses techniques des awabo et de la multiplicité
des tensions interindividuelles - père, mère et sceur de la mère étant l’objet de la meme hostilité.
((Un jour E.E. allait en voyage à pied, je me suis changée en serpent pour le mordre ;
en route, les gardes de Dieu m’ont arretée et le serpent s’est retourné contre moi et m’a
mordue.
En brousse, je me change en chimpanzé pour gater les plantes vivrières, les cafes,
les cacaos. Je suis coupable de la maladie de mon fìls B.K. car c’est moi-meme qui bois
son sang. Je prends le sang humain des hommes tués pour préparer de la nourriture pour
mon mari.
J’ai été baisée en brousse et au bord de la mer par K.K. Je vole du manioc dans les
champs. J’ai diaboliquement cassé les pieds de ma mère, c’est ainsi qu’elle est bancale. J’ai
vendu le sang de ma mère à mes associés pour boire, c’est pour cela quelle ne fait plus de
règles. Si ma tante Y.D. boite, c’est moi qui taille diaboliquement ses mollets pour manger.
N.A. est un brave homme, travailleur et courageux ; jalouse, je I’ai diaboliquement
rendu ivrogne ; c’est pour cela qu’il boit beaucoup et ne pense plus au travail, ainsi il dépen-
sera tout son argent. Il est actuellement pauvre et malheureux. J’ai vendu l’ceil de A.D. à
mes associ&, c’est pour cela qu’il est borgne. J’ai un phare diabolique sur mon front, c’est
avec ce dernier que je vois pendant la nuit, pour renvoyer les poissons dans la mer et dans
la lagune ; je me lave diaboliquement dans ces eaux. Dans ma société nous avons un camion
qui fait le transport des hommes tués. Mon père K.T. est le chauffeur de ce camion. Mon
père ne veut pas que je me marie, ainsi je lui souhaite la mort, je cherche meme un moyen
pour le tuer. Jaloux, il a diaboliquement gaté la pétrolette de son enfant T.K. Sous le
commandement de mon père K.T. nous vendons le sang des personnes tuées. La recette
lui revient. Avec ce sang nous préparons les nourritures, nous buvons aussi quand nous
avons soif. C’est mon père qui a diaboliquement empoisonné G. ; il surveille de près cet
homme et tient à augmenter sa maladie. De tout le temps il lui souhaite une mauvaise
chance dans ses soins. Si N.N. est détesté des femmes, et qu’il est sans femmes, je déclare
que mon père l’a souillé du cabinet diabolique. Avec tette odeur il ne se mariera jamais.
Je possède une pine diabolique avec laquelle je baise mes camarades. Voici les femmes
que j’ai baisées : IO N.A., 20 T.B. et G.L. ; ces femmes ne font plus d’enfants. »
La seconde confession est celle d’un villageois d’Akrou de religion catholique, qui s’accuse
d’avoir tué 23 personnes et d’avoir IZ associ& en ayant tué eux-memes 57. Elle complète le
répertoire des techniques offert par la première, et son allusion aux « guerres qui s’éclatent en
Frante » témoigne d’une certame information (elle date de 1958).
« ... J’ai des gris-gr is et une come d’un animal préparée par un marabout, avec
lesquels je me protège contre les ennemis. J’ai planté la come dans ma tour. Les gris-gris
ont été rongés par les rats. J’ai l’habitude de verser mon liquide. Je me suis couché avec une
femme en plein air. J’ai tué un coq et un porc autruis que j’ai mangé. J’ai tué un chien
qui a mangé ma nourriture. Je fais connaitre au peuple et l’envoyé de Dieu, que les diables
célèbrent plusieurs fktes dans l’année. Pendant ces fetes ils invitent leurs amis. Là ils man-
gent la chair humaine et toutes sortes de nourritures diaboliques. Le sang humain leur sert
de boisson. Je n’ai jamais manqué à ces f&es. Ainsi, je déclare que je mange la chair humaine
et je bois le sang humain. Quand j’ai besoin de faire de petites courses, je prends les taxis
diaboliques. Pour voyager dans un pays lointain, je rapproche en diable ce pays, et dans
la meme minute, je suis à destination. Toutes les guerres qui s’éclatent en Frante, je vais
combattre en diable avec les guerriers. Voici comment je peche dans la mer. Par exemple,
si je dois pecher avec mes amis le jeudi matin, je vais d’abord pecher en diable dans la
nuit de mercredi. Si tette peche me donne trois ou cinq poissons, soit : du Thon ou du
RELIGION ET MAGIE =99
Requin, c’est exactement ces poissons que j’attraperai pendant la peche de jeudi. Les
quantités de poissons que j’attrappe dans ma vie, sont des poissons diaboliquement pechés.
Pendant ces peches diaboliques, des fois, il arrive que des vagues se forment en pleine mer,
et chavirent avec ma pirogue. NU, sans engins de peche, ni pirogue, j’emploie ma force
diabolique pour gagner la terre. Cela n’empeche que de tout le temps, je continue tette
peche avec le meme système diabolique. Enfin, je déclare que c’est par le m&me système,
diabolique de la peche, que je chasse dans la brousse. »
La troisième confession est celle d’une villageoise d’Akrou de religion harriste qui s’accuse
d’avoir tué 20 personnes et d’avoir 5 associésen ayant tué eux-memes 5. Toute confession incomplète
à Atcho loin d’aider l’awaono à moitié repenti donne une prise plus forte à l’esprit de Dieu sur
lui, tout en faisant de ses associés d’hier ses ennemis du moment. Cette confession est le dernier
effort d’une femme dont la maladie prouve la culpabilité. Elle donne enfin un témoignage inté-
ressant sur la manière dont a pu etre sentie l’alliance, réelle, entre Félix Houphouet-Boigny et
Albert Atcho - la confession est de 1956 :
« Je mange la chair humaine fraiche et pourrie, je bois le sang humain, je compte
tuer mon fils. Je suis rancunière. Je compte également tuer les enfants de Y.R. et de A.D.
J’ai diaboliquement livré A. à une automobile par laquelle elle devait etre tuée.
C’est ainsi qu’elle a été gravement blessée par un accident d’auto et que par la grate de Dieu
elle n’est pas morte. Je me change en chimpanzé pour manger et gater les produits vivriers
des villageois. J’ai diaboliquement percé les mains de B.E. - c’est pour cela qu’il travaille
sans economie. Je vole de l’argent de MM. D. et Y. Enfin je déclare que j’ai une pine diabo-
lique avec laquelle je baise. Oui je déclare au peuple que tous nous devons croire à M. Albert
Atcho car c’est un envoyé de Dieu. Je prie ce dernier de bien vouloir m’accepter, et de tout
son cceur demander à Dieu le pardon de mes péchés et de toutes mes fautes commises.
Après plusieurs confessions, surtout incomplètes, dont jusqu’à présent ma maladie
s’aggrave de jour en jour, je me vois obligée de déclarer devant Dieu, le peuple et le respon-
sable, le grand complot formé par les diables et les diablesses du monde entier.
Voici le détail : le monde entier, Blancs et Noirs dont je fais partie a formé un complot
diabolique contre MM. Houphouet et Albert. Les raisons : depuis la création du monde,
les diables vivaient de la chair humaine et du sang humain. Mais depuis plusieurs années,
nous ne sommes plus libres Blancs et Noirs de faire ce qui nous plait. Ainsi nous nous sommes
associés et nous avons employé toutes nos forces pour éteindre la puissance de ces hommes.
Hélas nous n’avons pas pu. Alors le grand complot a été formé par les Blancs et
les Noirs. Il nous faut donc aller voir Dieu et lui demander, si c’est lui qui a envoyé ces
deux personnes qui nous empechent de vivre et de faire tout ce qui nous faut ? Si oui,
qu’il nous donne ses raisons. C’est ainsi que chaque pays du monde a voté et élu des délégués.
Ces délégués Blancs et Noirs qui ont fa.2 ce voyage sont tellement nombreux que je ne
pourrais pas donner le chiffre exact. A peu près, ils sont au nombre de 4 ooo, 40 et IO per-
sonnes par chaque pays du monde. Mon groupe est compose de 40 délégués dont 20 hommes
et 20 femmes.
Voici les obstacles de notre voyage :
Première rencontre : nous avons trouvé en chemin deux Gardes de Dieu. Ces derniers
nous ont stoppés et nous ont posé tette question : ‘ OU allez-vous ? ’ Et nous avons
répondu : ’ Nous allons voir Dieu pour ces raisons spéciales. ’ Ces deux Gardes se sont retirés
et nous ont laissé la route. Ce cas s’est produit trois fois.
Au quatrième tour, nous voyons devant nous deux personnes. M. Houphouet debout
et M. Atcho Albert assis, la bible à la main et nous étions arretés devant eux. Les questions
nous ont été posées par M. Houphouet : ‘ OU allez-vous, et pour quelle raison etes-vous ici ?,
Le chef de bande répond : ‘ Nous allons voir Dieu pour nous plaindre contre deux personnes
qui suppriment notre nourriture et notre pouvoir sur la terre, et nous empechent de faire
tout ce qui nous plait. ’ Alors M. Houphouet nous fait un signe de demi-tour. Pendant tout
ce temps M. Albert Atcho ne disait rien. Alors la délégation insiste, et veut forcer le passage
barre par ces deux personnes. Tout d’un coup M. Houphouet cria : et camme un violent
vent de tornade nous sommes dispersés dans un grave accident sur la terre. »
200 LE RIVAGE ALLADIAN
Nous citerons enfm quelques extraits d’une confession récente (juillet 1966) faite par un
villageois de Grand-Jacques, qui témoigne, d’une manière qu’on pour& croire caricaturale,
des tensions existant entre membres de la tour (au sens résidentiel et au sens social) :
. . . Mon père a défendu de toucher son parfum, mais moi j’ai touché ce parfum.
Mon p&e refuse de nous laisser boire de la bière, mais j’ai volé et bu. Quand mon père
m’envoie d’aller vendre du coprah, je lui vole en prenant de l’argent... Mes oncles, A. et Y.,
sont très sorciers ; ils sont déjà morts. On achète des mauvaises maladies pour tous ceux
qui sont dans la tour. G.O. voit tout et évite, c’est pour cela quelle ne tombe pas malade,
alors que ses petits-fìls sont tous malades... G.O. a livré E., L., B. et A. pour l’année 1967.
L.Y. a tué T.B. Il veut tuer aussi A.B. dans le feu au champ, mais les soldats de M. Atcho
Albert l’ont saisi. Il s’est confessé chez M. Joseph A.B.l avant de retrouver sa santé. L.E. a
soustrait les biens de l’héritage de son père, voila la cause de sa mort... J’ai pris la tete de
mon frère R. C’est la chair de ma soeur B.K. qui a gonflé mon ventre... »
Son r6le.
Du point de vue sociologique, le Seul qui nous intéresse ici, on peut considérer d’abord
que le système de la sorcellerie et de la contre-sorcellerie, du fait de ses liaisons avec l’ensemble
de la religion traditionnelle, constitue une manière de conservatoire idéologique. Cette consta-
tation nous a déjà conduit à définir parallèlement les églises harristes moins par leur opposition
à tette religion que par la continuité idéologique dont elles témoignent par rapport à elle - sans
les y réduire pour autant. De ce point de vue les seksbo et, par certains aspects, les prophètes-
guérisseurs des églises harristes, font penser aux mouvements « anti-tsav » des Tiv dont P. Bo-
hannan2 constatait en 1958 que la description en avait été quelque peu négligée par les ethnologues,
du fait que, ramenant tout au « contact culture1 », ils les rangeaient sans plus d’attention parmi
les mouvements « nativistes » parce qu’ils y trouvaient des éléments de culture européenne.
En second lieu l’existence de ces systèmes constitue un moyen de controler et d’apaiser
les conflits dont par ailleurs ils sont l’un des moteurs. Les accusations de sorcellerie sont en effet
un moyen d’explication universe1 ; il n’y a pas de mort sans cause, plusieurs parfois, l’une d’elles
étant toujours la volonté d’un etre - sorcier, mort ou garde de Dieu. L’awa camme le tsav des Tiv
est une source de volition.
Mais l’effort meme par lequel, interrogeant le cadavre, on réduit l’inconnu - le mystère
de la mort - au connu - le monde terrifiant mais structuré et camme familier de l’awa, constitue
une possibilité d’apaisement3 ; en outre l’explication fournie se réfère à des motivations qui n’ont
rien de sm-prenant, qui se comprennent par référence aux statuts sociaux, à l’organisation socio-
I. Le s&ke&aC - aye on.5 de Grand-Jacques qui nous a servi d’informateur pour toutes les questions
ayant trait à la sorcellerie, et dont nous avons rapporté l’une des interventions un peu plus haut.
2. P. BOHANNAN, « Extra Processual Events in Tiv politica1 institutions », Amerz’can Adhro$oZogist,
vol. 60, no 1, par-t 1, février Ig58.
3. Cette volonté; d’éclaircissement à tout prix - prix souvent fort élevé - donne leur style « tragique »
aux cérémonies qui entourent la mort, et notamment à l’interrogation du cadavre ; s’y révèle progressivement
en effet une incompatibilité entre différents roles sociaux (un oncle par exemple a voulu jouir des prérogatives
d’un père) de meme que dans la tragedie antique ou classique (on ne peut &re fils et époux, belle-mère et amante) ;
c’est d’ailleurs davantage à la tragédie classique qu’on penserait : le jansénisme de Racme crée des persomrages
plus responsables que coupables - qui ne peuvent pas ne pas aimer ou ne pas hair, tout en condamnant eux-
memes cet amour ou tette haine ; tette absence de culpabilité et d’un code mora1 transcendant l’ordre socia1
nous para% très remarquable dans la société alladian ; on n’y est jamais en désaccord qu’avec des règles sociales
dont un mythe rend parfois compte sans se soucier de les justifier ; il n’y a pas de terme en alladian correspondant,
dans son acception morale, au concept de justice, et dans ce monde christianisé on pense toujours à la mort
- l’élimination du circuit socia1 - mais jamais à l’enfer. En outre, l’histoire tragique est celle d’un développement
progressif de la vérité, d’aveux partiels et de demi-démentis, qui se termine dans la lumière de l’aveu tota1 et
définitif, la reconnaissance résignée de l’incompatible et de l’impossible ; te1 est bien le sens des départs à Bregbo
d’individus dont le désordre mora1 et physique fait pressentir, ou dont une accusation explicite fait apparaitre
le destin marginal, donc condamnable.
RELIGION ET MAGIE 201
« .,. the witchcraft belief thus absolve the society from a task apparently too difficult for it,
namely, some radica1 reajustement. »
S’ils témoignent de ses conflits, les awabo témoignent donc de la réalité d’un certain système
socia1 ; dans ces conditions, leur disparition ne signifierait pas la découverte au cceur du système
d’une impossible harmonie, mais l’éclatement du système. Il serait intéressant d’Observer dans
les années à venir comment le changement des règles d’héritage imposé par le code civil infléchira
les manifestations de l’awa, s’il ne les fait disparaitre.
Sa signification.
Parlant de signification de la sorcellerie, nous nous placons au point de vue de l’observateur :
Quels sont les types de conflits et de tensions, quelles sont les valeurs dont le système décrit plus
haut peut nous servir de révélateur ?
Il joue d’autant plus nettement ce role de révélateur, nous semble-t-il, que son code, non
plus que celui de la contre-sorcellerie, camme nous venons de le noter, n’a d’autres normes que
sociales.
Ainsi apparaissent, à la lumière des confessions faites à Bregbo, les points de tension du
système familial. Dans l’article2 où il étudiait les R variations concomitantes )) de quatre types
de sorcellerie, S. F. Nadel comparait plus particulièrement la société Nupe (patrilinéaire) et la
société Mesakin (matrilinéaire). Dans la première, seules les femmes sont sorcières (« witches »),
cependant que l’antagonisme entre les sexes y est marqué, les relations entre mari et femme
tendues, les femmes étant souvent, du fait de leurs activités commerciales, plus riches que les
hommes. Dans la seconde, la tension est, camme on pouvait s’y attendre, plus forte entre frère
de la mère et fils de la socur ; mais l’atte de sorcellerie est généralement le fait du premier à l’encontre
du second. On trouve des sorciers des deux sexes. L’antagonisme sexuel fait piace à un antagonisme
entre générations, la vieillesse étant sentie camme une dégradation, une perte d’énergie qui se
fait d’ailleurs très rapidement sentir. Confrontée avec tette analyse, la réalité alladian parait
tout à la fois plus diversifiée, plus confuse et plus explosive. Si l’antagonisme entre sexes y parait
traditionnellement moins marqué que dans la société Nupe, les femmes occupent dans la hiérarchie
de l’awa une position prééminente ; camme chez les Nupe, tette position correspond à un statut
réel, mais différemment de chez eux peut-etre, à un statut plus socia1 qu’économique - tout
à fait en accord d’ailleurs avec la conception akan de la « queen mother x
Au total le rapport femmes-hommes te1 qu’il s’exprime, d’après Nadel, chez les Nupe,
s’inverse chez les Alladian : chez les Nupe les hommes s’attribuent, dans la vie sociale camme
dans le domaine de la sorcellerie, une priorité idéale démentie par la force maléfique des femmes
et par leur puissance économique ; chez les Alladian, les femmes sont traditionnellement considérées
camme détentrices des droits et de la force du lignage, seules susceptibles de les perpétuer, mais
les hommes ont l’exercice effectif du pouvoir. A l’heure actuelle, les relations entre époux sont
très souvent tendues, mais l’importation massive d’étrangères et la crise économique du xxe siècle
sont pour beaucoup dans tette tension.
Si maintenant on compare la réalité alladian avec la société Mesakin, on y retrouve
également la tension entre oncle et neveu ou entre frères, et la tension entre générations - mais
celle-ci très souvent exprimée par des conflits parents/enfants. Autrement dit la société alladian
semble avoir le redoutable privilège de cumuler les diverses formes de conflits possibles - ce
qui surprendra moins si l’on pense à la double articulation de son système social : autour de la
patrilinéarité et autour de la matrilinéarité, créatrice de tensions à l’intérieur de l’sbi, à l’intérieur
de l’achk3 et entre l’.zbi et l’acigkg ; aucun des deux rapports d’autorité (père-fils, oncle-neveu)
ne se substitue à l’autre : ils s’affrontent. C’est ce dont rend compte - outre le contenu des
confessions à Atcho - la théorie de l’action maléfique, puisqu’elle reconnait que l’action dirette
de l’awa originellement limitée à la sphère de l’aci3k3, peut s’étendre à l’tzbi. L’équivalence de
l’abii au sens socia1 et de l’abii au sens résidentiel est donc également recherchée par le système
de l’awa, et, complémentairement, la pratique effettive de l’endogamie et de la pseudo-endogamie
d’aci3kg élargit le domaine de l’awa en restreignant celui de l’alliance à celui de la descendance.
Il semble meme que les relations d’amitié et de camaraderie soient atteintes par l’action
de l’awa : nous avons rencontre un nombre relativement important de confessions de jeunes
garcons scolarisés qui, lorsqu’ils n’avaient pas eux-memes « vendu » leur propre intelligente,
s’accusaient d’avoir vendu celle d’un camarade. En bonne règle, ils auraient dU passer, quand
il s’agissait d’un élève d’un autre achk3, par l’intermédiaire d’un autre awaon6, mais, indépen-
damment du fait que la vérification de tette parenté n’était pas toujours facile à effectuer, l’anxiété
traduite par ces confessions est d’un type nouveau et touche de très jeunes gens - certains élèves
faisant simultanément l’expérience de leurs difficultés et du prestige attaché aux études ; des
Alladian en nombre relativement important occupent des situations administratives ou politiques
élevées et maintiennent avec leur village d’origine des relations sociales et économiques étroites.
En fin de semaine, les voitures appartenant à des Ivoiriens sont de plus en plus nombreuses à
Jacqueville et l’équation revée : prestige = fortune = voiture = études, se heurte le lundi matin
aux réalités déprimantes de l’orthographe et de l’arithmétique.
Il n’y a donc pas chez les Alladian de morale individuelle transcendant l’ordre social.
Les critères sociaux, quant à eux, expriment des rapports de force. Il n’y aurait guère de sens
à dire que l’awa est une puissance en soi bonne ou mauvaise ; les traditions locales, on peut le
noter, ne conservent pas de Harris le souvenir d’un homme qui a nié l’existence des « fétiches 1)
et des sorciers, mais d’un « prophète » - terme qui n’implique pas tant une idée de prévoyance
que de clairvoyance et de puissance - plus fort que les C(fétiches 1)et les sorciers. L’awa est bon
ou mauvais selon qu’il sert à attaquer ou à se défendre - question d’usage, selon surtout qu’il
permet de réaliser ou non la volonté qu’il anime ou concrétise - question d’efficacité.
Possédent donc l’awa, on peut en etre à peu près certain, les individus agés (ils n’auraient
pas « tenu 1)sans lui), les rkhes (ils n’auraient pas gardé leur richesse sans lui) et les chefs (il
n’est pas de pouvoir sans lui).
Un awaolz6 compétent, on l’a vu, est celui qui sait se taire et qui sait tuer : que nulle pitié
ou nulle faiblesse ne poussent à se dérober aux injonctions de la société, à tout avouer à l’autre
société. La durete (3~0) est l’un des signes de l’awa. Elle est aussi l’un des attributs du pouvoir
et de la richesse. Un proverbe dit : « Elavedi amahzi kegile 3.~01) : « Pour etre chef de village
il faut de la dureté (CXO)», et un autre : « Elavedi ama%& kegile eje vedzcm1): « Pour etre chef
de village il faut te forger toi-meme » (« un forgeron » se dit atese 0~) - ce qui donne la mesure
de toute légitimité et de toute hérédité, subordonnées à la possession d’une force innée et entre-
RELIGION ET MAGIE
tenue. Ce qu’exige le pouvoir, la richesse, qui n’eri est qu’une autre expression, l’exige aussi -
« Kegile SO Zke &i wuiio afre N : (( Il faut de la dureté pour épouser deux (a;ye) femmes (wz&o) »,
décrète un autre proverbe qui doit s’interpréter davantage camme définissant le préalable écono-
mique nécessaire à l’acquisition de ces deux femmes, que camme un précepte de moralité maritale.
A la notion ~‘ZSO,on oppose volontiers celle d>gwgdont la traduction la plus adéquate parait :
(( paix », dont une « prophétesse 1)avant l’arrivée de Harris s’était faite l’apologiste à Grand-
Jacques (cf. ci-dessus). Enfin la maxime : « Misi iii waa &ke mevyu memi. » : « Je ne peux pss
avoir l’awa pour etre pauvre » ; « ce n’est pas la peine que j’aie de l’awa si c’est pour etre pauvre
(memZ) », montre que la richesse est sentie camme le but (et le signe) de l>awa, dont le pouvoir
et la dureté sont une autre expression.
De fait s’il n’est awaon6, à moins de disposer de l’aide d’un sekson6 puissant - lui-meme
détenteur d’awa - ou d’un (( remède )) quelconque susceptible de l’aider un tempsl, nul ne peut
sauver ni sa richesse ni son pouvoir. Inversement, tout homme riche est soupconné d’etre awaon6.
On sait qu’en outre les awabo viennent solliciter tout nouveau chef de village, que s’il
les repousse ils lui tendent des pièges, ensuite de quoi il se rallie à eux ou meurt. Tout chef est
en conséquence soupconné d’etre awaon6.
Un jeune chef, N.Y., avait été nommé il y a quelques années à Grand-Jacques. Deux
fois il avait par la suite fait frapper sévèrement des vieilles femmes accusées par des cadavres.
On en conclut qu’il avait dtì refuser de rejoindre les rangs des awabo ; de fait il tomba brusquement
malade, et deux mois après mourut. Son cadavre, interrogé, accusa un awaon6 de sa famille
matemelle de l>avoir livré à sa société.
Les accusations portées contre un chef de village ou un chef de tour sont difficiles, puisque
I’autorisation du chef d’achk3 est nécessaire pour pouvoir interroger le cadavre. Son refus, il est
vrai, constitue un averi.
On peut dire de l>awa ce que P. Bohannan2 dit du tsav des Tiv : les hommes avec tsav sont
nécessaires car ils sont les leaders de la société ; d’un autre coté les hommes avec tsav sont des
sorciers malfaisants, mangeurs de chair. Tout pouvoir est donc ambigu ; mais plus encore chez
les Alladian que chez les Tiv, où l’on arrive à distinguer un bon tsav et un mauvais tsav, un pouvoir
légitime et un pouvoir usurpé, quand bien meme l’autopsie du cadavre est nécessaire à l’établis-
sement d’un diagnostic définitif. Chez les Alladian, l’awa est tout à la fois ce qui constitue et ce
qui menace le pouvoir et la richesse ; il n’est pas exclu que les awabo, à la différence des loups,
se mangent entre eux, en sorte que l’homme prestigieux attire sur sa propre personne les sentiments
les plus divers. Admiration - à l’égard de celui qui a réussi -, crainte - de sa puissance -,
jalousie - à l’égard du « parvenu » - ou crainte encore, mais, tette fois-ci, des risques qu’il encourt
en montrant sa fortune3 : telles sont les composantes du prestige.
Comme les Adioukrou, d’après le témoignage de M. Dupire4, tout Alladian a la hantise
de laisser quelqu’un d’autre avoir, à la lettre, « prise » sur lui ; il a le sentiment d’etre « dans la
main » (Zarne) de celui à qui il est redevable à quelque titre : l’eszcba est dans la main de son
tuteur, le débiteur dans celle de son créancier, le faible dans celle du fort ; une per-te de force ou
d’argent signifie pour tout homme la « mainmise » sur lui d’un autre, plus fort.
« Me da ebrubo Ztam » (« Je suis dans la main de ceux qui me haissent ») : te1 est l’aveu
auquel tout Alladian redoute d’etre un jour contraint.
I. Nous ne sommes pas intéressés dans ce chapitre à l’action des différents « charlatans », « marabouts »
ou « clairvoyants ‘j qui foumissent des « remèdes ” pour attaquer ou pour se défendre, ou porte& un diagnostic
« socia1 » sur une maladie aux effets apparemment physiques. 11s jouent un role non négligeable sur le littoral,
mais moins important et moins spécifique que les awabo, les sekebo et les ayebo à proprement parler.
2. P. BOHANNAN, o$. cit.
3. On a vu que dans les grandes occasions c’était de préférence les ebiCi qui portaient les bijoux de l’abii,
parce que, n’eri étant pas les propriétaires légitimes, ils ne risquaient pas d’attirer sur eux jalousie et malveillance.
Il existait encore au siècle demier une f&e des richesses, ostentatoire, OU un homme riche « étalait » la fortune
de sa famille et offrait un banquet. Kagui Digré, qui fut chef de Grand-Jacques, encore qu’avavé, a laissé le
souvenir d’une richesse sans égale ; il fut Ie dernier, semble-t-il, à céIébrer une telle fete... et fut destitué un peu
plus tard.
4. J. L. BOUTILLIER et M. DUPIRE, op. cit.
204 LE RIVAGE ALLADIAN
Nous avons tenté jusqu’à présent d’analyser ce que pouvait représenter l’awa pour ceux
qui le possédaient, ceux qu’il mena@ et ceux qui luttaient contre lui ; de tette analyse se dégagent
déjà quelques conséquences touchant les dynamismes intemes qui défont et recomposent la
strutture sociale ; mais nous en sommes restés pour ainsi dire au niveau idéologique, en comparant
différentes conceptions de l>awa l. Il nous reste à compléter tette analyse par l’étude des occasiom
où se manifeste l>awa, c’est-à-dire des circonstances dans lesquelles certains membres de la société
portent une accusation ou l’exploitent, et par l’étude des procédures grate auxquelles, de facon
générale, la mort d’un individu, perturbatrice d’un ordre social existant, est utilisée pour le
réajuster, le rétablir ou le réinventer.
II. LA MORT
Système total d’explication du monde humain, de ses heurs et malheurs, l’awa répond
à une conception généralisée et ambigue du pouvoir, de la fortune et du prestige - ambigue
ou doublement idéologique, puisqu’elle justifie toute réussite sociale en l’attribuant à la possession
d’une force susceptible d’etre bvaluée, voire mesurée, et qu’elle la fait dépendre par là meme
de la valeur relative de tette force : une volonté n’est jamais assurée de n’etre pas dominée un
jour par une autre volonté. Mais camme manifestation d’une volonté particulière, percue ou
imaginée à l’occasion d’un événement déterminé, l’awa perd de son ambiguité ; l’accusateur
(ou celui pour lequel il parle) et l’accusé représentent des intérets opposés : ce sont les incompa-
tibilités liées à l’organisation sociale elle-meme que font apparaitre les accusations de ((sorcellerie ».
L’awa se définit donc par rapport au système culture1 duquel il fait partie intégrante, mais il
ne s’appréhende - ou, si l’on préfère, ne se manifeste - qu’en certains points du système socia1
dont il dénonce ainsi les failles. Il est d’essente culturelle mais son existence est sociale. Les
confessions d’Atcho nous donnaient accès à des individus (parfois) et à un système (toujours) ; la
chronique villageoise nous livre, elle, des types de conflits, des occasions de « sorcellerie » ; elle
nous montre en quoi le système des valeurs correspond à un système social auquel il ne se réduit pas.
Nous étudierons tour à tour les règles et la pratique de l’héritage, puis certains aspects
de l’enterrement et certains aspects des funérailles : ceux-là memes qui sont directement fonction
tout à la fois de l’opposition des intérets en présence et de la nécessité de taire tette opposition -
ou, quand une accusation de sorcellerie l’a fait apparaitre, de l’éliminer.
I. L’aspect « culture1 » et « systématique 1,de la magie (witchcraft) a été mis en evidente pour la première
fois sur un exempb africain par EVANS-PRITCHARD (Witchcraft, Oracles and Magie amo%g the Azande, Oxford,
Clarendon Press, 1950, 2e éd.), principalement dans le chapitre IV : « The notion of witchcraft explains infortunate
events ».
2. Le fait que le neveu utérin ait le pas sur le fìls de la sceur de la mère entrame des conflits de générations ;
d’autant qu’un te1 « frère ,J classificatoire peut se voir confier la garde d’un héritage qu’il se soucie peu ensuite
de transmettre au neveu devenu adulte entre-temps, dont il se contenterait plus volontiers de faire son héritier.
RELIGION ET MAGIE 20.5
&gés de l’acGk3 (hommes et femmes) qui décident en définitive de l’attribution d’un héritage.
Cela va de soi pour l’héritage du trone et de la garde du trésor de familIe, mais reste souvent vrai
pour l’héritage d’individu à individu. Un te1 héritage peut d’ailleurs etre attribué en fonction
de son retentissement sur l’économie d’ensemble de l’aci3kg : pour éviter la prééminence d’un
individu qui cumulerait trop d’héritages, ou pour mettre en difficulté un individu dont on craint,
pour une raison ou pour une autre, l’influente. Dans ce cas, meme si c’est le cadavre du mort
qui désigne l’héritier, et meme si l’héritier est théoriquement surprenant, la surprise n’est pas
pour tous. On a ainsi noté dans le chapitre précedent le ca.s d’une jeune femme désignée camme
héritière d’une vieille femme assez riche dont elle n’était pas la plus proche parente, et de l’ac-
cusation de sorcellerie qui s’eri est à peu près automatiquement suivie ; tout héritage n’est pas
bon à prendre, un héritage peut etre l’occasion d’un piège, et, de ce point de vue, les théories
qui font de I’awa une substance attachée à certaines richesses autorisent par avance toutes les
revendications, toutes les contestations.
La pratique de la dévolution des biens est donc affectée, pour des raisons diverses, d’une
grande souplesse. Cette souplesse est accentuée par la reconnaissance de deux types d’héritage
(Egia) : l’héritage à proprement parler (agia kiei) et l’héritage « de tutelle », simple « garde » des
biens (@ia bei) - qui permet par exemple de confier la fortune, faute d’héritier direct en age
d’hériter, à une femme ou à un héritier théoriquement moins bien « placé » que d’autres dans
l’ordre successorall. Par ailleurs, le père, à condition d’eri avoir averti par avance les membres
de son acGk3, peut léguer une partie de ses biens à son fìls ainé ; en outre, il peut de son vivant
lui avoir fait une donation : ce dernier cas est récent et concerne les plantations ; un fìls travaillant
pour son père, celui-ci, dans la mesure meme où il entend le tenir éloigné des terres de son oncle
maternel, peut lui céder une plantation, ou lui donner l’autorisation d’eri créer une sur ses terres ;
on a ainsi remarqué sur les cadastres de Grand- Jacques et Jacqueville qu’un nombre de plantations
relativement important était exploité à titre d’~b&i. Une plantation ainsi acquise peut &re à la
mort du ftls transmise par héritage à un membre de son achk3, mais ne peut &re vendue ou cédée
à un étranger ni par le fìls ni par ses successeurs.
Examinons quelques exemples des différentes possibilités recensées.
I. LAMBLIN (&z CLOZEL, op. cit.) affirme que tout héritage est recueillì par l’ainé de I’aciAs, indépendam-
ment de son sexe et de sa parenté exacte avec le défunt. Cette affirmation nous parait inexacte, et tous les infor-
mateurs en contestent le bien-fendé, mais il est vrai que pratiquement la préférence est souvent donnée à un
ainé compétent qui, le cas échéant, n’a que la garde de l’héritage.
206 LE RIVAGE ALLADIAN
de captif ne l’avait pas empeché d’épouser la nièce du frère de L.A., riche Kovou : ils étaient
tous deux catholiques à une époque où les catholiques étaient peu nombreux à Grand-Jacques.
En revanche, Edouard L. fut couvert de honte, lorsque, peu après son retour, il se montra
incapable de payer sa quote-quart pour l’éditication d’une église (( en dur » à Grand-Jacques.
Lorsque Y.B. puis Augustin N. moururent, il n’y avait plus d’héritier « direct 1)en age
d’hériter. L’héritage ne remonte à l’oncle (en l’occurrence N.A. Jacques) que lorsqu’on ne peut
faire autrement. D. Edouard, lui, aurait pu à l’extreme rigueur et faute d’un autre héritier
prétendre à l’héritage d’dugustin N., mais on lui préféra N.K. Henriette. L’explication tient
à la fois à la personnalité d’Édouard L. et à celle d’Hem-iette K. Édouard, ancien captif, n’avait
droit à l’héritage qu’à cause des circonstances malheureuses ; on savait qu’il hériterait un jour
le trone, le trésor de famille et les plantations de N’A. Jacques, et on préférait éviter de tout lui
laisser. Surtout, son séjour à Bassam avait été un échec. En revanche N.K., femme d’un fonc-
tiormaire employé aux P.T.T., avait aidé financièrement sa famille et son oncle Y.B. Sa sceur,
N.E. Henriette, dont le mari, ébrié, était lui aussi fonctionnaire à Abidjan, et qui avait aidé son
oncle, avait hérité de ses biens lorsqu’il était mort (peu avant Augustin). Autre signe de prestige
de N.E. Hemiette : à la mort de son père, l’héritier de celui-ci lui accorda une portion de for&
de son acigk3 où elle créa une plantation de café avec l’aide de son second mari, un Nigérien
(cf. parcelle no 71). Le plus remarquable dans les deux cas tient au fait que N.K. et N.E. avaient
un frère, T., policier à Abidjan, mais « gaspilleur » et possédant trois femmes. C’est un reproche
courant adressé à certains harristes polygames que de « gaspiller » leur argent.
On voit sur cet exemple comment l’institution traditionnelle, qui n’est véritablement
trahie à aucun moment, est néamnoins, autant que faire se peut, adaptée, au prix de quelques
conflits, aux exigences du moment, aux circonstances, et comment, en l’occurrence, un homme
camme Jacques N.A. a préféré ne pas hériter pour ne pas trop renforcer à terme la richesse du
captif auquel il faudrait bien céder le trone de la tour un jour, faute d’un prétendant plus légitime
d’un age convenable.
certa& villageois intéressés ou non à l’affaire. C’est Jacques B. qui avait normalement hérité de
son « oncle » Y. Ernest (cf. fig. 42)’ lequel avait lui-meme hérité de B. qui avait un captif, B.A.
Ce dernier avait été normalement tenu à I’écart de ces différents héritages. Or Jacques B. lui
a il y a peu de temps abandonné pratiquement la gestion de toutes les plantations ; B.A. ne semble
pas verser à Jacques B. la part des bénéfices à laquelle il pourrait légitimement prétendre, et
« garde » apparemment moins les plantations (Jacques N. après son (( abandon » est parti en ville)
B.Jacques
FIG. 42.
qu’il ne les exploite pour son propre compte. Il est naturellement difficile de connaitre le secret
de tette surprenante transaction. Pour les villageois de Grand-Jacques, B.A. est un awaono
puissant qui s’est purement et simplement emparé des biens de Jacques B. en jouant de la menace ;
Jacques aurait préféré somme toute une perte materielle à la menace des awabo : une telle réaction
ne sera3 d’ailleurs pas impensable ; mais, camme il est difficile d’imaginer une transaction amiable
entre un awaon6 et un individu qui n’appartiendrait pas du meme coup à la société des awabo,
on peut se demander si les rumeurs concemant B.A. ne visent pas à terme Jacques B. lui-meme ;
en effet Jacques B., qui est parti travailler en ville et B.A., agé et vivant au village, sont restés
en bons termes ; les accusations qui ne manqueront pas d’etre fornmlées à la mort de B.A. - dont
le cadavre révélera très certainement l’appartenance à la société diabolique - risquent de compro-
mettre Jacques B. lui-meme et de le contraindre à abandonner des biens dont, de son point de
vue, B.A. était resté simple gestionnaire.
C’est justement parce que des considérations de divers ordres - jalousies personnelles
ou souci d’une bonne gestion des affaires du lignage, méfìance à l’égard d’un gaspilleur - déter-
minent en fin de compte l’attribution de l’héritage, que la relation apparente entre u sorcier » et
« ensorcelé )) ou offenseur et offensé révélée par exemple par l’interrogation d’un cadavre est en
fait une relation à trois termes : la diffusion de l’accusation est très généralement le fait d’un
individu ou d’un groupe qui en bénéficieral.
Y.G.
jeune des frères de B.N., alors que B.M. devait normalement profiter de ses services - notamment
de sa pkhe.
Voici maintenant les événements qui précédèrent et suivirent, d’après la chronique
villageoise, la mort de B.N. :
Un jour le jeune Y.G. revint de mer avec une belle peche et fut accueilli par son père adoptif
« usurpé )) B.L. - le redistributeur de la pkhe attend toujours sur la plage le retour de son
« fìls » - ; B.N. vint à eux et demanda à acheter du poisson. B.L. refusa et lui conseilla d’aller
lui-meme en pkher : B.N. s’eri fut « le coeur chaud » et « les yeux rouges ».
Le lendemain il partit effectivement en mer. Avant tout départ en mer il convient de
prier, de s’engager à ne pas se quereller au sujet du poisson et à oublier les querelles qui ont pu
avoir lieu. On a vu au chapitre II que Kitrava était un symbole de rbconciliation. Cette prière
traditionnelle - .sciie wua - concerne aussi bien les paternels que les maternels, les alliés et les
amis. C’est, dit-on, parce que dans sa colère il la négligea, que B.N., « attaqué » par la mer, fut
pris de fièvre et, incapable de diriger sa pirogue, s’échoua sur la plage de M’bokrou. B.L. vint
l’y chercher, le conduisit au dispensane de Jacqueville, le ramena à Ahua oiì il le laissa chez sa
sceur avant de regagner lui-meme Grand-Jacques. Dans la nuit B.N. mourut.
Le lendemain, sur le chemin de Grand- Jacques son cadavre fut interrogé (pour la technique
de l’interrogation se reporter ci-dessous au 5 11). Le mort révéla qu’il était parti en mer sans avoir
pardonné à B.L. On lui demanda à qui il laissait son héritage ; il désigna B. camme héritier de
RELIGION ET MAGIE 209
ses propres biens et B.L. camme héritier de l’a& wakre ; l’interrogateurl le supplia alors de revenir
sur sa décision et de laisser à B., qui lui avait jadis cédé la piace, le soin de désigner son successeur.
Le mort accepta. Enfin on lui demanda s’il acceptait qu’un ou plusieurs de ses sept enfants fussent
dorénavant à la charge de B.N. Le mort refusa très vigoureusement. L’interrogateur, dans la
mesure meme où il a semblé défendre B.L. contre la vengeance du mort, lui a interdit par avance
toute prétention à hériter.
L’interrogation en resta là et B. ne prendra sans doute de décision qu’après une visite
de la famille chez un C(clairvoyant » de la région ; mais l’élimination de B.L. de l’héritage est
d’ores et déjà à peu près acquise, et il semble que cet homme jeune et entreprenant se soit attiré
d’autres hostilités que celle de l’homme dont il est aujourd’hui accusé d’avoir indirectement
causé la mort. B.L. a notamment deux frères plus agés que lui (plus jeunes que B.N.) qui voient
certainement d’un mauvais ceil les prerogatives qu’il s’attribue abusivement, meme s’ils le
rejoignaient dans son mépris pour B.N.
FIG. 44.
chef de tour ; à sa mort A.D. - qui légitimement ne prenait piace dans l’ordre successoral que
derrière les neveux utérins de A.N., d’autant qu’il ne faisait pas partie de l’aci3kg @TO- s’imposa
pour la succession, avec l’accord des anciens de l’achk3, malgré les protestations de son frère
a&é E.A. Du coup ce frère est parti au Ghana, d’où jusqu’à présent il n’est pas revenu. A.D. est
dépeint par nos informateurs, avec une nette nuance d’admiration, camme « courageux, méchant
et travailleur », donc faisant preuve de l’gso, la « dureté », qui est la marque des purs awabo.
A.D. géra très bien les affaires de sa famille et les siennes, mais mourut assez tragiquement, tué
par une villageoise de Grand-Jacques. Interrogé, son cadavre « plaidant coupable )) exigea que
I. C’était en la circonstance le seksod de Grand- Jacques dont on a déjà trouvé mention dans une confes-
sion à Atcho. C’est le cadavre qui désigne son ou ses interrogateurs.
210 LE RIVAGE ALLADIAN
les biens indument détournés par son awa fussent restitués aux neveux de A.N., cependant que
sa fortune personnelle irait à son propre neveu. Le soupcon de l’awa qui avait justifié ou sous-
tendu la remise des biens de la famille à une forte personnalité s’est transformé en accusation
pour en expliquer la redistribution amiable.
Nous terrninerons tette série d’exemples par le cas d’un achk3 de Grand-Jacques où les
accusations de sorcellerie se multiplient à te1 point qu’il est nécessaire d’en trier les plus signi-
ficatives pour l’exposé.
S.T.
FIG. 45.
Du vivant de B.L. (cf. fig. 45) ST., son neveu, ne le respectait pas et, dénoncant ses méfaits,
laissait peser sur lui le soupcon de CC sorcellerie ». Puis il en hérita. A l’époque où il était chef de
tour, la plus vieille femme de l’acbk3 était B.N. Il semble que dès tette époque S.T. et B.N. furent
soupconnés d’awa, ce qui, en ce qui concerne au moins B.N., n’avait rien que d’à peu près normal
vu son sexe, son age et sa piace dans l’acigkz Mais des questions matérielles compliquèrent les
choses. Le frère de B.N. mourut, et B.N., qui était une femme attive et énergique, pratiquant
le commerce du poisson, se considéra camme le « père » du fils de son frère B.Y. décédé. B.Y. lui
confia d’ailleurs sa première f3le pour l’aider ; elle-meme lui donna de son vivant des sommes
importantes, de l’or, différents cadeaux. Son a&kD en témoigna une vive contrariété. Il n’est
donc pas étonnant qu’à l’occasion d’un décès dans la famille elle ait été accusée par le mort de
l’avoir tue. Le cadavre fut meme extremement précis et conduisit les assistants jusqu’à sa case.
La vieille B.N. fut battue, puis laissée toute seule.
ST. la critiqua lui-m&me très violemment ; elle fut abandonnée. B.Y. essaya de lui venir
en aide, mais il fut lui-meme assailli par la famille maternelle de son père, enfermé et battu la
nuit suivante pendant plusieurs heures ; le chef de l’achk3 de B.Y. vint enfin à son secours, alerté
par sa femme. Sur son conseil, B.Y. accepta de rendre à l’achk3 de la morte tous les biens quelle
lui avait don& jusqu’alors. L’accusation d’avoir aidé une « sorcière » et d’avoir détourné des
biens de la lignée légitime étaient donc dans tette histoire clairement liées.
La vieille B.N. mourut rapidement de faim et d’épuisement. Son cadavre, interrogé,
RELIGION ET MAGIE 211
accusa S.T. d’etre un awaono à elle associé. S.T. protesta et toucha l’argent de l’héritage. On voit
que la mort de B.N. était lourde d’une menace contre ST. qui avait bénéficié de divers héritages
familiaux. Deux versions expliquent en effet la suite des événements : S.T. tomba malade ; pour
les uns, parce qu’il n’avait pas soutenu B.N. et l’avait insultée - ce que les awabo de leur commune
société ne pouvaient tolérer ; pour les autres parce qu’ayant pris l’argent du « diable » il avait
été contaminé par lui.
Deux ans plus tard S.T. tomba malade, se rendit à Bregbo, OU, faute d’avoir dit toute
la vérité, il ne guérit pas. Sentant la mort venir, il fit convoquer toute la population : il confessa
qu’il était effectivement awaon6, et que la société des awabo à Grand-Jacques était extremement
importante : il cita des personnes de chaque aci3kg du village, et dénonca leur chef à tous, D.B.,
également chef d’une riche tour de Grand-Jacques. Les accusations qui s’étaient succédé de décès
en décès débouchaient sur une mise en cause de tout l’édifice social du village ; tette grande
explication semblait bien procéder d’un conflit de générations. S.T. que la mort de la vieille B.N.
avait permis d’accuser était ainsi (( utilisé x à son tour contre un notable d’une autre famille ; ce
débordement hors du cadre familial est d’autant plus remarquable que toute la série des accusations
précedait la mort de l’un des coupables ; il faut dire qu’à Grand- Jacques, où les terres sont plus
nombreuses qu’à Jacqueville, l’émigration des jeunes gens est plus faible ; les conflits entre
générations - les anciens conservant jusqu’à aujourd’hui le controle des terres - y sont d’autant
plus violents ; à Jacquevihe au contraire, où tette mainmise nous a par-u également très remar-
quable, le combat a presque cessé, s’il eut jamais lieu, « faute de combattants », les jeunes gens
ayant en majorité déserté un village où les conditions objectives (relative rareté des terres)
renforcaient les contraintes sociales (accaparement de ces terres par les anciens de certains
lignages) .
L’histoire des conflits de Grand-Jacques reste à suivre. D.B. a dU céder à la pression de sa
famille et se rendre à Bregbo. Sans doute la preuve est-elle maintenant faite de sa culpabihté et de
ses manceuvres, car il en est revenu malade, et chacun s’attend que le problème de son héritage
soit rapidement posé...
Dans tette serie d’épisodes on peut donc voir se manifester tour à tour ou simultanément
(car souvent, semble-t-il, une dénonciation ne vise pas simplement l’accusé du moment) la tension
entre parente maternelle et parenté paternelle, la jalousie qu’attire toute richesse, l’hostilité
entre les générations, cela dans le langage stéréotypé du « système » de la sorcellerie : les riches
et les anciens sont des porteurs d’awa, les awabo se vengent de celui qui les a trahis, ou l’awa s’attache
à l’héritage de l’awaon6 (chacune de ces théories étant également possible - l’accusation importe
plus que sa forme), faute non avouée n’est pas pardonnée, faute avouée trop tard non plus, les
awabo forment une société villageoise hiérarchisée, etc.
changement, puisque l’époux, l’épouse et leurs enfants peuvent tous bien faire partie du meme
a&kz Interrogé à propos du nouveau code civil, A.A., de Jacqueville, répond : « Moi il faut que
je garde la coutume, j’ai hérité de beaucoup de gens, alors il faut que ma famille ait un peu. J’ai
hérité de mon grand-frère une plantation de cocos. A ma mort la plantation reviendra à ma femme
et ma famille. Celle que j’ai faite moi-meme sera à ma femme... Ma femme est de mon acCk3 ; si
à ma mort elle prend tous mes biens il n’y aura pas de problème... » Mais une autre remarque :
« La clé de la chambre où se trouvent les malles du mari défunt sera gardée dans la poche du neveu
ou du grand-frère... » et ajoute : Ceux qui ont déjà pris l’héritage pensent qu’il y aura des pro-
blèmes. Ceux qui n’ont pas encore hérité attendent d’hériter. »
Tout récemment (mars 1967) une interrogation de cadavre à Grand-Jacques a montré
une vigoureuse opposition aux changements du code successoral, en meme temps qu’une xéno-
phobie résolue. Il faut dire que l’héritage en ligne agnatique peut facilement &re considéré camme
une ((importation )), et que la présence d’un assez grand nombre d’employés des Travaux Publics
célibataires et relativement aisés dans les villages où passe la route littorale, a récemment ravivé
chez certains leur méfiance à l’égard des « étrangers )) ; l’importance de la colonie alladian de
Port-Bouet, sa rivalité et sa complémentarité avec les pkheurs togolais et dahoméens expliquent
d’ailleurs que les Alladian aient joué un role souvent actif dans les incidents de 1958.
Hostilité aux étrangers, refus des changements juridiques et intervention discrète des
autorités politiques se sont nettement manifestés à l’occasion de l’enterrement à Grand-Jacques
d’un employé à l’h6pita.l centra1 d’Abidjan. Interrogé, le mort fit savoir qu’il avait été empoisonné
par un Dahoméen ; depuis 1958 il est très fréquent que les cadavres d’ « émigrés ))d’Abidjan accusent
un Dahoméen ou un Togolais. En second lieu, le mort designa pour héritier son neveu utérin.
Or après avoir répudié sa femme alladian, dont il avait un fils, cet employé avait épousé une femme
fanti dont il avait sept enfants, et qui revendiquait pour eux l’héritage de son mari.
L’interrogation du cadavre touma à la confusion : les sceurs du mort - alladian et villa-
geoises - se disputèrent violemment avec sa femme - fanti et « femme de la ville » -, cependant
que la délégation quasi officielle des employés de l’hopital d’Abidjan reprochait amèrement au
mort d’ignorer les décisions du gouvernement de la Cote d’Ivoire, dont il avait pourtant percu les
allocations familiales. Malgré ce rappel à l’ordre, le mort persista à désigner son neveu pour héritier.
La délégation d’Abidjan fit remarquer que, si les morts n’étaient pas plus raisonnables, autant
vaudrait ne plus interroger les cadavres. Dépité, celui de leur camarade refusa de poursuivre
le dialogue. .
Jamais des vivants ne s’étaient affrontés de facon aussi évidente par le truchement d’un
mort. Cependant l’examen des modalités de la dévolution ou de la cession des terres ou des plan-
tations montre que, tout en sauvegardant le langage de la tradition, les Alladian ont senti et admis
depuis un certain temps que la culture des plantations industrielles renforcait le lien père-fils
aux dépens du lien oncle matemel-neveu utérin.
Si un individu a fait une plantation sur la terre d’acigkp de son pèrel, son héritier (par
exemple son neveu utérin) y travaillera de plein droit à sa mort. Simplement, il fera des cadeaux
au père du mort ou à son héritier, et sera tenu de ne pas vendre tette terre ; autrement dit la
terre ne devra jamais etre exploitée qu’à titre d’EbiGi sans que cela implique un droit de propriété
véritable ; du fait de la nature des plantations industrielles, tette obligation depuis une quinzaine
d’années a commencé à etre aménagée (l’aci3k3 propriétaire de la terre acceptant le cas échéant
de racheter la plantation - c’est-à-dire, au fond, de rétribuer sa mise en valeur, les plants de
caféier ou de cocotier) et parfois ignorée ; mais les exceptions à la règle ont entrainé des conflits
significatifs.
En voici quelques exemples, qui témoignent d’un jeu constant avec la lettre - si l’on
peut dire - et l’esprit de la règle traditionnelle.
Le vieux L., de Grand-Jacques, cherchait quelqu’un pour entretenir sa plantation de café.
Son petit-neveu E.N. la pr.3 en charge en 1945. Cette plantation n’était pas située dans la forkt
d’acigk3 de L., mais l’emplacement avait été cédé par un autre acCk3. Un peu plus tard, désireux
de se rapprocher du village, E.N. vendit sa plantation à quelqu’un de cet acigkg (aménagement
de la règle de cession des terres, toléré, on vient de le voir, par les tenants de la coutume). Seulement
E.N. garda l’argent de la vente, alors que B.D., héritier de L., mort entre-temps, prétendait en
toucher au moins une partie. Comme la transaction avait été secrète, B.D. crut pouvoir dénoncer
E.N. à l’aci3kg propriétaire en l’accusant d’avoir vendu sa plantation à un « étranger ». E.N. qui
semble assez habilement avoir cherché à attirer la première accusation - facile à réfuter -, une
fois comm le nom de l’acquéreur - pour échapper à la seconde : avoir gardé l’argent -, se dis-
culpa vis-à-vis de l’a&k3 propriétaire, mais ne se réconcilia pas de suite avec B.D. Il créa une
plantation sur sa propre foret d’acigk3, consacrant l’argent de la première vente à payer un manceuvre
et de nombreux plants de caféiers ; tette manière de « restitution » à son propre aci~ks mit un
terme provisoire à la querelle, qui aurait pourtant connu sans doute des suites et des rebondis-
sements, si l’effondrement de la culture du café sur le cordon littoral ne lui avait &.é tout objet.
Le raffinement et la subtilité des arguments échangés et des R tactiques » suivies, tant
pour justifier le recours à la vente et l’utilisation de l’argent à des fins personnelles que pour
désamorcer par avance les revendications éventuelles des représentants des lignages intéressés,
font preuve d’une grande virtuosité ; mais celle-ci témoigne à son tour de la « formalisation ))
d’un système qui a maintenant besoin de gloses, de surcharges et de réinterprétations pour rendre
compte d’une réalité qu’il est censé ordonner.
Un autre affaire de vente de terres illustre parallèlement l’affirmation de certains couples
camme unités familiales et économiques indépendantes, et la résistance de l’unité lignagère à tette
revendication d’indépendance.
A.B., né à Jacqueville, marié à une femme de Jacqueville, avait pour famille maternelle
une famille avikam de Niangoussou (de meme coutume que les Alladian). Devenu agé, il partit
rejoindre sa famille maternelle, non pour y prendre le trone de la tour, mais parce que tette famille
lui offrait de créer des plantations sur la for& familiale. Cédant aux instances de sa femme, A.B. se
décida pourtant après quelque temps à revenir à Jacqueville ; il vendit la plantation qu’il avait
créée à un (<dioula », à l’insu de sa famille, et garda l’argent. La famille, malgré ses réclamations,
ne réussit pas à récupérer l’argent, mais tous ses membres se cotisèrent pour racheter la plan-
tation au (( dioula 1)qui n’osa pas refuser tette nouvelle transaction.
L’examen du cadastre de Grand-Jacques et Jacqueville nous a néanmoins montré que
les exceptions aux règles généralement admises restent encore assez rares, si ces règles elles-memes
ont atteint un degré difficilement dépassable de sophistication.
Il existe donc une distorsion autant que possible dissimulée entre une forme maintenue
et un contenu fondamentalement modifié. Ainsi la règle est fermement maintenue en ce qui
concerne les biens les plus (( traditionnels 1) (arbres de la foret familiale, poisson peché par les
jeunes gens de la tour) - toute infraction entrainant l’action d’une justice immanente dont
les awabo, les morts ou l’un des génies de la mer, peuvent etre les instruments, plus ou moins
subtilement réinterprétée en ce qui concerne les plantations et souvent méprisée lorsqu’il s’a&
de biens de type « moderne 1)camme les « concessions » urbaines, les pinasses et les taxis-brousse -
sources de revenus réguliers.
Il y a environ deux ans, le vieux N.B., chef de tour à Grand- Jacques - n’ayant plus de
frères, neveux ou enfants -, fut sollicité par des représentants d’un achk3 dissimilé qui lui
demandèrent l’autorisation d’abattre des fromagers sur sa foret d’aczhk3 pour construire des
pirogues. Estimant que sa part de poisson serait trop faible lors de la redistribution, il préféra
vendre ces arbres à des étrangers à la famille, en échange de prestations régulières en nature.
Mais de septembre à novembre, les trois pirogues fabriquées et utilisées par ces étrangers à l’acigk3
furent fracassées par le barre au retour de la peche, et ne lui rapportèrent rien. Prompts à tirer
la conclusion de l’événement qui justifiait leur indignation, les apparentés de N.B. refusèrent
de lui donner la moindre part de leur peche. En ce qui concerne les grands arbres de la for&,
matière première de l’activité traditionnelle, la règle est simple, l’infraction visible et la sanction
immédiate.
214 LE RIVAGE ALLADIAN
On a au contraire des signes multiples du mépris de la règle dans le cas des biens de type
moderne camme les concessions. Ainsi E.M., de Jacqueville, qui a un fils en Frante, a gardé la
concession de son fìls ainé à Port-Bouet, après sa mort (1964) - malgré les protestations de
l’héritier en titre, le fils de la sceur de la mère du défunt ; à supposer que la concession dtìt revenir
au frère émigré du défunt, la « garde N en aurait normalement di3 etre confiée à un membre de
l’acigk3 ; mais vu l’importance des revenus en jeu, le père a mis en valeur le fait qu’il avait pr&é
de l’argent à son tis d’une part, qu’il avait le droit de percevoir les premiers loyers de la concession
qui ira.3 à son second fìls, d’autre part. De facon générale, la nature moderne des biens considérés
entraine donc un respect de plus en plus forme1 et un mépris de plus en plus fondamental des
règles traditionnelles de cession et de dévolution. Comme pourtant tous ces biens sont actuels,
et camme il n’existe ni critère décisif pour les ranger dans une catégorie déterminée, ni législation
particulière pour telle ou telle catégorie, la situation, malgré les tendances qu’on vient d’analyser,
reste complexe, fonction des circonstances et notamment des forces en présence (les Alladian
ont toujours préféré preter aux riches). Il parait en définitive certain que la nouvelle législation
s’imposera avec une relative facilité, puisqu’elle constitue un atout décisif dans le jeu qui voit
s’affronter de langue date les deux principes d’organisation de la société ahadian.
Il existe un mode d’héritage particuher pour tous les biens typiquement féminins dont
une femme a pu faire l’acquisition pendant sa vie : pagnes et bijoux éventuellement, ustensiles
de Cuisine et Cuisine elle-meme ; l’héritage de la Cuisine pose des problèmes lorsque, camme dans
les villages ébrié, elle est « en dur » et doit &re abattue et déplacée. Les constructions « préfa-
briquées » des Alladian se pretent mieux à l’opération. Seules héritent de droit, dans l’ordre
préférentiel, les soeurs et les fìlles de la tante maternelle de la défunte ; à défaut, c’est la plus vieille
femme de l’a&k3 qui prend l’héritage ; c’est elle aussi, notons-le, qui doit &re presente lorsque
le chef de tour ouvre la malle où se trouve l’abii wakre.
Ce mode de dévolution ne s’applique évidemment qu’aux biens spécifiquement féminins
appartenant en propre à une femme. Le cas des biens dont une femme a pu hériter à titre de
« remplacante » de l’héritier male est tout différent.
Les captifs et captives des individus d’un meme aci3kp se considéraient du point de vue
de l’héritage camme frères et sceurs. 11s se transmettaient I’héritage des biens qu’ils avaient pu
acquérir à titre personnel de « frère » à Nfrère » et d’ « oncle materne1 » à « neveu utérin ». Mais,
parallèlement à leur intégration plus poussée à l’aci3k3 au tours du xxe siècle - due sans doute
au succès financier de certains d’entre eux - le lien père-fils était d’autant plus solide chez eux
que, du fait des mariages pseudo-endogamiques, père et fìls se trouvaient presque toujours faire
partie du meme aci3kg. C’est donc tout aussi bien leur situation particulière (leur interdisant
théoriquement toute prétention à l’héritage d’un membre de l’aci3k3 pmo - « direct 1)) que la
« stratégie » globale de l’a&kg qui donnait une dimension supplémentaire à la relation père-fìls
parmi les « akore bo ».
ou méfait à I’action des awabo : dans les deux cas l’interrogation révèle après coup des con-Bits
jusqu’alors tenus cachés.
Sur la technique meme de l’interrogation, nous n’insisterons pas ; elle a été souvent décritel ;
l’interrogateur est désigné par le cadavre lui-meme ; celui-ci est porté en principe par des jeunes
gens pris au hasard, étrangers à la famille ; le cadavre répond affirmativement en avancant (en
faisant avancer ses porteurs) de trois pas, négativement en reculant d’autant. Un bon interro-
gateur parvient assez rapidement à « situer » la cause de la mort (hors du littoral ou sur le littoral,
hors du village ou dans le village, hors de la famille ou dans la famille, etc.) et la précision du
diagnostic - de l’atte d’accusation, éventuellement - dépend pour une large par-t de son brio.
Il peut arriver qu’à la suite d’une interrogation mal conduite, la famille aille consulter un « clair-
voyant » pour obtenir des précisions supplémentaires. A l’heure actuelle, il est rare qu’un cadavre
ne soit pas interrogé. Protestants et catholiques pratiquent l’interrogation de facon plus symbolique
que les harristes : seul un linge ayant touché le mort est porté en guise de cadavre.
La tension qui apparait à l’intérieur de la famille s’accompagne souvent d’une tension
entre alliés. La veuve du mort est soupconnée a priori par toute la parenté matemelle du mort ;
sans intervenir directement, la famille de la veuve, quand celle-ci n’est pas une étrangère, surveille
l’attitude de sa famille par alliance. Une sceur du mort, ou sa mère si elle était en vie, enfermait
la veuve chez elle dès la mort de son mari.
Le père du mort, dans l’hypothèse où le mort ne portait aucune accusation contre son
épouse, subvenait à ses besoins pendant toute la durée de la séquestration ; celle-ci durait trois
mois. Aujourd’hui elle ne dure que huit jours ; reste qu’aucune visite à la veuve n’est autorisée,
et que, lorsqu’elle sort le matin - pour aller au cimetière et à l’église - et le soir - pour satisfaire
à l’hygiène -, elle est accompagnée par l’une de ses gardiennes.
Le lendemain de la mort, la veuve, après tous les parents et amis, se présente sous l’apatam
à l’abri duquel on a exposé le mort. Elle vient pour habiller celui-ci ; c’est elle qui fournit les
vetements : une couverture (ou 2 500 francs à l’heure actuelle), deux pagnes, une culatte, portés
par deux femmes qui la précèdent. Le chef de l’acigkg et le père du mort comptent les différentes
offrandes. Les soeurs du mort insultent la veuve. Le père, traditionnellement, lui reproche sa
ladrerie, soulignant que son fils a enrichi et agrandi l’a&kg de sa femme. Celle-ci pleure, jusqu’au
moment où ses cadeaux sont enfin acceptés. La parenté matemelle de la veuve a entre-temps
envoyé une délégation de villageois demander pardon en son nom aux parents du mort.
A l’approche des funérailles - en principe trois mois après l’enterrement, le premier jour
de la semaine précédant les funérailles -, les proches parents et les voisines de la veuve apportaient
trois ou quatre canaris d’eau et la lavaient ; elles la faisaient ensuite rentrer dans sa case, peu
avant midi ; la veuve se couchait sur sa natte, couverte de pagnes de la tete aux pieds. Les
assistants partaient alors sur la plage et revenaient en début d’après-midi lui « demander la
nouvelle ». Elle répondait en principe que son mari était venu.
S’il n’était pas venu, c’est quelle avait quelque chose à se reprocher. Les assistants convo-
quaient l’esub& la catégorie d’age du mort, dont le chef l’interrogeait, pour lui faire avouer qu’elle
avait trompé son mari et dénoncer ses complices.
L’esaba lui infligeait alors une lourde amende - boisson et argent - ainsi qu’à son ou
ses complices - puis invoquait le pardon du mort. Le lendemain la meme scène se reproduisait,
I’estibE du mort augmentant ses amendes en cas d’un nouveau refus du mort de visiter sa femme2.
Les parents de la femme et ceux du mort insultaient évidemment la coupable.
A l’heure actuelle, à Jacqueville, on se contente de couper les ongles et les cheveux de la
veuve, huit jours après la mort du mari, et de lui apporter un seau d’eau pour qu’elle se lave.
A l’invitation de sa famille maternelle, c’est elle qui éventuellement convoque l’esztba pour
confesser ses torts.
Durant la m6me période, qui voit donc se manifester des tensions à l’intérieur de la parenté
I. Cf. par exempleB. HOLAS, Le séparatisme religieux en Afrique Noire, Park, P.U.F., 1965.
2. La veuve devait sentir le mort toucher sonvisage- sansle voir, puisqu’elle était recouvertede pagnes:
216 LE RIVAGE ALLADIAN
maternelle du mort, entre ses paternels et ses matemels, enfin entre l’ensemble de sa parente
et celle de sa femme, le cérémonial de l’enterrement et la préparation des funérailles mettent
en jeu des solida&& multiples. Le jour meme du décès, paternels et matemels, réunis autour
du corps, font appeler tous les miSa de la famille - c’est-à-dire tous les hommes ayant épousé
des femmes de l’aci3k3 du père et de I’achk3 de la mère du défunt. Tous ces miJa iront dans les
divers villages alladian, et éventuellement plus loin, annoncer aux intéressés (membres du mkme
EWE,des familles par alliance, des sme alliés...) la nouvelle de la mort survenue. Le lendemain
ce sont les enfants des parents dans les deux lignées, des alliés et des camarades d’esaba qui
construisent avec des palmes l’abri du mort.
Les anciens de chaque tour du village viennent saluer le corps ; on leur offre à boire -
c’est le père du mort, ou son héritier, qui, en principe, tient les comptes et fait les avances de
fonds. Précédant la veuve, un grand nombre de villageois apportent des cadeaux, en nature -
pagnes, parfum, poudre de riz - ou en espèces. Ce sont les mija et les sbiiii de l’achk3 du mort
qui creusent la tombe. Il faut noter enfm que par rapport à la veuve l’esubi du mort joue un
role intermédiaire : il contribue à atténuer le ressentiment du mort en faisant avouer ses torts
à sa femme, et d’un autre c6t.6, il est plus facile à celle-ci de s’adresser à l’e.wbE qu’à la famille
de son mari.
La dramatisation.
La dramatisation des épisodes qui ont pris piace entre la mort et les funérailles constitue
une récapitulation et une atténuation ; dans tous les sens du terme : une « réduction ». Ainsi de
la querelle entre patemels et matemels, puisque, si les questions posées lors de l’interrogation
du cadavre sont reformulées aux funérailles, une réponse definitive et souvent discrète (tous
les assistants sont au courant) leur est alors rapidement apportée ; l’affaire a déjà été réglée,
ou est en voie de l’etre, et se réduit à un souvenir. C’est un représentant des achkg vivant dans
la moitié du village opposée à celle où vivait le mort qui interroge le père du mort (ou son héritier),
instituant ainsi un dialogue entre celui-ci et la mère du mort (ou plus exactement le représentant
de l’acigkg du mort). A Jacqueville, le rle d’intermédiaire est assumé par un représentant des
camarades d’esuba du mort - en principe des camarades d’esubi habitant la moitié du village
opposée à celle où vivait le mort.
Une fois dramatisées, puis désamorcées les querelles, potentielles ou existantes, touchant
aux causes de la mort, ce sont les problèmes d’héritage qui sont abordés et, à leur tour, « joués ».
Le représentant de la famille paternelle demande au représentant de la famille matemelle quel-
qu’un pour remplacer son fils pendant les funérailles. La famille matemelle désigne alors l’héritier.
RELIGION ET MAGIE 2=7
Une discussion peut s’engager (mais qui n’est que la reproduction et le résumé d’une discussion
déjà tenue et close) si I’héritage n’a pas été absolument normal par rapport aux normes duedroit
coutumier. Les camarades d’esuba du mort sont pris à témoin et refusent de se prononcer. Even-
tuellement le père fera admettre que I’héritier désigné n’est pas I’héritier à proprement parler
(@ia ortO), mais le gardien de l’héritage (avra on5, de avya : garde) - dans le cas, par exemple,
où pour une raison quelconque, le frère du mort - autre fils du père - est supplanté par son
neveu. Ainsi seront apaisées, le cas échéant, la colère et la jalousie de l’héritier de droit méprisé.
Le père donne en fin de compte la parole aux esubabo qui disent en substance : (CNous
sommes d’accord, puisque vous l’etes » et invitent l’héritier à entrer dans l’es%bE du mort à titre
de Zg2a szlba on6 (de @ia : héritage) après avoir payé sa cotisation et offert à boire. L’héritier
quitte sa piace (à coté du représentant des matemels du père) et va s’asseoir à la table des esubabo.
C’est en dernier lieu la veuve du mort qui se voit pleinement réintégrée, dans son nouveau
role, à la société villageoise, par l’intermédiaire de l’esuba du mort. A la fin de la cérémome, quand
tous les participants ont versé leur offrande, et que les esubabo ont commencé à boire, la veuve
se Iève et vient rejoindre son « mari )) (l’héritier du mort) à la table de l’eszt,bZ; elle est précédée
d’une jeune femme qui apporte en son nom des cadeaux aux esubabo (boisson, kola, tabac, ciga-
rettes...). Elle exécutait anciennement - et encore maintenant lorsque le mort et la veuve sont
harristes - une danse qui symbolisait sa dernière union avec son époux. A la fin des funérailles,
les esubabo lui offrent des cadeaux importants. Ainsi s’achevait et, plus symboliquement, s’achève
encore la période de « purgatoire » de la veuve.
Le soir des funérailles, enfin, la famille du mort offre à boire à tous les chefs d’aczhk3. On
partage une petite somme prélevée sur les offrandes recues dans la matinée entre toutes les tours
avec trone du village. Avec ses « collègues » le chef de l’acigk3 boit au nom des C(.zmedabwe” », les
« sept familles » ; les fun&ailles se terminent ainsi sur l’évocation d’une unité qui dépasse les
frontières du village et de la famille.
La coopération financière.
Les funérailles sont l’occasion de transferts de biens dont la famille du mort peut éventuel-
lement &re bénéficiaire. Patemels et maternels du mort commencent par se répartir les frais
de boisson : il est entendu que les paternels et les matemels paieront pour leur part un certain
nombre de caisses ; cela ne veut d’ailleurs pas dire qu’ils auront à faire l’avance des fonds ; c’est
un représentant aisé de la famille qui s’eri chargera généralement. Le père achète le cercueill.
Le deuxième atte intervient pendant la cérémonie des funérailles, après la désignation
de l’héritier. Appelés par l’skoono (héraut, crieur) du village, le père, puis les esubabo du mort
apportent leur cotisation, suivis par les représentants de la famille : aci3k3, acGk3 dissimilés,
associés et dissociés, ebiiii des aci du père et de la mère - dont les cotisations sont centralisées
par les eb&G de l’aci3kg du mort dans son village, les seuls qui doivent obligatoirement cotiser -,
miJa (la participation n’est obligatoire que pour ceux qui ont épousé des femmes de l’achk3 du
village du mort) et représentants des notables du village ou d’autres villages. La participation
de I’sme est plus spécialement affectée aux cadeaux en nature (pagnes, couvertures) qui seront
déposés partie dans la tombe du mort, partie dans l’abz2 wakre de son acigk3. Pour l’essentiel elle
n’entre donc pas en déduction des frais occasionnés par les achats de boissons. Les esubabo, outre
ce qu’ils versent à la veuve, font une offrande correspondant en principe à une fois et demie ce
qu’ils ont recu.
A l’issue des funérailles, on fait les comptes. Le père - ou son héritier - a le droit, s’il
y a un solde positif, de prélever pour la dernière fois sa part de droit sur le CC travail» de son 13s.
Le reste est éventuellement partagé entre les aci3k3 dissimile%, associés ou dissociés du meme .zme
dans les différents villages.
A tette occasion s’affirme I’unité due à une commune origine (entre achk3 et achk3 dissociés
I. A Jacqueville, au moins, tous les morts sont placés dans un cercueil avant d’i%-e enterrks.
15
218 LE RIVAGE ALLADIAN
d’un meme &meet de différents vihages - ou meme entre &meet Emetrès anciennement segmentés :
« sib » et « sub-sibs ~1tels qu’Andongon et Aboutchiam, Nafoum, ou Natou et Okwen, ou Kitrava
et Nébè...).
Mais toujours à tette occasion s’affirme avec autant de force l’unité due à une association
plus proprement sociale et manifestée par une résidence commune (entre aci3kg et acGk3 associés
d’un meme village). Les funéraiUes, de ce point de vue, constituent une mise en oeuvre des principes
d’organisation analysés dans les chapitres précédents.
Exemples : I. Voici les comptes correspondant aux funérailles d’une jeune femme de
l’Eme Kitrava célébrées à Grand-Jacques en 1963. Paternels et matemels, convoqués par l’héritier
du père de la défunte, ont fixé le total des boissons à consommer pendant les funérailles à :
8 caisses de bière,
6 caisses de limonade,
4 caisses de vin ;
soit 18 caisses de boisson, 6 à payer par le père, 12 par la parenté maternelle.
La par-t des matemels se distribuait très précisément ainsi : Audouin (où se trouve l’srne Loko qui serait
l’origine des Kitrava) :
z caisses de vin ;
Grand- Jacques - pour les Boumbro (swzed’accueil auquel les Kitrava se sont associ&) :
I caisse de limonade,
Les Kitrava de Grand-Jacques assumaient en outre les frais du transport du corps par pétrolette
(4 000 francs).
Une fois comptabilisés les dons des parents et amis (y compris ceux du veuf, en l’occurrence
un Adioukrou dont les camarades offrirent 3 150 francs, de l’igname, du manioc et de I’huile
de palme) et remboursé l’aci3k3 d’Avagou qui avait fait la mise de fonds initiale, il y eut un solde
de 7 150 francs CFA partagés entre les différents villages où était représenté l’eme, compte tenu
de la part de frais que chacun était censé assumer.
Parallèlement les dons suivants étaient faits à la morte par chacun des aci3k3, par le père
et par le veuf :
Audouin . Ipagne
Avagou : 750 francs
Sassako : 1 pagne
M’bokrou : 500 francs
Grand- Jacques : 1 pagne
Le père : I pagne
Le veuf : 2 pagnes
I couverture
3 petits pagnes
le cercueil
Furent effectivement déposés dans la tombe : les cinq pagnes et la couverture du mari,
et trois autres pagnes. Le reste (un pagne et I 250 francs) fut pour l’abii wakre de l’a&kg Kitrava
de Grand- Jacques.
2. Nous avons pu consulter les comptes de funérailles célébrées récemment (début 1967)
à JacqueviUe ; ils semblent concerner des sommes à peu près équivalentes à celles du premier
exemple (l’essentiel des dépenses étant toujours consacré à la consommation) et mettent en valeur
la permanente des relations dont les funérailles manifestent la vitalité, indépendamment meme
de l’éloignement géographique des intéressés.
- Cotisation des hommes de la famille paternelle (aci& du pere de la morte) ............... 3 800 francs
(Les cotisations individuelles varient de 200 à I ooo francs.)
- Cotisation des femmes de la famille patemelle ...................................... 1700 -
(Les cotisations individuelles varient de IOO à 300 francs.)
- Cotisation des représentants de la famille paternelle à Abidjan ........................ 3 500 -
TOTAL de la cotisation de la parenté paternelle ..................... g 000 francs
Le cercueil cofitait g ooo francs, mais si l’on tient compte du fait que toutes les boissons
achetées ne sont pas consommées, et qu’en outre le total des cotisations des patemels et maternels
n’est pas intégralement converti en boissons, on voit que les frais des funérailles ont été largement
couverts.
Quant aux dons effectués au mort lui-meme, principalement les pagnes déposés dans sa
tombe, ceux qui sont offerts par les achk3 du père et de la mère de la défunte sont pris dans l’abii
wakre ; une cotisation parmi les E~Z%ou à l’heure actuelle, le cas échéant, une demande d’argent
à un .zbizZ ou un abiiiii travaillant en ville, permet de les remplacer - cela, si le chef de tour a,
camme c’est son devoir, le souci de maintenir et d’accroitre I’abii wakre.
220 LE RIVAGE ALLADIAN
Nous n’avons cité ces quelques chiffres (qui donnent une idee de l’importance des sommes
consacrées régulièrement et rituellement à la consommation immédiate) que pour souligner la
réalité de la participation des parents, alliés ou amis à la célébration des funérailles, c’est-à-dire
pour une large part à la célébration de la vie sociale qui continue par-delà les péripéties indivi-
duelles, malgré les contradictions et les oppositions dont elle est le lieu et l’objet. Cette celebration
n’est, à tout prendre, que la constatation d’une fatalité ; comment la vie sociale pourrait-elle
s’arreter ? Les funérailles sont moins une remise en ordre, si l’on veut Gtre précis, qu’une remise
en forme : une facon d’ « arranger Nles choses et de reculer les échéances - une manière de Nradi-
calisme » appliqué aux problèmes de la famille ; mais elles sont aussi l’occasion de faire apparaitre
au milieu d’un « règlement de comptes » entre parents et entre alliés la force de sohdarités pro-
prement villageoises : les es&Zbo sont les rois des funérailles ; ils interrompent les orateurs pour
pousser leur cri de guerre ; ils déplorent la ladrerie des parents du mort, de son héritier ; ils sont
d’ailleurs au courant des secrets de la famille et ce sont eux qui, en définitive, déclarent clos le
débat, après avoir défendu les intérets de leur camarade ; ils servent de relais ou de frein aux
pressions de telle ou telle branche de la famille ; s’ils refusent de prendre position à propos de
la désignation de l’héritier, ils sont pris symboliquement à témoin par le père du mort (ou son
héritier) ; ils sont témoins de toute facon ; or, l’es~ba du mort est presque toujours accompagné
de son e.sztbZpère (individus agés de 5 à II ou IZ ans de plus que les esz&&3odu mort) et de son
esu% fils (individus agés de 5 à II ou 12 ans de moins que les esz&Zbo du mort), accompagné
aussi des esubii d’autres villages qui lui sont alliés. Avec la fin des funérailles, atte est pris par
tout le village et par la société alladian dans son ensemble de la conciliation momentanée des
intérets en présence. Les funérailles sont moins une conclusion que l’occasion d’un bilan dont
tout le monde aura les termes en tete lorsqu’une nouvelle mort ou de nouvelles accusations les
remettront en cause.
Mais à trop souligner le role de la « conscience » villageoise, telle que l’incarnent les esababo,
dans des affaires proprement familiales, on pourrait etre trop facilement, une fois encore, conduit
à décrire l’ensemble du système social camme (( équilibré » ; il est naturellement vrai que les
eszcbtlbo peuvent faire contrepoids à l’influente de certains membres de la famille ; mais ils peuvent
aussi s’en faire l’instrument. En outre, membres parfois d’une meme famille et sujets aux m&mes
craintes que ceux qu’ils controlent ou assistent, ils n’exercent pas nécessairement sur eux une
influente déterminante.
Qu’en est-il au juste dans la société traditionnelle et aujourd’hui encore du role théorique
et de la force pratique des institutions sociales indépendantes de la parenté ? De quel poids
pesait et pèse encore l’organisation politico-administrative sur la vie de l’individu et de la famille ;
assignait-elle (assigne-t-elle) aux individus dans la vie et dans la hiérarchie sociales une piace
véritablement indépendante de leur statut familial ?
7
L’organisation politique
et administrative
1. LA CHEFFERIE
1. LA CENTRALISATION DE L’AUTORITÉ
Grand-Jacques est volontiers présenté par les informateurs camme l’ancienne u capitale »
du littoral. Mais ce terme ne recouvre pas de réalité proprement politique. L’autorité de Grand-
Jacques était d’ordre sacré, mais son monopole à cet égard n’était pas sans conséquences sociales
et économiques d’importance. On a vu que par son role dans le culte de Lavri, Grand-Jacques
commandait en fait tout le rythme de l’activité économique traditionnelle ; le fait que Grand-
Jacques fiìt aussi le sanctuaire du dieu Bedé avait une grande importance : le culte de Bedé
dépendait doublement de la chefferie de Grand- Jacques ; ses pretres étaient nécessairement
Boumbro ; au nombre de deux, ils acceuillaient chaque « mercredi » (debi) les suppliants de
divers villages et recevaient les offrandes - on ne sacrifiait à Bedé que des cabris. Si les Boumbro
avaient le monopole du culte, les Bodo bénéficiaient indirectement de ce culte : tous ceux qui,
222 LE RIVAGE ALLADIAN
accusés genéralement de sorcellerie, se réfugiaient auprès de Bedé, pour perdre leur ~WGIet échapper
à leurs parents, devenaient membres de l’awe Bodo.
Trouvaient refuge auprès de Bedé tous ceux qui étaient accusés de sorcellerie, non par
un cadavre (ceux-là etaient tués s’ils ne supportaient pas l’ordalie) mais par telle ou telle personne
de leur entourage. Il semble que Grand-Jacques jouait, de ce point de vue, un role analogue à ceIui
joué actuellement par Bregbo. Le fait que beaucoup de délits devaient &re entachés de sorcel-
lerie a sans doute contribué à constituer Grand-Jacques en capitale judiciaire du littoral. Un
individu pouvait toujours menacer ses parents de s’enfuir auprès de Bedé. Pour le récupérer il
leur faudrait ensuite lui pardonner et faire une offrande importante aux pretres de Bedé et à la
famille Bodo.
Centre de la vie religieuse, et par là centre de décision économique et facteur de « paix
sociale », Grand-Jacques était donc avant tout un symbole de l’unité alladian. Chaque chef de
village restait néanmoins indépendant ; Grand-Jacques ne levait ni impots ni troupes ; s’il semble
que dans le courant du XIX" siècle Grand- Jacques et Jacqueville s’étaient assuré le quasi-monopole
du commerce de traite - et que la participation à ce commerce dépendait originellement du
chef de Grand-Jacques -, la justice (sous certains aspects), la guerre, la faculté de conclure
des traités étaient du ressort de chaque chefferie. La liste des traités passés avec la Frante par
chacun des villages alladian est significative à cet égard. A l’intérieur meme de chaque village,
indépendamment des organisations familiales qui jouaient, chacune pour leur compte, un role
essentiel dans la vie socio-économique du pays, les structures d’autorité étaient multiples.
4. LA JUSTICE
C’était une fonction essentielle de la chefferie, mais les cas portés devant le chef étaient,
semble-t-il, relativement rares puisque l’aci3k3 et l’sme fournissaient autant de juridictions inter-
médiaires où beaucoup d’affaires pouvaient se régler à l’amiable ; le recours à ces juridictions
était la règle lorsqu’un litige quelconque opposait deux individus de meme acioks ou de meme ame.
Souvent meme des conflits opposant des individus de deux Eme différents - affaires d’adultère
par exemple - se réglaient à l’amiable sans intervention des anciens de chaque achkg concerné,
l’affaire étant uniquement du ressort du père du mari et du père du coupable - puisque le père
est celui qui « dote » une fìlle pour son fils.
Le chef et les pamabo constituaient une juridiction d’appel à laquelle tout individu pouvait
pourtant s’adresser. Le plaignant demanda3 aux pumabo de faire sor-tir la canne (puma), et
devait pour cela faire une offrande - d’ailleurs précisément « tarifée 1).L’oko oti0 (héraut, porte-
parole des pumabo, chargé plus spécialement de transmettre les messages et les ordres du chef)
portait le @urna à l’accusé, ou à l’adversaire, qui devait payer l’gko on5 et rapporter rapidement
le puma, sous peine d’amende, aux @urnEbo. Ceux-ci le convoquaient à une date déterminée.
Préalablement à la réunion, le chef et les pumabo qui avaient entendu les deux parties,
tranchaient en principe l’affaire. Dans ce cas, seuls les pumabo assistaient avec les adversaires
à la réunion. Quand l’affaire était incertaine ou très grave, le chef y assistait en personne avec
les pumabo. Dans les deux cas, avant de prendre une décision, le chef ou les pumabo invoquaient
rituellement « baba )I, l’ancetre femme du village.
En cas de meurtre, le chef se contentait de faire convoquer le village et laissait décider
l’assemblée (composée de tous les hommes mariés). Ce cas ramenait généralement à celui d’une
accusation par le cadavre, et l’on a vu la rigueur du chatiment qui s’ensuivait - ordalie et
généralement mort.
Pour tout ce qui touche aux questions de sorcellerie (sur accusation d’un homme vivant)
on a vu que Grand- Jacques exercait un véritable monopole ; camme les délits importants pouvaient
difficilement ne pas etre entachés d’awa, il faut bien admettre que les pretres de Bedé constituaient
à coté du chef de Grand-Jacques une juridiction d’appel pour tout le cordon littoral.
Sous l’administration coloniale, les pumabo sont devenus les sous-ordres des chefs administra-
tifs, jouant notamment le role de recruteurs pour les «corvées » ; ce r6leimpopulaire n’était pas de
224 LE RIVAGE ALLADIAN
tout repos, et l’on cite le cas de nombreux pumabo qui, faute d’avoir pu empecher la fuite des
jeunes gens désignés, durent les remplacer. Il existe toujours des pumabo dans chaque village,
mais ils n’exercent plus aucun role officiel ; avec le chef de village, ils facilitent assez souvent
le règlement amiable de conflits mineurs ; les Alladian étant assez vindicatifs, les affaires montent
toutefois assez vite à la sous-préfecture (à Jacqueville) et au tribunal de premier degré à Dabou
GRAND-JACQUES
i
Btido
I
IJjako ‘Djava
t (Boumbro)
t
Epé kou
(T&; )
(avarh - Kitrava)
Djragbou
(Boumbro 1
- Àndo Neuba -
(Bodo)
Nemre Bassi
( Bodo) h Nemré Bassi
Logon Lavri ti é
( Bodo)
Bodo Anga
Kacou
Gra
(il Renconlr& par I’Amiral Fleuriot de Langle en 1868
121 mort en 4927
FIG. 46 A. - Chefferie coutumière et chefferie administrative de Grand- Jacques.
L’ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE
GRAND-JACQUES (suite)
0 0 0
4 Bogui Yesso c
(Bodo)
AVAGOU
Lezou Neuba
Boizi Lébo
p Neuba Lavri
4 Yao Egi é b
4 Kongwo Eté *
P
mariage ” abum ”
Boisi Lebo
Lobo Azi Ko
6ommeqan.t de l’économie alladian les obligea dès le début à adopter une attitude conciliante,
parfois réservée, à l’égard des nouveaux venus ; l’attitude des chefs et des anciens de facon générale
fut, de ce poi& de vue, foncièrement différente de celle des jeunes gens qui s’enfuirent, parfois
par eszlba entiers, du c6té de Grand-Bassam, passant souvent en Gold Coast pour échapper au
travail forcé. La position des notables et celle des autorités coloniales furent alors identiques,
puisque les fuites de jeunes gens leur 6taient à tous une main-d’ceuvre indispensable.
Toujours est-il que si l’on affette du signe + le représentant le plus influent du village,
du signe - le représentant le plus N forme1 », en exprimant par le signe G-----S le cumui des
deux fonctions, les changements dans la chefferie alladian peuvent se symboliser presque toujours
par l’un des deux schémas suivants :
Cheff erie Cheff erie
traditionnelle administrative
Avant la cheff erie administrative ............ +
Création de la cheff erie administrative ....... < >
Après la chefferie administrative ............ < >
IL LES ESUBi
Les « catégories » ou les « générations », pour reprendre les termes utilisés par les informateurs
et les interprètes, rappellent tout à la fois les organisations similaires des autres lagunaires et
celles, moins rigoureusement définies, des Dida (zoizpa). Les esub porte& un nom d’animai ; ils
jouaient un role guerrier importa& ; mais chacun d’eux regroupe des individus dont les différences
d’age n’excèdent pss, selon les cas, trois à cinq ans. Le nom de tout esub reproduisait en principe
celui de son esuba Npère )), c’est-à-dire de l’eszlb5 précédant son prédécesseur immédiat. Autrement
dit - puisque tout esuba avait ainsi un « père » et un « grand-père N- l’ensemble de l’organisation
se présentait camme l’entrelacement de deux groupes formés chacun pour sa part d’une série
d’esubE alternés ; les combats rituels organisés d’après ce modèle rappellent aussi l’organisation
correspondante des Dida telle qu’elle a été décrite récemmentl. Rieri donc, sous cet aspect, qui
rappelle l’organisation N cyclique » des classes d%.ge abouré ou ébrié ; rien non plus qui rappelle
leur caractère rigoureux. Il arriva3 que pour une raison ou pour une autre, des individus chan-
geassent d’esub& Toutefois les esaba jouaient un r6le très importa& dans la vie familiale, sociale
en général, politique, administrative et économique de la société villageoise.
Les eszlba constituent en quelque sorte la « charpente » temporelle du village ; chacun se
situe par rapport. à son voisin en fonction de son e.szlbE, et, à l’intérieur d’un meme esaba, chaque
esztb&ww? sait si te1 ou te1 de ses camarades est plus ou moins kgé que lui. On appelle abri un
camarade d’esaba, blew un homme plus 2gé que soi, par son nom un homme plus jeune. Toute
la société est. ainsi classée car, contrairement à ce qui se passe par exemple chez les AbourP les
I. E. TERRAY,O~.&.
2. NIANGORAN BOUAH, 09. cit.
228 LE RIVAGE ALLADIAN
femmes appartiennent à un esub& donne en fonction de leur naissance et non de leur mariage ;
les femmes d’un meme esubii peuvent se réunir à volonté, mais seuls les hommes ont la possibilite
de convoquer l’ensemble de l’esub& L’appartenance a un esztba est en outre ce qui dorme à tout
individu l’assurance d’acquérir en vieillissant un statut social de plus en plus important, et une
influente de plus en plus effettive, indépendamment de sa position dans sa propre famille : l’inter-
vention des e.mbZ dans les affaires des différentes familles, notamment à l’occasion des décès,
met en jeu en effet, avec des individus de plus en plus agés, des intérets de plus en plus importants.
Autrefois, c’était très régulièrement un ancien du village, qui, s’aflirmant par là un authen-
tique notable : riche et puissant, décidait, au moment opportun, de former un esubii. Un esubi,
au moment de sa formation, groupait des jeunes gens de 15 à 20 ans. La f&e de formation de
l’esaba s’appelle eygra ; on y procède à deux forma&& importantes : la constitution de la hiérarchie
interne de l’esubi et les mariages d’asuba.
Ce sont les esubiibo eux-memes qui nomment, souvent sur le conseil de leurs a!ìnés,leur
eEGri ou chef d’eszlba; c’est en principe un jeune homme fort, brave et intelligent. Il est assisté
d’un eii&e ou sous-chef, d’un bododievri ou porte-parole - lui-meme aidé par un bododietie -, et
d’un 3Rovri - lui-meme aidé d’un Aotie - ou messager, chargé de transmettre les convocations
lancées par Se&Gz’.
Le 6ododZeest, lui, l’arbitre de toute discussion et le juge de son déroulement ; I’ezSvrZ
l’a mis préalablement au courant de son sentiment sur l’affaire discutée. Le bododie en fait donc
tout d’abord l’expo& ; les autres se lèvent et expriment à leur tour leur opinion après avoir demandé
I. Une partie des àsoro est passée chez les àbobo, à la suite d’une querelle entre les ainés et les cadets de
Seszcbà.
L’ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE 229
à l’eiirivri si le bododie a bien exprimé sa pensée ; s’ils sont d’accord, la discussion est close
d’elle-meme.
Une fonction dans un esub& est pour un jeune homme la première occasion d’avoir un
role officiel dans la vie du village ; mais tette fonction n’est pas incompatible avec une autre
fonction - chef de village ou chef de quartier. La cérémonie de l’eygra se déroule sous le par-
rainaae de l’esub& Dère du nouvel esuba. dont celui-ci mend normalement le nom ; il peut aussi
prendre le nom d’in autre esub&, auquel il doit alors mire une offrande, sans que tette homo-
nymie crée entre eux, semble-t-il, de lien particulier.
1 1869-1873 1 1
11 1874-1878 2 3
111 1879-1883 1 3
IV 1884-1888 5 12
V 1889-1893 IO 13
VI 1894-1898 6 9
VI1 18wIw3 18 19
VI11 Igo4-1908 9 13
1x 1909-1913 7 21
X1 Igq-1916 14 23
x1 1917-1919 14 11
x11 1g20-1922 12 13
x111 1923-1925 IO 11
XIV 1926-1928 6 17
xv 1929-1931 8 17
XVI 1932-1934 1 IO
XVII 1935-1937 1
XVIII w38-w40 5 7
x1x 1941-1943 2 6
132 217
Le « tuteur » de l’esub& celui qui l’a « institué », prend vis-à-vis de lui un certain nombre
de responsabihtés, mais peut lui réclamer une contrepartie (cf. ci-dessous). Sa charge est héréditaire,
et c’est son héritier dans l’achk3 qui assume à sa mort ses responsabilités ; il a notamment à charge,
si elle n’a pas encore été célébrée, de préparer la féte d’esuba krua, fete en quelque manière osten-
tatoire offerte après quelques années par le tuteur à l’esuba qui a travaillé pour lui, et à la suite
de laquelle aucune obligation ne les lie plus.
C’est également le jour de l’eygra que se célèbrent les mariages d’esubii; c’est un mariage
symbolique qui entraine un certain nombre d’interdits : non seulement un homme n’a pas le
droit d’épouser sa « femme d’esuba )), mais ils ne doivent échanger que le minimum de paroles,
et doivent payer une très forte amende s’ils se surpremrent l’un l’autre en train de s’habiller, de
se laver, de manger ou de boire... Lors d’esub& krua, la « femme d’esubl » (&nkranomwZ) s’occupe
‘de son « mari » (Gzkranizi) à la piace de sa femme véritable : elle vient le réveiller, lui apporter
de l’eau pour son bain, lui lave ses pagnes, lui fait ses repas - la femme véritable servant naturel-
lement d’intermédiaire, puisque les interdits mentionnés plus haut restent en application, et que
I. A tette date on a fait des esuba de trois ans, car dans les « combats » d’esubà les plus jeunes s’estimaient
trop défavorisés. Telle est du moins l’explication de plusieurs informateurs.
230 LE RIVAGE ALLADIAN
TABLEAU XX (suite).
I champ de manioc
Bambous
les violer entraine la mort ou la st&il.it& Après tette fete (et maintenant avec le temps, lorsque
la fete ne semble pas devoir etre célébrée), l’&kranomwZ et l’&zkranizi peuvent se rendre des
visites, se faire des cadeaux sans que leurs époux véritables puissent s’y opposer - mais sans
. qu’eux-meme abandonnent leur attitude réservée, évitant notamment de s’interpeller et de
s’appeler par leur nom.
Un homme et une femme nés la meme semaine sont nécessairement mari et femme d’esuba;
plus exactement, un homme a pour femmes d’esub& toutes les femmes nées après lui durant la
meme semaine sans qu’un homme s’intercale entre elles - auquel cas, ce serait cet homme qui
aurait pour Nfemmes N celles qui le suivraient dans l’ordre des naissances de la semaine. Pour le
reste, il semble que ce soit les femmes qui choisissent leur mari.
232 LE RIVAGE ALLADIAN
Nous avons employé le présent pour décrire ces aspects de l’institution, car ils sont tous
actuels ; il faut cependant fair-e une distinction entre les différents villages ; c’est ainsi qu’à Jacque-
ville l’institution semble plus dégradée que dans d’autres villages, et que le mariage d’esuba parait
quelque peu folklorique, dans la mesure où d’une part il n’est pas général, où d’autre par-t les
interdits qu’il entraine théoriquement ne sont pas respectés ; nous reviendrons en fin de chapitre
sur ces différences entre villages et sur leur signification. Notons pour l’instant que les Alladian
y sont sensibles, puisque les esubii d’autres villages ont presque toujours refusé l’alliance avec
ceux de Jacqueville.
L’alliance entre e.subE de villages différents sanctionne une alliance entre deux familles
de ces memes villages ; sous cet aspect (et bien qu’une alliance matrimoniale n’entraine pas
automatiquement une alhance entre esubii) ce type d’alliance montre indirectement la relative
rareté des mariages entre individus de villages différents ; la sanction est en effet spectaculaire,
et les alhances entre esuba de différents villages ne sont pas très fréquentes (cinq au maximum
pour un esubii donné, et plus souvent une ou deux). Une alliance de ce genre, enfin, « rattrape »
sur le plan social une discordante interne de la famille, due à la combinaison de la matrihnéarité
et de la patrilocalité.
Exemple : un certain Abi Beugré, d’dkrou, avait épousé une femme de Grand-Jacques.
Son fils, Beugré Abi, a vécu longtemps à Akrou où il s’est marié et a eu à son tour un fils, Abi
Beugrétié, dont l’esuba a été formé à Akrou. Puis Beugré Abi est rentré à Grand-Jacques pour
y succéder à son oncle materne1 et devenir chef de tour ; il a naturellement emmené avec lui son
fils qui est entré alors dans I’embE de Grand-Jacques correspondant sensiblement à son age. Un
peu plus tard, enfin, à l’occasion du bapteme de son premier fìls, Beugrétié a invité son esuba
d’origine et a demandé à celui de Grand-Jacques de l’accepter pour allié. L’alliance fut conclue ;
à l’occasion des différentes cérémonies où l’un des e.wbZ se trouve invité, l’autre vient aussi, mais
les frais sont pour l’esub du village où a lieu la cérémonie en question.
On voit donc que les esuba établissent des liens de solidarité qui recoupent à proprement
parler les liens de parenté puisque ceux-ci sont particulièrement forts d’oncle à neveu ou de père
à fils, d’alné à cadet, alors que l’esuba un.2 des gens de meme age ; toutefois la véritable fonction
des esub& dépend de ses différents r-ales dans la vie sociale, économique et administrative du
village.
M.G. pour qu’il allat faire amende honorable auprès de ces esubabo qui exigèrent 6 ooo francs CFA
de boisson, et 2 ooo francs en espèces. Sa femme en est maintenant à son troisième enfant.
De ce point de vue, l’action des esubiT apparait donc camme l’un des éléments de la contrainte
que les anciens faisaient peser traditionnellement sur les jeunes gens ; c’est par l’esuba que chacun
peut, indépendamment de sa position dans sa propre tour, espérer acquérir progressivement
les privilèges matériels et’ moraux qui sont le fait de l’ancienneté.
dance à l’égard du village camme entité politique et sociale, incarnée, selon les cas, dans la personne
du chef de village ou dans celle d’un riche ainé. 11ssont la force du village. L’évolution de l’insti-
tution au tours du siècle confirme tette analyse, dans la mesure où aucune forme nouvelle de
coopération n’est venue remplacer le travail pour le tuteur, tette dernière forme de travail se
maintenant au contraire malgré les défaillances de certains tuteurs. Sur ce point, il y a de grandes
différences de village à village, mais la tendance la plus generale semble etre le paiement par
le tuteur du droit à ne pss célébrer esub& krua, à Grand-Jacques et Jacqueville certaìns tuteurs
ont ainsi « acheté » la renonciation des esubabo à leur f&e, et rétribué en espèces les services
accomplis par eux.
L’histoire de l’esubii X de Grand-Jacques est un bel exemple des retards systématiquement
apportés par les tuteurs à l’accomplissement d’une fete onéreuse et moins honorifique qu’au
siècle dernier en échange de services eux toujours appréciés.
Le premier tuteur de l’esuba X de Grand-Jacques s’appelait M.N. (le numéro X renvoie
au tableau ci-dessus) ; les Alladian nomment leur esub& par le nom du tuteur ou de l’e&vrz’; le
nom de l’animal qui leur sert d’emblème n’est pas distinctif, puisque plusieurs esuba portent
le meme. M.N. avait institué son esuba de bonne heure, alors que les jeunes gens concernés, nés
de 1913 à 1917, avaient de 8 à 13 ans.
MN. tomba malade peu après et mourut ; son héritier - le fils de la sceur de sa mère -
lui succéda camme esuba kzi ; il demanda une case en bambou pour lui et une Cuisine en bambou
pour sa femme. Il promit de faire une belle fete, mais mourut en 1937. L.D., son frère, lui succéda
et demanda qu’on lui défrichat une plantation de café ; les esubibo accomplirent encore d’autres
travaux pour lui : défrichage d’une plantation de manioc, fabrication d’une pirogue de lagune,
transport d’argile de la lagune jusqu’au village pour la construction de sa maison. Le neveu de
L.D. fut mobilisé en 1944. L.D. demanda qu’on attendit son retour avant de célébrer la fete.
Le neveu rentra, mais les promesses furent oubliées. Ce n’est que tout récemment (1964) que
l’esub lui réclama une somme forfaitaire de 46 ooo francs. Il refusa, escomptant peut-&re l’appui
d’un de ses neveux, personnalité politique localement influente. Mais le neveu refusa de lui donner
raison. L’esubE X1, cependant, avait été dédommagé, son tuteur ayant demandé à &re tenu quitte
de la f&e moyennant un don de deux bceufs et 6 ooo francs. Un dédommagement analogue est
toujours attendu de L.D. par l’esubii X.
Les jeunes esubE de Grand-Jacques continuent à travailler pour leurs ainés. C’est ainsi
que l’esuba XVI (jeunes gens nés de 1937 à 1941) travaille une fois par semaine régulièrement
pour son tuteur (coupant des bambous, construisant des cases, débroussant des portions de foret).
A Jacquevihe, la situation est différente, du fait du départ de très nombreux jeunes gens ; mais
le cas de Jacqueville est particulier et confirme, camme nous essaierons de le montrer à la fin de
ce chapitre, les conclusions que nous avions cru pouvoir tirer de l’examen de son terroir.
choisi par l’esub désigné pour etre responsable de la guerre ; l’organisation de celle-ci est loin
d’apparaitre clairement à la lueur des témoignages actuels ; en fait il semble que les conflits,
toujours très localisés, n’aient pas au siècle dernier conduit les villages alladian à des affrontements
très meurtriers avec leurs voisins.
Les deux conflits qui ont laissé quelques souvenirs sont l’un une guerre entre Audouin
et Grand-Jacques (au début du siècle dernier vraisemblablement) terminée par la mort dans
une embuscade du chef d’dudouin, l’autre un conflit avec les Adioukrou qui avaient tué un
Alladian à qui ils ne pouvaient fournir les quantités d’huile promises. L’efraono avait les pleins
pouvoirs durant la guerre, à laquelle, semble-t-il, le chef ne participait pas, et en tette occasion
au moins, il semble avoir utilisé ces pouvoirs pour s’emparer de la chefferie. Kagui Digré, dont
on a déjà parlé, perdit en effet son trone à la suite de sa mollesse à réagir contre les Adioukrou
parjures et meurtriers ; la chefferie pour une raison inconnue avait échappé aux Bodo-Boumbro
deux générations plus tot, mais Mbwa Djragbou la récupéra après avoir dirigé la guerre contre
les Adioukrou et destitué Kagui Digré, qui avait voulu terminer les opérations commerciales
en tours avec les vaissaux européens avant de faire la guerre aux Adioukrou.
Pour designer les esub& chargés de la guerre, et celui dans lequel serait choisi l’efraon&
le chef convoquait devant l’ensemble des chefs de tour les esubii, en deux groupes stratifiés (esuba
((fils», ((père Net « grand-père 1)); il ne nous a pas été possible de savoir si l’on envoyait combattre
un ou deux des esub& de chacune de ces « familles » d’esub& ou l’une de ces « familles », l’autre
étant gardée en réserve. Les souvenirs sont naturellement beaucoup plus précis à propos des
u combats 1)qui opposaient de temps à autre sous les yeux ravis des villageois, et ce jusqu’à la
dernière guerre environ, des esuba successifs : ces combats .s’effectuaient à main nue, mais tous
les coups étaient permis. Il y avait deux sortes de combats : moitié ouest contre moitié est d’un
meme esub parfois, et le plus souvent combats opposant deux ensembles d’esub apparentés,
l’esubii Rpère » venant aider son esuba u fils Net le ((père » de celui-là venant aider les deux premiers.
Ces jeux violents et l’organisation des différents camps sont tout à fait semblables à ceux des
Dida. Il nous parait difficile d’y voir une symbolisation des conflits qui opposeraient les générations
successives et de l’entente qui régnerait entre générations alternées, car d’une part les combattants
de deux esub& successifs ne sont pas en fait séparés par plus de dix ans - souvent par bien moins,
d’autre part les appellations esub& père (nizi) et gr-and-père (nekiii) pour désigner les esuba
alli& seraient, dans l’hypothèse d’une représentation purement symbolique, d’un emploi paradoxal.
Il nous parait également très difficile de voir dans tette institution un équivalent des « rituels
de rébellion 1)car les individus affrontés n’appartiennent pas a priori à des catégories familiales
ou sociales hostiles, rivales ou en rapport hiérarchique.
Bien des fonctions des esub& ont disparu. On peut meme dire que leur rapport à la strutture
sociale d’ensemble s’est réduit à presque rien, puisque l’esub& nous a paru traditionnellement le
symbole de l’identité villageoise, à la fois par les célébrations régulières et spectaculaires qui tous
les trois, quatre ou cinq ans exprimaient le rajeunissement du village, et par ses roles sociaux -
guerre et administration quotidienne du village. Les esuba krua ne sont plus célébrés que dans
certains villages, et leur escamotage ou leur remplacement par une prime forfaitaire change totale-
ment le sens d’une collaboration qui n’intéresse plus qu’un seul homme et non l’ensemble de la
communauté. L’organisation propre des esub& dans les cas d’urgente pouvait prendre le pas sur
l’organisation traditionnelle du village, apparaissant ainsi camme la condition ou la garantie de
tette organisation. Du role administratif des esub& il ne reste plus, en gres, que l’obligation à
laquelle les soumet de temps à autre l’administration d’aider à l’accomplissement d’une tache
d’intéret public (école d’ddoumanga en 1962, hotel de Jacqueville en 1966).
C’est au fond dans les affaires plus ou moins complexes de la vie familiale que les esubgbo
interviennent encore avec le plus d’efficacité ; mais ce role souligne la coupure entre jeunes et
236 LE RIVAGE ALLADIAN
anciens, puisqu’un esuba de très jeunes gens a rarement l’occasion d’intervenir dans des affaires
importantes.
Toutefois tette dévalorisation des esub& est inégale d’un point à un autre du littoral. Elle
est tout d’abord fonction du facteur démographique, de l’émigration qui touche surtout les couches
les plus jeunes de la société. Cette émigration elle-meme peut d’ailleurs etre conditionnée par
d’autres facteurs - possibilités objectives de culture, par exemple, et politique suivie à cet égard
pendant le dernier demi-siècle par les chefs de lignage. Les esubii ont pris dès le siècle demier
un caractère plus folklorique et culture1 que social et économique dans les villages (Grand- Jacques,
Jacqueville) où des activités commerciales assez individualisées rendaient les chefs de famille
(en l’occurrence les pères de famille) jaloux de leurs forces de travail respectives et peu soucieux
de les pr&.er à autrui ou à la communauté. Ainsi le degré d’activité des esistba ne mesure pas
nécessairement l’ancienneté du village ; il n’existe pas à Adoumanga d’esubi antérieur à celui
de Neuba Mnégui (individus nés vers 1885) dont la f&e fut célébrée en IgIg ; les e.subZ précédents
sont les memes que ceux d’Akrou - ce qui nous donne à quelques années près la date de fondation
d’bdoumanga. Mais c’est peut-&re parce que les esubE n’ont vu le jour à Adoumanga que récem-
ment, à l’abri (à la fin) du grand essor commercial du XIX~ siècle, que leur forme a toujours été
scrupuleusement préservée - les esub fournissant leur travail, les tuteurs accomplissant l’esub
krua (le demier a été célébré en 1964). Le paradoxe sur le littoral alladian - paradoxe sans doute
promis à une prochaine disparition, vu les efforts accomplis actuellement pour modemiser ses
activités, - c’est qu’il faudrait pour y déceler les influences de l’extérieur, de l’économie de type
monétaire, des modèles culturels import&, etc. se reporter quatre-vingts ou quatre-vingt-dix
années « en arrière ».
Conchsion
1: CHANGEMENT ET CONTINUITÉ
Les variables indépendantes.
Nous avions rappelé en introduction l’hypothèse avancée par 0. Lewis des variables indé-
pendantes : le changement dans une société donnée ne se traduirait pas par des évolutions parallèles
et simultanées de ses diverses variables. Certaines variables pourraient changer sous l’action de
facteurs externes sans que les autres variables soient nécessairement affectées à leur tour par
ces premiers changements ; autrement dit il n’y aurait pas de liaison necessaire entre causalité
historique et causalité fonctionnelle.
En première approximation l’hypothèse des variables indépendantes semblait confumée
par la société alladian et sans doute par un grand nombre de societés lagunaires : c’est ainsi qu’à
l’heure actuelle l’organisation lignagère y parait toujours rigoureuse et respectée, cependant
que l’idéologie religieuse y a été profondément bouleversée par le christianisme, sous la forme
des églises occidentales ou des syncrétismes locaux. Certains secteurs de la société seraient ainsi
à l’abri des bouleversements qui affectent les autres.
Toutefois l’idée des variables indépendantes semblait davantage, dans l’optique meme
de Lewis, une contre-théorie qu’une construction théorique à proprement parler : il s’agissait
moins pour lui de fair-e la théorie du changement social que de contester certains présupposés
évolutiotistes dont il croyait trouver la trace dans l’oeuvre de Redfield. Il n’y avait pas pour
lui évolution pure et simple, avec changements automatiques et simultanés des diverses variables
sociales, de l’état rural élémentaire à l’organisation urbaine moderne, puisqu’on trouvait par
exemple dans certaines populations urbanisées des rapports de parenté toujours strictement
définis et dans certaines populations rurales, à l’inverse, des structures familiales détériorées.
Prise à la lettre, l’hypothèse des variables indépendantes entrainerait bien des difficultés
et poserait notamment de redoutables problèmes de causalité. Mais peut-on parler d’indépendance ?
Tout le monde s’accorde en fait sur l’évidence et la nécessité d’un changement à terme de tous les
aspects de l’organisation sociale (des diverses organisations qui la composent) ; la question est
moins de savoir s’il y a des variables véritablement indépendantes, afonctionnelles (si l’on entend par
fonction sociale avec Radcliffe-Brown la relation avec la strutture sociale entendue camme
l’ensemble des relations définies entre un certain nombre d’etres humains), que de s’interroger
sur le pourquoi des rythmes d’évolution différents de ces variables, la nécessité et les relations
de leurs dynamismes respectifs.
L’étude de la société alladian nous apporte peut-etre un début de réponse. Aux divers modes
238 LE RIVAGE ALLADIAN
de production qui ont en effet prévalu tour à tour sur le cordon littoral ont correspondu en pratique
des organisations sociales et des systèmes idéologiques eux-memes différents. Encore conviendrait-
il pour se faire une juste idee de ces différences de voir à quel niveau de la réalité sociale elles se
manifestent et, pour cela, de préciser tout à la fois les termes et les concepts que nous utihsons
pour rendre compte de tette réalité.
de residence (patrilocale pour l’ensemble, avunculocale en ce qui concerne les chefs de cour) ; et
la politique matrimoniale, dont on a cru pouvoir supposer quelle reposait originellement et idéa-
lement sur la réciprocité entre deux EFFE,semble ainsi elle aussi liée à la strutture sociale ; il y a
également un lien fonctionnel entre la strutture idéologique et la strutture économique d’une
part, entre celle-là et la strutture sociale d’autre part : le polythéisme origine1 et les cultes qui
l’expriment correspondent aux activités économiques principales : on l’a vu dans le cas des divinités
de la mer - mais il faudrait tenir compte également des génies de la brousse, condition des bonnes
récoltes des vivriers, et de la lagune, garant des voyages paisibles ; Bedé, camme on l’a vu également,
fournit une réponse aux tensions et aux conflits liés entre autres à la coexistence des deux principes
de tiliation - tensions et conflits que les différents génies, « remèdes » et pouvoirs personnels
mettent en oeuvre.
Dans un te1 système on peut distinguer entre rapports strictement fonctionnels et rapports
de causalité. Les premiers existent entre toutes les différentes structures, quel que soit leur ordre,
en ce sens qu’abstraction faite de tout lien causal, la cohérence de chaque strutture disparait
avec les caractéristiques de n’importe quelle autre strutture ; on ne peut rendre compte de
chacune d’entre elles que par rapport aux autres. Mais à deux niveaux il est possible de définir
le rapport fonctionnel camme un rapport de causalité à sens unique : la strutture sociale et la
strutture économique sont en rapport fonctionnel en ce sens que les rapports de production et
les caractères de la strutture sociale paraissent à l’analyse, lorsqu’on les décrit, fonction les uns
des autres ; mais il y a une limite objective à la plasticité de la strutture économique, qui ne
s’applique pas à la strutture sociale : qu’on fasse varier autant qu’on le voudra celle-ci, on n’emp&
chera pas que celle-là soit d’abord fonction des ressources naturelles du pays : peche et se1; certes
d’autres déterminants que le mode de production peuvent agir sur la strutture sociale, ne serait-ce
que parce quelle est un héritage, et qu’encore une fois nous ne décrivons un système immobilisé
dans une synchronie idéale que pour la commodité de l’analyse ; la strutture économique, elle,
est d’une part fonction de la strutture sociale en ce sens que toute modification des caractéris-
tiques de celle-ci (par exemple la substitution de l’avunculocalité à la patrilocalité, et l’institution
d’une relation quotidienne précoce d’oncle à neveu) entrainerait une modification de ses propres
caractéristiques - la subsistance quotidienne d’une tour reposant alors sm- le travail des neveux
et non plus du frls -, mais elle est au premier chef fonction des ressources naturelles, lesquelles ne
dépendent naturellement pas de la strutture sociale mais, à l’inverse, imposent certains modes
d’exploitation de la nature ; si le poisson peut &re à la fois objet de consommation immédiate,
et, grate à certaines techniques de conservation, de commerce, le sel, bien précieux s’il en fut,
impose une structuration liée aux nécessités du commerce ; la société alladian a été placée écono-
miquement dès son installation sur le littoral sous le double signe de l’autosubsistance (peche)
et de l’accumulation (commerce du sel).
Le deuxième niveau où il semble possible de doubler le lien proprement fonctionnel par
un lien de causalité est celui de la strutture idéologique ; non que celle-ci ne puisse avoir ses propres
déterminants indépendamment des modifications du reste du système ; l’idée d’un dieu unique
transcendant les divinités particulières fait très anciennement partie de l’idéologie akan et
conditionne certainement la pratique du K polythéisme » et les changements éventuels dans le
panthéon traditionnel ; inversement des idéologies extérieures peuvent fair-e irruption directement
dans l’idéologie locale, camme dans le cas du christianisme. Mais - compte tenu du fait que la
strutture religieuse constitue à elle seule un système en quelque mesure autonome, et éventuel-
lement plus ou moins propre à favoriser te1 ou te1 mode d’évolution - la fonction sociale de la
strutture religieuse est clairement repérable et analysable, quelle soit à proprement parler
fonctionnelle - nous avons essayé de le montrer à propos des cultes de Beugré, Wata, Lavri,
Bedé... - ou quelle transpose et exprime certaines caractéristiques de la strutture sociale - nous
avons essayé de le montrer à propos de la division en aciskezz’et brsbo et des cultes de Beugré
et Tévi. Parler de fonction religieuse de la strutture sociale n’aurait en revanche guère de sens.
On admettra à titre d’hypothèse que la formation sociale antérieure à la traite de l’huile
de palme réalisait dans une large mesure le système qui vient d’etre décrit ; naturellement elle
CONCLUSION 241
ne le réalisait pas parfaitement, et l’on peut admettre par exemple que la première forme de
traite, et notamment le commerce des esclaves, dont tous les témoignages s’accordent à reconnaitre
le caractère relativement peu important, conférait à la variable économique de tette formation
une certame « avance » sur les autres variables de l’organisation sociale globale. Toujours est-il
que par rapport au système de référence ainsi retenu on peut essayer de décrire et de comprendre
l’évolution de la formation sociale, en distinguant, du point de vue de la causalité, entre facteurs
« exogènes » et facteurs « endogènes », et du point de vue des changements entre CC langage »,
« forme N et u fonction N de la strutture, puisque certaines structures se sont juxtaposées à une
strutture antérieure dans une meme variable tout en s’exprimant dans le meme langage -
cependant que les fonctions d’anciennes structures persistaient malgré un changement de langage
et de forme correspondant à l’apparition d’une nouvelle strutture.
Si l’on se réfère en effet au second système retenu, on se rend compte que sa réalisation
la plus approchée (dans la deuxième moitié du xw siècle) a correspondu à une formation sociale
absolument « dysharmonique », dont les diverses variables étaient chacune pour leur part compo-
sites - se rattachant tantot au premier système, tantot au second - et dont le fonctionnalisme
d’ensemble était du fa.3 de ces décalages très relatif. L’intensification du commerce, le fait qu’en
se spécialisant - sur un produit : l’huile de palme - et en se régularisant - acheteurs et four-
nisseurs se garantissant une exclusivité réciproquel, les capitaines de navires déterminés s’adressant
à intervalles réguliers à des traitants alladian déterminés - il ait facilité la création de groupes
socio-résidentiels puissants et homogènes, n’empechaient naturellement ni la continuation des
activités antérieures, ni la persistance de la strutture sociale antérieure dans certaines tours et
de son langage partout. On peut en dire autant de la capitalisation des captifs, qui représentaient
un placement du point de vue de la production - camme force de travail - et du point de vue de
la reproduction des rapports sociaux, mais qui pratiquaient eux-memes les activités traditionnelles
et prenaient piace dans la famille à coté des descendants en ligne dirette.
La distinction entre le court tenne et l’autosubsistance d’une part, le long terme et l’accumu-
lation d’autre part, a cependant rendu d’autant plus difficile le maintien de la strutture sociale
contrastée (Ehi et achk3) précédente, qu’elIe s’est doublée d’une inégalité économique croissante
entre les lignages et entre les villages - et par là entre les individus eux-memes. Tout le monde
ne commercait pas avec les Européens, tout le monde ne réussissait pas pareillement dans ce
commerce ; du coup la strutture de compensation idéale (tout ebiiii dans une tour est abiiiii dans
une autre tour) perdait toute signification. En outre les nécessités du transport, des relations
commerciales avec l’intérieur et avec les Européens impliquaient une main-d’ceuvre abondante et
organisée. Aussi assiste-t-on au xw siècle avec l’émigration intérieure (cf. chap. 111la notion
d’aci3kg dissocié et la distinction entre villages « centrifuges » et villages « centripètes 1)) et avec
l’immigration de captifs, captives et étrangères dotées, à une concentration à la fois villageoise
et lignagère qui correspond à un décalage dans la variable socio-familiale, puisque l’évolution
n’est ni simultanée ni générale. Ainsi un EbiGi dans une tour peut parfaitement y etre également
abiGi; la vraie distinction tient à la naissance, dans une lignée « dirette N ou Nindirette N; mais
il n’y a pas de terme pour achk3 « indirect » et un individu peut faire partie d’un a&kg sans avoir
le droit d’y hériter ; la tour devient l’unité résidentielle des paternels et des maternels, mais un
individu s’il descend d’une captive n’est pas en droit d’attendre de ces derniers qu’ils respectent
à son égard les droits et devoirs qui leur incombent respectivement : le fils d’une captive peut
&re mis en gage par l’acheteur de sa mère (son père ou son grand-père paternel, le cas échéant).
A toutes ces déviations de la norme traditionnelle correspond la notion de mariage abiim, qui,
à la lettre, s’applique à un mariage dans la tour au sens social, dans l’aci3k3, mais qui est devenu
une pratique systématique - notamment sous la forme de l’alliance redoublée analysée au
chapitre IV - lorsqu’elle ne correspondait absolument plus à une union consanguine.
Le terme Eme,qui s’entend au départ au sens de sib ou sub-sib (cf. chap. 111)et repose sur
I. Les bracelets dont nous avons signalé l’existence au chapitre 1, qui portent le nom du traitant anglais,
et que portent les traitants alladian ou éventuellement leurs héritiers, témoignent de ce souci d’organisation.
242 LE RIVAGE ALLADIAN
sources de revenu ; r6le essentiel imparti, dans l’économie locale, aux cultures industrielles ; sous
l’aspect des rapports de production on a vu (cf. chap. v) que le rapport antérieur entre strutture
socio-familiale et strutture économique s’était vide progressivement de son contenu, alors que la forme
et plus encore le langage de la strutture socio-familiale se maintenaient ; l’exploitation de plantations
importantes tend à renforcer dans le long terme la solidarité économique entre père et fik ; quant
aux sources de financement (vente des produits, apport de revenus extérieurs - loyers ou salaires
associant éventuellement un fils ou un frère à l’exploitation) et aux modalités d’exploitation
(emploi d’une main-d’ceuvre salariee), elles renforcent le caractère individuel de l’appropriation.
Autrement dit, la fonction de la strutture socio-familiale en voie de se constituer est Nen avance »
sur sa forme et sur son langage.
Pour l’ensemble la variable économique actuehe regroupe donc des éléments de structures
appartenant aux diff érents systèmes : la peche, élément très important de la strutture économique
du premier système, joue un r6le différent selon les villages et s’y trouve, dans les exemples étudiés
au chapitre v, en relation avec une strutture sociale appartenant au deuxième système, encore
quelle s’exprime dans le langage du premier ; les Alladian fabriquent encore du sel, mais il s’agit
d’une activité économiquement sans importance ; les cultures vivrières représentent l’élément le
plus stable en liaison avec le menage camme unité de production et de consommation, mais,
lorsqu’elles atteignent un certain degré de développement, elles deviennent la source de bénéfices
relativement importants et sont exploitées aux fins de commercialisation au meme titre que les
plantations de cocotiers. Celles-ci, camme on vient de le voir, constituent la strutture économique
moderne en liaison avec une variable socio-familiale qui semble tenir du deuxième et meme du
premier système par le langage des structures qui y sont réalisées et du système à venir par la
fonction déjà perceptible de la strutture qui y prend forme.
Mais quelle est précisément la strutture socio-familiale idéalement liée à tette variable
économique moderne et dans quelle mesure est-elle réalisée dans la variable socio-familiale ? Il
semble que compte tenu des impératifs des plantations actuelles - qui les condamnent d’ailleurs
à s’agrandir ou à disparaitre -, et indépendamment meme des décisions gouvernementales qui
accentuent tette évolution, la strutture sociale de base à vocation économique doive etre la famille
élémentaire - ce qui n’exclut pas la collaboration de plusieurs frères sur une grande plantation -,
la cession et la dévolution des biens s’effectuant de père à fils et non plus d’oncle à neveu. Mais
la famille élémentaire ne peut résoudre à elle seule le problème de l’exploitation des plantations :
l’apparition d’une main-d’wwre salariée est liée au rétrécissement de l’unité socio-familiale
à vocation économique, qui entraine ainsi l’apparition d’une nouvelle stratification intravillageoise
mais non plus intra-ethnique. Cette strutture est loin d’etre encore parfaitement réalisée ; dans
la variable socio-familiale qui lui correspond actuellement, le langage reste toujours marqué,
dans les cas d’évolution les plus nets, par le deuxième système (cf. la déclaration enregistrée au
chapitre VII : « Ma femme est de mon aciskg ; si à ma mort elle prend tous mes biens, il n’y aura
pas de problème 1)). L’importance croissante de la famille élémentaire et l’effacement relatif de
l’a&k~ camme source obligée de toute puissance et de tout prestige se manifestent dans les
attitudes et les habitudes des citadins qui reviennent régulièrement au village ; un assez gr-and
nombre de tours, souvent agrémentées de villas, appartiennent à des citadins qui ne sont pas
nécessairement des chefs de tour au sens traditionnel du terme, plus jeunes souvent, et n’appar-
tenant pas à l’acigk3 Pr20 mais qui ont réussi dans les affaires ou dans la fonction publique. Ce qui
nous intéresse ici, c’est leur desir de revenir régulièrement au village et d’y jouir d’un prestige
de style traditionnel. De style ou de langage : car en fait ceux-là n’envisagent pas de redistribuer
réellement leurs revenus ; ils rachètent des terres, agrandissent leurs plantations - dans le meme
esprit qui les porte à acquérir des concessions et des viks en ville ; ils sont en passe de devenir
des N notables » - camme le médecin, le gros propriétaire terrien ou le vacancier régulier d’un
village franca& sont des notables du village. 11s peuvent à la rigueur tolérer que des parents
travaillent sur leurs plantations, mais la fortune que celles-ci représentent sera pour leurs enfants ;
au demeurant ceux-ci font des études, mais les solidarités familiales traditionnelles peuvent aussi
avoir pour résultat que souvent le neveu est « poussé » par son oncle « lettré » et éventueIIe-
244 LE RIVAGE ALLADIAN
ment élevé par lui en ville ; ce dernier cas est assez fréquent ; mais il représente au fond l>envers
de la norme traditionnelle : l’éducation technique et la charge de I’enfant jusqu’à un age avancé
n’appartenaient traditionnellement qu’au père. De toute manière l’aide de I’oncle tend alors
à la promotion individuelle de son neveu, à lui « donner une situation » qui lui permettra de « fonder
un foyer : elle reflète moins 1’ CC esprit de corps » lignager qu’un souci d’entraide individuelle
où se mêlent la force des traditions, le souci de prestige et la simple humanité.
Le lien maintenu avec leur village par les citadins « évolués » est donc le contraire d’un
lien de dépendance ou d’autorité de type traditionnel : sur piace il constitue, éventuellement
avec l’aide de leur parenté, l’instrument de leur fortune personnelle ; en ville il a pour effet de
procurer à certains jeunes gens l’instrument de Ieur libération sociale et économique : I’instruction.
L>absence de représentation masculine dans les jeunes esuba est très significative, de ce point
de vue, car le père et la mère des jeunes garcons « émigrés » sont très souvent, eux, au village,
et ils ont confié leurs enfants à des parents mieux placés. Il y a d’ailleurs de grandes différences
de village à village, les villages traditionnellement les plus importants ayant fourni plus de « lettrk »
que les autres ; dans les chiffres, sauf à Jacqueville, où camme on I’a vu la fuite des hommes est
plus marquée qu’ailleurs, ce fait est en partie masque par un phénomène limité au cordon littoral :
certains couples confient leurs enfants à des parents d’autres villages possédant une école ; ainsi
on trouve dans les tours de Grand-Jacques, JacqueviUe, Avagou, quantité d’enfants « adoptés » -
sur le modèle de l’imkpo traditionnel, mais sans que la hantise de la stérilité y soit pour quelque
chose.
Dans la variable socio-familiale actuelle on trouve donc réalisées des structures des trois
systèmes, le langage de la « dernière strutture » étant « en retard » sur sa fonction - c’est-à-dire
sa liaison avec la variable économique. On trouve une illustration de ce phénomène dans le plan
de Jacqueville et dans le tableau X11, si l’on tient compte du fait que, dans certaines tours meme
non « éclatées », le luxe relatif de certaines demeures - remplacant la case traditionnelle - déplace
en fait le centre de gravité de la tour de l’apatam du « tr6ne » à la villa du « nouveau riche » -
l’important du point de vue de la variable sociale étant que tette villa est l’habitation d’une
famille de type occidental et qu’aucun membre de l’a&kg ne se sent de droit réel sur elle.
Quant à la variable idéologique, elle devrait normalement évoluer, dans la mesure où
l’une des fonctions de l>wa (expression et « canalisation » des tensions internes de l’aciDks) est
appelée à disparaitre avec l’achk3 camme institution socio-économique. On a vu que certaines
fonctions des églises harristes nous paraissaient étroitement liées à la strutture socio-familiale
du deuxième système, encore largement réalisée, il est vrai, dans la variable socio-familiale actuelle.
Il est permis de se demander si, avec la substitution à un critère de différenciation sociale reposant
sur l’age, puis à un critère de différenciation sociale reposant sur la naissance, d’un critère plus
purement économique, la fonction du harrisme ne tendra pas à évoluer dans le meme sens ; on
sait que les églises syncrétiques, indépendamment de la continuité idéologique dont elles nous
ont paru témoigner (cf. chap. VI), ont très facilement reflété les perturbations d’ordre social et
politique. A l’heure actuelle, au moins sur le littoral alladian, l’église harriste tend à devenir
l’église des pauvres, un notable se devant en principe d’etre catholique ou protestant ; le snobisme
dont ont toujours fait preuve les grandes familles alladian, et qui correspond sans doute à leur
ouverture sur le monde, elle-m6me fonction de leur situation géographique et des circonstances
historiques, favorise l’adhésion à une religion qui s’identifie peu ou prou dans la conscience de
nombreux dirigeants aux notions de développement et de modemité. En de@ des institutions
religieuses, la crainte de I’awa et les accusations de sorcellerie, si elles ne trouvent plus d’ici quelque
temps dans la strutture familiale traditionnelle leur source, leur occasion et leur objet, pourront
relayer et exprimer de nouveaux conflits ; on a vu que les cadavres d’Alladian décédés à Abidjan
accusaient volontiers des étrangers ; I’installation sur le cordon littoral d’ouvriers et de fonc-
tionnaires non alladian a entrainé quelques nouvelles formes d’accusation. De facon générale,
au reste, les accusations de sorcellerie ont toujours reflété des conflits d’intéret. Si donc la diffé-
renciation en couches sociales distinctes s’accentue, camme on peut s’y attendre, dans la zone
lagunaire, l’evolution de la variable idéologique, principalement de la strutture constituée par
CONCL USION 245
les églises harristes et de certaines de ses fonctions (l’expression des conflits internes de la société),
pourra bien donner la mesure de tette différenciation ; c’est dire qu’en révélant la conscience
prise par ces différentes couches du caractère fondamental et irréversible de leurs divisions, la
variable idéologique les manifestera peut-etre un jour camme classesl.
Dans ces différents rythmes d’évolution, à travers la permanente d’un langage qui survit
aux changements de structures et aux sollicitations diverses de l’histoire, peut-on entr’apercevoir
quelque chose de l’identité alladian impossible à cerner jusqu’ici sous l’afflux des traditions et
I. Peut-etre est-ce ici le lieu d’apporter à notre propos quelques précisions~terminologiques et méthodo-
logiques.
La formation sociale est caractérisée par la coexistence de plusieurs modes de production dont un est
prédominant - dans la seconde moitié du siècle demier la formation sociale alladian était caractérisée par la
prédominance de la traite de l’huile de palme, à l’heure actuelle elle l’est par la prédominance de la culture du
cocotier. Plusieurs modes de production sont apparus sur le littoral alladian en quatre siècles ; originairement
il y a, semble-t-il, la peche, la fabrication et le commerce du sel, la culture des vivriers ; puis la première forme
de traite (bois, captifs, ivoire) ; puis la seconde forme de traite (huile de palme) ; enfin les cultures industrielles
(cafe, puis cocoteraies). A ce sulet une précision s’impose : il y a peche et peche (la peche en lagune est individuelle
et non redistribuée) ; traite et traite (dam la première forme les captifs constituent une marchandise, dans la
seconde un instrument de production).
Nous employons les mots système et strutture dans un sens uniquement référentiel et opératoire. Une
ambiguité pourrait naitre du fait que nous avons utihsé parallèlement les termes infrastrutture et superstructure
au sens marxiste : ce sont les variables qui constituent, dans la terminologie de cet exposé, l’infrastrutture et les
superstructures.
Les systèmes que nous avons utilisés camme références sont «idéaltypiques ». 11sne sont ni des formations
sociales réelles, ni des concepts de ces formations, mais des concepts de repérage (la notion de concept de repérage
est empruntée à l’anthropaogue J. J. MAQUETj. En effet, en <ant qu’ik isole& un mode de production et de
manière générale une seule strzkcture (au sens référentiel de modèle) par niveau, ils privilégient un type de causalité
«verticale jj à sens uniaue : or les « décalaaes 1)constatés emoiriauement entre les différents niveaux de la formation
sociale réelle montren? assez l’existenccd’un second type de causalité - « horizontale » - propre à chacun
de ces niveaux dans la mesure où, du fait du caractère systématique de certaines structures, ils possèdent une
relative autonomie ; enfin causalité verticale et causalité horizontale ainsi entendues ne suffisent ni à décrire ni
à conceptualiser une formation sociale réelle car les décalages entre les niveaux sont eux-memes cause d’une
complexité fonctionnelle croissante.
Autrement dit ce n’est pas les systèmes camme combinaisons verticales de structures qu’il s’agit de
« penser », mais les formations sociales concues camme combinaisons de variables elles-memes entendues camme
combinaisons complexes de structures.
Pour ne prendre qu’un exemple, on peut rappeler que les nomes de la parenté et de la descendance
(acbks 9~90 et aciskg, mze au sens socia1 et eme au sens résidentiel) telles qu’elles semblent s’etre constituées au
XIX~ siècle ont imoosé au remodelage de la société alladian la coexistence de la strutture orirrinaire avec la struc-
ture nouvelle et à ‘tette demière le l&gage de la première. C’est que si, pour reprendre des exp;essions de IVI. GODE-
LIER Icf. « Obiet et méthodes de l’anthropologie économioue X, in L’Homme. ottobre 1965, et son intervention
dans bbmocra6e Nouvelle, novembre rg65)*les Fapports de pare&, fonctionnant camme ra5por-k de production,
sont à la fois infrastrutture et superstructures, on peut distinguer nettement entre ces niveaux dans la société
considérée : la strutture originaire (distinction rigoureuse de l’&bi et de l’acilkg) décrit aussi bien les rapports
de production liés à la peche ; l’introduction et la prédominance d’un nouveau mode de production - la traite
de l’huile - nous ont oaru entrainer. avec la constitution d’une strutture de descendance d’un tvoe nouveau.
l’apparition d’une varigble composite. caractérisée par Ia coprésence (ou la coréalisation) des deux2structures i
si on peut dire de Ia première qu’elle est à la fois infrastrutture et superstructure on peut dissocier plus précisément
ces deux niveaux et ces deux roles à propos de la deuxième : par son langage elle appartient à la superstructure
idéologique, car ce langage- - - adéquat à Ia strutture originaire - masque I’adéquation de sa forme à sa fonction
fson r%$ort au nouveau mode de Droduction). Du m&me COUDon oeut conscdérer aue la oremière strutture
-’ ind<iie par Ie mode de producti& dominé i la peche - fonkionne aussi camme &perst&ture idéologique
mar raooort au mode de production dominant : Ia traite de l’huile. La notion de distorsion de la strutture entre
i‘orme,?kangage et fonction nous parait ainsi pouvoir, au moins dans le cas considéré, rendre compte de la réalité.
A l’heure actuelle, où l’économie de plantations n’apparait plus concordante avec aucune des deux structures
de descendance (cf. chap. VII Ia sophistication des procédures de dévolution qui en résulte), celles-ci coexistent
pourtant toujours dans une variable qui, manifestement induite par un mode de production moribond (la peche)
et un mode de production jadis dominant et aujourd’hui aboli (la traite) constitue une superstructure relativement
autonome, sans relation fonctionnelle immédiate avec le mode de production actuellement dominant.
On pourrait conduire des analyses du meme type au niveau des variables idéologiques, et I’exemple de
l’awa et du christianisme invite à admettre que ces variables sont, autant que les rapports de parcnté, « plurifonc-
tionnelles jj, et que chacune de ces variables, camme ensemble de formes, de langages et de fonctions (de structures),
s’articule sur différents niveaux de Ia formation sociale considérée. La notion de distorsion de Ia strutture permet
peut-etre ainsi de défmir 1’ «indice d’efficace ~j dont chaque strutture est affectée dans une formation sociale
donnée. Par «indice d’efficace >jon entend avec Louis ALTHUSSER (L’objet du Ca@al, in L. ALTHUSSER, E. BALIBAR,
R. ESTABLET, Lire le Ca@aZ, 11, Maspero, Paris 1965). u . .. le caractère de détermination plus ou moins dominante
ou subordonnée, donc toujours plus ou moins « paradoxale », d’un élément ou d’une strutture donnée dans Ie
mécanisme actuel du tout ».
246 LE RIVAGE ALLADIAN
On peut résumer facilement ces quelques constatations inscrites dans les généalogies des
familles alladian :
esprit de lignage < esprit de village < esprit d’entreprise
Ces équations, pour approximatives qu’elles soient, correspondent de nos jours à une
certaine pratique des Alladian (fidélité au village, individualisme, mariages dans l’ethnie, réussites
nombreuses dans la fonction publique, conscience nationale développée), où le souci d’intégration
à la vie nationale se mele d’un provincialisme selon les cas (selon les fortunes) nostalgique ou
progressiste.
Il n’est pas certain qu’elles définissent une ideologie spécifiquement alladian ; des peuples
camme les Avikam, les Attié ou les Abouré ont évolué dans un contexte très proche de celui des
Alladian ; sans doute ceux-ci l’ont-ils pourtant exprimée avec une particulière minutie, peut-&re
parce que ceux-là memes qui se faisaient à l’origine les agents du changement économique devaient
etre socialement les champions du conservatisme, instituant dès lors entre le langage et la fonction
de la strutture sociale un décalage qui ne se réduirait plus jamais. Le fait qu’on puisse parler
de décalage à l’intérieur d’une strztctwe montre assez qu’il ne s’agit pas essentiellement d’une
notion temporelle.
CONCLUSION 247
1. k’ÉMIGRATIC9N
Elle est relative et qualifìée ; sous ces deux aspects elle joue un role important dans l’eco-
nomie du village et dans son développement de facon générale. Elle est en effet doublement
relative : traditionnellement importante depuis que des possibilités nouvehes se sont offertes
à l’esprit d’entreprise des Alladian (on a vu que dès les toutes premières années du siècle les anciens
se plaignaient de l’exode des jeunes gens), elle n’a pas atteint une importance tehe qu’on puisse
parler à l’heure actuelle de dépeuplement des villages ; tette relativité quantitative se double
d’une relativité d’ordre géographique et qualitatif : les points d’aboutissement de l’émigration
sont proches du cordon littoral - les planteurs alladian de la région de Vridi n’ont meme pas
quitté ce cordon -, et, de ce fait, les émigrés gardent très facilement le contact avec leur village
d’origine, participant régulièrement aux fetes qui demandent leur présence, profitant des fins de
semaine pour rendre visite à leur familIe avec laquelle ils passent d’aiheurs leur congé annue1 ; la
tendance générale est au maintien de relations suivies entre villageois et « urbanisés ».
Les grands caractères de l’émigration alladian ont été analysés et bien mis en valeur par
les enqueteurs de la S.E.D.E.S. dans leur étude déjà citée ; nous n’y insisterons donc pas et nous
nous contenterons de nuancer sur certains points les conclusions de tette étude.
I. S’appuyant sur les chiffres de divers recensements administratifs, les enqueteurs ont
cru pouvoir parler d’une tendance à la diminution de la population du littoral ; mais trois compa-
raisons seulement sont à la base de ces conclusions ; sans les écarts enregistrés à Jacqueville,
Adjué et Addah en effet, la tendance pour l’ensemble des autres villages serait plut6t à l’augrnen-
tation. Or, sur l’exemple de Jacqueville au moins, il est permis de mettre en doute l’exactitude
des recensements ; celui de 1954 donne pour Jacqueville 713 habitants alladian, et celui de rg5g
607 seulement ; nous avons personnellement enregistré 6go Alladian habitant Jacqueville, en
veillant très attentivement à ne pas compter les gens de passage ni les semi-résidants (habitant
la ville mais possédant une maison à Jacqueville) ; en fait il est certainement beaucoup plus facile
de se tromper par exès que par défaut, chaque chef de tour ayant assez naturellement tendance
à faire enregistrer dans sa tour tous les émigrés qui relèvent traditionnellement de lui ; nous
aurions pour tette raison tendance à faire plus confiance au recensement de rg5g (d’ailleurs confìrmé
un peu plus tard par les enqueteurs de la S.E.D.E.S.) qu’à celui de 1954 ; le chiffre avancé par l’école
de statistique en 1964 (744) concerne l’ensemble des personnes résidant à Jacquevihe, indépen-
damment de leur origine ethnique ou nationale ; il n’est pas étonnant que ce chiffre ait fortement
augmenté de 1964 à 1966 - date à laquelle 240 « étrangers » ayant été recensés par l’admi-
nistration, la population totale serait de 9x0 habitants.
De nouveaux emplois ont en effet été créés, qui ont été occupés par des étrangers au littoral ;
la sous-préfecture a pris de l’importance, et de nouveaux employés sont arrivés ; l’hotel a été
construitc; les équipages des deux bacs en service et tous les employés des Travaux Publics
24% LE RIVAGE ALLADIAN
I I I 1
Jacqueville Abidjan
Pourcentage Pourcentage
Sexe ~ Sexe du sexe Sexe Sexe du sexe
Groupes d’age masculin féminin masculin masculin féminin masculin
par rapport par rapport
ari tota1 au tota1
part que les principaux notables actuels de la communauté villageoise ont souvent vécu assez
longtemps hors du cordon littoral- et qu’il est, de ce fait, un peu hasardeux de distinguer un type
d’émigration ancien (très provisoire) et un type moderne (d’émigration définitive). Si la concen-
tration des terres doit progressivement donner ce caractère à I’émigration (cf. ci-dessous), elle
est peu avancée - bien que promise sans doute à une accélération rapide. Aussi bien les enqueteurs
de la S.E.D.E.S., en voulant trop solliciter les chiffres, en sont-ils arrivés à démontrer le caractère
provisoire de l’émigration des « anciens » par un prétendu célibat des vieillards ou des hommes
miìrs vivant actuellement encore à Abidjan, installés par conséquent provisoirement en ville
depuis trente ou quarante ans...
Commentant en effet le tableau que nous reproduisons ici (cf. tableau XXI), les enqueteurs
concluent :
« L’émigration des Alladian a donc subi une évolution profonde.
Autrefois phénomène temporaire, elle est devenue un phénomène permanent. L’émigré
part non plus pour la duree d’une saison de peche par exemple, mais pour toute la durée de sa vie
attive. Il part avec l’intention de fonder un foyer. D’uniquement masculine, l’émigration tend
ainsi à devenir mixte. »
Mais si l’on se reporte aux chiffres détaillés du recensement de 1955, et si l’on tient compte
du fait qu’en moyenne les hommes se marient vers 30 ans et les femmes vers 20 ans, on constatera
aisément que ce prétendu célibat des hommes agés n’existe que dans l’imagination des auteurs
du rapport - auquel il sert d’ailleurs de tremplin pour une acrobatie intellectuelle d’un étonnant
illogisme.
2. Les pyramides d’age établies pour Jacqueville par les enqueteurs de la S.E.D.E.S. et
nos propres chiffres permettent de formuler des conclusions identiques quant aux K données de
CONCL USION 249
Groupes d’age M F
15-19 ................ 56 50
20-24 ................ 76 82
25-29 ................ 87 69
30-34 ................ 56 47
35-39 ................ 55 35
40-44 ................ 28 18
45-49 ................ 29 15
50-54 ................ 14
55-59 ................ 14 5
60-64 ................ 7 3
65-69 ................ 3 2
TO-79 ................ 1 3
80 et plus ............ 2 -
o- 4 . . . . . . . . . . . . . . . . 33 51
5- g . . . . . . . . . . . . . . . . 71 82
10-14 . . . . . . . . . . . . . . . . 30
IS-19 . . . . . . . . . . . . . . . . "5 18
20-24 ................ 2 4
-
TOTAL . . . . . . . . 156 185
des jeunes du village ; en second lieu, les époux meurent en général avant leurs épouses, plus jeunes
et d’ailleurs, semble-t-il, plus « résistantes », et nombreuses sont les veuves agées qui regagnent
leur village d’origine). La surabondance des enfants de 5 à g ans par rapport à ceux de o à 4 ans,
qui est elle aussi une caractéristique de Jacqueville, tient au phénomène de 1’ N adoption N (non
au phénomène de l’iwz$ko qui concerne de très jeunes enfants) : des enfants sont confìés aux
parents habitant des villages avec école ; en échange ces enfants rendent des services domestiques ;
souvent aussi des filles accompagnent leur frère et, non scolari&es, rendent beaucoup plus de
services que les garcons. On a vu qu’inversement les enfants originaires de Jacqueville étaient
assez souvent confiés aux émigrés d’Abidjan. Il y a une sorte de hiérarchisation des modes d’accès
à I’instruction - les villages avec école, Jacqueville en tete, servant de relais à une éventuelle
17
250 LE RIVAGE ALLADIAN
inscription dans les écoles techniques de Dabou et Abidjan, ou au lycée - ; c’est le nombre et
la situation de ses émigrés qui, de ce point de vne, assurent à la famille villageoise son avenir.
Les chiffres sont en accord avec tette analyse : à partir des recensements effectués par
le comité P.D.C.I. alladian d’Abidjan, il est en effet facile de constater que ce sont à deux exceptions
près les villages les plus peuplés du cordon littoral qui ont le pourcentage le plus grand d’émigrés.
Dans le tableau XXIV on a pris pour chiffre de population celui du dernier recensement officiel
publié (1957 ou rg5g selon les cas) ; par ailleurs on a seulement retenu dans les émigrés les hommes
adultes (de plus de 18 ans), insta& à Port-Bouet et Vridi d’une part, à Abidjan d’autre par?.
Les pourcentages obtenus n’ont donc de signification que relativement les uns aux autres, et
ils permettent de préciser davantage le degré de qualification de l’emigration. On constate que
Djacé . . . . . . . . . . 82 0 0 0 0 0
Ahua . . . . . . . . . . 102 3 0 2>94 - 2294
Bahuama . . . . . . . Ir7 1 0 o,85 - o,85
Abréby . . . . . . . . . 163 1 0,61 0,61 1,22
Adjacouti ...... 203 5 5 2,46 ~46 4>92
Mbokrou . . . . . . . 299 3 1 2,34 3,34
Akrou . . . . . . . . . . 335 17 zi 5,o7 2,3o 7,37
Avagou . . . . . . . . 353 12 3 3’39 o,84 4,23
Adoumanga . . . . . 356 16 13 4>49 3,65 8,r4
Grand- Jacques . . 441 12 30 2>72 6,80 9>5
Adjué . . . . . . . . . . 456 IO 13 2919 2,85 5,o4
Sassako . . . . . . . . 530 3 5 o,56 0>94 r,5
$a;ggville . . . . . . . . . 607 42 113 691
1,81 18,61 25,52
716 13 24 3,34 5,r5
138 222
Il y a donc deux types d’émigration à partir du pays alladian : une de type (( corse » dirigée
vers la fonction publique - et dont les revenus, élevés comparativement à ceux du littoral, servent
pour une part à l’entretien et, semble-t-il depuis peu, à l’acquisition de plantations -, une de
type « breton » spécialisée dans les activités de peche et localisée à Port-Bouet. Cette distinction,
qui correspond à un phénomène relativement ancien, entre une émigration « riche x et une émi-
gration « pauvre 1)nous parait plus conforme à la réalité que celle entre émigration de type moderne
et émigration de type ancien. Naturellement elle doit etre nuancée : certains employés ont des
situations très modestes ; certains possesseurs de chaloupes à Port-Bouet sont riches. Nous avons
déjà souligné que tette double émigration nous paraissait liee fonctionnellement à un changement
progressif dans le mode d’exploitation des cultures industrielles, puisqu’elle correspond d’une
part à un accroissement des revenus, d’autre part à une réduction de la main-d’ceuvre d’origine
familiale. Du point de vue du développement régional, et dans l’optique d’une politique Rliberale »
de promotion des entreprises individuelles, l’emigration n’est pas un fleau, mais une nécessité,
puisque d’une part, les exploitations agricoles ne peuvent s’agrandir que si le nombre des exploitants
diminue, et que d’autre part les traitements, les loyers et, de facon générale, les revenus étrangers
à la seule agriculture facilitent la politique d’extension des plantations et le recours à la main-
d’oeuvre salariée.
Il faut enfin tenir compte dans tette analyse du fait quelle ne s’applique qu’à une tendance
déjà nette par endroits mais très inégalement réalisée.
2. L’IMMIGRATION
Par son ampleur elle constitue, plus que l’emigration, le fait vraiment nouveau de ces
demières annees. Les Alladian avaient certes l’habitude de fréquenter les populations voisines
du cordon littoral, et on a pu constater sur leurs arbres généalogiques l’abondance des ancetres
dida, adioukrou, abé, etc. Biologiquement l’ethnie alladian, à supposer quelle ait eu une réalité,
n’a plus d’existence.
Mais aujourd’hui les « étrangers » se surajoutent à la communauté, ils ne s’intègrent pas
à l’ethnie alladian ; plutot, ils s’intègrent à la vie du village et par là meme modifient le contenu
social de la notion de village. Si l’on met à part le cas des pecheurs ghanéens, estimés généralement
mais vivant en marge de la communauté, et celui des manceuvres venus du Nord, souvent traités
avec condescendance, on constate que beaucoup de rouages essentiels de la vie communautaire -
enseignement, sante, agriculture, administration - sont contr&s par des Ivoiriens étrangers
252 LE RIVAGE ALLADIAN
à l’ethnie alladian ; ce caractère nouveau de la société villageoise, qui est naturellement l’effet
d’une politique concertée, est d’autant plus frappant à Jacqueville que tette sous-préfecture
a gardé jusqu’ici la dimension et les caractères d’un village.
La présence de ces ((nouveaux venus » est d’autant plus importante quelle apparait camme
une condition de progrès et quelle apporte des modèles sociaux - vie familiale, emplois du
temps - inhabituels.
Certes tous les instituteurs ou tous les employés de la sous-préfecture ne sont pas à l’abri
du N parasitisme social » dont on fait l’un des fléaux de 1’Afrique contemporaine ; des parents
viennent les solliciter ; des enfants leur sont confiés ; mais par là justement, parce qu’à cet égard
ils sont des Africains camme ceux du village, leurs attitudes plus neuves acquièrent une influente
particulière. Au point de vue social, ils forment des ménages qui, pour l’ensemble, vivent en
dehors de leur famille etendue ; du point de vue socio-économique, ils sont des agents du dévelop-
pement ; par leurs fonctions quotidiennes ils manifestent une attitude positive à l’égard d’une
situation que les villageois seraient plutot enclins à subir. Les « lettrés » venus de l’extérieur sont
en quelque sorte des urbanisés au village. Enfm certains d’entre eux ont une action dirette sur
le comportement des villageois ; nous avons signalé la réussite de l’opération « engrais-fumure »
menée à bien par les responsables de l’agriculture ; les instituteurs ont des responsabihtés consi-
dérables, car ce sont naturellement les jeunes enfants qui se montrent particulièrement réceptifs
à toutes les séductions de la modernité, et il dépend pour une large par-t de leurs éducateurs que
ces séductions suscitent chez ceux sur lesquels elles s’exercent un état d’esprit réaliste. Encore
que le taux de scolarisation du littoral soit relativement faible (66 y0 en 1961 à Jacqueville, village
privi&%), les attitudes de la jeunesse scolarisée constituent donc l’un des facteurs déterminants
de la chance que peut ou non avoir la société alladian de maitriser son avenir.
Pour essayer de discerner les caractères principaux de ces attitudes nous avons fait passer
un questionnaire très ouvert dans trois des classes de CMz du littoral - composées en général
d’enfants de 12 à 15 ans. Nous lui avons donné la forme d’un sujet de narration, pour ne pas
dérouter les élèves et pour pouvoir tout à la fois quantifier certains résultats et esquisser une
analyse de contenu sommairel.
Les résultats ont 4th rassembles dans les tableaux XXVI, XXVII et XXVIII. Il s’eri
dégage un certain nombre de conclusions :
I. Il existe une differente significative, en ce qui concerne le choix entre la vie à la ville
et la vie au village, entre Jacqueville d’une part, Akrou et Sassako, d’autre part. Vérification
faite, il semble que tette différence tienne à deux facteurs complémentaires : Jacqueville offre
des exemples vivants de professions étroitement liées au développement r-mal, et de nombreux
élèves veulent devenir instituteurs, planteurs, infirmiers - les filles dans leur quasi-totalité
veulent devenir institutrices ou sages-femmes ; en outre, les élèves de la classe de CMz sont en
général les enfants ou les neveux d’une « personnalité » du village. On compte parmi eux la fìlle
du sous-préfet (guéré), une frlle d’instituteur (abouré), une fille d’un fonctionnaire à la sous-
préfecture (alladian), une lille d’un grand planteur de Jacqueville (alladian), la fille de l’infirmier
(&i), la fille d’un planteur de Bingerville confiée à un chauffeur du Service de l’Agriculture
(ébrié), deux neveux d’instituteurs étrangers au littoral...
La diff&ence de choix selon les villages correspond donc à une différence de situation
sociale et culturelle ; les jeunes éléments les plus sensibles à la N mystique » du développement
rural se trouvent du coup etre souvent des étrangers au littoral alladian.
2. De facon générale, il existe une nette préférence pour la vie hors de la famille étendue ;
meme ceux qui n’expriment pas tette préference manifestent une vive hostilité à l’égard de leurs
parents auxquels ils reprochent leurs disputes perpétuelles et leur autoritarisme. Naturellement
I. Le sujet de la narration était le suivant : « Lorsque vous serez adulte, oti aimeriez-vous vivre ? Quel
métier aimeriez-vous exercer ? Quelles seraient vos activités et vos distractions préférées ? Comment imaginez-
vous votre vie de famille ? Aimeriez-vous vous marier, avoir des enfants ? Préféreriez-vous vivre chez vos parents
ou Seul ? Répondez librement et abondamment à toutes ces questions. N
CONCL USION 253
Jacqueville . . . . . . . . . . 8 13 21
Akrou . . . . . . . . . . . . . . 15 3 18
Sassako ............. 7 1 8
TOTAL . . . . . . . 30 17 47
X i = 10,88
Différence significative au seuil . OI.
b) Selon le sexe.
Garcons . . . . . . . . . . . . . 18 11 29
Filles . . . . . . . . . . . . . . . 12 6 18
TOTAL . . . . . . . 30 17 47
Garcons ............. 24 8 29
Filles ............... IO 18
TOTAL . . . . . . . 34 13 47
x : = 4,045
Différence significative à .05.
Ville . . . . . . . . . . . . . . . . 8 9
Village . . . . . . . . . . . . . . 5 i 11
TOTAL . . . . . . . 13 7 20
= 4,86
Différence significative au seuil .05.
254 LE RIVAGE ALLADIAN
le choix de la ville camme résidence future entraine à peu près automatiquement le choix pour
la vie hors de la famille ; de ce point de vue il existe une différence significative entre les choix
de ceux qui préfèrent vivre en ville et de ceux qui préfèrent vivre au village ; mais la moitié de
ces derniers préfère aussi vivre plus tard hors de leur famille. Sur ce chapitre, les choix des garcons
et des iilles diffèrent significativement, celles-ci étant plus sensibles à la sécurité qu’entrtine
la vie dans la famille.
Les choix pour la vie hors de la famille ne vont pas sans quelque incohérence ou sans quelque
incertitude ; l’un des élèves choisit à la fois la vie à la ville - par désir d’etre indépendant - et
la vie en famille - par souci de sécurité. Les avantages et les inconvénients de l’un et l’autre
modes de residence sont parfois expo& parallèlement, et les choix définitifs peu tranches. Enfin
presque tous les élèves veulent plus tard avoir des enfants auxquels, avec cynisme et naiveté,
ils refusent par avance ce droit à l’indépendance dont ils revent pour eux-memes : ils veulent
des enfants pour « assurer leurs vieux jours D.
3. Pour l’ensemble, au reste, toutes les attitudes liées traditionnellement au mariage et
à la paternité sont persistantes ; les raisons invoquées en faveur du mariage (un seul enqu&é
refuse le mariage, parce qu’il veut devenir curé de son village) sont dénuées de tout romantisme :
avoir des enfants et, plus prosaiquement, avoir une femme à la cuisine, sont les raisons les plus
fréquentes.
Le plus significatif dans ces diverses narrations tient à la représentation que se font les
élèves de la vie moderne. C’est sur ce point que la différence entre Jacqueville et les autres villages
est nette, sans doute, camme on vient de le voir, parce que les élèves de Jacqueville sont de par
leur situation sociale et géographique des privilégiés. Leur conception de l’avenir est raisonnée et
raisonnable ; ils envisagent de participer pratiquement et précisément à l’essor de la communauté
villageoise ; les splendeurs de la ville et les techniques prestigieuses, sans doute parce qu’ils ont
une connaissance des premières et que leurs parents ont plus ou moins accès aux secondes,
n’exercent pas sur eux d’attrait irrésistible. A Akrou et Sassako au contraire, où les élèves du
CM2 sont en général des enfants de pecheurs ou de petits planteurs locaux, la fascination de la
ville et des techniques modernes est totale : elle s’exprime par des créations verbales qu’on pourrait
croire inspirées de Boris Vian ; les « ectrophone N,« magnétéléphone », « léléchéfone D,« voituropel »,
« telvision » et « sytnographe 1)y composent un univers d’autant plus bruyant et brillant qu’il
est avant tout inaccessible.
Il est dans la logique de l’organisation sociale des Alladian quelle ne soit plus justiciable
d’une ethnologie ; un peuple qui a toujours attendu de la mer des richesses, et de l’intérieur le
moyen de les faire fructifier, n’est pas décrit à la simple letture de son inscription sur le sol d’un
étroit cordon littoral. Il a fait sienne l’histoire des autres ; son histoire s’est pour une large par-t
identifiée à celle de la Cote-dIvoire ; l’intégration nationale n’y est pas un problème, mais tout
à la fois un destin, une vocation et une nécessité.
Jusqu’à la fin du siècle dernier les inégalités liées à l’age, à la naissance et à la richesse
ont pu s’ordonner dans le cadre de la communauté villageoise ; on pouvait parler d’une société
alladian ; les entreprises individuelles exprimaient une aventure commune. Aujourd’hui l’aventure
est celle d’une communauté beaucoup plus vaste : vis-à-vis d’elle, les Alladian ne peuvent plus
prétendre jouer ce r6le d’intermédiaires qu’ils avaient rempli avec assez de brio pour qu’on ait
pu les décrire indifféremment camme des héros civilisateurs ou camme des commercants habiles.
En tant que « société 1)ils ne représentent plus rien, qu’une poignée d’individus métissés, assez
sensés pour savoir que la culture du.cocotier ne ressuscitera pas les fastes du passé - et que c’est
à chaque individu, s’il en a la possrbilité, de saisir sa chance. Le développement du littoral alladian
ne sera pas le seul fait des Alladian, et il ne sera pas celui de tous les Alladian.
Il anive qu’à la fin d’une monographie l’auteur suggère que l’avenir des populations étudiées
est entre leurs mains. Une telle conclusion, s’appliquant aux Alladian, serait doublement contes-
table : l’avenir des Alladian sera individuel, car la mise en valeur du pays alladian n’est pas une
CONCL USION 255
solution économique d’avenir pour l’ensemble de la société alladian - et l’avenir des individus
partis ou nés hors du littoral, indépendamment de leur situation de départ et de leurs qualités
personnehes, est pour l’essentiel fonction d’une politique d’ensemble.
En outre l’avenir des Alladian n’a jamais été entre leurs mains ; ils ont su exploiter les
ressòurces que fournissait leur pays et les occasions que leur offra2 lhistoire ; rien ne dit qu’ils
ne sauront pas encore une fois s’emparer des chances qui leur seront proposées - tant du point
de vue régional que du point de vue individuel- mais il ne depend pas d’eux - ni camme société,
ni camme individus - qu’elles leur soient ou non proposées. L’avenir des Alladian est d’abord
national.
2. t’ Palais N de notubles Kacou. 3. v l’al& j8d’un notablc Kacou. Au premier plan : un canon.
4. Jacqueville : la mission catholique j. La lagune ct In for&
6. Jacqueville : les ruines du premier tempk prckcatant. 7. Bapteme des nouveau-nés dans I’éqlise de Papa Nouveau.
(Les documents d’archives, les rapports politiques, l’enquete de l’École Nationale de Statistique et le
Recensement d’Abidjan de 1955 ne figurent pas dans tette liste.)
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533 P.
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LÉvr-STRAUSS (C.), rg4g : Les structwes &lkmentaives de la parenté, P.U.F., Paris, 639 p.
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MALINOWSKI (B.), 1954 : The dynamics of Culture Change, Yale University Press, 171 p.
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MEILLASSOUX (C.), 1964 : Anthropologie konomique des GOUYOSde CGte d’lvoire, Mouton, Paris-La Haye, 382 p.
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(I.F.A.N.), 81 + 55 + 144p., multigr.
TEIXEIRA DA MOTA, 1950 : Toponimos de origem portuguesa na Costa Occideatal de Africa, Centro de Estudos
da Guiné Portuguesa.
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YkNOU (A. D.), 1954 : « Quelques notes historiques sur le pays alladian j~, Notes Afrz’caines, no 63, pp. 83-87.
Glossaire
owoyii : captive
pama on6 : porte-canne, juge
waya : promotion chargée de diriger la vie administrative du village
yii : femme
Religion, sorcellerie.
aje : cadavre, mort
aje on6 : « contre-sorcier » participant de la puissance des morts
awa : pouvoir spécifique des CC sorciers »
awa on6 : « sorcier » (witch)
oso : dureté
3W3 : harmonie, paix
sekz : remède
sekz on6 : « contre-sorcier »
sramagbE : nain, genie de la foret
Espace.
ama : village
m’bata : quartier où se trouve le trone principal d’un matriclan donne
akukro : quartier
Temps.
nvra : saison
oku : lunaison
Table des illustrations
I. CARTES
I. Populations du cordon littoral ........ . . . . . . . . 25
2 A, 2 B et 2 C : Terroir de Grand-Jacques ..... . . . . 164, 165 et 166
3. Le terroir des Kacou de Jacqueville ...... . . . . . . . . 171
2. FIGURES
I. Pedologie du cordon littoral ......... ........ 20
2. (AetB) ................ ........ 64
3. (AetB) ................ ........ 66
4. Théorie de la residence ........... ........
5. Terminologie de la parenté .......... ........ ;;
6. acigkg et achk3 ~930 ............ ........
7. sme et abii ........ 2
8. L’EmeMambe : : : : : : : : : : : : : : ........ 89
g. L’eme Kovou .............. ........
IO. L’Eme Andongon ............. ........ 93
II. L’Eme Kacou .............. ........
12. Le plan de Jacqueville ........... ........ 92
13. Le plan de Grand- Jacques .......... ........ 98
14. (A et B) : l’eme Mambé, acbks Adjé Bonny .... ........ 101
15. L’aci~k~ Nguessan Mambé .......... ........ 103
16. Exemple d’association et d’assimilation. ..... ........ 104
17. Jacqueville : Liaisons externes et solidarités intemes . ........ 105
18. .................... ........ 111
Ig,20et2I ................ ..... 115 et 117
22. Formes et types d’alliance .......... ........ 119
23. .................... ........ 121
24 et25 ................. ........ 122
26. Types d’unions pseudo-endogamiques ...... ........ 124
27. Formes des types d’alliance endogamique ..... ........ 125
28. (A) : Alliances de forme AI et Az ....... ........ 129
(8) :AlliancesdeformeA2etBI. ....... ........ 129
zg. Echanges matrimoniaux entre achk3 associ& .... ........ 130
30. Cour de Bogui Ahui ............ ........ 132
31. Cour d’Abi Aikpa ............. ........ 133
32. Hors-tede : Ahua : alliance et descendance .... . . . . . entre 132 et 133
262 LE RIVAGE ALLADIAN
3. TABLEAUX
1. Canton de Jacqueville .................... 22
11. Canton d’Addah ...................... 22
111. Canton d’Akrou 23
IV. Sous-Préfecture de’Jacquev%le’ : : : : : : : : : : : : : : : : : 24
V. Enchainement des relations des villages d’après la tradition ....... 100
VI. gkakro et sme 106
VII. Ethnies voisines’ des Alladi~n et statut des femmes’qu’elies foumissent 1 1 : 1 116
VIII. Types endogatniques : fréquence et répartition ............ 126
1X. Formes d’alliance et types d’alliance ............... 127
X. Cour de Jacqueville : composition ................ 135
X1. La peche selon les villages ................... 138
X11. (A et B) D écompte des plantations ................ 160
X111. Modes d’acquisition de la terre ................. 161
XIV. Légende du cadastre de Jacqueville ................ 167
XV. (A et B) Répartition des plantations à Jacqueville ........... 170
XVI. Grandes plantations de Grand- Jacques .............. 175
XVII. (A) : Taille des cocoteraies ................... 177
(B) : Taille des cocoteraies sortant des cultures vivrières ......... 177
(C) : Répartition des parcelles vivrières .............. 177
XVIII. Eszcbi! de Grand- Jacques ................... 228
X1X. Esub& de Jacqueville ..................... 229
XX. EsubG d’Adoumanga ..................... 230
XXI. Alladian recensés à Abidjan .................. 248
Xx11. Répartition par sexe et age des Africains domiciliés dans chacun des groupes
ethniques 249
Xx111. Recensement des enfants et jeunes geni r&&.n~ à.Jacqueville: : : : : : : 249
XXIV. Emigration masculine adulte .................. 250
XXV. Extrait du recensement d’Abidjan ................ 251
XXVI. Choix du futur lieu de residence ................. 253
XXVII. Choix du futur mode de résidence 253
XXVIII. Rapport entre le choix de la residence au village et le’choix’ de la résidence avec
les parents ........................ 253
Mable des matières
AVANT-PROPOS .......................... 7
INTRODUCTION .......................... 9
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
GLOSSAIRE............................ 259
Direction Générale :
24, rue Bayard, PARK-8e
i-..---