Kannan_Amina_Mémoire de recherche.

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Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Aïn Chock

Mémoire de recherche

Sociologie

Projet de fin d'étude

Le Rap Marocain : De la contestation à la consommation

Elaborée par : Kannan Amina


Encadré par : Professeur Kadiri Zakaria
Année : 2023/2024
Remerciements

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation
de ce mémoire.

Tout d'abord, je remercie mon encadrent de mémoire, Professeur Kadiri, pour son soutien
indéfectible, ses précieux conseils et sa disponibilité tout au long de ce travail. Ses
encouragements et sa confiance en mon projet ont été essentiels pour mener à bien cette
recherche.

Je remercie également ma Professeure Sana Benbelli, pour ses remarques constructives et sa


patience. Ses recommandations m'ont permis d'approfondir ma recherche et mon analyse.

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à mes Chers Professeurs, Fadma Aitmouss et Younes
Benmouro pour m'avoir donné des clarifications sur mon sujet d'étude et pour m'avoir mise sur
des voies de rechercher pertinentes.

Je suis également reconnaissante envers le rappeur Solo, qui m'a ouvert les portes du terrain et
m'a permis de mener à bien mes observations et mes entretiens. Sa générosité m’a été précieuse.

Je remercie tous mes enseignants du département de sociologie, car je considère que ce travail
est l'aboutissement de tout ce qu'ils m'ont appris.

Je remercie également tous les participants à cette recherche, les rappeurs, les producteurs, les
fans, qui ont pris le temps de partager leurs expériences et leurs points de vue avec moi. Leurs
témoignages ont été essentiels pour comprendre la complexité de l'industrie du rap marocain.

Enfin, je tiens à remercier l'étudiant Mustapha Rahmani pour son aide précieuse aussi bien au
niveau méthodologique qu’à propos de mon attitude personnelle à l’égard de mon travail de
recherche.

1
Dédicace

Je dédie ce travail à Mon Cher Professeur Kadiri Zakaria, qui m'a redonné le courage de
poursuivre mes études de sociologie en langue française, alors qu'à un moment j'allais
abandonner.

2
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS ...................................................................................................................................... 1
DEDICACE .................................................................................................................................................... 2
RESUME ........................................................................................................................................................ 4
INTRODUCTION .......................................................................................................................................... 5
I. REVUE DE LITTERATURE : .............................................................................................................. 8
1- LA THESE PIONNIERE DE SEBASTIEN BARRIO SUR LA SOCIOLOGIE DU RAP FRANÇAIS :......................... 8
2- L’EMERGENCE DE LA MUSIQUE DE RAP................................................................................................... 9
3- L'EVOLUTION ET LA DIVERSIFICATION DU RAP EN AFRIQUE ................................................................. 12
4- L’EMERGENCE DE RAP AU MAROC ......................................................................................................... 14
II. CADRE THEORIQUE ET CONCEPTUEL ................................................................................... 19
1- CADRE THEORIQUE : ............................................................................................................................... 19
2- CADRE CONCEPTUEL : ............................................................................................................................ 21
III. DEMARCHES METHODOLOGIQUES ........................................................................................ 26
1. COLLECTE DE CONTACTS ........................................................................................................................ 27
2. UTILISATION DES RESEAUX SOCIAUX ..................................................................................................... 27
3. OBSERVATION .......................................................................................................................................... 28
4. DIFFICULTES ............................................................................................................................................ 31
IV. ANALYSES ET RESULTATS : ........................................................................................................ 32
CHAPITRE PREMIER : DESCRIPTION DE FESTIVAL BOULEVARD ..................................................................... 32
1. Description du stade et interprétation : .............................................................................................. 32
2. Interactions sociales : ......................................................................................................................... 33
3. Éléments commerciaux ...................................................................................................................... 34
4. Diversité de la programmation ........................................................................................................... 35
DEUXIEME CHAPITRE : ANALYSES DES ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS .......................................................... 36
1. Le rap au Maroc : Création, Diffusion, Légitimation ....................................................................... 36
2. Influence des institutions culturelles ................................................................................................. 37
3. Transition vers des thèmes plus commerciaux .................................................................................. 40
4. Enjeux de Propriété Artistique dans le Rap Marocain :.................................................................... 41
5. Fonctionnement de l'industrie du rap en tant que sphère d'activité collective ................................. 43
TROISIEME CHAPITRE : VERIFICATION DES HYPOTHESES ............................................................................ 45
1. Le rap marocain : De la contestation à la consommation ................................................................. 45
V. CONCLUSION GENERALE .............................................................................................................. 47
VI. BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................... 50
VII. ANNEXES : ...................................................................................................................................... 51

3
Résumé

Cette étude analyse l'évolution du rap marocain, passant d'une forme de contestation sociale à
une expression largement consommée. Elle explore l'influence des institutions culturelles sur
cette évolution, et son importance dans la redéfinition de la valeur artistique du rap marocain.
Ainsi que les défis liés à la propriété artistique et à la préservation de l'authenticité artistique.
À travers des entretiens avec des rappeurs marocains, l'étude révèle l'influence des normes
esthétiques, des attentes du public et des tendances de l'industrie musicale sur les artistes, ainsi
que les tensions entre l'innovation artistique et la commercialisation.

Mots-clés : Rap marocain, Mondes de l'art, Contestation, Consommation, Institutions


culturelles, Propriété artistique, Authenticité, Normes esthétiques, Commercialisation.

4
Introduction

Dans le cadre de mon mémoire de fin d’étude en sociologie, j'ai choisi d'explorer l'évolution du
rap au Maroc, explorant son passage de la contestation à la consommation. Cette musique
constitue aujourd’hui une composante importante sur la scène musicale au Maroc. Le rap
commencé comme le cri de révolte d'une jeunesse en quête d'expression. Au fil du temps, il a
subi une transformation significative, évoluant de son rôle initial de porte-parole contestataire
vers une forme davantage ancrée dans la consommation commerciale.

Mon sujet de recherche « l'évolution du rap marocain de la contestation à la consommation »


s'inscrit dans le champ de la sociologie de l'art, ce choix découle d'une expérience personnelle
qui a profondément marqué ma fascination pour la culture hip-hop. Lors de ma participation à
un film documentaire sur le hip-hop marocain, j'ai eu le privilège de m'immerger dans l'univers
des rappeurs, des danseurs de hip hop et des graffeurs.

Cette proximité avec cette communauté m'a offert une vision directe des comportements, des
expressions et des styles vestimentaires de ces artistes. En observant de près, j'ai pu saisir les
multiples facettes de leur créativité et de leur manière de penser, allant bien au-delà de la
musique. Cette expérience a agi comme un déclencheur, éveillant ma curiosité et renforçant
mon désir d'approfondir ma compréhension de ce mouvement culturel dynamique.

Ce contact direct avec les acteurs du hip-hop m'a incité à chercher une compréhension plus
approfondie des changements sociaux qui ont façonné l'évolution du rap marocain, initialement
ancré dans la contestation, vers une forme plus intégrée dans la consommation commerciale.
Ma motivation réside dans le besoin de comprendre les changements sociaux qui ont conduit le
rap marocain à traverser ces différentes phases, de la contestation à la consommation.

Motivée par cette expérience et par ma fascination pour la culture hip-hop, j'ai choisi d'explorer
l'évolution du rap marocain dans le cadre de mon mémoire de fin d’étude en sociologie. En
effet, la sociologie m’a permis un dépassement du seul changement concernant le Rap, pour se
saisir du comment ces changements s’est-il opéré par les acteurs eux-mêmes. Mon objectif est
de comprendre les changements sociaux qui ont conduit le rap marocain à traverser ces
différentes phases, de la contestation à la consommation.

5
Pour structurer mon mémoire de fin d'étude en sociologie sur le sujet de l’évolution du rap
marocain, j'ai suivi une série d'étapes méthodologiques.

La première partie est consacrée à une revue de littérature. J'ai commencé par examiner la thèse
pionnière de Sébastien Barrio sur la sociologie du rap français, qui offre une perspective inédite
sur ce mouvement culturel. J'ai ensuite exploré l'émergence de la musique rap, son évolution et
sa diversification en Afrique, avec un focus particulier sur le Maroc. Enfin, j'ai étudié l'évolution
des approches académiques du rap pour mieux comprendre son développement dans différents
contextes.

Dans la deuxième partie, j'ai défini le cadres théoriques et conceptuels de ma recherche. Je me


suis appuyé sur la théorie esthétique institutionnelle et la théorie de la réputation de Howard S.
Becker (1988). Ces théories m'ont permis d'analyser le rap en tant que phénomène artistique et
social. En parallèle j'ai mobilisé le concept de contestation tel que défini par Touraine (1977),
lequel explore le conflit entre les classes sociales pour le contrôle de l'action historique. En
outre, j'ai examiné la consommation, comme conceptualisée par Lamont et Molnár (2001), en
tant que processus culturel et social complexe, englobant bien plus que le simple acte d'achat et
d'utilisation de biens et de services. J'ai également utilisé les concepts de propriété artistique et
des mondes de l'art, également développés par Becker (1988), pour étudier la manière dont les
rappeurs marocains créent et légitiment leur art.

La troisième partie de mon travail décrit les démarches méthodologiques employées. J'ai opté
pour une approche qualitative basée sur des entretiens semi-directifs avec dix rappeurs
marocains. Cette section détaille la manière dont j'ai collecté les contacts, utilisé les réseaux
sociaux pour atteindre les participants et surmonté les diverses difficultés rencontrées.

Dans la quatrième partie, j'ai procédé à l'observation directe des festivals et des événements liés
au rap, en mettant particulièrement l'accent sur le festival Boulevard, un événement clé pour le
rap au Maroc. J'ai décrit le stade, les interactions sociales, les éléments commerciaux et la
diversité de la programmation.

La cinquième partie de mon mémoire est dédiée à l'analyse et aux résultats. Le premier chapitre
de cette section décrit le festival Boulevard, en analysant les interactions sociales et les aspects
commerciaux. Le deuxième chapitre se concentre sur l'analyse des entretiens semi-directifs. J'ai
exploré la création, la diffusion et la légitimation du rap au Maroc, l'influence des institutions
culturelles, la transition vers des thèmes plus commerciaux, les enjeux de propriété artistique,

6
et le fonctionnement de l'industrie du rap comme sphère d'activité collective. Enfin, le troisième
chapitre vérifie les hypothèses initiales, en examinant le passage du rap marocain de la
contestation à la consommation.

En conclusion, mon mémoire de fin d'étude en sociologie présente un résumé des principales
découvertes de ma recherche sur l'évolution du rap marocain, mettant en lumière sa transition
de la contestation à la consommation, les influences des institutions culturelles, les enjeux de
la propriété artistique, et les défis auxquels les artistes sont confrontés pour maintenir leur
authenticité face aux pressions commerciales.

7
I. Revue de littérature :

1- La thèse pionnière de Sébastien Barrio sur la sociologie du rap


français :

Le rap à émerger aux États-Unis dans les années 1970. Il est né dans les quartiers défavorisés
de New York, en particulier dans le Bronx, comme une forme d'expression artistique et
culturelle pour les jeunes issus des minorités ethniques et sociales. Barrio décrit comment le
rap est né dans un contexte de marginalisation sociale et économique, marqué par des problèmes
tels que la pauvreté, le chômage et la violence urbaine. Il souligne le rôle central des DJ et des
soirées dans la création et la diffusion du rap, ainsi que l'influence des mouvements culturels et
politiques de l'époque, tels que le mouvement des droits civiques et le Black Power.

En ce qui concerne l'introduction du rap en France dans les années 1980, Barrio examine
comment le genre a été importé et adapté par les jeunes Français, en particulier dans les
banlieues urbaines. Il explore les premières expérimentations avec le rap en France, notamment
les premiers enregistrements et les premiers concerts, ainsi que les premières émissions de radio
et de télévision consacrées au genre.

Barrio analyse la musique du rap, en se concentrant sur ses aspects esthétiques. Il explore les
différentes techniques utilisées par les rappeurs pour créer leur musique, notamment
l'échantillonnage (sampling), qui consiste à utiliser des extraits de musique préexistants pour
créer de nouveaux morceaux. Il examine également la façon dont le rap s'inscrit dans une
tradition artistique plus large, tout en développant des formes d'expression uniques et originales.

Un autre aspect important abordé par Barrio est celui des paroles du rap. Il étudie la manière
dont les rappeurs écrivent leurs textes, en mettant en lumière les thèmes récurrents abordés dans
leurs chansons, tels que la politique, la société et la vie quotidienne. Il analyse également la
façon dont les rappeurs utilisent le langage pour exprimer leurs idées et leurs émotions, ainsi
que la manière dont leurs paroles sont perçues et interprétées par le public.

En plus de cela, Barrio examine la culture du rap, en explorant les valeurs, les normes et les
traditions qui façonnent la communauté rap. Il discute également des relations entre le rap et
les institutions sociales, telles que l'industrie musicale, les médias et le système judiciaire.

8
Bario aborde les implications sociales du rap, en examinant son impact sur les communautés et
son rôle dans la construction de l'identité individuelle et collective. Il souligne les défis auxquels
sont confrontés les rappeurs, notamment la difficulté de maintenir une carrière durable dans
l'industrie musicale, ainsi que les stratégies utilisées par les artistes pour naviguer dans ce milieu
compétitif.1

Barrio a interrogé 68 personnes, principalement des jeunes âgés de 21 à 32 ans, majoritairement


de la région parisienne. Le niveau d'études des interviewés est souvent supérieur au
baccalauréat, mais ils occupent souvent des emplois précaires. L'échantillon inclut des
personnes de diverses origines sociales, illustrant la diversité socio-économique des rappeurs.
Barrio retrace l'histoire du rap depuis les années 1970 avec la création de la "Zulu Nation" par
Afrika Bambaataa, et considère 1979 comme l'année du début médiatique du rap. Le rap est
arrivé en France dans les années 1980, marqué par l'influence des radios libres.

Barrio propose une typologie du rap basée sur le type de message, les thèmes sociaux, et
l’engagement militant. Il décrit le rap comme un art musical et littéraire, où le texte joue un rôle
central. Les rappeurs utilisent souvent des techniques de pastiche et d’échantillonnage
(sampling) pour créer leur musique. L’authenticité est une valeur centrale dans le rap, souvent
remise en question par la commercialisation. Un conflit notable en 2003 a soulevé des questions
sur l'authenticité de nombreux rappeurs français.

Il existe une tension entre le rap commercial, largement diffusé et reconnu, et le rap
underground, considéré comme plus authentique. Le rap underground utilise des stratégies
alternatives pour se démarquer du mainstream, telles que l’autoproduction et la création de
réseaux de solidarité. Barrio réussit à offrir une sociologie du rap qui va au-delà de la simple
musique pour explorer un univers aux multiples enjeux culturels, artistiques et sociaux. Il aurait
été bénéfique d'inclure des biographies de rappeurs pour mieux comprendre leurs trajectoires
individuelles.2

2- L’émergence de la musique de RAP

L'émergence du rap comme mouvement culturel et musical est un phénomène complexe et en


constante évolution. À ses débuts, le rap était avant tout un moyen d'expression pour les jeunes

1
Cf. Sébastien Barrio, Sociologie du rap français : état des lieux (2000-2006), Thèse de doctorat en sociologie
dirigée par Rémy Ponton, Université Paris VIII, soutenue le 25 juin 2007.
2
Mihai Dinu GHEORGHIU, Contributions à une sociologie du rap français, Universitatea „Al.I.Cuza” Iaşi, membru
asociat al Centre de Sociologie Européenne (EHESS, Paris).

9
des quartiers défavorisés des États-Unis. Souvent issus de familles brisées et confrontés à la
pauvreté, ces jeunes ont trouvé dans le rap une manière de s'exprimer et de raconter leur réalité.

Dans les années 1970 et 1980, le rap a traversé ce que l'on appelle couramment son « âge d'or ».
C'était une période de grande créativité et d'innovation artistique, marquée par des figures
emblématiques comme « Grandmaster Flash » and « The Furious Five ». À cette époque, le
rap était étroitement lié aux communautés noires américaines et racontait des histoires de vie
urbaine, d'injustice sociale, de violence et d'espoir.

Dans les années 1990 et 2000, le rap a atteint une popularité immense, devenant un genre
musical dominant non seulement aux États-Unis, mais aussi dans le monde entier. Des artistes
célèbres comme Dr. Dre, Snoop Dogg, 2Pac et d'autres sont devenus des icônes de la musique,
de la mode, du cinéma et des jeux vidéo. Le rap a dépassé les frontières raciales, culturelles et
sociales, touchant des jeunes de toutes origines et de toutes classes sociales.

Cependant, avec cette montée en popularité, le rap a aussi évolué. Certains critiques estiment
que le rap est devenu plus centré sur la fête, le matérialisme et le divertissement, perdant ainsi
une partie de son message critique et de sa volonté de changement social. Les paroles réfléchies
et engagées des débuts ont parfois été remplacées par des refrains répétitifs sur des thèmes plus
superficiels.

Après l'an 2000, certains théoriciens de la musique noire américaine et des Cultural Studies
pensent que le rap est entré dans une nouvelle ère, celle du « Big Business ». Avec la
mondialisation et la commercialisation de la culture hip-hop, certains considèrent que le rap a
perdu une partie de son authenticité et de son engagement social. L'industrie musicale, devenue
un empire économique, a transformé le rap en une activité très lucrative, générant des milliards
de dollars.3

- La Contestation Doublement « Consciente » du Rap4

Responsabilité en tant que Porte-parole :

3
Marie-Catherine Dumont- Poupart (2010), LE RAP AMÉRICAIN, STOP OU ENCORE : LA NAISSANCE, LA VIE ET LA
MORT POSSIBLE DU MOUVEMENT HIP-HOP, UNE HISTOIRE EN 3 TEMPS : RAPSTERS, GANGSTA, BLING-BLING,
Montréal, Mémoire, Université du Québec, Pp 1-3.
4
Morgan jouvenet (2006), RAP, TECHNO, ÉLECTRO Le musicien entre travail artistique et critique sociale,
Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Ministère de la Culture, Ethnologie de la France | 27, Pp.
55-110 Rap, techno, électro - 2. Manières de faire de la musique : la création dans les nouvelles cultures
musicales - Éditions de la Maison des sciences de l’homme (openedition.org)

10
Les rappeurs voient leur rôle de "porte-parole" comme super important. Cela signifie qu'ils
pensent qu'il est essentiel de représenter de manière réelle d'où ils viennent, surtout les
difficultés auxquelles font face les jeunes. Ils veulent être proches de leurs fans, en utilisant
souvent des mots comme "on" et "nous", pour montrer qu'ils sont tous dans le même bateau.

Conscience Sociale à travers le Rap :

Le rap ne se contente pas seulement de faire de la musique, il essaie aussi de changer les choses
dans la société. Les rappeurs veulent ouvrir les yeux de leur public sur les problèmes des
quartiers pauvres des villes. Certains d'entre eux veulent même enseigner des choses à travers
leur musique, pour aider les gens à mieux comprendre ce qui se passe dans le monde. C'est
comme s'ils essayaient d'être des professeurs qui utilisent le rap pour partager des leçons
importantes sur la vie. 5

- Rap États-Unis : De la Musique à la Puissance Culturelle et Économique6

Le rap aux États-Unis s'est transformé en un phénomène qui va au-delà de la musique pour
devenir une force économique et culturelle. Des exemples tels que « Def Jam » et « No Limit »
illustrent comment des passionnés de rap ont créé des empires financiers à partir de leur amour
pour le rap, « Wu-Tang Clan » est également n'a pas seulement un impact musical mais aussi
avec son empire commercial diversifié, comprenant des vêtements, des salons de beauté, et
même une marque de skate. La culture entrepreneuriale du rap s'étend aux marques associées,
avec des labels et des artistes lançant leurs propres lignes de vêtements. L'influence du rap sur
le marché de la mode est soulignée, avec des marques en difficulté retrouvant du succès grâce
à leur association avec la culture hip-hop. Le rôle des médias et de la presse spécialisée, tels
que "The Source", est aussi un vecteur puissant de promotion. En somme, le rap est transformé
en une force économique, culturelle et médiatique aux États-Unis, avec des ramifications qui
s'étendent au-delà de l'industrie musicale pour façonner la société et les marchés commerciaux.7

Le mouvement hip-hop de la troisième génération a connu une évolution significative en termes


de sa place dans la culture américaine. Autrefois considéré comme un domaine réservé aux

5
Morgan jouvenet (2006), RAP, TECHNO, ÉLECTRO Le musicien entre travail artistique et critique sociale,
Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Ministère de la Culture, Ethnologie de la France | 27, Pp.
55-110 Rap, techno, électro - 2. Manières de faire de la musique : la création dans les nouvelles cultures
musicales - Éditions de la Maison des sciences de l’homme (openedition.org)
6
Auteur anonyme (2001), EMERGENCE, EVOLUTION ET HISTOIRE DU RAPHip Hop Core - Article :
Emergence, Evolution et Histoire du Rap
7
Auteur anonyme (2001), EMERGENCE, EVOLUTION ET HISTOIRE DU RAPHip Hop Core - Article :
Emergence, Evolution et Histoire du Rap

11
Noirs pauvres, le hip-hop est désormais intégré à la culture officielle, avec des cours
universitaires consacrés à ce sujet dans des universités réputées. L'interprétation de la culture
hip-hop est partagée, voire controversée. Cependant, il est indéniable que cette culture s'est
généralisée et est devenue une partie intégrante de la société américaine. Les jeunes américains,
ainsi que d'autres personnes de divers horizons, sont désormais capables de comprendre et
décoder le langage utilisé par les rappeurs, bien mieux qu'il y a vingt ans où ce jargon était
réservé aux initiés. Le langage autrefois codé des rappeurs est devenu populaire, tant chez les
jeunes que chez les adultes. Des termes tels que "bling-bling" (qui signifie une ostentation de
richesse) sont même entrés dans les dictionnaires, comme le Oxford Dictionnary. Le hip-hop a
connu un succès mondial dès 1979, avec le hit planétaire « Rapper's Delight » de Sugar Hill
Gang vendu à des milliers d'exemplaires par semaine dans des pays aussi divers que la France,
le Japon et les Pays-Bas.

Cette popularité grandissante du hip-hop soulève des questions sur son avenir. Est-ce qu'il y
aura une nouvelle génération de rebelles, ou bien le hip-hop deviendra-t-il conventionnel et sera
écouté par les parents ? Cependant, certains critiques soulignent que l'industrie musicale a
récupéré le hip-hop à des fins économiques, ce qui pourrait affecter sa transformation sociale
et son statut d'œuvre d'art authentique. Il existe des tensions entre la culture hip-hop promue
par les artistes et la culture de la rue qui est souvent mercantile. Le hip-hop véhicule également
différentes idéologies, subtiles ou flagrantes, et exerce une influence sur l'imaginaire collectif.8

3- L'évolution et la diversification du rap en Afrique

Le rap en Afrique a subi des changements et s'est diversifié de manière significative depuis les
années 1980 et 1990. Des changements politiques et économiques majeurs ont marqué le
continent pendant cette période, notamment les transitions vers la démocratie et l'adoption
généralisée de politiques néolibérales. C'est à cause de ce contexte que le hip-hop, avec sa forme
artistique principale qu'est le rap, s'est diffusé dans diverses régions du continent.

Au Ghana, par exemple, est né un style de musique appelé hiplife qui résulte d'un mélange entre
le hip-hop et des styles traditionnels comme le highlife. Ce phénomène a aussi impacté la
perception du succès et de la réussite sociale chez les jeunes. Le Bongo Flava est né en Tanzanie
comme réponse à la recherche d'identité des jeunes citadins, mêlant différents genres musicaux

8
Marie-Catherine Dumont- Poupart (2010), LE RAP AMÉRICAIN, STOP OU ENCORE : LA NAISSANCE, LA VIE ET LA
MORT POSSIBLE DU MOUVEMENT HIP-HOP, UNE HISTOIRE EN 3 TEMPS : RAPSTERS, GANGSTA, BLING-BLING,
Montréal, Mémoire, Universitédu Québec, Pp 1-3.

12
et reflétant les réalités locales. Le rap a été rapidement adopté au Sénégal et a influencé les
esthétiques et les idéologies urbaines.

Toutefois, l'évolution de la recherche académique sur le rap africain a été différente selon les
régions et les contextes linguistiques. Parmi les premiers à explorer ce phénomène, se trouvent
des chercheurs anglophones qui ont bénéficié de l'existence préalable d'études sur le hip-hop et
la culture populaire aux États-Unis. Par contre, en France, l'étude du rap africain a pris plus de
temps à émerger, en partie à cause de l'importance initiale accordée aux banlieues françaises et
aux préoccupations sociologiques qui en ont découlé.

La recherche sur le rap africain a exploré différents aspects, de l'analyse linguistique des paroles
à l'étude ethnographique des pratiques sociales liées au rap. Les chercheurs ont étudié des sujets
tels que l'identité, la mondialisation, les mouvements sociaux et la politique, afin de comprendre
comment le rap en Afrique reflète et influence les réalités culturelles, sociales et politiques du
continent.

Les études sur le rap africain se sont concentrées sur l'analyse des constructions identitaires
pour examiner leur manifestation à travers les pratiques langagières, les esthétiques corporelles,
les contenus musicaux et les discours. La formation des identités ethniques, nationalistes,
raciales et panafricaines a été étudiée.

Le rap a été étudié pour explorer les liens d'appartenance à la diaspora noire et les sentiments
nationalistes qui en émergent. Elles ont aussi étudié la représentation et l'expression des notions
de diaspora et de panafricanisme dans la musique rap.

Les perceptions simplistes du rap comme étant simplement une expression de la jeunesse ont
été remises en question par les études. Elles ont étudié comment le rap reflète, décrit et interroge
les relations intergénérationnelles en Afrique, ainsi que les identifications et les stratégies
d'autonomisation adoptées par la jeunesse à travers la musique.

Certains domaines d'étude ont exploré les relations sociales de genre dans le milieu du rap, en
analysant les identités sexuelles ainsi que la construction de la masculinité et féminité. Elles ont
mis en lumière la reproduction d'idéologies conservatrices et de dynamiques de domination
masculine dans le rap, tout en examinant aussi les moyens pour changer les normes de genre au
sein de ce milieu.

Deux nouvelles thématiques d'étude ont émergé. D'une part, les chercheurs étudient l'adaptation
du rap aux particularités locales, notamment sa relation avec la religion. Ils examinent

13
également l'implication du rap dans les mobilisations citoyennes, les résistances politiques et
les processus électoraux sur le continent. Il est essentiel d'avoir une approche réflexive qui
remet en question les idées préconçues et simplistes sur le rap en Afrique. De plus, il est
nécessaire de développer des réseaux de recherche et d'utiliser des cadres théoriques appropriés
pour mieux comprendre le rôle du rap dans les sociétés africaines.9

4- L’émergence de rap au Maroc

Le rap français, similaire à son équivalent américain, émerge des quartiers défavorisés et est
étroitement lié à la culture des minorités ethniques. Les rappeurs issus de ces milieux, souvent
d'origine africaine et maghrébine, adoptent initialement un discours politiquement engagé,
dénonçant le racisme institutionnel et les héritages de l'esclavage et de la colonisation.
Cependant, une tendance à la commercialisation conduit certains rappeurs à abandonner leur
contestation initiale au profit de thèmes plus légers et divertissants, reflétant ainsi l'influence
croissante de l'industrie culturelle. Malgré ces défis, le rap français demeure un moyen pour les
jeunes des banlieues de faire entendre leurs préoccupations et de dénoncer les injustices
sociales. (Béru 2008)10 L’art urbains et le hip hop ont émergé au Maroc aux années 1980,
marqués par l'influence des jeunes marocains issus de l'immigration en Europe surtout la
France, qui ont introduit le rap lors de leurs séjours périodiques dans le pays, l’assimilation du
rap occidental dans le contexte marocain a constitué un processus évolutif qui a requis plusieurs
années d'efforts de la part des artistes locaux, qui ont réussi à créer un style unique en fusionnant
les musiques traditionnelles marocaines avec le rap occidental, ce processus a également
impliqué l'exploration d'une expression vocale appropriée, mêlant l'arabe marocain (darija), le
français et l'anglais.11

Le rap marocain, utilisant l'arabe et le dialecte marocain, aborde efficacement les problèmes
sociaux avec un style hip-hop. Initialement stigmatisé comme une « musique de voyous », il
s'est répandu à travers le Maroc en s'inspirant des traditions locales et de la poésie arabe
ancienne. L'introduction réussie du dialecte marocain par des artistes comme Alkayssar a élargi
l'audience, tandis que l'arrivée de rappeuses comme Widad a ajouté une perspective féminine.

9
Alice Aterianus-Owanga, « Rap Studies in Africa. Revue analytique de la littérature sur le rap en Afrique depuis
les années 2000 », Volume ! [En ligne], 14 : 1 | 2017, mis en ligne le 13 décembre 2020, consulté le 11 décembre
2017. URL : http://journals.openedition.org/volume/5337 ; DOI : 10.4000/
volume.5337
10
Laurent Béru (2008), Le rap français, un produit musical postcolonial ?, OpenEdition Journals, p. 61-79
11
R. K. Houdaïfa (2021), Musique : petite histoire du rap made in MoroccoMusique: petite histoire du rap made
in Morocco (fnh.ma)

14
Malgré des débuts difficiles, le rap marocain a progressé avec des artistes tels que H-Kayne et
Don Bigg. Cependant, les rappeurs font face à des défis de liberté d'expression, avec des
arrestations de membres du mouvement social. Malgré une renommée internationale, le rap
marocain peine à obtenir une reconnaissance médiatique, les labels étant réticents en raison du
faible pouvoir d'achat et des téléchargements illégaux. Les rappeurs utilisent Internet pour
diffuser leur musique, soulignant l'importance de l'indépendance et de l'entraide.12

Au début, de nombreux rappeurs marocains choisissent la musique comme moyen d'expression


de leurs passions. Cependant, dans une industrie musicale hautement compétitive, tous les
artistes de rap ne bénéficient pas du soutien du ministère de la Culture au Maroc. Certains
rappeurs adoptent d'autre méthodes, comme voyager à travers le pays en minibus, se produire
dans les vieux quartiers et distribuer leurs démos et CD aux maisons de disques du circuit
commercial pour faire connaître leur musique, à cette époque, le Maroc abrite plusieurs festivals
de musique, tels que le "Ouf du Bled Music Festival", offrant une plateforme propice à
l'émergence de nouveaux talents dans le domaine du rap. Les artistes débutants, âgés de seize à
trente ans, même s'ils manquent parfois d'expérience musicale, ont l'opportunité de mûrir grâce
à ces festivals, Pour certains rappeurs marocains devenus célèbres, leur musique peut être
entendue sur les chaînes de télévision et de radio marocaines.13

D'une autre côté le rappeur Muslim et d'autres membres du collectif Zanka Flow, abordent un
éventail de questions sociales et urbaines à Tanger. Leurs paroles explorent les complexités de
la transformation de la ville, mettant en lumière le contraste entre le développement économique
et la persistance de la pauvreté en périphérie. Les récits rap évoquent également les défis
auxquels est confrontée la jeunesse tangéroise, notamment les problèmes d'immigration, les
économies informelles et l'impact des changements politiques sur la ville. De plus, les rappeurs
critiquent les disparités sociales, la corruption et l'influence des forces extérieures. Les thèmes
explorés reflètent une perspective nuancée sur Tanger, englobant à la fois la fierté et la
frustration face à la dynamique en évolution de la ville.14

Laure Malécot (2020), Le Rap Marocain : De Salé à Casa, histoire d’une expansion autonome, Le Rap
12

Marocain : De Salé à Casa, histoire d’une expansion autonome | Music In Africa

Auteur anonyme, Moroccan Rap (travel-exploration.com)


13
14
Gilles Suzanne, Mounir Kabbaj (2008), Rap à Tanger. Ou l'image ambiguë d'une ville, revue scientifique
cairn.info, dans La pensée de midi (N° 23), pages 134 à 137. Rap à Tanger. Ou l'image ambiguë d'une ville |
Cairn.info

15
Ces dernières années, les clips du rap, ont pris une direction artistique plus ambitieuse. Autrefois
simples reflets sociaux des paroles, les vidéos de rap étaient souvent des captures authentiques
de la vie quotidienne des quartiers, filmées de manière documentaire. Cependant, une nouvelle
tendance a émergé, transformant radicalement l'esthétique de ces clips. Dans le passé, les clips
de rap étaient souvent réalisés avec des ressources limitées, en marge de l'industrie musicale.
Cependant, cela a changé, et les réalisateurs disposent maintenant de moyens de production
plus importants. Cette évolution a ouvert la voie à une exploration visuelle novatrice, repoussant
les limites traditionnelles. Bien que certains clips actuels conservent des éléments sociaux,
l'esthétique a évolué au-delà des clichés. Les réalisateurs explorent désormais une créativité
sans limites, privilégiant l'expression artistique au conformisme. Ainsi, de nombreux clips
contemporains reflètent cette métamorphose, offrant une nouvelle perspective où le rap visuel
se libère des conventions pour embrasser une forme d'expression plus libre et inventive.15

Au cours des décennies, la scène du rap marocain a connu des évolutions notables, avec des
artistes adoptant différentes stratégies pour faire connaître leur musique, des festivals de
musique servant de tremplin, et des clips musicaux subissant une transformation esthétique
significative. La question de départ demeure : comment le rap marocain s'est évolué de la
contestation à la consommation ?

Karim Hammou (2015)16 explore la manière dont le rap a été initialement défini et consacré
comme l'expression par excellence des banlieues imaginées, en mettant en lumière le rôle des
discours académiques, médiatiques et politiques dans cette construction. L'analyse du rap en
France a été initialement centrée sur son rôle en tant qu'expression des banlieues, ce qui a été
renforcé par des discours académiques et médiatiques. Karim Hammou remet en question la
solidité empirique de cette vision du rap comme expression des banlieues, soulignant le manque
de données statistiques et la faiblesse méthodologique des premières recherches, il s'appuie sur
les travaux de l'historien Paul Veyne pour éclairer la nature de la croyance académique et
souligner le parallèle avec l'examen des mythes dans la Grèce antique. Cette remise en question
incite à adopter une approche rigoureuse basée sur des données empiriques lors de l'analyse de
l'évolution du rap au Maroc, encourageant une perspective plus précise et éclairée.

15
R. K. Houdaïfa (2021), Musique : petite histoire du rap made in MoroccoMusique: petite histoire du rap made
in Morocco (fnh.ma)

16
Karim Hammou (2015), "Rap et banlieue : crépuscule d’un mythe ?", cairn.info, dans Informations sociales,
(n° 190), (pp.74 - 82). Rap et banlieue : crépuscule d’un mythe ? | Cairn.info

16
Karim Hammou (2015) décrit comment les approches académiques du rap ont évolué au fil du
temps, passant de la focalisation sur la jeunesse des banlieues à des analyses plus diversifiées,
telles que la reconnaissance du rap en tant que pratique esthétique et professionnelle.

Les travaux récents remettent en question la vision monolithique du rap en explorant des
programmes de « vérité variés » Hammou (2015), tels que le rap en tant que pratique esthétique,
professionnelle, et objet de politiques publiques. Des facteurs tels que la diversité des publics
du rap, l'émergence de nouveaux programmes de vérité, et la reconnaissance des multiples
dimensions du genre fragilisent la vision traditionnelle du rap comme simple expression des
banlieues. Ces travaux récents remettent en question la vision monolithique du rap en explorant
des programmes de vérité variés, tels que le rap en tant que pratique esthétique, professionnelle
et objet de politiques publiques. Appliqué au contexte marocain, cela pourrait permettre
d'analyser comment le rap a élargi son champ d'application, passant d'un moyen de contestation
à une forme de consommation culturelle, touchant divers publics.

À la lumière des observations de Karim Hammou sur la construction du rap en tant


qu'expression initiale des banlieues, et qui souligne que le rap n'est pas uniquement une
expression des banlieues, mais qu'il s'agit d'une pratique multiforme avec des dimensions
esthétiques, professionnelles et politiques. Cette perspective est essentielle pour analyser
l'évolution du rap marocain. Il met en avant l'importance de considérer les différents
« programmes de vérité » 17
qui façonnent la compréhension du rap. Dans le cas du rap
marocain, il est important de tenir compte des discours des institutions artistiques, des médias,
des artistes eux-mêmes et du public18. La problématique centrale réside : En quoi l'évolution
du rap marocain, de sa dimension contestataire à une forme plus commerciale, est-elle
liée à son intégration dans les structures institutionnelles de l'art ?

Mes hypothèses suggèrent que l'évolution du rap marocain de la contestation à la consommation


est le résultat d'une interaction dynamique et complexe entre les artistes, les institutions
culturelles, et le public, soulignant ainsi l'importance de ces facteurs dans la trajectoire et le
succès des artistes de rap au Maroc

Hypothèse 1 : les institutions culturelles telles que l'industrie musicale, les médias, le public…
joueront un rôle déterminant dans la définition de ce qui est considéré comme artistiquement

17
Karim Hammou (2015), "Rap et banlieue : crépuscule d’un mythe ?", cairn.info, dans Informations sociales,
(n° 190), (pp.74 - 82).
18
Karim Hammou (2015), "Rap et banlieue : crépuscule d’un mythe ?", cairn.info, dans Informations sociales,
(n° 190), (pp.74 - 82).

17
valable. Les artistes qui s'alignent avec les normes établies par ces institutions gagneront en
légitimité artistique, ce qui conduit à l'évolution du rap marocain vers une forme de
consommation.

Hypothèse 2 : Les artistes de rap marocain ayant initialement construit leur réputation sur des
thèmes contestataires et sociaux, pourraient être perçus comme moins valorisés, et ils ont
choisissez d'aligner leur musique avec les préférences du public et les tendances de l'industrie
musicale.

18
II. Cadre théorique et conceptuel

1- Cadre théorique :

Selon la théorie esthétique institutionnelle Howard.S.Becker (1988)19, l'art ne se limite pas à


une appréciation individuelle basée sur des critères universels, mais plutôt à son intégration
dans un "monde de l'art". Ce monde est composé d'institutions artistiques, d'artistes, de critiques
et d'autres acteurs qui participent à la création, à la diffusion et à l'appréciation de l'art. Ainsi,
pour être considérée comme de l'art, une œuvre doit être acceptée et reconnue au sein de ce
contexte artistique particulier.

En outre, la théorie institutionnelle met en lumière le rôle crucial des institutions culturelles,
telles que les galeries d'art, les médias et l'industrie musicale dans la définition de ce qui est
considéré comme de l'art. Ces institutions contribuent à façonner les normes esthétiques, à
établir des critères d'appréciation et à influencer la perception publique de l'art.

La théorie institutionnelle de l'esthétique offre une perspective enrichissante qui nous invite à
considérer l'art comme un phénomène ancré dans un contexte social et institutionnel, façonnant
ainsi notre compréhension collective de la beauté et de la valeur artistique.

Le rap marocain a connu une évolution significative, passant d'une expression de contestation
sociale à une forme culturelle largement consommée. Pour comprendre cette transformation, la
théorie institutionnelle de l'esthétique offre un cadre conceptuel, selon cette théorie, l'art ne se
limite pas à une appréciation individuelle basée sur des critères universels, mais plutôt à son
intégration dans un « monde de l'art ». Ce monde est composé d'institutions artistiques,
d'artistes, de critiques et d'autres acteurs qui participent à la création, à la diffusion et à
l'appréciation de l'art.

La théorie de la réputation Becker (1988)20, met en lumière le rôle essentiel que jouent les
jugements et les opinions dans le monde de l'art. Selon cette perspective, ce ne sont pas
seulement les œuvres individuelles ou les artistes qui déterminent leur importance, mais plutôt
la façon dont ils sont perçus par les autres. Contrairement à l'idée commune selon laquelle les

19
Howard.S.Becker (1988), Les mondes de l'art, Paris, Flammarion, Pp159-177.
20
Howard.S.Becker (1988), Les mondes de l'art, Paris, Flammarion, Pp 349-363.

19
œuvres d'art sont le produit d'artistes individuels, cette théorie met l'accent sur les mondes de
l'art en tant que producteurs d'œuvres. Les réputations sont façonnées par des activités sociales
complexes, où certaines œuvres et certains artistes sont distingués comme étant exceptionnels.
Ces réputations deviennent ensuite un moyen d'organiser les activités artistiques, influençant la
façon dont les gens traitent et évaluent le travail des artistes. La théorie souligne également le
caractère contingent de la perception artistique, soulignant comment les idées sur l'individualité
de l'artiste et la valeur de l'œuvre évoluent historiquement et culturellement. Ainsi, la réputation
devient un aspect crucial du processus artistique, reliant les jugements sociaux aux réalisations
artistiques.

Au cœur de la théorie de la réputation se trouve le concept selon lequel les réputations ne


résultent pas simplement des actions individuelles des artistes, mais plutôt de l'activité
collective des mondes de l'art. Les critiques, les esthéticiens, les historiens de l'art, les
distributeurs et le public contribuent tous à façonner les réputations en établissant des critères
artistiques, en authentifiant des œuvres, en influençant les choix de distribution et en réagissant
émotionnellement aux œuvres. « Mais en réalité, les réputations des artistes, des œuvres, des
genres et des disciplines découlent de l'activité collective des mondes de l'art. Si nous
examinons sous cet angle les principales activités des mondes de l'art, nous verrons en quoi
elles concourent toutes à la formation des réputations, qui les influence en retour. Pour que les
réputations s'imposent durablement, les critiques et les esthéticiens doivent établir des théories
de l'art et des critères qui permettent de reconnaître l'art, l'art de qualité et le grand art. Sans
ces critères, personne ne pourrait formuler les jugements sur les œuvres, les genres et les
disciplines qui déterminent eux-mêmes les jugements sur les artistes. » 21.

La théorie de la réputation dans le monde de l'art met en avant l'idée que la valeur artistique est
intrinsèquement liée aux dons exceptionnels des artistes, à leur capacité à créer des œuvres
profondes tout en respectant les règles de leur discipline. Cette perspective, historiquement
située et évolutive, souligne l'importance de considérer l'ensemble de la production artistique
d'un individu pour évaluer sa réputation.

La théorie de la réputation dans le monde de l'art, met en lumière le rôle central des jugements
et des opinions dans la perception artistique, trouve un écho intéressant dans l'évolution du rap
marocain de la contestation à la consommation.

Howard.S.Becker (1988), Les mondes de l'art, Paris, Flammarion, P356.


21

20
Initialement, le rap marocain émergeait comme un moyen de contestation sociale et politique,
mettant en avant des artistes qui exprimaient des réalités difficiles et revendiquaient des
changements. La valeur artistique était associée à la capacité des artistes à transcender les
conventions artistiques tout en exprimant des émotions profondes et des valeurs culturelles
essentielles, en écho aux principes de la théorie de la réputation.

Cependant, au fil du temps, le paysage du rap marocain a évolué pour répondre aux préférences
du public et aux tendances de l'industrie musicale. Certains artistes ont adapté leur style pour
atteindre une audience plus large, orientant ainsi le rap vers une dimension plus commerciale
et orientée vers la consommation. Cette transition peut être comprise à travers le prisme du
caractère contingent de la perception artistique souligné par la théorie de la réputation, illustrant
comment les idées sur la valeur de l'art et l'individualité de l'artiste évoluent dans un contexte
donné.

De plus, les médias utilisés dans le rap marocain peuvent jouer un rôle dans la formation des
réputations. Certains styles ou sous-genres peuvent être perçus comme plus nobles ou
populaires, reflétant ainsi le consensus au sein du monde artistique sur la capacité d'un genre
particulier à produire des œuvres importantes.

La théorie de la réputation souligne que les réputations ne résultent pas uniquement des actions
individuelles des artistes, mais de l'activité collective des mondes de l'art. Dans le contexte du
rap marocain, cela implique que les critiques, les médias, les fans et d'autres acteurs peuvent
influencer sur la manière dont les artistes sont perçus, façonnant ainsi la réputation globale du
rap.

2- Cadre conceptuel :

La contestation par (Touraine 1977) : La contestation est définie comme le conflit entre les
classes sociales pour le contrôle de l'action historique. La société est divisée en deux classes
opposées : la classe dominante, qui s'approprie l'historicité et utilise l'accumulation pour aller
au-delà de la simple reproduction de la société, et la classe populaire, qui lutte contre cette
domination. La classe dominante prend en charge l'historicité et se distingue par sa capacité à
diriger et organiser la société, tandis que la classe populaire cherche à reprendre ce contrôle en
renversant la domination de la classe dominante.

Ainsi, la contestation est une lutte pour le « suprême enjeu » : la gestion ou le contrôle de
l'action historique. Les orientations du système d'action historique sont influencées par les

21
relations et la domination de classe. Cela signifie que les normes et valeurs ne viennent pas
directement des orientations culturelles de la société, mais sont façonnées par ces relations de
classe. « Those who belong not to the ruling class but to the popular class...defend themselves
against this domination, and against historical action itself, but also contest its private
appropriation and seek to regain control of it by overthrowing the domination of the ruling
class. Thus the class conflict cannot be defined except as the struggle for the supreme ''stake''
which is the management or control of historical action. » 22. La contestation est le processus
par lequel la classe populaire s'oppose à la domination de la classe dirigeante pour reprendre le
contrôle de l'action historique et de la direction de la société. 23

La consommation par (Lamont et Molnár, 2001) : La consommation est un processus culturel


et social complexe, englobe bien plus que le simple acte d'achat et d'utilisation de biens et de
services. Elle implique une série d'interactions étroitement liées à la culture et à la société dans
lesquelles les individus vivent. D'abord, elle comprend l'acquisition des biens et des services,
ce qui va au-delà de la simple transaction commerciale. L'acte d'acquérir implique souvent des
choix motivés par des facteurs culturels, sociaux et économiques, façonnés par les normes et
les valeurs de la société. Par exemple, les préférences de consommation peuvent être
influencées par des traditions culturelles, des tendances sociales ou des pressions économiques.
Ensuite, la consommation implique l'appropriation des biens et des services. Les individus
donnent un sens aux objets qu'ils acquièrent, en les intégrant dans leur vie quotidienne et en
leur attribuant une signification symbolique. Ces significations peuvent varier selon le contexte
culturel et social, et peuvent contribuer à la construction des identités individuelles et
collectives. Par exemple, certains produits peuvent devenir des symboles de statut social ou
d'appartenance à un groupe particulier. 24

Les mondes de l'art par Howard.S.Becker (1988) 25:Définis par Becker comme des sphères
d'activité collective où des individus coopèrent pour produire des œuvres artistiques en suivant
des conventions spécifiques. Ces mondes n'ont pas de frontières précises et entretiennent des
relations complexes avec d'autres sphères sociales « Les mondes de l'art n'ont pas de frontières
précises qui permettraient de dire que telle personne appartient à un monde et telle autre non.
Le problème n'est pas ici d'essayer de tracer une ligne de démarcation entre un monde de l'art

22
Alain Touraine, 1977, The Self-Production of Society, Chicago, University of Chicago Press, page 5.
23
Alain Touraine, 1977, The Self-Production of Society, Chicago, University of Chicago Press, Pp 5-6.
24
Hélène Ducourant et Ana Perrin-Heredia. 2019. "Sociologie de la consommation." Sous la direction d’Anne-
Marie Arborio et Olivier Martin. Armand Colin.
Howard.S.Becker (1988), Les mondes de l'art, Paris, Flammarion. Pp58-63.
25

22
et le reste de la société, mais bien plutôt de repérer des groupes d'individus qui coopèrent afin
de produire des choses qui ressortissent à l'art, du moins à leurs yeux. »26.

Les artistes forment un sous-groupe, mais la contribution à la production artistique provient de


divers participants suivant des conventions caractéristiques. Les mondes de l'art sont sujets à
des changements et à des innovations et à la création de petits mondes distincts. Certaines
innovations peuvent être acceptées et intégrées par les grands mondes de l'art, tandis que
d'autres restent marginales ou curieuses, et leur indépendance est conditionnée par la liberté
politique et économique des participants. L'analyse sociologique de ces mondes met en lumière
la nature dynamique et interconnectée de leurs activités, où la valeur esthétique des œuvres
émerge de l'interaction et du consensus au sein du réseau de coopération.

Le concept des mondes de l'art est complexe. Si l'on se limite à une définition traditionnelle de
l'art, on risque d'exclure de nombreux aspects intéressants, tels que les situations marginales où
des individus aspirent à la reconnaissance artistique sans l'obtenir, ou encore les cas où des
personnes réalisent des travaux qui pourraient être considérés comme de l'art par des
observateurs extérieurs, mais qui ne se voient pas comme tels. Par conséquent, il est important
d'étudier les mécanismes de définition de l'art par les acteurs sociaux eux-mêmes.

Les mondes de l'art ne sont pas clairement délimités, mais ils se caractérisent par leur degré
variable d'indépendance par rapport à d'autres groupes sociaux. Les personnes qui collaborent
au sein d'un monde de l'art peuvent être libres d'organiser leurs activités autour de la notion
d'art, mais elles doivent également tenir compte d'autres intérêts et contraintes, tels que ceux
imposés par l'État ou par d'autres groupes sociaux.

La constitution d'un monde de l'art dépend de la liberté politique et économique dont disposent
les individus. Dans certaines sociétés, cette liberté peut être limitée, ce qui peut restreindre la
possibilité de former un monde de l'art explicitement axé sur la création artistique.

Les dimensions clés du concept de « mondes de l'art » incluent :

- Réseaux de coopération : Les mondes de l'art sont décrits par Howard Becker comme
« des réseaux de chaînes de coopération », reliant les participants selon un ordre établi,
et ces réseaux peuvent varier en taille et en complexité.

Howard.S.Becker (1988), Les mondes de l'art, Paris, Flammarion, P59.


26

23
- Innovations artistiques : Les mondes de l'art sont sujets à des changements et à des
innovations, certaines étant adoptées, d'autres rejetées, reflétant les jugements de valeur
artistique contemporains.
- Indépendance relative : Les mondes de l'art varient en termes d'indépendance, mais
cette indépendance est conditionnée par la liberté politique et économique des
participants, et des contraintes externes peuvent influencer leurs priorités.

Propriété artistique par Howard.S.Becker (1988)27 : La propriété artistique se réfère à la


notion de droits légaux associés aux œuvres d'art, régis par la législation de l'État. La propriété
artistique comprend le droit exclusif de possession et de vente de l'objet physique de l'œuvre,
les droits de reproduction pour contrôler sa distribution, le droit moral de l'artiste pour protéger
son intégrité et sa réputation, ainsi que les aspects commerciaux et juridiques liés à la vente et
à la promotion des œuvres d'art. « l'État élabore une législation qui protège certains droits sur
les œuvres d'art considérées comme une propriété. Lorsque la coopération qui aboutit à la
production des œuvres d'art s'insère dans une économie de marché, les règles du droit
commercial et les lois sur la propriété artistique régissent conjointement cette coopération,
établissent les conditions d'exercice des activités et définissent le cadré des stratégies de
commercialisation. », 28 l'État crée un cadre légal qui encadre la manière dont les œuvres d'art
sont créées, vendues et protégées dans le contexte d'une économie de marché.

Les dimensions du concept de "La propriété artistique" :

- Droits de possession exclusive : L'indicateur clé de la propriété artistique réside dans


la notion de droits de possession exclusive. Cela inclut la vente du droit de possession
matérielle d'un objet artistique unique ou d'une œuvre produite en nombre restreint.
Dans le contexte du rap marocain, cela pourrait se traduire par la propriété exclusive des
enregistrements, des paroles ou d'autres éléments artistiques.
- Commercialisation des œuvres : L'idée que les œuvres artistiques sont des
marchandises commercialisées est un autre indicateur important. Dans le cas du rap
marocain, cela peut se manifester à travers la vente d'albums, la diffusion à la radio, ou
la participation à des événements sponsorisés.
- Droits de reproduction et copyright : L'importance de protéger les artistes contre la
reproduction non autorisée de leurs œuvres. Cela peut être un indicateur crucial dans le

27
Howard.S.Becker (1988), Les mondes de l'art, Paris, Flammarion. Pp180-188.
28
Howard.S.Becker (1988), Les mondes de l'art, Paris, Flammarion, p188.

24
contexte du rap marocain, où la diffusion et la reproduction des œuvres peuvent être
sensibles.
- Contrefaçons : L'évocation des contrefaçons souligne les défis liés à la préservation de
l'authenticité artistique. Dans le rap marocain, cela pourrait se traduire par des
préoccupations liées à la copie non autorisée de chansons, de paroles ou même
d'identités artistiques.
- Rôle de l'État : L'implication de l'État dans l'élaboration de lois sur la propriété
artistique est également un indicateur clé. Pour le rap marocain, cela pourrait inclure des
lois spécifiques relatives aux droits d'auteur, à la protection de l'intégrité artistique et à
d'autres aspects juridiques de la propriété artistique.29

29
Howard.S.Becker (1988), Les mondes de l'art, Paris, Flammarion. Pp180-188

25
III. Démarches méthodologiques

Participant Âge Ville Followers sur YouTube Type de rap


Solo 40ans Casablanca 23 000 Old school
Mc c 35ans Casablanca 46 000 Old school
Skaa 13 22ans Casablanca 1800 Trap, Drill
M-Key 15ans Casablanca 2000 Tous les styles
Neo 31ans Mrirt 150 000 Tous les styles
Skynet 24ans Casablanca 6,4k Rap mélancolique
Weld lkaryan 31ans Casablanca 16 000 Old school
MFK 29ans Casablanca 5899 Old school
Kidbil 23ans Casablanca 30 000 Tous les styles
Barjawi 35ans Meknes 11 000 Afro trap, Drill

Cette recherche a adopté une approche qualitative afin d’analyser la complexité et la profondeur
des transformations observées dans le rap marocain. La méthode qualitative a permis une
exploration approfondie des expériences individuelles et des dynamiques sociales qui ont
façonné cette évolution.

Une observation a été réalisée lors du festival L'Boulevard à Casablanca, un événement majeur
du rap au Maroc. Cette méthode a permis de capturer les dynamiques en temps réel, d'observer
les interactions entre les artistes et le public. Les observations se sont concentrées sur les
expressions artistiques, les réactions du public et les éléments commerciaux du rap marocain.

Pour obtenir les contacts des rappeurs et des boîtes de production, j'ai d'abord tenté de contacter
la page Instagram de « lboulevard_festival » pour obtenir l'autorisation de parler avec les
responsables et accéder aux informations nécessaires. Cependant, Leur réponse fut que ce
n'était pas possible de prendre cette autorisation, ceci m'a orienté vers une approche différente,
ce qui m'a conduit à me déplacer et à recueillir des informations de manière informelle sur le
terrain. Je me suis rendu au stade R.U.C, où se déroulait le festival « lboulevard », le jour
consacré au rap, le 16 novembre 2023. Arrivé sur place à 10h du matin, j'ai commencé par
discuter avec les vendeurs de produits commerciaux en lien avec le rap marocain. Ces
interactions m'ont permis de recueillir des informations importantes sur l'industrie du rap local.

26
1. Collecte de contacts

À partir de 15h, le public du festival a commencé à arriver. J'ai alors engagé la conversation
avec plusieurs fans, leur expliquant mon objectif de recherche et sollicitant leur participation à
la recherche. Parmi ces fans, j'ai rencontré un ancien rappeur possédant un studio, qui a accepté
de me donner son contact et de m'aider à trouver d'autres rappeurs pour participer à ma
recherche. À 17h, le tremplin rap, une compétition entre rappeurs, a débuté. J'ai profité de cet
événement pour noter les paroles « punchlines » des performances, en particulier celles en lien
avec mon sujet de recherche. De retour du festival, j'ai contacté les personnes dont j'avais
obtenu les coordonnées. Certaines n'ont pas répondu, ce qui m'a poussé à me rendre directement
au studio de Youssef Lbigg, l'un des contacts obtenus lors du festival. Dans ce studio, j'ai pu
collecter d'autres contacts de rappeurs.

2. Utilisation des réseaux sociaux

En parallèle, j'ai contacté un rappeur nommé Solo via Facebook. Il s'est montré très coopératif
et m'a aidé à trouver d'autres rappeurs prêts à participer à ma recherche. Ma méthodologie a été
principalement basée sur des interactions directes et informelles avec des acteurs du milieu du
rap marocain lors du festival L'Boulevard et par le biais des réseaux sociaux. Cette approche
m'a permis de recueillir des contacts précieux qui vont avec mes besoins de ma recherche.

En fin, des entretiens semi-directifs ont été menés avec dix rappeurs marocains du 01/03/2024
jusqu’à 30/04/2024. Ces entretiens ont permis de recueillir des informations approfondies sur
les motivations artistiques, les choix de carrière, et les perceptions individuelles et collectives
des changements dans le rap marocain. Les questions ont été structurées autour des concepts
clés de la théorie de la réputation et de la théorie institutionnelle de l'esthétique. Les dix rappeurs
interrogés provenaient de différents milieux sociaux et géographiques. Cette diversité a permis
d'avoir une vision diversifiée du rap marocain. En effet, les participants à la recherche avaient
des expériences variées dans le domaine du rap marocain. Certains avaient été témoins de
l'évolution du genre, tandis que d'autres étaient des débutants. Cette diversité d'expériences a
permis de comprendre l'évolution du rap marocain et ses différentes phases.

27
3. Observation

Dans le cadre de ma démarche d'observation sociologique, j'ai choisi le festival « L’Boulevard »


comme lieu d'étude pour comprendre les dynamiques qui influencent l'évolution du rap
marocain de la contestation à la consommation. L'événement, qui se déroule chaque année au
Stade R.U.C. à Casablanca, offre une opportunité d'observer les interactions entre les artistes et
le public, ainsi que les éléments commerciaux du rap marocain.

Le festival, qui se tient du 16 au 19 novembre 2023, propose une programmation diversifiée


comprenant des concerts live, des compétitions de tremplin, des performances de cirque, de
danse, des ateliers, des formations, un souk associatif et urbain, ainsi que des séances de
cosplay. Avec la participation de plus de 35 groupes de musique, le festival sert de lieu de
convergence pour les amateurs de musique et les passionnés de compétitions artistiques, offrant
une vitrine exceptionnelle aux jeunes talents émergents du rap marocain.

Pour recueillir des données pertinentes, j'ai adopté différentes méthodes d'observation et
de recueil d'informations :

• En me fondant dans la foule, j'ai observé de près les interactions entre les participants et les
artistes, ainsi que les réactions du public face aux performances. Cette immersion m'a
permis de vivre l'expérience du festival de l'intérieur et de capter des nuances subtiles dans
les comportements et les attitudes.
• J'ai mené des discutions avec divers participants (public, artistes, organisateurs) pour
recueillir leurs points de vue et impressions sur le festival et l'évolution du rap marocain.
Ces discussions m'ont fourni des perspectives variées et enrichissantes sur le festival et ses
enjeux.
• J'ai pris des notes détaillées sur les différents aspects observés, en mettant l'accent sur les
éléments commerciaux et les formes de consommation du rap. Ces notes m'ont aidé à
structurer mes observations et à identifier les thèmes récurrents et les particularités du
festival.

28
Mon observation s'est concentrée sur plusieurs groupes cibles :

Les artistes : Notamment ceux qui se produisaient sur scène et participaient aux compétitions
de tremplin. J'ai observé leur manière de s'engager avec le public, leur performance artistique,
et comment ils naviguaient entre l'expression contestataire et les attentes commerciales.

Le public : Comprenant les amateurs de musique, les passionnés de compétitions artistiques,


ainsi que les visiteurs du souk. J'ai analysé leur interaction avec les différentes offres du festival,
leur participation aux activités et leur réception des performances artistiques.

Les organisateurs : Ceux qui étaient en charge de la logistique et de la programmation du


festival. J'ai observé leur rôle dans la mise en place du festival, leur interaction avec les artistes
et le public, et comment ils ont géré les aspects commerciaux et artistiques de l'événement.

Le festival "L'Boulevard" m'a offert un cadre riche pour observer les dynamiques du rap
marocain, de la contestation à la consommation. Les interactions entre les artistes, le public et
les organisateurs révélaient la diversité de cette scène musicale. En explorant ces dynamiques,
j'ai découvert les multiples aspects de la culture urbaine au Maroc.

J'ai mené mes observations le 16 novembre 2023 à partir de 10 heures du matin. Mon objectif
était d'obtenir une vue d'ensemble de l'évolution des interactions et de la dynamique globale du
festival sur la totalité de ce jour. En commençant mes observations dès le matin, j'ai pu capturer
les premières impressions et les préparatifs, ce qui m'a permis de mieux comprendre
l'organisation et l'engagement initial des participants.

Le même jour j'ai réalisé un croquis du Stade R.U.C. qui illustre avec minutie les détails de cet
environnement, capturant ainsi l'essence du lieu où se déroule le festival L’Boulevard. Chaque
trait révèle une observation méticuleuse, offrant une perspective vivante de l'atmosphère du
festival. Ce croquis témoigne de ma démarche d'observation ainsi que de ma capacité à saisir
visuellement l'essence de mon sujet d'étude. J'ai redessiné le croquis avec Illustrator pour créer
une version plus précise et professionnelle. Cette approche permet de mieux visualiser les
détails observés et facilite le partage et l'analyse des informations recueillies.

29
Croquis dessiné à la main du Stade R.U.C. le 16/11/2023

Croquis dessiné avec Illustrator du Stade R.U.C. le 16/11/2023

30
4. Difficultés

Ce travail d’enquête coïncide avec le mois du Ramadan durant ce mois les studios
d'enregistrement ne sont pas disponibles. La recherche d'un rappeur participant à la recherche
a pris plus de temps que prévu, car de nombreux rappeurs n'étaient pas intéressés et d'autres
n'étaient pas disponibles pendant cette période. Cela a biaisé plusieurs entretiens que j'ai
réalisée, les réponses était limitées et très courtes, on dirait que le participant à la recherche
n’attendait que la fin de l’entretiens. De plus, j'ai été confrontée à des contraintes de temps,
certains d’entre eux proposaient des rendez-vous qui coïncider avec les horaires de mes cours,
ce qui a limité le nombre d'entretiens et d'observations que j'ai pu réaliser.

J'ai été confronté aussi à des contraintes financières qui ont limité mes possibilités de rencontrer
certains rappeurs dans d'autres villes. Le manque de ressources m'a empêché de couvrir les frais
de déplacement et d'hébergement nécessaires pour réaliser des entretiens avec eux en personne.
Pour surmonter cette difficulté, j'ai opté pour des entretiens à distance, ce qui m'a permis de
collecter des données auprès de rappeurs situés dans différentes régions du Maroc. Bien que
cette solution ait présenté certains inconvénients, notamment la difficulté à établir un rapport
de confiance avec les participants et à observer leurs interactions avec d’autre acteur comme
les personnels studios « producteurs, cameraman... ».

31
IV. Analyses et résultats :

Chapitre premier : Description de festival boulevard

1. Description du stade et interprétation :

Le stade, d'une dimension d'environ 200x90 mètres, se divise en deux sections distinctes. À
gauche, une tribune inaccessible pendant le festival, et à droite, un souk composé de tentes
blanches proposant des produits artistiques liés au rap, rock et reggae. Certaines tentes abritent
des ateliers artistiques, tandis que d'autres sont dédiées à des entreprises faisant leur publicité
de manière créative, renforçant ainsi les éléments commerciaux du rap marocain.

À l'entrée, la présence renforcée de la sûreté nationale, avec des contrôles d'identité et des
fouilles, crée une frontière symbolique, séparant les participants autorisés et des exclus. Ces
mesures de sécurité sont en réponse à des incidents de l'année précédente, l'année dernière, il
n'y avait pas de police, il y a eu une émeute et de nombreux blessés.

Ceci reflète directement les dimensions de la propriété artistique et des mondes de l'art. La
division entre la tribune et le souk met en évidence la commercialisation croissante du rap
marocain, où des produits artistiques sont proposés pour la vente. La présence de la sûreté
nationale à l'entrée symbolise également le rôle de l'État dans la régulation et la protection des
activités artistiques.

D'une part, la tribune représente l'espace réservé aux spectateurs, où l'attention est
principalement portée sur les performances artistiques sur scène. Cet espace incarne la tradition
artistique et culturelle du rap marocain, où les artistes expriment souvent leur créativité et leurs
messages sociaux à travers leur musique. D'autre part, le souk représente une expansion de cet
espace artistique vers des dimensions commerciales. Les produits artistiques proposés à la vente
dans le souk, tels que les vêtements, les accessoires et les albums, témoignent de la
transformation du rap marocain en une industrie culturelle de plus en plus commerciale.

La présence renforcée de la sûreté nationale à l'entrée du stade souligne également l'influence


de l'État dans la régulation et la protection des activités artistiques. Cette mesure de sécurité
peut être interprétée comme une tentative de l'État de garantir que le festival se déroule dans un
environnement sûr et conforme aux lois et réglementations en vigueur. Ainsi, l'observation du
32
stade et de son aménagement révèle la manière dont le festival "L'Boulevard" navigue entre les
aspects artistiques et commerciaux du rap marocain, tout en étant encadré par les politiques et
les actions régulatrices de l'État.

2. Interactions sociales :

À l'intérieur du stade, des agents de sécurité surveillent attentivement les centaines de


festivaliers présents, illustrant le rôle d'autorité dans le maintien des normes de sécurité et de
comportement. Les discussions animées entre festivaliers, portant sur des sujets sensibles tels
que la drogue et l'homosexualité, peuvent être considérées comme les coulisses où les individus
peuvent être plus spontanées.

Au niveau des expressions artistiques, la diversité des performances des groupes de rap a été
significatif. Toutes les artistes du tremplin « Babido, Yakuza, Scool boy, Dareal Goku, 7mad,
N.I.C, Dontif » et les invités « Shobee, Ayman hero, Kira7, Dada » maintenaient des thèmes
axés sur la commercialisation.

• Scool boy « Khasni nsauvé qbel ma lmama ydiha lah », song Inara
• Dada « Kolchi kameha meha, ara lmzyana nssaliha, », song Kamehameha
• Kira7 « kiss me ghi bach ana nflexy fl hana », song APK
• Shobee « kan7seb my dollars, nkhdem bach ndir some more » song Mission

Ces thèmes révèlent une évolution significative du rap marocain vers une orientation plus
marquée vers la consommation. Les thèmes récurrents de succès financier, de notoriété, de
relations familiales et de consommation de drogues témoignent d'un changement dans les
préoccupations des artistes et dans la manière dont ils interagissent avec leur public. Ces paroles
centrées sur la quête de réussite matérielle et sociale, reflètent une adaptation du rap marocain
aux dynamiques de marché. En mettant l'accent sur des éléments tels que le succès financier et
la consommation de biens et de services, le rap marocain s'est inscrit de manière plus marquée
dans une culture de consommation, illustrant ainsi une transition vers une expression artistique
plus commerciale et orientée vers la satisfaction des aspirations matérielles.

Les réactions du public ont également été intéressantes à analyser. Certains spectateurs
semblaient nostalgiques des périodes où le rap marocain servait principalement de voix
contestataire, exprimant leur mécontentement face à ce qu'ils percevaient comme une
commercialisation excessive. Lors de l'entrée en scène du rappeur Kira7, un groupe de jeunes
autour de moi évoquait « f 2014 safi mat rap », « mkhelyin lgnawi wjaybin lina kira7 », se

33
souvenant d'une atmosphère plus vibrant du boulevard 2014, marquée par des rappeurs ayant
des convictions claires quant au choix de leurs sujets. En revanche, d'autres fans semblaient
embrasser cette évolution, manifestant leur enthousiasme pour les aspects plus mainstream du
rap.

Lors des concerts live, j'ai pu observer une interaction dynamique entre les artistes et le public.
Les rappeurs sur scène utilisaient des techniques d'appel et de réponse, engageant directement
le public dans leurs performances. Les fans, en retour, répondaient avec enthousiasme, chantant
les paroles et participant activement à l'ambiance du spectacle. Cette interaction suggère une
forte connexion émotionnelle et culturelle entre les artistes et leur public, un aspect crucial pour
comprendre l'évolution du rap marocain.

3. Éléments commerciaux

La participation des marques et des entreprises au festival, utilisant le souk comme plateforme
publicitaire, souligne l'aspect commercial de l'industrie musicale marocaine. Ces entreprises
s'engagent dans des stratégies de commercialisation pour attirer l'attention du public, intégrant
des compétitions créatives pour susciter l'engagement et renforcer leur image de marque. Cette
dynamique commerciale s'inscrit dans le cadre de la commercialisation croissante du rap
marocain, où les artistes et les acteurs de l'industrie cherchent à capitaliser sur la demande
croissante pour ce genre musical.

En outre, les interactions observées entre les participants au festival et les vendeurs dans le souk
illustrent la nature interconnectée des mondes de l'art selon Becker. Les tentes du souk servent
de points de convergence où les amateurs de musique, les artistes et les entreprises se
rencontrent pour échanger des produits artistiques, des idées et des expériences. Cette
interconnexion entre différents acteurs reflète la nature dynamique et interdépendante des
mondes de l'art, où la valeur esthétique des œuvres émerge de l'interaction et du consensus au
sein du réseau de coopération.

La consommation est un processus culturel et social complexe, englobant bien plus que le
simple acte d'achat et d'utilisation de biens et de services. Elle implique une série d'interactions
étroitement liées à la culture et à la société dans lesquelles les individus vivent (Lamont et
Molnár, 2001). Dans le contexte du festival L’Boulevard, cette complexité de la consommation
est bien visible. Les visiteurs ne se contentent pas d'acheter des produits au souk ; ils participent
à un échange culturel et social. Les produits vendus et achetés ne sont pas seulement des objets

34
matériels, mais aussi des symboles de l'identité et de la culture du hip hop marocaine. Ils
permettent aux participants de s'identifier à la communauté du rap et de partager des valeurs
communes. En achetant des produits au souk, les participants s'engagent dans un processus
d'appropriation culturelle, où chaque objet acheté devient un élément de leur expression
personnelle et collective. Ainsi, le festival L’Boulevard ne se contente pas de célébrer la
musique rap, il devient également un espace où se joue la dynamique complexe de la
consommation culturelle et sociale.

Interactions commerciales au Souk du festival « L’Boulevard » le 16/11/2023 à 19h30

4. Diversité de la programmation
La diversité de la programmation, allant des compétitions de tremplin aux performances de
cirque et de danse, illustre l'intégration du rap dans un cadre culturel plus large. Les ateliers et
les formations offerts lors du festival montrent également un aspect éducatif, visant à
promouvoir les compétences artistiques et professionnelles des jeunes talents. Cette diversité
reflète une volonté d'embrasser et de promouvoir une culture urbaine holistique.

Les compétitions de tremplin étaient particulièrement intéressantes à observer. Elles offraient


une plateforme pour les jeunes rappeurs de se faire connaître et de démontrer leur talent. Ces
compétitions encouragent l'émulation et la créativité, contribuant ainsi à l'évolution et à
l'amélioration continue de la scène rap marocaine.

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Le festival "L'Boulevard" offre une fenêtre unique sur l'évolution du rap marocain, de la
contestation à la consommation. Les interactions entre les artistes et le public, les éléments
commerciaux présents, la diversité de la programmation et le rôle des compétitions artistiques
sont des aspects clés qui illustrent cette transition. Mon observation souligne comment le rap
marocain, tout en conservant ses racines contestataires, a su s'adapter aux dynamiques de
marché et intégrer des éléments commerciaux pour évoluer en une forme de culture urbaine
complexe et multifacette.

Deuxième chapitre : Analyses des entretiens semi-directifs

1. Le rap au Maroc : Création, Diffusion, Légitimation

Dans le contexte du rap marocain, l'application de la théorie institutionnelle de l'esthétique de


Becker (1988), permettrait de comprendre comment cet art est créé, diffusé et apprécié au sein
de la société marocaine et des institutions culturelles qui lui sont associées. La création
artistique dans le rap marocain implique généralement des rappeurs qui s'expriment à travers
des paroles, des rythmes et des mélodies pour aborder des questions sociales, politiques et
culturelles pertinentes dans leur contexte marocain « Pour moi, le rap est sorti des États-Unis
pour transmettre un message au monde, un message portant sur les problèmes de racisme et de
torture. Le rap est pour moi un message. S'il n'y a pas de message qui atteint le public, alors ce
n'est pas du rap. » Entretien 1. Ces artistes utilisent souvent le rap comme un moyen de donner
une voix aux préoccupations et aux expériences de la jeunesse marocaine, en utilisant la
musique comme un outil de contestation et d'expression.

Dans le processus de création artistique, les rappeurs marocains sont associés à d'autres artistes,
producteurs de musique et des réalisateurs au sein de collectifs ou de studios indépendants,
« Lorsque je vais au studio, je m'entends sur le prix, souvent c'est lui-même qui fait le
beatmaking et je lui confie tout, mixage, mastering, instruments, et il n'intervient dans les
paroles que parfois, mais seulement du point de vue artistique, pas du sens. » Entretiens 8. Ces
collaborations permettent de développer un réseau d'acteurs créatifs qui contribuent à la
production et à la diffusion du rap marocain.

La diffusion du rap marocain se fait à travers divers canaux, notamment les plateformes de
streaming en ligne, les chaînes YouTube et les réseaux sociaux « Il existe de nombreux groupes

36
de rap sur les réseaux sociaux ainsi que des pages dédiées au rap marocain. Le public soutient
les rappeurs dans les groupes à travers des memes, des trolls et des vidéos sarcastiques… »
Entretien 1. La présence en ligne permet aux artistes de rap marocains d'atteindre un public plus
large, tant au niveau national qu'international, et de contourner les canaux de diffusion
traditionnels tels que les radios contrôlés par les institutions culturelles établies. Cependant, la
reconnaissance et la légitimité du rap marocain sont également influencées par les institutions
culturelles et les médias traditionnels. « Je n'ai pas de carte d'artiste J'ai postulé mon dossier
en ligne mais je n'ai rien reçu. Deux mois se sont écoulés et j'attends toujours » Entretiens 5.
« L'État protège seulement ceux qui ont une carte d'artiste… » Entretien1

Les institutions culturelles, telles que les festivals de musique, les boites de productions et les
radios, jouent un rôle majeur dans la validation et la diffusion du rap marocain. L'inclusion de
rappeurs marocains dans des festivals nationaux ou internationaux contribuer à leur légitimation
et à la reconnaissance de leur art. « Je suis contre les médias et la télévision, eux aussi ils ne
peuvent pas m'inviter à la radio ou à la télévision car je les critique toujours. Je devrais changer
mon style qui est contre l'État si je veux être accepté par eux. » Entretiens 1.

Les interactions entre les rappeurs, les critiques, les institutions culturelles et le public
contribuent à façonner les normes esthétiques et les critères d'appréciation du rap marocain. Les
débats et les discussions autour de la musique de rap influencer la perception et la valorisation
de certaines formes de rap, en mettant l'accent sur des aspects tels que les paroles, la musicalité,
les thèmes abordés ou les performances scéniques. « …si l'écriture n'est pas cohérente et
significative, alors ce n'est pas du vrai rap. » Entretien 2.

2. Influence des institutions culturelles

Les participants à la recherche mettent en évidence l'influence prépondérante des institutions


culturelles telles que l'industrie musicale, les médias et le public dans la redéfinition de la valeur
artistique du rap marocain.

- « Une maison de production voulait signer avec moi, mais quand j'ai discuté avec eux j'ai
réalisé qu'ils voulaient changer mon style d'écriture, et j'ai refusé de signer avec eux. » Entretien
6
- « Il y a beaucoup de pages sur les réseaux sociaux qui prétendent soutenir le rap marocain,
mais en réalité, elles ne sont pas en faveur du rap marocain. Ils ne soutiennent que ceux qui
sont déjà célèbres, même si ce qu'ils font n'est pas du rap 100%. Si vous n'êtes pas célèbre... »
Entretien 7

37
- « Tout le monde a essayé de me convaincre de changer ma façon d'écrire, mais je ne céderai
jamais sur mes principes. Au moment où je prends le stylo, tout ce qui me vient à l'esprit c’est
ce que je vis, la pauvreté et la marginalisation… C'est ainsi que j'ai commencé et c'est ainsi que
je finirai. » Entretien 1

Les participants à la recherche soulignent la pression exercée par ces institutions pour s'aligner
avec les normes esthétiques établies, ce qui peut avoir un impact sur la direction artistique des
artistes.

- « ... Un producteur m'a dit de changer quelques mots mais je préfère changer de studio car je
ne compromettrai pas mes principes, je fais du rap pour moi-même d'abord et pas pour les
autres… » Entretiens 1.
- « Bien sûr, je m'efforce de me développer et de m'adapter au fil du temps afin de me rapprocher
davantage du public, car sans changement, le public se lassera… » Entretien 3
- « J'essaie toujours de changer mon style pour atteindre un public plus large, car comme je l'ai
dit précédemment, les goûts du public varient, et j'essaie d'obtenir un public plus large. »
Entretiens 4

• Analyse théorique :

Dans le cas du rap marocain, la théorie institutionnelle de l'esthétique montre comment des
acteurs tels que l'industrie musicale et les médias influencent sa valeur artistique. L'industrie
musicale marocaine, et plus particulièrement le rap, est fortement influencée par les maisons de
production et les médias. Ces acteurs exercent une pression considérable sur les artistes, les
incitant à modifier leur style et leur contenu pour répondre aux normes esthétiques dominantes
et maximiser la rentabilité commerciale. Cette situation soulève des questions importantes sur
la valeur artistique du rap marocain et la liberté d'expression des artistes.

- L'emprise des maisons de production et des médias

Les maisons de production investissent dans la carrière des artistes en échange d'un retour sur
investissement. Elles cherchent généralement des artistes dont le style et les paroles
correspondent aux tendances actuelles et peuvent être facilement commercialisés auprès d'un
large public. Cette recherche de profit peut amener les maisons de production à imposer des
contraintes artistiques aux rappeurs, les poussant à modifier leur style pour répondre à des
attentes commerciales.

38
Les médias ont un rôle essentiel dans la diffusion et la mise en avant de la musique. Les radios,
les télévisions et les plateformes en ligne ont le pouvoir de rendre un artiste célèbre. Pour être
largement diffusé, les rappeurs sentir la pression de créer des chansons qui correspondent aux
critères des médias, ce qui peut parfois impliquer de sacrifier une part de leur créativité
artistique.

- Un impact sur la valeur artistique

Cette pression exercée par les maisons de production et les médias a des implications profondes
sur la valeur artistique du rap marocain. Les critères de succès sont souvent définis par des
considérations commerciales plutôt que par des considérations strictement artistiques, ce qui
peut entraîner une uniformisation des styles et des messages au détriment de la diversité
artistique et de l'originalité.

- Résistance et compromis

Face à ces pressions, les artistes adoptent différentes stratégies. Certains choisissent de résister
et de préserver leur autonomie artistique, même si cela signifie renoncer à une partie de leur
succès commercial. D'autres se plient aux exigences du marché pour atteindre la popularité et
la reconnaissance. Cette tension entre l'art et le commerce demeure un aspect central de la scène
musicale marocaine et continue de façonner la trajectoire du rap dans le pays.

En fin de compte, le rap marocain a évolué d'une forme de contestation sociale à une expression
culturelle largement acceptée. Cette évolution reflète un changement plus large dans la
perception collective de la beauté et de la valeur esthétique au Maroc, influencée par les
institutions culturelles. Ces normes esthétiques et Ces critères d'appréciation sont façonnés par
ces institutions artistique, influençant ainsi la trajectoire artistique du rap marocain.
L’indépendance des artistes est relative, les rappeurs naviguent entre leur créativité artistique et
les contraintes externes telles que les pressions commerciales, les attentes du public et les
normes de l'industrie.

- La théorie esthétique institutionnelle, Becker (1988)

L'analyse de l'évolution du rap marocain à travers la lentille de la théorie esthétique


institutionnelle de Howard S. Becker révèle la dynamique complexe entre les artistes, les
maisons de production, les médias et le public. Tout d'abord, cette théorie met en lumière le rôle
central des institutions artistiques dans la définition de ce qui est considéré comme de l'art. Dans
le cas du rap marocain, les maisons de production et les médias exercent une influence

39
significative en déterminant les normes esthétiques et les critères de succès. Ces institutions
façonnent non seulement les styles et les messages des artistes, mais également la perception
publique de la valeur artistique du rap.

Ensuite, la théorie institutionnelle souligne l'importance des interactions entre les différents
acteurs du "monde de l'art". Les artistes, les maisons de production, les médias et le public sont
tous des participants actifs dans la création, la diffusion et l'appréciation de l'art. Dans le
contexte du rap marocain, cette interaction se manifeste par des tensions entre la créativité
artistique des rappeurs et les exigences commerciales des maisons de production et des médias.
Les artistes doivent naviguer entre l'expression de leur vision artistique personnelle et la
nécessité de satisfaire les attentes du marché pour obtenir une reconnaissance et un succès
commercial.

3. Transition vers des thèmes plus commerciaux

Les entretiens révèlent une transition progressive des thèmes contestataires vers des sujets plus
commerciaux, souvent influencée par les attentes du public et les tendances de l'industrie
musicale.

- « … Actuellement, je ne vois plus de rappeur célèbre s'opposer au régime, tout ce qu'ils font,
c'est insérer une ou deux lignes dans chaque couplet et le reste du track est commerciale, parce
qu'ils craignent ce qui est arrivé au rappeur gnawi. » Entretiens 2
- « … Il est nécessaire de modifier le style d'écriture, les mélodies et d'être créatif dans les
vidéoclips afin d'atteindre un public plus large ». Entretien 3

Certains artistes expriment des tensions entre leur désir de maintenir leur intégrité artistique et
la nécessité de répondre aux exigences commerciales pour maintenir leur succès.

- « J'essaie de changer mon style parce que c'est ce que le public demande… » Entretien 7
- « Tout le monde a essayé de me convaincre de changer ma façon d'écrire, mais je ne céderai
jamais sur mes principes… » Entretien 1

• Analyse théorique :

Les artistes expriment une évolution de leurs thèmes et de leurs styles musicaux en réponse aux
pressions commerciales et aux attentes changeantes du public. Certains rappeurs reconnaissent
avoir adapté leur contenu pour correspondre aux sujets populaires tels que l'argent, la drogue et

40
les relations, tandis que d'autres résistent à ces tendances commerciales et restent fidèles à leurs
convictions artistiques.

Ces observations peuvent être analysées à travers la théorie de la réputation Becker (1988), qui
met en évidence l'importance des jugements sociaux dans la perception artistique. Les artistes
cherchent à préserver ou à améliorer leur réputation en s'adaptant aux évolutions de l'industrie
musicale, ce qui peut conduire à des compromis entre l'authenticité artistique et la
commercialisation. Certains artistes optent pour une évolution de leur style pour satisfaire les
attentes du public, tandis que d'autres maintiennent leur intégrité artistique malgré les pressions
commerciales.

La théorie de la réputation dans le monde de l'art met en avant l'idée que les réputations ne
résultent pas uniquement des actions individuelles des artistes, mais de l'activité collective des
mondes de l'art. Les critiques, les médias, les fans et d'autres acteurs peuvent influencer la
perception artistique et façonner la réputation globale du rap marocain. Cette perspective
souligne également le caractère contingent de la valeur artistique, illustrant comment les idées
sur l'art et l'individualité de l'artiste évoluent dans un contexte donné.

Les mondes de l'art, offrent un cadre conceptuel pour comprendre ces dynamiques. Les artistes
du rap marocain interagissent au sein de ces mondes de l'art, influençant et étant influencés par
d'autres acteurs tels que les critiques, les médias et les boites de production. Cette interaction
complexe façonne l'évolution du rap marocain, où des compromis entre l'authenticité artistique
et les pressions commerciales peuvent émerger en réponse aux dynamiques sociales et
culturelles en jeu.

Les rappeurs célèbres au Maroc évitent désormais les positions politiquement opposées au
régime, par crainte de répercussions similaires à celles rencontrées par un rappeur précédent.
Cette autocensure reflète les pressions et les risques auxquels sont confrontés les artistes qui
abordent des sujets politiquement sensibles. Elle met également en lumière les dilemmes
auxquels sont confrontés les artistes entre leur responsabilité sociale et leurs intérêts personnels,
les rappeurs évoluent au sein d'un mondes de l'art, où leurs interactions avec d'autres acteurs
influencent leurs choix artistiques.

4. Enjeux de Propriété Artistique dans le Rap Marocain :

Les participants à la recherche mettent en lumière les défis et les enjeux auxquels ils sont
confrontés en matière de propriété artistique dans le contexte spécifique du rap au Maroc

41
- « Il existe le bureau BMDA, affilié au ministère de la Culture, pour protéger les droits d'auteur,
mais il n'est pas encore développé et seuls certains rappeurs en bénéficient. »
- « Dans le rap marocain, nous n'avons pas de droit d'auteur. Seuls les rappeurs très célèbres et
ayant une carte d'artiste sont protégés par la BMDA, grâce au ministre Benissaïd, mais pas tous
les rappeurs peuvent avoir la carte d'artiste, seulement ceux qui répondent à certains critères. »
Entretien 5.
- « Je n'ai pas de carte d'artiste J'ai postulé mon dossier en ligne mais je n'ai rien reçu. Deux
mois se sont écoulés et j'attends toujours » Entretiens 5.
- « L'État protège seulement ceux qui ont une carte d'artiste, ils ont des droits de propriété et
d'autres droits, et pas tous les rappeurs peuvent obtenir une carte d'artiste car ils recherchent
qui vous êtes et la musique que vous faites, il doit y avoir des normes et critères pour l'obtenir. »
Entretiens 1.

• Analyse théorique :

L'analyse des témoignages des rappeurs marocains à travers le prisme des concepts de propriété
artistique de Becker (1988) révèle des inégalités systémiques et des défis bureaucratiques qui
limitent l'accès équitable à la protection des droits d'auteur.

- Inégalités dans l'Accès à la Protection des Droits d'Auteur

Les témoignages des rappeurs marocains révèlent une disparité significative dans la protection
des droits d'auteur. La propriété artistique, qui comprend les droits de possession exclusive, les
droits de reproduction et les droits moraux, n'est accessible que pour une élite restreinte de
rappeurs répondant à des critères spécifiques pour obtenir une carte d'artiste délivrée par le
BMDA "Le Bureau Marocain des Droits d’Auteur".

Les rappeurs célèbres et reconnus obtiennent la protection exclusive de leurs œuvres, ce qui
inclut le droit de possession matérielle et la possibilité de commercialiser leurs créations. Pour
les rappeurs moins connus ou non reconnus officiellement, ces droits ne sont pas garantis, créant
une inégalité dans la reconnaissance et la protection de leur travail.

- Droits de Reproduction et Copyright :

Seuls les rappeurs avec une carte d'artiste peuvent contrôler la reproduction et la distribution de
leurs œuvres, prévenant ainsi les contrefaçons et l'utilisation non autorisée. Les artistes sans
carte d'artiste restent vulnérables à la copie illégale et à la distribution non autorisée de leurs
œuvres, ce qui diminue leur capacité à bénéficier financièrement de leur travail.

42
- Critères d'Obtention de la Carte d'Artiste

Les processus bureaucratiques pour obtenir une carte d'artiste sont souvent longs et complexes,
décourageant les artistes de demander la protection de leurs œuvres. Les témoignages indiquent
une frustration face à l’inefficacité et au manque de transparence des procédures
administratives.

L’État établit des critères stricts pour l'obtention de la carte d'artiste, incluant la vérification de
l'identité et du style musical des candidats. Ces critères peuvent être subjectifs et exclure des
artistes méritants. Les artistes qui ne répondent pas à ces normes restent sans protection légale,
accentuant les inégalités et les tensions dans le monde de l’art.

- Délais et Processus Administratifs :

Les délais prolongés et les processus administratifs complexes empêchent de nombreux artistes
de bénéficier rapidement de leurs droits de propriété artistique. Par exemple, un artiste attend
deux mois sans réponse à sa demande de carte d'artiste. Ceci nuit à la capacité des artistes de

L’État joue un rôle crucial dans la définition des règles et des critères de la propriété artistique.
Le cadre légal, élaboré par des institutions comme le BMDA, vise à réguler et à protéger les
droits des artistes, mais il montre des lacunes dans son application équitable.

Les lois sur la propriété artistique sont conçues pour protéger les œuvres des artistes, mais leur
application est inégale. Seuls les artistes reconnus par l’État, souvent grâce à des critères
restrictifs, bénéficient pleinement de ces protections. Cette régulation partielle crée un
environnement où la créativité et la production artistique sont entravées par des obstacles
bureaucratiques et des discriminations institutionnelles.

L’analyse des témoignages des rappeurs marocains à travers le prisme des concepts de propriété
artistique révèle des inégalités systémiques et des défis bureaucratiques qui limitent l'accès
équitable à la protection des droits d'auteur. Ces obstacles soulignent la nécessité d'une réforme
des pratiques institutionnelles pour garantir une reconnaissance et une protection plus inclusive
et juste des œuvres artistiques au Maroc.

5. Fonctionnement de l'industrie du rap en tant que sphère d'activité


collective

Les participants à la recherche expliquent le fonctionnement de l'industrie du rap marocain et


ils révèlent une interaction complexe entre les différents acteurs dans l'industrie du rap

43
marocain, tels que les artistes, les maisons de production, les médias et le public, qui façonnent
la direction artistique et les thèmes abordés dans la musique rap.

- « … j'ai enregistré une chanson chez Draganov, dans son studio privé, qui est une villa. J'ai pris
rendez-vous et le package incluait une nuitée avec nourriture et boissons alcoolisées, et il y a aussi
un endroit avec des plantes pour l'inspiration. Après l'entrée dans le studio, vous avez 4 heures pour
enregistrer et la qualité de l'enregistrement est très bonne. » Entretiens 2.
- « Lorsque vous voulez enregistrer un track de rap, la première chose à faire est de convenir du prix
avec l’ingénieur de son et le camera man, car le prix détermine la qualité de l'enregistrement, ainsi
que le clip. » Entretiens 7.

• Analyse théorique

Howard S. Becker offre le concept « Les mondes de l'art » pour comprendre cette dynamique.
L'industrie du rap marocain peut être considérée comme un monde de l'art, où les acteurs
coopèrent pour produire de la musique en suivant des conventions spécifiques. Les artistes sont
au cœur du processus créatif, mais leur réussite dépend de leur collaboration avec d'autres
participants. Les maisons de production fournissent les ressources nécessaires à
l'enregistrement et à la diffusion de la musique. Les médias jouent un rôle crucial dans la
promotion des artistes et de leurs œuvres. Et le public influence les choix artistiques des
rappeurs et contribue à la popularité de l'industrie. Ces différents acteurs interagissent selon des
conventions spécifiques, qui peuvent varier en fonction du contexte et des objectifs. Par
exemple, le prix d'un enregistrement ou d'un clip peut dépendre de la qualité du studio, des
attentes du public et de la réputation de l'artiste.

Les tensions entre l'innovation artistique et les attentes commerciales reflètent les changements
et les innovations caractéristiques des mondes de l'art, tandis que les interactions entre les
acteurs soulignent la nature interconnectée de cette sphère d'activité collective. L'industrie du
rap marocain est en constante évolution, avec des artistes qui expérimentent de nouvelles
sonorités et abordent des thèmes variés. Cette innovation est possible grâce à la liberté relative
dont jouissent les participants, même si elle peut être limitée par des contraintes externes. Ces
citations montrent que les artistes négocient avec les producteurs et les réalisateurs pour obtenir
les conditions qui leur permettent de s'exprimer pleinement. Cette flexibilité permet à l'industrie
de s'adapter aux goûts du public et de se renouveler constamment. L'indépendance relative des
artistes est conditionnée par des facteurs externes tels que la pression commerciale et les normes
de l'industrie.

44
Troisième chapitre : Vérification des hypothèses

1. Le rap marocain : De la contestation à la consommation

- Hypothèse 1 : Influence des institutions culturelles

L'analyse des entretiens confirme l'influence déterminante des institutions culturelles sur
l'évolution du rap marocain. Les témoignages des rappeurs révèlent la pression exercée par
l'industrie musicale, les médias et le public pour s'aligner avec les normes esthétiques établies.

Cette influence se traduit par :

- L'adaptation des artistes aux normes esthétiques : Certains artistes modifient leur
style pour correspondre aux attentes des maisons de production et de public, tandis que
d'autres résistent à cette pression pour préserver leur authenticité. Cette pression se
manifeste par des attentes en matière de style musical, de contenu des paroles et d'image
publique,
- L'évolution de la perception de la valeur artistique : Le rap marocain est passé d'une
forme de contestation sociale à une expression culturelle largement acceptée, reflétant
un changement plus large dans la perception collective de la beauté et de la valeur
esthétique au Maroc. Cela se traduit par un changement de rythme, de mélodie, de
thèmes abordés et de langage utilisé. D'autres artistes résistent à cette pression et
cherchent à préserver leur authenticité, même si cela limite leur visibilité et leur succès
commercial. Les institutions culturelles, à travers leur pouvoir de diffusion et de
légitimation, contribuent à façonner cette perception.

Cependant, l'analyse révèle également que l'influence des institutions culturelles est complexe
et nuancée. Les artistes ne sont pas de simples marionnettes manipulées par ces institutions. Ils
naviguent entre leur créativité artistique et les contraintes externes, cherchant un équilibre entre
leur intégrité artistique et les exigences commerciales.

- Hypothèse 2 : Transition vers des thèmes plus commerciaux

L'analyse des entretiens confirme également la transition progressive du rap marocain vers des
thèmes plus commerciaux. Les témoignages des rappeurs révèlent l'influence des attentes du
public et des tendances de l'industrie musicale sur le contenu des chansons. Cette transition se
manifeste par :

45
- L'adaptation des thèmes aux demandes du public : Certains artistes abordent des
sujets plus légers et commerciaux pour répondre aux attentes du public et aux exigences
des maisons de production. La transition vers des thèmes plus commerciaux est aussi
influencée par la théorie de la réputation. Les artistes cherchent à préserver et à
améliorer leur réputation en s'adaptant aux évolutions de l'industrie musicale. Cela les
conduit à faire des compromis entre l'authenticité artistique et la commercialisation.
Quand ils s'adaptent aux attentes du public ils améliorent leur réputation auprès des
maisons de production, des médias et du grand public. Cela leur permettre d'accéder à
un public plus large et d'obtenir un succès commercial.
- Le maintien de l'authenticité artistique : D'autres artistes restent fidèles à leurs
convictions et continuent d'aborder des thèmes contestataires et sociaux, même si cela
peut limiter leur succès commercial, et ils rencontrent des difficultés à protéger leurs
droits d'auteur. Ils sont aussi confrontés à des pressions de la part des autorités et des
institutions culturelles qui cherchent à censurer leur expression. Ce qui limite par la suite
leurs obtentions d'un public plus large.

Cette transition est influencée par la réputation. Les artistes cherchent à préserver ou à améliorer
leur réputation en s'adaptant aux évolutions de l'industrie musicale, ce qui peut conduire à des
compromis entre l'authenticité artistique et la commercialisation.

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V. Conclusion générale

Le rap marocain, initialement une forme d'expression contestataire, a progressivement intégré


le "monde de l'art" décrit par Becker. Ce monde, composé d'institutions, d'artistes et de
critiques, a contribué à la reconnaissance et à la diffusion du rap marocain. Le succès du rap
marocain est étroitement lié à la réputation des artistes et des œuvres. Cette réputation est
façonnée par les jugements des critiques, des médias et du public. L'analyse des entretiens
confirme une transition progressive du rap marocain vers des thèmes plus commerciaux.

Cette transition est influencée par les attentes du public et les tendances de l'industrie musicale,
certains artistes abordent des sujets plus légers et commerciaux pour répondre à ces demandes,
tandis que d'autres restent fidèles à leurs convictions et continuent d'aborder des thèmes
contestataires et sociaux. Cette transition met en évidence les tensions entre l'innovation
artistique et les compromis commerciaux. Cette situation soulève des questions importantes sur
la liberté d'expression et l'indépendance artistique dans un contexte où les forces économiques
et sociales exercent une influence considérable.

Les institutions culturelles, telles que l'industrie musicale, les médias et le public, exercent une
influence considérable sur la redéfinition de la valeur artistique du rap marocain. Les artistes
sont confrontés à des pressions pour s'aligner aux normes esthétiques établies par ces
institutions.

La commercialisation du rap marocain implique des questions de propriété artistique. Les


artistes doivent protéger leurs œuvres contre la reproduction non autorisée et les contrefaçons.
L'Etat joue un rôle important dans la protection de la propriété artistique en établissant des lois
sur le droit d'auteur, mais seulement les rappeurs qui répondent aux normes esthétiques établies
par les institutions culturelles qui peuvent bénéficient de ces droits. Certains artistes adaptent
leur style pour correspondre à ces attentes, tandis que d'autres résistent pour préserver leur
authenticité artistique. Cette influence se traduit par une évolution de la perception de la valeur
artistique du rap marocain, passant d'une forme de contestation sociale à une expression
culturelle largement acceptée.

Ma recherche s’aboutie aux Résultats suivantes :

47
- L'analyse des entretiens confirme l'influence déterminante des institutions culturelles
sur l'évolution du rap marocain. Les témoignages des rappeurs révèlent la pression
exercée par l'industrie musicale, les médias et le public pour s'aligner avec les normes
esthétiques établies. Cette influence se traduit par l'adaptation des artistes aux normes
esthétiques, avec certains modifiant leur style pour correspondre aux attentes des
maisons de production et du public, tandis que d'autres résistent pour préserver leur
authenticité.
- L'évolution de la perception de la valeur artistique du rap marocain passant d'une forme
de contestation sociale à une expression culturelle largement acceptée, reflétant un
changement plus large dans la perception collective de la beauté et de la valeur
esthétique au Maroc.
- Les rappeurs font état d'une transition progressive vers des thèmes plus commerciaux,
influencée par les attentes du public et les tendances de l'industrie musicale. Certains
abordent des sujets plus légers et commerciaux pour répondre à ces demandes, tandis
que d'autres restent fidèles à leurs convictions et continuent d'aborder des thèmes
contestataires et sociaux. Cette transition est influencée par la réputation des artistes,
qui cherchent à préserver ou à améliorer leur réputation en s'adaptant aux évolutions de
l'industrie musicale, ce qui peut conduire à des compromis entre l'authenticité artistique
et la commercialisation.
- Les défis et enjeux de la propriété artistique dans le rap marocain sont également mis
en lumière, avec un accès limité à la protection des droits d'auteur pour certains artistes,
en particulier ceux qui ne répondent pas aux critères spécifiques établis par le Bureau
Marocain du Droit d'Auteur (BMDA).
- L'industrie du rap marocain fonctionne comme un monde de l'art, avec une interaction
complexe entre les artistes, les maisons de production, les médias et le public, qui
façonnent la direction artistique et les thèmes abordés dans la musique rap.,

L'évolution du rap marocain illustre un passage significatif de la contestation à la


consommation. Ce changement est le résultat d'une interaction complexe entre divers acteurs,
notamment l'industrie musicale, les médias, les rappeurs et le public. Alors que certains artistes
ont choisi d'adapter leur style pour répondre aux attentes commerciales, d'autres ont résisté pour
préserver leur authenticité artistique et leurs convictions. Cependant, cette transition a créé des
inégalités en matière d'accès aux droits artistiques, car seuls ceux qui correspondent aux normes
établies par les institutions culturelles bénéficient pleinement de cette protection. Cette

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évolution ouvre la voie à une nouvelle exploration des stratégies utilisées par les rappeurs pour
surmonter les pressions des institutions tout en maintenant leur intégrité artistique et équilibrer
la préservation de leurs principes avec la recherche du succès commercial ceci nous invitent à
une réflexion plus approfondie sur les défis auxquels sont confrontés les artistes dans un
environnement où les forces économiques et sociales exercent une influence considérable sur
la création artistique.

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VI. Bibliographie

Auteur anonyme (2001), EMERGENCE, EVOLUTION ET HISTOIRE DU RAP Hip Hop


Core - Article : Emergence, Evolution et Histoire du Rap
Auteur anonyme, Moroccan Rap (travel-exploration.com)
Alice Aterianus-Owanga, « Rap Studies in Africa. Revue analytique de la littérature sur le
rap en Afrique depuis les années 2000 », Volume ! [En ligne], 14 : 1 | 2017, mis en ligne le
13 décembre 2020, consulté le 11 décembre 2017. URL :
http://journals.openedition.org/volume/5337 ; DOI : 10.4000/volume.5337
Béru L. (2008), Le rap français, un produit musical postcolonial ?, OpenEdition Journals.
Ducourant.H, Heredia.P.A, (2019), « Sociologie de la consommation. », Sous la direction
d’Anne-Marie Arborio et Olivier Martin. Armand Colin.
Dumont- Poupart M. C. (2010), LE RAP AMÉRICAIN, STOP OU ENCORE: LA
NAISSANCE, LA VIE ET LA MORT POSSIBLE DU MOUVEMENT HIP-HOP, UNE
HISTOIRE EN 3 TEMPS: RAPSTERS, GANGSTA, BLING-BLING, Montréal, Mémoire,
Universitédu Québec.
Howard Becker S. (1988), Les mondes de l'art, Paris, Flammarion
Houdaïfa R. K. (2021), Musique : petite histoire du rap made in Morocco (fnh.ma)
Hammou K. (2015), Rap et banlieue : crépuscule d’un mythe ?, cairn.info, dans
Informations sociales, (n° 190), (pp.74 - 82). Rap et banlieue : crépuscule d’un mythe ? |
Cairn.info
Malécot L. (2020), Le Rap Marocain : De Salé à Casa, histoire d’une expansion autonome,
Le Rap Marocain : De Salé à Casa, histoire d’une expansion autonome | Music In Africa
Jouvenet M. (2006), RAP, TECHNO, ÉLECTRO Le musicien entre travail artistique et
critique sociale, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Ministère de la
Culture, Ethnologie de la France | 27, p. 55-110 Rap, techno, électro - 2. Manières de faire
de la musique : la création dans les nouvelles cultures musicales - Éditions de la Maison des
sciences de l’homme (openedition.org)
Sébastien Barrio.Cf. Sociologie du rap français : état des lieux (2000-2006), Thèse de
doctorat en sociologie dirigée par Rémy Ponton, Université Paris VIII, soutenue le 25 juin
2007.
Suzanne G., Kabbaj M. (2008), Rap à Tanger. Ou l'image ambiguë d'une ville, revue
scientifique cairn.info, dans La pensée de midi (N° 23), pages 134 à 137. Rap à Tanger. Ou
l'image ambiguë d'une ville | Cairn.info
Touraine, A. (1977). The Self-Production of Society. Chicago: University of Chicago Press

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VII. Annexes :

1. Images - Observation "Boulevard"

Préparation des vendeurs de produits commerciaux, 16/11/2023 à 10h15

Les rappeurs font la répétition avant l'arrivée du public, 16/11/2023 à 11h30

51
Le rappeur Shobee sur scène observe une minute de silence en solidarité avec la
Palestine, le 16/11/2023 à 22h30.

La compétition de tremplin des rappeurs débutants, le 16/11/2023 à 16h.

52
2. Croquis – Observation « Boulevard »

Croquis dessiné avec Illustrator du Stade R.U.C. le 16/11/2023

Croquis dessiné à la main du Stade R.U.C. le 16/11/2023

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3. Guide d’entretiens

1. Introduction :
- Nick-Name du rappeur ?
- Quel genre de rap fais-tu ?
- Quels sont les plateformes sur lesquels vous partagez vos Tracks ?
- Combien de followers avez-vous ?
- Décrivez le type d'écriture que vous écrivez ?
- Comment vous avez débuté dans le domaine du rap et en quelle année ?
- Comment percevez-vous l'évolution du rap marocain depuis vos débuts jusqu'à
aujourd'hui ?

2. Propriété artistique

Droits de possession exclusive :

- Avez-vous rencontré des défis spécifiques liés à la propriété exclusive, à la


commercialisation, aux droits de reproduction ou au copyright dans votre carrière de
rappeur au Maroc ?

Commercialisation des œuvres :

- Avez-vous adapté votre style pour atteindre un public plus large ? Si oui comment ?
- Avez-vous déjà passé à la télévision ou radio ? Participez-vous à des festivals ou
showcases ?

Droits de reproduction et copyright :

- Quelles mesures prenez-vous pour protéger vos droits de copyright et protéger vos
œuvres contre la reproduction non autorisée ?

Contrefaçons :

- Comment la contrefaçon affecte-t-elle la réputation et la crédibilité des artistes dans


l'industrie musicale ?

Rôle de l'État :

- En quoi l'État intervient-il dans le cadre législatif en ce qui concerne la propriété


artistique dans le rap marocain ?

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- Avez-vous une carte d'artiste ? Avez-vous trouvé des difficultés à l'obtenir ?

3. Les Mondes de l'Art

Réseaux de coopération :

- Faites-vous des featuring avec d’autres rappeurs ? Comment ça passe ?


- Collabore-t-on avec des artistes d'autres genres musicaux ou d'autres pays ?
- Comment se passe la coopération avec des producteurs, des ingénieurs du son, des
réalisateurs de clips vidéo, etc ?
- Pensez-vous que le public marocain est bien engagé à travers les réseaux sociaux, les
plateformes de streaming, les concerts, etc ?
- Est-ce qu'il y a des communautés en ligne ou de forums dédiés au rap marocain ? quels
sont les manières des fans d’exprimer leurs réactions aux nouvelles sorties musicales et
aux performances en direct ?
- Quels sont les stratégies de marketing que vous utilisez pour toucher un public plus
large ?

L'innovation artistique :

- Existe-t-il des critères spécifiques que vous utilisez pour évaluer ce qui constitue une
œuvre d'art dans le rap ?
- Y a-t-il des distinctions que vous faites entre différentes formes de rap (par exemple,
rap conscient, trap, rap lyrique, etc.) en termes d'expression artistique ?
- Comment décririez-vous l'évolution des thèmes abordés dans vos chansons depuis vos
débuts jusqu'à aujourd'hui ?
- Quels sujets sociaux ou politiques sont devenus plus ou moins importants pour vous au
fil du temps ?

Indépendance relative :

- Comment percevez-vous la liberté politique et économique des rappeurs marocains dans


l'industrie musicale ?
- Avez-vous déjà ressenti des pressions externes pour modifier votre musique ou votre
image en raison de facteurs politiques, économiques ou sociaux ?
- Comment les réactions du public et de la critique influencent-elles votre perception de
la valeur esthétique de votre propre musique et de celle de vos pairs ?

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4. Enregistrements des entretiens semi-directifs et retranscriptions

Lien drive:
https://drive.google.com/drive/folders/1mYWw1HQz1ULaLzVnOcDZwRyse9imqmv

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