Mémoire de Maîtrise Sur Richard Martineau
Mémoire de Maîtrise Sur Richard Martineau
Mémoire de Maîtrise Sur Richard Martineau
MMOIRE
PRSENT
DE LA MATRISE EN SOCIOLOGIE
PAR
MLANIE BEAUREGARD
OCTOBRE 2015
UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL
Service des bibliothques
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commercialiser ou non ce travail dont [il] possde un exemplaire .
REMERCIEMENTS
Enfin, je remercie ma famille, soit ma mre Maryse, mon pre Sylvain, ma sur
Marianne, mon frre Charles et mon beau-frre Charles-Samuel. Merci d'avoir t
mes cts, merci de m'avoir soutenue et merci de m'avoir fait comprendre que je
111
ma soeur, Marianne,
la personne la plus courageuse,
la plus forte, la plus inspirante et
la plus intelligente que je connaisse.
TABLE DES MATIRES
LISTE DES FIGURES .... ... .... .. ... .. ......... ............ ...... .... ..... ...... ..... ... ....... .. .... .... .. ..... VIII
LISTE DES TABLEAUX .. .... .... ... .... .... ......... ... ..... ...... ... ... ..... ........ .... ......... .............. IX
LISTE DES ABRVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES ......... ........ ..... ... ........... X
RSUM ........ ....... ........ .... ... ... .. .. ........... ......... ..... ..... ....... ... .... ........ ... ........ .. ......... .... . XI
INTRODUCTION .... ... .... .. ...... ..... ..... .. .. ..... ... ... ... ... .... .... ... .... ............ ...... ..... ..... ... ... .. .. . 1
CHAPITRE!
OBJET, PROBLMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE .. .. .. ...... ... ......... .. 4
1.1 Obj et de recherche .... ........ ........ ... .. ... ... ... .. ..... .. ...... .... .... ..... .. ...... .. .. ..... ..... .... ..... .. 4
1.2 Problmatique ... .... ........... ... ... ............ .. .. ... ..... .... ..... .... ....... .. .... ... ... ... .... ... ..... ....... 6
1.3 Questions de recherche .......... ... ..... ...... ......... ... ..... ... ... ..... .. ........ ... .. .. .... .... ... ... ... 10
CHAPITRE II
RECENSION DES CRITS, PERSPECTIVES THORIQUES ET
HYPOTHSES DE RECHERCHE .. .. ... .. ........ ......... ......... .... .. ... .. ..... .. ..... ....... ........... 12
2.1 Recension des crits ........... ........... .... .... .... ... .. ..... .. .... .. .. ...... ...... ........... ... ... .. ..... . 12
2.1.1 Historique de 1' islamophobie ... .. .. ....... .. .... ......... .... ....... .. ... ..... .... .. .. .. ....... 12
2.1.2 Ambiguts conceptuelles de 1'islamophobie .. .. ...... .... .. .... .. .. .... ....... .. .. ... 15
2.1.3 Orientalisme, pertinence contemporaine du concept et relation avec
l' islamophobie ..... ...... .. ..... ...... ... ............ ... .... .... ..... ..... ...... ... ....... ........... .. 18
2.1.4 Racisme : contextualisation, no racisme et manifestations .. ... ... ....... ...... 21
2.1.5 Islamophobie : dimensions, dfinitions, logiques, approches thoriques
et structure sociale ...... .. .... ... ....... ... ............ ....... .......... ....... .......... ...... .... .. 23
2.1.6 Manifestations islamophobes : phnomne aux multiples registres
d'actions .... .... .. ... .... .... ....... ... ...... ... .. ... ... ..... .... ...... ...... ... ... ..... ... ... ......... .... 27
2.1. 7 Strotypes islamophobes : islam, musulmans et musulmanes ...... ...... ... 28
- - - - - - - --
VI
5.4 Recherches venir ................. ..... .. ...... ..... ................. .......... .......... ...... ... ... .. ... .. 111
5.5 Imprialisme et islamophobie ........................ ...................... ........................... 112
ANNEXE A
DFINITION DES PROCDS DISCURSIFS ..... ..... ........ ...................... .. ............ 114
BIBLIOGRAPHIE .... ... .. .......... .. ....... .......... ................................. ........... .. ................ 118
LISTE DES FIGURES
Figure Page
Figure 4.1 Cooccurrences des aspects de l' antiracisme ...... ............................. ..... ... 62
Figure 4.2 Cooccurrences des aspects de l'opposition aux concepts de racisme
et d' islamophobie .... ...... ........ .. .......... .. ... ..... ...... ..... ... ... .. ... ......... ...... .. ...... 68
Figure 4.3 Cooccurrences de l'homognisation ... .... ...... ............. .... .. ...... ........ ... ... . 74
Figure 4.4 Cooccurrences du placement en situation d' altrit ..... ... ......... ... ... ... .. .. . 75
Figure 4.5 Cooccurrence de l' insulte ... ......... .. ..... ..... .. ...... .. .. ....... ......... ... .. .... ....... ... 75
Figure 4.6 Coocccurrences de l' essentialisation .. ... ..... .. .... ... ...... ........ .. ..... ...... .... .... 75
Figure 4.7 Cooccurrences de la connotation ngative .... ......... ... ..... ....... ...... ... ...... .. 79
Figure 4.8 Cooccurrences des ples de l'attribution ....... ....... ....... ... ... ... .. .. .. .... ........ 82
Figure 4.9 Cooccurrences de l'argument d'autorit ... ...... ........ .... ..... .... ... ........ ... .... 87
Figure 4.10 Cooccurrences du discours direct et du discours indirect .... ... .. ..... .. ... . 87
Figure 4.11 Cooccurrences de l' adhsion et de la non-adhsion de l'nonciateur
la citation ou au propos ..... ........ .......... ... .... ... .... .... ... ..... ..... .... .... .. ... ... 88
, - - - - - - - - - - - - - - - -- - - - - - - - -
Tableau Page
Tableau 4.2 Frquence totale des principaux termes utiliss .. ...... .. .............. .. .... .... . 59
Tableau 4.3 Frquence totale des aspects de l'antiracisme .... ...... .. .... ..................... 61
Tableau 4.4 Frquence totale des termes antiracisme , antiraciste ,
islamophobie , islamophobe , racisme et raciste .......... .. 64
Notre mmoire est une tude de cas portant sur les chroniques de Richard Martineau
mentionnant ou traitant de l'islam ou des musulmans publies dans Le Journal de
Montral, et ce, entre novembre 2006 et avril 2014. Nous avons pour objectif
d'analyser le fonctionnement des discours de Richard Martineau sur l'islam ou les
musulmans, saisir les ides sous-jacentes ces discours et observer le lien entre ces
discours et l'islamophobie. Nos hypothses jugent alors que les chroniques tudies
relvent de l'islamophobie dans la mesure o elles fonctionneraient selon les logiques
du phnomne et emploieraient les divers strotypes recenss au sein de la littrature
scientifique. En effectuant une analyse qui s' inspire de l'analyse critique du discours
et de 1' approche sociocognitive de van Dijk, divers rsultats furent obtenus.
Premirement, dans les chroniques tudies, 1'un des procds discursifs les plus
utiliss est l'argument d' autorit, procd employ par Martineau pour appuyer ses
propos notamment sur le voile et 1'islamisme. Par ailleurs, Martineau cite
frquemment les propos des femmes d' origine musulmane qui s'affichent
publiquement contre le voile et 1'islamisme, il juge alors que ses propos sont dnus
de racisme et d'islamophobie. Deuximement, dans les chroniques de Martineau,
nous avons not la faible place occupe par des mcanismes discursifs antiracistes
ainsi que par les termes antiracisme et antiraciste (alors que les discours
tudis traitent de l' islam et des musulmans). L'antiracisme n'est donc pas une
stratgie discursive employe pour aborder ces enjeux. Enfin, suite aux divers
rsultats obtenus, nous pouvons comprendre que nos hypothses ne sont pas tout
fait corrobores . Certes, nous avons relev la prsence de plusieurs des logiques de
l'islamophobie dans les chroniques de Martineau. Toutefois, les logiques les plus
utilises affichent un racisme plus subtil et normalis (homognisation,
essentialisation) que d'autres types de logiques peu utilises (infriorisation,
stigmatisation). Quant aux strotypes prsents dans les chroniques de Martineau,
ceux-ci se distinguent de ceux recenss par la littrature (musulmans violents,
musulmanes soumises) . Malgr cela, nous avons remarqu l'existence d'une
hirarchisation des musulmans, hirarchisation organise en quatre figures
(strotypiques), et ce, selon un axe bon/mchant. Par consquent, les discours des
chroniques de Richard Martineau sont la fois islamophobes et islamophiles.
1
Les raisons justifiant ce choix de corpus seront explicites dans notre chapitre 3.
3
2
Pour Shryock, l'islamopbilie fait appel une comprhension binaire (bon ou mchant) et strotype
des musulmans (2010, p. 9-10). Nous traiterons de ce concept dans la section 4.2.2 de notre mmoire.
CHAPITRE!
Dans notre mmoire, notre thmatique de recherche est l' islamophobie. Ce thme est
trait selon une perspective critique et l' aide d'une analyse discursive. Notre
thmatique relve alors de l' is1amophobie telle qu'elle se manifeste dans le discours
social (Angenot, 1989). Quant notre objet (une dimension de notre thmatique),
celui-ci porte sur les discours d' opinions mdiatiques sur 1' islam ou les musulmans
(ou les personnes associes 1' islam i , et ce, travers les propos tenus par un
chroniqueur prolifique : Richard Martineau.
Notre objet de recherche est videmment circonscrit dans le temps et l'espace. Par
consquent, nous tudions que les discours d' opinions mdiatiques sur l' islam ou les
musulmans parus entre novembre 2006 et avril 2014 : nous nous limitons alors
l' islamophobie post-11 septembre 2001 4 . Quant la dimension spatiale de notre
objet, celle-ci se restreint au cas qubcois et plus prcisment la grande rgion
3
L 'tude de Maira relve que des personnes associes ( tord) l' islam sont victimes d' actes
islamophobes, notamment les sikhs (Maira, 2009, p. 4; Mai ra, 2011 , p . 111 ). Par ailleurs, Razack
constate que les vnements du 11 septembre 2001 ont conduit la [ ... ] muslimification of Arabs
[ ... ] (Razack, 2011 , p. 34), nous pouvons alors affi rmer que des personnes arabes et non musulmanes
sont victimes, ell es auss i, d'actes islamophobes.
4
Il n'existe pas forcment de rupture entre l'islamophobi e pr- Il septembre 2001 et l' islamopbobi e
post-Il septembre 2001. Toutefoi s, il faut noter que la littrature dmontre une exacerbation de
l' islamophobie, et ce, aprs les vnements du Il septembre 200 1 (Esposito, 20 Il , p. xx iii).
5
Notre thmatique tient sa pertinence d' un point de vue social et politique. Tout
d'abord, nous considrons l'islamophobie comme tant un important problme social
(au niveau national et international) qui se manifeste notamment par son
institutionnalisation- voire son industrialisation - (Ernst, 2013, p. 4; Lean, 2012) et
qui nuit l' intgration conomique, sociale et politique des musulmans (Allen, 2010,
p. 190). De plus, la question de l'islamophobie s'vacue difficilement des rflexions
portant sur divers phnomnes tels que la forte immigration musulmane au sein des
socits dites occidentales (Smith, 2002, p. 3-5; Cesari, 2011, p. 24-25), l' islam
politique (Ibish, 20 13), la crise du multiculturalisme, la lgislation antiterroriste, les
politiques d 'immigration (Allen, 2007, p. 153-157) 6 ainsi que la guerre contre le
terrorisme (Kumar, 2012, p. 2 et 5; Razack, 2011, p. 4-6). En ce qui a trait au
politique, l'islamopbobie joue un rle fort important dans l'instauration de diverses
politiques tant au niveau international (par exemple, la guerre contre le terrorisme
(idem)) qu 'au niveau national (notamment les drives scuritaires (Ernst, 2013, p. 5-
6; Geisser, 2003, p. 14-15)). Sur ce plan, multiples travaux font tat de la surveillance
accrue, de l'emprisonnement et de la torture dont sont victimes les musulmans (Helly,
2011, p. 103 ; Kumar, 2012, p. 140, p. 142 et p . 144; Maira, 2009, p. 43 ; Razack,
2011, p. 4).
5
D 'autres dlimitations seron t videmment prsentes dans notre mmoire, et ce, au sein de notre
chapitre portant sur notre mthodologie de recherche (chapitre 3).
6
Allen associe plutt ces lments contextuels des consquences de l' islamophobi e (A llen, 2007, p.
152-164) . Mme si nous ne partageons pas forcment cette analyse, nous ne remettons pas en question
la dimension islamophobe qu ' Allen attribue la cri se du multiculturalisme, la lgislation
anti terroriste et aux politiques d'immigration (ibid., p. 153).
6
Enfin, nous esprons que notre mmoire de recherche sur l' islamophobie et plus
prcisment, sur l'tude des discours d'opinions mdiatiques sur l' islam ou les
musulmans, participera rflchir socialement, politiquement et scientifiquement sur
les divers phnomnes lis 1' islamophobie (guerre contre le terrorisme,
immigration, etc.), en plus de questionner les pratiques mdiatiques l'gard de
l' islam ou des musulmans.
1.2 Problmatique
Au sein de la littrature scientifique circule 1' ide selon laquelle les mdias ne sont
pas crateurs de phnomnes sociaux tels que l'islamophobie. Cette conception
peroit plutt les mdias comme des organisateurs des discours sociaux sur 1'islam ou
les musulmans et des reproducteurs de l' islamophobie (par sa banalisation). En effet,
pour Geisser, [ ... ] les mdias ne crent pas l 'islamophobie, mais oprent une mise
en ordre du sens commun sur l 'islam et l'islamisme [ ... ] (soulign par l' auteur,
2003, p. 26). De plus, il ritre en affirmant que [ ... ] les mdias crent moins
l'islamophobie qu'ils ne contribuent la banaliser[ .. .] (idem). Diffrentes logiques
de fonctionnement sont ncessaires pour permettre aux mdias d' organiser les
discours sociaux et reproduire l'islamophobie. Ils font notamment appel
l'homognisation, l'essentialisation, la communautarisation, le rductionnisme
(ibid., p. 24-25), [ ... ]la mise en scne d'une altrit radicale et conflictuelle, jouant
trs largement sur les registres alarmistes, voire catastrophistes [ ... ] (ibid., p. 24)
7
ainsi qu' une reprsentation idal-typique des musulmans (l ' [ ... ] Homo islamicus
mediaticus [ ... ] (idem)). Cette dernire implique qu ' il existe au sein de l'univers
mdiatique, une reprsentation strotype des musulmans : les mdias font ainsi
circuler constamment les mmes images, images correspondant leurs perceptions de
l'islam et des musulmans. De plus, il faut noter que pour cette conception de
1'islamophobie mdiatique, les mdias ne cherchent pas diaboliser 1'islam ou les
musulmans dans la mesure o selon Geisser, [ ... ] les journalistes ne cherchaient pas
a priori donner voir une image ngative de l'islam [ ... ] (ibid., p. 25).
Selon cette logique, les mdias participent l'islamophobie. Toutefois, leurs rles se
limitent l' organisation du discours social sur l' islam ou les musulmans ainsi qu '
assurer la reproduction du phnomne (et non sa cration).
Pourtant, diverses tudes adoptent une posture diffrente (Allen, 2007; Frost, 2008;
Poole, 2002; Poole et Richardson, 2006; Richardson, 2004; van Dijk, 1991 et 1993).
Pour Poole et Richardson, les mdias participent la reproduction de 1'islamophobie,
sa production et son maintien au sein de la socit7 (Poole, 2002, p. 17; Poole et
Richardson, 2006, p. 1; Richardson, 2004, p. XV et 230). Frost embrasse une position
similaire dans la mesure o pour elle, The media play an important part not only in
reflecting and reinforcing the endemie racism that permeates eve1y aspect of society,
but they are a powe1jul tool in its construction (2008, p. 570). Quant Allen, celui-
ci juge que les mdias participent activement la production de l' islamophobie, ce
dernier affirmant: [ ... ] the media is being earmarked as one of the most virulent
producers of those stereotypical misunderstandings of Muslims and Islam [ ... ]
(Allen, 2007, p. 145). Aux travaux d'Allen, Frost, Poole et Richardson s'ajoutent les
7
Pour Poole et Richardson, le rle des mdias dans le phnomne de l'islamophobie fonctionne de
faon circu laire dans la mesure o [ ... ] social ideas shape the way in which Islam and Musli ms are
reported and, in turn, the way thatjournalism helps shape the ideas thal the general public hold about
Islam and Muslims (2006, p. 1).
8
travaux de van Dijk sur le racisme 8 . Pour ce chercheur, les mdias ne jouent pas un
rle passif (1991, p. 41) dans la reproduction du racisme, ceux-ci ayant un rle
fondamental (1993, p. 241). van Dijk, en adoptant une posture qui considre que ce
sont les lites qui occupent un des rles les plus importants dans la reproduction du
phnomne (ibid., p. x), juge alors que les mdias sont instrurnentaliss par les lites
pour diffuser leurs discours (ibid. , p. 46) . Ainsi, les mdias assurent le maintien et la
reproduction des rapports de domination racistes qui circule au sein de la socit : les
mdias offrant des schmes de pense qui participent [ ... ] in devising how to think
ethnie affairs (soulign par l'auteur, ibid., p . 244t De faon gnrale, ce courant
comprend les discours mdiatiques comme tant des instruments d' idologie qui ont
pour fonction de maintenir 1'hgmonie occidentale ainsi que de lgitimer la
domination de l' Occident sur les musulmans et l' islam (Poole, 2002, p. 17, p. 249 et
p. 259) 10 . Par ailleurs, cette perspective conoit que certains mdias utilisent les
strotypes, fonctionnent la diabolisation de 1'islam ou des musulmans et peroivent
les groupes raciss comme des menaces (ibid., p. 17 -18 ; Frost, 2008, p. 570-572).
Pour cette posture, les mdias n'ont donc pas un rle passif : les mdias produisent
l' islamophobie, et ce, en l' alimentant.
Suite l'exposition de ces diverses postures qui ne partagent pas la mme position
quant au rle des mdias (la premire jugeant que les mdias ne font qu'organiser les
discours sociaux sur l' islam ou les musulmans en plus de participer passivement la
reproduction du phnomne alors que la seconde considre que les mdias participent
8
Il faut noter que van Dijk n' aborde pas la question sous l'angle de la production se limitant plutt
traiter de la question sous l' angle de la reproduction . Toutefois, sa perspective (qui juge que les mdias
sont actifs dans la reproduction du racisme) ne concorde pas avec cell e de Geisser qui juge que le rle
de reprodu ction des mdias se limite la banalisation de l' islamophobie (2003 , p. 26).
9
Nous aborderons davantage la perspective soc iocogni tive de van Dij k dans notre chapi tre li notre
mthodologie, soit le chapitre 3.
10
Nous jugeons que la posture de van Dijk sur l'instrumentalisation des mdias par les lites ( 1993 , p.
46) s' acco rde avec la perspective de Poole sur le maintien de l'hgmonie occidentale par les mdias
(2002, p. 17) .
9
Pour tenter de rpondre cette question, nous effectuons une tude de cas qui traite
du discours mdiatique qubcois sur l' islam ou les musulmans (ou les personnes
associes l' islam). Plus prcisment, nous analysons les discours sur l'islam ou les
musulmans publis au sein des chroniques de Richard Martineau dans Le Journal de
Montral 12 Ainsi, notre travail permettra une meilleure comprhension de la relation
qui existe entre les mdias et l' islamophobie 13 .
Enfin, notre projet de recherche tient sa pertinence scientifique en ce qu' il offre une
rflexion qui tente de synthtiser, d' amalgamer et d' articuler diverses thories sur
l' islamophobie, 1' islamophobie mdiatique, l' islamophobie imprialiste,
l' orientalisme, le racisme ainsi que l'analyse du discours d' inspiration critique. Par le
fait mme, nous rpondrons des lacunes de la littrature puisque l'islamophobie est
un phnomne marginalement tudi dans les sphres francophones (Hajjat et
Mohammed, 2013 , p. 18). En effet, dans leur ouvrage lslamophobie. Comment les
lites franaises fabriqu ent le problme musulman , les chercheurs Abdellali
Hajjat et Marwan Mohammed constatent de nombreuses lacunes dans la littrature
francophone, et ce, tout en remarquant la publication, de plus en plus nombreuses, de
recherches produites en milieu anglophone (idem). Par ailleurs, les travaux portant sur
1'islamophobie mdiatique au Qubec sont rares, traitent gnralement du cas de la
crise des accommodements raisonnables et observent de faon gnrale le racisme
l'chelle des immigrants et des groupes raciss (Bilge, 2010; Giasson et al., 2010;
Potvin et al., 2008). En effet, nous avons remarqu que seulement quelques
11
Cette question orientera l'ensemble de notre travail de recherche. Toutefois, elle sera davantage
dtaill e dans la prochaine section.
12
Nous justifierons, dans notre chapitre sur notre mthodo logie (chapitre 3), pourquoi nous tudions
que les discours sur l' islam ou les musulmans publi s par Richard Martineau dans Le Journal de
Mo ntral.
13
Toutefois, notre mmoire tant une tude de cas, la comprhension offerte du phnomne reste
videmment partielle.
10
publications portent spcifiquement sur les musulmans et 1'islam (An toni us et al.,
2008; Antonius, 2010; 2013) 14 et que la mthode que nous prconisons (l'analyse
critique du discours) n'est utilise que dans quelques tudes ne traitant pas
spcifiquement de l'islam ou des musulmans (Bilge, 2010; Potvin et al., 2008). Par
consquent, nous souhaitons, par le biais de notre mmoire, rpondre ces lacunes et
offrir une meilleure comprhension de l'islamophobie dans les discours mdiatiques
qubcois.
Comment les discours sur l 'islam ou les musulmans (ou les personnes
associes l'islam) publis au sein des chroniques de Richard Martineau
dans Le Journal de Montral fonctionnent-ils?
Que vhiculent les discours sur l'islam ou les musulmans (ou les personnes
associes 1'islam) publis au sein des chroniques de Richard Martineau
dans Le Journal de Montral?
Pour bien comprendre nos questions de recherche, il nous faut prsenter leurs
implications, ce que nous entendons par certains termes, leurs objectifs ainsi que la
complmentarit de nos questions.
En premier lieu, pour bien situer le sens de nos questions de recherche, une dfinition
pralable de l'islamophobie se doit d'tre prsente. Ainsi, nous considrons
l'islamophobie comme tant un rapport de domination (raciste et imprialiste) qui
14
ll faut noter que deux de ces publications (Antonius et al., 2008 ; Antonius, 2013) abordent aussi les
reprsentations mdiatiques des Arabes.
11
Enfin, nous jugeons nos deux questions comme tant complmentaires. En effet,
notre premire question s'attarde aux dimensions lies la forme et au
fonctionnement alors que notre seconde question porte plutt sur le contenu. Ainsi,
nos deux questions permettent d 'tudier divers aspects des discours de Richard
Martineau publis au sein du Journal de Montral.
15
Cette dfinition s' inscrit v idenm1ent dans un cadre rfl ex if plus large. Ce derni er sera prsent dans
notre revue de littrature et dans notre cadre thorique (chapitre 2) . Notons ga lement que dans le
chapitre 2, nous exp liciterons dava ntage notre dfinition .
CHAPITRE II
16
Pour Hajjat et Mohammed, Paul Marty aurait lui aussi utilis le terme islamopbobie durant cette
mme priode (Hajjat et Mohammed, 2013 , p. 72). Toutefois, Bravo L6pez considre que Marty,
comme d'autres auteurs (Cook et Bernard) ont employ le vocable sans proposer de dfinition (Bravo
L6pez, 20 Il , p. 567-568).
13
que Quellien est le premier auteur avmr propos une dfinition claire de
l' islamophobie (Bravo L6pez , 2011, p. 563). L'islamophobie mergeant [ .. . ]from
the notion that Islam is the implacable enemy of the Europeans [ ... ] (idem).
D'autres auteurs vont plutt associer la premire utilisation du vocable tienne
Dinet et Slimane Ben Ibrahim: les deux ayant utilis l'expression dans un ouvrage
intitul L'Orient vu de l'Occident, et paru en 1925 17 (ibid., p. 560; Taras, 2013 , p.
418 ; Cesari, 2011, p. 21 ). Pour Dinet et ben Ibrahim, le mot islamophobie
impliquait la fois une peur de l' islam ainsi qu 'une conception de cette religion
comme tant un ennemi de l' Occident (Bravo L6pez, 2011, p. 561). Par ailleurs,
contrairement la perspective qui juge que l' islamophobie est une cration des
islamistes lors de la rvolution iranienne 18 (Allen, 2010, p. 5; Bravo L6pez, 2011, p.
556; Hajjat et Mohammed, 2013, p. 71), le terme islamophobie serait une
invention occidentale (voire franaise) 19 (Hajjat et Mohammed, 2013, p. 72). Quant
aux autres postures recenses, certains auteurs jugent que le phnomne existait avant
l'emploi du terme. Pour certains, l'origine des reprsentations ngatives lies
l' islam et aux musulmans se situe au Moyen-ge, et ce, dans le contexte de
l' expansion de l' islam en Europe (Morey et Yaqin, 2011, p. 7-8). Les reprsentations
ngatives sur l'islam avaient pour fonction d'expliquer cette expansion, un peu la
manire des critures anticoloniales (ibid., p. 8). Pour d'autres, tel Tamdgidi 20 qui
adopte une posture trs critique, l'islamophobie est constitutive du monde moderne et
17
Il fa ut noter qu 'au sein des textes consults, la date de parution de l'ouvrage L'Orient vu de
l 'Occident diffre (B ravo L6pez, 2011, p. 560; Taras, 2013, p. 418; Cesari, 2011, p.21 ).
18
Cette perspective se retrouve notamment chez Bruckner (20 10, p. 18; Bruckner dans Blanchet-
Grave!, 20 13, p. Ill), Fourest et Venner (2003; Fou rest et Venner dans Allen, 2005, p. 5).
19
Pour Hajjat et Mohammed, Il n'ex is te pas de rel quivalent " islamophobi e" en persan et en
arabe [ ... ] (20 13, p. 72) .
20
Le cadre thorique de Tamdgidi , auteur qui s' inscrit dans le courant des thories dcoloni ales que
nous ana lyserons davantage dans la section 2.1.8, fait appel aux crits de Quijano, M ignolo et
Grosfoguel (Tamdgidi , 2012, p. 60-61 ). Il adop te alors une posture thorique qui considre que la
colonialit est toujours prsente dans nos soc its actuell es et o di verses hirarchies s'entrecroisent
entre elles, telles que Racial, gender, religious, and imperial/colonial hierarchies (Tamdgidi, 2012,
p. 60). Pour d'autres types de hirarchies, voir Grosfoguel (2006, p. 56-57).
14
21
Le concept de systme-monde fut thoris et populari s par Immanuel Wallerstein (Portes, 1997, p.
232). Tamdgidi dfi nit ce concept comme tant [ ... ] a complex system of multiple, crisscrossing and
overlapping, economie, political, and cultural hierarchical structures in which the latter Iwo are not
simply addilive but also constitutive of the economie and the overall social structure (20 12, p. 60).
22
Pour Hajjat et Mohammed, le rapport participa l'institutionnalisation du phnomne (20 13, p. 85).
Toutefois, ces auteurs affirment que La premire forme de reconnaissance institutionnelle de
l' islamophobie [ ... ] (20 13, p. 85) proviens du rapport du Runnymede Trust publi en 1994 (idem).
23
Mme si la dfi niti on propose par le Runnymede Trust est frquemment utili se, celle-ci comporte
de nombreuses lacunes (A ll en, 2010, p. 65-80; Hajjat et Mohammed, 2013 , p. 85-88) : la dfinition
tant juge essentiali sante et islamopbil e (Allen, 2010, p. 194; Tamdgidi, 2012, p. 56, 76-77)
15
Premirement, certains auteurs vont percevoir le concept comme tant trop flou alors
que pour d 'autres, il est trop restreint. Pour ce qui est de la premire tendance, Allen,
Maussen et Shryock considrent que la notion sme la confusion puisqu'elle regroupe
divers phnomnes et divers registres d'actions. En effet, pour Allen et Maussen, le
concept d' islamophobie contient des critiques de l' islam ou des musulmans ainsi que
des actes violents leur tant adresss tandis que pour Shryock, l' islamophobie
rassemble un nombre trs divers de manifestations 24 (Allen, 2010 , p. 3; Mauss en dans
Allen, 2010, p. 20-21; Maussen, 2006, p. 100-101 ; Shryock, 2010, p. 2). Le concept
serait alors un concept fourre-tout qui touche divers registres. Cette conception
implique donc qu ' il serait difficile, voire impossible, de saisir ce qui constitue
particulirement l' islamophobie. Quant la seconde tendance qualifie de
restreignante, pour Jocelyne Cesari, le terme est limit puisqu 'il ne met de l'avant que
la dimension anti-islam (dimension religieuse) tandis que le phnomne regroupe
diverses dimensions (raciale, classe, etc.) 25 (2006, p. 6 et 8; 2011 , p. 24). Miles et
Brown, cits par Hajjat et Mohammed, adoptent une posture similaire Cesari dans
24
Pour Shryock, l' islamophobie se manifeste notamment par [ ... ] the molivation behind acts of
mosque vandalism, ha te crimes againsl individua/ thought to be Muslim, sensational press coverage of
" the Muslim threat, " the selective policing and surveillance of Muslim communities [ ... ] (2010, p.
2).
25
Pour Hajjat et Mohammed, les travaux de Cesari et Maussen devraient se retrouver dans la mme
catgorie puisque les deux cherch eurs considrent que [ ...] le terme d ' islamophobie est imprcis et
trop souvent appliqu des phnomnes va ri s allant de la xnophobie la justifi cation des guerres au
Moyen-Orient, en passant par la lutte antiterroriste (Hajjat et Mohammed, 20 13, p. 90). Notons que
nous n'avons pas la mme lecture des travaux de Cesari dans la mesure o elle ritre, en 20 11 ( [ ... ]
!he lerm can be misleading, as il presupposes the preeminence of religious discrimina/ion when other
forms of discrimination (s uch as racial or class) may be more relevant (Cesari, 20 11 , p. 24)), sa
position adopte en 2006 (Cesari, 2006, p. 6 et 8). Toutefois, nous reconnaissons que Cesari affirme
que l'islamophobie implique une pluralit de phnomne (20 I l , p. 21 ).
16
la mesure o ils jugent que [ ... ] le terme d'islamophobie devrait tre utilis
seulement si est mise en vidence une haine spcifique et identifiable de la religion
musulmane (Miles et Brown dans Hajjat et Mohammed, 2013, p. 90; Brown dans
Miles et Brown, 2003, p. 166). Cette ambigut (concept trop flou ou trop restreint)
conduit alors ce qu' il n 'y ait pas de consensus sur le vocable. Par consquent,
certains auteurs adoptent une posture radicale face au terme, notamment Maussen :
celui-ci utilisant plutt l'expression [ .. .] anti-muslim [ . .. ] (2006, p. 103),
expression qu' il juge plus adquate que le concept d' islamophobie (idem) .
Toutefois, Allen considre que l'expression [ ... ] anti-muslim [ ... ] (idem) - ou
[ ... ] anti-Muslimism [ .. .] (Hajjat et Mohammed, 2013, p. 90) (dans le cas de
Halliday) (idem)- est tout aussi problmatique puisqu 'elle omet la dimension anti-
islam, celle-ci tant tout aussi importante (Allen dans Hajjat et Mohammed, 2013, p.
91). En effet, dans le cadre d'une recherche publie par l'European Monitoring
Centre on Racism and Xenophobia (EUMC), Allen et Nielsen ont dmontr que
[ ... ]bath anti-Jslamic and anti-Muslimphenomena were in evidence, with thefoci
repeatedly switching between Muslim ta Islam and vice versa (Allen, 2010, p. 135;
Allen et Nielsen, 2002; Hajjat et Mohammed, 2013, p. 91).
Dans ce contexte, quel terme doit-on utiliser? La plupart des chercheurs utilisent le
terme islamophobie dans la mesure o En dpit des critiques, le terme
d' islamophobie s'est donc impos dans le vocabulaire des sciences sociales
anglophones (Hajjat et Mohammed, 2013, p. 92) et que
[ ... ] l"' islamophobie" est devenue une catgorie d 'action publique part
entire lgitime par les organisations internationales (Nations unies, UE, etc.),
par la multiplication, en une vingtaine d'annes, de thses en sciences sociales,
articles et ouvrages dans les plus prestigieuses maisons d'dition anglophones
(Oxford et Cambridge University Press, Ashgate, Palgrave, etc.) et par la
cration fin 2012 de la revue savante Islamophobia Studies Journal (universit
de Berkeley) (souligns par les auteurs, ibid., p. 91).
17
Par ailleurs, Hajjat et Mohammed pensent que l'enj eu ne devrait pas rsider dans le
terme utiliser, mais plutt dans la dfinition du phnomne26 . Malgr cela, ces
derniers relvent que Depuis une dcennie, le terme "islamophobie" fait l' objet, en
France, d'une active disqualification dans l'espace public qui laisse peu de place un
dbat serein 27 (2013, p. 18). Quatre arguments sont alors utiliss :
1' is1amophobie est considre comme une invention des mollahs rramens
(idem);
l' is1amophobie, en tant que terme, est considre comme tant non pertinente
pour tudier le racisme de par la prsence du [ ... ] suffixe " phobie" dont
l'utilisation reviendrait faire de l'islamophobie une peur irraisonne,
vacuant ainsi les dimensions de 1'aversion, de la haine, du rejet, du racisme,
pour s'en tenir l'expression d'un pathos (ibid., p. 18-19);
1' islamophobie est considre comme tant qu 'une nouvelle forme du racisme
anti-arabe (ibid., p. 19);
l' islamophobie est considre comme tant un [ ... ] outil de censure limitant
la libert d'expression, notamment la critique des religions (idem).
26
Nous aborderons les dfi nitions de l'i slamophobie dans la section 2. 1.5 de notre mmo ire.
27
La disqualification n'est pas unique au cas franais. En effet, des auteurs et chroniqueurs qubcois
disqualifient eux aussi le terme tels que Blanchet-Grave) (20 13, p. 109-117) et Bock-Ct (20 13, p.
30).
28
Certai ns auteurs vont jusqu ' associer le norac isme l' islamophobie (Allen, 20 10, p. 10; Esposito,
201 1, p . xx iii ; Grosfoguel , 201 2, p. 13- 16; Taras, 2013, p. 422 et 431). Notons qu ' Allen emprunte la
noti on de [ ... ] new racism [ ... ] (A llen, 2004, p. 11 ) Martin Barker (1981) (Allen, 2004, p. 11). Ce
concept ressemble celui de Balibar (vo ir section 2.1.4), le ( ... ] new racism [.. . ] (idem) tant li
aux diffrences cul turelles et religieuses (idem).
18
2013, p. 431). Cette perspective se retrouve notamment chez Taras qui juge que le
processus de racialisation29 est fondam ental l'islamophobie (2013, p. 417-422 et
431 ). En ce qui a trait la seconde tendance, Bravo L6pez considre que
l' islamophobie et le racisme sont des phnomnes indpendants : l'un n' implique pas
forcment l'autre. Selon cette logique, un acte raciste l'gard des musulmans n'est
pas ncessairement islamopbobe et vice-versa (Bravo L6pez, 2011, p. 559 et p . 569).
Cette position entre alors en rupture avec la premire. Pour ce qui est de la troisime
tendance, tendance rpertorie chez Geisser, celle-ci est plus ambivalente quant au
lien entre l'islamopbobie et le racisme. Pour cet auteur, l' islamophobie contient certes
des manifestations racistes, mais elle n'est pas pour autant une forme de racisme du
fait qu ' [ ... ] elle se dploie de manire autonome (Geisser, 2003 , p. 11). Selon
cette rflexion, l'islamopbobie partage donc des points communs avec le racisme,
mais possde aussi un caractre indpendant.
29
Dans la littrature, deux expressions sont utilises pour dfi nir le mme processus, soit processus de
racisation et processus de racialisation. Pour Miles, ce processus [ .. .] refer to a representational
process whereby social significance is attached to certain biological (usually phenotypical) human
features, on the basis of which those people possessing those characteristics are designated as a
distinct collectivity (1 989, p. 74). De plus, pour Antonius, le processus de racisation s' inscrit en lien
avec le processus d'assignation identitaire qu'il dfinit comme suit : L'assignation identitai re est un
processus au cours duquel une des composantes de l'identit des indi vidus prend le dessus sur toutes
les autres, la suite de son interpellation dans le cadre d'un rappo rt de pouvoir (soulign par l'auteur,
2008, p. 14).
19
Said, 2003, p. 1 et 3). Sur ce dernier point, nous pouvons comprendre que pour Said,
la relation entre connaissance et pouvoir s'explique notamment par la capacit de
l' Occident de dterminer les connaissances circulant l' gard de l'Orient: l' Orient
tant dans l'incapacit de se dfmir lui-mme et de dterminer les connaissances
circulant son gard. Par exemple, l'orientalisme implique qu 'il existe qu'un seul
islam (Said, 1997, p. xvi), mais celui-ci n'est dans aucun cas [ ... ] a direct
correspondence between the "Islam " in common Western usage and the enormously
varied !ife that goes on with in the world of Islam [ ... ] (ibid., p. 1). La vision
occidentale a alors prsance sur la vision orientale, et ce, mme si elle ne correspond
pas des faits rels (ibid., p. li) . Par ailleurs, pour Poole, le concept cl de
1'orientalisme est 1'identit dans la mesure o [ ... ] the West needed to constitute the
Orient as its Other in arder to constitute itself and its own subject position
(soulign par l'auteure, Poole, 2002, p. 29). Ainsi, en construisant l' Orient,
l' Occident se construit lui-mme. Poole fait alors le lien entre l'orientalisme et
l'imprialisme. Pour elle, le colonialisme et l'imprialisme sont des outils qui
permettent de dominer 1'Orient et donc permettre 1' Occident de se construire
(idem).
interna! Other (idem) permet leur domination, et ce, en refusant leur intgration
dans la socit (idem). Tandis que Poole tente d'actualiser le concept, Said juge qu'il
s'applique tel quel aux ides lies l'islam et aux musulmans (1997, p. xi-xii). Dans
son ouvrage Covering Islam. How the Media and the Experts Determine How We See
the Rest of the World, Said observe que l'orientalisme ne se limite pas qu'aux
scientifiques, incluant dornavant les journalistes (ibid. , p. xvi); les scientifiques et
les journalistes sont alors perus comme des experts de l'islam et du monde
musulman. Toutefois, les travaux de ces experts ne font pas preuve de grande rigueur
intellectuelle. En effet, Sa id constate que : [ .. .] tao many expert writers on the
Islamic world did not command the relevant languages and hence had to depend on
the press or other Western writers for their information (ibid., p. 22-23), et ce, en
utilisant des catgories proprement occidentales (ibid., p. 19). D' ailleurs, pour maints
auteurs, le concept demeure pertinent au sein de la littrature sur l'islamophobie
(Grosfoguel, 2012, p. 16-18; Kumar, 2012, p. 4; Maira, 2011 , p. 111; Morey et
Yaqin, 2011, p. 3), les manifestations islamophobes tant influences, selon eux, par
l'orientalisme. Par exemple, Maira dnote que de multiples strotypes, aujourd'hui
associs 1'islamophobie, s'inscrivaient, autrefois, en lien avec 1'orientalisme (20 11,
p. 111). De plus, pour Kumar, cinq mythes orientalistes ont volu dans le temps pour
ainsi se transformer en mythes islamophobes (2012, p. 42i 0. Toutefois, pour Taras,
l'islamophobie n'est pas qu 'une simple transposition de l' orientalisme dans une
forme plus contemporaine : les deux phnomnes ayant pris sources dans des
contextes diffrents (2013 , p. 419).
3
Ces mythes sont : [ ... ]Islam ls a Monolithic Religion (ibid., p. 42), [ ... ]IslamIsa Unique/y
Sexist Religion (ibid., p. 44), [ ... ] The " Muslim Mind" Is Incapable of Reason and Rationality
(ibid., p. 48), [ ... ] Islam Js an inherent/y Violent Religion (ibid. , p. 52) et [ ... ] Muslims Are
incapable of Democracy and Self-Rule (ibid., p. 55).
21
Le noracisme fut tudi et analys par divers auteurs. Balibar proposa une dfinition
de ce type de racisme :
[ ... ] un racisme dont le thme dominant n 'est pas l' hrdit biologique, mais
l'irrductibilit des diffrences culturelles; un racisme qui, premire vue, ne
postule pas la supriorit de certains groupes ou peuples par rapport d'autres,
mais "seulement" la nocivit de l'effacement des frontires, l' incompatibilit
des genres de vie et des traditions[ ... ] (Balibar, 1988, p. 33).
De cette dfinition, nous pouvons comprendre que cette forme de racisme suppose
que les hirarchies sociales ne sont plus construites en lien avec les diffrences
biologiques, mais plutt en lien avec les diffrences culturelles, diffrences juges
incompatibles entre elles (Labelle, 2006, p. 101-102; Labelle, 2010, p. 24) . Quant aux
logiques du noracisme, celui-ci [ ... ] fonctionn e la gnralisation, la
naturalisation et 1' essentialisation [ ... ] (Labelle, 2006, p. 102). Par ailleurs, il faut
noter que l'essentialisation est une caractristique fondamentale ce type de racisme
dans la mesure o elle implique que la culture est devenue en quelque sorte une
catgorie biologique (Balibar, 2006, p. 35; Wieviorka, 1991 , p. 71). En d 'autres mots,
dans le noracisme, la culture est associ e aux individus comme si elle faisait
22
En ce qui concerne les manifestations du racisme, celles-ci sont diverses et font appel
de nombreux registres, soit les pratiques, les discours et les reprsentations (Balibar,
1988, p. 28). Wieviorka, quant lui, dnote quatre types de manifestation raciste: les
prjugs qui relvent d'une construction ficti ve de l'autre (1991, p. 95), la
discrimination qui [ ... ] impose un traitement diffrenci dans divers domaines de la
vie sociale, auquel il participe sur un mode qui 1' infriorise (ibid., p. 107), la
sgrgation qui suppose la mise l'cart d'un groupe (idem) ainsi que la violence qui
est plurielle du fait qu 'elle revt un grand nombre de formes 32 (ibid., p. 82 et 127-
141 ; Labelle, 2006, p. 97). van Dijk, quant lui, s'intresse plutt aux manifestations
31
Richardson considre le racisme comme tant discursif dans la mesure o [ .. .] il is s imultaneously
a product of and a con tribu ting factor in the continuation of hierarchical and unjust social relations.
Put another way, racism simultaneously constructs social relations between individuals and groups in
society - usually hierarchies of the sort mentioned above - and, at the same lime, is constructed by
these social relations (Richardson, 2004, p. XIV).
32
Par exempl e, Wi eviorka associe la violence rac iste aux [ ... ] massacres massifs, lynchages,
pogromes, assassinats, attentats - sans parler de perscutions mineures : menaces, lettres anonymes,
agressions limites [ ... ] (1991 , p. 127).
23
discursives du racisme, dont les manifestations dans les discours mdiatiques .. Dans
ses diverses tudes, il obtient divers rsultats. Premirement, van Dijk remarque que
les mdias adoptent un racisme de plus en plus subtil (1989, p. 205), et ce, mme au
sein des quotidiens publiant les discours de la droite radicale (van Dijk, 1992, p. 249).
Deuximement, l' auteur constate une reprsentation strotype des minorits dans
les mdias, ces derniers prsentant toujours les minorits sous les mmes thmes, soit
l' [ ... ] Immigration and reception of newcomers; Socioeconomic issues,
(un)employment; Cultural differences; Crime, violence, drugs, and deviance; Ethnie
relations, discrimination (van Dijk, 2002, p. 153; 1993, p. 248-249; 1991 , p. 245).
Enfin, van Dijk juge que les mdias abordent peu le racisme quotidien ( [ ... ]
everyday racism [ . ..] ) (1991, p. 105) et traitent de la discrimination raciste comme
tant une dviance et non comme tant un crime (van Dijk, 1993, p. 249).
Dans cette partie, nous essayerons, par le biais de la littrature sur 1'islamophobie, de
prsenter les principales perspectives qui tentent de dfinir ou cerner le phnomne.
33
Dans leur ouvrage, Hajjat et Mohammed se donnent pour objectif de mettre de 1'avant le caractre
soc iologique de l' islamophobie (2013, p. 18). Leur ana lyse tente alors de concevoir [ ... ]
l'islamophobie comme un "fait social total" [ . . . ] (idem). Notons ga lement qu ' ils veulent
dvelopper une sociologie de l' islamoph obi e, cette dernire pouvant [ ... ] saisir les transformations
24
de la socit dans sa totalit, dans la mesure o ell e nous renseigne sur le fonctionnement des champs
mdi atique, politique, juridique, intellectuel, etc. (idem ).
25
Suite l'analyse des dfinitions du concept (celles exposes prcdemment ainsi que
celle prsente au sein de la littrature), il nous est possible de faire ressortir les
principales thmatiques prsentes dans les dfinitions du phnomne, soit la peur
(Grosfoguel, 2012, p. 14; Mignolo, 2006, p. 28; Sbryock, 2010, p. 1; Taras, 2013, p.
418), la haine (Grosfoguel, 2012, p. 14) ou !'hostilit (Bravo Lopez, 2011, p. 570;
Taras, 2013, p. 418) l'gard de l'islam ou des musulmans. Ces dfinitions sont bien
souvent inspires de la dfinition du Runnymede Trust qui considre l'islamophobie
comme tant[ ... ) a useful shorthand way ofreferring to dread or hatred of Islam-
and, therefore, to fear or dislike of al! or most Muslims (Runnymede Trust, 1997, p.
1). Toutefois, cette dfinition propose est fortement critiquable puisqu 'elle est
islamophile et participe l'essentialisation de l'islam ou des musulmans (Allen,
2010, p. 194; Tamdgidi, 2012, p. 56 et 76-77). Notons galement que pour Hajjat et
Mohammed, cette dfinition ne laisse pas de place la critique de l'islam (2013, p.
87). Face ces lacunes conceptuelles, Allen cherche alors suggrer une meilleure
dfmition. Pour lui, l'islamophobie est une idologie qui cre et maintient les
perceptions ngatives sur l'islam et les musulmans assurant ainsi la domination des
non-musulmans sur les musulmans et l'islam (Allen, 2010, p. 193).
26
place l' islam et les musulmans dans une altrit par rapport l'Occident
(Maira, 2011 , p. 110 et 113; Shryock, 2010, p. 8-9; Taras, 2013, p. 419) ;
Quatrimement, dans leur ouvrage, Hajjat et Mohammed proposent une typologie des
diffrents courants th oriques lis l' islamophobie 35 . Ainsi, quatre perspectives sont
alors recenses, soit:
34
Les logiques prsentes ici ne sont pas exhausti ves. Nous avons expos celles qui ressortent de nos
lectures et que nous jugeons comm e tant les plus pertinentes pour l'anal yse de notre corpus.
35
Nous recensons, ici , les thories selon l'approche d'Hajjat et Mohammed. Toutefois, comm e le
dmontre cette revue de littrature (et plus particulirement la section 2.1.8), nous percevons les
courants thoriques sur l' islamophobi e autrement. En d'autres mots, nous ne nou s souscrivons pas
totalement l' anal yse d 'Hajjat et Mohammed .
27
1' islamophobie en lien avec les [ ... ] ~uestions de genre et de sexualit [ ... ]
(soulign par les auteurs, ibid., p . 97) 3 .
Enfm, il faut noter que l' islamophobie n 'est pas un phnomne restreint une sphre
minoritaire de la socit, mais constitue plutt un lment intgr au sein mme des
structures sociales (Ernst, 2013 , p. 7; Gottschalk et Greenberg, 2008, p. 7; Kumar,
2012, p . 6).
l' islam (ses symboles) et les musulmans. Pour la premire cible, l' islamophobie se
manifeste notamment par l' opposition la construction de mosque et les caricatures
de Mohammed (Ernst, 2013 , p. 4; Geisser, 2003, p . 10-11 et 15 ; Gottschalk et
Greenberg, 2008, p. 146). Quant la seconde cible, les musulmans, les manifestations
36
Notons que la dfi nition propose par Hajjat et Mohammed tente d'arti cul er l' ensembl e de ces
perspectives thoriques l' exception de celle qui conoit l'islamophobie comme phnomne
idologique (2013 , p. 94-95 et p. 98)
37
Voir notamment Balibar (1988) et Wieviorka (1993) prsents prcdemment.
38
Nous sommes conscientes que l'i slam et les musulmans en tant que cib les de l'islamophobie sont
trs lis. Toutefois, des fins de comprhension, nous avons divis les cibles des manifestations
islamophobes selon les symbol es de l' islam et les musulmans. Par aill eurs, notre catgorisation et les
exemples prsents ne prtendent pas tre exhaustifs . Aussi, nous sommes consciente que les exemples
exposs font appel divers ni veaux d 'analyses.
28
Tout d'abord, les auteurs tudiant l'islamophobie constatent que les hommes
musulmans sont reprsents comme tant dangereux (voire terroristes), misogynes et
non intgrables la socit tandis que les femmes musulmanes 39 sont perues comme
39
Par ailleurs, ces strotypes ne sont pas sans con squence dans la mesure o Ra zack considre que
la qu estion du genre est centra le pour assurer la domination des Occidentaux sur les musulma ns :
Gender is crucial to the confinement of Muslims to the pre-modern, as p ost-colonial scholarship has
long shawn. Considered irredeemab/y f anatical, irrational, and thus dangerous, Muslim men are also
marked as deeply misogynist patriarchs who have not progressed into the age of gender equality, and
who indeed cannat. For the West, Muslim women are the markers of their communities' place in
modernity (20 11 , p. 16).
29
tant sourruses et oppresses : elles doivent alors tre sauves des hommes
musulmans par l'Occident (Geisser, 2003 , p. 18; Maira, 2011 , p. 113 et 120; Morey et
Yaqin, 2011 , p. 2; Razack, 2011, p. 4-5, 16 et 19). Pour ce qui est de la deuxime
thmatique, celle-ci s'applique l' islam et aux musulmans en gnral. L' islam est
saisi comme une religion moyen-orientale et violente tandis que les musulmans sont
compris comme des tres irrationnels, barbares, possdant une seule identit
(l'identit religieuse) et tant dsireux d' imposer la Charia partout dans le monde
(Antonius, 2008, p. 13 ; Ernst, 2013, p. 4; Gottschalk et Greenberg, 2008, p. 3-4 et l;
Shryock, 2010, p. 2; Zebiri, 2011 , p. 175).
40
L'islamophobie comme proj et racial est prsente dans les crits de Sherene Razack. Dans son
ouvrage Casting Out. The Eviction of Muslims from Western Law & Politcs, Razack fait appel aux
thories de la pense raci ale telles que prsentes par Arendt (Razack, 2011 , p. 8-11 ). De plus, Razack
peut tre associe la critica/ race theo1y ainsi qu 'aux rfl ex ions de Dav id Theo Goldberg (Antonius,
2008, p. 18-19).
30
vincer les musulmans de la communaut politique tels que la[ ... ] stigmatization,
surveillance, incarceration, abandonment, torture, and bombs (Razack, 2011, p. 5).
Concrtement, Maira remarque qu ' il existe, chez les musulmans, une peur constante
de voir un membre de sa famille disparatre, arrt, dtenu ou mme renvoy dans
son pays d ' origine (dans le cas des immigrants) (Maira, 2009, p. 4). Par ailleurs,
Razackjuge que la domination impriale de l' islamophobie mne un [ ... ] state-of-
exception [ .. .] (2011, p . 11) (tat d'exception), c' est--dire qu'il y a la mise en
place de lois qui assurent la suspension des lois et des droits (ibid, p. 9 et p. 11).
Autrement dit, l' tat d'exception est un espace o les lois ne s'appliquent pas
l'gard des membres qui sont considrs comme tant non-membres de la
communaut politique (par exemple : [ .. . ] Guantanamo Bay with its inmates who
are held without charge and indefinitely detained [ ... ] (ib id., p. 11)). Notons
galement que, pour Razack, la guerre contre le terrorisme met en scne trois figures :
[ ... ] the dangerous Muslim man, the imperilled Muslim woman, and the civilized
European [ .. .] (ibid., p. 5). Toutefois, pour Kumar, il existe aussi de bons
musulmans (selon le courant qu'elle qualifie d'islamophobie librale41 ) , ceux-ci
[ .. .] cooperate with the goals of empire (Kumar, 2012, p. 195). Ces derniers
participent donc au climat de suspicion dont sont victimes les musulmans.
41
Kumar attribue quelques caractristiques l' islamophobi e librale : [ ... ] the rejection of the
" clash of civilizations" thesis, the recognition thal there are "good Muslims" with whom diplomatie
relations can be f orged, and a concomitant willingness to work with moderate lslamists (2012, p.
133).
31
En ce qui a trait la troisime tendance, celle-ci puise dans la premire : 1'auteure que
nous associons ce courant thorique, Juliane Hammer, considre que l'islamophobie
s'inscrit en lien avec la guerre contre le terrorisme (Hammer, 2013, p. 113) et
s'inspire des travaux de Razack (ibid., p. 111). Cette approche thorique se distancie
des autres courants dans la mesure o elle place au cur de son analyse la question
du genre et les rpercussions de l'islamophobie sur les musulmanes (ibid., p. 109-
110). L'expression gendered islamophobia 42 est ainsi utilise. Pour dfinir ce
concept, Hammer emprunte la dfinition de Zine, cette dernire considrant
l'islamopbobie genre comme tant: This can be understood as specifie forms of
ethno-religious and racialized discrimination leveled at Muslim women that proceed
from historically contextualized negative stereotypes thal inform individual and
systemic forms of oppression (Zine, 2006, p. 240; Zine dans Hammer, 2013, p.
112). Notons galement que l'islamopbobie genre implique une [ ... ]
representation of Muslim men as violent terrorists (bath against ''us'' and Muslim
women) and the representation of Muslim women as oppressed and silenced (by
Muslim men, Islam and Muslim culture) (Hammer, 2013, p. 109). De plus,
l'islamophobie genre se manifeste de diverses faons . En effet, Hammer considre
que les musulmanes sont victimes [ ... ] of discrimination, hate speech, and hate
42
Hajjat et Mohammed traduisent cette express ion par [ . .. ] questions de genre et de sexualit dans la
production de l' islamophob ie [ ... ] (soulign par les auteurs, 2013, p. 97) . Notons ga lement que les
deux auteu rs n'abordent pas les travaux d 'Hammer et de Zine (ibid., p. 97 -98).
32
crimes (ibid., p. 120), en plus d'tre victimes des pratiques discriminatoires ciblant
principalement les hommes musulmans (dportation, dtention, surveillance et
profilage (idem)). Hammer juge alors que les pratiques imprialistes dont sont
victimes les bommes musulmans affectent galement les femmes, celle-ci tant leurs
[ 00.] wives, mothers, sisters, and daughters [ 00 .] (idem). Par ailleurs, pour
l'auteure, l'existence d'un discours dsirant Saving Muslim Women from Islam
(ibid., p. 121) implique une perception des musulmanes comme tant sans agentivit
( l'exception des musulmanes dnonant et critiquant l'islam) (ibid., p. 124). Enfin,
une autre dimension de l'islamophobie genre relve du rle des femmes dans la
production des discours islamophobes; ces discours n'tant pas que Je produit des
hommes (ibid., p. 126). Hammer s'intresse notamment Pamela Geller (ibid., p.
126-127), Phyllis Chesler (ibid. , p. 127-128) ainsi qu' ce qu'elle qualifie de Native
Informants (ibid., p. 129-130). Ces derniers tant des
Men and women who are either laying claim ta their Muslim identity and thus
speak on beha!f and/or against fe !law Muslims, as well as a number offormer
Muslims who have renounced their affiliation with Islam but claim intimate
knowledge of the religion, its practices, and its cultures (ibid., p. 129).
Par consquent, nous pouvons comprendre que le discours islamophobe n'est pas que
le fruit des Occidentaux, l'islamophobie tant aussi alimente par des personnes ayant
grandi au sein mme des socits musulmanes 43.
43
Pour Jelodar et al., il est possible de constater, depui s le Il septembre 2001 , une augmentation
d' ouvrages autobiograp hiques produits p ar les femmes musulmanes. (20 14, p . 215). Toutefois, dans
certains de ces ouvrages, le quotidien racont [ ... ] are rare/y truthfu/ and realistic; they are
ofientimes, rep/ete with stereotypes and generalizations (idem). Par aill eurs, les ouvrages sont
frquemment instrumentaliss pour maintenir la dominatio n islamophobe et impriali ste (ibid., p. 215-
217).
33
Les tudes portant sur l' islam et les mdias sont nombreuses et s'inscrivent, pour la
plupart, dans des contextes nationaux prcis. Diverses recherches ont notamment
explor ces problmatiques en France (Geisser, 2003; Deltombe, 2005), en Grande-
Bretagne (Baker et al., 2013 ; Poole, 2002; 2006; Richardson, 2004; 2006), aux tats-
Unis (Karim (2006)), en Australie (Manning (2006)) et au Qubec (Antonius et al.,
2008 ; Antonius, 2010; 2013). De plus, pour tudier l' islam, les musulmans et les
mdias, les techniques, les mthodes et les rsultats sont pluriels. Ici, nous
observerons plus prcisment les travaux portant sur 1' islamophobie mdiatique dans
la presse crite, soit les travaux de Geisser, Baker et al., Poole, Richardson, Manning,
Antonius et al. et Antonius 44 .
44
Dans cette section, nous n' aborderons pas les travaux qui ne traitent pas de l' islamophobie
mdiatique au sein de la presse crite. Nous ne prsenterons donc pas les crits de Deltombe (2005) et
de Ka rim (2006).
45
Geisser fait rfrence aux [ ... ] femmes maghrbines soumi ses la loi des hommes, intell ectuels
algriens victimes du terrorisme, "musu lmans laques" incompris par les pouvoirs publics et jeunes
filles de banlieues victimes du nouvel ordre moral islamiste (2003, p. 38)
34
en plus de saisir[ ... ] the ways in which they reproduce anti-Muslim racism (ibid.,
p. XVI). Par son analyse, il remarque que les textes journalistes, par les mcanismes
langagiers utiliss (ce qu'il nomme : [ ... ] a rhetorical process of textual
exclusion ) (ibid. , p. 231 ), excluent socialement 1'islam et les musulmans, et ce, par
diverses techniques dont la division et le rejet46 ainsi que par la [ ... ] separation;
46
Richardson s'inspire notamment des travaux de Martin-Roja (1995) (Richardson, 2004, p. 231).
36
Pour conclure, trs peu de travaux sur l' islamophobie mdiatique ont t raliss au
Qubec48 . Les principaux textes publis sur la question sont ceux d' Antonius et al.
(2008) ainsi qu'Antonius (2010 et 2013) 49 . Dans une recherche mene en 2008,
Antonius et al. s'intressent la reprsentation des musulmans et des Arabes au sein
de quotidiens qubcois (francophones et anglophones). Au terme de leur tude, ils
arrivent la conclusion suivante :
47
Ces quatre arguments sont : la menace militaire (Richardson, 2004, p. 75-78), l'extrm isme et le
terrorisme (ibid., p. 78-85), la menace la dmocratie occidentale (ibid., p. 85 -89) ainsi que Je sexisme
(ibid., p. 89-93).
48
Tel que mentionn dans notre problmatique, quelques travaux sur le Qubec ont t raliss.
Cependant, l'exception de la recherche d'Antonius et al. (Antonius et al. , 2008) et des articles
d'Antonius (2010 et 2013), aucun de ces travaux a pour enj eu principal l' islam et les mdi as. Malgr
tout, ces tudes sont pertinentes dans la mesure qu'elles dressent un portrait gnral du racisme
mdiatique qubcois (Bilge, 2010 ; Giasson et al. , 2010; Potvin et al. , 2008), et ce, en dpit du fait
qu'elle ne traite que de la priode des accommodements raisonnables (Giasson et al., 20 10; Potvin et
al., 2008) ou qu 'elle ne traite que d' une thmatique particulire (par exemple, l'galit de genre chez
Bilge (2010)).
49
Notons que certa ins d'entre eux ne portent pas strictement sur l'islamophobi e mdiatique dans la
mesure o certa ins abordent galement Je raci sme mdiatique l'gard des Arabes (Antonius el al.,
2008 et Antonius, 2013).
37
L'Autre qui arrive et dont la migration est difficile[ ... ] (ibid., p. 61) ;
[ .. . ] le monstre [ .. . ] (idem) .
En ce qui a trait son texte publi en 2013, Antonius constate que la majorit des
textes li l'islam, dans Le Journal de Montral, sont accompagns d 'une image
d'une femme portant le voile [ ....] even when the story does not deal with a veiling
issue (2013 , p. 116)). Enfm, en s'intressant La Presse, Antonius remarque que
certains chroniqueurs [ ... ] have challenged the ''us/them '' dichotomy when ta/king
about migrant communities [ .. .] (ibid., p. 121 ). Par consquent, ces chroniqueurs
n'adoptent pas des procds discursifs racistes et islamophobes pour traiter des
groupes ethnoculturels.
38
Dans notre mmoire, notre cadre thorique est constitu de divers lments, soit la
dfmition de l' islamophobie qui sous-tend l'ensemble de notre mmoire, les raisons
motivant notre utilisation du concept d' islamophobie ainsi que l'articulation de
l' islamophobie d' autres phnomnes (racisme et noracisme, imprialisme,
orientalisme).
50
Notons que notre cadre thorique se jumle notre cadre mthodologique que nous prsenterons la
section 3.3.
51
Certaines critiques jugeront que nous accordons trop d' importance la dim ension religieuse (islam).
Toutefois, dans nos travaux, nous concevons l' islam comme tant la fo is religieux, culturel, social,
politique et conomique.
39
Deuximement, notre mmoire portant sur un concept contest tant par la littrature
scientifique que non scientifique (voir section 2.1.2) (Hajjat et Mohammed, 2013, p.
18-19), il nous faut justifier notre utilisation du concept d 'islamophobie. Diverses
raisons expliquent notre dcision. Tout d'abord, nous prfrons le terme
islamophobie d' autres concepts proposs tel que l'expression [ ... ] anti-muslim
[ ... ] (Maussen, 2006, p. 103), expression que nous jugeons rductrice (tout comme
le soutiennent Allen et Nielsen (Allen, 2010, p. 135; Allen et Nielsen, 2002; Hajjat et
Mohammed, 2013, p. 91). De plus, comme le dmontre notre dfinition,
l'appartenance relle ou prsume l'islam est la base de l'islamophobie (Hajjat et
Mohammed, 2013, p . 98; Allen, 2004 p. 6) 5354 . Autrement dit, les musulmans sont
victimes d'actes islamophobes de par leurs pratiques de l'islam justifiant ainsi
l'utilisation du prfixe islam. En ce qui a trait la dimension phobique de
l' islamophobie, nous partageons la mme position qu'Hajjat et Mohammed, ces
derniers affirmant: Le suffixe "phobie n'est srement pas le plus appropri d'un
point de vue scientifique, mais il nous semble que les sciences sociales peuvent se
52
L'islamophobie peut tre instrumentalise [ .. . ]for silencing important and necessary debates
about women 's rights, patriarchy, imperialism, andfeminism, among Muslims and in American society
[ ... ] (Hammer, 2013 , p. 132). Toutefois, cela ne justifie en aucun cas les attitudes rejetant Je concept
d' islamophobie et prtendant que l' islamophobie n 'existe pas . De plus, cela n'implique pas de refuser
toute critique l'gard de l'is lam et des mouvances qui en dcoul e : certaines critiques pouvant tre
pertinentes. Notons alors qu'une critique pertinente est une critique qui n'emprunte pas les
mcanismes de fonctionnement de l'islamophobie.
53
Nous sommes consciente que les musulmans peuvent tre victimes d'a utres formes de
discriminations, telles que le racisme anti-arabe, le racisme anti-afrodescendant, le racisme anti-
asiatique, les discriminations 1'gard des personnes religieuses, etc.
54
Comme mentionn prcdemment, nous ne nous limitons pas percevoir l'islam dans sa dimension
religieuse.
- - - - - - - -- - - - - - - - - - - - - - - -
40
55
Notamment avec le concept d ' [ .. .] interna! others (Poole, 2002, p. 251)
-- - - - - - - - - -- -
41
Pour rpondre nos questions de recherche, deux hypothses ont t formules, ces
dernires rpondant nos deux questions de recherche. La premire rpond notre
premire question: Les discours de Richard Martin eau sur l'islam ou les musulmans
dans ses chroniques du Journal de Montral fon ctionnent l 'homognisation,
l'essentialisation, l 'infriorisation, la diabolisation ainsi qu ' la stigmatisation de
l'islam ou des musulmans. Quant notre seconde hypothse, celle-ci correspond
notre seconde question : Les discours de Richard Martineau sur l'islam ou les
musulmans dans ses chroniques du Journal de Montral vhiculent des strotyp es
l 'gard de l 'islam ou des musulmans : l 'islam tant p eru comme une religion
dangereuse, les hommes musulmans tant rep rsents comme des tres violents,
patriarcaux et terroristes tandis que les f emmes sont p erues comme tant soumises
et voiles.
Quelques objectifs sont sous-jacents nos hypothses : celles-ci cherchent d ' abord
prciser les fonctionnements des discours de Richard Martineau sur l' islam ou les
musulmans et essaient ensuite de cerner les principaux strotypes voqus dans les
mdias . Par consquent, nous tentons de vrifier si la littrature sur l' islamophobie
(logiques et strotypes) s' applique au cas tudi. En d' autres mots, nous proposons
que l' islamophobie se manifeste au sein des chroniques tudies, et ce, par le biais de
certaines logiques et certains strotypes. Nous cherchons alors vrifier si ces
logiques et strotypes nous permettent de mieux comprendre les discours tudis.
Enfm, les diffrentes logiques de fonctionnement que nous associons aux discours sur
1'islam ou les musulmans ainsi que les principaux strotypes voqus dans nos
hypothses s'appuient sur la littrature sur le racisme et l' islamophobie (Balibar,
2006; Ernst, 2013 ; Geisser, 2003 ; Gottschalk et Greenberg, 2008 ; Labelle, 2006;
Ma ira, 2011 ; Morey et Yaqin, 2011 ; Poole, 2002; Razack, 2011; Shryock, 201 0) .
CHAPITRE III
MTHODOLOGIE
Dans le cadre de notre mmoire, notre matriau de recherche (notre corpus) est un
matriau de type invoqu, c'est--dire que le corpus recueilli a t produit
indpendamment de notre travail de recherche. Pour le constituer, la technique de
constitution par cascade fut utilise. Cette technique permet ainsi de dterminer des
catgories chaque couche de dcoupage, ces couches tant le type (textes
journalistiques), le genre (chroniques), le support (presse crite), la source (Le
Journal de Montral) , le thme (l'islam et les musulmans), l'auteur (Richard
Martineau), le temps (novembre 2006 avril 2014) et l'espace (la grande rgion
montralaise). Au final, notre corpus est compos de textes journalistiques, soit les
chroniques de la presse crite qubcoise et plus particulirement celles de Richard
Martineau publies au sein du Journal de Montral mentionnant ou traitant de l 'islam
ou des musulmans entre novembre 2006 et avril2014.
43
Face ces constats, nous jugeons donc ncessaire d'examiner davantage le contenu
du Journal de Montral. Cinquimement, nous n'avons analys que les chroniques
parues sous la plume de Richard Martineau, l'auteur publiant abondamment sur les
questions lies 1'islam ou aux musulmans dans Le Journal de Montral. En effet,
lors de la constitution de notre corpus (notre recherche devait de prime abord tudier
l'ensemble des chroniques du Journal de Montral 57 ), nous nous sommes aperue
que Richard Martineau occupait une place considrable dans la mesure o pour
certaines annes (2008 2011), prs de la moiti des chroniques publies sur l' islam
ou les musulmans au sein du Journal de Montral ont t crites par Richard
56
Pour Antonius, l'agenda selting consiste [ ... ] dterminer des grands enjeux de socit [ ...]
(so ulign par l'auteur, Antonius el al., 2008, p. 20). De plus, [ ... ] par les suj ets qu'ils couvrent, par
leur interpellation de la classe politique, par leur pouvoir de rpter une information ou de la mettre en
valeur un moment prcis (par exemple, les rediffus ions en boucle de certains vnements), par le fait
que certains vnements sont discuts et mis en exergue alors que d'autres ne le sont pas, les mdias
contribuent dans une large part dtem1iner ce qui est - ou n' est pas - l'ordre du jour (idem).
57
Voir section 3.2 pour davantage de dtail sur la constitution de notre corpus.
45
Martineau. Le tableau 3.1 illustre ams1 la proportion occupe par cet auteur pour
chacune des annes tudies 58 .
Nous pouvons ainsi remarquer qu' deux reprises, Richard Martineau a publi plus de
55% des chroniques mentionnant ou traitant de l'islam ou des musulmans dans Le
Journal de Montral (2009 et 2010) et qu ' deux autres reprises, il a publi plus de
4 7% des chroniques (2008 et 2011) lies ces thmatiques. Par ailleurs, cet auteur a
crit le tiers (35,6%) des chroniques mentionnant ou traitant de l'islam ou des
musulmans au sein du Journal de Montral, et ce, toutes annes confondues 62 . Suite
1' obtention de ces donnes, nous sommes force de constater que Richard Martin eau
occupe un rle important au sein du Journal de Montral en ce qui a trait la
58
Comme mentionn prcdemment, notre tude initiale portait sur l'ensemble des chroniques du
Journal de Montral entre mai 2008 et avril 2014, nous n'avons donc pas recueilli les chroniques
produites en 2006 et 2007.
59
partir de septembre 20 JI, nous pouvons remarquer 1' introduction de nouveaux chroniqueurs qui
abordent des thmatiques lies l'islam ou aux musulmans, ceci pouvant expliquer la proportion
moins importante qu'occupent les chroniques de Richard Martineau.
60
Pour 2008, seules les chroniques publies entre mai et dcembre ont t recuei lli es.
61
Pour 2014, nous n'avons recueilli que les chroniques publies entre janvier et avri l.
62
Toutefois, comme mentionn prcdemment, les annes 2008 et 2014 sont incompltes.
46
production d'opinions sur l' islam et les musulmans. Par consquent, ce chroniqueur
peut avoir le statut d' observatoire (Hamel, 1997) de l' islamophobie dans ce
journal, ncessitant ainsi une tude de cas part entire. Cela permet galement
d'explorer l'hypothse du rle d'agenda setting du Journal de Montral, telle que
dveloppe par An toni us et al. (2008, p. 10). Siximement, nous avons limit dans le
temps notre matriau de recherche : les chroniques que nous analysons ont t
publies entre novembre 2006 et avril 2014. Une telle dlimitation s'explique par
notre volont d 'observer l' islamophobie contemporaine et notre dsir d'tudier
davantage le rle jou par Richard Martineau. Ainsi, si nous dsirons valuer son rle
et la porte de ses crits, il est important d'analyser les crits de ce chroniqueur ds
son arrive au Journal de Montral, soit en novembre 2006 (Doucet, 2006). Quant
la fin de notre priode tudi e, celle-ci concide avec les lections provinciales
qubcoises (7 avril2014) o l'lection d ' un gouvernement libral a mis un terme au
projet de loi numro 60 63 (Charte des valeurs), projet de loi indirectement li notre
thme de recherche. De cette faon, notre corpus contient 1' ensemble des chroniques
sur l'islam ou les musulmans publies lors de la crise li e au projet de loi numro 60.
En somme, le corpus de notre tude de cas comprend les chroniques de Richard
Martineau publies dans Le Journal de Montral entre novembre 2006 et avril 2014
et qui mentionnent ou traitent de l' islam ou des musulmans. tant une tude de cas,
notons alors que nos rsultats ne sont pas gnralisables, hors du contexte prcis
susmentionn4 .
63
Projet de loi intitul Charte affirmant les valeurs de lacit el de neutralit religieuse de l 'tat ainsi
que d'galit entre les fe mmes et les hommes el encadrant les demandes d'accommodement.
64
Par ailleurs, les quelques mesures quanti ta ti ves employes dans nos analyses nous permettent
d 'obtenir que des mesures d' intensit de relati ons, interne notre corpus, et non des infrences extra-
corpus.
47
Pour mener terme notre recherche, nous avons utilis la base de donnes
Eureka.cc 65 pour extraire l'ensemble des chroniques qui correspondront notre
thmatique de recherche. C'est par le biais de cette base de donnes que nous avons
pu constituer notre corpus.
Au dpart, deux critres de slection ont t mis : le texte journalistique devait tre
une chronique et devait mentionner ou traiter de l'islam ou des musulmans. Ce n'est
que par la suite, comme expliqu prcdemment, qu'un troisime critre fut ajout,
soit que la chronique devait avoir t crite par Richard Martineau.
Tout d'abord, notre recherche initiale ne portant pas que sur les chroniques de
Richard Martineau, nous avons d, pour rcolter nos donnes dans Le Journal de
Montral, nous mme dfinir notre conception de la chronique: Eureka.cc ne permet
pas de distinguer les chroniques du Journal de Montral des autres textes
journalistiques et l'ancien site web du journal ne fournissait qu 'une liste des
chroniqueurs du moment (Le Journal de Montral, s.d.). Ainsi, dans le cadre de notre
mmoire, la chronique du Journal de Montral consiste en un texte o l' auteur est un
individu et non une agence de presse, o l'auteur publie de faon rcurrente dans le
journal et o l'auteur s'exprime et prend position sur une ou des thmatiques sociales,
culturelles, politiques ou conomiques 66 . Par ailleurs, les auteurs ayant un statut de
blagueur ont aussi t considrs comme chroniqueur.
65
Eureka.cc contient l'ensemble des textes parus au sein du Journal de Montral depuis octobre 2006.
66
1'exception des textes crits par des auteurs ayant un statut de chroniqueurs ou de blogueurs au
Journal de Montral (Aubi n, Barbe, Du rocher, Fournier, Prou lx), nous n' avons pas inclus les types de
documents sui vant : les commentaires sportifs, les rcits de voyage, les critiques musicales,
cinmatographiques, littraires et gastronomiques .
48
Enfm, aprs avoir recueilli 944 chroniques, seules les chroniques ayant t crites par
Richard Martineau furent retenues68 . Par ailleurs, suite une premire lecture de
notre corpus, nous nous sommes familiaris e avec le vocabulaire utilis par Richard
Martineau, nous avons alors ajout quelques lments notre quation. Dsormais, ce
que nous dsignerons par notre corpus d' tude est constitu de 438 69 chroniques
rparties sur une priode de prs de neuf ans (novembre 2006 avril 2014) . En nous
basant sur le tableau 3.2, nous pouvons constater que la moyenne de chroniques
publies par Richard Martineau mentionnant ou traitant de 1'islam ou des musulmans
67
islam* OU musul * OU dsislam* OU pani slam* OU rislam* OU mahom * OU batin * OU chii *
OU kharidj * OU mabd * OU mutaz il * OU salaf* OU snous* OU soufi* OU sunn * OU wa hhab* OU
mosque* OU muezzin * OU sarra * OU hidj ab* OU niqab* OU harem* OU burqa* OU minaret* OU
jihad* OU mecque* OU plerin * OU ramadan* OU coran* OU charia* OU halai* OU tchador* OU
Allah OU Prophte* OU salat* OU hadith * OU haram* OU hgir* OU terror* OU burka* OU hijab*
OU djihad *. Cette quati on nous permettant d'obtenir les chroniques avec les vocabl es sui vants :
islam, islamique(s), islamiste(s), islami sme(s), islamophobie(s), islami sation(s), islami ser,
islamophobe(s), islamologie(s); musulman (e)(s) ; dislamiser; pani slami sme(s), panislamique(s),
panislamiste(s); rislami sati on(s); Mahomet, mahom tan(e)(s), mahomtisme(s); batinite(s),
batini sme(s); chiite(s), chii sme(s); kharidjite(s), kharidjisme(s); mahdiste(s), mahdisme(s), mahdi(s);
mutazilite(s), mutazili sme(s); salafiste(s), salafi sme(s); snousism e(s), snousiste(s); soufi(e)(s),
soufi sme(s), soufite(s); sunnite(s), sunnisme(s), sunna(s); wahhabite(s), wahhabi sme(s); mosque(s);
muezzin (s); sarracnique(s), sarrasin(e)(s); hidj ab(s); niqab(s); harem(s); burqa(s); minaret(s); jibad(s),
j ihadiste(s), jihadisme(s); La Mecque; plerin(e)(s), plerinage(s), pleriner; ramadan(s); coran(s),
coranique(s), corani ser; chari a; halai; tchador(s); Allah; prophte(s); salat(s); hadith(s); haram(s);
hgire(s); terrorisme(s), terrori ste(s); burka(s); hijab(s); dj ihad(s), djihadi ste(s), djihadi sme(s)
68
N'ont pas t retenus les articles publi s au sein du Journal de Mo ntral o Martineau rpondait
des commenta ires pub li s sur son blogue puisque nous jugeons qu ' il s' agit d' un autre genre textuel
(par exemple, l'arti cle intitul Mauvaise nouvelle (Martineau, 2008j , p. 30) ou l' article nomm Expo
67, deux ime partie? (Martinea u, 2009f, p. 26)) .
69
Il fa ut noter que nous n'avons pas conserv les doublons, c'est--dire les arti cles publi s la mme
journe, avec le mme contenu et qui apparaissent plus d' une fois dans Eureka.cc.
49
est de 58,43 par anne tandis que la mdiane est de 55 par anne 70 . De plus, lors de
notre lecture de ce tableau, nous pouvons remarquer qu ' l'exception de quatre
annes (2007, 2008, 2009 et 2012), plus de 20% (soit un cinquime) des chroniques
de Richard Martineau mentionnent ou traitent de l' islam ou des musulmans. Aussi,
deux reprises (2006 et 201 0), prs du tiers de ses chroniques mentionnent ou traitent
de ces thmatiques. Par ailleurs, l' anne o Richard Martineau a publi le moins de
chroniques mentionnant ou traitant de l' islam ou les musulmans est en 2012 tandis
que l' anne o cet auteur a publi le plus de chroniques sur ces thmes est en 2010.
Pour 2012 , nous pouvons alors soumettre l'hypothse que le faible nombre de
chroniques s' explique par la crise tudiante de 2012. Quant 2010, l' exception de
quelques vnements qui ont t dans l'actualit, l' islam ou les musulmans n' ont
pourtant pas occup la place publique comme en 2013 et 2014 (pendant la crise lie
la charte des valeurs), nous pouvons donc nous questionner savoir pourquoi Richard
Martineau a-t-il crit autant de chroniques qui traitent ou mentionnent l'islam ou les
musulmans?
70
Pour les besoins de ce calcul, nous n'avons pas inclus le nombre de chroniques produites par
Ri chard Martineau sur l' is lam ou les musulmans de l'anne 2006 et de )'.anne 2014 dans la mesure o
ces donnes ne tiennent pas compte de l'anne enti re.
50
2006 2014
71 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 72 Total
Nombre de
chroniques
produites par
Richard 7 46 46 55 93 63 28 78 22 438
Martineau sur
l'islam ou les
musulmans
Total des
chroniques de
24 275 288 278 313 293 300 311 102 2184
Richard
Martin eau
29,2 16,7 16,0 19,8 29,7 21 ,5 25 ,1 21 ,6 20,1
Pourcentage 9,3%
% % % % % % % % %
Pour effectuer notre travail empmque, nous avons utilis Je logiciel d'analyse
qualitative QDA miner, logiciel nous permettant d'annoter nos donnes, et ce, l'aide
d'une grille de codage. Cette dernire observe, dans le corpus 73 , la fois les procds
discursifs (logiques de l' islamopbobie, argument d'autorit, etc.) et les thmes ou
contenus smantiques 74 . De plus, 1'utilisation du logiciel fut jumele une approche
analytique inspire de l'analyse critique du discours (ACD) (popularise sous
71
Comme voqu prcdemment, Martineau a rejoint Le Journal de Montral en novembre 2006,
nous avons donc recueilli que les chroniques publies en novem bre et dcembre 2006.
72
Pour cette colonne, nous n'avons recueilli que les chroniques publies entre janvier et avril 2014.
73
Notons que seuls les segments mentionnant ou traitant de l'is lam ou des musulmans fu rent cods.
74
Pour analyser les thmes et contenus smantiques, nous avons effectu une analyse thmatique
(Paill et Mucchielli, 2008).
51
Tout d'abord, il faut noter que l'ACD se distingue des autres mthodes d'analyse
langagires par l'importance qu'occupe la dimension critique. En effet, 1'ACD
s'inspire de l'cole de Francfort et plus prcisment d'Horkheimer, celui-ci jugeant
que [ ... ] social the ory should be oriented towards critiquing and changing society,
in contras! to traditional the01y oriented solely to understanding or explaining it
(Wodak et Meyer, 2009, p. 6). Ainsi, malgr la grande diversit d'approches et de
perspectives runies au sein de l'ACD (Weiss et Wodak, 2003, p. 12; van Dijk, 2001,
p. 352), l'objectifpremier de ce programme de recherche ou de cette cole (Wodak et
Meyer, 2009, p. 5) consiste comprendre et cerner les enjeux de pouvoir (ibid., p.
3, p. 10 et p. 32). Pour Wodak et Meyer,
alors que pour Fairclough, CDA is a form of critical social science geared to a
better understanding of the nature and sources of social wrongs, the obstacles to
addressing them and possible ways of overcoming those obstacle (Fairclough,
2009, p. 167). De plus, pour van Dijk, les chercheurs adoptant l'ACD [ ... ] are
typically interested in the way discourse (re)produces social domination that is, the
power abuse of one group over others, and how dominated groups may discursive/y
resist such abuse (soulign par l'auteur, van Dijk, 2009, p. 63). Ces diffrentes
citations nous dmontrent donc que la comprhension des enjeux de pouvoir et de
75
De nos jours, Teun A. van Dijk utilise plutt 1'expression Critica/ discourse studies (CDS) (Wodak
et Meyer, 2009, p. 2; van Dijk, 2009).
52
domination ainsi que les ingalits sociales sont au cur d'une dmarche qui s'inscrit
en lien avec l'ACD. Par ailleurs, il faut noter que l' ACD est[ ... ] problem-oriented
[ ...] (soulign par l' auteur, idem), normative et politique. L'ACD est [ ... ]
problem-oriented [ ... ] (idem) puisqu'elle vise rsoudre des problmes sociaux
plutt que de rpondre des questionnements purement thoriques ou disciplinaires
(idem), elle est normative dans la mesure o ce sont les chercheurs qui dfinissent ce
qui relve des ingalits sociales (van Dijk, 2001 , p. 352) et enfm, elle est politique,
car les chercheurs s'inscrivent dans une volont de combattre et rduire les ingalits
sociales (Fairclough, 2012, p. 9). Enfm, tel que mentionn prcdemment, l'ACD est
compose d'une pluralit de perspectives thoriques: l'approche sociocognitive de
van Dijk, l'approche historico-discursive de Wodak et Resigl, l'approche des acteurs
sociaux de van Leeuwen ainsi que l'approche dialectico-relationnelle de Fairclough
(Wodak et Meyer, 2009, p. 25-27) 76 .
Pour ce qui est de notre approche, l'approche sociocognitive, celle-ci est dveloppe
par van Dijk. Celui -ci s'intresse [ ... ] in the study of mental representations and the
processes of language users when they produce and comprehend discourse and
participate in verbal interaction, as weil as in the knowledge, ideologies and other
beliefs shared by social groups (van Dijk, 2009, p. 64). Autrement dit, l'approche
sociocognitive s'intresse aux reprsentations et processus langagiers crs pour
produire et comprendre les discours. Pour van Dijk, ces dynamiques cognitives 77 ne
sont pas individuelles, s'inscrivant en relation avec les structures sociales (idem).
Nous pouvons donc comprendre que ces dynamiques sont partages socialement et
construites en relation avec les autres . Par consquent, la dimension sociocognitive du
discours est the relations between mind, discursive interaction and society (ibid.,
p. 65). Pour Wodak et Meyer, cette approche s'inscrit en phase avec la thorie des
reprsentations sociales telles que dveloppe par Moscovici dans la mesure o
76
Pour une numration des travaux de 1'ACD, voir Blommaert (2005, p. 26-27).
77
van Dijk dfinit la cogn ition comme tant [ ... ] the set offimctions of the mind, such as thought,
perception and representation (van Dijk, 2009, p. 64).
53
Social actors involved in discourse do not only use their individual experiences
and strategies, they rely upon collective frames of perceptions, i.e. social
representations. These socially shared p erceptions form the link between the
social system and the individual cognitive system, and pe1form the translation,
homogenization and coordination between external requirements and
subjective experience (soulign par les auteurs, Wodak et Meyer, 2009, p. 25).
Par cette citation, nous pouvons alors comprendre que les reprsentations sociales 78
sont les lments permettant l'articulation du social et du cognitif. Par ailleurs, cette
approche s'inscrit en lien avec une conception du contexte qui ne se limite pas aux
variables sociodmographiques dites traditionnelles (van Dijk, 2009, p. 66). Pour van
Dijk, le contexte [ ... ] is a subjective mental representation, a dynamic online
madel, of the participants about the for-them-now relative properties of the
communicative situation (idem). De plus, pour van Dijk [ ... ]the relation between
discourse and society is not direct, but needs to be mediated by so-called context
models (ibid., p. 73). Ainsi, le contexte, par sa dimension cognitive, permet
d'articuler le discours et la socit ensemble. Enfin, pour mener terme une tude
adoptant l'approche sociocognitive, il y a six tapes d'analyse possible, soit :
Aussi, pour notre analyse, nous nous appmerons sur deux ouvrages o van Dijk
dveloppe et applique son approche au racisme : Racism and the Press (1991) et Elite
Discourse and Racism ( 1993).
78
Inspirs des crits de Moscovici, Wodak et Meyer dfinissent les reprsentations sociales[ ... ] as a
bulk of concepts, opinions, altitudes, evaluations, images and explanations which resull from dai/y !ife
and are sustained by communication (Wodak et Meyer, 2009, p. 25-26).
54
Pour conclure, le choix de 1'ACD sociocognitive pour notre travail analytique est trs
pertinent. Premirement, tant donn que 1'ACD s'intresse aux problmes sociaux et
essaie de saisir comment le discours y participe (van Dijk, 2001, p. 96; van Dijk dans
Richardson, 2007, p. 1), nous pouvons comprendre qu'elle nous claire sur les
relations de pouvoir sous-jacentes aux discours et tente de cerner les ingalits
sociales cres par le discours. Par 1'ACD, nous pouvons ainsi saisir comment
s'articulent les discours sur l'islam ou les musulmans de la presse crite qubcoise
au phnomne de l'islamophobie. Deuximement, 1'ACD fut utilise diverses
reprises, et ce, de manire fructueuse pour tudier des dynamiques similaires notre
problmatique (Bilge, 201 0; Potvin et al., 2008; Richardson, 2004; van Dijk, 1991;
1993; Wodak et Resigl, 2001 ; Calthas-Coulthard, 2003). Troisimement, notre
approche est, elle aussi, tout indique pour une recherche portant sur un phnomne
raciste : les travaux de van Dijk sur le racisme adoptent cette approche. En effet, van
Dijk, concevant le racisme comme un phnomne social et cognitif79 (2009, p. 65 ;
2002, p. 146; 2012, p. 16), a utilis cette approche dans ses principaux travaux sur le
phnomne (van Dijk, 2009, p. 65 ; 1991 ; 1993). Par ailleurs, dans notre travail, nous
cherchons comprendre le fonctionnement des discours sur l'islam ou les musulmans
ainsi que les strotypes qu'ils vhiculent, notre approche se doit alors de mettre en
lumire les reprsentations sociales vhicules dans ces discours. Par consquent,
nous jugeons que l'approche sociocognitive, par sa conception de la dimension
cognitive du racisme et son articulation avec la thorie des reprsentations sociales
nous permet de rpondre nos questionnements.
79
Pour van Dijk, The first, social dimension consists of the everyday social p ractices of
discrimination against ethnically different groups, f or example, through the exclusion ji-om, or unequal
distribution of social resources or human rights. The second, cognitive dimension consists of the ethnie
beliefs, stereotypes, prejudices, and ideologies th at fim ction as the motivation and legitimation of such
discrninat01y practices (soulign par J' auteur, 2012, p . 16).
CHAPITRE IV
ANALYSE ET INTERPRTATIONS
Dans ce chapitre, nous prsenterons nos divers rsultats de recherche. Nous avons
divis notre analyse en deux parties. La premire porte sur des interprtations locales
de notre corpus alors que la seconde traite des interprtations dites globales 80 .
Avant de prsenter nos rsultats, il nous faut traiter des principales mesures utilises
pour analyser nos rsultats et appuyer nos interprtations. Par consquent, trois
mesures sont centrales dans notre analyse : la frquence, la cooccurrence ainsi que le
coefficient de Jaccard. Tout d'abord, la frquence, celle-ci relve du nombre total
d'apparitions d'un mot (Trask, 2014, p. 90) ou, le plus souvent dans notre corpus,
d'un code8 1. Par ailleurs, dans notre recherche, l' analyse des frquences se mesure au
sein du corpus (frquence totale) et au sein des chroniques (nombre et pourcentage
des chroniques dans lesquels un terme ou un code apparat). Une telle dlimitation
s'explique par le fait qu 'un terme ou un code peut se prsenter plus d'une reprise
dans une et mme chronique. Soulignons galement que l'tude du nombre et du
pourcentage de chroniques permet de relativiser la distribution d'un mot ou d'un
80
Pour Duchastel et Laberge, l' interprtation loca le est [ ... ] l'ensemble des oprations concrtes
d'attribution de sens des obj ets du monde. Par exemple, dans le processus de la catgorisation,
l'apposition d' une valeur une unit implique une interprtation du sens de cette unit par rapport au
systme de catgories ( 1999, p. 55) alors que l' interprtation globale [ ... ] consiste donner sens
l' ensemble des rsultats de la recherche dans un cadre probl matique ou thorique donn (idem). En
d'autres mots, les interprtations locales, dans le cadre d' une analyse de discours, s'appliquent qu '
certaines dimensions du corpus: elles ne cherchent donc pas [ ... ] donner sens [ . .. ] (idem)
l'ensemble du corpu s, et ce, contrairement aux interprtations globales.
81
Par code, nous entendons les lments constituant notre grille d'analyse que nous avo ns applique
notre corpus. Par consquent, les codes ne sont pas des units linguistiques propres aux textes tudi s,
mais plutt une annotation enrichissant l' unit textue ll e.
56
code. La cooccurrence, quant elle, relve de The relation between two linguistic
abjects which are bath present in the same syllable, morpheme, ward, phrase or
sentence 82 (ibid., p. 56). En ce qui a trait au coefficient de Jaccard, celui-ci mesure
[.. . ]the association between two words [ ... ] (Niwattanak:ul et al., 2013, p. 381) 83 .
Par ailleurs, ce coefficient mesure la co occurrence et est utilis [... ]for comparing
similarity, dissimilarity, and distance of the data set (idem). Autrement dit, le
coefficient de Jaccard est une mesure d'intensit d'une relation entre deux mots ou
deux codes. Notons galement que plus le coefficient de Jaccard est lev, plus il
existe un caractre similaire entre les mots ou les codes tudis 84 .
l'attribution ainsi que de l'argument d'autorit. Pour ce faire, dans chacune des sous-
sections, nous tudierons les frquences relatives nos interprtations locales, nous
analyserons (si pertinent) la distribution dans le temps des aspects lis nos
interprtations, nous traiterons des cooccurrences et nous prsenterons comment nous
interprtons le tout. Par ailleurs, dans certaines sous-sections, nous aborderons les
divers aspects constitutifs du procd tudi.
Avant de nous attarder 1' analyse des procds discursifs dans notre corpus, nous
jugeons pertinent de prsenter les divers thmes (relevant de notre annotation des
chroniques) et termes (units lexicales) rencontrs.
En premier lieu, diverses thmatiques sont abordes au sein des chroniques tudies.
Le tableau 4.1 nous permet de remarquer que les principales proccupations de
Martineau relvent du voile et de l' islamisme. Notons galement que ces deux
thmatiques se dmarquent des autres thmatiques constitutives de notre corpus de
par leurs rcurrences leves. Par ailleurs, il nous faut souligner l'importance de deux
thmatiques indirectement lies l' islam et aux musulmans, soit les
accommodements raisonnables ainsi que les enjeux lis la condition des femmes, du
genre et du fminisme. Par consquent, nous pouvons comprendre, qu'au sein de
notre corpus, ces deux enj eux sont frquemment associs l' islam et aux musulmans,
et ce, mme s'ils ne relvent pas de ces sujets (contrairement au voile et
1' islamisme) .
85
Dans le cadre de cette opration, les tennes ont t lemmatiss hors contexte.
58
Nombre de Pourcentage de
Frquence chroniques dans chroniques dans
Thmes
totale lequel le thme lequel Je thme
apparat apparat
En second lieu, observons l'usage de divers termes (units linguistiques) dans notre
corpus. De par leurs utilisations accrues et leurs apparitions dans de nombreuses
chroniques, quelques vocables ressortent du lot (tableau 4.2). Notons alors l'emploi
important de certains termes, dont femme , homme , Qubec , qubcois
et pays. De plus, cette tude du vocabulaire nous dmontre qu'une place
considrable est accorde la religion et au religieux ainsi qu' la lgalit
(loi).
59
Nombre de Pourcentage de
87 Frquence chroniques dans chroniques dans
Termes
totale lequel le terme lequel le terme
apparat apparat
Enfm, dans notre corpus, le terme voile est trs utilis. Cependant, ces synonymes
(foulard, hidjab et hijab) ne sont pas autant employs. En effet, hidjab , hijab et
foulard sont respectivement utiliss 21, 39 et 30 reprises. Notons galement que
le terme niqab est employ 27 fois tandis que burqa et burka apparaissent,
dans notre corpus, respectivement 63 et 18 fois.
4.1.2 Antiracisme
Pour tudier l'antiracisme au sein de notre corpus, nous avons labor notre propre
dfinition oprationnelle du concept dans la mesure o nous jugeons que certaines
dfmitions de l'antiracisme sont restreignantes (par exemple, chez Labelle (2010, p.
86
Considrant que notre corpus porte sur l'islam et sur les musulmans, il est normal que certains
termes provenant de notre quation( musulman et voile) occupent une place importante.
87
11 faut noter que cette liste n'est pas exhaustive, nous prsentons ici les termes les plus frquents en
lien avec notre mmoire.
60
88
L 'nonciate ur nuance ou prcise ses propos sur les musulmans ou l'extrmisme re li gieux.
89
L 'oonciateur reconnat la pluralit qui constitue l' islam ou les musulmans.
90
L'nonciateur condamne les situations ou les cas de discriminations/ingalits raciales dont sont
victimes les musumans.
61
(chacun des aspects tant rencontrs 22 fois) tandis que la condamnation des
discriminations et des ingalits raciales n'apparat que 11 fois. De plus, Je nombre et
le pourcentage de chroniques dans lequel les aspects de 1'antiracisme se retrouvent
sont galement rvlateurs. En effet, la non-homognisation est rencontre dans 20
chroniques (4,6%), la nuance se retrouve dans 18 chroniques (4,1 %) et la
condamnation des discriminations et des ingalits raciales est prsente dans 9
chroniques (2,1 %).
Nombre de Pourcentage de
Frquence chroniques dans chroniques dans
Aspects de l'antiracisme
totale lequel 1'aspect lequel l'aspect
apparat apparat
Non-homognisation 22 20 4,6%
Nuance 22 18 4,1%
Condamnation des discriminations et
11 9 2,1%
des ingalits raciales
Quant l'tude des cooccurrences, la figure 4.1 illustre les relations entre les aspects
de l'antiracisme et des thmatiques ou d'autres procds discursifs. la lecture de
cette figure, ajoutons que la relation entre la non-homognisation et l'extrmisme
religieux 91 est importante dans la mesure o cet aspect de l'antiracisme apparat sept
fois avec l'extrmisme religieux et treize fois sans celui-ci. Par ailleurs, soulignons
que 1' attnuation du racisme est un procd trs rare, celui -ci ayant t relev qu'
deux reprises dans notre corpus.
91
En utilisant l'expression extrmisme religieux , nous voulons signifier l' extrmisme religieux au
sens gnral.
62
Extrmisme religieux
92
Nous avons associ les tennes d' islamophobie , d' islamophobe , de racisme et de
raciste l'antiracisme puisque nous jugeons que Je contexte d'apparition de ces tennes nous
penn et de comprendre la place qu ' occupe, au sein de notre corpus, l'antiracisme et les critiq ues des
phnomnes racistes et islarnophobes.
63
Moi, c'est la menace d'islamophobie qui me fait grimper aux rideaux. Cette
insulte-l, les barbus la sortent ds que quelqu 'un critique l'Islam (Martineau,
2012a, p. 6).
Pour ce qui est des termes racisme (utilis 51 reprises) et raciste (employ
183 fois), ceux -ci sont beaucoup plus frquents que les vocables mentionns
prcdemment. La frquence plus importante de ces deux termes implique
videmment un contexte d'apparition plus diversifi. Les deux termes sont
notamment utiliss pour critiquer Je racisme des groupes ethnoculturels jugs comme
n'appartenant pas au groupe dominant (ou d' individus radicaux provenant de ces
groupes):
Vous vous posez des questions sur le port du voile? Vous tes raciste!
(Martineau, 2008e, p. 6)
64
Nombre de Pourcentage de
chroniques dans chroniques dans
Termes F rquence totale
lequel le terme lequel le terme
a arat a arat
Antiracisme 3 2 0,5%
Antiraciste 2 2 0,5%
Islamophobie 15 13 3,0%
Islamophobe 13 12 2,7%
Racisme 51 41 9,4%
Raciste 183 97 22,2%
93
La faible utilisation des termes islamophobie et islamophobe ainsi que la faible cooccurrence
de la thmatique de l'i slamophobie et du raci sme avec les aspects de l'antiracisme (plus
particulirement celle de la condamnation des discriminations et des ingalits) nous permet de
constater que les de ux termes sont rarement utiliss - voire aucunement utiliss - pour dcri er des
situations is lamophobes. Ce constat rejoint alors la thse d'Hajjat et Mohammed sur la di squalification
du terme islamophobie (2013 , p. 18-19) (voir section 2.1.2 et section 4.2. 1).
65
tudiant nos rsultats, nous pouvons remarquer que ce sont les aspects de
l'antiracisme exigeant le moins d'implications sociales qui sont les plus frquentes .
Le procd discursif le plus radical (condamnation des discriminations et des
ingalits raciales) est, quant lui, peu frquent. Ainsi, dans notre corpus, Martineau
adopte les stratgies antiracistes ncessitant le moins d' implication : les positions
dnonant clairement l'islamopbobie et le racisme tant rares. D'ailleurs, mme si
l'attnuation du racisme 94 est un procd apparaissant trs rarement (2 fois) , sa
cooccurrence avec la condamnation des discriminations et des ingalits raciales est
trs signifiante dans la mesure o dans chacune des chroniques o nous trouvons des
passages relevant de l 'attnuation du racisme, nous trouvons galement des passages
associs l'aspect antiraciste. L'ordre d'apparition est, lui aussi, important. En effet,
la condamnation des discriminations et des ingalits raciales prcde toujours
1'attnuation du racisme. Par consquent, par l'emploi d 'une posture antiraciste suivi
d 'une posture relevant du racisme, nous pouvons comprendre que le niveau
d'engagement qu'implique la condamnation des discriminations et des ingalits
raciales est contrebalanc par l'attnuation du racisme. Dans l'exemple suivant,
Martin eau commence sa chronique avec une condamnation vigoureuse d'un acte
islamopbobe pour ensuite conclure son texte avec une attnuation du racisme :
L ' acte de vandalisme qui a t commis dans une mosque de Saguenay, samedi
soir (on a lanc du sang d 'animal sur la faade et dpos un message haineux),
est ignoble, et j'espre que les auteurs de ce crime seront arrts et poursuivis
avec toute la puissance de la loi. [ ... ] Certains ditorialistes vont utiliser ce fait
divers pour dire que le Qubec est bel et bien raciste. Or, selon Statistique
Canada, 326 crimes haineux ayant pour motif la religion ont t commis au
Canada en 2011. De ceux-l, 78 ont t commis au Qubec, et 168 en Ontario.
Quant aux crimes haineux motivs par le racisme, il y en a eu 49 au Qubec, 74
en Alberta, 103 en Colombie-Britannique et 374 en Ontario. Alors, calmons-
nous le pompon ... (Martin eau, 2013 g, p. 6).
94
Par attnuation du racisme, nous vo ulons signifi er les passages de notre corpus qui diminue ou
relati vise 1'i mportan ce du racisme. Dans le cadre de notre recherche, nous jugeo ns que l'attnuation du
raci sme est un aspect de l'opposi tion aux concepts de racisme et d'islamophobie, procd discursif que
nous traiterons dans la sous-section 4.1.3.
66
Enfin, 1' observation des thmes cooccurrents avec la nuance est pertinente puisque
cette dernire est en relation avec l' extrmisme juif, chrtien et plus gnralement,
l'extrmisme religieux . La nuance, dans notre corpus, est donc fortement utilise
pour prciser les propos sur divers extrmismes religieux l'exception de
l'extrmisme islamiste. En effet, comparativement aux autres extrmismes religieux,
1' extrmisme islamiste cooccurre peu avec la nuance (c.j. : 0,050 95), et ce, alors que
notre corpus porte sur l'islam ou les musulmans. Ainsi, nous pouvons comprendre
que l'utilisation, dans notre corpus, d'un procd antiraciste est principalement
utilise pour prciser des positions sur les extrmismes religieux autres qu'islamistes.
Au sem de notre corpus, nous avons remarqu l' existence d'une opposition aux
concepts de racisme et d'islamophobie. Pour bien saisir les manifestations de cette
opposition, nous l'avons organis en divers aspects, soit le refus du racisme 96 ,
l'attnuation du racisme 97 , la justification du racisme 98, l' appui du groupe domin 9
,
100
l'absence de racisme , le comportement haineux d'un musulman ou d' une
101
musulmane et la critique ou commentaire jug raciste ou sexiste si formul par le
95
Mme si l'extrmisme islamiste entre en relation avec la nuance dix reprises, le faible coefficient
de Jaccard obtenu rsulte du fait que 1'extrmisme islamiste est frquemment rencontr sans la nuance
(18 1 passages) . Par consquent, l'extrmisme islami ste est rarement abord sous l' angle de la nuance,
Martineau prfrant adopter d' autres procds discursifs pour traiter de cette thmatique.
96
Refuser de reconnatre que les manifestations en question relvent du racisme.
97
Tenir des propos qui diminuent la grav it du racisme.
98
Lgitimer des actions qui, pour l' nonciateur, ne peuvent pas tre racistes. Par ailleurs, la
justification du racisme et le refus du raci sme sont vi demment li s. Toutefois, il fa ut comprendre que
le premier implique une argumentation contrairement au second. De plus, Je second cons idre que pour
une situation donne, il est impossible de concevo ir du racisme.
99
Acte ou propos non raciste puisqu ' un ou des membres du groupe domin pensent de la mme faon
que l'nonciateur. Par ailleurs, dans le cas de notre mmoire, le groupe domin relve des musulmans
et le gro upe dominant relve des Occidentaux.
100
Juger que les musulmans peroivent du racisme alors que l' nonciateur juge qu'il n'y en a pas.
101
Prsenter les comportements haineux profrs par des personnes pratiquant l' islam.
67
groupe dominant 102 . C'est par ces divers aspects que Martineau critique, rfute et
s'oppose aux concepts de racisme et d'islamopbobie.
Tableau 4.5 Frquence totale des aspects de l'opposition aux concepts de racisme
et d'islamopbobie
Nombre de Pourcentage de
Aspects de l'opposition
Frquence chroniques dans chroniques dans
aux concepts de racisme et
totale lequel!' aspect lequel l' aspect
d'islamophobie
apparat apparat
Appui du groupe domin 40 28 6,4%
Comportement haineux du
37 21 4,8%
musulman
Critique ou commentaire
jug raciste ou sexiste si
25 19 4,3%
formul par le groupe
dominant
Justification du racisme 17 16 3,7%
Refus du racisme 17 14 3,2%
Absence de racisme 5 5 1,1%
Attnuation du racisme 2 2 0,5%
102
Affirmation qui considre qu ' un comportement, propos ou attitude donn si mis par le groupe
dominant sera jug raciste ou sexiste alors que le mme comportement, propos ou attitude sera tolr si
m is ou tenu par le gro upe domin.
68
En ce qui a trait aux cooccurrences (au sem d'une mme chronique), celles-ci sont
mises en lumire via la figure 4.2. Nous pouvons alors comprendre que certains
aspects de l' opposition aux concepts de racisme et d'islamophobie entrent en relation
entre eux (tel que Je refus du racisme et 1' absence du racisme ainsi que la justification
du racisme et l'appui du groupe domin).
Critique ou commentaire
jug raciste ou sexiste Liben d'expression
si fo rmul par le selon le genre et l'origine
groupe dominant
Figure 4.2 Cooccurrences des aspects de 1' opposition aux concepts de racisme
et d' islamophobie
69
Pour comprendre ces divers rsultats, quelques pistes d'interprtation peuvent tre
prsentes. Tout d'abord, l'tude des frquences nous permet de constater que le
procd est relativement peu employ. Cela s'explique notamment par la faible
utilisation du terme islamophobie et, dans une moindre mesure, du vocable
racisme (section 4.1.2). Il est donc attendu que l'opposition aux concepts soit peu
utilis. Pour ce qui est des cooccurrences, nous jugeons certaines plus pertinentes que
d' autres dans la mesure o celles-ci nous offrent une meilleure comprhension de
notre corpus. Premirement, quelques aspects de cette opposition cooccurrent entre
eux, dont le refus du racisme et 1'absence de racisme. Cette relation illustre un
schme discursif dans la mesure o en critiquant le groupe domin de percevoir du
racisme o il n'y en aurait supposment pas, Martineau accorde de la crdibilit au
refus du racisme. En d'autres mots, en affirmant que les membres du groupe domin
crient inutilement au racisme, Martineau renforce sa conception qu'il n'y a pas de
racisme:
propos ou pratiques (racistes) justifies. Par consquent, lorsqu ' il y a articulation des
deux aspects de cette opposition, Martineau manipule l'appui de certains membres du
groupe domin pour parvenir des conclusions autres que celles pourquoi les propos
furent mis 103 :
(Notons que dans sa lettre, Madame Bdard ne mentionnait jamais que dans ma
chronique, j'crivais que mme l'Assemble musulmane canadienne critiquait
ce jugement insens! Cet organisme serait-il islamophobe lui aussi? Faudrait-il
le traner devant la Commission des droits de la personne?) [ ...] En d'autres
mots, nous sommes en dmocratie, et en dmocratie, on a pleinement le droit de
critiquer les religions, merci, bonsoir (Martin eau, 201 Og, p. 6).
103
Nous ne soutenons pas que Martineau manipule l' ensemble des propos m is par le gro upe domin.
Nous soutenons que seuls ceux mis au sei n d' une chronique qui prsente le schme discursif dcrit le
sont.
104
Le questionnement s' applique galement au droit de parole des hommes versus celui des femmes :
U ne question, comme a: si le citoyen de Port-Cartier avait eu le teint un peu plus bronz, et s' il
avait t un e femme plutt qu'un homme, l'aurait-on laiss parler? Je pense Chahdortt Djavann
(Martineau, 2007b, p. 6).
- - - - -- -- - - -- - -- - - - --
71
Dans notre analyse, l' islamophobie relve de onze logiques (ou mcanismes de
fonctionnement). Comme explicit dans notre cadre thorique, ces logiques se
rapportent, pour la plupart, la littrature scientifique sur le racisme et
l'islamophobie (seules la diabolisation, la hirarchisation, la possession de l'autre et
les strotypes ne sont pas reconnus dans la littrature comme tant des logiques de
l' islamophobie). Ainsi, pour cette analyse de notre corpus, douze codes furent crs,
soit:
l'homognisation 105 ;
l'essentialisation 106 ;
1'infriorisation 109 ;
la stigmatisation 110 ;
l'incompatibilit 111 ;
la diabolisation 11 2;
1es stereotypes
' ' 11 3
;
105
Gnraliser, rendre 1'en semble des musulmans semblables.
106
Attribuer un e nature aux musulmans et l' islam .
107
Considrer les musulmans comme tant di ffrents du groupe dominant.
108
Considrer les membres du groupe dominant comme tant diffrents du gro upe domin.
109
Ju ger infrieur ou diminuer les musulmans.
110
Mettre part (marginaliser) l' islam ou les musulmans.
111
Attribuer un caractre incompati ble 1' Occi dent l' islam ou aux musulmans.
112
Ju ger diabolique l' islam ou les mu sulmans.
11 3
Clichs ou ides arrtes sur l' islam ou les musulmans.
72
la possession de l'autre 11 5 ;
la hirarchisation 11 6.
Par 1' observation des frquences des logiques de 1'islamophobie (tableau 4.6), nous
pouvons constater une utilisation trs variable des diverses logiques rpertories.
Notons alors que cinq de ces mcanismes de fonctionnement islamophobes
apparaissent de faon abondante dans notre corpus. Ces procds sont
l'homognisation, la mise en place du groupe domin en situation d'altrit, la mise
en place du groupe dominant en situation d'altrit 117 , l' insulte et l'essentialisation.
Nombre de Pourcentage de
chroniques dans chroniques dans
Logiques de l'islamophobie Frquence totale
lequel la logique lequel la logique
apparat apparat
Homognisation 313 193 44,1%
Mise en place du groupe
268 136 31,1%
domin en situation d 'altrit
Mise en place du groupe
dominant en situation 151 74 16,9%
d'altrit
Insulte 136 87 19,9%
Essentialisation 126 86 19,6%
Diabolisation 70 53 12,1%
Hirarchisation 61 45 10,3%
Strotypes 47 39 8,9%
Incompatibilit 43 34 7,8%
Infriorisation 26 23 5,3%
Stigmatisation 17 17 3,9%
Possession de l'autre 13 12 2,7%
114
Propos offensants l'gard de l'islam ou des musulmans
115
Dfinir les musulmans comme tant la possession du groupe dominant
116
Organiser les musulmans selon une hirarchie.
11 7
Notons que la mise en place du groupe dominant en situation d'a ltrit est particulire dans la
mesure o cette logique apparat frq uemment dans notre corpus, et ce, dans un nombre relativement
restreint de chroniques.
73
L' tude de la distribution dans le temps des logiques nous permet d'mettre quelques
constats (tableau 4.7). Premirement, seule la moiti des douze logiques tudies se
retrouve chacune des annes constitutives de notre corpus. Deuximement, parmi
les logiques les plus utilises, seule la mise en place du groupe dominant en situation
d'altrit figure parmi les logiques qui ne sont pas prsentes chacune des annes
118
tudies Troisimement, pour plusieurs des procds, notons une hausse de leurs
utilisations en 2009, 2010, 2011 et 2013 119 Soulignons galement que 2011 implique,
gnralement, une hausse considrable de l'utilisation des procds.
Logiques de
2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
1' islamophobie
Homognisation 1,9% 11 ,5% 7,0% 15,0% 16,9% 22,4% 6,7% 17,3% 1,3%
Essentialisation 1,6% 13,5% 7,1% 11,1% 17,5% 13,5% 4,0% 27,0% 4,8%
Mise en place du
groupe domin en 1,5% 10,1 % 7,5% 10,1% 24,3% 22,0% 3,4% 20,1% 1,1%
situation d'altrit
Mise en place du
groupe dominant en 0,0% 11 ,3% 8,6% 14,6% 20,5% 19,2% 4,6% 21,2% 0,0%
situation d'altrit
Infriorisation 0,0% 3,8% 0,0% 26,9% 15,4% 19,2% 15,4% 19,2% 0,0%
Stigmatisation 5,9% 0,0% 17,6% 0,0% 29,4% 29,4% 5,9% 11 ,8% 0,0%
Strotypes 2,1% 12,8% 4,3% 10,6% 27,7% 25 ,5% 4,3% 8,5% 4,3%
Possession de
15,4% 0,0% 0,0% 23 ,1% 15,4% 7,7% 0,0% 38,5% 0,0%
l'autre
Insulte 0,7% 4,4% 6,6% 13 ,2% 23,5% 33,1% 7,4% 8,1% 2,9%
Incompatibilit 0,0% 9,3% 14,0% 7,0% 23 ,3% 16,3% 2,3% 25 ,6% 2,3%
Diabolisation 0,0% 12,9% 12,9% 7,1% 25 ,7% 21,4% 5,7% 12,9% 1,4%
Hirarchisation 3,3% 6,6% 6,6% 13,1% 19,7% 11,5% 9,8% 26,2% 3,3%
11 8
Toutefois, les annes o ce procd discursif est absent correspondent aux annes 2006 et 2014,
deux annes o nous avo ns rcolt peu de chroniques (la faible rcolte de chroniques s'expliquant par
le fa it que 2006 et 20 14 ne tiennent pas compte des annes compltes) (voir chapitre 3).
119
Notons que l'augmentation des procds peut s'exp liquer par le fa it que nous avons rco lt
davantage de chroniques en 2010 et 2013.
74
Au niveau des cooccurrences, les figures (4.3, 4.4, 4.5 et 4.6) illustrent les relations
importantes entre les logiques de l'islamophobie et les thmatiques de notre corpus.
1' exception de 1' essentialisation, nous remarquons que les quatre principales
logiques de fonctionnement de l'islamophobie (homognisation, mise en place du
groupe domin en situation d'altrit, mise en place du groupe dominant en situation
d'altrit et insulte) cooccurrent avec la thmatique de l'islamisme.
Accommodements
raisonnables
lslam
'---------"------
d'altrit
r-----------------~
Mise en place du groupe
dominant en situation d'altrit
75
Musulmans
Essentialisation
Musulmanes poTtant
le voile
Ils veulent instaurer un rgime islamiste partout sur la plante. Dtruire notre
systme, nos valeurs et notre civilisation (Martineau, 2013c, p. 6).
Mme si les musulmans (en gnral) sont eux aussi mis en situation d'altrit et ce,
en tant que groupe domin :
Mais qu'en est-il des pays musulmans? Respectent-ils la diffrence, eux? Sont-
ils "ouverts", "tolrants"? (Martineau, 2011a, p. 6),
l'intensit des cooccurrences (figure 4.4) nous dmontre que Martineau insiste
davantage sur le caractre distinct des islamistes. Quant la mise en place du groupe
dominant en situation d'altrit, ce procd entre galement en relation avec la
thmatique des valeurs. Par consquent, l' lment qui justifie une division entre le
groupe domin et le groupe dominant relve des valeurs :
78
Et pourquoi laisserait-on entrer des gens qui mprisent nos valeurs? (Martineau,
20llf, p. 6).
Martineau considre donc que le groupe dominant ne partage pas les mmes valeurs
que le groupe domin. Cela implique que chaque groupe (dominant et domins)
possde ses propres valeurs, valeurs qui ne sont pas forcment compatibles entre
elles. En ce qui a trait aux insultes, celles-ci cooccurrent majoritairement (figure 4.5)
avec l' islamisme. En effet, dans notre corpus, les principales cibles des insultes
mises par Martineau sont les islamistes. Il juge alors que les islamistes comme
n'tant pas digne de son respect, et ce, contrairement d'autres types de musulmans
(voir section 4.2.2). Par consquent, plutt que d'utiliser les mots les islamistes
pour dsigner ces derniers, Martineau emploie les expressions suivantes : [ ... ] les
fous d'Allah [ .. .] (Martin eau, 201 Oa, p. 6) ou [ ... ] les barbus [ ... ] (Martin eau,
2011h, p. 6). Ces insultes ne sont pas sans consquence dans la mesure o elles
ridiculisent des pratiques associes de nombreux musulmans : croyance en Allah et
port de la barbe. Mme si Martineau stipule qu ' il critique les islamistes (Martineau
201 Of, p. 6), les insultes qu 'il utilise laissent planer un doute en ce qui a trait leur
cible relle (les islamistes ou l'ensemble des musulmans). Enfin, l'essentialisation
s'associe la thmatique des musulmanes portant le voile ainsi que la thmatique des
musulmans. Ces cooccurrences nous dmontrent que l'essentialisation s'applique
principalement ces deux groupes sociaux. D'une part, les musulmanes portant le
voile ne sont dfinies que par le port de ce dernier. Par consquent, 1'identit de ces
femmes se limite au port d'un accessoire:
Non, je vous le dis, les femmes voiles ne savent pas quel point elles sont
privilgies (Martineau, 2009e, p. 6).
D 'autre part, les personnes pratiquant l'islam ne sont dfinies que par leur religion, le
vcu de ses personnes se restreignant leurs origines ou appartenances religieuses :
79
On ne pourra plus vendre d'albums punks chez certains disquaires sous prtexte
qu'ils choquent trop les clients musulmans? (Martineau, 20131, p. 6).
Dans notre analyse, nous avons tudi un procd discursif particulier, soit la
connotation ngative. Cette dernire relve de la connotation qui est [ .. .] le sens
produit par un mot en fonction d'un contexte particulier (Pilote, 2007, p. 37). Par
consquent, la connotation ngative est le sens produit par le mot et mne une
dvalorisation du terme qu'il accompagne.
Dans notre corpus, nous avons pu constater que la connotation ngative (lie l' islam
ou les musulmans) se retrouve dans 43 chroniques (9,8% des chroniques) et est
apparue 51 reprises . Par ailleurs, notons l'absence de connotation positive (qui est le
sens produit mne une valorisation du terme qu'il accompagne) pour traiter de
l'islam ou des musulmans.
L' tude des cooccurrences (figure 4.7) nous permet de comprendre que le procd
entre principalement en relation avec deux thmatiques. Plus prcisment, la
connotation ngative cooccurre avec l'islamisme 29 reprises et avec le voile 23
repnses.
Connotation ngative
Ces divers rsultats nous conduisent mettre quelques pistes de recherche. Tout
d'abord, l'observation des frquences nous permet de constater que la connotation
ngative n'est pas le mcanisme discursif le plus employ pour traiter de l'islam ou
des musulmans. Cependant, le procd acquiert de l'importance dans la mesure o le
procd inverse (la connotation positive) n'est aucunement utilis pour traiter de
l' islam ou des musulmans . Nous pouvons donc comprendre que Martineau a tendance
dvaloriser l'islam ou les musulmans dans 10% (9,8%) des chroniques, et ce, sans
laisser d'espace une valorisation de l'islam ou des musulmans. Quant l'tude des
cooccurrences, les rsultats obtenus sont trs signifiants dans la mesure o la
connotation ngative a principalement t observe lorsque Martineau abordait le
voile et l'extrmisme islamiste. Dans le premier cas, la connotation se manifeste
comme suit : :
4.1.6 Attribution 12 1
Dans notre analyse 122 , nous divisons l'attribution en deux ples : la singularisation 123
et la collectivisation 124
la lecture du tableau 4.8, nous pouvons constater que l'attribution est un procd
discursif trs peu utilis. En effet, la singularisation apparat 21 fois dans notre corpus
tandis que la collectivisation est rencontre 12 reprises.
Pourcentage
Nombre de
de
chroniques
Frquence chroniques
Ple de l'attribution dans lequel
totale dans lequel
le ple
Je ple
apparat
apparat
Singularisation 21 7 1,6%
Collecti visation 12 9 2, 1%
En tudiant les cooccurrences (fi gure 4.8), nous pouvons observer que les deux ples
entrent en relation avec quelques thmatiques. Toutefois, l'un des liens les plus
intressants relve de la cooccurrence entre les deux ples. En effet, au sein d'une
12 1
Pour dvelopper notre concept de l'attributi on, nous nous inspiro ns notamment des rfl exions de
Eid sur l'expli cati on diffrentiali ste des comportements des membres du groupe dominant et des
membres du groupe domin (Eid, 20 15, p. 27). Toutefois, nous reconnaissons que des thories
similaires ont t dveloppes en psychologie sociale.
122
Il fa ut noter que notre analyse ne porte pas sur les actes comm is et le contexte social, politque et
cul turel sous-j acent ces derni ers : notre analyse porte plutt sur le traitement mdiatique et di scursif
de ces actes . En d' autres mots, nous nous intressons aux traitements diff rentiels de la reprsentation
des actions, comportements ou propos entre le groupe dom in et le groupe dominant dans les
chroniques de Richard Martineau. Nous ne nous intressons donc pas aux fo ndements et contextes
sociaux qui pem1ettent ces actions, comportements ou propos de se produire.
123
Attributi on d' un caractre singulier un action, comportement ou propos (par exempl e, un crime li
la fo li e indiv iduell e)
124
Attri bution d' un caractre collectif un actio n, comportement ou propos (par exemple, un crime li
la culture)
82
Comportement haineux
du mu sulman
Loups solitaires
Quoi qu'en pensent ces lecteurs, les terroristes catbos sont des lectrons libres,
alors que de 1'autre ct, on a affaire une vritable sous-culture de la
baine. Non seulement des pays en bonne et due forme appuient ouvertement
l'islamisme, allant jusqu' souhaiter l' islamisation de l'Occident et la
destruction d'Isral (sans parler de l'extermination des homosexuels et la
domination des femmes), mais plusieurs imams qui ont minaret sur rue ont
ouvertement appuy le fanatisme islamique. Contrairement Breivik, qui a agi
titre personnel, les barbus qui se font sauter font partie d'un mouvement
international qui est nourri, encourag et parfois mme FINANC par des
individus, des groupes et des tats. (Martineau, 20llc, p. 6).
Kingston, trois jeunes musulmanes de 19, 17 et 13 ans ont perdu la vie aprs
avoir t pousses dans un canal par des membres de leur famille qui
n'approuvaient pas leur mode de vie occidental. " C'est une exception, il ne faut
pas gnraliser. .. Mississauga, une jeune Ontarienne originaire du Pakistan a
t trangle par son pre et son frre parce qu'elle refusait de porter le bidjab.
''C ' est une exception, il ne faut pas gnraliser .. . ' ' Buffalo, une musulmane
de 37 ans qui tait sur le point de divorcer a t dcapite par son mari. " C'est
une exception, il ne faut pas gnraliser. .. " (Marti neau, 201 Oe, p. 6)
84
Voici ce que dit .Amnjstie internationale des crimes d'honneur: "Les crimes
dits d 'honneur sont une pratique ancienne consacre par la culture et enracine
dans un code complexe, qui permet un homme de tuer une femme de sa
famille pour cause de comportement jug immoral. .. " Une pratique consacre
PAR LA CUL TURE. Pas un accs de folie spontan. Ou un simple fait divers
qui ressemble n'importe quel autre meurtre ... (Martineau, 2009d, p. 6).
Dans l'exemple prcdent, Martineau insiste sur le caractre culturel (utilisation des
majuscules) du crime dit d'honneur, et ce, en refusant toute possibilit que le crime
puisse appartenir l'individu qu'il l'a commis. Enfin, la collectivisation cooccurre
avec la thmatique des loups solitaires. Notons alors que cette cooccurrence se
retrouve notamment dans une chronique o Martineau critique le concept de loups
solitaires, jugeant que ces derniers s'inscrivent dans un mouvement collectif. Pour
justifier sa critique, Martineau emprunte une expression lizabeth Lvy :
"a prend combien de loups solitaires pour qu'on commence parler d'une
meute?" (Lvy dans Martineau, 2013e, p. 6).
Dans cet exemple, nous pouvons comprendre que, pour Martineau, les cnmes
commis par des membres du groupe domin sont forcment culturels, la simple
possibilit qu'un membre du groupe domin ait agi seul est rfute.
85
125
Dans notre corpus, l'argument d'autorit se manifeste gnralement sous la forme
126 127
de discours direct (par exemple, une citation) ou discours indirect (par exemple,
128
reformulation des propos) . Notons alors que pour chacune des traces du discours
rapport (procd interdiscursif), nous avons valu comment Martineau se
positionne face aux discours qu ' il rapporte, et ce, en y associant trois types de
positions : adhsion de l'nonciateur la citation ou au propos, non-adhsion de
l'nonciateur la citation ou au propos, absence de position de l'nonciateur face la
citation ou au propos.
125
L'argument d'autorit [ ... ] utilise des actes ou des jugements d' une personne ou d' un groupe de
personnes comme moyen de preuve en faveur d' une thse (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008, p.
41 J)
126
Le di scours direct permet au di scours d' autrui d'tre rapport directement, tel qu ' il a t prononc
ou conu, sans aucune prise en charge de l'nonciateur, le deux discours restant indpendants l' un de
l'autre (Pi lote, 2007, p. 32)
127
Le discours indirect consiste, pour l'nonciateur, reform uler les propos d'autrui dans ses propres
mots [ .. . ] (ibid., p. 33)
128
Notons que ces deux types de di scours rapports peuvent tre utiliss sans l' argument d'autorit.
86
Nombre de
Pourcentage de
chroniques
Argument d'autorit et traces du Frquence chroniques dans
dans lequel
discours rapport Totale lequel l' aspect
l'aspect
apparat
apparat
Argument bas sur l'autorit 484 213 48 ,6%
Discours direct 444 211 48,2%
Discours indirect 104 79 18,0%
Nombre de Pourcentage de
Frquence chroniques dans chroniques dans
Positions de l'nonciateur
Totale lequel la lequel la
position apparat position apparat
Adhsion de l'nonciateur la citation
255 146 33,3%
ou au propos
Non-adhsion de l'nonciateur la
202 123 28,1%
citation ou au propos
Absence de position de l'nonciateur
67 48 11 ,0%
face la citation ou au propos
Pour ce qui est de l'tude des cooccurrences, les figures 4.9, 4.10 et 4.11 nous
indiquent avec quoi cooccurrent l'argument d'autorit, les traces du discours rapport
et les positions adoptes par Martineau. Notons, encore une fois , que la thmatique de
l'islamisme entre en relation avec l'argument d'autorit, le discours direct, l'adhsion
et la non-adhsion de l'nonciateur la citation ou au propos.
87
( Discours direct )
Adhsion de t'nonciateur
la citation ou au propos
Absence de position
de l'nonc iateur face la
citation ou au propos
du racisme. Par consquent, 1'islamisme est trait la fois par des citations auxquels
Martineau est favorable et des citations auxquels il est dfavorable (Martineau
emploie donc des citations de personne critique de l'islamisme et des citations
prononces par des personnes lies l'islamisme) :
Comme 1'a dit trs justement Caroline Fourest (l'intellectuelle franaise qui
prend la dfense d'Hrouxville dans son dernier ouvrage, La dernire utopie),
"Tariq Ramadan est un poseur d'ides dangereuses, un chef de guerre qui fait
avancer l'intgrisme en France. Les gauchistes et les militants antiracistes lui
pardonnent des propos qu'ils ne pardonneraient pas une seconde un intgriste
chrtien" (Martineau, 2009h, p. 6).
Hassan el-Banna est clbre pour avoir dj dclar : "Allah est notre but. Le
prophte est notre exemple. Le Coran est notre constitution. Le djihad est notre
chemin. Le martyr est notre dsir. " Sympathique, non? (Martineau, 2013b, p.
6) .
Notons galement que lorsque Martineau utilise des citations portant sur le voile,
celles-ci correspondent majoritairement sa position tandis que les citations portant
sur l 'islamophobie et le racisme ont tendance ne pas concider avec ses
positions 129 :
Le problme, c'est le voile, point. Comme l'a crit Taslima Nasreen, crivaille
bangladaise menace de mort par une fatwa : "L' hidjab islamiste est un
uniforme intgriste, comme le furent par le pass la chemise brune ou noire ... ''
(Martineau, 2010b, p. 6)
129
Comme mentionn prcdemment, l' islamophobie et le racisme sont abords sous l'angle de la
critique.
90
Dans cette section, nous prsenterons trois pistes d'interprtations globales, celles-ci
articulant divers procds discursifs entre eux. La premire piste porte sur
l'articulation entre l'argument d'autorit, l'antiracisme et l'opposition aux concepts
de racisme et d'islamophobie tandis que la seconde traite de la hirarchisation des
musulmans au sein de notre corpus. La troisime piste, quant elle, articule
l'argument d'autorit la hirarchisation.
''Les islamistes radicaux ont innov, crit Boualem Sansal. Ils ne se contentent
plus d'intimider ou de menacer : prenant exemple sur les Amricains, ils
recourent aux tribunaux, qu'ils saisissent tout bout de champ, pour tout
propos qui leur dplat et qu'ils qualifient d'islamophobe, d'anti-arabe, de
discriminatoire, de diffamatoire, etc.'' (Martin eau, 20 13k, p. 6)
130
Lors de notre anal yse, nous avo ns associ la thmatique de l'is lamophobi e et du racisme les
passages relevant de ces phnomnes, et ce, sans que les tem1es islamophobie et islamophobe
soient utiliss.
92
Dans un ditorial publi sur le site Atlas.Mtl quelques jours aprs la sortie
remarque de la dpute, Abdelghani Dades a rpondu Monique Richard. ''La
dpute a tenu un discours tout ce qu'il y a de plus raciste, sans honte, sans
gne, suintant l'islamophobie la plus crasse", a-t-il crit. Monique Richard est
raciste parce qu'elle a pourfendu les intgristes et moi je suis nazi parce que je
trouve que les accommodements draisonnables divisent les communauts
culturelles plus qu'ils ne les rassemblent! H bien .. . (Martineau, 2013f, p. 6))
13 1
La chronique Un geste dgueulasse (Marti neau, 20 13g, p. 6) illustre bien l'ambigut qu 'occupe le
concept d' islamophobie chez Martineau. En effet, la chronique traite d' un acte islamophobe sans que
93
les mots islamophobie et islamophobe soient utiliss. Notons gal ement, au sein de cette
chronique, 1' utilisation des propos de Caroline Fourest pour traiter du racisme an ti-arabe et du droit de
critiquer les islamistes.
94
Au sommet de la hirarchi e figure la catgorie des femmes d' origine musulmane qui
s' affichent publiquement contre le voile et l' islamisme, telles que Djemila Benbabib,
Chahdortt Djavann, Ayaan Hirsi Ali, Irshad Manji et Taslima Nasreen (Martineau,
2010d, p. 6). Cette figure est au sommet de la hirarchie dans la mesure o Martineau
traite de ces femmes de faon positive, c'est--dire par le biais d'un lexique
apprciatif132 . D'ailleurs, ce procd discursif cooccurre avec la thmatique des
musulmanes (c.j. : 0,130) 133 . Notons galement que le lexique apprciatif est
rencontr 43 reprises dans notre corpus (7,8% des chroniques). Enfm, divers
exemples permettent d'illustrer la relation entre ce type de musulman et le lexique
apprciatif:
Les musulmanes courageuses qui ont crit des lettres ouvertes dans les journaux
et publi des bouquins pour dire qu 'elles ont t forces de porter le voile, elles
ont la berlue elles aussi? (Martineau, 2008g, p. 6).
132
Le lexique apprciatif prsente ce qu ' il dsigne d'une manire favorable, valori sante (Pilote,
2007, p. 38). Par ailleurs, le lexique apprciatif est la signification textuelle du mot tandis que la
connotation relve du sens impli cite (ibid. , p. 37).
133
Mme si la thmatique des musulmanes englobe une pluralit de fem mes, nous pouvons remarquer
que lorsque le lex ique apprciatif entre en relation avec la thmati que des musulmanes, ce sont les
femmes d'origine musulmane qui s'affichent publiquement contre le voile et l' islamisme qui sont
traites par un lex ique apprciatif.
95
Pour chaque musulman pur et dur, il y a des milliers d'Amine qui ne rvent que
d'une chose : mener une vie normale. Dans le respect des valeurs de la socit
d'accueil (Martineau, 2007a, p. 6).
Chaque fois que je vois le monde musulman s'enflammer pour des niaiseries, je
me pose toujours la question : ''Mais o sont les modrs? Pourquoi ne
condamnent-ils pas ces flambes de violence? Aprs tout, qui ne dit mot
consent... (Martineau, 2012c, p. 6).
134
Donner une image positive du groupe dom in.
135
Reconnatre que le groupe domin est acti f politiquement.
136
Juger que le groupe domin est inactif politiquement
96
Ce n'est pas lui qui fait couler du sang. Ce sont les musulmans extrmistes ... et
leurs allis modrs qui gardent le silence et refusent de les condamner
(Martineau, 2012b, p. 6) .
C'est comme a que les gangs de rue -et les barbus - fonctionnent. Ils
"achtent" le respect coups de fusil.. . (Martineau, 201 Oa, p. 6).
137
Cette binarit provient d'un ouvrage de Mahmood Mamdani (2004) intitul Good Muslim, Bad
Muslim. America, the Cold War, and the Roots ofTerror. Cet ouvrage a notamment inspir la rflexion
de Shryock sur l' islamophilie (201 0, p. 9; 2013, p. 161).
97
binaire des musulmans a pour effet de responsabiliser les soi-disant bons musulmans
des actes des soi-disant mauvais musulmans :
lndeed, the most crucial task assigned to the good Muslim by the larger society
is to oppose bad Muslims, to reject them, expose them, denounce them,
reeducate them, turn them in, and apologizefor their misdeeds. Failure to carry
out this mission will turn good Muslims into bad ones (Shryock, 2013, p. 161).
Ainsi, ceux qui ne respectent pas leurs responsabilits (par exemple, les musulmans
qui ne condamnent pas publiquement les islamistes) deviennent de mchants
musulmans. Enfin, Shyrock dnote : [ ... ] the resemblance between the good
Muslim and the good citizen of the liberal democratie state [ .. .] (ibid., p. 162).
Nous pouvons alors comprendre que les soi-disant bons musulmans sont reprsents
comme partageant les mmes principes et valeurs que le groupe dominant. Autrement
dit, ils sont de bons musulmans de par leurs ressemblances au groupe dominant. Nous
considrons alors que l'islamophilie est aussi perverse et raciste que 1' islamophobie
dans la mesure o pour tre considr comme tant un bon musulman, les musulmans
doivent, d'une certaine faon, s'manciper de l' islam, notamment en la critiquant et
en tendant ressembler aux membres des socits occidentales (groupe dominant).
L'islamophilie implique donc, implicitement, une comprhension de l'islam et des
musulmans (non mancips) comme tant rtrogrades et dominer.
Ici, nous aborderons l'articulation entre l' argument d' autorit et la hirarchisation des
musulmans. Cette articulation est possible puisque deux des quatre figures
constitutives de la hi rarchie prsente prcdemment sont frquemment utilises
pour appuyer l'argumentaire de Martineau. Par consquent, nous jugeons pertinent de
prsenter cette articulation ainsi que ses impacts.
98
Comme mentionn dans la section prcdente (4.1. 7), Martineau utilise frquemment
l'argument d' autorit pour dvelopper ses raisonnements. Il prsente alors des
citations auxquelles il adhre (sur le voile et l' islamisme) ainsi que des citations
auxquels il s'oppose (islamisme et islamophobie). Par ailleurs, l'tude des
cooccurrences nous a permis de constater que l'argument d' autorit entre en relation
avec deux groupes sociaux, soit les islamistes 138 (c.j. :0,348) et les musulmanes
(c.j. :0,183). Notons alors que ces deux groupes sociaux correspondent deux des
quatre figures prsentes au sein de la hirarchie, c'est--dire les femmes d' origine
musulmane qui s'affichent publiquement contre le voile et l'islamisme ainsi que les
islamistes. Par consquent, nous pouvons comprendre que les propos des femmes
d' origine musulmane qui s'affichent publiquement contre le voile et l'islamisme sont
emprunts pour critiquer le voile et l' islamisme (propos auxquels Martineau adhre)
tandis que les propos des islamistes sont utiliss pour dmontrer les ides que ces
derniers prconisent (propos auxquels il n' adhre pas). Dans le premier cas,
Martineau critique le voile et l' islamisme par le biais des propos des femmes
d'origine musulmane qui s'affichent publiquement contre le voile et l' islamisme:
Chahdortt Djavann, une crivaine iranienne qui se bat contre le port du voile en
France, crit: "Les politiciens qui n'osent pas se prononcer en faveur d'une loi
contre les signes religieux, de peur d'humilier telle ou telle partie de la
population, me mettent en colre. Des dizaines d'associations de femmes
d' origine maghrbine demandent qu ' il y ait une loi. Elles disent : Il ne faut pas
accepter le voile l'cole, sinon on ne pourra plus ne pas le porter. ''Tolrer des
lves voiles ne fait qu 'aggraver leur situation. Ces personnes n'ont pas pens
que le fait de tolrer des jeunes filles voiles l'cole ne ferait qu ' accrotre la
pression sur les musulmanes ... '' (Martineau, 2008h, p. 6)
Il pourrait lire les crits d'Azar Majedi, prsidente pour l' Organisation pour la
libration des femmes en Iran: " Je suis contre le voile, qui est l'outil et le
symbole de l' oppression et de l'asservi ssement de la femme, dit-elle. Le voile
est devenu la bannire du mouvement islamique." (Martin eau, 20 12d, p. 6)
138
Nous sommes conscientes que la thmatique de 1' islamisme comprend la fois les islamistes
comme groupe soc ial et 1' islamisme comme enj eu politique
~-~---~ ~-- - -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
99
Par l'emploi des propos de ces femmes, Martineau accorde de la crdibilit ses
propos sur le voile et l'islamisme dans la mesure o l'appui du groupe domin ses
propos dmontre, selon lui, que ses conceptions sur Je voile et l'islamisme ne sont ni
racistes ni islamophobes :
Dans le second cas, Martineau emploie les propos des islamistes pour dmontrer que
ce mouvement politique est nfaste pour les socits :
L ' utilisation des propos des islamistes a pour effet de prsenter l'islamisme comme
tant un vritable danger et non pas qu'une crainte sans fondement dveloppe par
certains islamophobes . En employant les propos des islamistes, Martineau accorde
donc de la vracit son argumentaire sur ces derniers.
Pour conclure, l 'emploi des propos de deux des figures de la hirarchie pour assurer
de la crdibilit aux arguments avancs n 'est pas sans consquence. Tout d'abord,
notons que Martineau instrumentalise le vcu et le savoir des femmes d'origine
musulmane qui s'affichent publiquement contre le voile et l'islamisme, et ce, des
fins politiques (islamophobes). En effet, le vcu et le savoir de ces femmes sont
utiliss pour dmontrer le caractre misogynique et violent de l' islam 139, et ce, en
comparaison au caractre moderne et universel de l' Occident 140 (Razack, 2011, p.
104). Toutefois, le problme de la violence l'gard des femmes n'est pas propre
1' islam, mais plutt propre aux socits patriarcales (englobant autant les socits
139
Comme mentionn dans la section 2.1.6, les crits de ces femmes sont frquemment truffs
d'inexactitudes en plus de prsenter des strotypes et des gnralisations (J elodar et al. , 20 14, p. 215).
Par aill eurs, Hammer juge qu ' il n'est pas v ident de dterminer si ces femmes adhrent rellement
l' islamophobie ou si elles instrumentalisent Je phnomne des fins fi nancires ou carriristes
(Hammer, 20 13, p. 129-130).
140
Pour Razack, ce caractre moderne et uni versel de l'Occident se manifeste travers la figure de
l'Europen civilis( [ ... ] civilized Europeans [ .. . ] (201 1, p. 5 et p. 104), figure en opposition
celle de l' honu11e musulman dangereux( [ . .. ] dangerous Muslim man[ ... ] (ibid., p. 5) et celle de
la femme musulmane en dtresse ( [ ... ] imperilled Muslim woman [ ... ] (idem) (voir section 2.1.8).
101
4.2.4 Conclusion
Et aprs a, on me dira que toutes les musulmanes se voilent par choix, comme
la fille qu ' on a vue Tout le monde en parle. En passant, une question, comme
a ... Si le Coran affirme que les femmes doivent toutes porter le voile pour ne
pas susciter le dsir des hommes -qui sont tous des pervers immondes et des
violeurs en puissance, comme tout le monde le sait -, voulez-vous me dire
pourquoi certaines filles voiles se maquillent comme si elles taient des top
models? Ce n'est pas un peu contradictoire? quoi a sert de cacher
pudiquement tes cheveux, si c'est pour te maquiller comme une vamp et battre
des cils comme une biche? (Martineau, 2013i, p. 6)
103
Ainsi, nous pouvons comprendre que l'argument d'autorit est utilis, dans les
chroniques de Martineau, non pas des fins informatives, mais plutt des fins
politiques.
CONCLUSION
Pour conclure, dans ce mmoire, il fut question de l'islamophobie en lien avec des
manifestations discursives et mdiatiques. Ainsi, dans ce travail, nous avons tudi
les discours mdiatiques sur l'islam ou les musulmans au sein de la presse crite. Plus
prcisment, nous avons analys 438 chroniques publies par Richard Martineau
mentionnant ou traitant de l'islam ou des musulmans au sein du Journal de Montral,
et ce, entre novembre 2006 et avril2014.
Dans notre mmoire, l'une des principales limites rencontres relve de la tension
entre une critique lgitime (ou pertinente) de l'islam (ou de l' islamisme), la libert
d' expression et l'islamophobie. Comme l'affirment Hajjat et Mohammed:
105
Dans le prermer chapitre, nous avons prsent notre objet de recherche, notre
problmatique ainsi que nos questions de recherche. Plus prcisment, nous avons
conceptualis et problmatis l'islamophobie. Dans ce chapitre, nous avons
notamment dfini notre objet de recherche (les discours d'opinions mdiatique sur
l'islam et les musulmans), nous l'avons circonscrit dans le temps (novembre 2006
avril 2014) et l'espace (grande rgion montralaise). De plus, nous avons prsent sa
pertinence sociale et scientifique. Par ailleurs, dans notre problmatique, nous avons
106
explicit deux tendances qui tentent de comprendre le rle jou par les mdias dans la
reproduction et la production de l'islamophobie : certains auteurs jugeant que les
mdias ne font que reproduire le phnomne tandis que d'autres auteurs considrent
que les mdias produisent et reproduisent l' islamophobie. L'enjeu de notre
problmatique est alors de comprendre la relation entre les mdias et l'islamophobie.
Nos qu estions de recherche, quant elles, relvent de cet enjeu : nos questions tentent
de saisir le fonctionnement des discours de Richard Martineau mentionnant ou
traitant de l'islam ou des musulmans publis dans Le Journal de Montral entre
novembre 2006 et avril 2014 ainsi que les ides qu'ils vhiculent. Par consquent,
nous cherchons comprendre l'articulation de ces discours mdiatiques
l' islamophobie.
Dans le second chapitre, nous avons examin la littrature sur l'islamophobie, nous
avons prsent notre cadre thorique et nous avons dvelopp nos hypothses de
recherche. L'objectif de ce chapitre tait alors de thoriser l' islamophobie la
lumire des recherches produites sur le sujet et de prendre position par le biais de
notre cadre thorique ainsi que de nos hypothses de recherch e. Dans le cadre de
notre revue de littrature, divers sujets lis l'islamophobie furent explors.
L'islamophobie est un terme ayant apparu dans les premires dcennies du 20e sicle,
et ce, mme s'il suscite toujours de nombreux dbats au sein de la littrature (par
exemple, concept jug trop flou ou trop restreint, relation ambigu avec le racisme).
De plus, dans la littrature scientifique, nous avons not l'existence d 'une pluralit de
dimensions associes 1'islamophobie, de dfinitions, de logiques, de manifestations
et de strotypes. Au niveau thorique, nous avons relev trois principaux courants
thoriques de nature critique: les thories associant l'imprialisme l' islamophobie,
les thories lies la pense dcoloniale et enfin, les thories sur l' islamophobie
genre. Quant au niveau empirique, nous avons prsent divers travaux sur
l' islamophobie mdiatique, soit ceux de Geisser, Baker et al., Poole, Richardson,
Manning, An toni us et al. ainsi qu ' Antonius. En ce qui a trait notre cadre thorique,
107
nous avons dfini l'islamophobie, justifier notre emploi du terme, en plus d' expliciter
les liens entre 1' islamophobie et le racisme, 1'islamophobie et l' imprialisme ainsi que
l' islamophobie et l'orientalisme. Enfin, nos deux hypothses de recherche prsentes
tentaient de rpondre nos questions de recherche, et ce, la lumire de nos lectures
sur le phnomne de l'islamophobie 141
Enfm, dans le quatrime chapitre, nous avons prsent, analys et interprt les divers
rsultats que nous avons obtenus. Dans un premier temps, nous avons trait de nos
interprtations dites locales, celles-ci portant sur les thmes et termes prsents dans
notre corpus, l'antiracisme, l'opposition aux concepts de racisme et d' islamophobie,
les logiques de l' islamophobie, la connotation ngative, l'attribution ainsi que
l' argument d'autorit. Dans un second temps, nous avons abord nos interprtations
dites globales, celles-ci tentant d' articuler divers procds e11tre eux. Nous abordons
alors l'articulation entre l' argument d' autorit et l'opposition aux concepts, la
hirarchisation des musulmans ainsi que 1'articulation entre cette hirarchisation et
l' argument d'autorit. Dans les deux cas, divers rsultats furent obtenus. Ici, nous
prsenterons les faits saillants de notre tude :
14 1
Nos hypothses seront dtaill es dans la prochaine section (section 5.3).
108
Malgr le fait que notre corpus porte sur l'islam ou les musulmans,
l'antiracisme (en tant que terme et en tant que stratgie discursive) apparat de
faon minime dans notre analyse.
L'argument d'autorit n'est pas utilis des fins antiracistes, il est plutt
utilis des fins d'opposition aux concepts de racisme et d' islamophobie. En
effet, nous pouvons constater que les citations utilises (que Martineau y
adhre ou non) ont pour fonction de critiquer et de contreargumenter
systmatiquement les phnomnes du racisme et de l' islamophobie.
109
Dans cette section, nous reviendrons sur nos questions et hypothses de recherche.
Tout d'abord, dans le cadre de notre mmoire, nous avons formul deux questions de
recherche. Nous cherchions donc saisir les logiques de fonctionnement des discours
de Richard Martineau sur l' islam ou les musulmans dans Le Journal de Montral
ainsi que les ides sous-jacentes.
Pour rpondre ces questions de recherche, deux hypothses ont t mises : ces
dernires considraint que les discours tudis fonctionnaient l' l'homognisation,
l'essentialisation, l' infriorisation, la diabolisation ainsi qu' la stigmatisation de
l' islam ou des musulmans, et ce, tout en vhiculant que l'islam est une religion
110
dangereuse, les hommes musulmans sont des tres violents, patriarcaux et terroristes
tandis que les femmes sont perues comme tant soumises et voiles.
la lumire des rsultats obtenus dans le chapitre 4 ainsi que des faits saillants
prsents dans la section prcdente, nous pouvons comprendre que nos hypothses
ne sont pas tout fait corrobores. Plus prcisment, certaines des ides mises dans
nos hypothses sont rencontres alors que d'autres ne sont pas prsentes dans les
rsultats obtenus. Premirement, dans nos deux hypothses, nous soulignons que les
discours de Richard Martineau tudis empruntent les logiques de 1'islamophobie
(homognisation, essentialisation, infriorisation, diabolisation et stigmatisation).
Les rsultats obtenus confirment cette partie de nos hypothses. En effet, nous avons
pu observer ces cinq logiques dans notre corpus. Toutefois, certains de ces
mcanismes de fonctionnement sont peu investis dans son discours (notamment
l'infriorisation, la diabolisation et la stigmatisation). Nous pouvons alors remarquer
que ce sont des logiques telles que l'homognisation, la mise en place du groupe
domin ou dominant en situation d'altrit, l' insulte et l'essentialisation qui sont
davantage employes, soit des logiques ayant un racisme subtil et non vident. En
somme, nous pouvons affmner que les discours tudis empruntent des logiques de
1' islamophobie. Deuximement, nos hypothses soulvent que les chroniques
constitutives de notre corpus prsentent des strotypes islamophobes. Or, mme si
notre tude observe une utilisation de strotypes et une organisation hirarchique des
musulmans (quatre figures strotypes), ces strotypes ne correspondent pas ceux
de notre hypothse. l'exception des amalgames provenant de la connotation
ngative (qui implique que l'islam est une religion dangereuse en associant un de ses
symboles (le voile) l' islamisme et l'ensemble des musulmans l'extrmisme), les
hommes musulmans ne sont pas particulirement reprsents comme tant violents,
patriarcaux et terroristes et les femmes musulmanes ne sont pas perues comme tant
soumises et voiles. Au contraire, l'une des figures constitutives de la hirarchie
(figure 1, voir section 4.2.2 et 5.2) prsente de nombreuses musulmanes comme tant
111
Dans le cadre de nos prochaines recherches, divers enjeux lis l' islamophobie dans
les discours d'opinions mdiatiques seraient pertinents traiter et analyser.
Troisimement, dans la prsente tude, nous n'avons pas analys l' iconographie.
Toutefois, comme le dmontre Antonius et al. (2008, p. 22), l'iconographie joue un
rle important dans Le Journal de Montral. Par consquent, une telle analyse
jumele notre tude sur les chroniques de Richard Martineau produirait une
recherche plus complte.
Enfin, compte tenu du fait que Martineau accorde une place et un pouvoir d'action
importants certains musulmans, une tude sur la reprsentation de l'agentitvit des
musulmans au sein des divers quotidiens de la presse crite qubcoise serait
pertinente. Nous pourrions alors valider ou invalider certains strotypes recenss
dans la littrature scientifique, et ce, la lumire du cas qubcois.
Enfm, notre mmoire a tabli que les chroniques de Richard Martineau mentionnant
ou traitant de l'islam ou des musulmans publies dans Le Journal de Montral,
s'articulent l'islamophobie mdiatique qubcoise, et ce, mme si elles empruntent
des fonctionnements discursifs subtils, normaliss et inconscients. Toutefois, cette
articulation n'est pas sans consquence dans la mesure o nous concevons
l' islamophobie comme participant un projet imprial. Ainsi, dans notre corpus,
113
Antiracisme :
Argument bas sur l'autorit : L'argument d'autorit [ ... ] utilise des actes ou des
jugements d'une personne ou d'un groupe de personnes comme moyen de preuve en
faveur d'une thse (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008, p. 411)
Attribution :
Connotation ngative: Sens implicite (ngatif)( sens produit par un mot en fonction
d 'un contexte particulier (Pilote, 2007, p. 37) d'un mot.
Inactivit du groupe domin : Juger que le groupe domin est inactif politiquement.
Lexique apprciatif: Le vocabulaire d'un texte est apprciatif [ ... ] quand il prsente
ce qu'il dsigne d ' une manire favorable, valorisante (Pilote, 2007, p . 38).
Logiques de l'islamophobie :
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