Auto-empathie-Philippe-Beck

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Philippe Beck

Auto-empathie

L’art de se connecter à soi-même

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Du même auteur, aux éditions Jouvence
Éduquer sans punition, 2013

Catalogue gratuit sur simple demande


ÉDITIONS JOUVENCE
Rue François-Perréard 20 - CP 227
1225 Chêne-Bourg — Suisse
Site internet : www.editions-jouvence.com
Mail : [email protected]
© Éditions Jouvence, 2016
© Édition numérique Jouvence, 2016
ISBN 978-2-88905-354-4
Mise en pages : Sir
Couverture : Éditions Jouvence
Dessin couverture : Jean Augagneur
Tous droits de reproduction, traduction et adaptation réservés pour tous pays.
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Sommaire
Introduction

1. L’auto-empathie : pour quoi faire ?

2. L’auto-empathie : comment faire ?

3. Émotions, sentiments, besoins, valeurs : clarifions !

4. Pourquoi est-il important d’identifier nos besoins ?

5. Pourquoi est-il important d’écouter et de nommer nos sentiments ?

6. L’auto-empathie en cas de conflit

7. De l’auto-empathie au dialogue empathique

Conclusion

Annexe 1. Précisions de vocabulaire : sympathie, empathie,


compassion

Annexe 2. La Communication NonViolente® (CNV)

Notes

Bibliographie commentée
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À Marshall B. Rosenberg, fondateur de la Communication
NonViolente®, décédé pratiquement le jour même où je décidais
d’écrire ce livre.
À Laurence, mon épouse, première lectrice de mon manuscrit.
À Chantal et à Fernand, mes vieux complices et associés, dont les
remarques pertinentes m’ont permis d’apporter quelques
corrections, précisions et approfondissements.
Aux centaines de personnes que j’ai eu la joie et l’honneur
d’entraîner à la Communication NonViolente®, pour elle-même ou
dans le cadre de formations à la négociation, à la médiation ou à la
résolution non-violente des conflits.
Avec toute ma reconnaissance.
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Introduction

A priori, communiquer est une musique à deux temps : écouter –


s’exprimer.
Je propose de remplacer cette vision par celle d’une valse ; aux deux
« temps » précédents s’ajoute alors celui-ci : s’écouter soi-même.
S’écouter, mais pas n’importe comment : avec bienveillance… et acuité.
Bienveillance, afin de ne pas nous accabler nous-même de jugements.
Acuité, ou authenticité, afin de ne pas tomber dans le travers inverse :
une complaisance paresseuse qui refuserait de voir ce qui, peut-être,
nous déplaît en nous-même. Afin, aussi, de saisir avec précision ce qui se
passe en nous.
Je fonde cette démarche sur la Communication NonViolente® de
Marshall B. Rosenberg, « méthode » – je préfère dire état d’esprit –
répandue par un nombre croissant de formateurs et d’ouvrages1. Pour la
plupart, ces personnes et ces livres évoquent bien l’écoute de soi, mais
pas suffisamment à mes yeux, pas assez en détail. Notre société qui
pousse à l’activité, à la rapidité, à la productivité, nous éloigne tellement
de l’écoute de nous-même – souvent taxée de « nombrilisme » ! – qu’il
convient, à mon sens, d’y mettre bien davantage l’accent. Car toute
communication commence par celle de soi à soi. C’est à cette découverte
que je vous convie dans ce livre.
Je l’ai voulu simple, dépouillé de références savantes : un guide
pratique et non un ouvrage universitaire !
J’envisage tour à tour l’utilité de l’auto-empathie (chapitre 1) dans nos
vies, et la manière de parvenir à la pratiquer (chapitre 2). Le chapitre 3
me permet de clarifier des notions telles que émotions et sentiments (et ce
qui les distingue), besoins et valeurs… Les chapitres suivants visent à
préciser les raisons pour lesquelles il est important d’identifier nos
besoins (chapitre 4), d’écouter et de nommer nos sentiments (chapitre 5)
en vue d’une bonne pratique de l’auto-empathie.
Même si l’auto-empathie est d’une utilité constante et quotidienne
dans nos vies, elle revêt une importance toute particulière lors de
tensions, de conflits, de crises… C’est ce que nous examinerons au
chapitre 6.
Enfin, le chapitre 7 rappelle que l’exercice de l’auto-empathie est
censé déboucher, généralement, sur un dialogue empathique avec la ou les
personnes concernées, avec nous, par la situation.
Le lecteur peu au fait des notions de sympathie, d’empathie et de
compassion, trouvera en annexe 1 des précisions sur ces termes. Et
l’annexe 2 résume l’esprit et les concepts-clés de la Communication
NonViolente® (CNV).
Une courte bibliographie commentée complète ce livre, dont je vous
souhaite maintenant une lecture agréable.
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1.

L’auto-empathie : pour quoi faire ?

Imaginons que M. Brun, votre collègue, vous adresse de véhéments


reproches :

« Dites, vous ne m’avez toujours pas fourni la liste d’entreprises que je vous ai
demandée il y a deux semaines ! Et la lettre que vous avez écrite à Dupilon S.A.,
c’est n’importe quoi, il y manque la moitié des choses que nous avions décidé
d’écrire. Et puis je me demande quand vous vous déciderez à faire avancer votre
travail, votre bac d’entrée déborde… J’en ai plus que marre, si vous ne changez
pas de manière de faire, je vais demander à ne plus devoir subir votre
collaboration déficiente ! »

Que de reproches…
Théoriquement, une communication bien menée vous donne deux
choix : écouter votre collègue ou lui répondre. Et une méthode telle que la
Communication NonViolente® – que désormais je désignerai simplement
par les initiales CNV – vous donne un précieux modèle pour le faire au
mieux.

SAUF QUE…
… Sauf que vous n’êtes peut-être pas en mesure d’écouter comme il
faut cette avalanche de reproches, proférés sur un ton agressif, voire
menaçant : vos émotions vous en empêchent, tourbillonnant en vous et
vous faisant entendre des messages tels que « ce n’est pas juste », « oh,
c’est affreux » ou « pour qui se prend-il ? ». selon la véracité des faits
reprochés et, sans doute, votre qualité d’estime et d’affirmation de vous-
même.
… Sauf que répondre, pour vous justifier ou même pour simplement
demander à M. Brun d’utiliser un ton moins agressif, n’est pas davantage
pertinent : là, ce sont les émotions de M. Brun qui l’empêcheront fort
probablement de vous entendre.

Alors, que faire ?


Partir à l’écoute de vous-même ! Prendre le temps de vous sonder en
profondeur, afin d’aller voir ce qui se passe en vous, ce qui vous émeut
et pourquoi cela vous émeut ainsi.
Quelques secondes (avec un entraînement suffisant, il n’en faut pas
plus) pendant lesquelles, c’est vrai, vous n’écouterez plus vraiment ce
que dit M. Brun. Quelques secondes ou plus, si nécessaire (voir le
chapitre « L’auto-empathie en cas de conflit »).
Un temps d’introspection qui vous permettra d’identifier vos émotions
et leurs sources en vous, et de décider sereinement ce que vous allez en
faire : écouter M. Brun jusqu’au bout ? Lui répondre tout de suite ?
Demander un délai de réflexion pour faire le point en vous ? Ou pour
évoquer la situation avec une personne de confiance ? Autre chose
encore ?
Autrement dit : vous écouter vous-même d’abord est bien souvent une
condition sine qua non pour vous mettre en capacité de communiquer avec
l’autre personne, que ce soit pour l’écouter ou pour lui répondre.
On parle à ce propos d’écoute auto-empathique, ou d’auto-
empathie. C’est à la découverte de celle-ci que je vous invite.

« Auto-empathie » : Le terme est à vrai dire un brin saugrenu puisque


l’empathie, telle que le psychologue Carl Rogers la définit, c’est « percevoir le
cadre de référence interne d’autrui aussi précisément que possible et avec les
composants émotionnels et les significations qui lui appartiennent comme si l’on
était cette personne, mais sans jamais perdre de vue la condition du “comme
si” ».2 Mais puisque ici l’ « interlocuteur » c’est nous-même, il n’y a plus de
« comme si », et la définition de l’auto-empathie peut se résumer à
« percevoir notre propre cadre de référence aussi précisément que possible,
avec les composants émotionnels et les significations qui nous
appartiennent ».

Au fond, on pourrait aussi bien parler, tout simplement, d’introspection. Si je


garde néanmoins le terme d’auto-empathie, c’est d’une part pour bien
marquer son appartenance au « système » de la CNV, d’autre part pour la
teinte bienveillante qu’il comporte, et qui me semble absente du concept
d’introspection, plus « clinique ».

Résumons

Ni écouter ni s’exprimer ne sont parfois possibles lorsque les émotions sont


trop vives. Il convient alors de se mettre d’abord à l’écoute de nous-même.
C’est l’auto-empathie qui peut nous « dépanner ». Elle consiste à identifier,
avec bienveillance, nos émotions et leurs sources en nous, avant d’en
déduire une action qui nous convienne.

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2.

L’auto-empathie : comment faire ?

Je rappelle ici très brièvement le modèle de reformulation


empathique de la CNV3. Il consiste à articuler notre communication
autour de 4 étapes :
• Lorsque… une description objective, sans aucune interprétation,
reproche ou insinuation, des faits ou de la situation dont l’interlocuteur
nous parle ; la CNV l’appelle observation ;
• …tu te sens… ? une tentative d’identifier le ou les sentiments ou
émotions4 éprouvés par la personne qu’on écoute ;
• …parce que tu as besoin… ? une tentative d’identifier le ou les
besoins, ou valeurs, que la situation décrite touche en notre interlocuteur
et qui, en son sein, provoquent ces émotions et sentiments ;
• …et tu souhaites… ? une tentative d’identifier la demande qu’a à
notre égard la personne écoutée, dans l’ici et maintenant (à l’inverse des
besoins qui, eux, sont intemporels).
Appliqué aux reproches de M. Brun (p. 7), cela pourrait donner, par
exemple :

« Vous attendiez que je vous fournisse plus vite cette liste d’entreprises ; vous
voyez de graves manques dans ma lettre à Dupilon S.A. ; et vous en déduisez que
je travaille mal et trop lentement (observation) ;
du coup vous êtes très remonté contre moi (sentiment), parce que vous avez
besoin de collaborateurs efficaces, rapides, consciencieux (besoins) ;
et vous me demandez d’améliorer sans délai la qualité de mon travail
(demande). »

Revenons maintenant à notre propos : appliquer ce modèle à nous


écouter nous-même. Les trois premières étapes seront les mêmes. Par
exemple :
« Lorsque M. Brun me parle sur ce ton agressif et me reproche diverses fautes
professionnelles… (observation)
… je me sens inquiet parce qu’il me semblait avoir travaillé tout à fait
correctement, fâché parce que je trouve ses reproches injustes ou très exagérés, et
fort gêné parce que je déteste me faire eng… par un collègue ; et indigné aussi,
parce qu’il me parle comme si j’étais son subordonné… (sentiments)

Ici une remarque s’impose : vous voyez que les sentiments


s’accompagnent volontiers, et facilement, d’un « parce que ». Mais ces
« parce que » ne sont pas encore des besoins ou des valeurs, ce sont plutôt
des interprétations ou des constats généraux.
Il va sans doute falloir que je prenne le temps – et le silence intérieur –
de « creuser en moi », pour y dénicher les vrais besoins que ces « parce
que » révèlent… ou dissimulent.

« Il me semblait avoir travaillé tout à fait correctement » me parle d’un besoin


de qualité dans mon travail, ou d’une valeur Conscience professionnelle.
« Je trouve ses reproches injustes ou très exagérés » me parle d’un besoin de
justice.
« Je déteste me faire eng… par un collègue » me parle soit d’un besoin de
sécurité (mais alors le sentiment serait peut-être plutôt la peur), soit d’un
besoin de relations de travail paisibles et harmonieuses (ça correspond
mieux au sentiment de « gêne »).
« Il me parle comme si j’étais son subordonné » me parle d’un besoin de garder
mon statut dans ma relation avec M. Brun, de préserver avec lui une relation
d’égal à égal sur le plan hiérarchique.

Voilà quatre besoins qu’il était bon que j’identifie en moi : besoins de
qualité dans mon travail, de justice, de relations professionnelles
paisibles et de préservation de mon statut.
Plus immédiatement, je vais peut-être découvrir en moi un besoin de
me calmer (pour retrouver ma pleine capacité de raisonnement), un
besoin de faire le point, un besoin de feed-back d’autres personnes…5
Reste la quatrième étape. Et ici un changement de terminologie
s’impose : difficile de parler de « demande » à l’égard de soi-même !
J’ai choisi le terme de « projet ». En effet, il s’agit là de se projeter dans
l’avenir, proche de préférence : qu’est-ce que je souhaite faire ? Qu’est-ce
qui est réaliste et qui me ferait du bien ?
« Ferait du bien » : concrètement, il s’agit de trouver un acte, ou une
attitude, apte à faire un pas vers la satisfaction d’un de mes besoins les plus
immédiats.
Un projet n’est pas une envie, un souhait ou un fantasme. « J’ai envie de
l’assommer » n’est pas un projet (enfin… espérons que non !). Un projet,
c’est une sorte de contrat tacite avec soi-même.
Voici quelques exemples de projets que je pourrais émettre :

– Je vais garder la langue dans ma poche, le temps de vérifier si j’ai bien compris
ce que M. Brun me dit, avant de lui répondre.
– Je vais d’abord lui dire que je n’accepte pas son ton à mon égard, puis lui
annoncer que je lui répondrai sur le fond quand ma colère sera retombée.
– Je vais juste prendre acte de ses reproches, puis demander un entretien à notre
chef commun, afin de savoir comment il juge, lui, mon travail.
– Je vais demander à Enzo, mon autre collègue avec qui je m’entends bien mieux,
ce qu’il pense de ces reproches.

Aucun de ces projets n’est meilleur ou pire qu’un autre. Cela dépend
de mon besoin dominant du moment. Et le meilleur moyen de vérifier si
mon projet est bon pour moi, c’est d’être, ici encore, très à l’écoute de
moi-même : est-ce que l’avoir formulé me fait sentir un léger
soulagement ? Si oui, le projet est bon. Si c’est non, peut-être gagnerais-
je à en chercher un autre.

Voici un autre exemple – dans le registre des émotions agréables, cette


fois – pour vous montrer que l’auto-empathie n’est pas réservée aux
moments pénibles de l’existence :

Une amie me remercie d’avoir pensé à son anniversaire en lui envoyant une
jolie carte. Qu’est-ce que cela touche en moi ?
Lorsque Mireille me remercie ainsi… (observation – pas besoin d’être plus précis
puisque c’est « entre moi et moi » !)
… je me sens joyeux qu’elle ait apprécié mon geste… (sentiment)
… parce que je sais combien il m’est difficile de me souvenir des dates
d’anniversaire et que c’est important pour moi qu’on me confirme que cela peut
faire plaisir… (besoin)
… et je vais répondre à Mireille combien ses remerciements me touchent, et pour
quelle raison (projet).

Exercice 16

Tentez de formuler les quatre étapes d’une écoute auto-empathique dans la


situation suivante :
Votre meilleure amie, Josée, vous reproche de ne pas l’avoir appelée depuis
plus d’un mois, et vous signale que vos trois ou quatre dernières entrevues
résultent de ses initiatives à elle.

Exercice 2

Installez-vous dans un endroit tranquille, et assurez-vous de disposer d’au


moins dix minutes de calme.
Pensez à un contact, une conversation, qui vous a laissé un bon souvenir ces
tout derniers jours. Écoutez-vous en profondeur, essayez-vous à formuler les
4 étapes de votre auto-écoute empathique.

A vérifier :
• L’observation est-elle à 100 % pure de critique, de jugement, d’évaluation –
que ce soit à votre égard ou à celui d’autrui ?
• Le ou les sentiments sont-ils de vrais sentiments ? (Cf. chapitre « Pourquoi est-
il important d’écouter et de nommer nos sentiments ? »)
• Le ou les besoins ou valeurs sont-ils vraiment les causes profondes de vos
sentiments ?

Exercice 3
Même chose que l’exercice 2, mais à partir d’un contact, d’une conversation
qui vous ont laissé un mauvais souvenir ces tout derniers jours.
Vérification supplémentaire :
• La réalisation du projet permettrait-elle de satisfaire, même partiellement, au
moins un de vos projets ? Vous sentez-vous un petit peu mieux de l’avoir
formulé ?

Conseil : Pratiquez ces exercices plusieurs fois, à un ou deux jours


d’intervalle. Car c’est leur répétition qui en fera une habitude, laquelle
s’ancrera peu à peu en vous jusqu’à devenir un automatisme. Vous aurez
alors gagné !

Pratiquer l’auto-empathie au quotidien

Vous avez réussi ces exercices ? Bravo ! Maintenant, il vous reste à


prendre l’habitude de vous écouter de cette manière, bienveillante et
précise à la fois, dans votre vie de tous les jours.
Tous les jours, quelle qu’en soit la teinte, la tonalité. Car attendre la
crise pour se mettre en recherche d’auto-empathie, ce serait comme
attendre qu’il pleuve pour acheter un parapluie, ou pire : attendre la
foudre pour installer un paratonnerre…
Je suis convaincu qu’un des grands « trucs » de ces personnes que nous
qualifions de « sages » est tout simplement d’être pratiquement en
permanence solidement reliées à elles-mêmes. D’être conscientes de ce qui
les habite. Et d’être capables par conséquent d’ajuster constamment leur
agir – ou leur non-agir – à leurs besoins.

TÉMOIGNAGE :
Ayant grandi, si je peux dire, « loin de mon corps » et de mes émotions, il m’a été
bien difficile d’apprivoiser ces pratiques dont mes lectures m’avaient montré
l’intérêt. Je ne peux pas dire que je sois parvenu à la sagesse dont je parle ci-
dessus – tant s’en faut ! Cependant, j’ai développé la capacité de me relier à moi-
même beaucoup plus souvent que je ne le faisais durant les quarante premières
années de ma vie…
Voici comment j’ai procédé : ayant la chance de travailler, à cette époque, à deux
dans un bureau, et ma collègue étant joyeusement complice de l’expérience, j’ai
bloqué un minuteur de cuisine sur trente minutes.
Toutes les demi-heures donc, le minuteur sonnait. L’enjeu était alors de tout
lâcher séance tenante pour me demander : « Comment je vais ? » et, petit à
petit, apprendre à faire des réponses de plus en plus précises et rapides à cette
question.
Il arrivait que la réponse me vienne, immédiate et sincère : « Bien ! » Pas de
problème donc, je prenais simplement quelques secondes pour… jouir de cette
excellente nouvelle, avant de presser à nouveau le bouton « start » de mon
minuteur.
Mais il arrivait aussi que j’identifie un stress, c’est-à-dire une tension. Celle-ci
pouvait être liée à un simple ressenti physiologique : fatigue due à une station
trop prolongée devant un écran d’ordinateur, par exemple. Je prenais alors
quelques secondes pour bouger, m’étirer, aller respirer un grand coup à la
fenêtre, voire échanger quelques menus propos avec ma collègue…
Il arrivait aussi que j’identifie un gros agacement. Par exemple, parce que j’étais
en train de m’efforcer de terminer plusieurs tâches avant la fin de la journée, et
que cela s’avérait de plus en plus impossible. Que faire alors ? Une idée
(« projet ») : mettre des priorités. Si nécessaire, téléphoner aux bénéficiaires de
ces différentes tâches pour vérifier s’ils pouvaient attendre et jusqu’à quand. Et
ne me remettre à la tâche qu’une fois un grand « ouf » intérieur ressenti devant
ce qui désormais devenait à nouveau possible sans stress – sans oublier de
presser sur « start » ! Honnêtement, je ne sais plus combien de semaines ou de
mois j’ai fait patiemment cette expérience, tout au long de chacune de mes
journées de travail (je lâchais prise le reste du temps, il faut savoir raison
garder !). Ce dont je me souviens, c’est qu’un jour j’ai réalisé que je n’avais plus
besoin du minuteur de cuisine : l’impulsion de me demander comment j’allais me
venait automatiquement, plus souvent même que toutes les 30 minutes.
Aujourd’hui, je crois être souvent conscient de moi-même. Dans tous ces
moments-là, comme par hasard je suis « bon compagnon », on me dit
empathique et chaleureux. Hélas, il m’arrive de m’emballer pour la tâche, la
« fonction de production » comme on dit en management… Dans ces moments-
là, je me laisse ronger, puis dévorer par le stress ; de ce fait, je m’oublie d’abord
moi-même… et immanquablement, dans la foulée, j’oublie les autres. J’entends
par là : j’oublie de me et de les traiter avec respect, avec empathie, c’est-à-dire
avec le souci constant des « liens de vie » qui me relient à moi-même ainsi qu’à
chacun d’eux. Le risque est alors grand que je devienne désagréable, exigeant,
cassant, critique, voire tyrannique…
Dans cent ans, je parviendrai à rester en auto-empathie constante, c’est sûr ! En
attendant… je compte sur la patience et l’humour de mes proches pour me
tolérer tel que je suis… et me remettre à ma place quand j’abuse de leur
patience !

Résumons
L’auto-empathie passe par les 4 étapes de la CNV : à l’observation sans
critique succède le repérage de nos émotions et sentiments, puis celui des
besoins et valeurs qui les provoquent, avant d’émettre un « projet » visant à
avancer d’un pas vers la satisfaction d’au moins un de ces besoins ou une de
ces valeurs.
Pour que l’auto-empathie devienne une attitude, un art de vivre en lien avec
nous-même, il convient de l’exercer au quotidien. Surtout n’attendez pas les
conflits pour vous y mettre !

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3.

Émotions, sentiments, besoins, valeurs : clarifions !

Je souhaite clarifier ici le vocabulaire que j’emploie. Parce que ces


nuances sont importantes, et que certaines traductions de livres semblent
parfois malmener le vocabulaire (je pense notamment à la traduction du
mot anglais feelings par « sentiments »).

Les émotions
Une émotion est un phénomène biologique, physiologique, largement
inconscient.
C’est une quantité et une qualité d’énergie qui « sort » de nous
(étymologie : é-motion = mouvement vers l’extérieur).
Cette émotion provient de quelque chose en nous qui a été touché.
Regardez le schéma page suivante :
1) Stimulus Un événement extérieur à moi se produit : quelqu’un crie,
une porte claque, le temps se gâte…
Le stimulus « entre en moi » par mes organes des sens : je
2) Perception
vois, j’entends…
Les signaux ainsi perçus sont analysés par mon cerveau en
fonction de qui je suis : par exemple, mon humeur du
moment, mes besoins, mes valeurs et mes croyances, plus
3) Moi
profondément ma vision du monde, encore plus
profondément ma culture et tout ce qu’elle imprime en moi
(organisation du temps et de l’espace, etc.).
Mon être réagit vers l’extérieur par une émotion (parfois
plusieurs) : je me mets en colère, j’ai peur, je suis
4) Émotion
amusé… Ou alors, un blocage m’interdit toute émotion :
c’est la « mutité émotionnelle ».
• 1° Mon émotion change ma biologie ; source d’énergie,
elle me prépare au combat, à la fuite, au partage
amical…
• 2° Mon émotion change ma physionomie : mon visage,
mon corps en portent la marque.
• Si le stimulus provient d’une personne, il est fort possible
5) Rétroaction ? qu’elle capte ce changement et modifie déjà son
comportement : il y aura donc eu rétroaction, feedback.
• 3° Si cela ne suffit pas, mon émotion me pousse à
l’action : cette fois c’est sûr, il y a rétroaction.
• Mais si je suis en « mutité émotionnelle », il est probable
que je resterai sans réaction, sans rétroaction sur le
stimulus.

En quoi consiste la rétroaction évoquée au point 5) du tableau ci-


dessus ?
• La colère prédispose à l’attaque, à la lutte. Selon le contexte… et
votre tempérament, il pourra s’agir de cris, de coups, de paroles
agressives, mais aussi – et c’est très important – d’argumenter, de
défendre vos intérêts et vos valeurs…
• La peur prédispose à la fuite ou, plus rarement, à se figer, comme
pour « disparaître dans l’immobilité ». On reconnaît là les deux
mécanismes de défense (hormis l’attaque) que l’évolution a
développés : les animaux pourvus de bonnes pattes s’enfuient, les
plus lents, patauds ou malhabiles, s’immobilisent, « font le mort ».
Nous sommes capables des deux… mais hélas, pas toujours de
choisir entre ces deux solutions !
• La tristesse nous fait rentrer en nous-même. Elle nous permet
d’engager un travail de deuil, de séparation. De manière assez
mystérieuse, elle agit aussi sur l’interlocuteur, faisant tomber son
éventuelle colère à notre égard et le prédisposant à l’empathie. Vous
avez sûrement déjà vu quelqu’un s’arrêter net de crier contre une
autre personne au moment où celle-ci se met à pleurer, et se mettre
alors à son écoute ! La saute d’humeur est saisissante.
• La joie nous pousse à la fête, au partage, à la détente paisible ou à
l’excitation du jeu.
• La surprise met tous nos sens en éveil renforcé, afin de capter le
maximum de signaux sur la situation imprévue.
• Le dégoût nous « ferme » nez et bouche, nous protégeant contre toute
tentation d’absorber une substance que notre « collection d’odeurs »
atavique nous dit toxique. Provoqué par une personne, il nous
pousse à nous fermer à celle-ci, et si possible à nous en éloigner.
Une émotion dure rarement plus de quelques minutes. En effet, elle
engage notre corps dans des changements biochimiques souvent
importants… et fatigants pour l’organisme : afflux de sang vers le visage
ou vers les muscles des membres, tremblements, sueurs, crispation des
viscères, boule dans la gorge… Il ne faudrait pas que cela dure trop, et la
rétroaction (ou feedback) a justement pour effet de permettre une baisse
de l’émotion, un retour au calme.

Les sentiments
Les sentiments sont des émotions devenues conscientes7. Du coup, ces
émotions se trouvent souvent mêlées de pensées ; elles peuvent aussi se
mélanger entre elles.

Ainsi, l’inquiétude est une peur modérée, additionnée de la pensée que


quelque chose pourrait se passer différemment de ce qu’on voudrait.
Symétriquement, le soulagement est une joie liée à la conscience qu’une
inquiétude – ou une autre modalité de la peur – n’a plus lieu d’être.
La culpabilité est une sorte de tristesse ou de colère dirigée contre soi-même,
qu’on éprouve lorsqu’on a conscience d’avoir fait du tort à autrui.
La honte est un mélange de tristesse et d’inquiétude lié au fait qu’on a donné
de soi une piètre image, bien différente de celle qu’on souhaite donner.

Les « faux sentiments », ou « sentiments mêlés à des


évaluations »

La CNV met en garde contre des termes tels que « bête », « nul »,
« dominé », « piégé », « incompris » ou « pas entendu », qu’on utilise
hélas souvent, mais à tort, pour ce qu’on croit être des sentiments.
« Bête » et « nul » sont des jugements sur nous-même ou sur autrui. Le
vrai sentiment est sans doute la honte dans le premier cas, la colère – ou
du moins l’agacement – dans le second.
« Dominé » et « piégé », étant des participes passés de verbes d’action,
semblent accuser l’interlocuteur de l’action correspondante. « Mais non »
répondra celui-ci si on emploie ces termes, « je ne cherche pas à te
dominer », « je ne te piège pas du tout ».
« Inadéquat » et « pas entendu », et généralement tous les termes
grammaticalement négatifs (« pas… » ou préfixe « in– »), sont
particulièrement intéressants : en effet, ils ne disent pas grand-chose de
nos sentiments, mais révèlent par contre très bien les besoins qui causent
ces derniers. « Je me sens incompris » signifie que j’éprouve un besoin de
compréhension. « Pas entendu », le besoin d’être entendu.

Les besoins
Nos besoins, ce sont les « briques » nécessaires à notre survie et à
notre « bien vivre ». Tout le monde a les mêmes besoins, et d’ailleurs
nous en partageons une bonne partie avec les animaux – du moins avec
les animaux dits « supérieurs » : besoins physiologiques, besoin de
sécurité, besoin d’appartenance et de lien… Plus proprement humains
peut-être sont le besoin de sens et de réalisation et le besoin de
spiritualité, de « lien avec ce qui nous dépasse » (voir le chapitre
« Pourquoi est-il important d’identifier nos besoins ? » pour plus de
détails).
S’ils sont identiques en chaque être humain, par contre nos besoins se
déclinent en une infinité de modalités de satisfaction en fonction de notre
culture, de notre génération, de notre « genre », homme ou femme,
souvent même de notre famille…

Ainsi, le besoin de respect se manifeste en Europe et en Amérique du Nord,


entre autres par le fait de regarder dans les yeux nos interlocuteurs, alors
que pour bien d’autres cultures on montre son respect en évitant
soigneusement un tel contact visuel direct !
Et le besoin d’appartenance peut impliquer, pour certaines cultures, le fait
de donner une grande importance, une priorité même, à sa famille élargie,
alors que dans d’autres cultures chaque individu est invité à constituer son
« cercle d’appartenance » parmi ses parents, ses amis et autres relations.

Parmi ces « modalités de satisfaction » figure, souvent en premier lieu,


la personne dont on attend qu’elle satisfasse notre besoin sur le moment ;
c’est fréquemment l’interlocuteur auquel on s’adresse. Il est important de
le noter, et c’est pourquoi je le souligne : le « vrai besoin » est
indépendant de toute personne particulière pour sa réalisation, au contraire
de nos désirs, souhaits, envies et fantasmes. C’est une erreur de la pensée
– une erreur qui coûte son poids de conflits ! – que de confondre en une
seule expression notre besoin, légitime certes, et notre souhait que telle
ou telle personne s’en occupe et s’en préoccupe : « J’ai besoin que tu… »

Dire « j’ai besoin que tu m’aimes » constitue un propos charmant peut-


être… mais hélas c’est plus fondamentalement un « racket émotionnel » : j’ai
certes besoin d’amour, mais pas forcément de ta part. D’autres partenaires
sont possibles !
Il conviendrait donc de dire quelque chose comme « j’ai besoin d’amour
(besoin) ; et ça me ferait terriblement plaisir d’en recevoir de toi (demande) ».
C’est moins romantique peut-être… mais bien plus exact !
Dire « j’ai besoin que tu me prêtes ta voiture », c’est faire peu de cas des
millions de voitures en circulation, des transports en commun peut-être
disponibles, de la multitude de mes connaissances qui probablement
possèdent également une voiture, de la possibilité de louer un véhicule ou
d’appeler un taxi, etc.
Une formulation honnête serait : « J’ai besoin d’un véhicule pour transporter un
meuble (besoin) ; il est trop lourd pour que je l’emporte en bus, et je n’ai pas de
voiture (observation) ; serais-tu d’accord pour me prêter la tienne ?
(demande). »

Les valeurs
Nos valeurs, ce sont les choses, généralement abstraites, auxquelles
nous accordons une grande importance, telles des guides pour la vie.
Nous mettons volontiers – au moins mentalement – une majuscule aux
mots auxquels elles se rapportent.
Pour les uns, ce sera Honneur et Patrie. Pour d’autres, Liberté et
Indépendance. Pour d’autres encore, Succès et Argent (encore que ce
dernier soit plutôt un moyen d’atteindre le succès)…
Tout comme les besoins, les valeurs peuvent prendre une foule de
modalités différentes, souvent assimilables à des normes : normes
sociales, familiales, etc.

Tel parent juge très importante la bonne éducation de ses enfants, et exige
une obéissance stricte, voire une soumission silencieuse ; alors qu’un autre
parent partage cette valeur mais l’envisage comme l’encouragement à
l’exploration, à l’autonomie, à l’indépendance. Bien des jeunes parlent
volontiers de « Respect », qui semble consister à leurs yeux en une absolue
interdiction de les défier en quoi que ce soit – même un simple regard
pouvant être de trop ; alors que d’autres personnes, souvent plus âgées,
voient dans le Respect un concept réciproque lié à une relation courtoise… À
la différence de nos besoins, nos valeurs nous affectent même lorsque nous ne
sommes pas directement concernés.
Ma valeur Justice sera mise en souffrance autant lorsque je vois une
personne en maltraiter une autre que lorsque ce mauvais traitement est
dirigé contre moi.
Une personne pour qui la Vie est une valeur importante se montrera souvent
indignée par des propos « pro-avortement », même si personne ne lui
demande d’avorter…
Remarquons encore qu’un même terme peut désigner un besoin ET une
valeur : question de point de vue. S’il s’agit de notre propre vie, c’est un
besoin. De la vie d’autrui, c’est une valeur.
Un automobiliste roulant à 100 km/h en ville met d’abord en danger sa
propre sécurité (besoin) mais également la sécurité publique, signe qu’il
donne peu d’importance à la valeur Sécurité.
Entendre des gags sur les « blondes » risque fort de blesser mon besoin
d’estime, si je suis blonde. Si je suis brune, cela peut blesser ma valeur
Estime (ou Respect) – mais non mon besoin d’estime, puisque je ne suis
nullement la cible du propos malséant.

Besoins, valeurs… quoi d’autre ?


Revenons au schéma qui mène du stimulus au feed-back (p. 22). Il
identifie toute une série de causes internes possibles à nos émotions :
humeur, besoins, valeurs, croyances, vision du monde, culture… Alors,
pourquoi donner dans cet ouvrage une importance particulière aux
besoins et aux valeurs ? Et pourquoi, tant qu’à simplifier, ne pas parler
uniquement de besoins, comme le fait généralement la CNV ?
En allant du plus profond au plus superficiel, je pense qu’on peut, sans
crainte de déperdition ou d’affaiblissement, « traduire » notre culture et
notre vision du monde en termes de besoins et de valeurs. Ainsi, si ma
culture veut qu’on fasse une seule chose à la fois (culture dite
« monochrone8 » par les spécialistes), cela se traduit en moi par un
besoin d’ordre, d’agencement « linéaire » des choses, des moments de la
journée, des sujets de conversation. Si ma vision du monde insiste sur la
belle apparence des choses, cela se manifestera notamment par un vif
besoin d’acquérir de belles choses (voiture, vêtements, décoration
d’intérieur)…
Nos croyances sont de « faux besoins » déposés en nous sous forme
impérative et généralisatrice : « une fille ne crie pas », « un homme doit
montrer sa force », « on ne refuse jamais rien à ses supérieurs », etc. Elles
peuvent nous faire du tort, même si la plupart d’entre elles ont été
ancrées en nous, pendant notre enfance, avec la meilleure intention du
monde. Mais traiter plus à fond de ce qu’il convient de faire de nos
croyances dépasse le cadre de ce livre.
Notre humeur du moment, elle aussi, se concrétise par des besoins :
une humeur sombre risque bien de fortifier mon besoin de tranquillité ;
une humeur joyeuse renforce mon besoin d’échanges et de liens, etc.
Par contre, je vois une différence essentielle entre besoins et valeurs
en ce que, comme exposé plus haut, alors que les premiers me
concernent directement, au contraire les secondes peuvent entraîner ma
satisfaction ou ma frustration par simple résonance en moi de ce que
d’autres – personnes en particulier ou humanité en général – subissent
ou ressentent.
Dénoncer un besoin de respect (on m’a parlé d’une manière qui me
semble irrespectueuse) est autre chose que dénoncer une violation de ma
valeur Respect (X a parlé à Y sur un ton que j’estime irrespectueux).
En somme, on pourrait dire que si enfreindre une de mes valeurs me
« touche », voire me « blesse », c’est uniquement par identification, par
empathie : le mal fait à autrui me fait indirectement mal.

La culpabilité

Le sentiment de culpabilité a de nos jours mauvaise presse… Dommage ! S’il


faut effectivement lutter contre toute manipulation visant à nous culpabiliser,
la culpabilité en elle-même est plus qu’utile : elle est fondamentale de notre
vivre ensemble !
L’empathie, telle qu’on l’a définie plus haut, nous conduit à prendre
conscience de ce que ressent autrui. Prise de conscience non pas
intellectuelle mais vécue dans notre corps même, dans l’écho émotionnel,
atténué certes, que provoquent en nous-même les émotions de l’autre. Les
biologistes parlent à ce propos de l’action de nos « neurones miroirs ».
En particulier, si je prends conscience que l’autre a mal, alors je vais ressentir
moi aussi quelque chose de cette peine, de cette douleur, émotionnelle ou
physique. Il suffit de penser à ce que vous ressentez lorsque vous voyez une
personne devant vous – voire même à la télévision ! – se blesser, pour vous
convaincre de ce fait.
Maintenant, si je prends conscience que c’est ce que j’ai fait – ou suis en train
de faire – qui fait mal à l’autre, alors mon propre ressenti douloureux prend
une forme particulière : en effet, je sais alors qu’étant la cause de la douleur
de l’autre, je suis indirectement la cause de la mienne. Et du même coup, je
comprends qu’il m’appartient de faire cesser la douleur en moi en stoppant
mon comportement qui fait mal à l’autre.
C’est exactement cela, le sentiment de culpabilité : une émotion désagréable
assortie de la conscience qu’elle est due à ce que je fais ou ai fait à autrui.
Et c’est pour faire cesser ce sentiment pénible en moi que je vais m’efforcer
de me comporter de manière agréable, bienveillante, « pro-sociale » envers
autrui. Ma culpabilité s’effacera dans la mesure où je saurai réparer le mal
que j’ai peut-être fait.
Pour le dire autrement : pas de culpabilité, pas d’altruisme !
Le sentiment de culpabilité n’a en soi rien de malfaisant, à condition de
savoir en sortir par la responsabilité ! Par contre, j’insiste là-dessus, il
convient de nous opposer à toute manœuvre d’autrui visant à nous le faire
ressentir indûment, ainsi qu’à toute culpabilité dont nous ne parviendrions
pas à nous débarrasser par l’action responsable ; car là, oui, nous nous
faisons du mal, et du mal inutilement.9

La distinction entre besoins et valeurs n’empêche pas de constater de


forts liens entre ces deux concepts. D’abord, parce qu’un être humain a
besoin de valeurs (on peut dire que les valeurs font partie de notre besoin
de spirituel). Ensuite, parce que chacun de nos besoins fondamentaux se
double d’une valeur qui le généralise à autrui, au-delà de ma propre
personne : ainsi des valeurs Sécurité, Amour, Appartenance, Respect,
Réalisation de soi, etc.

Résumons

Les émotions sont une quantité et une qualité d’énergie qu’émettent en


nous nos besoins et valeurs lorsqu’ils « veulent » manifester soit leur
satisfaction, soit leur frustration à l’occasion d’un événement stimulus. Elles
visent à rétroagir sur ce stimulus.
Les sentiments sont « des émotions devenues conscientes », mêlées par
conséquent de pensées, voire combinant des émotions entre elles. Bien des
termes communément utilisés en croyant parler de sentiments relèvent en
réalité de jugements, de reproches ou de besoins « formulés en creux ».
Les besoins sont les éléments indispensables à notre survie et à notre « bien
vivre ». Ils sont universels, mais se déclinent en une gamme infinie de
normes et autres modalités de satisfaction. Ils sont indépendants de toute
personne particulière pour leur satisfaction.
Les valeurs sont les choses auxquelles nous accordons une grande
importance, comme des guides pour la vie. Elles aussi se vivent selon une
foule de modalités diverses. Elles peuvent nous affecter même lorsque nous
ne sommes pas personnellement concernés par la situation.
S’il convient de lutter contre toute tentative de culpabilisation et contre nos
culpabilités qui s’éternisent, par contre le sentiment de culpabilité en soi
n’est pas malsain. Au contraire, il est un corollaire de notre capacité
d’empathie et se trouve au fondement même de nos comportements sociaux.

<>
4.

Pourquoi est-il important d’identifier nos besoins ?

L’insistance que met la CNV à nous faire identifier précisément nos


sentiments et nos besoins peut paraître étrange. Pourquoi, au fond, ne
suffirait-il pas d’être en « écoute flottante » de nous-même, en attention
vague qui nous dirait grosso modo « comment nous allons » ?
Je traiterai des sentiments au chapitre suivant. Voyons ici ce qu’il en
est des besoins.
Il est naturel que nos besoins se présentent à nous, le plus souvent,
sous la forme « négative » : celle de leur frustration. Il est plus facile de
se dire « j’ai faim » que « j’ai besoin de nourriture », « je me sens seul »
que « j’ai besoin de compagnie ».
Pourquoi cela ne suffirait-il pas ?
Tout simplement parce que dire « j’ai faim » nous maintient dans la
plainte. Alors que prendre conscience que « j’ai besoin de nourriture »
me met en chemin. Chemin de créativité, d’inventivité : quelle sorte de
nourriture ? Où pourrais-je la trouver ?
Encore le mot « chemin » est-il trompeur : c’est généralement face à un
gigantesque carrefour que l’identification d’un besoin me place.

« Je me sens seule », gémit Sophie. « Ah, comme je me sens seule… »


On peut rester des semaines comme ça…
Mais si Sophie s’écoute comme nous le proposons ici, elle transformera cette
pensée tristounette en un « J’ai besoin de trouver de la compagnie » créatif et
transformateur. À partir de ce constat en effet, elle peut s’interroger sur quel
genre de compagnie lui ferait vraiment du bien :
• Appeler une ou plusieurs amies, perdues de vue ces derniers temps pour
cause de surcharge professionnelle, et les inviter à passer des soirées
ensemble ?
• Retrouver des copines de collège pour rigoler ensemble ?
• Aller en boîte, danser, s’étourdir de musique au milieu d’inconnu(e)s ?
• Qui sait… Peut-être y rencontrer l’âme sœur ?
• S’inscrire à un ciné-club ? À un cours d’anglais ? Ou de tango ?
• Profiter de son goût pour la peinture naïve pour chercher, via Internet,
d’autres personnes partageant cet intérêt et disposées à passer des soirées ou
fins de semaine pour échanger sur ce sujet ?

Exercice 1

Prolongez la liste ci-dessus, trouvez encore au moins 5 moyens que Sophie


pourrait éventuellement utiliser pour se sentir moins seule.

Vous le constatez : une fois les mots justes placés sur nos besoins, ce
sont trois, cinq, dix « chemins » qui s’offrent à nous. Il n’y a plus qu’à
choisir…

Liste de nos principaux besoins

Il existe des dizaines de listes de besoins. On en trouve de tout genre sur Internet
et dans la littérature, certaines comportant une centaine de termes. Je me borne
ici à en rappeler quelques-uns parmi les essentiels, répartis selon les catégories
identifiées par Abraham Maslow (cf. « Bon à savoir » p.40).
Besoins physiologiques : se nourrir, respirer, dormir, chaleur, sexe,
propreté corporelle…
Besoins de sécurité : absence de menace, environnement sûr et stable,
moyens de subsistance (dans notre société : argent), intégration sociale,
santé, capacité d’influence sur ce qui nous entoure…
Besoins d’appartenance et de lien : relations – à deux et en groupe –,
échanges, complicité, jeu, amitié, amour…
Besoins d’estime : attention, écoute, reconnaissance, dignité, indépendance
et autonomie suffisantes…
Besoins de réalisation de soi, besoins spirituels : exploration, croissance
et développement personnels, quête du beau, appropriation et mise en
œuvre de valeurs, lien avec « ce qui nous dépasse »…

Bon à savoir
Abraham Maslow, célèbre psychologue américain (1908-1970), prétend que
les besoins humains sont organisés selon une pyramide, et que les besoins
d’un « étage » de celle-ci doivent impérativement être satisfaits avant qu’on
ne puisse songer à nourrir ceux de l’ « étage » au-dessus.
Les « étages » sont – du bas vers le haut – ceux de la liste ci-dessus.
A. Maslow voit en cette pyramide le fondement même de nos motivations :
il conviendrait en effet, si cette vision est correcte, de constamment œuvrer
à consolider un « étage », afin de pouvoir accéder au suivant – de même
qu’il faut conclure un niveau d’un jeu vidéo pour avoir accès au niveau
supérieur.
Si le « découpage » de A. Maslow est indéniablement utile – bien que
d’autres peuvent être tout aussi pertinents –, par contre il faut absolument
abandonner cette représentation de « pyramide », qui engendre une vision
déformée de nos besoins.
On peut penser que la pyramide de A. Maslow est « typiquement nord-
américaine », ou « occidentale ». Peut-être. Plus fondamentalement, et quelle
que soit la culture humaine, il faut bien reconnaître que :
• Si le besoin de sécurité précédait toujours ceux « de niveau supérieur », alors
aucun peuple n’aurait jamais consenti à faire la guerre au nom de valeurs
telles que liberté, honneur, patrie, etc., qui appartiennent au « plus haut
niveau » selon A. Maslow.
• Si les besoins physiologiques précédaient forcément tous les autres, alors
aucune mère, aucun père n’accepterait de s’occuper d’un bébé qui pleure et
les force à se lever plusieurs fois par nuit.
On pourrait multiplier les exemples contredisant ce concept de pyramide.

Une autre répartition des besoins


Si la « pyramide » est une représentation erronée, il me paraît par contre
pertinent de distinguer entre nos besoins d’apaisement et nos besoins
d’excitation – encore ces termes sont-ils sujets à caution10.
Une partie de nos besoins vise à nous relaxer, nous apaiser, nous
mettre en sécurité, bref à diminuer nos tensions, à ralentir notre
métabolisme, à nous mettre au repos. À cette catégorie appartiennent
notamment les besoins de sommeil, de sécurité, de relations amicales et
sociales tranquilles…
Une autre partie revient au contraire à nous dynamiser, à nous exciter,
à nous stimuler, en somme à augmenter nos tensions, à nous mettre en
mouvement. Par exemple, en font partie nos besoins de jeu, d’exploration,
de nouveauté, de poursuite de nos valeurs…
À un temps de vive activité (recherche de satisfaction des besoins
d’excitation) succède un moment de repli, de calme (recherche de
satisfaction des besoins d’apaisement), et vice versa.

Il vous est sûrement arrivé d’être si fatigué par vos activités professionnelles
et vos mille tâches privées et familiales (quête des besoins d’excitation) que
vous ne rêviez que d’une chose une fois en week-end ou en vacances : ne
plus rien faire, ne plus bouger, vous allonger et rester simplement là…
Et voilà, vous y êtes, installé dans un transat avec un verre de soda à la
main, dans un endroit agréable… Mais après quelques heures de dolce
farniente, que se passe-t-il immanquablement ? Une féroce envie de bouger,
de vous dégourdir les jambes, d’aller examiner les alentours, ou alors de
passer un coup de fil, de prendre un bouquin, d’aller grignoter quelque
chose… s’empare de vous.
La boucle est bouclée, vos besoins d’excitation ont repris le dessus en même
temps que votre organisme s’estimait reposé, ressourcé !

Je reviens à mon propos du début de ce chapitre : prendre le temps


d’identifier quels besoins vivent en nous au moment présent nous pousse
à l’action ; mettre dessus des mots aussi précis que possible est la
meilleure garantie de pouvoir imaginer ou distinguer une pléthore de
moyens susceptibles de les satisfaire.
Exercice parfois difficile quand on y débute, il en vaut largement la
peine car, ne l’oubliez pas, toute satisfaction véritable est celle d’un « vrai »
besoin. Ou pour le dire autrement : tout agissement qui « passe à côté »
de nos vrais besoins du moment est pure et vaine agitation ! Une telle
dérive, qui n’est sans doute pas grave dans mille situations ordinaires,
devient par contre très fâcheuse, voire catastrophique, en cas de tension
ou de conflit (voir le chapitre « L’auto-empathie en cas de conflit »).

Exercice 2
Pensez à la dernière situation où vous vous êtes senti(e) « pas vraiment
tranquille » : un peu de stress, d’agacement, de tristesse, d’inquiétude…
Efforcez-vous d’identifier précisément quel était le besoin que ce sentiment
manifestait.
Quand vous y serez parvenu(e), rappelez-vous ce que vous avez fait dans les
minutes qui ont suivi. Demandez-vous si cette action était de nature à vous
rapprocher, au moins un peu, de la satisfaction de votre besoin.

Résumons

S’il importe de choisir des mots précis pour désigner nos besoins, c’est que
cela nous encourage à passer à l’action, à inventer des stratégies pour les
satisfaire plutôt que de rester dans la plainte.
Nos besoins ne constituent en aucun cas une « pyramide ». Par contre, on
peut les répartir en besoins d’apaisement et besoins d’excitation.

<>
5.

Pourquoi est-il important d’écouter et de nommer nos


sentiments ?

Il y a deux raisons, relativement distinctes, d’écouter attentivement nos


émotions et nos sentiments.

Première raison : en prendre soin


Puisqu’il s’agit de signaux d’alarme révélant qu’à l’occasion d’un stimulus
des besoins ou valeurs ont été touchés en nous (voir le schéma au début
du chapitre « Émotions, sentiments, besoins, valeurs : clarifions ! »), plus
nous saurons entendre ces alarmes et plus vite elles « se tairont » ou, du
moins, pourront baisser d’intensité.
Nos émotions fonctionnent en effet comme un signal de réveille-matin
ou de téléphone portable : relativement doux au début, il augmente
progressivement jusqu’à ce que nous nous décidions à réagir.
Nos émotions, elles aussi, montent progressivement, pour nous avertir
que « quelque chose se passe ». Quelque chose d’important, dans l’exacte
mesure où nos besoins et valeurs le sont ! C’est pourquoi il est dangereux
et dommageable de vouloir ignorer nos émotions, comme une certaine
conception du stoïcisme – voire du rationalisme – le fait…
Prendre conscience d’une émotion dès qu’elle commence à monter est un
gage très sûr d’en faire quelque chose d’utile, en agissant en direction de
la satisfaction du besoin, de la valeur affectés.
Inversement, ne pas en prendre conscience – parce qu’on est obnubilé
par une tâche à accomplir, ou qu’on a très peur de nos émotions, ou
pour une tout autre raison – peut avoir deux conséquences, toutes deux
fâcheuses :
• Soit l’émotion va continuer d’augmenter, jusqu’à ce qu’elle nous
fasse agir en « pilotage automatique », sans plus aucun contrôle de
notre raison ; notre cerveau limbique est équipé pour ça, c’est ce
qu’on appelle « la voie rapide » du traitement cérébral des
informations (je ne souhaite pas donner ici plus de détails ; voir la
bibliographie pour des ouvrages sur l’intelligence émotionnelle).
Nous finirons alors par prendre soin de nos besoins et
valeurs… mais « sauvagement », irrationnellement, peut-être en
infraction avec les lois, les règles de société, ou tout
simplement… d’autres de nos valeurs, ne fût-ce que celles de la
politesse ou de l’amabilité…
• Soit nous allons progressivement nous déconnecter de nos
émotions : n’étant pas prises en compte, ne servant à rien, elles
risquent de s’étioler comme un muscle qu’on n’utiliserait jamais.
Pauvres de nous, alors, si nous devenons incapables de ressentir de
la colère – donc de lutter, puisque la colère a ce but-là –, ou de la
peur – donc de nous protéger –, ou de la tristesse – donc de faire un
vrai deuil –, ou de la joie – donc de profiter de la vie…
Pour être précis, il convient de dire que bien des gens ont connu ce
triste phénomène, mais limité à une seule émotion. Parce que dans leur
famille la colère était extrêmement mal vue et malvenue, ils se sont
déconnectés de leur colère et n’en éprouvent désormais plus. Ce sont alors
d’autres émotions qui en « prennent la place » : la tristesse ou la peur,
notamment…

Geneviève a vécu ce problème-là. Petite, ses parents ne toléraient pas la


moindre colère, tout de suite assimilée à une « crise », un « caprice ». Si
Geneviève en manifestait néanmoins une, elle recueillait un blâme ou, plus
mortifiant encore, un « tss-tss » réprobateur accompagné d’un léger
hochement de tête marquant l’incompréhension, voire le dédain de ses
géniteurs à l’égard de ce comportement indigne… Alors Geneviève a cessé
d’éprouver des colères. Lorsque les choses n’allaient pas comme elle le
souhaitait, elle se faisait une raison. Elle ne luttait pas. Simplement, une
immense tristesse l’envahissait : celle de la désespérance. Qu’espérer en effet,
lorsque la lutte n’est pas permise ? Peu à peu, cette tristesse est devenue la
teinte dominante de ses affects. Assortie parfois de peur, lorsque les choses
devenaient trop menaçantes.
Devenue adulte, Geneviève n’était plus que cela : un être terne, ressentant et
exprimant en permanence une mélancolie, une vague tristesse qui ne
demandait qu’à devenir précise et aiguë à la moindre raison : une mauvaise
nouvelle, une douleur physique, la perception d’une attitude désagréable à
son égard… Tristesse doublée de peur, de panique même souvent, à la
perception d’un danger… Fuir et pleurer, pleurer et fuir, voilà la vie
affective de Geneviève pendant sa jeunesse.
Il lui a fallu une longue thérapie pour sortir de cet abîme-là.
Jordan est un jeune homme de vingt-huit ans. Il n’a pas été autorisé à
montrer sa tristesse. Il vient d’une famille ouvrière pauvre, dure à la tâche,
où on répétait de génération en génération qu’ « un homme ne pleure pas, il
agit, et si nécessaire il cogne ! »
Mais la vie moderne, la vie citadine ont vite enseigné à Jordan que
« cogner » n’était pas vraiment une bonne solution. Après quelques menus
ennuis avec la police à la suite de rixes de bistrot, il s’est borné à des colères
terribles. Hurlant ses désaccords, mais aussi – là où une tristesse eût semblé
plus adaptée – ses peines, ses deuils. Brandissant les poings et tapant contre
le mur si un ami, une amante lui faisaient faux bond. Et justement, les faux
bonds étaient nombreux, causés précisément par ce tempérament indûment
colérique qui faisait peur aux proches – et même aux moins proches – de
Jordan.
Lui aussi a dû se laisser convaincre par une amie, plus patiente que d’autres,
que ce n’était pas une fatalité et que la croyance familiale pouvait, somme
toute, être « recadrée » en une formule bien plus sage : « Un homme ne se
contente pas de pleurer lorsqu’il est possible d’agir ; il peut pleurer mais il
agit aussi. »

Face à un stimulus qui déclenche une émotion, le mieux qu’on puisse


faire est donc d’écouter cette dernière, d’en prendre conscience. L’écoute
fonctionne alors comme un drain, permettant d’évacuer un éventuel trop-
plein d’émotion. Ce que montre le schéma de la page suivante.
L’écoute draine le surplus d’émotion.

Cette prise de conscience peut parfois s’avérer difficile : on est alors


confus, on se sent agité d’émotions mais comme diffuses, ou multiples,
ou « tourbillonnantes » ; on ne parvient pas à fixer dessus des mots
appropriés.
Il convient alors d’utiliser le corps. Car c’est dans le corps que se logent
nos émotions, autant que dans le cerveau. Commençons par faire une
pause, un arrêt total de l’action. Puis concentrons-nous sur ce que dit
notre corps : fourmillements, moiteur, chaleur ou sensation de froid,
boule dans le ventre ou nœud dans la gorge, envie de courir ou jambes
en coton… Localisons le plus précisément possible tout ce qui sort de
l’ordinaire, de notre « état normal ». Puis demandons-nous ce qu’il
faudrait à notre corps pour qu’il « se sente mieux ». Bien sûr, les pistes
qui nous viennent à l’esprit devront, avant toute mise en action, être
passées au crible de leur faisabilité, de leur légalité, de leur conformité à
nos valeurs, particulièrement si elles impliquent autrui. Si fuir un
interlocuteur est souvent possible, le frapper serait contraire à la loi
autant qu’aux bonnes manières, et le prendre dans nos bras ne serait peut-
être pas perçu comme convenable…
Ainsi, on tente d’identifier les besoins derrière les émotions, sans
nécessairement passer par nommer ces dernières. Ce qui est pourtant
souvent précieux, comme l’explique le paragraphe suivant.

Deuxième raison : poser des mots précis


La seconde raison d’écouter nos émotions et nos sentiments (là, ces
derniers sont autant concernés que les premières), c’est que souvent, à
condition de mettre dessus les mots justes, ils nous mettent sur la piste
de besoins pas encore venus à notre conscience et nous aident à les
identifier.
Un sentiment (dans la suite de ce chapitre, j’utiliserai ce terme comme
générique, incluant les émotions) appartenant à la famille de la peur –
inquiétude, crainte, trac, appréhension, voire terreur – indique très
certainement un besoin relevant de la sécurité.
Une colère – du simple agacement à la rage noire – indique un besoin
de résister, de faire changer quelque chose ; reste à préciser quoi : besoin
de nous affirmer ? D’être reconnu ? De défendre une opinion, un idéal,
une valeur ?
Une tristesse, quelles qu’en soient l’intensité et la teinte, renvoie à un
besoin de séparation, d’acceptation, de deuil.
Une joie, qu’elle soit de tonalité béate – amour, bonheur, paix – ou
excitée – on est alors allègre, joyeux, frétillant… – signifie un besoin
rempli, une valeur réalisée, et nous invite à la jubilation, seul ou sous la
forme de partage.
Et nous l’avons déjà dit, un sentiment que nous verbalisons
spontanément sous la forme d’une négation – « pas respecté »,
« impuissant »… – indique à coup sûr le besoin du terme contraire –
« respect », « puissance » au sens de « pouvoir ».
Non seulement le fait de nommer nos sentiments va peut-être nous
aider à identifier les besoins et valeurs qui les ont causés, mais cela va
également nous aider, si nous décidons de les exprimer à autrui, à mettre
de la chair dans notre discours.
Je compare en effet volontiers nos besoins et nos valeurs à un
squelette, une charpente osseuse : sans elle nous nous affaisserions.
Mais donner à voir « un squelette »… c’est maigre, sec et incolore.
Y ajouter l’expression de nos sentiments permet d’épaissir et de colorer
notre propos, de le rendre charnu, vivant.

Exercice 1

Edmée a un chagrin : sa meilleure amie, Venice, lui a annoncé sans


précaution qu’elle ne viendrait pas à son mariage, car « déjà prise ailleurs ».
Imaginez qu’Edmée tente d’exprimer sa déception à Venice. Mettez-vous à la
place de cette dernière et efforcez-vous de ressentir, finement, ce qu’elle
éprouverait si Edmée lui disait :
« J’espérais que nous vivrions ensemble ce moment si important pour moi. »
Tentez maintenant de ressentir ce que Venice éprouverait si Edmée lui disait
plutôt :
« Je suis terriblement triste et déçue que tu m’annonces ton absence, car j’espérais
tellement que tu viendrais à mon mariage, que nous vivrions ensemble ce moment
si important pour moi ! »
Percevez-vous la différence ?

Exercice 2

Reprenons aussi le premier exemple de ce livre : les reproches que vous


subissez de la part de M. Brun.
Relisez le « décodage » que nous en avons fait, par écoute auto-empathique.
Et supposez qu’il vous ait amené au projet suivant : « Je vais lui dire ce que
ses reproches me font. »
À nouveau, faites l’expérience de deux formulations, l’une limitée à vos
besoins, l’autre incluant les sentiments que ceux-ci provoquent en vous.

Exercice 2 (suite)

1) « Je n’apprécie ni votre ton ni vos reproches, car j’ai la conviction de bien faire
mon travail et je veux que vous vous souveniez que, n’étant pas mon chef, vous
n’avez pas à m’eng… de la sorte. »
2) « Je suis très inquiet, déboussolé même, d’entendre vos reproches, car j’ai la
conviction de bien faire mon travail. Et puis je suis vraiment fâché que vous me
parliez sur ce ton, et je veux que vous vous souveniez que, n’étant pas mon
chef, vous n’avez pas à m’eng… de la sorte. »
Relisez lentement ces deux phrases, en laissant un temps de silence entre les
deux, en vous imaginant dans la peau de M. Brun. Que pensez-vous qu’il
éprouverait en entendant la première ? La deuxième ?

Résumons
Écouter attentivement nos émotions et sentiments constitue doublement un
atout.
• D’une part, cela nous permet d’en prendre soin aussitôt qu’ils émergent, et
de « drainer » un éventuel surplus qui menacerait de nous faire « perdre la
raison ».
• D’autre part, à condition de les nommer précisément, cela nous aide à
identifier nos besoins et nos valeurs touchés dans la situation ; pour nous
d’abord, et pour les communiquer aux personnes concernées ensuite, si tel
est notre projet.
La prise en compte des perceptions du corps peut nous permettre de
dépasser une « panne de vocabulaire émotionnel ».
Si nos besoins et nos valeurs constituent notre squelette, nos sentiments sont
la chair et le muscle qui habillent celui-ci.

<>
6.

L’auto-empathie en cas de conflit

Même si, comme je l’ai déjà signalé, il serait stupide de réserver


l’exercice de l’auto-empathie aux seuls moments de crise, il est clair que
cet « art de se connecter à soi-même » est particulièrement précieux en
cas de tension, de conflit.
D’ailleurs le tout premier exemple que nous avons examiné dans ce
livre portait sur une situation de ce type !
J’aimerais, dans ce dernier chapitre, donner quelques précisions qui
vous permettent d’aller plus loin, d’utiliser toute la puissance de l’auto-
empathie sans vous laisser entraîner par la dynamique propre du conflit,
car ce dernier pousse à la précipitation – précipitation du rythme
cardiaque, de la respiration, du débit de paroles, et même de la pensée
qui devient semi-automatique.
Les théoriciens du conflit – entre psychologie, sociologie et
neurosciences – nous disent que le conflit, lorsqu’il s’emballe, amène
plusieurs distorsions de la pensée, notamment :
• Une modification de la conscience : celle-ci passe en mode semi-
automatique et se dirige tout entière vers le combat ou, au
contraire, vers l’obsession de l’évitement. C’est l’univers du gagnant-
perdant… et il n’est pas question de perdre, évidemment ! Le
« cerveau raisonnant » est court-circuité, nous en avons déjà parlé
au chapitre 5 à propos des émotions qui « montent » sans qu’on ne
leur accorde l’attention souhaitable.
• Un rétrécissement du champ de vision et d’écoute :
littéralement, on ne voit que ce qu’on a juste devant soi. Vous l’avez
sans doute déjà expérimenté : alors que vous vous disputez
fortement avec quelqu’un, vous ne voyez plus les autres personnes
autour de vous, vous n’entendez plus ce qu’elles tentent peut-être de
vous dire.
• Une myopie mentale : vous ne pensez plus qu’à l’instant présent, à
vous défendre… généralement d’ailleurs en attaquant. Ou alors à
fuir, et c’est souvent encore un moindre mal : au moins vous ne
ferez rien qui aggravera la situation, vous vous mettrez en sécurité
tout en laissant l’autre personne indemne ! Le seul inconvénient de
la fuite, c’est que le conflit n’en sera en rien résolu.
• Une polarisation : tout semble devoir être soit ami, soit ennemi.
L’univers entier est sommé de s’aligner sur l’un de ces pôles… C’est
ce qui rend si difficile l’intervention d’un médiateur, tiers impartial.
• Un biais de sélection : parmi les gestes, attitudes, paroles de vos
adversaires, parmi les événements qui surviennent au cours du
conflit, vous ne retenez que ceux qui confirment votre vision du
conflit, votre image de l’adversaire comme « totalement méchant »,
et de vous-même comme, évidemment, « entièrement dans votre
droit »…
• Une généralisation des observations : les faits et gestes retenus par
le « biais de sélection » sont immédiatement généralisés, rapportés à
d’autres faits et gestes semblables, ficelés ensemble en un paquet
qu’on impute aussitôt à l’adversaire même. Le problème n’est plus
tel comportement, telle attitude de l’autre, c’est l’autre tout entier !

Cyril et Aurélie sont en couple depuis deux ans. À l’amour fou des débuts a
succédé l’inévitable phase de « construction du couple », avec ses
désenchantements et ses compromis.
Ils viennent de dénicher le petit appartement qui leur permettra de vivre
ensemble, enfin. Un rêve… en train de se transformer en cauchemar : tout
semble aller de travers, de la façon d’Aurélie de jeter ses pulls « n’importe
où », qui exaspère Cyril, à sa manie à lui de fermer toutes les portes sur son
passage, compartimentant ainsi l’appartement « comme une prison », selon
Aurélie…

Alors que, tant que l’un venait passer nuits ou fins de semaine chez l’autre,
aucun ne trouvait rien à redire aux manières de faire de l’autre, soudain il
semble vital à chacun de faire respecter ses propres manières de faire,
d’organiser les lieux et le temps.
Peu à peu, Cyril note mentalement tous les faits et gestes qu’il reproche à
Aurélie. Du coup il est stupéfait de leur nombre, de leur fréquence (biais de
sélection). Lorsque le couple invite des amis, il n’est pas rare qu’un motif
quelconque entraîne des règlements de compte entre eux, chacun prenant
leurs amis à témoin de façon véhémente (polarisation).
Et lors des prises de bec, le ton monte de plus en plus dangereusement, les
répliques fusent, inutilement méchantes (modification de la conscience) ; pas
plus Cyril qu’Aurélie ne se souviennent alors de leur amour, de leur désir de
rester en couple (myopie mentale).
Bref, tous les deux semblent bien partis pour se brouiller, se déchirer, se
séparer finalement. Alors que, fondamentalement, seules de petites manies,
de menus défauts semblent la cause de toute cette fâcherie…

Revenons à l’auto-empathie, et voyons en quoi elle permet d’échapper


à un dérapage aussi catastrophique.

Imaginons d’abord un début de scène entre Aurélie et Cyril. Cela se passe


dans la cuisine, où Cyril prépare un ragoût tandis que, assise à la table,
Aurélie râpe des carottes pour la salade.

Cyril s’agite beaucoup, de la cuisinière à l’évier, du réfrigérateur au plan de


travail, à grands pas et à grands gestes, comme toujours.
Soudain, un « merde ! » retentissant couvre presque le bruit d’un saladier en
verre se fracassant par terre. Cyril vient de le faire tomber en se
retournant… Aurélie réagit, d’abord au bruit : un fracas provoque
instantanément une vigilance aiguë, faite d’inquiétude, de surprise aussi.
Mais sur ces émotions toutes naturelles vient se plaquer une colère qui, elle,
n’est due qu’à la relation déjà conflictuelle du couple (et peut-être aussi à la
culture familiale d’Aurélie, où l’on respecte énormément les objets). Aurélie
s’exclame :
– Ça y est, c’est tout toi ça, comme d’habitude de grands gestes et voilà !
Cyril monte immédiatement le ton lui aussi :
– Ah, tu ne vas pas m’emm… pour ça, non ? Ce n’est qu’un saladier brisé !
– Et dans quoi je vais mettre la salade, maintenant ? Hein ? Toi qui ne
voulais surtout pas que nous achetions plus de vaisselle que
l’indispensable… Ah, c’est malin !
– Malin, malin… C’était juste une maladresse, tu ne vas pas encore en faire
un plat, non ?
– Quoi « encore » ? Dis tout de suite que c’est moi qui crée les problèmes,
ici !
– En tout cas, tu as l’art d’en rajouter, de faire un drame des moindres
choses… Alors que si on comptait…
– Compter ? Compter quoi ? Ce qu’on a déjà cassé depuis qu’on vit
ensemble ? Ou ce qu’on fait de travers ? Eh bien, vas-y, je n’ai pas peur du
calcul…

C’est trop déprimant ! Et idiot, bien sûr, complètement idiot… mais de


cette idiotie propre au conflit, dont nous sommes tous capables, hélas,
lorsque nous nous mettons « dans cet état ».

Exercice 1

Reprenez le dialogue ci-dessus et repérez-y toutes les « distorsions de la


pensée » (sélection, myopie mentale, généralisation, etc.) que vous pourrez.
J’en compte au moins 9 !

Imaginons maintenant qu’Aurélie ait, la première, l’excellente idée de


se mettre en auto-empathie. Dès la première réplique ? Non, l’effet de
surprise est sans doute trop fort pour permettre ce réflexe. Soyons plus
généreux, laissons-lui sa première phrase désagréable, mais admettons
qu’elle se reprenne tout de suite après, pendant les quelques instants où
son compagnon lui rétorque : « Ah, tu ne vas pas m’emm… pour ça, non ?
Ce n’est rien, un saladier brisé ! »
Aurélie, s’étant rendu compte que sa remarque était méchante et
ravageuse, se demande ce qui en elle a bien pu la déclencher.

Dialogue intérieur :
« Le bruit du saladier qui explosait (observation) m’a effrayée (sentiment). Le
geste maladroit de Cyril (observation… biaisée, « maladroit » étant une
interprétation) m’a agacée (sentiment) en ce qu’il me rappelait bien d’autres
gestes du même genre de sa part (observation) ; j’attache beaucoup d’importance
aux objets (valeur) et j’aime qu’on limite ses mouvements dans les espaces
restreints, de sorte à ne rien casser ni heurter (besoin de sécurité). En même
temps, je regrette profondément (sentiment) de m’être ainsi emportée contre la
personne dont je suis amoureuse (observation). Alors je veux d’abord m’excuser
pour ma remarque, puis lui expliquer ce que je viens de découvrir (projet). »
À ce monologue peut succéder le dialogue extérieur suivant, possible
uniquement parce que ce tout petit moment d’auto-empathie aura
suffisamment calmé les émotions de surprise, d’inquiétude et d’agacement
d’Aurélie pour lui permettre de reprendre un contrôle rationnel sur elle-
même :
– (Aurélie) Tu as raison, ce n’est pas grave. Excuse-moi, sous le coup de la
surprise je t’ai fait une remarque plutôt méchante, je m’en rends compte.
– (Cyril, encore fâché) En attendant tu le pensais, et une fois de plus tu me fais
des reproches…
– (Aurélie, persistant) Oui, c’est vrai, je suis souvent inquiète lorsque tu fais de
grands gestes dans l’appartement ; j’ai toujours peur que tu me heurtes ou que tu
casses quelque chose… et je n’ai pas tout à fait tort, admets-le, la preuve est en
morceaux à nos pieds ! (Là, si elle parvient à éclater d’un rire gentil et complice,
c’est le top du top !)
– (Cyril, à demi calmé) C’est vrai, déjà mes parents me disaient de « surveiller
mes gestes »… Mais quoi, c’est moi, et tu ne vas pas commencer à tenter de me
changer ?
– (Aurélie) Non, rassure-toi, je ne veux rien de ce genre ; mais maintenant que tu
sais que les grands gestes m’effraient un peu, surtout dans les endroits resserrés
où il y a des choses fragiles et des gens, peut-être pourras-tu être parfois plus
attentif, pour moi ?
Laissons-les là : leur dialogue peut se poursuivre sans risque, les charges
explosives sont écartées… Et qui sait, ces quelques répliques, leur sincérité,
la meilleure connaissance de l’autre et la compréhension réciproque qu’elles
ont permises, leur donneront peut-être envie de se parler plus souvent
comme cela, premier pas vers la restauration d’une belle et saine relation
entre eux ?

Faisons un deuxième exercice, similaire, en imaginant cette fois que


c’est Cyril qui a l’intuition qu’il est grand temps de se mettre en auto-
empathie… Comme tout à l’heure, laissons-lui sa première réplique
agressive, et imaginons que c’est lorsque Aurélie lui parle de vaisselle
qu’il prend le temps de plonger en lui-même…

Dialogue intérieur :
« Je suis déjà irrité (sentiment) d’avoir cassé ce saladier, je sais bien que je
devrais éviter de gesticuler (observation là aussi un brin teintée de reproche, le
mot « gesticuler » étant quelque peu péjoratif), la remarque d’Aurélie n’a fait
que me culpabiliser davantage (sentiment) mais je suis confus (sentiment) de lui
avoir répondu si agressivement (observation). J’aurais voulu qu’elle me
manifeste plutôt une complicité, qu’elle me dise que ce n’est pas grave de casser
un saladier (besoin de lien), ça m’aurait calmé (besoin de calme). Je vais
tenter de lui expliquer ça, après m’être excusé (projet). »
Dialogue extérieur :
– (Cyril) Aurélie, je suis navré de t’avoir parlé sur ce ton. J’aimerais pouvoir
effacer ma dernière remarque…
– (Aurélie, touchée de cet aveu mais encore fâchée) Je suis heureuse que tu te
rendes compte à quel point tu peux réagir de façon agressive et même
grossièrement à mon égard ! Même si, évidemment, ce n’est pas bien grave un
saladier brisé…
– Ah, je vois que sur ce point-là nous sommes d’accord. Bon, je ramasserai les
débris tout à l’heure. Mais j’aimerais d’abord te dire combien j’étais déjà fâché
contre moi-même d’avoir eu ce geste maladroit ; et combien je sais déjà que je
devrais surveiller davantage mes mouvements, surtout quand on a peu d’espace
comme ici.
– Ah, là aussi on est d’accord !
– Je sais bien que je gesticule, mais c’est dur de changer, tu sais… Je crois que
c’est profondément dans ma nature, de faire autant de gestes… Et puis j’aimerais
partager autre chose avec toi : lorsque je fais quelque chose de maladroit, comme
je culpabilise déjà, j’aurais besoin que toi, toi qui m’aimes, tu me montres que tu
me comprends et que tu ne m’en veux pas. Ça me consolerait et ça me calmerait,
vraiment !
– T’es chou de me dire ça… C’est vrai que ma réaction à ton geste était
passablement « jugeante » et méchante, je m’en excuse aussi. Et tu as raison :
lorsqu’il nous arrive quelque chose de désagréable, nous avons besoin que l’autre
nous comprenne et nous pardonne, c’est pareil pour moi.
Là aussi, nous pouvons les laisser continuer, ils ne devraient plus se dire que
des gentillesses… pour cette fois !

Mais si cela prend plus de temps…


Certains lecteurs feront sans doute cette remarque : « À moi, quelques
secondes ne me suffisent pas pour mener un dialogue intérieur tel que
ceux proposés ci-dessus ; il me faut plusieurs minutes, impossible de le
mener à bien pendant que l’interlocuteur parle puis attend ma réponse.
Réponse que je ne saurais lui donner puisque je ne l’ai pas vraiment
écouté ! »
Remarque pertinente, bien sûr. Il est clair que parfois, nous mettre en
empathie prend davantage que les vingt ou trente secondes imaginées
dans les exemples ci-dessus. Encore que, souvent, avec suffisamment
d’exercice (relisez mon témoignage au chapitre « L’auto-empathie :
comment faire ? »), cette petite demi-minute suffise.
Que faire néanmoins lorsque nous sentons qu’il va nous falloir
davantage de temps pour démêler l’écheveau de nos sentiments et
identifier nos besoins sous-jacents ? Voici quelques idées qui ont
fonctionné, pour moi ou pour d’autres personnes.
• Demander du temps : stopper le dialogue intérieur dès qu’on
perçoit qu’il va nous prendre davantage de temps que n’en permet la
situation en cours. Aurélie, ou Cyril, pourrait ainsi dire, à n’importe quel
moment du dialogue tendu imaginé plus haut :
« Ecoute… je crois que nous nous sommes embarqués dans une scène
pénible… Moi, en tout cas, j’ai conscience de dire les choses maladroitement,
méchamment sans doute… Serais-tu d’accord que nous nous accordions un
moment de silence pour nous calmer tous les deux, avant de reprendre cette
discussion plus tard et calmement ? »
Il s’agira alors, dans les minutes ou les heures qui suivent (en fonction
de la situation), de :
1) Trouver le moyen de faire descendre le niveau de nos émotions :
promenade, sport, chant, médiation, prière, tout ce qui peut nous y
aider est bon à mobiliser !
2) Cela fait, chercher le meilleur « cadre » possible pour reprendre le
dialogue interrompu : quel est le meilleur endroit (au travail, peut-
être la cafétéria ; à la maison, sans doute le salon) ? Le meilleur
moment (sûrement pas à la fin d’une journée de travail lorsque
chacun est fatigué et probablement tendu) ? La meilleure position
(on est souvent moins agressif assis que debout) ?
• Exiger du temps : si notre interlocuteur n’accepte pas une telle
pause, s’il tente de poursuivre une discussion que nous jugeons toxique
et malfaisante, il nous est peut-être loisible de partir ? De quitter la
pièce, sans claquer la porte, et si possible en réitérant la proposition :
« Stop, je ne veux pas continuer ainsi, mais je te promets que nous pourrons
en reparler quand je serai calmé(e). »
Remarquez l’expression ferme du refus « je ne veux pas ». Il n’est plus
question ici de demande ou d’offre, mais bien d’une exigence. On est ici
à la limite de la CNV, qui d’habitude rechigne aux exigences. Mais s’il
s’agit de nous préserver, de nous protéger, de nous mettre à l’abri d’une
évolution nocive du conflit, exiger devient aussi légitime que, par
exemple, empêcher par la force un bambin de mettre la main sur un fer
à repasser brûlant.
• Laisser parler : Lorsque notre besoin d’auto-empathie survient au
cours d’un « discours fleuve » d’une personne – qu’il s’agisse de
reproches, d’explications ou de quoi que ce soit qui nous remue fort –, il
est parfois possible, sans dommage, de laisser cette personne poursuivre
son propos tout en nous recentrant sur nous-même. Bien sûr, cela n’est
pas adapté si les propos de l’autre consistent, par exemple, à nous
donner les consignes d’une tâche à effectuer ! Là, le « stop », la demande
de pause, est indispensable. Mais si l’autre nous « raconte sa vie » ou
nous inonde de détails… il y a fort à parier qu’on ne perd pas grand-
chose d’important en nous « absentant », en « rentrant dans notre
coquille » comme on dit.
Cela est d’autant plus facile si la situation concerne tout un groupe de
personnes, par exemple à un colloque, à une séance de travail. Parions
que les autres membres du groupe ne remarqueront même pas notre
« absence pour cause de travail intérieur » !

Un conflit de voisinage
Officiant au sein d’une association de médiation de voisinage11, je me
suis aperçu que les conflits de cette catégorie, pour bénins qu’en soient
les motifs, sont beaucoup plus difficiles à surmonter qu’il n’y paraît. Et
ce pour une simple raison : les voisins ne se sont pas choisis !
En famille, même si l’on s’insupporte, on a des liens forts, des
souvenirs communs… Les relations d’affaires ou de travail sont liées par
un contrat, par des intérêts communs. Rien de tel en revanche s’agissant
du voisinage ! On a acheté, ou on loue, un appartement ou une maison,
l’autre a fait de même à quelques mètres de nous, c’est tout ce qui nous
lie… et surtout nous sépare, bien souvent !
Voilà pourquoi j’ai choisi mon dernier exemple dans ce registre
délicat.

Nelly et Hans sont dépités. Alors qu’ils étaient si heureux d’avoir déniché un
appartement répondant à leurs critères et à leurs désirs, voilà qu’à peine
installés la guerre commence avec les voisins du dessous. M. et Mme Dulong
ont déjà téléphoné le soir même de l’emménagement : « Ce n’est pas un peu
fini, ce boucan ? » Etonnement : à 21h30, ce n’est tout de même pas du
tapage nocturne… « Ici, sachez qu’on aime le calme et qu’on se couche
tôt ! » Cela a continué les jours suivants : les jeux des enfants constituaient
« du tapage » ; l’arrosage des fleurs du balcon provoquait « une cascade » à
l’étage du dessous ; la cuisine produisait « des odeurs » ; musique et TV
« résonnaient épouvantablement »… Deux semaines que cela dure, ce n’est
plus possible !
Et toujours, toujours ces reproches par téléphone. La première fois, Hans a
tenté l’apaisement en apportant un bouquet de fleurs. La porte ne s’est pas
ouverte. Lorsque Nelly a croisé Mme Dulong, elle aussi a tenté le
« bonjour », le sourire, les excuses… mais la voisine s’est enfuie dans la cage
d’escalier. Mais pourquoi ces gens refusent-ils ainsi tout contact, toute
explication ? Hans et Nelly n’y comprennent rien… et décident d’un
commun accord de commencer par se mettre chacun en auto-empathie, puis
de partager les résultats de l’exercice afin de convenir ensemble de la
conduite à tenir.

Dialogue intérieur de Nelly :


« Je me sens horriblement frustrée… J’aime avoir de bons rapports de voisinage ;
dans cet immeuble la plupart des gens sont presque toujours absents, les Dulong
sont les seuls avec qui nous aurions pu avoir quelques échanges… Quelle
déception ! Et puis je ne comprends pas pourquoi tout ce que nous faisons semble
les déranger ; qu’attendent-ils de nous, comment voudraient-ils que nous vivions,
Hans et moi ? Qu’est-ce que leurs reproches cachent, que n’arrivent-ils pas à
nous dire ? C’est ça que j’aimerais avant tout savoir… Et si je leur écrivais pour
leur dire tout ça ? Peut-être qu’ils accepteraient cette forme de contact ? Et pour
éviter qu’ils ne jettent ma lettre sans la lire, je pourrais demander au concierge,
qui a l’air de bien nous aimer, de la leur donner en main propre en leur disant
combien je souhaite qu’ils acceptent de me lire ? »
Mettons de l’ordre, voulez-vous ?
• Pas d’observation : normal, vu la durée du conflit, le nombre d’épisodes
auxquels Nelly pense. Mais puisqu’elle ne se parle qu’à elle-même, je ne
vois nul problème à cette absence.
• Sentiments et besoins : déçue dans son besoin de bon voisinage ; perplexe
du fait de son besoin de comprendre. Notez que « frustrée » n’est pas un
vrai sentiment, mais juste le constat qu’on a un besoin frustré.
• Projet : écrire une lettre, la faire transmettre par le concierge. Notez que
« C’est ça que j’aimerais avant tout savoir » n’est pas encore un projet,
juste une priorité dans les besoins.

Dialogue intérieur de Hans :


« Je suis furieux : de quel droit ces gens nous harcèlent-ils de la sorte ? Triste,
aussi : triste qu’on s’esquinte la vie dans des futilités, triste aussi pour Nelly que je
vois déprimée par ce mauvais début, pour les enfants qui sentent ces tensions et
qui n’osent plus se comporter normalement, qu’on réprimande trop souvent
aussi… Je veux vraiment trouver un moyen d’en sortir, et vite ! Et puisque les
Dulong refusent tout contact… Serait-ce parce qu’ils ont peur plutôt que par
simple irritation contre nous ? Il faut peut-être commencer par les rassurer. Je me
propose donc de leur écrire un mot, commençant par : « Madame, Monsieur, ne
vous souhaitant que du bien et désirant plus que tout trouver avec vous un
« modus vivendi » qui vous convienne et nous convienne… » Ah oui, ça me
plaît.

Exercice 2

Voulez-vous à votre tour « mettre de l’ordre » dans ce soliloque, en y


explicitant chacune des 4 étapes de la CNV ?

Suite de cet exemple :


Plus tard ce soir-là, une fois les enfants couchés, Nelly et Hans se sont
retrouvés en tête à tête, chacun avec ses notes. Ils ont comparé ces
dernières. Se sont amusés de leur complémentarité, notamment du fait que
chacun d’eux, séparément, était arrivé à la conclusion qu’une lettre serait
une bonne solution. Ensemble, ils ont rédigé la lettre en question. Elle
commençait par les termes imaginés par Hans. Et fut, comme proposé par
Nelly, remise au concierge, avec quelques explications (il était évidemment
déjà au courant des plaintes réitérées des Dulong ; et, ceux-ci le prenant jour
après jour à témoin, il s’est montré soulagé de cette tentative de conciliation
et prêt à y apporter l’aide demandée).

Exercice 3
Et vous, quels autres « projets » auriez-vous pu avoir, quelles solutions
auriez-vous pu imaginer – non pas au conflit en tant que tel, mais pour
avancer d’un pas vers un dialogue permettant, qui sait, de trouver des
solutions à toutes ces tensions ?
Commencez par vous mettre « à la place » de Hans ou de Nelly, faites
l’exercice d’auto-empathie complètement, sur la base de votre vécu, de vos
expériences, de votre caractère… Trouvez quels seraient vos sentiments, vos
besoins, quelles valeurs seraient blessées en vous… et déduisez-en le ou les
bons projets pour vous, si vous deviez vivre semblable situation.

Résumons

Lorsque les conflits deviennent aigus, ils entraînent en nous une kyrielle de
distorsions de la pensée : modification de la conscience, rétrécissement du
champ perceptif, myopie mentale, polarisation, biais de sélection,
généralisation…
Prendre un moment, même très court, pour entrer en auto-empathie, permet
souvent de faire redescendre le surplus d’émotion et de revenir à un
traitement plus rationnel de la situation, tenant compte notamment de la
nature profonde de notre relation aux autres personnes impliquées dans
l’affaire.
S’il nous faut pour cela plus de quelques dizaines de secondes, on peut
s’essayer à demander une pause, voire à l’exiger, ou même à nous
« absenter » quelques minutes du flot de paroles de l’autre ou des autres
personnes.
On peut même imaginer de faire de l’auto-empathie à plusieurs, puis d’en
confronter les résultats.

<>
7.

De l’auto-empathie au dialogue empathique

L’auto-empathie peut être abordée comme un art de vivre : l’art de se


connecter à soi-même, et de rester connecté à soi-même. C’est précieux,
cela participe certainement d’une vie saine et sereine, voire – je l’ai déjà
dit – de ce qu’on appelle communément la sagesse.
Mais sauf à être ermite, on ne vit pas seul, et les contacts, les relations
humaines, constituent même une part essentielle de notre vie : famille,
ami(e)s, groupes de loisir ou d’opinion, églises et partis politiques,
collègues de travail… Jour après jour, nous nous « frottons » à dix, vingt,
cent personnes, et ces frottements peuvent être merveilleux, agréables,
anodins… ou pénibles ! De la caresse au coup, du sourire à la grimace,
de l’indifférence à la prévenance, quelle richesse, quelle variété offre la
vie humaine !
Caresse… ou coup ? Sourire… ou grimace ? On ne choisit pas
toujours, ou plus précisément on ne choisit pas seul. Bien sûr que si je me
fais agresser dans la rue, ou harceler au travail, la situation ne peut pas
être agréable. De même si j’éprouve un sentiment amoureux pour une
personne qui ne me le « rend » pas, ou si le comportement de mon enfant
me déçoit… Mais suis-je pour autant impuissant à influencer la « teinte »
que prend pour moi une telle situation, ma manière de la vivre ? Non ! Et
heureusement !
Pour que tous ces contacts se passent le mieux possible, et pour que les
situations réellement pénibles le soient le moins possible, l’auto-empathie
constitue un portail souverain.
En m’amenant à distinguer mes sentiments et émotions, elle me
permet de réduire à un niveau souhaitable la vigueur de signaux
corporels potentiellement despotiques (cf. chapitre 5). Ainsi je me sens
mieux, et je garde le contrôle de mes actes.
En m’aidant à identifier mes besoins et mes valeurs, l’auto-empathie
me met sur la piste des attitudes, comportements, actions susceptibles de
me faire aller mieux, d’ « améliorer et enrichir ma qualité de vie » comme
dit M. Rosenberg12.
Ces attitudes, comportements et actions, qui constituent la mise en
œuvre de ce que j’ai appelé le « projet » au chapitre 2, incluent bien
souvent mon ou mes interlocuteurs : qu’il s’agisse de leur parler ou de les
fuir, de les écouter ou de les réprimander, voire de parler d’eux à
d’autres personnes.
C’est là que les autres « modes » de la Communication NonViolente®
prendront tout leur sens :
• L’empathie m’aidera à me connecter en pensée avec l’interlocuteur –
même si sur le moment je le déteste ! – et à tenter de comprendre
son attitude dans la situation qui m’affecte, à dépasser ainsi mes
premiers jugements. « Juger, écrivait Gilbert Cesbron, c’est ne pas
comprendre, car si l’on comprenait on ne pourrait pas juger. » Même si
aucune communication réelle ne devait suivre ce moment
d’empathie, cet effort pour comprendre les pensées, sentiments et
besoins d’autrui m’aiderait à changer pour moi la signification de la
situation. Et comprendre aide à mieux vivre, à mieux supporter, à
mieux tolérer ce que je ne peux peut-être pas changer…
• Si mon « projet » passe par l’entrée en communication avec l’autre
ou les autres acteurs en jeu, l’écoute empathique et la reformulation
telles que les propose la CNV me seront d’une aide inestimable pour
renouer le dialogue en évitant de jeter intempestivement de l’huile
sur le feu.
• De même, lorsqu’il en sera temps, pour l’expression authentique de
mes propres sentiments, besoins, valeurs… et pour formuler une
demande susceptible d’avancer d’un pas, même un pas de fourmi,
vers « l’enrichissement de ma qualité de vie » du moment.
Mais cela, ce dialogue empathique comme le nomme la CNV, c’est le
propos d’autres livres, que d’autres ont déjà écrits.

Résumons

L’auto-empathie, l’art de se connecter à soi-même, est un bienfait en soi


pour notre qualité de vie.
Au-delà, elle me permet d’aborder l’autre avec la même qualité d’attention
que j’ai mise à me sonder moi-même, sous la forme d’une attention
empathique silencieuse.
Enfin, elle constitue la porte d’entrée royale en dialogue empathique avec les
autres personnes agissant dans les situations qui nous affectent : écoute
empathique et expression authentique en alternance.
Un dialogue que la CNV aide à maintenir fécond.

<>
Conclusion
Nous voici au terme de ce parcours. J’espère vous avoir montré pourquoi
et en quoi l’auto-empathie est si précieuse.
Que vous ayez lu ces pages pour rafraîchir vos connaissances en CNV,
ou en vue d’un autodéveloppement personnel, ou par simple curiosité,
j’espère vous avoir intéressé. Si vous vous êtes posé quelques questions
au cours de votre lecture, mon but sera atteint ! Les réponses,
elles… vous appartiennent !
Si vous fermez ce livre avec l’intention bien ancrée de pratiquer avec
diligence et persévérance l’auto-empathie, j’espère que, comme moi,
vous la trouverez source de « bonne vie », non seulement pour vous mais
également pour toutes les personnes que vous fréquentez, dans quelque
cadre que ce soit, du plus impersonnel au plus intime. Et je terminerai en
vous recommandant une infinie patience à l’égard de vous-même : il est
normal d’oublier souvent, trop souvent, de nous mettre à l’écoute de
nous-même. Évitons de nous « gronder », voire de nous autoflageller
pour nos erreurs, nos oublis. Félicitons-nous plutôt de chaque petit
succès que nous observerons.
Et pour conclure, comme disent les Roms en se quittant : Bonne
route !
<>
ANNEXE 1
Précisions de vocabulaire

Si l’on veut éviter des malentendus, mieux vaut être au clair sur le
vocabulaire que nous utilisons. Précisons donc le sens des notions
proches de l’auto-empathie :

Sympathie
La sympathie est certainement le terme le plus connu de ces
« cousins ». Appliqué aux personnes, il désigne le « sentiment chaleureux
et spontané qu’une personne éprouve pour une autre » (Le Petit Robert),
le « sentiment instinctif d’attraction à l’égard de quelqu’un » (Wikipédia).
Étymologiquement, il provient du grec ancien et désigne une
« communauté de sentiments ou d’impressions »13.
Communauté de sentiments, attraction, chaleur… Il s’agit en somme
d’une plongée, d’une immersion dans les sentiments, dans l’état
émotionnel d’autrui. « Vous avez toute ma sympathie » signifie je suis
triste avec vous, dans la même tristesse que vous.

Empathie
Le mot « empathie » est une création moderne pour désigner,
justement pas la plongée, l’identité de sentiments, mais la capacité à
ressentir ce qu’autrui ressent sans s’y identifier14. Carl Rogers la définit
ainsi : « Percevoir le cadre de référence interne d’autrui aussi précisément que
possible et avec les composants émotionnels et les significations qui lui
appartiennent, comme si l’on était cette personne, mais sans jamais perdre de
vue la condition du “comme si”. »
L’empathie se distingue donc de la sympathie par son caractère
conscient, permettant à qui l’éprouve une certaine réserve, un quant-à-
soi, et par le fait qu’elle ajoute à la perception des émotions celle des
« significations », autrement dit un côté rationnel.
On relèvera que l’étymologie de ce terme est hélas trompeuse : le
préfixe « en », issu du latin, signifie « dans » et implique une
identification, une « plongée », alors que le préfixe grec « sym » signifie
« avec ». D’ailleurs dans Le Petit Robert, on lit : « Faculté de s’identifier à
quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent. »

Compassion
Restons avec Le Petit Robert pour voir ce qu’il dit d’un autre mot
« cousin », compassion. C’est, dit-il, un « sentiment qui porte à plaindre
et à partager les maux d’autrui ». « Ressentir la souffrance de l’autre,
animé d’une intention d’amour », précise même Wikipédia. La
compassion a ainsi deux versants : d’une part, un ressenti qui nous
rapproche de la sympathie, mais spécifiquement dans la tonalité de la
plainte ; d’autre part, une intention de partage, d’amour…
Reste que Marshall B. Rosenberg, le fondateur de la Communication
NonViolente®, a fort souvent parlé de celle-ci comme d’une
compassionate communication, une « communication compassionnée ».
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ANNEXE 2
La Communication NonViolente® (CNV)

La Communication NonViolente® (CNV) est habituellement présentée


comme « une pratique du langage qui renforce notre aptitude à
conserver nos qualités de cœur, même dans des conditions
éprouvantes »15. Certains y voient une « technique de communication »,
ce que je trouve infiniment regrettable : à mes yeux comme à ceux de
son fondateur, la CNV est avant tout un état d’esprit. J’en veux pour
preuve ces lignes de M. Rosenberg, parues dans l’ouvrage qui à mon sens
explique le mieux son intention profonde, au-delà justement de toute
technicité :
« Le schéma de base de la méthode est simple.
• Première question : Qu’est-ce qui est vivant en toi ?
• Seconde question : Qu’est-ce qui permettrait d’améliorer et d’enrichir
ta qualité de vie ?
• Ensuite, apprends à partager tes réponses à ces questions, en toute
honnêteté, sans formuler aucune critique envers qui que ce soit. »16
Sous son aspect technique, la CNV se décline généralement sur deux
modes : l’expression authentique de soi-même et l’écoute empathique
de son ou ses interlocuteurs.
Dans chaque mode, elle passe par 4 étapes langagières, que je décris
ici dans leur versant expression authentique :
1. L’observation sans jugement des actes qui contribuent ou non à mon
bien-être.
2. Les sentiments que m’inspirent ces actes.
3. L’énergie vitale sous forme de besoins, valeurs, désirs, attentes ou
pensées, qui sont à l’origine de mes sentiments.17
4. Les actions concrètes que je voudrais entreprendre – autrement dit,
ma demande.
Pour le lecteur qui découvrirait ici la CNV, je livre encore, à titre de
clarification, la « forme canonique » que revêt ainsi une phrase CNV
comprenant les 4 étapes :

En mode expression authentique :


1. Lorsque je vois (ou : entends)…
2. … je me sens…
3. … parce que j’ai besoin…
4. … et j’aimerais que tu…

En mode écoute empathique :


1. Lorsque tu vois (ou : entends)…
2. … est-ce que tu te sens…
3. … parce que tu as besoin…
4. … et souhaiterais-tu que je… ?
(Le point d’interrogation étant très important pour ne pas transformer
une belle écoute CNV en un pseudo-diagnostic psychologique !)
Noter que pour rendre fluide le langage CNV, il n’est nullement
interdit de permuter ces étapes, de les répartir sur plusieurs phrases.
Exemple : « Là, je suis vraiment fâché (2) ! Je voudrais que tu me respectes
(3), et quand tu m’ordonnes de me taire, je vois rouge (1) ; je voudrais que
tu me laisses m’exprimer, de même que je t’ai laissé t’exprimer (4). »
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Notes

1. Dont bon nombre parus aux Éditions Jouvence, cf. www.editions-jouvence.com. Voir aussi la
bibliographie commentée en fin d’ouvrage.
2. Voir l’annexe 1 pour plus de détails sur l’empathie.
3. J’invite le lecteur pour qui la CNV est nouvelle à lire sans attendre l’annexe 2.
4. Pour une clarification de ces deux termes, voir le chapitre « Émotions, sentiments, besoins,
valeurs : clarifions ».
5. Pour être précis, ces éléments-là ne sont pas à proprement parler des besoins, mais plutôt des
stratégies d’action en vue de satisfaire les vrais besoins notés plus haut. Ce qui n’enlève rien à
l’utilité de les découvrir…
6. Ne cherchez pas un quelconque « corrigé » des exercices proposés dans ce livre : je n’ai nulle
prétention à « savoir mieux que vous ». Faites selon votre compréhension, selon votre cœur
surtout… et ce sera bien !
7. Cf. Von Kanitz, Anja : L’Intelligence émotionnelle – Vos émotions sont vos alliées, Bruxelles, Ixelles,
coll. Miniguides Écolibris, 2010, p. 18.
8. De mono, un seul, et chrone, temps. Le contraire est une culture poly-chrone. Cf. Hall, E. T., La
Danse de la vie, Paris, Seuil, 1984.
9. Le livre Sentiment de culpabilité…, Holly Michelle Eckert, publié aux Éditions Jouvence (2011 –
125 p.), peut vous y aider.
10. A. Maslow a d’ailleurs également opéré une distinction de ce type entre « recherche de la
sécurité » et « recherche de la croissance » selon ses termes.
11. L’Association vaudoise pour la Médiation de voisinage. Cf. www.mediation-de-voisinage.ch
12. Cf. annexe 2.
13. Selon le Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 3e édition, 2000.
14. Le terme semble avoir été créé en anglais pour traduire le mot allemand Einfühlung, lui-même
forgé par T. Lipps en 1903 (Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 3e édition,
2000).
15. Marshall B. Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Éditions Jouvence,
1999, p. 11.
16. In Dénouer les conflits par la Communication NonViolente, ouvrage cité dans la bibliographie.
17. Cette formulation est tirée de l’ouvrage Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) ;
mais les formations usuelles et la plupart des livres résument cette étape comme celle de l’énoncé
des besoins. Cf. le chapitre 4 pour une réflexion à ce propos.
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Bibliographie commentée
Comme je l’expliquais en introduction, c’est précisément le fait de ne
trouver aucun livre spécifiquement consacré à l’auto-empathie qui m’a
conduit à rédiger cet ouvrage. Par conséquent, aucun des titres ci-
dessous ne vous apportera davantage de détails sur ce thème précis.
Je cite par contre ici ceux des innombrables ouvrages consacrés à la
CNV qui m’ont été les plus utiles. Vous en trouverez bien d’autres,
notamment aux Éditions Jouvence : www.editions-jouvence.com/menu-
du-haut/communication-nonviolente.
Bien des choses écrites sous le registre de l’écoute (sous-entendu
d’autrui) se révèlent également utiles pour l’écoute de soi. Et puisque
s’écouter revient en somme à se parler à soi-même, il en va de même des
propos concernant l’expression authentique.
Je complète cette bibliographie par quelques ouvrages traitant :
• de la communication dans un esprit proche de la CNV. Par « esprit
proche », j’entends particulièrement – mais pas exclusivement – ce
qu’on appelle le « courant humaniste » de la psychologie. Initié par
Carl Rogers, ce courant a eu le succès qu’on sait, s’étendant
progressivement à toute la sphère du développement personnel et de
la « relation d’aide ». Thomas Gordon, Jacques Salomé, et bien sûr
Marshall B. Rosenberg, ont brillamment contribué à ce courant.
• d’intelligence émotionnelle, notion développée notamment par des
auteurs aussi prestigieux que Daniel Goleman, Claude Steiner et la
francophone Isabelle Filliozat.

Ouvrages de Marshall B. Rosenberg


Psychologue clinicien américain, Marshall Rosenberg (1934-2015) a
inventé et développé la Communication NonViolente® (CNV). Le processus
qu’il propose est un outil puissant pour résoudre les conflits de manière
créative et pacifique, tant au niveau personnel que professionnel et politique.
Il a passé sa vie à donner formations et conférences dans le monde entier,
quand il n’était pas appelé comme médiateur.
Dénouer les conflits par la Communication NonViolente, Entretiens
avec Gabriele Seils, Genève (Suisse), Saint-Julien-en-Genevois
(France), Éd. Jouvence, 2006, 250 p.
Rosenberg au-delà de la CNV ! L’auteur nous parle de lui, de son passé, de
ses expériences… Il approfondit aussi l’esprit dans lequel la « technique »
de la CNV se place « au service de la vie ». Un excellent enrichissement par
rapport à ses autres ouvrages.

Être vraiment soi, aimer pleinement l’autre !, Genève (Suisse), Saint-


Julien-en-Genevois (France), Éd. Jouvence, 2011, 160 p.
Pour apprendre à nous traiter nous-même avec davantage de respect, à
accepter nos limites sans nous détester ; ainsi qu’à « être avec » autrui en
toute égalité, rejetant les structures de domination au profit d’expériences
de partage sincère et respectueux de l’autre comme de soi.

Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Paris, La
Découverte, 2005, 264 p.
C’est le livre de base, dans lequel l’auteur explique en détail la technique de
la CNV. Grâce à des anecdotes et exemples simples, nous apprenons à
briser certains schémas de pensée, à nous exprimer de manière authentique
sans blesser l’autre et à écouter derrière les paroles avec empathie.

Les Ressources insoupçonnées de la colère – Approche de la


Communication NonViolente, Genève (Suisse), Saint-Julien-en-
Genevois (France), Éd. Jouvence, 2012, 96 p.
Un livre pour enseigner comment on peut tirer profit de ses colères, en les
utilisant comme de précieux indicateurs de nos besoins insatisfaits, plutôt
que de les laisser éclater de façon dangereuse pour nous comme pour nos
relations.

Autres ouvrages du « courant » CNV


D’ANSEMBOURG, Thomas
Cessez d’être gentil, soyez vrai ! Etre avec les autres en restant soi-
même, Québec, Éd. de l’Homme, 2001, 249 p.
Avocat formé à la méthode du Dr Marshall B. Rosenberg, l’auteur travaille
notamment avec des jeunes en difficulté et anime des formations en
communication non violente. Par des exemples percutants, ce livre nous
invite à reconnaître et à prendre soin de nos besoins et à désamorcer la
mécanique de la violence présente dans nos relations au quotidien.

ECKERT, Holly Michelle


Sentiment de culpabilité…, Genève (Suisse), Saint-Julien-en-Genevois
(France), Éd. Jouvence, 2011, 125 p.
Formatrice d’adultes, l’auteure utilise la démarche CNV pour aider à
identifier nos sources de culpabilité et à nous en débarrasser.

FAURE, Jean-Philippe, TAILLENS-GIRARDET, Céline


L’Empathie, le pouvoir de l’accueil, Genève (Suisse), Saint-Julien-en-
Genevois (France), Éd. Jouvence, 2005, 172 p.
L’empathie, cette capacité à se centrer sur le ressenti d’autrui, est au cœur
de la démarche de la CNV. Ce livre en précise très utilement l’essence… et
la pratique.

KELLER, Françoise
Pratiquer la Communication NonViolente, Paris, InterÉditions, 2011,
232 p.
Un guide pratique pour s’approprier la CNV : rappel des bases du
processus, exemples, exercices pratiques et illustrations. Excellent pour
s’initier à la CNV… ou pour ancrer les bénéfices d’une formation !

Autres ouvrages traitant de la communication dans un esprit proche


de la CNV
Communiquer autrement – Le choix des mots, Montargis, Non-Violence
Actualité, 2006, 112 p.
Recueil d’articles parus entre 2003 et 2005 dans la revue Non-Violence
Actualité. Présente brièvement diverses approches de la communication
(Rogers, Gordon, Rosenberg…) ainsi que nombre d’expériences et d’outils
pédagogiques ou civiques pour une meilleure communication dans la
famille, à l’école ou dans la cité.

BERTHOZ, Alain, JORLAND, Gérard


L’Empathie, Paris, Odile Jacob, 2004, 308 p.
Ce livre fait le point sur tout ce qu’on sait de l’empathie, à partir de
recherches en psychologie cognitive ou clinique, physiologie, éthologie,
philosophie…

ROGERS, Carl R.
L’Approche centrée sur la personne, Lausanne, Randin, 2001, 544 p.
Recueil de textes composé par Rogers lui-même peu avant sa mort, cet
ouvrage offre une excellente vue d’ensemble sur l’œuvre – et la vie – de cet
auteur dont l’apport a été décisif pour la psychothérapie d’abord, pour
toutes les professions d’ « accompagnement » ensuite.

SALOMÉ, Jacques
T’es toi quand tu parles, Paris, Albin Michel, 1991, 183 p.
Ouvrage célèbre, ce livre simple et imagé explore les pièges habituels de nos
communications et pose les « jalons pour une grammaire relationnelle »
(son sous-titre). Très proche de la CNV « rosenberghienne », même s’il ne
s’en réclame nullement.

Ouvrages sur l’intelligence émotionnelle


DESSEILLES, Martin, MIKOLAJCZAK, Moïra
Vivre mieux avec ses émotions, Paris, Odile Jacob, 2013, 272 p.
La 1re partie répond aux questions basiques : que sont les émotions, d’où
viennent-elles, à quoi servent-elles ?… Puis on passe de la connaissance à
la gestion des émotions, avec divers conseils et exercices.

FILLIOZAT, Isabelle
Que se passe-t-il en moi ? Mieux vivre ses émotions au quotidien, Paris,
JC Lattès, 2001, 296 p.
Cet ouvrage est un guide pratique, ponctué d’exercices simples pour gérer
ses émotions et retrouver l’authenticité dans les relations. Il aide à
comprendre la différence entre émotions fonctionnelles et sentiments
parasites. Il analyse en particulier la gestion des émotions dans les relations
de travail et de couple.
GOLEMAN, Daniel
L’Intelligence émotionnelle, Paris, Robert Laffont, 1997, 504 p.
L’auteur new-yorkais est une sommité dans le domaine, et cet ouvrage a
déclenché tout un courant aux EU, qui s’est rapidement répandu en Europe.

HALL, Edward T.
La Danse de la vie. Temps culturel, temps vécu, Paris, Seuil, 1984,
288 p.
Ce livre décrit les niveaux profonds, généralement inconscients, de nos
cultures – et notamment les conceptions implicites du temps ; niveaux qui
« déterminent la manière dont les individus perçoivent leur environnement,
définissent leurs valeurs, et établissent leur cadence et leurs rythmes de vie
fondamentaux. »

STEINER, Claude (en collaboration avec PERRY Paul)


L’A.B.C. des émotions : développer son intelligence émotionnelle, Paris,
InterÉditions, 1998, 250 p.
L’auteur, collaborateur d’Eric Berne (lepère de l’Analyse Transactionnelle),
a créé le concept d’ « alphabétisation émotionnelle ». L’ouvrage propose des
outils pour reconnaître ses émotions, identifier leurs causes, les exprimer et
établir des relations positives avec les autres.

THALMANN, Yves-Alexandre
Petit Cahier d’exercices pour vivre sa colère au positif, Genève (Suisse),
Saint-Julien-en-Genevois (France), Éd. Jouvence, 2010, 64 p.
Praticien bien connu, Y.-A. Thalmann propose une série d’exercices visant
à utiliser l’énergie que procure la colère en vue d’effets positifs : faire
respecter ses droits, amener des choses à changer…

VON KANITZ, Anja


L’Intelligence émotionnelle – vos émotions sont vos alliées, Bruxelles,
Ixelles, 2010, coll. Miniguides Écolibris, 153 p.
Excellente synthèse, facile et agréable à lire, de ce que les neurosciences ont
découvert à propos des émotions et de l’intelligence émotionnelle. Des
exercices aident le lecteur à développer cette dernière.
www.editions-jouvence.com
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