De La Découverte Des Bosons Vecteurs Intermédiaires W Etz: Prix Nobel de Physique 1984

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N° 797 BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIEN 1647

De la découverte des Bosons Vecteurs Intermédiaires


W et Z0
par Carlo RUBBIA
Prix Nobel de physique 1984

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler quelques-unes des étapes qui ont conduit
à des résultats aussi impressionnants que la mesure de la masse du Z 0 avec une
précision de 1/100 000 ou la détermination du nombre de types de neutrinos. Ceci nous
aidera à apprécier pleinement le chemin parcouru depuis le temps de la découverte d
l’interaction faible dont l’interprétation semblait poser des problèmes conceptuels insurmon-
tables qui contraste avec la simplicité étonnante de la solution choisie par la Nature.

C’est dans les années 30, avec Enrico Fermi, que des physiciens ont fait les premières
tentatives sérieuses de construction d’une théorie qui décrive correctement l’interaction
faible. A l’époque, il s’agissait d’une théorie «ad hoc» : quatre particules étaient créées
simultanément en un même point par l’interaction. Ce qui est vraiment merveilleux, c’est
que la solution obtenue quelque cinquante ans plus tard, explique bien entendu l’interaction
faible, mais l’englobe dans le cadre d’une théorie unifiée de l’interaction électromagnétique
et de l’interaction faible. Un précédent fameux dans l’histoire de la physique est dû à
Maxwell, qui unifia la force électrique et la force magnétique. Aujourd’hui, nous ne parlons
plus que d’une seule force : la force électro-faible.

On sait que l’interaction électromagnétique se transmet à distance par l’échange


d’une particule de champ de masse nulle : le photon. Le photon est donc le «vecteur» de
cette interaction dont la portée est infinie. Il était tentant de vouloir décrire l’interaction
faible à l’aide d’un modèle similaire. Cependant, cette interaction ayant un très faible
rayon d’action, il fallut introduire des particules très lourdes. D’autre part, l’interaction
faible présente un double aspect : la désintégration  se produit avec un changement
de charge électrique on parle de courants chargés (figure 1a), mais en outre un mode de
l’interaction faible (découvert dans les interactions de neutrinos de haute énergie au
CERN par la chambre à bulles à liquides lourds Gargamelle) se produit sans modification
de charge de la particule : on parle de courants neutres (i.e. νµ + e–  νµ + e– dans la
figure 1b). Les particules qui transmettent l’interaction faible devront au contraire du
photon neutre constituer un triplet de charge. On en arrive donc à ce concept de Boson
Vecteur Intermédiaire (BVI), finalisé avec l’apparition du modèle «électro-faible», dont
la structure de jauge fut introduite par Glashow en 1961, et dont le processus de brisure

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Figure 1a : Désintégration .

Figure 1b : Courant neutre.

Figure 1c : Annihilation proton-antiproton.

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de symétrie et le mécanisme de génération de masse «à la Higgs» furent construits par


Weinberg et Salam en 1967.

Il n’y avait pas unanimité sur l’existence des Bosons Vecteurs Intermédiaires,
même après la découverte, dans la chambre à bulles Gargamelle, en 1973, des courants
neutres (dont on sait aujourd’hui qu’ils sont effectivement dus aux interactions du Z 0).
Les premières recherches expérimentales, dans les années 60, n’étaient sensibles qu’à
des masses du W de l’ordre de la masse du proton (~ 1 GeV). Certains physiciens se
sont même demandés en 1974, si la particule J ⁄ Ψ qui venait d’être découverte, n’était
pas en fait le Z0 lui-même ! Même si toutes ces péripéties peuvent aujourd’hui prêter
à sourire, nous pouvons apprécier combien il fut difficile de construire ce qui nous
apparaît désormais comme une évidence : le Modèle Standard.

Un élément important du Modèle Standard est le fait qu’il prédisait les valeurs des
masses des Bosons Vecteurs Intermédiaires, de l’ordre de cent fois la masse du proton,
à une époque où la particule la plus lourde connue était le J ⁄ Ψ avec une masse de
3.1 GeV. Le J ⁄ Ψ pouvait encore être formé dans une expérience où un accélérateur (le
synchrotron à protons AGS de 30 GeV de Brookhaven) envoyait des protons sur une
cible fixe. Dans ces conditions, la plus grande partie de l’énergie cinétique est gaspillée
dans le recul de la cible et seule une faible partie (10 %) est utile pour former la
particule. La situation empire considérablement aux énergies supérieures, à cause de
la cinématique relativiste. Par contre dans un collisionneur, toute l’énergie est
disponible dans le centre de masse. Pour espérer atteindre les énergies nécessaires de
l’ordre de 100 GeV, il fallait donc à tout prix disposer d’un collisionneur de particules.
En 1976, dans une contribution à la Conférence Neutrino d’Aix-la-Chapelle, en
collaboration avec P. McIntyre et D. Cline, j’ai proposé de transformer, soit au
Laboratoire Fermi aux États-Unis, soit au CERN à Genève, un accélérateur existant en
un collisionneur proton-antiproton. C’était une époque où les collisionneurs e+e–
étaient à la mode et où le CERN pensait déjà au LEP (le grand collisionneur à électrons
et positons). Notre idée était d’opérer une rotation du diagramme de Feynman
représentant la désintégration  (figure 1a), le W pouvant ainsi être produit dans
l’annihilation d’un quark avec un antiquark, et ensuite se désintégrer en un électron et
un neutrino (figure 1c).

Notre proposition ne fut pas accueillie avec grand enthousiasme. En fait, la revue
américaine Physical Review Letters, refusa de publier notre article. Beaucoup
pensaient que, même si l’accélérateur était construit et fonctionnait comme prévu, il
serait impossible d’extirper un signal d’un bruit de fond formidable provenant de
l’interaction forte. Le grand souci du CERN était aussi qu’il fallait consentir pour cela
un arrêt impératif de plus d’un an du SPS, alors que ce dernier venait juste d’être mis

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en service. En fait, l’arrêt ne fut que de onze mois, et les physiciens qui y faisaient
leurs premières expériences furent tous contents de pouvoir bénéficier d’un peu de répit
afin d’analyser leurs données et d’améliorer leurs détecteurs.

Un anneau de stockage n’accepte qu’une petite partie des quantités de mouvement


des particules autour_d’une valeur nominale. Les antiprotons produits initialement par
la réaction pp → ppp p ont une grande dispersion de leurs quantités de mouvement. Pour
pouvoir faire fonctionner un anneau de stockage avec une haute intensité d’antiprotons,
une méthode doit être développée qui permette de réduire la dispersion initiale des
quantités de mouvement des antiprotons. Les premières tentatives de ce «refroidisse-
ment» de faisceau sont à attribuer aux travaux de Gersh Budker. En 1974, le
refroidissement par électrons était démontré par A. N. Skrinsky, à Novosibirsk, mais
c’est la méthode inventée dès 1968 par Simon Van der Meer et que l’on appelle
refroidissement stochastique, que nous avons décidé d’utiliser. Le test en grandeur
réelle de la technique eut lieu au CERN avec l’expérience ICE (Initial Cooling
Experiment) en 1977-1978.
_
Le feu vert pour le programme pp et l’expérience UA1 a été donné à la 27e_ réunion
du «Research Board» du CERN, le 29 juin 1978. Les premières collisions pp ont été
observées dans UA1 dès juillet 1981. Je voudrais souligner que UA1 a été la première
expérience de physique des particules à couvrir la totalité de l’angle solide autour du
point d’interaction. Pour la première fois, des neutrinos ou des pseudo-neutrinos
pouvaient être détectés grâce au déséquilibre en énergie des événements dans un plan
perpendiculaire à la direction du faisceau, la fameuse énergie transversale «man-
quante». Le neutrino n’interagissant généralement pas dans le détecteur, les événe-
ments W seraient caractérisés par une énergie «manquante» : celle du neutrino.

La première campagne de prises de données pour la recherche des bosons W et Z


a eu lieu d’octobre à décembre 1982. La luminosité du collisionneur a atteint la valeur
confortable de 5 × 10 28 cm – 2 s– 1. Les premiers candidats W se désintégrant en un
électron et un neutrino (W  e) furent découverts dans UA1 avec un échantillon de
données correspondant seulement à 20 nb – 1. La signature du W était un électron de
haute impulsion transversale accompagné d’une importante énergie «manquante». En
janvier 1983, les collaborations UA1 et UA2 présentaient toutes deux la preuve de
l’existence du W avec respectivement six et quatre candidats W dans le canal W  ev.
Le bruit de fond était extrêmement bas et les événements avaient une signature non
ambiguë. Le W, dont certains pensaient qu’il serait plus difficile à découvrir que le Z 0,
fut en fait découvert en premier, grâce à sa spectaculaire signature et aussi parce que
le produit de la section efficace de production par le taux d’embranchement du canal
de désintégration utile était dix fois supérieur à celui du Z0.

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La campagne de recherche du Z0 dura d’avril à juillet 1983. Le premier événement


Z0 a été enregistré par UA1 le 30 avril 1983. Le 27 mai, j’ai eu le plaisir d’annoncer
au CERN, que la collaboration UA1 avait observé deux événements spectaculaires,
une paire de muons et une paire d’électrons, chacune dans une région de masse où le
bruit de fond était négligeable. En juillet 1983, UA1 avait collecté quatorze événements
W , 43 W e, 5 Z0 et 4 Z0. Les figures 2 et 3 représentent
respectivement un exemple d’un candidat W et un exemple d’un candidat Z 0 tels qu’ils
ont été enregistrés par le détecteur UA1.

Figure 2 : Exemple d’un événement W enregistré par le détecteur UA1. Le détail des traces enregistrées
par la chambre à fils, montre la trajectoire très rectiligne de l’électron de haute impulsion émis dans la
désintégration de ce W (Photo CERN, X 63576).

Figure 3 : Exemple d’un événement Z0 enregistré par le détecteur UA1. Cette photo montre à la fois la
reconstruction dans la chambre centrale et dans le calorimètre qui l’entoure, de la paire e+ e– créée dans
la désintégration de ce Z 0 (Photo CERN, X 168-4-87).

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Aujourd’hui, l’aventure de la physique des particules continue car le Modèle


Standard est encore incomplet. Le mécanisme générateur de la masse des particules
est encore à découvrir, peut-être grâce au futur grand collisionneur à hadrons du CERN,
le LHC. La violation de l’invariance dans la transformation définie comme le produit
de la conjugaison de charge par la parité d’espace, connue sous le nom de violation de
CP, est toujours un mystère complet. Le domaine des neutrinos est encore très peu
connu. Un projet ambitieux est en préparation pour envoyer depuis le CERN un
faisceau de neutrinos en direction du Laboratoire Souterrain du Gran Sasso où se
construit ICARUS, détecteur d’une sensibilité sans précédent. Découvrirons-nous enfin
si les neutrinos ont une masse ? Il se pourrait bien que ces développements démontrent
que le Modèle Standard n’était en fait qu’une bonne approximation d’une réalité encore
plus complexe.

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