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Économie rurale

Cultures d'exportation et cultures vivrières au Cameroun


[L'éclairage d'une controverse par une analyse micro-économique ]
L'éclairage d'une controverse par une analyse micro-économique
Andréa Fadani, Ludovic Temple

Citer ce document / Cite this document :

Fadani Andréa, Temple Ludovic. Cultures d'exportation et cultures vivrières au Cameroun [L'éclairage d'une controverse par
une analyse micro-économique ]. In: Économie rurale. N°239, 1997. pp. 40-48;

doi : https://doi.org/10.3406/ecoru.1997.4867

https://www.persee.fr/doc/ecoru_0013-0559_1997_num_239_1_4867

Fichier pdf généré le 08/05/2018


Résumé
La pression démographique des pays africains implique d'augmenter en même temps les cultures
d'exportation et vivrières toutes deux nécessaires à la sécurité alimentaire. Ce travail, par une
utilisation d'enquêtes et une modélisation des systèmes de production cacaoyer et caféier au
Cameroun teste les conditions de réalisation de ce défi. Il révèle que les complémentarités entre
cultures sont basées sur l'exploitation du capital agro-écologique. Il montre en quoi les contraintes de
liquidité bloquent une intensification en intrants. Il explique comment les conditions de production des
vivriers déterminent le prix implicite du travail, et en quoi ce prix est un facteur de la compétitivité des
cultures d'exportation.

Abstract
Cash crop and food crop in cameroon :a micro- economic analysis casting a new light on an old debate
Demographic pressure in African countries requires that the production of cash crops and food crops
be simultaneously increased. Both are necessary for food security. This work identifies the conditions
under which such a challenge can be carried out. By using results of field surveys and models of cocoa
and coffee farming systems, it demonstrates that complementarities between crops are based on the
exploitation of the "agro-ecological" capital. It also shows to what extent liquidity constraints may limit
input intensification. It finally explains how conditions under which food crops are produced determine
the shadow price of labour. It assesses to what extent this price is a key factor in the competitiveness
of cash crops.
Ludovic TEMPLE • Andréa FADANI

u
ultures d'exportation

et cultures vivrières

au Cameroun

L'éclairage d'une controverse par une analyse micro-économique

La controverse sur l'interaction


L'histoire
capacité
accroissement
concept à augmenter
de
dedela
sécurité
l'agriculture
pression
la production
alimentaire
démographique.
montreagricole
ethabituellement
les hypothèses
lorsL'évolution
d'un sa sous-
du entre les cultures d'exportation
et vivrières
jacentes aux politiques de développement posent
cependant des questions dans le cas des pays de l'Afrique Les interactions entre les cultures d'exportation et
tropicale dont le Cameroun. Ces hypothèses sont à la base vivrières peuvent s'analyser tant sur le plan
de la dévaluation du Fcfa de 1994, et reposent sur deux macro-économique que micro-économique.
axes complémentaires. Le premier est celui d'une bonne
(i) Sur le plan macro-économique, la théorie des
élasticité prix de l'offre agricole d'exportation. Le avantages comparatifs justifie la spécialisation d'un pays sur les
deuxième suppose également une bonne élasticité prix produits pour lesquels il dispose d'avantages compétitifs.
de la demande et de l'offre des cultures vivrières. Les recettes d'exportation qu'il obtient permettent alors,
L'augmentation du prix des vivriers importés devrait accroître soit d'importer des produits alimentaires, soit d'importer
la demande pour les vivriers locaux, entraîner une des biens intermédiaires nécessaires à l'accroissement de
inflation des prix intérieurs et un accroissement de l'offre la productivité pour les vivriers et à la sécurité
locale. Les interactions entre les deux secteurs sont alimentaire (2). Cette deuxième liaison est reconnue comme
considérées comme subsidiaires pour trois raisons. prioritaire par les instances internationales. Cela permet
d'éviter une dépendance alimentaire structurelle à l'égard
En premier lieu, les complémentarités entre les deux des marchés internationaux. En complément, ces recettes
secteurs l'emporteraient sur les effets de concurrence. En d'exportation permettent de réaliser un prélèvement
second lieu, la disponibilité des facteurs de production fiscal (financement de l'État) et contribuent à l'équilibre de
en Afrique est suffisante pour permettre une bonne la balance des paiements.
réponse du secteur agricole. Enfin, le progrès technique
permettra à l'agriculture de répondre au double défi qui Pour les auteurs qui prolongent la pensée de Boserup
lui est posé : accroître de manière simultanée les cultures (Cour, 1994) la transformation des systèmes techniques
d'exportation et vivrières. Ces trois explications sont au de production se réalisera lorsque deux conditions seront
centre de la problématique de cet article. Dans un réunies. La première, implique une demande suffisante
premier point, nous préciserons l'état de la connaissance sur et bien répercutée aux producteurs. La deuxième
les liaisons entre les cultures d'exportation et vivrières. suppose un changement des prix relatifs des facteurs
Nous présenterons ensuite les principales mobilisés par l'agriculture : les ressources naturelles (fertilité
caractéristiques des zones choisies et la démarche retenue, fondée des sols, eau), le travail, et les biens intermédiaires.
sur l'utilisation interactive d'enquêtes et de la Implicitement, les principes de l'équilibre général de
programmation linéaire. Enfin nous préciserons en quoi les Walras, dans lequel les marchés des produits et des
hypothèses posées peuvent être vérifiées en polarisant facteurs de production s'ajustent par les mécanismes de
l'analyse sur l'impact au niveau micro-économique d'un prix, sont appliqués à l'agriculture. S'il est reconnu
changement des prix. Les résultats présentés, mobilisent l'existence d'un écart temporel entre l'accroissement des
les acquis d'un projet de recherche financé par l'Union besoins et la capacité d'ajustement de l'offre, celui-ci est
européenne dans son programme de Science et considéré comme neutre à long terme.
Technologie pour le Développement (1) .
2. Accès de tous de manière régulière à une nourriture suffisante pour
1. Projet UE, STD N°TS2-0281-C(MB). une vie saine et active.

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D'autres auteurs montrent comment le développement Caractéristiques spatio-économiques
des cultures d'exportation finance la création des zones de production cacaoyères
d'institutions autour desquelles se coordonnent des 6>
investissements d'infrastructure, les services de vulgarisation et la et caféières <O
recherche agronomique. Ces investissements, par des 3<O
externalités positives, sont favorables à l'accroissement MS»
1. Les zones cacaoyères du Cameroun
de la productivité pour les vivriers.
Le cacao est cultivé dans la forêt tropicale qui couvre
(ii) Sur le plan micro-économique plusieurs une superficie de 250 000 km2 pour une population de «A
complémentarités entre cultures d'exportation et vivrières sont 6 millions d'habitants. La production se répartit pour
également démontrées soit par les effets joints liés à 40 % dans la province du sud-ouest, 60 % dans le centre, 3U
l'utilisation d'intrants, soit par leur succession dans le le sud et l'est du pays.
calendrier de culture.
O
• Les effets joints s'articulent sur trois explications
indépendantes. Dans un premier temps, l'augmentation des
revenus monétaires induits par les cultures d'exportation
desserre les contraintes de liquidité et diminue l'aversion
pour le risque à l'investissement. Les agriculteurs / Extrême \ <A
intensifient en intrants les systèmes de production vivriers. % / Nord \
|
L'offre alimentaire s'accroît par une élévation de la
productivité globale des facteurs (Gérard, 1988 ; Heidhues, u
1994). Ensuite, la recherche de liquidités pour acquérir JAv
Nord ^^-^
des intrants nécessaires aux cultures d'exportation induit
une augmentation du surplus vivrier à certains moments
de l'année (Resquier-Desjardin, 1989). Enfin,
l'utilisation d'intrants sur les cultures d'exportation (engrais),
pour le coton par exemple, génère des externalités . AArabica
Zone
Ouest\ café
JiVJ
jointes positives pour les vivriers selon les associations ou
les rotations culturales.
1^^^^l—~
■r
WÊ* -TUT
AdamaouRobusta
Zone café
//
• Les complémentarités entre cultures au niveau du
calendrier de travail permettent à certains systèmes de
production vivriers d'optimiser l'emploi d'une main-
d'œuvre salariée permanente quand les travaux sur les
cultures d'exportation ne saturent pas les disponibilités
en travail (Temple, 1995). La division du travail par
culture entre les hommes et les femmes permet d'éviter des
effets de concurrence. Les hommes sont spécialisés sur
les cultures de rapport et les femmes sur les vivriers m IBL
Zone cacaoyère
nécessaires à la sécurité alimentaire. L'aversion pour le
risque explique la production d'un surplus d'autocon-
sommation qui est commercialisé (Ruf, 1988).
Les premières cacaoyères ont été plantées par les
Que ce soit au niveau macro-économique et au niveau Allemands vers 1890 dans la province anglophone du Sud-
micro-économique, la plupart des travaux soulignent les ouest. La production de cette région n'augmentera signi-
synergies résultant des complémentarités entre cultures ficativement qu'à partir de 1961, lors de l'unification du
d'exportation et vivrières. Ces synergies expliquent que Cameroun qui libère les flux migratoires inter-régio-
la question de l'offre alimentaire dans les pays de naux. La chute des prix aux producteurs de 1988
l'Afrique tropicale tend à devenir secondaire dans les projets (graphique 1) n'inversera pas la tendance de l'offre régionale
de recherche développement. Compte tenu de l'enjeu de cacao. En dépit des bonnes conditions
alimentaire que pose la croissance démographique actuelle, pédo-climatiques (sols volcaniques), la pression démographique
nous avons voulu tester les conditions dans lesquelles les entre 10 et 30 habitants/km2 est restée faible en raison
principales liaisons de complémentarités énoncées sont d'une précarité des conditions de vie par rapport au
validées sur le plan micro-économique. Notre travail se paludisme. Le Sud-ouest est également la première région
localise au Cameroun sur les systèmes de production de productrice de vivriers en banane-plantain, macabos et
café et de cacao dans la zone de forêt tropicale humide et ignames qui sont commercialisés sur la ville de Douala.
d'altitude (1).
Dans la partie francophone du Cameroun (Centre, Sud,
la1. zone
Pourd'altitude,
la zone forestière,
celles delesl'ouest
provinces
et du dunord-ouest.
sud-ouest et du centre ; pour Est), les plantations de cacao se sont développées dans
les départements de la Lékié et du Sud. La production de

Économie Rurale 239/Mai-Juin 1997 41


cacao amorce son déclin dans le Centre à partir de 1974, Cette liaison entre le prix du travail et le prix des vivriers
o antérieurement à la baisse des prix. Ce déclin, d'après les est cependant évacuée (Delgado, 1994) par les analyses
travaux de la Banque mondiale s'expliquerait par le non- précitées.
\Jto ajustement des prix à la production au coût du travail.
ta
m Offre régionale de cacao et prix relatifs

800
-m- Fcfa/Kg plantain Yaounde

Illustration non autorisée à la diffusion

Sources

2. Les
La

l'ouest

km2).
nombreux vivriers dont principalement : maïs, plantain,
tubercules et haricots. Province Département Zone Nb. Enquêtes
enquêtes
de permanentes
Le Robusta est pour 74 % de l'offre concentré dans le structure
bassin du Moungo et le département du Haut-Nyong Sud- Fako Muyuka-Muyengé 65 39
dans l'est. La pression démographique dans le Moungo ouest Même Kumba-M'Bongé 35 26
est de 80 habitants par km2 et moins de 30 habitants Meme-Moungo Tombel-Kumba 32 25
dans l'est. A la différence des plantations arabica, le Centre- Léiké 30 -
Robusta est cultivé en monoculture. sud Mbam 30
Ntem 30
Nord- Mezan Bamenda 31 -
Méthode d'enquête et résultats globaux ouest
Ouest Banboutos Mbouda 49 30
Ménoua Dschang-Fokoué 92 30
Nous avons choisi nos zones avec pour objectif de Mifi Bafoussam 33
différencier les situations par rapport aux variables de densité Noun Koutaba-Fombot 64
démographique et d'accès au marché. Les enquêtes ont Littoral Moungo Melong 126 33
suivi le schéma d'une pré-enquête sur les structures et
d'un suivi permanent pendant un an de 1 83 exploitations. TOTAL 617 183
Ce suivi (toutes les 2 ou 3 semaines) portait sur les Source : Enquêtes projet STD N°TS3-CT92 0105, Union européenne.

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Cette démarche homogène dans toutes les zones permet Tableau 2. Structure des exploitations par région
de construire un tableau comparatif des caractéristiques
des exploitations agricoles (tableau 2). En raison de la Zone de production Sud-ouest Centre- Nord- Ouest
sud ouest
dispersion des résultats autour des valeurs moyennes,
nous avons vérifié par des analyses de variances sur les Densité démogra.
variables de structures que la différence de moyenne (hab/km2) 10 60 80 250
Nb. d'exploitations
inter-régionale était supérieure aux différences (1) intra- observées 74 85 126 238
régionales. Le niveau d'observation régional a été retenu % autochtones 26,4 90,6 44,0 100,0
pour lier la compréhension du fonctionnement Nbre de résidents 9,8 10,7 9,4 13,5
Nbre actifs
microéconomique à l'explication des tendances de production familiaux 5,8 6,9 3,1 4,5
de cacao et de vivriers. Nbre actifs salariés 2,2 0,0 0,3 0,6
Nbre d'actifs total 8,0 6,9 3,4 5,1
A partir du tableau 2, nous constatons que la pression Superficie w
démographique par croissance naturelle ou migrations a -vivriers (ha)* 1,3 1,5 0,6 0,5
pour principale conséquence une diminution de la - plantation (ha) 6,4 3,4 3,1 1,5
superficie cultivable par actif. Cet effet de structure entraîne Totale (ha) 7,7 4,9 3,7 2,0 r
une baisse des revenus monétaires agricoles par Production X
oa.
exploitation. La croissance des revenus vivriers dans le revenu -cacao 1992 kg' 2 798 884
total est corrélée à une baisse du revenu par exploitation -café 1992 (kg) 1125 384 «n
4 919 229 896 1016
donc un appauvrissement global. De fait, le progrès 2 363 117 1880 2167
- manioc
plantain(kg)(kg)
macabo
maïs 213 87 288 1478
technique et les changements endogènes des pratiques
culturales ne semblent pas suffisants pour engendrer des 795 989 2 204 96
accroissements de productivité qui permettraient de Revenu
stabiliser les revenus lorsque la superficie cultivable par — vivrier brut*** 131 636 59 346 23 311 29 007
actif diminue. Cette observation interpelle sur la - monétaire cacao
café 648 226 176 800 153 812 64 741
connaissance des conditions dans lesquelles les hypothèses - extra agricole 0 29 591 24 000 55 500
d'une bonne élasticité de l'offre agricole aux - monétaire brut
changements de prix peuvent se vérifier. En quoi l'utilisation de Total 779 862 265 737 222 355 195 633
la programmation linéaire nous permet de répondre à Coût variable*** 182 344 32 779 59 653 93 441
cette interpellation ? Coût fixe monétaire 182 075 0 16219 13 941
Revenu monétaire net
total 415 443 232 958 59 783 88 251
Dépenses
fondamentales 56 467 99 225 40 000 62 000
La modélisation * Superficie : ha/expl.
des systèmes de production ** Production : kg/expl.
*** Revenu et coût : FCFA/expl.
par programmation linéaire
Enquêtes projet STD N°TS3-CT92 0105 Union européenne.
L'utilisation de la programmation linéaire dans les
modèles de production est ancienne (Day 1965). La
modélisation n'est qu'un outil dans notre démarche qui La première critique est peu validée dans le Centre et
s'appuie sur la collecte directe de données par enquête et l'Ouest, bien connectés aux marchés. Sur les fronts
leur analyse à partir du questionnement posé. pionniers du Sud-ouest nos enquêtes montrent que
L'utilisation de cet outil nous conduit à préciser un certain l'instal ation d'un migrant implique une succession d'objectifs
nombre de paramètres méthodologiques sur le choix d'une (construction d'une maison, mariage, santé) et la
fonction objectif et l'intégration du risque. recherche d'une maximisation du revenu. Pour tenir compte de
la deuxième critique, nous maximisons des fonctions de
Le choix courant de maximiser une fonction de revenu revenu. Ce revenu est issu d'une somme de marges
monétaire assujetti à un ensemble de contraintes d'une brutes/ha où la production autoconsommée est valorisée aux
exploitation est discuté sur deux plans principaux (non prix du marché.
exhaustifs).
Nous maximisons : R = Ci Xi (i = 1. n) sous la
Lors d'un faible accès aux biens de consommation, les contrainte que aij Xi < bj (i = 1 .n; j = 1 .m) et Xi > 0. R est le
producteurs chercheraient à minimiser les quantités de revenu total, Ci est la marge brute associée à l'activité Xi
travail par rapport à l'objectif drun revenu cible moyen. de l'exploitation.
Ensuite la précarité des conditions de vie peut induire i = l.n sont les différentes activités de l'exploitation.
pour objectif la reproduction à l'identique des ressources aij le coefficient technique de l'activité i relatif à la
qui stabilisent un niveau donné de production alimentaire. contrainte j.
bj les quantités disponibles du facteur j au second
1. Nous invitons le lecteur intéressé par les analyses statistiques à membre.
consulter la thèse sur laquelle s'appuie cet article (Temple 1995, Université Le nombre m. d'équations est inférieur ou égal à n, le
de Montpellier). nombre d'activités.

Économie Rurale 239/Mai-Juin 1997 43


c L'utilisation de la programmation linéaire implique dités en déduisant les dépenses dites fondamentales du
2 d'intégrer l'aversion pour les risques liés à la variabilité revenu monétaire net. Ces dépenses sont celles
des prix. Une forte instabilité peut s'assimiler à un néces aires à l'acquisition de certains aliments (sel, viande) et des
\J(0 accroissement de risque sur le niveau des revenus et des médicaments contre le paludisme.
(S coûts, et une baisse de l'offre (Gérard, 1991).
(A L'intégration de ce risque peut se faire en pondérant les prix • Le modèle optimise une fonction de revenu sous
2 moyens par leur probabilité d'obtention dont l'estimation contraintes, une fois assurée la sécurité alimentaire, compte
est leur variance. Cette méthode est incertaine pour les tenu d'un niveau de revenu monétaire et
produits à double fin qui sont alternativement vendus et d'autoconsommation alimentaire minimal.
autoconsommés. Nous raisonnons en statique dans un état donné des
En effet si ces produits sont valorisés aux prix de vente, contraintes structurelles, c'est-à-dire de stabilité des facteurs
la valeur de l'autoconsommation est sous-estimée car les fixes et du progrès technique. La maquette simplifiée des
coûts de transactions inhérents à l'achat de produits modèles compte 30 activités (colonnes) et 30 contraintes
alimentaires de remplacement sont ignorés (Ribier, 1994). (lignes) dans le Sud-ouest et 20 contraintes, pour 23
Cette sous-estimation accroît la sensibilité des modèles à activités dans le Centre. Dans chaque zone, nous faisons
des changements de prix. Inversement, dans l'hypothèse varier les rapports de prix et les contraintes de structure
où l'autoconsommation est valorisée aux prix d'achat, la (terre, travail, capital) de la colonne capacité.
■o«A prise en compte du risque lié à la variabilité des prix
impliquerait de pondérer les prix à la hausse. Dans le Nous ne rentrerons pas dans le détail des scénarios de
+■» prix qui ont été retenus suite à la dévaluation du FCFA
3 doute ouvert par la contradiction précédente, nous
intégrons le risque par deux mécanismes : (2) pour dégager les principales interactions observées
entre les cultures d'exportation et vivrières au plan
• Les contraintes d'autoconsommation imposent pour micro-économique.
chaque vivrier un niveau minimal de production pour
satisfaire la sécurité alimentaire du ménage. Il est 1 . Le prix implicite est la valeur attribuée par le modèle à la production
cependant possible de s'approvisionner sur les marchés si le d'une unité supplémentaire de produit.
prix implicite (1) des vivriers devient supérieur au prix 2. Ces derniers sont consultables dans le rapport final du projet (Union
d'achat. Nous calculons ensuite les contraintes de européenne).

Tableau 3. Structure simplifiée des modèles sur le cacao


Activités Prix Achat. Achat Achat Act. Signe Capacité
des productions Intrant Vivre Travail Crédit
Fonction -C -C min
Réalisé X X X X X X X max
Superficie (6) 1 1 <= B
Rendement (7) A A 1 -1 >= B. 0
Intrants (5) A A -1 = 0
Travail (10) A A -1 <=> B,0
Capital (2) A A -1 <= B

Impact des changements de prix Dans le Sud-Ouest, nos enquêtes montrent que 56 % de
sur l'ajustement des systèmes la superficie de plantation se situe dans la tranche d'âge
6-26 ans, sur la phase ascendante du profil de
de production cacaoyers production. En l'état actuel des techniques, les cacaoyères sont
sous-utilisées et les rendements moyens de 300 kg/ha en
1994, peuvent doubler. Le desserrement des contraintes
1. L'effet prix sur les contraintes de liquidité de liquidités permet aux planteurs d'acquérir des intrants
et l'offre de cacao et d'intensifier les plantations en pesticides. Il s'ensuit un
La répercussion des effets de la dévaluation du Fcfa (en accroissement de l'offre en cacao qui sature les
janvier 1994) augmente les marges brutes des activités disponibilités en main-d'œuvre pendant les périodes de
traitement et surtout de récolte. Le prix implicite du travail
cacaoyères et accroît les revenus monétaires des chefs augmente et les planteurs embauchent des salariés
exploitations. Il s'ensuit un allégement des contraintes de agricoles en provenance du Nigeria.
liquidités et plusieurs ajustements des combinaisons
productives optimales. Ces ajustements sont tributaires de la En revanche dans le Centre, 70 % des plantations
rareté relative des facteurs de production (terre, travail, cacaoyères ont plus de 26 ans et sont dans la partie
capital) mais également des fonctions techniques du cacao stabilisée du profil de production. La sensibilité des
par rapport à l'intensification qui varient selon les régions. rendements à l'intensification est plus faible. La diminution de

44 Économie Rurale 239/Mai-Juin 1997


la superficie par exploitation (par rapport au Sud-ouest) cacaoyère. L'offre vivrière baisse. Le rôle de c
induit une baisse des revenus monétaires et un complémentarité des vivriers qui financent le cycle O
renforcement des contraintes de liquidité que ne compense par d'exploitation sur le cacao a pour conséquence une fonction d'offre
l'augmentation du prix du cacao et des vivriers. vivrière atypique par rapport aux changements des prix.
Dans les deux régions, la contrainte de liquidité joue un <0
Nous avons peu repéré des complémentarités liées aux
rôle majeur. Si l'extension des activités non agricoles en synergies dans l'emploi d'intrants. Les pesticides utilisés
milieu rural est susceptible de desserrer cette contrainte, sur le cacao n'ont pas d'effets agronomiques joints pour
il apparaît dans nos enquêtes que l'éclatement des unités les vivriers et les engrais sur cacao sont peu utilisés dans
budgétaires liées à la diversification des revenus ne les zones de forêt tropicale.
permet pas un équilibrage automatique entre le budget de
l'exploitation agricole et celui du ménage rural. La division sociale du travail a-t-elle un impact
sur l'interaction cacao-vivriers ?
2. L'accroissement de l'offre de cacao L'intensification des systèmes techniques cacaoyers
a-t-elle un impact sur l'offre vivrière ? sature les disponibilités en travail des actifs résidents.
L'offre de vivriers agrégée en kilo calories baisse en
La saturation des disponibilités en travail raison de "l'abandon" du plantain par les hommes et des I
Sur une première partie des fonctions d'offre de cacao tubercules par les femmes. Les femmes participent
par exploitation (figure 2), l'offre vivrière (agrégée en effectivement à la récolte du cacao (70 % des temps de
kilo calorie) baisse lorsque l'offre de cacao augmente travaux sur une plantation). L'accroissement des
dans les deux modèles du Centre-Sud et du Sud-ouest. rendements en cacao diminue l'offre en tubercules de
En statique, cacao et vivriers sont concurrents en raison septembre à décembre dans le Sud-ouest. En revanche, dans le
de la disponibilité du travail compte tenu des calendriers Centre, la disponibilité en travail des femmes est
culturaux et de la division sociale du travail. La suffisante compte tenu de la faible sensibilité des rendements
concurrence n'est pas homogène pour tous les vivriers. Elle est en cacao à l'intensification. L'offre en tubercules est peu
dominante pour la principale culture de rapport des modifiée par une relance du cacao.
hommes : la banane plantain. Elle est plus faible pour les
autres vivriers cultivés par les femmes : macabos, L'accroissement des revenus cacaoyers diminue le prix
maniocs. implicite du capital. La pression démographique
Sensibilité offre de cacao et vivriers dans le sud-ouest, augmente celui de la terre. Ces deux effets complémentaires
production/exploitation moyenne devraient induire une intensification en intrants des
systèmes de production vivriers. Cet enchaînement ne se
produit pas pour plusieurs raisons :
• L'intensification du système de production vivrier se
justifie quand la terre devient une ressource rare. Ceci
est constaté lorsque la pression démographique remet en
Illustration non autorisée à la diffusion cause les superficies par actif nécessaires à la
reproduction du système extensif. Quand cette situation se
produit, la diminution de la superficie cultivable par
Production cacao (Kg)(Kg) exploitation entraîne une diminution des revenus et une
Production
Production plantain
manioc (Kg) aversion plus forte pour le risque. Les femmes, les plus
Production vrvnèra Kgcalones soumises à ce risque n'ont pas les moyens financiers
81 100 119 138 157 178 195 d'acquérir des intrants pour compenser la baisse de
Prix du cacao indice basa 100 an 1992
des rendements. Ce
de techniques autonomes par
en capital (intrants) et la recherche
inter-cultures sur le plan
de culture associé qui émerge
au marché dans un contexte de
Ce système est à l'origine d'une
sans accroissement de la

des ressources
travail est plus élevée dans les
extensifs fondés sur la valorisation
De fait, les jeunes
zones à faible pression

Économie Rurale 239/Mai-Juin 1997 45


c Lorsque le capital agro-écologique est consommé, une L'impact des prix dans les systèmes
O condition de la complémentarité entre les cultures d'exportation de production caféiers
et vivrières est éliminée. La disparition de cette liaison
%J(0 affecte la compétitivité des cultures d'exportation.
<0 1. L'effet prix sur la production du café
L'effet revenu et la contrainte de sécurité alimentaire
sur le surplus marchand Les facteurs de production mobilisés pour le café sont
principalement le travail (familial, salarié), la terre
Les femmes gèrent la sécurité alimentaire dans un ressource rare dans la zone Robusta, enfin le capital c'est à
contexte de bas revenus qui rend difficile un dire les pesticides et l'engrais. Nos simulations révèlent
approvisionnement alimentaire extérieur. La dépendance de cette que la sensibilité prix de l'offre est faible dans la zone
sécurité aux aléas climatiques explique la mise en œuvre Arabica en raison de l'âge des plantations du café
d'une capacité de production qui assure la subsistance Arabica (60 % de la superficie en café Arabica a plus de 25
dans l'hypothèse de la pire année climatique. Il y a ans). En revanche dans les deux zones du café Robusta
o genèse d'un surplus d'autoconsommation induit par
to les potentialités d'élévation des rendements sont élevées.
l'intensité de la contrainte de sécurité alimentaire. Un Dans la zone Robusta, les rendements sont plus sensibles
o meilleur accès au marché par une amélioration des à une intensification en intrants. Des plantations
s infrastructures "pourrait" avoir pour conséquence une aujourd'hui abandonnées pourraient rapidement être
diminution de ce surplus d'autoconsommation de remises en culture.
«A précaution. Ces enchaînements montrent une concurrence
entre les cultures d'exportation et le surplus vivrier des Une différence importante entre les deux zones est le
3 femmes lorsque la pression démographique limite les rôle de la production vivrière. En zone Arabica, la
conditions de reproduction du système extensif. production vivrière est insérée dans les plantations et la
pratique du système des cultures associées domine. En zone
Dans ce contexte, les effets de la dévaluation du Fcfa robusta, les vivriers sont juxtaposés à la plantation.
sont susceptibles de relancer l'offre en cacao par un
double phénomène d'intensification des plantations L'impact du prix sur la production de café montre que la
existantes et de redémarrage des plantations nouvelles. Le contrainte d'autoconsommation est la variable centrale
surplus vivrier qui approvisionne les villes risque de rester qui rigidifie la sensibilité de l'offre agricole sous une
un surplus de complémentarité lié à l'extension du cacao. hypothèse de maximisation des marges brutes. La
Sur le plan historique, ce surplus n'a pas été suffisant plasticité de l'offre agricole est étroitement liée comme pour le
pour satisfaire la demande alimentaire urbaine dans les cacao aux conditions de production des vivriers.
années 1970-1980. Les prix des vivriers aux
consommateurs n'ont cessé d'augmenter (graphique 1). 2. L'effet prix sur la production des vivriers
L'utilisation de la programmation linéaire comme outil L'offre vivrière est peu sensible aux changements des
de recherche opérationnelle permet d'expliquer les prix relatifs en raison de la rigidité technique des
interactions entre cacao et vivriers en courte période. Nos systèmes de culture associés dans lesquels très peu d'intrants
simulations (figure 2) révèlent une concurrence entre sont utilisés. Cette faible utilisation s'explique par les
cacao et vivriers sur un plan micro-économique qui varie contraintes de liquidités que gèrent les femmes et par des
d'intensité entre les régions selon la disponibilité problèmes de disponibilités des intrants en zones rurales
saisonnière du travail dans les exploitations. Cette (engrais et semences améliorées). Dans les deux zones
disponibilité est forte quand la cacaoyère n'exprime pas son cafés, les vivriers sont à 90 % produits pour l'autocon-
potentiel de production. Lors d'une intensification des sommation du ménage.
plantations en cacao la production vivrière baisse.
L'intensification en capital sur vivriers ne se produit pas. Les modèles montrent que, si le prix des vivriers
Dans une hypothèse dynamique qui se traduit par baissent, la production pour l'autoconsommation reste stable
adjonction de nouveaux actifs, sur de nouvelles et le surplus commercialisé diminue. Par ailleurs une
superficies, cacao et vivriers sont complémentaires. Cette hausse du prix des vivriers n'implique pas un
complémentarité est fondée sur la valorisation du capital accroissement de l'offre commercialisée en raison des rigidités
agro-écologique des zones forestières. techniques liées à la non utilisation d'intrants. Un cas
particulier est posé par la production maraîchère en zone
L'épuisement de ce capital agro-écologique se traduit par arabica qui fait l'objet d'un développement récent. La
l'augmentation de la quantité de travail pour l'obtention sensibilité de l'offre aux prix est forte dans les
d'un même volume de production alimentaire. La exploitations pour lesquelles les contraintes de liquidités sont
rentabilité de l'investissement nécessaire à la régénération des devenues secondaires.
plantations cacaoyères est alors inférieure à celle
obtenue dans la mise en valeur de nouvelles forêts. La prise 3. L'impact de l'interaction café-vivriers
en compte du rôle central que joue les conditions de
production des vivriers apparaît comme une explication L'interaction café-vivriers est marquée par des relations
importante de la plasticité des systèmes de production de concurrences et de complémentarités complexes. Les
agricole aux changements des prix relatifs. activités caféières et vivrières sont en concurrence par

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rapport aux facteurs de production (terre, travail et par complémentarité au cacao induit une baisse du prix
capital) en fonction de la division du travail entre les implicite de l'autoconsommation et une forte capacité
hommes et les femmes, des caractéristiques des systèmes de d'ajustement des systèmes de production aux
cultures et enfin, des règles de gestion de la trésorerie changements des prix. La compétitivité des cultures
d'exploitation entre hommes et femmes. Ces variables ne d'exportation est liée à des faibles coûts de production en raison
sont pas homogènes selon les zones. du caractère complémentaire des produits vivriers sur
trois plans interactifs. Le premier est de procurer des
De fait, une concurrence est mise en évidence dans les liquidités nécessaires au cacao en l'absence de crédit. Le
parcelles du café Arabica associées avec des vivriers et à deuxième est induit par l'optimisation des disponibilités
certains moments de l'année quand l'homme a besoin du de main d'œuvre quand la cacaoyère est sous exploitée.
travail des femmes pour les travaux de récolte sur le Le troisième est lié à leur contribution à la sécurité
café. Des complémentarités ont lieu dans les travaux de alimentaire par l'autoconsommation ou l'apport de revenus
sarclage des femmes sur les vivriers qui bénéficient au réguliers qui sont affectés à l'acquisition de biens
café. Les hommes qui voient leur charge en travail alimentaires.
diminuer dans la plantation caféière peuvent accroître la taille
de l'exploitation. Ils augmentent le revenu du ménage ce A mesure que l'on se rapproche des marchés urbains, le
qui permet de desserrer le prix implicite du capital, rapport entre cacao café et vivrier devient concurrentiel
favorise l'acquisition d'engrais. En réalité, la pression du fait de la décapitalisation agro-écologique. La
foncière ne facilite pas des agrandissements d'exploitations capacité de transformation des systèmes vivriers, détermine
suffisants. La sensibilité de l'offre au changement des la quantité de travail nécessaire à l'obtention d'une I
prix est très faible en raison des rigidités inhérentes à la production vivrière minimale. Elle constitue un élément qui
division du travail des hommes et des femmes et du concourt à la formation du prix implicite du travail
poids des contraintes de liquidités. Ces rigidités de la familial et à la compétitivité des cultures d'exportation.
division du travail entre hommes et femmes par cultures L'ajustement des systèmes de production vivrier ne peut
sont en relation avec la technicité de certains travaux. s'opérer en raison des contraintes de liquidités qui
bloquent les possibilités d'intensification en intrants. La
mise en place d'une politique de crédit rural dans les
Conclusion zones à forte pression démographique est un élément
pour lever les blocages identifiés. D'autres blocages sont
liés aux conditions de l'environnement structurel comme
Cultures d'exportation et vivrières sont complémentaires l'insuffisance de la vulgarisation.
dans le cadre d'un développement extensif fondé sur la
consommation des ressources naturelles Enfin le progrès technique peut invalider les rigidités des
(décapitalisation agro-écologique). Les conditions d'obtention de la systèmes de production agricoles que nous soulignons.
production vivrière destinée à l'autoconsommation Ce progrès technique initié par la recherche implique des
déterminent la plasticité des systèmes de production des investissements importants peu à la portée des
cultures d'exportation aux changements des prix relatifs. économies nationales dans un contexte macro-économique
La valeur de l'autoconsommation est la quantité de d'ajustement structurel. L'orientation actuelle des
travail consacrée à l'obtention de cette autoconsommation bailleurs de fonds internationaux est-elle proportionnelle
et/ou la quantité de nourriture qu'aurait permis d'acquérir aux défis auxquels doit faire face le secteur agricole et
cette quantité de travail affectée aux cultures l'agriculture vivrière des pays de l'Afrique tropicale
d'exportation. Si le prix du cacao augmente, la valeur de humide ?
l'autoconsommation diminue dans une situation de non
concurrence entre les activités. Or nous constatons une
complémentarité dans les fronts pionniers mal connectés Les
au marché, où le prix d'achat des vivriers serait I Andréa
Ludovic
deauteurs
Hohenheim
FADANI
TEMPLE
remercient
• Agro-économiste,
• Sandrine
Agro-économiste,
Dury pourUniversité
ses
Cirad-Flhor
corrections.
susceptible d'être le plus élevé. Dans ces zones, le surplus vivrier

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l'offre. Thèse Université Paris 1, 1991, 567 p. 300 p.

Les
séminaires
de politique Chaque deuxième vendredi du mois, de 13 h 30 à 15h30,
à I'Engref, 19 avenue du Maine, 75015 Paris.
agricole Ces séminaires permettent la rencontre et des échanges
de la Sfer fructueux avec un spécialiste sur une question d'actualité.

Prochaines rencontres :

Vendredi 16 mai 1997


Bertrand Hervieu • Cnrs - Cevipof
Agriculture : le tournant nécessaire.
Présentation de recherches autour du « groupe de Bruges».

Vendredi 13 juin 1997


Luis Portugal • Ocde
Agriculture et environnement : les travaux de I'ocde

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