Sociologie de La Déviance

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Collection « Trajets »
fondée par Luc Fauconnet (†)
dirigée par Jacques Faget
Cette collection est consacrée à l’analyse des dérèglements sociaux et des
réponses politiques, judiciaires et sociales qui leur sont apportées.
Elle a pour objectif de diffuser des ouvrages de réflexion, des travaux de
recherche, et de faire connaître des initiatives institutionnelles et citoyennes
qui contribuent à la construction d’un mieux-vivre ensemble.

Retrouvez tous les titres parus sur


www.editions-eres.com
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Sociologie de la délinquance
et de la justice pénale
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DU MÊME AUTEUR

Aux Éditions érès


dans la collection « Trajets »

Médiations : les ateliers silencieux de la démocratie,


2010

De la parenté à la parentalité, 2001


(en codirection avec Alain Bruel, Lucille Jacques,
Monique Joecker, Claire Neirinck, Gérard Poussin)

La justice de proximité en Europe.


Pratiques et enjeux, 2001
(en codirection avec Anne Wyvekens)

La médiation. Essai de politique pénale, 1997

Justice et travail social. Le rhizome pénal, 1992

Chez d’autres éditeurs

Saisons. Pourquoi mourez-vous ?


éd. Cheminements, 2007

Médiation et action publique.


La dynamique du fluide,
Presses universitaires de Bordeaux, 2005

La part du feu, ou la victoire d’Aristide,


paysan de Gascogne
éd. Cheminements, 2003
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Jacques Faget

Sociologie de la délinquance
et de la justice pénale

trajets
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Conception de la couverture :
Anne Hébert

Version PDF © Éditions érès 2013


ME - ISBN PDF : 978-2-7492-2353-7
Première édition © Éditions érès, 2002
33, avenue Marcel-Dassault, 31500 Toulouse
www.editions-eres.com

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fax 01 46 34 67 19.
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Table des matières

Introduction................................................................ 9

1. LA NAISSANCE DE LA SOCIOLOGIE
DE LA DÉLINQUANCE ET DE LA JUSTICE PÉNALE ............ 17
Les différents visages du déterminisme .................... 19
Le contrepoint relativiste des juristes français .......... 24
Émile Durkheim : le premier sociologue .................. 26

2. LES THÉORIES CULTURALISTES ................................ 33


La désorganisation sociale ........................................ 34
Les gangs ............................................................ 37
Les aires de délinquance ........................................ 39
L’association différentielle ........................................ 42
Les conflits de culture................................................ 45

3. LES THÉORIES DE LA TENSION .................................. 51


L’anomie .................................................................... 52
Système scolaire et sous-culture délinquante ............ 56
Les opportunités différentielles ................................ 57

4. LES THÉORIES RATIONALISTES .................................. 63


Les techniques de neutralisation................................ 64
La théorie du lien social ............................................ 66
Les théories du choix rationnel.................................. 68
La théorie du life style model .................................. 69
La théorie de l’activité routinière .............................. 70
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5. LES THÉORIES DE LA RÉACTION SOCIALE .................. 75


La perspective interactionniste .................................. 76
L’amplification secondaire de la délinquance .............. 79
Le processus d’étiquetage ...................................... 80
La stigmatisation .................................................. 88
La construction sociale de la délinquance ................ 93
La criminologie critique ............................................ 98

6. LES PERSPECTIVES ACTUELLES


DE LA SOCIOLOGIE DE LA DÉLINQUANCE
ET DE LA JUSTICE PÉNALE .......................................... 105
Une sociologie des politiques pénales ...................... 106
Une sociologie de la norme pénale............................ 107
Une sociologie de la régulation sociale ...................... 115
Une sociologie des transgressions ............................ 120
Une sociologie de la violence et de l’insécurité .......... 120
Une sociologie du crime organisé ............................ 130
Une sociologie des institutions pénales .................... 133
Une sociologie de la police...................................... 133
Une sociologie de la justice pénale .......................... 137
Les stratégies adaptatives de la justice pénale .......... 138
Les logiques de fonctionnement de la justice pénale .. 143
Une sociologie de la prison et du milieu ouvert .......... 149

BIBLIOGRAPHIE ............................................................ 157


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À Jean Pierre Delmas Saint Hilaire,


et Philippe Robert
qui m’ont ouvert le chemin

À mes étudiants
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Introduction

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les recherches sur le crime


relevèrent presque exclusivement du domaine médical.
Mais l’hégémonie des médecins s’étiola lorsqu’on comprit
que le comportement délinquant n’était pas nécessairement
le fruit d’un organisme déficient mais qu’il pouvait aussi
avoir des raisons sociales. Dans un ouvrage publié en
1885, Garofalo proposa de rassembler l’ensemble des
approches scientifiques du crime sous le nom de crimino-
logie. Le caractère flou et fédérateur du terme lui assura un
grand succès. La criminologie se présente en effet comme
un domaine de connaissances pluridisciplinaires dont les
principales déclinaisons (sociologie, psychologie, psychia-
trie, histoire, droit, médecine, police technique, anthropo-
logie…) se veulent complémentaires.
L’approche sociologique du crime et de la justice
pénale n’est donc qu’un des éléments de la boîte à outils
qu’est la criminologie. Elle est généralement désignée sous
le terme de sociologie criminelle ou sociologie pénale.
L’expression sociologia criminale (Ferri et Colajanni en
revendiquent tous deux la paternité) permit au mouvement
italien des juristes socialistes de se démarquer des théories
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10 Sociologie de la délinquance et de la justice pénale

innéistes ou héréditaires dominantes. Son usage français


fut assez rapide. Il apparaît dès 1886 dans le premier
numéro de la Revue d’anthropologie criminelle, Durkheim
lui consacre un cours spécifique à l’université de Bordeaux
à partir de 1892 et une rubrique « Sociologie criminelle et
statistique morale » est ouverte en 1898 par Gaston
Richard dans la revue L’année sociologique. Mais il faudra
attendre les années 1920 aux États-Unis et les années 1960
en Europe pour qu’une véritable pratique de recherche se
développe sous ce nom. En 1981, Philippe Robert propose
de parler plutôt de sociologie pénale. Traditionnellement,
en effet, la sociologie criminelle est conçue comme une
sociologie du passage à l’acte qui tente de comprendre
quelles sont les circonstances sociales qui conduisent un
individu à commettre un acte délinquant. Avec les théories
interactionnistes et les théories du contrôle social, l’atten-
tion se déplace sur les processus de définition du crime et
les mécanismes de réaction sociale face à la transgression.
Pour marquer cette rupture, il paraissait opportun d’avoir
recours à une autre dénomination. Celle de sociologie
pénale se justifiait par le fait que la loi ne donne aucune
définition du crime, celui-ci n’étant repérable que par la
peine qui s’applique à la conduite sanctionnée.
On parlera cependant ici de sociologie de la délin-
quance plutôt que de sociologie criminelle et de sociologie
de la justice pénale plutôt que de sociologie pénale. Les
raisons de ces choix sont multiples. L’expression « socio-
logie criminelle » présente le désavantage de désigner le
tout, l’ensemble des infractions, par sa partie la plus grave
et pourtant de très loin la plus rare. Une telle mise en spec-
tacle de l’objet s’éloigne du propos des travaux sociolo-
giques qui, dans leur immense majorité, se préoccupent
davantage de la délinquance juvénile ou de la délinquance
de masse que des conduites sanglantes qui défrayent la
chronique. L’expression « sociologie pénale » donne à
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Introduction 11

juste titre une place centrale aux réactions sociales à la


transgression mais elle focalise l’attention sur l’issue du
processus pénal qui est l’attribution d’une peine alors que
l’appareil judiciaire n’a pas que cette finalité. Il est l’épi-
centre d’un jeu complexe de régulations sociales qui n’ont
pas seulement une fonction répressive mais d’organisation
du contrôle social et de prévention. Si nous parlons de jus-
tice pénale, c’est pour éviter d’avoir recours à la notion de
système qui est loin de faire l’unanimité parmi les spécia-
listes. Mais il faut comprendre cette expression comme
l’ensemble des organes qui participent à la production
symbolique et instrumentale des décisions de justice :
acteurs participant à la création de la norme pénale, police
et gendarmerie, magistrature, avocats, travailleurs sociaux,
experts et administration pénitentiaire. Notre propos est
enfin, dans l’adoption d’un titre qui associe sociologie de
la délinquance et sociologie de la justice pénale, de mon-
trer qu’il ne s’agit pas de deux courants sociologiques
séparés mais complémentaires, en interpénétration réci-
proque constante et qui s’enrichissent mutuellement.
Pour avoir une vision la plus claire possible de l’objet
de la sociologie de la délinquance et de la justice pénale, il
faut évoquer les différents axes de recherche dont elle est
la résultante et qui en font non pas une science mais un
domaine de réflexion à géométrie variable.

Sociologie de la déviance Sociologie du droit

Sociologie de la délinquance
et de la justice pénale

Sociologie politique Sociologie des organisations


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12 Sociologie de la délinquance et de la justice pénale

La sociologie de la délinquance est dans un premier


temps irriguée par la sociologie de la déviance. Cette der-
nière a en effet un objet plus vaste et englobe la sociologie
de la délinquance. Le mot « déviance » désigne en effet
l’ensemble des conduites sociales qui s’écartent d’une
norme. La délinquance n’est constituée que des déviances
socialement réprouvées et considérées comme punissables
en vertu d’une loi pénale. Mais il existe une grande poro-
sité entre les deux domaines car les frontières entre
déviance et délinquance sont extrêmement relatives dans
l’espace et dans le temps.
La sociologie du droit se préoccupe d’analyser le phé-
nomène de la production législative, l’effectivité ou l’inef-
fectivité des textes de loi mais surtout la fonction du droit
dans la société pris dans son sens le plus large, droit codi-
fié ou modes alternatifs de régulation juridique. Tout ce qui
concerne la création du droit pénal, la manière dont il est
ou non mis en œuvre, les interactions entre le droit pénal et
les autres modes de régulation des conflits sociaux entre
donc de plain-pied dans le domaine de la sociologie de la
justice pénale.
La sociologie politique a pour objet l’analyse de l’État,
de l’idéologie, du pouvoir politique et des relations qu’il
entretient avec les autres pouvoirs, de la manière dont se
construisent les politiques publiques. Cette démarche nous
intéresse ici dans la mesure où la politique pénale consti-
tue une politique publique orientée par l’État en fonction
du contexte idéologique et économique et en interaction
avec les mouvements sociaux.
La sociologie des organisations analyse le fonctionne-
ment d’ensembles humains ordonnés et hiérarchisés en vue
d’assurer la coopération de leurs membres pour atteindre
les buts définis. Elle concerne aussi bien les administra-
tions publiques que les entreprises, les partis politiques ou
les associations. La connaissance des logiques et des
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Introduction 13

modes opératoires de la justice pénale ne peut donc se


concevoir sans son appui.
Discipline métissée dont l’objet chevauche plusieurs
domaines de connaissance, la sociologie de la délinquance
et de la justice pénale n’a pas de méthodes qui lui seraient
spécifiques. Elle les puise dans le pot commun des
méthodes quantitatives (statistiques, questionnaires…) et
qualitatives (entretiens, observation…) qui se sont
construites tout au long de l’histoire des sciences
humaines. Mais il faut insister, notamment dans les disci-
plines criminologiques où la mise en jeu de nos angoisses
et de nos valeurs est considérable, sur le fait que la
démarche scientifique d’observation de la réalité sociale ne
se résume pas à la simple mise en œuvre de techniques. Le
premier travail du chercheur est épistémologique. Il doit
analyser le contexte politique, économique et historique
qui conditionne la production du travail scientifique. Mais
il doit également exercer une réflexivité sur son action,
questionner sa relation à l’objet, considérer qu’il fait lui-
même partie de la recherche car l’explication que l’on
donne du monde constitue toujours dans une certaine
mesure l’explication que l’on se donne de soi-même. La
tâche n’est pas facile car l’ampleur du « social intériorisé »
entrave justement la prise de conscience des parasitages du
regard. Mais seul cet effort est susceptible d’éviter au cher-
cheur de ressembler à cet étranger évoqué par un proverbe
africain qui ne voit que ce qu’il sait déjà.
Nous évoquerons de manière chronologique la façon
dont cette discipline s’est construite (chapitre 1) puis les
différents paradigmes qui ont marqué son évolution. Il
s’agira de montrer comment le savoir actuel s’est bâti, par
apports successifs, de manière cumulative. Certes, comme
le disait Popper, on connaît toujours contre les connais-
sances antérieures et l’histoire de la criminologie ne
manque pas de querelles entre anciens et modernes. Ce
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14 Sociologie de la délinquance et de la justice pénale

besoin irrépressible des chercheurs de critiquer les travaux


antérieurs exprime leur désir ardent de découverte, le souci
d’affirmer qu’ils apportent une pierre inédite à l’édifice,
mais cache souvent aussi la recherche d’une légitimité ins-
titutionnelle. Il faut savoir que les travaux ayant connu le
plus grand succès n’ont pas été nécessairement les plus
pertinents. L’histoire est souvent injuste envers tous ceux
qui, n’ayant pas le sens de la publicité, doutant trop de
leurs résultats ou n’appartenant pas à une école influente,
récalcitrants à entrer dans une famille de pensée ou trop
atypiques par rapport à l’esprit du temps, n’ont pas su ou
pas pu atteindre la notoriété. Le propos de cet ouvrage
concis n’est ni de les sortir de l’oubli ni d’attribuer des gra-
tifications aux uns ou aux autres mais seulement de retra-
cer les principales étapes du chemin (odos) qui mène vers
(meta) les connaissances que nous maîtrisons aujourd’hui.
L’épine dorsale du débat sociocriminologique se situe
au croisement de deux postures philosophiques et scienti-
fiques. La première oppose des conceptions plus ou moins
déterministes ou libérales de l’acte délinquant, la seconde
distingue une focalisation sur l’explication du passage à
l’acte délinquant ou bien sur la manière dont les institu-
tions définissent les limites à ne pas franchir et en sanc-
tionnent ou non la transgression. Ces deux césures sont
moins évidentes que l’histoire de la sociologie de la délin-
quance les a souvent présentées. De nombreux travaux
naviguent entre déterminisme et libéralisme ou empruntent
aux deux paradigmes dits du passage à l’acte et de la réac-
tion sociale. Pour autant, tout n’est pas dans tout et il existe
quatre courants dominants qui permettent de baliser un
certain nombre de chemins. Le premier, que l’on qualifiera
de culturaliste, est largement focalisé sur l’analyse des
chocs culturels dus à l’intensification des phénomènes
d’immigration et préoccupé par les processus d’intégration
des immigrants. Il considère la délinquance comme le
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Introduction 15

produit de la désorganisation de la structure sociale et cul-


turelle qui préside à la socialisation des individus (chapi-
tre 2). La deuxième perspective, connue sous l’appellation
de théories de la tension, postule que la nature de l’homme
est conformiste. C’est le fait de ne pouvoir accéder à la réa-
lisation de désirs pourtant légitimes qui pousse les indivi-
dus à la transgression (chapitre 3). Le troisième courant de
pensée est rationaliste. Il part du postulat inverse que la
transgression est naturelle à l’individu et que, dès lors,
c’est la nature du contrôle social qui s’exerce sur ses com-
portements qui peut en assurer la normalité (chapitre 4).
Enfin, une quatrième posture de recherche considère qu’il
est vain de se demander qui est le délinquant sans aupara-
vant s’être interrogé sur la définition même du crime et de
la délinquance. Elle opère donc un travail de déconstruc-
tion des catégories sociales et juridiques et présente la
délinquance comme le produit d’une négociation sociale,
d’une construction judiciaire ou d’une logique politique et
économique de domination (chapitre 5). Après avoir pré-
senté ces différentes théories, il sera alors temps d’évoquer
les tendances actuelles de la recherche sociologique sur la
délinquance et la justice pénale (chapitre 6).
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La naissance de la sociologie
de la délinquance
et de la justice pénale

Alors que les sciences exactes et les sciences de la


nature – biologie, mathématiques, astronomie, physique –
se sont dégagées de l’étreinte de la métaphysique, les
sciences humaines restèrent longtemps bridées par le
dogme catholique et la censure politique. L’extension de
« l’esprit scientifique » depuis les Lumières et les grandes
mutations sociales provoquées par la révolution indus-
trielle n’en favoriseront que lentement l’essor. La pensée
positiviste qu’Auguste Comte s’efforça d’appliquer à
l’analyse des faits sociaux ne fut guère pratiquée dans l’ap-
proche des questions criminelles et l’inquiétude manifestée
par la bourgeoisie face à une classe ouvrière grossissante
dont elle craignait les révoltes nourrit des approches plus
moralistes que scientifiques. Il faut souligner qu’en cette

On se reportera avec intérêt à deux ouvrages qui ont nourri une grande part de mes
réflexions, Histoire de la criminologie française (sous la direction de Laurent
Mucchielli), Paris, L’Harmattan, 1994 et Histoire des savoirs sur le crime et la peine,
Bruxelles, De Boeck Université, 1995.
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18 Sociologie de la délinquance et de la justice pénale

matière le chemin de la rationalité a de tout temps été semé


d’embûches spécifiques.
Le premier obstacle tient à l’irrationalité de l’objet. La
peur et la fascination qu’inspire le crime constituent des
entraves à une approche objective. Il faut dominer la peur
sous toutes ses formes : peur de l’autre, de celui qui est dif-
férent, dont les traits ressemblent étrangement au portrait-
robot dessiné par Lombroso, front bas, sourcils épais,
pommettes saillantes, regard fuyant, stigmates anthropomé-
triques de la lâcheté ou de l’indifférence affective. Il faut
dompter la peur qu’inspirent ces hordes de marginaux, de
pauvres, d’ouvriers misérables, déracinés par les grandes
manœuvres industrielles, qui errent dans la promiscuité
d’univers urbains anomiques. Il faut aussi maîtriser la fas-
cination qu’inspire le crime. Parler du crime est une valeur
d’échange, commerces et cafés résonnent de discours « cri-
minologiques » de sens commun où s’expriment à la fois
l’inquiétude et la jubilation. Lire et voir le crime s’inscri-
vent dans des logiques de marché, business lucratif du fait
divers, de la littérature policière, des films ou des séries
télévisées qui dans une large majorité puisent leur source
d’inspiration dans l’univers du crime et de la délinquance.
Le projet rationaliste en criminologie se heurte aussi à
l’irrationalité de l’univers qu’il se propose d’analyser. La
base des incriminations pénales est auréolée d’une repré-
sentation du péché. Partout les critères de définition du
crime et la justification de sa répression s’inspirent claire-
ment de la religion : les Dix Commandements des religions
judéo-chrétiennes, les infractions had du droit musulman,
le dharma de la religion hindoue… La rationalité juridique
occidentale non seulement ne rompt pas avec ces racines
mais s’inscrit tout entière dans un univers du mythe. La
transgression doit être châtiée selon une liturgie. Les
magistrats rendent la justice dans un décor souvent boisé
censé attirer et leur transmettre un charisme divin. Les
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La naissance de la sociologie de la délinquance… 19

lieux du culte pénal présentent tous les symboles d’une


église : l’austérité des palais de justice, la disposition des
espaces dans les salles d’audience, les vêtements des offi-
ciants, la langue judiciaire et ses codes, et jusqu’à très
récemment la présence d’un christ surplombant le bureau-
autel des magistrats. Beaucoup d’entre eux, d’avocats, de
criminologues des pays occidentaux ont été élevés dans les
principes de la foi catholique ou protestante. La spiritualité
de leur discours est souvent sensible, et l’évolution de la
politique pénale a été durablement marquée par des cou-
rants de pensée dont la nature confessionnelle est notoire,
comme par exemple le courant d’obédience catholique de
la défense sociale nouvelle qui a inspiré la plupart des
réformes réalisées entre 1945 et 1975.
Quelques médecins, juristes, démographes ou réfor-
mateurs sociaux tentèrent cependant de mettre en œuvre
une approche rationnelle du crime. Ils ne le firent que de
manière peu systématique dans une démarche se préoccu-
pant de considérations sociales plus générales. On peut
cependant qualifier leurs approches de présociologiques
dans leur façon de souligner l’importance des causes
sociales sur la criminalité et de se démarquer des discours
dominants sur les facteurs innés. Le débat opposa globale-
ment les juristes, partisans du dogme de l’autonomie de la
volonté selon lequel les individus sont maîtres de leurs
décisions et doivent être considérés comme pleinement
responsables de leurs actes – le fameux traité des délits et
des peines de Cesare Beccaria (1764) illustre cette pos-
ture –, à des médecins ou à des philosophes portant l’ac-
cent sur les conditionnements de l’activité humaine.

Les différents visages du déterminisme

La vision positiviste de la délinquance prendra des


formes diverses et rassemblera des chercheurs dont le

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