Entrevue Chalmers
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Entrevue Chalmers
POST-CAPITALISTE
http://www.papda.org/article.php3?id_article=486
Interrogé sur les origines de la crise financière et de la récession mondiale qui sont à nos
portes, Monsieur Chalmers explique que nous ne faisons pas seulement face à une crise
économique et financière, mais que nous sommes en présence d’une crise beaucoup
plus globale de tout le système capitaliste, une crise liée aux contradictions mêmes du
système capitaliste. C’est toute la globalisation néolibérale qui est aujourd’hui en crise.
Ainsi, tout ce qui a été prescrit par les responsables des États et par les responsables des
grandes firmes multinationales au cours des 20 dernières années, notamment la non-
intervention de l’État et la dérégulation dans le domaine financier est aujourd’hui remis
en cause. Au cours des 30 dernières années, nous avons assisté à une accélération du
processus de financiarisation. Ce processus consiste à rechercher un profit maximal
grâce à des masses de capitaux, sans toutefois tenir compte du véritable rythme de
croissance de l’économie réelle, c’est-à-dire du cycle de production des richesses
matérielles. Les capitaux sont principalement investis dans la spéculation financière ce
qui créé un découplage entre l’économie réelle et la sphère financière. Alors que les
entreprises transnationales enregistrent des profits variant de 15 à 45%, le taux de
création de richesse lui, ne croît qu’à un rythme de 3 ou 4 %. L’économie croît donc à
un rythme nettement plus lent que la croissance des profits. C’est ce processus de
financiarisation qui mène tout droit à des catastrophes pourtant prévisibles. La crise a
une double dimension.
La situation risque donc d’être de plus en plus difficile, puisqu’au lieu de changer de
paradigme et d’essayer de contrôler les finances, on ne fait qu’appliquer des mesures
temporaires qui permettront au système actuel de continuer de fonctionner. Or pour
contrer la crise que nous traversons, il faudrait plutôt changer de logique et mettre en
place un système économique plus rationnel qui tienne compte de la réalité des
masses dans les pays du sud. Il faudrait penser un système qui mettrait les surprofits
engrangés de façon scandaleuse par les grandes firmes au service de l’humanité, des
salariés, du domaine de la santé publique, de l’éducation, de la reforestation et de
tous les problèmes sociaux qui affectent l’humanité, particulièrement dans les pays du
sud. Un des grands scandales de la mondialisation néolibérale consiste justement en ce
que le pouvoir d’achat de la grande masse des salariés a été bloqué ou a connu une
régression. Les salaires ont pratiquement été bloqués depuis les années 90 pendant
que, parallèlement à cela, la rémunération des capitalistes a atteint des sommets
inégalés. Nous avons appris récemment que plus de 36 milliards de dollars américains
avaient été redistribués en primes. Certaines personnes ont reçu en deux ans des
sommes avoisinant les 200 millions de dollars. La richesse créée par les travailleurs est
donc dirigée vers cette spéculation financière, ce qui est absolument inacceptable.
Afin d’assurer une croissance toujours plus importante des profits, on a multiplié les
innovations financières et inventé toutes sortes de produits dérivés, qui ne sont en fait
rien de plus que des mécanismes financiers permettant d’augmenter
considérablement les profits à partir de richesses créées. Avec les subprimes par
exemple, on a donné du crédit à des millions de familles, sachant pertinemment
qu’elles seraient incapables de rembourser les sommes empruntées. Ces produits ont
ensuite été revendus à d’autres banques, puis vendus plusieurs fois dans différents
circuits financiers, manipulés par des compagnies d’assurance, pour finalement aboutir
à des biens dont la valeur n’avait plus aucune commune mesure avec la valeur initiale
et réelle des biens vendus.
Tout cela s’inscrit par ailleurs dans un contexte d’endettement général. L’économie
américaine connaît une crise fondamentale de surendettement : endettement des
ménages, des entreprises, de l’État, de même qu’un endettement par rapport au reste
du monde. C’est précisément cette stratégie qui est en crise et qui risque d’entraîner
une rupture fondamentale de l’économie mondiale. Cette stratégie présage d’un
processus qui mènera tout droit vers le déclin de l’hégémonie économique américaine
d’ici 20 ou 25 ans. Pourquoi? Parce que pour la première fois, la crise financière se situe
au cœur même du système capitaliste. Avec les crises que nous avons connues
précédemment, qu’il s’agisse de la crise asiatique, de la crise du Brésil, du Mexique ou
de l’Argentine, on était en présence de crises en périphérie du système capitaliste.
Seule la crise du Japon présageait déjà de la faiblesse des mécanismes financiers des
pays du Nord. Mais aujourd’hui, alors que les pays investissent massivement dans les
produits financiers américains, nous nous heurtons à une crise de confiance vis-à-vis de
ces produits, ce qui se traduira par un changement radical au niveau des flux de
capitaux.
La séparation entre les banques d’investissement et les banques commerciales n’a pas
été un facteur décisif dans la crise. Grâce à la dérégulation et à l’hégémonie de
l’idéologie néolibérale, les opérateurs financiers ont eu la voie libre pour agir avec
irrégularité, en violant un ensemble de lois et de principes de précautions jusqu’à se
retrouver dans la délinquance financière. D’ailleurs, une des principales
caractéristiques de la globalisation néolibérale est l’expansion considérable de
l’économie criminelle : paradis fiscaux, trafics illicites de drogue, d’armes, de
personnes, contrefaçon de marchandises, etc. Grâce à la dérégulation, et sous
prétexte que le marché financier fonctionne mieux lorsqu’aucune règle ne lui est
appliquée et lorsque l’État n’intervient pas pour assurer le respect des normes
fondamentales de fonctionnement du système, on a favorisé l’expansion de cette
économie criminelle. Et aujourd’hui, c’est aux familles pauvres et aux salariés qu’il
revient d’assumer les coûts de cette financiarisation débridée. Cela donnera lieu à un
transfert rapide de la crise financière à la sphère de l’économie réelle, qui se traduira
par une très forte récession de l’économie américaine, des taux de chômage
importants et des réductions de programmes sociaux. Sous prétexte qu’il faut se serrer
les coudes, les entreprises vont imposer une baisse des salaires et ce sont les masses
opprimées, surexploitées qui feront les frais de cette crise et qui payeront les
conséquences d’une financiarisation débridée.
DOIT-ON JUGER LES CEO QUI SE SONT ENRICHIS EN SPÉCULANT SUR CES INSTRUMENTS
FINANCIERS?
Il faut juger les CEO pour l’utilisation fantaisiste qu’ils ont faite de l’épargne nationale
aux États-Unis. Même en Europe, où le système de régulation est plus rigide qu’aux
États-Unis, la même tendance se dessine. Il a d’abord été question de sévir en menant
une investigation de recherche du FBI en criminalité financière, puis cette voie a été
rapidement circonscrite. Les paradis fiscaux n’ont pas été inquiétés, seuls quelques
responsables des différentes pertes considérables ont dû rendre compte de leurs
actions lors d’auditions du Congrès américain, et aucun réel mécanisme n’a été mis en
place pour freiner cette spéculation irresponsable.
L’approche britannique était en fait une approche plus globale. Un des grands
problèmes provoqués par la crise était celui de la disponibilité du crédit interbancaire.
Ce crédit interbancaire est une sorte de garantie qui permet aux grandes banques de
se prêter de l’argent entre elles. Alors que l’achat des subprimes aurait représenté une
réponse sectorielle, la recapitalisation des banques a permis une reprise des activités
bancaires même sans l’assainissement global des stocks et des fonds.
Ce qui a enrayé le système, c’est le transfert de dettes vers des marchés dérivés et la
création de titres à partir de dettes toxiques. Les pays pauvres font face à ce même
problème avec leur dette. Les États-Unis ont vendu la quasi-totalité de la dette
contractée avec les pays du Tiers-Monde. Les pays africains ont vu le volume de leur
dette tripler et même quadrupler à cause de certaines opérations de fonds vautours.
Certains pays ont même entrepris une action en justice à cet égard. C’est ce même
mécanisme, qui permet une valorisation virtuelle sans commune mesure avec les actifs
réels ou les transactions financières initiales qu’il faut absolument revoir. Les différentes
banques sont en train d’effacer avec une facilité déconcertante des dettes qui
représentent plusieurs fois la dette des pays du Tiers-monde, alors qu’à ce jour, on se
refuse encore à effacer la dette du Tiers-Monde, ce qui permettrait pourtant de
transformer les relations de domination de l’économie mondiale.
Nikolai Kondratieff a étudié les cycles longs du système capitaliste et a établi qu’un
cycle durait 30 ans. Il a expliqué que la financiarisation débridée pouvait mener à une
crise semblable à celle que nous connaissons aujourd’hui. Il existe des cycles à
l’intérieur du système capitaliste, mais les crises qui surviennent diffèrent
structurellement, bien qu’elles se répètent avec régularité. Alors que nous étions
habitués à un impérialisme exportateur de capitaux, nous sommes aujourd’hui en
présence d’un impérialisme qui achète plus de l’étranger qu’il n’exporte. Les gens qui
achètent des produits américains ont une quantité importante de dollars qu’ils ne
peuvent que réinvestir par l’achat d’autres produits financiers américains. C’est ce
qu’ils feront tant et aussi longtemps qu’ils auront confiance dans le système. Dès lors
que cette confiance sera ébranlée, comme c’est le cas aujourd’hui, ces investisseurs
d’autres pays ne sauront plus que faire de leurs dollars. Cela explique l’affaiblissement
du dollar et la crise monétaire qui accompagne la crise financière. Il y aura des crises
monétaires plus importantes encore. Les détenteurs de dollars voudront investir en euro
ou dans d’autres monnaies. Cela ne signifie pas la fin du système capitaliste pour
autant, tel que l’a prédit Immanuel Wallerstein, car ce système a encore des ressorts, et
saura prolonger l’agonie encore longtemps.
C’est le découplage entre l’économie réelle et la sphère financière qui explique cela.
Nous vivons une crise de l’hégémonie du capitalisme financier. L’ordre normal des
choses à été inversé par le processus de financiarisation et c’est là la maladie
fondamentale du système capitaliste. Aujourd’hui, c’est le système financier qui
contrôle les autres secteurs d’accumulation, qui donne des ordres au secteur industriel,
qui contrôle et qui dicte les relations entre le secteur industriel et le secteur commercial.
On assiste à la fin d’une des utopies du capitalisme qui rêvait de faire de
l’accumulation financière sans avoir à passer par l’économie réelle, quitte à trouver
n’importe quel subterfuge, n’importe quel mécanisme permettant d’enregistrer des
surprofits considérables tels que ceux accumulés ces dernières années. Les chiffres
démontrent d’ailleurs clairement la domination financière en relation à d’autres
sphères de réalisation. On se retrouve avec une économie réelle qui devient un
appendice des décisions prises au niveau financier. En réalité les choses devraient être
inversées. On demande aux gestionnaires de maximiser le cours en bourse de leur
entreprise, quel que soit le coût réel de cette optimisation pour la collectivité et pour
l’ensemble de l’économie. Les priorités ont changé. On ne demande plus aux
managers de fournir des résultats en termes de création de richesse. Le résultat en bien-
être social global, en résolution de problèmes sociaux est relégué au second plan. Il
faut revoir la place du secteur financier dans l’ordonnance des rapports de forces à
l’intérieur du capitalisme.
Y’A-T-IL LIEU DE PENSER À UN CHANGEMENT PARADIGMATIQUE? QUELLES SONT LES
OPTIONS À CONSIDÉRER? Y’A-T-IL UN ESSAI DE MODÉLISATION?
J’abonde dans le sens du Journal le Monde qui écrit que malgré la mobilisation de
l’Union Européenne et l’approbation du plan de sauvetage, le chemin à parcourir reste
incertain car si les fonds d’urgence permettent d’éteindre certains feux, ils ne disent
rien sur ce qui sera bâti sur ces cendres. Les États sont aujourd’hui préoccupés par la
question du sauvetage des banques transnationales. Il faut « sauver le capitalisme des
capitalistes » car c’est la rapacité des capitalistes qui est à l’origine de la crise. Tant que
des réformes structurelles n’auront pas été introduites dans le système, que les rapports
entre capitalisme financier et capitalisme industriel n’auront pas été modifiés, qu’un
ensemble de régulations sur l’activité financière elle-même n’auront pas été introduites
et que nous n’auront pas mis un frein aux parachutes dorés accordés aux chefs
d’entreprises qui engrangent des surprofits, la donne restera la même. Au lieu de
bloquer les salaires comme cela a été fait durant les trente dernières années sous
l’égide du néolibéralisme, il faut bloquer les dividendes, contrôler les profits, taxer les
transactions financières internationales, brider la finance. Certains auteurs proposent
d’éliminer la plupart des activités financières actuelles pour ramener la finance à des
activités plus frontales telles que les questions humanitaires, les questions d’éducation,
de santé publique, etc. Les dirigeants des États des pays du centre, formés à l’école du
néolibéralisme et des capitalistes ne sont pas prêts à penser ce système post-capitaliste
où les richesses seraient mises au service de l’humanité au lieu d’être privatisées et
accaparées par l’intérêt de quelques individus. Il faut proposer un autre paradigme, un
nouvel ordre des priorités au niveau de la société pour désarmer la finance et redonner
sa juste place à l’économie, un peu à l’instar de ce que préconisait Karl Polanyi en
demandant le décentrage de l’économie en relation aux autres sphères de la société.
La FAO a demandé en juin 2008 une somme de 12,3 milliards de dollars américains
pour faire face à la crise alimentaire vécue par une trentaine de pays. Entre les mois de
juin et d’octobre 2008, elle n’a reçu qu’un milliard de dollars. Parallèlement à cela, une
somme de 700 milliards de dollars a été débloquée en un temps record dans le cadre
du plan de sauvetage aux États-Unis. C’est cet agenda insensé et obscène qu’il
importe de revoir afin de prioriser les besoins des peuples, les besoins de
développement. Ce sont les 12,3 milliards de la FAO qu’il faut financer en priorité, mais
les dirigeants de pays du centre ne sont pas prêts à faire le saut idéologique nécessaire
pour imaginer un système qui fonctionnerait sur d’autres types de valeurs et de
régulations et qui ne prioriserait pas les profits des grandes firmes transnationales.
A-T-ON RAISON DE COMPARER CETTE CRISE AU KRACH DE WALL-STREET DE 1929 OU EST-
CE ALARMISTE?
Bien que la crise financière soit profonde, nous n’en sommes pas à l’effondrement de
la production vécu après 1929, un effondrement qui atteignait alors 35 à 40% de la
production. Nous vivons une crise de confiance, une crise de fonctionnement du
système qui pourrait apporter son lot de problèmes structurels décisifs, mais le système
dispose encore de ressources pour éviter une récession aussi profonde. Aujourd’hui, la
situation diffère de celle des années 30 car nous sommes dans une période
d’incertitude où des acteurs importants, susceptibles de jouer un rôle non négligeable
ne se sont pas encore prononcés. C’est le cas de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de
l’Afrique du Sud ou même de certains acteurs au niveau de l’Union Européenne et de
l’économie américaine. Des acteurs nouveaux peu connus dans la grande finance
internationale pourraient jouer un rôle significatif. La réponse offerte à la crise ne pourra
pas être la même que celle apportée par Roosevelt dans les années 30, car l’État
américain est aujourd’hui surendetté et ne dispose pas des mêmes moyens financiers.
L’intervention des 700 milliards de dollars n’a fait qu’accroître ce déficit. Par ailleurs, le
capitalisme industriel transnationalisé est beaucoup plus solide aujourd’hui qu’alors et
l’expansion du capital transnational reste encore possible avec l’intégration des
marchés comme la Chine et l’Inde à la société de consommation de masse, avec la
domination des moyens de communication et avec la tiersmondialisation des pays de
l’Europe de l’est.
Cette crise doit mener à la mise sur pied d’alternatives, à la construction de nouveaux
systèmes post-capitalistes qui permettraient que les dogmes de la libéralisation, les
accords de libre-échange et l’orientation imposée par l’OMC soient révisés. Des
systèmes qui favoriseraient un contrôle de capitaux minimal, qui permettraient qu’un
minimum de puissance publique puisse intervenir dans la sphère financière afin d’éviter
un gaspillage des ressources de l’humanité. Il faut un système libérateur, débarrassé de
la domination capitaliste financière et fort probablement inspiré de l’expérience
socialiste. Un système au sein duquel l’Homme, les besoins des individus, le bonheur des
individus et l’épanouissement des pays occupent une importance centrale.
Même si les États-Unis resteront un pays important, ils ne joueront plus un rôle central au
niveau des circuits financiers du secteur économique. Certaines puissances
renforceront leur rôle, de nouvelles puissance émergeront, il reste juste à savoir
lesquelles. Le cœur de la finance mondiale se déplacera.
LA FIN DU CAPITALISME?
Il serait étonnant que la crise débouche sur une explosion du système capitaliste. Par
contre, on ne peut nier la débâcle profonde du néolibéralisme et la mise à mal des
dogmes du néolibéralisme utilisés au cours des 20 dernières années. La crise peut offrir
de nouveaux horizons, de nouvelles perspectives d’organisation, des opportunités
extrêmement intéressantes aux personnes exploitées, dominées et marginalisées.
Washington pourrait avoir plus de difficultés à dicter ses politiques économiques aux
pays pauvres. Le modèle d’intervention économique imposée par Washington à la
plupart des pays du Sud, le modèle politique économique, le modèle des relations
entre l’État et la société seront profondément remis en question. On a senti d’ailleurs,
lors de la réunion des chefs d’États ibéro-américains au Salvador en octobre 2008 un
rejet marqué du capitalisme et de la financiarisation, ce qui marque un tournant.
On risque de voir surgir un modèle de néolibéralisme révisé qui conserva les privilèges
accordés aux capitalistes. Si tel est le cas, cela suscitera à nouveau des
mécontentements et donnera naissance à de nouveaux mouvements sociaux qui
lutteront à leur tour pour essayer de changer la situation de façon substantielle. Mais il
est encore trop tôt pour voir apparaître un système social avec un État qui réduirait les
écarts sociaux, qui investirait massivement dans les secteurs stratégiques, un État
assuranciel. Les forces actuelles ne sont pas prêtes à appliquer le néo-keynésianisme.
Cette crise aura des répercussions catastrophiques sur Haïti. Il y aura un ralentissement
des flux de transferts de la Diaspora, des transferts évalués annuellement à 1,6 milliards
de dollars américains, et qui maintiennent en ce moment l’équilibre fragile des
comptes nationaux et des agrégats macro-économiques. Au cours des deux premières
semaines du mois d’octobre 2008, une des institutions qui reçoivent les transferts au
Cap-Haïtien a connu un ralentissement des transferts de 25 à 30%. Le pouvoir d’achat
des populations a chuté, le salaire minimum déjà dérisoire est resté inchangé depuis
2003, le pays a été particulièrement touché par l’augmentation des prix des produits
céréaliers et des produits pétroliers. À cela s’ajoutent les 4 cyclones qui ont frappé le
pays. Tout cela a contribué à augmenter de façon dramatique la pauvreté en Haïti.
On estime aujourd’hui que 3 millions de personnes sont dans une situation d’insécurité
alimentaire, et ce chiffre demeurera inchangé d’ici l’automne 2009. La crise affectera
les couches de la population les plus pauvres.
L’économie haïtienne est également extrêmement dépendante de l’économie
américaine pour les exportations. S’il y a une récession aux États-Unis, on assistera au
ralentissement des transferts et à une baisse des exportations. La demande au niveau
de la sous-traitance et de certains produits primaires diminuera. On ne parviendra pas
à réaliser les taux de croissance déjà faibles (1,5% à 2%) projetés par le gouvernement.
Et si le gouvernement continue à appliquer les options néolibérales du Font Monétaire
International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM), la déstructuration de l’économie
nationale se poursuivra de même que l’effondrement de l’économie paysanne, ce qui
réduira d’autant plus la marge de manœuvre existante pour résoudre les grands
problèmes et les défis de la société haïtienne. Ce sera par contre l’occasion pour Haïti
de renégocier la relation de dépendance qui la lie aux États-Unis en développant un
projet national sur des bases différentes de celles qui caractérisaient le système ces
trente dernières années. Ce serait l’occasion de revoir les relations entre le secteur
financier et la question de production. Haïti pourrait se servir de la crise pour exiger du
secteur bancaire commercial qu’une portion importante de la liquidité qu’elle détient
soit affectée à des investissements productifs dans les secteurs rural et industriel. Les
chiffres aujourd’hui démontrent que le crédit des banques commerciales dirigé vers le
secteur rural est inférieur à 1 % du volume de crédit distribué annuellement. Et le crédit
est principalement concentré autour des activités de spéculation, de change et des
activités de consommation directe au niveau de la région de Port-au-Prince. Mais il n’y
a pas de création d’emplois, pas de création de richesse, ni d’investissement. La
Banque Centrale dispose d’instruments pour inciter les banques commerciales à investir
dans le secteur de l’économie réelle pour créer des emplois.
Haïti doit reprendre le contrôle par rapport à l’orientation des politiques économiques.
Cela doit se faire entre autres en intégrant des mécanismes au niveau du Parlement
haïtien afin qu’il puisse surveiller le mode de gestion qui est fait avec les réserves
nationales. Cela empêcherait par exemple qu’une partie des 197 millions de dollars
américains débloqués pour faire face aux urgences post-cycloniques ne soit retenue
par les marchés financiers américains sans que le Parlement haïtien n’ait son mot à
dire, comme ce fut le cas récemment. Cela permettrait de favoriser un retour de
l’ensemble de capitaux devant être investi dans l’économie nationale et de supporter
les agents économiques dans le secteur rural qui n’ont pas accès au crédit bancaire.
Les réponses fournies par la Banque Mondiale et par le Font Monétaire International à
l’égard de la dette sont insuffisantes. En mars 2006, Haïti a été intégré au programme
des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). La Banque Mondiale a reconnu à ce moment là
que la dette haïtienne était insolvable, mais la réponse reste insuffisante. Les
évaluations qui ont été faites, les réductions et les allègements de la dette consentis
dans le cadre du programme des pays pauvres très endettés sont insignifiants et
insuffisants pour libérer le pays de la domination de dette. On parlait aux dernières
négociations d’une réduction de 23 millions de dollars américains du service de la
dette. Lors des négociations avec le Club de Paris en décembre 2006 on a réaménagé
une partie de la dette. Certains pays dont l’Espagne ont consenti à des annulations
partielles de la dette et des rééchelonnements ont été effectués. Mais entre 2005 et
octobre 2008, le montant du stock de la dette est passé de 1.3 milliards de dollars à
1.85 milliards, ce qui prouve que les allègements et les réductions promis n’ont aucun
impact significatif sur la dette. La dette a même augmenté à un rythme plus important
au cours des 3 dernières années qu’au cours des 10 années précédentes. Cela prouve
que le problème de la dette reste entier. Haïti a du payer un service de la dette de 90
millions de dollars en 2007 alors qu’il s’agit du pays le plus pauvre de l’Amérique et que
les ressources générées par l’État devraient être consacrées en priorité aux urgences et
aux crises auxquelles est confronté le pays, tel que la question de l’alphabétisation, de
la reforestation, de la restructuration du système national de santé publique, du
système d’éducation national, privatisé à 82%. Cet argent devrait être consacré à des
investissements significatifs au niveau des grands programmes de redressement
national. Il est inconcevable que la Banque Mondiale n’ait pris aucune décision sur le
chemin de l’annulation de la dette alors qu’Haïti fait face à des crises répétées qui ont
plongé la population dans une pauvreté de masse. La BM a voulu faire croire à
l’annulation de 500 millions de dollars mais il n’en est rien puisque les 600 millions de
dollars qu’elle réclame figurent toujours au tableau de la dette haïtienne. Cette dette
sert à dominer Haïti dans la mesure où elle est utilisée comme argument par les bailleurs
de fonds pour exiger au pays l’exécution d’un ensemble de politiques. Le programme
de PPTE est trompeur et ne vise qu’à renforcer la dépendance d’Haïti. Quelles sont les
conditions qu’Haïti n’a pas respectées pour justifier le report de l’annulation de la dette
à juin 2009? Ces conditions, ce sont la privatisation d’un ensemble d’entreprises
publiques, notamment la TELECO et l’EDH.